"L'appropriation" des enjeux d'un projet par les habitants: cas de l'Agrocité à Colombes( Télécharger le fichier original )par Hadrien Basch Université Lille 1 - Master de sciences et technologies spécialité ECODEV montage de projets en éco- territoires 2012 |
Partie I : Les enjeux du projet de l'AgrocitéA. La mise en oeuvre de solutions locales face aux problèmes globaux1.Présentation du projet R-urban et de l'unité de l'Agrocité.1.1 AAA et R-Urban : une pratique de la résilienceCette partie exposera les enjeux du travail de AAA, en rapport avec R-urban afin de mettre en avant les possibilités offertes par le projet. Le projet R-urban est né dans l'esprit de ses concepteurs dès l'année 2008. Il se situe dans la continuation des projets de l'Atelier d'Architecture Autogérée, actifs depuis 2001. Les lieux emblématiques sont le projet de la Halle Pajol (Ecobox) dans le XVIIIème et celui du 56 rue saint Blaise (Le 56) dans le XXème arrondissement. Le projet R-Urban vise à : « développer des pratiques et des réseaux de résilience urbaine »13. Partant d'un constat de crise majeure aussi bien écologique et économique que démocratique, ce projet souhaite redéfinir les contours de l'action citoyenne en associant les habitants à la production d'un ou de plusieurs espaces dans la ville. Ces espaces sont considérés comme étant des « interstices » dans le tissu urbain. Un interstice peut être défini comme un « petit espace vide ». En effet, les projets de AAA ont été pensés et réalisés sur des « dents creuses » qui n'avaient aucune fonction sociale ou économique comme une friche, ou un passage entre deux immeubles. Au vu de la taille de la ville, banlieue comprise, ces projets 13 « R-Urban | R-URBAN: pratiques et réseaux de résilience urbaine », consulté le 28 juillet 2013, http://r-urban.net/. 12 apparaissent modestes même si ils s'étendent, comme R-urban, sur plusieurs sites représentant chacun des milliers de mètres carrés. Les projets de AAA sont à la fois comparables et très différents. La démarche initiale est similaire mais les contextes financiers, sociologiques et d'espace du lieu d'intervention créent des projets radicalement distincts. La pression foncière comme le faible nombre d'espaces disponibles dans Paris ont amené les concepteurs de R-urban, Constantin Petcou et Doina Petrescu, à imaginer des structures légères et déplaçables par les habitants eux-mêmes14. Dans le cas d'Ecobox plus particulièrement, l'usage de matériaux recyclés a permis de limiter les coûts de construction comme l'impact écologique du projet. Il a en outre permis aux habitants de donner une continuité au projet: «Chaque fois, l'espace se ré-institue et les sujets se re-subjectivisent dans des jardinages, des débats, des échanges, des fêtes, des projets politiques formulés collectivement.» De même, les habitants ont pu s'approprier des matériaux largement disponibles (palettes par exemple) et construire certaines installations comme la structure des jardins partagés. Ce sont toutes ces contingences qui ont amené l'Atelier d'Architecture autogérée à inventer une architecture non conventionnelle qui « plutôt que des murs construits des relations »15 pour baser leur action sur la mise en commun des ressources et des savoirs faire. Le projet R-Urban s'inspire des autres expérimentations menées par AAA pour proposer une dynamique de projet axée autour de la notion de résilience. Ce terme transdisciplinaire à de nombreuses implications dans des domaines très variés et ne peut donc être restreint à une seule définition. En règle générale la résilience désigne la capacité d'un organisme et par extension d'une société, à résister à un choc, à un changement radical de son environnement. De même, en biologie, le degré de résilience d'un organisme est fonction de la biodiversité et de la densité des relations qu'il entretient avec son milieu16. Selon le psychanalyste Serge Tisseron : « la résilience est à la fois la capacité de résister à un traumatisme et celle de se reconstruire après lui. »17. Il est donc important de souligner ce double mouvement, de résistance comme de redéfinition. Tous les dispositifs mis en place 14 Petcou et Petrescu, « Agir l'espace », 7 janvier 2008. p.108 15 Constantin Petcou et Doina Petrescu « Agir l'espace », Multitudes 4/2007 (n° 31), p. 101-114. 16 I. D Thompson Secretariat of the Convention on Biological Diversity, Forest Resilience, Biodiversity, and Climate Change: a Synthesis of the Biodiversity/resilience/stability Relationship in Forest Ecosystems (Montreal, Quebec, Canada: Secretariat of the Convention on Biological Diversity, 2009). 17 Serge Tisseron, La résilience, 1 vol., Que sais-je?, ISSN 0768-0066 3785 (Paris, France: Presses universitaires de France, 2011). 