"L'appropriation" des enjeux d'un projet par les habitants: cas de l'Agrocité à Colombes( Télécharger le fichier original )par Hadrien Basch Université Lille 1 - Master de sciences et technologies spécialité ECODEV montage de projets en éco- territoires 2012 |
1.2 Un lien étroit avec le processus en cours à l'Agrocité105 Felix Guattari, « Pratiques écosophiques et restauration de la Cité subjective -- Revue critique d'écologie politique », consulté le 26 avril 2012, http://ecorev.org/spip.php?article105. 106 « Villani -- Sasso. Vocabulaire de Gilles Deleuze », Scribd, consulté le 27 août 2013, http://fr.scribd.com/doc/31968637/Villani--Sasso--Vocabulaire--de--Gilles--Deleuze. 107 Guattari, Les trois écologies. p.47 108 Ibid. 109 Ibid. p.48 Comme nous l'avons vu dans les parties précédentes l'AAA a une vision de l'écologie que l'on peut qualifier de globale car elle envisage un processus complet au travers de R-urban. Il s'agit en effet d'une expérience qui ne concerne pas simplement l'alimentation, le recyclage ou l'habitat collectif mais qui prend le parti et le pari d'effectuer la jonction entre ces domaines. A travers ces installations qui modifient progressivement la vie du quartier sur plusieurs années, l'AAA souhaite initier une re-subjectivation et permettre aux habitants du quartier de pratiquer une écologie qui ne soit pas simplement un ersatz du système capitaliste mais bien une prise de position afin de devenir moteurs de la création d'alternatives concrètes. Au travers de la mise en place de circuits courts et d'une économie sociale et solidaire le projet R-urban vise à reconnecter les citoyens avec une mémoire en passe de disparaître, celle des « anciens » qui n'ont, pour la plupart, pas connu l'abondance actuelle. Ceci va de pair avec une transformation de la vision du citoyen sur la ville, envisagée non plus comme un horizon inatteignable réservé aux spécialistes mais comme une réalité concrète à construire au jour le jour. Les liens sociaux qui résultent de ces processus assurent une reconstruction d'une forme de communauté, de personnes qui lutteront peut être pour un autre mode de vie. Les trois écologies théorisées par F. Guattari trouvent ici une application concrète, sans pour autant faire office de dogme idéologique, le mot d'écosophie n'étant que rarement cité dans les écrits sur R-urban, dans laquelle les potentialités d'un changement d'ampleur se trouvent matérialisées. En effet l'écosophie ne saurait être considérée comme une image figé. En effet, selon A. Querrien : « D'abord chez F. Guattari, y'a un concept fondamental qui est la processualité, ca veut dire qu'il ne peut pas y avoir un arrêt sur image de ce que serait l'Agrocité ou quoi que ce soit qui serait fait selon les principes de l'écosophie, il y a un travail en continu sur l'organisation »110. Cette processualité est inhérente à chaque expérience sociale de long terme. De la même façon, le projet tel qu'il a été pensé ne peut être appliqué à la lettre, il s'agit plutôt d'une adaptation à plus ou moins long terme des observations conduites par l'AAA au fur et à mesure de l'avancement du projet et en écho à ceux menés auparavant. Comme nous l'avons vu, ce sont les habitants et leur(s) implication(s) qui détermine l'avenir du projet et la forme effective qu'il prendra. 45 110 Entretien avec Anne Querrien. 46 Il est dès lors évident qu'un projet porté et soutenu par un nombre important d'habitants et d'acteurs divers aura une capacité de transformation plus grande qu'un projet renfermé sur lui même. L'Agrocité vise ainsi à ouvrir de larges possibilités aux individus qui gravitent autour du projet en permettant à chacun de trouver sa voie tout en respectant les initiatives des autres. Ainsi, les concepteurs du projet se sont refusés à apposer une étiquette politique sur leur action ou à la lier avec « une politique à grande échelle » qu'évoque F. Guattari. De la même façon que le mouvement des villes en transition a refoulée la « critique » pure du système pour se concentrer sur les alternatives positives qui peuvent être mises en place111. Les Transition-Towns insistent sur l'importance d'une transition face au changement climatique et au pic pétrolier et privilégient l'action communautaire au niveau d'un village ou d'une ville pour ensuite s'étendre aux régions112. Certains groupes comme Quartier Libre opérant dans le 20 ème arrondissement de Paris recréent du lien social et de la solidarité à long terme. Ils souhaitent impliquer les habitants dans des actions pour relancer la vie de quartier (distribution gratuite de vêtements, projections, repas partagés...) tout en axant leur action sur une analyse marxiste de la société en termes de lutte de classe. Ils ne souhaitent pourtant pas s'affilier avec un parti politique clairement identifié113. A l'inverse R-urban prend le parti d'évacuer toute référence militante dans son action et de baser les conférences et les tables rondes sur des sujets politiquement neutres, en terme de parti ou de syndicats, afin de ne pas créer de conflits idéologiques entre les habitants et les gens qui pourraient être intéressés par le projet. Bien que la mairie soit affiliée au parti socialiste, le site internet du projet ne mentionne que la « mairie de Colombes » et non la personne du maire par exemple114. De même, sur le site il n'y a aucune référence aux penseurs dont se réclame AAA115. Il y a également une volonté de 111 Luc Semal et Mathilde Szuba, « Villes en transition : imaginer des relocalisations en urgence », Mouvements 63, no 3 (2010): 130, doi:10.3917/mouv.063.0130. 