3.4 Rapports des migrants avec le milieu d'origine
Contrairement à l'ancienne génération,
les jeunes migrants partagent de moins en moins les bénéfices de
la migration avec le village. La distribution des fonds se limite à des
proches parents. Les migrants de la jeune génération se
retrouvent de plus en plus dans l'incapacité de s'assurer une source de
revenu permettant de contribuer au soutien de la famille, le plus souvent les
parents âgés restés au village. Le migrant se sent
obligé de remettre une part du revenu qu'il gagne dans les
dépenses de frais de scolarité, du loyer ou d'achat d'instruments
de travail ou de construction d'un atelier. Ainsi, un migrant à revenu
instable ou faible peut tout simplement ne pas retourner visiter sa
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famille. Ce faisant, il évite ainsi d'avoir à
refuser l'assistance possible de la famille, comme l'indique le
témoignage suivant :
« Si mon engin est en panne, et il y a des
problèmes au village, je dois laisser le problème du village pour
m'occuper de l'engin parce que c'est de ça que je vis ici. Je sais
qu'ils ont besoin de mon aide, mais je n'envoie rien. Ma femme et mon enfant
ont dit qu'ils ont besoin de l'argent, je suis parti là-bas je leur ai
donné 1000F et après je leur ai envoyé 3000F. Un jour,
l'idée me vient de partir. Mais aller où ? On va rester d'abord.
Peut-être qu'un jour ça va changer ». (SANDA Tadjou, 30 ans
marié père d'un enfant, Zémidjan, Banikanni,
04.04.2006)
Les jeunes filles migrantes, pour mieux sécuriser leur
économie issue des activités dans le milieu d'accueil, envoient
de moins en moins leurs réalisations. Elles préfèrent les
amener elles-mêmes lors des voyages de grands rassemblements comme les
séminaires.
Cette expression de la dégradation des relations de
confiance entre migrantes et parents restés au village dénote
également d'une acquisition d'autonomie progressive dans la prise de
décision chez les filles.
3.4. Vie associative en milieu d'accueil
3.4.1 Lieux de réunion
L'Association des ressortissants de Komdè est l'une des
rares associations actives dans ce milieu de migration. Elle joue un rôle
clé dans le maintien des liens privilégiés avec le milieu
d'origine et renforce le contrôle social. Chaque premier dimanche du
mois, hommes, femmes, jeunes et vieux se retrouvent pour parler de leurs
conditions de vie à Parakou, ainsi que des problèmes de leurs
villages. En témoignent ces propos :
« Au cours de nos réunions je l'ai toujours
dit, il faut toujours souhaiter que ton fils te dépasse... Parce que les
temps sont différents. Au temps où nous avons commencé
l'association, il n'y avait pas plusieurs avantages, maintenant, il y en a. Si
vous avez une
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association qui marche aujourd'hui, il y a plusieurs
avantages. Il faut qu'on puisse les aider pour qu'ils puissent faire plus pour
nous dans l'intérêt de nous tous. Pourquoi nous cherchons
aujourd'hui que nos enfants connaissent le village, qu'ils soient
habitués au village, l'enfant peut avoir un diplôme ici ou une
chose ici, si il voit que ça ne marche pas ici, il va au village. »
(Babio Bawa, retraité des T.P., Zongo, 27.04.2007)
La participation massive des ressortissants de
l'arrondissement de Komdè à ces rencontres, traduit leur
attachement à leur association ou du moins l'affirmation de son
dynamisme. Cette réponse massive à l'appel de l'Association des
ressortissants de l'arrondissement de Komdè témoigne
également du degré de crédit que les migrants Lokpa
accordent à cet espace de regroupement et d'échanges. Ce qui est
à relever également, c'est la présence massive des femmes
et des jeunes.
Photo 08 : Réunion des ressortissants de
Komdè à Parakou
Les femmes, qui auraient pu prétexter leurs nombreuses
préoccupations ménagères ou lucratives, se
présentent sur les lieux de la rencontre, généralement par
petits groupes de 3 ou 4. Ce qui laisse supposer un partage certain des
informations, au sein de l'association. Cette circulation de l'information au
sein du groupe, dans un milieu de migration, constitue l'un des atouts pour le
maintien de la cohésion des ressortissants de l'arrondissement de
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Komdè. Dans la mesure où les membres de
l'association peuvent être informés, ils peuvent prendre leur
disposition à temps pour faire face à tel ou tel problème
les concernant soit à Parakou soit au village. En outre, c'est
également au lieu de rencontre, que circulent les informations les plus
récentes provenant du village d'origine. On note également la
présence massive des jeunes, en majorité des ouvriers
(maçons, menuisiers, zémidjans, chauffeurs, tailleurs). On y
dénombre quelques étudiants, des déscolarisés et
des sans emploi. Cette occasion est aussi saisie par certains pour guetter des
opportunités d'emploi.
La présence des personnes âgées à
la rencontre, renvoie à la dynamique des rapports
intergénérationnels entre migrants. C'est ce qu'illustrent les
propos suivants du sexagénaire Babio Bawa, président du bureau
sortant de l'association : « Nous voulons du sang neuf à
l'association pour le redynamiser afin que tout le monde puisse connaître
tous ceux qui parleront en notre nom». Cette affirmation des
personnes âgées de la reconnaissance de leurs limites,
relève également de la stratégie pédagogique des
aînés à l'endroit de la jeune génération.
D'ailleurs, l'une des manifestations de cette démocratie à la
base est la discipline du groupe au cours des travaux. La parole est librement
distribuée dans la discipline et chaque participant quels que soient son
âge, son sexe, la catégorie professionnelle à laquelle il
appartient, il est écouté avec intérêt.
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