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"L'appropriation" des enjeux d'un projet par les habitants: cas de l'Agrocité à  Colombes

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par Hadrien Basch
Université Lille 1 - Master de sciences et technologies spécialité ECODEV montage de projets en éco- territoires 2012
  

Disponible en mode multipage

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Département de l'UFR de Géographie et Aménagement

MASTER de Sciences et Technologies, mention Aménagement, Urbanisme et Développement des Territoires

Spécialité : ECODEV

Montage de Projets en Eco-territoires

« L'appropriation «  des enjeux d'un projet par

les habitants : l'Agrocité à Colombes

Ville de Colombes, Hauts de Seine, Ile de France, France

1

Hadrien Basch

Tuteur universitaire : Christelle Hinnewinkel Année : 2012-2013

Tuteur professionnel : Constantin Petcou

2

Organisme : Atelier d'Architecture Autogérée

3

Basch Hadrien., 2013, « L'appropriation » des enjeux d'un projet par les habitants : l'Agrocité à Colombes

Institut d'Aménagement et Urbanisme de Lille, Université Lille 1, mémoire de fin d'étude du Master AUDT, spécialité ECODEV, MPE. p.95

Mots clefs : Ecosophie, Ecologie, Appropriation, Felix Guattari, Ville de Colombes Key-words : Ecosophie, Ecologie, Appropriation, Felix Guattari, Town of Colombes

Résumé :

L'Atelier d'Architecture Autogéré est une association ayant pour objectif de transformer des lieux urbains inutilisés en espaces d'échanges, de participation, de vie et de réflexion sur la ville. Le projet R-urban à Colombes vise a accompagner un changement des modes de vie. Ce mémoire porte sur l'Agrocité, un espace de maraîchage et de jardinage partagé. A partir de la théorie écosophique développée par Felix Guattari, philosophe français du XXème siècle, ce travail s'intéresse à la notion d'appropriation d'un projet par les habitants impliqués. Il interroge la relation des habitants, définis ici comme les individus n'ayant pas de rôles prédéfinis à leur arrivée dans le projet, avec les enjeux globaux du projet. A partir d'entretiens semi-directifs, cette analyse tente de saisir le ressenti des habitants par rapport au projet. Quelle est leur compréhension du discours mis en place et quels ont été les transformations concrètes dans leur vie ?

Abstract :

Atelier d'Architecture Autogérée is a non-profit organization which aim is to transform derelict urban land into spaces for exchanges, involvement, living and learning. R-urban in Colombes is about transforming lifestyles into more resilient way of life. This thesis deals with the Agrocité Unit, a space for urban agriculture and shared gardening. From the ecosophical point of view, theorized by Felix Guattari, a French philosopher from the XX th century, this study dwells on the concept of project-appropriation from the point of view of the inhabitants. Thus it questions the inhabitants relation, understood as individuals without proper roles at first, with the global issue of the project. Using semi directive interviews, this work tries to grasp the inhabitants feelings and attitudes towards the project. How do they understand the discourse and what are the concrete transformations in their lives ?

4

Remerciements :

Je voudrais remercier tous mes collègues avec qui j'ai travaillé durant ces six mois à l'Atelier d'Architecture Autogérée :

Adrien, Julie, Théau, Jérome, Fabien, Margaux, Sarah, Camille, Constantin et Doina.

Je voudrais remercier également Mme Christelle Hinnewinkel pour ses corrections et son soutien durant la rédaction de mon mémoire.

Je voudrais remercier Anne Querrien pour m'avoir accordé un entretien.

Je voudrais également remercier Ramon Miroupli pour sa relecture de mon mémoire.

5

SOMMAIRE

Partie I : Les enjeux du projet de l'Agrocité 11

A. La mise en oeuvre de solutions locales face aux problèmes globaux 11

1.Présentation du projet R-urban et de l'unité de l'Agrocité. 11

1.1 AAA et R-Urban : une pratique de la résilience 11

1.2 L'Agrocité : Acteurs, fonctionnement global et objectifs. 16

2. Des solutions concrètes face aux crises globales 19

2.1 De multiples crises sociétales 19

1.2 Les dispositifs de l'Agrocité : une agriculture locale sans pesticides et sans pétrole 23

B. La participation des habitants 27

1. Qu'est ce que la participation ? 27

1.1 Différents degrés de participation et la notion d'Empowerment (ou « capacitation ») 27

1.2 Enjeux de la participation pour le projet R-urban 31

2. La participation des habitants dans les projets de AAA et à l'Agrocité 34

2.1 La participation des habitants pour l'Atelier d'architecture Autogérée

2.2 Lieux et moments de la participation à l'Agrocité 37

Partie II : Un projet écosophique ? L'appropriation du projet par les habitants 40

A. La théorie écosophique et ses conséquences pratiques. 40

1. Les trois ecologies de Felix Guattari 40

1.1 Ecologie mentale, sociale et environnementale: un processus global 40

1.2 Un lien étroit avec le processus en cours à l'Agrocité 44

2. La production de subjectivité 49

2.1 La construction progressive d'une subjectivité 49

2.2 Quelle application pratique et quelle limite pour la théorie écosophique ? 54

B. L'appropriation du projet par les habitants 57

1. Les enjeux d'une appropriation du projet 57

1.1 Quelle compréhension du projet par les habitants ? 57

1.2 Un espace de débat: un lieu de micropolitique ? 62

6

2. Les limites de cette appropriation 66

1.1 La recherche-action et la distance entre chercheurs et habitants 66

1.2 Les autres formes d'appropriation et le risque d'une non-appropriation 70

INTRODUCTION

« Les manières de faire sont toujours des manières de penser ».1 Jean-Louis Commolli, réalisateur et critique de jazz

J'ai rencontré les concepteurs de l'Atelier d'Architecture Autogérée il y a plus d'un an lors d'un workshop organisé avec le collectif ETC2. Au cours de leur « détour de France »3, ils ont participé à la conception de l'espace de la future friche Michelet. En construisant la Pergola et le chemin technique, ils ont posé les premières pierres de ce qu'est devenu l'Agrocité.

En passant une semaine près du projet j'ai compris qu'il était en lien avec ma réflexion sur l'écologie et la manière dont je concevais le montage d'un projet ambitieux aussi bien sur les questions sociales et économiques que culturelles.

L'Atelier d'Architecture Autogérée (AAA) a été crée en 2001 par Constantin Petcou alors professeur à l'école d'architecture de Paris Malaquais et doctorant à l'Ecole Haute Etudes en Sciences Sociales (EHESS)4 et Doina Petrescu doctorante en Etudes féminines après une formation de philosophie5. Ces deux chercheurs se sont intéressés à l'application pratique de leurs théories à partir de travaux réalisés avec les étudiants sur le quartier de la Chapelle dans le XVIIIème arrondissement de Paris. Ce quartier pauvre de Paris regorgeait de lieux et de friches abandonnées, ou qui plutôt servaient comme refuge a la petite criminalité du nord de Paris. Progressivement l'action de ce qui allait devenir l'AAA s'est centrée autour de la réhabilitation et de la

1 « Entretien avec Jean-Louis Comolli », consulté le 21 août 2013, http://annebrunswic.fr/197-Entretien-avec-Jean-Louis-Comolli.

2 « Collectif Etc, | Architecture, espace public et urbanisme participatif. Vers une fabrique citoyenne de la ville. », consulté le 16 septembre 2013, http://www.collectifetc.com/.

3 « Le Détour de France | Collectif Etc, », consulté le 16 septembre 2013, http://www.collectifetc.com/le-detour-de-france-du-collectif-etc/.

4 « Petcou, Constantin - Multitudes Web », consulté le 16 septembre 2013, http://multitudes.samizdat.net/_Petcou-Constantin_.

5 « Petrescu, Doina - Multitudes Web », consulté le 16 septembre 2013, http://multitudes.samizdat.net/_Petrescu-Doina_.

7

réappropriation de ces lieux grâce au jardinage et à la participation des habitants. S'inspirant de diverses expériences en cours autour du monde6 et grâce à leur approche « scientifique » de l'urbanisme, des liens sociaux et de l'architecture ils ont développé une approche transversale de la construction de l'espace urbain. L'Atelier d'Architecture Autogérée (AAA) se définit comme « une plate--forme collective d'exploration, action et recherche autour des mutations urbaines et des pratiques culturelles, sociales et politiques émergentes de la ville contemporaine. »7 Cette construction de la ville s'appuie sur de nombreux acteurs qui se trouvent être complémentaires dans leurs fonctions et leurs ressources : habitants de tous bords, mairie, bailleurs sociaux, chercheurs et étudiants en sciences sociales.

Comme nous le verrons cette pratique sociale s'articule avec une forte vocation à la recherche scientifique au sein d'équipes pluridisciplinaires qui auscultent l'activité de l'association et mettent leurs compétences au service des projets. Une rencontre de deux mondes à priori déconnectés qui forment une synergie susceptible de transformer durablement la conception urbaine et le regard que portent les acteurs sur la ville que ce soit les habitants ou les institutions traditionnelles.

L'AAA est une association encore jeune mais son équipe, qui évolue au fil des années, accompagne des projets ambitieux. Depuis les projets menés avec les étudiants à la réflexion qui se veut globale initiée par R-urban, les actions mises en place ont gagnées en complexité. Des prix internationaux (Prix Zumtobel et CurryStone..) et des expositions (Biennale de Venise et Pavillon de l'Arsenal entre autres) ont récompensés le travail engagé depuis ces douze années et permis d'accroître la reconnaissance et la légitimité de l'association.

Son action se place dans un mouvement informel de transformation des façons de concevoir l'urbanisme et l'architecture et leur implication citoyenne dans la construction de la ville.

En effet, de nombreux collectifs à travers le monde s'investissent dans des actions artistiques et architecturales pour permettre aux individus de se réapproprier leur habitat tout en recréant du lien social8.

Dans le projet R-urban, initié en 2008, l'AAA a souhaité impliquer les individus dans un projet très ambitieux qui vise à redéfinir le rapport entre le monde urbain et rural :

« Afin de dépasser les crises actuelles (climatique, ressources, économique et financière, démographique), nous devons, comme dit Andre Gorz, `produire ce que nous consommons et consommer ce que nous produisons'. Ce rééquilibrage entre production et consommation à

6 Bénédicte Manier, Un million de révolutions tranquilles: travail, environnement, santé, argent, habitat..., 1 vol. (Paris, France: les Liens qui libèrent, impr. 2012, 2013).

7 « urban tactics », consulté le 29 août 2013, http://www.urbantactics.org/.

8 « generalizedempowerment.org », consulté le 4 septembre 2013, http://www.generalizedempowerment.org/conference.html.

8

travers des circuits courts locaux ne pourra pas se faire sans des changements de modes de vie, d'habitation et de travail et sans l'implication active des citoyens dans ces changements à travers des pratiques collaboratives et des réseaux de solidarité »9. Ce projet est très ambitieux car il entend remodeler le mode de vie des individus et participer à une transformation sociale d'ampleur. Ce projet s'inspire des autres projets menés par AAA en ce qu'il pose la question de

10 Celle ci inclut nécessairement la participation et l'implication des habitants dans le projet. C'est cette question fondamentale qui a suscitée mon envie de travailler avec AAA et qui a orienté le contenu de mon mémoire de recherche.

J'ai dès lors choisi d'utiliser une définition restrictive du terme d'habitants considérant que seuls certains individus s'impliquaient au départ dans le projet sans rôle précis. Les autres s'investissent à l'inverse en prenant immédiatement une place donnée par leur statut ( institutionnel ou associatif) . Bien que celle ci soit par la suite amenée à changer, elle contrait l'action et son champ des possibles. Pour mon travail de recherche il m'a dès lors sembler nécessaire d'étudier l'appropriation des enjeux du projet par les habitants: « Quelle appropriation du projet pour les habitants ? L'exemple de l'Agrocité dans le projet R-urban »

Mon travail chez AAA et la définition de mes missions ont évolué au cours de mon stage. Je devais au départ travailler avec les habitants à la définition de leurs projets et à la construction d'un outil foncier pour acquérir des terrains en ville afin mener des expériences sociales innovantes. Je devais également bricoler, jardiner, organiser etc. mais dans une moindre mesure. L'association AAA m'avait été présentée comme ayant un fonctionnement similaire un collectif avec une répartition équilibrée des tâches. Mais finalement avec le retard de construction sur le chantier du bâtiment de l'Agrocité et de Recyclab, je me suis retrouvé à bricoler presque sans interruption sans pouvoir trouver réellement ma place dans le projet. Ce qui m'intéressait depuis le départ, avant même de commencer mon stage, était la participation des habitants et les conséquences de leur implication dans le projet. Mon mémoire de Master 1 portait déjà sur ce thème. Il s'intitule: Les mobilisations en faveur d'un habitat durable: l'exemple de la zone de l'Union. J'y ai étudié et analysé l'action d'un groupe d'habitants et de chercheurs dans la définition et la conception d'une zone urbaine d'ampleur. Les enjeux écologiques et sociaux étaient mis en avant par l'association qui souhaitait influer

9 « Stratégie | R-Urban », consulté le 11 août 2013, http://r-urban.net/accueil/.

10 Constantin Petcou et Doina Petrescu, « Agir l'espace », Multitudes n° 31, no 4 (7 janvier 2008): 101?114, doi:10.3917/mult.031.0101.

9

en profondeur le projet défini par Lille Métropole Communauté Urbaine (LMCU) par le biais de la Société d'Economie Mixte (SEM) Ville Renouvelée.

Mon travail de recherche effectué lors de mon stage chez AAA s'inscrit donc dans une continuité universitaire et dans un réel désir d'appréhender les différentes étapes et les contraintes du montage d'un projet du point de vue d'une association avec un projet de long terme.

Mais les implications de ce projet sont extrêmement larges. J'ai dès lors pris le parti d'axer mon travail d'abord sur la capacité d'un tel projet à amener un changement social puis sur la notion d'appropriation du projet par les habitants. A partir d'entretiens semi-directifs menés avec les habitants j'ai pu récolter certaines de leurs impressions et transformations qui ont eu lieu. J'ai ensuite recherché une notion qui pourrait appuyer théoriquement ce travail d'enquête de terrain.

Je me suis d'abord penché sur la notion d'écologie radicale avant de m'intéresser à la théorie écosophique développée par Felix Guattari. Ce philosophe français du XXème siècle a développé à la fin de sa vie une théorie très stimulante sur l'écologie. Face aux crises multiples qui traversent le monde contemporain, il propose une redéfinition des valeurs et met en avant le rôle crucial de l'expérimentation. Son approche se lie de façon très proche avec mon sujet car il envisage l'action comme le pendant naturel de la théorie. De même les concepteurs de R-urban, dont l'action est basée sur un corpus de texte rassemblant de nombreux auteurs proches de la sensibilité de F. Guattari, sont en lien avec des chercheurs, comme Anne Querrien, qui ont connu F. Guattari.

La théorie écosophique, que nous détailleront par la suite, s'intéresse de très près à la participation des habitants. Celle ci est cruciale a l'Agrocité, une des « unités » du projet R-urban.

Concernant ce projet j'ai choisi de travailler sur le concept d'appropriation. Il se différencie de celui de participation en ce qu'il entend constater les changements chez l'habitant et ne mesure pas simplement son degré d'implication dans le projet.

Comme l'affirme Felix Guattari : « La crise écologique renvoie à une crise plus générale du social et du politique. En fait, ce qui se trouve mis en cause c'est une sorte de révolution des mentalités qui cautionnent aujourd'hui un certain type de développement, un productivisme ayant perdu toute finalité, hors celle du profit et du pouvoir, un idéal de consommation qui confine à l'infantilisme. L'humanité sera-t-elle capable, dans ce contexte de prendre en main son

destin ? »11. L'appropriation apparaît ainsi être une question cruciale en ce qu'elle atteste de la possibilité d'un changement radical. Ainsi la philosophie de F. Guattari est celle d'un changement de société et de mentalité profond: « Comment modifier les mentalités, comment réinventer des pratiques sociales qui redonneraient à l'humanité le sens de sa responsabilité, non seulement à l'égard de sa propre survie, mais également de l'avenir de toute la vie sur cette planète, celle des espèces animales et végétales comme celle des espèces incorporelles, si je puis dire, telles la musique, les arts, le rapport au temps, le sentiment de fusion au sein du cosmos. »12 Ces phrases nous révèlent l'ampleur de la mutation envisagée pour les individus. Mais ces transformations ne se feront pas d'elles mêmes. Felix Guattari s'intéresse ainsi à l'expérimentation tout en soulignant l'importance d'une démarche transversale qui lie les questions politiques, sociales, environnementales et psychologiques.

Afin de répondre a cette problématique nous axerons notre analyse autour de la contextualisation et la présentation du projet puis sur ses liens avec la théorie écosophique et l'appropriation des enjeux du projet par les habitants.

10

11 « L'enjeu éthique de l'écologie », www.liberation.fr, 11 juillet 2013, http://www.liberation.fr/societe/0101581582--l--enjeu--ethique--de--l--ecologie.

12 « L'écosophie selon Guattari », www.liberation.fr, 11 juillet 2013, http://www.liberation.fr/societe/0101581583--l--ecosophie--selon--guattari.

11

Partie I : Les enjeux du projet de l'Agrocité

A. La mise en oeuvre de solutions locales face aux problèmes globaux

1.Présentation du projet R-urban et de l'unité de l'Agrocité.

1.1 AAA et R-Urban : une pratique de la résilience

Cette partie exposera les enjeux du travail de AAA, en rapport avec R-urban afin de mettre en avant les possibilités offertes par le projet.

Le projet R-urban est né dans l'esprit de ses concepteurs dès l'année 2008. Il se situe dans la continuation des projets de l'Atelier d'Architecture Autogérée, actifs depuis 2001. Les lieux emblématiques sont le projet de la Halle Pajol (Ecobox) dans le XVIIIème et celui du 56 rue saint Blaise (Le 56) dans le XXème arrondissement.

Le projet R-Urban vise à : « développer des pratiques et des réseaux de résilience urbaine »13. Partant d'un constat de crise majeure aussi bien écologique et économique que démocratique, ce projet souhaite redéfinir les contours de l'action citoyenne en associant les habitants à la production d'un ou de plusieurs espaces dans la ville. Ces espaces sont considérés comme étant des « interstices » dans le tissu urbain. Un interstice peut être défini comme un « petit espace vide ». En effet, les projets de AAA ont été pensés et réalisés sur des « dents creuses » qui n'avaient aucune fonction sociale ou économique comme une friche, ou un passage entre deux immeubles. Au vu de la taille de la ville, banlieue comprise, ces projets

13 « R-Urban | R-URBAN: pratiques et réseaux de résilience urbaine », consulté le 28 juillet 2013, http://r-urban.net/.

12

apparaissent modestes même si ils s'étendent, comme R-urban, sur plusieurs sites représentant chacun des milliers de mètres carrés.

Les projets de AAA sont à la fois comparables et très différents. La démarche initiale est similaire mais les contextes financiers, sociologiques et d'espace du lieu d'intervention créent des projets radicalement distincts. La pression foncière comme le faible nombre d'espaces disponibles dans Paris ont amené les concepteurs de R-urban, Constantin Petcou et Doina Petrescu, à imaginer des structures légères et déplaçables par les habitants eux-mêmes14. Dans le cas d'Ecobox plus particulièrement, l'usage de matériaux recyclés a permis de limiter les coûts de construction comme l'impact écologique du projet. Il a en outre permis aux habitants de donner une continuité au projet: «Chaque fois, l'espace se ré-institue et les sujets se re-subjectivisent dans des jardinages, des débats, des échanges, des fêtes, des projets politiques formulés collectivement.» De même, les habitants ont pu s'approprier des matériaux largement disponibles (palettes par exemple) et construire certaines installations comme la structure des jardins partagés. Ce sont toutes ces contingences qui ont amené l'Atelier d'Architecture autogérée à inventer une architecture non conventionnelle qui « plutôt que des murs construits des relations »15 pour baser leur action sur la mise en commun des ressources et des savoirs faire.

Le projet R-Urban s'inspire des autres expérimentations menées par AAA pour proposer une dynamique de projet axée autour de la notion de résilience. Ce terme transdisciplinaire à de nombreuses implications dans des domaines très variés et ne peut donc être restreint à une seule définition. En règle générale la résilience désigne la capacité d'un organisme et par extension d'une société, à résister à un choc, à un changement radical de son environnement. De même, en biologie, le degré de résilience d'un organisme est fonction de la biodiversité et de la densité des relations qu'il entretient avec son milieu16. Selon le psychanalyste Serge Tisseron : « la résilience est à la fois la capacité de résister à un traumatisme et celle de se reconstruire après lui. »17. Il est donc important de souligner ce double mouvement, de résistance comme de redéfinition. Tous les dispositifs mis en place

14 Petcou et Petrescu, « Agir l'espace », 7 janvier 2008. p.108

15 Constantin Petcou et Doina Petrescu « Agir l'espace », Multitudes 4/2007 (n° 31), p. 101-114.

16 I. D Thompson Secretariat of the Convention on Biological Diversity, Forest Resilience, Biodiversity, and Climate Change: a Synthesis of the Biodiversity/resilience/stability Relationship in Forest Ecosystems (Montreal, Quebec, Canada: Secretariat of the Convention on Biological Diversity, 2009).

17 Serge Tisseron, La résilience, 1 vol., Que sais-je?, ISSN 0768-0066 3785 (Paris, France: Presses universitaires de France, 2011).

13

par l'équipe de AAA ont été conçus en fonction de cette double articulation. Nous verrons par la suite les raisons impérieuses qui ont amené AAA à poser la résilience comme une condition sine qua none de leur action.

Le projet R-Urban tend vers la résilience pour plusieurs raisons: d'abord les bâtiments abritant le projet sont conçus dans toutes leurs composantes comme pouvant être démontés et déplacés (sauf la troisième unité Ecohab qui sera permanente). Cette exigence répond en premier lieu à la nature éphémère du projet. Le terrain alloué par la mairie pour le Recyclab et l'Agrocité n'est en théorie disponible que pour quatre années, à l'issue desquelles les bâtiments et aménagements devront disparaître pour laisser la place à un autre projet. Cette contrainte devenue un choix et qui s'est au départ posée sur tous les projets initiés par l'association, a également favorisé l'utilisation de matériaux recyclables, pouvant être facilement disponibles localement et peu onéreux. De même, la notion de résilience s'applique aux moyens utilisés pour le développement du projet au jour le jour. Le principe général est de limiter l'utilisation de pétrole et de tous ses dérivés. Par exemple, aucune machine mécanique utilisant de l'énergie fossile n'est utilisée pour le jardin, de même préférer la fabrication d'un vélo-triporteur à l'achat d'un véhicule polluant. Cet aspect de la résilience a été développé par Rob Hopkins, permaculteur et inventeur du concept de villes en transition, pour caractériser la fin du pétrole bon marché. Selon lui il convient de réinventer nos usages et nos mentalités en prévision de ce choc18.

Ensuite la notion de résilience peut être étendue, selon moi, au groupe d'habitants qui se constitue peu à peu autour du projet. L'analogie avec la biodiversité et la biologie est intéressante en ce qu'elle postule que plus les relations entre les individus sont variées et nombreuses et plus l'ensemble sera résilient. En effet la construction progressive de liens entre des personnes qui ne se connaissaient pas malgré leur relative proximité géographique est un gage de pérennité et de stabilité du projet. La création de liens sociaux autour d'un projet commun, comme un jardin partagé, accompagne la mise en commun d'intérêts divers et donne un sens à la vie en ville. Elle crée une forme « solidarité organique » au sens d'E. Durhkeim, fondateur de la sociologie moderne, au sens où les rôles des individus se complètent pour faire fonctionner l'ensemble19. En outre un groupe d'habitants soudé et convaincu des bienfaits du projet peut le défendre contre d'éventuelles

18 Flaminia Paddeu, « Faire face à la crise économique à Detroit: les pratiques alternatives au service d'une résilience urbaine? », L'Information géographique 76, no 4 (2012): 119, doi:10.3917/lig.764.0119.

19 Émile Durkheim, De la division du travail social, 1 vol., Bibliothèque de philosophie contemporaine (Paris, France: Presses universitaires de France, cop. 1930, 1973).

