Département de l'UFR de Géographie et
Aménagement
MASTER de Sciences et Technologies, mention
Aménagement, Urbanisme et Développement des
Territoires
Spécialité : ECODEV
Montage de Projets en Eco-territoires
« L'appropriation « des enjeux d'un
projet par
les habitants : l'Agrocité à Colombes
Ville de Colombes, Hauts de Seine, Ile de France, France
1
Hadrien Basch
Tuteur universitaire : Christelle Hinnewinkel Année :
2012-2013
Tuteur professionnel : Constantin Petcou
2
Organisme : Atelier d'Architecture Autogérée
3
Basch Hadrien., 2013, « L'appropriation »
des enjeux d'un projet par les habitants : l'Agrocité à
Colombes
Institut d'Aménagement et Urbanisme de Lille,
Université Lille 1, mémoire de fin d'étude du Master AUDT,
spécialité ECODEV, MPE. p.95
Mots clefs : Ecosophie, Ecologie, Appropriation,
Felix Guattari, Ville de Colombes Key-words : Ecosophie,
Ecologie, Appropriation, Felix Guattari, Town of Colombes
|
Résumé :
L'Atelier d'Architecture Autogéré est une
association ayant pour objectif de transformer des lieux urbains
inutilisés en espaces d'échanges, de participation, de vie et de
réflexion sur la ville. Le projet R-urban à Colombes vise a
accompagner un changement des modes de vie. Ce mémoire porte sur
l'Agrocité, un espace de maraîchage et de jardinage
partagé. A partir de la théorie écosophique
développée par Felix Guattari, philosophe français du
XXème siècle, ce travail s'intéresse à la notion
d'appropriation d'un projet par les habitants impliqués. Il interroge la
relation des habitants, définis ici comme les individus n'ayant pas de
rôles prédéfinis à leur arrivée dans le
projet, avec les enjeux globaux du projet. A partir d'entretiens
semi-directifs, cette analyse tente de saisir le ressenti des habitants par
rapport au projet. Quelle est leur compréhension du discours mis en
place et quels ont été les transformations concrètes dans
leur vie ?
Abstract :
Atelier d'Architecture Autogérée is a non-profit
organization which aim is to transform derelict urban land into spaces for
exchanges, involvement, living and learning. R-urban in Colombes is about
transforming lifestyles into more resilient way of life. This thesis deals with
the Agrocité Unit, a space for urban agriculture and shared gardening.
From the ecosophical point of view, theorized by Felix Guattari, a French
philosopher from the XX th century, this study dwells on the concept of
project-appropriation from the point of view of the inhabitants. Thus it
questions the inhabitants relation, understood as individuals without proper
roles at first, with the global issue of the project. Using semi directive
interviews, this work tries to grasp the inhabitants feelings and attitudes
towards the project. How do they understand the discourse and what are the
concrete transformations in their lives ?
|
4
Remerciements :
Je voudrais remercier tous mes collègues avec qui j'ai
travaillé durant ces six mois à l'Atelier d'Architecture
Autogérée :
Adrien, Julie, Théau, Jérome, Fabien, Margaux,
Sarah, Camille, Constantin et Doina.
Je voudrais remercier également Mme Christelle Hinnewinkel
pour ses corrections et son soutien durant la rédaction de mon
mémoire.
Je voudrais remercier Anne Querrien pour m'avoir accordé
un entretien.
Je voudrais également remercier Ramon Miroupli pour sa
relecture de mon mémoire.
5
SOMMAIRE
Partie I : Les enjeux du projet de
l'Agrocité 11
A. La mise en oeuvre de solutions locales face aux
problèmes globaux 11
1.Présentation du projet R-urban et de
l'unité de l'Agrocité. 11
1.1 AAA et R-Urban : une pratique de la résilience 11
1.2 L'Agrocité : Acteurs, fonctionnement global et
objectifs. 16
2. Des solutions concrètes face aux crises globales 19
2.1 De multiples crises sociétales 19
1.2 Les dispositifs de l'Agrocité : une agriculture
locale sans pesticides et sans pétrole 23
B. La participation des habitants 27
1. Qu'est ce que la participation ? 27
1.1 Différents degrés de participation et la
notion d'Empowerment (ou « capacitation ») 27
1.2 Enjeux de la participation pour le projet R-urban 31
2. La participation des habitants dans les projets de AAA et
à l'Agrocité 34
2.1 La participation des habitants pour l'Atelier
d'architecture Autogérée
2.2 Lieux et moments de la participation à
l'Agrocité 37
Partie II : Un projet écosophique
? L'appropriation du projet par les habitants 40
A. La théorie écosophique et ses
conséquences pratiques. 40
1. Les trois ecologies de Felix Guattari 40
1.1 Ecologie mentale, sociale et environnementale: un processus
global 40
1.2 Un lien étroit avec le processus en cours à
l'Agrocité 44
2. La production de subjectivité 49
2.1 La construction progressive d'une subjectivité 49
2.2 Quelle application pratique et quelle limite pour la
théorie écosophique ? 54
B. L'appropriation du projet par les habitants
57
1. Les enjeux d'une appropriation du projet 57
1.1 Quelle compréhension du projet par les habitants ?
57
1.2 Un espace de débat: un lieu de micropolitique ? 62
6
2. Les limites de cette appropriation 66
1.1 La recherche-action et la distance entre chercheurs et
habitants 66
1.2 Les autres formes d'appropriation et le risque d'une
non-appropriation 70
INTRODUCTION
« Les manières de faire sont toujours des
manières de penser ».1 Jean-Louis Commolli,
réalisateur et critique de jazz
J'ai rencontré les concepteurs de l'Atelier
d'Architecture Autogérée il y a plus d'un an lors d'un workshop
organisé avec le collectif ETC2. Au cours de leur «
détour de France »3, ils ont participé à
la conception de l'espace de la future friche Michelet. En construisant la
Pergola et le chemin technique, ils ont posé les premières
pierres de ce qu'est devenu l'Agrocité.
En passant une semaine près du projet j'ai compris
qu'il était en lien avec ma réflexion sur l'écologie et la
manière dont je concevais le montage d'un projet ambitieux aussi bien
sur les questions sociales et économiques que culturelles.
L'Atelier d'Architecture Autogérée (AAA) a
été crée en 2001 par Constantin Petcou alors professeur
à l'école d'architecture de Paris Malaquais et doctorant à
l'Ecole Haute Etudes en Sciences Sociales (EHESS)4 et Doina Petrescu
doctorante en Etudes féminines après une formation de
philosophie5. Ces deux chercheurs se sont intéressés
à l'application pratique de leurs théories à partir de
travaux réalisés avec les étudiants sur le quartier de la
Chapelle dans le XVIIIème arrondissement de Paris. Ce quartier pauvre de
Paris regorgeait de lieux et de friches abandonnées, ou qui plutôt
servaient comme refuge a la petite criminalité du nord de Paris.
Progressivement l'action de ce qui allait devenir l'AAA s'est centrée
autour de la réhabilitation et de la
1 « Entretien avec Jean-Louis Comolli »,
consulté le 21 août 2013,
http://annebrunswic.fr/197-Entretien-avec-Jean-Louis-Comolli.
2 « Collectif Etc, | Architecture, espace public et
urbanisme participatif. Vers une fabrique citoyenne de la ville. »,
consulté le 16 septembre 2013,
http://www.collectifetc.com/.
3 « Le Détour de France | Collectif Etc, »,
consulté le 16 septembre 2013,
http://www.collectifetc.com/le-detour-de-france-du-collectif-etc/.
4 « Petcou, Constantin - Multitudes Web »,
consulté le 16 septembre 2013,
http://multitudes.samizdat.net/_Petcou-Constantin_.
5 « Petrescu, Doina - Multitudes Web », consulté
le 16 septembre 2013,
http://multitudes.samizdat.net/_Petrescu-Doina_.
7
réappropriation de ces lieux grâce au jardinage
et à la participation des habitants. S'inspirant de diverses
expériences en cours autour du monde6 et grâce à
leur approche « scientifique » de l'urbanisme, des liens sociaux et
de l'architecture ils ont développé une approche transversale de
la construction de l'espace urbain. L'Atelier d'Architecture
Autogérée (AAA) se définit comme « une
plate--forme collective d'exploration, action et recherche autour des mutations
urbaines et des pratiques culturelles, sociales et politiques émergentes
de la ville contemporaine. »7 Cette construction de la
ville s'appuie sur de nombreux acteurs qui se trouvent être
complémentaires dans leurs fonctions et leurs ressources : habitants de
tous bords, mairie, bailleurs sociaux, chercheurs et étudiants en
sciences sociales.
Comme nous le verrons cette pratique sociale s'articule avec
une forte vocation à la recherche scientifique au sein d'équipes
pluridisciplinaires qui auscultent l'activité de l'association et
mettent leurs compétences au service des projets. Une rencontre de deux
mondes à priori déconnectés qui forment une synergie
susceptible de transformer durablement la conception urbaine et le regard que
portent les acteurs sur la ville que ce soit les habitants ou les institutions
traditionnelles.
L'AAA est une association encore jeune mais son équipe,
qui évolue au fil des années, accompagne des projets ambitieux.
Depuis les projets menés avec les étudiants à la
réflexion qui se veut globale initiée par R-urban, les actions
mises en place ont gagnées en complexité. Des prix internationaux
(Prix Zumtobel et CurryStone..) et des expositions (Biennale de Venise et
Pavillon de l'Arsenal entre autres) ont récompensés le travail
engagé depuis ces douze années et permis d'accroître la
reconnaissance et la légitimité de l'association.
Son action se place dans un mouvement informel de
transformation des façons de concevoir l'urbanisme et l'architecture et
leur implication citoyenne dans la construction de la ville.
En effet, de nombreux collectifs à travers le monde
s'investissent dans des actions artistiques et architecturales pour permettre
aux individus de se réapproprier leur habitat tout en recréant du
lien social8.
Dans le projet R-urban, initié en 2008, l'AAA a
souhaité impliquer les individus dans un projet très ambitieux
qui vise à redéfinir le rapport entre le monde urbain et rural
:
« Afin de dépasser les crises actuelles
(climatique, ressources, économique et financière,
démographique), nous devons, comme dit Andre Gorz, `produire ce que nous
consommons et consommer ce que nous produisons'. Ce rééquilibrage
entre production et consommation à
6 Bénédicte Manier, Un million de
révolutions tranquilles: travail, environnement, santé, argent,
habitat..., 1 vol. (Paris, France: les Liens qui libèrent, impr.
2012, 2013).
7 « urban tactics », consulté le 29 août
2013,
http://www.urbantactics.org/.
8 «
generalizedempowerment.org
», consulté le 4 septembre 2013,
http://www.generalizedempowerment.org/conference.html.
8
travers des circuits courts locaux ne pourra pas se faire
sans des changements de modes de vie, d'habitation et de travail et sans
l'implication active des citoyens dans ces changements à travers des
pratiques collaboratives et des réseaux de solidarité
»9. Ce projet est très ambitieux car il entend
remodeler le mode de vie des individus et participer à une
transformation sociale d'ampleur. Ce projet s'inspire des autres projets
menés par AAA en ce qu'il pose la question de
10 Celle ci inclut nécessairement la participation et
l'implication des habitants dans le projet. C'est cette question fondamentale
qui a suscitée mon envie de travailler avec AAA et qui a orienté
le contenu de mon mémoire de recherche.
J'ai dès lors choisi d'utiliser une définition
restrictive du terme d'habitants considérant que seuls certains
individus s'impliquaient au départ dans le projet sans rôle
précis. Les autres s'investissent à l'inverse en prenant
immédiatement une place donnée par leur statut ( institutionnel
ou associatif) . Bien que celle ci soit par la suite amenée à
changer, elle contrait l'action et son champ des possibles. Pour mon travail de
recherche il m'a dès lors sembler nécessaire d'étudier
l'appropriation des enjeux du projet par les habitants: « Quelle
appropriation du projet pour les habitants ? L'exemple de l'Agrocité
dans le projet R-urban »
Mon travail chez AAA et la définition de mes missions
ont évolué au cours de mon stage. Je devais au départ
travailler avec les habitants à la définition de leurs projets et
à la construction d'un outil foncier pour acquérir des terrains
en ville afin mener des expériences sociales innovantes. Je devais
également bricoler, jardiner, organiser etc. mais dans une moindre
mesure. L'association AAA m'avait été présentée
comme ayant un fonctionnement similaire un collectif avec une
répartition équilibrée des tâches. Mais finalement
avec le retard de construction sur le chantier du bâtiment de
l'Agrocité et de Recyclab, je me suis retrouvé à bricoler
presque sans interruption sans pouvoir trouver réellement ma place dans
le projet. Ce qui m'intéressait depuis le départ, avant
même de commencer mon stage, était la participation des habitants
et les conséquences de leur implication dans le projet. Mon
mémoire de Master 1 portait déjà sur ce thème. Il
s'intitule: Les mobilisations en faveur d'un habitat durable: l'exemple de la
zone de l'Union. J'y ai étudié et analysé l'action d'un
groupe d'habitants et de chercheurs dans la définition et la conception
d'une zone urbaine d'ampleur. Les enjeux écologiques et sociaux
étaient mis en avant par l'association qui souhaitait influer
9 « Stratégie | R-Urban », consulté le 11
août 2013,
http://r-urban.net/accueil/.
10 Constantin Petcou et Doina Petrescu, « Agir l'espace
», Multitudes n° 31, no 4 (7 janvier 2008):
101?114, doi:10.3917/mult.031.0101.
9
en profondeur le projet défini par Lille
Métropole Communauté Urbaine (LMCU) par le biais de la
Société d'Economie Mixte (SEM) Ville Renouvelée.
Mon travail de recherche effectué lors de mon stage
chez AAA s'inscrit donc dans une continuité universitaire et dans un
réel désir d'appréhender les différentes
étapes et les contraintes du montage d'un projet du point de vue d'une
association avec un projet de long terme.
Mais les implications de ce projet sont extrêmement
larges. J'ai dès lors pris le parti d'axer mon travail d'abord sur la
capacité d'un tel projet à amener un changement social puis sur
la notion d'appropriation du projet par les habitants. A partir d'entretiens
semi-directifs menés avec les habitants j'ai pu récolter
certaines de leurs impressions et transformations qui ont eu lieu. J'ai ensuite
recherché une notion qui pourrait appuyer théoriquement ce
travail d'enquête de terrain.
Je me suis d'abord penché sur la notion
d'écologie radicale avant de m'intéresser à la
théorie écosophique développée par Felix Guattari.
Ce philosophe français du XXème siècle a
développé à la fin de sa vie une théorie
très stimulante sur l'écologie. Face aux crises multiples qui
traversent le monde contemporain, il propose une redéfinition des
valeurs et met en avant le rôle crucial de l'expérimentation. Son
approche se lie de façon très proche avec mon sujet car il
envisage l'action comme le pendant naturel de la théorie. De même
les concepteurs de R-urban, dont l'action est basée sur un corpus de
texte rassemblant de nombreux auteurs proches de la sensibilité de F.
Guattari, sont en lien avec des chercheurs, comme Anne Querrien, qui ont connu
F. Guattari.
La théorie écosophique, que nous
détailleront par la suite, s'intéresse de très près
à la participation des habitants. Celle ci est cruciale a
l'Agrocité, une des « unités » du projet R-urban.
Concernant ce projet j'ai choisi de travailler sur le concept
d'appropriation. Il se différencie de celui de participation en ce qu'il
entend constater les changements chez l'habitant et ne mesure pas simplement
son degré d'implication dans le projet.
Comme l'affirme Felix Guattari : « La crise
écologique renvoie à une crise plus générale du
social et du politique. En fait, ce qui se trouve mis en cause c'est une sorte
de révolution des mentalités qui cautionnent aujourd'hui un
certain type de développement, un productivisme ayant perdu toute
finalité, hors celle du profit et du pouvoir, un idéal de
consommation qui confine à l'infantilisme. L'humanité sera-t-elle
capable, dans ce contexte de prendre en main son
destin ? »11. L'appropriation
apparaît ainsi être une question cruciale en ce qu'elle atteste de
la possibilité d'un changement radical. Ainsi la philosophie de F.
Guattari est celle d'un changement de société et de
mentalité profond: « Comment modifier les mentalités,
comment réinventer des pratiques sociales qui redonneraient à
l'humanité le sens de sa responsabilité, non seulement à
l'égard de sa propre survie, mais également de l'avenir de toute
la vie sur cette planète, celle des espèces animales et
végétales comme celle des espèces incorporelles, si je
puis dire, telles la musique, les arts, le rapport au temps, le sentiment de
fusion au sein du cosmos. »12 Ces phrases nous révèlent
l'ampleur de la mutation envisagée pour les individus. Mais ces
transformations ne se feront pas d'elles mêmes. Felix Guattari
s'intéresse ainsi à l'expérimentation tout en soulignant
l'importance d'une démarche transversale qui lie les questions
politiques, sociales, environnementales et psychologiques.
Afin de répondre a cette problématique nous
axerons notre analyse autour de la contextualisation et la présentation
du projet puis sur ses liens avec la théorie écosophique et
l'appropriation des enjeux du projet par les habitants.
10
11 « L'enjeu éthique de l'écologie »,
www.liberation.fr, 11
juillet 2013,
http://www.liberation.fr/societe/0101581582--l--enjeu--ethique--de--l--ecologie.
12 « L'écosophie selon Guattari »,
www.liberation.fr, 11
juillet 2013,
http://www.liberation.fr/societe/0101581583--l--ecosophie--selon--guattari.
11
Partie I : Les enjeux du projet de l'Agrocité
A. La mise en oeuvre de solutions locales face aux
problèmes globaux
1.Présentation du projet R-urban et de
l'unité de l'Agrocité.
1.1 AAA et R-Urban : une pratique de la
résilience
Cette partie exposera les enjeux du travail de AAA, en rapport
avec R-urban afin de mettre en avant les possibilités offertes par le
projet.
Le projet R-urban est né dans l'esprit de ses
concepteurs dès l'année 2008. Il se situe dans la continuation
des projets de l'Atelier d'Architecture Autogérée, actifs depuis
2001. Les lieux emblématiques sont le projet de la Halle Pajol (Ecobox)
dans le XVIIIème et celui du 56 rue saint Blaise (Le 56) dans le
XXème arrondissement.
Le projet R-Urban vise à : « développer des
pratiques et des réseaux de résilience urbaine
»13. Partant d'un constat de crise majeure aussi bien
écologique et économique que démocratique, ce projet
souhaite redéfinir les contours de l'action citoyenne en associant les
habitants à la production d'un ou de plusieurs espaces dans la ville.
Ces espaces sont considérés comme étant des «
interstices » dans le tissu urbain. Un interstice peut être
défini comme un « petit espace vide ». En effet, les projets
de AAA ont été pensés et réalisés sur des
« dents creuses » qui n'avaient aucune fonction sociale ou
économique comme une friche, ou un passage entre deux immeubles. Au vu
de la taille de la ville, banlieue comprise, ces projets
13 « R-Urban | R-URBAN: pratiques et réseaux de
résilience urbaine », consulté le 28 juillet 2013,
http://r-urban.net/.
12
apparaissent modestes même si ils s'étendent,
comme R-urban, sur plusieurs sites représentant chacun des milliers de
mètres carrés.
Les projets de AAA sont à la fois comparables et
très différents. La démarche initiale est similaire mais
les contextes financiers, sociologiques et d'espace du lieu d'intervention
créent des projets radicalement distincts. La pression foncière
comme le faible nombre d'espaces disponibles dans Paris ont amené les
concepteurs de R-urban, Constantin Petcou et Doina Petrescu, à imaginer
des structures légères et déplaçables par les
habitants eux-mêmes14. Dans le cas d'Ecobox plus
particulièrement, l'usage de matériaux recyclés a permis
de limiter les coûts de construction comme l'impact écologique du
projet. Il a en outre permis aux habitants de donner une continuité au
projet: «Chaque fois, l'espace se ré-institue et les sujets se
re-subjectivisent dans des jardinages, des débats, des échanges,
des fêtes, des projets politiques formulés collectivement.»
De même, les habitants ont pu s'approprier des matériaux
largement disponibles (palettes par exemple) et construire certaines
installations comme la structure des jardins partagés. Ce sont toutes
ces contingences qui ont amené l'Atelier d'Architecture
autogérée à inventer une architecture non conventionnelle
qui « plutôt que des murs construits des relations
»15 pour baser leur action sur la mise en commun des
ressources et des savoirs faire.
Le projet R-Urban s'inspire des autres expérimentations
menées par AAA pour proposer une dynamique de projet axée autour
de la notion de résilience. Ce terme transdisciplinaire à de
nombreuses implications dans des domaines très variés et ne peut
donc être restreint à une seule définition. En règle
générale la résilience désigne la capacité
d'un organisme et par extension d'une société, à
résister à un choc, à un changement radical de son
environnement. De même, en biologie, le degré de résilience
d'un organisme est fonction de la biodiversité et de la densité
des relations qu'il entretient avec son milieu16. Selon le
psychanalyste Serge Tisseron : « la résilience est
à la fois la capacité de résister à un
traumatisme et celle de se reconstruire après lui.
»17. Il est donc important de souligner ce double
mouvement, de résistance comme de redéfinition. Tous les
dispositifs mis en place
14 Petcou et Petrescu, « Agir l'espace », 7 janvier
2008. p.108
15 Constantin Petcou et Doina Petrescu « Agir l'espace
», Multitudes 4/2007 (n° 31), p. 101-114.
16 I. D Thompson Secretariat of the Convention on Biological
Diversity, Forest Resilience, Biodiversity, and Climate Change: a Synthesis
of the Biodiversity/resilience/stability Relationship in Forest Ecosystems
(Montreal, Quebec, Canada: Secretariat of the Convention on Biological
Diversity, 2009).
17 Serge Tisseron, La résilience, 1 vol., Que
sais-je?, ISSN 0768-0066 3785 (Paris, France: Presses universitaires de France,
2011).
13
par l'équipe de AAA ont été conçus
en fonction de cette double articulation. Nous verrons par la suite les raisons
impérieuses qui ont amené AAA à poser la résilience
comme une condition sine qua none de leur action.
Le projet R-Urban tend vers la résilience pour
plusieurs raisons: d'abord les bâtiments abritant le projet sont
conçus dans toutes leurs composantes comme pouvant être
démontés et déplacés (sauf la troisième
unité Ecohab qui sera permanente). Cette exigence répond en
premier lieu à la nature éphémère du projet. Le
terrain alloué par la mairie pour le Recyclab et l'Agrocité n'est
en théorie disponible que pour quatre années, à l'issue
desquelles les bâtiments et aménagements devront disparaître
pour laisser la place à un autre projet. Cette contrainte devenue un
choix et qui s'est au départ posée sur tous les projets
initiés par l'association, a également favorisé
l'utilisation de matériaux recyclables, pouvant être facilement
disponibles localement et peu onéreux. De même, la notion de
résilience s'applique aux moyens utilisés pour le
développement du projet au jour le jour. Le principe
général est de limiter l'utilisation de pétrole et de tous
ses dérivés. Par exemple, aucune machine mécanique
utilisant de l'énergie fossile n'est utilisée pour le jardin, de
même préférer la fabrication d'un vélo-triporteur
à l'achat d'un véhicule polluant. Cet aspect de la
résilience a été développé par Rob Hopkins,
permaculteur et inventeur du concept de villes en transition, pour
caractériser la fin du pétrole bon marché. Selon lui il
convient de réinventer nos usages et nos mentalités en
prévision de ce choc18.
Ensuite la notion de résilience peut être
étendue, selon moi, au groupe d'habitants qui se constitue peu à
peu autour du projet. L'analogie avec la biodiversité et la biologie est
intéressante en ce qu'elle postule que plus les relations entre les
individus sont variées et nombreuses et plus l'ensemble sera
résilient. En effet la construction progressive de liens entre des
personnes qui ne se connaissaient pas malgré leur relative
proximité géographique est un gage de pérennité et
de stabilité du projet. La création de liens sociaux autour d'un
projet commun, comme un jardin partagé, accompagne la mise en commun
d'intérêts divers et donne un sens à la vie en ville. Elle
crée une forme « solidarité organique » au sens d'E.
Durhkeim, fondateur de la sociologie moderne, au sens où les rôles
des individus se complètent pour faire fonctionner
l'ensemble19. En outre un groupe d'habitants soudé et
convaincu des bienfaits du projet peut le défendre contre
d'éventuelles
18 Flaminia Paddeu, « Faire face à la crise
économique à Detroit: les pratiques alternatives au service d'une
résilience urbaine? », L'Information géographique
76, no 4 (2012): 119, doi:10.3917/lig.764.0119.
19 Émile Durkheim, De la division du travail social,
1 vol., Bibliothèque de philosophie contemporaine (Paris, France:
Presses universitaires de France, cop. 1930, 1973).
14
menaces. L'exemple de la lutte, menée par certains
habitants pour exiger un nouveau terrain de la mairie et ainsi permettre la
continuation d'Ecobox montre la ressource primordiale que constitue une
communauté pour la vie d'un quartier.
