Paragraphe 2 : La politisation de l'ethnicité
La pénétration coloniale a brutalement
bouleversé l'ordre politique pré colonial bâti sur des
rapports de coopération. Le problème touareg va naître de
l'invention par le système colonial d'un clivage Est-Ouest (A) et de la
politique touarègue ambivalente du pouvoir colonial (B).
A. L'invention coloniale du clivage Est-Ouest
La pénétration coloniale française au
19e siècle a considérablement rompu les liens de
coopération et de solidarité entre les différentes
communautés de l'espace précolonial. La conquête
française fut déclenchée en 1890 à partir de
Bamako, dans le Mali actuel. Les Etats précoloniaux seront
progressivement conquis à partir d'avril 1890 avec la rencontre de trois
missions françaises à Kousseri au bord du Lac Tchad1.
Les territoires conquis furent d'abord rattachés à la colonie du
Haut Sénégal. On parlait alors de 3e Territoire
Militaire.
En 1911, ce Territoire fut élevé au rang de
Territoire du Niger avec Zinder comme capitale. En 1922, le Territoire devient
une Colonie. Cette colonie fut agrandie en 1932 suite à la suppression
de la colonie de Haute-Volta. Les cercles de Fada N'Gourma et de Dori furent
ainsi incorporés dans la colonie du Niger avant d'être
restitués en 1947 avec le rétablissement de la Haute-Volta. Le
clivage est-ouest est né de la politique coloniale de «
diviser pour mieux régner » qui a
consisté à attiser les rivalités ethniques entre les
différentes communautés. L'ethnicité, vue sous l'angle
constructiviste, n'existe pas en soi. Elle est le produit d'une construction
sociale par des acteurs.
Dès 1895, la conscience ethnique était
délibérément construite dans toutes les sphères
publiques : chantiers de travaux forcés, centres de recrutement
militaire, etc. Les groupes ethniques étaient ainsi classés selon
leur « aptitudes physiques» ou «
capacités guerrières ». Par
exemple, les populations nomades étaient citées comme «
médiocres » pour le métier des
armes. Un autre procédé subtil de cristallisation des
identités ethniques était l'obligation d'inscrire l'origine
ethnique sur tout document officiel. Le système colonial allait ainsi au
gré de ses intérêts créer un clivage fait de deux
groupes. Les populations vivant l'Est du pays (Haoussa, Touaregs, Toubous,
etc.) et celles vivant l'Ouest (Djerma en majorité). Les populations de
l'Ouest étaient jugées plus réceptives à la culture
française tandis que celles de l'Est étaient vues comme
suspectes, voire dangereuses.
Les Haoussas, par exemple, n'inspiraient pas du tout confiance
aux Français. Ces derniers redoutaient les liens que ceux-ci
entretenaient avec leurs frères du Nigeria voisin. C'est ce qui
justifia, semble-t-il, le transfert de la capitale de Zinder (pays haoussa)
à Niamey par un décret datant du 28 décembre1926. C'est
également ce qui présida à l'intégration (par le
même décret) des subdivisions peulh et sonrhaï de Téra
et Say dans la colonie du Niger.
La dichotomie ainsi créée se manifestait
à tous les niveaux. Ainsi, les régions de l'Est subissaient une
forte centralisation de l'administration coloniale. Agadez, Bilma et N'Guigmi
étaient en effet des cercles militaires jusqu'à la fin de la
2nde guerre mondiale. Selon Kimba Idrissa, « ce
clivage dans l'organisation territoriale et le caractère mixte de
l'administration (militaire/civil= donne l'impression d'une colonisation
inachevée qui présente au moment de l'indépendance trois
niveaux d'occupation de
1 Sanoussi Tambari Jackou, op cit, p. 7.
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La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
l'espace : l'Ouest, première région
conquise et passée au régime civil dès 1913, le Centre
demeuré tiède et réservé et enfin le Nord et
l'extrême Est maintenus sous régime militaire et toujours hostile
»1.
La colonisation intensifia cette dichotomie entre la «
colonie du Sud » sous administration civile et une « colonie du Nord
» sous administration militaire. La conséquence de cette politique
ethnique fut une nette domination des ressortissants de l'Ouest, notamment les
Djermas dans le champ politique dès les années 40. En effet, au
sein des groupes haoussas, peulhs, touaregs ou toubous, il y avait très
peu «d'évolués»
jusqu'à l'indépendance. Le premier parti nigérien, le
Parti Progressiste Nigérien (PPN/RDA) fut dominé dès sa
naissance par les élites originaires de l'Ouest.
En 1948, l'Union des Nigériens Indépendants et
Sympathisants (UNIS) apparut comme un parti haoussa localisé dans l'est
du pays. Pour Kimba Idrissa, « Ce fut la première
référence formelle à la région (Niger est) comme
catégorie politique et à l'identité ethnique (les
Haoussas) comme élément de mobilisation politique
»2. La naissance de l'Union Démocratique
Nigérienne (UDN) Sawaba en 1954 par Djibo Bakary, originaire de l'Ouest
mais bénéficiant du soutien des chefferies de l'Est, va provoquer
un « rééquilibrage ethnique »
des forces politiques. La dissolution de ce parti de gauche par le
Président Diori Hamani en 1959 permit au PPN/RDA de monopoliser la vie
partisane à l'indépendance. Pendant 15 ans (de 1959 à
1974), le RDA gouverna en parti unique de fait avec une domination totale de
élites issues de l'Ouest.
En réalité, le clivage Est-Ouest était
plus une affaire entre Djermas et Haoussas. Les minorités ethniques
comme les Touaregs, les Toubous, les Arabes étaient en marge de ce
conflit. Sur le plan économique, le clivage Est-Ouest se manifestait par
la rupture brutale de la complémentarité économique entre
le Sud et le Nord. En effet, les Français vont provoquer un effondrement
économique des régions du Nord en détournant les circuits
économiques vers leurs colonies du sud riveraines du golfe de
Guinée.
Les Touaregs étaient fortement dépendants du
commerce transsaharien, leurs chameaux assuraient par centaines de milliers le
transport des marchandises vers les pays haoussa, Yorouba, au Ghana, au
Cameroun actuel, etc. Les Touaregs firent face à la concurrence des
camions dans le transport des marchandises dans le Sahara. Les Français
vont accentuer la destruction de l'économie du Nord en coupant les
Touaregs de leur hinterland méridional le plus important, à
savoir le Nigeria.
C'est également dans cette perspective qu'il fut
institué une délimitation entre les zones sédentaires et
nomades. Comme le constate André Bourgeot, «ces
pasteurs-nomades furent alors enserrés dans un étau. Au sud, la
remontée des cultures de rente empiétait sur la Ione pastorale,
les contraignant à se replier sur les terrains de parcours les plus
arides, générant une rupture de la complémentarité
entre Ione pastorale et Ione agricole qui deviennent conflictuelles ; au nord,
la réorientation, des échanges vers l'intérieur des
frontières nationales désorganisa leurs réseaux
d'échange et amenuisa considérablement leurs mouvements
d'amplitude nécessaires à la reproduction du système
pastoral. Il s'ensuivit un cloisonnement politico-territorial
interétatique assorti de quadrillages administratifs à
l'intérieur de chaque Etat »3.
Ce fut l'une des sources de la crise du nomadisme. Toutes les
rebellions touarègues du Niger indépendant allaient se
développer dans les zones à vocation pastorale. Le pastoralisme
nomade fut déstabilisé « conséquemment
aux réorganisations sociales insufflées à l'époque
coloniale et au déclin
1 Kimba Idrissa, op cit, p. 23.
2 Ibid, p 63.
3 André Bourgeot, « Le désert quadrillé
: des Touaregs au Niger », op cit, p. 68.
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La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
irréversible du trafic caravanier
transsaharien »1. Ces politiques trouvent leur
fondement dans la vision coloniale du monde touareg.
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