13 par l'équipe de AAA ont été conçus en fonction de cette double articulation. Nous verrons par la suite les raisons impérieuses qui ont amené AAA à poser la résilience comme une condition sine qua none de leur action. Le projet R-Urban tend vers la résilience pour plusieurs raisons: d'abord les bâtiments abritant le projet sont conçus dans toutes leurs composantes comme pouvant être démontés et déplacés (sauf la troisième unité Ecohab qui sera permanente). Cette exigence répond en premier lieu à la nature éphémère du projet. Le terrain alloué par la mairie pour le Recyclab et l'Agrocité n'est en théorie disponible que pour quatre années, à l'issue desquelles les bâtiments et aménagements devront disparaître pour laisser la place à un autre projet. Cette contrainte devenue un choix et qui s'est au départ posée sur tous les projets initiés par l'association, a également favorisé l'utilisation de matériaux recyclables, pouvant être facilement disponibles localement et peu onéreux. De même, la notion de résilience s'applique aux moyens utilisés pour le développement du projet au jour le jour. Le principe général est de limiter l'utilisation de pétrole et de tous ses dérivés. Par exemple, aucune machine mécanique utilisant de l'énergie fossile n'est utilisée pour le jardin, de même préférer la fabrication d'un vélo-triporteur à l'achat d'un véhicule polluant. Cet aspect de la résilience a été développé par Rob Hopkins, permaculteur et inventeur du concept de villes en transition, pour caractériser la fin du pétrole bon marché. Selon lui il convient de réinventer nos usages et nos mentalités en prévision de ce choc18. Ensuite la notion de résilience peut être étendue, selon moi, au groupe d'habitants qui se constitue peu à peu autour du projet. L'analogie avec la biodiversité et la biologie est intéressante en ce qu'elle postule que plus les relations entre les individus sont variées et nombreuses et plus l'ensemble sera résilient. En effet la construction progressive de liens entre des personnes qui ne se connaissaient pas malgré leur relative proximité géographique est un gage de pérennité et de stabilité du projet. La création de liens sociaux autour d'un projet commun, comme un jardin partagé, accompagne la mise en commun d'intérêts divers et donne un sens à la vie en ville. Elle crée une forme « solidarité organique » au sens d'E. Durhkeim, fondateur de la sociologie moderne, au sens où les rôles des individus se complètent pour faire fonctionner l'ensemble19. En outre un groupe d'habitants soudé et convaincu des bienfaits du projet peut le défendre contre d'éventuelles 18 Flaminia Paddeu, « Faire face à la crise économique à Detroit: les pratiques alternatives au service d'une résilience urbaine? », L'Information géographique 76, no 4 (2012): 119, doi:10.3917/lig.764.0119. 19 Émile Durkheim, De la division du travail social, 1 vol., Bibliothèque de philosophie contemporaine (Paris, France: Presses universitaires de France, cop. 1930, 1973). 14 menaces. L'exemple de la lutte, menée par certains habitants pour exiger un nouveau terrain de la mairie et ainsi permettre la continuation d'Ecobox montre la ressource primordiale que constitue une communauté pour la vie d'un quartier. Pour le projet R-urban, où un groupe d'habitant cohérent ne s'est crée que depuis peu le soutien de la population apparaît moins facilement mobilisable. Néanmoins, lors d'un entretien, une habitante s'est dite prête spontanément à faire signer des pétitions afin de faire pression sur les décideurs publics au cas où le jardin soit menacé20. En effet de nombreux habitants sont d'ores et déjà inquiets de ce qui adviendra du jardin et de leurs parcelles en cas d'un changement de municipalité, qui pourrait avoir lieu dès 2014. Mais la plupart ne savent pas que le projet de AAA est protégé par l'Union Européenne, de par sa participation au financement, jusqu'en 2015 au moins, peu importe l'alternance politique qui pourrait voir le jour à l'issue des élections. Le projet de l'Atelier d'Architecture Autogéré réussit à dépasser la temporalité strictement politique pour se positionner sur un temps plus long en même temps qu'il refuse son affiliation à un parti politique. On peut donc affirmer que le projet est aussi résilient sur le plan politique. En effet la continuité de ce projet est assurée pour un temps précis, contrairement à bien d'autres qui dépendent de subventions et des contingences électorales. Il est donc indépendant des « chocs politiques » qui pourraient avoir lieu et c'est en cela qu'il est résilient. Bien que la survie du projet ne soit pas conditionnée par le soutien