Pour le projet R-urban, où un groupe d'habitant
cohérent ne s'est crée que depuis peu le soutien de la population
apparaît moins facilement mobilisable. Néanmoins, lors d'un
entretien, une habitante s'est dite prête spontanément à
faire signer des pétitions afin de faire pression sur les
décideurs publics au cas où le jardin soit
menacé20.
En effet de nombreux habitants sont d'ores et
déjà inquiets de ce qui adviendra du jardin et de leurs parcelles
en cas d'un changement de municipalité, qui pourrait avoir lieu
dès 2014. Mais la plupart ne savent pas que le projet de AAA est
protégé par l'Union Européenne, de par sa participation au
financement, jusqu'en 2015 au moins, peu importe l'alternance politique qui
pourrait voir le jour à l'issue des élections. Le projet de
l'Atelier d'Architecture Autogéré réussit à
dépasser la temporalité strictement politique pour se positionner
sur un temps plus long en même temps qu'il refuse son affiliation
à un parti politique. On peut donc affirmer que le projet est aussi
résilient sur le plan politique. En effet la continuité de ce
projet est assurée pour un temps précis, contrairement à
bien d'autres qui dépendent de subventions et des contingences
électorales. Il est donc indépendant des « chocs politiques
» qui pourraient avoir lieu et c'est en cela qu'il est
résilient.
Bien que la survie du projet ne soit pas conditionnée
par le soutien de la mairie, celle ci a permis l'existence du projet aussi bien
en trouvant un terrain qu'en associant ses équipes municipales au suivi
et au développement du projet. Le conseiller municipal chargé de
l'économie sociale et solidaire (ESS), Frederic Sarkis, a soutenu le
projet dès les prémices de son installation21. Les
principes de l'ESS structurent le projet en ce qu'ils sont sensés lui
donner la capacité d'être économiquement viable et donc
résilient. Le modèle de L'ESS vise à donner à la
société « les moyens de recréer de la
solidarité là où la marchandisation avance à pas de
géant et les moyens d'inventer d'autres logiques de travail et de
production. »22. L'ESS se veut ici une alternative au
modèle économique dominant. Elle est selon R. Crémieux
cité par J.p Gaudillère : « L'économie solidaire est
une activité économique, d'initiative individuelle ou collective,
mise en oeuvre dans un cadre collectif, qui est productrice de
20 Entretien avec une habitante, jardinière (2), 2
août 2013.
21 « Les conseillers municipaux », Site de la Ville
de Colombes, consulté le 3 août 2013,
http://www.colombes.fr/elus/les-conseillers-municipaux-566.html.
22 Jean-Paul Gaudillère, « L'économie sociale
et solidaire, un projet politique », Mouvements 19, no
1 (1 février 2002): 7?10, doi:10.3917/mouv.019.0007.
15
citoyenneté, de lien social, de solidarité, et
d'éducation populaire en même temps que de biens et de services
». Cette économie de la solidarité, du partage et de la
communauté entend développer un modèle résistant
aux fluctuations de la vie sociale et économique. C'est un modèle
résilient car il s'appuie sur la création d'entreprises
répondant à des besoins non-délocalisables23.
Ce nouveau « tiers-secteur » entend palier les carences de l'Etat
social tout en mettant en avant l'importance du lien social, de l'entraide et
de la solidarité entre usagers. Un des exemples concrets de cette
importance de l'ESS dans le projet R-urban est apparente dans la mise en place
de l'unité du Recyclab, prévue dès le montage du
projet.
Le Recyclab est une « Unité Ressourcerie et
plateforme d'éco-construction »24 qui va permettre
de mettre en place une dynamique dans le quartier autour de
l'éco-construction. Ce lieu complétera l'action de
l'Agrocité et permettra de développer son activité de
maraichage notamment grâce à la construction d'outils performants.
Cette ressourcerie sera en partie dédiée à la
création d'objets en rapport avec le quartier. Ils seront conçus
et construits par et avec les habitants Actuellement l'équipe d'AAA
à engagé une réflexion sur le futur modèle
économique du lieu qui sera la clé de voute de son organisation.
J'ai participé aux recherches qui pourraient permettre d'aboutir
à la définition d'un nouveau système. Après avoir
pensé à mettre en place un chantier d'insertion en
éco-construction avec des élèves en menuiserie et travail
du bois, la possibilité de la création d'un espace de
co-working25 a vu le jour. J'ai ainsi passé plusieurs
journées à chercher des exemples de lieux fonctionnant selon ce
principe, en intégrant une activité manuelle et un modèle
économique innovant ne reposant pas sur le profit. L'Establisienne,
association située dans le 12ème arrondissement de
Paris est un lieu dédié à la création artistique en
lien avec la construction de mobilier grâce à de nombreux outils.
Grâce à des cours et des ateliers à prix abordables, ce
lieu permet aux habitants de se réapproprier une partie de leur
quotidien26. Comme Le Recyclab, ce lieu, entend fonctionner
grâce aux principes de l'Economie Sociale et Solidaire.
23 Ibid.
24 « Stratégie | R-Urban ».
25
26 « L'Établisienne, un lieu pour rénover,
fabriquer, réparer, personnaliser... à Paris : atelier en
libre-service, co-working, cours et stages, dépôt-vente. - De
l'espace de travail, des artisans pour vous conseiller, des cours de technique
(outils, matériaux) et de création (ébénisterie,
marqueterie, vannerie, vitrail...), de la documentation. »,
L'Établisienne, un lieu pour rénover, fabriquer,
réparer, personnaliser... à Paris: atelier en libre-service,
co-working, cours et stages, dépôt-vente., consulté le
23 septembre 2013,
http://www.letablisienne.com/.
16
De même la dynamique insufflée au quartier pourra
permettre, dans le meilleur des cas, de créer des emplois et de donner
un nouvel élan de développement au quartier.
Le Recyclab s'insère ainsi dans la dynamique globale
pour le quartier, avec les deux autres unités, l'Agrocité et
l'Ecohab à venir.
Après avoir mis en lumière la nature du projet
R-urban et sa relation avec AAA nous verrons le rôle de l'Agrocité
dans la stratégie globale.
1.2 L'Agrocité : Acteurs, fonctionnement global
et objectifs.
L'Agrocité est un élément fondamental du
projet r-urban, il est celui par lequel R-urban voit le jour. Il est
également un pilier de la participation des habitants au projet
global.
Le projet de l'Agrocité est une des trois unités
du projet R-Urban. C'est la première unité qui a commencé
à exister dès l'acquisition du terrain par l'association.
Ancien centre de contrôle technique automobile, cet
espace était devenu une friche pendant de nombreuses années avant
d'accueillir le projet R-Urban.
La ville de Colombes compte près de 80 000 habitants.
Situé dans une Zone Urbaine Sensible (ZUS) , classification
instituée dès 1996, le quartier des Fossés-Jean est un des
157 ZUS d'ile de France. Cette ZUS des Fossées Jean est le lieu de
résidence de près de dix-sept mille habitants27. En
2009, près de 13% de la population des Fossés Jean était
considérée comme étant « à bas revenu
»28, alors que la moyenne parisienne ne dépassait pas
les 9%. De même plus de 20% des ménages sont concernés par
une allocation chômage contre 15% à Paris. Ce quartier, entre
zones pavillonnaires et barres d'immeubles accueille une population
mélangée. Depuis 2008 Le quartier est ciblé par une
procédure de rénovation urbaine conduite par l'Anru ( Agence
Nationale de Rénovation Urbaine)29. La parcelle de
l'Agrocité se situe dans la zone de rénovation urbaine comme le
montre l'Atlas de l'Anru30.
27 « ZUS Fossé Jean-Gare du Stade - Zone Urbaine
Sensible de la commune: Colombes - SIG Politique de la Ville »,
consulté le 3 août 2013,
http://sig.ville.gouv.fr/Cartographie/1117020.
28 « Insee - Revenus-Salaires - Pauvreté des
travailleurs et bas salaires dans l'Hérault », consulté le 3
août 2013,
http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=14895&page=synthese/syn0905/definitions.htm.
29 « Atlas de la rénovation urbaine »,
consulté le 3 août 2013,
http://sig.ville.gouv.fr/Atlas/ANRU/.
30 Ibid.
17
Le quartier qui fait face à l'Agrocité va
connaître une refondation totale dans les cinq prochaines années.
Le projet développé par AAA est entre autre un moyen
d'accompagner ce changement.
L'Agrocité est un projet d'agriculture urbaine qui
souhaite associer les habitants au développement de projets
écologiques expérimentaux. Comme tous les projets de AAA, cette
unité se veut transversale dans les activités qu'elle propose
comme dans les réflexions qu'elle suscite. Selon le site de R-urban
l'Agrocité est une « Unité d'agriculture urbaine civique
constituée par une micro-ferme expérimentale, des jardins
collectifs, des espaces pédagogiques et culturels et des dispositifs de
production énergétique, de compostage et de collecte d'eau
pluviale. ». Dès lors une synergie se crée entre ces
différents espaces et entre les personnes qui participent au projet de
près ou de loin.
J'ai choisi de centrer mon travail de recherche sur
l'Agrocité pour plusieurs raisons. D'abord c'est l'unité la plus
avancée en terme de participation active des habitants. En plus des
activités organisées collectivement par AAA et les habitants
près d'un samedi sur deux, les habitants se retrouvent
généralement d'eux mêmes pour cultiver leurs parcelles,
discuter ou organiser des évènements.
Ensuite l'Agrocité est le lieu où j'ai
passé le plus de temps, à travailler le jardin, participer au
chantier d'auto-construction, organiser des évènements avec les
habitants et les autres stagiaires et salariés de l'association.
Enfin l'Agrocité est pour l'instant le point focal du
projet R-urban, là où se concentrent les énergies pour
l'avancée du projet. Le bâtiment sera terminé fin aout et
les activités concrètes vont pouvoir commencer. C'est donc un
espace en puissance qui sera bientôt en mesure de créer une
véritable dynamique dans le quartier.
L'objectif principal de l'Agrocité est de produire des
légumes de qualité sans pesticides à partir de graines de
variétés anciennes fournies par différentes associations
(Kokopelli31, Biau-germe32...). Ces légumes
doivent permettre de participer à nourrir les habitants et de les
sensibiliser aux enjeux d'une alimentation locale et de qualité.
Cependant cet objectif peut sembler être un prétexte pour
créer un lieu dynamique au centre d'un quartier en
31 « Kokopelli », consulté le 22 août
2013,
https://kokopelli-semences.fr/.
32 « LE BIAU GERME : Semences biologiques
potagères, florales et aromatiques », consulté le 22
août 2013,
http://www.biaugerme.com/.
18
difficulté. Ce lieu doit accueillir des
évènements culturels comme des conférences, des
projections, des repas collectifs, des expositions autour de l'agriculture
urbaine et du thème de la résilience.
Le futur de l'Agrocité est plus ou moins tracé
jusqu'à la fin de la période garantie par les financements de
l'Union Européenne, c'est à dire jusqu'à fin 2015. Le
maraîchage a pour objectif de garantir, à terme, un salaire pour
une personne à plein temps. Pour l'instant la capacité de
production ne permet pas d'atteindre cet objectif et peut être sera t'il
impossible à réaliser. Néanmoins un autre modèle
économique peut se développer autour des porteurs de projets
comme d'une interface avec le quartier (vente de paniers, de compost, de
plants, de déjeuners ou de pains par exemple). Cette interface pourra
également se concrétiser autour d'une boutique qui a vu le jour
lors de l'inauguration. Cette boutique, tenue par K. Bohn, artiste et
partenaire du réseau R-urban, au même titre que l'association
Wick-On-Wheels basée dans le quartier de Hackney Wick, à l'est de
Londres33. Cette boutique doit pouvoir commencer à construire
une interface entre le quartier, les passants, et l'espace intérieur de
l'Agrocité. Ces partenaires permettent au projet d'avoir des connections
avec l'international et de développer un réseau de partenaires
impliqués dans la création de lieux voués à la
construction d'une dynamique écologique.
Les objectifs de l'Agrocité sont très
variés mais ils se rejoignent pour créer une synergie entre les
différents processus à l'oeuvre. Le but est de permettre à
d'autres projets d'émerger et d'enrayer l'inéluctable processus
du changement climatique, du pic pétrolier et de l'effondrement de la
biodiversité. De même l'Agrocité vise à
récréer une vie de quartier, comme elle pouvait exister lorsqu'il
y avait plus de petits commerces, autour d'un pôle d'échanges et
de rencontres.
Mais les possibilités de production sont
limitées et pour l'instant les habitants ne forment pas un groupe
suffisamment organisé et soudé pour continuer le projet. Mais
comme nous l'avons déjà souligné le projet n'en est pas
encore à la moitié de sa durée de vie.
33 « Wick on Wheels: Home », consulté le 23
août 2013,
http://wickonwheels.net/.
19
2. Des solutions concrètes face aux crises
globales
2.1 De multiples crises sociétales
Nos sociétés sont engagées dans un
mouvement constant de transformation. Ces transformations sont plus ou moins
perceptibles, sauf lorsque des moments de ruptures apparaissent. La structure
des révolutions scientifiques mises au jour par Thomas Kuhn peut
permettre d'établir un parallèle avec les changements de
société qui interviennent de façon sporadique, à la
lumière d'un évènement marquant. Pour ce scientifique du
XXème siècle, la science évolue par à coups :
« Si la communauté ne peut plus résoudre les anomalies
de plus en plus nombreuses, c'est alors la crise qui peut déboucher sur
cette fameuse révolution scientifique. Le nouveau paradigme produira de
nouveaux cadres de recherche, de nouveaux outils et sera en contradiction avec
l'ancien. »34. De même, les crises
sociétales et les révolutions façonnent brusquement le
monde en redéfinissant ses bases. Une crise est
généralement suivie d'une profonde remise en cause du paradigme
de développement antérieur.
Actuellement, la crise semble diriger nos
sociétés. Etymologiquement le terme de crise nous viens de la
médecine moyenâgeuse: « Moment d'une maladie
caractérisée par un changement subit et
généralement décisif, en bien ou en mal
»35.
L'utilisation actuelle du mot n'en conserve que l'aspect
négatif, alors qu'une crise porte en elle même l'affirmation
positive d'un autre système. En effet le thème de la crise et de
ses conséquences désastreuses est très présent dans
les medias et les articles scientifiques. Mais depuis quelques années
seulement cette tendance s'est confirmée avec la crise économique
et financière de 2008.
34 Véronique Bedin, « Thomas S. Kuhn », La
Bibliothèque idéale des sciences humaines 1, no 1
(s. d.): 229, consulté le 10 août 2013. P.229
35 Le Robert, Le Nouveau petit Robert: dictionnaire
alphabétique et analogique de la langue française,
éd. par Josette Rey--Debove et Alain Rey, 1 vol., Dictionnaires Le
Robert (Paris, France: Dictionnaires le Robert, 1994). P. 586
20
Cette crise a rejailli sur l'ensemble des secteurs de la
société et mis en avant une crise plus globale qui ne se limitait
pas au système financier et à la sphère économique
dématérialisée36. Néanmoins cette crise
intervient alors que depuis les débuts du capitalisme des intellectuels
dénoncent les risques inhérents au fonctionnement du
modèle dominant.
Depuis le milieu du siècle l'ampleur du désordre
crée par le système économique s'est accentué. La
crise économique est étroitement liée à la crise
écologique, énergétique, démocratique et plus
généralement de sens.
Les crises s'alimentent et se répondent pour amener
selon l'auteur Olivier Mongin à un état de « crise
continue »37. Par exemple, selon lui, «
le krach a débouché sur une conscience accrue des
impératifs et exigences écologiques »38.
De même les crises écologiques ont de graves
répercutions économiques 39 . En outre le rapport du
Programme des Nations Unies pour l'environnement présente une situation
mondiale catastrophique: « Des points de basculement majeurs,
entraînant des changements irréversibles dans les principaux
écosystèmes et systèmes terrestres, ont déjà
été atteints ou dépassés.
»40. L'effondrement de la biodiversité
comme le changement climatique sont des problématiques urgentes dont les
enjeux dépassent les contingences nationales. De la
déplétion des ressources halieutiques à la hausse du
niveau des mers, les Etats ne pourront plus se permettre de penser en termes
nationaux. Pourtant, les réponses à ces crises se doivent
d'être agencées au niveau des individus et des communautés.
Une autre réponse dangereuse consisterait à croire que la
technique et la technologie pourront gommer les erreurs écologiques du
passé: « Le XXIe siècle ne connaîtra pas la
même exubérance énergétique que le XXe. Face
à cette inexorable réalité, reste le miracle technologique
qui consisterait à reconstituer, grâce à la technique, la
corne d'abondance de la nature prodigue »41.
36 Olivier Mongin et Marc--Olivier Padis, « Une crise qui
n'est pas seulement économique », Esprit Novembre, no 11
(2009): 7, doi:10.3917/espri.0911.0007.
37 Ibid.
38 Ibid.
39 « Retraites et marée noire, par Serge Halimi (Le
Monde diplomatique) », consulté le 11 août 2013,
http://www.monde--
diplomatique.fr/2010/07/HALIMI/19356.
40 « Changements climatiques : les Nations Unies
envisagent le pire »,
bastamag.net, consulté
le 11 août 2013,
http://www.bastamag.net/article678.html.
41 Agnès Sinaï, « Mirages verts et
sobriété californienne », Le Monde diplomatique
n°664, no 7 (1 juillet 2009): 10?10.
21
Un « désordre global » appelle des «
solutions locales » selon Coline Serreau, auteure et
cinéaste42. En effet, ces crises, formant un tout, appellent
une réponse globale plutôt qu'une approche qui étudierait
chaque problème séparément. Pour de nombreux auteurs
proches de la pensée marxiste, l'écologie est la porte
d'entrée d'une résolution des crises globales.
Selon Felix Guattari, la crise écologique est de plus
en plus flagrante et ses conséquences sont telles qu'elle menace
à terme « l'implantation de la vie sur la surface »
de la terre43. De même pour André Gorz, philosophe et
théoricien majeur de l'écologie: « il est impossible
d'éviter une catastrophe climatique sans rompre radicalement avec les
méthodes et la logique économique qui y mène depuis cent
cinquante ans ». C'est donc bien le mode de fonctionnement
capitaliste de la société qui est mis en cause.
En effet, depuis le début du XXème siècle
le modèle économique et social Etatsunien s'est peu à peu
imposé au monde comme un horizon indépassable. Le documentaire La
fin de suburbia: L'épuisement des réserves de pétrole et
l'effondrement du rêve américain, réalisé par
Gregory Greene44, explore l'histoire des villes étatsuniennes
et démontre comment la société s'est construire autour de
l'utilisation de la voiture et de la route, des valeurs d'abondance
matérielle, surtout à travers l'idée d'un pétrole
disponible à l'infini, portant une société basée
sur l'individualisme et la réussite personnelle. Ces
caractéristiques fondamentales du style de vie americain ont ensuite
été diffusées à travers le monde sous le signe du
« développement» et de la croissance des richesses
à tout prix, ce que Serge Latouche, économiste français et
penseur de la décroissance, nomme « l'occidentalisation du
monde »45.
Selon lui les normes prônées par ce modèle
sont incompatibles avec la survie de l'humanité: «
Théoriquement reproductible, le développement n'est pas
universalisable. D'abord pour des raisons écologiques: la finitude de la
planète rendrait la généralisation du mode de vie
américain impossible et explosif. »46. De
même, dans son ouvrage, de la
42 Coline Serreau, Solutions locales pour un désordre
global, 1 vol. (Arles, France: Actes Sud, impr. 2010, 2010).
43 Félix Guattari, Les trois écologies
(Paris: Éditions Galilée, 1989). p. 11
44 Gregory Greene, The End of Suburbia: Oil Depletion and
the Collapse of the American Dream, Documentary, 2004.
45 Serge Latouche, « En finir, une fois pour toutes, avec
le développement », Le Monde diplomatique n°566, no 5
(1 mai 2001): 6B?6B.
46 Ibid.
22
convivialité, Ivan Illich, penseur fondamental de
l'écologie politique écrit: « Au stade avancé de
la production de masse, une société produit sa propre destruction
»47.
Cette occidentalisation est allée de pair avec un
affaiblissement des relations sociales, une « colonisation des
imaginaires »48. I. Illich écrit
écrit: « La nature est dénaturée. L'homme
déraciné, castré dans sa créativité, est
verrouillé dans sa capsule individuelle. »49.
Il affirme que l'Homme, crée à partir du modèle
occidental, n'est plus connecté avec son environnement et n'a plus les
outils pour vivre intensément sa vie mentale comme sociale.
En outre, l'instauration du travail salarié
imposé comme norme pour tous est hautement aliénante: «
le monopole du mode industriel de production fait des hommes la matière
première que travaille l'outil ». L'homme est désormais
soumis à la machine dans sa vie quotidienne comme dans son travail. De
même A. Gorz explique que le mot travail vient du mot « tripalium
» qui désigne un instrument de torture et en déduit que la
forme actuelle du travail n'a plus rien à voir avec ce qu'il a
été au début du siècle, où l'artisanat
prédominait50. L'homme pouvait alors comprendre et maitriser
toutes les étapes du processus de production.
De tous ces constats alarmants tant que pour l'homme que pour
son milieu de vie, ces différents penseurs construisent une
réflexion axée sur une critique radicale du système
capitaliste en même temps qu'ils en proposent un dépassement. Ce
dépassement prend des formes diverses selon les théories et les
expériences vécues. L'abandon de la poursuite de la croissance et
d'un « développement » axé sur l'homme plutôt que
sur le profit apparaît comme deux conditions indispensables à un
changement de paradigme. A. Gorz écrit: « La décroissance
est un impératif de survie. Mais elle suppose un autre style de vie, une
autre économie, une autre civilisation, d'autres rapports sociaux
»51. Pour amener ces transformations il postule sur la mise en
oeuvre d'une autonomie aussi bien au niveau individuel qu'au niveau des
communautés.
47 Ivan Illich, La convivialité, Points (Paris),
ISSN 0768--0481 ; 65 Points. Civilisation (Paris: Éd. du Seuil, 1990),
http://www.sudoc.fr/011301473.p.11
48 Latouche, « En finir, une fois pour toutes, avec le
développement ».
49 Illich, La convivialité. p.11
50 « Andre Gorz » film by Marian Handwerker.
part1, 2010,
http://www.youtube.com/watch?v=R5BoVDcBpYY&feature=youtube_gdata_player.
51 André Gorz, Écologica, 1 vol.,
Débats (Paris), ISSN 0152--3678 (Paris, France: Galilée,
2008).
23
Le projet R-urban s'inscrit dans le prolongement de ces
critiques du modèle dominant de création de richesses. Pour
Constantin Petcou et Doina Petrescu : « À micro
échelle, l'espace capitaliste est noyé sous une pression
publicitaire qui s'exerce en continu, à travers l'ensemble des
médias et des moyens de communication (poste, téléphone,
télévision, Internet), transformant le foyer familial en centre
absolu d'une culture consumériste de l'éphémère.
Tous les objets sont jetables, rien n'est plus recyclable ou réparable
par soi-- même. »52 L'atelier d'Architecture
Autogérée s'inspire beaucoup de ces penseurs de l'écologie
radicale pour imaginer et construire des dynamiques du quotidien: «
Afin de dépasser les crises actuelles (climatique, ressources,
économique et financière, démographique), nous devons,
comme dit André Gorz, `produire ce que nous consommons et consommer ce
que nous produisons'. Ce rééquilibrage entre production et
consommation à travers des circuits courts locaux ne pourra pas se faire
sans des changements de modes de vie, d'habitation et de travail et sans
l'implication active des citoyens dans ces changements à travers des
pratiques collaboratives et des réseaux de solidarité
»53. Ce projet vise à remettre l'individu
en lien avec sa communauté en même temps qu'il tente de l'inclure
dans des expériences de transformation concrètes de ses
conditions d'existence. L'AAA postule l'importance d'un changement global et le
refus de se limiter à questionner les seules nuisances engendrées
par le système capitaliste.
De même, la nécessité pour les individus
de se réapproprier les processus de production (d'objets,
d'énergie, d'aliments, de relations etc...) passe par l'existence et le
maintien de lieux dédiés au rassemblement et à
l'expérimentation. Le projet R-urban tente de redonner aux individus la
possibilité de comprendre les mécanismes de production et montrer
qu'ils ne sont pas inatteignables et qu'ils doivent au contraire être
réinvestis par les utilisateurs, avec l'aide de professionnels.
1.2 Les dispositifs de l'Agrocité : une
agriculture locale sans pesticides et sans pétrole
52 Constantin Petcou et Doina Petrescu, « Agir l'espace
», Multitudes 31, no 4 (2007): 101, doi:10.3917/mult.031.0101.
53 « Stratégie | R-Urban ».
24
Quels sont les dispositifs concrets de l'Agrocité
conçus pour répondre aux multiples crises que nous avons
évoqué?
Sur la parcelle cohabite deux espaces en devenir qui se
répondent et se complètent: le bâtiment et le jardin.
