Les commémorations du 11 novembre en Belgique francophone pendant l'entre-deux-guerres. Les cas de Bruxelles, Liège et Mons( Télécharger le fichier original )par Emeline WYNANTS Université de Liège - Master en histoire 2012 |
1.5. La mise en valeur d'un groupe social.Lors d'une commémoration, une place privilégiée est toujours consacrée à une personnalité ou à un groupe d'acteurs de l'évènement ou de représentants comme les Anciens Combattants. Elle célèbre les groupes en honorant leurs morts. A travers une manifestation collective, un hommage individuel est rendu puisque, au niveau local, le nom de chaque mort est prononcé et un enfant répond « Mort pour la Patrie ».117(*) C'est bien par le rassemblement populaire que la commémoration peut rendre hommage. En effet, lors de cérémonies aux pieds de monuments aux morts, il n'est pas rare que les autorités présentes appellent un à un le nom des disparus en observant un instant de silence entre chaque nom. Toutefois, il est bon de s'entendre sur la définition des termes « groupe social ». Il s'agit d'un groupe dans lequel se retrouvent des individus occupant une position plus ou moins semblable dans la société, sans forcément entretenir de relations directes avec l'ensemble des membres qui composent ce groupe.118(*) Il est intéressant de voir que dans le cas qui nous occupe, le groupe social mis en valeur semble s'élargir progressivement, avec la reconnaissance de nouvelles victimes de la guerre. En effet, dans un premier temps, les personnes mises à l'honneur sont principalement les soldats morts aux combats ainsi que les soldats revenus du front. Par la suite, les veuves et les orphelins sont mis en avant et au fil du temps, les autorités réalisent que toute la population belge a été touchée par cette guerre que ce soit à travers ses martyrs, ses résistants, ses veuves et orphelins,... Le groupe mis en avant devient donc l'ensemble de la population, la Patrie. La référence à la patrie devient omniprésente en Belgique : sur les actes de décès, sur les stèles, les plaques et les monuments commémoratifs. Par ce fait, nous voyons bien la volonté d'honorer l'ensemble du pays pour avoir tenu durant quatre années. 119(*) 1.6. L'importance de la commémoration dans l'identité nationale.L'identité nationale est en premier lieu un ensemble cohérent d'images et de sentiments concernant l'espace national et elle sert à la reconnaissance de l'individu à l'intérieur de la communauté.120(*) Elle est forte et socialement partagée car cet ensemble de symboles est transmis aux diverses générations par plusieurs moyens comme les médias, l'école,... Elle est d'autant plus forte qu'elle est créée progressivement grâce à des phénomènes qui encouragent l'admiration, la fierté et le respect. L'identité nationale se trouve sous l'égide de l'Etat qui veille à l'utilisation des symboles, au respect des valeurs et des comportements véhiculés à l'égard de la nation. L'action gouvernementale joue donc sur le nationalisme et le patriotisme qui servent à resserrer les liens entre les membres d'un même pays. En l'occurrence, l'Etat promeut l'attitude de la population et fait ainsi de l'attitude héroïque un trait de caractère de l' « âme » belge. Il est donc évident que l'identité nationale n'est qu'une construction qui dépend du contexte contemporain. Nous avons pu voir au cours de nos recherches qu'au profit de cette unité nationale, le gouvernement va jusqu'à faire voter une loi d'amnistie pour fait de collaboration ce qui aura l'effet inverse de celui recherché : les Anciens Combattants sont heurtés par cette démarche qui, selon eux, déshonore leur sacrifie.Cette identité nationale permet le conditionnement des comportements.121(*) Mais la communauté n'est pas qu'un récepteur passif, elle réagit au message idéologique par la prise de position. Nous avons pu voir qu'en mai 1922, les citoyens montois reprochent au Bourgmestre d'avoir gaspillé l'argent communal afin d'organiser des « réjouissances inappropriées » lors de la commémoration des morts pour la Patrie. Une kermesse avait été organisée pour les enfants dans le parc du Waux-Hall ce qui déplut fortement aux Anciens Combattants montois.122(*)Les membres de la nation défendent cette identité parce qu'elle fournit une reconnaissance et des justifications pour les actions entreprises.123(*) C'est ce qui explique l'engouement pour les commémorations de la Première Guerre Mondiale, elles permettent d'ancrer la population dans la représentation identitaire d'une Belgique forte et courageuse. Nous voyons donc que mémoire et identité sont liées. Pour Tzvetan Todorov, « le rappel du passé est nécessaire pour affirmer son identité, tant celle de l'individu que celle du groupe. L'un et l'autre se définissent aussi, bien entendu, par leur volonté dans le présent et leurs projets d'avenir : mais ils ne peuvent se dispenser de ce premier rappel ».124(*) * 117LATTÉ S., « Commémoration », », in Dictionnaire des mouvements sociaux, Presses de Sciences po, Paris, 2009, p. 121 ; La Dernière Heure, 12 novembre 1925, p.2 (commémoration locale à Moleembeek). * 118HÄHNEL-MASNARD C., LIENARD-YETERIAN M., MARINAS C. (dir.), Culture et mémoire, représentations contemporaines de la mémoire dans les espaces mémoriels, les arts du visuel, la littérature et le théâtre, Paris, les éditions de l'école polytechnique, 2008, p. 53. * 119ERGEN N., .La mémoire de la Grande Guerre à travers les monuments aux morts dans les communes d'Ans, Awans et Saint-Nicolas, Mémoire de master en Histoire, inédit, université catholique de Louvain-la-Neuve, année académique 2000-2001, p. 192-197. * 120ROEKENS A., « Les identités collectives, l'apport des sciences sociales », in VAN YPERSELE L. (Dir.), Questions d'histoire contemporaine - Conflits, mémoires et identité, Paris, Presse universitaire de France, 2006, p. 82 ; ANDERSON B., Imagined communities : reflections on the origin and spread of nationalism, London, Verso, 1991, p. 86-90. * 121HUNTINGTON S., Qui sommes-nous ? : Identité nationale et choc des cultures, Paris, O. Jacob, 2004, p. 34 ; GELLNER E., Nations and Nationalism, Ithaca, Cornell University Press, 1983, p. 113-125. * 122 AEMONS, Archives de la ville de Mons, section contemporaine, n° 232 : Lettre de plainte d'Anciens Combattants montois au sujet de la kermesse du Waux-Hall, 25 mai 1922. * 123CALINDERE O., L'identité nationale et l'enseignement de l'histoire: analyse comparée des contributions scolaires à la construction de l'identité nationale en France et Roumanie (1950-2005), Thèse de doctorat en science politique, inédit, Université Montesquieu-Bordeaux IV, année académique 2009-2010, p.87 ; HOBSBAWN E., Nations and nationalism since 1780 : programme, myth, reality, Cambridge, Cambridge University Press, 1992, p. 150-170. * 124TODOROV T., « La mémoire fragmentée. La vocation de la mémoire », in Cahiers français, juillet-août 2001, n°303, p.4. |
|