Libreville, Octobre 2009
UNIVERSITÉ OMAR BONGO
FACULTÉ DE LETTRES ET SCIENCES
HUMAINES
DÉPARTEMENT DE SOCIOLOGIE
Le veuvage de l'épouse d'un
maître-initié,
mère de jumeaux dans la société
Akélé
du Moyen-Ogooué
Sociologie de la
Connaissance
Présenté et soutenu par : Sous la
direction de :
Janny DIVAGOU IBRAHIM KUMBA Claudine-Augée
ANGOUE
Maître-assistant
2
Sommaire
Dédicace
Remerciements
Liste des illustrations
Liste des tableaux
Sommaire
Introduction générale . 1
Les préalables épistémologiques
3
Section 1 : Objet et Champ de l'étude
...3
Section 2 : Construction du modèle
d'analyse 8
Section 3 : Démarche
méthodologique 25
Première partie : L'idéologie des
jumeaux chez Akélé du Moyen-
Ogooué 31
Introduction de la première partie .32
Chapitre I : L'origine mythologique sur les
jumeaux 34
Section 1 : La naissance des jumeaux 34
Section 2 : L'attribution des noms chez les
jumeaux 37
Chapitre II : Les représentations
sociales des jumeaux dans la société Akélé
45
Section 1 : Les représentations sociales
des jumeaux et leur statut dans la société
Akélé, particulièrement au niveau des rites
initiatiques 46 Section 2 : Le monde social des
Akélé pour mieux situer le rapport entre les hommes
et les femmes .59
Conclusion de la première partie ...68
3
Deuxième partie : Le rituel du veuvage
comme transfert de biens symboliques avec
ses corollaires sur les femmes.
|
..70
|
Introduction de la deuxième partie
|
.71
|
Chapitre III : Le veuvage dans la
société Akélé du Moyen-Ogooué
|
73
|
Section 1 :L'annonce du décès
comme moment de rupture de l'ordre social
|
.73
|
Section 2 : Fin du veuvage et nouveau
départ pour la veuve
|
..77
|
Chapitre IV : L'appropriation du statut
d'homme initié par la veuve mère des
jumeaux 83
Section 1 : La présence de la
mère des jumeaux au corps de garde . ..83
Section 2 : La symbolique des objets
hérités par la veuve 87
Conclusion de la deuxième partie .97
Conclusion générale 99
Références Bibliographiques 101
Table des matières 107
Annexes
4
Dédicace
Nous voulons dédier ce travail à toute notre
famille. Nous savons désormais combien les performances scolaires sont
fonctions de l'environnement familial. Il serait donc, d'un côté
fastidieux de vouloir tous les nommer et de l'autre, sûrement
inapproprié de n'en citer que quelques-uns.
Toutefois, nous voudrions faire une mention spéciale
à notre mère Marie Agathe MAMOMGUE et notre
père IBRAHIM KUMBA, pour l'amour sans réserve et
le soutien sans faille.
Aux morts et surtout aux vivants. Puissent-ils trouver ici
l'expression de notre
attachement filial.
5
Remerciements
Il nous plaît de nous acquitter d'un devoir, celui de
remercier toutes les personnes qui ont concouru, de près ou de loin,
à sa réalisation. Nos remerciements vont en premier lieu à
l'endroit d'un homme de caractère et de principes, à madame
Claudine-Augée ANGOUE, notre directeur, qui nous a fait
l'honneur d'assurer la direction de ce Mémoire de Maîtrise, la
rigueur scientifique et l'esprit critique sont
les valeurs que nous gardons d'elle.
Profonde gratitude et grand respect !
Nous adressons également nos remerciements à
tous les enseignants du Département de Sociologie dont les enseignements
nous ont permis de mieux appréhender les problèmes
théoriques et méthodologiques de la recherche en sciences
sociales, singulièrement en sociologie. Nous pensons
particulièrement à messieurs Jean-Ferdinand MBAH, Joseph
TONDA et Mesmin-Noël SOUMAHO, ainsi qu'à
Placide ONDO. Qu'ils veuillent bien trouver ici la marque de
notre sincère reconnaissance.
Ces remerciements s'adressent aussi à nos
frères, soeurs, oncles et tantes notamment Simon Pierre
BEHINT, Sylvie SOLIANE, Colette BEDIOBE, Honorine MADINGA,
Annie Flore MALANGA, Raïssa MADJINOU MASSIEBE IBRAHIM KUMBA, Sandra
BADJINA BEHINT, Natacha MAWOUHE, Fabrice BOUCKA, Annie Michelle MAMBOUNDOU,
Pénolla MINKOUE ABANG, Christelle MAPENZA KOPP, Constant MACKOUYA,
Francisca IBRAHIM KUMBA, Mohamed TETY IBRAHIM KUMBA ,Emile André BOUKA
MOUANDA sans oublier ma soeur Susannah MOUSSONGOU IBRAHIM
KUMBA, pour leur soutient tant matériel que moral et leurs
précieux conseils.
A nos amis Pascale MPIRA, Christian MVE NGOMO, Sonia
MASSIMA, Audrey MABEHAN, Hermine BOUANGA, Gladice DIMANGA MAYOMBO, Lionel
Cédrick IKOGOU-RENAMY, Floriane Melinda KAYIBA, Joe Francis
DEMBA, Isabelle MENGUE, Perrin Hermann
IKHOUBANGOYE, Davis Willis KOUMBI OVENGA, Brice DIMBOMBI,
Serge BOUSSOUGOU, Patrick MIKOLO MIKOLO, Virginie NKOGHE ; Hassana YADIKO,
Housseina ABOUBACKAR, Sadatou GAMBO, Aymard MOULOUNGUI, Elsie AGOSSOU
MOUSSINGUILI, Eymel NZAMBA, Nikita AZINGO, Lauriane NDJANENE NGOWET, Steeve
Laurent DENGUE, Sandra MAKAYA, Félicité NDJABA, David BOULINGUI,
Danny OBANGA et à tous mes camarades et condisciples.
Le présent rapport porte la marque de votre
inestimable amitié !
6
Liste des illustrations
? Carte n°1 : Localisation
géographique du village Bellevue
|
25
|
? Carte n°2 : Localisation
géographique de la province du Moyen-Ogooué
|
26
|
La photo n°1 : «la
corbeille ou Guiapa »
|
90
|
La photo n°2 : «Les
plumes de perroquet ou Nguiana-kouss » .
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..91
|
La photo n°3 : «La poudre
de padouk ou Mboulé »
|
92
|
La photo n°4 : « Le
kaolin blanc ou Pembè»
|
..93
|
La photo n°5 : « Legun ou
grelot»
|
94
|
7
Liste des tableaux
? Tableau n°1 : Construction du
concept principal de « la veuve d'un
maître-initié,
mère des jumeaux » . 24 ?
Tableau n°2 : La comparaison entre le Mungala et
l'Ondoukoué chez les Akélé du
Moyen-Ogooué .58 ? Tableau n°3
: La correspondance des objets matériels du pouvoir
à la naissance
des jumeaux et lors du veuvage . 89
8
Introduction générale
Notre étude porte sur la société
Akélé du Moyen-Ogooué, du village Bellevue. Ce groupe
ethnolinguistique se retrouve à peu près dans sept provinces du
Gabon, sous des appellations toutes différentes selon les régions
qu'ils occupent. Notons par exemple qu'on les appelle Akélé, dans
le Haut-Ogooué, on parle de Mbahouin, dans le Moyen-Ogooué,
Akélé, dans la Ngounié, les Kélé ou
Bakélé à Fougamou, comme à Mouilla, Mimongo, puis
ils sont Toumbidi à Mbigou et à Malinga. Dans
l'Ogooué-Ivindo, on les appelle les Ongom ; dans, l'Ogooué-Lolo,
ils sont aussi Bakélé. Enfin, dans l'Ogooué-Maritime, ils
sont appelés Akélé. N'oublions pas que leur appellation
d'origine est « Ongom ».
La présente étude consistera à montrer
comment ce groupe ethnolinguistique Akélé du village Bellevue est
gouverné par des considérations sociopolitiques et religieuses.
Justement, nous voulons comprendre comment à travers un pan de cette
société c'est-à-dire le veuvage, l'épouse d'un
maître-initié mère des jumeaux, nous permet de lire la mise
en évidence des structures politiques de cette pratique sociale. La
naissance gémellaire, le décès d'un
maître-initié, le veuvage, les rites et l'implication des
sociétés initiatiques masculines et secrètes sont autant
d'éléments sociologiques et anthropologiques qui nous permettent
de déchiffrer cette organisation politique et religieuse
Akélé.
Ainsi, nous nous proposons de décrypter la place
qu'occupe le rituel du veuvage de l'épouse d'un
maître-initié, mère des jumeaux, qui hérite du
statut de son défunt mari à travers ce que nous appelons les
rites d'intronisation de cette femme dans la communauté des
Maîtres-initiés.
De manière générale, le veuvage est
définit comme « une situation de totale retenue da la veuve
à l'écart de tout ce qui relève de la vie quotidienne.
Cette retenue s'accompagne également d'une restriction des contacts avec
l'entourage immédiat;
lointain et d'une série d'interdits »1
; est un ensemble constitué de purification psychique et physique afin
de libérer la veuve des possibles persécutions de l'esprit de son
défunt époux. Mais, pour le groupe Akélé du
Moyen-Ogooué, du village Bellevue, le veuvage est surtout une initiation
pour la femme d'un maître-initié, mère des jumeaux. Car la
veuve change de statut et acquiert le statut de son défunt époux
à travers les rites d'intronisation.
Pour résumer ; « le travail de la sociologie
consiste à aller au-delà de l'apparence, des mouvements des
catégories de la pratique, du bon sens, pour retrouver non pas des
principes ou des valeurs et pas davantage des réalités
matérielles, [...] mais l'action de la société sur
elle-même et les relations sociales définies par les
différents types d'action ».2 Jl est à souligner
que la veuve d'un maître-initié, mère des jumeaux est un
chef politique dans la société Akélé, car elle
détient une connaissance "absolue" des secrets du monde visible et
invisible.
Enfin, le rapport existant entre le pouvoir religieux et le
politique dans la société Akélé du
Moyen-Ogooué, du village Bellevue à travers le veuvage de
l'épouse d'un maître-initié, mère des jumeaux,
permet de dire que la veuve d'un maître-initié, mère de
jumeaux devient un chef politique et religieux parce qu'elle hérite les
biens symboliques de son défunt époux.
9
1 Louis-Vincent THOMAS, Mort et pouvoir,
Paris, Payot, 1999, pp.9-10.
2 Alain TOURAINE, Pour la sociologie, Paris,
Editions du Seuil, (coll. « Points »), 1974, p.238.
10
Section 1 : Objet et champ de l'étude
1. Le veuvage de l'épouse d'un
maître-initié, mère de jumeaux comme objet
d'étude
En sciences sociales, le processus de recherche repose sur un
problème particulier. A cet effet, le chercheur doit avoir un objet
d'étude. C'est-à-dire, ce sur quoi il entend travailler. Dans
cette perspective, « le chercheur doit d'abord définir les choses
dont il traite afin que l'on sache de quoi il est question ».3
Autrement dit, « l'objet de recherche c'est ce sur quoi porte
l'étude »4 et il n'est jamais donné. C'est
pourquoi « la construction de l'objet est l'un des points essentiels et
les plus difficiles de la recherche, le fondement sur lequel tout repose
».5 Cet objet est perçu comme étant un
problème posé, formulé rigoureusement, un fait
scientifique qui rend compte de la réalité sociale. Ainsi, notre
objet d'étude ; « le veuvage de l'épouse d'un
maître-initié, mère de jumeaux », s'articule
autour du rapport existant entre l'épouse d'un
maître-initié mère des jumeaux et l'institution du veuvage,
en vigueur dans la société Akélé du
Moyen-Ogooué, au centre ouest du Gabon.
En effet, le veuvage est une conséquence de la mort.
« La mort est une donnée socioculturelle par les croyances ou les
représentations qu'elle suscite et par les attitudes et rites qu'elle
provoque ».6
Notre étude est adossée à l'idée
que « la pratique du veuvage de l'épouse d'un
maître-initié, mère de jumeaux, chez les
Akélé du Moyen-Ogooué, du village Bellevue, ne se vit pas
de la même manière que celui d'une femme mère ordinaire
».7
3Emile DURKHEIM, Les règles de la
méthode sociologique, 11ème édition,
Paris, PUF/Quadrige, 2002, p.34.
4 Mesmin-Noël SOUMAHO, Eléments de
méthodologie pour une lecture critique, T. 1, Paris, l'harmattan et
Cergep Editions, Coll. « Recherches Gabonaise », 22, p.
123.
5 Gaston BACHELARD cité par Madeleine
GRAWITZ, Méthodes en sciences sociales, Paris, Dalloz, 1993, p.
422.
6 Louis Vincent THOMAS, Les rites
funéraires, bulletin n°60 et 61, 18ème
année, société de thanatologie, Décembre 1984, p.
33.
7 L'étude descriptive du
phénomène du veuvage a montré que le traitement
réservé à la mère des jumeaux lors du veuvage
diffère de celui de la femme mère ordinaire car la veuve
mère des jumeaux a un rituel approprié du fait qu'elle ait mis au
monde deux enfants considérés, chez les Akélé,
comme des êtres extraordinaires voir des princes.
11
Ainsi, pour avoir une meilleure compréhension de notre
objet d'étude, nous tenterons de faire une analyse du rituel du veuvage
depuis le jour du décès jusqu'au levé de terre ; comme
rite de contrainte qui marque la séparation du défunt avec les
vivants et l'organisation de la gestion des affaires courantes.
La pratique du veuvage de l'épouse d'un
maître-initié, mère de jumeaux, apparaît comme un
alibi pour (re)visiter la problématique des catégories sociales
en formation dans nos sociétés lignagères. Si tant est que
nous partons de l'hypothèse que le veuvage de la femme d'un
maître-initié conduit à un changement de statut parce
qu'elle hérite du statut de son mari, ces considérations nous
amènent, alors, à avancer que notre objet d'étude se
focalise sur l'épouse d'un maître-initié
mère de jumeaux, qui se trouve dans une situation particulière :
le veuvage.
Il ya dans ce sujet une combinaison de deux statuts ; celui de
mère de jumeaux qui appelle un traitement particulier et celui de veuve
d'un maître-initié qui, pour sa part, a des exigences politique et
religieuse liées au statut du défunt. C'est ce rapport,
sous-entendu dans notre travail, que nous voulons rendre intelligible par le
souci de son mode d'articulation.
2. La sociologie politique comme cadre de
référence
Si l'on considère que « les champs de
l'étude renvoient au cadre théorique général dans
lequel s'intègre la problématique de l'étude
»8, il va sans dire que notre étude se retrouve dans
l'un des champs théorique généraux que compte la
sociologie : la sociologie politique. De plus, « toute science cherche
à définir son domaine, à mettre en évidence des
faits en vue d'établir des lois ».9
8 Mesmin-Noël SOUMAHO, Eléments de
méthodologie pour une lecture critique, T. 1, Paris, l'harmattan et
Cergep Editions, (Coll. « Recherches Gabonaise »), p.
123.
9 Gaston MIALARET, Introduction aux sciences de
l'éducation, Paris/Genès, Unesco, Delachaux et
Niestlé, 1985, p. 25, cité par Alexandre NGOUA in, La
sorcellerie du kong à Bitam : une manifestation symbolique de
l'économie de l'Etat capitaliste, Rapport de Licence, Libreville,
UOB/FLSH, Sept. 2003, p.5.
12
Par ailleurs, il est important de dire que le pouvoir
n'étant pas dissocié du religieux puisque « le fait
religieux entretient un rapport étroit avec la politique; le pouvoir
»10, affirmer que le religieux et la politique sont intimement
liés, c'est se référer à l'histoire des rois de
France qui, pour être légitimés par le peuple
français, furent intronisés et sacrés rois par l'Eglise.
Par analogie, nous considérons que le religieux c'est le veuvage et que
la politique soit le fait que la veuve prenne la place de son défunt
mari dans la gestion de la communauté, il n'en demeure pas moins qu'elle
doit se soumettre à des rites d'expiation et d'intronisation. Parce
qu'il s'agit de la ritualisation du pouvoir politique, et qu'on ne peut exercer
légitimement ces fonctions politiques qu'après s'être
prêter au veuvage et à l'intronisation qui s'y accompagne.
Puisqu'il convient d'étudier le veuvage de
l'épouse d'un maître-initié mère de jumeaux et
toutes ses implications, si non ses incidences, d'une telle situation aux plans
politiques et religieux de la communauté Akélé du
Moyen-Ogooué, nous nous inscrivons pour la circonstance, dans la
sociologie politique pour nous édifier sur la question.
La sociologie politique se définit comme la science du
pouvoir. En effet, elle est « la science du pouvoir (de l'autorité
du commandement, du gouvernement) dans quelque société humaine
que se soit, et pas seulement dans la société étatique
».11 De plus, « le phénomène de
l'autorité et du pouvoir n'est pas propre à l'Etat ; il se trouve
dans toute `'organisation sociale», même la plus réduite
(entreprise, université, section de parti, de syndicat, etc.)
»12 La société Akélé est
régie comme un Etat, puisqu'elle a à sa tête un chef et
autour de ce chef, gravite toutes les institutions politiques qui permettent de
réguler l'ordre dans cette société lignagère.
10 Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, Le
marché des restes humains. Etude sur le fétichisme politique
à Libreville, Mémoire de Maîtrise en Sociologie,
Libreville, UOB/FLSH, Oct. 2008, p.9.
11 Roger Gérard SCHWARTZENBERG,
Sociologie politique, Paris, Edition Montchretien,
5ème édition, (Coll. « Domat politique
»), 1998, p. 30.
12 Ibid., p. 31.
13
Nous pouvons préciser que la politique est un produit
de la société. La sociologie politique met en évidence le
pouvoir ; où nous présentons deux de ces caractéristiques
:« d'abord sa fonction de régulation sociale, le pouvoir est
indispensable et se renforce grâce aux inégalités qu'il a
pour but de combattre et qui le justifient, d'où son
ambiguïté. Dans une société sans conflit, le pouvoir
serait inutile. Georges BALANDIER ajoute une seconde caractéristique
importante : la sacralité. Toujours présente, bien que plus ou
moins manifeste suivant les sociétés ».13 On
retient que l'exercice du pouvoir obéit à une ritualisation, dont
l'intronisation et le gouvernement en sont les clés.
L'étude du pouvoir implique l'observation des
mécanismes politiques (autorité, gouvernement, etc.) par lesquels
le pouvoir se conquière et s'exerce. La sphère d'action ou
d'interactions des gouvernants, telle qu'elle peut-être
déterminée par l'organisation sociale existante et par les
positions ou réactions du corps social, c'est-à-dire, les formes,
l'étendue, et les limites du pouvoir, ainsi, que les techniques de
gouvernement au moyen d'exercer le pouvoir. Or, il est indéniable que le
pouvoir soit intimement lié au sacré. Partant de ce postulat,
nous affirmons que le rite du veuvage, en tant qu'initiation de l'épouse
du maître-initié et mère de jumeaux, apparaît comme
un des mécanismes politiques qui permettent d'accéder au
pouvoir.
Du point de vue anthropologique, il faut dire que l'objet de
l'anthropologie politique tient compte des « croyances, les symboles, les
rites, les mythes »14 pour être mieux
élaborée. En effet, cette étude nous conduit de quelque
façon que se soit à visiter l'univers du symbolique, du
sacré et des représentations voire des croyances des
Akélé du village de Bellevue sur Lambaréné
(Moyen-Ogooué) ; dans l'optique de rendre compte sinon d'analyser le
veuvage de l'épouse d'un maître-initié, mère de
jumeaux, et ses effets; au sein d'une société lignagère a
priori androcentrique.
13 Georges BALANDIER cité par Madeleine
GRAWITZ, Méthodes en sciences sociales, Paris, Dalloz, 1996, p.
288.
14 Lionel OBADIA, L'Anthropologie des
religions, Paris, Editions La Découverte, (Coll. «
Repères »), 2007, p.64.
14
Enfin, en convoquant la sociologie politique, Marta HARNECKER
définit le pouvoir politique comme « la capacité d'utiliser
l'appareil d'Etat pour réaliser les objectifs politiques de la classe
dominante [...] la classe ou les classes qui ont conquis ce pouvoir mettent
l'appareil d'Etat au service de leur intérêt ».15
Mieux, la sociologie politique « est la science du pouvoir (de
l'autorité, du commandement, du gouvernement) dans quelques
sociétés humaines que ce soit, et pas seulement dans les
sociétés étatiques ».16 Il nous
paraît important de renchérir cette esquisse
définitionnelle de la sociologie politique, par la convocation des
auteurs comme Jean-Pierre COT et Jean-Pierre MOUNIER17. En effet,
pour eux, « toute classe dominante produit une idéologie dominante
qui contribue au maintien de sa position dominante en légitimant son
pouvoir ».18
Par analogie, la classe dominante dont il est question dans
notre travail est celle des maîtres-initiés qui, par leurs
connaissances et leurs statut de chefs politiques, entendent conserver aussi
longtemps que possible leur pouvoir et sa légitimité sur
l'ensemble des membres de la communauté (des autres
Maîtres-initiés, les mères des jumeaux, etc.)
15 Marta HARNECKER, Les concepts
élémentaires du matérialisme historique, Bruxelles,
Edition. Contradictions, 1974, p. 105.
16 Roger Gérard SCHWARTZENBERG,
Sociologie politique, Paris, Edition Montchretien,
5ème édition, (Coll. « Domat politique
»), 1998, p. 30.
17 Jean-Pierre COT et Jean-Pierre MOUNIER, Pour
une sociologie politique. Tome 2, Paris, Editions du Seuil, 1974, (coll.
« Points »), 183 p.
18 Ibid., pp.57-58.
15
Section 2 : Construction du modèle d'analyse
Raymond QUIVY et Luc VAN CAMPENHOUDT affirment dans leur
ouvrage Manuel de recherche en sciences sociales que
l'élaboration de la problématique est une opération qui se
déroule souvent en deux étapes ; la problématique «
est l'approche ou la perspective théorique qu'on décide d'adopter
pour traiter le problème posé par la question de départ
».19 Ce qui revient, dans un premier temps, à «
exploiter les lectures et les entretiens et de faire le point sur les
différents aspects du problème qui y sont mis en évidence
»20 afin que, dans une deuxième intension, l'on
parvienne à « construire sa propre problématique
».21
Dans le cadre de notre étude, nous explorerons les
acquis scientifiques qui portent sur les phénomènes politiques et
le veuvage. La représentation sociale du veuvage de l'épouse d'un
maître-initié mère de jumeaux, à la suite de la mort
de son mari maître-initié étant au centre de notre
étude, nous nous focalisons aussi bien, sur les travaux de la mort comme
un rite de passage obligatoire, dont l'interprétation est
immédiatement religieuse qu'aux travaux portant sur la pratique du
phénomène du veuvage, comme un rite de passage, qui devient un
phénomène politique.
1. La question politique à travers le veuvage dans
la littérature sociologique occidentale
Nous voulons rappeler qu'en ce qui concerne la pratique du
veuvage, en tant que fait social total et comme rite de passage et
d'intronisation, il est un alibi pour interroger la question politique.
Néanmoins, l'examen que nous faisons du phénomène de la
mort, montre que le veuvage est une conséquence directe de celle-ci ; au
même titre que le levé de terre et le retrait de deuil. D'autant
plus que, c'est
19 Raymond QUIVY et Luc VAN CAMPENHOUDT, Manuel de
recherche en sciences sociales, 2ème éd., Paris,
Dunod, 1995, p.85.
20 Ibid., p.86.
21 Ibid., p.86.
16
l'occasion d'exposer ici le fait selon lequel la mort, bien
qu'étant un phénomène qui s'inscrit dans le religieux et
le social ; peut avoir une dimension politique. En ce sens, le rituel du
veuvage apparaît, comme un mécanisme politique qui permet, non
seulement, un changement de statut, l'accession au pouvoir, mais
également un processus de réinsertion sociale (il s'agit de
revaloriser la femme dans un nouveau statut).
« Concevoir la sociologie politique comme une sociologie,
le système politique comme un système social, c'est construire
l'ensemble des relations qui lient la politique et le social
».22 Ceci, pour dire que la question politique demeure une des
préoccupations fondamentales des chercheurs parce qu'elle est un
phénomène social total au sens de MAUSS. C'est la politique qui
nous renseigne sur la façon dont les hommes en société
organisent et planifient leur quotidien.
D'abord, plusieurs anthropologues se sont
intéressés à la mort comme phénomène social.
Dans « Cinq essais sur la mort africaine », Louis-Vincent
THOMAS affirme que « le simple fait que l'humanité est
constituée de plus de mort que de vivant, montre bien que les hommes
aient conçu et élaboré des systèmes de croyances,
parfois d'une prodigieuse complexité, pour se préserver des
effets dissolvants de la mort. Trois buts semblent plus spécialement
visés : rassurer l'homme, revitaliser le groupe que le
décès perturbe et amoindrit, normaliser les rapports entre les
vivants (monde visible) et les morts (monde invisible) ».23
Pour notre part, c'est plutôt la deuxième raison
évoquée par l'auteur qui nous intéresse. En effet, comme
évoqué plus haut, c'est la politique qui vient revitaliser le
groupe en instituant et en gérant des mécanismes tel que le
veuvage de l'épouse d'un maître-initié, mère de
jumeaux, pour restaurer l'ordre social déstructuré par la
mort.
22 Jean-Pierre COT et Jean-Pierre MOUNIER, Pour
une sociologie politique. Tome 2, Paris, Editions du Seuil, 1974, (coll.
« Points »), p.148.
23 Louis Vincent THOMAS, Cinq essais sur la mort
africaine, Dakar, Université de Dakar, 1968, p.494.
