1- Une vision désocialisée
de la vie sociale ?
Axelle Kabou, en affirmant que les africains refusent le
développement de toutes leurs forces, et dans la même veine,
lorsque Daniel Etounga Manguéllé, en s'interrogeant sur le besoin
d'un ajustement culturel pour l'Afrique, s'indigne Jean Marc Ela (2007 :
39-40), c'est beaucoup plus de la modernité que ces auteurs font
référence. D'ailleurs, un peu plus tard, le second (Daniel
Etounga Manguéllé) à travers un article,
« culture et développement : ou les conséquences
d'une modernisation tardive de nos schémas sociaux », justifie
cette confusion entre modernité et développement.
« L'on n'échappe pas ici à une
véritable fascination de la civilisation occidentale dont on ne voit pas
qu'elle est une civilisation parmi tant d'autres, avec ses tares et ses limites
en dépit des lumières qui cachent des ombres troublantes et
mortelles » s'insurge Jean Marc Ela (1994 :
131).
En positionnant la civilisation occidentale comme
modèle de référence, ces auteurs exigent de l'africain de
se mettre à l'école du blanc pour accéder aux conditions
du bien-être. Ce qui est grave ici, c'est la réappropriation
inavouée des vieilles oppositions entre
« primitif » et
« civilisé », alors que les sciences ont
remis en cause les a priori du discours colonial sur les sociétés
africaines poursuit Jean Marc Ela. Tout porte à croire que la
rationalité était le propre de l'occident. Pas surprenant que des
propos des chantres de la négritude, comme Senghor pour qui
« l'émotion est nègre et la raison
hellène », sont largement repris par ces auteurs.
2- Le non-dédouanement de la
responsabilité africaine
Au-delà de cette opposition mentale du sud et du nord,
le mérite a été d'exiger à l'africain de se
regarder en face, en s'appuyant sur les tares de sa propre
société et de sa culture. Et non plus de dédouaner
l'emprise de ces facteurs dans le développement de l'Afrique.
D'ailleurs, de l'oeuvre d'Axelle Kabou, Jean Marc Ela se demande quel
« développement refuse l'Afrique » ?
Les formes de « refus » n'étant pas rares
dans l'histoire des sociétés africaines face à l'irruption
des modèles qui sont imposés d'autorité. C'est pour
survivre face à cette adversité que les sociétés
dominées ont une attitude d'insoumission, de révolte et de
résistance. Il serait donc précipiter de parler de
« refus de développement », sans
s'interroger sur la créativité des africains face à
l'irruption des modèles qui reproduisent les aspects du capitalisme
occidental. Le reproche des analyses proches de l'argument soutenu par A. Kabou
et D. Etounga Manguéllé, c'est la prise de position sans recul et
surtout « l'administration des concepts, la réflexion,
activité douloureuse d'ouverture de la pensée à
elle-même et à ce qui n'est pas elle, ne s'astreint plus à
l'hésitation, au doute, au sondage de ses
présupposés » selon J.G. Bidima (2000 : 92).
Cette pratique des sciences sociales, qui se dispense des recherches de terrain
pour se répandre en déclarations pompeuses, relève
beaucoup plus de la monstration que de la démonstration.
Toutefois, pour Robert Horton (1990), là où
l'on continue de parler avec assurance d'animisme, de magie et de sorcellerie,
il faut tout repenser en prenant en compte les efforts d'invention, dont les
sociétés africaines font preuve dans les situations où
elles cherchent à comprendre les phénomènes naturels
auxquels elles sont confrontées. Toutes les cultures attribuent une
importance plus ou moins égale aux finalités de l'explication, de
la prédiction et du contrôle des évènements. Le
rendement cognitif élevé de la science moderne occidentale n'est
rien d'autre que la rationalité universelle fonctionnant dans un
contexte spécifique d'ordres technologique, économique et
social.
L'examen des discours traditionnels ne doit pas nous
éloigner des objectifs de la réflexion sur la pratique des
sciences dans la vie des sociétés indigènes. La question
est de savoir ce qui se fait en Afrique en matière de connaissances
scientifiques au sens strict du terme. On peut redouter qu'en négligeant
ce champ spécifique, le débat sur la pensée dite africaine
s'enlise dans les spéculations abstraites. Plus
précisément, en minimisant l'importance du champ
« scientifique » au risque de se borner à discuter
sur les relations entre ce qui serait une vision spiritualiste dans la
tradition africaine et ce qui apparaît comme une « vision
mécaniste » propre à l'occident. Pour
reconsidérer la question qui s'impose à l'examen, il faut
rappeler que l'occident a aussi ses croyances et ses traditions, y compris au
niveau culturel, intellectuel ou symbolique comme le rappellent de nombreux
mythes et rituels enracinés dans l'imagerie sociale et historique.
L'africain doit aujourd'hui s'inscrire dans une lancée
de rupture et vivre dans un état d'esprit qui suscite l'émulation
et la compétition. Il n'est plus question de s'arrêter aux savoirs
ancestraux. Au-delà d'eux, il faut mettre en lumière le savoir ou
l'organisation des populations des villages étudiés.
B- Les savoirs
endogènes : les capacités organisationnelles des villages
Mebomo et Bikogo
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