(Plan du bâtiment en photo) Le bâtiment sera, en
théorie, prêt pour début septembre 2013. Sa construction a
été assurée par l'entreprise Logica Bois et grâce au
travail des salariés, stagiaires et bénévoles occasionnels
ainsi que par l'aide de certains habitants qui ont participé au chantier
d'auto-construction. Initialement ce bâtiment devait être bien plus
modeste. Mais au fur et à mesure des réflexions et du fait de
certaines règlementations contraignantes liées entre autres
à l'urbanisme ( comme la nécessité par exemple de
construire le bâtiment sur pilotis, la zone étant
considérée comme inondable ), le bâtiment à
intégré de nouveaux aménagements qui n'étaient pas
prévus au départ. La plupart de ces nouveaux dispositifs sont
d'ordre écologiques. De la même façon que le projet cherche
à créer un cercle vertueux autour de circuits courts,
l'Agrocité et les autres unités sont conçues avec le
même raisonnement. L'objectif était de construire un
bâtiment pouvant être autonome sur le plan
énergétique.
Les dispositifs sont de différentes natures:
· Récupération et réutilisation de
l'eau de pluie: Stockée dans un bassin de quatorze mètres cubes
sous le bâtiment, l'eau récoltée est acheminée dans
des cuves surélevées qui, grâce à la force de la
gravité, permettent d'irriguer la majeure partie du jardin.
· Récupération de l'énergie
solaire: des panneaux solaires disposés sur une partie du toit
permettent de récolter une grande partie de l'électricité
nécessaire au fonctionnement du bâtiment et ainsi de fournir une
source d'énergie renouvelable et d'éviter le recours au
nucléaire
· Une toiture et des gouttières
végétalisée de part et d'autres du bâtiment afin de
développer la biodiversité du site et de contribuer à
l'esthétique du bâtiment aussi bien au niveau du sol que depuis
les tours environnantes.
· Un bassin de phyto-épuration qui permet le
traitement des eaux « grises » du bâtiment grâce à
l'action des plantes. L'implantation de toilettes sèches permet à
la fois de ne pas avoir à traiter « d'eaux noires » et de
fournir du compost sur le long terme.
· Un chauffage compost qui pourra chauffer une partie du
bâtiment durant les mois d'hiver.
25
Quant au jardin il accueille plusieurs dispositifs qui visent
à répondre aux enjeux du changement climatique, à la fin
du pétrole bon marché et à l'érosion de la
biodiversité :
· Production de compost: trois « bacs à
compost » assurent à la fois un tri des déchets organiques,
du jardin et de certains habitants du quartier ayant ou non une parcelle, et
permettent un « enrichissement de la terre » pour une meilleure
productivité du sol.
· Le lombri-compost qui se situe au fond du jardin
permet « d'affiner » le compost provenant des trois bacs. Les
lombrics digèrent et améliorent la composition du
mélange.
· Aucun pesticide n'est utilisé pour aucune
opération de maraîchage afin de garantir des produits sains, de
protéger la santé des habitants comme des personnels de
l'association et de protéger le milieu ambiant (eau et air).
· Les graines proviennent pour la plupart d'associations
de protection de la biodiversité : Kokopelli, Biau Germe. A chaque
montée en graines celles ci sont récupérées.
· Refus d'utiliser des outils fonctionnant avec des
énergies fossiles : pas de tondeuses par exemple
· De même, cultiver sur un terrain qui a accueilli
des activités polluantes de par le passé montre qu'il ne faut pas
céder à la fatalité.
Tous ces dispositifs concrets ont trois objectifs
déclarés :
· Démontrer la faisabilité technique et
financière de tels aménagements en pleine ville. ( Il a par
exemple été complexe de réaliser une
phyto-épuration en ville au vu des textes de loi contraignants sur le
sujet).
· Créer un « circuit court » à
l'intérieur même de la structure, qui puisse à la fois
alimenter le réseau des trois unités. (Par exemple des
légumes produits à l'Agrocité pour le Recyclab et des
objets utilisables à l'Agrocité pour le Recyclab).
· Montrer l'intérêt, sur le court comme sur
le long terme, de ces installations sur le plan écologique comme
éducationnel.
Ce bâtiment, une fois terminé, doit accueillir
trois espaces distincts qui auront des fonctions complémentaires. Chaque
espace n'aura néanmoins pas un rôle très strictement
déterminé puisque les lieux sont conçus pour être
à usages multiples. Ces trois espaces ont été
pensés pour être autonomes les uns des autres.
26
Le premier espace, le plus proche de l'entrée a
été pensé pour être une salle de réunion, de
projection et de débats sur les enjeux de l'Agrocité.
L'idée est de pouvoir inviter des intervenants extérieurs en
même temps qu'initier une dynamique d'éducation populaire et
citoyenne qui ne se limite pas à la population locale. En effet
l'Agrocité à vocation à devenir un lieu
d'expérimentation sur une échelle suffisamment large pour
créer un cercle vertueux au niveau du quartier. Ensuite l'objectif
affiché de l'expérimentation R-urban est de pouvoir être
répliquée, selon les contextes, dans d'autres villes.
Le second espace, plus petit et séparé du
premier par l'entrée du bâtiment, sert à la fois de
cuisine, de salle d'exposition pour les différents objets vendus dans la
boutique et d'un lieu de rencontres. Il pourra également servir de lieu
de distribution pour l'Association pour le Maintien de l'Agriculture Paysanne
(AMAP) qui sera bientôt mise en place. Basée en Ile de France,
celle ci sera complétée par la production du jardin afin de
proposer des légumes locaux à des prix justes.
Le dernier espace, le plus proche de l'entrée
destinée aux livraisons, servira de «cabane» pour les
jardiniers partageant les parcelles comme ceux de l'association.
L'Agrocité, comme l'ensemble du projet R-urban est
basée sur une dynamique initiée par des porteurs de projets:
« R-Urban propose des outils et des aménagements pour faciliter
cette implication citoyenne en accompagnant notamment des projets
émergents à échelle locale et régionale qui
s'inscrivent dans cette direction. ». A l'Agrocité Yvon est
responsable depuis près d'un an du compost et du lombri-compost. Il
vient régulièrement pour donner des conseils sur l'entretien et
l'utilisation du compost destiné à l'Agrocité. Il a suivi
une formation de maître composteur et entend permettre de donner des
cours à des aspirants maitre composteurs ou a des habitants qui
souhaiteraient s'initier à cette pratique.
Les porteurs de projets donne une cohérence plus grande
au projet en impliquant des habitants et en apportant une visibilité au
site. Certains projets peuvent également devenir
générateurs d'emplois ou du moins d'un revenu.
De même, les enjeux d'une Agriculture urbaine sont
considérables. Un des pays modèles actuellement en la
matière est Cuba. A la suite de l'effondrement du bloc soviétique
le pays s'est trouvé dans un marasme économique presque d'un jour
à l'autre. L'Union Soviétique fournissait entre autres des
pesticides, à base de pétrole, et la majeure partie des outils
mécanisés utilisés pour l'agriculture. Pour nourrir ses
citoyens l'Etat a du recourir à la
27
création d'unités agricoles autonomes
fonctionnant au coeur des villes et sans pesticides. Cette alimentation saine
et bon marché permet aux habitants de ce pays sobre de se nourrir
correctement. Selon les critères de l'ONU cuba est actuellement le seul
pays respectant les critères du développement durable. Avec un
Indice de développement humain (IDH) très élevé et
une utilisation des ressources basses, Cuba est le seul pays au monde à
respecter les critères du développement durable54. Ce
pays est pourtant isolé sur la scène internationale. Comme nous
l'avons vu cette production au centre des métropoles pourrait être
une des façons de résoudre la crise environnementale, sociale et
économique.
Elle permet également de créer des lieux
où les individus s'investissent pour leur communauté au quotidien
en échangeant. Mais cette pratique n'est pas nécessairement
productrice d'un changement social global comme on pourrait le penser. La
participation active des habitants apparaît comme un préalable
à une prise de conscience des enjeux globaux et de la remise en cause du
système actuel.
B. La participation des habitants
1. Qu'est ce que la participation ?
1.1 Différents degrés de participation et
la notion
d'Empowerment (ou « capacitation »)
L'utilisation du terme de participation dans les projets
urbains est de plus en plus courante. Il recouvre, dans le domaine de
l'urbanisme, des acceptations très diverses selon l'utilisation qui en
est faite par les acteurs et les responsables de projets.
De fait depuis une dizaine d'années un processus de
concertation plus ou moins poussé se développe pour tenter de se
substituer aux traditionnels conflits de légitimité
54 « Cuba championne mondiale du développement humain
et durable », OverBlog, consulté le 23 septembre 2013,
http://cubasilorraine.over--
blog.org/article--cuba--championne--mondiale--du--developpement--humain--
et--durable--42581728.html.
28
entre les différents acteurs autour des
opérations d'urbanisme (Etat, collectivités locales, entreprises
privées, techniciens et usagers)55.
Depuis la fin de la seconde guerre mondiale les projets
menés par l'Etat se sont démultipliés et concernent
désormais la quasi-totalité des domaines de la vie des citoyens.
Par exemple les politiques menées en direction du logement social
attestent de cette emprise grandissante de l'Etat sur les projets urbains et
leurs contenus : « Ces banlieues jardins qui s'intègrent dans un
programme d'aménagement de la banlieue, de construction de logements
pour les classes populaires et d'éducation
populaire.»56. A l'époque pourtant les termes de
concertation et de participation ne sont jamais employés et l'action des
citoyens n'est pas encouragée pour la définition des projets
d'urbanisme. Dans les schémas traditionnels les citoyens semblent
être des « acteurs de second ordre: ils exercent une influence
indirecte sur les politiques publiques à travers leurs actions pour
sélectionner, supporter et sanctionner les élus
»57. Ainsi les citoyens sont rarement à même de
définir concrètement le contenu des politiques publiques, aussi
bien locales qu'un internationales.
En outre les décisions législatives et les
orientations globales sont le plus souvent orchestrées par une
élite disposant des codes et des connaissances inhérents à
ce milieu58.
Ils se retrouvent donc démunis face à une
organisation hiérarchique de prise de décision. Pour ce qui est
des projets d'urbanisme, qui requièrent une expertise et une prise en
compte des enjeux de long terme, le citoyen lambda peut difficilement
prétendre avoir un point de vu exhaustif sur un projet et est de fait
exclu de la prise de décision.
De plus son point de vue, censé n'être que local
est négligé par les instances officielles: « s'agissant
d'aménagement urbain ou de politiques de la ville, des instances de
décisions - administratives, politiques et privées - semble
nécessiter d'exclure toute revendication
55 Patrick Moquay, Cécile Blatrix, et Muriel Tapie-Grime,
Développement durable et démocratie participative: la
dynamique performative locale, 1 vol., Recherches (Paris), ISSN 0249-8804
; 181 (La Défense: Plan urbanisme construction architecture, 2007),.
56 Jean-Marc Stébé, « L'habitat social, une
volonté de planification et de modernisation », Que sais--je ?
5 éd. (1 avril 2011): 55?76. p. 65
57 Laurence Bherer, « Les relations ambiguës entre
participation et politiques publiques », Participations N°
1, no 1 (2011): 105?133.
58 Michael Hartmann, « 11. Les élites et le champ du
pouvoir », Recherches (1 janvier 2007):
190?204. P.195
29
générale de citoyenneté urbaine,
cantonnée à des luttes locales (assez vite assimilée
d'ailleurs à des réflexes
«NIMBY59»»60.
En effet, l'urbanisme, de part sa complexité se trouve
à l'intersection de nombreuses disciplines et demeure un milieu
d'experts : «l'urbanisme comme modalité d'action sur les
territoires urbains interroge d'emblée les relations entre pouvoirs
politiques, techniques et expertises, savoirs urbains et usages»
61
C'est ainsi dans un effort de légitimation de l'action
publique face à un manque d'efficacité et de prise en compte des
besoins locaux de la population que ces deux termes ont récemment
été intégrés au vocabulaire de la décision
publique. Mais l'espace capitaliste est en crise et recherche des moyens de
garder le contrôle sur des opérations d'urbanisme de plus en plus
controversées. Marie Helene Bacqué, sociologue et urbaniste,
prévient que les dispositifs de participation peuvent s'inscrire dans
« une tension entre idéologie néolibérale et
revendication démocratique, toutes deux pouvant se rejoindre dans la
critique d'une action publique considérée comme bureaucratique,
cloisonnée et trop centralisée, critique débouchant sur
l'appel à la participation ou sur l'ouverture de nouveaux partenariats
public/privé.»62
Les dynamiques à l'oeuvre font néanmoins partie
d'une refonte des mécanismes de prise de décision
démocratiques. L'Etat, au travers de lois, s'efforce de rapprocher le
citoyen des décisions prises par ses représentant et
intégrer plus en amont les citoyens dans la prise de
décision63. Cependant, cette intégration plus
poussée prend le plus souvent la forme d'une simple « consultation
». Cette « consultation » est devenue obligatoire avec la
circulaire Blanco de 199264. La loi de 1999 prolonge la concertation
entre acteurs puisqu'elle affirme la nécessité de définir
un « cadre procédural relativement souple, dont
59 Not in My Back Yard, c'est-à-dire : « Pas dans mon
jardin »
60 Vincent Bourdeau et al., « Éditorial »,
Mouvements 74, no 2 (2013): 7, doi:10.3917/mouv.074.0007.
61 Marie-Hélène Bacqué et Mario Gauthier,
« Participation, urbanisme et études urbaines: Quatre
décennies de débats et d'expériences depuis « A
ladder of citizen participation » de S. R. Arnstein »,
Participations 1, no 1 (2011): 36, doi:10.3917/parti.001.0036.
62 Ibid.
63 Amanda Gregory, « Problematizing Participation A
Critical Review of Approaches to Participation in Evaluation Theory »,
Evaluation 6, no 2 (4 janvier 2000): 179?199,
doi:10.1177/13563890022209208.
64 Mairie d'Angers, « Le cadre juridique de la participation
», consulté le 13 février 2012,
http://www.angers.fr/projets-et-politiques/democratie-participative/la-participation-citoyenne-a-angers-c-est-quoi/le-cadre-juridique-de-la-participation/index.html.
30
le contenu opérationnel doit résulter d'une
négociation locale plus ou moins ouverte »65. Les
aménageurs souhaite ainsi construire un « consensus autour des
projets en jeu » en amenant « le passage de la norme au contrat, du
conflit à la régulation »66.
Or pour permettre aux habitants de «
délibérer » sur le futur de leur milieu urbain il semble
qu'une véritable participation passe par un échange plus que par
une simple consultation. En outre les habitants peuvent être
associés à la décision à de nombreux stades de la
décision. Cette forme de « participation » apparaît donc
assez limitée au regard des enjeux et de l'échelle des
opérations d'urbanisme. Des associations et des collectifs d'habitants
ont ainsi pris le parti de construire une forme de participation plus inclusive
et ambitieuse. Par exemple le terme de « maitrise d'usage » consacre
l'expertise des usagers et la met en regard de celles des experts
officiels67.
Mais la maitrise d'usage postule néanmoins qu'
«Il n'appartient pas aux habitants de dessiner le projet, prendre les
décisions ou se substituer aux autres acteurs mais de formuler ,
formaliser, concrétiser, sur un temps long, leurs attentes, leurs
rêves ou leurs refus»68. Il me paraît
alors important de rapprocher la notion de participation de celle
d'Empowerment, «pouvoir d'agir» ou « capacitation »69
qui permet de créer une véritable prise de conscience de la
part des habitants de leur capacité à influer sur la
décision publique et l'avenir de leur ville70. L'Empowerment
est défini par J. Moyersoen e Jim Segers comme « initiation
permanente à l'action collective dans la sphère publique afin de
surmonter les obstacles d'inégalités structurelles dans la ville
»71
Il me semble ainsi que c'est beaucoup sur la notion
d'Empowerment, sans pour autant la citer explicitement que se développe
le projet R-urban.
C. Petcou et D. Petrescu font le constat d'un espace public
et privé de plus en plus dominé par la logique et les valeurs du
système capitaliste. Selon eux, «la disparition progressive
65 Moquay, Blatrix, et Tapie-Grime, Développement
durable et démocratie participative.
66 Philippe Hamman, Christine Blanc, et Flore Henninger,
Penser le développement durable urbain : regards
croisés, 1 vol., Logiques sociales, ISSN 0295-7736 (Paris:
l'Harmattan, 2008),
http://www.sudoc.fr/12887869X.
67 « La maîtrise d'usage - Accueil »,
consulté le 15 août 2013,
http://www.maitrisedusage.eu/.
68 Ibid.
69 Bernard Vallerie et Yann Le Bossé, « Le
développement du pouvoir d'agir ( empowerment) des personnes et
des collectivités: de son expérimentation à son
enseignement », Les Sciences de l'éducation -- Pour
l'Ère nouvelle 39, no 3 (2006): 87, doi:10.3917/lsdle.393.0087.
70 Ibid.
71 «
generalizedempowerment.org
».
des espaces à usage collectif et des espaces
susceptibles d'être appropriés, pour des usages informels
basés sur la responsabilité et la confiance
réciproque''72 est un danger pour la vie sociale.
Par le biais de l'AAA, ils formulent ainsi des stratégies à
l'échelle locale comme globale pour faire prendre conscience aux
habitants du danger de ces dynamiques, la possibilité d'agir pour les
contrer et créer de nouvelles synergies.
31
1.2 Enjeux de la participation pour le projet
R-urban
Les habitants occupent une place centrale dans tous les
projets de AAA. Ils sont véritablement ceux qui détiennent le
pouvoir sur le présent comme sur l'avenir du projet. Bien qu'ils n'aient
souvent pas accès aux données brutes du projet (financements,
réunions, documents de travail par exemple), leur investissement est une
condition sine qua none de la pérennité et de la
légitimité du projet. Leur engagement est la clé de voute
du projet. Puisqu'un des objectifs d'AAA est d'arriver à lancer une
dynamique qui pourrait inverser certains processus urbains en cours.
En effet, selon C. Petcou et D. Petrescu «
L'économie capitaliste continue à produire un espace urbain
dé--subjectivé, consumériste et
abstrait.»73. Il s'agit donc de créer un
espace à partir d'un lieu abandonné, a priori vide de sens.
Ce lieu, le plus souvent une friche urbaine envahie par les
herbes et les détritus, devient lentement un espace concret porteur
d'images, de symboles et peu à peu probablement d'un sens pour ceux qui
le côtoient. Le lieu se transforme doucement sous les pas et les
regards
72 Vallerie et Le Bossé, « Le développement du
pouvoir d'agir ( empowerment) des personnes et des
collectivités ».
73 Petcou et Petrescu, « Agir l'espace », 7 janvier
2008. p.103
32
des habitants, il acquière une
matérialité. C'est un nouveau souffle pour une partie des
habitants du quartier qui pour certains l'ont toujours connu comme un espace
creux: « Au plus loin que je me souviens ca a toujours
été une friche »74. Pour certains, les
potentialités de ce lieu inoccupé sont flagrantes et ils avaient
déjà envisagé la possibilité d'y implanter quelque
chose: « J'ai eu cette idée de planter ici avant que ca existe
du coup c'est comme un rêve qui se réalise
»75.
Avec la concrétisation du projet mené par AAA,
les possibilités de créer des espaces similaires à partir
de lieux « insignifiants » se révèlent. Pourtant les
habitants et les personnes susceptibles de disséminer cette
expérience sont effrayés par l'immense difficulté qui
semble accompagner la conduite d'un tel projet. Du moins ils voient
l'implication quotidienne des salariés au jardin et s'imagine le
processus de discussion--négociation qu'il doit être
nécessaire de mener tout au long du projet avec la mairie et les
différents financeurs. Pour autant mener un tel projet, même si
moins ambitieux, ne semble pas insurmontable à partir du moment
où l'individu s'insère dans un groupe cohérent et
soudé. De même, la nature du projet, transformer un lieu sur le
plan symbolique comme matériel, amène la nécessité
d'une réflexion sur le temps long. Celui ci doit s'imbriquer dans tous
les quotidiens du groupe en puissance comme dans les trajectoires
individuelles. Ce double mouvement permet au groupe de se constituer une
identité en rapport avec l'espace créé tout en respectant
les individualités.
Le concept d' « altérotopie »
développé par C. Petcou et D. Petrescu évoque une
construction partagée de l'espace « autre » avec « les
autres », « ceux qui différent de nous et qui nous importent
»76. Cette mise en commun des ressources mentales et physiques
des individus est nécessairement processuelle. F. Guattari souligne
l'importance de considérer la démocratie et sa construction comme
un processus perpétuel: «la démocratie n'est jamais pour
Guattari un acquis définitif, « une vertu transcendantale, une
idée platonicienne, flottant en dehors des réalités
». Elle doit rester une passion processuelle, qui ne peut se
réduire à un enjeu exclusivement électoral, mais qui exige
de prendre en compte sans cesse l'altérité, la divergence des
désirs et des intérêts, des procédures toujours
renouvelées d'affrontement, de
74 Entretien anonyme avec C., s. d.
75 Entretien anonyme avec A., s. d.
76 Petcou et Petrescu, « Agir l'espace », 7 janvier
2008. p. 106
33
négociation et
d'expérimentation»77. La création
et la construction de l'espace sont à la fois un moyen et une fin. Le
projet est un moyen car c'est par la prise de décision quotidienne et
l'organisation informelle que se créent les liens et s'articulent les
projets. C'est également une fin car même il s'agit en soi d'un
processus interminable, il postule, dans sa construction une conscientisation
et une transformation de l'espace physique comme mental.
Pour le projet R-urban il est nécessaire de distinguer
trois d'acteurs-habitants jouant des rôles clés. D'abord les
habitants qui viennent régulièrement ou plus rarement pour
s'occuper de leur parcelle ou participer aux évènements. Ensuite
les habitants porteurs de projet qui se constituent au fil du projet et des
opportunités de développement. Pour l'instant, Yvon, maître
composteur, est le plus avancé voir le seul porteur d'un projet concret,
sur l'organisation d'une filière compost. La filière compost de
l'Agrocité vient d'être reconnue comme un « pôle
régional » au niveau de l'Ile de France. Les financements assortis
de cette reconnaissance permettront un développement de la
filière et une plus grande notoriété de l'Agrocité.
Enfin, les habitants du quartier qui n'ont pas de parcelles, qui viennent pour
la plupart moins régulièrement. Ils achètent des
légumes et participent quelques fois aux activités du samedi.
Leur rôle est également important car leur implication peut
être croissante et ils communiquent sur le projet.
Le processus de participation des habitants au projet
dépasse le simple pouvoir de l'usager individuel en l'inscrivant dans la
sphère plus large du quartier et de la communauté. Dès les
débuts du projet l'équipe de AAA a réalisé une
cartographie des acteurs pouvant être impliqués à plus ou
moins long terme dans l'élaboration et la construction concrète
du projet. Cette carte des « acteurs-usagers » permet de comprendre
les dynamiques déjà existantes et d'accompagner les habitants
dans le montage du projet. Ces acteurs-usagers, qui peuvent être des
personnes comme des institutions, disposent d'un important capital social et
d'une connaissance plus ou moins élargie des ressources de leur
quartier. Cette notion d'acteurs-usagers rejoint celle d'action-recherche qui
postule un développement conjoint de la réflexion et d'une mise
en pratique des concepts étudiés. Cette démarche peut
être considérée comme le pendant, pour les sciences
humaines, de la démarche scientifique.
Dans un second temps la participation des habitants à
la vie et à l'élaboration quotidienne du projet de
l'Agrocité s'articule nécessairement avec la théorie et
l'approche
77 « Actualité de Guattari - La Vie des idées
», consulté le 10 août 2013,
http://www.laviedesidees.fr/Actualite-de-Guattari.html.
pragmatique de l'écologie développée par
AAA. En effet la recherche et l'expérimentation sont des composantes
primordiales du fonctionnement de l'association. Des étudiants en stage
de fin d'études ainsi que des chercheurs universitaires nationaux comme
internationaux étudient et « enregistrent » l'activité
de l'association depuis son commencement78. Les théories
d'écologie radicale développées par les penseurs
évoqués ci-dessus présentent également la
solidarité, la coopération et la participation comme des facteurs
indispensables à une appréhension globale des
problématiques contemporaines. Dès lors la question «Comment
se réapproprier et re-subjectiver la ville ?» 79 devient
primordiale qui détermine l'action de AAA et dont nous nous efforcerons
de détailler les étapes.
34
2. La participation des habitants dans les projets de AAA
et à l'Agrocité
2.1 La participation des habitants pour l'Atelier
d'architecture Autogérée dans les projets
précédents
78 « Réseaux | R-Urban », consulté le 19
août 2013,
http://r-urban.net/network/.
79 Petcou et Petrescu, « Agir l'espace », 7 janvier
2008.
35
Pour Hannah Arendt, philosophe allemande du XXème
siècle: « Personne ne devrait être appelé joyeux ou
libre si il ne participe ni ne partage l'administration de la puissance
publique »80.
Depuis les prémices de la constitution de l'association
AAA, la participation des habitants est une priorité sinon une
nécessité. Comme le souligne D. Petrescu, citant Toni Negri,
philosophe du « commun » : « Créer de la valeur
aujourd'hui c'est mettre en réseaux des subjectivités et capter,
détourner, s'approprier ce qu'elles font de ce commun qu'elles
inaugurent »81.
