IV. DISCUSSION
L' « approche participative » a marqué d'une
certaine façon l'ensemble des initiatives prises en matière de
développement, en réponse aux PAS élaborés dans les
1980. Toutefois, la dynamique actuelle laisse entrevoir un décalage
grandissant entre les discours et les réalisations effectives. Ces
dernières, à maints égards institutionnalisées et
instrumentalisées par les protagonistes du développement local,
ne semblent pas refléter véritablement les discours
endogènes. Mais selon Lavigne Delville, des nouvelles configurations
s'invitent dans les schémas développementistes actuels, visant
à renouveler la notion même de « participation ».
En s'étant appliqué à analyser, suivant
une perspective diachronique et synchronique, l'action du « Projet
Intégré de santé dans la région des Savanes »,
nous pûmes nous atteler, dans le sens de Jean-Pierre Chauveau, à
« une déconstruction en règle des conceptions naïves de
la participation »166. Pour preuve, nous avons relevé
les dysfonctionnements étudiés dans le cadre de cette recherche,
lesquels nous permirent de faire apparaître de nombreuses contradictions
en interne, aboutissant le plus souvent à un renforcement des dynamiques
coercitives entre les responsables du projet et les personnes en charge de son
application.
La présente étude, vouée à une
méthodologie strictement définie, suivant une démarche
empirique, nous a amené à souligner, dans le cadre du «
Projet Intégré de santé dans la région des Savanes
», une dissonance criante entre les objectifs revendiqués
et les pratiques appliquées. L'un des résultats de la
posture affichée est de ne faire ressortir que bien davantage les
faiblesses de la dynamique actuelle en matière sanitaire dans la
région des Savanes. Plus loin, nous pûmes mettre en lumière
une série de « mécanismes » mis en oeuvre par les CS
pour s'adapter à la conjoncture en présence.
De ce fait, tout au long de notre analyse, il s'est agi de
répondre à notre question de recherche présentée,
ex ante, en ces termes : « Dans quelle mesure,
l'insertion des Commissions Santé sur la scène sanitaire locale
Ð à travers l'ONG 3ASC Ð permet-elle l'élaboration d'une
dynamique « participative » véritablement endogène ?
».
A fortiori, notre analyse s'est astreinte à
vérifier les sous-tendus de cette dynamique « participative »
revendiquée dans le cadre du projet étudié. Par
delà la rencontre avec un dispositif déficient, le
projet en question déploie en guise de remède une persuasion
aveugle visant à renforcer ses structures initiales, elles-mêmes
à l'origine de ses déficiences. Le
166 Lavigne Delville, Ph., op. cit., p. 162.
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concept de « populisme bureaucratique »
initié par Chauveau est toujours applicable. En ce sens, ce
dispositif bureaucratique développementiste, axé sur la
« participation », qui fait vivre le « Projet
Intégré de santé dans la région des Savanes »
ne semble pas caractérisé par une forme
d'indépendance endogène. Il continue à
revendiquer ses prérogatives sous des airs bienfaisants. Même si
des améliorations tangibles apparaissent sur la scène,
celles-là résultent uniquement d'accomplissements dirigés
par des acteurs externes. Leur but principal semble être de chercher
à justifier, à travers les résultats, les raisons de leur
présence et donc à la pérenniser. Bien davantage, les CS
tendent à devenir elles-mêmes les « diffuseurs » de
cette vision développementiste. Dans ce contexte, alors qu'aucun
réel changement de fond n'est tangible, les efforts considérables
qui sont déployés pourraient être résumés en
trois mots : un éternel recommencement.
Ceci étant, devrions-nous nous arrêter à
un constat aussi pessimiste, et exclure toute approche en matière de
« participation communautaire » dans la région des Savanes ?
Les CS n'ont-elles aucun avenir dans cette constellation ? En s'inscrivant dans
une « rhétorique réactionnaire » au sens de Hirschmann,
la posture déconstructiviste n'est-elle pas condamnée «
à l'inanité, à la perversité ou même aux
dangers de l'approche participative quant aux objectifs fondamentaux du
développement »167 ?
Si une position de rupture n'est pas souhaitée, une
perspective alliant dispositif institutionnel et prises de
décisions émises à la base, par des instances locales,
pourrait peut-être en définitive, aboutir à davantage de
changements de fond ? Concrètement, grâce à une
collaboration plus efficiente, axée sur des négociations
transformationnelles et aspirant à une construction commune ? Mais, il
va sans dire, le risque de céder aux schémas passés est
grand et toute nouvelle initiative encourt le sérieux risque de rester
vaine. De plus, cette perspective ne devrait pas ignorer les effets
indésirables causés par une action structurante, qui
elle-même détermine les comportements des protagonistes
concernés. « Les rapports entre contexte socio-politique,
volonté des commanditaires et des animateurs, et procédures sont
au coeur d'une telle analyse, visant à comprendre les modalités,
les enjeux et les effets des dispositifs participatifs »168.
Alors que le complexe dispositif mis en place semble,
à maints égards, inébranlable, il apparaît qu'une
forme d'ouverture, fondée sur la volonté d'« utiliser les
procédures, les règles, les dispositifs pour produire des
déplacements partiels et ouvrir des espaces de débat
167 Chauveau, J.-P., op. cit., p. 30.
168 Lavigne Delville, Ph., op. cit., p. 182.
au profit de certains acteurs »169,
permettrait d'initier des changements notoires. Mais au-delà de cette
dimension, sujette à polémique, « l'approche participative
est d'abord et avant tout un mode historique de « gouvernementalité
» » 170 . C'est pourquoi, au-delà d'une vision «
déconstructiviste », il semblerait nécessaire de «
déconstruire » la notion même d' « approche
participative » vouée à une justification continuelle de son
authenticité, permettant ainsi une redéfinition en aval des
principes mêmes de son action.
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169 Lavigne Delville, Ph., op. cit., p. 177.
170 Chauveau, J.-P., op. cit., p. 30.
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