Les états et la construction de l'union africaine: le cas de la Libye et du Sénégal( Télécharger le fichier original )par Romaric TIOGO Université de Dschang - Master II 0000 |
PARAGRAPHE II - LA PROPOSITION D'UNE FORME, DES STRUCTURES ET DES POLITIQUES PUBLIQUES REGIONALISEESLes tentatives libyennes de construction d'une Union en Afrique sont largement inspirées du projet fédéraliste de Nkrumah (A), auquel la Libye a proposé des structures et des politiques publiques aux envergures supranationales(B). A- La proposition d'une forme : le réveil du projet fédéraliste de NkrumahTout comme Nkrumah qui présenta son projet pour la construction de « l'Afrique par les Africains eux mêmes et pour les Africains »118(*), le colonel KADHAFI s'est réapproprié les idées du père du « panafricanisme africain »119(*) en proposant une fédération des Etats africains (1), laquelle proposition connaîtra des modifications(2). 1- La proposition d'un Etat fédéral africainLe leader libyen est connu pour son immédiateté sur les questions unionistes120(*). Militant par conviction idéologique pour les Etats-Unis d'Afrique, il s'inscrit dans la lignée de NKRUMAH et des pères fondateurs du panafricanisme qui voit le jour dès 1900 avec la première conférence de Londres (Angleterre). Au cours des travaux du 1er sommet extraordinaire de Syrte, la Libye a proposé l'idée d'une UA sinon sous une forme fédérale comme les Etats-Unis d'Amérique, du moins une confédération comme c'est le cas dans l'Union Européenne(UE). Convaincue que « l'union fait la force », la Libye a insisté sur le fait que les Africains restent politiquement et économiquement faibles parce qu'ils sont divisés dans de petits Etats. Ce constat émane du fait que les problèmes du continent, résident en majorité dans sa fragmentation, à ses divisions politiques et à la faiblesse de ses micros-entités, incapables de peser d'un poids réel dans la globalisation. Comme l'a constaté NUMELIN RAGNAR dans ce qu'il appelle la source du « multilatéralisme originel »121(*), toutes les sociétés dès leur origine développent des intérêts communs qui deviennent le moteur de la coopération. Cette « identité humaine » témoigne du fait que les humains ont non seulement besoin les uns des autres, mais aussi qu'ils ont « l'intuition que les autres luttent pour des buts semblables par des moyens semblables »122(*). Dans cette perspective, la construction d'une organisation multilatérale comme l'UA, (à coté des entités souveraines) émanerait de la volonté d'adopter au sein de celle-ci des vues concertées sur ce qui constitue les intérêts, ou les valeurs africaines. En conclusion de son étude sur la genèse des institutions internationales, INIS Claude soutient d'ailleurs de manière convaincante que l'organisation internationale « a vu le jour non pas tant à cause de prophètes qui la voyaient comme le successeur des Etats souverains, mais par l'action d'hommes d'Etats qui cherchaient des modalités et dispositifs nouveaux permettant aux éléments souverains de l'ancien système de poursuivre leurs intérêts et de gérer leurs affaires à l'âge de la communication et de l'industrialisation »123(*). Au regard des vertus du multilatéralisme, en évoquant les enjeux d'une constitution des «Etats-Unis d'Afrique », l'Etat libyen pense qu'ils permettront la mise en valeur d'un continent que son leader estime riche mais se heurte à « un véto des pays capitalistes ». C'est le volet économique de l'Union qui repose sur les intérêts communs à défendre par les Etats membres. « A mon sens, explique le colonel Kadhafi, l'Afrique n'est absolument pas un continent pauvre. Elle n'a peut être pas de liquidité, mais elle a des ressources, des matières premières. Le problème c'est que les pays capitalistes ne veulent pas que notre continent se développe. Ils entendent garder l'Afrique telle qu'elle, pour lui soutirer ses matières premières »124(*). Sur le plan sécuritaire, il trouve que cette Union offrira enfin au continent noir le cadre dans lequel pourront se bâtir les infrastructures nécessaires aux investissements étrangers, sources de paix sociale. Pour parvenir à la réalisation de ces processus d'unification, le porte-parole libyen propose une méthode à savoir, l'organisation d'un référendum sur le continent. Il déclarait à cet effet : « nous demandons aux chefs d'Etat de procéder à un référendum et ils verront que tout le monde veut l'avènement d'un pays appelé les Etats-Unis d'Afrique »125(*). Il menaçait même de dénoncer les chefs d'Etat « réactionnaires » à l'idée d'une UA forte. En 2008, à l'occasion d'une visite au Togo, il lançait ceci : « ils sont avertis, soit ils prennent une décision devant les masses populaires, soit je les cloue au pilori car l'unité africaine est pour les peuples et non pour une poignée des dirigeants. Les autres continents s'unissent, sauf l'Afrique» s'est- il inquiété. Aussi, en 2001, il avait déjà demandé aux leaders africains qui ne voulaient pas de cette Union de « quitter leurs fonctions pour rejoindre leurs maîtres »126(*). Pour la Libye enfin, la réalisation de cette Union déborde d'enjeux tant pour certains pays africains qui se sont souvent livrés à la mendicité internationale dégradante que pour la France dont les intérêts ont été combattus sur le continent dans les années 1980127(*). En 1999, il déclarait au Figaro que : « Celle-ci (la France) a été vampirisée par une vingtaine de pays qui, sous prétexte de francophonie, lui demandent toujours de les financer, de les nourrir...or, ce qu'elle appelle de ses voeux, c'est un ensemble avec lequel traiter, tout simplement »128(*) Il s'agit en fait pour le Guide libyen de « décoloniser la France ». Toutefois, le projet libyen pouvait-il passer comme une lettre à la poste ? C'est-à-dire sans connaître de difficultés ? Estimé trop radical et même qualifié de « kaddafiade »129(*) il va connaître de sérieuses modifications. * 118 KABA Lansiné, N'krumah et le rêve de l'unité africaine, Paris, éditions Chaka, vol.11, p. 172. * 119 D'après ROPIVIA Marc-Louis, le panafricanisme africain commence à partir du moment où les Africains en l'occurrence Nkrumah se réapproprient le mouvement. Pour approfondissement, lire, Géopolitique de l'intégration en Afrique noire, Paris, L'Harmattan, 1994, 246 p. * 120 En 1970 lors de la mise sur pied de l'URA (Union de Républiques Arabes) qui devait donner lieu à une fédération entre L'Egypte, le Soudan et la Libye, alors que les autres plaidaient pour une intégration progressive de l'URA, le colonel Kadhafi, fidèle à ses idées et son tempérament proposait une union totale dans un délai de 3 ans et la création immédiate d'institutions politiques communes. Pour approfondissement, lire OTAYEK ( R.), op. cit., p. 33. * 121 NUMELIN Ragnar, cité par KNIGHT (W. A.), op. cit., pp. 691-692. * 122 Ibid. * 123 INIS Claude cité par KNIGHT (W.A.), op. cit., p. 699. * 124 Interview de Kadhafi accordée à l'Autre Afrique, 18-24 mars 1998, reprise par MARTINEZ (L.), article précité, p. 117. * 125 KAFUKA RUJAMIZI (J.), « Unité Africaine, Slogan ou Nécessité ? », dans Jeune Afrique Economie N° 372, 2008, p.147. * 126 Propos rapportés par CALLIES De Salies Bruno, cité par DJUIDJE KOUAM (R.), op. cit., p. 107. * 127 QADDHAFI Si Ahmed, Un proche parent du Guide libyen déclarait à cet effet dans le Monde du 22 janvier 1981 ceci : « ...Nous comprenions que la France a des intérêts en Afrique. Mais elle devrait se rendre compte que nous sommes un pays africain et que nous ne pouvons être indifférents au sort de l'Afrique », cité par OTAYEK (R.), op. cit., p. 203. * 128 Voir MARTINEZ (L.), op. cit., p.118. * 129 COLETTE Elise, « Bye-bye Kadhafi », dans Jeune Afrique, No 2561 du 7 au 13 février 2010, p. 15. |
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