Les commémorations du 11 novembre en Belgique francophone pendant l'entre-deux-guerres. Les cas de Bruxelles, Liège et Mons( Télécharger le fichier original )par Emeline WYNANTS Université de Liège - Master en histoire 2012 |
0.2 Le contexte historique.Le début du vingtième siècle est marqué par une multitude de crises internationales telles que les mouvements nationalistes en Autriche-Hongrie, la guerre entre la ligue balkanique et l'empire ottoman ou encore les crises marocaines de 1905 et 1911. Tout ceci exacerbe les tensions jusqu'à l'assassinat de François Ferdinand à Sarajevo en 1914, qui mène au déclenchement de la guerre via le jeu des alliances. Après cet attentat, l'Europe, d'abord, puis le monde vont être plongées dans une guerre qui durera quatre ans. Le monde scientifique s'accorde sur le fait que cette guerre est d'un genre nouveau, dans le sens où d'une guerre de mouvement, les acteurs passent dès 1915 à une guerre de position dans les tranchées de l'Yser. La différence fondamentale entre ces deux « façons de faire la guerre » est la mobilité des troupes en présence. En effet, la guerre de mouvement mise sur la rapidité des déplacements pour remporter la victoire alors que la guerre de position consiste à attaquer depuis un point fixe fortifié.Entre août et décembre 1914, l'Allemagne entreprend plusieurs offensives et pénètre le sol de la Belgique et le nord-est de la France mais très vite le front se stabilise dans cette région alors qu'à l'Est l'Allemagne repousse la Russiedans ses terres. Entre 1915 et 1917, le conflit se transforme en guerre de position : le front se stabilise, chaque armée prenant position. Cependant, certaines offensives auront quand même lieu comme la bataille de Verdun en 1916, pour tenter de percer le front. La guerre de mouvement reprend en 19179(*) avec l'arrivée des Américains qui grâce à de nouvelles offensives, permettent aux Alliés de remporter la guerre.10(*) Notons, dès à présent, la grande singularité de la Belgique dans ce conflit : contrairement aux autres belligérants, la quasi-totalité de son territoire est occupé par l'Allemagne. Le 4 août 1914, la Belgique est envahie par l'armée allemande selon la stratégie dite du plan Schlieffen : défaire rapidement la France pour pouvoir se retourner vers la Russie.11(*) Un des principes sur lesquels reposait la réussite du plan est donc la rapidité d'exécution mais la petite armée belge, aidée de la France et de la Grande- Bretagne majoritairement, ralentit l'armée allemande. Si bien, que les fronts se stabilisèrent autour de la Marne et de l'Yser.12(*) Au niveau politique, la fin du mois d'août 1914, l'Allemagne a installé un nouveau pouvoir (le gouvernement belge étant réfugié au Havre) et le pays est donc administré par le Feld Marechal13(*) Von der Goltz puis, dès le 28 septembre, par le baron Von Bissing. Cette administration allemande laisse subsister certaines institutions belges à côté d'organismes nouveaux entièrement allemands. Pendant quatre années, la Belgique vivra sous la terreur allemande qui supprime toutes les libertés chères à la Belgique comme la liberté de presse. Plus encore, les conditions économiques et de ravitaillement deviennent rapidement problématiques : chaque mois les provinces sont contraintes de payer d'énormes contributions et, les réquisitions au profit de l'Allemagne laissent peu de vivres et de matières premières à la disposition de la population locale. Lors de l'hiver 1916-1917, les réquisitions pour le travail commencent ainsi que les déportations (elles sont estimées à 60 000 départs d'ouvriers). Durant toute cette période, l'Allemagne s'emploie à accentuer le problème linguistique via sa Flamenpolitik. Cette politique visait à séparer administrativement la Wallonie et la Flandre afin de rendre le pays plus inoffensif. C'est dans cette démarche que s'inscrivent la première flamandisation de l'université de Gand ainsi que la création du Conseil de Flandre. 