17
Le veuvage de la mère de jumeaux chez les
Akélé du Moyen-Ogooué révèle une
particularité : celle de la mort symbolique de cette épouse du
maître-initié. Et par le veuvage, elle doit être
réinsérée dans sa communauté. Louis-Vincent THOMAS,
poursuit en disant que « l'incertitude des frontières entre la vie
et la mort soit un élément d'interrogation du social
».24 C'est dans ce sens qu'Emile DURKHEIM parle de rites
piaculaires, il affirme que « régulièrement, il faut
pleurer, s'attrister, manifester sa colère et que ces grandes
manifestations collectives restituent au groupe l'énergie » qui
menaçait de lui soustraire ».25
C'est dans cette même perspective que Arnold VAN GENNEP
montre que « tous s'organisent selon une séquence
constante en trois temps, qui distingue à l'intérieur d'un
même rituel : une phase de séparation vis-à-vis du groupe ;
une phase de mise en marge (ou « liminale ») ; une des
réintégration (ou « agrégation ») au sein du
groupe, dans une nouvelle situation sociale ».26 Cette
perspective décrit déjà la situation que nous
étudions ici, à savoir ; le veuvage de l'épouse d'un
maître-initié, mère de jumeaux, comme processus de
réinsertion sociale et d'agrégation par le statut acquis dans la
communauté des maîtres-initiés. C'est la restauration du
groupe qui a enregistré une perte, un déséquilibre et
celle de l'épouse d'un maître-initié, mère de
jumeaux, dans sa position originaire par rapport au pouvoir politique
qu'exercent les hommes.
La présentation de la littérature sociologique
sur le veuvage, que nous avons prise comme conséquence principale de la
mort nous permettra d'appréhender les répercussions
socio-politiques de celle-ci, surtout les rapports de pouvoir entre la
société initiatique (religieuse) masculine, voulant faire du
veuvage, un mécanisme de légitimation du pouvoir androcentrique.
Toutefois, on se rend compte que c'est par le veuvage que la veuve va
s'intégrer dans la communauté des maîtres-initiés,
en lieu et place de son défunt mari.
24 Louis Vincent THOMAS, Anthropologie de la
mort, Paris, Payot, 1975, p.101.
25 Emile DURKHEIM, Les formes
élémentaires de la vie religieuse, Paris, (coll. «
Le livre de Poche »), classiques de la philosophie, 1991, p.687.
26 Arnold VAN GENNEP, Rites de passage,
Paris, Mouton, 1909, p.66.
18
Cette démarche nous conduit à visiter les
travaux des chercheurs africains, africanistes et gabonais sur la question de
la mort dans ses rapports de pouvoir religieux et politiques.
2. Les universitaires africanistes et gabonais face
à la question de la mort (donc du veuvage), à travers le fait
politique
En ce qui concerne les travaux des universitaires africains et
gabonais, nous avons retenu pour l'essentiel deux catégories. D'une
part, les travaux de recherches des enseignants-chercheurs en rapport avec la
religion et surtout la mort ; d'autre part, les travaux des étudiants
des Départements d'Anthropologie et de Sociologie de l'Université
Omar Bongo de Libreville.
La question de « la religion et de la mort » reste
une question peu enthousiasmante pour les chercheurs gabonais, à la vue
des travaux existants sur cette double question. Toutefois, la rareté
des travaux n'ayant jamais ébranlé la valeur, nous avons retenu
les travaux de Jean-Ferdinand MBA'H et ceux de la Fédération des
associations féminines (FAF) de l'église
évangélique presbytérienne du Togo (EEPT).
La mort, vue par Jean-Ferdinand MBAH, rend compte des
différentes situations auxquelles font face la veuve et la famille du
défunt. Dans un chapitre intitulé la redynamisation de la
société; il affirme que « pour mettre un terme à la
perturbation causée par la mort d'un initié et conjurer les
effets de celle-ci, il faut purifier non seulement les femmes mais aussi le
village afin de reprendre les activités classiques de production,
notamment la chasse et la pêche ».27
Ici la purification concerne non seulement la femme de
l'initié défunt, mais également le village. Le village qui
doit être débarrassé des esprits agressifs qui
27 Jean-Ferdinand MBAH, « veuvage et
rupture de la relation d'alliance », in Rites et dépossession,
Rupture, n°5, mars 2004, p.132.
19
errent, surtout la nuit, à proximité des parents
et des amis pour qui ils sont sources de dangers, de maladies et de mort.
Jean-Ferdinand MBAH, avec la notion de purification, introduit une autre notion
en rapport avec les religions dites « primitives », c'est la notion
de « souillure ».28 Cette notion présente un double
intérêt pour notre étude. Dans un premier temps, elle
confirme le veuvage comme rite de purification et de séparation, dans un
second temps, elle rejoint la réinsertion sociale et le changement par
acquisition du statut politique.
En résumé, dans « veuvage et rupture de
la relation d'alliance » Jean-Ferdinand MBAH met en exergue les
problèmes auxquels les veuves, après la mort de leurs
époux, sont confrontées dans la société gabonaise
depuis les années 1990. Ce qui nous interpelle ici, ce n'est pas tant la
dépossession des biens du défunt par les familles des
défunts, mais plutôt le rite que ces veuves subissent pour la
circonstance : c'est-à-dire « une purification
précédée d'une période de pénitence
».29
Ces trois contextes de « mort-jumeaux, initié
au Mungala et initié au Nzé » conduisent le veuvage
à une situation valorisante de la femme dans la mesure où les
transferts des statuts des défunts aux veuves, restreignent la
portée des attitudes piaculaires que la ségrégation
masculine adopte pendant les rituels post-mortèmes.
Jean-Ferdinand MBAH, par les pleurs de la veuve, montre
combien de fois ce transfert se fait surtout lorsque la veuve est double,
c'est-à-dire, à la fois jumelle et initiée au Mungala,
mais ce qui nous intéresse dans le contexte de la mort, c'est celui qui
était initié au Nzé, la veuve doit occuper la place de son
mari dans le clan et la communauté des initiés de ce dernier.
Quant au transfert du statut, MBAH nous informe que dans ce cas précis,
il s`agit d'un héritage des biens symboliques du mari et qui
confèrent à la veuve un statut d'initié à part
entière. Aussi, la mort de son mari apparaît comme un rite de
passage pour la veuve.
28 Dans son essai sur les notions de pollution et
de tabou intitulé « De la souillure », publié
à Paris aux éditions La Découverte en 1992, Mary DOUGLAS
affirme qu'on distinguait les religions primitives des grandes religions de la
planète sous deux aspects : en premier lieu les religions primitives
seraient inspirées par la peur, en second lieu, elles seraient
inextricablement mêlées à des notions de souillures et
d'hygiène.
29 Jean-Ferdinand MBAH, « veuvage et
rupture de la relation d'alliance », p.123, in Rites et
dépossession, Rupture, n°5, mars 2004.
20
Ainsi, nous pouvons retenir deux choses : c'est la situation
de la veuve d'un maître-initié, mère de jumeaux qui subit
un changement de statut. D'autre part, nous nous appuyons sur la perspective de
recherche de Jean-Ferdinand MBAH à partir de son article «
Veuvage et rupture de la relation d'alliance » pour affirmer que
le rite du veuvage est un mécanisme d'insertion sociale des veuves et
que le « (...) contexte de mort (initiés au nzé) oblige
également la veuve à se hisser au niveau du statut initiatique de
son époux ; elle doit occuper la place laissée vacante et jouer
le même rôle que celui du défunt ».30 C'est
ce que Jean-Ferdinand MBAH nomme l'insertion de la veuve dans le groupe des
initiés. Il se trouve que notre veuve, par le fait qu'elle soit
mère de jumeaux, avait déjà intégré le
groupe des hommes par son initiation au Mungala.
Enfin, le veuvage de l'épouse d'un
maître-initié, mère des jumeaux, apparaît comme une
occasion pour questionner les véritables logiques qui sous-tendent et
structurent le pouvoir des hommes. La femme d'un maître-initié,
mère des jumeaux se présenterait alors comme un fétiche
politique et pourquoi pas, comme un contre pouvoir. Par «
fétiche politique », il s'agit de l'épouse d'un
maître-initié, mère de jumeaux qui est à la fois
initiée au Mungala et à l'Ondoukoué. Par «
contre-pouvoir », l'épouse d'un
maître-initié, mère de jumeaux apparaît comme une
adversaire politique vis-à-vis des hommes.
Nous voulons aussi inscrire notre travail dans la construction
de l'identité Akélé à travers le veuvage comme rite
initiatique et d'intronisation de la veuve mère de jumeaux. Ce qui nous
permet de dire que la pratique du veuvage chez les Akélé du
Moyen-Ogooué, du village de Bellevue, permet une sorte d'actualisation
et de redynamisation de leur identité en tant que telle dans la
société gabonaise.
Le veuvage, pour la fédération des associations
féminines (FAF) de l'Eglise Evangélique Presbytérienne du
Togo (EEPT), varie également d'une région à une autre. A
certains endroits, la veuve ne peut retrouver sa liberté que lorsqu'il y
a un
30 Jean-Ferdinand MBAH, « veuvage et
rupture de la relation d'alliance », p.119, in Rites et
dépossession, Rupture, n°5, mars 2004.
21
nouveau décès dans le village ou ces environs :
on l'amène alors toucher le mort à qui elle doit dire : «
si tu t'en vas, salue mon mari ».31 Mais le pire est
que la personne défunte doit remplir certaines conditions : Par exemple,
si la veuve a eu des jumeaux, le défunt libérateur doit
être celui ou celle qui a eu des jumeaux. En attendant de le retrouver,
c'est le calvaire qui se poursuit. Pour que la veuve arrête son veuvage,
il faut que dans le village ou dans le village voisin, on déclare la
mort d'un père des jumeaux. Dans le cas contraire, elle poursuit le
veuvage.
La durée du veuvage a une incidence négative sur
le plan économique, tant pour la femme que pour la belle-famille, la
veuve doit arrêter toutes ses activités, elle doit donner de
l'argent à d'autres personnes qui vont préparer pour elle et
durant tous le temps du veuvage. A la fin du rituel, elle doit organiser une
cérémonie pour remercier ceux qui l'ont aidé dans ce
moment.
Par contre BALANDIER32 nous invite à cerner
les différentes logiques politiques qui sont en dynamique ; en mettant
l'accent sur l'héritage où l'acteur politique gouverne le
réel par l'imaginaire33. En témoigne l'exemple de
MOBUTU, qui arborait un habit en peau de léopard pour mettre en
évidence son statut de chef, aussi bien de village, que chef d'Etat.
Ceci pour dire que la politique est une course au pouvoir.
Le rôle que joue l'acteur n'est pas un jeu à
proprement dit, plutôt une fonction politique car il gère son
peuple et assure l'harmonie, l'ordre établi par l'entremise d'une
scène, d'un héritage laissé par le
prédécesseur du pouvoir. Le rite du veuvage est une scène
pour la négociation politique. Et le successeur de cet héritage
n'a de choix que de gouverner. C'est une obligation de conduire la politique
à l'intelligence de l'ordre de son temps et de la replacer sur la
scène d'une histoire gouvernée par la succession de l'acteur.
31 La fédération des associations
féminines (FAF) de l'Eglise Evangélique Presbytérienne du
Togo (EEPT), Evangile et culte : La FAF lutte conte le veuvage.
Hongrie du 8 au 20 Août 1997. pp. 1-12.
32 Georges BALANDIER, Le pouvoir sur
scènes, Paris, Balland, 1980, 188 pages.
33 Georges BALANDIER, Le pouvoir sur
scènes, Paris, Balland, 1992, p.26.
22
A la lumière de cette présentation, notre
travail de recherche s'inscrit dans ce continuum ; en tentant de saisir les
mécanismes de la succession du pouvoir (politique et symbolique)
à travers le veuvage de la mère des jumeaux, épouse d'un
maître-initié, il s'agit de voir comment cette veuve peut jouer
son nouveau rôle de « maître-initié » au sein de
la nouvelle catégorie sociale qu'elle intègre (à cause de
son veuvage) : celle des maîtres-initiés. Sachant que part la
naissance des jumeaux, elle avait déjà intégré une
partie de cette catégorie.
Nous retiendrons que « Le pouvoir sur scène
» de BALANDIER nous montre comment le pouvoir politique s'exerce de
façon symbolique et quels en sont ces effets. Par ailleurs, ce
même pouvoir politique, à travers un héritage, vise
à maintenir ou à consolider l'ordre établi dans une
société. Par « maintenir », il faut dire que
la structure de la catégorie sociale des maîtres-initiés
est soutenue, tandis que par « consolider », les maillons de
cette catégorie sociale en tant que système, c'est-à-dire
les maîtres-initiés, ont connu une introduction de la femme dans
la vie des hommes: l'entrée de la veuve, mère de jumeaux, en lieu
et place de son mari. Nous profitons de l'apport de BALANDIER pour faire une
analogie entre le roi et le maître-initié, qui a les pleins
pouvoirs dans la gestion de la communauté. Le pouvoir du
maître-initié, dans la société Akélé
du Moyen-Ogooué, s'exprime à travers les institutions sociales
telles que le Mungala et l'Ondoukoué.
BALANDIER pense que « Le pouvoir sépare, isole,
enferme ; c'est bien connu. Surtout, il change celui qui y accède
»34 A travers cette pensée, nous retiendrons d'abord que
le pouvoir n'est pas seulement l'exercice de sa volonté sur un individu.
Mieux, nous pensons que le pouvoir, tel que définit par BALANDIER, se
présente comme un outil, un instrument de domination qui conforte la
légitimité de son détenteur. D'ailleurs, une des
caractéristiques du pouvoir, c'est qu'il transforme l'individu, le
faisant passer du statut d'exécutant à celui d'acteur.
34 Georges BALANDIER, Le pouvoir sur
scènes, ibid., pp.30-31.
23
Nous tentons de faire nôtre, cette définition que
nous propose BALANDIER pour lire les rapports de force et pourquoi pas de
domination qui articulent la société Akélé d'une
part, les femmes qui animent cette société d'autre part.
Restons toujours avec BALANDIER35, cette fois dans
une autre analyse axée sur la problématique des catégories
sociales en formation dans les sociétés dites «
traditionnelles ». En effet, en étudiant le veuvage de
l'épouse d'un maître-initié mère de jumeaux chez les
Akélé du Moyen-Ogooué, nous voulons mettre en
évidence le fait que cette dernière, par le veuvage,
connaîtra un changement de statut, parce qu'elle aurait
hérité du statut de son mari. Pour BALANDIER, les
différenciations sociales s'expliquent par les rapports sociaux entre
les catégories sociales, à travers une hiérarchie des
sexes qui peut se dissoudre ou justement se renverser par le pouvoir des
acteurs sociaux. C'est le cas de notre objet qui tente de voir comment dans la
société Akélé du Moyen-Ogooué, les
épouses des maîtres-initiés, mères de jumeaux,
deviennent des « femmes-hommes » mieux, des chefs politiques, par le
veuvage.
La convocation des travaux des étudiants africains et
gabonais sur la question de « la religion et de la mort » nous a fait
retenir les rapports de Licence et les Mémoires de Maîtrise de
Geneviève BATCHEMA36, Fulbert TOKA37 , Daniel MVE
ENGONGA38 et Eddy Blaise MABADI MAHEBA39.
35 Georges BALANDIER, Sens et puissance. Les
dynamiques sociales, Paris, Quadrige/PUF, 1971, 334 pages.
36 Geneviève BATCHEMA, Les
modalités du veuvage chez les Mahongwe, Rapport de Licence en
Anthropologie comparée, UOB/FLSH, Libreville, 1997, p.28.
37 Fulbert TOKA, le veuvage et la valorisation
de la femme dans la société Akélé, Rapport de
Licence en Sociologie, UOB/FLSH, 1997, 27 p.
38 Daniel MVE ENGONGA, La gestion de la mort
dans la société fang à travers les discours, rites et
conflits, Mémoire de Maîtrise en Sociologie, Libreville,
UOB/FLSH, 1995,108p.
39 Eddy Blaise MABADI MAHEBA, Ambivalence et
pouvoir : Mongala et le culte des jumeaux chez les Mahongwé,
Mémoire de Maîtrise en Anthropologie, Libreville, UOB/FLSH,
2005, 97 p.
24
Dans son étude « Les modalités du
veuvage chez les Mahongwe», Geneviève BATCHEMA évoque
les problèmes de discrimination du veuvage entre l'homme et la femme. La
femme fait l'objet de brimades, considérées par l'auteur, comme
ayant commis des actes susceptibles de compromettre la santé ou la
renommée de son époux, elle subira des dures épreuves,
elle va alors faire face aux nièces, neveux et soeurs du mari
défunt, qui lui feront subir des supplices dits «
mayoba».40
Geneviève BATCHEMA donne les étapes ordinaires
d'un rituel funéraire. Elle affirme que « ces étapes
débutent par l'annonce du décès, la veillée
mortuaire, l'inhumation. La réclusion mortuaire, la levée de
terre, le port du deuil, le retrait de deuil et enfin l'étape de la
succession et le partage de l'héritage ».41 Nous sommes
dans le déroulement du rituel du veuvage de l'homme et de la femme chez
les Mahongwe. Par rapport à notre objet, ce travail est un fil
conducteur qui nous permet de circonscrire en général notre
étude en présentant les différences de traitements lors du
veuvage. C'est-à-dire qu'il existe un traitement pour les hommes et un
autre pour les femmes ; aussi parle t-on de traitements discriminatoires. Cette
discrimination ne tiendrait pas compte du statut de ces dernières car si
c'était le cas, on ne parlerait pas de « traitements
discriminatoires ». On parlerait de traitements équitables.
Chez Fulbert TOKA, le travail porte sur « le veuvage
et la valorisation de la femme dans la société
Akélé ». Dans son rapport de Licence, Fulbert TOKA
déclare que « le veuvage est une instance spéciale de prise
de pouvoir ; c'est une initiation ».42 Il affirme ensuite que
« dans la société Akélé, la femme est à
la fois mère, épouse, nourricière, etc.
»43 Aussi, lors des cérémonies funéraires,
ces différents statuts émergent en même temps que le groupe
transfert en elle, les statuts de son défunt mari. En effet, le deuil
détient une signification : il affirme par exemple que « la
40 Ce terme désigne les brimades en langue
Mahongwé.
41Geneviève BATCHEMA, Les modalités
du veuvage chez les Mahongwe, ibid., p. 14.
42 Fulbert TOKA, le veuvage et la valorisation de
la femme dans la société Akélé, Rapport de
Licence en
Sociologie, UOB/FLSH, Libreville, 1997,27 p.
43Ibid., p.5.
25
veuve aura en permanence, les mains sur la tête, le
geste qui signifie le désespoir, il y a aussi les paroles et les
conversations qui sont généralement ponctuées de
proverbes, sont généralement significatives ».44
On retient que les travaux de TOKA nous confortent dans la revalorisation de la
femme, à travers le transfert de statut.
C'est un travail qui montre que le veuvage, perçu
généralement comme un temps d'expiation, est un moment de
renouvellement de statuts des défunts mais surtout, de la
réaffirmation de celui de l'épouse. Son hypothèse
axée sur la mort d'un jumeau ou d'un initié au Mungala nous
révélant que « le veuvage est une instance
d'émergence des statuts de la femme »45, nous situe bien
dans notre démarche. Elle est un pan de notre étude. Enfin,
« c'est donc la révélation de la revalorisation de la femme
et la redynamisation de la société qui sont contenues dans les
complaintes à travers le rituel du deuil. Ces situations ne sont pas le
fait d'une volonté individuelle, elles ne répondent qu'à
un comportement collectif guidé par les normes coutumières et
sociétales ».46
Eddy Blaise MABADI MAHEBA47 quant à lui,
évoque le problème du statut de la mère des jumeaux dans
la société traditionnelle, celui des jumeaux et le mythe
même du Mungala. Mais le point qui nous préoccupe le plus est
celui du statut de la mère des jumeaux dans cette société
traditionnelle Mahongwè. Pour lui, la mère de jumeaux est
considérée comme le Nganga-Mongala, c'est-à-dire «
maître-initié » ; elle accède à la connaissance
des vertus et des secrets des plantes médicinales et
médico-magiques et peut, désormais, exercer un pouvoir de
guérison. Il faut souligner qu'à travers la naissance des
jumeaux, le statut de la femme change d'un genre à l'autre. Et ce statut
permet à la mère des jumeaux d'accéder aux rites
initiatiques masculins.
Ce statut de la mère des jumeaux lui donne la
possibilité de jouer le rôle d'interface entre les hommes et les
femmes, les vivants et les morts. Cette femme est
44 Fulbert TOKA, le veuvage et la valorisation de
la femme dans la société Akélé, ibid., p.9.
45 Ibid., p.8.
46 Ibid., p.20.
47 Eddy Blaise MABADI MAHEBA, Ambivalence et
pouvoir : Mongala et le culte des jumeaux chez les Mahongwe,
Mémoire de Maîtrise en Anthropologie, Libreville, UOB/FLSH,
sept.2005, 97p.
26
crainte dans sa société traditionnelle et
détient un pouvoir qui lui donne le dessus sur les mères
ordinaires et sur certains initiés au Mungala puisqu'elle est
considérée comme un maître-initié ou Nganga-Mungala.
Le parallèle « Mungala et Ondoukoué » avec la
société Akélé réside dans le fait que
l'épouse d'un maître-initié, mère de jumeaux peut
accéder au statut de son mari si et seulement si elle a subi le veuvage,
en tant que moment d'intronisation de cette dernière dans la
catégorie sociale des maîtres-initiés. Bien sur, en lieu et
place de son mari. C'est donc à cette condition qu'elle peut être
« un maître-initié ».
La mort se voit présentée sous une forme
particulière à travers le veuvage et toutes les autres
manifestations qui accompagnent le rite et les coutumes qui suivent un
décès dans la gestion du deuil. Elle nous permet de voir comment
le système politique se met en place pour organiser les rites
post-mortems.
On se rend compte que, dans cette société
lignagère, le pouvoir charismatique (ici il s'agit de leur influence)
des maîtres-initiés est le plus important dans l'organisation
sociale. En ce sens, il porte sur des symboles chargés de sens. Aussi,
ces symboles nous renseignent sur la façon dont les hommes mènent
et conduisent leur vie. Il ressort des conclusions auxquelles sont parvenus les
différents auteurs précités que la problématique du
veuvage trouve ses fondements dans la fonction politique et symbolique des
rites funéraires.
3. Perspective de notre problématique du veuvage de
l'épouse d'un maître-initié, mère de jumeaux
« Initialement circonscrit avec une certaine
précision, un objet de recherche se reconnaît toujours d'une
problématique, c'est-à-dire, en première approximation, un
ensemble de problème qui, ouvrant la recherche, sont susceptible
d'être soulevés par l'objet étudié. La construction
d'une problématique ne se limite cependant pas à
l'énoncé immédiat de quelques questions ; elle lie
plutôt à une posture d'interrogation générale de
l'objet, proche du sens que prend l'objectif dans
27
l'expression de « jugement problématique » :
il s'agit d'une proposition qui énonce une simple possibilité, la
vérité n'étant pas encore établie à ce sujet
».48
Les entretiens et les différentes lectures nous ont
permis de mettre en exergue un certain nombre de perspectives qui nous ont
rendus « sensibles », par rapport à notre objet
d'étude. Ainsi, on peut envisager de l'orienter selon la perspective
théorique de Jean-Ferdinand MBAH adossée à l'idée
que « la redynamisation de la société devient possible
après l'initiation de la veuve, obtenue par transfert. Il reste
maintenant au groupe d'initiés à régler le problème
du vide créé par le décès et celui de
l'arrivée d'une nouvelle initiée ».49
Il en va de même avec TOKA qui axe sa
problématique sur le fait que « c'est donc la
révélation de la revalorisation de la femme et la redynamisation
de la société qui sont contenues dans les complaintes à
travers le rituel du deuil. Ces situations ne sont pas le fait d'une
volonté individuelle, elles ne répondent qu'à un
comportement collectif guidé par les normes coutumières et
sociétales ».50
Reste donc à justifier les choix de notre perspective.
Toutes les études sur la mort et les rites qui l'accompagnent, sont
marquées du matérialisme historique. Toutes ces
études viennent assener les rapports aussi bien de domination, de luttes
de groupes et de génération, que des rapports d'exploitation d'un
groupe par un autre groupe. Toutefois, rares sont les études qui portent
sur le veuvage de la l'épouse d'un maître-initié,
mère des jumeaux. Le veuvage de l'épouse d'un
maître-initié mère de jumeaux chez les Akélé
est une réalité qui est, a priori, logique dans la
société gabonaise. Car la mère des jumeaux est un
être exceptionnel, la maternité qui conduit à la naissance
de ces deux « êtres » transforme son statut qui passe d'un
genre à l'autre, donc d'une femme à « une femme-homme
».
48 André D. ROBERT et Annick BOULLAGUET,
Analyse de contenu, Paris, (coll. « QSJ ? »), 1997,
p.25.
49 Jean-Ferdinand MBAH, « Veuvage et
rupture de la relation d'alliance. Illusion sur une pratique sociale
récurrente en milieu urbain » p.120 in
Rupture-solidarité n°5-2004, pp115-131.
50Fulbert TOKA, le veuvage et la valorisation
de la femme dans la société Akélé, Rapport de
Licence en Sociologie, UOB/FLSH, Libreville, 1997, ibid., p.20.
28
Pour ce travail nous nous situerons dans une perspective
particulière qui consiste à poser le veuvage de l'épouse
d'un maître-initié, mère de jumeaux, comme une
réaffirmation, un processus politique d'exercice du pouvoir par une
femme particulière.
On pourrait retrouver par exemple dans « un corps de
garde » la mère des jumeaux qui prend la parole devant les hommes
pour résoudre les problèmes du village, grâce à son
statut. Car dans la société Akélé, lorsqu'une femme
met au monde des jumeaux, elle accède au groupe des « hommes
», elle est initiée au Mungala, un rite qui est
réservé uniquement aux hommes, donc cesse d'appartenir au groupe
des femmes mais fait partie intégrante de celui des hommes ; sans perdre
ses qualités de femmes puisqu'elle reste mère de jumeaux. Cette
initiation serait plutôt une légitimation de son nouveau
système politique.
L'intérêt sociologique du veuvage de
l'épouse d'un maître-initié, mère de jumeaux, qui
s'actualise dans la société Akélé, est très
important car depuis des décennies, la mère de jumeaux est
considérée comme un être spécial; mettre au monde
des jumeaux n'est pas donné à toutes les femmes, c'est la raison
pour laquelle la mère des jumeaux est considérée comme un
homme, a priori, seul genre à pouvoir réaliser toute chose
extraordinaire.
4. Enonciation de l'hypothèse de recherche
Généralement, toute recherche portant sur un
objet en sciences sociales et singulièrement en sociologie, implique la
prise en compte d'un fil conducteur. Celui-ci renvoie à la formulation
d'hypothèses pertinentes en rapport avec des concepts bien
définis. De ce fait, la description d'un phénomène
étudier ne peut se passer d'un cadre théorique qui ordonne les
données recueillies et leur donne une signification. Cela implique, que
les hypothèses sont nécessaires pour la logique et
l'efficacité de la description.
