Conclusion générale
La réflexion structurant cette étude sur
l'épargne des ménages part d'un constat théorique de la
science économique selon lequel la formation de l'épargne des
ménages est principalement déterminée par des facteurs
économiques tels que le revenu et le taux d'intérêt
bancaire. Ces approches théoriques ont fait émerger de nombreuses
définitions de l'épargne, occultant ainsi l'importance des
variables socioculturelles dans la manière de concevoir l'épargne
des ménages.
Alors que, les constats empiriques de cette étude ont
montré l'existence de logiques sociales, d'idéologie culturelle
et de croyances religieuses capable d'influencer significativement les
différents choix des ménages quant à l'utilisation de leur
épargne. Partant de ces constats, l'objectif de cette étude a
été de saisir les déterminants sociaux de l'épargne
des ménages du village d'Adjamé Bingerville.
Pour cela, nous avons cherché à comprendre
d'abord la structure des dépenses de consommation des ménages
d'Adjamé Bingerville. Ensuite, nous avons saisi les
représentations sociales liées à leurs épargnes. Et
enfin, nous avons analysé les formes et les enjeux sociaux de
l'épargne des ménages de ce village.
Ainsi, pour atteindre cet objectif, une démarche
méthodologique a été mise en oeuvre. En effet, des
techniques de collecte de données à la fois quantitatives et
qualitatives ont été mobilisées telles que l'entretien
semi directif, le questionnaire, l'observation... pour recueillir des
données auprès des ménages et des personnes ressources
pouvant nous donner des informations précises sur notre sujet de
recherche.
Après le traitement de toutes les données de
terrain, les résultats obtenus s'articulent autour de trois points
essentiels.
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Le premier résultat concerne la nature de la structure
des dépenses de consommation des ménages d'Adjamé
Bingerville. En effet, dans cette structuration, le poste alimentation
constitue en termes de priorité et de revenu alloué, le premier
poste de dépense des ménages. Ainsi, l'observation des pratiques
alimentaires ont permis de constater une similitude dans le mode de
consommation alimentaire des ménages qui repose sur la consommation
quasi journalière du manioc sous la forme d'attiéké et le
poisson. Aussi, les dépenses cérémonielles du point de vue
subjectif sont considérées comme des dépenses
intermédiaires. Alors que pour les ménages d'Adjamé
Bingerville, elles constituent une priorité en termes de revenu
alloué. En somme, sur ce point, nous pouvons retenir que les logiques de
consommation des ménages d'Adjamé Bingerville constituent des
systèmes appartenances qui construisent les statuts sociaux des
ménages et qui permettent de reproduire l'identité culturelle des
Ebrié d'Adjamé Bingerville.
Le second résultat de cette recherche, se rattache aux
représentations sociales associées à l'épargne des
ménages. En effet, cette étude a mis en perspective l'existence
de perceptions culturelles et de croyances religieuses. D'un côté,
ces valeurs culturelles de l'épargne renvoient à la
solidarité, à l'entraide sociale dans la communauté
villageoise d'Adjamé Bingerville. Et de l'autre, le respect de certaines
prescriptions religieuses telles que le paiement de la dîme, des deniers
de culte et autres fêtes de moisson, influencent considérablement
les choix d'épargne des ménages. De ce fait, ces deux logiques
sociales à la fois distinctes et complémentaires orientent la
participation des ménages d'Adjamé Bingerville à certaines
structures sociales telles que les mutuelles, les tontines, les
églises... dans lesquelles l'épargne des ménages constitue
un instrument intégrateur.
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Enfin, le troisième résultat qui est la
conséquence des deux premiers, renvoie aux formes et aux enjeux sociaux
de l'épargne des ménages d'Adjamé Bingerville. En effet,
s'agissant des formes d'épargne, nous retrouvons un ensemble de forme
collective et de forme individuelle d'épargne des ménages. D'un
côté, la forme collective fait référence à
l'épargne communautaire, tontinière ou religieuse. Et de l'autre,
la forme individuelle renvoie à l'épargne bancaire,
thésaurisée ou sur pied. Dans tous les cas, ces formes
d'épargne participent à la formation du capital
social/immatériel et du capital financier/matériel des
ménages d'Adjamé Bingerville. Ces capitaux
socioéconomiques des ménages constituent un enjeu majeur dans la
cohésion sociale du groupe et dans le renforcement des liens sociaux qui
représentent pour beaucoup de ménages d'Adjamé Bingerville
des moyens d'accès au crédit et des filets de
sécurité sociale face à la pauvreté.
De tous ce qui précède, nous pouvons affirmer
que les idéologies culturelles, les croyances religieuses et autres
perceptions psychosociales sont des déterminants sociaux capables
d'influencer le comportement des ménages dans leurs choix
d'épargne.
En définitive, cette étude de l'épargne
des ménages en situation de précarité met en
évidence une double perspective dans la conception de l'épargne.
La première, relève des approches définitionnelles. En
effet, l'influence des déterminants socioculturels sur l'épargne
des ménages est incontestable. Du coup, ils justifient une relecture des
définitions de l'épargne qui se doivent d'intégrer la
particularité des facteurs sociaux. La seconde perspective de cette
étude invite les acteurs sociaux chargés de mobiliser des
capitaux en particulier endogènes pour le financement des projets de
développement à prendre d'avantage en compte, les cadres sociaux
dans lesquels s'inscrivent les ménages où leur épargne
constitue dans la majeure partie des cas, l'instrument intégrateur.
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