Les commémorations du 11 novembre en Belgique francophone pendant l'entre-deux-guerres. Les cas de Bruxelles, Liège et Mons( Télécharger le fichier original )par Emeline WYNANTS Université de Liège - Master en histoire 2012 |
2.4 1922 et le choix du soldat inconnu.2.4.1 Le concept de Soldat Inconnu.Le concept de soldat inconnu veut répondre à une demande sociétale.La tombe du Soldat Inconnu est sensée remplacer dans l'imaginaire collectif, toutes les tombes individuelles qui, faute d'éléments d'identifications, n'ont pu être édifiées. De plus, l'inhumation en 1920 des deux premiers soldats inconnus, le français et le britannique a lieu. Il s'agit de funérailles nationales. 343(*) Cette création de symbole national devient, dès l'inhumation, le noyau dur des commémorations nationales de tous les pays s'étant doté d'un Soldat Inconnu.344(*) Ce concept d'enterrer les restes d'un soldat non-identifié a une longue genèse derrière lui. L'idée de célébrer un soldat inconnu germa pour la première fois dans l'esprit du Prince de Joinville en 1870. Cette idée fut reprise lors d'un discours tenu le 26 novembre 1916 dans le cimetière de l'Est aÌ Rennes, par François Simon, président du Souvenir Français qui proposa de choisir le corps d'un soldat ayant servi sous l'uniforme français, non identifieì, mort au Champ d'Honneur et de le placer au Panthéon.345(*) La proposition, rédigée en ces termes : « Pourquoi la France n'ouvrirait-elle pas les portes du Panthéon aÌ l'un de nos combattants ignorés, mort bravement pour la Patrie, avec pour inscription sur la pierre, deux mots: "Un soldat" et deux dates: 1914/1918 ?Cette inhumation d'un simple soldat sous ce dôme, ouÌ reposent tant de gloires et de génies, serait comme un symbole et plus, ce serait un hommage rendu aÌ l'ArméeFrançaise toute entière » ne rencontra alors aucun écho.346(*) Cette idée est reprise en 1918 par le député Maurice Maunoury.347(*)L'idée se développe durant toute la guerre mais ne gagne réellement l'opinion publique que par les fêtes de la victoire du 14 juillet 1919. En effet, à cette occasion, un cénotaphe avait été posé sous l'Arc de Triomphe et avait connu une importante ferveur. 348(*) Il est alors décidé que l'on transférerait dans la capitale un héros inconnu choisi au coeur de la citadelle de Verdun.349(*) Nous pouvons voir que si l'accord sur le principe d'inhumation des restes d'un inconnu et sur la date du 11 novembre se font à peu près dans l'unanimité, le lieu choisi et les modalités de la cérémonie donnent lieu à d'importants débats aussi bien à l'Assemblée Nationale que dans l'opinion. 350(*) Ces débats eurent lieu notamment parce que 1920 coïncidait avec le cinquantième anniversaire de la République où il s'agit de transférer le coeur de Gambetta au Panthéon. L'Inconnu a-t-il sa place entre les grands hommes de France, lui, que l'on voulait le plus simple possible ? N'essaie-t-on pas de récupérer ce symbole de patriotisme ? Tant de questions auxquelles est confrontée l'Assemblée Nationale qui décidera finalement le 8 novembre 1920 que la commémoration se ferait en deux temps : un cortège unique, pour le coeur de Gambetta et les restes du héros inconnu, jusqu'à l'Arc de Triomphe où une minute de silence serait respectée. Après cela, le Soldat Inconnu devait rester sur place et le coeur de Gambetta, poursuivre son chemin jusqu'au Panthéon. 