Le travail de AAA n'a de sens qu'en intégrant
progressivement les habitants à une oeuvre de réflexion
collective axée autour de l'action et du chantier collectif
82. Par la description et l'analyse de l'approche de la
participation des habitants dans les anciens projets menés par AAA nous
pourrons mieux appréhender le projet R-urban et celui de
l'Agrocité. Cette analyse sera menée de façon
chronologique afin de montrer les avancements théoriques et pratiques au
fil des projets.
Le projet Ecobox a débuté dès 2001
à la faveur de l'investissement d'une friche appartenant au
Réseau Ferré Français (RFF). Ce projet,
développé dans le quartier populaire de La Chapelle situé
dans le nord de Paris vise à
83 La diversité des cultures
présentes dans le quartier a amené l'AAA à mettre en lien
les habitants du quartier et de ses alentours. Ce lien s'est construit autour
d'actions communes réalisées autour d'
84 Ces actions adressent les questions
artistiques, cinématographiques, culturelles en les imbriquant
toujours dans un flux continu d'actes du quotidien liés au jardin et
à la construction d'objets.
Ecobox a permis de créer un espace inédit dans
un lieu abandonné. Les rencontres inestimables qu'il a
générés ont débouché sur d'autres qui ont
amené une prise de conscience des
80 Hannah Arendt, Essai sur la Révolution, trad.
par Michel Chrestien, 1 vol., Les Essais (Paris, 1931), ISSN 0768-4355 123
(Paris, France: Gallimard, 1967).
81 Doina Petrescu, « Jardinières du commun »,
Multitudes 42, no 3 (2010): 126, doi:10.3917/mult.042.0126.
82 Ibid. : « Pour nous, en tant qu'architectes, la
reprise du commun passe par une réappropriation tactique et un
investissement collectif des espaces immédiatement accessibles afin
d'inventer de nouvelles formes de propriété et de vivre ensemble,
plus éthiques et plus écologiques »
83 « urban tactics, projets », consulté le 20
août 2013,
http://www.urbantactics.org/projectsf/ecobox/ecobox.html.
84 Ibid.
36
possibilités d'action chez certains habitants du
quartier85. Lors de la destruction du lieu voulu par la mairie puis
du déménagement obtenu par les habitants ceux ci ont lutté
d'abord pour conserver le lieu puis pour récupérer un autre
espace. Le quartier est plein de ces lieux vides, laissés à
l'abandon en attendant un futur projet, souvent hypothétique. La lutte
pour obtenir un nouvel espace à été possible grâce
à la force de la communauté qui s'est constituée autour du
projet au fil des années. La participation des habitants dans ce projet
apparaît ainsi une condition sine qua none de sa pérennité.
Nous verrons par la suite que cette participation est également la
première étape à une prise de conscience de l'importance
des enjeux globaux et de leur lien direct avec les problématiques
locales rencontrées au quotidien
L'enjeu éthique est également primordial en ce
qu'il structure le cadre de l'action autour d'évènements
destinés à accroitre la solidarité, l'entraide, la
coopération entre les personnes du jardin et plus
généralement du quartier. La définition architecturale
sont
La réhabilitation du concept de « commons
»86 mis en avant par O. Olström évoque la gestion
traditionnelle de ressources partagées entre les membres d'une
communauté. Cette notion remise en avant par AAA dans ces projets permet
de penser l'appropriation collective pour sortir des cadres rigides de la
division propriété privée/ publique :
87 Jl s'agit ici de construire un espace «
appropriable » par tous, selon la définition que nous avons
donnée de l'appropriation en introduction. Un espace qui permettre une
réalisation et un épanouissement personnel en même temps
qu'une vie de quartier intense :
88
La spécificité féminine du projet Ecobox
mise en avant par D. Petrescu dans son article lorsqu'elle écrit :
» peut s'appliquer aux autres groupes existants.
85 Petrescu, « Jardinières du commun ».
86 Ibid. : « Les « commons
»définissaient traditionnellement ces éléments de
l'espace environnemental et des ressources naturelles - les forêts,
l'atmosphère, les rivières, les pâturages, etc. - dont la
gestion et l'usage étaient partagés par les membres d'une
communauté. C'étaient des entités que personne ne pouvait
détenir, mais que tout le monde pouvait utiliser. Actuellement le sens
du terme de commons s'est élargi pour inclure toutes les
ressources (matérielles ou immatérielles) qui sont collectivement
partagées par toute une population. »
87 Ibid.
88 Ibid.
Le projet du 56 rue saint Blaise dit « le 56 », dans
le XXème arrondissement se rapproche de celui initié dans le
XVIII ème arrondissement. La participation et l'ampleur du projet
n'étaient pas la même mais les principes suivis pour mener le
projet sont sensiblement similaires. Toujours en activité aujourd'hui,
cet espace, comme Ecobox, à subit de nombreuses transformations et le
groupe d'habitant a beaucoup évolué depuis le début du
projet. Construit dans une passage entre deux immeubles, lieu inutilisé
par ses proches habitants, ce projet frappe par son ambition. Créer un
jardin entre deux hauts murs, avec une forte densité urbaine demande un
savoir faire. De même, lier des habitants qui n'ont au départ pas
forcément d'intérêts en commun est un pari
risqué.
La participation des habitants a tout de suite
été un impératif sans lequel rien n'aurait
été possible. Ce sont essentiellement des femmes qui ont pris en
main le lieu pour le faire vivre au quotidien.
Le projet répond à une commande. Les habitants
se sont progressivement appropriés le projet et ils sont
désormais autonomes dans cet espace, si bien que l'AAA n'a plus aucun
rôle d'intendance ou de financement.
37
2.2 Lieux et moments de la participation à
l'Agrocité
La participation à l'Agrocité est une composante
majeure de la vie quotidienne comme du travail sur le long terme. Celle ci ne
se limite pas aux habitants mais concerne l'ensemble de la communauté et
les salariés, stagiaires et bénévoles travaillant pour
AAA. Depuis les premières actions sur le terrain,
réalisées par Léo, l'ancien maraicher, les habitants sont
régulièrement invités à s'investir ou crée
d'eux mêmes certains
38
évènements spécifiques (brocante/ vide
grenier, disco-soupe89, fête pour un départ à la
retraite d'une jardinière etc..).
Par ailleurs, l'AAA travaille le plus possible à partir
d'auto construction. C'est à dire que les salariés, stagiaires et
bénévoles de l'association participent à la
création et à la construction concrète de l'espace.
Dès mon arrivée à l'AAA j'ai
participé au chantier d'auto-construction en prévision de
l'inauguration prévue à la base le 18 mai. Mais les retards sur
le chantiers ont finalement amené la date de l'inauguration au 20 juin
puis au 22 juillet. Je pensais pouvoir commencer d'autres activités
avant la fin du chantier mais les délais étaient trop courts et
toute l'équipe était entièrement mobilisée vers cet
objectif. Néanmoins la phase d'auto-construction était
très formatrice et j'ai pu comprendre certains enjeux relatifs à
la mise en place d'un chantier et de la difficulté de créer une
dynamique de quartier autour d'un lieu en devenir. Il existe plusieurs
définitions de l'auto-construction qui désignent des approches
différentes d'une même préoccupation90.
L'auto-construction, qui est une forme de participation, désigne ici la
démarche qui consiste à participer activement à la
construction de son logement ou d'une partie de celui ci. Cette manière
de faire se développe à la faveur de la crise et du regain
d'intérêt pour les méthodes de DIY (Do It Yourself), ou
fais le toi même. Cité par G. Prudot, auteure de L'alternative
écologique, vivre et travailler autrement: un proverbe qui dit : «
Construire sa maison, c'est se construire. »91.
Pourtant il a été difficile d'intégrer
des habitants sur le chantier participatif de l'Agrocité. En effet de
nombreuses tâches requéraient des compétences
particulières ou étaient très répétitives.
J'ai en outre beaucoup travaillé sur le chantier d'auto construction.
Celui n'a presque pas requis de participation des habitants car il
était
89 « Récupération : par ici la bonne Disco
Soupe »,
www.liberation.fr,
consulté le 24 août 2013,
http://www.liberation.fr/terre/2012/12/23/recuperation-par-ici-la-bonne-disco-soupe_869652.
90 Emilio Duhau et Céline Jacquin, « Les ensembles
de logement géants de Mexico.: Nouvelles formes de l'habitat social,
cadres de vie et reformulations par les habitants », Autrepart
47, no 3 (2008): 169, doi:10.3917/autr.047.0169.
L' auto-construction se réfère au mode
d'accès au sol urbain et au logement des groupes sociaux exclus du
marché formel, qui il y a quelques décennies occupaient
illégalement des terrains vides, en groupes et sous la protection de
leaders politiques. La vente des terrains s'effectue aujourd'hui
individuellement sur la base d'un marché foncier illégal. Les
maisons sont construites par étapes au fur et à mesure de
l'épargndes foyers,
n'autorisant des conditions de vie satisfaisantes qu'au bout de
longues années d'efforts
91 Geneviève Pruvost, « L'alternative
écologique», Terrain n° 60, no 1 (4 mars 2013):
36?55.
39
éloigné des habitations et nous avons
été pris par le temps du fait de l'inauguration prochaine.
Mais tout au long de la construction du projet, des workshops
ont été organisés, par l'association comme par les
habitants. A titre d'exemple nous pouvons citer quelques uns des workshops qui
ont eu lieu.
Le principe des ateliers et de la participation
concrète des habitants à l'évolution du projet existe
depuis le début du projet. Ils ont pris des formes différentes
selon l'époque, les besoins concrets pour le jardin et les désirs
des habitants. J'ai participé à quelques uns de ces ateliers mais
je n'ai jamais eu un rôle très important dans la conception ou
l'animation, c'est pourquoi je ne développerais pas beaucoup cet
aspect.
J'ai par exemple participé à l'atelier d'aide au
jardin, à la plantation des tomates un samedi avec de nombreux
habitants. Les gens étaient très motivés pour travailler
la terre et beaucoup se donnaient des conseils sur les façons de planter
et de cultiver.
J'ai également participé, avec l'équipe
des stagiaires et des salariés à l'organisation de l'inauguration
des deux sites. La plus grande partie de cet évènement à
eu lieu a l'Agrocité. Une vente de gâteaux était
organisée par les habitants. Ils ont gardé le produit de cette
vente pour pouvoir ensuite acheter du matériel pour le jardin. Cet
évènement à permis de lier plus étroitement
l'implication des habitants avec le travail de l'équipe de AAA. Une
vente de légume était également organisée.
Récemment certains habitants se sont impliqués
dans l'AMAP (Association pour le Maintien d'une Agriculture paysanne) et
viennent chercher les paquets toutes les semaines92. Cette forme
d'implication permet de lier les habitants au projet et de renouveler leur
approche quant à la participation au sein du projet.
Ces moments ont permis l'émergence d'un groupe
d'habitants plus ou moins identifiés et de donner une identité au
lieu. Selon la nature des évènements les habitants ont pu aborder
les différents aspects du projet. Les ateliers se révèlent
être des moments de partage où les habitants expérimentent
un nouveau rapport à l'espace en même temps qu'ils participent
concrètement à l'aménagement du lieu.
92 « Appel à membres pour la nouvelle AMAP à
Colombes | R-Urban », consulté le 19 septembre 2013,
http://r-urban.net/blog/activities/appel-a-membres-pour-la-nouvelle-amap-a-colombes/.
40
Partie II : Un projet écosophique ?
L'appropriation du projet par les habitants
A. La théorie écosophique et ses
conséquences pratiques.
1. Les trois ecologies de Felix Guattari
1.1 Ecologie mentale, sociale et
environnementale : un processus global
Après avoir décrit le projet R-urban, le
rôle de l'AAA dans le processus participatif, il semble désormais
important de replacer les évènements et les actions
décrites dans un cadre de pensée envisagé comme global.
J'ai eu la volonté, avant même de commencer mon stage, de replacer
mon travail de recherche comme de terrain dans un cadre théorique plus
large. Je me suis, au départ, penché sur le terme
d'écologie radicale. Celui ci incarne bien l'idée d'une
écologie militante. Etymologiquement le terme de radical renvoie au mot
racine.
Cette étymologie à plusieurs implications : -
Il s'agit, avec l'écologie radicale, de venir ou revenir ou principes
fondamentaux de l'écologie et de revendiquer une démarche globale
qui s'oppose à une pure gestion des nuisances et propose une remise en
cause profonde de notre société. - Par la mise en avant du terme
d'écologie radicale l'on cherche à revenir à l'essence de
l'écologie en refusant l'éco-blanchiment93 qui
dénature les véritables enjeux de l'écologie. Les «
penseurs » de l'écologie radicale effectue une rupture
complète d'avec le capitalisme, aussi bien dans ses discours que dans
ses actions. De nombreux penseurs marxistes sont à l'origine de
l'écologie radicale : André Gorz, Ivan Ilich, Felix Guattari
entre autres. - Mais de même que l'écologie
"non radicale" est reprise par chacun à son compte,
93 Michael Ash, James K. Boyce, et Éloi Laurent, «
Justice environnementale et performance des entreprises: Nouvelles perspectives
et nouveaux outils », Revue de l'OFCE 120, no 1 (2012): 73,
doi:10.3917/reof.120.0073.: « La préoccupation à
l'égard du « greenwashing » (« éco--blanchiment
»), par lequel les entreprises tentent de projeter une image plus
respectueuse de l'environnement que leurs pratiques véritables
».
41
l'écologie radicale sont accusée de tous les
maux par beaucoup. Exemple : lorsque l'on effectue une recherche sur Google du
mot écologie radicale la première page renvoie à plusieurs
articles ou les auteurs évoquent "la peste verte"94 pour
décrire ces mouvements
qui envisageraient une dictature écologique. -- Le
terme d'écologie radicale est souvent assimilé à celui de
Deep ecology ou Ecologie profonde. Celle ci rassemble elle même des
courants très divers qui s'opposent parfois sur les thèses qu'ils
défendent95. Il faut dès lors différencier
l'écologie radicale proposée par le projet R--Urban et cet autre
type d'écologie.
Après avoir analysé ce terme d'écologie
radicale, mieux problématisé mon sujet et fait une recherche
bibliographique sur le terme, j'ai compris qu'il n'avais pas suffisamment
été utilisé dans des travaux universitaires et qu'il
portait trop à confusion tant il était utilisé par des
penseurs d'horizons différents.
Mes recherches m'ont ainsi porté à
m'intéresser à un cadre de recherche plus clair, avec une
importante bibliographie et une possibilité de comparer l'approche
théorique avec ses conséquences pratiques. La théorie de
l'Ecosophie, développée par F. Guattari me paraît
particulièrement intéressante. De plus, l'AAA se revendique de
cette théorie dans de nombreux textes pour asseoir et définir
leurs pratiques. Anne Querrien, une des théoriciennes de l'AAA a
longtemps travaillé avec Felix Guattari et connaît bien la
question de l'écosophie96.
Felix Guattari est un philosophe français. Il s'est
intéressé à de nombreuses questions et
problématiques humaines. Il a passé la majeure partie de sa vie
à la clinique de La Borde où il n'eu de cesse de
développer les principes de la psychothérapie institutionnelle
dont il est, en partie le théoricien. Cette théorie produit une
pratique où les soignants et les soignés sont indissociables, de
même qu'un faible recours aux médicaments. Le groupe se partage
les tâches à l'intérieur de l'institution et de nombreux
ateliers d'expressions corporelles et artistiques sont programmés.
Felix Guattari a également travaillé avec Gilles
Deleuze, philosophe français, à la définition de nouveaux
concepts philosophique, notamment la notion de désir, de micropolitique
et de subjectivé dont nous verrons les profonds enjeux par la suite.
94 « écologie radicale -- Recherche Google »,
consulté le 29 août 2013,
https://www.google.fr/search?q=%C3%A9cologie+radicale&ie=utf--8&oe=utf--
8&rls=org.mozilla:fr:official&client=firefox--a&gws_rd=cr.
95 « Arne Naess et l'écologie politique de nos
communautés -- Mouvements », consulté le 29 août 2013,
http://www.mouvements.info/Arno--Naess--et--l--ecologie--politique.html.
96 Entretien avec Anne Querrien, 18 juillet 2013.
42
Il est venu tardivement à la pratique d'une
écologie politique en se présentant sur la liste des
élections régionales en 1992.
L'écosophie, telle que définie par Felix
Guattari dans son ouvrage écrit en 1989, les Trois écologies, est
une théorie tridimensionnelle qui entend donner un cadre à
l'action comme à la réflexion sur l'écologie. Pour ce
penseur du milieu du XXème siècle (1930-- 1992),
l'écologie ne doit pas « chapeauter » les autres domaines de
la vie mais peut être « une problématisation qui leur
devienne transversale »97.
Cette théorie postule ainsi un découpage non
excluant de la notion d'écologie en trois champs qui s'entrecoupent:
l'écologie mentale, l `écologie sociale et l'écologie
environnementale. Cette approche « ne sera ni une discipline de repli
sur l'intériorité, ni un simple renouvellement des anciennes
formes de « militantisme ». Il s'agira plutôt d'un mouvement
aux multiples facettes mettant en place des instances et des dispositifs
à la fois analytiques et producteurs de subjectivité
»98. En effet il s'agit de créer un
nouveau rapport au monde et de permettre aux individus de s'inscrire dans une
dynamique de « subjectivité tant individuelle que collective,
débordant de toutes parts les circonscriptions individuées
». Tout au long de son ouvrage F. Guattari dénonce «
la progressive détérioration {...} des modes de vie humain,
collectifs et individuels » 99 et une « standardisation des
comportements» et préviens des dangers inhérents
à cette dynamique. Nous avons vu dans la partie I) A) 2) les
différentes crises qui traversent le monde et les liens qui les
unissent. Il s'agit dès lors de réinterroger tous les domaines de
la vie pour lutter contre cette uniformisation globale.
Face à ces problèmes en liens les uns avec les
autres F. Guattari propose une nouvelle écologie des relations
accompagnée d'une nouvelle éthique qui permettrait une
transformation de vie: « A toutes les échelles individuelles et
collectives, pour ce qui concerne la vie quotidienne aussi bien que la
réinvention de la démocratie dans le registre de l'urbanisme, de
la création artistique, du sport, etc..., il s'agit à chaque fois
de se pencher sur ce que pourraient être des dispositifs de production de
subjectivité allant dans le sens
97 Guattari, Les trois écologies. P. 20
98 Ibid.
99 Ibid. p.11
43
d'une re--singularisation individuelle et/ou collective,
plutôt que dans celui d'un usinage mass médiatique synonyme de
détresse et de désespoir. »100.
Cet ouvrage propose ainsi d'apporter un éclairage sur
les liens qui existent entre la reconstruction de liens entre les individus qui
ne soient plus uniquement marchands et standardisés mais qui puissent
puiser dans les réalités individuelles pour créer de
nouveaux « agencements » collectifs. Le découpage en trois
écologies distinctes et complémentaires, écologie sociale,
mentale et environnementale permet de rendre compte de l'importance de la
conduite d'une démarche globale. Ces trois écologies distinctes
qui forment l'écosophie ont des rôles différents.
L'écologie sociale « consistera à
développer des pratiques spécifiques tendant à modifier et
à réinventer des façons d'être au sein du couple, au
sein de la famille, du contexte urbain, du travail etc.
»101. Il s'agit de susciter un nouveau rapport au
monde en même temps qu'au groupe. Le développement de
l'individualisme a crée une dissolution des liens sociaux forts qui
caractérisaient les sociétés basées sur des
solidarités organiques décrites par E. Durkheim102. Il
préconise l'expérimentation au niveau micro et macro de nouvelles
sociabilités autour de projets questionnant et redéfinissant en
profondeur les nouveaux rapports sociaux.
L'écologie mentale, qui s'inspire de la pratique de F.
Guattari à La Borde, a pour objectif de créer de nouveaux
imaginaires. La colonisation de l'imaginaire par l'économie et le
système capitaliste dénoncée par Serge Latouche appelle un
processus de décolonisation103. Ce processus demande une
prise de conscience et un recul par rapport à l'éducation et
à l'inculcation des normes dominantes réalisées dès
l'enfance. A l'inverse de la rationalité et du matérialisme
écrasant qui caractérise la société capitaliste,
l'on doit substituer un nouveau rapport au monde qui redéfini «
le rapport du sujet aux corps, au fantasme, au temps qui passe, aux «
mystères » de la vie et de la mort. »104.
Contre le déversement absurde d'informations incessant qui
conforment les individus à une matrice quasi--unique, F. Guattari
propose une vision exigeante et intense de la vie. Il s'est beaucoup
intéressé à l'animisme et à ses manifestations,
à sa capacité de redéfinir ce qu'il
100 Ibid. p.21
101 Ibid. p.22
102 Durkheim, De la division du travail social.
103 « Pour une société de décroissance,
par Serge Latouche (Le Monde diplomatique) », consulté le 27
août 2013,
http://www.monde--
diplomatique.fr/2003/11/LATOUCHE/10651.
104 Guattari, Les trois écologies.
44
nomme des « territoires existentiels
»105. Ce terme, qui reprend l'usage courant du
terme pour l'appliquer à des processus mentaux, postule que les
individus, en relation avec la communauté, s'approprient des codes et
des valeurs, une interprétation de leur vécu qu'ils inscrivent
dans un univers personnel106. F. Guattari invite à une
reterritorialisation de l'univers des individus par le biais de nouvelles
constructions mentales. Ceux ci permettent aux communautés d'être
plus à même de saisir la poésie du monde et les enjeux de
la destruction de ce dernier.
L'écologie environnementale désigne ce que l'on
réserve habituellement à l'écologie classique par la
protection de la nature: « elle n'a fait qu'amorcer et
préfigurer l'écologie généralisée que je
préconise ici »107. Il prévient
néanmoins que l'écologie ne doit pas rester l'apanage d'une
« minorité d'amoureux de la nature ou de spécialistes
attitrés »108. En effet elle doit être une
prise de position politique, qu'il ne faut pas, selon F. Guattari, laisser
« à certains de ces courants archaïsants et folklorisant,
optant quelquefois pour un refus de tout engagement politique à grande
échelle. »109. Cet engagement politique
indispensable par l'auteur est une réminiscence des principes du
marxisme qui préconise la création d'organisations de masse pour
transformer la société et abroger progressivement le
capitalisme.
La définition de ces trois écologies nous
éclaire sur la nécessité de penser l'écologie comme
encastrée dans une trame de réflexion plus large sur les
conditions d'existence et sur la capacité des individus d'apporter un
changement grâce à une nouvelle éthique de vie.
Par rapport à ces questions, que propose
l'Agrocité, en quoi peut on dire qu'elle est une manifestation de la
théorie écosophique ?
1.2 Un lien étroit avec le processus en cours
à l'Agrocité
105 Felix Guattari, « Pratiques écosophiques et
restauration de la Cité subjective -- Revue critique d'écologie
politique », consulté le 26 avril 2012,
http://ecorev.org/spip.php?article105.
106 « Villani -- Sasso. Vocabulaire de Gilles Deleuze
», Scribd, consulté le 27 août 2013,
http://fr.scribd.com/doc/31968637/Villani--Sasso--Vocabulaire--de--Gilles--Deleuze.
107 Guattari, Les trois écologies. p.47
108 Ibid.
109 Ibid. p.48
Comme nous l'avons vu dans les parties
précédentes l'AAA a une vision de l'écologie que l'on peut
qualifier de globale car elle envisage un processus complet au travers de
R-urban. Il s'agit en effet d'une expérience qui ne concerne pas
simplement l'alimentation, le recyclage ou l'habitat collectif mais qui prend
le parti et le pari d'effectuer la jonction entre ces domaines. A travers ces
installations qui modifient progressivement la vie du quartier sur plusieurs
années, l'AAA souhaite initier une re-subjectivation et permettre aux
habitants du quartier de pratiquer une écologie qui ne soit pas
simplement un ersatz du système capitaliste mais bien une prise de
position afin de devenir moteurs de la création d'alternatives
concrètes.
Au travers de la mise en place de circuits courts et d'une
économie sociale et solidaire le projet R-urban vise à
reconnecter les citoyens avec une mémoire en passe de disparaître,
celle des « anciens » qui n'ont, pour la plupart, pas connu
l'abondance actuelle. Ceci va de pair avec une transformation de la vision du
citoyen sur la ville, envisagée non plus comme un horizon inatteignable
réservé aux spécialistes mais comme une
réalité concrète à construire au jour le jour. Les
liens sociaux qui résultent de ces processus assurent une reconstruction
d'une forme de communauté, de personnes qui lutteront peut être
pour un autre mode de vie.
Les trois écologies théorisées par F.
Guattari trouvent ici une application concrète, sans pour autant faire
office de dogme idéologique, le mot d'écosophie n'étant
que rarement cité dans les écrits sur R-urban, dans laquelle les
potentialités d'un changement d'ampleur se trouvent
matérialisées. En effet l'écosophie ne saurait être
considérée comme une image figé. En effet, selon A.