14

menaces. L'exemple de la lutte, menée par certains habitants pour exiger un nouveau terrain de la mairie et ainsi permettre la continuation d'Ecobox montre la ressource primordiale que constitue une communauté pour la vie d'un quartier.

Pour le projet R-urban, où un groupe d'habitant cohérent ne s'est crée que depuis peu le soutien de la population apparaît moins facilement mobilisable. Néanmoins, lors d'un entretien, une habitante s'est dite prête spontanément à faire signer des pétitions afin de faire pression sur les décideurs publics au cas où le jardin soit menacé20.

En effet de nombreux habitants sont d'ores et déjà inquiets de ce qui adviendra du jardin et de leurs parcelles en cas d'un changement de municipalité, qui pourrait avoir lieu dès 2014. Mais la plupart ne savent pas que le projet de AAA est protégé par l'Union Européenne, de par sa participation au financement, jusqu'en 2015 au moins, peu importe l'alternance politique qui pourrait voir le jour à l'issue des élections. Le projet de l'Atelier d'Architecture Autogéré réussit à dépasser la temporalité strictement politique pour se positionner sur un temps plus long en même temps qu'il refuse son affiliation à un parti politique. On peut donc affirmer que le projet est aussi résilient sur le plan politique. En effet la continuité de ce projet est assurée pour un temps précis, contrairement à bien d'autres qui dépendent de subventions et des contingences électorales. Il est donc indépendant des « chocs politiques » qui pourraient avoir lieu et c'est en cela qu'il est résilient.

Bien que la survie du projet ne soit pas conditionnée par le soutien de la mairie, celle ci a permis l'existence du projet aussi bien en trouvant un terrain qu'en associant ses équipes municipales au suivi et au développement du projet. Le conseiller municipal chargé de l'économie sociale et solidaire (ESS), Frederic Sarkis, a soutenu le projet dès les prémices de son installation21. Les principes de l'ESS structurent le projet en ce qu'ils sont sensés lui donner la capacité d'être économiquement viable et donc résilient. Le modèle de L'ESS vise à donner à la société « les moyens de recréer de la solidarité là où la marchandisation avance à pas de géant et les moyens d'inventer d'autres logiques de travail et de production. »22. L'ESS se veut ici une alternative au modèle économique dominant. Elle est selon R. Crémieux cité par J.p Gaudillère : « L'économie solidaire est une activité économique, d'initiative individuelle ou collective, mise en oeuvre dans un cadre collectif, qui est productrice de

20 Entretien avec une habitante, jardinière (2), 2 août 2013.

21 « Les conseillers municipaux », Site de la Ville de Colombes, consulté le 3 août 2013, http://www.colombes.fr/elus/les-conseillers-municipaux-566.html.

22 Jean-Paul Gaudillère, « L'économie sociale et solidaire, un projet politique », Mouvements 19, no 1 (1 février 2002): 7?10, doi:10.3917/mouv.019.0007.

15

citoyenneté, de lien social, de solidarité, et d'éducation populaire en même temps que de biens et de services ». Cette économie de la solidarité, du partage et de la communauté entend développer un modèle résistant aux fluctuations de la vie sociale et économique. C'est un modèle résilient car il s'appuie sur la création d'entreprises répondant à des besoins non-délocalisables23. Ce nouveau « tiers-secteur » entend palier les carences de l'Etat social tout en mettant en avant l'importance du lien social, de l'entraide et de la solidarité entre usagers. Un des exemples concrets de cette importance de l'ESS dans le projet R-urban est apparente dans la mise en place de l'unité du Recyclab, prévue dès le montage du projet.

Le Recyclab est une « Unité Ressourcerie et plateforme d'éco-construction »24 qui va permettre de mettre en place une dynamique dans le quartier autour de l'éco-construction. Ce lieu complétera l'action de l'Agrocité et permettra de développer son activité de maraichage notamment grâce à la construction d'outils performants. Cette ressourcerie sera en partie dédiée à la création d'objets en rapport avec le quartier. Ils seront conçus et construits par et avec les habitants Actuellement l'équipe d'AAA à engagé une réflexion sur le futur modèle économique du lieu qui sera la clé de voute de son organisation. J'ai participé aux recherches qui pourraient permettre d'aboutir à la définition d'un nouveau système. Après avoir pensé à mettre en place un chantier d'insertion en éco-construction avec des élèves en menuiserie et travail du bois, la possibilité de la création d'un espace de co-working25 a vu le jour. J'ai ainsi passé plusieurs journées à chercher des exemples de lieux fonctionnant selon ce principe, en intégrant une activité manuelle et un modèle économique innovant ne reposant pas sur le profit. L'Establisienne, association située dans le 12ème arrondissement de Paris est un lieu dédié à la création artistique en lien avec la construction de mobilier grâce à de nombreux outils. Grâce à des cours et des ateliers à prix abordables, ce lieu permet aux habitants de se réapproprier une partie de leur quotidien26. Comme Le Recyclab, ce lieu, entend fonctionner grâce aux principes de l'Economie Sociale et Solidaire.

23 Ibid.

24 « Stratégie | R-Urban ».

25

26 « L'Établisienne, un lieu pour rénover, fabriquer, réparer, personnaliser... à Paris : atelier en libre-service, co-working, cours et stages, dépôt-vente. - De l'espace de travail, des artisans pour vous conseiller, des cours de technique (outils, matériaux) et de création (ébénisterie, marqueterie, vannerie, vitrail...), de la documentation. », L'Établisienne, un lieu pour rénover, fabriquer, réparer, personnaliser... à Paris: atelier en libre-service, co-working, cours et stages, dépôt-vente., consulté le 23 septembre 2013, http://www.letablisienne.com/.

16

De même la dynamique insufflée au quartier pourra permettre, dans le meilleur des cas, de créer des emplois et de donner un nouvel élan de développement au quartier.

Le Recyclab s'insère ainsi dans la dynamique globale pour le quartier, avec les deux autres unités, l'Agrocité et l'Ecohab à venir.

Après avoir mis en lumière la nature du projet R-urban et sa relation avec AAA nous verrons le rôle de l'Agrocité dans la stratégie globale.

1.2 L'Agrocité : Acteurs, fonctionnement global et objectifs.

L'Agrocité est un élément fondamental du projet r-urban, il est celui par lequel R-urban voit le jour. Il est également un pilier de la participation des habitants au projet global.

Le projet de l'Agrocité est une des trois unités du projet R-Urban. C'est la première unité qui a commencé à exister dès l'acquisition du terrain par l'association.

Ancien centre de contrôle technique automobile, cet espace était devenu une friche pendant de nombreuses années avant d'accueillir le projet R-Urban.

La ville de Colombes compte près de 80 000 habitants. Situé dans une Zone Urbaine Sensible (ZUS) , classification instituée dès 1996, le quartier des Fossés-Jean est un des 157 ZUS d'ile de France. Cette ZUS des Fossées Jean est le lieu de résidence de près de dix-sept mille habitants27. En 2009, près de 13% de la population des Fossés Jean était considérée comme étant « à bas revenu »28, alors que la moyenne parisienne ne dépassait pas les 9%. De même plus de 20% des ménages sont concernés par une allocation chômage contre 15% à Paris. Ce quartier, entre zones pavillonnaires et barres d'immeubles accueille une population mélangée. Depuis 2008 Le quartier est ciblé par une procédure de rénovation urbaine conduite par l'Anru ( Agence Nationale de Rénovation Urbaine)29. La parcelle de l'Agrocité se situe dans la zone de rénovation urbaine comme le montre l'Atlas de l'Anru30.

27 « ZUS Fossé Jean-Gare du Stade - Zone Urbaine Sensible de la commune: Colombes - SIG Politique de la Ville », consulté le 3 août 2013, http://sig.ville.gouv.fr/Cartographie/1117020.

28 « Insee - Revenus-Salaires - Pauvreté des travailleurs et bas salaires dans l'Hérault », consulté le 3 août 2013,

http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=14895&page=synthese/syn0905/definitions.htm.

29 « Atlas de la rénovation urbaine », consulté le 3 août 2013, http://sig.ville.gouv.fr/Atlas/ANRU/.

30 Ibid.

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Le quartier qui fait face à l'Agrocité va connaître une refondation totale dans les cinq prochaines années. Le projet développé par AAA est entre autre un moyen d'accompagner ce changement.

L'Agrocité est un projet d'agriculture urbaine qui souhaite associer les habitants au développement de projets écologiques expérimentaux. Comme tous les projets de AAA, cette unité se veut transversale dans les activités qu'elle propose comme dans les réflexions qu'elle suscite. Selon le site de R-urban l'Agrocité est une « Unité d'agriculture urbaine civique constituée par une micro-ferme expérimentale, des jardins collectifs, des espaces pédagogiques et culturels et des dispositifs de production énergétique, de compostage et de collecte d'eau pluviale. ». Dès lors une synergie se crée entre ces différents espaces et entre les personnes qui participent au projet de près ou de loin.

J'ai choisi de centrer mon travail de recherche sur l'Agrocité pour plusieurs raisons. D'abord c'est l'unité la plus avancée en terme de participation active des habitants. En plus des activités organisées collectivement par AAA et les habitants près d'un samedi sur deux, les habitants se retrouvent généralement d'eux mêmes pour cultiver leurs parcelles, discuter ou organiser des évènements.

Ensuite l'Agrocité est le lieu où j'ai passé le plus de temps, à travailler le jardin, participer au chantier d'auto-construction, organiser des évènements avec les habitants et les autres stagiaires et salariés de l'association.

Enfin l'Agrocité est pour l'instant le point focal du projet R-urban, là où se concentrent les énergies pour l'avancée du projet. Le bâtiment sera terminé fin aout et les activités concrètes vont pouvoir commencer. C'est donc un espace en puissance qui sera bientôt en mesure de créer une véritable dynamique dans le quartier.

L'objectif principal de l'Agrocité est de produire des légumes de qualité sans pesticides à partir de graines de variétés anciennes fournies par différentes associations (Kokopelli31, Biau-germe32...). Ces légumes doivent permettre de participer à nourrir les habitants et de les sensibiliser aux enjeux d'une alimentation locale et de qualité. Cependant cet objectif peut sembler être un prétexte pour créer un lieu dynamique au centre d'un quartier en

31 « Kokopelli », consulté le 22 août 2013, https://kokopelli-semences.fr/.

32 « LE BIAU GERME : Semences biologiques potagères, florales et aromatiques », consulté le 22 août 2013, http://www.biaugerme.com/.

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difficulté. Ce lieu doit accueillir des évènements culturels comme des conférences, des projections, des repas collectifs, des expositions autour de l'agriculture urbaine et du thème de la résilience.

Le futur de l'Agrocité est plus ou moins tracé jusqu'à la fin de la période garantie par les financements de l'Union Européenne, c'est à dire jusqu'à fin 2015. Le maraîchage a pour objectif de garantir, à terme, un salaire pour une personne à plein temps. Pour l'instant la capacité de production ne permet pas d'atteindre cet objectif et peut être sera t'il impossible à réaliser. Néanmoins un autre modèle économique peut se développer autour des porteurs de projets comme d'une interface avec le quartier (vente de paniers, de compost, de plants, de déjeuners ou de pains par exemple). Cette interface pourra également se concrétiser autour d'une boutique qui a vu le jour lors de l'inauguration. Cette boutique, tenue par K. Bohn, artiste et partenaire du réseau R-urban, au même titre que l'association Wick-On-Wheels basée dans le quartier de Hackney Wick, à l'est de Londres33. Cette boutique doit pouvoir commencer à construire une interface entre le quartier, les passants, et l'espace intérieur de l'Agrocité. Ces partenaires permettent au projet d'avoir des connections avec l'international et de développer un réseau de partenaires impliqués dans la création de lieux voués à la construction d'une dynamique écologique.

Les objectifs de l'Agrocité sont très variés mais ils se rejoignent pour créer une synergie entre les différents processus à l'oeuvre. Le but est de permettre à d'autres projets d'émerger et d'enrayer l'inéluctable processus du changement climatique, du pic pétrolier et de l'effondrement de la biodiversité. De même l'Agrocité vise à récréer une vie de quartier, comme elle pouvait exister lorsqu'il y avait plus de petits commerces, autour d'un pôle d'échanges et de rencontres.

Mais les possibilités de production sont limitées et pour l'instant les habitants ne forment pas un groupe suffisamment organisé et soudé pour continuer le projet. Mais comme nous l'avons déjà souligné le projet n'en est pas encore à la moitié de sa durée de vie.

33 « Wick on Wheels: Home », consulté le 23 août 2013, http://wickonwheels.net/.

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2. Des solutions concrètes face aux crises globales

2.1 De multiples crises sociétales

Nos sociétés sont engagées dans un mouvement constant de transformation. Ces transformations sont plus ou moins perceptibles, sauf lorsque des moments de ruptures apparaissent. La structure des révolutions scientifiques mises au jour par Thomas Kuhn peut permettre d'établir un parallèle avec les changements de société qui interviennent de façon sporadique, à la lumière d'un évènement marquant. Pour ce scientifique du XXème siècle, la science évolue par à coups : « Si la communauté ne peut plus résoudre les anomalies de plus en plus nombreuses, c'est alors la crise qui peut déboucher sur cette fameuse révolution scientifique. Le nouveau paradigme produira de nouveaux cadres de recherche, de nouveaux outils et sera en contradiction avec l'ancien. »34. De même, les crises sociétales et les révolutions façonnent brusquement le monde en redéfinissant ses bases. Une crise est généralement suivie d'une profonde remise en cause du paradigme de développement antérieur.

Actuellement, la crise semble diriger nos sociétés. Etymologiquement le terme de crise nous viens de la médecine moyenâgeuse: « Moment d'une maladie caractérisée par un changement subit et généralement décisif, en bien ou en mal »35.

L'utilisation actuelle du mot n'en conserve que l'aspect négatif, alors qu'une crise porte en elle même l'affirmation positive d'un autre système. En effet le thème de la crise et de ses conséquences désastreuses est très présent dans les medias et les articles scientifiques. Mais depuis quelques années seulement cette tendance s'est confirmée avec la crise économique et financière de 2008.

34 Véronique Bedin, « Thomas S. Kuhn », La Bibliothèque idéale des sciences humaines 1, no 1 (s. d.): 229, consulté le 10 août 2013. P.229

35 Le Robert, Le Nouveau petit Robert: dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, éd. par Josette Rey--Debove et Alain Rey, 1 vol., Dictionnaires Le Robert (Paris, France: Dictionnaires le Robert, 1994). P. 586

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Cette crise a rejailli sur l'ensemble des secteurs de la société et mis en avant une crise plus globale qui ne se limitait pas au système financier et à la sphère économique dématérialisée36. Néanmoins cette crise intervient alors que depuis les débuts du capitalisme des intellectuels dénoncent les risques inhérents au fonctionnement du modèle dominant.

Depuis le milieu du siècle l'ampleur du désordre crée par le système économique s'est accentué. La crise économique est étroitement liée à la crise écologique, énergétique, démocratique et plus généralement de sens.

Les crises s'alimentent et se répondent pour amener selon l'auteur Olivier Mongin à un état de « crise continue »37. Par exemple, selon lui, « le krach a débouché sur une conscience accrue des impératifs et exigences écologiques »38. De même les crises écologiques ont de graves répercutions économiques 39 . En outre le rapport du Programme des Nations Unies pour l'environnement présente une situation mondiale catastrophique: « Des points de basculement majeurs, entraînant des changements irréversibles dans les principaux écosystèmes et systèmes terrestres, ont déjà été atteints ou dépassés. »40. L'effondrement de la biodiversité comme le changement climatique sont des problématiques urgentes dont les enjeux dépassent les contingences nationales. De la déplétion des ressources halieutiques à la hausse du niveau des mers, les Etats ne pourront plus se permettre de penser en termes nationaux. Pourtant, les réponses à ces crises se doivent d'être agencées au niveau des individus et des communautés. Une autre réponse dangereuse consisterait à croire que la technique et la technologie pourront gommer les erreurs écologiques du passé: « Le XXIe siècle ne connaîtra pas la même exubérance énergétique que le XXe. Face à cette inexorable réalité, reste le miracle technologique qui consisterait à reconstituer, grâce à la technique, la corne d'abondance de la nature prodigue »41.

36 Olivier Mongin et Marc--Olivier Padis, « Une crise qui n'est pas seulement économique », Esprit Novembre, no 11 (2009): 7, doi:10.3917/espri.0911.0007.

37 Ibid.

38 Ibid.

39 « Retraites et marée noire, par Serge Halimi (Le Monde diplomatique) », consulté le 11 août 2013, http://www.monde-- diplomatique.fr/2010/07/HALIMI/19356.

40 « Changements climatiques : les Nations Unies envisagent le pire », bastamag.net, consulté le 11 août 2013, http://www.bastamag.net/article678.html.

41 Agnès Sinaï, « Mirages verts et sobriété californienne », Le Monde diplomatique n°664, no 7 (1 juillet 2009): 10?10.

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Un « désordre global » appelle des « solutions locales » selon Coline Serreau, auteure et cinéaste42. En effet, ces crises, formant un tout, appellent une réponse globale plutôt qu'une approche qui étudierait chaque problème séparément. Pour de nombreux auteurs proches de la pensée marxiste, l'écologie est la porte d'entrée d'une résolution des crises globales.

Selon Felix Guattari, la crise écologique est de plus en plus flagrante et ses conséquences sont telles qu'elle menace à terme « l'implantation de la vie sur la surface » de la terre43. De même pour André Gorz, philosophe et théoricien majeur de l'écologie: « il est impossible d'éviter une catastrophe climatique sans rompre radicalement avec les méthodes et la logique économique qui y mène depuis cent cinquante ans ». C'est donc bien le mode de fonctionnement capitaliste de la société qui est mis en cause.

En effet, depuis le début du XXème siècle le modèle économique et social Etatsunien s'est peu à peu imposé au monde comme un horizon indépassable. Le documentaire La fin de suburbia: L'épuisement des réserves de pétrole et l'effondrement du rêve américain, réalisé par Gregory Greene44, explore l'histoire des villes étatsuniennes et démontre comment la société s'est construire autour de l'utilisation de la voiture et de la route, des valeurs d'abondance matérielle, surtout à travers l'idée d'un pétrole disponible à l'infini, portant une société basée sur l'individualisme et la réussite personnelle. Ces caractéristiques fondamentales du style de vie americain ont ensuite été diffusées à travers le monde sous le signe du « développement» et de la croissance des richesses à tout prix, ce que Serge Latouche, économiste français et penseur de la décroissance, nomme « l'occidentalisation du monde »45.

Selon lui les normes prônées par ce modèle sont incompatibles avec la survie de l'humanité: « Théoriquement reproductible, le développement n'est pas universalisable. D'abord pour des raisons écologiques: la finitude de la planète rendrait la généralisation du mode de vie américain impossible et explosif. »46. De même, dans son ouvrage, de la

42 Coline Serreau, Solutions locales pour un désordre global, 1 vol. (Arles, France: Actes Sud, impr. 2010, 2010).

43 Félix Guattari, Les trois écologies (Paris: Éditions Galilée, 1989). p. 11

44 Gregory Greene, The End of Suburbia: Oil Depletion and the Collapse of the American Dream, Documentary, 2004.

45 Serge Latouche, « En finir, une fois pour toutes, avec le développement », Le Monde diplomatique n°566, no 5 (1 mai 2001): 6B?6B.

46 Ibid.

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convivialité, Ivan Illich, penseur fondamental de l'écologie politique écrit: « Au stade avancé de la production de masse, une société produit sa propre destruction »47.

Cette occidentalisation est allée de pair avec un affaiblissement des relations sociales, une « colonisation des imaginaires »48. I. Illich écrit écrit: « La nature est dénaturée. L'homme déraciné, castré dans sa créativité, est verrouillé dans sa capsule individuelle. »49. Il affirme que l'Homme, crée à partir du modèle occidental, n'est plus connecté avec son environnement et n'a plus les outils pour vivre intensément sa vie mentale comme sociale.

En outre, l'instauration du travail salarié imposé comme norme pour tous est hautement aliénante: « le monopole du mode industriel de production fait des hommes la matière première que travaille l'outil ». L'homme est désormais soumis à la machine dans sa vie quotidienne comme dans son travail. De même A. Gorz explique que le mot travail vient du mot « tripalium » qui désigne un instrument de torture et en déduit que la forme actuelle du travail n'a plus rien à voir avec ce qu'il a été au début du siècle, où l'artisanat prédominait50. L'homme pouvait alors comprendre et maitriser toutes les étapes du processus de production.

De tous ces constats alarmants tant que pour l'homme que pour son milieu de vie, ces différents penseurs construisent une réflexion axée sur une critique radicale du système capitaliste en même temps qu'ils en proposent un dépassement. Ce dépassement prend des formes diverses selon les théories et les expériences vécues. L'abandon de la poursuite de la croissance et d'un « développement » axé sur l'homme plutôt que sur le profit apparaît comme deux conditions indispensables à un changement de paradigme. A. Gorz écrit: « La décroissance est un impératif de survie. Mais elle suppose un autre style de vie, une autre économie, une autre civilisation, d'autres rapports sociaux »51. Pour amener ces transformations il postule sur la mise en oeuvre d'une autonomie aussi bien au niveau individuel qu'au niveau des communautés.

47 Ivan Illich, La convivialité, Points (Paris), ISSN 0768--0481 ; 65 Points. Civilisation (Paris: Éd. du Seuil, 1990), http://www.sudoc.fr/011301473.p.11

48 Latouche, « En finir, une fois pour toutes, avec le développement ».

49 Illich, La convivialité. p.11

50 « Andre Gorz » film by Marian Handwerker. part1, 2010,

http://www.youtube.com/watch?v=R5BoVDcBpYY&feature=youtube_gdata_player.

51 André Gorz, Écologica, 1 vol., Débats (Paris), ISSN 0152--3678 (Paris, France: Galilée, 2008).

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Le projet R-urban s'inscrit dans le prolongement de ces critiques du modèle dominant de création de richesses. Pour Constantin Petcou et Doina Petrescu : « À micro échelle, l'espace capitaliste est noyé sous une pression publicitaire qui s'exerce en continu, à travers l'ensemble des médias et des moyens de communication (poste, téléphone, télévision, Internet), transformant le foyer familial en centre absolu d'une culture consumériste de l'éphémère. Tous les objets sont jetables, rien n'est plus recyclable ou réparable par soi-- même. »52 L'atelier d'Architecture Autogérée s'inspire beaucoup de ces penseurs de l'écologie radicale pour imaginer et construire des dynamiques du quotidien: « Afin de dépasser les crises actuelles (climatique, ressources, économique et financière, démographique), nous devons, comme dit André Gorz, `produire ce que nous consommons et consommer ce que nous produisons'. Ce rééquilibrage entre production et consommation à travers des circuits courts locaux ne pourra pas se faire sans des changements de modes de vie, d'habitation et de travail et sans l'implication active des citoyens dans ces changements à travers des pratiques collaboratives et des réseaux de solidarité »53. Ce projet vise à remettre l'individu en lien avec sa communauté en même temps qu'il tente de l'inclure dans des expériences de transformation concrètes de ses conditions d'existence. L'AAA postule l'importance d'un changement global et le refus de se limiter à questionner les seules nuisances engendrées par le système capitaliste.

De même, la nécessité pour les individus de se réapproprier les processus de production (d'objets, d'énergie, d'aliments, de relations etc...) passe par l'existence et le maintien de lieux dédiés au rassemblement et à l'expérimentation. Le projet R-urban tente de redonner aux individus la possibilité de comprendre les mécanismes de production et montrer qu'ils ne sont pas inatteignables et qu'ils doivent au contraire être réinvestis par les utilisateurs, avec l'aide de professionnels.

1.2 Les dispositifs de l'Agrocité : une agriculture locale sans pesticides et sans pétrole

52 Constantin Petcou et Doina Petrescu, « Agir l'espace », Multitudes 31, no 4 (2007): 101, doi:10.3917/mult.031.0101.

53 « Stratégie | R-Urban ».

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Quels sont les dispositifs concrets de l'Agrocité conçus pour répondre aux multiples crises que nous avons évoqué?

Sur la parcelle cohabite deux espaces en devenir qui se répondent et se complètent: le bâtiment et le jardin.

