BURKINA FASO
MINISTERE DES ENSEIGNEMENTS SECONDAIRE, SUPERIEUR ET DE DE LA
RECHERCHE SCIENTIFIQUE
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UNIVERSITE DE OUAGADOUGOU
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Unité de Formation et de Recherche en Sciences
Juridiques et Politiques (UFR/SJP) Ecole Doctorale en
Sciences Juridiques et Politiques
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Année Universitaire 2008-2009
Thème :
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La problématique de la gestion post conflit au Niger :
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analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs.
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Présenté et soutenu publiquement par
: SAIDOU Abdoul Karim
Pour l'obtention du
Diplôme d'Etudes Approfondies (DEA) en Droit
Public et Science Politique Option : SCIENCE
POLITIQUE
Sous la direction de :
Pr Basile L. GUISSOU Directeur de Recherche
en Sociologie Politique DG/CNRS/T Ouagadougou
Août 2009
i
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Avertissement
«L'Unité de Formation et de Recherche en Sciences
Juridiques et Politiques de l'Université de Ouagadougou n'entend donner
aucune approbation, ni improbation aux opinions émises dans les
mémoires qui doivent être considérées comme propres
à leurs auteurs »
ii
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Remerciements
Je voudrais au terme de ce travail exprimer mes remerciements
tout d'abord à ALLAH le Tout Puissant pour m'avoir permis de mener
à bien cette recherche. Je me dois d'exprimer toute ma gratitude et mes
remerciements à toutes les personnes physiques et morales qui m'ont
aidé à réaliser ce travail. Mes remerciements vont d'abord
au Pr Basile Guissou, mon directeur de recherche et professeur de Sociologie
Politique, pour m'avoir accordé toute son attention et son expertise
scientifique tout au long de ce travail. Je remercie également le Pr
Augustin Loada, Responsable du DEA, qui m'a également fait
bénéficier de toute son expérience de recherche en science
politique.
Je tiens aussi à exprimer toute ma gratitude au Pr
Mamoudou Gazibo de l'Université de Montréal, au Pr Tidjani
Mahaman Alou et Dr Niandou Souley Abdoulaye de l'Université Abdou
Moumouni de Niamey pour leurs appuis très précieux. Je ne
manquerai pas de remercier le Ministre Mohamed Anacko, Haut Commissaire
à la Restauration de la Paix, et tout le personnel du HCRP sans la
coopération desquels ce travail n'aurait pas été possible.
Je n'oublierai pas Mme Agnès Diaroumeye Bembello et Mme Fatima Mounkaila
de MAPADEV qui n'ont ménagé aucun effort pour m'accompagner aussi
bien dans mes recherches que dans la pratique de la gestion et de la
prévention des conflits.
Ma reconnaissance va aussi à certains acteurs de la
société civile nigérienne qui m'ont permis
d'intégrer des cadres de réflexion sur le conflit au nord Niger.
Il s'agit du Pr Khalil Ikhiri et Dr Badié Hima de l'ANDDH, de Mr Laoual
Sayabou du RODADDH, du Dr Souley Adji et Mr Moussa Tchangari de Alternatives
Espaces Citoyens. Je n'oublie pas mes parents et proches dont le soutien a
été très déterminant. Je pense à ma
mère, à mes frères et soeurs, à monsieur Illa
kané, au médécin-colonel Illo Almoustapha et à Mr
Ali Sakola Djika. Enfin, mes remerciements vont à mes collègues
de DEA et à tout le corps professoral du 3è cycle de
l'UFR/SJP.
iii
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Sigles et Abréviations
ANDDH : Association Nigérienne de
Défense des Droits de l'Homme
APLN : Armée Populaire de
Libération du Nord
ARLN : Armée Révolutionnaire
pour la Libération du Nord
CAD : Comité d'Autodéfense
CMS : Conseil Militaire Suprême
CRA : Coordination de la Résistance
Armée
CRN : Conseil de Réconciliation
Nationale
CRP : Commission de Restauration de la
Paix
CSN : Conseil du Salut National
CSP : Comité Spécial de Paix
CTN : Comité Technique de
Négociation
CVT : Comité de Vigilance de
Tassara
DAES/C : Direction des Affaires Economiques,
Sociales et Culturelles
DAPJ : Direction des Affaires Politiques et
Juridiques
DBGN : Document de Base du Gouvernement du
Niger devant servir aux Négociations avec la
Rébellion
FAN : Forces Armées
Nigériennes
FAR : Forces Armées
Révolutionnaires
FARS : Forces Armées
Révolutionnaires du Sahara
FDR : Front Démocratique pour le
Renouveau
FDS : Forces de Défense et de
Sécurité
FFL : Front des Forces de
Libération
FLAA : Front de Libération de
l'Aïr et de l'Azawak
FLT : Front de Libération de
Tamoust
FNIS : Forces Nationales d'Intervention et de
Sécurité
FPLN : Front Populaire de Libération
du Nord
FPLS : Front Patriotique de Libération
du Sahara
GIE : Groupement d'Intérêt
Economique
HCR : Haut Conseil de la République
HCR : Haut Commissariat aux
Réfugiés
HCRA/D : Haut Commissariat à la
Réforme Administrative et à la Décentralisation
HCRP : Haut Commissariat à la
Restauration de la Paix
HIMO : Haute Intensité de
Main-d'oeuvre
JORN : Journal Officiel de la
République du Niger
MAPADEV : Maillon Africain pour la Paix et le
Développement
MNJ : Mouvement des Nigériens pour la
Justice
MRLN : Mouvement Révolutionnaire de
Libération du Nord
MUR : Mouvement Uni Révolutionnaire
OCRS : Organisation Commune des
Régions Sahariennes
ORA : Organisation de la Résistance
Armée
PCPAA : Projet Consolidation de la Paix dans
l'Aïr et l'Azawak
iv
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
PCPRB : Projet Consolidation de la Paix dans
la Région de Bilma
PCPRD : Projet Consolidation de la Paix dans
la Région de Diffa
PCR : Programme Cadre de la
Résistance
PNUD : Programme des Nations Unies pour la
Développement
PVNU : Programme des Volontaires des Nations
Unies
RODADDH : Réseau Nigérien des
ONG de Développement et Associations de Défense des
Droits de l'Homme et de la Démocratie
SNECS : Syndicat National des Enseignants et
Chercheurs du Supérieur
UDN : Union Démocratique
Nigérienne
UFRA : Union des Forces de la
Résistance Armée
USS : Unités Sahariennes de
Sécurité
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La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Sommaire
AVERTISSEMENT I
REMERCIEMENTS II
SIGLES ET ABREVIATIONS III
INTRODUCTION GENERALE 1
PREMIERE PARTIE 12
LA CRISE DE CONSTRUCTION NATIONALE : SITE D'EMERGENCE
DES
POLITIQUES PUBLIQUES 12
CHAPITRE I : LA CONSTRUCTION DU PROBLEME TOUAREG
14
SECTION 1 : L'ORIGINE COLONIALE DU PROBLEME TOUAREG 14
Paragraphe 1 : La configuration politique
précoloniale 14
Paragraphe 2 : La politisation de l'ethnicité
19
SECTION 2 : L'ETAT POST COLONIAL ET LE DEFI DU PROBLEME TOUAREG
23
Paragraphe 1 : Les limites des politiques de
construction nationale 23
Paragraphe 2 : Le règlement du conflit touareg
29
CHAPITRE II : EMERGENCE DES POLITIQUES DE GESTION POST
CONFLIT
ET CONTINUITE HISTORIQUE 36
SECTION 1 : LA DIMENSION INSTITUTIONNELLE DES REPONSES
ETATIQUES AU PHENOMENE
REBELLIONNAIRE 36
Paragraphe 1 : La structuration institutionnelle de
la gestion du conflit 36
Paragraphe 2 : La structuration institutionnelle des
Accords de Paix 41
SECTION 2 : LE MODELAGE INSTITUTIONNEL DANS
L'ELABORATION DE LA POLITIQUE DE
REINSERTION 47
Paragraphe 1 : La configuration institutionnelle de
la gestion post conflit 47
Paragraphe 2 : L'empreinte institutionnelle dans le
output de la politique de réinsertion 54
DEUXIEME PARTIE : 62
L'IMPACT DES INSTITUTIONS SUR LA REINSERTION :
ENTRE
STRUCTURATION ET REPRODUCTION 62
CHAPITRE I : INSTITUTIONS ET LOGIQUES COMPORTEMENTALES
DES EX-
COMBATTANTS 64
SECTION 1 : LA STRUCTURATION DES STRATEGIES DES EX-COMBATTANTS
64
Paragraphe 1 : Les institutions comme
opportunité 64
Paragraphe 2 : Les institutions comme contrainte
69
SECTION 2 : LES RELATIONS DE POUVOIR ASYMETRIQUES ENTRE ACTEURS
75
Paragraphe 1 : Les relations entre acteurs
étatiques 76
Paragraphe 2 : Les relations de pouvoir entre les
ex-combattants 81
CHAPITRE II : POLITIQUE DE REINSERTION ET PHENOMENES DE
PATH
DEPENDENCE 88
vi
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
SECTION 1 : LA CRISTALLISATION DE LA LOGIQUE
REPRODUCTRICE 88
Paragraphe 1 : Le HCRP comme contrainte
institutionnelle 88
Paragraphe 2 : Les mécanismes de
résistance de l'institution 95
SECTION 2 : LE DOUBLE IMPACT DE LA DYNAMIQUE
D'INSTITUTIONNALISATION 101
Paragraphe 1 : Le développement d'une onction
tribunitienne 101
Paragraphe 2 : La consolidation d'une culture
politique aristocratique 107
CONCLUSION 113
BIBLIOGRAPHIE 119
ANNEXES 127
ANNEXE 1 1
ANNEXE 2 9
ANNEXE 3 11
1
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
INTRODUCTION GENERALE
La question de l'intégration des minorités
touarègues dans certains Etats africains post coloniaux (Niger, Mali,
Libye, Burkina Faso, Algérie) constitue depuis les indépendances
un des enjeux essentiels de la construction étatique et nationale en
Afrique sahélo-saharienne. En effet, le processus arbitraire «
d'importation de l'Etat-nation
»4 occidental en Afrique,
ignorant toute réalité sociologique et historique des
sociétés africaines, a créé au lendemain des
indépendances politiques des conflits souvent violents entre l'Etat et
la nation2.
Ecartelées entre six (6) Etats postcoloniaux,
l'intégration des communautés touarègues est non seulement
une question nationale mais aussi un enjeu de la géopolitique dans tout
l'espace sahélo-saharien. Au Niger et au Mali, où ces
contradictions se sont traduites par des rebellions armées, la question
touarègue est devenue un problème politique récurrent,
alimenté par une insécurité devenue chronique dans les
deux pays et le discours irrédentiste touareg qui menacent
l'unité nationale et l'intégrité territoriale des Etats
concernés.
En Afrique, l'analyse scientifique des conflits peut
être appréhendée selon les thématiques
développées par la science politique africaniste. Selon Mamoudou
Gazibo, des indépendances africaines dans les années 1960
à l'entrée de l'Afrique dans la
«troisième vague de
démocratisation» (S. Huntington), trois
thématiques ont été privilégiées par la
science politique, à savoir l'Etat, le développement politique et
récemment les transitions démo cratiques3.
C'est donc à la lumière des perspectives
d'analyse produites sur ces objets que les conflits africains ont
été expliqués. L'approche développementaliste, par
exemple, part du postulat que chaque système politique affronte dans son
processus de développement cinq (5) types de crises : crise de
légitimité, crise d'identité, crise de participation,
crise de pénétration et crise de distribution4. La
capacité du système politique à dépasser ces crises
dépend de la différentiation structurelle de ses institutions et
de la sécularisation de la culture politique des populations. Ces
théories qui considèrent les conflits politiques comme
l'antichambre de la modernité ont été critiquées
pour leurs connotations idéologiques, téléologiques et
universalistes5.
