B. Les prestations servies
Les prestations servies en cas d'un accident de travail ou
d'une maladie professionnelle sont de deux types : des prestations en nature
(1) qui prennent la forme des soins médicaux
et des appareils nécessaires par l'état de santé de la
victime et des prestations en espèces (2) sous
forme d'indemnité ou de rente destinées à compenser la
perte du gain professionnel.
1. Les prestations en nature
Il est nécessaire de noter que la socialisation du
régime de réparation des accidents de travail et des maladies
professionnelles, par son intégration dans le cadre des assurances
sociales, a permis de développer et d'améliorer le contenu des
prestations en nature surtout avec le développement de l'infrastructure
sanitaire publique et privée en Tunisie.
Les prestations en nature « sont dues, à
raison de l'état de la victime du fait de l'accident ou de la maladie
professionnelle, qu'elle soit ou non mise dans l'obligation d'interrompre son
travail » 4. Cette victime dispose d'une liberté de
choix du médecin, du pharmacien et le cas échéant des
auxiliaires médicaux dont
1 Le tableau est prévu par
l'arrêté du ministre des affaires sociales du 13/01/1995.
2 S. BLEL, Op. cit., p.70-71.
3 A. MOUELHI, « La réforme du
régime de réparation des accidents du travail », R.J.L, Mars
1996, p.54.
4 Cette disposition de Art. 31 de la loi de 1994
trouve son corollaire dans la loi de 1995 dans son Art. 16.
PREMIERE PARTIE : L'assurance sociale et la consécration
du droit à la santé 76
l'intervention est prescrite par le médecin. La
même liberté que reconnaît l'article 32 de la loi
n°94-28 aux travailleurs du secteur privé est reconnue par
l'article 17 de la loi n°95-56 aux travailleurs du secteur public. Dans
ces conditions, « le remboursement des frais engagés se fait
dans la limite du tarif officiel » 1.
Dans le secteur privé, pour les premiers soins,
l'employeur est tenu d'accorder une avance à la victime avec la
possibilité de se faire rembourser par la caisse nationale de
sécurité sociale, ce qui présente une garantie importante
pour les droits des victimes permettant de leur assurer la
célérité des premiers soins2.
La prise en charge des frais de soins est une innovation de la
loi de 1994, elle consiste pour la C.N.S.S. à établir des
Conventions avec les structures sanitaires publiques ou privées en vue
d'assurer la prise en charge des frais de soins engendrés par les
accidents du travail ou les maladies professionnelles.
Par ces Conventions, la victime se trouve
exonérée du paiement des frais d'hospitalisation, des soins et
des produits pharmaceutiques, et les soins qui lui sont octroyés feront
l'objet d'un règlement entre la caisse et les structures signataires de
ces Conventions3.
Cette modalité de prise en charge par l'employeur des
frais de soins dans le secteur privé est exclue dans le secteur public,
ce qui ne permet pas à l'agent du secteur public victime d'un accident
du travail ou d'une maladie professionnelle de choisir vraiment librement son
médecin. Ceci peut s'expliquer par la crainte du législateur
d'alourdir le budget de l'Etat et des entreprises publiques par des charges
financières importantes.
En Droit français, la sécurité sociale
assure une véritable gratuité des soins : c'est le principe du
"tiers payant" en vertu duquel et selon les dispositions de l'article L431-1 et
suivants du code de la sécurité sociale, la victime munie de sa
feuille
1 V. Art 32 Al 1er de la loi n°94-28
et Art. 17 de la loi n°95-56.
V. aussi l'arrêté des ministres du plan et des
finances, de l'économie nationale, et de la santé publique du
07/04/1982, tel que modifié par les arrêtés du 04/04/1995
et 25/06/1998.
2 S. BLEL, Op. cit., p.104.
3 La C.N.S.S a conclu le 31/12/1994, une Convention
avec le ministère de la santé publique en vue de prendre en
charge les frais de soins des victimes d'accidents du travail ou des maladies
professionnelles. En vertu de cette Convention la prise en charge est
subordonnée à l'accord préalable de la caisse, sauf en cas
d'urgence où la prise en charge peut être demandée à
posteriori, et couvre toutes les prestations nécessaires pour le bon
rétablissement de la santé de la victime. - Pour plus de
détails, S. BLEL, Op.cit., p.39-41.
PREMIERE PARTIE : L'assurance sociale et la consécration
du droit à la santé 77
d'accident, choisit librement son praticien, et les
auxiliaires médicaux dont l'intervention serait prescrite par le
praticien. Les honoraires sont directement réglés aux praticiens
par la caisse.