29
Pour Raymond QUIVY et Luc VAN CAMPENHOUDT, «
l'organisation d'une recherche s'articule autour d'hypothèse de travail
».51 En d'autres termes, « un travail ne peut être
considéré comme véritable recherche s'il ne se structure
autour d'une ou plusieurs hypothèses ».52 Nous pouvons
donc postuler qu'une hypothèse est « une proposition de
réponse anticipée aux questions que l'on se pose à propos
de l'objet de la recherche formulée en des termes tels que l'observation
et l'analyse puissent former une réponse ».53
La notion d'hypothèse est liée, comme nous le
savons, à la méthode expérimentale. Dans ce sens, elle est
à la fois une question que l'on se pose et une proposition de
réponse à cette question. La question spécifique de notre
problème est la suivante: Pourquoi le veuvage de
l'épouse d'un maître-initié, mère de jumeaux
conduit-il à un changement de statut social ?
Notre esquisse de réponse, est la suivante:
le veuvage de l'épouse d'un maître-initié,
mère de jumeaux conduit à un changement de statut social parce
qu'elle hérite du statut social de son mari auquel elle est
déjà prédisposée ; lors de l'initiation qui a suivi
la naissance de ses enfants.
5. Définition et construction du concept
principal
Dans cette partie intitulé définition et
construction du concept, il s'agit pour le chercheur de « lutter contre
l'emploi des concepts flous, ambigus »54 et surtout de
clarifier les concepts clés de notre étude. Car, « il faut
apprendre à les construire de façon rigoureuse.
»55 Cela est important dans la mesure où « il nous
faut définir les choses dont nous traitons, afin que l'on sache et que
nous sachions, bien de quoi il est
51 Raymond QUIVY et Luc VAN CAMPENHOUDT, Manuel
de recherche en sciences sociales, 2ème éd.,
Paris, Dunod, 1995, p.117.
52 Ibidem.
53 Pierrette RONGERE, Les méthodes en
sciences sociales, 3ème Ed. Paris, Dalloz (Coll. «
Mémentos »), 1979, p.22.
54 Madeleine GRAWITZ, Méthodes des sciences
sociales, 10ème éd. Paris, Dalloz, 1996, p.
350.
55 Emile DURKHEIM, Les règles de la
méthode sociologique, 11ème Ed, Paris, PUF
(« Quadrige »), 1999, p.34.
30
question. »56 La recherche en sciences
sociales impose donc au chercheur de prendre soin de construire ses concepts en
rapport avec le phénomène social étudié.
A cet effet, pour la rendre plus intelligible, donc
sociologique, la recherche demande une certaine précision
théorique ; « le cadre conceptuel représente l'arrangement
des concepts et des sous concepts construis au moment de la formulation du
problème pour asseoir théoriquement l'analyse ultérieure
de l'objet
».57
Cependant, pour qu'un concept soit validé, il faut lui
ajouter « (...) des variables et des indicateurs que l'on doit construire
pour isoler des équivalents empiriques aux concepts opératoires
de l'hypothèse ».58 Le concept n'est pas seulement une
aide pour percevoir, mais une façon de concevoir: « il organise la
réalité en retenant les caractères distinctifs et
significatifs des phénomènes ».59
C'est au regard de ces impératifs
méthodologiques que nous avons retenu le concept: le changement
de statut.
Ainsi, afin de mieux cerner notre objet d'étude, il
convient ici de définir quelques concepts fondamentaux qui articulent le
modèle d'analyse de notre recherche.
5.1. Définition du concept principal ?
Le changement de statut
En général, Le statut se définit comme l'
« ensemble des attributs qui permettent à l'acteur de jouer un
rôle social. Position occupée dans la division du travail au sein
d'un système donné ».60 Partant de cette
définition générale du statut, il ressort que « le
changement de statut » se définit pour sa part comme le processus
qui permet de passer du statut (position) de femme à celui de «
femme-homme » ;
56 Gordon MACE, Guide d'élaboration d'un
projet de recherche. Méthode en sciences humaines, 2ème
Ed. Paris/ Bruxelles, De Boeck, 1997, p.45.
57 Ibid., p.45.
58 Madeleine GRAWITZ, Méthodes des sciences
sociales, 11ème éd. Paris, Dalloz, 2001, p.387.
59Ibid., p.385.
60 Gilles FERREOL et al. Dictionnaire de
Sociologie, 3ème , Armand Colin, 2004, p.201.
31
sans perdre ses qualités de femme, de mère de
jumeaux. Ce changement est donc rendu possible d'abord à naissance des
jumeaux puis à la suite du veuvage ; en tant que rite d'initiation et
d'intronisation de la veuve dans la catégorie des hommes ; des
maîtres-initiés.
5.2. Tableau n°1 : Construction du concept
principal de « changement de statut »
Concept
|
Dimensions
|
Indicateurs
|
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> Le Mungala : 1ère initiation
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> L'Ondoukoué : 2ème initiation
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> Les différentes appellations61
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> Annonce de la cérémonie pendant la saison
sèche
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> Les rites Ugioke, Ussolo et
Ntalanioule62appliqués à la femme
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Religieuse
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> Emancipation
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et sociale
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> Cheveux rasés
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> la mort symbolique
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Le changement
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> la natte
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de statut
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> Abstinence sexuelle
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> Interdits alimentaires
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> Panier reliquaire
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> Interdiction de se laver pendant la réclusion
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> Interdiction de recevoir les visites excepté
celles d'Angô-Mungala et Angô-Ondoukoué
|
|
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> Période de réclusion et période de
sortie
|
|
|
> De femme à « femme-homme »
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Politique
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> Exercice politique du pouvoir
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|
|
> Participation aux réunions masculines
|
61 Ici, nous précisons qu'il est question
des différents grades à l'initiation. On cite pour la
circonstance Amboundou, Lebamâm, Ango, Ango-wa-Ondoukoué.
62 Les rites Ugioke, Ussolo et
Ntalanioule sont très important pendant cette
cérémonie, d'où Ugioke signifie se laver et se
purifier ; Ussolo signifie cacher et Ntalanioule, bloquer ou
protéger.
32
Section 3 : Démarche méthodologique
1. Cadre empirique de la recherche
? Carte n°1 : Localisation
géographique du village de Bellevue dans le
Moyen-Ogooué
1.1. Les veuves mères des jumeaux du village
Bellevue dans le Moyen-Ogooué comme univers d'enquête
principalement
Le terrain, selon Jean COPANS, se « décline sous
quatre figures : un lieu, un type de pratiques et de comportements (à la
fois social et scientifique), un objet et plus largement un domaine
thématisé, enfin une tradition scientifique voire un rite
d'entrée dans une nouvelle vie ».63 C'est la raison pour
laquelle nous parlons des veuves mères des jumeaux du
Moyen-Ogooué principalement, précisément du village
Bellevue comme univers d'enquête.
63 Jean COPANS, L'enquête ethnologique de
terrain, Paris, Nathan, Université, (coll. « Sciences
sociales ») n°128, p.12.
33
Dans la mesure où « le sociologue n'observe pas la
réalité sociale, mais des pratiques »64 et que le
sociologue « doit arracher les faits sociologiques des faits sociaux
où ils sont renfermés »65, nous nous consacrons,
dans un premier temps, à des entretiens avec les veuves mères des
jumeaux à propos des traditions Akélé par leur fonction
religieuse et sociale. Il est difficile dans le cadre du présent travail
de cerner tous les contours théoriques de la mort, partant, du veuvage
dans les milieux Akélé.
? Carte n°2 : Localisation
géographique de la province du Moyen-Ogooué
64 Alain TOURAINE, Pour la Sociologie, Paris,
éd. du Seuil, (coll. « Points »), 1974, p.25.
65 Ibid., p.25.
34
Pour répondre aux exigences du terrain, nous nous
sommes proposée d'effectuer les entretiens Ba Omialé
Wamaleila66, c'est-à-dire les « veuves mères des
jumeaux », afin de dégager un certain nombre de
réalités qui président à la construction des
représentations symboliques des veuves mères des jumeaux.
L'échantillon présent ici se veut être le plus
représentatif du fait de son identification et de son rang dans la
hiérarchie du veuvage.
2. Caractéristique de notre échantillon
Notre étude, compte tenu de la difficulté de
disposer de moyens importants, repose pour l'essentiel sur un
échantillon de vingt-deux (21) personnes qui ont bien voulu se
prêter à nos entretiens. Les entretiens concernaient dans leur
grande majorité les veuves mères des jumeaux. Et nous avons
associé aussi, les personnes qui participent au veuvage. Et des
personnes détenant une connaissance sur ce rituel, certes profanes mais
que nous avons jugé plein d'intérêt pour la circonstance.
Cet échantillon se compose de la manière suivante :
> Sept (07) veuves mères de jumeaux ; > Deux (02)
Ngangas ;
> Six (06) pères spirituels
(maîtres-initiés); > Trois (03) veuves ordinaires ;
> Deux (02) hommes initiés au Mungala ; > Un (1)
initié à l'Ondoukoué ;
66 En Akélé il s'agit du nom
attribué aux veuves.
35
3. Technique de collecte et de traitement de données
3.1. L'entretien comme technique de collecte de
données
Pour rester fidèle à Emile DURKHEIM, qui exige
que « les faits sociaux doivent être traités comme des choses
»67, les sociologues disposent de diverses méthodes et
techniques de travail. Nous savons également que le choix des
méthodes de travail dépend étroitement de l'objet de
l'étude. Par conséquent, nous pouvons faire le choix de la
méthode que nous allons utiliser.
Dans notre étude de la représentation de la mort
dans la religion « archaïque » veuvage, nous allons avoir
recours aux entretiens et à l'analyse de contenu, pour comprendre notre
choix, nous nous devons d'expliquer, dans les lignes qui suivent, les avantages
qui résultent de l'utilisation des entretiens comme technique de
collecte de données et l'analyse de contenu comme moyen d'exploitation
de ces données.
La collecte des données sur les veuves mères des
jumeaux dans un univers d'enquête où ceux qui détiennent
les informations sont pour la grande majorité soumis à la censure
mystique, nous a conduit à choisir l'entretien et l'analyse de contenu
comme technique de collecte des données.
Selon Madeleine GRAWITZ, l'entretien se définit comme
« un procédé d'investigation scientifique, utilisant un
processus de communication verbale, pour recueillir des informations en
relation avec un but fixé. »68 C'est exactement par
parce que la culture veuvage reste orale, que cette nous paraît adapter
à notre étude. Pour cela nous avons eu besoin d'un guide
d'entretien afin de garder nos interlocuteurs proche de notre objet de
recherche.
67 Emile DURKHEIM, Les règles de la
méthode sociologique, 11ème éd., Paris,
Puf, (coll. «Quadrige »), 2002, p.34.
68 Madeleine GRAWITZ, Méthodes des sciences
sociales, 11ème éd. Paris, Dalloz, 2001,
p.644.
36
? L'entretien semi directif comme technique de
collecte des données
L'entretien est dit « semi-directif » (ou semi
guidé) lorsqu'il n'est ni entièrement ouvert, ni canalisé
par un nombre de questions précises. Nous disposons d'une série
de questions-guides, relativement ouvertes, à propos desquelles il
était impératif que nous recevions des informations de la part de
nos enquêté. L'entretien semi-directif nous a permis parler nos
enquêtés sans craintes et de manière ouverte, dans les mots
qui les convenaient. Nous nous sommes efforcés simplement de les
empêcher de s'attarder sur des aspects qui s'écartaient de nos
objectifs.
3.2. L'analyse de contenu comme variable d'analyse des
données
Selon Raymond QUIVY et Luc VAN CAMPENHOUDT, « l'analyse
de contenu porte sur des messages aussi variés que des oeuvres
littéraires, des articles de journaux, des documents officiels, des
programmes audio-visuels, des déclarations politiques, des rapports de
réunions ou des comptes rendus d'entretiens semi directifs. Le choix des
termes utilisés par le locuteur, leur fréquence et leur mode
d'agencement, la construction du « discours » et son
développement constituent des sommes d'informations à partir
desquelles le chercheur tente de construire une connaissance
».69
L'analyse de contenu est l'outil d'analyse, par excellence,
des données qualitatives recueillies par l'entretien. C'est grâce
à l'analyse de contenu que nous avons compris que la femme enceinte
cédait la place à un homme, une fois les jumeaux nés de
son sein. Elle recevait les mêmes attributs symboliques que les jeunes
initiés au Mungala, les jeunes hommes. Donc c'est un homme qui
hérite du mort et non une femme.
69 Raymond QUIVY et Luc VAN CAMPENHOUDT,
op.cit., p.85.
37
4. Limites de l'étude
A l'instar de toute étude en sciences sociales, et qui
plus est en Sociologie, notre travail de recherche comporte à cet
égard quelques lacunes ou limites que nous ne manquerons pas de faire
observer ici. Comme nous l'avions déjà signalé en
année de licence, nous nous sommes pour l'essentiel confronté au
problème, récurent du transport et surtout celui de la langue. Il
y a aussi, le problème de l'information par nos enquêtés,
ces derniers ont été très retissent pour donner les
informations sur le rituel et sur les rites initiatiques.
Toutes ces remarques, nous font dire que la réalisation
de ce mémoire est le résultat d'un travail laborieux et
minutieux, un travail qui ne saurait se pendant, revendiquer la perfection.
L'un des grands obstacles est celui de la documentation. Jean
Ferdinand MBAH écrit à ce sujet que : « le problème
de la documentation au Gabon constitue un réel handicap autant qu'une
difficulté pour la recherche ».70 Ni le journal
officiel, ni les travaux de recherche des universitaires Gabonais n'ont encore
traité ce thème.
Nous osons tout de même croire que cette étude
suscitera des réactions afin de permettre d'en compenser les
insuffisances.
70 Jean Ferdinand MBAH, La recherche en
sciences sociales au Gabon, Paris, L'harmattan, (coll. « Logiques
du social ») 1987, p. 190.
38
39
Introduction de la première partie
Nous nous proposons ici, dans cette première partie de
porter un regard sur les questions relatives aux représentations
sociales du maître-initié et de sa femme, mère des jumeaux
dans la société lignagère Akélé du
Moyen-Ogooué ; principalement du village Bellevue. En effet, le rapport
que nous voulons établir entre cet homme et cette femme dans la vie
politique de ce groupe découle de la naissance de leurs enfants,
c'est-à-dire les jumeaux ; et du statut ou position sociale de la femme
dans les sociétés secrètes masculines que sont par exemple
Mungala et Ondoukoué. L'idéal qui nous guide est de mettre en
évidence, d'abord, les aspects sociaux fondamentaux, c'est-à-dire
la vie politique du groupe ethnolinguistique, la naissance gémellaire,
les rites initiatiques ou sociétés secrètes masculines,
puis leurs incidences dans la réalité sociale
Akélé.
Nous voulons également mettre en exergue le fait qu'au
sein de ce peuple, il existe une société structurée et
bien organisée ; en un mot, hiérarchisée surtout. Un
accent est mis aussi, pour le cadre de cette étude, sur l'imaginaire des
jumeaux dans l'optique de mieux comprendre le statut et la position sociale de
l'épouse d'un maître-initié mère de jumeaux ; et qui
se retrouve dans une situation particulière : le veuvage. Pour Nicole
SINDZINGRE, « la gémellité a donné lieu à des
élaborations symboliques qui, malgré leur diversité,
présentent certaines constances. Son importance dans les conceptions de
nombreuses sociétés africaines surtout, a attiré
l'attention des chercheurs, à la fois en tant que
phénomène spécifique et comme indicateur de certains
autres aspects de l'organisation sociale ».71
Partant du fait que « les jumeaux sont nés d'un
même accouchement, ils sont considérés comme des
êtres exceptionnels dans de nombreuses sociétés d'Afrique
noire »72 voire à l'origine de certains rites
initiatiques et interviennent dans plusieurs
71 Nicole SINDZINGRE, « Jumeaux : approche
anthropologique » in Encyclopédie Universalis, corpus
13, Paris, 2002, p.2.
72 Eddy Blaise MABADI MAHEBA, Ambivalence et
pouvoir : Mongala et le culte des jumeaux chez les Mahongwé,
Mémoire de Maîtrise en Anthropologie, Libreville, UOB/FLSH,
sept. 2005, 97p.
40
cosmogonies et cosmologies. Par ailleurs, notons qu'en ce qui
concerne le statut de leur mère, Claudine-Augée ANGOUE place
cette femme au dessus de toutes les femmes. Elle « est
élevée au dessus des femmes qui n'ont pas donné naissance
à des jumeaux ; elle acquiert un statut équivalent à celui
de l'homme, car elle a donné vie à des " génies", des
êtres supérieurs ».73 Et c'est fort de cette
considération que c'est cette naissance qui accorde à cette
femme, mère des jumeaux, un statut privilégié dans la
société à laquelle elle appartient. De ce fait, le travail
de l'anthropologue et du sociologue consiste donc à s'intéresse
de facto aux faits religieux, politiques et familiaux dans les
sociétés africaines, dans l'optique de mieux déchiffrer et
rendre compte de la structuration et du fonctionnement de toute l'organisation
sociale de ces sociétés lignagères.
Enfin, pour la présente étude, nous verrons de
manière chronologique, dans le premier chapitre, la vie politique des
Akélé et la naissance des jumeaux, pour aborder dans le
deuxième chapitre, les représentations sociales des jumeaux dans
la société Akélé.
73 Claudine Augée ANGOUE, Les
changements sociaux dans la réserve de Faune de la Lopé
(Gabon), Thèse de Doctorat, Bruxelles, Université Libre de
Bruxelles, 1999, p.140, citée par Eddy Blaise MABADI MAHEBA,
Ambivalence et pouvoir : Mongala et le culte des jumeaux chez les
Mahongwé, Mémoire de Maîtrise en Anthropologie,
Libreville, UOB/FLSH, sept. 2005, p.46.
41
Chapitre I : La vie politique des Akélé
et la naissance des jumeaux
Pour mieux comprendre l'imaginaire des jumeaux chez les
Akélé du Moyen-Ogooué, il importe d'abord de partir de la
définition de l'idéologie, qui serait la capacité pour
tout individu, collectivité, communauté de se penser et de se
représenter les choses, le monde et pourquoi pas certains individus, de
produire des images. Mieux encore, il peut être considéré
comme une invention, une représentation d'un univers irréel, mais
perçu comme une réalité. C'est un processus mental
traduisant un ensemble de représentations inconscientes qui se
substituent à la réalité. En ce sens, les
Akélé se représentent les jumeaux comme des êtres
surnaturels voir des génies. Ce sont des génies parce qu'ils ont
une origine mythologique, imaginaire et sacrée.
Section 1 : L'organisation politique des
Akélé
1. Le pouvoir politique chez les Akélé
La société Akélé est une
société suffisamment organisée qui s'appuie sur un pouvoir
politique assez solide puisqu'elle est centrée sur une chefferie ;
gravitant autour d'une hiérarchisation. Dans cette
société, la chefferie est d'une importance capitale car elle
permet de réguler toutes les instances de la société. De
même, c'est cette chefferie qui organise la société
grâce à ses structures hiérarchiques.
Par ailleurs, les structures hiérarchiques, dans ce
groupe, occupent une place importante dans la régulation de la vie
politique, et partant, des Akélé. Elles, ces structures
hiérarchiques, sont composées de la classe dirigeante du village
que sont les chefs de lignage, le conseil des sages74 et
appartiennent également à la classe des
privilégiés. En d'autres termes, ces acteurs participent aux
différentes prises de décisions concernant le fonctionnement de
la communauté Akélé dans son ensemble.
74 Ce conseil de sages est constitué des
Maîtres-initiés, qui sont à la fois les chefs de lignage,
des ngangas y compris des mères de jumeaux, etc.
42
De plus, le chef de lignage rassemble un ensemble de famille
en ligne masculine. Son autorité sur les membres de lignages va jusqu'au
droit de vie ou de mort. Celui-ci tranche les problèmes éventuels
entre les différents membres de son lignage. Ainsi, le sage du lignage
est traité avec honneur.
Par conséquent, le chef du village a sous son
autorité, l'ensemble des différents responsables de lignages qui
constituent la population du village. Ce dernier possède un pouvoir si
large qui le conduit à être le rassembleur lors des litiges entre
les différents lignages. En outre, en ce qui concerne le conseil des
sages, celui-ci est composé des vieux sages des différents
lignages voire des mères de jumeaux. Ces acteurs, constituent la
catégorie dominante: en matière de justice ou de maintient de
l'ordre. Ce conseil des sages doit aussi jouer un rôle de
régulateur dans la société Akélé puisqu'il
fait montre d'une certaine vertu. Pour rendre publique une décision, le
chef du village, du clan ou du lignage et des maîtres-initiés,
doivent être en accord avec les autres.
En effet, ils sont parmi les garants des décisions qui
doivent être entérinées par le reste de la
société. Le conseil des sages se révèle être
une importante instance hiérarchique du pouvoir pour assurer et
maintenir l'ordre social. Car tout pouvoir politique émane de l'exercice
de la volonté d'un groupe minoritaire (c'est-à-dire la
catégorie des maîtres-initiés, chefs de lignages, de clans,
qui font le conseil des sages) sur la majorité (la communauté).
Enfin, retenons que la société Akélé a des
structures hiérarchiques qui permettent de réguler la vie de la
société Akélé sur le plan politique et social.
Elles ont une place importante dans la dynamique de la société
des Akélé.
2. La chefferie chez les Akélé
Le pouvoir du chef se fonde particulièrement sur la
base religieuse. En effet, il est le détenteur des rites masculins que
sont le Mungala et l'Ondoukoué y compris des attributs du pouvoir.
Chaque membre de la communauté des clans et chaque
43
mère de jumeaux ont pour obligation, à leur
mort, de contribuer à la survie du groupe en y déposant un os
humain ; qui servira de relique75.
Le rituel de l'obligation76 du dépôt
d'un os apparaît comme un moyen pour les ancêtres de demeurer
omniprésents au sein du clan, de la communauté du village. Ainsi,
la force et la légitimité du pouvoir de la chefferie
Akélé repose sur le fait qu'il soit généralement le
médiateur entre les vivants et l'au-delà. Cela se manifeste par
la capacité qu'il a de pouvoir apaiser la colère des
ancêtres, de pouvoir entrer en contact avec eux et implorer leur secours
en cas de besoin.
Cette sacralité du pouvoir nous conduit à
affirmer que « le sacré est une des dimension du champ politique ;
(...), une garantie de sa légitimité (...) »77,
juste pour dire qu'à son origine, l'accession à la chefferie
repose sur un acte sacré, donc une série de rituels, qui viennent
entériner le pouvoir du chef. Car, le politique n'est pas
séparé du sacré, donc du religieux, puisqu'il s'agit des
deux faces d'une même pièce de monnaie appelée le pouvoir ;
où, quand on voit la politique en pile, en face, c'est le sacré
ou le religieux. D'ailleurs, le pouvoir du chef est sacré parce qu'il
est protégé et isolé par des interdits78.
Tous les membres du clan n'ont pas accès aux puissances
invisibles qui contrôlent la vie des Akélé. La chefferie
des Akélé est à la fois politique et religieuse. Ainsi, on
peut constater une continuité du politique et du religieux. Il n'ya
presque plus de distinction entre ces deux domaines. La base religieuse
constitue la substance même de la société
Akélé ; cette substance est, par conséquent,
représentée et soutenue par les différentes
sociétés initiatiques masculines et féminines. Enfin,
« le sacré et le politique contribuent conjointement à
l'entretien de l'ordre établi »79 par la
catégorie dominante des maîtres-initiés.
75 Etant dans leur cercle de
maîtres-initiés, chacun parle aux membres de la famille et aux
autres maîtres-initiés de la décision de laisser en
héritage, une partie de leur corps pour la survie du groupe.
76 Nos informateurs ont catégoriquement
refusé de nous donner le nom du rituel en Akélé et par la
suite en Français.
77 Georges BALANDIER, Anthropologie
politique, Paris, Puf/Quadrige, 1999, p.137.
78 Selon monsieur Zacharie, un chef de clan ou de
lignage ne peut pas avoir des rapports sexuels dans la forêt. Et par
rapport à la distribution du gibier, il est hors de question qu'il mange
n'importe quelle partie.
79 Georges BALANDIER, Anthropologie politique,
ibid., p.129.
44
Section 2 : L'origine mythologique des jumeaux chez les
Akélé du Moyen-Ogooué
1. La naissance des jumeaux chez les
Akélé
En ce qui concerne l'origine mythologique des jumeaux, il est
bien de savoir que chez les AKELE, ces derniers sont intimement liées
à l'eau, d'où l'origine des jumeaux remonte à l'eau,
celle-ci se serait séparée en deux N'lobe80 :
l'un, Muhube81 et l'autre
Malembiamang82 .Ces deux cours d'eaux sont appelés :
« les jumeaux »83. Ainsi, les jumeaux sont des
génies auxquels les frères sont « NGOUMBU ; KUBE ;
MBILIT ».84
Cette origine aquatique des jumeaux est rappelée dans
le rituel qui les concerne par une cuvette d'eau. L'eau du fleuve et de la
rivière qui coule est sensée être pure, elle est l'habitat
des jumeaux. Les Akélé disent que les jumeaux se déplacent
mystérieusement avec leur mère ou leur père et peuvent
avoir un logement n'importe où; notamment dans les eaux et la
forêt. Pour les Akélé, un jumeau ne meurt jamais dans
l'eau. Selon cette même tradition, les jumeaux peuvent être
porteurs de bénédictions et de richesses car on bénit avec
l'eau. Ils sont considérés comme des :
- « enfants spéciaux qui communiquent avec les
ancêtres et parfois décident de mourir s'ils sont
mécontents. Ils sont capables de maudire leur père et leur
mère voir les autres membres de la famille, si et seulement si on ne
leur accorde pas une considération particulière. Ils
méritent dans ce cas une attention particulière en vertu de leur
naissance mystérieuse .Ils
80 En langue Akélé, terme qui
désigne le cours d'eau.
81 L'Ogooué en langue Akélé.
C'est le plus grand fleuve du Gabon. Il prend sa source dans les plateaux
Batéké au sud-est du pays. Il est long de 1200Km et a son
embouchure à Port-Gentil.
82 La Ngounié, en langue
Akélé, c'est l'un des affluents de l'Ogooué. Il prend sa
source dans la région de Mouilla.