(Plan du bâtiment en photo) Le bâtiment sera, en théorie, prêt pour début septembre 2013. Sa construction a été assurée par l'entreprise Logica Bois et grâce au travail des salariés, stagiaires et bénévoles occasionnels ainsi que par l'aide de certains habitants qui ont participé au chantier d'auto-construction. Initialement ce bâtiment devait être bien plus modeste. Mais au fur et à mesure des réflexions et du fait de certaines règlementations contraignantes liées entre autres à l'urbanisme ( comme la nécessité par exemple de construire le bâtiment sur pilotis, la zone étant considérée comme inondable ), le bâtiment à intégré de nouveaux aménagements qui n'étaient pas prévus au départ. La plupart de ces nouveaux dispositifs sont d'ordre écologiques. De la même façon que le projet cherche à créer un cercle vertueux autour de circuits courts, l'Agrocité et les autres unités sont conçues avec le même raisonnement. L'objectif était de construire un bâtiment pouvant être autonome sur le plan énergétique.

Les dispositifs sont de différentes natures:

· Récupération et réutilisation de l'eau de pluie: Stockée dans un bassin de quatorze mètres cubes sous le bâtiment, l'eau récoltée est acheminée dans des cuves surélevées qui, grâce à la force de la gravité, permettent d'irriguer la majeure partie du jardin.

· Récupération de l'énergie solaire: des panneaux solaires disposés sur une partie du toit permettent de récolter une grande partie de l'électricité nécessaire au fonctionnement du bâtiment et ainsi de fournir une source d'énergie renouvelable et d'éviter le recours au nucléaire

· Une toiture et des gouttières végétalisée de part et d'autres du bâtiment afin de développer la biodiversité du site et de contribuer à l'esthétique du bâtiment aussi bien au niveau du sol que depuis les tours environnantes.

· Un bassin de phyto-épuration qui permet le traitement des eaux « grises » du bâtiment grâce à l'action des plantes. L'implantation de toilettes sèches permet à la fois de ne pas avoir à traiter « d'eaux noires » et de fournir du compost sur le long terme.

· Un chauffage compost qui pourra chauffer une partie du bâtiment durant les mois d'hiver.

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Quant au jardin il accueille plusieurs dispositifs qui visent à répondre aux enjeux du changement climatique, à la fin du pétrole bon marché et à l'érosion de la biodiversité :

· Production de compost: trois « bacs à compost » assurent à la fois un tri des déchets organiques, du jardin et de certains habitants du quartier ayant ou non une parcelle, et permettent un « enrichissement de la terre » pour une meilleure productivité du sol.

· Le lombri-compost qui se situe au fond du jardin permet « d'affiner » le compost provenant des trois bacs. Les lombrics digèrent et améliorent la composition du mélange.

· Aucun pesticide n'est utilisé pour aucune opération de maraîchage afin de garantir des produits sains, de protéger la santé des habitants comme des personnels de l'association et de protéger le milieu ambiant (eau et air).

· Les graines proviennent pour la plupart d'associations de protection de la biodiversité : Kokopelli, Biau Germe. A chaque montée en graines celles ci sont récupérées.

· Refus d'utiliser des outils fonctionnant avec des énergies fossiles : pas de tondeuses par exemple

· De même, cultiver sur un terrain qui a accueilli des activités polluantes de par le passé montre qu'il ne faut pas céder à la fatalité.

Tous ces dispositifs concrets ont trois objectifs déclarés :

· Démontrer la faisabilité technique et financière de tels aménagements en pleine ville. ( Il a par exemple été complexe de réaliser une phyto-épuration en ville au vu des textes de loi contraignants sur le sujet).

· Créer un « circuit court » à l'intérieur même de la structure, qui puisse à la fois alimenter le réseau des trois unités. (Par exemple des légumes produits à l'Agrocité pour le Recyclab et des objets utilisables à l'Agrocité pour le Recyclab).

· Montrer l'intérêt, sur le court comme sur le long terme, de ces installations sur le plan écologique comme éducationnel.

Ce bâtiment, une fois terminé, doit accueillir trois espaces distincts qui auront des fonctions complémentaires. Chaque espace n'aura néanmoins pas un rôle très strictement déterminé puisque les lieux sont conçus pour être à usages multiples. Ces trois espaces ont été pensés pour être autonomes les uns des autres.

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Le premier espace, le plus proche de l'entrée a été pensé pour être une salle de réunion, de projection et de débats sur les enjeux de l'Agrocité. L'idée est de pouvoir inviter des intervenants extérieurs en même temps qu'initier une dynamique d'éducation populaire et citoyenne qui ne se limite pas à la population locale. En effet l'Agrocité à vocation à devenir un lieu d'expérimentation sur une échelle suffisamment large pour créer un cercle vertueux au niveau du quartier. Ensuite l'objectif affiché de l'expérimentation R-urban est de pouvoir être répliquée, selon les contextes, dans d'autres villes.

Le second espace, plus petit et séparé du premier par l'entrée du bâtiment, sert à la fois de cuisine, de salle d'exposition pour les différents objets vendus dans la boutique et d'un lieu de rencontres. Il pourra également servir de lieu de distribution pour l'Association pour le Maintien de l'Agriculture Paysanne (AMAP) qui sera bientôt mise en place. Basée en Ile de France, celle ci sera complétée par la production du jardin afin de proposer des légumes locaux à des prix justes.

Le dernier espace, le plus proche de l'entrée destinée aux livraisons, servira de «cabane» pour les jardiniers partageant les parcelles comme ceux de l'association.

L'Agrocité, comme l'ensemble du projet R-urban est basée sur une dynamique initiée par des porteurs de projets: « R-Urban propose des outils et des aménagements pour faciliter cette implication citoyenne en accompagnant notamment des projets émergents à échelle locale et régionale qui s'inscrivent dans cette direction. ». A l'Agrocité Yvon est responsable depuis près d'un an du compost et du lombri-compost. Il vient régulièrement pour donner des conseils sur l'entretien et l'utilisation du compost destiné à l'Agrocité. Il a suivi une formation de maître composteur et entend permettre de donner des cours à des aspirants maitre composteurs ou a des habitants qui souhaiteraient s'initier à cette pratique.

Les porteurs de projets donne une cohérence plus grande au projet en impliquant des habitants et en apportant une visibilité au site. Certains projets peuvent également devenir générateurs d'emplois ou du moins d'un revenu.

De même, les enjeux d'une Agriculture urbaine sont considérables. Un des pays modèles actuellement en la matière est Cuba. A la suite de l'effondrement du bloc soviétique le pays s'est trouvé dans un marasme économique presque d'un jour à l'autre. L'Union Soviétique fournissait entre autres des pesticides, à base de pétrole, et la majeure partie des outils mécanisés utilisés pour l'agriculture. Pour nourrir ses citoyens l'Etat a du recourir à la

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création d'unités agricoles autonomes fonctionnant au coeur des villes et sans pesticides. Cette alimentation saine et bon marché permet aux habitants de ce pays sobre de se nourrir correctement. Selon les critères de l'ONU cuba est actuellement le seul pays respectant les critères du développement durable. Avec un Indice de développement humain (IDH) très élevé et une utilisation des ressources basses, Cuba est le seul pays au monde à respecter les critères du développement durable54. Ce pays est pourtant isolé sur la scène internationale. Comme nous l'avons vu cette production au centre des métropoles pourrait être une des façons de résoudre la crise environnementale, sociale et économique.

Elle permet également de créer des lieux où les individus s'investissent pour leur communauté au quotidien en échangeant. Mais cette pratique n'est pas nécessairement productrice d'un changement social global comme on pourrait le penser. La participation active des habitants apparaît comme un préalable à une prise de conscience des enjeux globaux et de la remise en cause du système actuel.

B. La participation des habitants

1. Qu'est ce que la participation ?

1.1 Différents degrés de participation et la notion

d'Empowerment (ou « capacitation »)

L'utilisation du terme de participation dans les projets urbains est de plus en plus courante. Il recouvre, dans le domaine de l'urbanisme, des acceptations très diverses selon l'utilisation qui en est faite par les acteurs et les responsables de projets.

De fait depuis une dizaine d'années un processus de concertation plus ou moins poussé se développe pour tenter de se substituer aux traditionnels conflits de légitimité

54 « Cuba championne mondiale du développement humain et durable », OverBlog, consulté le 23 septembre 2013, http://cubasilorraine.over-- blog.org/article--cuba--championne--mondiale--du--developpement--humain-- et--durable--42581728.html.

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entre les différents acteurs autour des opérations d'urbanisme (Etat, collectivités locales, entreprises privées, techniciens et usagers)55.

Depuis la fin de la seconde guerre mondiale les projets menés par l'Etat se sont démultipliés et concernent désormais la quasi-totalité des domaines de la vie des citoyens. Par exemple les politiques menées en direction du logement social attestent de cette emprise grandissante de l'Etat sur les projets urbains et leurs contenus : « Ces banlieues jardins qui s'intègrent dans un programme d'aménagement de la banlieue, de construction de logements pour les classes populaires et d'éducation populaire.»56. A l'époque pourtant les termes de concertation et de participation ne sont jamais employés et l'action des citoyens n'est pas encouragée pour la définition des projets d'urbanisme. Dans les schémas traditionnels les citoyens semblent être des « acteurs de second ordre: ils exercent une influence indirecte sur les politiques publiques à travers leurs actions pour sélectionner, supporter et sanctionner les élus »57. Ainsi les citoyens sont rarement à même de définir concrètement le contenu des politiques publiques, aussi bien locales qu'un internationales.

En outre les décisions législatives et les orientations globales sont le plus souvent orchestrées par une élite disposant des codes et des connaissances inhérents à ce milieu58.

Ils se retrouvent donc démunis face à une organisation hiérarchique de prise de décision. Pour ce qui est des projets d'urbanisme, qui requièrent une expertise et une prise en compte des enjeux de long terme, le citoyen lambda peut difficilement prétendre avoir un point de vu exhaustif sur un projet et est de fait exclu de la prise de décision.

De plus son point de vue, censé n'être que local est négligé par les instances officielles: « s'agissant d'aménagement urbain ou de politiques de la ville, des instances de décisions - administratives, politiques et privées - semble nécessiter d'exclure toute revendication

55 Patrick Moquay, Cécile Blatrix, et Muriel Tapie-Grime, Développement durable et démocratie participative: la dynamique performative locale, 1 vol., Recherches (Paris), ISSN 0249-8804 ; 181 (La Défense: Plan urbanisme construction architecture, 2007),.

56 Jean-Marc Stébé, « L'habitat social, une volonté de planification et de modernisation », Que sais--je ? 5 éd. (1 avril 2011): 55?76. p. 65

57 Laurence Bherer, « Les relations ambiguës entre participation et politiques publiques », Participations N° 1, no 1 (2011): 105?133.

58 Michael Hartmann, « 11. Les élites et le champ du pouvoir », Recherches (1 janvier 2007): 190?204. P.195

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générale de citoyenneté urbaine, cantonnée à des luttes locales (assez vite assimilée d'ailleurs à des réflexes «NIMBY59»»60.

En effet, l'urbanisme, de part sa complexité se trouve à l'intersection de nombreuses disciplines et demeure un milieu d'experts : «l'urbanisme comme modalité d'action sur les territoires urbains interroge d'emblée les relations entre pouvoirs politiques, techniques et expertises, savoirs urbains et usages» 61

C'est ainsi dans un effort de légitimation de l'action publique face à un manque d'efficacité et de prise en compte des besoins locaux de la population que ces deux termes ont récemment été intégrés au vocabulaire de la décision publique. Mais l'espace capitaliste est en crise et recherche des moyens de garder le contrôle sur des opérations d'urbanisme de plus en plus controversées. Marie Helene Bacqué, sociologue et urbaniste, prévient que les dispositifs de participation peuvent s'inscrire dans « une tension entre idéologie néolibérale et revendication démocratique, toutes deux pouvant se rejoindre dans la critique d'une action publique considérée comme bureaucratique, cloisonnée et trop centralisée, critique débouchant sur l'appel à la participation ou sur l'ouverture de nouveaux partenariats public/privé.»62

Les dynamiques à l'oeuvre font néanmoins partie d'une refonte des mécanismes de prise de décision démocratiques. L'Etat, au travers de lois, s'efforce de rapprocher le citoyen des décisions prises par ses représentant et intégrer plus en amont les citoyens dans la prise de décision63. Cependant, cette intégration plus poussée prend le plus souvent la forme d'une simple « consultation ». Cette « consultation » est devenue obligatoire avec la circulaire Blanco de 199264. La loi de 1999 prolonge la concertation entre acteurs puisqu'elle affirme la nécessité de définir un « cadre procédural relativement souple, dont

59 Not in My Back Yard, c'est-à-dire : « Pas dans mon jardin »

60 Vincent Bourdeau et al., « Éditorial », Mouvements 74, no 2 (2013): 7, doi:10.3917/mouv.074.0007.

61 Marie-Hélène Bacqué et Mario Gauthier, « Participation, urbanisme et études urbaines: Quatre décennies de débats et d'expériences depuis « A ladder of citizen participation » de S. R. Arnstein », Participations 1, no 1 (2011): 36, doi:10.3917/parti.001.0036.

62 Ibid.

63 Amanda Gregory, « Problematizing Participation A Critical Review of Approaches to Participation in Evaluation Theory », Evaluation 6, no 2 (4 janvier 2000): 179?199, doi:10.1177/13563890022209208.

64 Mairie d'Angers, « Le cadre juridique de la participation », consulté le 13 février 2012, http://www.angers.fr/projets-et-politiques/democratie-participative/la-participation-citoyenne-a-angers-c-est-quoi/le-cadre-juridique-de-la-participation/index.html.

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le contenu opérationnel doit résulter d'une négociation locale plus ou moins ouverte »65. Les aménageurs souhaite ainsi construire un « consensus autour des projets en jeu » en amenant « le passage de la norme au contrat, du conflit à la régulation »66.

Or pour permettre aux habitants de « délibérer » sur le futur de leur milieu urbain il semble qu'une véritable participation passe par un échange plus que par une simple consultation. En outre les habitants peuvent être associés à la décision à de nombreux stades de la décision. Cette forme de « participation » apparaît donc assez limitée au regard des enjeux et de l'échelle des opérations d'urbanisme. Des associations et des collectifs d'habitants ont ainsi pris le parti de construire une forme de participation plus inclusive et ambitieuse. Par exemple le terme de « maitrise d'usage » consacre l'expertise des usagers et la met en regard de celles des experts officiels67.

Mais la maitrise d'usage postule néanmoins qu' «Il n'appartient pas aux habitants de dessiner le projet, prendre les décisions ou se substituer aux autres acteurs mais de formuler , formaliser, concrétiser, sur un temps long, leurs attentes, leurs rêves ou leurs refus»68. Il me paraît alors important de rapprocher la notion de participation de celle d'Empowerment, «pouvoir d'agir» ou « capacitation »69 qui permet de créer une véritable prise de conscience de la part des habitants de leur capacité à influer sur la décision publique et l'avenir de leur ville70. L'Empowerment est défini par J. Moyersoen e Jim Segers comme « initiation permanente à l'action collective dans la sphère publique afin de surmonter les obstacles d'inégalités structurelles dans la ville »71

Il me semble ainsi que c'est beaucoup sur la notion d'Empowerment, sans pour autant la citer explicitement que se développe le projet R-urban.

C. Petcou et D. Petrescu font le constat d'un espace public et privé de plus en plus dominé par la logique et les valeurs du système capitaliste. Selon eux, «la disparition progressive

65 Moquay, Blatrix, et Tapie-Grime, Développement durable et démocratie participative.

66 Philippe Hamman, Christine Blanc, et Flore Henninger, Penser le développement durable urbain : regards croisés, 1 vol., Logiques sociales, ISSN 0295-7736 (Paris: l'Harmattan, 2008), http://www.sudoc.fr/12887869X.

67 « La maîtrise d'usage - Accueil », consulté le 15 août 2013, http://www.maitrisedusage.eu/.

68 Ibid.

69 Bernard Vallerie et Yann Le Bossé, « Le développement du pouvoir d'agir ( empowerment) des personnes et des collectivités: de son expérimentation à son enseignement », Les Sciences de l'éducation -- Pour l'Ère nouvelle 39, no 3 (2006): 87, doi:10.3917/lsdle.393.0087.

70 Ibid.

71 « generalizedempowerment.org ».

des espaces à usage collectif et des espaces susceptibles d'être appropriés, pour des usages informels basés sur la responsabilité et la confiance réciproque''72 est un danger pour la vie sociale. Par le biais de l'AAA, ils formulent ainsi des stratégies à l'échelle locale comme globale pour faire prendre conscience aux habitants du danger de ces dynamiques, la possibilité d'agir pour les contrer et créer de nouvelles synergies.

31

1.2 Enjeux de la participation pour le projet R-urban

Les habitants occupent une place centrale dans tous les projets de AAA. Ils sont véritablement ceux qui détiennent le pouvoir sur le présent comme sur l'avenir du projet. Bien qu'ils n'aient souvent pas accès aux données brutes du projet (financements, réunions, documents de travail par exemple), leur investissement est une condition sine qua none de la pérennité et de la légitimité du projet. Leur engagement est la clé de voute du projet. Puisqu'un des objectifs d'AAA est d'arriver à lancer une dynamique qui pourrait inverser certains processus urbains en cours.

En effet, selon C. Petcou et D. Petrescu « L'économie capitaliste continue à produire un espace urbain dé--subjectivé, consumériste et abstrait.»73. Il s'agit donc de créer un espace à partir d'un lieu abandonné, a priori vide de sens.

Ce lieu, le plus souvent une friche urbaine envahie par les herbes et les détritus, devient lentement un espace concret porteur d'images, de symboles et peu à peu probablement d'un sens pour ceux qui le côtoient. Le lieu se transforme doucement sous les pas et les regards

72 Vallerie et Le Bossé, « Le développement du pouvoir d'agir ( empowerment) des personnes et des collectivités ».

73 Petcou et Petrescu, « Agir l'espace », 7 janvier 2008. p.103

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des habitants, il acquière une matérialité. C'est un nouveau souffle pour une partie des habitants du quartier qui pour certains l'ont toujours connu comme un espace creux: « Au plus loin que je me souviens ca a toujours été une friche »74. Pour certains, les potentialités de ce lieu inoccupé sont flagrantes et ils avaient déjà envisagé la possibilité d'y implanter quelque chose: « J'ai eu cette idée de planter ici avant que ca existe du coup c'est comme un rêve qui se réalise »75.

Avec la concrétisation du projet mené par AAA, les possibilités de créer des espaces similaires à partir de lieux « insignifiants » se révèlent. Pourtant les habitants et les personnes susceptibles de disséminer cette expérience sont effrayés par l'immense difficulté qui semble accompagner la conduite d'un tel projet. Du moins ils voient l'implication quotidienne des salariés au jardin et s'imagine le processus de discussion--négociation qu'il doit être nécessaire de mener tout au long du projet avec la mairie et les différents financeurs. Pour autant mener un tel projet, même si moins ambitieux, ne semble pas insurmontable à partir du moment où l'individu s'insère dans un groupe cohérent et soudé. De même, la nature du projet, transformer un lieu sur le plan symbolique comme matériel, amène la nécessité d'une réflexion sur le temps long. Celui ci doit s'imbriquer dans tous les quotidiens du groupe en puissance comme dans les trajectoires individuelles. Ce double mouvement permet au groupe de se constituer une identité en rapport avec l'espace créé tout en respectant les individualités.

Le concept d' « altérotopie » développé par C. Petcou et D. Petrescu évoque une construction partagée de l'espace « autre » avec « les autres », « ceux qui différent de nous et qui nous importent »76. Cette mise en commun des ressources mentales et physiques des individus est nécessairement processuelle. F. Guattari souligne l'importance de considérer la démocratie et sa construction comme un processus perpétuel: «la démocratie n'est jamais pour Guattari un acquis définitif, « une vertu transcendantale, une idée platonicienne, flottant en dehors des réalités ». Elle doit rester une passion processuelle, qui ne peut se réduire à un enjeu exclusivement électoral, mais qui exige de prendre en compte sans cesse l'altérité, la divergence des désirs et des intérêts, des procédures toujours renouvelées d'affrontement, de

74 Entretien anonyme avec C., s. d.

75 Entretien anonyme avec A., s. d.

76 Petcou et Petrescu, « Agir l'espace », 7 janvier 2008. p. 106

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négociation et d'expérimentation»77. La création et la construction de l'espace sont à la fois un moyen et une fin. Le projet est un moyen car c'est par la prise de décision quotidienne et l'organisation informelle que se créent les liens et s'articulent les projets. C'est également une fin car même il s'agit en soi d'un processus interminable, il postule, dans sa construction une conscientisation et une transformation de l'espace physique comme mental.

Pour le projet R-urban il est nécessaire de distinguer trois d'acteurs-habitants jouant des rôles clés. D'abord les habitants qui viennent régulièrement ou plus rarement pour s'occuper de leur parcelle ou participer aux évènements. Ensuite les habitants porteurs de projet qui se constituent au fil du projet et des opportunités de développement. Pour l'instant, Yvon, maître composteur, est le plus avancé voir le seul porteur d'un projet concret, sur l'organisation d'une filière compost. La filière compost de l'Agrocité vient d'être reconnue comme un « pôle régional » au niveau de l'Ile de France. Les financements assortis de cette reconnaissance permettront un développement de la filière et une plus grande notoriété de l'Agrocité. Enfin, les habitants du quartier qui n'ont pas de parcelles, qui viennent pour la plupart moins régulièrement. Ils achètent des légumes et participent quelques fois aux activités du samedi. Leur rôle est également important car leur implication peut être croissante et ils communiquent sur le projet.

Le processus de participation des habitants au projet dépasse le simple pouvoir de l'usager individuel en l'inscrivant dans la sphère plus large du quartier et de la communauté. Dès les débuts du projet l'équipe de AAA a réalisé une cartographie des acteurs pouvant être impliqués à plus ou moins long terme dans l'élaboration et la construction concrète du projet. Cette carte des « acteurs-usagers » permet de comprendre les dynamiques déjà existantes et d'accompagner les habitants dans le montage du projet. Ces acteurs-usagers, qui peuvent être des personnes comme des institutions, disposent d'un important capital social et d'une connaissance plus ou moins élargie des ressources de leur quartier. Cette notion d'acteurs-usagers rejoint celle d'action-recherche qui postule un développement conjoint de la réflexion et d'une mise en pratique des concepts étudiés. Cette démarche peut être considérée comme le pendant, pour les sciences humaines, de la démarche scientifique.

Dans un second temps la participation des habitants à la vie et à l'élaboration quotidienne du projet de l'Agrocité s'articule nécessairement avec la théorie et l'approche

77 « Actualité de Guattari - La Vie des idées », consulté le 10 août 2013, http://www.laviedesidees.fr/Actualite-de-Guattari.html.

pragmatique de l'écologie développée par AAA. En effet la recherche et l'expérimentation sont des composantes primordiales du fonctionnement de l'association. Des étudiants en stage de fin d'études ainsi que des chercheurs universitaires nationaux comme internationaux étudient et « enregistrent » l'activité de l'association depuis son commencement78. Les théories d'écologie radicale développées par les penseurs évoqués ci-dessus présentent également la solidarité, la coopération et la participation comme des facteurs indispensables à une appréhension globale des problématiques contemporaines. Dès lors la question «Comment se réapproprier et re-subjectiver la ville ?» 79 devient primordiale qui détermine l'action de AAA et dont nous nous efforcerons de détailler les étapes.

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2. La participation des habitants dans les projets de AAA et à l'Agrocité

2.1 La participation des habitants pour l'Atelier d'architecture Autogérée dans les projets précédents

78 « Réseaux | R-Urban », consulté le 19 août 2013, http://r-urban.net/network/.

79 Petcou et Petrescu, « Agir l'espace », 7 janvier 2008.

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Pour Hannah Arendt, philosophe allemande du XXème siècle: « Personne ne devrait être appelé joyeux ou libre si il ne participe ni ne partage l'administration de la puissance publique »80.

Depuis les prémices de la constitution de l'association AAA, la participation des habitants est une priorité sinon une nécessité. Comme le souligne D. Petrescu, citant Toni Negri, philosophe du « commun » : « Créer de la valeur aujourd'hui c'est mettre en réseaux des subjectivités et capter, détourner, s'approprier ce qu'elles font de ce commun qu'elles inaugurent »81.