Querrien : « D'abord chez F. Guattari, y'a un concept fondamental qui
est la processualité, ca veut dire qu'il ne peut pas y avoir un
arrêt sur image de ce que serait l'Agrocité ou quoi que ce soit
qui serait fait selon les principes de l'écosophie, il y a un travail en
continu sur l'organisation »110. Cette
processualité est inhérente à chaque expérience
sociale de long terme.
De la même façon, le projet tel qu'il a
été pensé ne peut être appliqué à la
lettre, il s'agit plutôt d'une adaptation à plus ou moins long
terme des observations conduites par l'AAA au fur et à mesure de
l'avancement du projet et en écho à ceux menés auparavant.
Comme nous l'avons vu, ce sont les habitants et leur(s) implication(s) qui
détermine l'avenir du projet et la forme effective qu'il prendra.
45
110 Entretien avec Anne Querrien.
46
Il est dès lors évident qu'un projet
porté et soutenu par un nombre important d'habitants et d'acteurs divers
aura une capacité de transformation plus grande qu'un projet
renfermé sur lui même. L'Agrocité vise ainsi à
ouvrir de larges possibilités aux individus qui gravitent autour du
projet en permettant à chacun de trouver sa voie tout en respectant les
initiatives des autres.
Ainsi, les concepteurs du projet se sont refusés
à apposer une étiquette politique sur leur action ou à la
lier avec « une politique à grande échelle »
qu'évoque F. Guattari. De la même façon que le
mouvement des villes en transition a refoulée la « critique »
pure du système pour se concentrer sur les alternatives positives qui
peuvent être mises en place111. Les Transition-Towns insistent
sur l'importance d'une transition face au changement climatique et au pic
pétrolier et privilégient l'action communautaire au niveau d'un
village ou d'une ville pour ensuite s'étendre aux
régions112. Certains groupes comme Quartier Libre
opérant dans le 20 ème arrondissement de Paris recréent du
lien social et de la solidarité à long terme. Ils souhaitent
impliquer les habitants dans des actions pour relancer la vie de quartier
(distribution gratuite de vêtements, projections, repas
partagés...) tout en axant leur action sur une analyse marxiste de la
société en termes de lutte de classe. Ils ne souhaitent pourtant
pas s'affilier avec un parti politique clairement
identifié113.
A l'inverse R-urban prend le parti d'évacuer toute
référence militante dans son action et de baser les
conférences et les tables rondes sur des sujets politiquement neutres,
en terme de parti ou de syndicats, afin de ne pas créer de conflits
idéologiques entre les habitants et les gens qui pourraient être
intéressés par le projet. Bien que la mairie soit affiliée
au parti socialiste, le site internet du projet ne mentionne que la «
mairie de Colombes » et non la personne du maire par
exemple114. De même, sur le site il n'y a aucune
référence aux penseurs dont se réclame AAA115.
Il y a également une volonté de
111 Luc Semal et Mathilde Szuba, « Villes en transition :
imaginer des relocalisations en urgence », Mouvements 63, no 3
(2010): 130, doi:10.3917/mouv.063.0130.
112 « Welcome | Transition Network », consulté
le 29 août 2013,
http://www.transitionnetwork.org/.
113 « AU FOND PRES DU RADIATEUR » Blog Archive »
Le collectif Quartier Libre », consulté le 29 août 2013,
http://www.aufondpresduradiateur.fr/?p=2656.
114 « Stratégie | R-Urban ».
115 « Recherche-action | R-Urban », consulté le
29 août 2013,
http://r-urban.net/recherche-action/.
47
séparation entre les deux entités que sont
R-urban116 et AAA. En effet, deux sites internet cohabitent (
R-urban.net et
urbantactics.org117) et différent grandement par leur
contenu. L'Agrocité doit être un lieu de rencontre et favoriser
les échanges entre des personnes de milieux différents et de
classes sociales parfois éloignées. Nous le verrons par la suite,
les chercheurs et les étudiants qui participent à ce projet sont
le plus souvent issus de milieu aisés ou du moins plus aisés que
les habitants. Cette différence pourrait perturber le bon
déroulement du projet si elle venait à prendre une place trop
importante.
Le travail mental que postule l'écosophie est
également à rechercher ici car créer un mélange,
une diversité au sein d'un espace qui impose souvent une
redéfinition des cadres de compréhension de la
société. La construction d'une écologie mentale est ainsi
encadrée dans le processus de rencontres et de création de
nouveaux symboles qui donnent une identité au monde en même temps
qu'ils révèlent une certaine « poétique »
selon les termes du site urban-tactics118: « notre
architecture est à la fois politique et poétique car, elle est
d'abord une mise en relation entre des mondes».
Le projet de l'Agrocité postule également une
participation active des habitants dans la reconquête de l'imaginaire
collectif et individuel. Le projet prévoit que « Les
constructions incluront {...} une série d'équipements autour de
savoirs faire et de dynamiques collectives et sociales
»119 . Une partie du jardin a été
pensé pour intégrer des espaces dédiés au partage
et à la mise en relations de mondes culturels divers. Les habitants
auront une grande liberté dans la définition de ces espaces et
dans l'animation de ceux ci. Comme nous l'avons souligné, l'AAA
développe ses projets autour de dispositifs purement techniques
(économie d'énergies etc..) associés à des
processus de transformation plus profonds. Ces équipements techniques
sont pourtant un pari en soi car les normes actuelles ne se prêtent
souvent pas à l'innovation écologique. De même les
équipements culturels produits par l'urbanisme moderne et la
réflexion sur la ville sont souvent encadrés dans un cahier des
charges très précis qui répond à une demande de
lieux très fonctionnels et relativement standardisés. A l'inverse
R-urban prends le parti d'intégrer une nouvelle forme
d'aménagement culturel.
116 Ibid.
117 « urban tactics ».
118 Ibid.
119 « AGROCITÉ | R-Urban », consulté le
29 août 2013,
http://r-urban.net/blog/projects/agrocite/.
48
Grâce à des lieux destinés
spécialement à l'échange comme « un café
associatif »120, une pièce pour le débat et les
projections, les habitants vont être à même de
définir le contenu, en accord avec les problématiques du projet,
de ces échanges. Avant la construction du bâtiment ces rencontres
avaient lieu dans la serre.
Ces espaces peuvent être le lieu d'une nouvelle
façon d'appréhender la vie en communauté tout en
s'orientant résolument vers une démarche de partage et de
renouvellement de la vie du quartier. Le projet R-urban pourrait devenir une
forme de pôle culturel où des savoirs très divers
s'agencent et se rencontrent. De même, lier les questions
théoriques avec l'expérimentation concrète est
indéniablement une innovation qui permet aux individus de se
réapproprier leur environnement et de prendre une forme de
contrôle sur la production et la compréhension du monde.
Cette approche innovante de la ville permettrait alors de
lutter contre le fatalisme et le manque de perspectives qui
caractérisent une partie de la jeunesse française, des beaux
quartiers comme des quartiers populaires: selon une étude «
les jeunes Français sont parmi les plus pessimistes de tous les
Européens. Ils n'ont pas confiance dans l'avenir et ils n'ont pas
confiance non plus dans les autres et dans la société en
général. » 121.
En effet ce parti pris par AAA de ré-enchanter la vie
grâce à des processus innovants de lien social et
d'expérimentation écologique, peut donner un sens à la vie
d'individus. Il est néanmoins important de ne pas placer trop d'espoirs
dans ce projet car il est contingent de nombreux paramètres. Par exemple
le retard de la livraison du chantier a considérablement grevé
l'activité sur le site et la légitimité du projet
auprès des habitants comme des acteurs institutionnels.
L'écosophie est une théorie dont les principes
ont guidé, consciemment et inconsciemment, l'action de l'Atelier
d'Architecture Autogérée depuis ses balbutiements. Pourtant elle
n'est pas un concept « clé-en-main » qui permettrait
d'appliquer des recettes toutes faites sur un projet ou de l'enseigner à
un groupe d'habitant. Elle est avant tout une problématique transversale
qui sous tend l'action et lui donne une direction à suivre, tout en
étant suffisamment poreuse pour être adaptée selon les
contextes locaux.
120 Ibid.
121 Olivier Galland, « La crise de confiance de la jeunesse
française », Études Tome 412, no 1 (28
décembre 2009): 31?42.
49
2. La production de subjectivité
2.1 La construction progressive d'une
subjectivité
La théorie écosophique postule un changement des
mentalités sur le long terme. Le dispositif qui peut permettre cette
transformation, unique pour chaque individu, est une mise en avant de la notion
de sujet par une réappropriation des normes et des valeurs
proposée par le système capitaliste.
Comme nous l'avons vu dans les parties
précédentes un des objectifs majeurs du projet R-- urban, et en
particulier de l'Agrocité, est la construction d'une subjectivité
ou du moins la suggestion qu'un autre monde est possible.
Nous nous pencherons ici sur la possibilité qu'offre ce
projet d'amener les individus à élaborer un autre rapport au
monde, une autre subjectivité, à partir de dynamiques de groupe
sur le temps long. L'utilisation du terme de subjectivité est
très fréquente dans l'oeuvre de F. Guattari, en résonnance
de celle de Gilles Deleuze122. En effet ce concept permet à
ces auteurs de mettre en avant la nécessité pour les individus de
s'approprier des « territoires existentiels » 123 face
à l'hégémonie d'une société qui cherche
à créer du consensus et qui, au final détruit les
identités non conformes.
Selon ces auteurs, chaque institution majeure de la
société (Etat, Ecole, Famille, Médias...) propose une
subjectivité qui peut aller à l'encontre de la liberté
individuelle.
En effet, l'étymologie de celui ci renvoi d'abord au
thème de la soumission124. Cet usage, toujours en vigueur a
peu a peu été remplacé par celui de l'expression d'une
opinion personnelle face à un fait dit « objectif». Pourtant
la soit disant objectivité revendiquée par les médias
comme par l'éducation nationale est un leurre125. En effet
l'objectivité absolue est impossible. Comme l'affirme F. Guattari :
« Un rejet systématique de la subjectivité, au nom d'une
mythique objectivité scientifique, continue de régner dans
l'Université. »126. Il apparaît
122 « Villani -- Sasso. Vocabulaire de Gilles Deleuze
».
123 Guattari, Les trois écologies.
124 « SUJET: Etymologie de SUJET », consulté le
2 septembre 2013,
http://www.cnrtl.fr/etymologie/sujet.
125 Manuel Castells, « Emergence des « médias de
masse individuels » », Le Monde diplomatique n°629, no
8 (1 août 2006): 16?16.
126 « Chaosmose / Félix Guattari », Le
silence qui parle, 11 juillet 2013,
http://lesilencequiparle.unblog.fr/2013/04/25/chaosmose--felix--guattari/.
50
dès lors essentiel de prendre position pour
défendre un point de vue, même si celui ci est
nécessairement biaisé.
La subjectivation est ainsi, pour ces penseurs, une condition
d'un positionnement sur le monde et globalement d'une transformation sociale
plus large. Ainsi chaque institution crée sa subjectivation pour les
individus, sans pour autant l'assumer.
Cette importance d'une re--subjectivation et d'une
territorialisation existentielles émane en effet de la critique d'une
société monochrome:
L'Etat est une « machine a dé--subjectiver, c'est
à dire comme une machine qui brouille toutes le identités
classiques »127 afin de les fondre dans un moule commun.
De même les « mass médias » sont un
outil très efficace pour produire une « subjectivité
collective »128 qui se refuse à mettre en cause l'ordre
établi. Selon F. Guattari les médias distancient les individus
des véritables questionnements qui auraient le pouvoir de transformer la
société en profondeur.
Il paraît dès lors indispensable de remettre en
cause le fonctionnement de ces institutions et leur but masqué pour y
substituer un véritable questionnement. Cette remise en question ne peut
être qu'intellectuelle et doit permettre un passage à l'action
autour d'objectifs communs.
La re--subjectivation apparaît ainsi comme une condition
sine qua none de l'émergence d'un nouveau système et de
modes de vie repensés. Celle ci doit s'inscrire dans des territoires
porteurs de transformations et d'espoir.
L'espace est ainsi un « lieu » incontournable de ce
changement. Dans son article « Une approche écosophique de l'espace
urbain », Ji--Eun Shin, anthropologue, écrit : « Dans cet
espace senti, vécu par le corps, l'homme s'unit à son
lieu de vie et construit sa propre réalité en articulant le
fonctionnel et le symbolique, le réel et l'imaginaire. Pour comprendre
cet espace, il nous faudrait nous rendre compte de l'expérience
unique que chaque homme vit dans ses rapports au territoire (rapport sensible,
de la contemplation à l'intuition) »129.
Ici chaque individu produit un rapport à l'espace qui
interfère sur son quotidien. On voit ici l'importance de la prise en
compte de la subjectivité des individus au travers de leurs
expériences sociales et sensorielles et dans leur relation à
l'espace et au monde.
127 Petcou et Petrescu, « Agir l'espace », 7 janvier
2008.
128 Guattari, Les trois écologies. p.20
129 Ji--Eun Shin, « Une approche écosophique de
l'espace urbain », Sociétés 119, no 1
(2013): 19, doi:10.3917/soc.119.0019.
51
Cette subjectivité se manifeste dans la création
d'un espace partagé et vécu. En effet, selon H. Lefebvre,
théoricien du droit à la ville, « l'espace de l'usager
est vécu, non pas représenté (conçu). Par rapport
à l'espace abstrait des compétences (architectes, urbanistes,
planificateurs), l'espace des performances qu'accomplissent quotidiennement les
usagers est un espace concret. Ce qui veut dire subjectif. C'est un espace des
«sujets» et non des calculs... »130. La
subjectivité passe en effet par une appropriation tangible de lieux
communs contre la rationalité de certaines planifications urbaines. Ce
constat de H. Lefebvre rejoint en plusieurs points notre analyse de
l'importance que revêt la participation des habitants à la
création des espaces de la ville et notamment celle de la maitrise
d'usage.
Cette conception de l'espace est un tournant majeur dans la
pensée du fait urbain.
H. Lefebvre revendique un pouvoir réservé
à l'habitant qui créerait son espace à partir de ses
gestes quotidiens. De même, Michel de Certeau, philosophe et historien
français du milieu du XXème siècle, dans son ouvrage
l'invention du quotidien: 1. Arts de faire, insiste sur le rôle de
l'individu dans la construction de son espace vital et la
réappropriation permanente des usages de cet espace131. Le
sujet est ainsi considéré comme un moteur de l'histoire à
même de redéfinir son habitat. Le terme de « sujet » met
en avant le caractère individuel de la démarche même si
celui ci s'articule avec les projets collectifs. Ces projets remettent en cause
de nombreux usages traditionnellement vécus au sein de la
société capitaliste et notamment l'individualisme qui y est
associé.
Ils peuvent devenir les relais d'autres façons
d'être au monde: « Les espaces « de l'agir » se
transforment en espaces interrogatifs du quotidien, de ses
potentialités, de ses blocages et de ses temporalités
imposées. Mettant en cause le fonctionnement
stéréotypé des espaces normés, ces espaces de
l'agir peuvent devenir des espaces de désapprentissage des usages
assujettis au capitalisme et de réapprentissage d'usages
singularisés, en produisant une subjectivité collective et
spatiale propre aux sujets investis. »132. Ici la
création d'espaces de remise en cause de l'idéologie capitaliste
rejoint la théorie écosophique et postule la mise en place d'une
« subjectivité spatiale » qui permettrait la
construction d'une identité propre à un lieu puis se diffuser
progressivement à un quartier. Le projet R-urban postule que
cette transformation est possible malgré tous les aléas qui
caractérisent la mise en oeuvre de tels
130 Petcou et Petrescu, « Agir l'espace », 7 janvier
2008.
131 Michel de Certeau et Pierre Mayol, L'invention du
quotidien, éd. par Luce Auteur Giard, 2 vol., Folio. Essais, ISSN
0769-6418 ; 146Folio. Essais, ISSN 0769-6418 238 (Paris, France: Gallimard,
1990).
132 Petcou et Petrescu, « Agir l'espace », 7 janvier
2008.p.104
52
projets. De même les problèmes rencontrés
au quotidien ( retards dans la construction, conflits entre les habitants,
délais de réception des subventions par exemple) peuvent
altérer considérablement la durabilité du projet sur le
temps long. Or les transformations en cours ne peuvent être que
pensées et articulées sur le long terme. Bien sur des changements
ont lieu au quotidien, mais ils ne s'intègrent véritablement dans
une trame et dans un cycle qu'en prenant le recul nécessaire.
Mais C. Petcou et D. Petrescu mettent en avant la
nécessité de prendre en compte ce changement sur le temps
long:
«L'« agir spatial » exige du temps. Il faut
donner du temps pour réinvestir activement l'espace; passer du temps sur
place, rencontrer d'autres gens, réinventer des usages du temps libre,
se donner de plus en plus de temps à partager avec d'autres. Suite
à ces « temps partagés » peuvent apparaître des
désirs communs, des dynamiques collectives, des projets à venir.
»133.
Cette question du partage de l'espace avec un autre fonde la
pratique de l'Atelier d'Architecture Autogérée car elle seule est
à même d'amener les individus à confronter leurs histoires
personnelles puis à la relativiser en prenant du recul sur leur position
dans la société. Michel Foucault a abordé cette question
« le pouvoir de juxtaposer en un seul lieu réel plusieurs
espaces, plusieurs emplacements qui sont en eux-mêmes
incompatibles »134 Ce sont des lieux qui créent une
forme de refuge pour les individus qui cherchent à exprimer leurs
différences, à se sentir libéré du poids du
contrôle social que peuvent revêtir certaines institutions
traditionnelles (associations, syndicats, groupes de pairs ou de
collègues etc...). Comme l'affirme Gilles Clement, certains lieux
forment ce qu'il nomme le tiers paysage135 : « un
territoire pour les multiples espèces ne trouvant place ailleurs».
En effet un espace prend sens avec les individus qui le peuplent, qui
l'habitent au fur et à mesure. Pour ses projets précédents
l'AAA a « initié des espaces autogérés
(comportant des jardins, etc), ou celles et ceux qui y participent peuvent
voir, tester, leur mise en relation avec les autres, les effets de leurs
actions, l'usage plutôt que la possession, des manières de
partager, la responsabilité vis-à-vis de ce qui est à
partager, etc... »
133 Ibid. p.105
134 Michel Foucault et Jacques Lagrange, Dits et
écrits, 1954-1988, éd. par Daniel Defert et François
Ewald, Quarto (Paris), ISSN 1264-1715 2001 (Paris, France: Gallimard, 2001).
135 Gilles Clément, Manifeste du Tiers paysage, 1
vol., L'Autre fable, ISSN 1765-761X 2 (Paris, France: Sujet-objet
éd., 2004).
En effet ces espaces peuvent devenir le creuset d'une nouvelle
prise de parole pour des individus qui ont des moyens d'expression
réduits et ainsi réveiller une envie de transformation du monde.
Selon Paul Ariès, un des penseurs majeurs de la décroissance :
« Il ne peut pas y avoir de socialisme gourmand sans appel à la
subjectivité, or la subjectivation requiert le langage, mieux, la prise
de parole. »136
Ce socialisme gourmand qu'il évoque serait une solution
à l'apathie des citoyens face à la politique. La parole et la
discussion sont les outils, selon lui, pour parvenir à une
re-politisation. Mais celle ci a besoin d'espaces pour se matérialiser.
Le projet R-urban, dans la lignée des autres projets d'AAA, est
créateur d'une dynamique qui peut accompagner l'émergence
d'ouvertures à la parole puis à un nouveau discours sur la ville
et la société, qui peut participer à la transformer:
« Par cette pratique des altérotopie translocales, nous pouvons
peut-être réintroduire « le politique » dans l'espace
quotidien. L'« agir » est toujours un agencement. »137
Comme l'a écrit K. Marx « les philosophes
n'ont fait qu'interpréter le monde, il s'agit désormais de le
transformer ». Ainsi, cette subjectivité doit
nécessairement être comprise comme une dynamique d'un groupe uni
par la solidarité, porteur de valeurs communes et d'une ouverture sur
l'autre, sur les différentes entités qui pourraient venir se
greffer à cet espace. Comme l'affirme les auteurs de l'article Agir
l'espace: « En surmontant la condition anonyme que nous retrouvons
habituellement dès que nous sortons de chez nous, nous pouvons
contribuer à résub- jectiver
l'espace.
|
À
|
un certain moment, il y a le risque de se contenter
de
|
53
cette dimension sociale retrouvée et de se limiter
à un cercle social local et fermé. Les espaces d'action que nous
développons restent, en effet, ouverts aux passages, aux croisements
avec des subjectivités et dynamiques venues d'ailleurs; à partir
du local nous oeuvrons à mettre en place et faire fonctionner des
réseaux spatiaux translocaux »138. Cette ouverture
sur l'autre est une des conditions nécessaires à un
développement sain et au refus d'une position xénophobe, ou refus
de l'étranger. En effet, il est important de souligner la
diversité qui coexiste dans ces espaces. Même si elle est
préexistante dans certains quartiers, ces espaces collectifs viennent
bousculer et mélanger les différents groupes qui n'ont a priori
pas ou plus de lieux pour interagir et échanger: « Ce sont, comme
dirait Guattari, « des foyers locaux de subjectivation
136 « Paul Ariès : un «socialisme
gourmand» pour en finir avec la gauche triste »,
bastamag.net,
consulté le 31 juillet 2013,
http://www.bastamag.net/article2273.html.
137 Petcou et Petrescu, « Agir l'espace », 7
janvier 2008.
138 Ibid. p.107
collective ».139
Au travers de cette partie nous avons vu un des aspects
fondamentaux de la théorie écosophique et la façon dont
elle peut transformer radicalement l'imaginaire commun et réinventer de
nouvelles pratiques pour construire la ville et le lien social. Comme nous
l'avons vu plus haut, le projet R-urban s'inspire de cette théorie pour
constituer un espace propice au partage et à l'action citoyenne qui
permette de redéfinir les cadres de la vie urbaine moderne. Quelles sont
ainsi les applications de la théorie écosophique que l'on peu
déceler dans le projet R-urban et quelles limites à cette
théorie?
2.2 Quelle application pratique et quelle limite pour
la théorie écosophique ?
Après avoir passé en revue les apports majeurs
de la théorie écosophique nous nous efforcerons de montrer les
possibilités de mise en pratique au travers d'exemples concrets puis
nous mettrons en avant les limites de cette théorie.
La théorie écosophique est très
intéressante pour aborder des nouveaux processus de construction de
subjectivité et d'hétérogénéité des
individus. Elle permet de faire cohabiter des problématiques très
éloignées en principe, le maraichage et la psychologie par
exemple, tout en donnant un cadre théorique et politique à
l'action. L'ouvrage Les Trois Ecologies, écrit par F. Guattari à
la fin de sa vie, annonce une renaissance de l'écologie politique. Bien
qu'il ait été écrit il y a près de vingt cinq ans,
ses thèmes et l'ambition affichée par son auteur est
éminemment contemporaine. Elle permet d'asseoir la reconquête
d'espaces physiques et mentaux abandonnés au rouleau compresseur de
l'idéologie capitaliste et néo-libérale. La critique
profonde des ressorts de la domination exercée à l'encontre de
l'individu et du citoyen sert une argumentation en faveur d'une
désaliénation de l'homme. Sans pour autant donner des
instructions précises qui permettraient de créer un
modèle, F. Guattari s'emploie à lier l'action avec la
réflexion en proposant un cadre de pensée susceptible de
redéfinir à la fois les relations interpersonnelles et le
fonctionnement global de la société en repensant ses valeurs.
54
139 Petrescu, « Jardinières du commun ».
55
Mais la problématisation écosophique de la
société, comme nous l'avons dit ne propose pas d'application
pratique, elle sert simplement de cadre de référence.
Néanmoins, à titre d'exemple,
l'expérience démarrée par Jean Oury puis rejoins par F.
Guattari, toujours en cours, de la clinique de La Borde donne un aperçu
passionnant de l'application de certains principes développés
dans des ouvrages antérieurs(LESQUELS). A la clinique de La Borde les
dispositifs psychiatriques qui ont habituellement cours pour « soigner
» les malades sont revisités pour permettre à l'individu de
s'accomplir tout en luttant contre ses tendances destructrices. En plus d'une
absence de hiérarchie au sein de l'équipe soignante comme entre
les soignés et soignants, le lieu est totalement dépourvu de
barrières qui pourraient empêcher la fuite. De nombreuses
activités artistiques et culturelles sont mises en place par les
pensionnaires et les soignants afin de créer une vie sociale intense et
de ré enchanter le quotidien malgré la maladie. De même
l'équipe soignante s'est toujours refusée le recours à une
médicamentation lourde par souhait d'éviter l'analgésie de
l'esprit des patients.
Le film de Nazim Djemaï, A peine ombre, apporte un
éclairage saisissant sur « la topographie des êtres qui y
habitent », en droite ligne du cinéma direct. Ces personnes
apprennent la vie en communauté en même temps que, pour certaines,
elles s'émancipent du poids de leur maladie au travers de l'art et du
jeu. Comme l'affirme l'auteur de l'article Actualité de Guattari : la
vie des idées: « Pour ce militant, qui est resté aussi
jusqu'au bout un psychanalyste, aucune pratique sociale et politique nouvelle
ne pourra être inventée sans prendre en compte l'inconscient, un
« inconscient machinique » dont les problématiques ne
relèvent plus exclusivement du domaine de la psychologie mais concernent
une « production de subjectivité » individuelle et collective,
qui ne peut jamais faire abstraction des « systèmes machiniques
» qui la traversent de toutes parts. »140 .