83 Selon une explication mythologique
avancée par monsieur Zacharie, ces deux cours d'eaux
découleraient de la mer, qui aurait donné naissance à
l'Ogooué et la Ngounié ; considérés comme des
jumeaux.
84 Désignations respectives de
l'hippopotame, le crocodile et la sirène en Akélé. Ceux-ci
sont les totems des jumeaux en rapport avec les génies des eaux
murmurantes tout en symbolisant l'éloquence.
45
sont médiateurs entre l'humain et le sacré.
La naissance des jumeaux constitue une irruption de l'autre monde et tranche
sur la continuité habituelle ».85
Pour illustrer l'idée que les jumeaux ne meurent pas
dans l'eau, monsieur Ghislain MONDJO86 nous a appris que :
-« il a assisté, il ya quelques années
déjà à la disparition d'un enfant Akélé dans
les eaux de l'Ogooué, au cours d'une de ses parties de pêche (sic)
sur l'Ogooué. Cet évènement s'est produit dans la
matinée, conduisant les forces de gendarmerie
dépêchées ainsi que la communauté
Akélé à laquelle appartenait le jeune enfant à
entreprendre des recherches sur l'Ogooué. Ces recherches aboutiront sur
un échec étant donné que l'enfant ne sera pas
retrouvé. Les recherches vont être abandonnées par la
famille, la communauté et de même que les forces de gendarmerie
engagées. Cet enfant passera donc toute la journée dans l'eau,
car à son grand étonnement, c'est dans la soirée que
l'enfant sera retrouvé par la famille en parfaite santé. D'autant
plus qu'aucune anomalie n'est apparue sur l'enfant sur le plan physique, ou
psychique après les vérifications faites par la famille
».
On fête leur naissance et leurs parents sont «
choyés » puisqu'ils sont considérés comme des
êtres sacrés, selon les représentations socioculturelles de
la société Akélé. Par ailleurs, on attribue aux
jumeaux des pouvoirs « bénéfiques ou maléfiques
» dans la mesure où ils seraient porteurs de « bonheur »
et capables de « maudire ». Chez les Akélé, les jumeaux
ont une certaine puissance, ils peuvent se communiquer à distance,
surtout lorsqu'ils sont enfants, c'est-à-dire moins de 15 ans.
« Lebungwe le mawache ma nza mpê lessu makemba,
lessu makemba okabilia kan muhube na malebiamang, messu mebameti : mawacha.
Mawacha mpê bakele ma yi ma ntumu mabiliti nta nga onte banosse bô
mpê nkita. Nta nga bawula mpê ssu ; melembiameng na mahube. Lebung
le diesse lê mawacha mpê bakele lê vula mpê ssu. Nta
ngaonte bâ ssa ûkube mawacha nti bena tsegue. Ngumbu, mabiliti na
kube mpê atsung gyabe ba guile mpê mabiliti
85 Propos de madame Colette, veuve âgée
de 69 ans domiciliée à Bellevue à Lambaréné
dans le Moyen-Ogooué.
86 Ghislain MONDJO, informateur
Akélé-Sango, 34 ans, pêcheur que nous avons
rencontré le 21 mai 2009 dans la ville de Lambaréné ;
précisément au marché d'Isaac vendant son poisson. Ce
dernier est de mère Akélé et de père Sango et il
est initié à l'Ondoukoué, rite dont seuls les
Akélé détiennent le secret. L'implication qui a
été donné à cet évènement est celui
de l'attestation du fait selon lequel un Akélé ne meurt pas dans
l'eau, surtout s'il est jumeau.
46
na nkita madiba mê lapâ, madiba mayinde nti
madimalekoye. Madibama ma muhube na malebiamang ma ssilia, madiba ma nti mayi
bû me bang mê mawacha. Bakele ba cônâ mawacha ma
wulekâ lukuâ awa wube na kê u wube wakuâ bute
nté bâ ssâ guia bonê u wube wesse ba wulkakê, na
bassu, na ube mpezze. Mpê bakele le wacha lessa be gwa mpê ssu
».87
Les propos de notre informatrice YAYE en Akélé
signifient :
- « l'origine des jumeaux (sic) essentiellement
axée sur la mer. La mer qui s'est séparé en deux ; dont
l'un : Muhube88 et l'autre Malembiamang89, ces deux cours
d'eaux sont appelés « jumeaux. » Or, les jumeaux sont, les
envoyés des génies c'est pourquoi ils sont
considérés comme des génies. Des sortes de fées qui
vivent dans l'eau. C'est dans ce sens que les Akélé disent que
les jumeaux viennent de l'eau : d'un fleuve et d'une rivière. Toute la
légende des jumeaux chez les Akélé est liée
à l'eau. C'est la raison pour laquelle, lorsqu'on organise le rituel des
jumeaux, la cuvette d'eau ne manque jamais. « Ngoumbu ; Kube ; Mbilit
»90, leurs totems, sont en rapport avec les génies des
eaux murmurantes tout en symbolisant l'éloquence. L'eau du fleuve et de
la rivière qui coule est pure, elle est comme l'habitat des jumeaux. Les
Akélé, disent que les jumeaux se déplacent
mystérieusement avec leur mère ou leur père et peuvent
avoir un logement n'importe où, notamment dans les eaux et la
forêt. Pour les Akélé un jumeau ne meurt jamais dans l'eau
»91.
Pour renchérir notre argumentaire sur l'origine
mythologique des jumeaux et surtout en ce qui concerne leur nature, nous avons
retenu la contribution de Luc de HEUSCH92. En effet, les jumeaux
sont des créatures appartenant à la surnature, au même
titre que les albinos et les enfants anormaux de toute espèce. Ils sont
une manifestation des esprits de la terre. Dans le monde bantou, la
royauté est associée aux jumeaux parce qu'elle est un corps
gémellaire, expression de deux divinités qui
87 Propos de notre enquêtée
Hélène YAYE ; mère des jumeaux, âgée de
cinquante et huit ans (58 ans) domiciliée à Alibandengue à
Libreville, qui nous a relaté l'origine des jumeaux en langue
Akélé.
88 Muhube : L'Ogooué en langue
Akélé.
89 Malembiamang : La Ngounié en langue
Akélé.
90 Désignent respectivement l'hippopotame,
le crocodile et la sirène en langue Akélé. Ceux-ci sont
les totems des jumeaux en rapport avec les génies des eaux murmurantes
tout en symbolisant l'éloquence.
91 Il s'agit de la traduction des propos de YAYE en
langue Akélé de la note infrapaginale 87.
92 Luc de HEUSCH, Le roi du Kongo et des
monstres sacrés. Mythes et rites bantous III, éditions
Gallimard, 2000, 420 p.
47
se sont séparées : le Mboom,
maître du ciel et Ngaan, maître des eaux terrestres. Ce
sont donc les jumeaux qui dominent la scène symbolique royale chez les
Kuba et donc, considérés à juste titre comme des rois.
Comme l'atteste l'origine mythique des premiers souverains, un couple jumeaux
incestueux, soleil et lune. Et l'éclatement de ce corps
gémellaire mythique est au fondement de la royauté
Swazi93.
Au Tchad, les jumeaux sont également
considérés comme des rois et le roi est un jumeau car leur
naissance est ambivalente : à la fois symbole de fidélité
et une menace de mort. L'auteur poursuit sa réflexion en prenant le cas
d'un autre peuple : les Moundang, où les naissances gémellaires
relèvent du règne animal puisqu'on insulte la mère en lui
disant « est ce qu'une femme est une souris pour accoucher de 2 enfants en
même temps » ? Cette surabondance de vie est « monstrueuse
», pour reprendre l'expression de l'auteur, dans le règne humain
car constituant une menace de vie brève pour les jumeaux et pour leurs
parents.
Retenons que les jumeaux appartiennent, de par leur naissance,
à cet ordre naturel contrôlé par le roi au prix d'une vie
abrégée. Dire que le roi94 est un jumeau signifie
qu'il est un être ambivalent, une bénédiction et une
malédiction, puisque responsable de la pluie et de la fertilité
et qu'il possède aussi le pouvoir de faire la sécheresse.
D'où des rites et des cultes qui leur sont adressés.
Toutefois, nous nous rendons compte que la naissance des
jumeaux chez les Myéné et un autre groupe ethnique comme les
Nzébi par exemple, tel que nous le montre Florence BIKOMA95
dans ses travaux, présente une tout autre configuration. En effet, si
chez les Akélé du village Bellevue dans le Moyen-Ogooué
les jumeaux viennent en songes révéler leurs noms ; pour les
Myéné, c'est plutôt la société qui a
préétabli les noms.
93 Luc de HEUSCH, Le roi du Kongo et des monstres
sacrés. Mythes et rites bantous III, éditions Gallimard,
2000, 420 p.
94 Ibid., p. 137.
95 Florence BIKOMA, Socialisation de la femme
accomplie Mukaas wadya makoma bya chez les Nzébi du Gabon,
Thèse de Doctorat en Ethnologie-Anthropologie, Université
Montpellier III Paul VALERY, 2004, 457 pages.
48
Florence BIKOMA96 parle de certaines obtentions
sociales dues à la naissance des jumeaux. En effet, chez les
Nzébi, les jumeaux sont un symbole de bonheur familial. Ils ont, au
même titre que les divinités, le pouvoir de fructifier les
activités économiques familiales et l'accroissement de la
production matérielle. Ceci est conditionné par un rêve qui
doit être fait durant lequel les jumeaux nous envoient à l'aube
chercher quelque chose d'insignifiant à un endroit précis. Il est
de rigueur d'y aller au risque de tomber malade. Cette épreuve est
marquée pas la peur d'où l'exigence de faire un petit rituel pour
solliciter la bienveillance pour conjurer la peur.
2. L'attribution des noms chez les jumeaux
Chez les Akélé, quand la femme est enceinte,
Ondoukoué signale aux hommes que la femme qui est enceinte attend des
jumeaux. Ces hommes font un rituel que l'on appelle « Bik-Mwire
»97 pour préparer l'avenue des enfants. Celui-ci se
fait pendant une semaine. Par ailleurs, il faut faire remarquer que le
père et la mère des enfants ne rêvent jamais des noms des
enfants mais ce sont plutôt les frères, les soeurs, les tantes,
les oncles ou ceux qui sont voisins des parents qui rêvent des noms.
Lorsque les jumeaux viennent au monde il faut accomplir
certains rites à la naissance pour ne pas les mécontenter :
danser à tout moment de la journée lorsque les gens viennent leur
rendre visite pour les honorer puisqu'ils sont considérés comme
des êtres « sacrés. » Il faut leur faire des
offrandes lorsqu'on leur rend visite, les habiller de la même
façon afin d'éviter la jalousie entre eux. Les jumeaux ont un
certain pouvoir c'est-à-dire qu'ils peuvent sentir des choses, ils ont
un pouvoir qui peut s'avérer être « bénéfique
»98 ou « maléfique »99,
étant donné qu'ils sont des
96 Florence BIKOMA, Socialisation de la femme
accomplie Mukaas wadya makoma bya chez les Nzébi du Gabon,
Thèse de Doctorat en Ethnologie-Anthropologie, Université
Montpellier III Paul VALERY, 2004, 457 pages.
97 Il s'agit ici d'un rituel qui permet de
préparer l'avenue des enfants et il renseigne sur la bonne santé
de ces derniers et permet entre autre de savoir si ceux-ci seront dotés
d'un charisme.
98 Dans cette société, le jumeau peut
bénir et être une source de richesse pour la famille.
49
enfants paranormaux. Ils donnent leurs noms avant leur naissance
à travers les rêves.
C'est pour cela qu'on leurs donne des noms spécifiques
tels que :
> MBULE : La vérité ;
> NGIOBE : Le doute ;
> NGALE : Le tonnerre ;
> NDUMA : Celui qui annonce la pluie ;
> ANJUNE : Une journée ensoleillée ;
> BEDIUBE : Une journée non
ensoleillée ;
> LEDEMBA : Arbre sans branches qui brille et qui donne la
chance ;
> BIENE : Arbre sans branches qui soigne ;
propriété des jumeaux.
> NZE : La panthère ;
> MBILE : L'aigle.
L'appellation des jumeaux dans la société
Akélé obéit à des règles tout à fait
particulières de même que les noms qu'ils portent. On parle de
« règles particulières » ici pour signifier que lorsque
les jumeaux viennent au monde avec leurs noms, les parents ne doivent pas
changer ces noms pour quelques motifs que se soient, au risque de amoindrir
leur puissance. Par ailleurs, dire que les noms des jumeaux sont «
particuliers », c'est affirmer que leurs noms et ceux des enfants qui les
suivent font l'objet d'un recueil prescrit par la communauté, (on
retrouve cette similitude dans l'imposition des noms des jumeaux chez les
Myènè) et ne sont pas les mêmes pour les jumeaux et les
jumelles.
Ainsi, les jumelles sont appelées chez les
Akélé MBULE (la vérité) pour la
1ère née et la 2nde NGIOBE (le doute). C'est
la même chose pour ANJUNE (une journée
ensoleillée) et l'autre, BEDIUBE (une journée non
ensoleillée). Quant aux jumeaux, le 1er s'appellera NZE (la
panthère) et le 2nd, MBILE (l'aigle) ou encore
NGALE (le tonnerre)
99 Ici il s'agit de la malédiction et du
malheur qu'ils peuvent engendrer. Surtout lorsqu'ils constatent qu'ils sont
opprimés.
50
pour le 1er et NDUMA (celui
qui annonce la pluie) pour le 2nd. A cela s'ajoutent les noms
mixtes des jumeaux et des jumelles tels que LEDEMBA (arbre
sans branches qui brille et qui donne la chance) pour le 1er
né et BIENE (arbre sans branches qui soigne ;
propriété des jumeaux) pour le 2nd. Ce qu'il faut
retenir c'est que chez les Akélé, les noms des jumeaux sont
toujours opposés ou alors, peuvent être l'annonce d'un autre comme
ils peuvent aller dans le même sens. Venons-en à présent
aux noms des enfants qui les suivent. Pour les garçons, ils sont
appelés BÊNHA (celui qui vient après les jumeaux)
et pour les filles ABÔMBÊ (celle qui vient après les
jumeaux).
Il faut dire que ces noms de jumeaux sont opposés et
renvoient parfois aux éléments de la nature (panthère,
d'aigle, le tonnerre, etc.) ou aux éléments liés à
l'existence humaine (le doute, la vérité, etc.)
Les travaux du Pasteur OGOULA-M'BEYE100 nous
permettent de nous rendre compte que chez les Myènè, « le
premier jumeau se nomme WORA, le second YENO, leur précédent se
désignera OGOVE W'AMPAZA et la maman se nommera alors NGOMPAZA qui
signifie : ngwè y'ampaza ou mère des jumeaux
».101
Les Myènè en général, les Galoa en
particulier se doivent de respecter cette nomination laissée par les
ancêtres. Tout contrevenant à cette prescription expose ce dernier
à la foudre des jumeaux qui, pour la circonstance, peuvent tomber malade
ou « frapper les parents en rêve » et jeter les mauvais sorts
aux parents.
La même idée a été
développée par Florence BIKOMA pour qui, « les noms des
jumeaux et même ceux des enfants nés après eux sont l'objet
d'un répertoire imposé par la société. Ainsi, sont
appelés chez les Myènè, WORA et YENO les jumeaux. WORA le
premier né et YENO le second. A la suite, on aura MBOUROU, AKENDENGUE et
OGANDAGA ».102
100 Pasteur OGOULA-M'BEYE, Galwa ou Edôngô
d'Antan. Traduit du Galwa et annoté par Paul-Vincent POUNAH,
Fontenay-le-Comte, Imprimerie Loriou, 1978, 214 p.
101 Ibid., p.107.
102 Florence BIKOMA, Socialisation de la femme accomplie
Mukaas wadya makoma bya chez les Nzébi du Gabon, Thèse de
Doctorat en Ethnologie-Anthropologie, Université Montpellier III Paul
VALERY, 2004, p.282.
51
Si la société Galoa a imposé des noms aux
membres de sa communauté pour les jumeaux, chez les Nzébi c'est
plutôt les jumeaux eux-mêmes qui viennent en rêve donner
leurs noms aux parents. En effet, « les informations relatives à la
nomination des jumeaux chez les Nzébi laissent entendre que le choix des
noms est le fait des jumeaux eux-mêmes, étant entendu que le
procédé de divination guide toute la vie des jumeaux de la
grossesse à l'accouchement, au choix des noms et pour tous les actes
qu'ils auront à poser toute leur vie. Le rêve apparaît comme
leur principale voie de communication avec les membres de la communauté.
Ainsi, les jumeaux restent sans nom "tant qu'ils ne sont pas venus donner leurs
noms en rêve" auprès d'un parent ou d'un ami de la famille. C'est
ce dernier qui, un matin au réveil vient l'annoncer. Cette situation
vaut encore aujourd'hui et n'influent pas sur leurs noms officiels,
c'est-à-dire ceux figurant sur les actes de naissance
».103
Nous pouvons retenir que Florence BIKOMA nous montre, à
travers ces deux sociétés (les Myènè et les
Nzébi), que l'attribution des noms des jumeaux est perçue
différemment. Ce qui nous intéresse ici, c'est donc le fait que
chez les Nzébi par exemple, ce sont les jumeaux eux-mêmes qui
viennent dans des songes donner leurs propres noms. Tandis que chez les
Myènè, les noms des jumeaux sont préétablis
d'avance par la communauté, voire imposés. Cela sous-entend que
la société Myènè, Galoa en particulier, est mieux
structurée que les sociétés Nzébi et
Akélé, ne serait ce que du point de vue de l'attribution des noms
aux jumeaux.
Chez les Akélé, on retient simplement que ce
sont les jumeaux eux-mêmes qui, lors de songes, viennent annoncer leurs
noms, hormis ceux qui les suivent.
103Florence BIKOMA, ibid., p.282.
52
Chapitre II : Les représentations sociales des
jumeaux dans la société Akélé
L'activité sociale de la société
Akélé repose sur une importance accordée aux génies
des eaux à savoir le Mwish104 et
Nyamalè105. Ils ont pour mission de protéger les
individus de la communauté, en visant son bien. Il est aussi très
difficile aux Akélé, singulièrement aux jumeaux de mourir
dans l'eau, ceux-ci peuvent être repoussés ou
repêchés au bord. Par ailleurs, pour rester en bons termes avec
les génies, les Akélé leur offrent des sacrifices (des
fruits, des chants, des objets symboliques...) pour éviter des
inondations, des noyades, des évènements malheureux, des
mauvaises pêches.
En outre, ces génies des eaux sont aussi des
éléments importants du tissu économique dans la
société Akélé ; en ce sens qu'ils permettent une
bonne navigation, les échanges commerciaux et à cela, s'ajoute la
pêche, l'extraction de l'argile en période de basse marée,
pour la construction des cases. Il y a même des bancs de sable qui
émergent en cette période de basse marée et de saison
sèche. Eu égard ce qui précède, nous nous rendons
compte que le rapport de l'eau et les génies suscite un lien
vital106, spirituel voire sacré.
Après un bref aperçu sur le rapport de l'eau et
les génies pour comprendre les activités des Akélé,
ce second chapitre s'attellera à faire ressortir les
représentations sociales qui gravitent autour des jumeaux,
c'est-à-dire, voire comment les Akélé du village de
Bellevue dans la province du Moyen-Ogooué perçoivent les jumeaux
et surtout, quel statut ces derniers (les jumeaux) occupent dans cette
société. Quoiqu'il convienne de définir sommairement ce
qu'on entend par "représentation sociale". Dans
104 Le génie mâle des eaux.
105 Le génie femelle des eaux.
106 Le lien vital dont il est question ici c'est que les
Akélé vivent en majeur partie des richesses de l'Ogooué et
de la Ngounié. Ces deux fleuves leurs fournissent le poisson, les
crevettes, les huîtres. Comme il peut arriver qu'ils
récupèrent l'argile et le sable pour la construction des
maisons.
53
cette perspective, « la première démarche
du sociologue doit donc être de définir les choses dont il traite,
afin que l'on sache et qu'il sache bien de quoi il est question
».107
Section 1 : Les représentations sociales des
jumeaux et leur statut dans la société Akélé,
particulièrement au niveau des rites initiatiques
1.1. Les représentations sociales des jumeaux
Avant donc d'aborder la question relative au statut des
jumeaux dans la société Akélé,
particulièrement au niveau des rites initiatiques, il importe de
préciser ce que sont "les représentations sociales". A
cet effet, pour Serge MOSCOVICI108, les représentations
sociales sont conçues comme « [des] ensembles dynamiques [...], des
théories ou des sciences collectives sui generis109,
destinées à l'interprétation et au façonnement du
réel. [Elles renvoient à][...] un corpus de thèmes, de
principes, ayant une unité et s'appliquant à des zones,
d'existence et d'activité, particulières [...] Elles
déterminent le champ des communications possibles, des valeurs ou des
idées présentes dans les visions partagées par les
groupes, et règlent, par la suite, les conduites désirables ou
admises ».110
Les représentations sociales sont des images
(conceptuelles) ou encore une pensée d'un type particulier,
générée par les acteurs sociaux, imprégnée
partiellement d'idéologie et centrée sur l'action dans la vie en
société.
Eu égard cette ébauche définitionnelle,
nous disons que chez les Akélé de Bellevue du
Moyen-Ogooué, les jumeaux sont considérés comme des
êtres sacrés, mieux, des génies dotés d'un pouvoir
bénéfique ou maléfique selon les situations.
107 Emile DURKHEIM, Les règles de la méthode
sociologique, 11ème éd., Paris, PUF (coll.
« Quadrige »), 2002 p.34.
108 Serge MOSCOVICI, Psychologie sociale, Paris, PUF,
1984, cité par Jean-Marie SECA in Les représentations
sociales, Paris, Armand Colin, (coll. « Cursus Sociologie
»), 2002, 186 p.
109 Terme qui désigne « particulier ».
110 Serge MOSCOVICI, ibid., p.36.
54
Cela veut dire que les jumeaux sont des fétiches
politiques au sens de Pierre BOURDIEU111. En effet pour lui, «
les fétiches politiques sont des gens, des choses, des êtres, qui
semblent ne devoir qu'à eux-mêmes une existence que les agents
sociaux leur ont donnée ; les mandants adorent leur propre
créature. L'idolâtrie politique réside
précisément dans le fait que la valeur qui est dans le personnage
politique, ce produit de la tête de l'homme, apparaît comme une
mystérieuse propriété objective de la personne, un charme,
un charisme ; le ministerium apparaît comme mysterium
».112 C'est la raison pour laquelle chez les
Akélé, les parents ou les jumeaux eux-mêmes ne disent
jamais leur statut à des inconnus au risque d'être pris en otage
ou d'être exploités.
D'autre part, chez les Nzébi aussi les jumeaux sont vus
comme des génies113, singulièrement comme des
génies des eaux. Ce point de vue est partagé par le groupe
ethnolinguistique Gisir pour qui, les jumeaux sont liés aux
génies des eaux. Il y a une allusion faite entre le sexe de la femme
considéré comme le port de débarquement et les jumeaux
sont des navires qui viennent pour y accoster. Pour les Nzébi, l'annonce
des jumeaux se fait par un rêve prémonitoire ; simplement parce
qu'ils sont la réincarnation du numineux. On ne doit pas les contrarier,
de peur d'en subir les conséquences.
Ce qui fait que chez les Nzébi, cette
gémellité est célébrée avec faste, par des
cérémonies rituelles organisées autour de la
société sécrète Muudi. En définitive, les
jumeaux représenteraient des portes-bonheurs pour leurs familles, mais
aussi un facteur de grandeur sociale, prestige pour leurs parents.
111 Pierre BOURDIEU, Choses dites, Paris, Editions de
Minuit, (coll. « Le sens Commun »), 1987, 228 p.
112 Ibid., p.187.
113 Confère les travaux de madame Florence BIKOMA,
Socialisation de la femme accomplie Mukaas wadya makoma bya chez les
Nzébi du Gabon, Thèse de Doctorat en
Ethnologie-Anthropologie, Université Montpellier III Paul VALERY, 2004,
457 pages.
55
1.2. Le statut des jumeaux dans la société
Akélé : dans le Mungala et l'Ondoukoué
Nous venons de voir que les jumeaux, chez les
Akélé du Moyen-Ogooué précisément du village
Bellevue, sont des fétiches politiques au sens de BOURDIEU. Ce qui leur
confèrent donc le statut d'initiés au Mungala. Il convient de
rappeler que les jumeaux et le Mungala sont intimement liés
c'est-à-dire qu'ils ont un même ancêtre qui n'est autre que
le génie des eaux ; à l'origine de la fondation du village de
Bellevue114.
? Le Mungala
C'est un rite initiatique réservé exclusivement
aux hommes. C'est aussi un rite de réjouissance, de circoncision et de
deuil. Il se manifeste lors des naissances des jumeaux et est présent
chez les peuples du Sud-est du Gabon ; aussi bien chez les Akélé,
les Nzébi, les Kota, les Aduma, les Massango, pour ne citer que ces
peuples. Le Mungala se présente comme un appareil de contrôle
social, mieux, un appareil idéologique et répressif d'Etat au
sens de Louis ALTHUSSER115. Répressif parce que le Mungala
fonctionne à la violence ; il permet de maintenir l'ordre, et de
régler les conflits sociaux qui peuvent surgir dans la
communauté. Il est idéologique parce qu'il est une
réalité qui se présente à l'observateur
immédiat sous la forme d'institutions distinctes et
spécialisées.
De plus, il est une organisation politique pour la
défense de la communauté vis-à-vis des actes de
sorcellerie et de souillure et touche aussi la communauté dans ses
relations avec l'environnement. En définitive, le Mungala produit des
systèmes d'interdits et de prescriptions auxquelles la communauté
est sensée se conformer.
Toutefois, madame Ginette116 nous dit que :
114 Il s'agit des mythes fondateurs dudit village de Bellevue
selon nos informateurs que sont les maîtres-intiés.
115 Louis ALTHUSSER, La pensée. La revue du
rationalisme moderne. Arts-Sciences-Philosophie, n°151, juin 1970, 38
p.
116 Il s'agit de l'une de nos enquêtées du
village Bellevue du Moyen-Ogooué, âgée de 76 ans,
Akélé, que nous avons rencontré lors de notre
enquête de terrain le 17 mai 2008.