Le travail de AAA n'a de sens qu'en intégrant progressivement les habitants à une oeuvre de réflexion collective axée autour de l'action et du chantier collectif 82. Par la description et l'analyse de l'approche de la participation des habitants dans les anciens projets menés par AAA nous pourrons mieux appréhender le projet R-urban et celui de l'Agrocité. Cette analyse sera menée de façon chronologique afin de montrer les avancements théoriques et pratiques au fil des projets.

Le projet Ecobox a débuté dès 2001 à la faveur de l'investissement d'une friche appartenant au Réseau Ferré Français (RFF). Ce projet, développé dans le quartier populaire de La Chapelle situé dans le nord de Paris vise à

83 La diversité des cultures présentes dans le quartier a amené l'AAA à mettre en lien les habitants du quartier et de ses alentours. Ce lien s'est construit autour d'actions communes réalisées autour d'

84 Ces actions adressent les questions artistiques,
cinématographiques, culturelles en les imbriquant toujours dans un flux continu d'actes du quotidien liés au jardin et à la construction d'objets.

Ecobox a permis de créer un espace inédit dans un lieu abandonné. Les rencontres inestimables qu'il a générés ont débouché sur d'autres qui ont amené une prise de conscience des

80 Hannah Arendt, Essai sur la Révolution, trad. par Michel Chrestien, 1 vol., Les Essais (Paris, 1931), ISSN 0768-4355 123 (Paris, France: Gallimard, 1967).

81 Doina Petrescu, « Jardinières du commun », Multitudes 42, no 3 (2010): 126, doi:10.3917/mult.042.0126.

82 Ibid. : « Pour nous, en tant qu'architectes, la reprise du commun passe par une réappropriation tactique et un investissement collectif des espaces immédiatement accessibles afin d'inventer de nouvelles formes de propriété et de vivre ensemble, plus éthiques et plus écologiques »

83 « urban tactics, projets », consulté le 20 août 2013,

http://www.urbantactics.org/projectsf/ecobox/ecobox.html.

84 Ibid.

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possibilités d'action chez certains habitants du quartier85. Lors de la destruction du lieu voulu par la mairie puis du déménagement obtenu par les habitants ceux ci ont lutté d'abord pour conserver le lieu puis pour récupérer un autre espace. Le quartier est plein de ces lieux vides, laissés à l'abandon en attendant un futur projet, souvent hypothétique. La lutte pour obtenir un nouvel espace à été possible grâce à la force de la communauté qui s'est constituée autour du projet au fil des années. La participation des habitants dans ce projet apparaît ainsi une condition sine qua none de sa pérennité. Nous verrons par la suite que cette participation est également la première étape à une prise de conscience de l'importance des enjeux globaux et de leur lien direct avec les problématiques locales rencontrées au quotidien

L'enjeu éthique est également primordial en ce qu'il structure le cadre de l'action autour d'évènements destinés à accroitre la solidarité, l'entraide, la coopération entre les personnes du jardin et plus généralement du quartier. La définition architecturale sont

La réhabilitation du concept de « commons »86 mis en avant par O. Olström évoque la gestion traditionnelle de ressources partagées entre les membres d'une communauté. Cette notion remise en avant par AAA dans ces projets permet de penser l'appropriation collective pour sortir des cadres rigides de la division propriété privée/ publique :

87 Jl s'agit ici de construire un espace « appropriable » par tous, selon la définition que nous avons donnée de l'appropriation en introduction. Un espace qui permettre une réalisation et un épanouissement personnel en même temps qu'une vie de quartier intense :

88

La spécificité féminine du projet Ecobox mise en avant par D. Petrescu dans son article lorsqu'elle écrit :

» peut s'appliquer aux autres groupes existants.

85 Petrescu, « Jardinières du commun ».

86 Ibid. : « Les « commons »définissaient traditionnellement ces éléments de l'espace environnemental et des ressources naturelles - les forêts, l'atmosphère, les rivières, les pâturages, etc. - dont la gestion et l'usage étaient partagés par les membres d'une communauté. C'étaient des entités que personne ne pouvait détenir, mais que tout le monde pouvait utiliser. Actuellement le sens du terme de commons s'est élargi pour inclure toutes les ressources (matérielles ou immatérielles) qui sont collectivement partagées par toute une population. »

87 Ibid.

88 Ibid.

Le projet du 56 rue saint Blaise dit « le 56 », dans le XXème arrondissement se rapproche de celui initié dans le XVIII ème arrondissement. La participation et l'ampleur du projet n'étaient pas la même mais les principes suivis pour mener le projet sont sensiblement similaires. Toujours en activité aujourd'hui, cet espace, comme Ecobox, à subit de nombreuses transformations et le groupe d'habitant a beaucoup évolué depuis le début du projet. Construit dans une passage entre deux immeubles, lieu inutilisé par ses proches habitants, ce projet frappe par son ambition. Créer un jardin entre deux hauts murs, avec une forte densité urbaine demande un savoir faire. De même, lier des habitants qui n'ont au départ pas forcément d'intérêts en commun est un pari risqué.

La participation des habitants a tout de suite été un impératif sans lequel rien n'aurait été possible. Ce sont essentiellement des femmes qui ont pris en main le lieu pour le faire vivre au quotidien.

Le projet répond à une commande. Les habitants se sont progressivement appropriés le projet et ils sont désormais autonomes dans cet espace, si bien que l'AAA n'a plus aucun rôle d'intendance ou de financement.

37

2.2 Lieux et moments de la participation à l'Agrocité

La participation à l'Agrocité est une composante majeure de la vie quotidienne comme du travail sur le long terme. Celle ci ne se limite pas aux habitants mais concerne l'ensemble de la communauté et les salariés, stagiaires et bénévoles travaillant pour AAA. Depuis les premières actions sur le terrain, réalisées par Léo, l'ancien maraicher, les habitants sont régulièrement invités à s'investir ou crée d'eux mêmes certains

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évènements spécifiques (brocante/ vide grenier, disco-soupe89, fête pour un départ à la retraite d'une jardinière etc..).

Par ailleurs, l'AAA travaille le plus possible à partir d'auto construction. C'est à dire que les salariés, stagiaires et bénévoles de l'association participent à la création et à la construction concrète de l'espace.

Dès mon arrivée à l'AAA j'ai participé au chantier d'auto-construction en prévision de l'inauguration prévue à la base le 18 mai. Mais les retards sur le chantiers ont finalement amené la date de l'inauguration au 20 juin puis au 22 juillet. Je pensais pouvoir commencer d'autres activités avant la fin du chantier mais les délais étaient trop courts et toute l'équipe était entièrement mobilisée vers cet objectif. Néanmoins la phase d'auto-construction était très formatrice et j'ai pu comprendre certains enjeux relatifs à la mise en place d'un chantier et de la difficulté de créer une dynamique de quartier autour d'un lieu en devenir. Il existe plusieurs définitions de l'auto-construction qui désignent des approches différentes d'une même préoccupation90. L'auto-construction, qui est une forme de participation, désigne ici la démarche qui consiste à participer activement à la construction de son logement ou d'une partie de celui ci. Cette manière de faire se développe à la faveur de la crise et du regain d'intérêt pour les méthodes de DIY (Do It Yourself), ou fais le toi même. Cité par G. Prudot, auteure de L'alternative écologique, vivre et travailler autrement: un proverbe qui dit : « Construire sa maison, c'est se construire. »91.

Pourtant il a été difficile d'intégrer des habitants sur le chantier participatif de l'Agrocité. En effet de nombreuses tâches requéraient des compétences particulières ou étaient très répétitives. J'ai en outre beaucoup travaillé sur le chantier d'auto construction. Celui n'a presque pas requis de participation des habitants car il était

89 « Récupération : par ici la bonne Disco Soupe », www.liberation.fr, consulté le 24 août 2013, http://www.liberation.fr/terre/2012/12/23/recuperation-par-ici-la-bonne-disco-soupe_869652.

90 Emilio Duhau et Céline Jacquin, « Les ensembles de logement géants de Mexico.: Nouvelles formes de l'habitat social, cadres de vie et reformulations par les habitants », Autrepart 47, no 3 (2008): 169, doi:10.3917/autr.047.0169.

L' auto-construction se réfère au mode d'accès au sol urbain et au logement des groupes sociaux exclus du marché formel, qui il y a quelques décennies occupaient illégalement des terrains vides, en groupes et sous la protection de leaders politiques. La vente des terrains s'effectue aujourd'hui individuellement sur la base d'un marché foncier illégal. Les maisons sont construites par étapes au fur et à mesure de l'épargndes foyers,

n'autorisant des conditions de vie satisfaisantes qu'au bout de longues années d'efforts

91 Geneviève Pruvost, « L'alternative écologique», Terrain n° 60, no 1 (4 mars 2013): 36?55.

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éloigné des habitations et nous avons été pris par le temps du fait de l'inauguration prochaine.

Mais tout au long de la construction du projet, des workshops ont été organisés, par l'association comme par les habitants. A titre d'exemple nous pouvons citer quelques uns des workshops qui ont eu lieu.

Le principe des ateliers et de la participation concrète des habitants à l'évolution du projet existe depuis le début du projet. Ils ont pris des formes différentes selon l'époque, les besoins concrets pour le jardin et les désirs des habitants. J'ai participé à quelques uns de ces ateliers mais je n'ai jamais eu un rôle très important dans la conception ou l'animation, c'est pourquoi je ne développerais pas beaucoup cet aspect.

J'ai par exemple participé à l'atelier d'aide au jardin, à la plantation des tomates un samedi avec de nombreux habitants. Les gens étaient très motivés pour travailler la terre et beaucoup se donnaient des conseils sur les façons de planter et de cultiver.

J'ai également participé, avec l'équipe des stagiaires et des salariés à l'organisation de l'inauguration des deux sites. La plus grande partie de cet évènement à eu lieu a l'Agrocité. Une vente de gâteaux était organisée par les habitants. Ils ont gardé le produit de cette vente pour pouvoir ensuite acheter du matériel pour le jardin. Cet évènement à permis de lier plus étroitement l'implication des habitants avec le travail de l'équipe de AAA. Une vente de légume était également organisée.

Récemment certains habitants se sont impliqués dans l'AMAP (Association pour le Maintien d'une Agriculture paysanne) et viennent chercher les paquets toutes les semaines92. Cette forme d'implication permet de lier les habitants au projet et de renouveler leur approche quant à la participation au sein du projet.

Ces moments ont permis l'émergence d'un groupe d'habitants plus ou moins identifiés et de donner une identité au lieu. Selon la nature des évènements les habitants ont pu aborder les différents aspects du projet. Les ateliers se révèlent être des moments de partage où les habitants expérimentent un nouveau rapport à l'espace en même temps qu'ils participent concrètement à l'aménagement du lieu.

92 « Appel à membres pour la nouvelle AMAP à Colombes | R-Urban », consulté le 19 septembre 2013, http://r-urban.net/blog/activities/appel-a-membres-pour-la-nouvelle-amap-a-colombes/.

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Partie II : Un projet écosophique ?

L'appropriation du projet par les habitants

A. La théorie écosophique et ses conséquences pratiques.

1. Les trois ecologies de Felix Guattari

1.1 Ecologie mentale, sociale et

environnementale : un processus global

Après avoir décrit le projet R-urban, le rôle de l'AAA dans le processus participatif, il semble désormais important de replacer les évènements et les actions décrites dans un cadre de pensée envisagé comme global. J'ai eu la volonté, avant même de commencer mon stage, de replacer mon travail de recherche comme de terrain dans un cadre théorique plus large. Je me suis, au départ, penché sur le terme d'écologie radicale. Celui ci incarne bien l'idée d'une écologie militante. Etymologiquement le terme de radical renvoie au mot racine.

Cette étymologie à plusieurs implications :
- Il s'agit, avec l'écologie radicale, de venir ou revenir ou principes fondamentaux de l'écologie et de revendiquer une démarche globale qui s'oppose à une pure gestion des nuisances et propose une remise en cause profonde de notre société. - Par la mise en avant du terme d'écologie radicale l'on cherche à revenir à l'essence de l'écologie en refusant l'éco-blanchiment93 qui dénature les véritables enjeux de l'écologie. Les « penseurs » de l'écologie radicale effectue une rupture complète d'avec le capitalisme, aussi bien dans ses discours que dans ses actions. De nombreux penseurs marxistes sont à l'origine de l'écologie radicale : André Gorz, Ivan Ilich, Felix Guattari

entre autres.
- Mais de même que l'écologie "non radicale" est reprise par chacun à son compte,

93 Michael Ash, James K. Boyce, et Éloi Laurent, « Justice environnementale et performance des entreprises: Nouvelles perspectives et nouveaux outils », Revue de l'OFCE 120, no 1 (2012): 73, doi:10.3917/reof.120.0073.: « La préoccupation à l'égard du « greenwashing » (« éco--blanchiment »), par lequel les entreprises tentent de projeter une image plus respectueuse de l'environnement que leurs pratiques véritables ».

41

l'écologie radicale sont accusée de tous les maux par beaucoup. Exemple : lorsque l'on effectue une recherche sur Google du mot écologie radicale la première page renvoie à plusieurs articles ou les auteurs évoquent "la peste verte"94 pour décrire ces mouvements

qui envisageraient une dictature écologique.
-- Le terme d'écologie radicale est souvent assimilé à celui de Deep ecology ou Ecologie profonde. Celle ci rassemble elle même des courants très divers qui s'opposent parfois sur les thèses qu'ils défendent95. Il faut dès lors différencier l'écologie radicale proposée par le projet R--Urban et cet autre type d'écologie.

Après avoir analysé ce terme d'écologie radicale, mieux problématisé mon sujet et fait une recherche bibliographique sur le terme, j'ai compris qu'il n'avais pas suffisamment été utilisé dans des travaux universitaires et qu'il portait trop à confusion tant il était utilisé par des penseurs d'horizons différents.

Mes recherches m'ont ainsi porté à m'intéresser à un cadre de recherche plus clair, avec une importante bibliographie et une possibilité de comparer l'approche théorique avec ses conséquences pratiques. La théorie de l'Ecosophie, développée par F. Guattari me paraît particulièrement intéressante. De plus, l'AAA se revendique de cette théorie dans de nombreux textes pour asseoir et définir leurs pratiques. Anne Querrien, une des théoriciennes de l'AAA a longtemps travaillé avec Felix Guattari et connaît bien la question de l'écosophie96.

Felix Guattari est un philosophe français. Il s'est intéressé à de nombreuses questions et problématiques humaines. Il a passé la majeure partie de sa vie à la clinique de La Borde où il n'eu de cesse de développer les principes de la psychothérapie institutionnelle dont il est, en partie le théoricien. Cette théorie produit une pratique où les soignants et les soignés sont indissociables, de même qu'un faible recours aux médicaments. Le groupe se partage les tâches à l'intérieur de l'institution et de nombreux ateliers d'expressions corporelles et artistiques sont programmés.

Felix Guattari a également travaillé avec Gilles Deleuze, philosophe français, à la définition de nouveaux concepts philosophique, notamment la notion de désir, de micropolitique et de subjectivé dont nous verrons les profonds enjeux par la suite.

94 « écologie radicale -- Recherche Google », consulté le 29 août 2013, https://www.google.fr/search?q=%C3%A9cologie+radicale&ie=utf--8&oe=utf-- 8&rls=org.mozilla:fr:official&client=firefox--a&gws_rd=cr.

95 « Arne Naess et l'écologie politique de nos communautés -- Mouvements », consulté le 29 août 2013, http://www.mouvements.info/Arno--Naess--et--l--ecologie--politique.html.

96 Entretien avec Anne Querrien, 18 juillet 2013.

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Il est venu tardivement à la pratique d'une écologie politique en se présentant sur la liste des élections régionales en 1992.

L'écosophie, telle que définie par Felix Guattari dans son ouvrage écrit en 1989, les Trois écologies, est une théorie tridimensionnelle qui entend donner un cadre à l'action comme à la réflexion sur l'écologie. Pour ce penseur du milieu du XXème siècle (1930-- 1992), l'écologie ne doit pas « chapeauter » les autres domaines de la vie mais peut être « une problématisation qui leur devienne transversale »97.

Cette théorie postule ainsi un découpage non excluant de la notion d'écologie en trois champs qui s'entrecoupent: l'écologie mentale, l `écologie sociale et l'écologie environnementale. Cette approche « ne sera ni une discipline de repli sur l'intériorité, ni un simple renouvellement des anciennes formes de « militantisme ». Il s'agira plutôt d'un mouvement aux multiples facettes mettant en place des instances et des dispositifs à la fois analytiques et producteurs de subjectivité »98. En effet il s'agit de créer un nouveau rapport au monde et de permettre aux individus de s'inscrire dans une dynamique de « subjectivité tant individuelle que collective, débordant de toutes parts les circonscriptions individuées ». Tout au long de son ouvrage F. Guattari dénonce « la progressive détérioration {...} des modes de vie humain, collectifs et individuels » 99 et une « standardisation des comportements» et préviens des dangers inhérents à cette dynamique. Nous avons vu dans la partie I) A) 2) les différentes crises qui traversent le monde et les liens qui les unissent. Il s'agit dès lors de réinterroger tous les domaines de la vie pour lutter contre cette uniformisation globale.

Face à ces problèmes en liens les uns avec les autres F. Guattari propose une nouvelle écologie des relations accompagnée d'une nouvelle éthique qui permettrait une transformation de vie: « A toutes les échelles individuelles et collectives, pour ce qui concerne la vie quotidienne aussi bien que la réinvention de la démocratie dans le registre de l'urbanisme, de la création artistique, du sport, etc..., il s'agit à chaque fois de se pencher sur ce que pourraient être des dispositifs de production de subjectivité allant dans le sens

97 Guattari, Les trois écologies. P. 20

98 Ibid.

99 Ibid. p.11

43

d'une re--singularisation individuelle et/ou collective, plutôt que dans celui d'un usinage mass médiatique synonyme de détresse et de désespoir. »100.

Cet ouvrage propose ainsi d'apporter un éclairage sur les liens qui existent entre la reconstruction de liens entre les individus qui ne soient plus uniquement marchands et standardisés mais qui puissent puiser dans les réalités individuelles pour créer de nouveaux « agencements » collectifs. Le découpage en trois écologies distinctes et complémentaires, écologie sociale, mentale et environnementale permet de rendre compte de l'importance de la conduite d'une démarche globale. Ces trois écologies distinctes qui forment l'écosophie ont des rôles différents.

L'écologie sociale « consistera à développer des pratiques spécifiques tendant à modifier et à réinventer des façons d'être au sein du couple, au sein de la famille, du contexte urbain, du travail etc. »101. Il s'agit de susciter un nouveau rapport au monde en même temps qu'au groupe. Le développement de l'individualisme a crée une dissolution des liens sociaux forts qui caractérisaient les sociétés basées sur des solidarités organiques décrites par E. Durkheim102. Il préconise l'expérimentation au niveau micro et macro de nouvelles sociabilités autour de projets questionnant et redéfinissant en profondeur les nouveaux rapports sociaux.

L'écologie mentale, qui s'inspire de la pratique de F. Guattari à La Borde, a pour objectif de créer de nouveaux imaginaires. La colonisation de l'imaginaire par l'économie et le système capitaliste dénoncée par Serge Latouche appelle un processus de décolonisation103. Ce processus demande une prise de conscience et un recul par rapport à l'éducation et à l'inculcation des normes dominantes réalisées dès l'enfance. A l'inverse de la rationalité et du matérialisme écrasant qui caractérise la société capitaliste, l'on doit substituer un nouveau rapport au monde qui redéfini « le rapport du sujet aux corps, au fantasme, au temps qui passe, aux « mystères » de la vie et de la mort. »104. Contre le déversement absurde d'informations incessant qui conforment les individus à une matrice quasi--unique, F. Guattari propose une vision exigeante et intense de la vie. Il s'est beaucoup intéressé à l'animisme et à ses manifestations, à sa capacité de redéfinir ce qu'il

100 Ibid. p.21

101 Ibid. p.22

102 Durkheim, De la division du travail social.

103 « Pour une société de décroissance, par Serge Latouche (Le Monde diplomatique) », consulté le 27 août 2013, http://www.monde-- diplomatique.fr/2003/11/LATOUCHE/10651.

104 Guattari, Les trois écologies.

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nomme des « territoires existentiels »105. Ce terme, qui reprend l'usage courant du terme pour l'appliquer à des processus mentaux, postule que les individus, en relation avec la communauté, s'approprient des codes et des valeurs, une interprétation de leur vécu qu'ils inscrivent dans un univers personnel106. F. Guattari invite à une reterritorialisation de l'univers des individus par le biais de nouvelles constructions mentales. Ceux ci permettent aux communautés d'être plus à même de saisir la poésie du monde et les enjeux de la destruction de ce dernier.

L'écologie environnementale désigne ce que l'on réserve habituellement à l'écologie classique par la protection de la nature: « elle n'a fait qu'amorcer et préfigurer l'écologie généralisée que je préconise ici »107. Il prévient néanmoins que l'écologie ne doit pas rester l'apanage d'une « minorité d'amoureux de la nature ou de spécialistes attitrés »108. En effet elle doit être une prise de position politique, qu'il ne faut pas, selon F. Guattari, laisser « à certains de ces courants archaïsants et folklorisant, optant quelquefois pour un refus de tout engagement politique à grande échelle. »109. Cet engagement politique indispensable par l'auteur est une réminiscence des principes du marxisme qui préconise la création d'organisations de masse pour transformer la société et abroger progressivement le capitalisme.

La définition de ces trois écologies nous éclaire sur la nécessité de penser l'écologie comme encastrée dans une trame de réflexion plus large sur les conditions d'existence et sur la capacité des individus d'apporter un changement grâce à une nouvelle éthique de vie.

Par rapport à ces questions, que propose l'Agrocité, en quoi peut on dire qu'elle est une manifestation de la théorie écosophique ?

1.2 Un lien étroit avec le processus en cours à l'Agrocité

105 Felix Guattari, « Pratiques écosophiques et restauration de la Cité subjective -- Revue critique d'écologie politique », consulté le 26 avril 2012, http://ecorev.org/spip.php?article105.

106 « Villani -- Sasso. Vocabulaire de Gilles Deleuze », Scribd, consulté le 27 août 2013, http://fr.scribd.com/doc/31968637/Villani--Sasso--Vocabulaire--de--Gilles--Deleuze.

107 Guattari, Les trois écologies. p.47

108 Ibid.

109 Ibid. p.48

Comme nous l'avons vu dans les parties précédentes l'AAA a une vision de l'écologie que l'on peut qualifier de globale car elle envisage un processus complet au travers de R-urban. Il s'agit en effet d'une expérience qui ne concerne pas simplement l'alimentation, le recyclage ou l'habitat collectif mais qui prend le parti et le pari d'effectuer la jonction entre ces domaines. A travers ces installations qui modifient progressivement la vie du quartier sur plusieurs années, l'AAA souhaite initier une re-subjectivation et permettre aux habitants du quartier de pratiquer une écologie qui ne soit pas simplement un ersatz du système capitaliste mais bien une prise de position afin de devenir moteurs de la création d'alternatives concrètes.

Au travers de la mise en place de circuits courts et d'une économie sociale et solidaire le projet R-urban vise à reconnecter les citoyens avec une mémoire en passe de disparaître, celle des « anciens » qui n'ont, pour la plupart, pas connu l'abondance actuelle. Ceci va de pair avec une transformation de la vision du citoyen sur la ville, envisagée non plus comme un horizon inatteignable réservé aux spécialistes mais comme une réalité concrète à construire au jour le jour. Les liens sociaux qui résultent de ces processus assurent une reconstruction d'une forme de communauté, de personnes qui lutteront peut être pour un autre mode de vie.