L'engagement des individus doit ainsi être le plus complet possible
si ils souhaitent transformer leur « inconscient ». La
métaphore machinique exprime la nécessaire transversalité
inhérente à la production d'une subjectivité. Elle montre
en quoi les individus, en participant à ces projets, s'engage, souvent
sans s'en rendre compte, dans un processus de transformation qui se veut
inclusif.
Cette expérience cruciale dans l'histoire de la
pratique psychiatrique apporte un éclairage saisissant des
possibilités et potentialités qu'offre une approche radicalement
novatrice d'un domaine éprouvé.
140 « Actualité de Guattari -- La Vie des
idées ».
56
R-urban pourrait être comparé, d'une certaine
façon à l'expérience de La Borde car le projet a
également été pensé afin de redéfinir les
cadres de l'action urbaine, architecturale et plus généralement
sociale au travers de projets novateurs.
Cette problématique est à mon sens une des
limites importante de la théorie écosophique. En effet la
société moderne et le système capitaliste ont
réussi à placer l'individu dans une forme de cadre dont il est
souvent impossible de s'écarter. Une fois les individus «
prisonniers » du rythme que leur impose le monde, renier un de ces aspects
revient souvent à se couper radicalement de la société.
Par exemple, le système de crédit à la consommation, qui
enchaine progressivement les personnes à un travail salarié qui
reviens à « perdre sa vie à la gagner».
Certains individus choisissent volontairement de « s'exiler »
pour changer le cours de leur vie et suivre un mode de fonctionnement plus sain
et cohérent avec leur présence au monde mais la plupart ne
peuvent prétendre s'éloigner de leurs conditions
matérielles d'existence pour embrasser un nouvelle vie.
Ainsi le projet R-urban et plus particulièrement le
dispositif de l'Agrocité vise à remettre en cause cette
équation pour proposer une alternative concrète aux
systèmes existants tout en restant connecté aux enjeux du monde
capitaliste. Les habitants, qui vivent chacun dans une situation
différente peuvent s'intégrer au projet sans renier leur mode de
vie, basé sur une économie de marché et un travail
salarial. Ces espaces ne peuvent en effet pour l'instant prétendre
transformer radicalement les conditions d'existence et se contentent de montrer
que d'autres valeurs peuvent régir des espaces. Mais comme nous l'avons
expliqué plus haut, très peu d'éducation a
été réalisée pour permettre la compréhension
de ces mécanismes. L'AAA ne s'implique pas dans une démarche
d'éducation populaire comme elle peut exister dans d'autres
réseaux. Ils envisagent plutôt ce processus comme un exercice
quotidien de démonstration qu'autre chose est possible, que d'autres
rapports de production entre les individus et au sein de la ville sont
possibles. Tout l'enjeu du projet est justement de permettre aux individus
d'inventer un autre système concurrent de l'existant afin de transformer
concrètement les conditions de vie et donner une intensité
nouvelle au monde. Nous verrons par la suite la difficulté qui
réside dans la mise en place d'un espace et d'un projet qui suscite une
telle prise de recul sur la vie moderne.
57
B) L'appropriation du projet par les habitants
1. Les enjeux d'une appropriation du projet
1.1 Quelle compréhension du projet par les
habitants ?
Après avoir détaillé les enjeux de la
production d'une subjectivité pour la théorie écosophique
et les implications possibles pour le projet R-urban et en particulier
l'Agrocité, nous allons nous pencher sur une partie fondamentale
à la compréhension globale de mon sujet. Il apparaît
très intéressant de comparer les vues des concepteurs du projet
de l'Agrocité avec la réalité au quotidien, sur le moyen
et le long terme. Comme nous l'avons vu, le projet R-urban, même si il ne
cherche pas d'emblée à révolutionner le fonctionnement
global de la société, entend néanmoins susciter «
une démarche susceptible d'apporter, à partir du micro, une autre
vision de la ville »141 tel que définie dans le
numéro 31 de la revue Multitudes, intitulé une micropolitique de
la ville: l'Agir Urbain, Doina Petrescu, Constantin Petcou et Anne
Querrien142. Cette autre vision de la ville s'établie
à partir de nouveaux dispositifs écologiques et d'un espace
collectif partagé co-construit et co-développé par les
habitants et l'association de l'Atelier d'Architecture Autogérée.
Dans le projet initial, tel qu'il a été présenté
par l'AAA aux décideurs politiques et à la commission de
subventions de l'Union Européenne, les questions relatives à la
crise écologique, sociale et économique sont très
présentes. En effet, cet espace veut, entre autres, constituer un relais
pour une prise de conscience sur l'urgence et l'importance des crises qui
traversent notre monde contemporain. Cette prise de conscience universelle est
à même de relier les individus entre eux, au travers de
discussions et d'actions concrètes. Celles ci suscitent une dynamique,
en amont comme en aval de l'évocation de cette problématique
environnementale.
Dans cette partie nous allons dès lors évaluer,
à travers l'utilisation et l'analyse d'entretiens longs menés
avec six habitants du quartier, usagers quotidiens ou occasionnels, de longue
date ou récemment arrivés sur l'espace de l'Agrocité,
l'impact de ce projet. Par impact nous entendons les répercutions du
projet sur les individus. Il ne s'agit pas de catégoriser en positif ou
négatif ni de voir si les objectifs affichés par les concepteurs
du projet ont été
141 Doina Petrescu, Anne Querrien, et Constantin Petcou, «
Agir urbain », Multitudes n° 31, no 4 (7 janvier 2008):
11?15, doi:10.3917/mult.031.0011.
142 « Multitudes Web - 32. Multitudes 31, hiver 2008 »,
31, consulté le 13 septembre 2013,
http://multitudes.samizdat.net/spip.php?page=rubrique&id_rubrique=932.
58
remplis, le projet n'en étant qu'a la moitié de
sa durée de vie et suivant de toute façon un processus de
très long terme. Il est plutôt question de relater et d'analyser
les conséquences de l'émergence de cet espace sur un groupe
limité d'individus. De même, prétendre à
l'exhaustivité est impossible car l'exercice de l'entretien est
nécessairement limité à un nombre réduit
d'habitants, non représentatifs de la diversité des opinions
existantes, dont les entretiens seront biaisés par ma présence et
les réponses données selon la compréhension des questions.
J'ai volontairement choisi d'interroger des habitants avec des parcours
différents afin de donner une image la plus complète possible en
fonction de mes moyens et de mon temps. Certains sont là depuis
près de deux ans et ont des parcelles depuis le départ, un couple
a une parcelle depuis peu et viens très régulièrement
tandis qu'une autre, qui habite le quartier depuis longtemps, vient juste de
connaître le projet de l'Agrocité. Il m'est malheureusement
impossible d'en dire plus sur leurs profils sans trahir l'anonymat que je leur
ai promis. Ces entretiens permettent de saisir la complexité des
processus à l'oeuvre et de comprendre la nature de l'implication des
habitants.
Lors de la confection de la grille d'entretiens, j'ai choisi
de questionner longuement les individus sur des thèmes qui me
paraissaient cruciaux par rapport au projet: leur compréhension du
projet global et de ses enjeux, leur place et leur rôle au sein du groupe
d'habitants, leur implication au quotidien comme sur le long terme et la «
capacitation » qui a pu en résulter143. Ces questions
rejoignent la théorie écosophique en ce qu'elles envisagent un
questionnement sur l'implication globale des individus.
Il est difficile de synthétiser ces entretiens sans
transformer la parole des habitants. Néanmoins nous pouvons dresser un
constat, un bilan, à partir de leurs expériences et de leurs
récits.
Les habitants interrogés sont dans la grande
majorité très satisfait de l'émergence du projet de
l'Agrocité et de la vie qu'il a apporté au quartier: «
c'est merveilleux »144 selon E., une enseignante qui n'a
pas de parcelle mais viens régulièrement acheter des
légumes. Tous ont été poussés par « la
curiosité » pour entrer dans cet espace bien que l'ayant tous
découvert à des époques et à des stades de
développement très différents, de « plus de 2 ans
»145 à « un mois
»146. En entrant chacun avait une idée sur les
origines et la nature du
143 Grille d'entretien, s. d.
144 Entretien anonyme avec E., s. d.
145 Entretien anonyme avec B., s. d.
146 Entretien anonyme avec E.
59
projet. Mais peu sont ceux qui connaisse, même
aujourd'hui, la réalité: « On comprenait pas trop
»147, « Au début je savais pas trop je
pensais que c'était la mairie et c'est après que j'ai compris
finalement que c'est l'association et que finalement c'est pas vraiment la
mairie.. euh... maintenant je penses pas que c'est la mairie mais je ne sais
pas trop.. On m'a dit que c'était un programme européen et
après je sais pas trop, je sais que c'est l'association pour les trucs
bio mais.. je sais pas trop.. »148. En effet la
majorité des habitants interrogés connaissent les principaux
acteurs institutionnels ( Mairie, association et Union Européenne) mais
l'incompréhension domine et les avis différent sur l'origine et
le fonctionnement (financement, prise de décision globale, chantier
etc..) de l'espace. Le manque ou la faible communication est pointé par
certains habitants: « j'ai cru comprendre que...
»149, « je pensais que »150
etc..
Pourtant un long panneau est affiché à
l'entrée de l'espace avec un schéma résumant le rôle
des principaux acteurs et les étapes du projet. Il apparaît donc
que les habitants sont surtout intéressés par les rencontres et
l'espace de sociabilité plus que par connaître et comprendre la
genèse du projet et les étapes de son développement.
De même, concernant les enjeux du projet et les
intentions explicites ou implicites des concepteurs, par rapport à la
lutte contre le changement climatique, la préservation de la
biodiversité ou la raréfaction des ressources fossiles, peu
d'habitants voient un rapport directe entre la conduite de ce projet et ces
questions d'écologie dont nous avons montré l'urgence: «
Pour toi l'Agrocité est reliée aux enjeux plus large comme le
changement climatique, la perte de la biodiversité, la
raréfaction des ressources ? Je sais pas, peut être que oui, ah
oui peut être. » 151. « Quels sont pour toi
les raisons de la mise en oeuvre d'un tel projet?: Pourquoi un tel projet ? Moi
je sais pas »152. Une autre cite l'enjeu de la
biodiversité sans aller plus loin: « Quels sont les enjeux de
ce projet ? Pour faire découvrir la biodiversité, j'en apprends
tous les jours, y'a des gamins qui viennent ici pour apprendre, ca me fait
plaisir de voir ca... vous essayez de faire découvrir aux personnes qui
ont leur parcelle et même les autres, le compost, le truc des
guêpes, vous voulez montrer que y'a pas que ce qu'on achète a
Leclerc
147 Entretien anonyme avec B.
148 Entretien anonyme avec A.
149 Entretien anonyme avec E.
150 Entretien anonyme avec C.
151 Entretien anonyme avec B.
152 Entretien anonyme avec D., s. d.
60
qui est bon.. » 153. On peut
dès lors observer un changement de mentalité quant au
système traditionnel où les habitants envisagent la
possibilité de fonctionner autrement. Même si les
thématiques évoquées par l'Atelier d'Architecture
Autogérée ne sont pas explicitement mentionnées, on
observe néanmoins une certaine prise de conscience qui se double d'une
envie de prolonger et de faire perpétuer ce projet: « Je suis
prête à me battre pour le projet »154.
En quoi ce lieu est il important pour les habitants?
Les habitants interrogés mettent en avant l'aspect qui
leur semble fondamental du lien social et expliquent la construction
progressive de leur attachement à cet espace. Selon eux ces rencontres
et cet espace partagé sont le vecteur d'un renouveau de la vie du
quartier: « je trouve que c'est bien que les gens soient plus unis...
les gens dans la rue sont trop pressés. Il faut vraiment avoir des
espaces comme ca.. Y'a des gens dans le métro ils se sentent
agressés quand tu leur parle, ici ça n'a rien à voir
»155. Cet espace commun fonde une
sociabilité particulière par rapport aux autres espaces plus
« institutionnalisés ». Pour l'instant certains habitants ne
se considèrent pas comme des amis mais sentent que des relations plus
profondes pourraient se nouer: « Est ce que tu rencontres souvent des
gens dans ta vie quotidienne ? Oui oui mais bon ca ne deviens pas des amis..
Avec les gens ici y'a un petit truc qui se passe entre nous..
»156. En effet, la plupart des habitants ont de l'estime
pour les autres membres du groupe qui viennent régulièrement. A
l'inverse, un des habitants interrogés a un ton très
méprisant vis à vis des autres personnes du jardin: «
Les gens que tu as rencontré sont ils du même monde que toi ? :
Non non pas du tout.. Y'a des gens intermédiaires, une personne
très cultivée et puis bon le reste c'est pff..
»157. D'autres professent un respect mutuel et
sont ravis de la diversité du lieu: « y'a des
nationalités différentes, réunionnaises et Martinique par
exemple... on a pas le même vécu c'est ca qui est très bien
»158. Une habitante analyse même le lieu en
termes psychologiques puisqu'elle affirme que le jardin qui libère la
parole évite d'aller chez le « psy » : « j'aime bien
le contact avec les gens je crois que c'est important parce qu'après
cette histoire de pas parler on est obligé d'aller voir le psy.. il faut
mieux faire le psy en groupe entre nous.. c'est presque comme a la
télé ou ils parlent devant tout le monde et ils sont pas capable
de parler entre eux.. il faut mieux parler avec son voisin ou quelqu'un en qui
on a
153 Entretien anonyme avec C.
154 Entretien anonyme avec A.
155 Ibid.
156 Ibid.
157 Entretien anonyme avec D.
158 Entretien anonyme avec B.
61
confiance que aller chez le psy.. Ici c'est un moyen pour
qu'on se parle.. on se parle de tout. »159. Ce lieu permet
ainsi aux individus de s'exprimer sur leurs problèmes personnels et de
partager leurs expériences de la vie dans ce quartier. Néanmoins
il est possible que le point de vue de cette habitante ne soit pas
partagé par tout le monde et moins par ceux qui ont plus de
difficultés à s'exprimer. Malgré cette joie
partagée et l'utilité sociale évidente de ce lieu, les
relations peuvent être conflictuelles, principalement autour de questions
pratiques d'organisation, comme la gestion de l'eau par exemple.
Pour autant la vision de la ville de la plupart habitants
interrogés semble avoir changé au contact avec ce projet:
« Ta vision de la ville à t'elle changé ? Ah oui parce
que les jardins dans la ville, c'est faisable je l'avais pas envisagé
avant. »160. « Je trouve que la ville a pas mal
bougé par rapport au jardin »161 « c'est
très agréable d'avoir un espace comme ca mais ca change pas ma
vision de la ville car c'est éphémère mais
évidement si ca durait et si ca se multipliait je serais la personne la
plus heureuse du monde »162. Ces habitants ont
mieux conscience des potentialités de ce jardin et du rôle qu'il
acquiert dans une ville comme Colombes. De même, la plupart se sentent
prêts pour défendre le projet: « je serais prête
à envoyer des lettres », ou encore « Si un jour la
mairie basculait ca me fait peur mais je suis prête à faire signer
des pétitions devant Leclerc pour qu'on garde cet endroit.. je l'ai
déjà fait plusieurs fois.. »163. Ainsi, dans
un temps limité, moins de deux ans, l'existence de ce lieu a
transformé la vie du quartier pour de nombreux habitants.
Pour la plupart il a véritablement apporté une
valeur ajoutée à leur quotidien, surtout en été
pour ceux qui ne sont pas partis en vacances par exemple. Il a donné une
forme de consistance à cette partie du quartier où les habitants
autrefois étrangers se côtoient et diffuse leurs relations
à différents lieu du quartier: le café, la boulangerie
etc.. Cette image d'un espace en construction, en train d'acquérir une
identité, contrevient à celle dénoncée par Michel
Certeau, citant une habitante de Rouen: « on y'a aucun endroit
spécial, à part chez moi ici y'a rien, rien de spécial,
rien de marqué, d'ouvert par un signe ou un conte de signé par de
l'autre »164. En effet, on pourrait dire à
l'inverse que ce lieu est devenu « quelque chose »
159 Entretien anonyme avec A.
160 Entretien anonyme avec B.
161 Entretien anonyme avec E.
162 Ibid.
163 Entretien anonyme avec A.
164 Certeau et Mayol, L'invention du quotidien. p.160
62
et que cet espace se gonfle peu à peu d'une histoire
particulière, identifiée au quartier et à ses habitants. A
cet égard, Michel Maffesoli, sociologue français, évoque
l'existence d'un « sensualisme local » qui définirait
la poésie d'un lieu et serait en même temps l'«
affirmation d'une solidarité de base qui unit ceux qui habitent dans un
même lieu »165. Cette solidarité est
renforcée ici par les évènements qui ont lieu presque
chaque semaine, sous la forme d'ateliers ou de réunions organisés
par les jardiniers eux mêmes comme le montre cette newsletter
insérée en annexe (Image 2).
Une habitante cite par exemple l'organisation d'une petite
fête alors qu'elle n'est arrivée au jardin que depuis quelques
mois: « quand je suis parti à la retraite ils ont tous
signés une carte, ca m'a fait plaisir on se sent bien accueilli dans le
groupe je trouve que c'est bien que les gens soient plus unis... ».
Avec la réception du chantier qui doit avoir lieu dès le 16
septembre, les possibilités d'initier ces évènements vont
se multiplier et amener une dynamique nouvelle au quartier.
Ce « désir d'altérité » est
rendu possible par l'existence de ces espaces. Les habitants engagent des
discussions et gèrent de fait une partie du lieu. Pour certains, une
reterritorialisation de leur l'imaginaire et de leur « désir
d'altérité » se produit. Les rencontres se font plus
facilement et le fait d'avoir des préoccupations communes, du moins
à l'intérieur du jardin, permet aux individus de se sentir
intégrés à un groupe.
Grâce à ces entretiens semi-directifs certains
habitants ont pu mettre en relief leur expérience au sein du jardin. Par
exemple une habitante s'est exclamée: « Ah tu m'en poses de ces
questions ! »166, sous entendu qu'elle n'avait pas vu
certains aspects du jardin comme je lui avais présentés. Cette
sous-partie nous a permis de comprendre certains processus de transformation et
les conséquences sur ce groupe d'habitant interrogé. Nous allons
désormais analyser les entretiens sous l'angle de la «
micro-politique ».
1.2 Un espace de débat : un lieu de
micropolitique ?
Une des vocations de l'Agrocité est également de
devenir un lieu de débat sinon d'échanges sur les thèmes
forts représentés par cet espace: agriculture sans pesticide et
sans pétrole,
165 Shin, « Une approche écosophique de l'espace
urbain ».
166 Entretien anonyme avec B.
63
changement climatique, lien social, alternatives
concrètes au système actuel etc.. On peut également
imaginer que le Recyclab et Ecohab deviennent des espaces à la vocation
et au rôle similaire.
L'Atelier d'Architecture Autogérée à
crée des lieux qui contribuent à la rencontre et à
l'échange pour les habitants. La présence de dispositifs
innovants, conçus avec les habitants suscite progressivement une
réaction et des discussions. Celles ci n'ont pas vocation à
créer automatiquement une prise de conscience par rapport à ces
enjeux mais bien à initier une dynamique de parole.
Comme l'explique C. Petcou et D. Petrescu : « Petit
à petit, nous avons pu relier les espaces
hétérogènes que nous construisions avec leurs usagers, en
suscitant des rencontres inhabituelles, des bribes de dialogue, du faire
ensemble, des contradictions en douceur; un apprentissage du politique par des
temporalités, des dynamiques et des contenus
hétérogènes ». Ces contenus
hétérogènes renvoient à la diversité des
approches et des cultures rassemblées dans un même espace et qui
doivent collaborer pour faire vivre et développer un espace. Comme nous
l'avons vu ce processus n'est pas exempt de conflits, inhérents à
chaque groupe humain amené à travailler en collaboration. Le
terme de « micropolitique » nous permet dès lors d'analyser
les processus à l'oeuvre en terme de conscientisation et
d'échanges potentiellement porteurs d'une « subjectivité
». Le concept de micropolitique est très parlant car il entend
faire la synthèse entre deux termes traditionnellement
éloignés. En effet lorsque j'ai évoqué « la
politique » avec les habitants interrogés, beaucoup se sont
défendus d'en parler: « Moi je parle pas de politique. Non mais
je veux die plus réflexion globale sur comment marche le monde, qu'est
ce qu'on peut faire pour améliorer ? Non, pas quand je suis là.
Moi c'est comme mes votes j'en parles jamais. J'évite d'en parler,
j'écoute ce qui se dit. »
A l'inverse, une habitante m'a affirmée: « Moi
j'aime bien la politique je suis dans un truc politique et j'aime bien qu'on
parle de certaines choses et j'aimerai bien que les gens au lieu d'avoir juste
des riches qu'on puisse tous vivre bien qu'on puisse se soigner etc.. ».
Elle affirme qu'elle « aimerais voir le vrai socialisme »
et pour elle ce projet pourrait permettre de commencer à faire
changer les mentalités : « Toi tu te verrais organiser des
débats des conférences pour faire changer les gens
d'opinions?
Oui bien sur mais ca va pas être évident faut
donner le temps au temps parce qu'il y a des personnes qui sont pas
habituées à discuter».
64
En effet, comme l'affirme C.Petcou et D. Petrescu dans
l'article « Agir l'espace » ce processus est long et implicite mais
il acquiert peu à peu une matérialité : « Par le
tissage quotidien de désirs, ces micro-pratiques spatiales introduisent
d'autres temporalités et d'autres dynamiques (plus longues,
aléatoires, collectives et parfois autogérées)
constituantes, ainsi des espaces en permanente transformation, des espaces
« auto-poïétiques ». Les « micro-pratiques
spatiales », évoquées ici dans le cas du projet Eco-box,
sont l'ensemble de ces évènements et actions qui constituent le
quotidien des participants au jardin et qui, sur le long terme forment une
trame de reconstruction d'une vie urbaine intense. Les espaces dits
auto-poïétiques (auto en grec: soi même et poiesis :
production) peuvent être définis ainsi: «
L'autopoïèse est le modèle d'organisation d'un réseau
dans lequel chaque composant doit participer à la production ou à
la transformation des autres. »167 . En appliquant cette
définition à l'espace qui devient le réceptacle d'une
dynamique de transformation globale à partir du désir des
individus.
La question de cette permanente reconfiguration des relations
entre les individus et de leur rapport au groupe est constituante de la
conscientisation politique.
Par politique nous entendons la prise en compte d'enjeux
transversaux et leur mise en débat par les habitants, qui
n'étaient pas sensibilisés à ces thèmes
auparavant.
Cette conscientisation peut permettre de mieux comprendre les
désirs des habitants et ainsi d'avoir une meilleure confiance en eux. Or
selon Gilles Deleuze: « L'inconscient, c'est une substance à
fabriquer, à faire couler, un espace social et politique à
conquérir {...} Pas d'éclosion de désir, en quelque lieu
que ce soit, petite famille ou école de quartier, qui ne mette en
question les structures établies. Le désir est
révolutionnaire parce qu'il veut toujours plus de connexions et
d'agencements. »168. Les désirs des
habitants sont à la fois multiples et complémentaires. Il ne
s'agit pas simplement d'envies par rapport à un dispositif en
particulier mais bien d'une vague de fond qui vienne d'abord mettre en avant la
possibilité même de désirer et de souhaiter autre chose que
ce qui existe déjà. En effet, l'espoir de pouvoir changer
durablement ses conditions d'existence est un préalable à
l'expression d'un désir. Ce fait est mis en avant par Ernst Bloch,
philosophe marxiste du XXème siècle. Dans son ouvrage le principe
espérance, paru en 1954, il met en avant la nécessité pour
les hommes « d'apprendre la dignité et l'espoir. L'existence de
chacun est jalonnée de désirs qu'il ne réalisera jamais,
car on arrache sans cesse à
167 « Encyclopédie de L'Agora |
Autopoïèse », Encyclopédie de L'Agora,
consulté le 11 septembre 2013,
http://agora.qc.ca/dossiers/Autopoiese.
168 Gilles Deleuze, Dialogues avec Claire Parnet
(Flammarion, 1995).
65
l'homme la croyance en la possibilité de les
réaliser. »169. Il est donc impératif de
remettre à l'ordre du jour la possibilité pour les hommes de se
réapproprier leur existence et d'influer sur le cours des choses. Mais
il ne faut pas oublier de définir les impératifs de cette
subjectivité: « Même les rêves les plus
insensés contiennent une vérité révolutionnaire
quand ils protestent contre l'inhumanité et l'humiliation. En chacun
sommeille un incendiaire. »170. Cet
impératif d'humanité doit guider l'action des hommes et leurs
désirs. De même, F. Guattari affirme qu'une « lutte
révolutionnaire sur le front du désir, c'est à dire sur
les objectifs d'une micropolitique du désir {...} devrait être
menée en parallèle par rapport aux autres politiques
»171. L'expérience en cours à
l'Agrocité peut ainsi être considérée comme une
tentative de répondre à ce besoin d'espoir en même temps
qu'elle est un essai de définition d'une subjectivité citoyenne.