56
-« des femmes auraient capturé un monstre lors
d'une partie de pêche. Prises de panique, elles seraient allées
appeler les hommes, ceux-ci réussirent à traîner le monstre
jusqu'au village et en firent leur propriété ; d'où la
masculinité de ce rite. Celui-ci serait un animal fantastique et
redoutable, habitant les eaux desquelles il sort à l'appel du Nga wa
mwel (l'officiant chargé du culte).Par ailleurs, les femmes, les enfants
et les profanes étaient tenus à l'écart du Mungala. En
effet, lorsqu'ils entendaient les rugissements de la voix rauque de celui-ci,
les femmes, les enfants et les profanes étaient glacés d'effroi.
Les initiés annonçaient son arrivée en agitant des
clochettes (Legun) et en même temps, un autre initié jouait de la
corne (Atshika), pour demander aux non-initiés de se cacher à
l'approche du Mungala. Il faut tout de même dire que parmi les femmes,
seules les mères des jumeaux et les jumeaux y étaient admis car
ils sont considérés comme des êtres sacrés
».117
Nous retenons donc que le Mungala, qui est une
société initiatique, secrète et masculine, a
été découvert à l'origine par les femmes lors d'une
partie de pêche. Et les hommes se le sont appropriés. Cette
appropriation masculine nous renvoie à la domination masculine de Pierre
BOURDIEU. Cet auteur met en évidence toute une construction
centrée et organisée autour de l'homme. Il conclut
également que la pensée relative à la différence
des sexes y est profondément enracinée, permettant ainsi de
dégager les structures symboliques qui peuvent perpétuer la
domination de l'homme sur la femme.
Par ailleurs, comme nous l'avons souligné plus haut, le
Mungala apparaît comme un appareil idéologique d'Etat,
fonctionnant à l'idéologie de la catégorie dominante,
c'est-à-dire celle « des vieux initiés ». Jumeaux font
partie de la catégorie dominante étant donné leur statut
de « fétiches politiques » et initiés aux Mungala.
Toutefois, lors de ses manifestations, on peut remarquer que
seuls la mère des jumeaux et les jumeaux ont le droit d'y participer
puisqu'ils sont considérés comme des initiés.
117 Propos de maman Ginette.
57
1.3. Le sacre d'un initié au Mungala
Les candidats, généralement des adolescents,
doivent subir une initiation particulière au moment de la circoncision.
L'initiation comporte des chants et des danses. Cela implique tout d'abord
l'obligation d'être circoncis. De ce fait, cette pratique est très
ancienne, car elle remonte à l'origine des Akélé. A
travers le Mungala, s'est greffé tout un enseignement moral, social et
politique au point de devenir une philosophie. Celle-ci règle la vie de
l'individu de la naissance à la mort, avant et après la
célébration de ce rite de puberté et de passage.
Ainsi, c'est toute une éducation qui consiste, pour le
candidat, à supporter toutes les épreuves de l'ablation du
prépuce. La capacité du candidat à surmonter toutes ces
épreuves fait l'honneur d'une famille, voire de tout le clan. Ce qui lui
permet d'accéder au rang d'initié. Si un candidat ne supporte pas
une des épreuves, surtout celle de l'ablation du prépuce, il est
considéré comme « un faible » ; c'est le
déshonneur total de la famille à laquelle il appartient puisque
pour être initié il faut être « fort d'esprit. »
Cet acte manqué empêche de facto l'entrée du candidat dans
la grande famille des initiés, c'est-à-dire celle des futurs
dirigeants du village.
Le membre qui déshonneur la famille et le clan peut
être banni du village. La circoncision a ainsi un caractère
irréversible, produisant dans la profondeur de l'individu un
déséquilibre qui peut s'avéré définitif. La
circoncision, à travers le Mungala, est le pont qu'il faut absolument
traverser pour atteindre le statut d'aîné. Elle constitue le
cheminement par lequel l'homme est écrasé sous le poids des
traditions qui se présentent comme le seul chemin de la vie.
Enfin les femmes, les enfants et les profanes sont tenus
à l'écart lors de la manifestation du Mungala ; dans la mesure
où lorsqu'ils entendent les rugissements de la voix rauque de celui-ci,
les femmes, les enfants et les profanes sont glacés d'effroi. Des
initiés annoncent sont arrivée en agitant des
clochettes118 et en même
118 En langue Akélé, les clochettes sont
appelées Legun.
58
temps un autre initié joue de la corne119
pour demander aux non- initiés de se cacher à l'approche du
Mungala. Il faut tout de même dire que parmi les femmes, seules les
mères des jumeaux y sont admises, parce qu'elles sont
considérées comme des êtres sacrés, mieux, des
initiées au Mungala. Ce qui nous conduit à visiter le monde
social des Akélé et les autres représentations qui
structurent cette société.
Louis PERROIS indique à cet effet que «
l'initiation est une introduction ; d'ailleurs, le mot même d'initiation
suggère l'idée de commencement. Mort à l'imperfection et
à l'ignorance des profanes, à l'incapacité et à
l'impuissance des enfants pour renaître à la vie réelle et
accéder enfin aux véritables fonctions de l'homme :
procréer, communiquer (...) ».120 Soulignons que dans la
société Akélé du Moyen-Ogooué du village de
Bellevue, la circoncision est la première initiation du futur homme
comprise dans le Mungala qui vient renforcer l'initiation du jeune
néophyte. Nul ne peut s'initier au Mungala s'il n'est circoncis, car le
Mungala se fait par le biais de la circoncision. Un petit garçon qui
n'est pas circoncis chez les Akélé est considéré
comme « une femme ».121
Nous voulons aussi corroborer les propos de notre informateur
MBOCHAWIN qui affirme que :
-« selon nos mythes l'homme dans les temps
immémoriaux était né bisexué c'est-à-dire le
phallus en lui-même représente l'homme et le prépuce la
femme d'où pour rendre le petit garçon "homme", il faut que la
communauté des initiés le débarrasse de la partie de la
femme représentée ici par le prépuce. La circoncision
permet au jeune garçon le passage de femme à homme donc un
changement de statut, après c'est l'initiation au Mungala
».122
119 En langue Akélé, les cornes sont
appelées Atshika.
120 Louis PERROIS, La circoncision Bakota (Gabon),
Paris, ORSTOM, 1968, p.34.
121 Par « femme », cela veut dire qu'il n'est pas
scruté comme un homme, il n'a pas encore subi l'étape de
l'ablation du prépuce ; qui doit l'intégrer dans la
confrérie ou la société masculine des initiés. Il
s'agit d'une interprétation/considération symbolique.
122 Propos de monsieur MBOCHAWIN lors de l'entretien du 28 avril
2009 à Lambaréné, village de Bellevue.
59
Précisons ici que les propos de notre informateur
monsieur MBOCHAWIN, dans son explication mythologique de l'androgynie primitive
de PLATON123 où l'homme à l'origine avait 4 pieds, 4
mains, 2 têtes et était hermaphrodite. Il fut l'être le plus
beau sur terre. Les dieux, voyant cela, et par jalousie, envoyèrent la
foudre qui séparait l'homme en deux parties d'où l'homme et la
femme. Et pour PLATON, « aimer » c'est rechercher cette seconde
moitié perdue. Cette métaphore nous permet juste de voir une
similitude dans une explication de type mythologique de la bisexualité
chez l'homme.
2.1. L'Ondoukoué
? Une origine aquatique et terrestre
Précisons ici que Ondoukoué a une origine qui
repose sur deux mythes que nous présentons. Le premier de ces deux
mythes sur l'origine de l'Ondoukoué, montre que ce dernier est le
descend du Mungala. Le jour où ce dernier a été entre les
mains des hommes, l'animal (le Mungala) parla aux hommes en leur disant :
« laissez-moi car j'ai laissé mon fils à l'endroit
où les femmes m'ont capturé. Il doit se sentir seul maintenant
»124 Hélas, les hommes n'avaient pas pris
conscience de ce que l'animal leur avait dit.
En effet,
-« des jours, des semaines, des mois, des
années passèrent. Les femmes en avaient mare de la situation qui
perdurait au cours des pêches. Un jour, elles décidèrent de
rencontrer le chef du village. Ce dernier décidait de rencontrer les
femmes, qui lui relatèrent ce qui se passait au cours des pêches.
Chaque fois que l'on va pêcher, il ya quelque chose qui nous griffe aux
pieds et nous laisse des cicatrices. Nous sommes dépassées par
cette situation. Le chef du village décida de rencontrer les hommes pour
soumettre le problème. Les hommes trouvèrent
123 PLATON, le Banquet ou de l'Amour, Paris, Pocket,
(coll. « Agora »), 1992, 213 p.
124 Propos de monsieur Benoît, notre informateur de 68
ans du village de Bellevue à Lambaréné. Propos recueillis
in extenso lors de notre enquête de terrain réalisée le 18
avril 2009. Monsieur Benoît est un Maître-initié au Mungala,
Ondoukoué et les autres rites initiatiques des Akélé.
60
une solution ; aussitôt, demandèrent aux
femmes de vider toute l'eau qui avait à l'endroit où ces
dernières recevaient ces griffes. Puis les hommes demandèrent aux
femmes de repartir au village pour s'occuper des cases. Par conséquent,
les hommes, en fuyant les coins où se cachaient les poissons, les
crevettes, tombèrent sur un animal étrange. Et celui-ci parla aux
hommes : ? merci de m'avoir retiré de là car ma mère avait
été capturé par les femmes et pour vous remercier, je vais
vous remettre mon oeil que les femmes m'avaient percé depuis plusieurs
années et cet oeil sera votre miroir chaque fois qu'il y aura une
maladie, guerre, mort d'homme, conflits entre les habitants du village. Cet
oeil jouera un rôle préventif dans la vie de la communauté.
Cet oeil inculquera à l'homme adulte la connaissance des choses, le sens
des valeurs morales, des mythes sur tel ou tel aspect de la tradition».
Ondoukoué fonctionne comme une école où il ya un
enseignant et un enseigné. C'est aussi un chemin qui conduit à la
sagesse, à l'honneur et au pouvoir. Mais c'est aussi une entreprise
où l'on forme des hommes courageux ».125
Notre informateur poursuit ses propos en disant que :
-« en outre, l'oeil de l'Ondoukoué
protège et résolve les problèmes de la
société. Il contient un pouvoir de grande envergure qui
dévaste les esprits nuisibles. Les hommes cachèrent
Ondoukoué dans la forêt, chaque fois qu'il y avait
problème, ils faisaient recours à ce dernier
».126 Grosso modo, ce premier récit mythique nous
permet de comprendre que le Mungala et l'Ondoukoué sont intimement
liés du fait qu'Ondoukoué soit le fils du Mungala. Et ce dernier
est supérieur à sa mère. Venons-en à présent
au deuxième récit mythique, toujours rapporté par monsieur
Benoît notre informateur.
A ce sujet, Benoît nous apprend que :
-« L'origine de l'Ondoukoué (sic) permet de
comprendre qu'à travers une récolte, les femmes étaient
mises dans une situation d'héroïnes. Un jour en allant à
leur récolte, elles constatèrent que les champs étaient
saccagés. En effet les femmes se posèrent plusieurs questions sur
cette situation qui se répétait chaque fois que c'était la
saison de la récolte. Les
125 Propos de monsieur Benoît.
126 Ibidem.
61
femmes prirent la décision d'invoquer les
ancêtres afin de remédier à ce problème qui
persistait. Ces derniers, occupant une place importante dans la
société Akélé, sont en quelque sorte pour eux,
l'intermédiaire pour assurer la survie de la société.
Nous pouvons comprendre le souci des femmes pour résoudre ce
problème et non l'aide de la communauté. Les femmes invoquent les
ancêtres pour remédier à la situation dans laquelle elles
se trouvèrent en faisant des offrandes (aleïleï) de tout
genre. Car dans cette société, quand la communauté ou
quelqu'un d'autre a un problème, ces derniers doivent faire des
offrandes pour faire de bonnes pêches, chasses, récoltes et bien
d'autre chose encore. L'offrande est un rite que l'on fait dans un but bien
précis pour solliciter l'aide des ancêtres pour sortir d'une
situation délicate, la protection du groupe, de la communauté, la
bénédiction, détecter un danger et le bien être du
clan et du lignage ».127
Il ajoute :
-« l'offrande est marquée par les naissances,
les mariages, les décès. C'est un rite de guérison aussi
lorsqu'un membre du groupe a été frappé par un mauvais
sort. Il faut aussi savoir qu'avant la récolte, la pêche, la
chasse, il faut offrir des offrandes pour obtenir la bénédiction
dans les activités. Les femmes avaient reçu une bonne
leçon de cet acte. Elles faisaient des offrandes avant chaque
récolte ou chaque pêche car elles avaient pris conscience qu'il
fallait faire ces offrandes au moment de la semence. A près avoir fait
ce rituel, les femmes avaient vu un animal dont la tête ressemblait
à un masque inconnu et celui-ci parla aux femmes d'une voix forte :
?pourquoi cherchez-vous l'auteur de ce dévastement. C'est moi qui suis
à l'origine du problème mais à l'avenir, tachez de donner
aux génies des offrandes avant chaque activité». Et l'animal
fit sortir un os de sa gueule et dit aux femmes de bien garder cet os car il
avait une force, un pouvoir de bien protéger la communauté des
esprits maléfiques. Mais les femmes en arrivant au village,
commencèrent à trembler et ont raconté l'histoire aux
hommes. Et ces derniers ont arraché cet os aux mains des femmes et sont
détenteur de cet héritage de l'animal
».128
127 Propos de monsieur Benoît.
128 Ibidem.
62
Les propos de notre informateur sur l'origine mythologique de
l'Ondoukoué mettent en avant le fait que ce sont toujours les femmes qui
ont été les premières à être
confrontées aux situations de rencontre et de découverte avec un
animal, qui paraît mystérieux à leurs yeux. Il s'agit d'un
animal qui semble toujours demander que des offrandes lui soient
présentées avant qu'il leur laisse en retour, quelque chose en
héritage, ayant la capacité de procurer
bénédiction, sagesse, connaissance, richesse, protection,
réussite, puissance aux membres de la communauté. Par ailleurs,
ce qui attire notre attention, c'est le fait que la rencontre ou la
découverte avec cet animal se fait toujours dans un moment de vie
sociale (la pêche et la récolte).
Le premier mythe nous relate qu'au départ, il s'agit de
femmes qui vont à la pêche et qui se font griffées par cet
animal ; sous prétexte qu'elles auraient capturé le Mungala. Par
suite, elles auraient alerté les hommes qui se sont emparés de
cette découverte. Le second mythe présente à peu
près le même scénario : où les hommes viennent
toujours en dernière position et s'accaparent des objets reliquaires.
L'Ondoukoué, dans les deux cas, a deux existences : aquatique ou
terrestre. Ce qui, nous le pensons, expliquera en dernier ressort que la veuve
d'un maître initié et mère des jumeaux hérite du
fameux panier reliquaire de son mari, contenant les objets symboliques.
Le mythe sur l'origine de l'Ondoukoué montre que ce
dernier descend du Mungala.
-« Le jour où Mungala a été
entre les mains des hommes, l'animal leur parla au corps de garde en leur
disant laissez-moi, car j'ai mon fils à l'endroit om les femmes m'ont
capturé. Il doit se sentir seul. Mais hélas, les hommes n'ont pas
pris conscience de ce que l'animal leur avait dit. Les jours, les semaines, les
mois, les années passèrent, les femmes en avaient mare de la
situation qui perdurait. Au cours des pêches, un jour elles
décidèrent de rencontrer le chef du village. Celui-ci
décida de rencontrer les femmes ; elles lui relatèrent ce qui se
passe lors des partis des pêches : chaque fois que l'on va pêcher
il ya quelque chose qui nous griffe aux pieds et nous laissent des cicatrices.
Nous sommes dépassées par cette situation. Le chef du village
décida de rencontre les hommes pour soumettre le problème ; ils
trouvèrent une
63
solution qui demandait aux femmes de vider toute l'eau
qu'il y avait à l'endroit même où les femmes recevaient les
griffes. Celles-ci vidèrent toute l'eau et les hommes dirent aux femmes
de repartir au village pour s'occuper des cases. Par conséquent, les
hommes en fouillant les coins où se réfugiaient les poissons et
crevettes, tombèrent sur un animal étrange et celui-ci parla aux
hommes : merci de m'avoir retiré de là car ma mère avait
été capturé par les femmes et pour vous remercier je vais
vous remettre mon oeil que les femmes m'ont percé depuis plusieurs
années. Et cet oeil sera votre miroir chaque fois qu'il y aura une
maladie, guerre, mort d'homme. Cet oeil jouera un rôle préventif
dans la vie de la communauté. Il inculquait à l'homme adulte la
connaissance des choses, le sens des valeurs morales, des mythes sur tel ou tel
aspect du clan, rites, etc. Ondoukoué fonctionne comme une école
où il ya un dominant et un dominé ou un enseignant et un
enseigné ; c'est aussi un chemin qui mène à la
connaissance, à la sagesse. Mais aussi une entreprise où l'on
forme des hommes courageux. En outre, l'oeil d'Ondoukoué protège
et résolue les problèmes de la communauté, cet oeil
contient un pouvoir de grande envergure qui dévaste les esprits
nuisibles. Les hommes emmenèrent Ondoukoué dans la forêt et
le cachèrent. Chaque fois qu'il ya un problème dans le village on
allait le voir ; il intervenait ».129
Dans ce récit, nous voyons que le Mungala et
Ondoukoué sont intimement liés, le Mungala est la mère
d'Ondoukoué. Mais Ondoukoué est un mâle, il est
supérieur à sa mère.
2.2. Le sacre d'un initié à
l'Ondoukoué
Le rite initiatique Ondoukoué est un rite strictement
réservé aux hommes, mais pas tous les hommes, et donc
apparaît comme sélectif. Il est sélectif parce qu'avant ;
pour y être admis, il fallait répondre à certains
critères tels la robustesse et appartenir au clan fondateur de ce rite
et ce rite formait les guerriers. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas, car on
s'initie à l'Ondoukoué pour la recherche de la guérison,
la
129 Propos de monsieur Benoît, informateur du village
Bellevue, maître-initié.
64
découverte du décès d'un membre de la
famille ; on s'initie par curiosité ou parfois, pour connaître si
on n'a pas été victime d'adultère.
Néanmoins, l'Ondoukoué permet encore de nos
jours, selon les dires de nos informateurs, à l'individu de devenir
invulnérable face à toutes les situations auxquelles il
peut être confronté durant toute sa vie. Par ailleurs, il est bon
de savoir que le nombre d'initiés à ce rite est très
limité et se passe généralement quelques années
après l'initiation du Mungala. Comme nous venons de le signaler,
l'initiation à l'Ondoukoué se faisait autrefois pour les
guerriers. Aujourd'hui il assure des fonctions beaucoup plus sociales et
juridiques, dans la mesure où il intervient contre les adultères,
les voleurs ou même la sorcellerie.
L'Ondoukoué joue un rôle préventif car il
avertit les habitants du village d'une situation de malheur ou un cas de
maladie. Ce dernier confère à l'homme initié une sagesse,
un pouvoir, une connaissance voire la notoriété et la
respectabilité. Il faut retenir que l'Ondoukoué est une
étape de l'apprentissage des individus. Il repose sur une initiation
rude ; apparaissant comme une école de haut niveau, une entreprise, une
porte qui mène à la sagesse, au pouvoir, à la connaissance
et ipso facto ; à la maîtrise de soi et à la
responsabilité.
65
> Tableau n°2 : La comparaison entre le Mungala
et l'Ondoukoué chez les
Akélé du Moyen-Ogooué
Rite
|
Points de convergence
|
Points de divergence
|
|
> Rite initiatique masculin tolérant
la présence de la mère de jumeaux et
|
> Il est obligatoire
|
|
les jumeaux eux-mêmes.
|
> Il est un appareil de contrôle social
|
Le Mungala
|
> Il a une origine aquatique et
terrestre.
|
fonctionnant à la violence et
maintient l'ordre.
|
|
> Il défend contre la sorcellerie et
|
|
|
la souillure.
|
> Il prescrit des interdits auxquels la
|
|
> Il a été découvert par les femmes
lors d'une partie de pêche.
|
communauté s'y soumet.
|
|
> Rite initiatique masculin tolérant
|
> Il est sélectif et est d'ordre
|
|
la présence de la mère de jumeaux et
|
thérapeutique.
|
|
les jumeaux eux-mêmes.
|
> Il est un chemin de la
|
L'Ondoukoué
|
> Il a une origine aquatique et
terrestre.
|
connaissance qui conduit à la sagesse, à
l'honneur et au pouvoir.
|
|
> Il été découvert par les femmes
|
> Il se présente comme une
|
|
lors d'une partie de pêche où elles lui
|
entreprise de formation des hommes
|
|
percèrent un oeil.
|
courageux
|
|
> L'oeil d'Ondoukoué contient un
|
> Remise de son oeil, symbole du
|
|
pouvoir de grande envergure qui détruit
|
miroir, de la vision, une sorte de
|
|
les esprits nuisibles.
|
« caméra mystique » aux hommes.
|
|
> Il protège et résout les problèmes
de la société.
|
|
Conclusion : Il ressort de ce tableau
comparatif que dans les deux récits mythologiques, c'est toujours les
femmes qui ont été à la découverte de ces deux
rites initiatiques. Cependant, les hommes s'en sont appropriés, ce qui
fait que les hommes sont aujourd'hui à la tête de ces rites et
associent certaines femmes dont les mères de jumeaux. Cela nous laisse
entendre que la mère des jumeaux est la mère du Mungala et des
jumeaux.
66
Section 2 : Les hommes et les femmes dans
société Akélé
Il faut d'abord rappeler que les Akélé dont il
s'agit ici sont ceux du Moyen-Ogooué, précisément du
village Bellevue130, situé à environ 70 km par voie
fluviale soit 1h30min de navigation de Lambaréné. 38 Km en
passant par voix terrestre par le carrefour Palmier-véa (Makouké)
soit environ 45 min de route. Ce qui fait que les activités
socio-économiques qui prédominent dans ce village sont : La
pêche et la chasse. A cela, notons que les Akélé accordent
une grande importance à leurs traditions ; particulièrement les
rites initiatiques que sont : La circoncision, Le Mungula, L'Ondoukoué
pour ce qui est des hommes. Le Lessibu, Menionze pour les femmes, et
très spécialement, comme c'est le cas pour ce Mémoire de
Maîtrise pour les mères de jumeaux.
1. Le rapport entre les hommes et les femmes
Pour ce qui est de l'organisation sociopolitique,
précisons que cette société Akélé est
structurée ainsi qu'il suit : les hommes initiés uniquement
à tous les cultes (rites Akélé) siègent au corps de
garde. C'est dans ce même corps de garde que la vie sociale, politique,
économique et culturelle est débattue. Outre les hommes
initiés qui siègent dans ce corps de garde, il y a les femmes
mais pas n'importe laquelle, il y a d'abord la mère des jumeaux et la
femme d'un ancien haut dignitaire du village et enfin, les ngangas des deux
sexes.
Ce sont donc ces femmes qui rapporteront ce qui a
été dit au cours d'une réunion avec les hommes. Mais dans
ce sens, ce qui nous intéresse ici c'est particulièrement la
mère des jumeaux qui accède au corps de garde avant et
après la mort de son mari, si et seulement si elle est passée par
cette pratique religieuse qui n'est autre que le veuvage. C'est donc elle qui a
la charge ou la lourde responsabilité de jouer le rôle de
médiateur entre les initiés et les profanes (non-initiés)
des deux sexes, en rapportant ce qui a été dit ou
décidé dans le corps de garde par « les
130 Cf. les cartes qui présentent les localisations
géographiques dudit village.
67
anciens ». Le monde social des Akélé est
fortement rythmé par les rites de passages qui font en sorte que les
néophytes grandissent en statut et en connaissance ; c'est le cas par
exemple de la naissance, de la mort, de la circoncision et le mariage. De cette
description du monde social des Akélé, il ressort finalement que
les hommes exercent une domination sur les femmes.
Les rapports sociaux chez les Akélé que nous
décrivons sont des rapports sociaux remplis d'idéologie et de
symbolique. Et ce sont ces rapports sociaux qui vont expliquer la
manière dont les Akélé se comportent avec les ngangas, les
initiés, les jumeaux, maîtres-initiés et les veuves de ces
maîtres-initiés, mères de jumeaux. C'est du moins ce que
pense Maurice GODELIER131, à propos des rapports sociaux
lorsqu'il affirme que « tous les rapports sociaux, y compris les plus
matériels, contiennent des noyaux imaginaires qui en sont des
composantes internes, constitutives (...) Ces noyaux d'imaginaires
sont mis en oeuvre (et en scène) par des pratiques symboliques
».132 Pour GODELIER, l'importance de l'imaginaire et des
pratiques symboliques dans les rapports sociaux permet aux hommes de gouverner
le politique, le religieux, le social et l'économique.
C'est ici l'occasion de rappeler que pour GODELIER, «
l'imaginaire c'est de la pensée. C'est l'ensemble des
représentations que les humains se sont faites et se font de la nature
et de l'origine de l'univers qui les entoure, des êtres qui le peuplent
ou sont supposés le peupler, et des humains eux-mêmes
pensés dans leurs différences et/ou leurs représentations
(...) L'Imaginaire c'est l'ensemble des interprétations (religieuses,
scientifiques, littéraires) que l'Humanité a inventées
pour s'expliquer l'ordre ou le désordre qui règne dans l'univers
ou dans la société, et pour en tirer des leçons quant
à la manière dont les humains doivent se comporter entre eux et
vis-à-vis du monde qui les entoure ».133
131 Maurice GODELIER, Au fondement des
sociétés humaines. Ce que nous apprend l'anthropologie,
Paris, Albin Michel, (coll. «Bibliothèque Albin Michel
Idées »), 2007, 287 p.
132Ibid., p.35.
133Maurice GODELIER, Au fondement des
sociétés humaines. Ce que nous apprend l'anthropologie, ibid.,
p.38.
68
Le symbolique se définit enfin comme « l'ensemble
des moyens et des processus par lesquels des réalités
idéelles s'incarnent à la fois dans des réalités
matérielles et des pratiques qui leur confèrent un mode
d'existence concrète, visible, sociale. C'est en s'incarnant dans des
pratiques et des objets qui le symbolisent que l'Imaginaire peut agir non
seulement sur les rapports sociaux déjà existants entre les
individus et les groupes, mais être aussi à l'origine de nouveaux
rapports entre eux qui modifient ou remplacent ceux qui existaient auparavant
».134
GODELIER conclut sa clarification des concepts en disant que
finalement « l'Imaginaire n'est pas le symbolique, mais il ne peut
acquérir d'existence manifeste et d'efficacité sociale sans
s'incarner dans des signes et des pratiques symboliques de toutes sortes qui
donnent naissance à des institutions qui les organisent, mais aussi
à des espaces, à des édifices, où elles s'exercent.