Les trois écologies théorisées par F. Guattari trouvent ici une application concrète, sans pour autant faire office de dogme idéologique, le mot d'écosophie n'étant que rarement cité dans les écrits sur R-urban, dans laquelle les potentialités d'un changement d'ampleur se trouvent matérialisées. En effet l'écosophie ne saurait être considérée comme une image figé. En effet, selon A. Querrien : « D'abord chez F. Guattari, y'a un concept fondamental qui est la processualité, ca veut dire qu'il ne peut pas y avoir un arrêt sur image de ce que serait l'Agrocité ou quoi que ce soit qui serait fait selon les principes de l'écosophie, il y a un travail en continu sur l'organisation »110. Cette processualité est inhérente à chaque expérience sociale de long terme.

De la même façon, le projet tel qu'il a été pensé ne peut être appliqué à la lettre, il s'agit plutôt d'une adaptation à plus ou moins long terme des observations conduites par l'AAA au fur et à mesure de l'avancement du projet et en écho à ceux menés auparavant. Comme nous l'avons vu, ce sont les habitants et leur(s) implication(s) qui détermine l'avenir du projet et la forme effective qu'il prendra.

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110 Entretien avec Anne Querrien.

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Il est dès lors évident qu'un projet porté et soutenu par un nombre important d'habitants et d'acteurs divers aura une capacité de transformation plus grande qu'un projet renfermé sur lui même. L'Agrocité vise ainsi à ouvrir de larges possibilités aux individus qui gravitent autour du projet en permettant à chacun de trouver sa voie tout en respectant les initiatives des autres.

Ainsi, les concepteurs du projet se sont refusés à apposer une étiquette politique sur leur action ou à la lier avec « une politique à grande échelle » qu'évoque F. Guattari. De la même façon que le mouvement des villes en transition a refoulée la « critique » pure du système pour se concentrer sur les alternatives positives qui peuvent être mises en place111. Les Transition-Towns insistent sur l'importance d'une transition face au changement climatique et au pic pétrolier et privilégient l'action communautaire au niveau d'un village ou d'une ville pour ensuite s'étendre aux régions112. Certains groupes comme Quartier Libre opérant dans le 20 ème arrondissement de Paris recréent du lien social et de la solidarité à long terme. Ils souhaitent impliquer les habitants dans des actions pour relancer la vie de quartier (distribution gratuite de vêtements, projections, repas partagés...) tout en axant leur action sur une analyse marxiste de la société en termes de lutte de classe. Ils ne souhaitent pourtant pas s'affilier avec un parti politique clairement identifié113.

A l'inverse R-urban prend le parti d'évacuer toute référence militante dans son action et de baser les conférences et les tables rondes sur des sujets politiquement neutres, en terme de parti ou de syndicats, afin de ne pas créer de conflits idéologiques entre les habitants et les gens qui pourraient être intéressés par le projet. Bien que la mairie soit affiliée au parti socialiste, le site internet du projet ne mentionne que la « mairie de Colombes » et non la personne du maire par exemple114. De même, sur le site il n'y a aucune référence aux penseurs dont se réclame AAA115. Il y a également une volonté de

111 Luc Semal et Mathilde Szuba, « Villes en transition : imaginer des relocalisations en urgence », Mouvements 63, no 3 (2010): 130, doi:10.3917/mouv.063.0130.

112 « Welcome | Transition Network », consulté le 29 août 2013, http://www.transitionnetwork.org/.

113 « AU FOND PRES DU RADIATEUR » Blog Archive » Le collectif Quartier Libre », consulté le 29 août 2013, http://www.aufondpresduradiateur.fr/?p=2656.

114 « Stratégie | R-Urban ».

115 « Recherche-action | R-Urban », consulté le 29 août 2013, http://r-urban.net/recherche-action/.

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séparation entre les deux entités que sont R-urban116 et AAA. En effet, deux sites internet cohabitent ( R-urban.net et urbantactics.org117) et différent grandement par leur contenu. L'Agrocité doit être un lieu de rencontre et favoriser les échanges entre des personnes de milieux différents et de classes sociales parfois éloignées. Nous le verrons par la suite, les chercheurs et les étudiants qui participent à ce projet sont le plus souvent issus de milieu aisés ou du moins plus aisés que les habitants. Cette différence pourrait perturber le bon déroulement du projet si elle venait à prendre une place trop importante.

Le travail mental que postule l'écosophie est également à rechercher ici car créer un mélange, une diversité au sein d'un espace qui impose souvent une redéfinition des cadres de compréhension de la société. La construction d'une écologie mentale est ainsi encadrée dans le processus de rencontres et de création de nouveaux symboles qui donnent une identité au monde en même temps qu'ils révèlent une certaine « poétique » selon les termes du site urban-tactics118: « notre architecture est à la fois politique et poétique car, elle est d'abord une mise en relation entre des mondes».

Le projet de l'Agrocité postule également une participation active des habitants dans la reconquête de l'imaginaire collectif et individuel. Le projet prévoit que « Les constructions incluront {...} une série d'équipements autour de savoirs faire et de dynamiques collectives et sociales »119 . Une partie du jardin a été pensé pour intégrer des espaces dédiés au partage et à la mise en relations de mondes culturels divers. Les habitants auront une grande liberté dans la définition de ces espaces et dans l'animation de ceux ci. Comme nous l'avons souligné, l'AAA développe ses projets autour de dispositifs purement techniques (économie d'énergies etc..) associés à des processus de transformation plus profonds. Ces équipements techniques sont pourtant un pari en soi car les normes actuelles ne se prêtent souvent pas à l'innovation écologique. De même les équipements culturels produits par l'urbanisme moderne et la réflexion sur la ville sont souvent encadrés dans un cahier des charges très précis qui répond à une demande de lieux très fonctionnels et relativement standardisés. A l'inverse R-urban prends le parti d'intégrer une nouvelle forme d'aménagement culturel.

116 Ibid.

117 « urban tactics ».

118 Ibid.

119 « AGROCITÉ | R-Urban », consulté le 29 août 2013, http://r-urban.net/blog/projects/agrocite/.

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Grâce à des lieux destinés spécialement à l'échange comme « un café associatif »120, une pièce pour le débat et les projections, les habitants vont être à même de définir le contenu, en accord avec les problématiques du projet, de ces échanges. Avant la construction du bâtiment ces rencontres avaient lieu dans la serre.

Ces espaces peuvent être le lieu d'une nouvelle façon d'appréhender la vie en communauté tout en s'orientant résolument vers une démarche de partage et de renouvellement de la vie du quartier. Le projet R-urban pourrait devenir une forme de pôle culturel où des savoirs très divers s'agencent et se rencontrent. De même, lier les questions théoriques avec l'expérimentation concrète est indéniablement une innovation qui permet aux individus de se réapproprier leur environnement et de prendre une forme de contrôle sur la production et la compréhension du monde.

Cette approche innovante de la ville permettrait alors de lutter contre le fatalisme et le manque de perspectives qui caractérisent une partie de la jeunesse française, des beaux quartiers comme des quartiers populaires: selon une étude « les jeunes Français sont parmi les plus pessimistes de tous les Européens. Ils n'ont pas confiance dans l'avenir et ils n'ont pas confiance non plus dans les autres et dans la société en général. » 121.

En effet ce parti pris par AAA de ré-enchanter la vie grâce à des processus innovants de lien social et d'expérimentation écologique, peut donner un sens à la vie d'individus. Il est néanmoins important de ne pas placer trop d'espoirs dans ce projet car il est contingent de nombreux paramètres. Par exemple le retard de la livraison du chantier a considérablement grevé l'activité sur le site et la légitimité du projet auprès des habitants comme des acteurs institutionnels.

L'écosophie est une théorie dont les principes ont guidé, consciemment et inconsciemment, l'action de l'Atelier d'Architecture Autogérée depuis ses balbutiements. Pourtant elle n'est pas un concept « clé-en-main » qui permettrait d'appliquer des recettes toutes faites sur un projet ou de l'enseigner à un groupe d'habitant. Elle est avant tout une problématique transversale qui sous tend l'action et lui donne une direction à suivre, tout en étant suffisamment poreuse pour être adaptée selon les contextes locaux.

120 Ibid.

121 Olivier Galland, « La crise de confiance de la jeunesse française », Études Tome 412, no 1 (28 décembre 2009): 31?42.

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2. La production de subjectivité

2.1 La construction progressive d'une subjectivité

La théorie écosophique postule un changement des mentalités sur le long terme. Le dispositif qui peut permettre cette transformation, unique pour chaque individu, est une mise en avant de la notion de sujet par une réappropriation des normes et des valeurs proposée par le système capitaliste.

Comme nous l'avons vu dans les parties précédentes un des objectifs majeurs du projet R-- urban, et en particulier de l'Agrocité, est la construction d'une subjectivité ou du moins la suggestion qu'un autre monde est possible.

Nous nous pencherons ici sur la possibilité qu'offre ce projet d'amener les individus à élaborer un autre rapport au monde, une autre subjectivité, à partir de dynamiques de groupe sur le temps long. L'utilisation du terme de subjectivité est très fréquente dans l'oeuvre de F. Guattari, en résonnance de celle de Gilles Deleuze122. En effet ce concept permet à ces auteurs de mettre en avant la nécessité pour les individus de s'approprier des « territoires existentiels » 123 face à l'hégémonie d'une société qui cherche à créer du consensus et qui, au final détruit les identités non conformes.

Selon ces auteurs, chaque institution majeure de la société (Etat, Ecole, Famille, Médias...) propose une subjectivité qui peut aller à l'encontre de la liberté individuelle.

En effet, l'étymologie de celui ci renvoi d'abord au thème de la soumission124. Cet usage, toujours en vigueur a peu a peu été remplacé par celui de l'expression d'une opinion personnelle face à un fait dit « objectif». Pourtant la soit disant objectivité revendiquée par les médias comme par l'éducation nationale est un leurre125. En effet l'objectivité absolue est impossible. Comme l'affirme F. Guattari : « Un rejet systématique de la subjectivité, au nom d'une mythique objectivité scientifique, continue de régner dans l'Université. »126. Il apparaît

122 « Villani -- Sasso. Vocabulaire de Gilles Deleuze ».

123 Guattari, Les trois écologies.

124 « SUJET: Etymologie de SUJET », consulté le 2 septembre 2013, http://www.cnrtl.fr/etymologie/sujet.

125 Manuel Castells, « Emergence des « médias de masse individuels » », Le Monde diplomatique n°629, no 8 (1 août 2006): 16?16.

126 « Chaosmose / Félix Guattari », Le silence qui parle, 11 juillet 2013, http://lesilencequiparle.unblog.fr/2013/04/25/chaosmose--felix--guattari/.

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dès lors essentiel de prendre position pour défendre un point de vue, même si celui ci est nécessairement biaisé.

La subjectivation est ainsi, pour ces penseurs, une condition d'un positionnement sur le monde et globalement d'une transformation sociale plus large. Ainsi chaque institution crée sa subjectivation pour les individus, sans pour autant l'assumer.

Cette importance d'une re--subjectivation et d'une territorialisation existentielles émane en effet de la critique d'une société monochrome:

L'Etat est une « machine a dé--subjectiver, c'est à dire comme une machine qui brouille toutes le identités classiques »127 afin de les fondre dans un moule commun.

De même les « mass médias » sont un outil très efficace pour produire une « subjectivité collective »128 qui se refuse à mettre en cause l'ordre établi. Selon F. Guattari les médias distancient les individus des véritables questionnements qui auraient le pouvoir de transformer la société en profondeur.

Il paraît dès lors indispensable de remettre en cause le fonctionnement de ces institutions et leur but masqué pour y substituer un véritable questionnement. Cette remise en question ne peut être qu'intellectuelle et doit permettre un passage à l'action autour d'objectifs communs.

La re--subjectivation apparaît ainsi comme une condition sine qua none de l'émergence d'un nouveau système et de modes de vie repensés. Celle ci doit s'inscrire dans des territoires porteurs de transformations et d'espoir.

L'espace est ainsi un « lieu » incontournable de ce changement. Dans son article « Une approche écosophique de l'espace urbain », Ji--Eun Shin, anthropologue, écrit : « Dans cet espace senti, vécu par le corps, l'homme s'unit à son lieu de vie et construit sa propre réalité en articulant le fonctionnel et le symbolique, le réel et l'imaginaire. Pour comprendre cet espace, il nous faudrait nous rendre compte de l'expérience unique que chaque homme vit dans ses rapports au territoire (rapport sensible, de la contemplation à l'intuition) »129. Ici chaque individu produit un rapport à l'espace qui interfère sur son quotidien. On voit ici l'importance de la prise en compte de la subjectivité des individus au travers de leurs expériences sociales et sensorielles et dans leur relation à l'espace et au monde.

127 Petcou et Petrescu, « Agir l'espace », 7 janvier 2008.

128 Guattari, Les trois écologies. p.20

129 Ji--Eun Shin, « Une approche écosophique de l'espace urbain », Sociétés 119, no 1 (2013): 19, doi:10.3917/soc.119.0019.

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Cette subjectivité se manifeste dans la création d'un espace partagé et vécu. En effet, selon H. Lefebvre, théoricien du droit à la ville, « l'espace de l'usager est vécu, non pas représenté (conçu). Par rapport à l'espace abstrait des compétences (architectes, urbanistes, planificateurs), l'espace des performances qu'accomplissent quotidiennement les usagers est un espace concret. Ce qui veut dire subjectif. C'est un espace des «sujets» et non des calculs... »130. La subjectivité passe en effet par une appropriation tangible de lieux communs contre la rationalité de certaines planifications urbaines. Ce constat de H. Lefebvre rejoint en plusieurs points notre analyse de l'importance que revêt la participation des habitants à la création des espaces de la ville et notamment celle de la maitrise d'usage.

Cette conception de l'espace est un tournant majeur dans la pensée du fait urbain.

H. Lefebvre revendique un pouvoir réservé à l'habitant qui créerait son espace à partir de ses gestes quotidiens. De même, Michel de Certeau, philosophe et historien français du milieu du XXème siècle, dans son ouvrage l'invention du quotidien: 1. Arts de faire, insiste sur le rôle de l'individu dans la construction de son espace vital et la réappropriation permanente des usages de cet espace131. Le sujet est ainsi considéré comme un moteur de l'histoire à même de redéfinir son habitat. Le terme de « sujet » met en avant le caractère individuel de la démarche même si celui ci s'articule avec les projets collectifs. Ces projets remettent en cause de nombreux usages traditionnellement vécus au sein de la société capitaliste et notamment l'individualisme qui y est associé.

Ils peuvent devenir les relais d'autres façons d'être au monde: « Les espaces « de l'agir » se transforment en espaces interrogatifs du quotidien, de ses potentialités, de ses blocages et de ses temporalités imposées. Mettant en cause le fonctionnement stéréotypé des espaces normés, ces espaces de l'agir peuvent devenir des espaces de désapprentissage des usages assujettis au capitalisme et de réapprentissage d'usages singularisés, en produisant une subjectivité collective et spatiale propre aux sujets investis. »132. Ici la création d'espaces de remise en cause de l'idéologie capitaliste rejoint la théorie écosophique et postule la mise en place d'une « subjectivité spatiale » qui permettrait la construction d'une identité propre à un lieu puis se diffuser progressivement à un quartier. Le projet R-urban postule que cette transformation est possible malgré tous les aléas qui caractérisent la mise en oeuvre de tels

130 Petcou et Petrescu, « Agir l'espace », 7 janvier 2008.

131 Michel de Certeau et Pierre Mayol, L'invention du quotidien, éd. par Luce Auteur Giard, 2 vol., Folio. Essais, ISSN 0769-6418 ; 146Folio. Essais, ISSN 0769-6418 238 (Paris, France: Gallimard, 1990).

132 Petcou et Petrescu, « Agir l'espace », 7 janvier 2008.p.104

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projets. De même les problèmes rencontrés au quotidien ( retards dans la construction, conflits entre les habitants, délais de réception des subventions par exemple) peuvent altérer considérablement la durabilité du projet sur le temps long. Or les transformations en cours ne peuvent être que pensées et articulées sur le long terme. Bien sur des changements ont lieu au quotidien, mais ils ne s'intègrent véritablement dans une trame et dans un cycle qu'en prenant le recul nécessaire.

Mais C. Petcou et D. Petrescu mettent en avant la nécessité de prendre en compte ce changement sur le temps long:

«L'« agir spatial » exige du temps. Il faut donner du temps pour réinvestir activement l'espace; passer du temps sur place, rencontrer d'autres gens, réinventer des usages du temps libre, se donner de plus en plus de temps à partager avec d'autres. Suite à ces « temps partagés » peuvent apparaître des désirs communs, des dynamiques collectives, des projets à venir. »133.

Cette question du partage de l'espace avec un autre fonde la pratique de l'Atelier d'Architecture Autogérée car elle seule est à même d'amener les individus à confronter leurs histoires personnelles puis à la relativiser en prenant du recul sur leur position dans la société. Michel Foucault a abordé cette question « le pouvoir de juxtaposer en un seul lieu réel plusieurs espaces, plusieurs emplacements qui sont en eux-mêmes incompatibles »134 Ce sont des lieux qui créent une forme de refuge pour les individus qui cherchent à exprimer leurs différences, à se sentir libéré du poids du contrôle social que peuvent revêtir certaines institutions traditionnelles (associations, syndicats, groupes de pairs ou de collègues etc...). Comme l'affirme Gilles Clement, certains lieux forment ce qu'il nomme le tiers paysage135 : « un territoire pour les multiples espèces ne trouvant place ailleurs». En effet un espace prend sens avec les individus qui le peuplent, qui l'habitent au fur et à mesure. Pour ses projets précédents l'AAA a « initié des espaces autogérés (comportant des jardins, etc), ou celles et ceux qui y participent peuvent voir, tester, leur mise en relation avec les autres, les effets de leurs actions, l'usage plutôt que la possession, des manières de partager, la responsabilité vis-à-vis de ce qui est à partager, etc... »

133 Ibid. p.105

134 Michel Foucault et Jacques Lagrange, Dits et écrits, 1954-1988, éd. par Daniel Defert et François Ewald, Quarto (Paris), ISSN 1264-1715 2001 (Paris, France: Gallimard, 2001).

135 Gilles Clément, Manifeste du Tiers paysage, 1 vol., L'Autre fable, ISSN 1765-761X 2 (Paris, France: Sujet-objet éd., 2004).

En effet ces espaces peuvent devenir le creuset d'une nouvelle prise de parole pour des individus qui ont des moyens d'expression réduits et ainsi réveiller une envie de transformation du monde. Selon Paul Ariès, un des penseurs majeurs de la décroissance : « Il ne peut pas y avoir de socialisme gourmand sans appel à la subjectivité, or la subjectivation requiert le langage, mieux, la prise de parole. »136

Ce socialisme gourmand qu'il évoque serait une solution à l'apathie des citoyens face à la politique. La parole et la discussion sont les outils, selon lui, pour parvenir à une re-politisation. Mais celle ci a besoin d'espaces pour se matérialiser. Le projet R-urban, dans la lignée des autres projets d'AAA, est créateur d'une dynamique qui peut accompagner l'émergence d'ouvertures à la parole puis à un nouveau discours sur la ville et la société, qui peut participer à la transformer: « Par cette pratique des altérotopie translocales, nous pouvons peut-être réintroduire « le politique » dans l'espace quotidien. L'« agir » est toujours un agencement. »137

Comme l'a écrit K. Marx « les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde, il s'agit désormais de le transformer ». Ainsi, cette subjectivité doit nécessairement être comprise comme une dynamique d'un groupe uni par la solidarité, porteur de valeurs communes et d'une ouverture sur l'autre, sur les différentes entités qui pourraient venir se greffer à cet espace. Comme l'affirme les auteurs de l'article Agir l'espace: « En surmontant la condition anonyme que nous retrouvons habituellement dès que nous sortons de chez nous, nous pouvons

contribuer à résub- jectiver l'espace.

À

un certain moment, il y a le risque de se contenter de

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cette dimension sociale retrouvée et de se limiter à un cercle social local et fermé. Les espaces d'action que nous développons restent, en effet, ouverts aux passages, aux croisements avec des subjectivités et dynamiques venues d'ailleurs; à partir du local nous oeuvrons à mettre en place et faire fonctionner des réseaux spatiaux translocaux »138. Cette ouverture sur l'autre est une des conditions nécessaires à un développement sain et au refus d'une position xénophobe, ou refus de l'étranger. En effet, il est important de souligner la diversité qui coexiste dans ces espaces. Même si elle est préexistante dans certains quartiers, ces espaces collectifs viennent bousculer et mélanger les différents groupes qui n'ont a priori pas ou plus de lieux pour interagir et échanger: « Ce sont, comme dirait Guattari, « des foyers locaux de subjectivation

136 « Paul Ariès : un «socialisme gourmand» pour en finir avec la gauche triste », bastamag.net, consulté le 31 juillet 2013, http://www.bastamag.net/article2273.html.

137 Petcou et Petrescu, « Agir l'espace », 7 janvier 2008.

138 Ibid. p.107

collective ».139

Au travers de cette partie nous avons vu un des aspects fondamentaux de la théorie écosophique et la façon dont elle peut transformer radicalement l'imaginaire commun et réinventer de nouvelles pratiques pour construire la ville et le lien social. Comme nous l'avons vu plus haut, le projet R-urban s'inspire de cette théorie pour constituer un espace propice au partage et à l'action citoyenne qui permette de redéfinir les cadres de la vie urbaine moderne. Quelles sont ainsi les applications de la théorie écosophique que l'on peu déceler dans le projet R-urban et quelles limites à cette théorie?

2.2 Quelle application pratique et quelle limite pour la théorie écosophique ?

Après avoir passé en revue les apports majeurs de la théorie écosophique nous nous efforcerons de montrer les possibilités de mise en pratique au travers d'exemples concrets puis nous mettrons en avant les limites de cette théorie.

La théorie écosophique est très intéressante pour aborder des nouveaux processus de construction de subjectivité et d'hétérogénéité des individus. Elle permet de faire cohabiter des problématiques très éloignées en principe, le maraichage et la psychologie par exemple, tout en donnant un cadre théorique et politique à l'action. L'ouvrage Les Trois Ecologies, écrit par F. Guattari à la fin de sa vie, annonce une renaissance de l'écologie politique. Bien qu'il ait été écrit il y a près de vingt cinq ans, ses thèmes et l'ambition affichée par son auteur est éminemment contemporaine. Elle permet d'asseoir la reconquête d'espaces physiques et mentaux abandonnés au rouleau compresseur de l'idéologie capitaliste et néo-libérale. La critique profonde des ressorts de la domination exercée à l'encontre de l'individu et du citoyen sert une argumentation en faveur d'une désaliénation de l'homme. Sans pour autant donner des instructions précises qui permettraient de créer un modèle, F. Guattari s'emploie à lier l'action avec la réflexion en proposant un cadre de pensée susceptible de redéfinir à la fois les relations interpersonnelles et le fonctionnement global de la société en repensant ses valeurs.

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139 Petrescu, « Jardinières du commun ».

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Mais la problématisation écosophique de la société, comme nous l'avons dit ne propose pas d'application pratique, elle sert simplement de cadre de référence.

Néanmoins, à titre d'exemple, l'expérience démarrée par Jean Oury puis rejoins par F. Guattari, toujours en cours, de la clinique de La Borde donne un aperçu passionnant de l'application de certains principes développés dans des ouvrages antérieurs(LESQUELS). A la clinique de La Borde les dispositifs psychiatriques qui ont habituellement cours pour « soigner » les malades sont revisités pour permettre à l'individu de s'accomplir tout en luttant contre ses tendances destructrices. En plus d'une absence de hiérarchie au sein de l'équipe soignante comme entre les soignés et soignants, le lieu est totalement dépourvu de barrières qui pourraient empêcher la fuite. De nombreuses activités artistiques et culturelles sont mises en place par les pensionnaires et les soignants afin de créer une vie sociale intense et de ré enchanter le quotidien malgré la maladie. De même l'équipe soignante s'est toujours refusée le recours à une médicamentation lourde par souhait d'éviter l'analgésie de l'esprit des patients.