351(*) Les débats accaparent tellement le gouvernement français que la Grande-Bretagne sera la première à inhumer son Tommy Inconnu, dans l'abbaye de Westminster, au côté des rois et grands hommes anglais.352(*)A Paris, les restes d'un soldat sont bel et bien transportés jusque l'Arc de Triomphe le 11 novembre 1920 mais ce n'est que le 28 janvier 1921 que les ossements trouvèrent leur place dans la sépulture fraichement creusée sous l'Arc. Entre les deux dates, le cercueil fut conservé dans une des colonnes de l'Arc et veillé, chaque jour, par un camarade. 353(*) L'objectif de la création des Soldats Inconnus354(*) est d'offrir un lieu de recueillement dédié au sacrifice collectif, et de donner symboliquement un corps à toutes les familles qui en sont privées. La tombe du Soldat Inconnu devient une tombe de substitution pour tous ceux qui ne savent pas où pleurer.355(*)S'il advenait que les Inconnus de diverses nations alliées viennent aÌ être identifiés, il faudrait les remplacer. Par leur caractère de reconnaissance individuelle au-delà de l'impuissance aÌ les nommer, ces tombeaux sont également des monuments funéraires commémoratifs. Plus que des ossuaires, les tombeaux des soldats inconnus ont servi de support aÌ la ritualisation du deuil par le biais des grandes commémorations nationales.356(*) * 343BECKER A., « Du 14 juillet 1919 au 11 novembre 1920 mort, ouÌ est ta victoire ? » in VingtieÌme SieÌcle. Revue d'histoire, N°49, janvier-mars 1996, p. 39. * 344INGLIS K., « Entombing unknown soldiers: from London and Paris to Baghdad », in History and Memory, 5/2, automne-hiver 1993, p.23. * 345MOSSE G. L., De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes, Paris, Hachette, 1999, p.109-110. * 346FONCK G., Le Soldat Inconnu, tome 1 : Les Démarches, Reims, Autoédition, 2004, p.26-31. * 347JAGIELSKi J-F., Le Soldat Inconnu : invention et postérité d'un symbole, Paris, Imago, 2005, p.54 * 348FRYSZMAN A., La victoire triste ? : Espeìrances, deìceptions et commeìmorations de la victoire dans le deìpartement du Puy-de-Do^me en sortie de guerre (1918-1924), Thèse de doctorat, inédit, Ecole des hautes études en sciences sociales, Paris, année académique 2006-2009, p. 213-234. * 349GÉNÉRAL WEYGAND, Le 11 novembre, Paris, Flamarion, 1932, p.5-15. * 350PROST A., « Verdun », in NORA P. (dir.), Les lieux de mémoire, tome 2, vol. 3. La Nation, Paris, Gallimard, 1997, p.134. * 351LE NAOUR J-Y., Le Soldat inconnu, La Guerre, la mort, la mémoire, Paris, Décourtes Gallimard, 2008, p. 42-46. * 352SOUDAGNE J-P., L'histoire incroyable du Soldat Inconnu, Rennes, Editions Ouest-France, 2008, p.132-133. * 353JAGIELSKi J-F., Le Soldat Inconnu : invention et postérité d'un symbole, Paris, Imago, 2005, p.125-130. * 354 Sur les Soldats Inconnus, voir notamment: BECKER A., « Le culte des morts, entre mémoire et oubli », in AUDOIN-ROUZEAU S. et BECKER JJ. (dir.), Encyclopédie de la Grande Guerre 1914-1918. Histoire et culture, Paris, Bayard, 2004, p.1108-1109. Et TEMMERMANS F., « Les Soldats Inconnus », in Cinquième Tiroir aux Souvenirs, Bruxelles, FNI, 1971, p.192-202. * 355LE NAOUR J-Y., « Le soldat inconnu : une histoire polémique », in COCHET F. et GRANDHOMME J-N. (dir.), Les Soldats Inconnus de la Grande Guerre : La mort, le deuil, la mémoire, Paris, SOTECA, 14-18 Editions, 2012, p.308. * 356CAPDEVILLA L. et VOLDMAN D., Nos Morts. Les sociétés occidentales face aux tués de la guerre, Paris, Payot, 2002, p. 231. |
|