Le pharmacien doit remettre à la victime tous les
médicaments prescrits, également réglés directement
par la caisse.
La victime a le choix de l'établissement hospitalier si
son hospitalisation s'avère nécessaire.
La victime a droit à la fourniture, à la
réparation et au renouvellement des appareils de prothèse ou
d'orthopédie nécessaires1.
En effet, même si la protection des victimes des risques
professionnels en Droit tunisien n'est pas identique dans le secteur public et
dans le secteur privé, le souci de préservation de la
santé du travailleur s'avère le même dans la loi de 1994
que dans la loi de 1995.
En plus des soins de santé octroyés par la
victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle pendant la
durée de l'incapacité temporaire consécutive à
l'accident, cette victime, en cas d'incapacité permanente de travail, a
droit, aux termes de l'article 39 de la loi de 1994, et quel qu'en soit le
taux, à « la fourniture, à la réparation et au
renouvellement des appareils orthopédiques et de prothèse qui
peuvent lui être nécessaires en raison de son état de
santé, ainsi qu'à la réparation et au remplacement des
appareils utilisés avant l'accident et que celui-ci a rendu
inutilisables » 2.
La victime d'accident du travail ou de maladie professionnelle
peut, si son état de santé le prouve, bénéficier du
remboursement des frais de transport aller et retour. Ces frais sont
supportés par l'employeur dans le secteur public et sont
remboursés par la C.N.S.S. dans le secteur privé selon le tarif
de transport le plus économique. Si le transport est assuré par
ambulance, le remboursement est effectué par référence
à l'arrêté des ministres de l'économie nationale, du
transport et de la santé publique du 12 juillet 1993 fixant les tarifs
du transport sanitaire.
1 J.J. DUPEYROUX, Op. cit., p.443.
2 Le droit à l'appareillage reconnu par l'Art.
39 de la loi de 1994 est détaillée dans l'Art. 41 de la
même loi.
PREMIERE PARTIE : L'assurance sociale et la consécration
du droit à la santé 78
Ainsi, si la protection de la santé de la victime d'un
accident de travail se présente comme une priorité pour le
législateur tunisien, comment a-t-il procédé face à
la perte de salaire causée pour la victime qui interrompt son travail
pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle ?
2. Les prestations en espèces
Les prestations en espèces ou revenus de
remplacement1 prennent la forme d'indemnité
journalière en cas d'incapacité temporaire (a)
ou de rentes en cas d'incapacité permanente
(b).
a. En cas d'incapacité temporaire de
travail
L'article 20 de la loi n°95-56 prévoit que la
victime d'un accident de travail ou d'une maladie professionnelle, qui se
trouve dans une incapacité temporaire de travail, conserve
l'intégralité de sa rémunération.
Le but recherché ici est d'assurer à la victime
un revenu dit de "remplacement" durant toute la période
précédent la guérison complète ou la consolidation
de la blessure.2
Dans le secteur privé, l'incapacité temporaire
de travail ouvre droit au versement d'une indemnité journalière
compensatrice, en remplacement de la perte du salaire. Cette indemnité
en vertu de l'article 35 de la loi n°94-28 est « égale aux
deux-tiers de la rémunération quotidienne habituelle de la
victime qu'elle que soit la durée de l'incapacité. La
journée de travail au cours de laquelle l'accident s'est produit, est
intégralement à la charge de l'employeur » 3.
La caisse nationale n'intervient pour servir
l'indemnité journalière qu'à partir du cinquième
jour de l'accident, sauf, pour les accidents qui nécessitent une
hospitalisation ou jugés médicalement graves4.
1 J.J. DUPEYROUX, Op. cit., p.443.
2 Le médecin qui délivre un
certificat médical qui n'est pas sincère à la
réalité et à l'état de santé de
l'assuré risque d'être poursuivi pénalement. V à ce
propos,
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3 Sous l'égide de la loi de 1957 cette
indemnité était égale à 50% du salaire pendant les
45 premiers jours et aux 2/3 du même salaire à partir du
46ème jour.
- V. sur ce point S. BLEL, Op. cit., p.42.
4 Le délai de carence, comme le note S.
BLEL, a été institué dans le but de responsabiliser
davantage les victimes d'une part et d'éviter les abus en
décourageant les accidents minimes d'autre part, Op. cit.,
p.43.