Celle ci s'inscrit dans un processus qui lie les individus dans leurs
subjectivités individuelles afin de permettre l'émergence d'une
conscience transversale à de nombreuses problématiques comme
l'affirme F. Guattari : « Les valeurs ne prennent de portée
d'apparence universelle que dans la mesure où elles sont portées
par des territoires de pratique, d'expérience, de puissance intensive
qui les transversalement. »172.
Comme nous l'avons vu, certains habitants semblent prêts
à s'investir dans cette dynamique consciemment et les autres y sont
finalement impliquées malgré eux. Cette transformation du
quotidien change la vie de certains individus et leur perception du monde, que
cela soit par rapport à leurs occupations quotidiennes ou aux nouvelles
relations qu'ils tissent: « Pour toi ca a quel sens de faire tout ca ?
Je vais pas te mentir, ca m'occupe y'a pas de sens particulier mais c'est que
ca m'occupe »173, « Dans les traditions le savoir
faire on se complète »174, « Tu trouves
qu'elle a changée depuis qu'elle viens ici? Ouais dans le sens qu'elle
apprends, qu'elle s'occupe plus d'elle que des autres, c'était un de ses
plus gros défauts, par rapport a elle ou a sa santé, j'ai plus
l'impression qu'elle se prends moins la tête, j'ai l'impression de la
voir renaitre quelque part, elle a souvent le sourire, elle s'occupe plus
»175. Ce jardin peut dès lors devenir
un
169 « L'oeuvre majeur d'Ernst Bloch: Un hymne à
l'espoir et à la révolte », J--M Palmier: articles
redécouverts,
consulté le 14 septembre 2013,
http://stabi02.unblog.fr/2009/04/26/loeuvre-majeur-dernst-bloch-un-hymne-a-lespoir-et-a-la-revolte/.
170 Ibid.
171 Felix Guattari, « Intervention de Félix Guattari
au séminaire d'été de la Columbia University »,
juillet 1973,
http://www.revue-chimeres.fr/drupal_chimeres/files/23chi03.pdf.
172 « Chaosmose / Félix Guattari ».
173 Entretien anonyme avec C.
174 Entretien anonyme avec B.
175 Entretien anonyme avec C.
66
moyen pour s'évader en même temps qu'il peut
permettre de reprendre contact avec une certaine réalité
oubliée, par rapport aux traditions, à la mémoire et
à la relation des hommes avec la terre.
Comme le rappelle F.Guattari dans l'article l'An 01 des
machines abstraites : il faut « prendre le pouvoir là où
s'effectue d'ores et déjà ce qui se passe d'important, de
créateur dans n'importe quel domaine. Non pas dire « il faudrait
que », genre conversation de café du commerce, « ah si
j'étais au gouvernement voilà ce que je ferais», mais «
vous êtes déjà au gouvernement, vous occupez
déjà des postes très importants dans la micropolitique du
désir » ».176 La présence des habitants
au jardin et la construction sur le long terme d'une forme de conscience
politique à partir du désir. La question de la micropolitique est
donc essentielle en ce qu'elle réinterroge les rapports des individus
à la réalité de la politique, c'est à dire à
l'implication des individus à la vie de la cité et à la
marche du monde. Les limites de cette appropriation sont importants à
souligner.
2. Les limites de cette appropriation
1.1 La recherche-action et la distance entre chercheurs
et habitants
Après avoir analysé une partie des impacts du
projet sur certains habitants et abordé la question de la micropolitique
nous essayerons ici de comprendre les enjeux de la recherche-action pour le
projet R-urban et la distance qui peut s'installer entre les chercheurs et les
habitants.
En effet c'est un aspect crucial du projet R-urban qui
détermine également la conduite du projet. On peut lire sur le
site: « aaa dirige une recherche financée par le
Ministère de l'Écologie en lien étroite avec
l'implantation de la stratégie à Colombes, pour questionner,
analyser et orienter la mise en place des processus significatifs pour
l'ensemble de la stratégie: l'implication des acteurs économiques
locaux, les dynamiques `écolo-miques' créées,
l'éco-bénéfice des circuits courts, la
transférabilité de la démarche à différentes
échelles, etc. »177. Dès les
premiers projets, l'AAA a accompagné ses expériences d'un apport
et d'un recul théorique qui a permis d'asseoir les projets et de les
accompagner. En
176 Guattari, « Intervention de Félix Guattari au
séminaire d'été de la Columbia University ». P.8
177 « Recherche-action | R-Urban », consulté le
14 septembre 2013,
http://r-urban.net/recherche-action/.
67
effet le fait de pouvoir s'appuyer sur des auteurs et des
théories permet de prendre du recul sur les processus en cours et de les
inscrire dans une trame de réflexion transversale.
Ainsi, le projet R-urban repose à la fois sur le
principe de l'expérimentation et sur la recherche scientifique en
sciences humaines.
La recherche action est un concept développé
dans le « premier quart du XXème siècle » 178
par certains sociologues et philosophes de l'époque afin de faire
correspondre leurs théories avec une réalité sociale
observable. Sur le site R-urban on peut lire: « Dans le cadre d'une
recherche- action, le chercheur doit pouvoir s'inscrire dans une
démarche méthodologique qui vise à prendre en compte de
manière plus globale la situation--problème identifiée, en
appréhendant notamment ses dimensions économiques, politiques,
sociales, juridiques, environnementales mais également psychologiques
»179. La recherche-action dans le projet R-urban a
dès lors une implication très précise sur l'importance
d'une démarche globale aussi bien dans la pratique que dans la
théorie. Comme nous l'avons vu dans la partie précédente,
l'aspect psychologique est par exemple crucial car il détermine à
la fois la subjectivité et le degré l'implication des habitants
dans le projet.
Comme nous l'avons vu dans le cadre de
l'expérimentation de F. Guattari à la clinique de La Borde, la
recherche-action est un concept clé pour de nombreux penseurs dont l'AAA
se revendique. En effet cette méthode permet d'effectuer un aller-retour
entre théorie et pratique, l'un et l'autre se renforçant
mutuellement et créant une synergie positive.
Dans le cadre de mon stage j'ai pu approcher cette notion et
ses implications pour le projet à plusieurs titres. D'abord j'ai
assisté au séminaire organisé par AAA en juillet. Ce
séminaire a réuni une dizaine de chercheurs qui sont pour
certains associés depuis longtemps à l'action d'AAA et
s'intéressent de près à ses développements. Ce
séminaire a débuté par une présentation des
avancements du projet R-urban par C. Petcou et D. Petrescu afin de permettre
à chacun de mieux saisir le processus en cours. Ensuite une
présentation détaillée des projets auxquels ces chercheurs
ont été associés était programmée. Chacun
avait un parcours universitaire très riche assorti d'expériences
très intéressantes. Ces chercheurs viennent de pays
différents (Australie, Afrique du Sud, Allemagne, Royaume Uni etc.) et
le séminaire s'est déroulé en anglais, au Recyclab.
Après
178 René Barbier, « Historique de la R-A par
René Barbier », text,
http://biblio.recherche--
action.fr, consulté le 14
septembre 2013,
http://biblio.recherche-action.fr/document.php?id=194.
179 Marlène Dulaurans, « Une recherche dans l'action:
le cas d'une CIFRE en collectivité territoriale »,
Communication & Organisation n° 41, no 1 (15 avril 2013):
195?210.
68
ces présentations une forme de table ronde à
permis à chacun de s'exprimer sur les différents thèmes
abordés et de poser des questions aux chercheurs présents. Un
seul chercheur a quelque peu critiqué l'action de AAA sur le projet
R-urban tout en restant très superficiel sur ses commentaires.
Le jour suivant, une discussion plus pragmatique a pris place
le matin à l'Agrocité. Des tables thématiques ont
été installées et les groupes se sont répartis
selon les thèmes proposés (Agriculture urbaine, modèle
économique, gouvernance sociale du projet, Recyclab). Des discussions
d'une heure environ ont donc pris place pour ensuite échanger entre
groupes. Ces tables rondes ont pour but de permettre aux individus de
confronter leurs points de vue tout en produisant une somme d'avis
éclairés sur le projet R-urban. Ces entretiens par table et la
discussion qui a suivi ont été enregistrés. J'ai ensuite
participé à la retranscription de ces débats.
Des habitants étaient présents, certains
répartis entre les tables. Plusieurs faits ont retenu mon attention
quant à la distance qu'il pouvait exister entre les chercheurs et les
habitants. D'abord le grand obstacle de la langue. En effet, peu d'habitants du
quartier parlent anglais. Dans le cadre de telles discussions, cet obstacle est
assez rédhibitoire. A ma table, j'ai du traduire la plupart des
échanges, d'autant plus que l'habitant présent, S., était
très sollicité sur ses réactions par les chercheurs,
intéressés par comprendre le point de vue d'une personne
fréquentant le quartier depuis son enfance et ayant une parcelle dans le
jardin. En effet, les chercheurs, malgré la présentation du
projet et quelques témoignages sont loin de connaître la vie du
quartier et les réalités quotidiennes de la population. Il est
ainsi difficile pour eux d'appréhender ce a quoi peut ressembler la vie
au jardin et les enjeux concrets que ce projet soulève. Evidemment ils
ont une autre approche du lieu, plus basée sur les écrits
théoriques et les différentes expériences auxquelles ils
ont pris part depuis le début du projet.
D'autre part la distance entre les habitants et les chercheurs
se révèle dans leur approche éloignée de la
compréhension du projet. En effet la grande majorité des
habitants n'a pas de formation en sciences humaines et n'a donc pas
accès aux mêmes outils conceptuels et de réflexion que ces
chercheurs.
La recherche action tente de combler ce vide et ce manque qui
existe dans les relations entre chercheurs et individus participants à
des expériences pratique: « La recherche-- action suppose une
conversion épistémologique, c'est à dire un changement
d'attitude de la
69
posture académique de chercheur en sciences
humaines »180. Ce changement d'attitude doit
permettre de concilier les impératifs théoriques avec une
approche pratique exigeante: « Lorsque la recherche--action devient de
plus en plus radicale, ce changement résulte d'une transformation de
l'attitude philosophique du chercheur concerné à l'égard
de son propre rapport au monde. »181.
En effet dans de nombreux cas, les chercheurs étudiant
des populations dénoncent les problèmes rencontrés et
encadrent leur réflexion dans une analyse systémique qui pourrait
permettre aux individus de comprendre certains rouages du système. Le
film documentaire de F. Dansereau Les porteurs d'espoir explore cette dimension
à travers une nouvelle méthode pédagogique qui entend
replacer la pratique dans l'approche théorique habituellement de mise
à l'école182. De même, l'expérience
d'Université Foraine initiée par Patrick Bouchain, souhaite
créer une connexion forte entre l'expérience pratique et
l'apprentissage théorique. Mais outre certaines expériences
prometteuses ces deux mondes restent très déconnectés. En
effet, en général ces ouvrages restent entre les mains des
chercheurs et les relais pour « atteindre » les individus qui
subissent réellement ces situations sont très peu nombreux. De
même, les individus n'ont souvent pas le vocabulaire ou les outils pour
comprendre certaines notions scientifiques.
De ces décalages entre habitants et chercheurs,
découle une forme d'incompréhension entre les enjeux
envisagés par les concepteurs du projet R-urban et les personnes
utilisant l'espace au jour le jour. Pourtant au fil du temps cet écart
viendra surement à se réduire au fur et à mesure que les
habitants s'investiront dans le projet et participeront aux projets
d'éducation citoyenne par rapport à l'agriculture urbaine, les
énergies renouvelables etc. Les habitants, comme dans les autres projets
de l'AAA, s'approprient progressivement l'espace.
180 Barbier, « Historique de la R-A par René Barbier
».
181 Ibid.
182 « Les porteurs d'espoir »,
NFB.CA, consulté le 15
septembre 2013,
http://www.onf.ca/film/porteurs_despoir/trailer/les_porteurs_despoir_bande-annonce.
70
1.2 Les autres formes d'appropriation et le risque
d'une non-appropriation
Comme nous l'avons vu tout au long de ce travail de recherche,
l'appropriation du projet par les habitants, que ce soit grâce à
la participation ou par leur implication directe, est une condition au
fonctionnement du projet. Sans habitants le lieu ne peut se transformer en
espace, il n'acquiert pas une identité concrète et ne permet pas
d'apporter un changement à la vie du quartier.
La participation et l'implication des habitants sont
dès lors censées apporter l'énergie nécessaire au
projet et à son développement.
La capacitation d'un groupe d'habitant restreint au
départ amène ce groupe à s'étendre et ses pratiques
à se disséminer. C'est à dire que le groupe, à
chaque étape de sa constitution, agrège de nouvelles personnes
qui gravitent peu à peu « autour » du projet et viennent
renforcer sa légitimité et alimentent le processus identitaire.
Néanmoins nous avons vu que l'appropriation est très relative et
propre à chacun à partir du moment où chaque personne
semble construire sa ligne et son identité par rapport au jardin. En
effet, au fur et à mesure de la constitution du projet chaque individu
trace un chemin, chacun s'intègre selon ses disponibilités et son
envie de participer. C'est à ce moment là qu'un groupe solidaire
peut émerger car chaque individu développe son activité et
une forme de « point de vue », début de subjectivité,
sur le processus en cours, en apportant, implicitement ou explicitement sa part
à « l'édifice ».
Par exemple, le thème de l'art dans le jardin est une
forme d'appropriation, qui n'a pourtant pas un rapport direct avec les enjeux
écologiques pensés par les concepteurs. Peu après mon
arrivée, une habitante a commencé à installer des
sculptures fabriquées chez elle à partir d'objets éparses
sur les parcelles et la pergola.
L'ambiance du jardin s'est trouvée transformée.
Les autres personnes réagissent à la présence de ces
objets et à la sensibilité qui y semble associée.
D'abord d'autres habitants ont commencé à
afficher des photos et des objets. Chacun apprécie plus ou moins les
nouveaux objets mais c'est le partage de l'espace qui se joue ici.
L'appropriation se joue donc également à ce niveau, de la gestion
de l'espace dans toutes ses formes. Ensuite les habitants sont témoins
de ces changements et interrogent leur rapport à l'art et à la
sensibilité qu'ils peuvent déployer dans cet espace. L'habitante
a
71
également apporté des poèmes qu'elle lit
parfois en public. Ce sont des poèmes sur le jardin et ce qu'il apporte
à la ville et à son quotidien face au grisâtre des
bâtiments:
Un jardin, une ville, du béton
Une fleur devant la tour Z
D'ailleurs pourquoi Z
Des immeubles partout entre la crise et la pierre
Une parcelle 1m25 sur 2m
40 parcelles alignées comme des tombes!
Est ce les gens qui meurent ou la vie qui renait ?
Et puis un sourire, deux, trois,
Pleins d'enfants qui peut être ne partiront pas en
vacances
Les vacances c'est ici, on pourrait se croire à la
campagne
La simplicité dans la ville,
Simple illusion ou réalité?
Voir juste une graine pousser c'est déjà
attendre demain
Ce qu'elle deviendra, et nous?
Rencontre insolite, citoyenneté, voyage,
convivialité!
Récolter le fruit de son travail,
A quel prix!
Mais aussi communiquer,
Chercher ce qu'il manque à la ville,
Juste un peu d'espoir, la tolérance,
L'amitié, les rencontres.
Peut être cela ne pourrait être qu'une
Illusion puisque ce projet ne doit pas perdurer
Lorsque l'on plante une graine, nous devons attendre la
récolte,
Attendre les semences et récolte encore
Le bonheur et la vie. 183
Cette subjectivité implicite et explicite apporte une vie
intense au jardin et suscite des interrogations et des affirmations de la part
de tous. Cette approche citoyenne permet de
183 « Texte B. 1.pdf », consulté le 17 septembre
2013,
72
réaffirmer l'assertion de Martin Heidegger, philosophe
allemand de la fin du XXème siècle : « L'homme habite en
poète »184.
La question de l'art est ainsi cruciale. L'article du Monde
diplomatique de juillet 2013, Art et politique, que l'action redevienne soeur
du rêve écrit par Evelyne Pieiller traite de cette question d'un
art qui se définirait lui même comme engagé185.
Or l'art est rarement porteur de changement en soi, il est plutôt un
moyen de construire un nouveau rapport au monde.
En effet, chacun reçoit les oeuvres selon son histoire
et sa perception, il est donc illusoire de vouloir créer un art qui soit
libérateur en soi. L'art est dès lors un des thèmes
transversaux qui redéfinit la notion d'écologie pour
l'intégrer à un ensemble plus large d'attitudes et de rapports au
monde qui peuvent susciter un changement. Comme l'explique F.Guattari :
« La créativité intellectuelle et artistique, comme les
nouvelles pratiques sociales, ont à conquérir une affirmation
démocratique qui préserve leur spécificité et leur
droit à la singularité. » 186. En effet un
véritable processus démocratique se construit grâce
à une action transversale dans les buts comme dans les moyens. Ces
dispositifs doivent conquérir des lieux de pouvoir au sein de la ville
comme dans la communauté des habitants.
La notion d'appropriation a ainsi de nombreuses limites en ce
qu'elle n'inclut pas certains dispositifs mis en place par les habitants, qui
visent à transformer la conscience collective et à rendre
possible des aménagements urbains autogérés. Il faut ainsi
prendre du recul quant à la notion d'appropriation car elle risque
d'occulter les autres processus en cours. Les risques d'une non-appropriation
sont très faibles face à la diversité des approches
proposées par les habitants. Il est donc important de ne pas se
focaliser sur l'apprentissage brut de notions relatives à
l'environnement ou sur la capacité des habitants à relater un
processus décisionnel ou encore sur leur habileté a exposer les
principaux enjeux du projet.
De même lorsque l'on explique et que l'on communique
autour du projet R-urban il est difficile de faire comprendre la
différence entre un jardin partagé classique et
l'expérience menée à Colombes. Même si la
différence paraît pour l'instant mince, le véritable enjeu
du
184 Shin, « Une approche écosophique de l'espace
urbain ».
185 « Art et politique, que l'action redevienne soeur du
rêve, par Evelyne Pieiller (Le Monde diplomatique) »,
consulté le 15 septembre 2013,
http://www.monde-diplomatique.fr/2013/07/PIEILLER/49338.
186 « Chaosmose / Félix Guattari ».
projet est de pouvoir créer une dynamique positive
entre les trois unités et c'est véritablement cela qui fera la
différence avec d'autres projets moins ambitieux.
73
Conclusion
A partir ce travail de recherche nous avons pu comprendre les
enjeux du projet R-urban et leur connexion avec les multiples crises qui
traversent notre société. Toutes ces crises sont reliées
à la question des modes de vie et du système économique et
social qui régit notre société.
Afin d'apporter des solutions concrètes aux
défis que posent ces problématiques il convient de
réinterroger les notions qui ont prévalu a la construction de la
ville moderne.
Les questions d'appropriation et de participation des
habitants apparaissent cruciales pour de nombreux politiques et responsables
des politiques relatives à la ville. De même, de multiples
initiatives lient participation des habitants et transformation des processus
de construction de la ville. Par exemple, le collectif ETC187 porte
une réflexion et une action profonde sur l'espace public et sur la ville
à travers celui ci. De même, Patrick Bouchain, au travers de
l'Atelier
187 « Collectif Etc, | Architecture, espace public et
urbanisme participatif. Vers une fabrique citoyenne de la ville. »
74
Construire met en place des dispositifs culturels qui
transforment la ville et les relations entre les individus prenant peu à
peu possession d'espaces en devenir188 189.
Mais, bien que de nombreuses initiatives, essentiellement
associatives voient le jour l'on peut, comme la Revue Mouvement douter de
l'avenir et de ce processus :
190
Le projet R-urban, qui s'inspire des projets menés dans
d'autres espaces par l'AAA, envisage cette reprise en mains citoyenne de la
ville à travers tous les dispositifs que nous avons décrits dans
ce travail. Ce processus ne pourra s'effectuer qu'a condition de l'envisager
dans une perspective transversale : « Quoi qu'il en soit, les
intellectuels ne devraient plus être sollicités de s'ériger
en maîtres à penser ou en donneurs de leçon de morale, mais
à travailler, fût-ce dans la plus extrême solitude, à
la mise en circulation d'instruments de transversalité.
»191. Celle ci est indispensable sans quoi une situation
de crise globale ne peut être combattue. Il est ainsi primordial de
créer des instances de transformation globale qui peuvent prendre de
nombreuses formes.
En effet, comme l'affirme Felix Guattari : de nouveaux
types d'instances de concertation, d'analyse, d'organisation devront être
expérimentés; peut-être d'abord à petite
échelle et plus largement ensuite. Si le mouvement écologiste,
qui se présente en France aujourd'hui sous un jour si prometteur, ne
s'attelle pas à cette tâche de recomposition d'instances militante
(dans un sens tout à fait nouveau, c'est-à-dire d'agencements
collectifs de subjectivation) alors à n'en pas douter, il perdra le
capital de confiance dont il se trouve investi, les aspects techniques et
associatifs de l'écologie étant récupérés
par les partis traditionnels, le pouvoir d'Etat et l'éco-business. Le
mouvement écologique devrait donc, à mon sens, se
préoccuper en priorité de sa propre écologie sociale et
mentale. ». Comme nous l'avons évoqué, ces espaces
alternatifs de la ville permettent une conscientisation nouvelle des individus
au travers de
188 Patrick Bouchain, Construire autrement: commentfaire?, 1
vol., L'impensé [Texte imprimé] / sous la direction de
Patrick Bouchain et Claire David. - Arles : Actes Sud, 2006- (Arles: Actes Sud,
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189 « L' U N I V E R S I T É // F O R A I N E - A
l'instigation de Patrick BOUCHAIN », consulté le 16 septembre 2013,
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190 Bourdeau et al., « Éditorial ».
191 Guattari, « Intervention de Félix Guattari au
séminaire d'été de la Columbia University ».
75
la rencontre et de la production de dispositifs
inédits. Bien que ces mouvements oeuvrant pour un changement des
mentalités soient ouvertement apolitiques, ils s'appuient sur des
réseaux qui mobilisent de nombreux élus et personnels
administratifs. Certaines mairies sont plus ouvertes que d'autres à
accueillir et soutenir ces projets. Ainsi les porteurs de projets peuvent finir
par dépendre des échéances municipales pour mener à
bien leur projet. C'est pourquoi de nombreux militants de la ville sont
dubitatifs sur la capacité de ces projets à remettre
fondamentalement en cause les manières institutionnelles et
héritées de construire la ville. « Les groupes qui
m'intéressent sont ceux qui cherchent à construire des
alternatives concrètes en marge du système dominant, sans
chercher un dialogue avec des instances qui n'ont aucune volonté de
changement. ». 192Pourtant des projets inspirants comme
ceux menés par Lucien Kroll, architecte belge du XXème
siècle, montre qu'il est possible d'établir une forme de rapport
de force avec les pouvoirs publics et les bailleurs privés pour amorcer
une mutation des manières de construire. Ces manières de faire
participer les futurs habitants et de refuser la rationalisation à
outrance imposée par le système économique met en
évidence l'importance de considérer l'humain dans les projets
urbains. Quant à l'environnement mon opinion est que les processus se
ressemblent et fonctionnent selon le même mode opératoire. Il faut
impliquer les habitants en remettant en cause la doxa de la consommation et de
la rationalité. La spontanéité doit primer.
Comme l'affirme Anne Querrien : « il s'agit de donner
du développement écologique des lignes de travail qui sortent des
comportements stéréotypés déjà largement
balisés, dont la clarté n'a d'égal que l'incapacité
à leur donner consistance sur le terrain. Il s'agit de donner de la
transition écologique une ou des représentations à la fois
dynamiques et floues, mobilisatrices. Des représentations qui
s'éloignent du modèle essentialiste et quantitatif de Bedzed,
pour épouser les contours d'expériences pour lesquelles l'habitat
ne sera pas forcément le premier vecteur du changement. D'autres
pratiques d'organisations festives, d'apprentissages mutuels, de promenades,
d'agricultures, de gestions des déchets peuvent se rencontrer sur la
route de ce commun en construction »193. La
question de l'appropriation et de la participation des habitants est dès
lors centrale dans cette production du commun:
« Au--delà des revendications
matérielles et politiques émerge l'aspiration à
une
192 « L'autonomie alimentaire, dans une perspective
décroissante radicale -- Mouvements », consulté le 25
septembre 2013,
http://www.mouvements.info/L--autonomie--alimentaire--dans--une.html.
193 Anne Querrien, « Territoires et communautés
apprenantes », Multitudes 52, no 1 (2013): 45,
doi:10.3917/mult.052.0045.