Le film de Nazim Djemaï, A peine ombre, apporte un éclairage saisissant sur « la topographie des êtres qui y habitent », en droite ligne du cinéma direct. Ces personnes apprennent la vie en communauté en même temps que, pour certaines, elles s'émancipent du poids de leur maladie au travers de l'art et du jeu. Comme l'affirme l'auteur de l'article Actualité de Guattari : la vie des idées: « Pour ce militant, qui est resté aussi jusqu'au bout un psychanalyste, aucune pratique sociale et politique nouvelle ne pourra être inventée sans prendre en compte l'inconscient, un « inconscient machinique » dont les problématiques ne relèvent plus exclusivement du domaine de la psychologie mais concernent une « production de subjectivité » individuelle et collective, qui ne peut jamais faire abstraction des « systèmes machiniques » qui la traversent de toutes parts. »140 . L'engagement des individus doit ainsi être le plus complet possible si ils souhaitent transformer leur « inconscient ». La métaphore machinique exprime la nécessaire transversalité inhérente à la production d'une subjectivité. Elle montre en quoi les individus, en participant à ces projets, s'engage, souvent sans s'en rendre compte, dans un processus de transformation qui se veut inclusif.

Cette expérience cruciale dans l'histoire de la pratique psychiatrique apporte un éclairage saisissant des possibilités et potentialités qu'offre une approche radicalement novatrice d'un domaine éprouvé.

140 « Actualité de Guattari -- La Vie des idées ».

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R-urban pourrait être comparé, d'une certaine façon à l'expérience de La Borde car le projet a également été pensé afin de redéfinir les cadres de l'action urbaine, architecturale et plus généralement sociale au travers de projets novateurs.

Cette problématique est à mon sens une des limites importante de la théorie écosophique. En effet la société moderne et le système capitaliste ont réussi à placer l'individu dans une forme de cadre dont il est souvent impossible de s'écarter. Une fois les individus « prisonniers » du rythme que leur impose le monde, renier un de ces aspects revient souvent à se couper radicalement de la société. Par exemple, le système de crédit à la consommation, qui enchaine progressivement les personnes à un travail salarié qui reviens à « perdre sa vie à la gagner». Certains individus choisissent volontairement de « s'exiler » pour changer le cours de leur vie et suivre un mode de fonctionnement plus sain et cohérent avec leur présence au monde mais la plupart ne peuvent prétendre s'éloigner de leurs conditions matérielles d'existence pour embrasser un nouvelle vie.

Ainsi le projet R-urban et plus particulièrement le dispositif de l'Agrocité vise à remettre en cause cette équation pour proposer une alternative concrète aux systèmes existants tout en restant connecté aux enjeux du monde capitaliste. Les habitants, qui vivent chacun dans une situation différente peuvent s'intégrer au projet sans renier leur mode de vie, basé sur une économie de marché et un travail salarial. Ces espaces ne peuvent en effet pour l'instant prétendre transformer radicalement les conditions d'existence et se contentent de montrer que d'autres valeurs peuvent régir des espaces. Mais comme nous l'avons expliqué plus haut, très peu d'éducation a été réalisée pour permettre la compréhension de ces mécanismes. L'AAA ne s'implique pas dans une démarche d'éducation populaire comme elle peut exister dans d'autres réseaux. Ils envisagent plutôt ce processus comme un exercice quotidien de démonstration qu'autre chose est possible, que d'autres rapports de production entre les individus et au sein de la ville sont possibles. Tout l'enjeu du projet est justement de permettre aux individus d'inventer un autre système concurrent de l'existant afin de transformer concrètement les conditions de vie et donner une intensité nouvelle au monde. Nous verrons par la suite la difficulté qui réside dans la mise en place d'un espace et d'un projet qui suscite une telle prise de recul sur la vie moderne.

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B) L'appropriation du projet par les habitants

1. Les enjeux d'une appropriation du projet

1.1 Quelle compréhension du projet par les habitants ?

Après avoir détaillé les enjeux de la production d'une subjectivité pour la théorie écosophique et les implications possibles pour le projet R-urban et en particulier l'Agrocité, nous allons nous pencher sur une partie fondamentale à la compréhension globale de mon sujet. Il apparaît très intéressant de comparer les vues des concepteurs du projet de l'Agrocité avec la réalité au quotidien, sur le moyen et le long terme. Comme nous l'avons vu, le projet R-urban, même si il ne cherche pas d'emblée à révolutionner le fonctionnement global de la société, entend néanmoins susciter « une démarche susceptible d'apporter, à partir du micro, une autre vision de la ville »141 tel que définie dans le numéro 31 de la revue Multitudes, intitulé une micropolitique de la ville: l'Agir Urbain, Doina Petrescu, Constantin Petcou et Anne Querrien142. Cette autre vision de la ville s'établie à partir de nouveaux dispositifs écologiques et d'un espace collectif partagé co-construit et co-développé par les habitants et l'association de l'Atelier d'Architecture Autogérée. Dans le projet initial, tel qu'il a été présenté par l'AAA aux décideurs politiques et à la commission de subventions de l'Union Européenne, les questions relatives à la crise écologique, sociale et économique sont très présentes. En effet, cet espace veut, entre autres, constituer un relais pour une prise de conscience sur l'urgence et l'importance des crises qui traversent notre monde contemporain. Cette prise de conscience universelle est à même de relier les individus entre eux, au travers de discussions et d'actions concrètes. Celles ci suscitent une dynamique, en amont comme en aval de l'évocation de cette problématique environnementale.

Dans cette partie nous allons dès lors évaluer, à travers l'utilisation et l'analyse d'entretiens longs menés avec six habitants du quartier, usagers quotidiens ou occasionnels, de longue date ou récemment arrivés sur l'espace de l'Agrocité, l'impact de ce projet. Par impact nous entendons les répercutions du projet sur les individus. Il ne s'agit pas de catégoriser en positif ou négatif ni de voir si les objectifs affichés par les concepteurs du projet ont été

141 Doina Petrescu, Anne Querrien, et Constantin Petcou, « Agir urbain », Multitudes n° 31, no 4 (7 janvier 2008): 11?15, doi:10.3917/mult.031.0011.

142 « Multitudes Web - 32. Multitudes 31, hiver 2008 », 31, consulté le 13 septembre 2013, http://multitudes.samizdat.net/spip.php?page=rubrique&id_rubrique=932.

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remplis, le projet n'en étant qu'a la moitié de sa durée de vie et suivant de toute façon un processus de très long terme. Il est plutôt question de relater et d'analyser les conséquences de l'émergence de cet espace sur un groupe limité d'individus. De même, prétendre à l'exhaustivité est impossible car l'exercice de l'entretien est nécessairement limité à un nombre réduit d'habitants, non représentatifs de la diversité des opinions existantes, dont les entretiens seront biaisés par ma présence et les réponses données selon la compréhension des questions. J'ai volontairement choisi d'interroger des habitants avec des parcours différents afin de donner une image la plus complète possible en fonction de mes moyens et de mon temps. Certains sont là depuis près de deux ans et ont des parcelles depuis le départ, un couple a une parcelle depuis peu et viens très régulièrement tandis qu'une autre, qui habite le quartier depuis longtemps, vient juste de connaître le projet de l'Agrocité. Il m'est malheureusement impossible d'en dire plus sur leurs profils sans trahir l'anonymat que je leur ai promis. Ces entretiens permettent de saisir la complexité des processus à l'oeuvre et de comprendre la nature de l'implication des habitants.

Lors de la confection de la grille d'entretiens, j'ai choisi de questionner longuement les individus sur des thèmes qui me paraissaient cruciaux par rapport au projet: leur compréhension du projet global et de ses enjeux, leur place et leur rôle au sein du groupe d'habitants, leur implication au quotidien comme sur le long terme et la « capacitation » qui a pu en résulter143. Ces questions rejoignent la théorie écosophique en ce qu'elles envisagent un questionnement sur l'implication globale des individus.

Il est difficile de synthétiser ces entretiens sans transformer la parole des habitants. Néanmoins nous pouvons dresser un constat, un bilan, à partir de leurs expériences et de leurs récits.

Les habitants interrogés sont dans la grande majorité très satisfait de l'émergence du projet de l'Agrocité et de la vie qu'il a apporté au quartier: « c'est merveilleux »144 selon E., une enseignante qui n'a pas de parcelle mais viens régulièrement acheter des légumes. Tous ont été poussés par « la curiosité » pour entrer dans cet espace bien que l'ayant tous découvert à des époques et à des stades de développement très différents, de « plus de 2 ans »145 à « un mois »146. En entrant chacun avait une idée sur les origines et la nature du

143 Grille d'entretien, s. d.

144 Entretien anonyme avec E., s. d.

145 Entretien anonyme avec B., s. d.

146 Entretien anonyme avec E.

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projet. Mais peu sont ceux qui connaisse, même aujourd'hui, la réalité: « On comprenait pas trop »147, « Au début je savais pas trop je pensais que c'était la mairie et c'est après que j'ai compris finalement que c'est l'association et que finalement c'est pas vraiment la mairie.. euh... maintenant je penses pas que c'est la mairie mais je ne sais pas trop.. On m'a dit que c'était un programme européen et après je sais pas trop, je sais que c'est l'association pour les trucs bio mais.. je sais pas trop.. »148. En effet la majorité des habitants interrogés connaissent les principaux acteurs institutionnels ( Mairie, association et Union Européenne) mais l'incompréhension domine et les avis différent sur l'origine et le fonctionnement (financement, prise de décision globale, chantier etc..) de l'espace. Le manque ou la faible communication est pointé par certains habitants: « j'ai cru comprendre que... »149, « je pensais que »150 etc..

Pourtant un long panneau est affiché à l'entrée de l'espace avec un schéma résumant le rôle des principaux acteurs et les étapes du projet. Il apparaît donc que les habitants sont surtout intéressés par les rencontres et l'espace de sociabilité plus que par connaître et comprendre la genèse du projet et les étapes de son développement.

De même, concernant les enjeux du projet et les intentions explicites ou implicites des concepteurs, par rapport à la lutte contre le changement climatique, la préservation de la biodiversité ou la raréfaction des ressources fossiles, peu d'habitants voient un rapport directe entre la conduite de ce projet et ces questions d'écologie dont nous avons montré l'urgence: « Pour toi l'Agrocité est reliée aux enjeux plus large comme le changement climatique, la perte de la biodiversité, la raréfaction des ressources ? Je sais pas, peut être que oui, ah oui peut être. » 151. « Quels sont pour toi les raisons de la mise en oeuvre d'un tel projet?: Pourquoi un tel projet ? Moi je sais pas »152. Une autre cite l'enjeu de la biodiversité sans aller plus loin: « Quels sont les enjeux de ce projet ? Pour faire découvrir la biodiversité, j'en apprends tous les jours, y'a des gamins qui viennent ici pour apprendre, ca me fait plaisir de voir ca... vous essayez de faire découvrir aux personnes qui ont leur parcelle et même les autres, le compost, le truc des guêpes, vous voulez montrer que y'a pas que ce qu'on achète a Leclerc

147 Entretien anonyme avec B.

148 Entretien anonyme avec A.

149 Entretien anonyme avec E.

150 Entretien anonyme avec C.

151 Entretien anonyme avec B.

152 Entretien anonyme avec D., s. d.

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qui est bon.. » 153. On peut dès lors observer un changement de mentalité quant au système traditionnel où les habitants envisagent la possibilité de fonctionner autrement. Même si les thématiques évoquées par l'Atelier d'Architecture Autogérée ne sont pas explicitement mentionnées, on observe néanmoins une certaine prise de conscience qui se double d'une envie de prolonger et de faire perpétuer ce projet: « Je suis prête à me battre pour le projet »154. En quoi ce lieu est il important pour les habitants?

Les habitants interrogés mettent en avant l'aspect qui leur semble fondamental du lien social et expliquent la construction progressive de leur attachement à cet espace. Selon eux ces rencontres et cet espace partagé sont le vecteur d'un renouveau de la vie du quartier: « je trouve que c'est bien que les gens soient plus unis... les gens dans la rue sont trop pressés. Il faut vraiment avoir des espaces comme ca.. Y'a des gens dans le métro ils se sentent agressés quand tu leur parle, ici ça n'a rien à voir »155. Cet espace commun fonde une sociabilité particulière par rapport aux autres espaces plus « institutionnalisés ». Pour l'instant certains habitants ne se considèrent pas comme des amis mais sentent que des relations plus profondes pourraient se nouer: « Est ce que tu rencontres souvent des gens dans ta vie quotidienne ? Oui oui mais bon ca ne deviens pas des amis.. Avec les gens ici y'a un petit truc qui se passe entre nous.. »156. En effet, la plupart des habitants ont de l'estime pour les autres membres du groupe qui viennent régulièrement. A l'inverse, un des habitants interrogés a un ton très méprisant vis à vis des autres personnes du jardin: « Les gens que tu as rencontré sont ils du même monde que toi ? : Non non pas du tout.. Y'a des gens intermédiaires, une personne très cultivée et puis bon le reste c'est pff.. »157. D'autres professent un respect mutuel et sont ravis de la diversité du lieu: « y'a des nationalités différentes, réunionnaises et Martinique par exemple... on a pas le même vécu c'est ca qui est très bien »158. Une habitante analyse même le lieu en termes psychologiques puisqu'elle affirme que le jardin qui libère la parole évite d'aller chez le « psy » : « j'aime bien le contact avec les gens je crois que c'est important parce qu'après cette histoire de pas parler on est obligé d'aller voir le psy.. il faut mieux faire le psy en groupe entre nous.. c'est presque comme a la télé ou ils parlent devant tout le monde et ils sont pas capable de parler entre eux.. il faut mieux parler avec son voisin ou quelqu'un en qui on a

153 Entretien anonyme avec C.

154 Entretien anonyme avec A.

155 Ibid.

156 Ibid.

157 Entretien anonyme avec D.

158 Entretien anonyme avec B.

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confiance que aller chez le psy.. Ici c'est un moyen pour qu'on se parle.. on se parle de tout. »159. Ce lieu permet ainsi aux individus de s'exprimer sur leurs problèmes personnels et de partager leurs expériences de la vie dans ce quartier. Néanmoins il est possible que le point de vue de cette habitante ne soit pas partagé par tout le monde et moins par ceux qui ont plus de difficultés à s'exprimer. Malgré cette joie partagée et l'utilité sociale évidente de ce lieu, les relations peuvent être conflictuelles, principalement autour de questions pratiques d'organisation, comme la gestion de l'eau par exemple.

Pour autant la vision de la ville de la plupart habitants interrogés semble avoir changé au contact avec ce projet: « Ta vision de la ville à t'elle changé ? Ah oui parce que les jardins dans la ville, c'est faisable je l'avais pas envisagé avant. »160. « Je trouve que la ville a pas mal bougé par rapport au jardin »161 « c'est très agréable d'avoir un espace comme ca mais ca change pas ma vision de la ville car c'est éphémère mais évidement si ca durait et si ca se multipliait je serais la personne la plus heureuse du monde »162. Ces habitants ont mieux conscience des potentialités de ce jardin et du rôle qu'il acquiert dans une ville comme Colombes. De même, la plupart se sentent prêts pour défendre le projet: « je serais prête à envoyer des lettres », ou encore « Si un jour la mairie basculait ca me fait peur mais je suis prête à faire signer des pétitions devant Leclerc pour qu'on garde cet endroit.. je l'ai déjà fait plusieurs fois.. »163. Ainsi, dans un temps limité, moins de deux ans, l'existence de ce lieu a transformé la vie du quartier pour de nombreux habitants.

Pour la plupart il a véritablement apporté une valeur ajoutée à leur quotidien, surtout en été pour ceux qui ne sont pas partis en vacances par exemple. Il a donné une forme de consistance à cette partie du quartier où les habitants autrefois étrangers se côtoient et diffuse leurs relations à différents lieu du quartier: le café, la boulangerie etc.. Cette image d'un espace en construction, en train d'acquérir une identité, contrevient à celle dénoncée par Michel Certeau, citant une habitante de Rouen: « on y'a aucun endroit spécial, à part chez moi ici y'a rien, rien de spécial, rien de marqué, d'ouvert par un signe ou un conte de signé par de l'autre »164. En effet, on pourrait dire à l'inverse que ce lieu est devenu « quelque chose »

159 Entretien anonyme avec A.

160 Entretien anonyme avec B.

161 Entretien anonyme avec E.

162 Ibid.

163 Entretien anonyme avec A.

164 Certeau et Mayol, L'invention du quotidien. p.160

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et que cet espace se gonfle peu à peu d'une histoire particulière, identifiée au quartier et à ses habitants. A cet égard, Michel Maffesoli, sociologue français, évoque l'existence d'un « sensualisme local » qui définirait la poésie d'un lieu et serait en même temps l'« affirmation d'une solidarité de base qui unit ceux qui habitent dans un même lieu »165. Cette solidarité est renforcée ici par les évènements qui ont lieu presque chaque semaine, sous la forme d'ateliers ou de réunions organisés par les jardiniers eux mêmes comme le montre cette newsletter insérée en annexe (Image 2).

Une habitante cite par exemple l'organisation d'une petite fête alors qu'elle n'est arrivée au jardin que depuis quelques mois: « quand je suis parti à la retraite ils ont tous signés une carte, ca m'a fait plaisir on se sent bien accueilli dans le groupe je trouve que c'est bien que les gens soient plus unis... ». Avec la réception du chantier qui doit avoir lieu dès le 16 septembre, les possibilités d'initier ces évènements vont se multiplier et amener une dynamique nouvelle au quartier.

Ce « désir d'altérité » est rendu possible par l'existence de ces espaces. Les habitants engagent des discussions et gèrent de fait une partie du lieu. Pour certains, une reterritorialisation de leur l'imaginaire et de leur « désir d'altérité » se produit. Les rencontres se font plus facilement et le fait d'avoir des préoccupations communes, du moins à l'intérieur du jardin, permet aux individus de se sentir intégrés à un groupe.

Grâce à ces entretiens semi-directifs certains habitants ont pu mettre en relief leur expérience au sein du jardin. Par exemple une habitante s'est exclamée: « Ah tu m'en poses de ces questions ! »166, sous entendu qu'elle n'avait pas vu certains aspects du jardin comme je lui avais présentés. Cette sous-partie nous a permis de comprendre certains processus de transformation et les conséquences sur ce groupe d'habitant interrogé. Nous allons désormais analyser les entretiens sous l'angle de la « micro-politique ».

1.2 Un espace de débat : un lieu de micropolitique ?

Une des vocations de l'Agrocité est également de devenir un lieu de débat sinon d'échanges sur les thèmes forts représentés par cet espace: agriculture sans pesticide et sans pétrole,

165 Shin, « Une approche écosophique de l'espace urbain ».

166 Entretien anonyme avec B.

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changement climatique, lien social, alternatives concrètes au système actuel etc.. On peut également imaginer que le Recyclab et Ecohab deviennent des espaces à la vocation et au rôle similaire.

L'Atelier d'Architecture Autogérée à crée des lieux qui contribuent à la rencontre et à l'échange pour les habitants. La présence de dispositifs innovants, conçus avec les habitants suscite progressivement une réaction et des discussions. Celles ci n'ont pas vocation à créer automatiquement une prise de conscience par rapport à ces enjeux mais bien à initier une dynamique de parole.

Comme l'explique C. Petcou et D. Petrescu : « Petit à petit, nous avons pu relier les espaces hétérogènes que nous construisions avec leurs usagers, en suscitant des rencontres inhabituelles, des bribes de dialogue, du faire ensemble, des contradictions en douceur; un apprentissage du politique par des temporalités, des dynamiques et des contenus hétérogènes ». Ces contenus hétérogènes renvoient à la diversité des approches et des cultures rassemblées dans un même espace et qui doivent collaborer pour faire vivre et développer un espace. Comme nous l'avons vu ce processus n'est pas exempt de conflits, inhérents à chaque groupe humain amené à travailler en collaboration. Le terme de « micropolitique » nous permet dès lors d'analyser les processus à l'oeuvre en terme de conscientisation et d'échanges potentiellement porteurs d'une « subjectivité ». Le concept de micropolitique est très parlant car il entend faire la synthèse entre deux termes traditionnellement éloignés. En effet lorsque j'ai évoqué « la politique » avec les habitants interrogés, beaucoup se sont défendus d'en parler: « Moi je parle pas de politique. Non mais je veux die plus réflexion globale sur comment marche le monde, qu'est ce qu'on peut faire pour améliorer ? Non, pas quand je suis là. Moi c'est comme mes votes j'en parles jamais. J'évite d'en parler, j'écoute ce qui se dit. »

A l'inverse, une habitante m'a affirmée: « Moi j'aime bien la politique je suis dans un truc politique et j'aime bien qu'on parle de certaines choses et j'aimerai bien que les gens au lieu d'avoir juste des riches qu'on puisse tous vivre bien qu'on puisse se soigner etc.. ». Elle affirme qu'elle « aimerais voir le vrai socialisme » et pour elle ce projet pourrait permettre de commencer à faire changer les mentalités : « Toi tu te verrais organiser des débats des conférences pour faire changer les gens d'opinions?

Oui bien sur mais ca va pas être évident faut donner le temps au temps parce qu'il y a des personnes qui sont pas habituées à discuter».

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En effet, comme l'affirme C.Petcou et D. Petrescu dans l'article « Agir l'espace » ce processus est long et implicite mais il acquiert peu à peu une matérialité : « Par le tissage quotidien de désirs, ces micro-pratiques spatiales introduisent d'autres temporalités et d'autres dynamiques (plus longues, aléatoires, collectives et parfois autogérées) constituantes, ainsi des espaces en permanente transformation, des espaces « auto-poïétiques ». Les « micro-pratiques spatiales », évoquées ici dans le cas du projet Eco-box, sont l'ensemble de ces évènements et actions qui constituent le quotidien des participants au jardin et qui, sur le long terme forment une trame de reconstruction d'une vie urbaine intense. Les espaces dits auto-poïétiques (auto en grec: soi même et poiesis : production) peuvent être définis ainsi: « L'autopoïèse est le modèle d'organisation d'un réseau dans lequel chaque composant doit participer à la production ou à la transformation des autres. »167 . En appliquant cette définition à l'espace qui devient le réceptacle d'une dynamique de transformation globale à partir du désir des individus.

La question de cette permanente reconfiguration des relations entre les individus et de leur rapport au groupe est constituante de la conscientisation politique.

Par politique nous entendons la prise en compte d'enjeux transversaux et leur mise en débat par les habitants, qui n'étaient pas sensibilisés à ces thèmes auparavant.

Cette conscientisation peut permettre de mieux comprendre les désirs des habitants et ainsi d'avoir une meilleure confiance en eux. Or selon Gilles Deleuze: « L'inconscient, c'est une substance à fabriquer, à faire couler, un espace social et politique à conquérir {...} Pas d'éclosion de désir, en quelque lieu que ce soit, petite famille ou école de quartier, qui ne mette en question les structures établies. Le désir est révolutionnaire parce qu'il veut toujours plus de connexions et d'agencements. »168. Les désirs des habitants sont à la fois multiples et complémentaires. Il ne s'agit pas simplement d'envies par rapport à un dispositif en particulier mais bien d'une vague de fond qui vienne d'abord mettre en avant la possibilité même de désirer et de souhaiter autre chose que ce qui existe déjà. En effet, l'espoir de pouvoir changer durablement ses conditions d'existence est un préalable à l'expression d'un désir. Ce fait est mis en avant par Ernst Bloch, philosophe marxiste du XXème siècle. Dans son ouvrage le principe espérance, paru en 1954, il met en avant la nécessité pour les hommes « d'apprendre la dignité et l'espoir. L'existence de chacun est jalonnée de désirs qu'il ne réalisera jamais, car on arrache sans cesse à

167 « Encyclopédie de L'Agora | Autopoïèse », Encyclopédie de L'Agora, consulté le 11 septembre 2013, http://agora.qc.ca/dossiers/Autopoiese.

168 Gilles Deleuze, Dialogues avec Claire Parnet (Flammarion, 1995).

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l'homme la croyance en la possibilité de les réaliser. »169. Il est donc impératif de remettre à l'ordre du jour la possibilité pour les hommes de se réapproprier leur existence et d'influer sur le cours des choses. Mais il ne faut pas oublier de définir les impératifs de cette subjectivité: « Même les rêves les plus insensés contiennent une vérité révolutionnaire quand ils protestent contre l'inhumanité et l'humiliation. En chacun sommeille un incendiaire. »170. Cet impératif d'humanité doit guider l'action des hommes et leurs désirs. De même, F. Guattari affirme qu'une « lutte révolutionnaire sur le front du désir, c'est à dire sur les objectifs d'une micropolitique du désir {...} devrait être menée en parallèle par rapport aux autres politiques »171. L'expérience en cours à l'Agrocité peut ainsi être considérée comme une tentative de répondre à ce besoin d'espoir en même temps qu'elle est un essai de définition d'une subjectivité citoyenne. Celle ci s'inscrit dans un processus qui lie les individus dans leurs subjectivités individuelles afin de permettre l'émergence d'une conscience transversale à de nombreuses problématiques comme l'affirme F. Guattari : « Les valeurs ne prennent de portée d'apparence universelle que dans la mesure où elles sont portées par des territoires de pratique, d'expérience, de puissance intensive qui les transversalement. »172.