de la mairie, celle ci a permis l'existence du projet aussi bien en trouvant un terrain qu'en associant ses équipes municipales au suivi et au développement du projet. Le conseiller municipal chargé de l'économie sociale et solidaire (ESS), Frederic Sarkis, a soutenu le projet dès les prémices de son installation21. Les principes de l'ESS structurent le projet en ce qu'ils sont sensés lui donner la capacité d'être économiquement viable et donc résilient. Le modèle de L'ESS vise à donner à la société « les moyens de recréer de la solidarité là où la marchandisation avance à pas de géant et les moyens d'inventer d'autres logiques de travail et de production. »22. L'ESS se veut ici une alternative au modèle économique dominant. Elle est selon R. Crémieux cité par J.p Gaudillère : « L'économie solidaire est une activité économique, d'initiative individuelle ou collective, mise en oeuvre dans un cadre collectif, qui est productrice de 20 Entretien avec une habitante, jardinière (2), 2 août 2013. 21 « Les conseillers municipaux », Site de la Ville de Colombes, consulté le 3 août 2013, http://www.colombes.fr/elus/les-conseillers-municipaux-566.html. 22 Jean-Paul Gaudillère, « L'économie sociale et solidaire, un projet politique », Mouvements 19, no 1 (1 février 2002): 7?10, doi:10.3917/mouv.019.0007. 15 citoyenneté, de lien social, de solidarité, et d'éducation populaire en même temps que de biens et de services ». Cette économie de la solidarité, du partage et de la communauté entend développer un modèle résistant aux fluctuations de la vie sociale et économique. C'est un modèle résilient car il s'appuie sur la création d'entreprises répondant à des besoins non-délocalisables23. Ce nouveau « tiers-secteur » entend palier les carences de l'Etat social tout en mettant en avant l'importance du lien social, de l'entraide et de la solidarité entre usagers. Un des exemples concrets de cette importance de l'ESS dans le projet R-urban est apparente dans la mise en place de l'unité du Recyclab, prévue dès le montage du projet. Le Recyclab est une « Unité Ressourcerie et plateforme d'éco-construction »24 qui va permettre de mettre en place une dynamique dans le quartier autour de l'éco-construction. Ce lieu complétera l'action de l'Agrocité et permettra de développer son activité de maraichage notamment grâce à la construction d'outils performants. Cette ressourcerie sera en partie dédiée à la création d'objets en rapport avec le quartier. Ils seront conçus et construits par et avec les habitants Actuellement l'équipe d'AAA à engagé une réflexion sur le futur modèle économique du lieu qui sera la clé de voute de son organisation. J'ai participé aux recherches qui pourraient permettre d'aboutir à la définition d'un nouveau système. Après avoir pensé à mettre en place un chantier d'insertion en éco-construction avec des élèves en menuiserie et travail du bois, la possibilité de la création d'un espace de co-working25 a vu le jour. J'ai ainsi passé plusieurs journées à chercher des exemples de lieux fonctionnant selon ce principe, en intégrant une activité manuelle et un modèle économique innovant ne reposant pas sur le profit. L'Establisienne, association située dans le 12ème arrondissement de Paris est un lieu dédié à la création artistique en lien avec la construction de mobilier grâce à de nombreux outils. Grâce à des cours et des ateliers à prix abordables, ce lieu permet aux habitants de se réapproprier une partie de leur quotidien26. Comme Le Recyclab, ce lieu, entend fonctionner grâce aux principes de l'Economie Sociale et Solidaire. 23 Ibid. 24 « Stratégie | R-Urban ». 25 26 « L'Établisienne, un lieu pour rénover, fabriquer, réparer, personnaliser... à Paris : atelier en libre-service, co-working, cours et stages, dépôt-vente. - De l'espace de travail, des artisans pour vous conseiller, des cours de technique (outils, matériaux) et de création (ébénisterie, marqueterie, vannerie, vitrail...), de la documentation. », L'Établisienne, un lieu pour rénover, fabriquer, réparer, personnaliser... à Paris: atelier en libre-service, co-working, cours et stages, dépôt-vente., consulté le 23 septembre 2013, http://www.letablisienne.com/. 16 De même la dynamique insufflée au quartier pourra permettre, dans le meilleur des cas, de créer des emplois et de donner un nouvel élan de développement au quartier. Le Recyclab s'insère ainsi dans la dynamique globale pour le quartier, avec les deux autres unités, l'Agrocité et l'Ecohab à venir. Après avoir mis en lumière la nature du projet R-urban et sa relation avec AAA nous verrons le rôle de l'Agrocité dans la stratégie globale. |
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