112 « Welcome | Transition Network », consulté le 29 août 2013, http://www.transitionnetwork.org/. 113 « AU FOND PRES DU RADIATEUR » Blog Archive » Le collectif Quartier Libre », consulté le 29 août 2013, http://www.aufondpresduradiateur.fr/?p=2656. 114 « Stratégie | R-Urban ». 115 « Recherche-action | R-Urban », consulté le 29 août 2013, http://r-urban.net/recherche-action/. 47 séparation entre les deux entités que sont R-urban116 et AAA. En effet, deux sites internet cohabitent ( R-urban.net et urbantactics.org117) et différent grandement par leur contenu. L'Agrocité doit être un lieu de rencontre et favoriser les échanges entre des personnes de milieux différents et de classes sociales parfois éloignées. Nous le verrons par la suite, les chercheurs et les étudiants qui participent à ce projet sont le plus souvent issus de milieu aisés ou du moins plus aisés que les habitants. Cette différence pourrait perturber le bon déroulement du projet si elle venait à prendre une place trop importante. Le travail mental que postule l'écosophie est également à rechercher ici car créer un mélange, une diversité au sein d'un espace qui impose souvent une redéfinition des cadres de compréhension de la société. La construction d'une écologie mentale est ainsi encadrée dans le processus de rencontres et de création de nouveaux symboles qui donnent une identité au monde en même temps qu'ils révèlent une certaine « poétique » selon les termes du site urban-tactics118: « notre architecture est à la fois politique et poétique car, elle est d'abord une mise en relation entre des mondes». Le projet de l'Agrocité postule également une participation active des habitants dans la reconquête de l'imaginaire collectif et individuel. Le projet prévoit que « Les constructions incluront {...} une série d'équipements autour de savoirs faire et de dynamiques collectives et sociales »119 . Une partie du jardin a été pensé pour intégrer des espaces dédiés au partage et à la mise en relations de mondes culturels divers. Les habitants auront une grande liberté dans la définition de ces espaces et dans l'animation de ceux ci. Comme nous l'avons souligné, l'AAA développe ses projets autour de dispositifs purement techniques (économie d'énergies etc..) associés à des processus de transformation plus profonds. Ces équipements techniques sont pourtant un pari en soi car les normes actuelles ne se prêtent souvent pas à l'innovation écologique. De même les équipements culturels produits par l'urbanisme moderne et la réflexion sur la ville sont souvent encadrés dans un cahier des charges très précis qui répond à une demande de lieux très fonctionnels et relativement standardisés. A l'inverse R-urban prends le parti d'intégrer une nouvelle forme d'aménagement culturel. 116 Ibid. 117 « urban tactics ». 118 Ibid. 119 « AGROCITÉ | R-Urban », consulté le 29 août 2013, http://r-urban.net/blog/projects/agrocite/. 48 Grâce à des lieux destinés spécialement à l'échange comme « un café associatif »120, une pièce pour le débat et les projections, les habitants vont être à même de définir le contenu, en accord avec les problématiques du projet, de ces échanges. Avant la construction du bâtiment ces rencontres avaient lieu dans la serre. Ces espaces peuvent être le lieu d'une nouvelle façon d'appréhender la vie en communauté tout en s'orientant résolument vers une démarche de partage et de renouvellement de la vie du quartier. Le projet R-urban pourrait devenir une forme de pôle culturel où des savoirs très divers s'agencent et se rencontrent. De même, lier les questions théoriques avec l'expérimentation concrète est indéniablement une innovation qui permet aux individus de se réapproprier leur environnement et de prendre une forme de contrôle sur la production et la compréhension du monde. Cette approche innovante de la ville permettrait alors de lutter contre le fatalisme et le manque de perspectives qui caractérisent une partie de la jeunesse française, des beaux quartiers comme des quartiers populaires: selon une étude « les jeunes Français sont parmi les plus pessimistes de tous les Européens. Ils n'ont pas confiance dans l'avenir et ils n'ont pas confiance non plus dans les autres et dans la société en général. » 121. En effet ce parti pris par AAA de ré-enchanter la vie grâce à des processus innovants de lien social et d'expérimentation écologique, peut donner un sens à la vie d'individus. Il est néanmoins important de ne pas placer trop d'espoirs dans ce projet car il est contingent de nombreux paramètres. Par exemple le retard de la livraison du chantier a considérablement grevé l'activité sur le site et la légitimité du projet auprès des habitants comme des acteurs institutionnels. L'écosophie est une théorie dont les principes ont guidé, consciemment et inconsciemment, l'action de l'Atelier d'Architecture Autogérée depuis ses balbutiements. Pourtant elle n'est pas un concept « clé-en-main » qui permettrait d'appliquer des recettes toutes faites sur un projet ou de l'enseigner à un groupe d'habitant. Elle est avant tout une problématique transversale qui sous tend l'action et lui donne une direction à suivre, tout en étant suffisamment poreuse pour être adaptée selon les contextes locaux. 120 Ibid. 121 Olivier Galland, « La crise de confiance de la jeunesse française », Études Tome 412, no 1 (28 décembre 2009): 31?42. 49 |
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