Comme nous l'avons vu, certains habitants semblent prêts à s'investir dans cette dynamique consciemment et les autres y sont finalement impliquées malgré eux. Cette transformation du quotidien change la vie de certains individus et leur perception du monde, que cela soit par rapport à leurs occupations quotidiennes ou aux nouvelles relations qu'ils tissent: « Pour toi ca a quel sens de faire tout ca ? Je vais pas te mentir, ca m'occupe y'a pas de sens particulier mais c'est que ca m'occupe »173, « Dans les traditions le savoir faire on se complète »174, « Tu trouves qu'elle a changée depuis qu'elle viens ici? Ouais dans le sens qu'elle apprends, qu'elle s'occupe plus d'elle que des autres, c'était un de ses plus gros défauts, par rapport a elle ou a sa santé, j'ai plus l'impression qu'elle se prends moins la tête, j'ai l'impression de la voir renaitre quelque part, elle a souvent le sourire, elle s'occupe plus »175. Ce jardin peut dès lors devenir un

169 « L'oeuvre majeur d'Ernst Bloch: Un hymne à l'espoir et à la révolte », J--M Palmier: articles redécouverts,

consulté le 14 septembre 2013, http://stabi02.unblog.fr/2009/04/26/loeuvre-majeur-dernst-bloch-un-hymne-a-lespoir-et-a-la-revolte/.

170 Ibid.

171 Felix Guattari, « Intervention de Félix Guattari au séminaire d'été de la Columbia University », juillet 1973, http://www.revue-chimeres.fr/drupal_chimeres/files/23chi03.pdf.

172 « Chaosmose / Félix Guattari ».

173 Entretien anonyme avec C.

174 Entretien anonyme avec B.

175 Entretien anonyme avec C.

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moyen pour s'évader en même temps qu'il peut permettre de reprendre contact avec une certaine réalité oubliée, par rapport aux traditions, à la mémoire et à la relation des hommes avec la terre.

Comme le rappelle F.Guattari dans l'article l'An 01 des machines abstraites : il faut « prendre le pouvoir là où s'effectue d'ores et déjà ce qui se passe d'important, de créateur dans n'importe quel domaine. Non pas dire « il faudrait que », genre conversation de café du commerce, « ah si j'étais au gouvernement voilà ce que je ferais», mais « vous êtes déjà au gouvernement, vous occupez déjà des postes très importants dans la micropolitique du désir » ».176 La présence des habitants au jardin et la construction sur le long terme d'une forme de conscience politique à partir du désir. La question de la micropolitique est donc essentielle en ce qu'elle réinterroge les rapports des individus à la réalité de la politique, c'est à dire à l'implication des individus à la vie de la cité et à la marche du monde. Les limites de cette appropriation sont importants à souligner.

2. Les limites de cette appropriation

1.1 La recherche-action et la distance entre chercheurs et habitants

Après avoir analysé une partie des impacts du projet sur certains habitants et abordé la question de la micropolitique nous essayerons ici de comprendre les enjeux de la recherche-action pour le projet R-urban et la distance qui peut s'installer entre les chercheurs et les habitants.

En effet c'est un aspect crucial du projet R-urban qui détermine également la conduite du projet. On peut lire sur le site: « aaa dirige une recherche financée par le Ministère de l'Écologie en lien étroite avec l'implantation de la stratégie à Colombes, pour questionner, analyser et orienter la mise en place des processus significatifs pour l'ensemble de la stratégie: l'implication des acteurs économiques locaux, les dynamiques `écolo-miques' créées, l'éco-bénéfice des circuits courts, la transférabilité de la démarche à différentes échelles, etc. »177. Dès les premiers projets, l'AAA a accompagné ses expériences d'un apport et d'un recul théorique qui a permis d'asseoir les projets et de les accompagner. En

176 Guattari, « Intervention de Félix Guattari au séminaire d'été de la Columbia University ». P.8

177 « Recherche-action | R-Urban », consulté le 14 septembre 2013, http://r-urban.net/recherche-action/.

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effet le fait de pouvoir s'appuyer sur des auteurs et des théories permet de prendre du recul sur les processus en cours et de les inscrire dans une trame de réflexion transversale.

Ainsi, le projet R-urban repose à la fois sur le principe de l'expérimentation et sur la recherche scientifique en sciences humaines.

La recherche action est un concept développé dans le « premier quart du XXème siècle » 178 par certains sociologues et philosophes de l'époque afin de faire correspondre leurs théories avec une réalité sociale observable. Sur le site R-urban on peut lire: « Dans le cadre d'une recherche- action, le chercheur doit pouvoir s'inscrire dans une démarche méthodologique qui vise à prendre en compte de manière plus globale la situation--problème identifiée, en appréhendant notamment ses dimensions économiques, politiques, sociales, juridiques, environnementales mais également psychologiques »179. La recherche-action dans le projet R-urban a dès lors une implication très précise sur l'importance d'une démarche globale aussi bien dans la pratique que dans la théorie. Comme nous l'avons vu dans la partie précédente, l'aspect psychologique est par exemple crucial car il détermine à la fois la subjectivité et le degré l'implication des habitants dans le projet.

Comme nous l'avons vu dans le cadre de l'expérimentation de F. Guattari à la clinique de La Borde, la recherche-action est un concept clé pour de nombreux penseurs dont l'AAA se revendique. En effet cette méthode permet d'effectuer un aller-retour entre théorie et pratique, l'un et l'autre se renforçant mutuellement et créant une synergie positive.

Dans le cadre de mon stage j'ai pu approcher cette notion et ses implications pour le projet à plusieurs titres. D'abord j'ai assisté au séminaire organisé par AAA en juillet. Ce séminaire a réuni une dizaine de chercheurs qui sont pour certains associés depuis longtemps à l'action d'AAA et s'intéressent de près à ses développements. Ce séminaire a débuté par une présentation des avancements du projet R-urban par C. Petcou et D. Petrescu afin de permettre à chacun de mieux saisir le processus en cours. Ensuite une présentation détaillée des projets auxquels ces chercheurs ont été associés était programmée. Chacun avait un parcours universitaire très riche assorti d'expériences très intéressantes. Ces chercheurs viennent de pays différents (Australie, Afrique du Sud, Allemagne, Royaume Uni etc.) et le séminaire s'est déroulé en anglais, au Recyclab. Après

178 René Barbier, « Historique de la R-A par René Barbier », text, http://biblio.recherche-- action.fr, consulté le 14 septembre 2013, http://biblio.recherche-action.fr/document.php?id=194.

179 Marlène Dulaurans, « Une recherche dans l'action: le cas d'une CIFRE en collectivité territoriale », Communication & Organisation n° 41, no 1 (15 avril 2013): 195?210.

68

ces présentations une forme de table ronde à permis à chacun de s'exprimer sur les différents thèmes abordés et de poser des questions aux chercheurs présents. Un seul chercheur a quelque peu critiqué l'action de AAA sur le projet R-urban tout en restant très superficiel sur ses commentaires.

Le jour suivant, une discussion plus pragmatique a pris place le matin à l'Agrocité. Des tables thématiques ont été installées et les groupes se sont répartis selon les thèmes proposés (Agriculture urbaine, modèle économique, gouvernance sociale du projet, Recyclab). Des discussions d'une heure environ ont donc pris place pour ensuite échanger entre groupes. Ces tables rondes ont pour but de permettre aux individus de confronter leurs points de vue tout en produisant une somme d'avis éclairés sur le projet R-urban. Ces entretiens par table et la discussion qui a suivi ont été enregistrés. J'ai ensuite participé à la retranscription de ces débats.

Des habitants étaient présents, certains répartis entre les tables. Plusieurs faits ont retenu mon attention quant à la distance qu'il pouvait exister entre les chercheurs et les habitants. D'abord le grand obstacle de la langue. En effet, peu d'habitants du quartier parlent anglais. Dans le cadre de telles discussions, cet obstacle est assez rédhibitoire. A ma table, j'ai du traduire la plupart des échanges, d'autant plus que l'habitant présent, S., était très sollicité sur ses réactions par les chercheurs, intéressés par comprendre le point de vue d'une personne fréquentant le quartier depuis son enfance et ayant une parcelle dans le jardin. En effet, les chercheurs, malgré la présentation du projet et quelques témoignages sont loin de connaître la vie du quartier et les réalités quotidiennes de la population. Il est ainsi difficile pour eux d'appréhender ce a quoi peut ressembler la vie au jardin et les enjeux concrets que ce projet soulève. Evidemment ils ont une autre approche du lieu, plus basée sur les écrits théoriques et les différentes expériences auxquelles ils ont pris part depuis le début du projet.

D'autre part la distance entre les habitants et les chercheurs se révèle dans leur approche éloignée de la compréhension du projet. En effet la grande majorité des habitants n'a pas de formation en sciences humaines et n'a donc pas accès aux mêmes outils conceptuels et de réflexion que ces chercheurs.

La recherche action tente de combler ce vide et ce manque qui existe dans les relations entre chercheurs et individus participants à des expériences pratique: « La recherche-- action suppose une conversion épistémologique, c'est à dire un changement d'attitude de la

69

posture académique de chercheur en sciences humaines »180. Ce changement d'attitude doit permettre de concilier les impératifs théoriques avec une approche pratique exigeante: « Lorsque la recherche--action devient de plus en plus radicale, ce changement résulte d'une transformation de l'attitude philosophique du chercheur concerné à l'égard de son propre rapport au monde. »181.

En effet dans de nombreux cas, les chercheurs étudiant des populations dénoncent les problèmes rencontrés et encadrent leur réflexion dans une analyse systémique qui pourrait permettre aux individus de comprendre certains rouages du système. Le film documentaire de F. Dansereau Les porteurs d'espoir explore cette dimension à travers une nouvelle méthode pédagogique qui entend replacer la pratique dans l'approche théorique habituellement de mise à l'école182. De même, l'expérience d'Université Foraine initiée par Patrick Bouchain, souhaite créer une connexion forte entre l'expérience pratique et l'apprentissage théorique. Mais outre certaines expériences prometteuses ces deux mondes restent très déconnectés. En effet, en général ces ouvrages restent entre les mains des chercheurs et les relais pour « atteindre » les individus qui subissent réellement ces situations sont très peu nombreux. De même, les individus n'ont souvent pas le vocabulaire ou les outils pour comprendre certaines notions scientifiques.

De ces décalages entre habitants et chercheurs, découle une forme d'incompréhension entre les enjeux envisagés par les concepteurs du projet R-urban et les personnes utilisant l'espace au jour le jour. Pourtant au fil du temps cet écart viendra surement à se réduire au fur et à mesure que les habitants s'investiront dans le projet et participeront aux projets d'éducation citoyenne par rapport à l'agriculture urbaine, les énergies renouvelables etc. Les habitants, comme dans les autres projets de l'AAA, s'approprient progressivement l'espace.

180 Barbier, « Historique de la R-A par René Barbier ».

181 Ibid.

182 « Les porteurs d'espoir », NFB.CA, consulté le 15 septembre 2013, http://www.onf.ca/film/porteurs_despoir/trailer/les_porteurs_despoir_bande-annonce.

70

1.2 Les autres formes d'appropriation et le risque d'une non-appropriation

Comme nous l'avons vu tout au long de ce travail de recherche, l'appropriation du projet par les habitants, que ce soit grâce à la participation ou par leur implication directe, est une condition au fonctionnement du projet. Sans habitants le lieu ne peut se transformer en espace, il n'acquiert pas une identité concrète et ne permet pas d'apporter un changement à la vie du quartier.

La participation et l'implication des habitants sont dès lors censées apporter l'énergie nécessaire au projet et à son développement.

La capacitation d'un groupe d'habitant restreint au départ amène ce groupe à s'étendre et ses pratiques à se disséminer. C'est à dire que le groupe, à chaque étape de sa constitution, agrège de nouvelles personnes qui gravitent peu à peu « autour » du projet et viennent renforcer sa légitimité et alimentent le processus identitaire. Néanmoins nous avons vu que l'appropriation est très relative et propre à chacun à partir du moment où chaque personne semble construire sa ligne et son identité par rapport au jardin. En effet, au fur et à mesure de la constitution du projet chaque individu trace un chemin, chacun s'intègre selon ses disponibilités et son envie de participer. C'est à ce moment là qu'un groupe solidaire peut émerger car chaque individu développe son activité et une forme de « point de vue », début de subjectivité, sur le processus en cours, en apportant, implicitement ou explicitement sa part à « l'édifice ».

Par exemple, le thème de l'art dans le jardin est une forme d'appropriation, qui n'a pourtant pas un rapport direct avec les enjeux écologiques pensés par les concepteurs. Peu après mon arrivée, une habitante a commencé à installer des sculptures fabriquées chez elle à partir d'objets éparses sur les parcelles et la pergola.

L'ambiance du jardin s'est trouvée transformée. Les autres personnes réagissent à la présence de ces objets et à la sensibilité qui y semble associée.

D'abord d'autres habitants ont commencé à afficher des photos et des objets. Chacun apprécie plus ou moins les nouveaux objets mais c'est le partage de l'espace qui se joue ici. L'appropriation se joue donc également à ce niveau, de la gestion de l'espace dans toutes ses formes. Ensuite les habitants sont témoins de ces changements et interrogent leur rapport à l'art et à la sensibilité qu'ils peuvent déployer dans cet espace. L'habitante a

71

également apporté des poèmes qu'elle lit parfois en public. Ce sont des poèmes sur le jardin et ce qu'il apporte à la ville et à son quotidien face au grisâtre des bâtiments:

Un jardin, une ville, du béton

Une fleur devant la tour Z

D'ailleurs pourquoi Z

Des immeubles partout entre la crise et la pierre

Une parcelle 1m25 sur 2m

40 parcelles alignées comme des tombes!

Est ce les gens qui meurent ou la vie qui renait ?

Et puis un sourire, deux, trois,

Pleins d'enfants qui peut être ne partiront pas en vacances

Les vacances c'est ici, on pourrait se croire à la campagne

La simplicité dans la ville,

Simple illusion ou réalité?

Voir juste une graine pousser c'est déjà attendre demain

Ce qu'elle deviendra, et nous?

Rencontre insolite, citoyenneté, voyage, convivialité!

Récolter le fruit de son travail,

A quel prix!

Mais aussi communiquer,

Chercher ce qu'il manque à la ville,

Juste un peu d'espoir, la tolérance,

L'amitié, les rencontres.

Peut être cela ne pourrait être qu'une

Illusion puisque ce projet ne doit pas perdurer

Lorsque l'on plante une graine, nous devons attendre la récolte,

Attendre les semences et récolte encore

Le bonheur et la vie. 183

Cette subjectivité implicite et explicite apporte une vie intense au jardin et suscite des interrogations et des affirmations de la part de tous. Cette approche citoyenne permet de

183 « Texte B. 1.pdf », consulté le 17 septembre 2013,

72

réaffirmer l'assertion de Martin Heidegger, philosophe allemand de la fin du XXème siècle : « L'homme habite en poète »184.

La question de l'art est ainsi cruciale. L'article du Monde diplomatique de juillet 2013, Art et politique, que l'action redevienne soeur du rêve écrit par Evelyne Pieiller traite de cette question d'un art qui se définirait lui même comme engagé185. Or l'art est rarement porteur de changement en soi, il est plutôt un moyen de construire un nouveau rapport au monde.

En effet, chacun reçoit les oeuvres selon son histoire et sa perception, il est donc illusoire de vouloir créer un art qui soit libérateur en soi. L'art est dès lors un des thèmes transversaux qui redéfinit la notion d'écologie pour l'intégrer à un ensemble plus large d'attitudes et de rapports au monde qui peuvent susciter un changement. Comme l'explique F.Guattari : « La créativité intellectuelle et artistique, comme les nouvelles pratiques sociales, ont à conquérir une affirmation démocratique qui préserve leur spécificité et leur droit à la singularité. » 186. En effet un véritable processus démocratique se construit grâce à une action transversale dans les buts comme dans les moyens. Ces dispositifs doivent conquérir des lieux de pouvoir au sein de la ville comme dans la communauté des habitants.

La notion d'appropriation a ainsi de nombreuses limites en ce qu'elle n'inclut pas certains dispositifs mis en place par les habitants, qui visent à transformer la conscience collective et à rendre possible des aménagements urbains autogérés. Il faut ainsi prendre du recul quant à la notion d'appropriation car elle risque d'occulter les autres processus en cours. Les risques d'une non-appropriation sont très faibles face à la diversité des approches proposées par les habitants. Il est donc important de ne pas se focaliser sur l'apprentissage brut de notions relatives à l'environnement ou sur la capacité des habitants à relater un processus décisionnel ou encore sur leur habileté a exposer les principaux enjeux du projet.

De même lorsque l'on explique et que l'on communique autour du projet R-urban il est difficile de faire comprendre la différence entre un jardin partagé classique et l'expérience menée à Colombes. Même si la différence paraît pour l'instant mince, le véritable enjeu du

184 Shin, « Une approche écosophique de l'espace urbain ».

185 « Art et politique, que l'action redevienne soeur du rêve, par Evelyne Pieiller (Le Monde diplomatique) », consulté le 15 septembre 2013, http://www.monde-diplomatique.fr/2013/07/PIEILLER/49338.

186 « Chaosmose / Félix Guattari ».

projet est de pouvoir créer une dynamique positive entre les trois unités et c'est véritablement cela qui fera la différence avec d'autres projets moins ambitieux.

73

Conclusion

A partir ce travail de recherche nous avons pu comprendre les enjeux du projet R-urban et leur connexion avec les multiples crises qui traversent notre société. Toutes ces crises sont reliées à la question des modes de vie et du système économique et social qui régit notre société.

Afin d'apporter des solutions concrètes aux défis que posent ces problématiques il convient de réinterroger les notions qui ont prévalu a la construction de la ville moderne.

Les questions d'appropriation et de participation des habitants apparaissent cruciales pour de nombreux politiques et responsables des politiques relatives à la ville. De même, de multiples initiatives lient participation des habitants et transformation des processus de construction de la ville. Par exemple, le collectif ETC187 porte une réflexion et une action profonde sur l'espace public et sur la ville à travers celui ci. De même, Patrick Bouchain, au travers de l'Atelier

187 « Collectif Etc, | Architecture, espace public et urbanisme participatif. Vers une fabrique citoyenne de la ville. »

74

Construire met en place des dispositifs culturels qui transforment la ville et les relations entre les individus prenant peu à peu possession d'espaces en devenir188 189.

Mais, bien que de nombreuses initiatives, essentiellement associatives voient le jour l'on peut, comme la Revue Mouvement douter de l'avenir et de ce processus :

190

Le projet R-urban, qui s'inspire des projets menés dans d'autres espaces par l'AAA, envisage cette reprise en mains citoyenne de la ville à travers tous les dispositifs que nous avons décrits dans ce travail. Ce processus ne pourra s'effectuer qu'a condition de l'envisager dans une perspective transversale : « Quoi qu'il en soit, les intellectuels ne devraient plus être sollicités de s'ériger en maîtres à penser ou en donneurs de leçon de morale, mais à travailler, fût-ce dans la plus extrême solitude, à la mise en circulation d'instruments de transversalité. »191. Celle ci est indispensable sans quoi une situation de crise globale ne peut être combattue. Il est ainsi primordial de créer des instances de transformation globale qui peuvent prendre de nombreuses formes.

En effet, comme l'affirme Felix Guattari : de nouveaux types d'instances de concertation, d'analyse, d'organisation devront être expérimentés; peut-être d'abord à petite échelle et plus largement ensuite. Si le mouvement écologiste, qui se présente en France aujourd'hui sous un jour si prometteur, ne s'attelle pas à cette tâche de recomposition d'instances militante (dans un sens tout à fait nouveau, c'est-à-dire d'agencements collectifs de subjectivation) alors à n'en pas douter, il perdra le capital de confiance dont il se trouve investi, les aspects techniques et associatifs de l'écologie étant récupérés par les partis traditionnels, le pouvoir d'Etat et l'éco-business. Le mouvement écologique devrait donc, à mon sens, se préoccuper en priorité de sa propre écologie sociale et mentale. ». Comme nous l'avons évoqué, ces espaces alternatifs de la ville permettent une conscientisation nouvelle des individus au travers de

188 Patrick Bouchain, Construire autrement: commentfaire?, 1 vol., L'impensé [Texte imprimé] / sous la direction de Patrick Bouchain et Claire David. - Arles : Actes Sud, 2006- (Arles: Actes Sud, 2006), http://www.sudoc.fr/111670977.

189 « L' U N I V E R S I T É // F O R A I N E - A l'instigation de Patrick BOUCHAIN », consulté le 16 septembre 2013, http://universiteforaine.overblog.com/.

190 Bourdeau et al., « Éditorial ».

191 Guattari, « Intervention de Félix Guattari au séminaire d'été de la Columbia University ».

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la rencontre et de la production de dispositifs inédits. Bien que ces mouvements oeuvrant pour un changement des mentalités soient ouvertement apolitiques, ils s'appuient sur des réseaux qui mobilisent de nombreux élus et personnels administratifs. Certaines mairies sont plus ouvertes que d'autres à accueillir et soutenir ces projets. Ainsi les porteurs de projets peuvent finir par dépendre des échéances municipales pour mener à bien leur projet. C'est pourquoi de nombreux militants de la ville sont dubitatifs sur la capacité de ces projets à remettre fondamentalement en cause les manières institutionnelles et héritées de construire la ville. « Les groupes qui m'intéressent sont ceux qui cherchent à construire des alternatives concrètes en marge du système dominant, sans chercher un dialogue avec des instances qui n'ont aucune volonté de changement. ». 192Pourtant des projets inspirants comme ceux menés par Lucien Kroll, architecte belge du XXème siècle, montre qu'il est possible d'établir une forme de rapport de force avec les pouvoirs publics et les bailleurs privés pour amorcer une mutation des manières de construire. Ces manières de faire participer les futurs habitants et de refuser la rationalisation à outrance imposée par le système économique met en évidence l'importance de considérer l'humain dans les projets urbains. Quant à l'environnement mon opinion est que les processus se ressemblent et fonctionnent selon le même mode opératoire. Il faut impliquer les habitants en remettant en cause la doxa de la consommation et de la rationalité. La spontanéité doit primer.

Comme l'affirme Anne Querrien : « il s'agit de donner du développement écologique des lignes de travail qui sortent des comportements stéréotypés déjà largement balisés, dont la clarté n'a d'égal que l'incapacité à leur donner consistance sur le terrain. Il s'agit de donner de la transition écologique une ou des représentations à la fois dynamiques et floues, mobilisatrices. Des représentations qui s'éloignent du modèle essentialiste et quantitatif de Bedzed, pour épouser les contours d'expériences pour lesquelles l'habitat ne sera pas forcément le premier vecteur du changement. D'autres pratiques d'organisations festives, d'apprentissages mutuels, de promenades, d'agricultures, de gestions des déchets peuvent se rencontrer sur la route de ce commun en construction »193. La question de l'appropriation et de la participation des habitants est dès lors centrale dans cette production du commun:

« Au--delà des revendications matérielles et politiques émerge l'aspiration à une

192 « L'autonomie alimentaire, dans une perspective décroissante radicale -- Mouvements », consulté le 25 septembre 2013, http://www.mouvements.info/L--autonomie--alimentaire--dans--une.html.

193 Anne Querrien, « Territoires et communautés apprenantes », Multitudes 52, no 1 (2013): 45, doi:10.3917/mult.052.0045.