»135 On peut aussi ajouter que tout rapport social, quel qu'il
soit ; est constitué de symbolique et d'imaginaire parce qu'étant
d'abord des produits humains et sont tout de même
complémentaires.
Ce qui fait dire à BALANDIER, pour le cas du
phénomène politique par exemple, que « l'imaginaire
éclaire (...) phénomène politique ; sans doute parce qu'il
en est constitutif... »136
2. La domination masculine dans la société
Akélé
La mise en évidence de la domination des hommes sur les
femmes dans la société Akélé se traduit au sein de
l'organisation politique et religieuse. En effet, au plan politique, les femmes
sont quasiment exclues de la prise de décision et de la gestion du
village ; même si la mère des jumeaux, les ngangas (mères
spirituelles) et les femmes des feus hauts dignitaires siègent au corps
de garde. Cela ne veut pas dire qu'elles ne prennent pas de décisions ;
toutefois, leurs points de vue peuvent être pris en compte dans le corps
de garde.
134Maurice GODELIER, Au fondement des
sociétés humaines. Ce que nous apprend l'anthropologie, ibid.,
pp.38-39.
135 Ibid., p.38.
136 Georges BALANDIER, Le pouvoir sur scène,
Paris, Balland, 1992, p.14.
69
Si les femmes sont dominées au plan politique, c'est
parce que la gestion du village est aux mains des hommes. Il en est de
même pour le plan religieux où le culte lié aux
ancêtres137 par exemple, est régi par les hommes, tout
comme la circoncision, le Mungula, Ondoukoué etc., même si les
femmes dans ces rites ont une place importante et apparaissent comme
nourricières, gardiennes voire conseillères.
En d'autres termes, dans cette société
traditionnelle Akélé, la domination masculine sur les femmes est
l'expression de la mystification du pouvoir en général, le
pouvoir politique et religieux en particulier. Nonobstant cette situation de
domination des hommes, il y a certaines femmes qui peuvent avoir un statut
dominant sur les hommes.
Ce point de vue est partagé par Pierre
BOURDIEU138, quand il estime que la domination masculine est
tellement ancrée dans nos inconscients que nous l'apercevons plus,
tellement accordée à nos attentes que nous avons du mal à
la remettre en question. Mieux, BOURDIEU nous invite à explorer,
à travers « cette domination masculine », les structures
symboliques de l'inconscient androcentrique qui survit chez les hommes et les
femmes. On pourrait ajouter à la suite de l'auteur que cette domination
nous paraît même naturelle souvent d'où notre
étonnement quand on voudrait la remettre en cause.
2.1. La mère des jumeaux, symbole de la
domination des femmes sur les hommes
La mère des jumeaux a un statut particulier que lui
confère la naissance des ses enfants. En effet, elle est la mère
de deux génies et représente un médiateur chez les
Akélé entre les hommes et les génies. C'est elle qui a la
charge de relayer les faveurs des génies pour des prières de la
communauté, par l'intermédiaire de ses enfants dans l'espoir
d'obtenir des réponses favorables. A cela s'ajoute qu'il est
formellement interdit aux hommes de la fixer dans les yeux. Par ailleurs, elle
a à sa
137 Mayonze na nkeyi
138 Pierre BOURDIEU, La domination masculine, Paris,
Seuil, (Coll. « Liber »), 1997, 134 p.
70
disposition d'autres femmes mères de jumeaux et des
enfants qui l'aident pour sa cuisine, sa toilette, sa beauté. De
même, les hommes de retour de la chasse peuvent lui réserver, pour
la circonstance, les meilleures parts de gibier, pour rendre plus fructueuse la
chasse ; comme il en est de même pour la pêche et la cueillette. De
plus, certains hommes sont à sa disposition qui l'aide pour ces travaux
champêtres.
Claudine-Augée ANGOUE139 souligne à
ce propos que la mère des jumeaux a une place au dessus de toutes les
femmes. Elle acquiert un statut égal à celui de l'homme par la
naissance des jumeaux. Claudine-Augée ANGOUE, dans ses propos
s'intéresse particulièrement à la nature du statut de la
femme qui met au monde les jumeaux, considérés comme des
êtres supérieurs dotés de pouvoir. Cette naissance lui
permet l'accès au milieu des initiés et d'être « un
nganga-Mongala ». Soulignons également que chez les
Akélé du Moyen-Ogooué du village de Bellevue, la
mère des jumeaux, qui s'appelle aussi « nganga Mungala »,
occupe une place importante dans la société Akélé.
Par ailleurs, c'est ce statut de nganga Mungala qui lui donne l'accès au
corps de garde. De même, certains de nos informateurs ont affirmé
que « les mères des jumeaux sont des ngangas puisqu'elles ont
la possibilité de soigner, bénir, maudire les habitants du
village ».140
Ces deux illustrations nous permettent d'affirmer que la
mère des jumeaux est un « homme » dans cette
société symbolique et lignagère, en ce sens qu'elle
détient le pouvoir que lui confèrent ces enfants, ces êtres
sacrés.
En partant du fait que nous sommes dans la
société lignagère où c'est le groupe qui est
valorisé; il est évident que la conscience individuelle est
phagocytée. C'est dans cette même société
lignagère que la mère des jumeaux est considérée
comme détentrice d'un pouvoir que lui confère la naissance de ses
enfants, que
139 Claudine-Augée ANGOUE citée par Eddy Blaise
MABADI MAHEBA in Ambivalence et pouvoir : Mongala et le culte des jumeaux
chez les Mahongwè, Mémoire de Maîtrise en
Anthropologie, Libreville, UOB/FLSH, sept.2006, p.46.
140Propos de nos maîtres-initiés que
nous avons rencontrés pendant notre période de terrain à
Bellevue à Lambaréné.
71
somme toute elle est, au même titre que ses enfants,
perçue comme un fétiche politique, dans le sens où elle
dotée de pouvoir, comme l'entend BOURDIEU141.
En un mot, « les fétiches politiques sont des
gens, des choses, des êtres, qui semblent ne devoir qu'à
eux-mêmes une existence que les agents sociaux leur ont donnée ;
les mandants adorent leur propre créature. »142 Comme
nous l'avons vu plus haut pour ses enfants, cette définition du
fétiche politique attribuée à la mère des jumeaux
lui convient parfaitement en ce sens qu'elle est aussi « objet »
d'attentions toutes particulières de la part de la communauté et
pourquoi pas « idolâtrée ». Aussi, nous ne pouvons
qu'aller que dans le même sens que BOURDIEU.
L'auteur va plus loin en présentant le fétiche
politique qu'il range sous l'angle de la délégation du pouvoir
où intervient le mandant (c'est-à-dire la collectivité)
qui « donne le pouvoir, comme on dit à une autre personne
»143, c'est-à-dire le mandataire (la mère des
jumeaux qui reçoit la sacralisation des Akélé). De ce
fait, la mère des jumeaux se voit affectée d'un pouvoir
charismatique. Tant qu'elle est mère des jumeaux, donc fétiche
politique pour les Akélé, elle a le privilège de
siéger au corps de garde avec les hommes initiés puisqu'elle est
vue comme un « homme initié ». Par ailleurs, la
communauté lui voue un culte, un rituel144 dans lequel elle
est maquillée avec du kaolin rouge, (Mboulé) et du
kaolin blanc, (Pembe).
Elle frotte malê ma magniang145,
l'huile d'amande et malê ma mambila146, l'huile de
palme sur son corps, sur sa poitrine elle porte une corde croisée fait
à base d'une tige de plante que l'on appelle :
`'Ledenka''147. Elle ne se tresse pas comme les autres
femmes, elle fait juste deux tresses dites civiles148. Et
sur ces tresses elle porte deux
141 Pierre BOURDIEU, Choses dites, Paris, Editions de
Minuit, (coll. « Le sens Commun »), 1987, 228 p.
142 Ibid., p.187.
143 Ibid., p.187.
144 Ce rituel s'appelle en Akélé Niamawassa.
145L'huile d'amande sert à purifier la
mère des jumeaux, mais surtout, lui rendre hommage d'avoir mise au monde
des « génies ».
146 L'huile de palme est utilisée dans le cadre de
bénédiction car elle vient de mettre au monde des «
êtres sacrés», mais aussi lors du rituel des hommes qui
s'initient au Mungala et à l'Ondoukoué, pour les préparer
à être des hommes et à recevoir les connaissances du monde
mystique.
147 Ledenka, symbolise la maternité des
jumeaux.
148 Appellation des deux tresses qui divisent la tête en
deux ou trois zones bien isolées les unes des autres par des
allées.
72
plumes rouges149 de perroquet au niveau du front.
Elle doit avoir un grelot (legun) obligatoirement pour être en contact
avec les esprits. Et tout cela se fait jusqu'à la maîtrise des
forces invisibles pour permettre à la mère et aux jumeaux de
mieux se porter mais aussi d'éviter à la mère des
naissances rapprochées et pour attendre que les enfants marchent et
atteignent un an.
C'est à peut près le même rituel que les
Myènè font dans le cadre des cérémonies
vouées à la mère des jumeaux et à ses enfants. Dans
ce rituel, la mère des jumeaux s'appelle « Ngompaza qui signifie :
ngwè y'ampaza »150 ou « Obata y'ampaza
»151 Autrement dit, à travers la lecture du statut
de la mère des jumeaux considérée comme fétiche
politique avons dit, nous nous inscrivons dans un univers typiquement
symbolique et surtout imaginaire. Symbolique parce qu'intervient toute une
panoplie d'objets dotés de sens liés à des rituels.
Imaginaire parce que nous sommes dans l'ordre des croyances, en tant que
faculté de la communauté à se représenter la
mère des jumeaux comme « objet » de culte.
Mieux encore, la mère des jumeaux exercerait une sorte
de violence de l'imaginaire au sens où l'écrit Joseph TONDA :
« Elle est violence de l'imaginaire parce qu'il s'agit d'une violence
administrée par, ou organisée autour de l'imaginaire
constitué par des entités invisibles au moyen de symboles ou de
fétiches. »152 Nous parlons de violence de l'imaginaire
parce qu'il est question d'une imposition de symboles qui a pour effet de
causer un impact sur la conscience collective en ce sens qu'elle choque,
qu'elle traumatise les membres de la communauté susceptible de la
rencontrer dans ses divers maquillages.
149 Ces 2 plumes rouges du perroquet symbolisent
l'autorité et la royauté. Cf. la page 89 du Mémoire.
150 Pasteur OGOULA M'BEYE, Galwa ou Edôngô
d'antan, op.cit., p.107.
151 Propos de monsieur Laurent IGAMBONTSYNA, 68 ans,
médecin, enquêté que nous avons interrogé sur les
questions de jumeaux et leur place dans la société symbolique
Galoa.
152 Joseph TONDA, Le Souverain moderne. Le corps du
pouvoir en Afrique centrale (Congo, Gabon), Paris, Karthala, 2005,
p.32.
73
2.2. Le sexe de la femme comme pouvoir de
domination
En partant du postulat selon lequel la femme donne la vie, on
se rend compte qu'elle est ipso facto dotée du pouvoir d'enfanter, mais
aussi de maudire ou d'ôter cette vie. On pourra, à la limite, dire
que la femme apparaît comme un être sacré ou un dieu. A
priori, c'est ce qui pose problème entre l'homme et la femme. Ce
problème est perçu par Françoise HERETIER-AUGE qui dit que
: « l'appropriation de la fécondité dans le corps masculin
est voué à l'échec : il ne peut jamais avoir de simulacre.
Elle passera donc par le contrôle : appropriation des femmes
elles-mêmes ou le produit de leur fécondité, (...)
»153 La maternité est un phénomène qui
n'est réservé qu'à la femme et c'est un
phénomène qui est le véritable lieu de domination.
A cet effet, MAMBOUBE affirme que :
- « lors du rituel de purification de la veuve
après sa réclusion, la personne qui doit lui enlever la
défense lors du premier rapport sexuel après la mort du
défunt est l'Angô Mungala parce qu'il est détenteur de
pouvoir. Puis vient l'Angô Ondoukoué qui termine l'acte sexuel
avec elle ».154 Le rapport sexuel que la veuve partage
avec ces deux détenteurs de pouvoirs n'est pas un rapport sexuel de
plaisir, mais repose sur une égalité de pouvoirs pour les trois
acteurs. La veuve ne peut pas rompre cette défense avec un non
Angô-Mungala ou Ondoukoué au risque de perdre toute sa valeur
auprès de ces Angô-Mungala ; où une partie de son pouvoir y
réside. Car le sexe de la mère des jumeaux a un pouvoir mystique
qui ne peut s'expliquer. Le rapport sexuel des mères des jumeaux avec
les Angô wa Mungala et wa Ondoukoué est une pratique plutôt
symbolique.
Comme l'affirme Eddy Blaise MABADI MAHEBA, « en imposant
des rapports sexuels aux mères des jumeaux, les Nganga Mongala
traduisent un acte symbolique en rapport physique. Ces relations intimes sont
faites au nom des entités imaginaires qui considèrent la
mère des jumeaux comme source de pouvoir et de
153 Françoise HERETIER-AUGE, Masculin/féminin.
La pensée de la différence, Paris, Odile Jacob, 1995,
p.230.
154 Madame MAMBOUBE, informatrice rencontrée le 23 avril
2009 à Lambaréné au village Bellevue.
74
puissance ».155 C'est en ce sens que le sexe
de la femme est un véritable lieu de domination de la femme sur les
hommes. Dans une autre mesure, pour mettre en relief l'idée selon
laquelle le sexe de la femme apparaît comme un pouvoir de domination ;
nous allons nous appesantir sur une perspective de Florence BIKOMA qui tourne
autour de la sacralité des jumeaux et du sexe de la femme.
En effet, il ya une allusion faite entre le sexe de la femme
considéré comme le port de débarquement et les jumeaux,
des navires qui viennent pour y accoster156. On pourrait partir de
l'idée selon laquelle « les hommes initiés au mwiri,
portaient sur leurs bras gauches un tatouage qui serait la
représentation du vagin de la femme. Ceux qui leur permettaient de
maudire ».157
Eu égard ces considérations, on se rend compte
que le sexe de la femme a une portée symbolique, il possède un
pouvoir de domination et autour duquel gravite une mythologie.
155 Eddy Blaise MABADI MAHEBA, Ambivalence et pouvoir :
Mongala et le culte des jumeaux chez les Mahongwè, Mémoire
de Maîtrise en Anthropologie, Libreville, UOB/FLSH, sept.2005, p.75.
156 Florence BIKOMA, op.cit., p.276.
157 Propos recueillis auprès d'un informateur
Akélé-Sango, vendeur de vin de palme au village Bellevue le 25
avril 2009.
75
Conclusion de la première partie
Au sortir de cette première partie consacrée
à l'étude sur l'imaginaire des jumeaux chez les
Akélé du Moyen-Ogooué, il est important de dire que ce
travail ne repose pas essentiellement sur les représentations sociales
des jumeaux, mais se propose de voir comment le statut social d'une mère
des jumeaux s'acquiert après la naissance de ces enfants
qualifiés d'« exceptionnels » ; tout en mettant en
évidence le champ politique et religieux dans lequel ils vont
évolués. Cette étude nous permet de voir comment la
plupart des sociétés symboliques lignagères
(précisément la société Akélé)
abordent les questions axées sur les représentations sociales du
maître-initié et de sa femme, mère de jumeaux, dans les
rites initiatiques masculins.
Aussi, nous nous sommes efforcés, dans le premier
chapitre de déchiffrer la vie politique des Akélé et la
naissance des jumeaux car ils sont considérés comme des
"génies" sont intimement liés à l'eau. Ils seraient
même aussi puissants que les divinités et auraient le pouvoir de
rendre fructueuses toutes les activités de la famille en augmentant la
production matérielle. Aussi, il convient de dire ici que pour les
Akélé du Moyen-Ogooué, les jumeaux sont des êtres
surnaturels, ce sont des génies dont l'origine serait mythologique,
imaginaire et sacralisée. En un mot, ce sont des fétiches
politiques au sens de BOURDIEU.
Dans le second chapitre, nous avons voulu faire ressortir les
représentations sociales qui gravitent autour des jumeaux,
c'est-à-dire la position sociale de ces enfants. Et que les rites
initiatiques sont primordiaux puisqu'ils permettent à la femme d'occuper
un statut social supérieur dans les rites initiatiques masculins. Nous
constatons, par ailleurs, que la mère des jumeaux, à travers la
naissance de ses enfants, pourrait avoir le pouvoir d'un homme et même de
dominer les hommes à un moment donné. Ce qui nous permet
d'analyser la manière dont cette femme vie cette situation de domination
sur les hommes, parce qu'elle est perçue comme fétiche politique
elle aussi.
76
Pour résumer notre première partie, soulignons
que le chapitre premier nous a permis de dire que les jumeaux du groupe
ethnolinguistique Akélé du Moyen-Ogooué du village
Bellevue seraient, sans aucun doute, des fétiches politiques. En
dernière analyse, notre second chapitre nous permet de voir la position
sociale des jumeaux sans oublier le statut social de leur mère, veuve
d'un maître-initié.
77
78
Introduction de la deuxième partie
La vie et toutes les complexités qui sont les siennes,
préoccupent les chercheurs en sciences sociales. Mais tout le monde sait
qu'il n'y a pas de vie sans mort. La mort est donc également un moment
important dans la vie sociale. Autant il naît des individus, autant il en
meurt tous les jours. La mort et les morts sont donc également, en
sciences sociales, des objets pouvant rendre compte de la société
globale ; de la réalité sociale. En revanche, la tâche du
sociologue consiste à étudier les pratiques sociales, sans
omettre l'idée selon laquelle « L'imaginaire (...) éclaire
le phénomène politique ; sans doute du dedans parce qu'il en est
constitutif... »158
Cela laisse supposer que les phénomènes
politique et religieux sont en grande partie constitués d'imaginaire. On
pourrait déduire que tout phénomène l'est également
dans la mesure où ce sont les individus, en tant qu'agents sociaux, qui
concourent à leur réalisation. Mais surtout que l'homme ne peut
pas vivre dans un milieu sans qu'il ne se le représente, se l'imagine.
Le choix de notre sujet nous permet de déchiffrer comment les mutations
politiques se vivent dans la société lignagère
Akélé, à travers le fait social total qu'est la mort qui
suscite le veuvage. De plus, le veuvage met en évidence le fait que la
femme d'un maître-initié, mère des jumeaux change de statut
social ; elle passe ainsi du statut social « de femme » à
celui « d'homme »159 ; c'est-à-dire d'homme
initié et comment cette mère de jumeaux hérite des biens
symboliques de son défunt mari.
En effet, Fulbert TOKA définit le veuvage comme «
une situation de totale retenue de la veuve à l'écart de tout ce
qui relève de la vie quotidienne ; cette retenue s'accompagne
également d'une restriction des contacts avec l'entourage
immédiat, lointain et d'une série d'interdits
».160
158 Georges BALANDIER, Le pouvoir sur scènes,
Paris, Balland, 1992, p.14.
159 Lorsqu'on traite un garçon dans le village Bellevue
de femme, c'est une manière de le distinguer de la classe des
initiés, en fait, c'est le traiter de peureux, de mauviette, de
dégonfler. Il en est de même pour une fille que l'on traiterait
d'homme.
160 Fulbert TOKA, Le veuvage et la valorisation de la
femme dans la société Akélé, Rapport de
Licence en Sociologie, Libreville, UOB/FLSH, 1997, p.15.
79
Dans la société lignagère
Akélé du Moyen-Ogooué du village Bellevue, le veuvage que
nous avons décrit et observé se définit comme est un moyen
de purification psychique, spirituelle et physique, afin de libérer la
veuve des possibles persécutions de l'esprit de son défunt
époux. Mais nous pensons que ce veuvage se présente aussi comme
une étape d'initiation, une étape d'intronisation pour la veuve,
un rite de passage pour parler comme VAN GENNEP161 ; afin
d'intégrer la catégorie sociale des maîtres-initiés
et donc, de rentrer dans les rites masculins pour ensuite occuper une place
importante dans la vie politique du village.
Il convient de dire que dans cette société
lignagère Akélé, la veuve d'un maître-initié
mère des jumeaux joue un rôle prépondérant dans le
corps de garde, même si pour certains hommes, la gestion des affaires
publiques du village ne concerne pas les femmes, plutôt les hommes
initiés ; contraints d'accepter et de supporter sa présence parmi
eux. Le refus d'acceptation de sa présence au corps de garde
d'après les hommes trouverait sa justification en
référence à la persistance de l'évocation de la
tradition. BALANDIER, pour sa part, précise que « la
référence à la tradition éloigne d'une
réalité qui ne se réduit pas à la
répétition, qui se constitue par un continuel travail
d'ajustement et de réponse aux conjonctures ».162
A la suite de BALANDIER, nous voulons dire que la tradition
est toujours utilisée par nos informateurs comme alibi, une
échappatoire, une sorte de parade pour justifier un acte que l'on pose
ou que l'on entend poser afin de se déresponsabiliser par la suite. La
tradition est, nous le pensons, un appareil idéologique d'Etat au sens
d'ALTHUSSER, qui sert ici les intérêts de la catégorie des
maîtres-initiés et à légitimer leur domination. Face
à cette situation, la veuve d'un maître-initié mère
des jumeaux ne semblerait être pas un fétiche politique, un
obstacle pour les maîtres-initiés dans cette société
dans la mesure où elle est détentrice de multiples pouvoirs ?
161 Arnold VAN GENNEP, Rites de passage, Paris, Mouton,
1909, pp.66-71.
162 Georges BALANDIER, Civilisés dit-on, Paris,
2003, p.154.
80
Chapitre III : La question du veuvage dans la
société Akélé du Moyen-Ogooué
Dans ce chapitre, il est question d'une analyse descriptive du
rituel du veuvage dans la société Akélé du
Moyen-Ogooué, du village de Bellevue. Il s'agit de montrer comment la
communauté des maîtres-initiés et les habitants du village
participent au rituel du veuvage et tous les mécanismes qui se mettent
en place pour la circonstance. Cette étude vise à
démontrer que le rituel du veuvage n'est pas l'affaire de toute la
société Akélé, mais celle de la femme d'un
maître-initié mère des jumeaux et des
maîtres-initiés et les autres veuves mères des jumeaux.
Nous faisons allusion à ces deux acteurs parce que le défunt
était un maître-initié et la veuve est mère des
jumeaux, une situation très délicate dans le village. En ce sens,
cette étude consistera à affirmer que le veuvage de
l'épouse d'un maître-initié, mère de jumeaux n'est
qu'un moyen de légitimer le double statut de la veuve au sein de la
communauté des initiés.
Section 1 : L'annonce du décès comme
moment de rupture de
l'ordre social
1. Les conduites pré-mortems dans la description du
décès
Chez les Akélé lorsqu'il arrive qu'un
maître-initié ou un chef est près de la mort, il parle a
priori à tous les maîtres-initiés, puis à sa femme
et enfin aux enfants et aux autres membres de la famille. Tous savent ce qui
doit se passer lors du décès du chef, et commence à
prendre des dispositions possibles, car lorsqu'il ya mort au village, le
village vit dans ce que DURKHEIM appelle l'anomie.
81
Jonas OSSEMBEY163 nous apprend que « quand le
chef était proche de la mort, il prenait les mains du successeur
désigné entre les siennes (paumes levées) et en disant
maintiens l'ordre comme je l'ai fais (...) »164 De ce fait,
avant la mort d'un chef ou d'un maître-initié les habitants du
village savent qu'il ya une conduite à tenir, tous respectent les
consignes laissées pour ce dernier. Et lorsque le chef ou un
maître-initié décède, son décès est
annoncé avec un grand bruit dans tout le village et les contrées
voisines.
Pour revenir sur la notion d'anomie chez DURKHEIM, en
général l'annonce d'un décès au sein d'une
communauté donnée créée une situation de
désordre social que les membres de la communauté
concernée, particulièrement ceux qui sont responsables de la
bonne marche du groupe, doivent gérer à tout prix pour
éviter que cette situation de déséquilibre social ne
perdure. Pour la circonstance, les maîtres-initiés,
rassemblés autour des Angô-Mungala, se réunissent tout le
temps et tentent d'apaiser le climat social déstructuré par le
décès en organisant une sorte de couvre-feu.
Il faut entendre ici par la notion de couvre-feu que les
maîtres-initiés dans la nuit décrètent
l'interdiction de circuler après que les derniers usages domestiques
soient faits. Par exemple, les femmes se sont déjà lavées,
les vaisselles sont propres, les enfants lavés et habillés, les
calebasses d'eau sont remplies, la cuisine a été faite etc. Plus
personne n'est dehors car on a peur de croiser le Mungala ou
l'Ondoukoué. La voix du grand maître-initié se fait
entendre suivie du Legun165 en pleine conversation avec le Mungala
(qui répond par une voix rauque) et invoque les ancêtres par la
même occasion pour qu'ils lui donnent la conduite à tenir devant
la situation. Précisons ici que la conversion entre le grand
maître-initié et le Mungala
163 Jonas OSSOMBEY, Société
Kélè du Gabon précolonial : Milieu de vie,
sociétés initiatiques et pouvoir politique. Des origines à
1910, Mémoire de Maîtrise en Histoire et Archéologie,
Libreville, UOB/FLSH, sept.2005, 100 p.
164 Jonas OSSOMBEY, Société
Kélè du Gabon précolonial : Milieu de vie,
sociétés initiatiques et pouvoir politique, ibid.,
pp.88-89.
165 Le Legun est cet instrument traditionnel utilisé
dans le cadre des cérémonies rituelles de la naissance des
jumeaux, de l'Ondoukoué, du Mungala, la sortie des jumeaux, le deuil, la
circoncision, et toute autre initiation. C'est donc un instrument
incontournable et omniprésent dans la vie initiatique des
Akélé.
82
que seuls les initiés peuvent comprendre peut durer
toute la nuit et le matin, un compte rendu est fait très tôt le
matin à la population avec détail.
