REPUBLIQUE ALGERIENNE DEMOCRATIQUE ET
POPULAIRE
MINISTERE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE
LA
RECHERCHE SCIENTIFIQUE
UNIVERSITE ABDELHAMID IBN BADIS MOSTAGANEM
FACULTE DES LETTRES ET DES ARTS
DEPARTEMENT DE LA LANGUE ET DE LA
LITTERATURE
FRANÇAISES
USAGE DES SYMBOLES DANS
SYNGUÉ SABOUR PIERRE DE PATIENCE
D'ATIQ RAHIMI
Mémoire de magistère option Sciences des
textes littéraires
Présenté et soutenu par Nadia Fatima Zohra
SATAL
Sous la direction de Miloud BENHAIMOUDA, M.C.A,
Université de Mostaganem
Jury : -
-
-
-
Année universitaire : 2011-2012
Usage des symboles dans Syngué Sabour
Pierre de patience
d'Atiq Rahimi
|
À ma maman
REMERCIEMENTS
Je tiens tout particulièrement à remercier toute
ma famille, sans qui, ce travail n'aurait même pas eu une ombre : ma
maman pour sa ténacité, mon mari pour sa patience, ma soeur pour
son encouragement et mes adorables enfants ; Nesrine, Ryham et Mohamed
pour leur constante bonne humeur.
Un remerciement spécial à mes enseignants, qui
de l'école primaire à l'université n'ont jamais
cessé ni hésité de transmettre et de partager leur
Savoir.
Mille mercis à mes amis qui me remettent sans cesse sur
les rails (quand je déprime et quand me gagne le
découragement).
Merci à vous tous pour votre précieuse aide et
assistance qui en fin de compte demeurent les meilleures armes que j'ai jamais
pu avoir.
« Le symbole exprime ce qui ne peut - être
dit que par lui »
André Malraux
« La nature est un temple où de vivants piliers
Laissent
parfois sortir de confuses paroles ;
L'homme y passe
à travers des forêts de symboles
Qui
l'observent avec des regards familiers »
Charles Baudelaire
SOMMAIRE
Sommaire
3
Introduction
9
Chapitre I : Entre symbole et
symbolisme
22
1- Au fait, qu'est-ce qu'un symbole ?
23
1-1- Définitions et cadre
épistémologique
23
1-2- Signe et symbole, symbiose ou
disparité ?
27
1-3- Caractéristiques, fonctions et pouvoir
du symbole
31
2- Le symbolisme, le mouvement
37
2-1- Le manifeste du symbolisme
39
2-2- Les décadents, pionniers du
symbolisme
41
Chapitre II : Lecture symbolique du
roman
44
1- Attention un mot peut en cacher un
Autre !
45
1-1- L'enclenchement du processus
interprétatif
45
1-2- Les indices textuels
47
2- Symboles et société : vers
une interprétation socio-symbolique du roman
59
2-1- La sociocritique
60
2-2- Lecture de la socialité et symboles
66
Chapitre III : L'acte
herméneutique entre intentio operis et intentio
auctoris
107
1- Un symbole, un message
108
1-1-L'intentio operis
108
1-2-L'intentio auctoris
119
Conclusion
125
Bibliographie
128
INTRODUCTION
Au commencement était « un
symbole ». Le terme est chargé de sens, de messages et
d'énigmes. Créer un symbole a été depuis toujours
un souci humain. En effet, dès son apparition, l'homme a ressenti
incessamment le besoin de dire et de communiquer ce qu'il pensait. Il lui
fallait attribuer à l'idée pensée aussi abstraite qu'elle
soit une image concrète pouvant représenter au mieux sa
Pensée. Ce fut les formes primitives de l'écriture.
Il est clair que l'humanité n'aurait été
telle sans la découverte de l'écriture. Il était enfin
possible à l'homme de matérialiser sa pensée, la rendant
ainsi perceptible à tous. La communication était désormais
assurée grâce aux symboles graphiques qu'il avait
créés.
Bien que ne constituant que de simples caractères
représentant des animaux, des humains ou des scènes de la vie
quotidienne, ces symboles n'en demeuraient pas des plus faciles à
interpréter. Leurs significations étaient si complexes que
l'homme moderne essaye jusqu'à présent d'en cerner les
principales modalités et mécanismes de fonctionnement.
Prenons pour exemple l'un des systèmes
d'écriture des plus riches en formes d'expression et en envergure du
sens qu'il pouvait exprimer « les
hiéroglyphes » utilisés par les anciens Egyptiens. Les
caractères produits par ces-derniers ont été la preuve
concrète de la complexité et de la richesse que pouvait avoir une
simple forme graphique.
Quand Champollion1(*), perça l'énigme du système
hiéroglyphique de l'Egypte ancienne ; on comprit que non seulement
les figures utilisées exprimaient des mots, des idées et des sons
et qu'ils constituaient de vrais signes mais aussi que chacun de ces signes
pouvaient être figuratif, symbolique ou phonétique.
Ainsi, comme il nous l'explique dans Egypte
ancienne2(*) : un signe
figuratif exprime exclusivement l'idée de l'objet qu'il
représente graphiquement. Un signe symbolique est plutôt relatif
à l'expression d'une idée métaphysique au travers d'une
image ayant des qualités analogiques avec l'idée voulue, à
ce titre il cite l'exemple qui stipule que : « L'abeille
était le signe symbolique de l'idée roi ; des bras
élevés, de l'idée offrir et offrande ; un vase
d'où l'eau s'épand de la libation.» (221), le signe
phonétique exprime quant à lui un son.
Dès lors, nous pourrons dire que l'homme ancien est
parvenu à représenter une idée abstraite par le biais d'un
symbole pouvant joindre grâce aux traits qui le caractérisaient
deux concepts nettement différents.
Au fil du temps, ce symbole a évolué et a pu
prendre place dans tous les arts : musique, peinture, poésie,
théâtre et littérature ont tous adopté cette forme
si particulière et subtile de dire les choses qui ne pourraient-
être dites autrement.
Pour plusieurs artistes, le symbole était devenu un
moyen fort et puissant en matière de transmettre une idée sans
même avoir recours aux mots la désignant directement. Richard
Wagner, Claude Debussy3(*),
Apollinaire, Verlaine, Baudelaire et Mallarmé pour n'en citer que
ceux-là ont chacun tiré profit de cette faculté de
liberté, de suggestion et d'évasion que détient
irrévocablement le symbole.
En effet, Gustave Moreau (1862-1898), peintre et sculpteur
français peint dans son illustre tableau Sémélé
et Jupiter4(*) les
concepts de la mort et de l'immortalité : la partie
inférieure du tableau est caractérisée par la dominance du
noir, de créatures et de monstres de la nuit symbole de la mort. Les
bras levés de Sémélé vers le ciel bleu symbolise le
passage de cette dernière à l'état de
l'immortalité.
En matière de musique, Debussy, dans ses opéras
évoque avec virtuose des thèmes qui ne pouvaient-être
jusque-là présents dans l'art musical. Par d'extraordinaires
arrangements, d'étranges gradations de notes et de merveilleux accords
musicaux, il arriva à faire allusion à la mer, à la
fraicheur, aux senteurs de la nuit et à l'amour. Ses symphonies
étaient une succession d'émotions devant lesquelles le public ne
pouvait que céder à la tentation de complicité pour aller
au-delà du son vers la recherche du sentiment caché.
Mais c'est en poésie que le symbole s'épanouit
le plus. Les poètes furent de tous temps séduits par la richesse
de significations qu'il apporte dans leurs vers. Ces derniers trouvent
là, une source généreuse et inépuisable rassemblant
beauté du mot et sens transcendant, le symbole parvient aisément
à atteindre le sentiment et pousse vers le chemin de la rêverie et
de la liberté.
Il n'est plus bel exemple que celui de Baudelaire dans
L'ennemi 5(*)« Ma jeunesse ne fut qu'un
ténébreux orage / Traversé ça et là par de
brillants soleils / Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage / Qu'il
reste en mon jardins bien peu de fruits vermeils [...]. » Il n'est
pas à démontrer du pouvoir de rapprochement exercé dans
ces vers. Tant d'images représentant les escales de la vie, ses moments
de bonheur, ses peines et ses embuches et du mal qui en résulte se
voient ainsi, représentés par des phénomènes de la
nature.
En littérature, le symbole est apparu très
tôt, avec les fables. Ainsi, dans ses fables, Esope6(*) (fabuliste Phrygien du
VIIe siècle av. J.-C, considéré comme le
père de la fable) exploite au plus petit détail l'analogie qui
existe entre l'image que donne ses animaux-personnages et certains
défauts ou qualités de l'homme. De part leurs aspects physiques,
leurs comportements ou la place qu'ils occupent dans le monde animal, ces
bêtes symbolisent chacune un caractère humain.
Esope se servit du symbole, un moyen sûr et implicite de
dire en évoquant. Il le mobilise pour parler du vice, de la bêtise
ou de la sagesse humaine ; sans pour autant citer ou nommer, l'on
reconnaissait par ce subterfuge d'allusion à qui le personnage
renvoyait. Ainsi fit-il pour parler de Pisistrate (Homme d'état Grec du
VIIe siècle av. J.-C ) quand il raconta aux
Athéniens mécontents de leur gouverneur sa fable Les
grenouilles demandant un roi7(*).
Depuis, le symbole ne cesse de prendre de l'ampleur ; son
pouvoir émeut encore le lecteur et l'entraine au-delà du sens
propre. Plusieurs siècles après Esope, les auteurs continuent
à faire du symbole leur instrument d'expression, pourvu d'un
extraordinaire pouvoir de suggestion, il transporte là, où les
simples mots ne pourraient parvenir.
Germinal8(*), une oeuvre classée comme appartenant
au naturalisme, où le réalisme est des plus marquants ne manque
pas de recourir aux symboles et demeure l'une des plus belles manifestations du
symbole. L'histoire de Germinal est axée autour d'un symbole
puisque la révolte des mineurs et leur désir de changer leurs
conditions de vie sont symboliquement liés à l'arrivée du
printemps connu pour être la période du renouveau et de la
régénération de la nature, telle la germination des
plantes au printemps, les mineurs vont voir leurs destins évoluer vers
un monde meilleur. Dans la même perspective, il est clair que Camus, dans
son roman La peste9(*), ne voulut en aucun cas parler de la peste en tant
qu'épidémie mais faisait allusion à l'invasion allemande
de l'Europe. Le mal qui rangeait la population oranaise était la
représentation de la souffrance des Français face au nazisme et
face aux horreurs de la guerre mondiale.
Notre roman-corpus encore, rend compte dans ses moindres mots
de la puissance du symbole en littérature ; motif qui nous poussa
à étudier la récurrence du symbole et sa fonction
représentative des personnages, du temps et des lieux qu'il occupe dans
notre corpus Syngué Sabour Pierre de patience10(*).
Objet d'étude
Promu prix Goncourt de l'année
2008, Syngué sabour Pierre de patience est le premier
roman d'expression française de son auteur d'origine afghane Atiq
Rahimi11(*). En effet,
l'auteur produisit jusque-là, trois romans en langue persane.12(*)
Notre corpus raconte le combat et les confessions d'une
femme ; une Afghane, restée au chevet de son mari mourant,
blessé gravement à la nuque lors d'une dispute entre amis, la
balle installée dans son corps le fit sombrer dans le coma, seules des
perfusions d'eau sucrée-salée le maintiennent à la vie.
L'épouse ne l'abandonne pas et tente de le faire
revenir à la vie en le soignant et en lui parlant. Elle lui raconte ses
secrets enfouis depuis sa jeune enfance ; faisant ainsi, du corps inerte
de son mari une « Syngué sabour » .Une
pierre censée contenir les peines des gens jusqu'à en
éclater elle-même ; les débarrassant ainsi du mal qui
les range.
Face à cette entité réduite à
l'état végétatif, la femme révoltée,
outrée de sa malheureuse condition arrive enfin à se confesser
.Elle avoue ses torts, ses péchés et son mal de vivre. C'est la
première fois de sa vie qu'elle se permet de raconter ses envies
cachées et de partager les haines qu'elle avait éprouvées.
Dans un monologue touchant, sincère et parfois violent, se mêlent
courage féminin et cruauté masculine, une langue se
dénoue, celle de la femme, divulguant ainsi ce qui était
resté secret. Tombé le voile, quand la peur n'est plus là
et quand une femme désemparée, indignée se décide
de dire.
Tout au long du récit, l'héroïne du roman
fait des aller -retours entre ses souffrances d'antan, témoins d'un
passé lamentable et celles du vécu qui lui rappellent un
présent douloureux. Elle narre à son mari (et aux lecteurs) tout
ce qui la faisait souffrir, tout ce qu'elle n'osait jadis dire, tout ce dont
elle avait honte et peur, tout ce qu'elle aurait aimé que son homme
sache. Cependant, rien de ces révélations n'atteint l'homme, il
demeure inerte et inconscient, pas de réaction, ni face aux dires
impensables de sa femme ni même face à la douleur, rien ne le fait
réagir, il accumule, il encaisse, mais un jour, et pareil à la
pierre de patience ; Syngué sabour éclate et libère,
l'homme quitte son long sommeil et tue la femme, enfin, elle repart
libérée, débarrassée de son fardeau, elle tend
désormais vers la quiétude.
Syngué sabour Pierre de
patience témoigne de la condition féminine en
Afghanistan et la dénonce. Un pays où la femme est sous l'emprise
d'un système religieux radical, d'une part. Et subissant des lois et des
contraintes instaurées par les hommes, d'une autre part.
Le roman donne la parole à une Afghane la laissant
crier son état déplorable, un statut social fait par, et, au
service de la gente masculine, la réduisant à l'objet de
désir, l'objet reproducteur.
Guerre, violence, religion, souffrances, marginalisation de la
femme et enfin révolte et châtiment de celle-ci ; autant de
thèmes qui alimentent le feu du roman et lui donnent toute sa raison
d'être. Tant d'images, de scènes, nous font voyager là
où la vie est synonyme de silence, et où toute révolte est
mortellement sanctionnée.
Atiq Rahimi a écrit son roman à la
mémoire de Nadia Ajuman, jeune poétesse afghane de vingt-cinq
ans, tuée par son mari. C'est avec les mots suivants que l'auteur avait
préfacé son roman :
« Ce récit, écrit à la
mémoire de N.A.
-poétesse afghane
sauvagement assassinée
Par son mari-, est
dédié à M.D. »
Pourquoi Syngué sabour Pierre de
patience
Il serait mentir de dire que le choix de notre corpus
résulte du roman lui-même car dans un premier temps, notre
intérêt porta sur deux articles que nous avons rencontrés
par hasard sur le net ; donnés immédiatement après
l'annonce du prix littéraire, ces deux articles, correspondaient aux
avis qu'eurent deux critiques-littéraires à l'égard de
notre roman. En effet, nous fûmes frappée par la divergence et
l'écart des propos de ces derniers. Le premier critique décrivit
le roman comme manquant de singularité, le qualifiant de simple
marchandise politique, un objet de marketing dans le marché
occidental13(*). Selon
Georges Stanechy (le premier critique), Syngué Sabour Pierre de
patience ne serait qu'un concentré d'images émouvantes,
chargé de descriptions fortuites n'ayant pour but que de suivre la
tendance dont la guerre, le sang, la haine et la souffrance constituent la
pièce motrice ; des thèmes qui suscitent un attrait parmi
les lecteurs. Parallèlement, le deuxième critique trouva le roman
comme authentique « porte-voix » de la femme afghane,
témoignant à Rahimi tout le talent mobilisé dans
l'écriture de ce roman14(*).
Cette polarisation des avis fut pour nous des plus
révélatrices, elle suscita chez nous une telle curiosité
que nous nous mîmes à lire et à relire le roman afin de
répondre aux questions suivantes : À quoi est due cette
opposition des avis sur un roman de 155 pages ? Qu'est-ce qui
pouvait-être perceptible chez les uns et qui ne le serait pas chez les
autres dans ce roman ?
Après plusieurs lectures du roman, nous nous sommes
aperçue que nous- mêmes, simples lecteurs curieux et avides de
découvertes littéraires ne percevions pas le roman de la
même manière que nous le percevons maintenant. Chaque nouvelle
lecture du corpus laissait en nous une nouvelle impression, de nouvelles pistes
d'interprétation s'offraient à nous, de telle manière que
nous ne pouvions mettre de limites aux éventualités de sens qui
s'en dégageaient. A chaque fois que nous nous attardions sur une
expression, nous lui découvrions de nouvelles dimensions et nous
comprenions qu'elle exprimait bien plus qu'elle ne contenait de mots. En somme,
la signifiance finale que nous donnions au roman était sensiblement
variable et mouvante à cause de toute une gamme de termes et
d'expressions chargés de valeurs symboliques qui fonctionnent telle une
machine sémantique en perpétuelle production.
Problématique
Dès notre première lecture du roman, nous nous
sommes rendue compte de l'absence totale de tout indice spatio-temporel ou
onomastique dans le roman, cependant, cette omission d'indices a
été compensée par un emploi renforcé et abondant de
symboles pouvant-être d'un usage très significatif. A aucun
moment, il n'a été question dans le roman d'un nom de personnage,
d'un nom de ville ou d'une valeur temporelle quelconque. Tout a
été parfaitement régi par une mise en action très
particulière des symboles. Notre présente étude s'assigne
pour objet l'analyse de cet agencement et l'émiettement des
modalités de cette mise en action qui constituent à eux deux le
pivot même de notre modeste recherche.
Notre travail aura pour objectif de répondre à
plusieurs questionnements dont celui-ci : Pourquoi Rahimi omet-il de
mettre un moindre repère dans son roman (noms de personnages, de lieux,
de temps...) qui permettrait au lecteur de situer les évènements
relatés mais, il introduit en parallèle, des indices
implicitement évocateurs de sens ayant le pouvoir de constituer un moyen
de repérage pour le lecteur ?
Il s'agira principalement de montrer comment l'auteur aurait
construit son roman autour de symboles ? De quelle manière, les
simples détails d'une description pourraient représenter les
points-clé d'un récit ? Nous tenterons éventuellement
d'expliquer les mécanismes par lesquels la symbolisation aurait permis
à Rahimi de parler de toute une société sans pour autant
s'y référer directement.
Afin de répondre à ces questions, nous proposons
une hypothèse qui pourrait éventuellement répondre
à nos attentes : nous admettons que les symboles suivent un
mouvement tracé par l'auteur, ce dernier aurait voulu guider les
lecteurs vers un objectif précis. Par un emploi très
fréquent des symboles, et grâce à leurs pouvoirs de
suggestion, Rahimi incite les lecteurs à la réflexion et par
conséquent à se pencher davantage sur les thèmes qu'ils
proposent ; une quête du sens caché serait
impérativement accompagnée d'une connaissance plus vaste du sujet
traité et convierait le lecteur à s'intéresser de plus
prêt au débat soulevé.
Au terme de notre travail, nous espérons arriver
à répondre à deux questions fondamentales : Quels
sont les enjeux de l'abondance symbolique dans un écrit ? Et
quelles sont les véritables intentions de l'auteur au travers de cet
emploi ? Notre souci sera d'une part, d'analyser ce que nous avons
perçu comme symboles dans le roman et d'en expliquer la valeur
significative qu'ils y occupent. Et d'autre part, d'examiner les
modalités de leurs mises en fonction dans le roman.
Méthodologie et cadre théorique
De par la complexité du thème de notre
étude soit celle du symbole, nous avons été amenée
à avoir recours à plusieurs méthodes d'approche du
texte. Outre une analyse thématique du roman, nous porterons un grand
intérêt sur les techniques de narration de Rahimi et de leurs
relations avec la mise en oeuvre des symboles dans le roman. En effet, une
analyse narrative sera tout à fait de propos pour rendre compte de la
façon par laquelle le texte fait effet sur le lecteur, nous soulignons
que l'objectif final de notre recherche est de mettre en évidence les
degrés d'imprégnation que pourrait laisser une écriture
symbolique sur celui qui la lit. Autrement dit, notre but sera de
dévoiler les stratégies narratives prises par l'auteur pour
diriger le lecteur quant à la perception des symboles.
La sociocritique semble être la plus adéquate
quant à l'étude de l'aspect social du roman. Nous
préconisons cette approche dans la mesure où notre
interprétation des symboles se veut d'ordre social ce qui signifie que
notre herméneutique sera consacrée à retrouver le social
dans le symbolique. Nous tenterons par ce faire de montrer comment le roman
raconte la société et quelles sont les raisons qui font que
certains thèmes prédominent le texte. Notre choix pour
l'herméneutique sociale relève de notre désir de nous
éloigner de toute interprétation qui relèverait de la
spéculation et de la pure subjectivité. Loin de prétendre
une étude exhaustive des symboles et de leurs interprétations,
nous voudrions simplement donner à notre étude un aspect assez
tangible et indubitable.
Théoriquement, nous conforterons nos dires avec des
données théoriques diverses qui aboutissent chacune au besoin en
échéance. Nous appuierons notre façon de faire par le
recours à la théorie du symbole émise
par Todorov, notamment pour repérer les symboles et
éventuellement les classer, nous recourrons, également, aux
théories sociocritiques développées par Claude Duchet
quant à l'interprétation des symboles :
-Les travaux de Todorov15(*) sur le sujet, et les réflexions de ce dernier
sur le symbole, semblent être applicables à notre corpus. En
effet, Todorov développe une théorie de la symbolique du langage
qui traite des différentes manifestations linguistiques du symbole. Le
théoricien met en place une stratégie de repérage des
symboles qui consiste à repérer des énoncés qui
contiendraient des indices textuels ne répondant pas aux lois de
pertinence, ces unités linguistiques vont alors paraitre comme des
irrégularités sémantiques autour desquelles, se formeront
des questions qui visent à en expliquer l'anomalie. Ces indices sont
respectivement classés sur deux axes : Un axe syntagmatique sur
lequel seront placés tous les indices dont l'emploi semble ne pas
concorder avec le texte, des critères tels que la contradiction, la
répétition ou la tautologie entre autres sont susceptibles
d'être des indices de la non-pertinence. Un axe paradigmatique où
seront relevés des indices qui semblent contradictoires vis-à-vis
d'une mémoire collective. De l'identification de ces indices
découlera la résolution d'entreprendre une tentative
d'interprétation symbolique.
Les stratégies interprétatives qui
peuvent-être entreprises se subdivisent en deux
catégories16(*) : 1-Une interprétation finaliste de
laquelle l'objectif ou le dessein est préalablement défini. 2-
Une interprétation opérationnelle au cours de laquelle, le texte
subit les conséquences générées par le type
d'opérations auxquelles, il se soumet.
- Claude Duchet fonde sa théorie de la sociocritique au
début des années soixante-dix où, il lui affectera la
fonction de lecture du discours social dans l'oeuvre littéraire. Duchet
suggère alors que l'oeuvre ne reflète pas la
société telle quelle mais qu'elle la reproduit dans son
contenu. Ses théories, principalement introduites lors de colloques
ou de conférences, vont se faire objet de définir les notions
de : 1- socialité comme étant l'inscription du discours
réel dans le texte littéraire. 2- sociotexte comme substitut au
texte dans lequel se développe une microstructure de la
société. 3- hors-texte, les circonstances qui auraient
devancé l'oeuvre et les conditions socio-historiques qui l'auraient
précédée, des conditions desquelles, l'oeuvre sera
manifestement dépendante et tributaire. 4- co-texte, les conditions qui
vont suivre l'oeuvre durant tout son parcours (allant du premier moment de sa
conception jusqu'au moment où elle se prête à la lecture).
5- sociogramme, grille analytique relative au processus de métamorphose
du discours social à l'énoncé littéraire.
Nous faisons note que nous reviendrons sur ses théories
de manière beaucoup plus éclairée au cours de notre
étude.
Cette méthodologie de travail ainsi que ces outils
opératoires feront le cheval de bataille de nos trois chapitres qui
s'intituleront :
CHAPITRE I : Entre symbole et
symbolisme
Il y sera question, d'abord, de définir le symbole et
d'en apporter des éclaircissements nécessaires à sa totale
compréhension. En le mettant dans son cadre encyclopédique et
épistémologique, nous souhaiterions approcher le concept de
symbole de tous les angles. Suite à quoi, nous proposerons de
présenter le symbolisme en tant que mouvement littéraire
français.
CHAPITREII : Lecture symbolique du
roman
Le deuxième chapitre constitue la lecture symbolique
proprement dite : Dans un premier temps, notre tâche sera de
repérer les symboles et d'expliquer les raisons qui auraient mené
au déclenchement du processus interprétatif.
Ultérieurement, nous procèderons à leur
interprétation, où, nous leur attribuerons une certaine
interprétation qui aille en parallèle avec le vécu
social.
CHAPITREIII : L'acte herméneutique entre
l'intentio operis et l'intentio auctoris
Ce dernier chapitre sera consacré à
étudier l'ampleur de l'impact porté par l'intention du texte et
de l'auteur sur l'interprétation. Il y sera principalement question de
montrer comment notre interprétation s'est trouvée
considérablement conditionnée par ce que le texte et l'auteur
auraient voulu dire.
Nous soulignons que nous aurons énormément
recours à la schématisation, dans la mesure où, nous
jugeons qu'elle représente le meilleur moyen de conceptualiser
l'idée et de la simplifier.
CHAPITRE I : ENTRE SYMBOLE ET SYMBOLISME
1- Au fait, qu'est-ce qu'un symbole ?
1-1-Définitions et cadre
épistémologique.
1-2-Signe et symbole, symbiose ou
disparité ?
1-3-Caractéristiques, fonctions et
pouvoir du symbole
2- Le symbolisme
2-1-Manifeste du symbolisme
2-2-Les décadents, pionniers du
symbolisme
Bien qu'ayant constitué l'essence de plusieurs travaux,
le symbole baigne encore dans la confusion et la mécompréhension,
il n'est guère aisé de le définir ni d'en cerner les
véritables dimensions à cause du caractère abstrait qu'il
revêt, néanmoins nous essayerons de rassembler les plus
pertinentes des définitions que nous avons pues trouver. Dans ce
chapitre, nous proposons de rendre plus explicite le concept de symbole, nous
lui accordons dans ce travail une certaine définition (non que nous la
jugions comme juste mais du moins, c'est celle qui réponde le mieux
à nos attentes).
Le symbole a été depuis tous temps assujetti
à la disparité puisqu'il a été synonyme de signal,
d'allégorie, de métaphore, de figure et d'icône, de telle
manière que sa lexicographie est l'une des plus fructueuses mais aussi
des plus confuses. Nous avons jugé indispensable dans la première
partie de ce chapitre, de prêter un grand intérêt aux cadres
encyclopédique et épistémologique dans lesquels s'est
inscrit ce concept.
La deuxième partie du chapitre sera consacrée au
symbolisme français exclusivement, nous y présenterons les
principaux fondements et fondateurs et y éclairerons les motivations de
son avènement.
1- AU FAIT, QU'EST-CE QU'UN SYMBOLE ?
1-1- DÉFINITIONS ET CADRE
ÉPISTÉMOLOGIQUE
Qu'en disent les dictionnaires ?
L'Encyclopædia Universalis en ligne17(*) nous a permis d'inventorier
trois significations du terme « symbole » : 1- un
sens étymologique, 2- un sens courant, 3- un sens relatif au symbole
logico-mathématique.
1-Etymologiquement le mot symbole vient du mot latin
symbolus qui signifie « signe de reconnaissance »
ou encore du verbe grec symballein qui veut dire jeter ensemble
d'où dérive sumbolon, objet coupé en deux et
qui constitue un signe de reconnaissance. En Grèce antique, le
sumbolon était le morceau d'une poterie brisé en deux
et, qu'on donnait aux ambassadeurs de deux cités alliées afin
qu'ils se reconnaissent dans un temps ultérieur. Cette courte
définition du dictionnaire apporte une information primordiale se basant
sur la reconnaissance, en effet, un symbole doit être reconnaissable au
moins par les deux protagonistes le maniant. Dans le cas échéant
(celui relatif à la Grèce antique), chacun des deux
émissaires est en mesure d'identifier l'autre morceau par
compatibilité des formes et par conséquent de remettre ensemble
les deux morceaux, ainsi, la validation de l'authenticité est garantie.
2-Couramment le terme symbole est en étroite relation
avec toute analogie emblématique, l'Encyclopédie propose
l'exemple de la colombe symbole de paix et du lion symbole de courage.
3-Le symbole au sens logico-mathématique est
un signe graphique qui indique soit une grandeur ou prescrit une
opération sur ces grandeurs.
Ces trois significations du symbole nous permettent de dresser
le tableau ci-dessous, nous faisons remarquer que dans un souci de
dénomination, nous empruntons à Eco18(*) le terme de symbolisant pour
nommer l'objet qui désigne un concept (la partie palpable et vue du
symbole, soit le signifiant symbolique), et celui de symbolisé pour
qualifier le concept auquel renvoie le symbolisant (sa partie abstraite, soit
le signifié symbolique).
Symbole
|
Lien symbolisant/symbolisé
|
Caractère
symbolisant/symbolisé
|
Au sens étymologique
|
Analogique
|
concret concret
1er morceau de poterie un seul morceau
réuni
|
Conventionnel
|
concret abstrait
les deux morceaux de poterie
union/accord
|
Au sens courant
|
Arbitraire
Conventionnel
|
concret abstrait
colombe paix
|
Analogique
|
concret abstrait
lion force/courage
|
Au sens logico-mathématique
|
Arbitraire
Conventionnel
|
abstrait abstrait
|
abstrait concret
H2O eau
|
Le Robert ajoute encore : Objet ou fait naturel
de caractère imagé qui évoque, par sa forme ou sa nature,
une association d'idées « naturelle » dans un groupe
social donné avec quelque chose d'abstrait ou d'absent19(*). Cette autre définition
éclaire davantage notre perception du terme ; d'abord, le symbole y
est identifier à un objet ou à un fait naturel, ce qui
diffère des trois premières définitions ; ensuite,
elle met en évidence l'aspect d'appartenance du symbole, selon cette
définition, un symbole est relatif à un ensemble fini de
personnes, qui par une opération de rassemblement peuvent joindre un
objet ou un fait à quelque chose d'abstrait.
Enfin le dictionnaire de philosophie Dictionnaire de la
langue philosophique20(*)
de Paul Foulquié, définit le symbole comme étant
« image ou objet matériel qui donne un certain sentiment
d'une réalité invisible ».
Qu'en disent les théoriciens ?
Le symbole recouvre des définitions diverses dont
certaines tendent vers le rapprochement et d'autres se révèlent
nettement contradictoires. Philosophes, psychanalystes, théologiens,
linguistes et anthropologues se sont tous assignés la tâche de le
définir, chacun avança une vision théorique propre
à sa discipline et répondant à une problématique
spécifique. Ces visions sont loin d'être unanimes et univoques
mais du moins elles offrent d éventuelles voies d'exploration. Nous en
proposons quelques unes afin d'avoir une plus ample idée du concept de
symbole tel qu'il a été défini dans divers champs
culturels.
En psychanalyse, la psychologie des profondeurs et
précisément l'interprétation des rêves chez Freud
est principalement fondée sur l'étude des symboles qui y sont
présents. Le symbole constitue un moyen de défense du conscient
d'un individu, refoulant désirs et pulsions sexuels, ce dernier, les
reconfigure dans le rêve (inconscient) sous forme de symboles. Le
psychanalyste (Freud) définit le symbole comme
suit : « Nous donnons à ce rapport constant
entre l'élément d'un rêve et sa traduction le nom
de symbolique, l'élément lui-même étant
un symbole de la pensée inconsciente du
rêve.»21(*) Ce-dernier élabore une méthode
d'analyse du rêve en le considérant comme un ensemble
cohérent et compréhensible de symboles, il est traité tel
un langage qui pourrait être déchiffré, une fois les
significations des symboles oniriques connues, le rêve serait
systématiquement décodé. Nous ajouterons que le
psychanalyste prédéfinit les symboles selon un modèle
obéissant aux lois d'analogie notamment avec les organes sexuels.
En parallèle, Jung met en exergue l'aspect universel du
symbole onirique résultant lui-même d'un inconscient collectif. Ce
dernier introduit le terme d'archétype22(*) qu'il définit comme étant des
symboles-types qui prennent leurs essences dans un patrimoine universel. Le
symbole ferait partie d'un ensemble commun que partagerait toute une
société voire toute l'humanité.
En philosophie, le symbole prend encore un autre
itinéraire non pas opposé aux définitions données
dans d'autres disciplines mais où il prend encore plus d'ampleur en
matière de signification, Paul Ricoeur note à ce
sujet :« J'appelle par symbole toute structure de
signification où un sens direct, primaire, littéral,
désigne par surcroit un autre sens indirect, secondaire, figuré,
qui ne peut être appréhendé qu'à travers le
premier .»23(*) Ricoeur suggère que le symbole est une base de
significations qui renvoient outre le sens immédiat à un sens
plus profond, pour Ricoeur, un symbole est tout ce qui a la faculté de
détourner le sens avoué vers un sens caché.
Ortigues propose encore : « D'une
manière générale les symboles sont les matériaux
avec lesquels se constituent une convention de langage, un pacte social, un
gage de reconnaissance mutuelles entre des
libertés. »24(*) Ceci dit, le symbole dans ce cas est
considéré comme un apanage propre à un groupe s'en servant
en guise de référence visant la reconnaissance.
1-2- SIGNE ET SYMBOLE, SYMBIOSE OU DISPARITÉ ?
L'une des ambigüités qui rende la
définition du symbole des plus compliquées est le fait que ce
dernier ne soit jamais défini indépendamment du signe. Une
question s'impose : Pouvons-nous considérer le symbole comme signe
ou existe-t-il des particularités qui différencieraient
chacun ?
Pour pallier cette difficulté, nous relevons dans ce
qui va suivre l'intérêt que portèrent quelques
études à distinguer entre le symbole et le signe : C'est en
linguistique que nous trouverons un premier argument de cette distinction.
Saussure, concepteur-même du signe (signifiant/signifié) explicite
la majeure divergence qui sépare le symbole du signe, dans ce qui suit,
il explique que :
On s'est servi du mot symbole pour désigner
le signe linguistique, ou plus exactement ce que nous appelons le signifiant.
Il y a des inconvénients à l'admettre, justement à cause
de notre premier principe. Le symbole a pour caractéristique de
n'être jamais tout à fait arbitraire ; il n'est pas vide, il
y a un rudiment de lien naturel entre le signifiant et le
signifié.25(*)
Ceci signifie que le symbole a ce caractère de
rassembler un signifiant-symbolique et un signifié-symbolique ayant
toujours un trait de ressemblance ou d'analogie, tandis que le signe n'engage
en rien une ressemblance entre un signifié et un signifiant. Le fait que
la linguistique confère au signe le caractère arbitraire existant
entre le signifiant et le signifié rend l'acception du symbole = signe
tout à fait inconcevable ; afin qu'il ait un symbole, il est
indispensable d'associer (par référence à la terminologie
saussurienne), un signifié que nous appellerons symbolisé
à l'image renvoyée par un signifiant autrement dit
symbolisant.
Jung, également, met en évidence quelques
caractéristiques séparant signe et symbole, il écrit
à ce sujet : « Le signe est toujours moins que le
concept qu'il représente, alors que le symbole renvoie toujours à
un contenu plus vaste, que son sens immédiat et évident
[...] En outre, les symboles, sont des produits naturels et
spontanés. »26(*) Jung met ici l'accent sur le fait que ,comparé
au symbole, le signe est plus restreint que le concept qu'il signifie alors
que le symbole proclame un champ beaucoup plus étendu de significations.
Umberto Eco s'identifie le symbole dans une mouvance où
ce dernier (le symbole) ne soit plus en rivalité avec le signe
mais où, au contraire, il représenterait une variante du
signe ayant des signifiés diverses. Ceci est rendu possible, dans la
mesure où chaque signifié en appellera un autre, allant ainsi, de
l'imminent au latent, Eco explique qu' « On a un symbole
chaque fois qu'une séquence donnée de signes suggère,
au-delà du signifié qui leur est immédiatement assignable
à partir d'un système de fonctions de signe, un signifié
indirect27(*)».
Corollairement, nous déduisons que le signe
précise ; il indique une chose particulière de telle
façon que sa signification ne puisse-être qu'unanime ; le
symbole quant à lui, n'indique en rien mais il suggère plusieurs
significations, il est multi-significatif28(*). Ce qui revient à dire que le signe encadre et
délimite alors que le symbole détache et ouvre des horizons
quasi-inépuisables29(*). Nous serons donc amenée à opposer
l'univocité du signe à l'équivocité du
symbole30(*).
L'autre critère qui distingue le signe du symbole est
relatif à la manière par laquelle ces deux éléments
sont perçus ; l'un entièrement didactique, proclame la
raison et l'intellect, l'autre plutôt émotionnel et auquel, seul
le sentiment peut convenir. Claude-Gilbert Dubois explique nettement comment
s'enracine cette distinction aux fins fonds du l'individu puisqu'
« Un signe laisse froid et n'a qu'une valeur intellectuelle. Le
symbole a une valeur émotionnelle, soit parce qu'il est symptôme
qui recouvre le fantasme [...] soit parce qu'il est la
manifestation visible d'un archétype31(*) ».
Ce court détour épistémologique où
les acceptions du symbole sont fort variées, et ce foisonnement
terminologique rendent compte de la difficulté de prétendre
à une définition univoque du symbole. Toutes ces
définitions tentaculaires sont traduites dans cette déclaration
de Jean Chevalier : « Un symbole échappe à
toute définition. Il est de sa nature de briser les cadres
établis et de réunir les extrêmes dans une même
vision.»32(*)Ce
qui signifie en d'autres termes qu'il n'appartient pour ainsi dire à
aucune discipline de le délimiter ni de le définir,
néanmoins, toutes se rejoignent sur le fait qu'il joint deux
entités bien distantes.
Cependant, la multitude de définitions que propose
chaque discipline ainsi que la dualité qui règne entre signe et
symbole ne représentent pas un obstacle pour notre travail puisqu'elles
relèvent d'un ordre définitionnel et non d'un ordre fonctionnel.
En nous positionnant dans un croisement de chemins et en prenant compte des
différentes acceptions du symbole, nous parvenons à
établir la synthèse suivante :
Qu'il appartienne à l'ordre des signes ou pas,
qu'il adhère plus ou moins à telle ou telle discipline, un
symbole est : Au sens large et général (englobant tous les
domaines de la vie quotidienne), tout objet, tout être (réel ou
imaginaire) ou fait naturel qui peut être associé à quelque
chose d'absent. Au sens linguistique, il est tout mot ou expression qui
supposent un ou plusieurs sens que celui qu'ils prononcent
littéralement.
Un symbole associe en tout cas deux parties, l'une connue
puisqu'elle est vue ou communiquée et une autre inconnue et devrait
être recherchée. En référence au sens large et au
sens linguistique proposés précédemment, nous adoptons le
schéma suivant (schéma qui épouse de manière
générale notre perception du symbole) :
Symbole
Symbolisé
Symbolisant
Symbolisant
Expression déclarée sens cachés
(Sens littéral)
Au sens large
Au sens linguistique
Symbolisé
Objet/fait quelque chose
(Observable) d'abstrait
1-3-CARACTÉRISTIQUES, FONCTIONS ET POUVOIR DU
SYMBOLE
? Caractéristiques
Est-il décelable ? Quelles
spécificités font de quelque chose un symbole ? Existe-t-il
des caractéristiques relatives à tous les symboles ?
Les symboles ne se laissent pas facilement appréhender
et ne peuvent répondre à une règle de prototype, cependant
tous semblent satisfaire les critères que nous relèverons dans ce
qui suit :
1- LA POLYSÉMIE
Un symbole est nécessairement polysémique ;
il peut avoir plusieurs sens qui engendrent eux-mêmes d'autres valeurs
sémantiques et qui supposent un large éventail
d'interprétations. Son foisonnement de sens est tel qu'Eco emploie le
terme de « nébuleuse de propriétés
possibles »33(*)
pour nommer ce caractère de polysémie dont il dispose. Les
significations qu'il véhicule ne sont pas limitables et sont
quantitativement infinies. Concernant cette multitude de significations que le
symbole offre, Wunenburger souligne qu'
« Une forme physique ou langagière
apparaît comme symbolique dans la mesure où elle suggère
à la conscience, un feuilletage, une hiérarchie, de
significations emboîtées, qui sont orientées vers une
hauteur ou une profondeur, et qui conduisent vers des contenus de pensée
élargis par rapport à leurs déterminations
particulières et contingentes de départ 34(*) ».
C'est dire que d'une seule manifestation symbolique, la
conscience d'un individu est conduite à faire défiler un nombre
infini de significations qui s'y rapportent toutes de prime abord par analogie
et ensuite par transcendance.
Le schéma que nous proposons ci-dessous, n'est qu'une
conceptualisation réduite du foisonnement de la signification
symbolique, pris dans ses proportions réelles, il s'étalerait sur
plusieurs pages.
Foisonnement de la signification symbolique
2-L' AUTO-DYNAMISME
Il possède un pouvoir intrinsèque qui lui est
propre. Ceci signifie qu'il véhicule en lui-même toute sa
signification : un symbole ne peut prendre effet que si un rapprochement
est établi entre ses deux composantes ; un symbolisant et un
symbolisé (le symbolisant avant cette opération n'est qu'un signe
qui désigne un objet ou autre). Son pouvoir lui est immanent, il
relève de son fondement même35(*), pris à part, le symbolisant n'a aucune valeur
significative symbolique, seule une combinaison de celui-ci avec le
symbolisé constituerait un symbole, selon Ortigues, le principe du
symbolisme serait « une liaison mutuelle entre des
éléments distinctifs dont la combinaison est
significative 36(*)».
3-LA RELATIVITÉ
Un symbole est relatif dans la mesure où,
premièrement, le lien entre un symbolisant et un symbolisé varie
d'un contexte à un autre ; un symbolisant peut renvoyer à
tel symbolisé dans un contexte donné et à tel autre dans
un autre contexte. Deuxièmement, la perception du symbole varie
également d'un sujet à un autre car la part de
subjectivité relative à son interprétation est
extrêmement conséquente, la corrélation entre le symbole et
la personne qui l'aborde fait qu'il soit variablement interprété.
En effet, l'interprétation du symbole dépend entièrement
de celui qui en fait l'expérience, José Antonio Antón
explique que : « Il y a un symbole pour chaque
conscience [...] la manifestation de l'univers symbolique
s'établit par la subjectivité. » 37(*)
4-L' OBSCURITÉ
Un symbole est également obscur, il n'est pas claire et
il est entouré de mystères, il est énigmatique et
révèle le secret et le dévoile, Durand
écrit : « Le symbole [...] est
l'épiphanie d'un mystère. »38(*) Ce qui signifie que le symbole
perce le mystère et en donne une possible résolution.
5-LA HAUTEUR
Un symbole est obligatoirement orienté vers la hauteur,
il tend toujours à dépasser une signification première, il
est dit vertical car il est en perpétuelle progression par rapport
à ce à quoi il se référait au départ, ainsi,
une ascension du sens lui est toujours associée, Carole Lager
décrit le symbole comme étant « vertical, il donne
du relief à la vie humaine 39(*) ».
? Fonctions et pouvoir
Un symbole exerce au moins trois fonctions : Il montre,
Il réunit, Il enjoint.40(*) Ces trois fonctions feront en sorte qu'il soit
doté d'un énorme pouvoir ne pouvant laisser quiconque
indifférent, le sujet qui l'approche n'en sera
qu'imprégné :
D'abord, le symbole montre ce qui n'était pas
perceptible à première vue, il éclaire ce qui était
obscur et il exprime ce qui était hostile à l'expression. Le
symbole est en étroite liaison avec l'indicible, il se charge
principalement de communiquer les choses dont la charge sémantique
dépasse les mots et le langage. Cette première fonction du
symbole consiste à véhiculer les réalités que le
langage ordinaire ne pourrait transmettre et dont la perception est susceptible
de demeurer cachée à l'infini41(*). Le langage-symbolique s'approprie toutes
« ces entités » restées à l'abri du
discours et dont la représentation reste lexicalement insuffisante sinon
inexistante, sous l'aile du symbole, toutes ces réalités
restées jusque-là inconnues et inexprimées parviennent
à se dégager et s'offrent à l'interprétation.
Les symboles montrent dans la mesure où, ils se
substituent à toutes ces réalités n'ayant dans le langage
d'équivalents, ils seraient « [...] des images pour
traduire ce qui est indicible, parler d'une réalité autre pour
laquelle il n'existe pas de langage »42(*).
Ensuite, le symbole réunit un signifiant concret
à un signifié absent. Le signifiant vu et communiqué va
être lié à un signifié abstrait et non-vu ; ce
procédé d'association revient à réunir le conscient
et l'inconscient. Le symbole a la faculté d'insinuer à la
conscience des signifiés ayant été forgés dans
l'inconscience. Selon René Fernet, le symbole serait
perçu comme « médiateur entre notre conscient
et notre inconscient 43(*) », cette fonction d'intermédiaire
entre le conscient et l'inconscient relie en fait deux dimensions
parallèles du psychisme humain où dans l'une, l'individu est
maitre de ses activités puisqu'il les contrôle et il les
régit tandis que dans la deuxième, l'individu n'a plus aucun
pouvoir de contrôler le déroulement de ses opérations
cognitives.
Son statut de trait d'union entre conscient et inconscient
émane du fait qu'il puise une grande part de son dynamisme dans
l'inconscient de l'individu et que par conséquent, il se voit
ancré dans son psychisme et ne pourrait-être dissocié de
lui.
À ce propos, Jean Chevalier
dit : « Le symbole exprime le monde perçu et
vécu tel que l'éprouve le sujet, non pas selon sa raison critique
et au niveau de sa conscience, mais selon tout son psychisme, affectif et
représentatif, principalement au niveau de
l'inconscient.»44(*) Cette manière dont il use pour rapprocher
conscience et inconscience s'avère-être fondamentale dans
l'établissement de l'équilibre affectif et émotionnel de
tout être, ceci, est dû au lien qu'il implique avec
l'affectivité d'un sujet qui, par la nature inconsciente de
l'association symbolique, demeure incapable de la gérer et qu'il ne lui
revient pas de s'en passer ni de l'éviter puisque tout s'opère
essentiellement dans l'inconscience de la personne. Son importance
réside dans le fait qu'un symbole représente dans l'inconscient
tout ce qu'un individu aurait ressenti comme inconfortable en état de
conscience (moments de bonheur ou de douleur) ou même les
appréhensions que pourrait avoir une personne , Desoille avait
écrit à ce sujet : « Nous pouvons donc
définir l'image symbolique comme le moyen par lequel l'inconscient
représente à la conscience une situation, vécue ou non,
pour exprimer un sentiment vécu, ou simplement
possible. »45(*)
Enfin, il enjoint, il somme celui qui s'en approche à
aller à la rencontre du sens qu'il dissimule, l'intrigue qu'il installe,
pousse inévitablement à s'abandonner à une quête du
sens estompé par son caractère implicite.
Sa fonction d'enjoindre découle de sa propension
à se vouer littéralement à l'obscurité, et à
sa tendance à feindre de camoufler son fond. Il n'est pas de doute que
le symbole tente celui qui s'y aventure puisqu'il ne donne pas d'explication
mais qu'il la proclame, il n'éclaire guère mais incite à
trouver une clarté, Ricoeur l'avait annoncé :
« Le symbole donne à penser »46(*), car il ne représente
pas la fin ou l'aboutissement d'un processus sémantique mais, il
constitue plutôt un départ dans un infini herméneutique.
Le symbole a la capacité de stimuler la pensée et de l'activer
car il suscite une quête du sens non-prononcé. Le sens auquel il
renvoie n'est pas direct (facile) mais au contraire, il ne peut-être que
ardument conquis, il doit-être recherché et trouvé. Le
symbole convie l'individu à la découverte du sens
dissimulé, c'est dans ce sens qu'il donne à penser.
Ces trois qualités (montrer, réunir, enjoindre)
pourvoient le symbole d'un énorme pouvoir duquel, rebelle, il affectera
indéniablement celui qui tentera de l'appréhender par la
pléthore de significations qu'il suppose et par l'ambigüité
sémantique qu'il crée.
Un pouvoir aussi grand et certain ne saurait passer sans faire
de bruit, le symbole ne laisse pas indifférent, la puissance qu'il
procure au langage devait faire profiter la création humaine, il fallut
le mettre en oeuvre, et ainsi, en faire promouvoir l'art et notamment la
littérature ; un mouvement le consacre : le symbolisme.
2-LE SYMBOLISME, LE MOUVEMENT
« Nommer un objet, c'est supprimer les trois
quarts de la jouissance du poème qui est faite de deviner peu à
peu : le suggérer, voilà le rêve. C'est le parfait
usage de ce mystère qui constitue le symbole »,
écrit Mallarmé.
C'est là, le fondement-même du symbolisme, ne pas
nommer, ne point expliciter, n'opérer qu'indirectement, suggérer.
En effet, le symbolisme est né en France, à la fin du
XIXème siècle, alors que Zola s'empare largement de la
scène avec ses théories du naturalisme et que le romantisme
social d'Hugo accaparait toute la place artistique, de jeunes poètes se
révoltent contre le naturalisme et le rationalisme auxquels ils
reprochent une description jugée trop objective et un excès de
réalisme qualifié d'insensible. Les symbolistes se
soulèvent contre la substitution de la science à la
littérature et révoquent toute sorte de pratique romanesque
réaliste de laquelle ils dénoncent un manque d'imagination
lassant, et où, l'oeuvre est sous l'égide de la
littérature documentaire, au contraire, le symbolisme favorise la
rêverie et l'imagination et prône le symbole et la suggestion.
Voulant donner un nouveau souffle à l'art, les
symbolistes réclament haut et fort l'existence d'un monde caché,
parallèle au concret. Les jeunes innovateurs refusent de se soumettre
à l'emprise de l'évolution industrielle et au progrès
scientifique, ils s'intéressent davantage aux profondeurs de la
pensée, notamment avec l'avènement de la psychanalyse et les
découvertes de la personnalité (Freud), de la philosophie du
conscient et de l'inconscient (Bergson), de telles trouvailles innovatrices ne
pouvaient que donner du renouveau à l'esprit humain en le conviant
à explorer des horizons restés jusque-là inconnus.
Bannissant toute intrusion réaliste et objective dans
leur création, c'est principalement vers la poésie que se
tournèrent les symbolistes, car ce fut là, où
l'imagination et l'individualisme s'épanouissaient le plus, mais
bientôt, ils conquirent tous les domaines de l'art.
L'école symboliste s'emporte contre le conformisme qui,
contraignant l'écrivain à se tenir enclavé à
l'intérieur des dogmes établis va lui ôter toute
perspective de création par laquelle, il aurait pu ressortir toute son
originalité, Rémy de Gourmont qualifie ces dogmes de crime contre
l'écrivain, il dit à ce propos : « Le
crime capital pour un écrivain c'est le conformisme,
l'imitativité, la soumission aux règles et aux
enseignements. »47(*)
De leurs théories parues principalement dans des revues
telles que : La Vogue, Le Symboliste, La Revue
Indépendante, La nouvelle rive Gauche (Lutèce), va
naitre un manifeste synthétisant tous les principes et les
revendications du mouvement.
2-1-LE MANIFESTE DU SYMBOLISME
C'est Jean Moréas, jeune poète d'origine grecque
qui consacre le mouvement symboliste en publiant Le manifeste du symbolisme
le 18 septembre 1886 dans le supplément littéraire du
Figaro. D'une part, le manifeste revendique ses
prédécesseurs tels que Baudelaire, Rimbaud, Verlaine et
Mallarmé, qui tous, dans des écritures précédentes
avaient usé d'une plume symbolique ingénieuse.
[...] disons donc que Charles Baudelaire doit être
considéré comme le véritable précurseur du
mouvement actuel ; M. Stéphane Mallarmé le lotit du sens du
mystère et de l'ineffable ; M. Paul Verlaine brisa en son honneur
les cruelles entraves du vers que les doigts prestigieux de M. Théodore
de Banville avaient assoupli auparavant48(*).
D'autre part, Le manifeste du symbolisme
éclaire les principes et les fondements de l'école symboliste,
Moréas y définit les principales priorités du
mouvement.
C'est d'abord, une rupture avec l'objectivisme et le recours
démesuré au réalisme que prône Moréas,
l'homme proclame de permettre au langage de dire sans pour autant
étaler la signification, ainsi, la forme symbolique demeurerait
éternellement indécise et constituerait constamment l'objet
d'intérêt et de questionnement. C'est principalement, contre le
positivisme naturaliste que se soulève Moréas et tout le
cénacle symboliste en déclarant que le symbolisme serait :
Ennemi de l'enseignement, la déclamation, la fausse
sensibilité, la description objective, la poésie symbolique
cherche à vêtir l'idée d'une forme sensible qui,
néanmoins, ne serait pas son but à elle-même, mais qui,
tout en servant à exprimer l'idée, demeurait
sujette49(*).
Moréas élit les symboles comme seuls
révélateurs de la vérité, leur pouvoir étant
condensé dans leur aptitude à faire transparaitre l'infini dans
le fini ou encore par leur subtilité à manifester l'immense par
le moindre.
Tous les phénomènes concrets ne sauraient se
manifester en eux-mêmes ; ce sont là de simples apparences
sensibles destinées à représenter leurs affinités
ésotériques avec des idées primordiales50(*).
Bien que le manifeste consacre l'essentiel de son contenu
à la poésie, il ne manque pas de souligner les ambitions du
symbolisme à propos du roman. Selon Moréas, le roman symboliste
ne constituerait plus une réincarnation de la société ni
sa description mais qu'il tiendrait plutôt à paraitre comme roman
de singularité reflétant l'écrivain lui-même avec
toute sa volonté de se soustraire au monde extérieur et de se
créer un monde reformé ou déformé comme le note
Moréas. C'est encore cet esprit de refus qui hante le programme
romanesque des symbolistes, le manifeste exprime l'aspiration du symbolisme
à faire du roman un lieu de propagande du monde intérieur,
contraste au réel et désiré par l'auteur :
La conception du roman symbolique est polymorphe
[...] Lui-même est un masque tragique ou bouffon d'une
humanité toutefois parfaite bien que rationnelle [...] le roman
symbolique-impressionniste édifiera son oeuvre de déformation
subjective.51(*)
2-2-LES DÉCADENTS, PIONNIERS DU SYMBOLISME
Déjà plusieurs années avant la parution
du manifeste, de grands hommes de lettre avaient pressenti la
nécessité de l'avènement d'une nouvelle forme
d'écriture et avaient eux-mêmes fait preuve d'un penchant voire
d'une obstination à affranchir leur écriture du réalisme
et de donner libre cours à l'imagination et de profiter pleinement du
pouvoir suggestif du langage. C'est précisément à
l'époque des décadents que se voient éclore les
premières manifestations de ce qui sera appelé
ultérieurement symbolisme.
La publication de Les Fleurs du mal de Baudelaire en
1857 a été sans doute l'étincelle qui marqua à
jamais les esprits et fut pour beaucoup d'autres artistes un point de
départ dans la voie de l'innovation symboliste. La théorie des
Correspondances que Baudelaire développe, fait de lui le
précurseur indélébile du mouvement symboliste, ses
contemporains lui témoignent ce statut tel que nous l'explique le
numéro 148 de la revue Mercure de France paru en
1902 : « Mais avant tout manifeste, avant tout
art poétique, un profond artiste avait, en Précurseur, usé
de la technique nouvelle, merveilleusement [...] les
Correspondances de Baudelaire demeurent primordiales et initiatrices des
tentatives similaires.»52(*)
Verlaine avec L'art poétique, poème
écrit en 1874 et publié en 1884, trace déjà les
premiers pas du symbolisme et lui assigne toute son essence, ce poème
s'avère beaucoup plus didactique qu'esthétique et constitue un
vrai enseignement de l'écriture symbolique. Ainsi, il dira dans ses
vers : « Car nous voulons la Nuance encor, / Pas la
couleur, rien que la nuance !/ Oh ! la nuance seule fiance/ le
rêve au rêve et la flûte au cor ! » Ces vers
paraissent déjà comme annonceurs d'une tendance dont le souci
n'était pas de montrer ni de témoigner mais plutôt de
proposer et d'inviter à l'imagination, Verlaine amorce les principes du
mouvement en employant le terme « nuance » et met en
exergue toute la volonté de surpasser les usages désuètes
de la littérature (réalisme) vers une littérature
beaucoup plus profonde où la connaissance du monde ne relève plus
du rationnel mais des impressions créées par la suggestion du
symbole.
Huysmans encore, marquera d'une nouvelle plume
innovatrice un grand tournant dans sa carrière littéraire et ira
à l'encontre de ce qu'il réclamait jadis ; bien qu'il soit
un fervent adepte du naturalisme et l'un des plus célèbres
disciples de Zola, son personnage Des Esseintes du roman À
rebours53(*)
publié en 1884 témoigne bien du malaise ressenti par l'auteur
à l'égard du naturalisme. En effet, Jean Des Esseintes a tout
l'air d'un personnage sorti d'un hors-là, d'un ailleurs où le
monde réel n'existe pas, caractérisé par un
antirationalisme frappant, le personnage s'isolera loin des yeux de la
réalité et ira s'abriter dans un monde imaginaire
répondant à tous ses désirs, il y mènera une vie
singulière qu'il créera lui-même. Jean Des Esseintes
montrera à plusieurs reprises son attachement à la lecture de
Baudelaire et surtout à celle de Mallarmé, un attachement qui lui
vaudra une prose de ce dernier.
Mallarmé, considéré comme maitre du
symbolisme fut celui autour duquel, se réunirent beaucoup d'hommes de
lettres éprouvant tous le même sentiment d'insatisfaction
vis-à-vis du langage, tous avaient l'ambition de donner un sens plus pur
aux mots54(*). C'est
chez-lui, rue de Rome, qu'eurent tendance les épris de l'imagination
poétique et les antinaturalistes tels que Gide, Valéry,
Moréas, Maupassant, Claudel, Verlaine à se réunir chaque
mardi afin de laisser déborder des idées où le rêve,
la liberté et la suggestion étaient maitres. En initiateur, le
poète enseigna l'art de la nuance et de l'insinuation
symbolique.55(*)
En 1884, en écrivant Prose pour Des Esseintes,
Mallarmé consacre le personnage de Huysmans et lui offre un poème
qui conviendrait fort bien à ses voyages imaginaires.
C'est dans cette même perspective qu'écrivit
Rahimi son roman Syngué sabour Pierre de patience. Il mit en
oeuvre toute l'insinuation, la rêverie et l'infinitude du symbole.
Voilà que, comme l'a indiqué, il y a plus d'un siècle,
Jean Moréas dans le « le manifeste du symbolisme »,
un roman raconte l'histoire d'un personnage retirée du monde, une femme,
créant un univers parallèle où, elle se forgera un temps
différent, des repères uniques, une incroyable volonté
à changer son existence. Il ne fait pas de doute que cette femme
ressemble énormément à ce que Moréas décrit
comme personnage du roman symbolique, à propos duquel, Moréas
avait expliqué que ce devait être « un personnage
unique qui se meut dans des milieux déformés par ses
hallucinations propres 56(*)».
Nous proposons de suivre les traces du symbole dans notre
corpus et notamment les traces du roman symboliste dans notre deuxième
chapitre.
CHAPITRE II : LECTURE SYMBOLIQUE DU ROMAN
1- Attention un mot peut en cacher un
autre !
1-1- Enclenchement du processus
interprétatif
1-2- Les Indices textuels
1-2-1- Indices
syntagmatiques
1-2-2- Indices
paradigmatiques
2- Symboles et société : vers une
interprétation socio-symbolique du roman
2-1- La sociocritique
2-2- Lecture de la socialité
et symboles
2-2-1- Sociogramme de l'oppression
2-2-2- Sociogramme de la guerre
2-2-3- Médiations entre réalité
et fiction
2-2-4- Sociogramme du conflit : le silence
Suite à une partie quasi-théorique du sujet,
nous souhaiterions à présent procéder à une analyse
directe de notre corpus, ce deuxième chapitre consistera donc, en une
partie pratique de notre projet. Nous y étudierons dans un premier
temps, l'enclenchement du processus d'interprétation et les
motivations de la décision d'adopter une stratégie
interprétative dans une lecture. Dans un deuxième temps, nous
progresserons vers une interprétation proprement dite des symboles que
nous aurons au préalable relevés, nous y étalerons
d'abord, la méthodologie à suivre et y présenterons les
différents outils opératoires à employer, suite à
quoi, nous passerons à l'application des outils théoriques sur
notre corpus.
1- ATTENTION UN MOT PEUT EN CACHER UN AUTRE !
Appartient-il au texte de se révéler aux
lecteurs ? Ou leur revient-il d'aller à la recherche de son sens et
de sa signifiance ?
Il semblerait que ces deux actions soient valables dans les
deux directions et que l'une proclame indéniablement l'autre : Le
texte propose et met en évidence ses clés et le lecteur s'y
soumet au profit d'une quête du sens originel.
Sous peine de passer à côté du vrai sens,
le lecteur serait dans le devoir de suivre les mises en évidence
qu'offre le texte, des mises en évidence, à partir desquelles, il
se forgerait au fur et à mesure de sa lecture une plus nette
signifiance.
La présente partie de notre étude aura pour
objet de clarifier les moyens par lesquels le texte se soumet à la
compréhension et les marques auxquelles le lecteur devrait s'en tenir
pour lui attribuer un sens, des marques qui lui serviront à
déceler l'implicite du texte.
1-1- L'ENCLENCHEMENT DU PROCESSUS INTERPRÉTATIF
Supposer une lecture symbolique à une oeuvre ne peut
s'effectuer dès un premier moment car ce niveau de lecture relève
de la relecture ou de ce qu'appelle Althusser la lecture
symptomâle57(*) ; ce qui signifie une lecture dont l'objectif
est de capter les symptômes de ce qu'une première lecture n'aurait
laissés paraitre. Ainsi, la deuxième lecture du texte permettra
de percevoir ce que les mots cachent dans un premier abord et de leur attribuer
une éventuelle proportion symbolique. Todorov aborde le sujet dans
Théorie du symbole, en expliquant la définition que
donne Goethe au symbole, il écrit : « Dans le cas du
symbole, il y a comme une surprise due à une illusion : On croyait
que la chose était là simplement pour elle-même ; puis
on découvre qu'elle a aussi un sens (secondaire).»58(*) Cette expérience
vécue par le lecteur est le résultat du caractère obscur
et indirect du symbole, ce dernier ne pouvant atteindre son sens plus ou moins
complet que dans une seconde approche, car dans un premier moment, un lecteur
n'a aucun soupçon quant à la présence d'un terme ou d'une
expression dans le texte ; ce n'est qu'en le redécouvrant qu'ils se
révèlent à lui quelques traits sous-jacents qui lui
avaient échappé auparavant. La seconde lecture devient par
conséquent un moment de révélation où l'acte de
lire ne consiste plus à découvrir ce que disent les mots mais
à découvrir ce qu'ils ne disent pas clairement.
Gilbert Durand qualifie ce moment de révélation
du symbole d'apparition, si précisément cette notion est
introduite c'est qu'au préalable il y avait de la non-apparition,
c'est-à-dire que ce phénomène est une suite logique
à une non-perception immédiate, sa perception intégrale
recoure à l'effort visant la recherche du sens ; Durand
écrit : « Le symbole est,
[...] par la nature même du signifié
inaccessible, épiphanie, c'est-à-dire apparition, par et dans le
signifiant de l'indicible.» 59(*) Ceci rend compte de la nécessité d'une
deuxième tentative de lecture qui à travers le repérage
d'un symbole et plus précisément le symbolisant (signifiant de
l'indicible) pourrait apporter de nouvelles informations quant aux sens
cachés des mots soit le ou les symbolisés (signifié
inaccessible).
Consentir à une lecture symbolique du texte ne
pourrait-être effectué que si nous admettions au préalable
le caractère symbolique de certains éléments du texte.
Mais à partir de quel moment pourrions-nous enregistrer un terme ou une
expression quelconque dans le champ des symboles ? Quel
élément enclenche-t-il cette éventualité de
lecture ? D'où émerge ce sentiment de devoir chercher autre
chose que le sens littéral d'un mot ? Qu'est-ce qui amorce cette
opération et qu'est-ce qui la provoque ? Le suivant propos de
Todorov propose une réponse à ces
questions : « Un texte ou un discours devient
symbolique à partir du moment où, par un travail
d'interprétation, nous lui découvrons un sens
indirect.»60(*)De là, nous pourrons avancer qu'un lecteur peut
prétendre à une lecture symbolique d'un écrit dès
qu'il aura décelé ou soupçonné un sens non
dévoilé explicitement dans le texte. Un facteur primordial agit
sur cette décision de se livrer à ce type de lecture : La
pertinence.
Cette pertinence (qui s'avèrera par la suite comme
étant de la non-pertinence) est celle relative aux indices textuels que
comprend le texte. Ces indices, dits textuels sont tous les
éléments du texte desquels, le lecteur ne comprend pas
l'utilité, tout ce qui ne devrait pas être-là, mais qui y
est pour une raison ou pour une autre. C'est la quête visant à
expliquer leur présence qui pourrait définir leur fond
symbolique.
1-2- LES INDICES TEXTUELS
En effet, certains éléments du texte peuvent
paraitre plus ou moins pertinents que d'autres, dans le cadre de la
théorie du symbole de Todorov , cette pertinence se traduit par le fait
que les éléments en questions ne répondent justement pas
aux lois de pertinence, telle une relation de cause à effet, cette
non-conformité provoque une sorte de réaction chez le lecteur
l'incitant à trouver le réel motif de telle ou telle
manifestation. Toute transgression des lois de pertinence engendre chez lui
l'obligation de retrouver une pertinence dans l'impertinence. Cette
opération et ses principales motivations sont clairement
expliquées dans ce que dira Todorov : « [...]
Quand à première vue, un discours particulier n'obéit pas
à ce principe, la réaction spontanée est de chercher si
par une manipulation particulière, ledit discours ne pourrait pas
révéler sa pertinence.»61(*) , le sémioticien indique deux axes
sur lesquels peuvent être placés ces
éléments qui n'adhèrent pas aux règles de
pertinence : 1-Un axe syntagmatique, où pourraient figurer toutes les
manifestations textuelles qui constituent une sorte d'anomalie par rapport au
contenu textuel, des phénomènes tels que la
répétition, la tautologie ou l'homonymie peuvent y être
inclus. 2-Un axe paradigmatique où seront relevées toutes les
manifestations textuelles qui présentent une anomalie par rapport
à une connaissance collective ou commune, à ce niveau,
l'incohérence et l'invraisemblance (entre autres) pourraient-être
considérées comme critères de la non-obéissance aux
lois de pertinence, Todorov décrira les indices paradigmatiques comme
étant des impacts dus à l'affrontement de
« l'énoncé présent et la mémoire
collective d'une société62(*) ».
Ces « indices textuels63(*)» suscitent
l'interrogation, leur repérage ou leur identification dans le texte
répond de façon sine qua non à la question :
pourquoi ? Le fait que ces indices enfreignent aux règles de
pertinence les rend assujettis aux questionnements, ils deviennent ainsi,
suspects de vouloir dire autre chose que ce qu'ils annoncent
immédiatement.
Ces unités textuelles constituent des anomalies
sémantiques qui pourraient motiver la décision d'engager une
stratégie d'interprétation.
Afin de les baliser, il faudra au fur et à mesure de la
lecture (deuxième lecture) se questionner et questionner le texte sur
les réelles motivations qui ont poussé à leur
présence dans le texte car, il est évident que tout ce que
mentionne le texte a besoin d'être dit et n'est nullement
fortuit64(*).
A notre corpus, deux critères de non-conformité
à la pertinence sont manifestement attribuables : La
récurrence d'une part et la semi-absence d'autre part.
D'abord, la semi-absence ou l'usage amoindri de certains
éléments peut constituer une preuve de non obéissance aux
normes de pertinence surtout si les éléments en question sont
inhérents à la cohérence du texte, c'est un motif de
questionnement par excellence ; des questions du genre :
omission ou oubli ? Absence innocente ou
révélatrice ? Qui y a-t-il de non
dévoilé ? Semblent se poser d'elles mêmes.
Ensuite, la forte présence, un emploi à
caractère répétitif de la part de l'auteur n'est
certainement pas dû au hasard. Une répétition n'est
nullement inopinée ; elle attire l'attention sur un point
précis, elle opère tel un catalyseur sur le lecteur. Le
philosophe Gilles Deleuze souligne que la
répétition « ne change rien dans l'objet qui
se répète mais qu'elle change quelque chose dans l'esprit qui la
contemple 65(*) ». C'est dire combien la
répétition ne pourrait passer inaperçue et à quel
point empreigne-t-elle celui qui la découvre, au cours d'une lecture
marquée par un emploi abusif de certains éléments, le
lecteur ne pourrait s'empêcher de remarquer l'effet qui s'en crée
et d'en rechercher les explications s'y concordant. La redondance se
répercute sur la signifiance globale que le lecteur se fait du texte et
influence considérablement le sens qu'il lui donne.
Nous explicitons dans ce qui suit, ces étranges
manifestations textuelles qui, au niveau syntagmatique ou au niveau
paradigmatique semblent poser problèmes et méritent de constituer
le sujet d'un sérieux questionnement, ces manifestations appelées
indices textuels constituent des catalyseurs qui, mesurés dans toute
leur incidence modifient bien la perception générale du texte.
Nous énumérerons les questions qui auront
été à l'origine de leur identification, au fur et à
mesure que nous avancerons dans notre balisage des indices.
1-2-1- INDICES SYNTAGMATIQUES : UNE RÉCURRENCE
FRAPPANTE
Il convient de préciser qu'à la première
lecture de notre corpus, son côté réaliste semble dominer.
Notre lecture s'est dès le départ, alimentée d'une
impression prégnante du réel puisque le roman s'ouvre sur une
minutieuse et longue description de la chambre où une femme guette les
souffles de son mari. La scène est si bien décrite que le
sentiment de réalité est facilement repérable d'autant
plus que la description s'étalera jusqu'au plus petit détail de
la scène, nous supposions alors, de prime abord, qu'il serait question
d'un authentique récit du réel, hors nous découvrions
progressivement que notre préjugé avait était incorrecte
et qu'il fallut admettre au texte des significations beaucoup plus
profondes.
Des premières pages du roman, rien ne laisse penser
qu'il y aurait du sens caché ou qu'il pourrait y avoir une dimension
symbolique, encore moins, nous doutions que de la simple description pouvaient
découler de complexes significations où l'ordre symbolique
ouvrait l'accès aux multiples voies de l'interprétation. Il
faudra parcourir deux pages pour avoir le déclic ; nous nous
trouvons interceptée par une première récurrence,
flagrante puisqu'elle s'opère par une redondance dépassant toute
norme : À première vue, une femme qui égrène
un chapelet n'a rien de suspect ni de symbolique et peut être
considéré comme un fait anodin, toutefois, quand ce chapelet
revient à cinq reprises dans une même page, il n'est plus possible
d'ignorer l'étrangeté du phénomène :
Sans relâcher son chapelet. Sans cesser de
l'égrener (...) à la même cadence que le passage des grains
de chapelet (...) Elles immobilisent pour un instant-juste deux grains du
chapelet (...) entre ses doigts un grain de chapelet (17).
Cette récurrence est un critère permettant de
reconnaitre des indices textuels qui constituent eux-mêmes
d'éventuels symboles.
A partir de ce constat, nous proposons de relever du texte des
indices syntagmatiques qui obéissent au critère de la
récurrence et dont la massive apparition représente une
anormalité vis-à-vis de l'ordre intérieur du texte.
Le tableau suivant vise à recenser les
différents éléments que nous avons cru indices textuels
susceptibles de montrer un horizon symbolique, leurs taux de récurrence
élevés sont très indicatifs et ne pourraient-être
expliqués que par le fait que leurs emplois soient représentatifs
voire symboliques.
Nous les classons par ordre de manifestation dans notre
texte :
Indices textuels à dimension symbolique
|
Apparition dans le texte
|
Rideau aux motifs d'oiseaux migrateurs
|
Première apparition dans le texte à la page
13.
Réapparait 13 fois.
|
Le chapelet
|
Première apparition dans le texte à la page
15.
Réapparait 24 fois.
|
Le Coran(le livre)
|
Première apparition dans le texte à la page
15.
Réapparait 21 fois.
|
Le souffle/ La respiration
|
Première apparition dans le texte à la page
15.
Réapparait50 fois.
|
Le sang
|
Première apparition dans le texte à la page
23.
Réapparait 22 fois.
|
L'appel à la prière
|
Première apparition dans le texte à la page
21.
Réapparait 14 fois.
|
La plume de paon
|
Première apparition dans le texte à la page
32.
Réapparait 25 fois.
|
Il convient de noter que tous les éléments
su-cités ne sont que des objets qui peuvent paraitre de prime abord
comme les détails plus ou moins précis d'une description, l'on
dira alors :
Questions : pourquoi insister tant sur leur
présence ? Pour quelles raisons nous les voyons ainsi
ressassés ? À quoi rime leur redondance ?
Le texte attire l'attention sur ces termes de façon
à ne les laisser passer sans qu'on ne leur prête leur juste titre,
la récurrence à laquelle ils ont été soumis indique
l'importance qui devrait être prise à leur propos. Ne
pouvant-être inopinée, la réitération de ces
éléments atteste du désir de l'auteur à les prendre
en considération quant à l'élaboration d'une signifiance
du roman.
1-2-2- INDICES PARADIGMATIQUES
Parallèlement au premier classement d'indices,
procédé dans lequel nous nous sommes exclusivement basée
sur la récurrence, nous proposons à présent un
deuxième classement, où nous confortons notre manière de
faire par les heurts que constituent certains emplois par rapport aux usages
convenus de la société, qui dans notre cas sont ceux relatifs aux
exigences d'une cohérence du roman et dont l'importance réside
dans l'approvisionnement du texte en éléments informatifs
nécessaires à sa compréhension et à sa mise en
contexte. Ses heurts créeront un effet de paradoxe auquel nous n'avions
pu rester insensible. Nos suivantes observations seront particulièrement
caractérisées par des rapports de concession car elles
résultent toutes de ce que nous appellerons « ce qui
devrait-être ».
Bien que l'histoire du roman s'articule autour du récit
de vie de l'héroïne, se baladant entre ses mémoires et son
vécu (en retraçant son passé et racontant son
présent) ce qui inscrit le roman dans le genre réaliste voire
biographique, des critères qui nous laissent supposer qu'il s'agira
sûrement d'un récit où les repères chronologiques et
spatiaux seront de vigueur, nous nous heurtons à des emplois qui vont
à contre sens du devant-être. Contre toute attente, nous
constatons que le roman souligne un manque flagrant d'empreintes de
réalité : Les personnages et notamment l'identification
qu'on en fait, les indicateurs de temps et de lieu employés ;
semblent ne pas concorder avec le texte réaliste. De telles observations
nous ont donné la possibilité de voir là une susceptible
piste symbolique.
Dans un souci de bonne articulation de notre étude,
nous suggérons de répartir notre classement en quatre
divisions : Le titre, Les personnages, Le temps, L'espace. Cette
catégorisation nous permettra par la suite de progresser dans le
même ordre pour passer aux autres stades de notre opération.
?Un titre étrange et
étranger
Avant-même d'aborder le texte, nous nous voyons
interceptée par le titre Syngué sabour Pierre de
patience, titre qui semble déjà énigmatique, il
installe au préalable le questionnement et la curiosité, titre
composé de deux parties, l'une en langue
perse « Syngué sabour » et dont la
signification est généreusement expliquée sur la
couverture du roman et une deuxième partie « Pierre de
patience » constituant l'équivalent ou la traduction de la
première en langue française.
Syngué sabour [s?ge
sabur] n.f. (du perse syngue « pierre », et
sabour « patiente »). Pierre de patience. Dans la
mythologie perse, il s'agit d'une pierre magique que l'on pose devant soi pour
déverser sur elle ses malheurs, ses souffrances, ses douleurs, ses
misères... On lui confie tout ce que l'on n'ose pas
révéler aux autres... Et la pierre écoute, absorbe comme
une éponge tous les mots, tous les secrets jusqu'à ce qu'un beau
jour elle éclate... Et ce jour-là on est délivré.
D'entrée en jeu, une question s'impose et se
pose : si « Syngué sabour », partie du
titre formulée en langue perse est immédiatement suivie de sa
traduction française « pierre de patience »,
pourquoi consacrer le revers entier de la couverture à une large
définition de l'expression, une définition qui semble droit venir
d'un dictionnaire ?
L'étrangeté qui s'émane du titre est
d'autant plus grande que, premièrement, les termes constituant le titre
ne sont introduits de manière effective que tardivement dans le cours de
l'histoire.
« Syngué sabour ! » Elle
sursaute, « voilà le nom de cette pierre : Syngué
sabour ! La pierre magique ! » (...) « Oui,
toi, tu es ma Syngué sabour ! » (90)
Encore, le lien entre le titre et l'histoire n'est perceptible
qu'à la fin du roman, c'est la femme, qui, encore une fois va expliquer
en quoi consiste cette Syngué sabour et en quoi est-elle si
précieuse ? La définition est davantage
explicitée.
Tu sais, cette pierre que tu poses devant toi...devant
laquelle tu te lamentes sur tous tes malheurs, toutes tes souffrances, toutes
tes douleurs, toutes tes misères...à qui tu confies tout ce que
tu as sur le coeur et que tu n'oses pas révéler aux autres...Tu
lui parles, tu lui parles. Et la pierre t'écoute, éponge tous tes
mots, tes secrets, jusqu'à e qu'un beau jour elle éclate. Elle
tombe en miettes (87).
Enfin, une fois établi, le lien entre la
définition du titre Syngué sabour et le sens qu'il prend
dans l'histoire, l'on se retrouve surpris par un tournant final de l'histoire
qui va à l'encontre d'une attente inspirée par la
définition-même.
En effet, « la femme » nommera son mari
Syngué sabour avec qui, elle entamera un long épisode de
confessions, compte tenu de la définition, l'homme étant pris
pour une pierre de patience, finira à force de cumuler les maux et les
lamentations par éclater, ce qui signifie en terme humain arrêter
de vivre ou mourir surtout que l'état amorphe de l'homme semble le
prédestiner à la mort. Ces présupposés
s'avèreront erronés puisque la dernière page du roman,
donnera un tout autre sens et perturbera la perception préalablement
faite de la pierre de patience. En fin de compte, nous découvrons que
Syngué sabour- l'homme ne meurt pas, mais qu'il quittera son coma et
tuera la femme, l'éclat de la pierre de patience du texte est
signifié par le réveil de l'homme qui aboutira à
l'assassinat de la femme ; d'où ressortira une sorte de
contradiction entre la signification réelle et celle que lui donnera le
cours de l'histoire :
L'homme l'attire à lui, attrape ses cheveux et
envoie sa tête cogner contre le mur... « Ça y est... tu
éclates !»...« Ma Syngué sabour
éclate ! », puis elle crie : « Al
sabour ! Je suis enfin délivrée de mes
souffrances » (154).
Autant de « pourquoi ? »
aura supposés le titre :
Questions : Pourquoi est-il si longuement
défini depuis la couverture du livre jusqu'à ses dernières
pages ? Pourquoi sa définition originelle ne concorde-t-elle pas
avec le tournant qu'il prend dans l'histoire ? Pourquoi induire le lecteur
dans l'erreur quant à sa finalité par rapport à
l'histoire ?
L'importance qui est accordée à son explication
sur la couverture du roman, les différentes manières dont il aura
fait irruption dans le texte le qualifient sans doute au rang d'indice textuel
et montre le désir du texte/de l'auteur d'attirer l'attention quant
à sa présence.
?Une identification proportionnellement
inappropriée
-La femme : C'est l'héroïne du roman, elle y
accomplit le majeur rôle et en constitue presque l'unique voix. Quand
bien même elle entretienne la fonction de noyau de l'histoire en y
remplissant une tâche primordiale, elle demeure étrangère
et inconnue. Son portrait reste diffus et indéfini. D'abord, les
informations descriptives la concernant sont infimes, ses traits physiques ne
bénéficient d'aucun intérêt. Une brève
description lui est consacrée et ce, exclusivement au début de
l'histoire :
Ses cheveux noirs, très noirs et longs, couvrent
ses épaules ballantes(...) Son corps est enveloppé dans une robe
longue. Pourpre. Ornée, au bout des manches, comme au bas de la robe, de
quelques motifs discrets d'épis et fleurs de blé (...) La femme
est belle. Juste à l'angle de son oeil gauche, une petite cicatrice,
rétrécissant légèrement le coin des
paupières. (15-16).
Ensuite, elle n'a pas de nom, elle est constamment
appelée « la femme », ce nom générique
est sa seule identification.
C'est dire que la femme est omniprésente dans le
texte, sa vie est intimement racontée, son intimité, ses secrets,
ses pensées, ses lointains souvenirs et ses états d'âme
sont volontiers étalés ; paradoxalement, nous ne connaissons
guère son identité. C'est une femme anonyme de qui, nous
connaitrons tout sauf le nom ou l'identité.
Questions : Pourquoi lui administrer le rôle
principal dans le roman et pourtant, lui ôter toute possibilité
d'identification ? Pourquoi la garder identitairement anonyme et
paradoxalement, dans l'intimité découverte ?
-L'homme (le mari) : Bien qu'il soit impuissant, inerte,
quasi-mort, demeure constamment présent dans le texte. Aucun propos ne
lui est associé mais nous le connaissons à travers les dires de
la femme, sa parole est celle de la femme : « Tu
entends, et tu ne parles pas (...) Et moi, je suis ta messagère !
Ton prophète ! Je suis ta voix (153).
De sa présence effective dans le temps présent
de l'histoire (chronologie du récit), nous ne connaitrons qu'un corps
détruit, éteint, un cadavre auquel un tube assure la survie,
alors que de son existence dans le temps passé de l'histoire et
même, nous saurons énormément de choses, ses
réactions, son comportement, seront tous connus.
Le même homme, plus âgé maintenant, est
allongé sur un matelas(...) il a maigri. Trop. Il ne lui reste que la
peau. Pâle. Pleine de rides (...) sa bouche est entrouverte. Ses encore
plus petits, sont enfoncés dans leurs orbites. Son regard est
accroché au plafond (...) Ses bras, inertes, sont étendues le
long de son corps. Sous sa peau diaphane, ses veines s'entrelacent avec les os
saillants de sa carcasse (14).
L'homme persiste attaché au récit grâce
à l'intervention de « la femme » qui le prendra en
charge jusqu'à substituer sa parole à la sienne et le souffle au
sien.
« Seize jours que je vis au rythme de ton
souffle. » Agressive. « Seize jours que je respire avec
toi. »... « Je respire comme toi,
regarde ! »... Au même rythme que lui.
« Même si je n'ai pas la main sur ta poitrine, je peux
maintenant respirer comme toi. »... « Et même si
je ne suis pas à tes côtés, je respire au même rythme
que toi. » (20)
Tous les propos et les actions de la femme tournent autour de
lui. Sa situation amorphe ne l'empêche pas d'être le centre du
monde de « la femme » et par conséquent le point de
gravitation de l'histoire. Son corps mort, son statut d'absent l'état
d'inconscience dans lequel, il baigne, n'altèrent pas son enracinement
dans le récit.
Sa présence est muette, figée mais
vénérée par la femme, cette-dernière l'adule,
l'idolâtre et le vénère. L'héroïne va
même l'élever au grade de Dieu.
Regarde-toi, tu es dieu (152).
Questions : Pourquoi le texte/l'auteur
s'obstinent-ils à maintenir omniprésent et omnipotent, un
personnage n'ayant pour manifestation effective dans le cours de l'histoire que
les souffles d'un corps réduit à l'état de
légume ?
-Les deux filles (les oubliées de
l'histoire) : semblent être en dehors de l'orbite autour duquel
tourne le récit, reléguées au second plan, elles ne
participent pas dans l'histoire, n'ont presque aucun propos, leurs seules
manifestations sont leurs pleurs et rarement des mots.
Une petite fille pleure. Elle n'est pas dans cette
pièce(...) Une deuxième petite fille pleure. Elle semble plus
proche que l'autre (16).
?La semi-absence des indices spatio-temporels
Rares sont les indications de temps données dans le
texte. Le temps n'y est pas régi en jours, en heures et en minutes mais
il l'y est singulièrement introduit.
Si nous utilisons le
préfixe « semi », c'est pour qualifier cette
présence truquée et implicite du temps, c'est qu'il est
là, mais pas tel que nous l'employons et le concevons. Tout au long du
récit, nous découvrirons des épisodes où le temps
s'écoule à la cadence des souffles du
personnage « l'homme », ou encore, au rythme avec
lequel « la femme » égrène son chapelet.
Ainsi, nous aurons les exemples suivants :
Sorties chercher du sérum, « la
femme » et les deux filles
reviennent : « Après trois tours de
chapelet, deux cent soixante-dix souffles » (24), ou
encore : « Leur absence dure trois mille neuf
cent soixante souffles de l'homme » (25).
Question : Pourquoi Rahimi prend-il le risque de
laisser se perdre le récit dans l'absence des indications
spatio-temporelles ? À quoi sert-il bon de vouloir basculer le
récit dans une toute autre dimension temporelle ?
Tant de questions restées en suspens, tant
d'éléments, desquels l'emploi singulier et étrange reste
inexpliqué, tant de
« Pourquoi ? » auxquels le
sens premier du texte ne saurait donner de réponses, tant
d'interrogations, auxquelles une lecture non-approfondie ne pourrait
suffire ; ces remarques ne peuvent que traduire le silence que dit le
texte, un silence que seule une voix du non-dit pourrait en combler le vide. Ce
non-dit est celui des symboles qui invitent à découvrir ce
à quoi ils renvoient.
La façon avec laquelle l'auteur leur fait constamment
allusion est certainement très représentative : la
redondance par fois, l'absence par d'autres, auront tout au long du roman
articulé le récit, de façon à lui assurer une
cohérence, cette cohérence ne pouvant-être maintenue que si
nous prêtions oreille à ce que ces indices sous-entendent.
Les éléments que nous venons de relever
participent entièrement à garantir la compréhension du
texte et à en faire ressortir un sens second, un sens autre, qui ne
saurait-être perçu que si nous nous engagions dans la voie de
l'interprétation symbolique, ils contribuent tous à mettre en
branle le processus interprétatif, c'est ce que Todorov a nommé
« Conditions nécessaires pour que soit prise la
décision d'interpréter66(*)».
2- SYMBOLES ET SOCIÉTÉ : VERS UNE
INTERPRÉTATION SOCIO-SYMBOLIQUE DU ROMAN
« Interpréter un symbole, c'est
évidemment se demander de quoi il est symbole.»67(*), disait Dominique Jameux. Mais
comment y parvenir concrètement ? De quelle manière peut-on
certifier que tel symbole désigne tel concept et non un autre ?
Comme une larme à double tranchant, le caractère
polysémique du symbole lui donne toute sa faculté de pouvoir et
vouloir dire plusieurs significations à la fois, et d'être
susceptible de faire l'objet d'interprétations diverses, ainsi, il tend
vers le libre cours et l'illimité ; facteurs, qui le destinent
à jamais à l'imprécis et à l'inexactitude.
Interpréter un symbole ne signifie pas l'analyser ni même le
comprendre car ce dernier ne conduit pas à la compréhension mais
pousse plutôt vers l'herméneutique.
Cette herméneutique visant à interpréter
le symbole ne peut en cas constituée une finalité de celui-ci, ni
en prétendre une réponse définitive ou unanime puisque
elle-même est fondée sur l'intuition et que l'intuition demeure
sensiblement dépendante et variable d'une personne à une autre.
En effet, le symbole ne fait pas appel à la raison ni à une
logique quelconque mais à l'intuition et aux sentiments, son dessein est
d'être plus ressenti que compris. Selon Todorov, percevoir un symbole
serait « Loin de caractériser la raison abstraite, le
symbole est propre à la manière intuitive et sensitive
d'appréhender les choses68(*)». Cette intuition dont il est question dans ce
qui vient d'être dit est intimement liée à l'individu qui
s'y prête, l'élaboration d'une telle interprétation ne
recoure nullement à la rationalité et n'est par conséquent
pas vérifiable. Il reste libre à chacun d'accorder à un
symbole la signification qui, selon sa propre affectivité et sa
première impression lui parait la plus adaptée.
Afin de ne point sombrer dans des interprétations qui
seraient à la charnière de la subjectivité et de la pure
intuition et qui relèveraient de la nette spéculation, nous
optons pour une interprétation sociale des symboles qui, à notre
avis serait la mieux seyante quant à la démarche de notre
travail. Joignant intuition et esprit scientifique, notre
préférence pour l'herméneutique sociale relève
aussi bien de notre intime conviction (intuition personnelle) que l'emploi des
symboles dans le roman est en adéquation avec la société
et que le fait littéraire lui-même soit indissociable de celle-ci,
mais relève également de notre profond désir d'
échapper au piège de la subjectivité et des libres
commentaires en conservant notre herméneutique dans la même
ligne scientifique que nous nous sommes tracée au départ. Si
l'herméneutique est l'art d'interpréter, notre art
d'interpréter dans la présente étude appartiendra au rang
de l'interprétation socio-symbolique, cette herméneutique
ainsi définie, déterminera quelle autre signifiance sociale, les
symboles dispensent-ils au corpus ? Comment les symboles racontent-ils la
société dans le roman ?
L'apport principal de cette partie de notre étude
consiste à profiter dans sa plénitude de la réponse
à la préoccupation suivante : À quelles questions, le
texte et notamment ses symboles répondent-ils ?
C'est dans la perspective de fournir une éventuelle
réponse à ce genre de questions qu'intervient la critique
littéraire à laquelle, Mancherey attribue le rôle de
« se demander à propos de chaque oeuvre quelles sont les
conditions sociales, économiques, politiques, idéologiques,
etc... qui ont déterminé sa production69(*)». Une critique qui, dans
notre cas se veut celles des conditions sociales d'où : la
sociocritique.
2-1- LA SOCIOCRITIQUE
La sociocritique est une approche du texte littéraire
qui permet de rendre compte de toute manifestation du fait social dans le fait
littéraire. Elle donne l'opportunité de mettre en exergue les
relations existant entre l'environnement social et le texte en présence,
de telle façon qu'elle nous propose d'aller à la rencontre de la
société dans l'oeuvre.
Analyser le roman d'un oeil sociocritique revient à
situer l'analyse dans un carrefour où se rencontreront la portée
esthétique de l'oeuvre et sa portée social. En effet, si nous
choisissons d'étudier les symboles à la lumière de la
sociocritique, c'est en majeure partie à cause de sa faculté
à faire paraitre le contexte social de l'oeuvre (simultané
à sa création) même implicitement évoqué dans
celle-ci. L'implicite étant le domaine de prédilection du
symbole, la sociocritique est en mesure d'en dégager l'empreinte sociale
aussi dissimulée soit-elle.
Comme toute étude scientifique du fait
littéraire, la sociocritique vise à expliquer le texte ;
elle explique les raisons qui ont mené à sa réalisation
et, elle lui confère tous ses fondements sociaux qui auront
été à l'origine de son élaboration et auxquels, il
servira ultérieurement de scène. La sociocritique est par
excellence, la science apte à mettre en relief, dans toutes leurs
profondeurs, l'enracinement et l'ancrage social dans l'oeuvre
littéraire. Cette optique d'appréhender le texte
littéraire met au jour la manière dont est inscrite la
société dans le texte et donne le moyen de conceptualiser la
socialité du texte.
Dans la mouvance de notre étude, nous souhaiterions
aborder notre herméneutique sociale selon la sociocritique telle que la
conçoit Claude Duchet. Le choix que nous établissons est
fondé sur notre ambition de maintenir aux symboles leurs
caractères d'implicite puisque Duchet donne à la sociocritique
une perspective qui s'assortit fort bien avec l'expression symbolique. Duchet
attribue à la sociocritique une fonction où,
elle : « Interroge, l'implicite, le non-dit ou
l'impensé, les silences, et formule l'hypothèse de l'inconscient
social du texte à introduire dans une problématique de
l'imaginaire.»70(*) Cette vision obéit pleinement aux
caractéristiques du symbole dans la mesure où elle s'articule
communément autour du sens voilé et non-prononcé du texte
et son sens déclaré explicitement. Notre choix est d'autant plus
motivé par le fait que la sociocritique de Duchet cadre parfaitement
avec la pratique de l'écriture symbolique et qu'elle va jusqu'à
en confirmer l'authenticité, Duchet mentionne
que « toute création artistique est aussi pratique
sociale (...) D'où l'affirmation du caractère concret du
symbolique (du travail de symbolisation)71(*) ». Prise sous cet angle, la sociocritique
questionne le texte de façon à lui faire avouer ses facettes
cachées qui nous permettraient d'avoir une plus ample idée autour
de la société qui y est présente.
Cependant, avant de nous approfondir davantage dans la
théorie sociocritique de Duchet, nous jugeons indispensable de
mentionner que :
1- La présence de la société dans la
littérature ne date pas d'hier ; l'histoire de la
littérature en contient plus d'un exemple. En passant par les fables de
la Fontaine et leurs représentations de la société
(englobant défauts, vices et vertus humains) au travers de la
société animale, des fables dont les morales constituaient et
constituent encore de vraies guides du savoir-être et du savoir-faire
humains, aux romans balzaciens, où l'oeil du critique social est des
plus minutieuses dont Eugénie Grandet (1833) et Le
père Goriot (1835) forment les illustres exemples. Balzac affirmera
dans son avant-propos de La comédie humaine qu'un
écrivain « pouvait devenir un peintre plus ou moins
fidèle, (...) le conteur des drames de la vie intime,
l'archéologue du mobilier social72(*) ». Selon Balzac, l'écrivain se doit
de retranscrire la société, il a le pouvoir de la raconter sous
toutes ses coutures. En ce sens, il revient à l'écrivain de
reconstituer la société dans la littérature, une
littérature qui constituerait par la suite un document de la
référence sociale de l'époque racontée.
2- Il nous semble nécessaire de souligner que la
sociocritique en tant que science traitant du texte littéraire remonte
loin dans l'histoire, c'est Madame de Staël qui, en 1800, s'y tente la
première73(*)dans
De la littérature considérée dans ses rapports avec
les institutions sociales. En effet, cette dernière s'adonne
à une première approche de la sociocritique dans sa tentative de
vouloir établir un lien entre la littérature et les
différentes institutions sociales de l'époque, elle voulut, en
fait, mettre en évidence toute l'incidence qu'exerçaient la
littérature et la société l'une sur l'autre.
3-La sociocritique telle que nous la connaissons actuellement
doit sa paternité à Claude Duchet qui, en 1971, introduit ce
terme dans un manifeste de la sociocritique qui prendra le nom de
« Pour une socio-critique ou variations sur
incipit »74(*),
l'article inaugure le premier numéro de la revue
Littérature75(*).
? Outils théoriques
de Claude Duchet
Afin de lire la socialité des oeuvres et de rendre
compte de la manière par laquelle le social est textualisé,
Duchet propose de nouveaux outils conceptuels qui permettent de suivre de
prêt le déploiement de la société dans l'oeuvre
littéraire.
D'abord, Duchet invente deux univers parallèles au
texte qui cohabitent l'un à coté de l'autre. Ces deux
univers détermineront toute la socialité du texte : Au texte
va être suppléé le sociotexte76(*) auquel seront annexés
le hors-texte et le co-texte.
-Le hors-texte constitue l'univers de références
duquel l'oeuvre puisera son essence à partir du discours social, et
qu'elle reformulera dans ses contenus. Il représente toutes les
données historiques et sociales qui auront précédé
l'oeuvre. La connaissance du hors-texte influencera considérablement la
lecture, selon Régine Robin, « Le hors-texte dessine
cet espace de connivence, de savoirs entre le texte et le lecteur qui va
permettre à la production du sens de pouvoir de négocier, se
gérer77(*)». Ce qui signifie que, c'est en
corrélation avec le hors-texte que le lecteur va avoir la
possibilité de réguler sa conception du texte, le hors-texte
constituera une base de références au lecteur qu'il pourra
utiliser comme pierre d'assise dans l'élaboration du sens.
- Duchet propose le co-texte qu'il définit comme
étant : « Tout ce qui tient au texte, fait corps
avec lui, ce qui vient avec lui. »78(*) Le co-texte va, ainsi,
désigner toutes les circonstances sociales et historiques qui naitront
avec l'oeuvre, l'accompagneront tout au long de son élaboration et
jusqu'à sa soumission à la lecture. Nous dirons que si le
hors-texte nomme toutes les conditions qui préexistent au texte et qui
représentent un déjà-là, le co-texte nomme lui,
toutes les conditions qui éclosent avec le texte et qui le suivront de
bout en bout de son existence. Le co-texte représente les circonstances
et les réactions immanentes à la mise en texte du social
(l'écriture) et à la prise en conscience de son activité
sociogrammatique (la lecture).
Ensuite, Duchet introduit la notion de sociogramme qu'il
définit comme étant : « un ensemble flou,
instable, conflictuel, de représentations partielles, aléatoires,
en interaction les unes avec les autres, gravitant autour d'un noyau
lui-même conflictuel.»79(*)Il représente le discours social (de la
société réelle) tel qu'il est reproduit dans le texte.
Tant de thèmes et de sujets faisant les conversations du réel
vont ainsi réapparaitre reformulés dans le texte
littéraire. Le sociogramme consiste à relever et à
analyser toutes les manipulations discursives de la société dans
le produit imaginaire du texte. Son utilité en tant qu'outil
théorique d'analyse réside dans le fait qu'il permette de
recenser toutes les médiations existant entre le discours social et
l'oeuvre littéraire. Il donne le pouvoir d'étudier les
différents processus de textualisation du social et d'expliquer les
moyens par lesquels le discours se transforme en mots et se voit ainsi inscrit
dans le texte.
Le sociogramme est la conceptualisation de la
médiation qui existe entre la société de
référence (réelle) et la société imaginaire
(celle de l'oeuvre), il éclot dans le hors-texte à partir duquel,
il empruntera tout son contenu, mais, ne s'y développe pas, il ne le
fait qu'une fois l'écriture du texte commencée,
c'est-à-dire une fois le social textualisé, le sociogramme
progressera ensuite vers la lecture d'où, il prendra forme chez le
lecteur.
Régine Robin dira que le sociogramme
est « constitutif de l'imaginaire social80(*)». Dans ce sens qu'il
représente les moments de conversion du discours social
(référenciel) en un discours littéraire (imaginaire).
Cette conversion peut s'exercer de deux manières
différentes : Soit le sociogramme reproduit, dans toute son
authenticité le discours social, soit il en donne une version
différente voire opposée.
Le suivant schéma explique l'étalement de
l'activité sociogrammatique :
Activité
sociogrammatique
Hors-texte
Texte
Co-texte
Auteur
_ _ _ _ _ _ _ _ _
Lecteur
Espace de
médiation
|
Source : Hurley, Robert, Beaude, Pierre Marie,
« Le sociogramme du divin dans Lucie ou un midi en novembre
de Fernand Ouellette », tiré de, Poétique du
divin, Les Presses de l'Université Laval, 2001, p. 107.
|
2-2- LECTURE DE LA SOCIALITÉ ET SYMBOLES
L'interprétation des symboles sous l'égide de
la sociocritique nous permettra de voir comment l'oeuvre, voire l'auteur aurait
mis les symboles au service d'une reproduction imaginaire de la
société ? Ou encore, d'expliquer comment le texte, par le
biais des symboles se serait reformulé la société dont son
auteur en aurait une vision précise ?
Pour Goldman l'oeuvre littéraire exprime une vision du
monde81(*), or cette
vision est conditionnée par l'auteur de l'oeuvre et le groupe social
dans lequel elle aurait été conçue. Goldman affirme
que : « toute création culturelle est à
la fois un phénomène individuel et social et s'insère dans
les structures constituées par la personnalité du créateur
et le groupe social dans lequel ont été élaborées
les catégories mentales qui la structurent.»82(*) Ceci dit, la production
littéraire n'est pas une création ex nihilo mais puise toutes ses
raisons d'être de son auteur lui-même et du contexte social
inhérent à sa production.
Une oeuvre littéraire renvoie également à
un besoin ou à une nécessité sociale, nous dirons en ce
sens, que l'oeuvre provient et revient à la société, dans
la mesure où, elle tire toute sa problématique de la
société dont elle se charge elle-même de communiquer.
Duchet dira à ce sujet : « Il n'est point de
fiction qui n'ait de compte à rendre au réel, qui ne rende compte
du réel, pas de roman qui ne renvoie à son dehors, en lui
inscrit. »83(*) D'où, nous aboutirons à formuler le
postulat suivant : nous ne pourrions suivre l'étalement social dans
l'oeuvre, sans cerner au préalable, l'environnement géographique,
historique et social dans lequel l'oeuvre aurait vu le jour, un environnement,
apparaissant lui-même dans le contenu de l'oeuvre en question.
Si l'oeuvre littéraire est censée reproduire la
société dans sa fiction, comment Syngué sabour pierre
de patience abrite-t-elle le social dans ses entrailles ?
La véritable Question sera de savoir : Quel
enseignement de la société, les symboles de Syngué
sabour Pierre de patience sont-ils supposés nous faire ?
Notre travail sera double, puisqu'il consistera d'une part,
à étudier les sociogrammes qui circulent en médiation
entre le réel et le fictif, et d'autre part, d'expliquer comment les
symboles (du texte) prennent en main toute la manifestation de ces sociogrammes
dans le roman.
Notre méthode et les outils théoriques auxquels
nous aurons recours ainsi esquissés, nous pourrons à
présent, passer à leur application proprement-dite sur notre
corpus.
? Hors-texte de Syngué sabour Pierre de
patience
Nous proposons, dans ce qui suivra, de mettre en avant les
conditions dans lesquelles, Atiq Rahimi se serait forgé en tant
qu'individu social et en tant que qu'écrivain, des conditions, dont
notre corpus sera incontestablement tributaire. Corollairement, nous situerons
l'oeuvre dans son milieu d'origine.
Afin de placer à juste titre le roman dans son cadre
historico-géographique, nous nous en tiendrons aux quelques indices que
proposent le texte.
Sur le plan géographique : Compte tenu du seul
indice spatial que propose le texte « Quelque part en
Afghanistan ou ailleurs » (11), nous pouvons supposer que le
récit se déroule dans une ville d'Afghanistan, de ce fait, nous
situerons les faits du roman comme se déroulant dans ce pays et par
conséquent, les effets du hors-texte auxquels nous nous
intéresserons seront ceux de l'Afghanistan.
Sur le plan historique : Les scènes de guerres
décrites dans le récit, les bruits de bombardements qui y sont
évoqués, les personnages (le mari blessé par balle, les
soldats, le mollah), l'évocation de la guerre fratricide, nous
permettent de situer les évènements dans la période de la
guerre civile qui suivra incessamment le retirement des forces
soviétiques du pays, cette période correspond à la fin des
années quatre-vingt et les débuts des années
quatre-vingt-dix. Lors de son monologue la femme déclare :
Il était fier de toi quand tu te battais pour la
liberté(...) C'est après cette libération qu'il a
commencé à te haïr, toi, mais aussi tes frères,
lorsque vous ne vous battiez plus que pour le pouvoir (70).
? Conditions
historico-géographiques
Situé au carrefour du Proche-Orient et de l'Asie,
l'Afghanistan occupe une place géographiquement stratégique
puisqu'il constitue un point de jonction entre l'Iran, la Chine, l'Inde et le
Pakistan. Cet atout géographique lui vaudra la convoitise de plusieurs
nations tout au long de son histoire.
En effet, l'histoire de ce pays demeure intrinsèquement
liée à la guerre. l'Afghanistan fut un terrain de bataille
pendant plusieurs siècles, il en restera marqué à jamais,
depuis la conquête d'Alexandre le Grand (330 av. J.-C), aux invasions des
Huns (IVe siècle de notre ère), des Arabes (651), des
Turcs (980), des Moghols (1221), des Iraniens ( début du
XVIIIe siècle), des Britanniques (1838), des
Soviétiques (1979) et enfin des Américains (2001), le pays se
voit perdu dans un tourbillon de guerre. Ces différentes incursions se
répercuteront à tour de rôle sur la composition ethnique,
linguistique et religieuse de l'Afghanistan.84(*)
À ces guerres entre nations viennent s'ajouter des
guerres civiles entre les différents groupes ethniques afghans d'un
côté, et entre les islamistes libéraux et radicaux d'un
autre. En effet, après le retirement des Soviétiques du
territoire afghan en 1989, des islamistes s'étaient
révoltés contre le gouvernement communiste qu'ils avaient
jugé trop libérale et anti-lois islamiques. En 1994, nait le
taliban, un mouvement islamique radical, les talibans prennent les commandes du
pays en 1996, et y instaurent un système religieux des plus radical
où l'application de la charia est très
rigoureuse85(*). Les
mollahs du taliban mettent en place un code intérieur très strict
duquel les interdictions et les châtiments représentent
l'essentiel86(*). La
discrimination de la femme et sa marginalisation caractérisent
particulièrement leur règne, ces derniers vont exiger sous peine
de mort aux femmes de :
- Porter obligatoirement le chadri87(*) ou la burqa.
- Ne plus exercer aucune pratique professionnelle.
- Ne plus fréquenter les écoles, seules les
filles de moins de neuf ans peuvent avoir une éducation religieuse.
- Ne pas sortir sans-être accompagnée d'un
muhrim (membre masculin de la famille).
- Interdiction de recevoir des soins médicaux de la
part de médecins ou infirmiers hommes.
Toute enfreigne à ces lois entrainerait la femme et sa
famille à des châtiments qui vont de l'insulte, au fouet, à
la lapidation en enfin à la mort.88(*)
Sous l'emprise de ces milices d'intégristes islamistes,
les femmes vont subir les conséquences des lois discriminatoires
appliquées à leur égard. En effet, le régime mettra
en place la loi du purdah qui consiste à maintenir les femmes
prisonnières à l'intérieur de leurs maisons, cette
réclusion sociale les astreindra à une effroyable oppression
visant à les mettre sous une totale tutelle masculine où, elles
n'auront pour rôle que l'assouvissement des pulsions sexuelles de ces
hommes, elles constitueront pour ainsi dire, de véritables objets
sexuels vivants89(*).
Afin d'instaurer dans sa totalité leur terreur, les
talibans crée le ministère de la répression du vice et de
la promotion de la vertu qui, représenté dans les rues par des
partouilles guettant les réfractaires va engendrer un climat de peur et
de terreur duquel, les afghans souffriront longuement. Les patrouilles du
dit-ministère vont à la chasse des personnes qui ne se soumettent
pas aux lois, des séances de lapidation ou d'exécution publiques
ayant pour objectif de dissuader toute tentative de rébellion ou de
révolte sont quotidiennement organisées.
Cette atmosphère de terreur affectera tout le peuple
afghan mais, ce sont précisément les femmes qui en subiront les
plus lourdes sanctions. Les Afghanes vont mener une vie particulièrement
douloureuse à cause d'une constante crainte des violences
infligées par les hommes.90(*)
Ces guerres vont faire des millions de victimes entre morts,
blessés, veuves, orphelins et réfugiés. Le HCR (Haut
Commissariat des Réfugiés) dénombrait 6.1 millions de
réfugiés en 1989, 6.2 millions de réfugiés en 1990,
4.4 millions en 1993, 2,7 millions en 1997 répartis entre l'Iran, le
Pakistan et l'Inde. Ces statistiques placent les afghans en première
position de réfugiés dans le monde. 91(*)
C'est dans ces mêmes conditions qu'évoluera
l'auteur du roman, né en 1962, Atiq Rahimi aura vécu sous
l'oppression soviétique d'abord, et aura côtoyer les horreurs
infligées par la guerre civile ensuite.92(*)
À l'instar de ces millions d'Afghans, Atiq Rahimi a
été contraint à l'exil et à chercher refuge dans un
pays autre que le sien. En effet, après l'arrestation et
l'emprisonnement de son père suite au coup d'état de 1973, Atiq
Rahimi devra prendre la fuite pour l'Inde, dès son plus jeune âge
(11ans), faute de visa, le jeune garçon est obligé de rentrer en
Afghanistan.
En 1984, voyant l'état de son pays se
détériorer de pire en pire, Rahimi fuit son pays pour le
Pakistan, il y séjournera un an, puis, demandera l'exil politique
à la France qu'il rejoindra dès 1985. L'auteur vit depuis,
à Rouen.
C'est ce hors-texte jalonné de guerre, de terreur et
d'exil qui aura favorisé l'écriture du roman Syngué
sabour Pierre de patience. C'est ce hors-texte encore qui, favorisera
l'apparition des sociogrammes de la guerre, de la religion, de l'oppression et
du mutisme dans le discours social de l'Afghanistan.
Nous choisissons d'étudier trois sociogrammes : Le
sociogramme de l'oppression et le sociogramme de la guerre qui, aboutiront par
la suite à un autre sociogramme, celui du silence comme
conséquence infaillible des deux premiers. Notre étude
déterminera la manière avec laquelle, ces sociogrammes
configurent leurs thématiques dans le texte, grâce aux symboles
que nous avons préalablement relevés.
Nous considérons le tableau ci-dessous comme la
répartition des symboles observés, selon leur attachement
à l'un des sociogrammes sélectionnés.
|
Sociogramme de l'oppression
|
Sociogramme de la guerre
|
Sociogramme du silence
|
Au niveau syntagmatique
|
-Le chapelet.
-Le Coran.
-L'appel à la prière.
-Le sang
-La plume de paon (marque page).
-Le souffle de l'homme.
|
-Le sang.
-L e corps blessé de l'homme.
|
-Le rideau aux motifs d'oiseaux migrateurs.
-La pierre de patience.
|
Au niveau paradigmatique
|
-L'anonymat de la femme.
-Omniprésence de l'homme dans le récit.
- Un espace clos : la chambre
|
|
|
|
2-2-1- SOCIOGRAMME DE L'OPPRESSION
L'histoire de l'Afghanistan rend inévitable le fait
d'aborder le sociogramme de l'oppression dans le discours social afghan des
années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. La naissance de plusieurs
groupes islamiques radicaux, l'avènement du taliban au pouvoir,
l'établissement d'un gouvernement islamique strict, la mise en oeuvre
d'un code appliquant fanatiquement la charia, vont vite faire
état de réels constituants décisifs du vécu en
Afghanistan, les manifestations discursives vont être
considérablement imprégnées de ce sociogramme et en feront
un thème principal. La fiction et plus précisément, notre
corpus Syngué sabour Pierre de patience réinscrit ce
sociogramme et le rethématise dans son contenu. Les personnages, le
temps, l'espace, représenteront chacun un lieu de reconfiguration du
sociogramme de l'oppression au sein du roman.
? La symbolique des personnages
L'héroïne « la femme » vit
sous l'oppression, son statut, ses actions et ses propos en sont manifestement
caractérisés. Le récit fait par ce personnage nous plonge
dans un univers où, tout semble venir d'un autre ordre que celui que
nous connaissons. Le personnage de « la femme » donne
l'impression d'être tombé d'un ailleurs, ressemblant bien,
à celui que le taliban a réservé (pour leur propre
service) aux femmes sous le nom de la religion :
« La femme » est contrainte à
réguler sa vie selon deux modes : Celui de la religion et celui de
l'homme (le mâle). Toute son existence a l'air de se mouvoir autour de
ces deux principes.
D'abord, « la femme » est un personnage
astreint à vivre dans l'anonymat puisqu'elle n'a aucune identité,
aucun nom. Sans cesse, elle sera nommée « la
femme »93(*)
sans plus. Son nom n'a peut-être pas d'importance ou que simplement un
nom ne différencierait en rien la condition d'une personne
opprimée ; que ce soit elle ou une autre ça restera toujours
« la femme », une femme, la soumise, l'oubliée,
toutes pareilles, partageant le même calvaire de l'exclusion. C'est ce
statut perdu, cet effacement social, c'est cette réduction au
néant qui, symbolise toute l'existence de la femme dans ce pays.
Fidèlement, l'image que reflète le personnage « la
femme », résume dans sa totalité la marginalisation et
l'abnégation dans lesquelles vit la femme en Afghanistan. L'auteur a
choisi de mettre en avant de la scène « la femme »,
elle est là, elle veille sur son mari, le soigne, lui parle, sans pour
autant la nommer. Rahimi crée un personnage duquel, il ne propose qu'une
référence générale (la femme) pour
représenter toutes les Afghanes qui, sous un système radical,
masculin, révoquant toute participation de la femme dans la
société, les condamne à vivre dans le reniement.
L'anonymat de « la femme » dans le roman représente
la réclusion de la femme au sein de la société afghane. En
omettant de lui donner un nom, l'auteur symbolise l'état d'insignifiance
réservé aux femmes sous les talibans, il représente la
position avilissante des femmes en Afghanistan par la non-attribution
d'identité à l'héroïne.
Cette minimisation est infligée aux femmes par la gent
masculine, dans la vie (dans un pays pareil à l'Afghanistan) comme dans
la fiction ; une femme n'est que l'esclave de son homme, elle a le
devoir de le servir et de le préserver de tout effort ou
désappointement.
La vie de l'héroïne témoigne de cet
asservissement et de cette infinie dépendance à l'égard
des hommes. « La femme » ne va être qu'un accessoire
sexuel de l'homme, c'est un bout de chair qui lui procure du plaisir et qui lui
permet de se dégager de ses frustrations en le maltraitant et en lui
infligeant les pires sévices. Consciente de son malheureux état,
elle s'écrie dans le récit de ses souvenirs :
« Pour me demander de me couvrir, tu criais : Cache ta
viande ! En effet, je n'étais qu'un morceau de viande...Rien que
pour la déchirer, la faire saigner ! » (130).
Elle-même est convaincue de son
infériorité par rapport au mâle, elle est persuadée
qu'elle n'existe que pour lui procurer du plaisir, et qu'il relevait de sa
nature-même de femme de se consacrer à son bien-être
à lui, certaine que la jouissance ne pouvait être que masculine,
elle s'était dit : « Même quand je te voyais,
toi, être le seul à jouir, ça ne me déplaisait pas
du tout. Au contraire, je m'en réjouissais. Je me disais que
c'était cela notre différence. Vous les hommes, vous jouissez, et
nous les femmes, nous nous en réjouissons. Cela me
suffisait » (123).
Dans cette atmosphère de contrainte masculine, une
femme se doit de garantir la reproduction, elle est dans l'obligation d'assurer
une progéniture à l'homme, « faire des
enfants », c'est là, sa principale fonction, faute de
quoi, elle ne servirait à rien et serait bonne à se laisser
mourir. Se rappelant de sa tante chassée par son mari car elle
n'était capable d'enfanter, « la femme »
raconte : « Ma tante n'a pas pu enfanter pour lui. Je
dis bien pour lui, car c'est ce que vous les hommes, avez dans la tête.
Bref, ma tante était stérile. Autrement dit : bonne à
rien » (102).
Pire encore, la crainte de se retrouver
répudiée par son mari, reniée par sa famille comme sa
tante, mènera « la femme » à chercher
impérativement un moyen de donner naissance à un enfant quitte
à commettre l'adultère. En effet, se rendant compte du risque
qu'elle encourait après deux ans de mariage sans enfants,
l'héroïne eut recours dans une ultime tentative à avoir une
relation sexuelle hors-mariage dans le but de tomber enceinte, ce qui arriva
puisque finalement, c'était le mari qui était stérile.
Cette absurdité n'est pas le résultat d'un amour envers
« l'homme », mais c'est bien la peur de se retrouver seule,
démunie et sans ressources qui animait cette action. « La
femme » craignait de se retrouver mendier dans les rues ou se
prostituer comme la tante, elle savait qu'elle n'avait de raison d'être
sans un mari, sans homme.
Elle se justifie :
« Mais tout ce que j'ai fait, c'était
pour toi...pour te garder » (...) « J'ai tout fait pour que
tu me gardes. Non pas uniquement parce que je t'aimais, mais pour que tu ne
m'abandonnes pas. Sans toi, je n'avais plus personne, J'aurais
été bannie par tout le monde. » (80).
Si « la femme » se sent aussi minime,
aussi démunie face à « l'homme », c'est parce
qu'au fond d'elle, cet homme est son dieu, elle doit le servir, le respecter,
le vénérer.
En le prenant pour époux, elle s'était
convaincue que son homme ressemblait à dieu qui, en dépit de son
absence, demeure aimé et vénéré, faisant un pas
arrière vers ses souvenirs, elle
raconte : « C'était beau pour une jeune fille de
dix-sept-ans de se marier avec un héros. Je me disais : Dieu aussi
est absent, pourtant je l'aime, je crois en lui... » (69).
Et même son état atone ne la dissuade pas du
statut divin de son mari, elle y trouve même un lien de ressemblance,
elle en dira : « Regarde-toi, tu es Dieu. Tu existes,
et tu ne bouges pas. Tu entends, et tu ne parles pas. Tu vois, et tu n'es pas
visible ! Comme Dieu, tu es patient, paralytique »
(152-153).
Pour cet homme-dieu, « la femme » ne
pourrait qu'éprouver soumission et allégeance, sa position
d'infériorité par rapport à lui l'emmène à
tout lui excuser, même en se faisant tuer par son mari, l'épouse
ne montre qu'obédience.
Dans une violente scène où l'homme se
réveille et s'apprête à achever « la
femme », cette dernière s'écrie :
« merci Al -Sabour ! Je suis enfin délivrée de
mes souffrances », et enlace les pieds de l'homme (153-154).
Ensuite, de ses droits élémentaires, l'homme
privera cette « femme » ; sa vie ne lui appartient
pas, mais appartient à « l'homme » le mari. C'est
premièrement à sa respiration qu'elle devra céder, elle
n'a pas le droit de respirer comme elle l'entend, mais, elle se voit
obligée de substituer le souffle du mari mourant à sa
respiration, elle apprendra à respirer à la même cadence
que lui puisque tout compte fait, elle n'a de raison d'être sans lui.
Depuis que « l'homme » est blessé, l'épouse
cesse de vivre, de respirer et ne vit plus, que pour lui. Le fait qu'elle ait
régulé sa respiration au souffle de son mari, symbolise ô
combien sa vie est banale par rapport à celle de
« l'homme », ça représente également
le degré de dépendance qui la lie fatalement à cet homme.
Dans son monologue avec le corps inerte du mari, elle déclare :
« Seize jours que je vis au rythme de ton
souffle. » Agressive. « Seize jours que je respire avec
toi. »... « Même si je n'ai pas la main sur ta
poitrine, je peux maintenant respirer comme toi. » (20).
Nul besoin d'être à ses côtés pour
respirer comme lui, elle s'était d'emblée, corps et âme
consacrée à lui, quand elle était ailleurs qu'à son
chevet, elle comptait en elle le nombre de souffles qu'il ferait en son
absence, un sentiment d'omniprésence de « l'homme »
dans la vie de l'épouse est créé par cet étrange
substitution, ainsi, nous l'entendrons dire : « Je peux
même te dire qu'en mon absence, tu as respiré trente-trois
fois. » Elle s'accroupit. « Et même là, en ce
moment, lorsque je te parle, je peux compter tes souffles. »
(21).
Ce dévouement envers « l'homme » a
pour origine le sentiment de « la femme » d'être
coupable, elle est seule responsable de ce qui arrive autour d'elle : si
le mari ne se rétablit pas, c'est de sa faute à elle, s'il reste
cloué au lit aussi longtemps, c'est qu'elle a sans doute failli quelque
part. Continuellement réprimandée par sa famille, par son mari et
par le mollah, elle se convint de sa culpabilité, c'est ce que ne cesse
de lui répéter le mollah : « ...ce
crétin de mollah viendra te rendre visite et, comme toujours, me fera
des reproches, parce que, dira-t-il, je ne me suis pas bien occupée de
toi, je n'ai pas suivi ses instructions, j'ai négligé les
prières...Sinon tu guérirais ! »,
dira-t-elle (22).
Et comme pour justifier son tort, elle ajoute en
s'adressant au corps inerte de son mari : « Mais toi, tu es
témoin. Tu sais que je ne vis que pour toi, auprès de toi, avec
ton souffle ! » (22).
Sa culpabilité l'oblige à souffrir à la
place de « l'homme », lui est fort, infaillible, il est
maitre, il a raison, rien ne l'atteint, pas même la douleur
procurée par cette balle logée dans sa nuque, en appuyant sur la
blessure de son mari, « la femme »
s'étonne : « Tu ne souffres même
pas ?! » (34). De cette souffrance,
« l'homme » a toujours été
préservé car « la femme » est son
souffre-douleur, elle est apte à encourir tous les maux à sa
place, elle s'exclame : « Tu ne souffres jamais !
Tu n'as jamais souffert !
Jamais ! »... « Même blessé, tu es
épargné par la souffrance. »... « Et
c'est à moi d'en pâtir ! C'est à moi d'en
pleurer ! » (34).
Si elle souffre à sa place, c'est pour compenser son
tort commis depuis l'aube de l'existence, elle est coupable du pêcher
originelle qu'Eve a contribué à commettre, n'est-ce pas elle qui
incita Adam à commettre l'interdit ? Ne revient-il pas à ses
descendantes de rendre justice à l'homme en se sacrifiant à
lui ?
En fait, « la femme » représente
toutes les femmes qui, accusées d'avoir enfreint, doivent payer de leur
existence et se sacrifier pour dédommager du mal qu'elles auraient
causé à l'homme, c'est ce que « la femme »
sait profondément, elle explique : « ...ce que
je fais, c'est la voix d'en haut qui me le dicte, que c'est elle qui me guide.
Cette voix qui émerge de ma gorge, c'est la voix enfouie depuis des
milliers d'années. » (147).
C'est le personnage de « la femme »
inconnue, coupable, négligée, martyrisée, forcée,
contrainte, effacée, oubliée, réduite au néant qui,
symbolise toutes ces afghanes, martyrs de l'homme qui, sous l'ordre des
talibans ne prennent part à la vie qu'en se servant de leurs corps comme
lieu du défoulement sexuel de l'homme ou encore comme matrice de son
enfant.
Le don du souffle, représente le sacrifice que, la
femme doit faire pour satisfaire l'homme, en substituant le souffle de
« l'homme » à son propre souffle, l'épouse
fait don de son âme et de sa vie à son mari. Cet acte symbolise
toute la soumission de la femme à l'homme et rend perceptible le
degré du dévouement et de l'abnégation féminins
face à celui de la domination masculine.
Outre son attachement au mari, « la
femme » semble très attachée à la pratique de la
religion, continuellement, nous la verrons prier, égrener son chapelet
et réciter l'un des noms de dieu. La prière va prendre l'accent
d'un emploi cyclique dans le récit, l'héroïne est sans cesse
occupée à prononcer un nom de dieu en tirant un par un les
quatre-vingt-dix-neuf grains du chapelet, ce n'est que la prière qui
entrave cette pratique devenue machinale :
Un long silence. Presque cinq tours de chapelet. Cinq
tours durant lesquels la femme reste colée contre le mur, les yeux
fermés. C'est l'appel à la prière de midi qui l'arrache de
sa torpeur. Elle prend le petit tapis, le déplie et l'étale par
terre. Entame la prière (22-23).
Tel un refrain, ces actions vont se répéter dans
le récit, il n'est pas étonnant de rencontrer constamment la
réplique suivante :
Elle prend le petit tapis, le déplie et
l'étale par terre. La prière du matin faite, elle demeure assise,
prend le Coran, l'ouvre à la page marquée d'une plume de paon
qu'elle enlève et garde dans la main droite. Avec sa main gauche, elle
égrène le chapelet. Après la lecture de quelques versets,
elle glisse la plume, referme le Coran... (32-33).
Cependant, ce grand attachement à la religion
semble-être forcé, il ne relève pas de la propre conviction
des personnages, mais a bien l'allure d'une pratique obligée, plusieurs
manifestations en font preuve.
Exaspérée par l'obligation de devoir tout le
temps réciter et prier, la femme
s'exclame : « Je n'en peux plus... » Abattue.
« Du matin au soir, réciter sans arrêt les noms de Dieu,
je n'en peux plus ! » (20). Son invocation de dieu
ressemble bien plus à une ennuyeuse litanie qu'à autre chose.
Lassée de ses impératifs, elle se
désole : « Je n'ai plus le courage de
réciter les noms de Dieu... Dieu soit loué...il te sauvera. Sans
moi. Sans mes prières...il le doit » (36).
Ras le bol du mollah qui s'obstine à tout expliquer et
à tout résoudre par la religion, elle ajoute en
récriminant :
« C'est tellement facile de dire qu'il
faut réciter quatre-vingt-dix-neuf fois par jour l'un des
quatre-vingt-dix-neuf noms de Dieu...Et cela pendant quatre-vingt-dix-neuf
jours ! Mais ce crétin de mollah ne sait pas ce que c'est
d'être seule avec un homme qui... » (22).
D'ailleurs, elle le hait ce mollah, elle le nommera
toujours « le crétin ».
Voyant son récit interrompu par l'appel à la
prière elle rouspète : « Mais
déjà, de quoi est-ce que je te parlais avant que ce crétin
de mollah ne braie ? » (101).
Elle le hait car il représente cette religion de
contrainte, c'est lui qui l'oblige à faire la prière, c'est lui
encore qui a exigé d'elle de réciter les noms de dieu à
longueur de journée et c'est lui qui la blâme à chacune de
leur rencontre pour s'être mal conduite envers son mari ou pour avoir mal
accompli la prière. Voulant se débarrasser de ces obligations,
elle lui mentira en prétextant qu'elle a ses règles, elle confie
à son mari : « Tout à l'heure,
c'était le mollah. Il est venu pour notre séance de
prière. Je lui confiais que depuis hier j'étais devenue impure,
que j'avais mes règles (...) bien sûr, je lui ai
menti » (41-42), s'étant délivrée
grâce à ce mensonge de ses contraintes, elle se passe volontiers
de la prière et du chapelet, ce mensonge fera en sorte
qu' :
Elle ne reste pas auprès de son homme.
Elle ne met plus sa main droite sur la poitrine de son
homme.
Elle n'égrène plus le chapelet noir au rythme
de la respiration de son homme.
Elle s'en va.
Elle ne repasse qu'avec l'appel à la prière de
midi, non pas pour reprendre le petit tapis, le déplier, l'étaler
par terre et faire sa prière (39).
Le mollah lui-même, n'est pas vraiment pieux, alors
qu'il est censé représenter sagesse et dévouement
religieux, il n'hésite pas à raccourcir la prière pour
échapper à la pluie : « La voix du
mollah, récitant les versets du Coran pour l'enterrement, s'efface sous
la pluie. Le mollah élève le ton, accélère la
prière pour en finir au plus vite » (89). Lui aussi n'est
pas tout à fait consentant, il vit sous la peur, il a peur d'être
tué, nous le percevons à travers les propos de « la
femme » dans ce qui suit : « Le mollah ne viendra
pas aujourd'hui », dit-elle avec un certain soulagement.
« Il a peur des balles perdues. Il est aussi lâche que tes
frères » (28).
Nous apprendrons aussi que le mollah n'a pas toujours
été aussi arrogant, pas aussi fanatique, mais qu'il était
bien moins hostile, c'est la guerre civile qui le fit changer.
Parlant du mollah, « la femme »
raconte : « Avant il n'était pas comme ça, on
pouvait plaisanter avec lui. Mais depuis que vous avez proclamé cette
nouvelle loi dans le pays, lui aussi a changé. Il a peur le
pauvre » (41).
Cette loi est celle du djihad à laquelle, des
milliers d'Afghans seront amenés à participer afin d'assurer la
prise du pouvoir aux partis islamistes. Contraints à s'engager dans des
milices terroristes, c'est contre leurs frères qu'ils prendront les
armes, Ramazan Bachardoust (ancien ministre du plan en Afghanistan) explique
que : « Les partis islamiques, étrangers
à la société et au peuple afghan, qui ont fait
le « jihad » pour la conquête du pouvoir
politique ne l'auraient donc pas fait pour Dieu mais pour les postes
présidentiels et ministériels. C'est pourquoi ils se sont battus
à mort dès 1992, pour occuper et conserver le pouvoir
[...] sa foi soit utilisée comme instrument pour
satisfaire les intérêts d'hommes sans foi, ni
loi. »94(*)
Et c'est également, cette même loi qui alimente toute la peur du
mollah qui, contraint à faire l'appel au djihad lors de son
prêche, le fait d'un ton caractérisé par la crainte :
Après l'appel à la prière (...) Il
s'arrête et reprend très vite avec une voix apeurée :
Chers fidèles, comme je vous l'ai toujours indiqué, le mercredi
est un jour où, selon le hadith de notre Prophète, le plus noble,
il ne convient ni de pratiquer la saignée, ni de donner, ni de recevoir.
Cependant, l'un des hadiths, rapportés par Ibn Younès, dit que
lors du Djihad on peut y avoir recours. Aujourd'hui, votre frère, le
vénérable Commandant, vous munit d'armes pour que vous
défendiez votre honneur, votre sang, votre
tribu ! »
Dans la rue, les hommes
s'époumonent : « Allah-o Akbar ! »
Ils courent. « Allah-o Akbar ! » Leurs voix
s'éloignent, « Allah-o ... », et s'approchent de la
mosquée, raconte le narrateur (39-40).
Autant de personnages vivant sous l'oppression et la terreur
créées par un système islamique d'un côté et
par la guerre d'un autre, se seront fait entendre dans le roman. Mais, c'est
surtout le personnage de « la femme » qui s'en est le plus
marqué. C'est la femme afghane humiliée, brutalisée,
éteinte qui sera symbolisée dans le roman par la
non-identité. C'est aussi cette même femme, esclave de l'homme,
totalement pliée à l'autorité masculine qui sera
symbolisée par le don du souffle.
? La symbolique du temps
Deux temps vont cohabiter dans le récit : un temps
du dehors et un temps du dedans. Le temps est tout aussi affecté par
l'omniprésence de « l'homme » le mâle et celle
de la religion.
Dehors ce sont les appels à la prière et les
prêches du mollah qui rythment le temps. De la chronologie du
récit, nous n'aurons comme indices, que le temps qui sépare les
appels à la prière ou les prêches du mollah qui
correspondent chacune à un jour précis. Si le temps est
régi de cette manière, c'est pour exprimer le poids que
pèse la religion dans ce pays, importe peu, l'heure, le jour ou
l'année, la seule vraie référence demeure la religion.
L'héroïne, pas plus que nous, n'a d'informations temporelles que ce
que lui apportent les dires du mollah, assise après la prière,
elle écoute le prêche du mardi :
« ... et aujourd'hui est un jour de
sang, car c'est au cours d'un mardi qu'Eve a perdu, pour la première
fois, du sang pourri, que l'un des fils d'Adam a tué son frère,
qu'on a tué Grégoire, Zacharie et Yahya - que la paix soit sur
eux -, ainsi que les sorciers de Pharaon, Assaya Bent Muzahim, l'épouse
de Pharaon, et la génisse des enfants d'Israël.. »,
explique le mollah (23).
C'est encore le mollah qui, nous dira que c'est un
mercredi : « la voix éraillée du mollah
invoque Dieu afin qu'il accorde sa protection aux fidèles du quartier en
ce jour de mercredi. » (39).
À l'intérieur de la chambre, c'est un
autre temps que « la femme » s'est créé,
c'est celui auquel, elle s'était depuis toujours
accoutumée ; pour elle, le temps est équivaut à deux
priorités : « l'homme » et ses souffles d'une
part, et la religion d'une autre.
Les séquences du récit seront, ainsi,
séparées par des phrases telles
que : « Après trois tours de chapelet, deux cent
soixante-dix souffles, elles sont de retours » (24),
ou : « En moins de cinq souffles, elle revient avec la
lampe-tempête » (32), tout au long de l'histoire, c'est ce
genre d'expressions qui animent le temps et marquent la durée qui
séparent les actions des personnages et notamment celles de
l'épouse.
Simultanément aux souffles de son mari,
« la femme » égrène un chapelet et
récite les noms de dieu ; là voilà qui invoque
Dieu : « « Al-Qahhâr »,
répète-t-elle. Elle le répète à chaque
respiration de l'homme. Et à chaque mot, elle fait glisser entre ses
doigts un grain de chapelet. » (17).
Dans cette chambre, le temps n'est pas ordinaire, pas commun,
un temps où il n'est plus questions de mesures temporelles connues mais,
où il s'agit d'un ordre différent de références
chronologiques. Etrangement, les tours de chapelet, les noms de dieu inscrits
sur la page de garde du Coran prennent les rênes du temps et en
déterminent la durée.
Le temps est singulièrement pris en charge par des
symboles religieux : Ce ne sont plus les jours, les heures et les minutes
qui forment le temps, mais, c'est le chapelet noir, le livre saint et les
quatre-vingt-dix-neuf noms de dieu qui le régissent dans la vie de
cette « femme ».
Dans son monologue, l'héroïne déclare
que son temps n'est pas celui que tout le monde
connait : « Mes journées, je ne les divise plus
en heures, et les heures en minutes, et les minutes en secondes...une
journée pour moi égale
quatre-vingt-dix-neuf tours de chapelet ! »,
avoue-t-elle (21).
Un souffle correspond à un grain de chapelet, un tour
de chapelet correspond à quatre-vingt-dix-neuf souffles de l'homme et
quatre-vingt-dix-neuf fois un nom de dieu, quatre-vingt-dix-neuf tours de
chapelet correspondait à une journée, voilà comment
« la femme » répartissait son temps, aussi
compliqué soit-il, elle s'en servait pour organiser sa vie, elle parvint
même à prévoir à quel tour de chapelet arriveraient
certains évènements futurs, elle calcule :
« Je peux même te dire qu'il reste cinq
tours de chapelet avant que le mollah fasse son appel à la prière
(...) Au vingtième tour, le porteur d'eau frappera à la porte des
voisins. Comme d'habitude, la vieille voisine à la toux rauque sortira
pour lui ouvrir la porte. Au trentième, un garçon traversera la
rue sur son vélo (...) Et lorsque j'arriverai au
soixante-douzième tour, ce crétin de mollah viendra te rendre
visite » (21-22).
Aux tours de chapelet, viennent se suppléer les noms de
dieu, depuis que « l'homme » a reçu cette balle,
« la femme » implore dieu pour qu'il le guérisse, en
suivant les recommandations du mollah, elle récite chaque jour l'un de
ces noms. Elle comptera ainsi les jours, en les faisant correspondre à
un nom divin. Le récit commence seize jours après l'accident de
l'homme, si l'héroïne le sait, c'est parce qu'elle est en train de
répéter le seizième nom de dieu :
« Al-Qahhâr, le Dominateur. » (20).
Grâce au classement des noms de dieu inscrit sur la page de
garde du Coran, l'héroïne arrive à se situer dans le temps,
c'est là, son calendrier, son repère, doutant du nombre de jours
qui s'étaient écoulés depuis que son homme était
blessé, elle vérifie :
« Cela fait seize jours... »,
hésite, « non... » et compte sur ses doigts
incertains.
Confuse, elle se retourne, revient à sa place pour
jeter un regard sur la page ouverte du Coran. Elle vérifie.
« Seize jours...aujourd'hui c'est le seizième nom de Dieu que
je dois citer. Al-Qahhâr, le Dominateur. Voilà, c'es bien
ça, le seizième nom... » Pensive. « Seize
jours ! » (20).
Puis, c'est à
« Al-Wahhâb, le donateur » qu'elle
s'adresse, Al-Wahhâb, dix-septième nom, dix-sept jours
que dure son malheur, nombreux seront les noms que nous rencontrerons,
l'héroïne invoquera « Al-Mou'akhir »
(131),
« Al-Jabar », « Al-Rahim »
(148) et enfin, elle conclut avec le quatre-vingt-dix-neuvième
nom « Al-Sabour, le Patient » (152), dernier
nom avec lequel, elle achèvera son imploration, mais aussi, avec lequel
s'achèvera sa vie et le récit avec.
La perte de la plume de paon, un marque-page que
l'héroïne utilisait en lisant le Coran et en citant les noms de
dieu constitue un point culminant, le paroxysme de sa souffrance, c'est le
moment où la femme perd tout repère et orientation dans le temps
puisque le livre sacré était lui-même sa seule
référence temporelle.
La manière avec laquelle, des symboles religieux tels
que le chapelet, la page de garde où sont inscrits les
quatre-vingt-dix-neuf noms de dieu ou les appels à la prière,
expriment le temps et le manient, permet de cerner la charge qu'exerce la
religion au sein du roman. En effet, si le temps est introduit grâce
aux symboles précités (des symboles qui marquent nettement leur
attachement à la religion), cela, ne peut que traduire de la
présence continuelle de la religion, la vie des personnages se trouve
conditionnée par cette donnée, représenter le temps par
les tours de chapelets ou par un nom de dieu revient à indiquer
l'omniprésence de la religion dans la société, son ancrage
est tel, que les personnages en font usage comme unique repère. Pareille
au temps, la religion est là, ne pouvant-être arrêtée
ni dépassée, elle rythme leurs vies et en constitue l'axe de
rotation. Instant par instant, elle gouverne d'une main de fer leurs
destinées.
? La symbolique de l'espace
L'héroïne est condamnée à
l'emprisonnement, celui de sa maison, de sa chambre, elle demeure
enfermée dans cet espace clos où, l'extérieur n'est
introduit que par les appels à la prière et par les prêches
du mollah. L'unique espace qui accueillera le récit est cet espace
barricadé, fermé ; une petite chambre où tout est
condamné à l'intériorité, tout est cloitré,
arrêté là-dedans, rien n'échappe, les seules
attaches avec le dehors sont apportées par les voix de la religion.
Cet enfermement que rien ne vient perturber à part la religion,
symbolise l'extrême domination pratiquée sous l'angle de la
religion sur les femmes.
2-2-2- SOCIOGRAMME DE LA GUERRE
La guerre est un élément constitutif primordial
dans la vie, en Afghanistan, comme dans le roman ; si le pays n'a jamais
connu la paix et qu'il se soit éternellement confondu dans les
périples de la guerre, le roman aussi, ne manque pas de montrer
l'ampleur de l'ancrage de la guerre dans la vie des personnages.
? La symbolique des personnages
En effet, c'est la guerre qui, point par point, tissera les
trames de vie des personnages, leurs existences semblent définitivement
s'entrecroiser avec la guerre.
À force d'en pâtir, la guerre devient banale,
ordinaire même ; les cadavres, les explosions, les tirs, vont faire
partie intégrante de la scène de vie quotidienne des personnages,
de telle façon que ces derniers ne soient plus perturbés par les
tumultes de la guerre, « la femme », les enfants semblent
être habitués à ces horreurs :
Loin, quelque part dans la ville, l'explosion d'une
bombe. Violente, elle détruit peut-être quelques maisons, quelques
rêves. On riposte. Les répliquent lacèrent le silence
pesant de midi, font vibrer les vitres, mais ne réveillent pas les
enfants. Elles immobilisent pour un instant - juste deux grains de
chapelet (17).
Familiarisée avec les violences de la guerre,
« la femme » s'en soucie peu, nous apprendrons
que : « Rien ne la détourne de son récit,
pas même les coups de feu qui sont tirés non loin de la
maison », explique le narrateur (107).
La mort devient futile, les séquences la
décrivant sont furtives, ce sont des passages sommaires et rapides qui,
racontent par leur brièveté l'amoindrissement et
l'indifférence avec lesquels, l'on conçoit la mort :
« Au dehors, quelque part, pas très loin, quelqu'un tire
une balle. Un autre, plus proche, riposte. Le premier tire une deuxième
balle. L'autre ne répond plus » (28).
Les marchands de la mort laissent des cadavres partout,
nombreux sont-ils, à tel point qu'on n'arrive à tous les
enterrer, ce sont les chiens qui s'en occupent :
Cette nuit, on ne tire pas.
Sous la lumière fade et froide de la lune, les
chiens errants aboient dans tous les coins de la ville. Jusqu'à
l'aurore.
Ils ont faim.
Ce soir il n'y a pas de cadavres, raconte le
narrateur (142).
Abandonnés, gisant dans les rues, c'est la pluie qui
nettoiera les corps déchirés des morts :
Le matin.
Il pleut.
Il pleut sur la ville et ses ruines.
Il pleut sur les corps et leurs plaies. (78).
Et même quand les tirs cessent, et que les marchands de
la mort prennent une trêve, la guerre se fait toujours sentir,
enracinée, omniprésente, elle ne peut que se
perpétuer : « Les armes dorment. Mais la fumée
et l'odeur de la poudre prolongent leurs souffles » (63).
« La femme » encaissera
conséquemment les malheurs de la guerre, et en purgera une lourde
peine ; elle se mariera avec un combattant depuis toujours absent, elle le
côtoiera encore plus absent et pire indifférent, indolent et
insensible à son égard, et enfin, elle achèvera sa vie
auprès de ce combattant devenu apathique :
« La femme » au sens d'épouse ne le
sera effectivement que pendant trois ans au bout de dix ans de mariage (pendant
les sept autres années, le mari était parti combattre pour
différentes causes). De ce mariage, elle ne retient que des souvenirs
d'absence, de contraintes, de solitude et de haine. D'abord, avant-même
de se marier, elle en connaitra l'humiliation et l'oubli. Le mari ne lui
était pas destiné au départ, mais à sa soeur
cadette, ce n'est qu'une fois cette dernière lui étant
refusée qu'on propose l'autre (l'héroïne). Les
propos de la belle-mère traduisent l'indifférence avec laquelle
« la femme » se voit traitée, elle se
rappelle : « Ta mère qui venait chez nous pour
demander la main de ma soeur cadette(...) Et ta mère a simplement
répondu : Bon, ce n'est pas grave, ça sera elle
alors ! » (68).
Une fois demandée en mariage, commence, pour
« la femme » le long périple de l'absence :
C'est à l'absence qu'elle sera mariée, puisque
le mari est attaché au front, pour se consoler, elle se dira qu'elle se
marie à un héros toujours absent, mais ce héros ne sera
présent ni aux fiançailles, ni même au mariage. C'est
à un héros-absent que sa vie sera liée, un héros
qu'elle devra attendre, trois ans durant, dans un lit conjugal vide, elle se
remémore :
Pour nous tous, tu n'étais qu'un nom, le
Héros ! Et, comme tous les héros, absent !
C'était beau pour une fille de dix-sept ans de se fiancer avec un
héros...Bref, ils ont célébré nos
fiançailles sans le fiancé ! Ta mère
prétendait : C'est bon, la victoire est proche ! Bientôt
ce sera la fin de la guerre, la libération, et le retour de mon
fils ! Presque un an après, ta mère est revenue. La victoire
était encore loin. Alors, elle a dit : C'est périlleux de
laisser une jeune fiancée aussi longtemps chez ses parents ! Je
devais donc me marier malgré ton absence. Lors de la
cérémonie, tu étais présent par ta photo et par ce
foutu kanjar que l'on a mis à mon côté, à ta place.
Et j'au dû encore t'attendre trois ans. Trois ans (69).
Même de retour, « la femme » se
heurte à l'absence et à l'indifférence du mari, le sort de
celle-ci est étroitement lié à la guerre puisqu'en fin de
compte, elle n'aura été qu'un butin, une offrande au combattant,
au héros, elle lui revenait de droit pour le mérite d'être
parti combattre au nom de dieu.
« ...Le jour où tu es rentré, le
jour où je t'ai vu pour la première fois...Tu t'es assis à
côté de moi. Comme si nous nous connaissions...comme si tu me
revoyais juste après une brève absence ou comme si j'étais
une banale récompense pour ta victoire ! » (71).
Ou encore, elle se retrouve avec un homme qui
préfère volontiers son arme à sa femme, indifférent
aux trois ans qui l'auront séparé d'elle, lors de leur
première rencontre, il demeure désintéressé, absent
comme toujours : « Je te regardais, mais toi, tu avais les
yeux rivés je ne sais où ...Et toi, l'air absent, arrogant, tu
étais ailleurs », disait « la
femme » (71).
Et là voilà séparée encore de cet
homme, rappelé encore une fois au front, six mois après
être revenu : « Et tu as repris les armes. Tu es
reparti pour cette guerre fratricide, absurde ! Tu es devenu
prétentieux, arrogant, violent ! » (81-82).
Son arrogance, son indifférence envers « la
femme » étaient sans doute dues à son éternel
statut de combattant, il ne connaissait point la vie que par les armes, toute
l'existence de cet « homme », se confond avec la guerre,
une guerre qui n'en finit pas et à laquelle, il participera aux
différents épisodes.
Elle ajoute : « ...Elle est bien vraie, la
parole des sages : Il ne faut jamais compter sur celui qui connait le
plaisir des armes !... Les armes deviennent tout pour vous...Vous les
hommes ! quand vous avez des armes, vous oubliez vos
femmes. » (71-72).
Pris, par l'engrenage de la guerre, le mari ou
« l'homme» en est aussi victime, il a été toute sa
vie combattant, d'abord, il combattait contre les soviétiques pour
libérer son pays, ensuite, c'est contre ses compatriotes qu'il va
combattre mais, pour le pouvoir, pour gagner de l'argent et pour
s'enrichir ; les alliés d'antan vont devenir ennemis et s'entretuer
pour leurs intérêts. C'est le propre de la guerre civile à
laquelle se livreront des milliers d'Afghans dès le renversement du
gouvernement communiste en 1992, ainsi, chaque camp se réclamait le
droit de s'approprier du territoire et à faire son apanage les
ressources du pays95(*).
La femme raconte :
«Ton père (...) Il était fier de toi
quand tu te battais pour la liberté. Il m'en parlait. C'est après
la libération qu'il a commencé à te haïr, toi, mais
aussi tes frères, lorsque vous ne vous battiez que pour le
pouvoir. »(70).
À cause de la guerre, cet homme se verra privé
de faire part à sa vie. Il sera marié à son insu à
une femme qu'il n'a jamais vue et qu'il ne verra que trois ans après.
C'est une balle encore qui le laissera semi-mort, inerte,
apathique, sourd, muet, sale, humilié, « l'homme »
est un martyr de la guerre, dans la mesure où, c'est à
l'impuissance qu'elle le condamne. Cette balle, l'obligera à assister au
viol de sa femme, ensuite, à la débauche de celle-ci, sans
même pouvoir dire un mot.
Si ce ne sont les symboles qui racontent la guerre dans le
roman, ce sont, les non-dits qui en prennent le relai, adoptant le même
stratagème d'implicite, Rahimi marient symboles et non-dits pour
révéler la condition féminine, la domination masculine, la
charge de la religion et l'atrocité de la guerre.
2-2-3- MÉDIATIONS ENTRE RÉALITÉ ET
FICTION
La socialité du le roman, ainsi
déterminée, prouve l'ambition de l'auteur de tout mettre en
oeuvre afin de retranscrire véridiquement la société dans
l'oeuvre littéraire en présence.
Syngué sabour Pierre de patience, ainsi
truffé de symboles aura été un roman où le discours
social est authentiquement passé de son état réel
(société) à son état fictif (roman) : si
l'auteur a mis en action des symboles pour parler de la société
afghane, c'est justement dans le but de respecter les lois du discours social
afghan, un discours caractérisé lui-même par le silence et
le non-dit. Les symboles semblent épouser à la perfection ce
discours, dans la mesure où ces deux pôles (le discours afghan et
le texte) partagent communément un fond caché, muet et opaque.
La socialité du roman aura été jusque
dans ses infimes détails, une représentation authentique de la
société puisqu'elle se lit dans le roman à la
manière implicite des symboles. Les sociogrammes que nous avons
retracés à partir du roman montrent combien est grande la
symbiose qui s'opère entre l'expression symbolique (celle du texte) et
l'expression du silence ou du non-dit (celle de la société
afghane).
Ces différentes observations nous ramènent droit
vers la définition que Duchet attribue au sociogramme96(*). D'abord, Duchet décrit
le sociogramme comme étant « conflictuel », le
conflit se traduit dans la manière par laquelle la textualisation du
social a été élaborée. Il peut arriver que le
sociogramme soit une reconfiguration de la société qui va
à contre sens du discours social original, c'est-à-dire qu'il va
être une variante modifiée ou même opposée à
l'originale. Il peut, au contraire, reconfigurer la société de
façon exacte et précise, dans ce cas, c'est l'absence de conflit
qui représente le pan conflictuel du sociogramme, cette absence ne peut
que sous-entendre une censure tant au niveau discursif social qu'au niveau
textuel, cette idée se voit clairement expliquée dans ce que
Régine Robin dira : « Pas d'activité
sociogrammatique sans enjeu polémique. L'absence de conflit étant
l'indice d'une fossilisation consensuelle et censurante.»97(*)En d'autres termes, nous dirons
qu'il est de la nature-même du discours social d'être l'objet de
différends et de litiges, il ne peut en être dépourvu que
s'il obéisse aux lois du refoulement et du non-dit. De la même
façon, lors de son passage à la textualisation, le discours
subira les mêmes conséquences de censure, de telle manière
que les sociogrammes qui le formeront, de par leur aspect harmonieux et
non-conflictuel, ne peuvent que traduire du mutisme qui aura été
là, à l'aube de leur configuration.
La censure de laquelle il est question dans notre cas est
double : Premièrement, c'est celle à laquelle est contrainte
la société afghane, une censure générée par
la peur, la terreur de la guerre, de la mort, du taliban, d'un système
religieux étouffant... etc. Deuxièmement, c'est celle que Rahimi
exerce par l'emploi des symboles, c'est cette pratique du non-dit qui leur est
relative qui témoigne d'une sorte de censure du langage, elle-même
obéissant aux règles de la société. C'est ce que
Duchet décrit quand il explique que la création artistique est
préalablement dépendante d'un ordre établi social, il note
que la lecture sociocritique revient
à « Reconnaitre ou à produire un espace
conflictuel où le projet créateur se heurte à des
résistances, à l'épaisseur d'un déjà
là, aux contraintes d'un déjà fait, aux codes et aux
modèles socioculturels, aux exigences de la demande social98(*) ». Dans le cas
échéant, l'épaisseur du déjà là et du
déjà fait est cette résignation à adopter la loi du
mutisme qu'a prise la société afghane et à laquelle est
confronté Rahimi en voulant formuler un faire- part de cette
société. La textualisation du social aura pleinement servi la
doxa, tous les présupposés, croyances et toutes les
résignations négatives construites autour d'un consentement
à ne pas dire, se seraient manifestés dans le texte.
La reconversion du social de sa forme discursive à sa
forme textuelle dans Syngué sabour, peut être
considérée comme un processus de transmutation du silence social
réel au silence fictif romanesque. Tel qu'il est vécu par les
individus de la société, le silence, se retrouve transposé
dans le texte, et c'est autour des mots de se soumettre à ses
obligations, c'est justement là, qu'interviennent les symboles pour se
substituer à toutes ces zones silencieuses du discours.
Nous conceptualisons dans le schéma ci-dessous, le
processus de transformation du discours social afghan :
Processus de textualisation du discours social
Ensuite, dans sa même définition du sociogramme,
le sociocritique affirme que les sociogrammes gravitent autour d'un noyau
lui-même conflictuel, ce qui signifie que ces représentations du
discours social se rapportent toutes au même sociogramme qui constitue le
thème litigieux premier du discours social dans un premier temps, et
celui du texte dans un temps second.
À notre corpus, correspond le sociogramme du silence
comme sociogramme du conflit, car, il apparait clairement que tous les
sociogrammes que nous avons étudiés plus haut, convergent tous
vers ce thème, la peur des sanctions relatives à loi islamique
radicale et la peur de la guerre engendrent une atmosphère du non-dit
où le mutisme est maitre. Ce thème demeure très
répandu dans le discours social puisque, en Afghanistan (notamment
durant les années 80-90), le mutisme est de vigueur. Nul n'a le droit
de protester ou même de critiquer, tous doivent se plier aux exigences du
silence imposé par les islamistes ; les médias censés
communiquer l'information et témoigner de la réalité, se
verront considérablement sanctionnés à cause de leur
audace de dire, tel est l'exemple du journal Kabul Weekly qui, fut
interdit à la publication par le gouvernement car, il a daigné
porter des critiques à l'égard de l'ambassade d'Afghanistan en
Inde99(*). Ou encore,
à l'exemple de ce journaliste condamné à l'emprisonnement
pour avoir publié un article où, il a osé parler
d'apostasie en Afghanistan100(*).
À côté de la presse et des médias
en général, c'est toute la population qui est concernée
par le mutisme, les femmes en particulier ne peuvent en aucun cas, faire
l'expression de leur mécontentement ou de se plaindre d'un quelconque
comportement violent à leur encontre, bien que victimes, les femmes sont
rendues coupables de toutes façons.
Archambeaud explique que : « Les violences
à l'égard des femmes ne sont tout simplement pas
considérées par les personnels judiciaires parce qu'elles
seraient de l'ordre de la sphère privée. Une femme battue serait
une femme qui désobéit à son mari. Une jeune fille qui
s'enfuit pour éviter un mariage imposé serait une jeune fille qui
désobéit à son père et commet un crime de zina. Une
femme violée serait une provocatrice. Dans tous ces cas, le simple fait
pour la femme de manifester publiquement son désaccord serait un crime
envers l'honneur de sa famille. » 101(*)
2-2-4- LE SOCIOGRAMME DU CONFLIT : LE SILENCE
De la même manière, le silence confirme
pleinement sa présence dans le roman, et s'étend à travers
toutes les composantes de celui-ci.
Les personnages s'attachent au silence par leurs
identités perdues, par l'impuissance qu'ils éprouvent face
à la guerre, à l'ordre établi de la société
et à la religion, ils s'y attachent aussi par le désir qu'ils ont
de se libérer d'un trop de non-dits, l'héroïne subit les
conséquences d'avoir transgresser les limites du silence. Son mari la
tuera parce qu'elle a osé faire fi au silence, parce que dans un pays
comme le sien, les mots demeurent condamnés au silence et à la
censure.
Encore une fois, c'est un symbole qui va exprimer ce
thème ou de façon plus exacte, ce symbole va marquer l'attente du
personnage principal « la femme » d'un affranchissement du
silence, c'est ce que tentera désespérément
l'héroïne de faire.
Dans, cette chambre étroite où est logée
la femme, est suspendu un rideau présentant des motifs d'oiseaux
migrateurs qui, durant une grande partie du récit vont rester
figés sans mouvement. Ces oiseaux condamnés à l'inertie de
la chambre sont le symbole d'une liberté ôtée, une
liberté que « la femme » s'obstinera à
acquérir, quitte à en payer de sa vie, à la
première page du roman, l'auteur présente la chambre et
décrit le rideau aux oiseaux migrateurs : « La
chambre est petite, Rectangulaire. Elle est étouffante malgré ses
murs clairs, couleur cyan, et ses deux rideaux aux motifs d'oiseaux migrateurs
figés dans leur élan sur un ciel jaune et bleu »
(13).
Les oiseaux migrateurs, très souvent
considérés comme symbole d'errance, de voyage et de
liberté102(*) ne
ressembleront aux oiseaux de l'histoire que par le nom, puisque ces derniers
sont figés. Au caractère de liberté et d'évasion
des oiseaux migrateurs va venir se heurter le figement et l'immobilisation
engendrés par l'enfermement de la chambre, cette opposition donne
l'impression d'un pouvoir exercé en vue de maintenir cloitrés,
emprisonnés, non seulement les oiseaux mais aussi « la
femme ». La force de cette image apparait dans le heurt des
contraires, l'oiseau migrateur connu pour son inconstance et pour son
éternelle fugacité, va être attaché, muré sur
un rideau. Si c'est l'absence d'air qui condamne les oiseaux à rester
cloués sur leur rideau, c'est le silence qui condamne
l'héroïne à demeurer prisonnière de ses craintes.
Prise dans un étau entre l'homme et la religion, « la
femme » ne fait que subir dans un mutisme total toutes sortes de
pression, sous l'emprise de la peur de se retrouver sans mari ou d'être
châtiée pour négligence de la pratique de la religion (non-
application des instructions du mollah), elle se fige également, comme
ces oiseaux, dans une omerta où toute parole serait sanctionnable.
Leur figement lui rappelle son figement à elle,
ça lui rappelle une enfance malheureuse où c'est un père
violent et égoïste qui la malmène, un père qui
préfère ses cailles à ses filles, en mettant les yeux sur
le rideau, elle remonte loin dans ses souvenirs :
« (...) Mon père ce qui
l'intéressait, c'était ses cailles de combat ! Je le voyais
souvent embrasser ses cailles, mais jamais ma mère ni nous, ses enfants.
Nous étions sept. Sept filles sans affection. » Ses yeux se
perdent dans le vol figé des oiseaux migrateurs du rideau. Elle y voit
son père (72).
Ces oiseaux viendront accompagner l'héroïne tout
au long de son récit, dans leur élan figés, en passant par
leurs légers soulèvements, à leur envol définitif,
ils vont suivre les différents états d'âme de
« la femme », étape par étape, ils
symbolisent la quête de liberté à laquelle
l'héroïne oeuvre à y parvenir.
C'est à une femme qui n'ose pas dire, que nous aurons
affaire dans un premier temps, elle est consentante à se taire, elle
cache sa pensée et n'arrive à l'articuler en mots, c'est sans
doute la peur d'être réprimandée qui l'en empêche.
Quand bien même seule devant le corps d'un mari inconscient, invalide,
elle est incapable de décrire l'impuissance dans laquelle se
trouve « l'homme », incapable de prononcer une
réalité qui pourrait lui être blessante ou
péjoratif, elle s'abstient de dire ,et retient ses propos ou à
les modifier, ce sont des points de suspension qui remplaceront ses mots, elle
crie tout bas son malheur :
« Mais ce crétin de mollah ne sait pas ce
que c'est d'être seule avec un homme qui ... » elle ne trouve
pas le mot, ou n'ose pas le dire, « ...d'être toute seule avec
deux petites filles ! » maugrée-elle en sourdine
(22).
À cet « homme » demi-mort, elle
s'obstinera à parler, comme de son état normal, elle lui
demandera l'autorisation de sortir, attendra de lui des consignes ; ne
pouvant agir de son propre gré, elle se doit d'avoir le consentement du
mari bien qu'il soit incapable de lui répondre et même de
l'entendre : « Je vais à la pharmacie chercher du
sérum. », s'excuse-t-elle auprès de
« l'homme » inconscient (24).
Revenue de la pharmacie, elle lui explique :
« La pharmacie était fermée », dit-elle, et,
d'un air résigné, elle attend comme si allaient venir d'autres
instructions. Rien. Rien que des respirations (24).
Et encore pour aller voir sa tante, elle demande la
permission : « Il faut que j'aille voir ma
tante. » Elle attend encore...la permission peut-être
(25).
Néanmoins, une fois, de ses peurs
dégagée, « la femme » rompt la loi du silence
à laquelle, elle avait tout au long de sa vie obéit :
s'accoutumant peu à peu à l'état de son mari,
l'héroïne s'est quelque peu libérée, à la
faveur de l'impossibilité de l'homme de réagir, elle sera
emmenée à s'émanciper, par bribes, elle se permet de
parler et de dire son mal.
Accablée par le départ de sa tante, elle s'ose
tant bien que mal de crier son malheur, elle s'enhardit à reprocher
à « son homme » son indifférence envers elle
et envers ses filles lorsqu'il partait à la guerre, la difficulté
qu'éprouvera l'héroïne en disant ces quelques mots
témoigne du poids du mutisme dans lequel, elle s'était
terrée toute sa vie :
« Ma tante...elle a quitté la maison
(...) Le sanglot lui vole la voix. Elle s'écarte du mur, ferme les yeux,
respire profondément pour dire un mot. Elle n'y arrive pas. L e mot doit
être lourd, lourd de sens. Elle regarde alors au fond d'elle, elle
cherche autre chose de léger, doux et facile à
énoncer : « Et toi, tu savais que tu avais une femme et
deux filles ! » Elle se frappe le ventre. Une fois. Deux fois.
Comme pour expulser ce mot lourd qui s'est enfoui dans ses tripes. Elle
s'accroupit et crie : « Est-ce que tu pensais un moment à
nous lorsque tu épaulais ta putain de Kalachnikov ? Fils
de... », réprimant encore le mot (26-27).
Comme prise de panique par ce qu'elle pouvait dire,
« la femme » ne peut s'empêcher de se sentir coupable
de chaque mot prononcé, elle se morfondra dans le regret et le remord,
à chaque fois qu'elle daignera parler des interdits à son
mari.
Regrettant d'avoir parler de la sorte à
« l'homme », elle implore le pardon :
(...) elle s'approche de l'homme, se penche vers son
visage et demande « pardon », lui caressant le bras.
« Je suis fatiguée. Je suis à bout de
souffles », chuchote-t-elle. « Ne me laisse pas toute
seule, je n'ai que toi. » élève la voix :
« Sans toi, je ne suis plus rien. Pense à tes filles !
Qu'est-ce que je vais faire avec elle ? Elles sont si
petites... » (27).
Ainsi, nous la retrouverons coincée entre le
désir de se libérer de son mutisme en parlant et, entre la peur
d'une éventuelle sanction due au fait d'avoir transgresser les murs du
silence.
Gagnée par la haine envers sa belle-famille qui l'avait
abandonnée à son sort, indignée par la
lâcheté de tous les hommes et notamment celle de ses
beaux-frères qui avaient fui pour se dérober de la
responsabilité de prendre en charge « la femme » et
les deux filles, elle s'enrage de dire :
« Vous, les hommes, vous êtes tous
des lâches ! » Elle revient. Sombre, son regard fixe
l'homme. « Où sont tes frères qui étaient si
fiers de te voir te battre contre leurs ennemis ? » Deux
souffles et son silence empli de rage. « Les
lâches ! » expire-t-elle. « Ils devraient
s'occuper de tes enfants, de moi, de ton honneur, de leur honneur, non ?
Où est ta mère qui répétait sans cesse qu'elle se
sacrifierait pour une mèche de tes cheveux !? Elle n'a jamais voulu
admettre que son fils, ce héros qui s'était battu sur tous les
fronts, contre tous les ennemis, ait pu recevoir une balle juste dans une
bagarre minable avec un type (...) ils t'ont abandonné. Ils n'en ont
rien à foutre de ton état, de ton malheur, de ton honneur !
...ils nous ont délaissés » (28-29).
Rappelée à l'ordre par ses attaches à la
religion, après un tour de chapelet en implorant
Al-Qahhâr, elle se reprend, accablée par ses propres
propos, elle se lamente dans un long repentir :
« Allah, aide-moi !... Al-Qahhâr,
Al-Qahhâr... » Et pleure.
Un tour de chapelet.
Abattue, elle balbutie : « Je...
je deviens... je suis folle », renverse la tête en
arrière, « pourquoi lui dire tout cela ? Je deviens
folle. Coupe ma langue, Allah ! Que la terre engorge ma
bouche ! », couvre son visage, « Allah,
protège-moi, je m'égare, montre-moi le chemin ! »
(29).
Et c'est toujours la religion qui la cloue dans le
mutisme : « Mais le cri du mollah convoquant les
fidèles à se prosterner devant leur Dieu à l'heure du
crépuscule l'affole, et repousse ses secrets en
elle » (100).
Cependant, de jour en jour, grandira en elle l'envie de casser
le silence, graduellement, elle va se détacher de ce à quoi, elle
était si dépendante ; de la religion, elle affranchira ses
agissements en cessant de réciter les noms de dieu à longueur de
journée et en arrêtant d'égrener le chapelet ; de
« l'homme », elle éprouvera de moins en moins le
sentiment de vouloir le voir revenir à la vie, elle décidera de
l'abandonner à son sort, entre les mains de dieu.
Agacée de le voir réduit à un état
végétatif, c'est la lassitude qui la gagne :
Une profonde lassitude s'empare d'elle - de son
être, de son corps. Après quelques pas languissants vers son
homme, elle s'arrête. Plus irrésolue que la veille. Son regard
s'attarde désespérément sur le corps inerte. Elle s'assied
entre l'homme et le Coran qu'elle ouvre à la page de garde. Son doigt
touche un par un les noms de Dieu. Les compte. S'arrête sur le
dix-septième nom. « Al-Wahhâb, le
Donateur », murmure-t-elle. Un sourire d'amertume plisse le coin de
ses lèvres. « Je n'ai pas besoin d'un don », et elle
attrape le bout de plume de paon qui dépasse du Coran. « Je
n'ai plus le courage de réciter les noms de Dieu. » Elle se
caresse les lèvres avec la plume. « Dieu soit loué...il
te sauvera. Sans moi. Sans mes prières...il le doit. »
(36).
C'est à partir de ce moment, que sa vie va changer
puisqu'elle semble ne plus avoir besoin d'utiliser le chapelet ni de
répéter un nom de dieu, elle ne reste plus auprès de
« l'homme », convaincue de plus en plus de l'impuissance de
son mari à la punir, elle s'engage dans une longue séance de
confessions qui s'étaient jusque là noyées dans le
silence. « La femme » commence à
révéler tout ce qu'elle avait, par crainte, caché à
« l'homme », ainsi, elle lui révèlera qu'elle
l'avait trompée lors de leur nuit de noce par du sang impur :
« Lorsque nous nous sommes trouvés la première fois
au lit...après trois ans de mariage, je te rappelle ! cette
nuit-là, j'avais mes règles (...) Je ne t'ai rien dit. Et toi, tu
croyais que...le sang était signe de
virginité ! », Avoue-t-elle (42).
Au fur et à mesure que « la femme »
s'éloigne de ses repères religieux et que son attachement
à la religion diminue de moins en moins, qu'elle parvient à
dégager ce qu'elle avait le plus peur de dévoiler, ses
révélations deviendront de plus en plus nombreuses et de plus en
plus graves, enfin, elle consent à quitter son éternelle
soumission.
D'abord, c'est en perdant le Coran qu'elle commencera à
ressentir l'envie de passer outre sa vassalité, n'ayant plus devant les
yeux la parole de dieu, elle n'éprouve plus aucune crainte ni de
l'humain ni même du divin, plus que jamais, elle ne se sent plus tenue
à faire quoi que ce soit, dans un gigantesque tournant d'une position
d'avilissement à une transgression vers le soulèvement et
l'insoumission, l'épouse rompt le silence et découvre toute
l'audace de dire le fond de sa pensée.
Encore, la perte de la plume de paon, un marque-page que
l'héroïne utilisait en lisant le Coran et en citant les noms de
dieu constitue un point culminant, le paroxysme de sa révolte. C'est le
moment où la femme perd tout repère et orientation dans le temps
puisque le livre sacré était lui-même sa seule
référence, elle se retrouve déconcertée,
démunie de tout indice pouvant l'aiguiller, « la
femme » se laisse aller dans un aller sans retour vers le chemin de
l'insurrection, elle se fourvoie alors dans une impasse de rébellion par
laquelle, elle visera la délivrance et de laquelle, elle n'en sortira
qu'affranchie.
Ne trouvant plus le Coran et la plume, elle hurle :
« Le Coran ?! » L'angoisse
envahit à nouveau son regard. Elle scrute tous les coins de la chambre.
Aucune trace de la parole de Dieu. « Le chapelet ? »
Elle le découvre sous l'oreiller. « Quelqu'un est encore
passé ?! » Encore le doute. Encore l'inquiétude.
« Hier le Coran était là, non ? »
Incertaine, elle se laisse tomber à terre. Et soudain :
« La plume ! » s'écrie-t-elle, et elle se met
à fouiller partout avec furie. « Mon Dieu ! La
plume ! » (63-64).
Séparée de ses accointances, elle prend la
décision définitive d'abandonner l'homme :
« J'ai peur ici », comme pour
justifier sa décision. Ne recevant aucun signe, aucune parole pour lui
donner raison, elle baisse la tête en même temps que sa
voix : « J'ai peur de toi ! » Son regard
cherche quelque chose par terre. Les mots. Mais plus encore, l'audace. Elle les
trouve, les saisit, les jette : « Je ne peux rien faire pour
toi. Je crois que tout est fini ! » (65).
En perdant un par un les attaches qui la maintenaient soumise
à l'homme et à la religion, c'est la foi qui s'évanouit en
elle, consciente du changement qui s'opère en son fort intérieur,
« la femme » déclare : « Je ne
sais pas ce qui m'arrive. Mes forces défaillent de jour en jour comme ma
foi » (67). Cet étonnement vis-à-vis de sa
métamorphose résulte de sa vie-même, en effet, depuis
toujours, « la femme » s'était
résignée à ne guère parler et à refouler sa
pensée, comment pouvait-elle dire autant de choses sans en être
sanctionnée ? C'est cet état de chose qui, par moment, la
renouait avec la peur et le silence, ne pouvant bannir le refoulement et le
mutisme dans lesquels, elle s'était enterrée pendant toute son
existence, elle s'interdit encore d'exprimer ses réels sentiments.
Incapable de poursuivre le récit de ses souvenirs, elle
tente, une fois de plus, d'effacer ses propos intérieurs avec un geste
de la main : « Sa main se lève avec un mouvement
au-dessus de la tête comme pour chasser la suite des paroles qui viennent
l'assaillir » (81). Dans un perpétuel combat entre dire
et se taire, la parole de l'héroïne oscille entre
l'étouffement de la pensée ou sa modification avec des mots qui
la rendraient plus acceptable ; troublée en décrivant
l'étrange sentiment d'apaisement qui l'avait envahie quand elle avait
enlevé le tuyau de sérum à son mari pour qu'il meure, elle
marque un temps d'arrêt qui interrompt son récit :
« Elle s'arrête. Comme toujours, on ne sait pas si elle
suspend sa pensée, ou bien si elle cherche ses mots »
(83).
Sa vie mutique rend tout essai du mot, intensément
pénible et recoure à un grand effort. Son accoutumance au silence
est telle qu'elle ne parvient à exprimer sa pensée dans sa
plénitude.
S'enrageant contre ses beaux-frères, elle
réfrène sa haine et tente de la refouler :
Elle avale sa salive, et sa rage aussi. Elle reprend,
moins véhémente : « Si... tu avais
été mort, les choses auraient été
différentes... » Elle suspend sa pensée. Elle
hésite. Après un long souffle, elle se décide :
« L'un d'eux aurait dû m'épouser ! »
(66).
De telles réactions face à l'audace de parler
découlent du long parcours muet et silencieux auquel s'était
livrée «la femme », en effet, elle n'aura connu
jusque-là que l'indifférence et la sourde oreille, toujours
recalée au second plan, sa parole ne comptait pas et était sans
nulle importance, cherchant dans les recoins de ses souvenirs, elle
raconte : « Tu ne m'as jamais écoutée,
tu ne m'as jamais entendue » (67-68). Son univers se devait
d'être celui du mutisme, n'ayant jamais bénéficié du
droit à la parole, elle
déclare : « (...) soyons
sincères, tu ne m'as jamais donné l'occasion d'en
parler » (100).
Ce n'est qu'une fois « l'homme »
inconscient et impuissant qu'elle a la possibilité de lui adresser
parole, de se fier à lui, de partager avec lui sa vie, ses secrets, elle
se sent pour une première de complicité avec l'homme :
« Ça fait dix ans que nous nous sommes mariés. Dix
ans ! et c'est seulement depuis trois semaines qu'enfin je partage quelque
chose avec toi » (82).
C'est l'unique fois où, elle donne libre cours à
sa parole, sans craindre la punition et le châtiment, devant le silence
de son mari, elle se dégage de la peur : « Je Ce
n'est qu'une fois, « l'homme » inconscient et impuissant
qu'elle a la peux te parler de tout, sans être interrompue, sans
être blâmée ! » (83). C'est ce
renversement de rôle qui la rend apte à évoquer ses
années de malheurs desquels, elle n'eut jamais l'occasion de parler,
furieuse, elle s'écrie : « Nous ne nous sommes jamais
parlé de tout cela ! (...) Oui, dix ans de mariage, trois ans de
vie commune ! C'est maintenant que je compte. C'est aujourd'hui que je me
rends compte de tout ! » (68).
C'est enfin l'état amorphe de
« l'homme » qui lui procure tout le courage de dire et de
prendre revanche de ses dix ans de mariage durant lesquels, il lui était
défendu de s'exprimer. Il lui est enfin possible de se confesser, de
confier ses secrets sans peur à « l'homme »,
à Syngué sabour, la pierre de patience de laquelle son
beau-père avait tant vanté les mérites puisque cette
pierre a le pouvoir de guérir les gens en contenant en elle la charge de
leurs secrets :
« Tu sais, cette pierre que tu poses devant
toi... devant laquelle tu te lamentes sur tes malheurs, toutes tes souffrances,
toutes tes douleurs, toutes tes misères...à qui tu confies tout
ce que tu as sur le coeur et que tu n'oses pas révéler aux
autres(...) Tu lui parles, tu lui parles. Et la pierre t'écoute,
éponge tes mots, tes secrets, jusqu'à ce qu'un beau jour elle
éclate. Elle tombe en miettes(...) Et ce jour-là, tu es
délivré de toutes tes souffrances, de tes peines... »
(87).
C'est exactement, le même sentiment de soulagement que
ressentira « la femme » en parlant au corps inerte de son
mari, en lui faisant aveu de tout ce qu'elle repousser au fond d'elle,
l'héroïne se libère du lourd fardeau de ses
secrets :
« Tu me comprends ? ...en fait, ce qui me
libérait, c'était d'avoir parlé de cette histoire,
l'histoire de la caille. Le fait de tout te dire. Tout te dire, à toi.
Là, je me suis aperçue qu'en effet depuis que tu étais
malade, depuis que je te parlais, que je m'énervais contre toi, que je
t'insultais, que je te disais tout ce que j'avais gardé sur le coeur, et
que toi tu ne pouvais rien faire contre moi...tout ça me
réconfortait, m'apaisait (...) Donc, si je me sens soulagée,
délivrée...et ça malgré le malheur qui nous gifle
à chaque instant, c'est grâce à mes secrets, grâce
à toi » (85-86).
À Syngué sabour, elle se videra le
coeur de toutes réalités qu'elle n'osait avouées, elle
s'en servira tel un défouloir à s'alléger de tout le joug
qui l'étouffait : « Oh ma Syngué sabour, j'ai
tant de choses à te dire encore (...) Des choses qui se sont
entassées depuis un certain temps en moi. Nous n'avons jamais eu
l'occasion d'en parler » (100).
Dans un destin identique à celui de « la
femme », les oiseaux sont démunis de liberté, rien ne
perturbe leur inertie que le vacarme de la guerre, suite à une nuit
agitée par les explosions de bombes et les tirs de Kalachnikov, c'est la
suie qui alourdit davantage leur figement :
Soudain, l'éclair aveuglant d'une explosion. Une
déflagration assourdissante fait trembler la terre. Son souffle brise
les vitres (...) C'est la femme. Elle entre. Son regard ne se pose pas
immédiatement sur lui, il explore d'abord l'état de la
pièce : les débris de vitres, la suie qui s'est
déposée sur les oiseaux migrateurs, sur les rayures
éteintes du Kilim (46-47).
Ou encore : « Par les carreaux
cassés, le canon d'un fusil écarte le rideau aux motifs d'oiseaux
migrateurs. Avec la crosse, on fracture la fenêtre »,
raconte le narrateur (53).
Comme « la femme », les oiseaux migrateurs
se séparent de la contrainte du figement et se lancent dans le ciel,
similairement à elle, ils se libèrent. Ce n'est qu'une fois,
l'héroïne ayant pris la décision de quitter la maison,
fuyant les atrocités de la guerre, que les oiseaux se tentent dans un
premier envol ; en se détachant, ainsi, du mari, « la
femme » s'affranchit de l'emprise de la peur qui la terrorisait et
affranchit également les oiseaux :
Elles abandonnent la maison sans passer voir l'homme. On
les entend s'éloigner, suivies par les quintes et les psalmodies de
vieille femme qui font rire les enfants (...) Par instants, un petit vent se
lève et soulève les rideaux. Il joue avec les oiseaux migrateurs
figés sur le ciel jaune et bleu, troué ça et là
(61-62).
Ce soulèvement dans l'air symbolise l'état
d'émancipation par lequel passe « la femme » en
faisant du corps de son « homme » une Syngué
sabour, c'est le même sentiment de légèreté qui
permet aux oiseaux de naviguer dans le ciel qu'éprouve
l'héroïne en se débarrassant de tant de zones obscures
enfermées longtemps en son coeur. Bien que furtifs, ces petits envols
marquent bien une étape déterminante dans sa recherche de
liberté.
Mais cette libération des tourments du secret ne
saurait se faire sans incidence, « la femme » devait payer
le prix de la parole, elle le fit de sa vie, il ne lui était
guère possible de révéler tant d'interdits sans en
encaisser les conséquences. En brisant les murs de son omerta,
l'héroïne transgressa ce qui constitue le fondement-même de
la société dans laquelle évoluent les personnages, mais
aussi celle dans laquelle baigne la société afghane. S'hasarder
à faire tant de révélations, parler de ses souffrances, du
désir du corps, de l'imperfection masculine, reprocher à la
religion son étouffement ne pourrait certainement pas être
gratuit.
Seul mourir était apte à effacer tant
d'effractions de la part de « la femme », la mort
constituait la seule issue à laquelle l'héroïne pouvait
prétendre, il lui fallait quitter ce milieu où le mot
était synonyme de péché. La pierre de patience devait
éclater comme prédit dans la mythologie perse,
prédestinée à absorber les malheurs des plaignants
jusqu'à s'en briser elle-même en miettes, Syngué sabour
se prête à l'éclat et soulage. C'est
« l'homme » qui, ayant entendu ce qu'il ne pouvait
imaginer, se réveille, se livrant à une extrême
colère, il tue froidement l'héroïne :
« Lui, toujours raide et froid, agrippe la femme par les cheveux,
la traîne à terre jusqu'au milieu de la pièce. Il frappe
encore sa tête contre le sol puis, d'un mouvement sec, il lui tord le
cou » (154).
Cette mort aussi violente soit-elle, n'est nullement
considérée comme un châtiment, c'est la délivrance
d'une souffrance tant ressentie de laquelle, « la femme »
est enfin soulagée, c'est l'unique échappatoire de sa malheureuse
vie.
Sentant la fin approcher, elle déclare :
« Je suis enfin délivrée de mes
souffrances » (153-154). Le dernier sentiment de « la
femme » tend beaucoup plus vers le soulagement et la quiétude
que vers l'apitoiement. Désencombrée du pesant fardeau de ses
secrets, elle s'en va tranquille et sereine.
Conformes à leur parcours d'accompagnateurs, les
oiseaux migrateurs vont fidèlement la suivre, épousant la
même destinée, ils se libèrent simultanément
à elle, et survolent son corps. En mourant, c'est tout le figement
qu'elle écrase derrière elle, ainsi, baignant dans son sang,
« la femme » emporte avec elle comme dernière image,
l'élan des oiseaux enfin libérés, leur image pris en plein
essor sera sa dernière vision :
La femme est écarlate de sang.
Écarlate de son propre sang.
Quelqu'un entre dans la maison.
La femme rouvre doucement les yeux.
Le vent se lève et fait voler les oiseaux
migrateurs au-dessus de son corps (155).
Cet ultime envol ponctue l'aboutissement du périple
effectué par l'héroïne, en vue de se libérer d'une
oppression conjugale, religieuse et sociale.
Les sociogrammes que nous venons d'étudier raconte
toute la condition sociale, identitaire, politique et culturelle d'un pays. Les
thèmes qu'ils mettent en place sont introduits par le personnage de
« la femme », un personnage auquel, des symboles
ménagent bien la parole. C'est cette femme annihilée, abattue,
effacée par l'homme, cette femme qui cède à son souffle
pour suivre celui du mari, c'est cet état de cause qui raconte la
résignation féminine au profit d'une domination masculine. C'est
aussi, cette femme désorientée, désemparée, pour
laquelle, un chapelet et une liste des noms de dieu constituent des
repères suprêmes, qui fait montre de la contrainte religieuse.
Révoltée, insoumise, insolente,
débauchée en cours de route sera cette femme, c'est contre
la religion qu'elle se révolte en cessant d'égrener, de citer les
noms de dieu, et de faire la prière. Ça sera encore, contre le
silence qu'elle va se cabrer en se confiant à Syngué
sabour.
C'est à l'oppression et à la réclusion
imposées par une société patriarcale qu'elle tiendra
tête en guettant le moment où ses oiseaux migrateurs
déploient leurs ailes dans les airs et qu'ils ne soient plus
murés dans un eternel élan figé.
Et c'est enfin, cette femme tuée, châtiée,
sanctionnée par l'homme pour avoir outrepasser la loi du silence. Le
droit à la parole était son tort à elle, « la
femme » devait mourir car elle vivait dans le pays où les mots
étaient condamnés au silence. À l'image de milliers de
femmes afghanes assassinées ou condamnées à mort par un
système islamique radical ; des femmes dont souvent le seul tort
est d'être nées femmes. Tel est le statut donné
à l'héroïne « la femme ».
Notre interprétation ainsi établie, nous
ressentons le besoin de nous demander si elle n'a pas été
dictée par une force autre que notre propre intuition. Avons-nous
seulement suivi notre instinct littéraire ?ou, au contraire,
n'est-il pas possible que nous ayons suivi un itinéraire
d'interprétation conjecturé au préalable en dehors de
notre sphère subjective ? N'avions-nous pas été
simplement conduits à préconiser cette interprétation
plutôt qu'une autre en nous laissant naïvement guidée par
l'intention du texte ou encore celle de l'auteur ?
C'est ce à quoi, nous tenterons de répondre dans
le prochain chapitre.
CHAPITRE III : L'ACTE HERMÉNEUTIQUE ENTRE INTENTIO
OPERIS ET INTENTIO AUCTORIS
1- Un symbole, un message
1-1- L'intentio operis
1-1-1- L'INTRIGUE
1-1-2- THÈMES RÉCURRENTS
1-1-3- PERSONNAGES ET MODE NARRATIF
1-2- L'intentio auctoris
1- UN SYMBOLE, UN MESSAGE
Interpréter un texte dépend de façon sine
qua non de trois pôles : le texte, l'auteur et le lecteur. Chacun va
contribuer à confectionner une interprétation répondant
plus ou moins à une intention lui étant propre. Umberto Eco situe
l'interprétation d'un texte à la jonction des trois intentions
des protagonistes précités, il dit à ce propos :
« Entre l'intention inaccessible de l'auteur et l'intention
discutable du lecteur, il y a l'intention transparente du texte qui
réfute toute interprétation
insoutenable. »103(*) Ceci dit, le contenu textuel est en mesure
de réguler tout genre d'interprétation, à lui seul,
revient de limiter les contours de toute tentative herméneutique, il
constitue pour ainsi dire, le seul critère possible quant à la
validation d'une interprétation. En effet, ni de l'auteur ou du lecteur
ne peuvent prétendre une interprétation qui aille au-delà
de ce que le texte ne propose dans son contenu ; la lecture a pour objet
le texte, et par conséquent, l'interprétation qui s'en suit en
sera indéniablement dépendante.
Ces considérations étant prises en compte, nous
tenterons de montrer comment sont manifestées l'intention portée
par l'auteur et celle portée par l'oeuvre elle-même, en vue
d'éclairer la manière de laquelle, ces deux catégories
intentionnelles auraient agi sur notre opération interprétative
(intention du lecteur), nous proposons de nous pencher sur l'intentio
operis ainsi que l'intentio auctoris afin d'expliquer
leurs impacts sur notre interprétation.
1-1-L'INTENTIO OPERIS
Maingueneau voit en l'acte interprétatif un acte
répondant aux consignes imposées par le texte,
l'interprétation devient l'aboutissement direct de ce à quoi le
texte avait au préalable prévu dans son contenu, c'est ce qu'il
explique en disant qu'un texte est « [...] réticent,
c'est-à-dire criblé de lacunes ; de l'autre, il
prolifère, obligeant son lecteur à opérer un filtrage
drastique pour sélectionner l'interprétation
pertinente104(*)». Ceci rend compte du rôle du
texte relatif au choix opéré par le lecteur en ce qui concerne
l'acception de telle ou telle interprétation.
Umberto Eco, également, a bien l'air de circonscrire le
pouvoir interprétatif du lecteur, ce dernier n'est en fait pas tout
à fait libre dans son interprétation, le texte enjoint le lecteur
à établir un tri quant à l'interprétation la plus
pertinente, Eco stipule que : « Le texte
interprété impose des restrictions à ses
interprètes. »105(*) Bien qu'impliqué dans l'élaboration
d'une potentielle interprétation, le lecteur obéit pleinement
à l'autorité qu'exerce le texte, il suit les réponses que
lui propose ce dernier. Au cours de la lecture, le lecteur a tendance à
répondre aux questionnements qu'il se fait autour du texte en cherchant
au sein du texte lui-même. C'est en d'autres termes, fonder sa propre
interprétation en cherchant ce qu'est la véritable intention du
texte. Nommée intentio operis106(*) par Eco, elle
englobe tout ce que le texte aurait voulu dire, facteur qui, conditionne
conséquemment l'interprétation du lecteur.
L'intentio operis peut-être palpable à
travers le texte lui-même ; par son contenu, par les personnages
qu'il met en scène, par le lexique qui y est employé ou encore
par les thèmes qu'il propose.
Une analyse narrative nous permettra de clarifier comment le
texte expose son intention et quelles en sont les principales manifestations.
Nous visons par cette brève investigation l'étude de l'effet
qu'exécute le texte sur le lecteur qui, emporté par le cours des
évènements présentés ou par les changements que
subissent les personnages ou encore par l'atmosphère créée
par le vocabulaire utilisé en vue d'exprimer les thèmes
supposés, va être conduit à adopter une certaine vision de
lecture.
1-1-1- L'INTRIGUE
Dans le but de parvenir à montrer comment
s'opère l'intention du texte à travers son intrigue, nous
suggérons de prendre comme modèle de découpage de la
structure narrative, le schéma quinaire tel que proposé par Paul
Larivaille.107(*)
Nous proposons de schématiser l'intrigue du
récit comme présenté ci-dessous, nous y associons
également, des actes symboliques qui coïncident avec les moments
cruciaux du récit :
Oiseaux migrateurs figés Le vent
joue avec les oiseaux
Sit. Initiale (t1) Transformation
(t2) Sit. Finale (t5)
L'homme blessé a à son chevet En perdant sa foi,
la femme La femme est délivrée une femme obéissante.
se lasse peu à peu de son mari. du silence.
Sanction
Action (t3) Résolution
(t4)
La femme est tuée.
L'héroïne résiste à son désir
La femme abolit à jamais
de vouloir
quitter le silence. le silence de sa vie.
Le vent se lève et fait voler
les oiseaux migrateurs.
|
C'est une intrigue unique que propose le roman,
présentant l'histoire de l'héroïne qui elle-même
prendra la parole pour la raconter. Une femme est mise à
l'épreuve pour faire part de sa vie.
? La situation initiale
La situation initiale décrit la femme s'occupant du
mari, installés tous deux dans une étroite chambre, elle lui
apporte les soins nécessaires et implore dieu afin qu'il le
guérisse. Le narrateur y introduit le thème de la guerre en
décrivant une scène de bombardement. D'ores et
déjà, la religion est au centre du récit par l'invocation
continuelle de dieu au rythme des grains de chapelet et des souffles du mari.
Fatiguée de devoir réciter les noms de dieu et de rester en
continuité au près du corps brisé de son époux,
l'héroïne ressent le besoin de changer sa situation, le lancement
de l'intrigue est marqué quand la femme déclare :
« Je n'en peux plus » (19).
? La transformation
L'action transformatrice se situe au moment où la
femme perd le coran, la plume de paon (le marque-page), cesse de citer les noms
de dieu et arrête de prier, l'héroïne arrive graduellement
à surpasser son mutisme, progressivement elle s'abandonne à son
désir de s'affranchir du silence. C'est alors qu'elle se livre à
une première partie de confessions : « Mais il faut
que je t'avoue quand même une chose... » (42). C'est
à ce moment, qu'elle lui fait une première
révélation. Néanmoins, à côté de ces
révélations nait une grande résistance, la femme est
assujettie aux remords à chaque fois qu'elle s'essaye dans la libre
expression, regrettant d'avoir entravé le silence, elle
s'écrie : « Qu'est-ce que je dis ?!
Pourquoi je dis tout cela ?! Mon Dieu, aide-moi ! Je n'arrive plus
à me contrôler. Je dis n'importe quoi... »
(67), voilà toute la tension provoquée par l'avènement du
changement dû à la perte des repères religieux et qui
aboutira au fait que la femme s'engage dans une action où elle oscillera
entre le désir de liberté et le consentement à la
soumission.
? L'action
La femme se livre à toute une série d'actions
qui aille chacune dans les deux sens opposés qu'aura provoqués la
pression exercée par l'élément modificateur. Deux
réactions opposées se développeront chez elle comme
découlant d'une modification qui semble être décisive.
Ainsi, nous retrouverons l'héroïne tentée
par une volonté de se débarrasser de son époux, ce
même époux duquel, elle était si dépendante, et
envers qui, elle éprouvait un énorme dévouement et
obligeance.
Écoutons le narrateur raconter une scène
où l'héroïne décide de donner la mort à son
mari :
Plus tard, elle revient. Le regard sombre. Les mains
tremblantes. Elle s'approche de l'homme. S'arrête. Respire
profondément. D'un geste sec, elle saisit le tuyau. Ferme les yeux et le
retire de sa bouche. Elle se tourne, les yeux fermés. S'avance d'un pas
incertain. Sanglote : « Dieu, pardonne-moi ! »,
ramasse son voile et disparait (77).
Encore, la voilà qui se désole de ne pas voir
son mari mourir : « Il vaudrait mieux qu'une balle perdue
t'achève une fois pour toutes ! » (51),
ou : « Pourquoi Dieu n'envoie-t-il pas Izra'el
pour en finir une fois pour toutes avec toi ?! » (79).
Mais parallèlement à ce retournement de
sentiment, c'est par le remord que l'héroïne se livre à un
combat intérieur, elle ira même jusqu'à se convaincre
qu'elle agit inconsciemment en se disant qu'elle doit-être
possédée : « Ce n'est pas moi. Non, ce n'est
pas moi qui parle...C'est quelqu'un d'autre qui parle à ma place...avec
ma langue. Il est entré dans mon corps...Je suis possédée.
J'ai vraiment une démone en moi. C'est elle qui parle »,
raconte-t-elle (130).
? La résolution
Puis, l'héroïne parvient à se
dégager du tourbillon dans lequel, elle s'était confondue. Elle
trouve le moyen de se purifier de ses tourments, de ne plus se soumettre
à aucune autorité : « Une pierre de
patience », Syngué sabour.
En fait, la femme se résout à consacrer le corps
achevé de son homme « pierre de patience », cette
pierre qui offre aux personnes qui souffrent de la pression de leurs secrets de
s'en dégager, et, c'est ce qu'elle consentira à faire en se
mettant à lui raconter tout un pan de sa vie secrète :
« Je vais tout te dire, ma syngué sabour, tout.
Jusqu'à ce je me délivre de mes souffrances, des malheurs,
jusqu'à ce que ce que toi, tu ... » (91). Cette
étrange consécration fera en sorte que la femme confesse ce
qu'elle a le plus craint d'être divulgué, c'est le summum de son
affranchissement, elle avoue : « Oui, ma syngué
sabour, ces deux filles ne sont pas les tiennes » (150).
? La situation finale
Enfin, c'est une intrigue de résolution et de
révélation en même temps, à laquelle, nous aurons
affaire dans Syngué sabour Pierre de patience puisqu'elle va se
solder par la mort de la femme, une mort qui elle-même signifie la
délivrance de l'héroïne. En effet, l'intrigue est
résolue par le réveil de l'homme et l'assassinat de la femme,
mais cette fin tragique révèle bien des
vérités ; le rôle de la pierre de patience a
été bien accompli par l'homme, effectivement, ce dernier a
absorbé jusqu'au bout tous les secrets de son épouse, puis, il a
conformément à la pierre originale éclaté, mais son
éclat est représenté par la terrible colère de
laquelle, il fit preuve en apprenant tant de choses sur sa femme. La douleur
qu'il ressent en ayant découvert la vie cachée de sa femme est
aussi grande que la douleur qu'a éprouvée l'épouse durant
toute sa vie, la femme l'annonce clairement dans ce
propos : « Oh, ma Syngué sabour, quand c'est dur
d'être femme, ça devient aussi dur d'être
homme ! (152). C'est une fin marquant carrément
le retournement de la situation qui donne une toute autre signification au
récit, cet atroce renversement de l'histoire révèle
l'épaisseur du silence, auquel rien ne peut satisfaire hormis la mort.
Si elle devait mourir, c'est parce qu'elle s'est vidée de ce qui
constituait son âme : ses secrets.
L'intrigue du récit obéit à un processus
de transformation au cours duquel, s'effectue le passage d'une phase à
une autre. En ce qui concerne notre roman, l'intrigue semble progresser en
fonction des mutations que subit le personnage de la femme qui, évoluera
en ascension d'un état de femme soumise vers l'état
d'émancipation et qui s'achèvera par la mort de la
femme108(*). À
ces mutations, correspondent des faits secondaires sinon inutiles, mais qui,
par un retour cyclique méritent d'être notés. Ainsi, des
détails relatifs à une description du décor vont faire
sujets du même processus transformationnel par lequel passera
l'héroïne : à la situation initiale,
c'est-à-dire à la phase d'équilibre de l'intrigue, nous
serons amenée à découvrir lors du premier balayage de la
pièce (espace où se déroule l'histoire),
l'émiettement d'une scène décrivant des oiseaux migrateurs
figés sur un rideau. Ensuite, alors que la femme est en plein
transmutation du mutisme au mot, c'est la même scène d'oiseaux
migrateurs qui revient à un détail près, le vent caresse
de temps à autre les ailes des oiseaux et les invite ainsi à de
petits envols. Enfin, à la situation finale correspondant à
l'affranchissement de la femme et à son état de quiétude
suprême, le vent se lève violemment, et lancent
définitivement les oiseaux dans le ciel.
1-1-2- THÈMES RÉCURRENTS ET MANIEMENT DU
TEMPS
Les cinq phases de l'intrigue semblent se mouvoir autour des
thèmes de la religion, de la guerre et du silence desquels, le lexique
est considérablement imprégné. Tout au long du
récit, ce sont ces thèmes qui font évoluer l'intrigue et
qui animent l'héroïne.
D'abord, c'est le thème de la religion qui
modèle toute la vie de l'héroïne qui, entre faire la
prière ou égrener le chapelet n'a plus beaucoup d'autres
activités. Outre les différents noms de dieu cités dans le
récit, c'est la scène de la prière qui réapparait
par alternance. Même le mot-clé du roman a semble-t-il une
étroite relation avec la religion (l'Islam), puisque selon le
récit de la femme, la pierre de patience ou Syngué sabour
ne serait autre que la Kaaba.
L'héroïne s'étonne que la Kaaba
n'ait toujours pas explosé quand bien même les lamentations
auxquelles, elle assista furent nombreuses : « Depuis des
siècles et des siècles que les pèlerins se rendent
à la Mecque pour tourner et prier autour de cette Pierre, je me demande
vraiment comment ça se fait qu'elle n'ait pas encore
explosé » (88).
Ensuite, c'est le thème de la guerre qui pullule de
part et d'autre le roman. C'est principalement les personnages qui font montre
de cette thématique : L'homme, un éternel
moudjahid, allé combattre à toutes les guerres,
blessé par balle, indigné par l'amant potentiel de sa femme un
soldat qu'elle connut lors d'une intrusion.
Enfin, le silence est l'autre thème qui régit
l'histoire du roman, puisque c'est contre le silence que se bat
l'héroïne, c'est son désir de se débarrasser de ses
secrets qui lui donne toute sa ferveur de parler. C'est aussi le silence qui
fait durer la tension de l'intrigue enchâssée entre son envie de
tout dire et sa crainte de se retrouver dévoilée de ses secrets.
C'est dans cette perspective qu' « elle se
mure dans le silence » (67), ou, qu'elle crie carrément
ses craintes : « Il me rend folle ! il me rend
faible ! il me pousse à parler ! à avouer mes fautes,
mes erreurs ! Il m'écoute ! il m'entend ! c'est
sûr ! il cherche à m'atteindre...à me
détruire » (76).
L'abondance lexicale des trois thèmes que nous venons
de citer, rend inévitable d'en faire suivre toute interprétation.
En effet, continuellement confronté à un vocabulaire
thématique fertile, le lecteur ne peut qu'adapter son
interprétation selon le renforcement de vocabulaire pratiqué dans
le texte.
En ce qui concerne le temps, il semblerait qu'il soit
étroitement lié au thème de la religion. Le fait que la
durée des évènements soit mesurée grâce au
nombre de tours de chapelet effectués rend cette liaison significative.
D'autant plus que ces segments diégétiques sont souvent
enchâssés entre deux accomplissements de la prière ou entre
deux appels à la prière. Dans une optique narrative, ce maniement
du temps s'avère être très révélateur. En
effet, le lecteur même ne connaissant pas la durée ou le temps
exact d'un évènement, a tout de même la possibilité
de percevoir l'intérêt porté à rattacher tout ce qui
a trait à la temporalisation avec la religion.
1-1-3- PERSONNAGES ET MODE NARRATIF
Les personnages mis en scène dans cette histoire sont
la femme, l'homme, le mollah, le beau-père, la tante, le soldat et les
deux filles dont, la femme est l'unique protagoniste de laquelle, l'homme en
est antagoniste ; l'homme et la femme, l'un comme l'autre peuvent passer
pour des personnages ronds puisqu'au travers du récit fait par la femme,
et celui fait par le narrateur, nous aurons une batterie d'informations
susceptibles de nous administrer une assez bonne connaissance des personnages
principaux. Cependant, du protagoniste et de l'antagoniste, l'un est
dynamique et l'autre est statique. En effet, le personnage de la femme
évolue tout au long du récit, et est sujet à plusieurs
transformations qui régulent parfaitement l'évolution de
l'histoire, le personnage de l'homme est statique, dans la mesure où, il
reste invariablement le même, ne serait-ce l'unique transformation qu'il
subit, lors de son passage de l'état inconscient au réveil.
Des autres personnages, tous, sont plats et ne
bénéficient d'aucune description, leur intervention dans le
récit vise à en expliquer l'avènement des changements
relatifs à l'évolution du récit.
C'est un narrateur
hétérodiégétique 109(*) placé en
dehors de l'histoire et à laquelle, il ne participera guère. Le
narrateur décrit les personnages de la femme et de l'homme.
Néanmoins, il convient de préciser que le narrateur semble
s'être entièrement consacré à l'héroïne,
la femme, ainsi, il indiquera tout au long du récit l'état
émotionnel du personnage, ses profondes pensées et les
désirs qui l'animent, il racontera qu'elle est dans un premier
temps : « perdue » (19),
« abattue »,
« agressive » (20),
« imperceptible » (21),
« inquiète »,
« désespérée » (51),
« paniquée » (58),
« affolée » (59),
« exaspérée » (67),
« accablée » (76). Il conviendrait de
préciser que tous les qualifiants précités font montre
d'une condition d'extrême souffrance et de malheurs vécus par
l'héroïne.
Cependant, c'est une femme :
« légère » (124),
« calme et sereine » (147), « une
voix étrangement solennelle » (152) ,
« illuminée » (152) que décrira le
narrateur après qu'elle se soit résolue à ne plus subir le
poids du silence.
Le narrateur va également raconter les pensées
(mêmes les plus intimes) de l'héroïne, ce qui nous
emmène à dire que, c'est grâce à une focalisation
interne qu'il nous sera possible de suivre le personnage principal
jusqu'à ses plus profondes réflexions, nous aurons par exemple
cette intervention du narrateur : « Son regard cherche quelque
chose par terre. Les mots. Mais plus encore, l'audace » (65),
où le narrateur semble minutieusement définir la volonté
du personnage focalisé.
Ou encore, interprétant un sourire sournois de la
femme : « Un sourire jaune et court qui remplace mille et un
mots pour exprimer ses regrets, ses remords...Mais très vite, les
souvenirs l'emportent » (68).
Le revoilà, interprétant son
sourire : « Un sourire plein de secrets tire le coin de
ses lèves » (150).
Le narrateur reste parfois, distant puisqu'il n'en saura pas
plus que ce l'héroïne laisse paraitre, ainsi, nous basculons
vers une focalisation externe où le narrateur ignore carrément la
pensée du personnage focalisé : « Comme
toujours, on ne sait pas si elle suspend sa pensée, ou bien si elle
cherche ses mots » (83).
Incapable de définir à juste titre le sentiment
de la femme, il annonce dans l'incertitude : « Le froid ou
l'émotion, les larmes ou la terreur saccadent son souffle. Elle
tremble » (121). Il installe par ce faire le doute et laisse le
plus grand soin au narrataire d'opter pour l'une ou l'autre proposition.
Toujours ignorant le véritable état d'âme
de l'héroïne, le narrateur explique : « Elle
marque une pause. On ne sait pas si c'est pour donner du suspens
à son récit, ou parce qu'elle hésite à
dévoiler la suite. Elle reprend enfin (...) » (74).
Ces remarques mettent le récit au rang du récit
à point de vue par moments, et également, le catégorise
comme récit objectif par d'autres, ces deux typologies du récit,
qui consiste pour l'une à ne livrer que se ce que laisse paraitre le
personnage, ou, qui consiste pour l'autre, à ne guère savoir de
quoi il en est ; ces typologies convient le lecteur à s'impliquer
davantage afin de deviner plus ou moins le véritable sentiment
éprouvé par le personnage.
En oscillant entre les deux types de focalisation
précités, le récit conditionne parfaitement la
lecture ; tantôt, en mettant en évidence l'état de
fait, permettant ainsi, au lecteur de se fonder une assez large perception de
la situation relatée, et, tantôt, en le laissant carrément
livré à sa propre intuition quant à l'attribution de telle
ou telle interprétation aux situations racontées. La focalisation
interne aura permis au lecteur de s'immiscer de très prêt dans la
vie intime du personnage principal et par conséquent d'en supposer une
certaine connaissance, la focalisation externe s'y succédant, va
plutôt tenir le lecteur en haleine, en laissant les faits toujours en
suspens. Ce procédé invite le lecteur à interagir, ce
dernier s'implique, mais en fonction de la focalisation interne
opérée auparavant qui fera en sorte que son interprétation
soit grandement inspirée des prédicats énoncés en
focalisation interne.
Le narrateur installe également, le suspense en se
limitant à reprendre littéralement les propos de
l'héroïne (même quand ceux-ci sont suspendus), le narrateur
n'y donne aucune suite et n'intervient point, au contraire, il laisse toute la
tâche d'imaginer une suite possible, au narrataire.
Aux points de suspension marqués dans le propos de la
femme, le narrateur convie tout narrataire potentiel à s'impliquer afin
d'imaginer une suite plausible :
« Je vais tout te dire, ma syngué sabour,
tout. Jusqu'à ce que je me délivre de mes souffrances, des mes
malheurs, jusqu'à ce que toi, tu... » Le reste, elle le tait.
Laisse l'homme l'imaginer (91).
Il reste important de noter que le narrateur supplée
quelque fois des commentaires décrivant de l'atmosphère qui
règne en dehors de ce que l'héroïne peut dire, ces
commentaires s'avèrent des plus révélateurs et
déterminent non pas uniquement l'état d'âme de la femme,
mais également celui relatif à toute la société
fictive :
Introduisant le thème de la guerre, il
suggère : « Loin, quelque part dans la ville,
l'explosion d'une bombe. Violente, elle détruit peut-être quelques
maisons, quelques rêves » (17).
Ou :
Le soleil se couche.
Les armes se réveillent.
Ce soir encore on détruit.
Ce soir encore on tue (77).
Et pour résumer toute l'essence de l'histoire :
Au-dehors :
Un temps on tire.
Un temps on prie.
Un temps on se tait. (125).
Ce genre de commentaires permet au lecteur de mieux saisir
l'illusion créée par les évènements relatés,
ils apportent également des informations essentielles à la mise
en contexte, leur introduction demeurent un repère intéressant,
en dehors des propos des personnages.
Ces différentes techniques de narration donnent
l'opportunité de créer une sensation de vraisemblance à
partir de laquelle, le lecteur crée une sorte de sympathie envers
l'héroïne, où, il se verra compatir à son malheur.
Aux travers de ces différents usages narratifs, le lecteur se retrouve
invité à découvrir profondément le personnage,
allant jusqu'à ressentir son désarroi.
1-2-L'INTENTIO AUCTORIS
Si nous considérons le symbole comme véhiculant
un message, il est inévitable de souligner qu'il entend un
émetteur et un récepteur, quand ce symbole est une partie
intégrante d'un roman ; l émetteur et le récepteur ne
sont autres que l'auteur du roman (par conséquent celui du symbole) et
le lecteur qui devient par la nature du roman, déchiffreur du symbole et
l'auteur de ses potentielles interprétations. Ceci dit, le symbole, dans
tout son cheminement, est conditionné par deux facteurs : Lors de
son élaboration ou de sa production, le symbole dépend uniquement
de celui qui en fait l'oeuvre c'est-à-dire la personne qui le
crée, tandis que lorsqu'il passe à la phase
d'interprétation, il dépendra de celui qui le reçoit et
qui en fait l'expérience ; le lecteur.
Le Gradus offre une définition qui s'avère des
plus globalisantes : « Une interprétation symbolique
dépend entièrement de son auteur, qui est le lecteur, alors que
le symbole comme procédé dépend de l'auteur du texte et
demande à être perçu par le lecteur.»110(*) Tout compte fait, un symbole
a pour départ originel son auteur, son intention, son désir de
vouloir dire quelque chose.
Est-elle perceptible ? Quelles sont les indices d'une
intention d'auteur ? Quelle a été l'intention d'Atiq Rahimi
en écrivant Syngué sabour Pierre de patience ?
Les indices de l'intention de l'auteur ne sont pas toujours
d'ordre intra textuel mais peuvent parvenir de l'extra textuel ou de tout ce
qui entoure le texte.
Deux nous paraissent les plus pertinentes, elles se trouvent
toutes deux en incipit, et ont bien l'air d'annoncer d'ores et
déjà, les thèmes déterminants du roman :
D'abord, c'est cette dédicace que fait Rahimi à
N.A où, il met carrément l'accent sur le sujet :
Ce récit, écrit à la mémoire
de N.A.
-poétesse afghane sauvagement
assassinée
par son mari-, est dédié à
M.D.
Cette consécration suppose d'emblée que le
récit aura affaire à une femme tuée, sinon
martyrisée. Étant placé au début du roman,
l'incipit balise déjà la lecture ; dès les
premières pages du roman, l'allusion se fait facilement sentir, il n'est
pas de doute que le personnage que nous découvrons dans le récit
ressemblerait bien à N.A, si ne serait-ce elle-même ?
Ensuite, placée séparément, une phrase
inscrite seule en milieu de page : « Quelques part en
Afghanistan ou ailleurs » (11), semble au préalable
susciter l'interrogation : ailleurs, où ? Cette
phrase ne situe pas le récit dans son cadre géographique
seulement, mais plus, elle suggère que les faits pourraient se passer
ailleurs. L'auteur suppose du lecteur d'établir une liaison
entre le ailleurs et le ou ? La réponse à cette
question ne pourrait-être conquise qu'une fois la lecture achevée
et les thèmes s'y rapportant relevés. Ainsi, les thèmes
récurrents étant la guerre, la religion et la femme, le lecteur
en déduira en fonction de ce qu'il aura jugé comme thème
prépondérant, que ce ailleurs, signifie partout ailleurs
en pays en guerre (pareil à l'Afghanistan), ou encore, partout ailleurs
en terre d'Islam, ou même partout ailleurs où vivent les femmes.
Cette insinuation atteste de la volonté de l'auteur de faire intervenir
le lecteur en le sommant à fouiner dans le texte afin de remédier
au suspens provoqué par cette phrase.
Ces indices étant reconnus, pourquoi sont-ils justement
introduits, quel objectif vise l'auteur ? Si son intention était
d'insinuer, comment s'en est-il pris pour le faire ? Pour quelle(s)
raison(s) ?
Le pourquoi et le comment de cette
interrogation se trouvent au coeur-même du symbole : Les
différentes définitions du symbole, les multiples
caractéristiques qui en font l'essence et le décorticage des
symboles employés et des thèmes auxquels ils se rapportent dans
le roman, représentent autant de pierres d'assise nous permettant
d'aboutir à une synthèse qui répondrait quelque peu
à notre questionnement.
Ø Premièrement, parce qu'ils rendent possible de
communiquer l'incommunicable, et qu'ils expriment ce qui ne peut-être
exprimé, les symboles ont joué le rôle de messager dans le
roman, un messager du défendu à l'expression et de
l'intraduisible.
Ø Deuxièmement, leur caractère confus et
ambigu les laisse prétendre plusieurs significations et leur donne par
conséquent une exubérance sémantique beaucoup plus
importante.
En nous référant aux deux indices relevés
plus haut, nous pouvons admettre qu'elles s'inscrivent dans l'articulation de
deux visées intentionnelles bien précises.
D'abord, l'auteur a souhaité arborer des thèmes
inhérents à la société afghane mais qui restent
sensiblement épineux et dont l'abord demeure litigieux (la religion, la
femme..., etc.). Ce sont les symboles qui lui donnèrent
l'opportunité de le faire sans avoir à rendre de compte : Le
fait que le symbole suggère d'éventuelles interprétations
rend son action complètement implicite et indirecte, son emploi permet
à l'auteur de se dégager de toute responsabilité de
transgression vis-à-vis de l'ordre pudique ou religieux puisqu'en
dernier ressort, l'auteur n'aura fait que suggérer et qu'il revient au
lecteur de glaner l'une des interprétations qui lui paraitrait le plus
appropriée. Il devient clair que le symbole est bien plus qu'un emploi
esthétique mais qu'il constitue une véritable stratégie
prise par l'auteur ; une stratégie ayant pour but d'effleurer un
sujet sans en être discrédité (l'auteur).
Cet avantage qu'offre l'implicite du symbole est clairement
perçu quand Ducrot avance que : « Le
problème de l'implicite,[...] est de savoir comment on peut
dire quelque chose sans accepter pour autant la responsabilité de
l'avoir dit, ce qui revient à bénéficier de
l'efficacité de la parole et de l'innocence du silence .»
111(*)
Rahimi se sera jusqu'au moindre détail exploiter la
vertu d'implicite du symbole, cet implicite qui, selon Ducrot constitue un
réel stratagème d'immunisation, telle une carapace, l'auteur peut
s'en servir dans la proportion où : « [...] Il
peut arriver que l'on veuille bénéficier à la fois de
l'espèce de complicité inhérente au dire, et rejeter en
même temps les risques attachés à l'explication. D'une
part, on veut que l'auditeur sache qu'on a voulu lui faire savoir quelque
chose, et, d'autre part, on tient, malgré tout, à pouvoir nier
cette intention. »112(*)
Atiq Rahimi a prôné l'implicite du symbole dans
le but de s'en servir pour parler des tabous, pour décrire et
écrire ce qu'il ne pouvait exposer surtout dans une langue maternelle et
sans être dérangé par les alternatives doxiques de son
pays ; aborder l'interdit n'était possible que si une forme
particulière d'expression prenait le relai avantageant un
caractère mystérieux et caché qui permettait de s'y
voiler, d'autant plus que c'est une langue hôte qui en recueillait les
propos. À la faveur du caractère indirect et implicite du
symbole, l'auteur est parvenu à suggérer sans pour autant
déclarer des réalités, ainsi, il se serait permis
d'exhumer des vérités dont la divulgation aurait
ébranlé l'ordre établi. L'implicite du symbole aura
constitué un bouclier pour l'auteur, dans la mesure où ce dernier
aura abordé des thèmes interdits tels que l'oppression due
à un islamisme radical, les contraintes de la religion,
l'autorité masculine, le désir féminin, autant de
thèmes introduits par la simple insinuation symbolique. En fournissant
aux lecteurs des symboles-indices, Rahimi parvient à stimuler leurs
pensées à l'égard d'une réelle méditation
sur ces thèmes.
Insinuer des sujets tabous n'est-il pas propre aux
symboles ? Les tabous ne font-ils pas partie de ce que Durand qualifie de
Plus du tout présentable113(*)quand il définit l'imagination
symbolique ? Les tabous ne sont-ils pas toutes ces réalités
dont il serait interdit de parler et qui, par conséquent se voient
bannies du langage ?
Dans son étude des tabous de la société
française, Florence Samson définit les tabous comme étant
des « Interdictions absolues individuelles et sociales,
[...] Il y a des choses qu'on ne dit pas en public, et
d'autres qu'on ne fait pas. Comprenant un respect mêlé de crainte
et de pudeur 114(*) ». Ces interdictions absolues au dire ne
se soumettraient-elles pas davantage si elles bénéficiaient de la
faveur de l'implicite de la suggestion ? La crainte et la pudeur ne
sont-elles pas les contraintes sociales desquelles, il aurait mieux valu
être épargné ? Il s'avère que oui ! Notre
roman en est une preuve puisque nous aurons assisté tout au long du
récit, à de réelles insurrections contre une religion
étouffante, contre des hommes dominateurs et violents. Nous aurons
découvert comment le silence écrase toute tentative de
rébellion, nous aurons suivi également tout le
développement de la quête de liberté qu'entreprit
l'héroïne et tous les lourds secrets que pouvaient cachés
une femme, ainsi, nous aurons approcher des thèmes quasiment bannis du
discours social afghan, sans pour autant n'en avoir concrètement et
explicitement perçu la manifestation. Certes, il était question
de souffrance féminine, de dépendance extrême de la femme,
d'un terrible haut-le-coeur de la religion, mais, ce ne fut que la suggestion
des symboles s'y appropriant qui en avait constitué
l'émissaire.