76
réappropriation individuelle et collective de la
production de subjectivité. » Ainsi que nous l'avons vu celle
ci passe par une production de subjectivé qui permet de se
réapproprier des symboles et d'accompagner des processus de
transformation individuels qui ont nécessairement un impact sur la
communauté. C. Petcou et D. Petrescu affirment « La
liberté d'agir correspond à la capacité de transmettre (un
projet, une action, un mouvement...) mais aussi à celle d'interrompre,
de mettre en suspension, d'introduire un intervalle (auto)critique dans un
par-- cours subjectif. »194. Cette transmission
du projet paraît essentielle aussi bien par sa dimension sociale que par
sa potentialité mobilisatrice des individus. Si ceux ci se reconnaissent
dans une communauté une nouvelle approche de la société
peut s'amorcer car il y a une conscience d'intérêts communs.
Dans mon approche de la vie en commun et de la
compréhension des enjeux du projet par les habitants j'ai pu
appréhender certains processus de transformation. L'analyse de ces
dynamiques me parait fondamentale pour la suite du projet et les
évolutions à venir. De même la possibilité pour les
habitants de s'exprimer sur leurs relations à l'écologie,
l'urbanisme et la ville, leur appropriation du projet et les
potentialités de leur implication dans celui ci est très
positive. Cette analyse de leurs désirs est une condition de la
continuation du projet dans le sens ou elle amène une prise de recul de
tous, aussi bien des habitants que des salariés de l'association. En
outre, en écho à une phrase de Michel de Certeau, « en fait
la mémoire c'est l'anti--musée, elle n'est pas localisable
», je dirais que les désirs ne sont pas localisables non plus et
qu'ils forment des territoires informels où les individus se
reconnaissent et agissent ensemble.
Mais mon approche parcellaire et partielle ne peut
évidemment prétendre à l'exhaustivité. Une des
limites de mon travail est évidemment le manque de temps pour
réaliser plus d'entretiens et permettre ainsi à de plus
nombreuses personnes de prendre du recul sur leur rôle et leur action au
sein du jardin.
Bien que le projet m'ait permis d'apprendre beaucoup sur le
montage d'un projet et les enjeux de la participation et de l'appropriation des
habitants, je n'ai pas eu le sentiment d'utiliser tout mon potentiel
malgré la mise en oeuvre la plupart des compétences que j'ai
acquises lors de ma formation (compréhension du jeu d'acteurs,
participation des habitants, enjeux et réalité du montage d'un
projet). Outre ma participation à un séminaire
194 Petrescu, Querrien, et Petcou, « Agir urbain ».
de recherche de deux jours et à l'inauguration de
l'Agrocité et du Recyclab, je n'ai pas eu le temps de trouver ma place
dans ce projet.
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(outils, matériaux) et de création (ébénisterie,
marqueterie, vannerie, vitrail...), de la documentation. »
L'Établisienne, un lieu pour rénover, fabriquer,
réparer, personnaliser... à Paris: atelier en libre-service,
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ANNEXES :
Annexe 1 : Images du projet
Image 1 Photo de l'Agrocité en juin 2013
:
86
Image 2: Newsletter Juin/Juillet
La newsletter qui paraît tous les deux mois environ
informe des évènements du jardin et de certains liés au
quartier.
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Image 3 :Recyclab terminé.
Image 4 : « Toilettes sèches et ferme de
lombri--compost »
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Image 5 : Espace de stockage
ANNEXE 2 : RETRANSCRIPTIONS D'ENTRETIENS.
Retranscription entretien 5/08/13
Activité professionnelle: Enseignante
INTRO - DECOUVERTE DU PROJET
- Qu'est ce qui t'as poussé à entrer dans cet
espace la première fois?
C'est la nature. Je viens souvent faire mes courses chez leclerc,
originalité du projet. je suis curieuse de nature
le fait que vous fassiez des cultures, je me suis dit que je
pourrais trouver qq chose qui correspondrait à mes besoins.
Je vais pas chez leclerc acheter mes legumes, je vais dans des
marches bio, jusqu'a paris et c'est tres cher. Je vais aussi chez demeter,
naturalia mais ils font parti du groupe monoprix..
- C'était il y a combien de temps?
Pas longtemps ( 1 mois), j'ai lu que ce projet existait dans
Mosaique ( journal du quartier).
- Comment as tu perçu le projet au départ ? (
Monté par les habitants/la mairie / une asso ? )
J'ai cru comprendre qu'il s'agissait d'un projet associatif maius
que la mairie avait donné son aval mais que c'est un projet ephemere,
c'est ce qu'on m'a expliqué.
RENCONTRES
- Qui as tu rencontré ? ( des gens proches, des
voisins?)
les gens du jardin, je ne les connaissais pas, y'a une personne
qui habite pres de chez moi. Les gens sont accueillants.
- Est ce que tu rencontres souvent des gens dans ta vie
quotidienne? Oui, ca m'arrive tout le temps. je fais du velo.
activités culturelles.
IMPLICATION
-Combien de fois viens tu par semaine ? Combien d'heures en
tout environ?
Je ne viens pas régulièrement, je viens pour voir
si quelque chose à poussé, je suis pas au courant des
activités, je n'ai pas internet..
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- Est ce que tu as déjà aidé ou
planté hors de ta parcelle?
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Non mais j'ai aidé en ecoutant mais personne ne demande
d'aide - Ta vision de la ville à t'elle changé?
Non mais c'est tres agreable d'avoir un espace comme ca mais ca
change pas ma vision de la ville car c'est éphémère mais
évidement si ca durait et si ca se multipliait je serais la personne la
plus heureuse du monde mais tant que c'est pas le cas je me retiens je veux pas
être déçue. ( explication du principe de l'asso et de la
possibilité de deplacer le projet) : c'est merveilleux
- Est ce que tu parles du projet et de ton implication autour
de toi ? Si oui, à qui?
Aux gens qui habitent a cote de chez moi
-Est ce que tu aurais envie de voir d'autres projets de ce
type émerger? Evidemment
PERCEPTION/VISION du projet
- Pourquoi ici à Colombes?
C'est une chance, on a un maire ouvert, mais est ce que e sot les
habitants ou est ce que ce sont les habitants ? qui a initie le projet?
- Les objectifs du projet de l'Agrocité ?
Amener des jeunes, les impliquer, jusque la ce sont des femmes
beaucoup - Quels sont les enjeux de ce projet?
Sensibiliser les gens à l'écologie, à la
réduction, faire en sorte que les gens comprenent qu'il y a un enjeu.
On nous dit qu'il faut trier par exemple mais on n'a pas
d'endroits ou apporter le compost par exemple.
J'aimerais bien qu'il le fasse faire dans les immeubles parce
qu'on deviens plus sensbile avec tout ce qu'on fait, on devient plus sensible
avec ses mouvements etc..
On deviens plus conscient, dans les résidences etc ,
j'aimerais bien qu'ils amenent des moutons.. Je suis tres sensible aux
nuisances, ils viennent tondre l'herbe avec des machines et c'est
insupportable.
je suis pour l'écologie mais je ne peux pas non plus me
limiter à la ville.
Est ce que ce projet il a un rapport avec le changement
climatique?
Je ne sais pas parce que c'est pas moi qu'il lai initié,
j'ai pas participé à des reunions etc donc je ne sais pas
exactement quel est votre but donc e sais pas d'ailleurs ce serait bien de
faire des réunions d'information etc..
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-- Quelle est ton opinion sur l'agriculture biologique ?
Depuis quand as tu cet avis ? Si c'est depuis ton arrivée au jardin
qu'est ce qui t'a fait changer?
J'ai toujours été favorable, ca fait des
années que je suis bio, c'est deconcertant on nous dit que le bio n'est
pas bio etc.. mais ce qui me gene c'est que le bio c'est pas a la portee de
tout le monde, c'es tres cher...
-- Est ce que tu crois en la capacité d'un groupe
d'habitants comme le vôtre de créer des projets comme celui ci ?
ces projets peuvent ils transformer durablement la société et les
relations entre les individus?
Oui mais déjà je sais pas planter donc j'aurai du
mal a véhiculer le projet. Mais si c'est avec d'autres gens ce serait
avec plaisir
je trouve que la combinaison des deux est parfaite
Et si le projet venait a disparaitre?
Je serais très triste je serais prete a envoyer des
lettres. C'est le rêve c'est la nature dans la ville
-- Penses tu que des gens d'origines sociales et
géographiques et d'ages si différentes puissent mener un projet
ensemble ? Pourquoi?
Oui il se trouve qu'ici c'est.. mais bon quand on voit qui viens
ca contredit.. mais il faudrait que ce soit sur un terrain neutre ici les gens
sont très pauvres.. Mais ca serait idéal. Ici les jeunes on
d'autres divertissements.
ENTRETIEN AVEC UNE HABITANTE:
INTRO - DECOUVERTE DU PROJET
-- Qu'est ce qui t'as poussé à entrer dans cet
espace la première fois?
C'était par curiosité, pour voir ce que font les
gens. Au debut je voulais pas prendre de
parcelles et finalement je me suis mis sur la liste d'attente.
-- C'était il y a combien de temps?
Il y a un an a peu près..
-- Qu'est ce qui t'as poussé à revenir?
Je suis revenu quand j'ai eu ma parcelle et j'ai planté
tout de suite mes petits pois..
-- Comment as tu perçu le projet au départ? (
Monté par les habitants/ la mairie / une asso ? )
« je trouve que c'est bien qu'on soit entre nous
même si des fois on se crêpe le chignon
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RENCONTRES
-- Qui as tu rencontré? ( des gens proches, des
voisins?)
Je connaissais personne au départ, de gens qui ont des
parcelles
-- Est ce que tu rencontres souvent des gens dans ta vie
quotidienne?
Oui oui mais bon ca ne deviens pas des amis.. avec les gens
ici y'a un petit truc qui se passe entre nous.. quand je suis parti à la
retraite ils ont tous signés une carte, ca m'a fait plaisir on se sent
bien accueilli dans le groupe je trouve que c'est bien que les gens soient plus
unis... les gens dans la rue sont trop préssés. Il faut vraiment
avoir des espaces comme ca.. y'a des gens dans le metro ils se sentent
agressés quand tu leur parle, ici ça n' a rien à
voir
-- Les gens que tu as rencontré sont ils du même
monde que toi?
Beaucoup je pense. Je sais pas si y'a des gens qui viennent
cultiver leur parcelle parce qu'ils n'ont pas d'argent ou si ils viennent pour
leur plaisir. Moi je viens pour le plaisir par exemple et pour pouvoir cueillir
mes legumes parce que heueresment j'ai les moyens pour acheter mes
legumes..
Etre du monde ca veut dire qu'on est tous des travailleurs,
des salariés y'a pas de.. apres ya..peut être des gens differents
mai sje pense pas que... on pourrait être medecin et avoir un
peiti carré de terrain mais moi je suis modeste mais c'est pour mon
plaisir et j'aime bien le contact avec les gens je crois que c'est important
parce qu'apres cette histoire de pas parler on est obligé d'aller voir
le psy.. il faut mieux faire le psy en groupe entre nous.. c'edst presque comme
a la tele ou ils parlent devant tout le monde et ils sont pas capable de parler
entre eux.. il faut mieux parler avec son voisin ou quelqu'un en qui on a
confiance que aller chez le psy.. Ici c'est un moyen pour qu'on se parle.. on
se parle de tout.
Toutes ces rencontres n'ont elles été que
positives?
Oui
-- Y'a t'il souvent des conflits ? Sur quels thèmes?
Oui mais sur des petits trucs betesmoi je m'entends bienavec
tout le monde
-- Que t'on apporté ces rencontres?
--
Ca m'apporte que ca me fait sortir de la maison ca me fait
voir des gens, faire des legumes.. arrose, ca m'occupe.. Sinon je suis
enfermé, j'aime bien le contact avec les gens, c'est public sans
être dehors, y'a un petit groupe on est ensemble si il y a quelqu'un qui
a un petit probleme y'a un autre qui va essayer de l'aider.
Je trouve que c'est bien qu'il y ait des contacts
humains
IMPLICATION
-- T'es tu impliqué tout de suite dans le projet?
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Je viens presque tous les jours, parfois je reste 3 heures ou
plus. J'arrose je parles,je
regarde si y'a des courgettes ahah. J'achete souvent des
legumes, deux kilos de patates y'a pas longtemps.. J'ai pris des haricots verts
mais y'en avait pas beaucoup alors c'était trois chacun.
- Est ce que tu as déjà aidé ou
planté hors de ta parcelle?
- J'ai ramené des poivrons que j'avais planté
chez moi et je vais les donner. Pour moi le partage c'est très important
depuis toujours, ici c'est l'idéal pour partager. J'en ai donné
pas mal de mes petits pois.
- Ta vision de la ville à t'elle changé?
Voir les gens, ca me fait penser un peu quand j'étais
petite. Les gens ils partageaient beaucoup les choses les graines, les semences
et quand on tuais le cochon on partageais aussi. Pourtant ma mère c'est
pas quelqu'un qui partageait beaucoup ici ca me fait rappeler ca. On avait rien
on avait pas grand chose on partageais les tomates, les plantes etc j'ai
vécu un peu ca se fait encore beaucoup au nord du Portugal.. Oui je
crois que ma vision de la ville a changé, parce que y'a gens qui me
parle qui me dise que c'est bien qu'ils veulent avoir une parcelle, c'est ce
qu'ils nous laissent comprendre j'en parles souvent autour de moi je dis je
susi dans mon jardin les gens veulent savoir où je suis je dis que je
suis dans mon jardin..
-Est ce que tu aurais envie de voir d'autres projets de ce type
émerger? Pourquoi?
Ah oui ce serait super de voir ca ailleurs, c'est genial pour
les gens, qu'ils se rencontrent fassent leur légumes etc.. parce qu'on
est tellement devenus individualistes que les gens se connaissent plus et sont
plus solidaires.
-Pour toi c'est le seul atout?
Je me suis pas trop posé la question je me suis dans
mon truc a moi mais je trouve qu'il devrait y avoir plus de terrains comme ca
la ou y'a des terrains ca rendrait service aux gens en plus c'est en banlieue.
Et c'est bien qu'on puisse avoir ce contact avec la terre parce que c'est la
terre qui nous donne tout! Et pareil pour les enfants ils pensent que les
choses elles poussent dans les etalages, que les poissons ils sont
carrés et que les poulets sont deja comme ca dans un emballage qu'ils
ont pas de plumes.. c'est vrai hein ! Les enfants de la ville y'a des choses
qui savent pas que ca existe.
T'as l'impression que ce lieu il relie ces deux choses, la ville
et la campagne, en fait?
Ca fait voir qu'on peut faire pousser des choses, que les
plantes sont plantées dans la terre. Qaund y'a les parends qui ramenent
les enfants ca leur fait voir, que c'est paschez leclerc que ca pousse.. Si
vous voulez pas de bestioles dans vos salades allez chez leclerc..
Moi tant qu'il y a des legumes ici je prends ici
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-- Si oui, quels sont les atouts et les faiblesses de ce projet?
( Questions de pouvoir, de gestion..)
C'est une bonne question.. Si un jour la mairie basculait ca
me fait peur mais je suis prete a faire signer des petitions devant leclerc
pour qu'on garde cet endroit.. je l'ai deja fait plusieurs fois..
-- vous trouvez pas qu'il y a un probleme de communication ...
Si c'est vrai qu'on sait pas grand chose mais bon on fait
avec... J'ai eu cette idée de planter ici avant que ca existe du coup
c'est comme un rêve qui se réalise.
PERCEPTION/VISION du projet
-- Est ce que tu pourrais définir ce projet? et ses
différents aspects qui te semble importants ? La caractéristique
la plus importante?
-- Pourquoi ici à Colombes?
Je pense que c'est parce que le terrain se présentait
mais bon c'est vrai qu'il y en a d'autres, je sais pas pourquoi c'est venu se
faire ici...Avec tout le béton qu'il y a ici c'est vrai qu'ici c'est un
petit paradis je sors de la tour, je commence à moins detester la
tour...
-- Les objectifs du projet de l'Agrocité ?
Pour que les gens se connectent plus pour se dire bonjour
bonsoir ca va arroser sa parcelle.. on habite en face depuis le couloir de mon
immeuble je vois si il y a quelqu'un dans le jardin et je descends...
-- Quels sont les enjeux de ce projet?
Faire que les gens se rencontrent et voir la nature pousser
je vois pas autre chose, faire des experiences en plein air et gouter le gout
des vrais légumes..
-- Ce projet a t'il changé ta vie de tous les jours ? En
quoi? ( sur le rythme d'une journée, confiance en soi, conscience des
possibilités d'agir)
Ca a changé parce que je passe tous les jours ici,
sinon je regarderais la télé.. je regardes moins la
télé. L'autre jour c'est moi qui ai ouvert le jardin..
CHANGEMENT
-- Quelle est ton opinion sur l'agriculture biologique ? Depuis
quand as tu cet avis ? Si c'est depuis ton arrivée au jardin qu'est ce
qui t'a fait changer?
-- Est ce que tu crois en la capacité d'un groupe
d'habitants comme le vôtre de créer des projets comme celui ci ?
ces projets peuvent ils transformer durablement la société et les
relations entre les individus?
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- Penses tu que des gens d'origines sociales et
géographiques et d'ages si différentes puissent mener un projet
ensemble ? Pourquoi?
- Penses tu que ces projets développent la
créativité et l'imagination?
- Est ce que c'est un lieu de débat sur des enjeux plus
globaux?
-
Je pense que les gens sont encore un peu
réservés pour parler. Ils sont aussi limités dans ce
qu'ils entendent et comprennent. Parfois on parle de choses y'a des gens qui
suivent pas mais bon c'est pareil pour moi y'a certaines conversations je suis
pas trop.. L'éducation civique à l'école ca apprends aux
gens à vivre en communauté j'ai l'impression qu'ici les gens
savent pas trop vivre en communauté ( Mari)
On peut essayer de faire comprendre aux gens les enjeux du
projet. Où on est ce qu'on veut et ou on veut aller... On aborde tous
les sujets mais les gens sont pas tres reactifs.. On pourrait parler de la
desindustrialisation du departement tout ca parce que quand on est
arrivés au debut des années 70 on a fermé toutes les
usines, cest les patrons qui ont choisi de fermer les usines...
- vOus parlez avec les gens de toutes les solutions qu'il peut y
avoir à ces crises?
C'est a dire que bon on dis les crises à moitié
inventées pour essayer de recuperer des sous sur les pauvres gens mais
c'est pas la bonne solution..
--Alors c'est quoi votre opinion sur l'agriculture
biologique?
Moi je trouve que c'est bien. Nous on a une fille
formée en biologie. Je trouve que l'agriculture biologique c'est tres
bien pour notre santé tous les cancers les maladies ca peut venir de la
mauvaise alimentation. Je pense que ce projet est relié aux questions de
santé. On devrait manger pas des trucs avec de shormones, avoir une
alimentation saine, pas ce qu'ils nous font manger
Ca a changé depuis que je viens au jardin parce que si
je peux acheter mes tomates ici je vais pas aller les acheter chez
leclerc
-Avant t'achetait bio ?
j'achetais moins bio mais ma fille m'a poussé à
manger bio..
-Est ce que vous croyez en la capacité d'un groupe comme
le vôtre à créer des projets comme ca ?
oui moi je pense que c'est possible, faisable, avant vous
auriez pu vous imaginer mmee avant ce projetj'aurais pu si y'avais quelqu'un
pour me dire aller viens on va planter j'y serais allée
-ah oui mais il aurait fallu quelqu'un pour te dire..
ah oui parce que j'ai pas pris l'initiative... mais
maintenant on peut imaginer aller voir la mairie il faudrait recenser les
terrains mais c'est vrai que j'ai pas pris l'initiative.. je crois que
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je serais capable d'aller voir le maire pour lui demander de
faire des trucs comme ca ca donne des idées
des idées subjectives?
Si moi j'ai pensé qu' onpouvaitfaire des choses mais
que j'en parlais a personne ca restait en moi maintenant avec le groupe on
dirait que c'estfaisable avant on étais limités..
Est ce que des projets comme ca peuvent changer la
société et les relations entre les gens plus durablement?
Oui je pense que oui si on suit un groupe qui a des bonnes
idées et qu'on puisse transmettre ca peutfaire que les gens qui se
pensaient tous seuls se disent tiens finalement ca existe les gens on fait
quelque chose ensemble je pense que c'est possible finalement c'était
pas si mal qu'on se voit etc... avant on étais tous dans notre
coin...
-Pour toi c'est un espace révolutionnaire ici? c-a-d qui
change radicallement la société et la façon dont les
choses fonctionnent ect. ?
Changer la société c'est très difficile
mais ca peut changer que les gens s'habituent à manger plus sain
-Pour toi ca a un rapport avec le changement climatique ici?
ben oui parce que je pense que si on pouvais avoir des
espaces verts au lieu d'avoir q que des tours en béton ca seratit plus
agreable pour voir des plantes tout ca des choses variées et des
légumes comme les gens variés parce qu'il y a des gens de partout
ici et ca c'est bien parce qu'on doit tous comprendre qu'on est pareils on est
tous humains du sang rouge et on devrait se comprendre mieux
Tu penses que des gens d'âge et de nationlalités si
diferets peuvent mener un projer ensemble?
Oui, c'est un peu ce qu'on fait.. biensur mais c'est vrai que
le voir en action. Moi j'aime bien la politique je suis dans un truc politique
et j'aime bien qu'on parle de certaines choses et j'aimerai bien que les gens
au lieu d' avoir juste des riches qu'on puisse tous vivre bien qu'on puisse se
soigner etc.. que tout le monde devrait avoir une maison. Moi je suis dans un
truc social mais les gens qui payent autant pour des petites pièces
c'est se moquer des humains. eque les gens aient une maison, qu'ils puissent
tous se soigner pareillement, manger a sa faim, avoir une maison les enfants
puissent se cultiver, école études etc...
Pour toi ce projet c'est une ébauche de ce que pourrait
être le socialisme?
Je pense que caserais bien qu'on puisse vivre égaux..
Qu'on soit bien habillés ou pas c'est pas important du moment qu'on est
propres mais qu'il y ait pas cette différence entre les riches et les
pauvres et qu'on soit pas nous les petits en bas comme des imbéciles on
croit qu'on est différents et c'est bete j'aimerais bien que les gens
aient plus d'humanité et si entre nous on s'aide pas c'est pas les
riches qui vont nous aider
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Pour toi ici ca peut être un lieu pour créer une
dynamique, faire comprendre tout ca aux gens qui le comprennent pas
forcément?
C'est pas évident de faire comprendre aux gens qu'on
pourraient tous vivres à peu près normalement.. Je trouve qu'on
pourrait plus s'aider entre nous..
Ici ca developpe la creativité et l'imaginiation ?
Oui je pense, y'a pleins de choses à faire, y'en a un
qui a une idée l'autre qui en a une aussi il faut pouvoir les mettre
ensemble les appliquer, discuter mais c'est pas toujours évident... Mais
on voit bien même pour des petites choses de rien du tout ils sont
toujours en train de.... Ce projet c'est rien du tout c'est un petit
projet..
C'est ambitieux quand même comme projet...
Ca c'est sur.. Parfois c'est aussi une question de parler,
certains ont du mal, c'est difficile aujourd'hui de dire qu'on a pas, qu'on
peut pas faire... parce qu'il y a toujours le fait que c'est honteux
d'être pauvre et moi je trouve qu'on devrait les aider pour qu'ils soient
moins pauvres et là ici je trouve que c'est bien. Les gens ils peuvent
venir cultiver c'est déjà une petite aide je trouve bon les
parcelles sont petites mais par exemple moi j'ai mangé mes 6 tomates, je
suis pas allé les acheter chez leclerc etj'en ai encore plein et j'ai
achete 2 eu et quelques les plantes et l'eau c'est même pas moi qui l'a
payé..
Toi tu te verrais organiser des debats des conferences pour faire
changer les gens d'opinions?
Oui biensur mais ca va pas être évidentfaut
donner le temps au temps parce qu'il y a des personnes qui sont pas
habituées à discuter, des problèmes de santé
etc..
Ca nous est déjà arrivé d'en parler mais
pas souvent on peut parler de tout et de rien en même temps..
Tu me disais aussi que ca avait un rraport avec la santé
mentale ici
Oui parce que parfois en prlant avec quelqu'un elle va peut
être nous dire quelques mots qui vontfaire qu'on va voir les choses d'une
autre façon.. C'estjuste voir d'une autre façon, je dis pas qu'on
va mettre un truc de psy.. Dans le temps les gens ils allaient moins voir le
psy, ils parlaient entre eux de ces problèmes..
Et ici tu trouves que ca pousse les gens à avoir une autre
vision de la société, à imaginer autre chose?
Moui mais ça c'est pas tout le monde qui le vois de
cette façon...Cette personne elle peut voir qu'y a pas que ca..
Le butfinal du projet c'est de voir qu'on peut avoir une
autre vie sans qu'on soit enfermés dans nos tours et aller chez leclerc
on peut aussi avoir un espace ou on se voit plusieurs fois par semaine c'est un
bon truc pour que les gens se sentent concernés..Après les gens
sont très pris parle travail..
J'aime bien sentir la terre dans mes mains
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Je suis prête à me battre pour le projet, je
connais pas les autres projets de l'association même si j'ai
regardé sur internet, j'ai trouvé ça bien
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