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réappropriation individuelle et collective de la production de subjectivité. » Ainsi que nous l'avons vu celle ci passe par une production de subjectivé qui permet de se réapproprier des symboles et d'accompagner des processus de transformation individuels qui ont nécessairement un impact sur la communauté. C. Petcou et D. Petrescu affirment « La liberté d'agir correspond à la capacité de transmettre (un projet, une action, un mouvement...) mais aussi à celle d'interrompre, de mettre en suspension, d'introduire un intervalle (auto)critique dans un par-- cours subjectif. »194. Cette transmission du projet paraît essentielle aussi bien par sa dimension sociale que par sa potentialité mobilisatrice des individus. Si ceux ci se reconnaissent dans une communauté une nouvelle approche de la société peut s'amorcer car il y a une conscience d'intérêts communs.

Dans mon approche de la vie en commun et de la compréhension des enjeux du projet par les habitants j'ai pu appréhender certains processus de transformation. L'analyse de ces dynamiques me parait fondamentale pour la suite du projet et les évolutions à venir. De même la possibilité pour les habitants de s'exprimer sur leurs relations à l'écologie, l'urbanisme et la ville, leur appropriation du projet et les potentialités de leur implication dans celui ci est très positive. Cette analyse de leurs désirs est une condition de la continuation du projet dans le sens ou elle amène une prise de recul de tous, aussi bien des habitants que des salariés de l'association. En outre, en écho à une phrase de Michel de Certeau, « en fait la mémoire c'est l'anti--musée, elle n'est pas localisable », je dirais que les désirs ne sont pas localisables non plus et qu'ils forment des territoires informels où les individus se reconnaissent et agissent ensemble.

Mais mon approche parcellaire et partielle ne peut évidemment prétendre à l'exhaustivité. Une des limites de mon travail est évidemment le manque de temps pour réaliser plus d'entretiens et permettre ainsi à de plus nombreuses personnes de prendre du recul sur leur rôle et leur action au sein du jardin.

Bien que le projet m'ait permis d'apprendre beaucoup sur le montage d'un projet et les enjeux de la participation et de l'appropriation des habitants, je n'ai pas eu le sentiment d'utiliser tout mon potentiel malgré la mise en oeuvre la plupart des compétences que j'ai acquises lors de ma formation (compréhension du jeu d'acteurs, participation des habitants, enjeux et réalité du montage d'un projet). Outre ma participation à un séminaire

194 Petrescu, Querrien, et Petcou, « Agir urbain ».

de recherche de deux jours et à l'inauguration de l'Agrocité et du Recyclab, je n'ai pas eu le temps de trouver ma place dans ce projet.

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ANNEXES :

Annexe 1 : Images du projet

Image 1 Photo de l'Agrocité en juin 2013 :

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Image 2: Newsletter Juin/Juillet

La newsletter qui paraît tous les deux mois environ informe des évènements du jardin et de certains liés au quartier.

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Image 3 :Recyclab terminé.

Image 4 : « Toilettes sèches et ferme de lombri--compost »

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Image 5 : Espace de stockage

ANNEXE 2 : RETRANSCRIPTIONS D'ENTRETIENS.

Retranscription entretien 5/08/13

Activité professionnelle: Enseignante

INTRO - DECOUVERTE DU PROJET

- Qu'est ce qui t'as poussé à entrer dans cet espace la première fois?

C'est la nature. Je viens souvent faire mes courses chez leclerc, originalité du projet. je suis curieuse de nature

le fait que vous fassiez des cultures, je me suis dit que je pourrais trouver qq chose qui correspondrait à mes besoins.

Je vais pas chez leclerc acheter mes legumes, je vais dans des marches bio, jusqu'a paris et c'est tres cher. Je vais aussi chez demeter, naturalia mais ils font parti du groupe monoprix..

- C'était il y a combien de temps?

Pas longtemps ( 1 mois), j'ai lu que ce projet existait dans Mosaique ( journal du quartier).

- Comment as tu perçu le projet au départ ? ( Monté par les habitants/la mairie / une asso ? )

J'ai cru comprendre qu'il s'agissait d'un projet associatif maius que la mairie avait donné son aval mais que c'est un projet ephemere, c'est ce qu'on m'a expliqué.

RENCONTRES

- Qui as tu rencontré ? ( des gens proches, des voisins?)

les gens du jardin, je ne les connaissais pas, y'a une personne qui habite pres de chez moi. Les gens sont accueillants.

- Est ce que tu rencontres souvent des gens dans ta vie quotidienne? Oui, ca m'arrive tout le temps. je fais du velo. activités culturelles.

IMPLICATION

-Combien de fois viens tu par semaine ? Combien d'heures en tout environ?

Je ne viens pas régulièrement, je viens pour voir si quelque chose à poussé, je suis pas au courant des activités, je n'ai pas internet..

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- Est ce que tu as déjà aidé ou planté hors de ta parcelle?

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Non mais j'ai aidé en ecoutant mais personne ne demande d'aide - Ta vision de la ville à t'elle changé?

Non mais c'est tres agreable d'avoir un espace comme ca mais ca change pas ma vision de la ville car c'est éphémère mais évidement si ca durait et si ca se multipliait je serais la personne la plus heureuse du monde mais tant que c'est pas le cas je me retiens je veux pas être déçue. ( explication du principe de l'asso et de la possibilité de deplacer le projet) : c'est merveilleux

- Est ce que tu parles du projet et de ton implication autour de toi ? Si oui, à qui?

Aux gens qui habitent a cote de chez moi

-Est ce que tu aurais envie de voir d'autres projets de ce type émerger? Evidemment

PERCEPTION/VISION du projet

- Pourquoi ici à Colombes?

C'est une chance, on a un maire ouvert, mais est ce que e sot les habitants ou est ce que ce sont les habitants ? qui a initie le projet?

- Les objectifs du projet de l'Agrocité ?

Amener des jeunes, les impliquer, jusque la ce sont des femmes beaucoup - Quels sont les enjeux de ce projet?

Sensibiliser les gens à l'écologie, à la réduction, faire en sorte que les gens comprenent qu'il y a un enjeu.

On nous dit qu'il faut trier par exemple mais on n'a pas d'endroits ou apporter le compost par exemple.

J'aimerais bien qu'il le fasse faire dans les immeubles parce qu'on deviens plus sensbile avec tout ce qu'on fait, on devient plus sensible avec ses mouvements etc..

On deviens plus conscient, dans les résidences etc , j'aimerais bien qu'ils amenent des moutons.. Je suis tres sensible aux nuisances, ils viennent tondre l'herbe avec des machines et c'est insupportable.

je suis pour l'écologie mais je ne peux pas non plus me limiter à la ville.

Est ce que ce projet il a un rapport avec le changement climatique?

Je ne sais pas parce que c'est pas moi qu'il lai initié, j'ai pas participé à des reunions etc donc je ne sais pas exactement quel est votre but donc e sais pas d'ailleurs ce serait bien de faire des réunions d'information etc..

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-- Quelle est ton opinion sur l'agriculture biologique ? Depuis quand as tu cet avis ? Si c'est depuis ton arrivée au jardin qu'est ce qui t'a fait changer?

J'ai toujours été favorable, ca fait des années que je suis bio, c'est deconcertant on nous dit que le bio n'est pas bio etc.. mais ce qui me gene c'est que le bio c'est pas a la portee de tout le monde, c'es tres cher...

-- Est ce que tu crois en la capacité d'un groupe d'habitants comme le vôtre de créer des projets comme celui ci ? ces projets peuvent ils transformer durablement la société et les relations entre les individus?

Oui mais déjà je sais pas planter donc j'aurai du mal a véhiculer le projet. Mais si c'est avec d'autres gens ce serait avec plaisir

je trouve que la combinaison des deux est parfaite

Et si le projet venait a disparaitre?

Je serais très triste je serais prete a envoyer des lettres. C'est le rêve c'est la nature dans la ville

-- Penses tu que des gens d'origines sociales et géographiques et d'ages si différentes puissent mener un projet ensemble ? Pourquoi?

Oui il se trouve qu'ici c'est.. mais bon quand on voit qui viens ca contredit.. mais il faudrait que ce soit sur un terrain neutre ici les gens sont très pauvres.. Mais ca serait idéal. Ici les jeunes on d'autres divertissements.

ENTRETIEN AVEC UNE HABITANTE:

INTRO - DECOUVERTE DU PROJET

-- Qu'est ce qui t'as poussé à entrer dans cet espace la première fois?

C'était par curiosité, pour voir ce que font les gens. Au debut je voulais pas prendre de

parcelles et finalement je me suis mis sur la liste d'attente.

-- C'était il y a combien de temps?

Il y a un an a peu près..

-- Qu'est ce qui t'as poussé à revenir?

Je suis revenu quand j'ai eu ma parcelle et j'ai planté tout de suite mes petits pois..

-- Comment as tu perçu le projet au départ? ( Monté par les habitants/ la mairie / une asso ? )

« je trouve que c'est bien qu'on soit entre nous même si des fois on se crêpe le chignon

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RENCONTRES

-- Qui as tu rencontré? ( des gens proches, des voisins?)

Je connaissais personne au départ, de gens qui ont des parcelles

-- Est ce que tu rencontres souvent des gens dans ta vie quotidienne?

Oui oui mais bon ca ne deviens pas des amis.. avec les gens ici y'a un petit truc qui se passe entre nous.. quand je suis parti à la retraite ils ont tous signés une carte, ca m'a fait plaisir on se sent bien accueilli dans le groupe je trouve que c'est bien que les gens soient plus unis... les gens dans la rue sont trop préssés. Il faut vraiment avoir des espaces comme ca.. y'a des gens dans le metro ils se sentent agressés quand tu leur parle, ici ça n' a rien à voir

-- Les gens que tu as rencontré sont ils du même monde que toi?

Beaucoup je pense. Je sais pas si y'a des gens qui viennent cultiver leur parcelle parce qu'ils n'ont pas d'argent ou si ils viennent pour leur plaisir. Moi je viens pour le plaisir par exemple et pour pouvoir cueillir mes legumes parce que heueresment j'ai les moyens pour acheter mes legumes..

Etre du monde ca veut dire qu'on est tous des travailleurs, des salariés y'a pas de.. apres ya..peut être des gens differents mai sje pense pas que... on pourrait être medecin et avoir un peiti carré de terrain mais moi je suis modeste mais c'est pour mon plaisir et j'aime bien le contact avec les gens je crois que c'est important parce qu'apres cette histoire de pas parler on est obligé d'aller voir le psy.. il faut mieux faire le psy en groupe entre nous.. c'edst presque comme a la tele ou ils parlent devant tout le monde et ils sont pas capable de parler entre eux.. il faut mieux parler avec son voisin ou quelqu'un en qui on a confiance que aller chez le psy.. Ici c'est un moyen pour qu'on se parle.. on se parle de tout.

Toutes ces rencontres n'ont elles été que positives?

Oui

-- Y'a t'il souvent des conflits ? Sur quels thèmes?

Oui mais sur des petits trucs betesmoi je m'entends bienavec tout le monde

-- Que t'on apporté ces rencontres?

--

Ca m'apporte que ca me fait sortir de la maison ca me fait voir des gens, faire des legumes.. arrose, ca m'occupe.. Sinon je suis enfermé, j'aime bien le contact avec les gens, c'est public sans être dehors, y'a un petit groupe on est ensemble si il y a quelqu'un qui a un petit probleme y'a un autre qui va essayer de l'aider.

Je trouve que c'est bien qu'il y ait des contacts humains

IMPLICATION

-- T'es tu impliqué tout de suite dans le projet?

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Je viens presque tous les jours, parfois je reste 3 heures ou plus. J'arrose je parles,je

regarde si y'a des courgettes ahah. J'achete souvent des legumes, deux kilos de patates y'a pas longtemps.. J'ai pris des haricots verts mais y'en avait pas beaucoup alors c'était trois chacun.

- Est ce que tu as déjà aidé ou planté hors de ta parcelle?

- J'ai ramené des poivrons que j'avais planté chez moi et je vais les donner. Pour moi le partage c'est très important depuis toujours, ici c'est l'idéal pour partager. J'en ai donné pas mal de mes petits pois.

- Ta vision de la ville à t'elle changé?

Voir les gens, ca me fait penser un peu quand j'étais petite. Les gens ils partageaient beaucoup les choses les graines, les semences et quand on tuais le cochon on partageais aussi. Pourtant ma mère c'est pas quelqu'un qui partageait beaucoup ici ca me fait rappeler ca. On avait rien on avait pas grand chose on partageais les tomates, les plantes etc j'ai vécu un peu ca se fait encore beaucoup au nord du Portugal.. Oui je crois que ma vision de la ville a changé, parce que y'a gens qui me parle qui me dise que c'est bien qu'ils veulent avoir une parcelle, c'est ce qu'ils nous laissent comprendre j'en parles souvent autour de moi je dis je susi dans mon jardin les gens veulent savoir où je suis je dis que je suis dans mon jardin..

-Est ce que tu aurais envie de voir d'autres projets de ce type émerger? Pourquoi?

Ah oui ce serait super de voir ca ailleurs, c'est genial pour les gens, qu'ils se rencontrent fassent leur légumes etc.. parce qu'on est tellement devenus individualistes que les gens se connaissent plus et sont plus solidaires.

-Pour toi c'est le seul atout?

Je me suis pas trop posé la question je me suis dans mon truc a moi mais je trouve qu'il devrait y avoir plus de terrains comme ca la ou y'a des terrains ca rendrait service aux gens en plus c'est en banlieue. Et c'est bien qu'on puisse avoir ce contact avec la terre parce que c'est la terre qui nous donne tout! Et pareil pour les enfants ils pensent que les choses elles poussent dans les etalages, que les poissons ils sont carrés et que les poulets sont deja comme ca dans un emballage qu'ils ont pas de plumes.. c'est vrai hein ! Les enfants de la ville y'a des choses qui savent pas que ca existe.

T'as l'impression que ce lieu il relie ces deux choses, la ville et la campagne, en fait?

Ca fait voir qu'on peut faire pousser des choses, que les plantes sont plantées dans la terre. Qaund y'a les parends qui ramenent les enfants ca leur fait voir, que c'est paschez leclerc que ca pousse.. Si vous voulez pas de bestioles dans vos salades allez chez leclerc..

Moi tant qu'il y a des legumes ici je prends ici

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-- Si oui, quels sont les atouts et les faiblesses de ce projet? ( Questions de pouvoir, de gestion..)

C'est une bonne question.. Si un jour la mairie basculait ca me fait peur mais je suis prete a faire signer des petitions devant leclerc pour qu'on garde cet endroit.. je l'ai deja fait plusieurs fois..

-- vous trouvez pas qu'il y a un probleme de communication ...

Si c'est vrai qu'on sait pas grand chose mais bon on fait avec... J'ai eu cette idée de planter ici avant que ca existe du coup c'est comme un rêve qui se réalise.

PERCEPTION/VISION du projet

-- Est ce que tu pourrais définir ce projet? et ses différents aspects qui te semble importants ? La caractéristique la plus importante?

-- Pourquoi ici à Colombes?

Je pense que c'est parce que le terrain se présentait mais bon c'est vrai qu'il y en a d'autres, je sais pas pourquoi c'est venu se faire ici...Avec tout le béton qu'il y a ici c'est vrai qu'ici c'est un petit paradis je sors de la tour, je commence à moins detester la tour...

-- Les objectifs du projet de l'Agrocité ?

Pour que les gens se connectent plus pour se dire bonjour bonsoir ca va arroser sa parcelle.. on habite en face depuis le couloir de mon immeuble je vois si il y a quelqu'un dans le jardin et je descends...

-- Quels sont les enjeux de ce projet?

Faire que les gens se rencontrent et voir la nature pousser je vois pas autre chose, faire des experiences en plein air et gouter le gout des vrais légumes..

-- Ce projet a t'il changé ta vie de tous les jours ? En quoi? ( sur le rythme d'une journée, confiance en soi, conscience des possibilités d'agir)

Ca a changé parce que je passe tous les jours ici, sinon je regarderais la télé.. je regardes moins la télé. L'autre jour c'est moi qui ai ouvert le jardin..

CHANGEMENT

-- Quelle est ton opinion sur l'agriculture biologique ? Depuis quand as tu cet avis ? Si c'est depuis ton arrivée au jardin qu'est ce qui t'a fait changer?

-- Est ce que tu crois en la capacité d'un groupe d'habitants comme le vôtre de créer des projets comme celui ci ? ces projets peuvent ils transformer durablement la société et les relations entre les individus?

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- Penses tu que des gens d'origines sociales et géographiques et d'ages si différentes puissent mener un projet ensemble ? Pourquoi?

- Penses tu que ces projets développent la créativité et l'imagination?

- Est ce que c'est un lieu de débat sur des enjeux plus globaux?

-

Je pense que les gens sont encore un peu réservés pour parler. Ils sont aussi limités dans ce qu'ils entendent et comprennent. Parfois on parle de choses y'a des gens qui suivent pas mais bon c'est pareil pour moi y'a certaines conversations je suis pas trop.. L'éducation civique à l'école ca apprends aux gens à vivre en communauté j'ai l'impression qu'ici les gens savent pas trop vivre en communauté ( Mari)

On peut essayer de faire comprendre aux gens les enjeux du projet. Où on est ce qu'on veut et ou on veut aller... On aborde tous les sujets mais les gens sont pas tres reactifs.. On pourrait parler de la desindustrialisation du departement tout ca parce que quand on est arrivés au debut des années 70 on a fermé toutes les usines, cest les patrons qui ont choisi de fermer les usines...

- vOus parlez avec les gens de toutes les solutions qu'il peut y avoir à ces crises?

C'est a dire que bon on dis les crises à moitié inventées pour essayer de recuperer des sous sur les pauvres gens mais c'est pas la bonne solution..

--Alors c'est quoi votre opinion sur l'agriculture biologique?

Moi je trouve que c'est bien. Nous on a une fille formée en biologie. Je trouve que l'agriculture biologique c'est tres bien pour notre santé tous les cancers les maladies ca peut venir de la mauvaise alimentation. Je pense que ce projet est relié aux questions de santé. On devrait manger pas des trucs avec de shormones, avoir une alimentation saine, pas ce qu'ils nous font manger

Ca a changé depuis que je viens au jardin parce que si je peux acheter mes tomates ici je vais pas aller les acheter chez leclerc

-Avant t'achetait bio ?

j'achetais moins bio mais ma fille m'a poussé à manger bio..

-Est ce que vous croyez en la capacité d'un groupe comme le vôtre à créer des projets comme ca ?

oui moi je pense que c'est possible, faisable, avant vous auriez pu vous imaginer mmee avant ce projetj'aurais pu si y'avais quelqu'un pour me dire aller viens on va planter j'y serais allée

-ah oui mais il aurait fallu quelqu'un pour te dire..

ah oui parce que j'ai pas pris l'initiative... mais maintenant on peut imaginer aller voir la mairie il faudrait recenser les terrains mais c'est vrai que j'ai pas pris l'initiative.. je crois que

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je serais capable d'aller voir le maire pour lui demander de faire des trucs comme ca ca donne des idées

des idées subjectives?

Si moi j'ai pensé qu' onpouvaitfaire des choses mais que j'en parlais a personne ca restait en moi maintenant avec le groupe on dirait que c'estfaisable avant on étais limités..

Est ce que des projets comme ca peuvent changer la société et les relations entre les gens plus durablement?

Oui je pense que oui si on suit un groupe qui a des bonnes idées et qu'on puisse transmettre ca peutfaire que les gens qui se pensaient tous seuls se disent tiens finalement ca existe les gens on fait quelque chose ensemble je pense que c'est possible finalement c'était pas si mal qu'on se voit etc... avant on étais tous dans notre coin...

-Pour toi c'est un espace révolutionnaire ici? c-a-d qui change radicallement la société et la façon dont les choses fonctionnent ect. ?

Changer la société c'est très difficile mais ca peut changer que les gens s'habituent à manger plus sain

-Pour toi ca a un rapport avec le changement climatique ici?

ben oui parce que je pense que si on pouvais avoir des espaces verts au lieu d'avoir q que des tours en béton ca seratit plus agreable pour voir des plantes tout ca des choses variées et des légumes comme les gens variés parce qu'il y a des gens de partout ici et ca c'est bien parce qu'on doit tous comprendre qu'on est pareils on est tous humains du sang rouge et on devrait se comprendre mieux

Tu penses que des gens d'âge et de nationlalités si diferets peuvent mener un projer ensemble?

Oui, c'est un peu ce qu'on fait.. biensur mais c'est vrai que le voir en action. Moi j'aime bien la politique je suis dans un truc politique et j'aime bien qu'on parle de certaines choses et j'aimerai bien que les gens au lieu d' avoir juste des riches qu'on puisse tous vivre bien qu'on puisse se soigner etc.. que tout le monde devrait avoir une maison. Moi je suis dans un truc social mais les gens qui payent autant pour des petites pièces c'est se moquer des humains. eque les gens aient une maison, qu'ils puissent tous se soigner pareillement, manger a sa faim, avoir une maison les enfants puissent se cultiver, école études etc...

Pour toi ce projet c'est une ébauche de ce que pourrait être le socialisme?

Je pense que caserais bien qu'on puisse vivre égaux.. Qu'on soit bien habillés ou pas c'est pas important du moment qu'on est propres mais qu'il y ait pas cette différence entre les riches et les pauvres et qu'on soit pas nous les petits en bas comme des imbéciles on croit qu'on est différents et c'est bete j'aimerais bien que les gens aient plus d'humanité et si entre nous on s'aide pas c'est pas les riches qui vont nous aider

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Pour toi ici ca peut être un lieu pour créer une dynamique, faire comprendre tout ca aux gens qui le comprennent pas forcément?

C'est pas évident de faire comprendre aux gens qu'on pourraient tous vivres à peu près normalement.. Je trouve qu'on pourrait plus s'aider entre nous..

Ici ca developpe la creativité et l'imaginiation ?

Oui je pense, y'a pleins de choses à faire, y'en a un qui a une idée l'autre qui en a une aussi il faut pouvoir les mettre ensemble les appliquer, discuter mais c'est pas toujours évident... Mais on voit bien même pour des petites choses de rien du tout ils sont toujours en train de.... Ce projet c'est rien du tout c'est un petit projet..

C'est ambitieux quand même comme projet...

Ca c'est sur.. Parfois c'est aussi une question de parler, certains ont du mal, c'est difficile aujourd'hui de dire qu'on a pas, qu'on peut pas faire... parce qu'il y a toujours le fait que c'est honteux d'être pauvre et moi je trouve qu'on devrait les aider pour qu'ils soient moins pauvres et là ici je trouve que c'est bien. Les gens ils peuvent venir cultiver c'est déjà une petite aide je trouve bon les parcelles sont petites mais par exemple moi j'ai mangé mes 6 tomates, je suis pas allé les acheter chez leclerc etj'en ai encore plein et j'ai achete 2 eu et quelques les plantes et l'eau c'est même pas moi qui l'a payé..

Toi tu te verrais organiser des debats des conferences pour faire changer les gens d'opinions?

Oui biensur mais ca va pas être évidentfaut donner le temps au temps parce qu'il y a des personnes qui sont pas habituées à discuter, des problèmes de santé etc..

Ca nous est déjà arrivé d'en parler mais pas souvent on peut parler de tout et de rien en même temps..

Tu me disais aussi que ca avait un rraport avec la santé mentale ici

Oui parce que parfois en prlant avec quelqu'un elle va peut être nous dire quelques mots qui vontfaire qu'on va voir les choses d'une autre façon.. C'estjuste voir d'une autre façon, je dis pas qu'on va mettre un truc de psy.. Dans le temps les gens ils allaient moins voir le psy, ils parlaient entre eux de ces problèmes..

Et ici tu trouves que ca pousse les gens à avoir une autre vision de la société, à imaginer autre chose?

Moui mais ça c'est pas tout le monde qui le vois de cette façon...Cette personne elle peut voir qu'y a pas que ca..

Le butfinal du projet c'est de voir qu'on peut avoir une autre vie sans qu'on soit enfermés dans nos tours et aller chez leclerc on peut aussi avoir un espace ou on se voit plusieurs fois par semaine c'est un bon truc pour que les gens se sentent concernés..Après les gens sont très pris parle travail..

J'aime bien sentir la terre dans mes mains

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Je suis prête à me battre pour le projet, je connais pas les autres projets de l'association même si j'ai regardé sur internet, j'ai trouvé ça bien






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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery