CONCLUSION
Insérer des symboles dans un texte revient à lui
assigner une signifiance instable et infinie. Au texte symbolique, convient une
lecture herméneutique et non compréhensive car il recoure
à l'imagination associant sens littéral du mot et sens
supposé ou suggéré. Les interprétations qui en
découleraient seraient naturellement variées et constitueraient
une panoplie d'optiques interprétatives.
Cependant, cette fonction libératrice du symbole
peut-être altérée par le désir de l'auteur à
circonscrire le champ d'interprétation symbolique du lecteur afin de lui
suggérer l'attribution d'une certaine signification à un symbole
plutôt qu'une autre.
Au fil des pages du roman, nous découvrons une
écriture certes symbolique, mais qui se trouve nettement balisée
par un lexique thématique et par des techniques narratives faisant en
sorte que l'atmosphère qui s'en crée s'en soit nettement
imprégnée. Rahimi intègre les symboles au roman de
façon à en faire de réels indicateurs capables de conduire
à une interprétation qui aille dans la même direction que
son intention propre. C'est des thèmes comme la guerre, la religion, la
libre expression, enfin, tout ce qui tend à se rapprocher avec la
liberté, que veut transmettre Rahimi au travers des différentes
insinuations symboliques qu'il introduisit ingénieusement dans le roman.
Le symbole chez Rahimi serait donc un prétexte pour
annoncer une intention et l'appuyer en même temps. Par un subtil usage de
la forme symbolique, Atiq Rahimi est parvenu à suggérer dans un
premier temps des thèmes, et à les rendre sujets à de plus
amples connaissances dans un deuxième temps.
L'auteur a su réapproprier dans le texte, des
thèmes socialement interdits au langage ou à la communication en
leur substituant des symboles aptes à en faire ressortir l'envergure de
leur impact sur la société.
Les différentes investigations que nous avions
entreprises précédemment, nous permettent d'arriver à une
sorte de conclusion qui aille quelque peu à l'encontre de ce que nous
avions suggéré au départ : En effet, ce que nous
avions perçu d'abord comme contrastif, s'avère être
complètement cohérent.
Rahimi superpose deux techniques assez distantes : D'une
part, il cache son intention de dire certaines choses derrière
l'opacité des symboles. D'autre part, il met
délibérément en surbrillance quelques termes, expressions
et thèmes constituant un fil d'Ariane quant à la
découverte du non-dit du texte/ symboles, cette opposition nous
mène à remarquer l'effet de paradoxe généré
par le désir de l'auteur d'exercer un renforcement des indices tant au
plan syntagmatique qu'au plan paradigmatique face à une réticence
d'avouer clairement son idéologie. Ce paradoxe semble-être le nerf
vital du roman puisqu'il vise à établir un équilibre
primordial au maintien de la cohérence du texte.
L'auteur aura tout au long du roman oscillé entre ces
deux moyens d'expression ; tantôt, il aura glissé du sens
voilé par un symbole, et tantôt, il pointe le doigt sur ce
même sens dans le but de rattraper ce qui aurait pu passer
inaperçu. Cette attitude vise à conforter l'hypothèse
interprétative du lecteur qui, parfois dérouté par son
intuition, est constamment reconduit à suivre l'intention
première de l'auteur.
Entre implicite, transcendance, obscurité et profondeur
du sens, les symboles ont parfaitement donné naissance à une
signifiance autre au texte que celle qu'auraient pu lui donner des mots
ordinaires. L'expression symbolique aura servi l'auteur de cuirasse ou de
paravent à une dénonciation de pratiques abusives et opprimantes
relatives à la religion ou à la domination masculine qui, ayant
trop duré finissent par aboutir à une révolte synonyme
d'une admirable « quête de liberté ».
L'expression symbolique aura servi également le texte, dans la mesure
où, elle permet de pénétrer pleinement par un jeu d'images
et d'imagination, dans le drame de l'Afghanistan et d'en ressentir la grande
affliction vécue par le peuple afghan. C'est par le biais de symboles
chargés d'images pleines de significations que toute une
réalité est racontée avec beaucoup d'acuité, et
à laquelle, le lecteur fait peu à peu part. C'est aussi par
l'intermédiaire du symbole que Rahimi initie indirectement le lecteur
à la découverte de la tragédie de son pays.
Enfin, notre travail ne saurait témoigner du pouvoir
indélébile du symbole et de la manière raffinée
avec laquelle, il insuffle le sens et le prétend, ce travail est encore
moins apte à rendre compte de tout le génie de l'auteur mis en
oeuvre afin d'écrire Syngué sabour Pierre de patience.
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