2. Les conduites post-mortem dans la description du
décès
Premièrement Lorsque le mari décède, la
mère des jumeaux est prise en charge par d'autres veuves mères
des jumeaux qui sont dépositaires des pouvoirs supranaturels. Mais il
n'ya pas que les veuves mères des jumeaux qui s'occupent d'elle, notons
également que les hommes initiés au Mungala et à
l'Ondoukoué, les pères spirituels et les ngangas. Le veuvage se
fait par des personnes qui occupent une position dominante te le pouvoir
dominant est un pouvoir symbolique. Personne d'autre ne s'occupe de cette
veuve. La veuve a une manière très spéciale de pleurer son
mari car elle ne le pleure pas sur une natte comme le font les autres veuves en
général.
Elle pleure son mari sur un tabouret qui est le signe
d'élévation et le signe du pouvoir, en ce sens qu'elle se
distingue toujours des autres femmes non mères des jumeaux. La veuve
change d'accoutrement pour la circonstance puisqu'elle porte désormais
un pagne blanc au niveau de ses seins, le pagne blanc signifie le deuil. Elle
se distingue toujours des autres veuves.
Deuxièmement, la veuve reste torse nu parce qu'on lui
fait porter les instruments symboliques sur son corps qui servent de
protection. Elle porte une ceinture de porte panier sous sa poitrine jusqu'au
jour du levé de terre. Ce porte panier sert à atténuer la
douleur de la disparition de son mari. Cette situation symbolise son passage de
la classe des femmes à celle des « femmes-hommes ». Par
ailleurs, la veuve est maquillée avec du Kaolin rouge'66 et
du Kaolin blanc'67. Elle porte aussi sur le dos la peau de la
civette'68. Notons aussi qu'on retrouve sur sa poitrine des cordes
(Lendanka) croisés fait à base d'une plante de tige
représentant les
166 Le Kaolin rouge est un des signes de la naissance des jumeaux
; aussi les menstrues
167 Le Kaolin blanc représente la pureté et le
sperme.
168 C'est un signe d'autorité
83
jumeaux. Elle doit nécessairement porter dans sa main
un grelot (Legun) qui est une cloche traditionnelle,
elle doit faire retentir cette cloche chaque fois qu'elle se déplace.
Pendant le veuvage, la veuve dort sur cette natte et un tronc
de bananier qui lui sert d'oreille, elle se couvre avec un raphia, quant elle
dort le visage est tourné contre le mur, la nuit une de ses
belles-soeurs dort avec elle y compris les autres veuves mères des
jumeaux. La veuve est isolée pour quelques jours voire des semaines cela
dépend de l'avis des anciens. Mais le plus souvent ce rituel dure quinze
(15) jours, après cette période, le levée de terre se
fait. Cette cérémonie est constituée de plusieurs
étapes très importantes qui consistent à la purification
de la veuve parce que l'esprit du mari est en contact direct avec elle.
Celle-ci est caractérisée par trois (3) étapes :
? Première étape : Il
s'agit du bain de purification qui est la base d'une séparation
indirecte entre la veuve avec son défunt mari. Ce bain est
préparé par des veuves mères des jumeaux, les ngangas et
les prêtres spirituels.
? Deuxième étape : Il
est question ici de la prise du bain après chaque heure à partir
de trois (3) heures du matin pour couper les liens avec le défunt.
? Troisième étape :
Enfin, au levé du jour, la veuve porte ses vêtements habituels.
Cette dernière étape constitue le retour à la vie
quotidienne.
Dans cette même perspective, le point de vue de
Claudine-Augée ANGOUE169 nous offre une description du deuil
d'un chef de famille dans le nord du Gabon et où elle met en
évidence l'implication des femmes, oncles et neveux utérins dans
l'organisation de ce deuil. Le deuil est d'abord affaire de la famille du
défunt, la communauté interviendrait en dernière
position.
Ce qui n'est pas le cas du deuil d'un
maître-initié dans la société Akélé du
Moyen-Ogooué du village de Bellevue. En effet, dans ce groupe
ethnolinguistique le deuil d'un maître-initié est d'abord
assuré en 1er lieu par la communauté des
maîtres-
169 Claudine-Augée ANGOUE, De la
duolinéarité à l'illusion de l'unilinéarité
dans les systèmes de descendance au Gabon ; pp.103-138, in
Revue Gabonaise de sociologie, n°1, Paris, CRES/L'Harmattan, 2009,
186 p.
84
initiés, comme l'affirme Zacharie170. En
deuxième position les membres de la famille, amis, voisins et les femmes
initiées (mères des jumeaux et veuves), participent aussi au
rituel du défunt. Ces deux exemples pris parmi tant d'autres nous
permettent de nous rendre compte que les systèmes de gestions du deuil
et partant de la mort, diffèrent d'une région à l'autre,
d'un groupe social à un autre. Nous pensons que le deuil est un
phénomène social total qui nous permet de lire les rapports de
pouvoir en relation étroite avec le symbolique.
Enfin, nous adoptons le point de vue de Claudine-Augée
ANGOUE comme quoi « le deuil est une occasion de revitaliser les statuts
des différents acteurs »171, c'est-à-dire qu'il
nous permet de voir qui fait quoi, qui a les droits et les devoirs et qui
occupe quelle place dans la société.
Section 2 : Fin du veuvage et nouveau départ
pour la veuve
1. Le retrait de deuil ou les préparatifs de la
cérémonie pendant la
saison sèche
Ces préparatifs du retrait de deuil se font toujours
pendant la saison sèche parce qu'il ne pleut plus et se déroule
de la manière suivante :
? Annonce de la cérémonie
: Ici, l'annonce se fait pendant la tombé de la nuit, le
matin c'est la construction du masque du Mungala dans l'enceinte du
Mungala implanté en forêt, appelé :
Ussobeliane wê-mungala ou Nzadiake wê-mungala.
Ussobeliane, vient du verbe Ussobe : se
réunir, se rassembler ; Nzadiake est composé de deux
mots dont « Nza » et « Diake. » Nza
signifie venir et Diake signifie le verbe manger, donc cela
signifie venir manger. Et ceux qui mangent s'appellent bandzi.
? Cérémonie du Mungala
: Elle débute la nuit et qui prend fin le matin à
six (06) heures.
170 Informateur que nous avons rencontré dans le cadre
de notre terrain en avril 2009. Cet informateur est lui-même
maître-initié et assiste souvent aux décès des
autres maîtres-initiés.
171Claudine-Augée ANGOUE, De la
duolinéarité à l'illusion de l'unilinéarité
dans les systèmes de descendance au Gabon ; ibid.,
p.105.
85
? Les rites Ugioke, Ussolo et Ntalanioule
sont très important pendant cette cérémonie,
d'où Ugioke signifie se laver et se purifier ; Ussolo
signifie cacher et Ntalanioule, bloquer ou protéger.
Ugioke, représente un bain purificateur qui se
fait à six heures du matin dans une rivière. Ussolo,
Ntalanioule représente la protection de la veuve, on fait le paquet
de tout ce qu'elle utilisait pendant le veuvage. C'est-à-dire ; la
natte, le tabouret, etc.
Un membre de sa famille va dans la rivière et cache
toute ses qu'elles utilisaient pendant le veuvage. Il faut ajouter aussi, qu'on
prend tous les sous-vêtements qu'elle utilisait du vivant de son mari
avec les ongles que l'on attache dans un paquet, on creuse l'arbre et l'on
cache ce paquet dans cet arbre dans la forêt. Puis, au retour du village
les personnes qui étaient en brousse reviennent avec une liane sauvage
qui symbolise une puissante femme.
La veuve a les pieds posés sur la natte et est assise
sur un tabouret sculpté dont la partie centrale est en forme de femme
pour montrer que la veuve n'est pas seule mais elle est accompagnée.
Devant le corps de garde, on place la liane sauvage. On fend la liane sauvage
en deux en forme de losange pour permettre à la veuve de traverser cet
endroit pour accéder au corps de garde. Le trou de la liane
représente le sexe de la mère des jumeaux.
C'est l'épreuve d'Upugâ172 :
le creux. La veuve quitte de l'état de la misère pour retrouver
sa vie normale. Et lorsque la veuve sort du trou de la liane on prend cette
liane et on l'a jette dans la rivière. Après cela, la veuve fait
le tour du village avec le Mungala pour montrer qu'elle a
terminé le veuvage. La nuit, la veuve quitte la chambre du veuvage pour
réintégrer sa chambre, elle est rayonnante, elle est comme «
une vierge »173, c'est la fin du veuvage.
172 Ce mot fait parti des dernières purifications de la
veuve avant la dernière cérémonie de la fin du veuvage.
173 C'est l'appellation d'une femme dont le vagin s'est
refermé par les rites de purifications qui permet au défunt de
s'éloigner de la femme.
86
2. Le rite d'intronisation de la veuve au milieu des
maîtres-initiés ou veuvage comme initiation
Pour Louis-Vincent THOMAS, « le rite ici est pris dans
une perspective anthropologique, c'est-à-dire, au sens large, en dehors
de toute préoccupation liturgique ou théologique. Nous
l'envisageons comme un type de cérémonie par lequel les
manières d'agir, le geste ou les postures, les paroles ou les chants
proférés sont censés posséder des vertus ou des
pouvoirs qui leur sont attachés ou produire des effets
déterminés ».174 Nous partageons ce point de vue
de l'auteur puisque pour nous, le rite d'intronisation de la veuve au milieu
des hommes dans le groupe ethnolinguistique Akélé du
Moyen-Ogooué, du village de Bellevue, débute lors du
décès du défunt époux.
Lorsqu'il ya constatation du décès du
maître-initié, seuls les maîtres-initiés, les veuves
mères des jumeaux et les ngangas s'occupent du rite. Les profanes, les
femmes, les hommes initiés, les parents, amis (es) et connaissances sont
mis à l'écart. L'information sur le décès du
maître-initié reste secrète pour les acteurs cités
plus haut. L'enterrement se fait aux alentours de 18heures dans un endroit
très secret. Dès cet instant, les maîtres-initiés et
les ngangas invoquent Ondoukoué et les esprits afin de présenter
la future détentrice et héritière du défunt au
milieu des hommes, puisque le défunt avait déjà choisi sa
femme comme son successeur.
La communauté des maîtres-initiés ne fait
que respecter et entériner les consignes laissées par le
défunt. Par ailleurs, le rituel du veuvage découle de la
situation du décès. Il se présente comme le «
cérémonial des funérailles, dans la mesure même
où la mort est envisagée sous le signe du désordre et du
scandale, est aussi un procédé de remise en état ; il
révèle, par ses acteurs, des rapports sociaux fondamentaux ; il
établi une relation intense avec le sacré, il débouche
à la fin du
174 Louis Vincent THOMAS, « les rites
funéraires », bulletin n°60 et 61,
18ème année, Société de thanatologie,
décembre 1984, p.33.
87
deuil, sur une purification et sur une nouvelle alliance avec
la collectivité des ancêtres ».175
De plus, comme nous l'avons signifié plus haut, le
veuvage apparaît comme un rite d'intronisation, une initiation de la
veuve dans une nouvelle strate sociale. La veuve est préparée
dans le plus grand secret, aux pouvoirs mystiques et à la " bonne
gouvernance". Une date est fixée pour officialiser cette intronisation.
En outre, le jour de l'intronisation, on assiste à de nombreuses
cérémonies. Notons que ce rite d'intronisation est très
délicat (toute l'attention est accordée au nouveau
maître-initié) quand le nouveau maître-initié (veuve)
est mis symboliquement en relation sur le siège consacré au
maître-initié après le rituel du veuvage de cette veuve.
Enfin disons le, ce rituel n'est pas l'affaire de tous. Ceci pour dire que les
problèmes ne sont résolus que dans la société et
avec les individus de celles-ci, où ils apparaissent.
Tout comme l'enterrement du « maître-initié
», l'intronisation de la veuve du maître-initié, en tant que
rite sacré, se fait dans le secret par les acteurs concernés
puisque le secret renvoie au sacré, « le sacré est une des
dimensions du champ politique, la religion peut être un instrument du
pouvoir (...) dans le cadre des compétitions politiques.
»176 Nous pouvons convenir avec BALANDIER que le pouvoir est
source de compétition. Il faut souligner que le veuvage de
l'épouse d'un maître-initié, mère des jumeaux se
présente comme un rite de passage, d'initiation et d'intronisation de
cette dernière, dans la légitimé et la reconnaissance de
l'exercice de son pouvoir, de son autorité en tant que
maître-initié.
Par conséquent, l'intronisation débute
après le veuvage de la veuve un vendredi dans la nuit et s'achève
le dimanche matin. Dans la nuit du vendredi, on présente la veuve
à la communauté des maîtres-initiés, les ngangas,
les initiés y compris les autres veuves mères des jumeaux.
Après cette étape, la communauté choisis certains
initiés voire les ngangas vêtus d'un habillement spécial et
les visages maquillés de la poudre de padouk et du Kaolin blanc qui font
la sécurité de ce
175 Georges BALANDIER, Anthropologie politique, Paris,
Puf/Quadrige, 1999, p.131.
176 Ibid., p.137.
88
nouveau statut de la veuve au sein de la société
secrète masculine pendant ces trois jours.
La seconde étape du rite d'intronisation est celle des
épreuves, elle se fait toujours dans un grand secret. On introduit la
veuve dans la maison du siège sacré, où seuls les
maîtres-initiés ont le droit d'y accéder. Une fois dans la
maison du siège sacré, la veuve est soumise au rite
d'intronisation traditionnel. On la fait asseoir trois fois sur le siège
suivie des paroles telles que : (première fois) les
maîtres-initiés disent : « nous restons tous soumis
à tes ordres car c'est la volonté de ton défunt
époux et nous nous soumettons à ses paroles. »
(deuxième fois) ils disent encore : « personne ne peut prendre ta
place sans ta bénédiction ». (La dernière fois) tous
déclarent : « à partir d'aujourd'hui tu es le chef des
maîtres-initiés et nous te serviront comme il se doit
».
En outre, la veuve reste dans cet endroit en compagnie des
maîtres-initiés, les ngangas, y compris des veuves mères
des jumeaux pour invoquer les esprits et l'Ondoukoué, le maître
des maîtres des rites. Ensuite le dimanche la veuve est
présentée officiellement à la population du village. La
tradition exige que le nouveau maître-initié soit
transporté en tipoï pendant cette dernière étape par
des acteurs bien précis, dans son nouveau statut. Mais avant de
débuter la procession, la veuve va se purifier avec le sang d'un animal
féroce177. Elle va poser son premier pas de
maître-initié dans ce sang pour sa purification et avec elle, tous
les autres maîtres-initiés.
C'est fort de toutes ces étapes que nous affirmons que
le veuvage se présente comme une initiation qui intronise la veuve dans
la confrérie des maîtres-initiés en tant que nouveau
maître-initié et qui lui fait « abandonner la condition
humaine normale pour accéder à la possession de pouvoirs
surnaturels (initiations magiques) ».178
177 Il s'agit en général de la panthère.
Toutefois, en l'absence de cet animal, on peut utiliser le sang de
l'éléphant.
178 Florence BIKOMA, op.cit., p.128 citant Ph. RAUSIS in
L'initiation, Paris, Fidès, 1993, p.8.
89
Cependant, nous ne voulons pas occulter le fait qu'un
éventuel conflit puisse subsister à propos de l'irruption, de
l'arrivée, de l'intronisation de ce nouveau maître-initié
au sein de la communauté des initiés. Ce conflit "phallique"
naît donc le jour où la veuve fait subséquemment son
entrée au sein de ladite communauté. En effet, lors de son
intronisation, plusieurs questionnements sont suscités de la part de
certains maîtres-initiés qui n'approuvent pas la présence
de la veuve au sein des hommes. Pour ces hommes, il est inadmissible de voir
une femme occuper la place d'un maître-initié, même si c'est
la volonté de son défunt époux ; cette femme n'a pas de
phallus mais aura les mêmes privilèges qu'un homme qui a fait sa
première initiation c'est-à-dire le jour de sa circoncision.
Car dans la société Akélé, la
circoncision est la première initiation de l'homme, mais la veuve n'est
pas passée par cette étape. Or elle accède au plus grand
grade des hommes initiés, un grade qui n'est pas accessible à
tous les hommes. C'est un grade, un stade qui apparaît comme très
sélectif en ce sens que ce n'est pas n'importe quel homme qui y
accède. Par conséquence, la veuve y accède parce qu'elle
est la mère des jumeaux, épouse d'un défunt
maître-initié et hérite du statut de celui-ci. Ce qui est
mal perçu par les hommes. On se rend compte qu'il s'agit d'une question
de phallus ici pris comme prétexte pour exclure la femme du champ
politique parce que la politique serait a priori l'affaire des hommes.
90
Chapitre IV : L'appropriation du statut de «
femme-homme » par la veuve, mère de jumeaux
« L'histoire de toute société n'est que
l'histoire de la lutte des classes » disait MARX. Comme quoi, à
travers la question relative à l'appropriation de son nouveau statut de
« maître-initié », l'épouse du
maître-initié, mère de jumeaux devenue veuve, doit
s'inscrire dans une lutte politique où elle doit s'affirmer au sein de
la communauté des maîtres-initiés. En tant qu'acteur social
mais surtout politique, elle se doit d'écrire son histoire étant
donné sa conscience et sa position de classe. Cela est davantage
illustré par sa présence au corps de garde comme le sens des
objets qu'elle héritera.
Section 1 : La présence de la mère des
jumeaux au corps de garde
1. La symbolique de sa présence parmi les hommes
« Aucun groupement, aucune organisation sociale ne peut
se donner à voir si ce n'est à travers des symboles qui
manifestent son existence. »179 Philip BRAUD, à travers
cette phrase, met en évidence les différentes
représentations que chaque individu pourrait identifier dans l'univers
dans lequel il vit et auquel il appartient. Tel est le cas par exemple des
drapeaux de différents pays ou le cas des logos des différents
partis politiques qui représentent notre appartenance. Notre auteur va
même plus loin en disant que « les symbolisants, c'est-à-dire
les " supports" du symbolique, peuvent être de nature extrêmement
variée. »180 Certaines circonstances montrent que chaque
individu agit selon son pays, son groupe ethnolinguistique, sa position sociale
ou son appartenance politique.
179Philip BRAUD, Sociologie politique,
8ème édition, Paris, Librairie Générale
de Droit et de Jurisprudence/Montchrestien, 2006, p.103.
180 Ibid., p.106.
91
Si l'on prend le cas du Gabon, on se rend compte que tous les
groupes ethnolinguistiques réservent des traitements particuliers
à la naissance des jumeaux et aux jumeaux. En effet, il ya toujours des
objets symboliques qui ont une grande signification comme les plumes de
perroquet, la clochette, la corbeille,
etc. et qui témoignent de l'estime
mais surtout qu'ils sont considérés comme des êtres
sacrés. Pour revenir à notre sujet, disons que la symbolique de
la présence de la veuve d'un maître-initié dans la
société Akélé traduit une grande portée
symbolique, car nous sommes en présence d'un lien entre le symbolisant
(la tradition, la communauté) et le symbolisé (la personne qui
subit par contrainte).
Cette veuve d'un maître-initié, par des rites, a
un temps où elle n'exerce plus rien puisqu'elle est mise dans un endroit
où elle ne voit presque plus personne. Après cet isolement, elle
apparaît comme si elle venait de ressusciter. Cet acte a une
portée symbolique chez les hommes ; la veuve était
considérée pendant cet isolement comme morte, mais elle
apparaît maintenant avec un statut supérieur.
La présence de la veuve d'un maître-initié
mère de jumeaux au corps de garde chez les Akélé du
Moyen-Ogooué traduit symboliquement le passage d'un statut à un
autre ; de la classe sociale de femme à celle de « femme-homme
» ; « un homme particulier » : « un
maître-initié. » Plus important encore, c'est de se rendre
compte que dans cette société symbolique lignagère, on est
dans une société où les rapports sociaux de sexe sont
inégalitaires. Et qu'effectivement, la « propriété
caractéristique de l'être humain, l'activité symbolique
apparaît étroitement liée à la communication entre
les individus, donc à l'échange de signes. »181
Ce nouveau « maître-initié » qu'est la veuve mère
des jumeaux transmet le message selon lequel l'émancipation de la femme
n'est pas impossible ; à condition que cette émancipation
féminine se fasse dans le strict respect des us et coutumes de la
société.
Enfin, la présence de la mère des jumeaux veuve
d'un maître-initié qui est chargée symboliquement de sens,
marque le début d'une restructuration de la
181 Philip BRAUD, Sociologie politique, ibid., p.104.
92
hiérarchie ; de la starification sociale de la
société symbolique lignagère Akélé du Moyen
Ogooué de Bellevue. Il ne s'agira plus de lire cette dernière
uniquement sous l'angle androcentrique ; plutôt sous l'angle des rapports
sociaux de sexe qui tendent à être égaux entre l'homme te
la femme.
En somme, pour parler de l'efficacité politique du
symbolique, BALANDIER nous rappelle à ce sujet que « le pouvoir ne
peut s'exercer sur les personnes et sur les choses que s'il recourt, autant
qu'à la contrainte légitimée, à des outils
symboliques et à l'imaginaire ».182 Autrement dit, le
pouvoir repose sur des objets symboliques et sur les fétiches, car ces
objets symboliques et les fétiches représentent un
intérêt dans les us et coutumes dans la plupart des
sociétés gabonaises construites autour de leurs imaginaires et
représentations sociales.
2. Le panier reliquaire comme bien symbolique
Le pouvoir du maître-initié est basé sur
des considérations religieuses. En effet, il est détenteur du
rite Ondoukoué et du panier de reliques, qui a une portée
symbolique. Ainsi, « chaque membre du clan et chaque mère des
jumeaux sont conviés à leur mort de contribuer à la survie
du groupe en offrant un os. »183 Partant de ce point de
vue général, notre travail s'inscrit sur la symbolique du panier
de reliques de la veuve mère des jumeaux dans le groupe
ethnolinguistique Akélé du Moyen-Ogooué du village de
Bellevue.
Selon nos mêmes informateurs, dans la
société Akélé, le panier de reliques joue un
rôle prépondérant car il sert de
désenvoûtement, de protection, voire d'outil qui permet la bonne
marche des activités, la paix dans le village et le maintien de l'ordre
dans le village et la continuité de la tradition. Puis, il convient
d'ajouter qu'il contient des ossements des ancêtres et autres objets
symboliques qui font asseoir et légitime le pouvoir du détenteur
de ce panier de reliques.
182 Georges BALANDIER, Le Détour. Pouvoir et
modernité, Paris, Fayard, 1985, p.88.
183 Propos donnés par nos informateurs en avril 2009.
93
Soulignons que ce panier de reliques fait l'objet de marque
d'attention de la part de la communauté des initiés. En effet, il
contient les restes de l'ancêtre fondateur du clan. Ce qui fait que sa
sortie fait office pour la circonstance d'un culte des ancêtres.
Considérons par exemple le cas du culte byéri chez les fang.
« Le byéri est simplement une pratique rituelle tout comme la
flamme du souvenir consistant en un culte privé, familial, rendu aux
mânes des ancêtres, afin, à la fois d'attirer leur
bienveillance et leur protection et d'honorer leur mémoire
».184
Ici donc, le culte des ancêtres se perpétue dans
notre société parce qu'il demeure omniprésent au sein du
clan et du village, mais c'est aussi un moyen de communication entre les
vivants et les morts. A travers ce culte des ancêtres, des voeux sont
émis avant le dépôt des offrandes, si les offrandes
disparaissent, cela veut dire que les ancêtres ont accepté de
réaliser les voeux. Le culte des ancêtres constitue ainsi un des
rapports du pouvoir politique de la veuve mère des jumeaux dans
l'exercice de son statut de maître-initié.
En outre, le panier des reliques comme « le culte du
byéri qui n'est qu'une des formes du culte des ancêtres et qui au
Gabon notamment, est à la base de diverses sociétés
initiatiques et pratiques rituelles ».185 Enfin, le panier de
reliques a une partie symbolique car il est au centre de toutes les
cérémonies initiatiques et religieuses du groupe
Akélé.
184 André RAPONDA-WALKER et Roger SILLANS, Rites et
croyances des peuples du Gabon. Essai sur les pratiques religieuses d'autrefois
et d'aujourd'hui, Libreville, éd. Raponda-Walker, (coll. «
Hommes et société »), 2005, p.147.
185 Ibid., p.146.
94
Section 2 : La symbolique des objets
hérités par la veuve
1. La signification des objets hérités
Pour Philipe BRAUD, « il convient de souligner que la
dimension symbolique n'est pas intrinsèque aux objets qui en constituent
le support. Elle est construite par un travail continu de régulation et
d'enrichissement du sens, mené au sein du groupe par des
autorités perçues comme légitimes ».186
Autrement dit, l'importance d'une symbolique n'est pas propre aux objets qui
sont une base. Cette dimension symbolique se perpétue
c'est-à-dire elle va de génération en
génération, c'est une tradition que l'on applique, puisqu'elle
est administrée par les législateurs (ici les
maîtres-initiés). Considérons par exemple le cas des
églises catholiques, nous nous rendons compte que devant chaque
devantures de ces lieux de cultes et de prières, il ya toujours un
clochet.
Toutes ces images ou représentations montrent
l'intérêt symbolique des objets. La citation de Philipe BRAUD nous
indique entre autre que c'est l'homme qui donne de l'importance aux choses et
non le contraire. Ce n'est pas tant les choses qui donnent de l'importance
à l'homme. Par exemple, l'or en lui-même ne représente
rien, c'est l'homme qui lui confère une importance. Ce qui justifie a
priori les guerres fratricides à cause de ce métal qu'il
considère comme précieux. Il faut ajouter que l'objet en
lui-même n'a rien de spécial, mais comme il est utilisé
dans un cadre socioculturel et rituel qui rendrait compte à cet objet sa
dimension symbolique et sacrée. A cela, l'objet n'a de sens que parce
qu'il est utilisé dans un contexte précis.
S'agissant du veuvage de la femme d'un
maître-initié mère des jumeaux, il ya une panoplie d'objets
qu'elle hérite pour la circonstance à savoir le panier des
reliques, la poudre de padouk, le Kaolin blanc, le raphia et la statuette
gardienne des reliques. En ce qui concerne le panier des reliques, cet objet
représente le ventre du maître-initié ; la poudre de padouk
est le symbole de la vie. Quant au Kaolin blanc, il
186 Philipe BRAUD, Sociologie politique, op.cit.,
p.104.
95
est le symbole de pureté ; le raphia est une
couverture. Enfin, la statuette gardienne des reliques symbolise une femme
assise qui surveille sas enfants.
