La communauté libanaise et le développement économique de la Côte d'Ivoire 1960- 2001( Télécharger le fichier original )par Kouadio Adolphe N'GORAN Université Alassane Ouattara de Bouaké ( Côte d'Ivoire ) - Maà®trise 2012 |
Introduction1-Intérêt et justification du sujetLa Côte d'Ivoire a subi pendant plus d'un demi-siècle la colonisation française. L'administration coloniale a provoqué de nombreux bouleversements qui sont d'ordre politique, social, économique et démographique dans le cadre de la mise en valeur de la colonie de Côte d'Ivoire. Ces bouleversements ont affecté durablement les peuples ivoiriens. Au niveau politique, les peuples qui vivaient autrefois en petites tribus et séparés les uns des autres par les différences religieuses, ethniques sont désormais administrés par une seule entité politique. Au niveau économique, les Africains en général, les Ivoiriens en particulier, abandonnent l'économie de subsistance au bénéfice de l'économie commerciale avec l'avènement des cultures agricoles telles que le caoutchouc, le café, le cacao, le palmier à huile et bien d'autres cultures. Au niveau démographique, dans l'optique de mettre en place de grands espaces cultivables et d'exploiter la colonie de Côte d'Ivoire, le colonisateur a favorisé l'immigration des populations des colonies françaises de l'Afrique l'Ouest. Selon Pierre Kipré, pour la seule année 1932, les travailleurs voltaïques envoyés de force en Côte d'Ivoire pour la réalisation du chemin de fer et d'autres travaux, étaient estimés à 5000 personnes.1(*) A côté de ces ressortissants ouest africains, il y a la colonie venue du Moyen-Orient. Ce sont les ressortissants du Liban et de la Syrie. Leur migration en Afrique en général, en Côte d'Ivoire en particulier se confond avec le début de l'entreprise coloniale européenne. Entre la fin du XIXème et le début du XXème siècle, les Syriens et les Libanais subissaient l'oppression économique et politique de l'empire ottoman2(*). C'est ainsi que ces derniers ont migré en France précisément à Marseille et en Amérique Latine et quelques uns sont aperçus en Afrique surtout au Sénégal. Cette soumission prend fin en 1920 lorsque ces deux territoires furent placés sous mandat français au lendemain du premier conflit armé mondial. Les Syriens et les Libanais devinrent comme à partir de cet instant, citoyens français et immigrent en direction de l'Afrique grâce à ce mandat français. Leur colonie prend ainsi une proportion assez importante au cours de cette décennie. Plusieurs expressions permettent de désigner cette communauté asiatique d'Afrique. Il s'agit entre autres les Libanais, Asiatiques, Levantins. Souvent pour salir leur image, certains Européens pendant la colonisation leur attribuent ce lexique péjoratif tel que «hordes de parasites«, «d'envahisseurs«, «accapareurs« afin de leur nuire3(*). Selon le dictionnaire universel4(*), les noms composés « Libano-Syriens «et« Syro-Libanais« permettent de désigner à la fois les Libanais et Syriens d'Afrique. Le terme syro-libanais est utilisé pour désigner les citoyens libanais et syriens sur lesquels la France exerce un mandat de protectorat à la fin de la première guerre mondiale selon le pacte de la Société des Nations5(*). Même si sur le plan géographique, culturel et historique, les territoires libanais et syriens sont distincts, nombreux sont ceux qui attribuent le substantif libanais à tous les ressortissants de l'Asie et même de l'Afrique du Nord. Notre étude porte essentiellement sur les Libanais de Côte d'Ivoire. Les Libanais que nous étudions sont aussi ceux qui ont gardé leur nationalité d'origine que ceux ont adopté la nationalité ivoirienne et celle d'autres pays. Alors que l'on pensait que cette communauté libanaise allait partir de l'Afrique en général, en particulier de la Côte d'Ivoire à la fin de la colonisation, son établissement se poursuit pendant la période de l'après-indépendance. Et mieux la colonie libanaise continue de s'accentuer dans certains pays africains comme le Sénégal et la Côte d'Ivoire. A la faveur du conflit armé de 1975, de nouvelles vagues d'immigrations libanaises sont arrivés dans le monde entier. Ainsi l'on retrouve une forte communauté libanaise au Brésil, au Canada, au Sénégal, au Congo Zaïre et bien sûr en Côte d'Ivoire. En 1986, le président de l'Union libanaise culturelle mondiale alors en visite en Côte d'Ivoire estimait la communauté libanaise de l'étranger à plus de 16 millions de personnes alors que les Libanais restés au pays ne dépassaient guère 4 millions6(*). L e Brésil abrite lui seul plus de 10 millions de Libanais. Au Brésil, les ressortissants libanais sont entièrement intégrés, car non seulement ils ont réussi dans l'économie, mais également occupent des fonctions politiques soutient, Ramis Saad, le vice-président du conseil mondial et président du conseil brésilien. Il évalue la part des Libanais politiques au Brésil est de 12%. A cette période, l'on notait 2 ministres et deux gouverneurs qui sont d'origine libanaise.7(*) Au Sénégal et au Congo Zaïre, la population étrangère d'origine libanaise est plus de 30 mille personnes. Ces ressortissants libanais sont plus présents le commerce de gros et de détail et dans l'industrie agroalimentaire.8(*) En Côte d'Ivoire, la population d'origine libanaise oscille entre 60 et 100 mille personnes. Sur le plan économique, Pme magasine s'appuyant sur les statistiques internes des Libanais, publie que l'apport fiscal au budget de l'Etat est de 350 milliards Francs CFA par année. La masse salariale