14(*) Cette guerre est aussi d'un genre nouveau par sa mobilisation générale15(*) : mobilisation de nouvelle main d'oeuvre comme celle des femmes qui sont appelées à remplacer les hommes partis au front, mobilisation industrielle, économique et culturelle.16(*) Cette dernière mobilisation est probablement l'une des plus importantes car elle est chargée de convaincre, de rassurer l'opinion publique. Toute la population est touchée par cette guerre. Quand, le 11 novembre 1918, l'Armistice fut signé, l'heure était au bilan, à la reconstruction, à la mise en valeur du sacrifice et des personnes qui se sont sacrifiées. Cette volonté est très forte à la sortie de guerre mais nous avons également pu constater qu'elle reste dominante durant tout l'entre-deux-guerres. Au niveau humain, dix millions de morts sont à déplorer ainsi que des millions de blessés qui ne guériront jamais entièrement. Le bilan matériel est lui aussi colossal, laissant dans les zones de combats des villes complètement dévastées. Les premières préoccupations des différents gouvernements seront la remise sur pied du pays en passant par la modernisation des installations industrielles et de l'agriculture. Les premières années de la sortie de guerre se passèrent, comme durant la guerre, sous le signe de l'Union Sacrée car, aux vues de la situation dans laquelle se trouvait le pays suite à la guerre, les craintes des dirigeants au sujet d'une révolution sociale redoublent.17(*) Notons que la sortie de guerre s'accompagne cependant d'un conflit linguistique pour la Belgique. Au sens strict de la définition du terme armistice, nous pouvons dire que la paix est totalement revenue grâce au traité de Versailles du 28 juin 1919 bien qu'entre ces deux dates aucune attaque n'est engagée et la reconstruction de chaque pays commence. Le texte de l'Armistice contient les prémices de celui du traité de Versailles en prévoyant un changement de régime en Allemagne, des compensations pour les dommages causés à la population civile, le retrait des troupes de France, de Belgique et de la rive gauche du Rhin ; l'occupation par les Alliés de têtes de pont sur la rive droite du fleuve ainsi que la livraison de l'armement, du matériel roulant et de la flotte de guerre en contrepartie de la fin du blocus de l'Allemagne. Le traité de paix, lui, ajoute la création de la Société des Nations dont les objectifs sont le désarmement, la prévention des guerres au travers du principe de sécurité collective, la résolution des conflits par la négociation et l'amélioration globale de la qualité de vie.Le traité comprend également des clauses territoriales comme la restitution de l'Alsace-Loraine à la France ou la création de nouveaux pays tels que la Yougoslavie. Les clauses militaires reprennent pour l'essentiel les conditions d'armistice : la réduction des armements et des effectifs, la démilitarisation de la rive gauche du Rhin,... Dans les grosses lignes, les clauses économiques posèrent plus de problèmes au Comité du Traité de Versailles tant les opinions divergeaient : la Grande-Bretagne plaidait en faveur de l'indulgence alors que la France criait « Vengeance ». Au final, le traité retient qu'en tant que responsable du déclenchement de la guerre, l'Allemagne était condamnée à payer le montant des dommages subis par les Alliés. Pour ce qui est de la Belgique, ce traité lui offre un mandat sur le Rwanda et le Burundi, les cantons de l'Est ainsi que son entière souveraineté, c'est-à-dire qu'elle n'est plus obligatoirement neutre. 18(*) L'entre-deux-guerres est une période riche en évènements et en changements. Notre but, ici, n'est donc pas de l'expliciter en détails mais bien d'inscrire notre travail dans un contexte plus large. Nous revenons brièvement sur celui-ci en donnant les caractéristiques principales de cette période.La période d'entre-deux-guerres n'est évidemment pas monolithique. La première décennie s'ouvre sur un climat international très tendu et il faut attendre le tournant des Accords de Locarno (1925-1926) pour que s'amorce, en Europe, une période de détente. La seconde décennie est, quant à elle, dominée par les effets de la crise économique et les replis nationalistes. Au lendemain de la guerre, le Premier Ministre du gouvernement du Havre démissionne. A Lophem, le Roi et ses conseillers, soucieux de prolonger l'Union sacrée, décident de poursuivre