Ces objets hérités servent à consacrer,
à introniser la veuve mère des jumeaux dans son nouveau statut :
celui de nganga et de maître-initié voire de fétiche
politique. Une allusion est ici faite au nouveau président de la
République, Chef de l'Etat S.E madame Rose Francine ROGOMBE qui a
prêté serment sur la Constitution gabonaise en présence des
membres du Gouvernement, du Sénat, de l'Assemblée Nationale,
etc., pour que son pouvoir soit reconnu, légitimé dans l'exercice
de ses fonctions de président de la République, Chef de
l'Etat.
Mieux encore, « on peut traduire l'efficacité du
rituel par la transmutation de la femme qui acquiert le statut d'initié
du défunt (...) comme une femme capable de gérer sa vie de
manière autonome ».187 Jl s'agit là bien d'un
héritage des biens symboliques du mari et qui confèrent à
la veuve un statut d'initié à part entière...la mort de
son mari comme rite de passage. Par ailleurs, « la confiance en son
époux et le transfert de ses forces en elle la rassurent et brisent le
sentiment de solitude encore manifeste ».188 Ceci est toujours
question des biens d'héritage.
Objets à la naissance
|
Langue
|
Objets au veuvage
|
187 Jean-Ferdinand MBAH, « Veuvage et rupture
de la relation d'alliance, illusion sur une pratique sociale récurrente
en milieu urbain », Rupture-Solidarité, n°5-2004,
p.118.
188Ibid., p.119.
96
La poudre de padouk
· Le Kaolin blanc
· Le jonc que l'on attache croisés à la
poitrine de la mère des jumeaux
· 2 plumes rouges de perroquet
· 1 Grelot
· 1 Corbeille
· 1 tabouret
|
Mboulè189 Pembè190 Lendanka191
Nguiania
kouss192 Legun193 Guiapa194 Lechiwa195
|
· La poudre de padouk
· Le Kaolin blanc
· Le jonc que l'on attache à la poitrine
· 2 plumes rouges de perroquet
· 1 Grelot
· 1 Corbeille
· 1 tabouret
|
Tableau n°3 : La correspondance des
objets matériels du pouvoir à la naissance des jumeaux et lors du
veuvage
Pour ZAMBEGUIENE196 tous ces objets enrichissent le
caractère puissant de la mère des jumeaux à la naissance
des jumeaux et lors de son veuvage. A travers ce tableau des objets symboliques
communs par la naissance et lors du veuvage de la mère des jumeaux ; il
nous permet de voir l'importance de ces objets matériels communs dans la
société Akélé de Bellevue dans le
Moyen-Ogooué ; importance symbolique.
Prenons le cas du Grelot, nous voyons qu'il occupe une place
primordiale, de part et d'autre, dans l'invocation des génies. Le Grelot
que porte la mère des jumeaux à la naissance et lors du veuvage
est aussi utilisé par les maîtres-initiés. Il symbolise la
force, le pouvoir et le lien avec les génies.
Dans certains traitements et l'initiation, les Ngangas
utilisent la poudre de padouk et le Kaolin blanc pour soigner mais les
maîtres-initiés les utilisent pour initier. C'est le cas de la
mère des jumeaux que l'on maquille à la naissance des jumeaux et
lors des rituels avec ces produits symboliques.
189 Il symbolise le sang, la création c'est-à-dire
la maternité des jumeaux.
190 Il symbolise la clarté dans toute activité tout
comme il représente le sperme.
191 Il représente la maternité.
192 Il représente la force du caractère, la
prévoyance, l'intelligence, le pouvoir et la prudence.
193 Il représente la force du Mungala et le lien avec les
génies.
194 Il symbolise le ventre qui garde tout ce que les jumeaux
possèdent durant leur existence, ainsi que la mère.
195 Il symbolise l'élévation de la femme dans le
village.
196 Un de nos informateurs rencontrés lors de notre
terrain à Bellevue le 23 avril 2009 sur Lambaréné.
Enfin, il n'ya pas que le grelot, la poudre de padouk te le
Kaolin Blanc que l'on utilise pour les circonstances d'ordre commun. Nous avons
d'autres attributs cités dans le tableau ci-dessus à savoir :
Lendanka, Lechiwa, Nguania kouss et guipa qui ont un rapport avec le pouvoir et
symbole le pouvoir d'un chef. Aussi, pour une meilleure appréciation de
ces objets, nous nous proposons une série de photos de ces objets
cités ci-dessus :
Photo n°1 : la corbeille ou
Guiapa
Source : Janny DIVAGOU-IBRAHIM-KUMBA, avril
2009
Cette photo illustre la corbeille, objet sacré
indispensable au même titre que le panier des reliques. Il sert de
réserve auxiliaire dans lequel on peut mettre certains
éléments de la veuve tels que la poudre de padouk, le Kaolin
blanc, etc.
97
Photo n°2 : Les plumes de perroquet ou
Nguiana-kouss
Source : Janny DIVAGOU-IBRAHIM-KUMBA, avril
2009
Ces plumes rouges sont posés sur la tête de la
mère des jumeaux pendant la naissance et pendant le veuvage voire
pendant son intronisation dans la classe des maîtres-initiés.
98
Photo n°3 : La poudre de padouk ou
Mboulé
99
Source : Janny DIVAGOU-IBRAHIM-KUMBA, avril
2009
On aperçoit ici les noix de padouk que l'on
écrase et que l'on applique par la suite sur le front. S'agissant de la
veuve, la poudre obtenue sert à la maquiller. C'est un
élément essentiel dans les rites initiatiques
Akélé, disons-le, voire incontournable. Par ailleurs, les taches
blanches du kaolin blanc sur ces noix de padouk symbolisent la pureté ;
ces noix de padouk ont été photographiées lors d'une
naissance des jumeaux au village Bellevue, alors qu'elles étaient
emballées dans un sac contenant le kaolin blanc et les autres artifices
pour la sortie de la période de réclusion de la veuve.
Photo n°4 : Le kaolin blanc ou
Lapembè
Source : Janny DIVAGOU-IBRAHIM-KUMBA, avril
2009
Différentes boules de kaolin blanc sont ici
exposées, il s'agit de boules de kaolin qui ont servi lors de la
période de réclusion de la veuve, photographiées lors de
notre période de terrain au mois d'avril 2009.
100
Photo n°5 : Legun ou grelot
Source : Janny DIVAGOU-IBRAHIM-KUMBA, avril
2009
Legun sert, comme nous l'avons déjà dit,
à entrer en contact avec le monde des esprits afin de les supplier
d'intervenir dans le monde des vivants pour répondre à leurs
nombreuses sollicitudes. Lui aussi est un élément indispensable
dans les rituels Akélé.
101
2. Le rôle des objets hérités
102
L'exercice et la légitimité du pouvoir passe non
seulement par le(s) rite(s) d'intronisation mais aussi et surtout par
l'héritage de biens ou objets symboliques pour la circonstance qui sont
tout aussi chargés de sens. Quels sont ces objets ?
Il s'agit du panier des reliques, de la poudre de padouk, du
Kaolin blanc, la statuette gardienne des reliques qui, comme nous l'avons dit
plus haut, vont permettre l'assise du pouvoir de la veuve mère des
jumeaux dans la légalité et la légitimité. Car nous
sommes en face d'une société structurée et
stratifiée. A ce propos, les objets ou « les outils symboliques
servent aussi à asseoir des hiérarchies, à souligner des
différentes d'autorité et de rang, à dire qui est au
centre de l'ordre social (...) »197 ; comme ils apparaissent en
tant que marqueur social de la mise en évidence de la stratification
sociale. Nous pouvons dire que le panier des reliques, la poudre de padouk, le
kaolin blanc( pour ne citer que ces objets) sont à la veuve mère
des jumeaux ce que le sceptre et la couronne sont à la veuve au roi ou
à la reine ; c'est-à-dire des objets de commandement dans
l'exercice du pouvoir suprême ; d'autant plus que ces objets
hérités, mieux ces « symboles servent donc également
à instruire (...) et ont pour objet de revivifier la mémoire
(...) »198 du disparu.
Par ailleurs, ces objets symboliques hérités ont
cette particularité de présenter un caractère politique ;
de mieux lire le phénomène politique. En définitive, ces
« ... symboles politiques ont enfin pour finalité d'exhiber un
ordre idéal du monde (ou des choses) qui correspond plus ou moins
à celui qui règne concrètement ».199 Et
qu'ils sont des attributs du pouvoir que possèdent les chefs de lignages
ou de cultes dans les sociétés symboliques lignagères.
Nous retiendrons que les objets hérités par la
veuve mère des jumeaux véhiculent un message à celui ou
celle qui les reçoivent. Pour la société su=symbolique
lignagère Akélé du Moyen-Ogooué, ces objets
hérités jouent un rôle politique dans l'acquisition, la
gestion, la légitimité ; en un mot dans l'exercice du
197 Philipe BRAUD, Sociologie politique, 8ème
édition, Paris, L.G.D.J, 2006, p.113.
198 Ibid., p.113.
199 Ibid., p.116.
pouvoir. De plus, et selon nos informateurs200, il
ya lieu de préciser que « ces objets incarnent les génies,
ils sont utilisés pour éloigner les sorciers, pour les deuils,
les initiations ».201 Il faut souligner que « ces objets
hérités ici sont des symboles de puissance et de force
».202
Le panier de reliques, la poudre de padouk, le kaolin blanc,
le raphia et la statuette gardienne des reliques confirment à cette
veuve, désormais détentrice officielle, le statut de «
maître-initié » dans le village. Le panier de reliques par
exemple apparaît ici comme une protection pour son propriétaire,
lorsqu'il ya une situation délicate ; le propriétaire en fait
usage en invoquant les ancêtres afin de ramener l'ordre dans le village
par des danses, sacrifices, les initiations et autres commémorations.
103
200 Nos 5 informateurs sont tous du même avis quant
à cette question liée au rôle joué par les objets
hérités.
201 Propos des informateurs, c'est-à-dire des
maîtres-initiés.
202 Ibidem.
104
Conclusion de la deuxième partie
Dans cette étude, nous nous sommes proposés
d'examiner une question sensible centrée sur la mort, en interrogeant le
veuvage de la femme d'un maître-initié, mère des jumeaux
dans le milieu Akélé de la province du Moyen-Ogooué ;
précisément du village Bellevue. En effet, dans cette
société symbolique et lignagère, la naissance, la
circoncision, le mariage et la mort, sont des phénomènes aussi
bien biologiques et sociaux ; et qui marquent la société dans son
ensemble. Autrement dit, l'arrivée de l'homme dans le monde, son passage
d'un état civil à un autre et son départ pour un autre
monde est traduit par la mort.
Ainsi, l'état de la mort, qui s'accompagne du veuvage
et qui, au lieu d'être un moment au cours duquel la veuve doit abandonner
toutes ses activités, considérant qu'elle n'a plus de soutien de
son défunt mari, est plutôt une instance spéciale de prise
de pouvoir. La veuve devra désormais se « prendre en charge seule
», c'est une sorte d'initiation qui lui permettra de s'approprier le
statut social de son mari défunt. Chez les Akélé, la
pratique du veuvage est révélatrice de l'intronisation de cette
épouse d'un maître-initié mère des jumeaux dans les
rites masculins pour occuper une place intéressante dans la vie publique
et politique du village.
Par ailleurs, la société Akélé
appréhende le pouvoir de la veuve d'un maître-initié
mère des jumeaux à travers son intronisation dans le cercle des
maîtres-initiés, c'est-à-dire que finalement, le veuvage
est une initiation. Et les objets qu'elle hérite pour la circonstance
ont une portée très symbolique. Comme le dit BALANDIER, «le
pouvoir ne peut s'exercer sur les personnes et sur les choses que s'il recourt,
autant qu'à la contrainte légitimée, à des outils
symboliques et à l'imaginaire ».203 D'où, «
aucun groupement, aucune organisation sociale ne peut se donner à voir
si ce n'est à travers des symboles qui manifestent son existence
».204
203 Georges BALANDIER, Le Détour. Pouvoir et
modernité, Paris, Fayard, 1985, p.88.
204 Philip BRAUD, Sociologie politique,
8ème édition, Paris, Librairie Générale
de Droit et de Jurisprudence/Montchrestien, 2006, p.103.
105
Par conséquent, chez les Akélé, le
veuvage de la femme d'un maître-initié, mère des jumeaux
conduirait à jouer un rôle important dans la vie politique du
village par plusieurs étapes dans les rites initiatiques masculins ;
avec le concours des autres maîtres-initiés qui ne font
qu'appliquer les dernières paroles ou volontés du défunt
maître-initié. En définitive, ce Mémoire de
Maîtrise nous permet de lire la pratique sociale qu'est le veuvage.
106
Conclusion générale
A la lumière de ce qui précède, la
présente étude que nous soumettons à l'appréciation
de nos lecteurs est le fruit d'un chercheur en formation. Puisque lorsqu'un
apprenti chercheur mène une investigation dans un domaine précis,
il est loin de se douter des controverses que son travail peut susciter.
Toutefois, notre travail qui se propose d'étudier la femme d'un
maître-initié mère des jumeaux en situation de veuvage,
nous a permis autant que possible d'arriver à certaines conclusions
telles que le veuvage, est un rite initiatique et d'intronisation de cette
femme mère des jumeaux et veuve d'un maître-initié. En
outre, ce veuvage est un rite de passage qui la conduit à quitter du
statut de femme à celui de maître-initié, Nganga, ou alors
tout simplement un chef politique et religieux en héritant des biens
symboliques de son défunt mari.
Ce qui atteste que le veuvage dans la société
Akélé est une instance spéciale de prise de pouvoir. Notre
problématique s'est focalisée sur la veuve d'un
maître-initié mère des jumeaux en situation de veuvage qui
conduit à un changement de statut social. Ce qui veut dire que c'est la
perte de l'époux qui permet à cette dernière de changer de
statut social au sein de cette communauté. Mieux encore, en portant
notre regard sur la pratique sociale du veuvage, notre hypothèse selon
laquelle on constate que le veuvage de la femme d'un maître-initié
mère des jumeaux conduit donc à un changement de statut social
parce qu'elle hérite du statut de son mari et de ses biens symboliques.
Dans la même perspective, BALANDIER affirme que « le pouvoir ne peut
s'exercer sur des personnes et sur les choses que s'il recourt autant
qu'à la contrainte légitimée, à des outils
symboliques et à l'imaginaire ».205
205 Georges BALANDIER, Le détour. Pouvoir et
modernité, Paris, fayard, 1985, p.88.
Plus loin, BRAUD nous dit qu' « aucun groupement, aucune
organisation sociale ne peut se donner à voir si ce n'est à
travers des symboles qui manifestent son existence ».206 Enfin,
la veuve d'un maître-initié mère des jumeaux est
considérée comme un fétiche politique du moment où
elle devient un chef politique par la pratique sociale du veuvage à
laquelle elle a traversé. Etant donné que dans la
société Akélé, un chef politique est la personne
qui détient aussi le pouvoir religieux. Nous affirmons donc que le
veuvage dans la société Akélé permet à la
veuve d'être un maître-initié au même titre que son
défunt époux par des rites de passage.
107
206 Philippe BRAUD, Sociologie politique,
8ème édition, Paris, L.G.D.J, 2006, p.103.
108
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méthode sociologique, 11ème éd., Paris,
PUF (coll. « Quadrige »), 2002, 149 p.
10. GRAWITZ M., Méthodes des
sciences sociales, Paris, 10ème éd., Dalloz,
1996, 920 p.
11. GRAWITZ M., Méthodes des
sciences sociales, Paris, 11ème éd., Dalloz,
2001, 989 p.
12.
109
MAYER R., Histoire de la famille
gabonaise, 2ème éd., revue et augmentée,
Libreville, Editions du LUTO, 2002, 269 p.
13. MBAH J-F., La
recherche en sciences sociales au Gabon. Préface de L.V Thomas,
Paris, l'Harmattan, (coll. « Logiques sociales »), 1987, 190
p.
14. MACE G., Guide d'élaboration
d'un projet de recherche. Méthode en sciences humaines, 2ème
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15. QUIVY R. et VAN CAMPENHOUDT L.,
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16. ROBERT A.D., et BOULLAGUET A.,
Analyse de contenu, Paris, (coll. « QSJ ? »), 1997,
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17. RONGERE P., Les méthodes en
sciences sociales, 3ème éd., Paris, Dalloz (Coll.
« Mémentos »), 1979, 200 p.
18. SOUMAHO M.N, Eléments de
méthodologie pour une lecture critique, préface de J.COPANS et
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l'Harmattan, 2002, 143 p.
III. Ouvrages spécialisés
19. BALANDIER G., Civilisés
dit-on, Paris, 2003, 394 p.
20. BALANDIER G., Anthropologie
politique, Paris, Puf /Quadrige, 1999, 240 p.
21. BALANDIER G., Le pouvoir sur
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22. BALANDIER G., Le détour.
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23. BALANDIER G., Le pouvoir sur
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24. BALANDIER G., Sens et puissance,
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25. BOURDIEU P., La domination
masculine, Seuil, (coll. « Liber »), 1998, 134 p.
26.
110
BOURDIEU P., Choses dites, Paris,
Editions de Minuit, (coll. « Le sens Commun »), 1987, 228
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27. COT J-P et MOUNIER J-P., Pour une
sociologie politique, tome 2, Paris, éditions du Seuil, (coll.
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28. DURKHEIM E., les formes
élémentaires de la vie religieuse, Paris, (coll. «
Le livre de Poche », classiques de la philosophie, 1991, 758 p.
29. GODELIER M., Au fondement des
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Idées »), 2007, 287 p
30. HEUSCH L. (de), Le roi du Kongo et
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31. HERITIER A.F.,
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32. MBAH J.F, Spectacle et
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Repères »), 2007, 107 p.
34. OGOULA-M'BEYE (Pasteur), Galwa ou
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38. THOMAS L-V., Mort et pouvoir,
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39. THOMAS L-V., Anthropologie de la
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111
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41. TONDA J., Le Souverain moderne. Le
corps du pouvoir en Afrique centrale (Congo, Gabon) Paris, Karthala,
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42. VAN GENNEP A., Rites de passage,
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revues
43. ALTHUSSER L., La pensée. La
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1970, 38p.
44. ANGOUE A. Cl., « De la
duolinéarité à l'illusion de l'unilinéarité
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in Revue Gabonaise de sociologie, n°1, Paris, CRES/L'Harmattan,
2009, 186 p.
45. HEGEL F., « L'origine de la famille, de la
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2009.
46. HEGEL F., « Lutte des classes
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la propriété privée d'Etat », in
www.google.com ,
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47. MARX K. et ENGELS F.J., « Le
manifeste du parti communiste », article tiré du site
http://www.marxistes.org/français/marx/work/1847/00/km
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49. MBAH J-F., «
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50.
112
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anthropologique » in Encyclopédie Universalis
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51. THOMAS L-V., « les rites
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ème année, Société de thanatologie,
décembre 1984, tiré sur
www.google.com
52. TONDA J., Enjeux du deuil et
négociations de rapports sociaux de sexe au Congo in Cahier
d'étude africaine, 157. XL. 1, 2000, pp.5-24.
V. Thèse(s) de Doctorat, Mémoire(s) de
Maîtrise et Rapport(s) de Licence
53. BATCHEMA G., Les modalités du
veuvage chez les Mahongwé, Mémoire de Maîtrise
en Anthropologie comparée, Libreville, UOB/FLSH, 2001,100 p.
54. BIKOMA Fl., Socialisation de la
femme accomplie Mukaas wadya makoma bya chez les Nzébi du Gabon,
Thèse de Doctorat en Ethnologie-Anthropologie,
Université Montpellier III Paul VALERY, 2004, 457 pages.
55. IKOGOU-RENAMY L.C., Le
marché des restes humains. Etude sur le fétichisme politique
à Libreville, Mémoire de Maîtrise en
Sociologie, Libreville, UOB/FLSH, 2008, 115 p.
56. MABADI MAHEBA E.B., Ambivalence et
pouvoir : Mongala et le culte des jumeaux chez les Mahongwé,
Mémoire de Maîtrise en Anthropologie, Libreville,
UOB/FLSH, 2005, 97p.
57. NGOUA M.A., La sorcellerie du Kong à Bitam :
une manifestation symbolique de l'Etat capitaliste, Libreville, UOB/FLSH,
Rapport de Licence en Sociologie, sept.2005, 25 p
113
58. OSSOMBEY J., Société
Kélè du Gabon précolonial : milieu de vie,
sociétés initiatiques et pouvoir politique. Des origines à
1910, Libreville, UOB/FLSH, Mémoire de Maîtrise en
Histoire et Archéologie, sept.2005, 100 p.
59. TOKA F., le veuvage et la valorisation de la femme dans la
société Akélé, Rapport de Licence en
Sociologie, UOB/FLSH, 1997, 27p.
VI. Document(s) officiel(s)
60. La fédération des
associations féminines (FAF) de l'église
évangélique presbytérienne du Togo (EEPT), Evangile et
culte : La FAF lutte contre le veuvage. Hongrie du 8 au 20 Août
1997. pp. 1-12.
VII. Moteurs de recherche
61.
www.google.com
62.
http://www.marxistes.org/français/marx/work/1847/00/km
fe 184700
63.
www.google.fr
114
Table des matières
Dédicace
Remerciements
Liste des illustrations
Liste des tableaux
Sommaire
Introduction générale .
|
1
|
Les préalables épistémologiques
|
..3
|
Section 1 : Objet et Champ de l'étude
|
.3
|
1- Le veuvage de l'épouse d'un
maître-initié, mère de jumeaux
|
. .3
|
2-La sociologie politique comme cadre de
référence
|
4
|
Section 2 : Construction du modèle
d'analyse
|
8
|
1- La question politique à travers le veuvage dans la
littérature sociologique
occidentale ...8
2- Les universitaires africanistes et gabonais face à
la question de la mort ( donc du
veuvage) à travers le fait politique .11
3- Perspective de notre problématique du veuvage de
l'épouse d'un maître-initié,
mère de jumeaux
|
.19
|
4- Enonciation de notre hypothèse de recherche
|
..21
|
5- Définition et construction du concept fondamental
|
22
|
|
5-1. Définition du concept du
«changement de statut» comme concept fondamental de
notre étude
|
.23
|
5-.2. Tableau n°1 : Construction
du concept de «changement de statut»
|
.24
|
Section 3 : Démarche
méthodologique
|
25
|
1-Cadre empirique de la recherche
|
25
|
? Carte n°1 : Localisation
géographique du village Bellevue
|
25
|
1.1. Les veuves mères des jumeaux du
village Bellevue dans le Moyen-Ogooué
comme univers d'enquête principalement
|
25
|
? Carte n°2 : Localisation
géographique de la province du Moyen-Ogooué
|
26
|
2- Caractéristique de notre
échantillon
|
. 27
|
3-Technique de collecte et de traitement des
données
|
28
|
3.1. L'entretien comme technique de collecte des
données
|
28
|
? L'entretien semi-directif comme technique de collecte
des données
|
29
|
3.2. L'analyse de contenu comme variable
d'analyse des données
|
29
|
4. Limites de l'étude
|
.....30
|
Première partie : L'idéologie des jumeaux
chez les Akélé du Moyen-
Ogooué 31
Introduction de la première partie 32
Chapitre I : La vie politique des Akélé
et la naissance des
jumeaux..................................................................................................
.34
Section 1 : L'organisation politique des
Akélé 34
1- Le pouvoir politique des Akélé 34
2- La chefferie des Akélé ..35
Section 2 : L'origine mythologique sur les
jumeaux ...37
1- La naissance des jumeaux .37
2- L'attribution des noms des jumeaux 41
Chapitre II : Les représentations sociales des
jumeaux dans la société
Akélé ..45
Section 1 : Les représentations sociales
des jumeaux et leur statut dans la société
Akélé, particulièrement au niveau des rites
initiatiques .46
1.1-Les représentations sociales des
jumeaux ..46
1.2- Le statut des jumeaux dans la
société Akélé : dans le Mungala et
l'Ondoukoué 48
? Le Mungala ..48
1.2.2- Le sacre d'un initié au Mungala
50
2.1-L'Ondoukoué 52
? Une origine aquatique et terrestre 52
2.2- Le sacre d'un initié à
l'Ondoukoué .56
? Tableau n°2 : La
comparaison entre le Mungala et l'Ondoukoué 58
Section 2 : Les hommes et les femmes dans la
société Akélé .59
1- Le rapport entre les hommes et les femmes 59
2- La domination masculine dans la société
Akélé ..61 2.1- La mère des jumeaux,
symbole de la domination des femmes sur les hommes..62
2.2- Le sexe de la femme comme pouvoir de
domination 66
115
Conclusion de la première partie 68
116
Deuxième partie : Le rituel du veuvage comme
transfert des biens
symboliques avec ses corollaires sur les femmes
..70
Introduction de la deuxième partie .
71
Chapitre III : Le question du veuvage dans la
société Akélé du
Moyen-Ogooué ..73
Section 1 : L'annonce du décès
comme moment de rupture de l'ordre social 73
1- Les conduites pré-mortèms dans la
description du décès 73
2- Les conduites post-mortèms dans la description du
décès .75
Section 2 : Fin du veuvage et nouveau
départ pour la veuve 77
1-Le retrait de deuil ou les
préparatifs de la cérémonie pendant la saison sèche
77
2- Le rite d'intronisation de la veuve au
milieu des maîtres-initiés ou veuvage comme
initiation 79
Chapitre IV : L'appropriation du statut de «
femme-homme » initié
|
par la veuve mère de jumeaux
|
83
|
Section 1 : La présence de la mère
des jumeaux au corps de garde
|
83
|
1-La symbolique de sa présence parmi les
hommes
|
83
|
2- Le panier reliquaire comme bien symbolique
|
..85
|
Section 2 : La symbolique des objets
hérités par la veuve
|
.87
|
1-La signification des objets
hérités
|
87
|
? Tableau n°3 : La
correspondance des objets matériels du pouvoir à la naissance
des jumeaux et lors du veuvage
|
89
|
La photo n°1 : «la
corbeille ou Guiapa »
|
.90
|
La photo n°2 : «Les
plumes de perroquet ou Nguiana-kouss »
|
. ..91
|
La photo n°3 : «La poudre
de padouk ou Mboulé »
|
92
|
La photo n°4 : « Le
kaolin blanc ou Pembè»
|
..93
|
La photo n°5 : « Legun ou
grelot»
|
94
|
2- Le rôle des objets
hérités
|
....95
|
Conclusion de la deuxième partie
|
97
|
Conclusion générale
|
...99
|
Références Bibliographiques
|
101
|
Table des matières
|
107
|
Annexe
|
|
|
|