avoisine 180 milliards de Francs CFA.9(*) Florence Douat confirme cette forte présence dans l'économie ivoirienne. Mieux elle relève la proportion dans les différents secteurs d'activités économique10(*). Ainsi cette communauté est présente en Côte d'Ivoire au niveau du paysage économique et est même impliquée dans la vie sociale et culturelle, si bien qu'il serait difficile d'effectuer une étude économique en Côte d'Ivoire sans parler des Libanais dans la mesure où leur influence dans l'économie de la Côte d'Ivoire est visible. Malheureusement, si les expressions Syro-Libanais, Libanais, sont familières aux Ivoiriens, force est de constater que les mérites de cette communauté sont méconnus d'une frange de la société ivoirienne. Parfois pour les Ivoiriens, la présence des Libanais relève d'un mythe, car nombreux sont ceux qui leur attribuent des stéréotypes. Cette communauté serait fermée. Au niveau religieux, les Libanais de Côte d'Ivoire ont leur propres lieux de cultes qu'ils soient musulmans ou chrétiens. Au niveau de l'éducation, leurs enfants fréquentent les quelques écoles de mission libanaise et les établissements français. Enfin, les mariages mixtes sont presqu'inexistants. Mais au-delà, l'on les confond parfois à tort à la fraude ou à l'escroquerie, vu leur présence dans les affaires. Une telle ignorance sur le rôle de la communauté libanaise dans l'économie de la Côte d'Ivoire mérite que l'on mène un travail sur ces Libanais. En effet, même si la place de ces derniers n'est pas connue du grand public, cependant cette présence suscite de multiples questions. Que se cache derrière la présence des Libanais en Côte d'Ivoire ? Si la présence économique libanaise s'est avérée, comment se présente t-elle alors? A quel moment les investissements libanais deviennent-ils importants dans l'économie ivoirienne ? Quel est l'apport des Libanais dans la vie économique de la Côte d'Ivoire ? Comment les Libanais se sont-ils pris pour connaître un tel niveau de réussite en Côte d'Ivoire ? Toutes ces questions sans réponse du chercheur en science sociale montrent que la communauté libanaise mérite d'être étudiée. Les Libanais ont été l'objet de beaucoup d'écrits, cependant ces travaux portent sur l'histoire de l'immigration de cette communauté et aborde de façon sommaire la question économique. Une telle insuffisance a motivé en partie notre choix sur cette communauté en Côte d'Ivoire. Sur le plan scientifique, l'intérêt d'un sujet est important si l'on veut mieux connaître l'histoire des acteurs de l'économie de la Côte d'Ivoire moderne. En effet, on ne peut pas aborder l'histoire économique de la Côte d'Ivoire sans citer au passage cette communauté libanaise. Outre cela, on ne peut comprendre l'économie coloniale sans faire mention des Libanais. En somme, cette communauté mérite que l'on l'étudie. Pour mieux conduire notre étude, nous nous sommes proposé de l'étudier de 1960 à 2001. La date 1960 marque l'accession de la Côte d'Ivoire à la souveraineté suprême. De même, elle atteste le début effectif de la mise en oeuvre des reformes politiques et économiques des nouvelles autorités ivoiriennes. Quant à l'année 2001, elle représente l'inauguration du forum des marchés d'Adjamé, La réalisation de ce marché a été concédée à un promoteur franco-libanais Saïdi Mohamed, directeur général de la Société ivoirienne de Concept et gestion immobilière (Sicg) après un appel d'offres. La réalisation de ce projet a coûté plus de 16 milliards de Francs CFA.11(*)L'année 2001 marque également au plan politique l'entrée pour la première fois de deux personnalités d'origine libanaise au Conseil Economique et Social. Il s'agit de Fouad Omais et de Roland Dagher12(*) qui sont tous deux des hommes d'affaires ivoiro-libanais. La nomination de ces Ivoiriens d'origine libanaise atteste à la fois le souci des autorités ivoiriennes de témoigner leur reconnaissance à l'endroit de la communauté libanaise et leur volonté d'intégrer la vie politique de la Côte d'Ivoire.
* 1Pierre KIPRE ; Migrations en Afrique noire : la construction des identités nationales et la question des étrangers, Abidjan, juin 2010, Cerap, p72 * 2Salma, KOJOK ; L'immigration libanaise en Côte d'Ivoire avant 1945, Abidjan, 1993, Mémoire de maîtrise d'histoire, Unci, p 10 * 3Tanoh Raphaël BEKOIN, La chambre de commerce de Côte d'Ivoire, de la colonisation à l'après-indépendance, naissance, apogée et d'une institution1908-1992 ; 2006, p196 * 4 Dictionnaire universel, Hachette, 2000, p 694 * 5 Pacte de la Société des Nations, article 22, p12 * 6Jean Baptiste KOUAME, Geoffroy BAILLE et Yaya SOW, « Union libanaise culturelle mondiale », Fraternité Matin n°6526, du 14 juillet 1986, p23-25 * 7Jean Baptiste KOUAME, Geoffroy BAILLE et Yaya SOW, op, cit, pp22- 25 * 8 Marianne MEUNIER, « La longue marche des Libanais », In Jeune Afrique, n°2544, du 11 au 17 octobre 2009, p24 * 9Frédéric CAKPO, « La communauté libanaise, un poids économique certain », «50 ans d'économie, « In Pme Magasine, pp39-42, édition spéciale 2010 * 10Florence DOUAT, « Mieux connaître l'Afrique, le mythe des Libanais », In Marchés tropicaux et méditerranéens, n°3038, 30 janvier 2004, p196 * 11Gouly DOUA, « Le forum des marchés inauguré par le Président de la République », In Fraternité Matin, n°10907, p10 * 12Ministère chargé des relations avec le parlement et autres institutions, « la liste des 120 conseillers économiques et sociaux » In Fraternité matin n°11098 du 31 octobre, 1er novembre 2001, p5 |
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