1.1.6.3 Approche sociologique du changement social
Bien que la thèse générale sur le
changement social, développée plus haut par Guy Rocher
soit une production sociologique, il existe beaucoup d'autres
approches plus spécifiques du changement social. Nous nous
intéresserons à celles qui sont en rapport avec l'institution
familiale et l'environnement urbain.
Dans la perspective d'explication du changement social par les
facteurs externes, Antoine Philippe et alii
(1995) choisissent d'étudier les dynamiques familiales en
période de crise pour expliquer les stratégies individuelles et
collectives dans les processus d'insertion urbaine. En effet, pour ces auteurs,
les réseaux familiaux de voisinage et de vie associative constituent des
formes de sociabilité qui répondent aux besoins d'insertion pour
les familles urbaines. Cette perspective s'inscrit au centre de nos
préoccupations dans la mesure où elle intègre la dimension
urbaine dans l'analyse des réseaux familiaux. Dans ce sens,
Balandier (1981 : 258) affirme que : « la ville,
société médiocrement structurée, est aussi une
société hétérogène : elle impose la
coexistence d'éléments n'ayant pendant longtemps entretenu que
des rapports très distants ou antagonistes, qu'il s'agisse de castes, de
groupes ethniques ou de tribus ». Cette thèse de Balandier relatant
le poids de la société urbaine sur les rapports internes des
groupes sociaux rejoint celle du `'fonctionnaliste» Parsons.
En effet pour Parsons (in
Pilon, 1997), le passage de la famille étendue
traditionnelle à la famille nucléaire moderne découle des
changements
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ENVIRONNEMENT URBAIN ET CHAGEMENTS
FAMILIAUX
structurels, comme l'industrialisation et l'environnement
urbain, qui distendent les réseaux familiaux fondés sur les
systèmes de parenté traditionnels et segmentent la famille
étendue en autant d'unités que de couples. En outre pour le
même auteur, la famille nucléaire est la forme de famille la plus
en accord avec les changements comme : la monétisation des rapports
sociaux, l'autonomie des agents économiques, la mobilité sociale
et spatiale des travailleurs. Si cette approche de Parsons des changements
familiaux, a le mérite d'analyser les différents facteurs qui
influencent l'institution familiale jusqu'à la déstructurer pour
aboutir à un modèle familial, la famille nucléaire, elle
souffre d'insuffisances en ce sens qu'elle prétend être
systématisée. Or dans les sociétés non
occidentales, particulièrement les sociétés africaines en
voie de modernisation, d'urbanisation, nombre de familles étendues
arrivent à résister à ces facteurs de changements.
C'est ce que Ocholla Ayayo in
Adepoju (1999 : 84-108), relativise en reconnaissant que,
même si l'environnement urbain a conduit à séparer les
familles et à faire perdre réellement les structures de
parenté dans beaucoup de pays africains, les liens de parenté
dans les villes africaines de taille moyenne sont peut-être plus intenses
et plus réguliers que ceux existant dans les villes plus grandes.
Toutefois, il soutient que les fonctions de la famille étendue, telles
qu'elles se présentent à travers les réseaux de
parenté dans le développement des nouveaux modèles
mi-ruraux/mi-urbains, restent à étudier. Cette dernière
approche s'inscrit dans le cadre de l'analyse selon laquelle : plus une ville
est grande, moins les structures familiales résistent au changement. N'y
a-t-il pas donc d'autres modèles familiaux tels la famille
nucléaire et la famille monoparentale ?
C'est pourquoi, au-delà de ces considérations
globalisantes, Yao Koffi Martin (2002) s'intéresse aux
transformations de la famille africaine et particulièrement aux
éléments socioculturels et politico-économiques qui
influencent l'organisation familiale. Selon ce chercheur, le processus de
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ENVIRONNEMENT URBAIN ET CHAGEMENTS
FAMILIAUX
changement d'originalité familiale en Afrique est
dû à une mutation, induite par les bouleversements
socio-économiques globaux qui s'opèrent dans les
sociétés africaines et dont sont sujettes les familles. Ces
bouleversements provoquent des changements des rapports interpersonnels au sein
de la famille, ainsi que la conception du monde et de l'être. Cette
approche de la situation familiale met en relief les changements structurels de
l'environnement social dont fait partie la famille. Elle insiste sur les
facteurs extrafamiliaux qui influent sur la structure familiale.
Segalen Martine (1981), s'appuyant sur les
notions sociologiques, a tenté de relire les effets de
l'évolution globale de la société sur la dynamique interne
de l'institution familiale. Pour cet auteur, l'institution familiale, à
travers sa double puissance de résistance et d'adaptation aux
changements sociaux et économiques, peut faire passer la
société d'un stade de développement à un autre.
Ainsi, étudier le changement social affectant la famille revient, selon
le même auteur, à faire un croisement entre la durée du
mariage, la taille du groupe domestique, l'âge du mari et les dimensions
du niveau de revenu, la taille du réseau de parenté et d'amis. En
outre pour elle, la famille est une institution sociale, terme
polysémique qui désigne à la fois individus et relations
et peut aussi désigner un ensemble restreint ou large de personnes
apparentées (Segalen 1981 : 10). Orientant ses
recherches vers la famille contemporaine et dans la même perspective
sociologique, Michel Andrée (1986) propose une
recherche sur la famille suivant un cadre conceptuel bien spécifique.
Ainsi, elle relève trois aspects de la recherche familiale : le type de
comportement étudié, l'espace social au sein duquel il se
produit, enfin la dimension du temps social (Michel Andrée
1986 : 19). Cette approche de l'analyse du fait familial
au-delà des limites de la précédente, a le mérite
d'insister sur le mariage comme fait socio- démographique, en
définissant les variables de l'interaction conjugale. Selon cet auteur,
les variables les plus souvent considérées sont les variables
démographiques (âge
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ENVIRONNEMENT URBAIN ET CHAGEMENTS
FAMILIAUX
des conjoints, durée du mariage, nombre d'enfants,
cycles familiaux etc.), les variables socioprofessionnelles (éducation,
profession, salaire du mari et de la femme, statut résidentiel, classe
sociale etc.) et enfin la variable de l'interaction considérée
comme indépendante, pouvant générer d'autres aspects. En
outre, cette considération de la dimension du temps social dans
l'analyse nous permettra de mieux apprécier les cycles de vie des
familles et de situer les étapes de l'évolution familiale dans
l'environnement urbain.
Pour répondre à cette préoccupation,
N. Kouamé et M. Koné (2005
:123-261) abordent la famille dans sa diversité et soutiennent que :
« le système urbain entraîne ou provoque, l'éclosion
de ce que l'on appelle les familles recomposées ayant une double
fonction, d'une part, de se protéger par rapport à la
précarité et d'autre part de se reconstituer par rapport à
la famille villageoise d'origine ». Kouamé et
Koné (2005 :149). De cette approche
socio-anthropologique des changements familiaux, nous retenons une analyse de
l'interaction entre la famille et le milieu urbain d'une part, et d'autre entre
la famille urbaine et le milieu d'origine, généralement rural, en
termes de flux de biens et services. Cette dernière approche concorde
beaucoup plus avec nos ambitions en ce sens qu'elle est orientée, non
seulement vers les relations intrafamiliales, mais aussi vers les rapports de
la famille avec l'environnement urbain. Les investigations de terrain se sont
poursuivies suivant une approche méthodologique que nous avons
jugée adaptée au sujet de recherche.
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