dans cette voie en intégrant les socialistes au nouveau gouvernement. Ce système de Lophem installe en Belgique le système pluripartite dans le cadre de gouvernement de coalition, système que nous connaissons encore de nos jours.19(*) C'est également lors de cette entrevue de Lophem que le suffrage universel pur et simple est imposé par Albert 1er. Toutefois, l'union sacrée périclite très rapidement - il n'en est déjà plus question lors du scrutin du 20 novembre 1921-mais laisse quand même le temps au gouvernement de voter plusieurs lois sociales capitales telles que la journée des huit heures, la loi Vandervelde sur l'ivresse publique et la semaine des six jours.20(*) Dès ce moment, la Belgique entre dans une longue phase d'instabilité politique : entre 1921 et 1934, sept gouvernements se succèdent. Jusqu'en 1924-1925, l'instabilité politique se conjugue avec une instabilité économique qui pousse le gouvernement à prendre nombre de mesures anti-inflatoires. En parallèle, les questions de l'armée et des langues entrainent elles aussi la chute de plusieurs gouvernements : réductions du service militaire, des effectifs de l'armée ou flamandisation de l'Université de Gand, les décisions politiques sont souvent l'occasion de grandes manifestations populaires durant toute la période de l'entre-deux-guerres. 21(*) Entre 1927 et 1931, le pays connaît une période d'expansion économique. Ce contexte économique favorable permet aux différents gouvernements d'entreprendre de grands travaux publics tels que ceux de l'écluse du Kruisschans à Anvers, le port maritime de Gand ou le canal Albert. Toutefois, dès 1932, les effets du krach de Wall Street se font sentir. Le choc est d'autant plus dur que le franc avait été stabilisé en 1926 En 1934, le roi Albert Ier décède inopinément et son fils Léopold III lui succède. Mais l'instabilité ministérielle et les divisions nationales s'aggravent, suscitant l'apparition, dans une partie de l'opinion publique, d'un courant de pensée politique autoritaire prônant un ordre fort. C'est le moment de l'émergence de partis fascistes avec la flambée rexiste de 1936-1937 autour de Léon Degrelle et le VNV flamand de Staf de Clercq. Cependant dès mars 1935, un gouvernement dit « de renaissance nationale » obtient la confiance des chambres. Ses première mesures concernent le milieu monétaire : en sauvant le franc, il redonne du travail à la population. 22(*) Malgré ce redressement en un an, la crise économique laisse des séquelles politiques en favorisant notamment les partis extrémistes tels que le Parti communiste. C'est dans ce contexte de mécontentement général que de tels partis ont pu gagner du terrain. S'ajoute à cela l'instabilité internationale due à la montée des pouvoirs totalitaires, aux guerres telle que la Manchourie ou l'Ethiopie. C'est pourquoi, le 14 octobre 1936, le Roiplaide pour un retour à la neutralité, affirmant refuser toute coopération avec les états-majors alliés, alors même que la menace hitlérienne s'affirme aux frontières.23(*) Après ce bref aperçu, nous voyons bien que les commémorations de l'Armistice s'inscrivent dans un contexte houleux et délicat, emprunt de sentiments divers qui transparaitront dans les célébrations. * 9En 1917, la Russie se retire après la révolution bolchevique. C'est à cette occasion qu'est signée la paix de Brest-Litovsk. Pendant la guerre, la Russie est active sur le front de l'Est :en août 1914, la « Triplice » engage 72 divisions sur le front russe. L'acharnement des combats oblige l'Allemagne à étoffer sans cesse ce front en prélevant des unités de l'armée impériale allemande sur le front français En octobre 1916, la carence de la logistique est manifeste, le complexe militaro-industriel russe n'est pas performant, la production d'obus est seulement de 35 000 par mois alors que les besoins sont de 45 000 par jour, on compte dans certaines unité un fusil pour trois hommes, la carence de réseau ferré dont les trains ne dépassent pas les 25 km/h et de l'intendance pose d'énormes problèmes, l'inflation a atteint les 300 % depuis le début de la guerre mais les salaires ont seulement doublé. Le refus des troupes de réprimer les