PREMIERE PARTIE : L'assurance sociale et la consécration
du droit à la santé 79
De ce qui précède, on peut observer qu'il existe
un traitement beaucoup plus favorable des agents du secteur public par rapport
à ceux du secteur privé, concernant la compensation de la perte
de revenu en cas d'incapacité temporaire de travail. Qu'en est-il donc
pour l'indemnisation de l'incapacité permanente de travail pour les
agents des deux secteurs ?
b. En cas d'incapacité permanente de
travail
L'incapacité permanente de travail est
l'incapacité de travail qui subsiste après consolidation des
blessures ou guérison apparente de la maladie. Telle que définie
par la loi de 19941 et la loi de 19952, ainsi que la
doctrine, aussi bien tunisienne3 que française4,
l'incapacité permanente de travail présente l'un des risques
majeurs du travail puisqu'il s'agit « d'une réduction
définitive ou présumée telle, de la capacité de
travail de la victime dont l'état s'est stabilisé »
5.
Dans ce cas, la victime atteinte d'une incapacité
permanente, due à un accident de travail, a droit à une
compensation de la réduction de sa capacité de travailler. Cette
compensation prend la forme d'une rente dont le montant est calculé en
fonction du taux d'incapacité et du salaire de
référence.
Dans le secteur public, et contrairement à la
législation du secteur privé, le taux d'incapacité et
fixé par arrêté du premier ministre sur proposition de la
commission médicale. Toutefois, l'article 21 de la loi de 1995 reprend
les mêmes éléments cités par l'article 38 de la loi
de 1994 pour déterminer le taux d'incapacité.
A ce propos, il y a lieu de noter que le taux
d'incapacité est déterminé sur la base des mêmes
critères et par référence au même barème dans
le secteur public que dans le secteur privé.
1 Art. 38 Al. 1er de la loi n°94-28
du 21 février 1994 dispose : « L'incapacité permanente
de travail est celle qui subsiste après consolidation de la blessure
survenue suite à l'accident de travail ou de la guérison
apparente de la maladie professionnelle ».
2 Art. 21 alinéa 1er de la loi
n°95-56 du 28 juin 1995 dispose : « L'incapacité
permanente de travail est celle qui subsiste après consolidation de la
blessure survenue suite à l'accident de travail ou de la guérison
apparente de la maladie professionnelle ».
3 Cf. A. MOUELHI, Op. cit.,
p.228-231.
V. aussi, S. BLEL, Op. cit., p.45-47 (dans le secteur
privé) et p.96 (dans le secteur public).
4 Cf. J-J. DUPEYROUX - X. PRETOT,
Sécurité sociale, Op. cit., p.88-90.
V. aussi J-J. DUPEYROUX, Droit de la sécurité
sociale, Op. cit., p.447-450.
5 J.J. DUPEYROUX, Op. cit., p.447.
PREMIERE PARTIE : L'assurance sociale et la consécration
du droit à la santé 80
Toutefois, contrairement au secteur privé où
l'incapacité permanente est indemnisée soit sous forme de capital
de rente1 ou de rente réversible2, dans le secteur
public seule l'incapacité permanente et totale donne lieu à la
réparation. Ainsi, la victime qui n'est pas dans l'impossibilité
totale et absolue de travailler et qui a repris son activité «
continue à percevoir l'intégralité de son salaire sans
aucune autre indemnisation même si l'incapacité peut lui
constituer un handicap sur le plan physique et même moral puisque les
chances de promotion dans le travail pourraient être compromises
» 3, ce qui semble présenter une
inégalité dans le traitement des travailleurs des deux secteurs,
public et privé, qui se trouvent exposés aux mêmes risques
professionnels.
L'indemnité aux termes des articles 23 de la loi de
1995 et 42 de la loi de 1994 n'est due que si le taux d'incapacité est
supérieur à 5%4.
Ainsi, avec l'intégration des risques professionnels
dans le cadre des assurances sociales par la loi de 1994 et la loi de 1995, le
législateur tunisien a cherché à protéger la
santé de la totalité de la main d'oeuvre dans le secteur public
et dans le secteur privé par une panoplie de textes juridiques
(législatifs et réglementaires) dans le but d'élargir la
couverture, par l'extension du régime à des catégories non
couvertes, d'améliorer les prestations et de les harmoniser avec celles
prévues par les régimes de sécurité sociale.
1 Dite aussi indemnité unique, elle est servie
à la victime ayant un taux d'incapacité supérieur à
5% est inférieur à 15%.
2 Dite aussi rente annuelle ; elle est servie aux
victimes dont le taux d'incapacité est égal ou supérieur
à 15%.
3 S. BILEL, Op. cit., p.96.
4 En Droit comparé, certains pays ne
procèdent à l'indemnisation qu'à partir d'un certain taux
(en France à partir de 6%), d'autres pays, par contre, procèdent
à l'indemnisation quelqu'en soit le taux (Belgique).
Conclusion de la premiére partie 81
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