Ensuite, c'est l'effet de foisonnement sémantique que
visait l'auteur, étant donné qu'un symbole est destiné
à appeler systématiquement des significations plus profondes
l'une que l'autre, ce qui revient à suivre un itinéraire montant
de sens évoqués.
De cette lecture parsemée de symboles, nous115(*) ressortons fortement
marquée puisqu' il fallut passer outre leur opacité constituant
une sorte de voile du sens et que nous devions nous vautrer dans une
réelle méditation relative à leur compréhension.
Leurs significations étant soigneusement dissimulées, nous ont
contrainte à nous consacrer grandement à établir un lien
entre le sens littéral qu'ils communiquaient et le sens caché
qu'ils prétendaient.
Dans la même visée que portait l'homme ancien au
symbole qui, selon Adrian Frutiger « [...] avait un
pouvoir évocateur beaucoup plus grand qu'une image ordinaire, et qu'un
secret codé dans un signe non figuratif offrait plus de prise à
la méditation116(*) », l'auteur a préféré
suggérer plutôt que de déclarer, insinuer mais pas montrer.
La plume symbolique qu'utilisa Rahimi peut-être considérée
comme moyen incitatif à la réflexion, les symboles soufflent la
signification mais ne la crient pas, ce qui solliciterait le lecteur à
mettre en oeuvre une grande acuité lors de sa lecture en vue de parvenir
à une interprétation pertinente.
Enfin, notre propos se voit traduit dans ce que Carlyle dira
autour du symbole : « Dans un symbole, il y a
dissimulation et révélation : et c'est pourquoi, à
travers l'action conjointe du silence et du discours, ressort une double
signification.»117(*) C'est cette double signification, résultant
de l'effort fourni par le lecteur durant l'acte herméneutique visant
à associer le concret à l'absent (le symbolisant au
symbolisés) que voudrait exhorter l'auteur à travers l'usage des
symboles.
CONCLUSION
Insérer des symboles dans un texte revient à lui
assigner une signifiance instable et infinie. Au texte symbolique, convient une
lecture herméneutique et non compréhensive car il recoure
à l'imagination associant sens littéral du mot et sens
supposé ou suggéré. Les interprétations qui en
découleraient seraient naturellement variées et constitueraient
une panoplie d'optiques interprétatives.
Cependant, cette fonction libératrice du symbole
peut-être altérée par le désir de l'auteur à
circonscrire le champ d'interprétation symbolique du lecteur afin de lui
suggérer l'attribution d'une certaine signification à un symbole
plutôt qu'une autre.
Au fil des pages du roman, nous découvrons une
écriture certes symbolique, mais qui se trouve nettement balisée
par un lexique thématique et par des techniques narratives faisant en
sorte que l'atmosphère qui s'en crée s'en soit nettement
imprégnée. Rahimi intègre les symboles au roman de
façon à en faire de réels indicateurs capables de conduire
à une interprétation qui aille dans la même direction que
son intention propre. C'est des thèmes comme la guerre, la religion, la
libre expression, enfin, tout ce qui tend à se rapprocher avec la
liberté, que veut transmettre Rahimi au travers des différentes
insinuations symboliques qu'il introduisit ingénieusement dans le roman.
Le symbole chez Rahimi serait donc un prétexte pour
annoncer une intention et l'appuyer en même temps. Par un subtil usage de
la forme symbolique, Atiq Rahimi est parvenu à suggérer dans un
premier temps des thèmes, et à les rendre sujets à de plus
amples connaissances dans un deuxième temps.
L'auteur a su réapproprier dans le texte, des
thèmes socialement interdits au langage ou à la communication en
leur substituant des symboles aptes à en faire ressortir l'envergure de
leur impact sur la société.
Les différentes investigations que nous avions
entreprises précédemment, nous permettent d'arriver à une
sorte de conclusion qui aille quelque peu à l'encontre de ce que nous
avions suggéré au départ : En effet, ce que nous
avions perçu d'abord comme contrastif, s'avère être
complètement cohérent.
Rahimi superpose deux techniques assez distantes : D'une
part, il cache son intention de dire certaines choses derrière
l'opacité des symboles. D'autre part, il met
délibérément en surbrillance quelques termes, expressions
et thèmes constituant un fil d'Ariane quant à la
découverte du non-dit du texte/ symboles, cette opposition nous
mène à remarquer l'effet de paradoxe généré
par le désir de l'auteur d'exercer un renforcement des indices tant au
plan syntagmatique qu'au plan paradigmatique face à une réticence
d'avouer clairement son idéologie. Ce paradoxe semble-être le nerf
vital du roman puisqu'il vise à établir un équilibre
primordial au maintien de la cohérence du texte.
L'auteur aura tout au long du roman oscillé entre ces
deux moyens d'expression ; tantôt, il aura glissé du sens
voilé par un symbole, et tantôt, il pointe le doigt sur ce
même sens dans le but de rattraper ce qui aurait pu passer
inaperçu. Cette attitude vise à conforter l'hypothèse
interprétative du lecteur qui, parfois dérouté par son
intuition, est constamment reconduit à suivre l'intention
première de l'auteur.
Entre implicite, transcendance, obscurité et profondeur
du sens, les symboles ont parfaitement donné naissance à une
signifiance autre au texte que celle qu'auraient pu lui donner des mots
ordinaires. L'expression symbolique aura servi l'auteur de cuirasse ou de
paravent à une dénonciation de pratiques abusives et opprimantes
relatives à la religion ou à la domination masculine qui, ayant
trop duré finissent par aboutir à une révolte synonyme
d'une admirable « quête de liberté ».
L'expression symbolique aura servi également le texte, dans la mesure
où, elle permet de pénétrer pleinement par un jeu d'images
et d'imagination, dans le drame de l'Afghanistan et d'en ressentir la grande
affliction vécue par le peuple afghan. C'est par le biais de symboles
chargés d'images pleines de significations que toute une
réalité est racontée avec beaucoup d'acuité, et
à laquelle, le lecteur fait peu à peu part. C'est aussi par
l'intermédiaire du symbole que Rahimi initie indirectement le lecteur
à la découverte de la tragédie de son pays.
Enfin, notre travail ne saurait témoigner du pouvoir
indélébile du symbole et de la manière raffinée
avec laquelle, il insuffle le sens et le prétend, ce travail est encore
moins apte à rendre compte de tout le génie de l'auteur mis en
oeuvre afin d'écrire Syngué sabour Pierre de patience.
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littéraires
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Traditionnelles, n°5, Printemps-Eté
1994.
9. Laval, Martine, Télérama.
« « Syngué sabour, pierre de patience«, un
hymne
à la liberté et à
l'amour ».
http://www.telerama.fr/livre/syngue-sabour-pierre-de-patience-un-hymne-a-la-liberte-et-a-l-amour-d-atiq-rahimi,32801.php.
20 mars 2009.
10. Moréas, Jean. « Le symbolisme » in
Chronologie littéraire 1848-1914
(établi à partir de l'original. F. Viriat.).
Disponible en ligne à l'adresse.
http://www.berlol.net/chrono/chr1886a.htm.
11. Richard, Jean. « Symbolisme et analogie chez
Paul Tillich » in Laval
théologique et philosophique, vol.
32, n°1, 1976.
12. Richard, Jean. « Symbolisme et Analogie chez Paul
Tillich(II) » in Laval
théologique et philosophique, 1977, vol.33,
n°1.
http://www.erudit.org/revue/ltp/1977/v33/n1/705593ar.html?vue=resume.
13. Segalen, Victor. « Les synesthésies De
l'Ecole Symboliste » in Mercure de
France, n°148, avril 1902. Gallica
Bibliothèque numérique.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k105516q/f71.
14. Stanechy, Georges, A contre courant, « Prix
littéraire et littérature
coloniale ».
http://stanechy.over-blog.com/article-25236992.html.
Novembre
2008.
15. Wunenburger, Jean Jacques. « Les
ambigüités de la pensée sensible :
Contribution à une approche de l'imagination
symbolique » in
Cahiers internationaux du symbolisme, n°
77-78-79, 1994.
16. « Les seize commandements des talibans ».
Les nouvelles d'Afghanistan, n°
76, 1er trimestre 1997.
RÉSUMÉ
Affecté par le malheur qui frappe de plein fouet son
pays, Atiq Rahimi écrit son roman Syngué sabour Pierre de
patience pour en faire part. L'auteur édifie le triste tableau
d'une jeune épouse, victime d'une société renfermée
et patriarcale, c'est de l'oppression conjugale, sociale et religieuse que
souffre cette femme.
L'auteur choisit le symbole comme moyen de crier tout son
haut-le-coeur d'une religion écrasante et d'un système
contraignant à l'extrême. En optant pour une écriture
symbolique, Rahimi mise grandement sur la connivence du lecteur à qui,
revient la tâche d'associer les deux composantes du symbole dans sa
quête d'en trouver une signification. Son implication demeure essentielle
quant à l'appréhension d'une signifiance du texte. C'est une
lecture transcendante que requiert le texte symbolique, exigeant au-delà
de la compréhension, une vraie manoeuvre herméneutique.
Les symboles s'avèrent être bien plus qu'une
simple forme esthétique de l'écriture, ils constituent une
réelle technique de persuasion, visant à mener le lecteur
à aboutir à une interprétation aspirée, au
préalable par l'auteur, dans la mesure où, celui-ci
supplée aux symboles des indices susceptibles d'orienter fortement
l'interprétation.
Entre autres, le symbole confère à l'auteur le
pouvoir d'exprimer implicitement son intention de dénoncer l'ordre
établi et ce, sans avoir à admettre la responsabilité de
l'avoir fait.
Abstract
Affected by the tragedy which hits his country directly, Atiq
Rahimi writes his novel Syngué sabour Stone of
patience to tell about it. The author edifies the sad picture of a
young wife victim of an enclosed and patriarchal society; it is the conjugal,
social and religious oppression from which this woman is suffering.
The author chooses the symbol as a means to shout out his
entire heave of a crushing religion and of a contaminating system to its
extreme. In opting for a symbolic writing, Rahimi places largely on the
connivance of the reader to whom rests the task of associating the two
components of the symbol in the search of finding one signification. His
implication remains essential in the apprehension of a signification of the
text. It is a transcendent reading that requires the symbolic text, demanding
beyond the comprehension, and one true hermeneutic operation.
The symbols proved to be more than a simple form of an
aesthetic writing, they constitute a real technique of persuasion, aiming to
lead the reader to end in an interpretation aspirated previously by the reader
insofar as he supplies to the symbols of marks which are susceptible of guiding
the interpretation strongly.
In other way, the symbol confers to the author the power of
expressing implicitly his intention to denunciate the established order without
having to admit the responsibility of having done it.
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TABLE DES MATIÈRES
Remerciements
5
Sommaire
7
Introduction
9
Chapitre I : Entre symbole et
symbolisme
22
1- Au fait, qu'est-ce qu'un symbole ?
23
1-1- Définitions et cadre
épistémologique
23
1-2- Signe et symbole, symbiose ou
disparité ?
27
1-3-Caractéristiques, fonctions et pouvoir
du symbole
31
2- Le symbolisme, le mouvement
37
2-1-Le manifeste du symbolisme
39
2-2-Les décadents, pionniers du
symbolisme
41
Chapitre II : Lecture symbolique du
roman
44
1- Attention un mot peut en cacher un
Autre !
45
1-1- L'enclenchement du processus
interprétatif
45
1-2- Les indices textuels
47
1-2-1- Indices syntagmatiques : une
récurrence frappante
49
1-2-2- Indices paradigmatiques
51
2- Symboles et société : vers
une interprétation socio-symbolique du roman
59
2-1- La sociocritique
60
2-2- Lecture de la socialité et symboles
66
2-2-1- Sociogramme de l'oppression
72
2-2-2- Sociogramme de la guerre
84
2-2-3- Médiations entre
réalité et fiction
89
2-2-4- Le sociogramme du conflit : Le
silence
93
Chapitre III : L'acte
herméneutique entre intentio operis et intentio
auctoris
106
1- Un symbole, un message
107
1-1- L'intentio operis
107
1-1-1-
L'intrigue
109
1-1-2-
Thèmes récurrents et maniement du temps
113
1-1-3-
Personnages et mode narratif
114
1-2- L'intentio auctoris
118
Conclusion
124
Bibliographie
127
Résumé
136
* 1 Egyptologue
français, premier à avoir déchiffré les
hiéroglyphes égyptiens.
* 2 Champollion, Jean -
François (1839). Egypte ancienne. Paris : Tiquetonne,
1989.
* 3 Compositeur
Français, connu pour ses oeuvres symbolistes dont l'opéra
Pelléas et Mélisande composé en 1902, est le plus
illustre.
* 4 Peinture mythologique
réalisée en 1895, représentant la mort de
Sémélé et son passage à l'état d'immortelle
ainsi que la naissance de Dionysos.
* 5 Baudelaire(1857).
Baudelaire : OEuvres complètes, texte établi et
présenté par Claude Pichois. Paris : Gallimard, coll.
« Bibliothèque de la Pléiade », t. I,
1975.
* 6 Esope. Fables,
texte établi et traduit par Emile Chambry. Paris : Les belles
lettres, 1960.
* 7 Ibid.
* 8 Zola, Emile(1885).
Germinal. ENAG (2ème édition), 1995.
* 9 Camus, Albert. La peste.
Paris : Gallimard, 1999.
* 10 Rahimi, Atiq.
Syngué sabour Pierre de patience. Paris : P.O.L, 2008.
* 11 Atiq Rahimi est
né en 1962 à Kaboul en Afghanistan, issu d'une riche famille
libérale, il fait ses études au lycée franco-afghan
Elistiqlal. Rahimi obtiendra un doctorat de communication
audiovisuelle à la Sorbonne. Cinéaste, il adapte l'un de ses
romans Terre et cendre à l'écran en 2004.
* 12 Rahimi, Atiq. Terre
et cendre. Paris : P.O.L, 2000.
Les mille maisons du
rêve et de la terreur. Paris : P.O.L, 2002.
Le retour imaginaire.
Paris : P.O.L, 2005.
* 13Stanechy, Georges, A
contre courant, « Prix littéraire et littérature
coloniale » [en ligne]. novembre 2008.
http://stanechy.over-blog.com/article-25236992.html
(consulté le 21 mai 2010).
* 14 Laval, Martine,
Télérama, « « Syngué sabour,
pierre de patience«, un hymne à la liberté et à
l'amour » [enligne]. 20 mars 2009.
http://www.telerama.fr/livre/syngue-sabour-pierre-de-patience-un-hymne-a-la-liberte-et-a-l-amour-d-atiq-rahimi,32801.php
(Dernière consultation le 23 juin 2011).
* 15 -Todorov, Tzevetan.
Théories du symbole. Paris : Seuil, 1977.
-Todorov, Tzevetan. Symbolisme et
interprétation. Paris : Seuil, 1978.
* 16 Todorov, Tzevetan
(1978), op.cit. p. 161.
* 17 Jameux, Dominique,
« Le symbole », Encyclopædia Universalis [en
ligne]
http://www.universalis-edu.com/statiques/extention_recherche/ext_recherche_v15_web_titre_CL.php?p=R171431SI2(consulté
le 31 mai 2010).
* 18Eco, Umberto.
Sémiotique et philosophie du langage. Paris : P.U.F, 1984,
p. 213.
Eco utilise les termes symbolisant et symbolisé pour
catégoriser les deux composantes d'un symbole.
* 19LE ROBERT.
Dictionnaires Le Robert, 2001.
* 20 Foulquié, Paul.
Dictionnaire de la langue philosophique. PUF, 1969.
* 21 Freud, Sigmund.
Introduction à la psychanalyse, trad. S.
Jankélévitch. Paris : Payot, 1962, p.135.
* 22 Koberich, Nicolas,
« l'archétype » dans Merlin, l'enchanteur
romantique. Paris : L'Harmattan, 2008, pp. 37-38.
* 23 Ricoeur, Paul. Le
conflit des interprétations. Paris : Seuil, 1969, p.16.
* 24 Ortigues, Edmond.
Le discours et le symbole. Paris : Beauchesne,
1962, p. 86.
* 25 Saussure, Ferdinand de
(1916). Cours de linguistique générale. Paris :
Payot, 1972, p.101.
* 26 Jung, Carl Gustav.
L'homme et ses symboles. Paris : Robert Laffont, 1964, p. 55.
* 27 Eco, Umberto. Le
signe. Histoire et analyse d'un concept. Trad. Jean-Marie Klikenberg.
Bruxelles : Labor, coll. « médias », 1988, p.
203.
* 28 Richard, Jean,
« Symbolisme et analogie chez Paul Tillich », in Laval
théologique et philosophique, vol. 32, n°1, 1976, p. 48.
* 29 Scouarnec, Michel.
Les symboles chrétiens : Les sacrements ne sont pas
étranges. Paris : De l'Atelier, coll. « Vivre,
Croire, Célébrer », 1998, p. 12.
* 30 Watthee- Delmotte,
Myriam. Littérature et ritualité. Bruxelles :
P.I.E. PETER LANG S.A, 2010, p. 39.
* 31 Dubois, Claude-Gilbert,
« Image, signe, symbole », in J. Thomas (sous la direction
de), Introductions aux méthodologies de l'imaginaire.
Paris : Ellipses, 1998, p. 25.
* 32 Chevalier, Jean,
Gheerbrant, Alain. Dictionnaire des symboles, mythes, rêves,
coutumes, gestes, formes, figures, couleurs. Paris : Robert
Laffont, 1982, coll. «Bouquins », p. XII.
* 33 Eco, Umberto,
op.cit.
* 34 Wunenburger, Jean Jacques,
« Les ambigüités de la pensée sensible :
Contribution à une approche de l'imagination
symbolique », in Cahiers internationaux du
symbolisme, n° 77-78-79, 1994, p. 28.
* 35 Richard, Jean,
« Symbolisme et Analogie chez Paul Tillich(II) », Laval
théologique et philosophique [en Ligne], 1977, vol. 33, n°1,
pp. 39-60.
http://www.erudit.org/revue/ltp/1977/v33/n1/705593ar.html?vue=resume
(consulté le 17 juin 2011).
* 36 Ortigues, Edmond,
op.cit. p. 86.
* 37 José Antonio
Antón, « Symbolique et métaphysique », in
Les cahiers de Recherches et d'Etudes Traditionnelles, n°5,
Printemps-Eté 1994. Article traduit et adapté à partir de
la revue Symbolos par Jean-Luc Spinosi.
* 38 Durand, Gilbert.
L'imagination symbolique. Paris : P.U.F, 1976, p.13.
* 39 Lager, Carole.
L'Europe en quête de ses symboles. Berne : Peter Lang,
coll. «Euroclio», 1995, p. 30.
* 40 Jameux, Dominique,
op.cit.
* 41 Abel, Olivier,
« La corrélation religion-culture dans la théorie du
symbole chez Paul Tillich », in Religion et culture :
colloque du centenaire Paul Tillich 1986, Québec : Les Presses
de l'Université Laval, Ed. Du Cerf, 4ème trimestre,
1987, p. 142.
* 42 Dolghin, Marie-Claire.
Les saisons de l'âme. Paris : Séveyrat, 1989, p. 34.
* 43 Fernet, René.
Le symbole un messager. Montréal : Médiaspaul,
2001, p. 14.
* 44 Chevalier, Jean,
« Introduction au dictionnaire des symboles »,
op.cit., p. XIX.
* 45 Desoille, Robert.
Le rêve éveillé en psychothérapie.
Paris : P.U.F, 1945, p. 289.
* 46 Ricoeur, Paul,
« Le symbole donne à penser », in Finitude et
culpabilité II : La symbolique du mal. Paris :
Aubier-Montaigne, 1960, pp. 323-332.
* 47Cité par Michelet
Jacquod, Valéry dans Le roman symboliste : Un art de
l' « extrême conscience ».
Genève : Droz, 2008, p. 41.
* 48 Moréas, Jean,
« Le symbolisme », Chronologie littéraire
1848-1914 [en ligne], texte établi à partir de l'original
par Francesco Viriat
http://www.berlol.net/chrono/chr1886a.htm
(consulté le 13 juillet 2011).
* 49 Ibid.
* 50 Ibid.
* 51 Ibid.
* 52 Segalen, Victor,
« Les synesthésies De l'Ecole Symboliste », in
Mercure de France, n°148, avril 1902, p.65, Gallica
Bibliothèque numérique[en ligne]
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k105516q/f71
(consulté le 13 juillet 2011).
* 53 Huysmans, Joris-Karl
(1884). À rebours. Paris : Le Manuscrit, 2004.
* 54 Benoit-Dusausoy,
Annick, Fontaine, Guy, (sous la direction de). « La fin de
siècle », Lettres européennes, Manuel d'histoire de
la littérature européenne. Bruxelles : De Boeck, 2007
(2ème éd), p. 559.
* 55Ibid., p. 558.
* 56 Moréas, Jean,
op.cit.
* 57 Cité
dans Le dit et le non-dit à propos de l'Algérie et de
l'Algérien chez Albert Camus, ouvrage ayant constitué
l'objet de soutenance de D.E.A à l'université d'Alger en 1981 par
Tayeb Bougherra. Office des Publications Universitaires. Alger, 1989, p.15.
* 58 Todorov, Tzevetan,
(1977), op.cit. p. 238.
* 59 Durand, Gilbert,
op. cit., p. 12.
* 60 Todorov, Tzevetan, (1978),
op. cit., p. 9.
* 61 Ibid., p. 26.
* 62 Ibid., p.
29.
* 63 Todorov appellent
indices textuels tout élément du texte qui permet au lecteur de
se forger une éventuelle stratégie interprétative.
* 64 Ibid., p.
26.
* 65 Deleuze, Gilles.
Différence et répétition. Paris : PUF, 1968,
p. 96.
* 66 Todorov, Tzevetan,
op.cit. , (1978), p. 26.
* 67 Jameux, Dominique,
op.cit.
* 68 Todorov, Tzevetan, (1977),
op.cit. p.236.
* 69 Mancherey, Pierre.
Pour une théorie de la production littéraire.
Paris : F. Maspero, 1980, p. 179.
* 70 Duchet, Claude,
« Postions et perspectives » in Sociocritique.
Paris : Nathan, 1979, p. 4.
* 71 Ibid.
pp. 3-4.
* 72 Balzac, Honoré
de (1842), « L'avant-propos de la Comédie
humaine », éditions eBooksFrance [en ligne]
http://www.argotheme.com/balzac_avant-propos_de_la_comedie_humaine.pdf
(consulté le 18 juillet 2011).
* 73 Cité par
Bonzalé Hervé Sakoum dans Analyse sociocritique de Relato de
un naufrago et de Noticia de un Secuestro, Thèse unique en
cotutelle pour l'obtention de grade de docteur de l'université de Cocody
(Cote d'ivoire), docteur de l'université de Limoges, soutenue
à Abidjan, le 18 avril 2009, p.45. [en ligne]
http://epublications.unilim.fr/theses/2009/sakoum-herve/sakoum-herve.pdf
(consulté le 19 juillet 2011).
* 74 Disponible en ligne
à l'adresse
http://www.sociocritique.com/fr/pdf/Duchet_poursc.pdf
* 75 La revue
Littérature correspond à la revue du département
de Français du centre expérimental de Vincennes.
* 76 Hurley, Robert, Beaude,
Pierre Marie. Poétique du divin. Les Presses de
l'Université Laval, 2001, p. 107.
* 77 Robin, Régine,
« Pour une socio-poétique de l'imaginaire social »
in R. Amossy, La politique du texte enjeux sociocritiques. Trad. J.
Neefs, M-C. Ropars. Presses Universitaires de Lille. Septentrion, 1995, p.
104.
* 78 Duchet, Claude,
Tournier, Isabelle, « sociocritique », in
Béatrice Didier (sous la direction de). Le Dictionnaire universel
des littératures, vol. 3. Paris : P.U.F, 1994.
* 79 Ibid.
* 80 Robin, Régine,
op.cit., p. 107.
* 81 Goldman, Lucien. Le
Dieu caché : étude sur la vision tragique dans
« les pensées » de Pascal et dans le
théâtre de Racine. Paris : Gallimard, 1976, p. 28.
* 82 Id.,
Marxisme et sciences humaines. Paris : Gallimard, 1970, p. 27.
* 83 Duchet, Claude,
« Réflexions sur les rapports du roman et de la
société », Roman et société.
Publications de la société d'histoire littéraire de la
France. Paris : Colin, 1973, p. 64.
* 84 Balland, Daniel et
al. , « Afghanistan », Encyclopædia
Universalis [en ligne]
http://www.universalis.fr/encyclopedie/afghanistan/
(consulté le 20 juillet 2011).
* 85 Bachelier, Eric.
L'Afghanistan en guerre : la fin du grand jeu soviétique.
Presses universitaires de Lyon, coll. « Conflits
contemporains », dirigé par Chantal Antier, 1992, p. 109.
* 86 « Les seize
commandements des talibans », Les nouvelles d'Afghanistan,
n° 76, 1er trimestre 1997. Article traduit à
partir de la liste originale des commandements des talibans.
* 87 Tenue traditionnelle
afghane constituant un voile intégral avec un grillage devant les yeux.
* 88 Archambeaud, Gaït.
Le principe d'Egalité et la constitution de l'Afghanistan de
janvier 2004. Paris : L'Harmattan, 2005, p. 29.
* 89 Denis, Evelyne.
Afghanistan bleu, Récit d'une
touriste en Afghanistan. Paris : Publibook,
2007, p.14.
* 90 Samson, Florence.
Questions contemporaines. Objet de la gent masculine et des diktats
sociétaux. Paris : L'Harmattan, 2010, pp. 98-99.
* 91 HCR (Haut Commissariat
des nations unis pour les réfugiés), « Le plus fort
contingent de réfugiés de la planète », in
Réfugiés, n°108, II, 1997, p. 5.
* 92 Bret, Jean-Paul
(comp.), « Pierre de Patience », in
Exils-créations, quels passages ? : Actes du
colloque : villes, voyages, voyageurs (octobre 2008). Paris :
L'Harmattan, 2009, p. 10.
* 93 Nous choisissons de
mettre les noms de personnage « la femme »,
« l'homme », entre guillemets car ils ne possèdent
pas de noms propres, ceci nous permettra de les différencier des noms
génériques.
* 94 Bachardoust, Ramazan.
Afghanistan : Droit constitutionnel, histoire, régimes
politiques et relations diplomatiques depuis 1747. Paris :
L'Harmattan, 2002, p. 337.
* 95 Dombrowsky, Patrick,
« Le cas de l'Afghanistan », in Pascallon, Pierre (sous la
direction de), Les zones grises dans le monde d'aujourd'hui, le non-droit
gangrène-t-il la planète ?. Paris : L'Harmattan,
2006, p. 233.
* 96Nous proposons une assez
large définition du sociogramme dans une partie
précédente.
* 97 Robin, Régine,
op.cit., p. 106.
* 98 Duchet, Claude (1979),
op.cit. p. 4.
* 99 Bachardoust, Ramazan,
op.cit. p. 334.
* 100 Baquiast, Paul,
Dupuy, Emmanuel. L'idée républicaine dans le monde
XVIIIe- XXIe siècles, Nouveau monde, Afrique,
Monde musulman. Paris : L'Harmattan, coll. « Questions
contemporaines », vol.2, 2007, p. 189.
* 101 Archambeaud,
Gaït, op.cit. , pp. 85-86.
* 102 Voisine-Jechova,
Hana. L'image et l'interrogation en littérature
générale et comparée. Dix-huit études
écrites à travers le temps. Paris : L'Harmattan, 2008,
p. 124.
* 103Eco, Umberto et
al. , « Entre l'auteur et le texte » in
Interprétation et surinterprétation (trad. Jean-Pierre
Cometti). Paris : P.U.F, 2002 (3ème édition), pp.
71-72.
* 104 Maingueneau,
Dominique. L'énonciation littéraire. Pragmatique pour le
discours littéraire. Vol. II. Paris : Nathan, 1990, p.
38.
* 105Eco, Umberto. Les
limites de l'interprétation. Paris : le Seuil, 1992, p.
17.
* 106Ibid., p.
31.
* 107 Larivaille, Paul,
« L'analyse morphologique du récit », in
Poétique, n? 19, 1974, pp. 368-384.
Larivaille indique cinq composantes autour desquelles est
construite la séquence narrative : La situation initiale où
seront introduits le décor et les personnages. - La complication
où la situation initiale se voit perturbée par la survenue d'un
élément transformateur qui créera une sorte de tension au
sein du récit. - L'action pendant laquelle, les personnages tentent de
régler la perturbation de l'étape précédente. -
La résolution où les personnages débouchent sur une
nouvelle situation résultant de leur action entreprise et où sera
éliminée la tension exercée par la transformation. - La
situation finale où sera décrit le nouvel état des
personnages.
* 108 La mort du personnage
ne constitue pas un déclin de situation, mais va toujours en direction
d'une ascension puisque la mort est considérée comme une
délivrance par le personnage.
* 109 Genette,
Gérard. Figures III. Paris : Seuil, 1972, p.
252.
* 110 Dupriez, Bernard.
Gradus : Les procédés littéraires,
coll. « 10/18 », 1984, p. 437.
* 111 Ducrot, Oswald.
Dire et ne pas dire : principes de sémantique
linguistique. Paris : Savoir-Hermann, 1980, p. 12.
* 112 Ibid. p.
15.
* 113 Durand, Gilbert,
op.cit. pp. 10-12.
* 114 Samson, Florence.
Tabous et interdits, gangrènes de notre société.
Paris : L'Harmattan, 2009, p. 13.
* 115 Nous nous
positionnons en qualité de lecteur ayant subi les conséquences du
renforcement symbolique.
* 116 Frutiger, Adrian.
L'homme et ses signes, Ed : Atelier Perrousseaux. Trad. Danielle
Perret, 2000, p. 209.
* 117 Cité par
Mircéala Symington dans Ecrire le tableau : L'approche
poétique de la critique d'art à l'époque symboliste.
Bruxelles : P.I.E.- Peter Lang, 2007, p. 210.