manifestations, dû entre autres à la forte dégradation de l'économie, et à la lassitude vis-à-vis des classes dirigeantes obligent le tsar Nicolas II à abdiquer ; ainsi éclate la révolution de février 1917 et la Russie devient une république. Un gouvernement provisoire est alors constitué, présidé par Alexandre Kerenski. Tout en esquissant des réformes, celui-ci tente malgré tout de respecter les engagements de la Russie vis-à-vis de ses alliés en poursuivant la guerre. L'impopularité de cette dernière mesure est exploitée par le parti des bolcheviks qui, le 25 octobre 1917, renverse le gouvernement à Petrograd (alors capitale de la Russie) par les armes (Révolution d'Octobre). BAGNALL C., Russia 1914-41, Oxford, Heinemann, 2004, p.47 ; WHEELER WHEELER-BENNETT J., Brest-Litovsk : the forgotten peace, March 1918, New-York, Norton & Company Incorporated, 1971, p.35-36 ; FROMKLIN D., Europe's Last Summer : Who started the Great War in 1914 ?, New-York, Knopf Doubleday Publishing Group, 2007, p.110-135. * 10DE VOS L. La Première guerre mondiale, Braine-l'Alleud, J-M Collet, 1997, p. 25-38. * 11BECKER J-J., « La résistance de Liège en août 1914 et l'opinion française », in Bulletin d'information du Centre Liégeois d'Histoire et d'Archéologie Militaire [CLHAM], janvier-mars 2006, t. IX, fascicule 9, p. 29-33 ; KANN R., Le plan de campagne allemand de 1914 et son exécution, Paris, 1923. p. 98-104 ; BECHET C., « La résistance de Liège en août 14 et la reconnaissance française : histoire, mythe et mémoire », in Actes du LVIème Congrès de la Fédération des Cercles d'Archéologie et d'Histoire de Belgique - Liège 2012 (sous presse). * 12 Un débat existe sur la question de savoir si ce plan a bel et bien ralenti la progression de l'armée allemande. Voir à ce sujet: RITTER G., The Schlieffen plan: critique of a myth, London, Greenwood Press,1958; HÉNIN P-Y., Le plan Schlieffen: un mois de guerre, deux siècles de controverse, Paris, Economica, 2012 ; ZUBER T., Inventing the Schlieffen Plan : German War Planning 1871-1914, New-York, Oxford University Press, 2002 ; ZUBER T., German war plannig 1891-1914 : sources and interpretations, Rochester, The Boydell Press, 2004 ; * 13 Grade militaire d'officier général supérieur dans les armées allemandes, autrichiennes et impériales russes * 14PIRENNE H., Histoire de Belgique, Livre V, t. V, 1974 (nouvelle éd.), p. 245-272. DE SCHAEPDRIJVER S., La Belgique et la première guerre mondiale, Bruxelles, P.I.E.-Peter Lang, 2004, p. 137-171. * 15 Les chiffres officiels attestent 365 000 mobilisés pour la Belgique. AUDOIN-ROUZEAU S., BECKER J-J., Encyclopédie de la Grande Guerre : histoire et culture, Paris, Fayard, 2004, p.225. * 16JAUMAIN S., AMARA M., MAJERUS B. &VRINDTS A. (dir.), Une guerre totale? La Belgique dans la Première guerre mondiale. Actes du colloque international organisé à l'ULB du 15 au 17 janvier 2003, Bruxelles, Archives Générales du Royaume, 2005 ; GOTOVICH J. et DUMOULIN M., Gouvernée en Belgique occupée : Oscar von der Lancken-Wakenitz - Rapports d'activité 1915-1918, ?Édition critique, Bruxelles, Bern, Berlin, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, Peter Lang, 2004. * 17SMETS M. (dir.), Resurgam: La reconstruction en Belgique après 1914, Louvain, Crédit Communal, 1985. * 18LAUNEY M., 1919 Versailles, une paix bâclée?, Paris, Editions Complexe, 1999, p. 110-120. * 19WITTE E. Et CRAEYBECKX J., La Belgique politique de 1830 à nos jours Les tensions d'une démocratie bourgeoise, Bruxelles, Labor, 1987, p.170. * 20DUMOULIN M, GERARD E., VAN DEN WIJNGAERT M. et DUJARDIN V., Nouvelle Histoire de Belgique, volume 2 : 1905-1950, Bruxelles, Editions Complexes, 2006, p. 49-59. * 21BITSCH M-T., Histoire de Belgique de l'Antiquité à nos jours, Bruxelles, Editions Complexe, 2004, p. 171-185. * 22BALACE F., « Un enfantement dans la douleur (1914-1950) », in DEMOULIN B. et KUPPER J-L. (dir.), Histoire de la Wallonie : de la préhistoire au XXIe siècle, Toulouse, Editions Privat, 2004, p.292-294. * 23VANWELKENHUYZEN J., Le gâchis des années 1930 : 1933-1937, Bruxelles, Editions Racine, 2007, p.511-540. |
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