Usage des symboles dans Syngué Sabour Pierre de Patience d'Atiq Rahimi( Télécharger le fichier original )par Nadia Fatima Zohra SATAL épouse CHERGUI Université Abdelhamid Benbadis Mostaganem - Algérie - Magistère, option sciences des textes littéraires 2011 |
2-2-3- MÉDIATIONS ENTRE RÉALITÉ ET FICTIONLa socialité du le roman, ainsi déterminée, prouve l'ambition de l'auteur de tout mettre en oeuvre afin de retranscrire véridiquement la société dans l'oeuvre littéraire en présence. Syngué sabour Pierre de patience, ainsi truffé de symboles aura été un roman où le discours social est authentiquement passé de son état réel (société) à son état fictif (roman) : si l'auteur a mis en action des symboles pour parler de la société afghane, c'est justement dans le but de respecter les lois du discours social afghan, un discours caractérisé lui-même par le silence et le non-dit. Les symboles semblent épouser à la perfection ce discours, dans la mesure où ces deux pôles (le discours afghan et le texte) partagent communément un fond caché, muet et opaque. La socialité du roman aura été jusque dans ses infimes détails, une représentation authentique de la société puisqu'elle se lit dans le roman à la manière implicite des symboles. Les sociogrammes que nous avons retracés à partir du roman montrent combien est grande la symbiose qui s'opère entre l'expression symbolique (celle du texte) et l'expression du silence ou du non-dit (celle de la société afghane). Ces différentes observations nous ramènent droit vers la définition que Duchet attribue au sociogramme96(*). D'abord, Duchet décrit le sociogramme comme étant « conflictuel », le conflit se traduit dans la manière par laquelle la textualisation du social a été élaborée. Il peut arriver que le sociogramme soit une reconfiguration de la société qui va à contre sens du discours social original, c'est-à-dire qu'il va être une variante modifiée ou même opposée à l'originale. Il peut, au contraire, reconfigurer la société de façon exacte et précise, dans ce cas, c'est l'absence de conflit qui représente le pan conflictuel du sociogramme, cette absence ne peut que sous-entendre une censure tant au niveau discursif social qu'au niveau textuel, cette idée se voit clairement expliquée dans ce que Régine Robin dira : « Pas d'activité sociogrammatique sans enjeu polémique. L'absence de conflit étant l'indice d'une fossilisation consensuelle et censurante.»97(*)En d'autres termes, nous dirons qu'il est de la nature-même du discours social d'être l'objet de différends et de litiges, il ne peut en être dépourvu que s'il obéisse aux lois du refoulement et du non-dit. De la même façon, lors de son passage à la textualisation, le discours subira les mêmes conséquences de censure, de telle manière que les sociogrammes qui le formeront, de par leur aspect harmonieux et non-conflictuel, ne peuvent que traduire du mutisme qui aura été là, à l'aube de leur configuration. La censure de laquelle il est question dans notre cas est double : Premièrement, c'est celle à laquelle est contrainte la société afghane, une censure générée par la peur, la terreur de la guerre, de la mort, du taliban, d'un système religieux étouffant... etc. Deuxièmement, c'est celle que Rahimi exerce par l'emploi des symboles, c'est cette pratique du non-dit qui leur est relative qui témoigne d'une sorte de censure du langage, elle-même obéissant aux règles de la société. C'est ce que Duchet décrit quand il explique que la création artistique est préalablement dépendante d'un ordre établi social, il note que la lecture sociocritique revient à « Reconnaitre ou à produire un espace conflictuel où le projet créateur se heurte à des résistances, à l'épaisseur d'un déjà là, aux contraintes d'un déjà fait, aux codes et aux modèles socioculturels, aux exigences de la demande social98(*) ». Dans le cas échéant, l'épaisseur du déjà là et du déjà fait est cette résignation à adopter la loi du mutisme qu'a prise la société afghane et à laquelle est confronté Rahimi en voulant formuler un faire- part de cette société. La textualisation du social aura pleinement servi la doxa, tous les présupposés, croyances et toutes les résignations négatives construites autour d'un consentement à ne pas dire, se seraient manifestés dans le texte. La reconversion du social de sa forme discursive à sa forme textuelle dans Syngué sabour, peut être considérée comme un processus de transmutation du silence social réel au silence fictif romanesque. Tel qu'il est vécu par les individus de la société, le silence, se retrouve transposé dans le texte, et c'est autour des mots de se soumettre à ses obligations, c'est justement là, qu'interviennent les symboles pour se substituer à toutes ces zones silencieuses du discours. Nous conceptualisons dans le schéma ci-dessous, le processus de transformation du discours social afghan : Processus de textualisation du discours social Ensuite, dans sa même définition du sociogramme, le sociocritique affirme que les sociogrammes gravitent autour d'un noyau lui-même conflictuel, ce qui signifie que ces représentations du discours social se rapportent toutes au même sociogramme qui constitue le thème litigieux premier du discours social dans un premier temps, et celui du texte dans un temps second. À notre corpus, correspond le sociogramme du silence comme sociogramme du conflit, car, il apparait clairement que tous les sociogrammes que nous avons étudiés plus haut, convergent tous vers ce thème, la peur des sanctions relatives à loi islamique radicale et la peur de la guerre engendrent une atmosphère du non-dit où le mutisme est maitre. Ce thème demeure très répandu dans le discours social puisque, en Afghanistan (notamment durant les années 80-90), le mutisme est de vigueur. Nul n'a le droit de protester ou même de critiquer, tous doivent se plier aux exigences du silence imposé par les islamistes ; les médias censés communiquer l'information et témoigner de la réalité, se verront considérablement sanctionnés à cause de leur audace de dire, tel est l'exemple du journal Kabul Weekly qui, fut interdit à la publication par le gouvernement car, il a daigné porter des critiques à l'égard de l'ambassade d'Afghanistan en Inde99(*). Ou encore, à l'exemple de ce journaliste condamné à l'emprisonnement pour avoir publié un article où, il a osé parler d'apostasie en Afghanistan100(*). À côté de la presse et des médias en général, c'est toute la population qui est concernée par le mutisme, les femmes en particulier ne peuvent en aucun cas, faire l'expression de leur mécontentement ou de se plaindre d'un quelconque comportement violent à leur encontre, bien que victimes, les femmes sont rendues coupables de toutes façons. Archambeaud explique que : « Les violences à l'égard des femmes ne sont tout simplement pas considérées par les personnels judiciaires parce qu'elles seraient de l'ordre de la sphère privée. Une femme battue serait une femme qui désobéit à son mari. Une jeune fille qui s'enfuit pour éviter un mariage imposé serait une jeune fille qui désobéit à son père et commet un crime de zina. Une femme violée serait une provocatrice. Dans tous ces cas, le simple fait pour la femme de manifester publiquement son désaccord serait un crime envers l'honneur de sa famille. » 101(*) * 96Nous proposons une assez large définition du sociogramme dans une partie précédente. * 97 Robin, Régine, op.cit., p. 106. * 98 Duchet, Claude (1979), op.cit. p. 4. * 99 Bachardoust, Ramazan, op.cit. p. 334. * 100 Baquiast, Paul, Dupuy, Emmanuel. L'idée républicaine dans le monde XVIIIe- XXIe siècles, Nouveau monde, Afrique, Monde musulman. Paris : L'Harmattan, coll. « Questions contemporaines », vol.2, 2007, p. 189. * 101 Archambeaud, Gaït, op.cit. , pp. 85-86. |
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