D'autres théories de moyenne portée ont
été développées pour dépasser ces
paradigmes. Selon Emmanuel Gasana et al6, deux approches se sont
longtemps affrontées dans l'explication des conflits en Afrique :
l'école essentialiste qui considère les
conflits comme résultant des clivages identitaires, et l'école
instrumentaliste qui, au contraire, s'appuie sur la
construction sociale des conflits par des acteurs intéressés.
1 Bertrand Badie, l'Etat importé :
l'occidentalisation de l'ordre politique, Paris, Fayard, 1992.
2 Ali Mazuri et A. Mazuri, «Interaction between the state
and the nation in Africa's experience: two decades of independence» in
Enoch Oyodele (ed), Africa : National Unity, Stability and
Development, Ibadan, Yakubu Gowon Centre, 1997, p.33
3 Mamoudou Gazibo, « L'Afrique en politique
comparée » in Revue Camerounaise de Science
Politique, vol 8, numéro spécial 2001, p. 5.
4 Lucian Pye, Crises and sequences ofpolitical
development, Princeton, Princeton University Press, 1991.
5 On peut citer les critiques de Claude Ake
(Social science as imperialism: the theory ofpolitical
development, Ibadan, Ibadan University Press, 1979) et de
Bertrand Badie (Le développement politique,
Paris, Economica, 1994).
6 Emmanuel Gasana et al, « Rwanda » in Adebayo
Adedeji (ed), Comprehending and mastering african
conflicts, Zaria, Ahmadu Bello University Press, 1999, p. 141.
2
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Le problème touareg au Niger et au Mali a fait l'objet
d'analyses aussi bien en Afrique qu'en Occident avant et après les
rébellions armées. Mais comme le soutient Modibo Keita, «
la question touarègue soulève des passions dès
qu'elle est abordée, aussi bien du côté des touaregs que
des non-Touaregs »1 Il est, en effet, difficile
de dissocier le discours savant de la littérature militante, tant de par
l'origine sociale des auteurs (Touaregs ou non-Touaregs) que de par les
positions idéologiques que certains « travaux »
prétendument scientifiques trahissent. C'est donc en relativisant le
principe de la neutralité axiologique cher à Max Weber qu'il
faudra aborder le « savoir savant » sur le problème touareg en
Afrique.
L'analyse critique de cette littérature scientifique
nous a permis de repérer plusieurs approches du problème. Dans le
cadre du présent travail, nous mentionnerons quatre (4) thèses
qui nous paraissent les plus intéressantes d'un point de vue s
cientifique2. Selon la première perspective, la
rébellion touarègue est la conséquence d'une politique
délibérée de marginalisation politique et
économique des touaregs inaugurée par la France pendant la
période coloniale et renforcée par l'Etat post
colonial3.
La deuxième thèse, au contraire,
considère la rébellion comme une manipulation des élites
touarègues soutenues par la France pour défendre le pacte
colonial menacé au début des années 1990 par l'irruption
sur la scène politique des forces politiques considérées
comme anti-françaises. Le problème touareg est donc, dans cette
grille analytique, le résultat d'une instrumentalisation des
identités culturelles au profit d'intérêts personnels et de
l'impérialisme français4. Cette position
épousée par les autorités nigériennes est mieux
exprimée par Ganda Ag Wuruwama5.
Une troisième perspective met l'accent sur les
politiques publiques de l'Etat post colonial sur la zone pastorale qui auraient
provoqué une crise du nomadisme ; la rébellion serait
l'expression brutale de cette fracture entre la rationalité d'un Etat
moderne à tendance jacobine et la logique d'une communauté nomade
qui ignore les frontières étatiques.6
Enfin, la quatrième approche postule que la
rébellion résulte d'une absence totale de vision
stratégique de l'Etat et d'une crise de gouvernance
généralisée. La marginalisation économique du nord
Niger n'est que le reflet de la nature néo coloniale de l'Etat post
colonial qui joue encore le rôle à lui assigné par le
système colonial.7 En d'autres termes, le conflit au Nord
1 Modibo Keita, « La résolution du conflit touareg
au Niger et au Mali », Note de recherche n°10, GRIPCI, Juillet 2002,
p. 5.
2 Il est important de préciser que ces thèses ne
sont pas forcément antagonistes. Certaines sont d'ailleurs
complémentaires.
3 Cette thèse est exposée par Mano Dayak dans
Touareg, la tragédie, Paris, J.C.
Lattès, 1992 (en collaboration avec Michael Stuhrenberg et Jérome
Strazzulla.). C'est aussi le cas de Hélène Claudot-Hawad,
«Bandits, rebelles et partisans : vision plurielle des
évènements touaregs, 1990-1992 » in Politique
Africaine n°46, 1992, pp. 143-149.
4 André Salifou, La question touarègue
au Niger, Paris, Karthala, 1993.
5 Ganda Ag Wuruwama, « La rébellion «
touarègue » : genèse et solutions » in SNECS,
Eléments de réponse au programme cadre de la «
Résistance Armée», juin 1994, p. 51.
6 André Bourgeot, Touarègues :
nomadisme, identité, résistance, Paris, Karthala,
1995 et « Le désert quadrillé : des touaregs au Niger »
in Politique africaine n°38, juin 1990. C'est
aussi la position de Mohamed Tiessa-Farma Maiga (Le Mali : de la
sécheresse à la rébellion nomade, chronique et analyse
d'un double phénomène du contre développement en Afrique
sahélienne, Paris, L'Harmattan, 1997).
7 Pr Djibo Hamani, « Les enjeux stratégiques
autour du Sahara à travers l'histoire », Communication à
l'Atelier sur le thème « Conflit au nord Niger : analyse des enjeux
stratégiques et impacts sur le cadre démocratique»
organisé par l'Association Nigérienne de Défense de Droits
de l'Homme (ANDDH) et Alternative Espaces Citoyens, Niamey, 11 août 2007.
Voir aussi Djibo Hamani (interview) in As-Salam,
n°93, août 2007, p. 6.
3
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
reflète l'incapacité des élites
politiques au Niger à rompre avec les déséquilibres
structurels introduits entre les régions par le système colonial
français.
Ces travaux sont d'une richesse indubitable. Les grilles
d'analyses sur lesquelles ils s'appuient sont d'une fécondité
heuristique incontestable. En effet, ils mettent en relief les variables
essentielles telles que les politiques de l'Etat, la question nationale, les
interventions extérieures, le rôle des facteurs écologiques
etc. Ils témoignent ainsi de la multiplicité des causes dans
l'origine du conflit qui relèvent des facteurs à la fois
subjectifs et objectifs. Ceci n'occulte pas des limites d'ordre
épistémologique. De l'ensemble des grilles d'analyse se
dégage un invariant épistémologique : le holisme.
Cette perspective scientifique, chère à Emile
Durkheim, insiste sur les déterminants sociaux qui gouvernent les agents
(un terme significativement préféré à celui
d'acteur) et explique les faits sociaux moins par les rationalités des
acteurs que par des variables objectives liés aux conditionnements
sociologiques. Ces travaux, pour la plupart réalisés par des
historiens et anthropologues, se sont focalisés sur les objets macro
sociaux comme les facteurs écologiques, économiques et culturels
sans donner une place suffisante à des variables d'ordre
stratégique ou institutionnelle. C'est pourquoi, dans le cadre de cette
étude, nous leur accordons "une valeur heuristique
plutôt qu'explicativei1 dans l'analyse de notre
objet.
En d'autres termes, elles nous serviront de point de
départ pour aborder notre problématique qui relève du
champ disciplinaire de la science politique. Outre ces considérations
épistémologiques, il importe de constater que beaucoup de ces
études se rapportent aux causes de la première rébellion
armée dans les années 1990, ou traitent de la
problématique de l'intégration des minorités
touarègues dans l'Etat. Mais depuis le retour de la paix au Niger
à la faveur des différents Accords de Paix signés entre le
Gouvernement du Niger et la Rébellion touarègue, le
problème du Nord Niger semble avoir perdu son intérêt
scientifique pour les chercheurs en sciences sociales.
En effet, comme objet d'étude, la question
touarègue n'a pas nourri de nouveaux travaux, notamment en ce qui
concerne la gestion post conflit. Comme le souligne avec regret Katrina S.
Rogers2, les travaux scientifiques en sciences sociales
s'intéressent plus au conflit qu'à la coopération.
Celle-ci est perçue comme un non événement et «
pour chaque page écrite sur la coopération, ily a 40
autres écrites sur la guerre »3. C'est
ainsi que les politiques publiques de gestion post conflit
élaborées et mises en oeuvre par l'Etat depuis 1995 en vue
d'appliquer les clauses des Accords de Paix et de consolider la paix au Nord
n'ont pas suscité le même engouement de la communauté
scientifique que pour l'analyse du conflit.
Ces politiques étaient formulées sur la base des
Accords de Paix, c'est-à-dire comme les outputs
résultant du traitement par le système politique
des inputs articulés par les rebelles
touaregs, pour employer le langage systémique. D'une part, on distingue
les politiques destinées à honorer des engagements souscrits par
le Gouvernement, à savoir la décentralisation, la gestion de la
sécurité dans le Nord, la réinsertion des ex-combattants
etc. D'autre part, il existe des politiques symboliques destinées
à consolider une culture de la paix, renforcer le sens de l'unité
nationale et de la démocratie. La cérémonie Flamme de la
Paix, la célébration du 24 avril, date de la signature
1 Raymond Boudon, cité par Phillipe Braud,
Sociologie politique, Paris, L.G.D.J., 2006, p.691.
2 K. S. Rogers, «Sowing the seeds of cooperation in
environmentally induced conflicts» in M. Suliman (ed),
Ecology, politics and violent conflicts, London, Zed
Books, 1999, p.259
3 ibid.
4
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
des Accords de Paix définitifs en 1995 comme fête
nationale, les politiques de socialisation à l'école en sont
quelques exemples.
Toutes ces politiques ont eu des impacts, des
outcomes non seulement sur le processus de paix lui-même
mais aussi sur le système politique dans son ensemble. De ce fait, il
apparaît évident qu'elles ont inauguré de vastes chantiers
de recherches pour des disciplines comme la science politique et la sociologie.
Elles offrent ainsi l'occasion de réhabiliter, sinon d'introduire la
question touarègue comme objet d'étude dans la science politique
en tant qu'enjeu de la politique nigérienne.
Jusqu'ici monopolisé par l'histoire et l'anthropologie,
le problème touareg reste largement inexploré dans certains de
ses aspects les plus essentiels liés à la gestion post-conflit.
C'est pour contribuer à enrichir la littérature savante que nous
nous proposons d'analyser la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs. Notre démarche se démarque ainsi des travaux
antérieurs en ce qu'elle aborde non pas la problématique du
conflit, mais l'étude d'une politique publique issue de celui-ci.
Beaucoup de mutations qualitatives ont été
induites par les politiques de gestion post conflit. La politique de
réinsertion des ex-combattants qui nous intéresse dans ce travail
semble montrer ses limites depuis quelques années. La naissance du MNJ
depuis février 20071, même si elle n'est pas au centre
de notre problématique, n'en constitue pas moins une justification
éloquente. Rien qu'en nous limitant à la qualité des
acteurs de la nouvelle rébellion, il apparaît que
désormais, aucune analyse du problème touareg ne saurait faire
l'économie de l'étude des politiques de gestion post conflit en
général et de la politique de réinsertion des
ex-combattants en particulier.
En outre, bien avant la résurgence de la
rébellion dans le Nord, de nombreux indices de crise alarmants
autorisaient tout chercheur à s'interroger sur les effets réels
de la réinsertion sur le processus de paix. Les phénomènes
de désertions, de révocations des combattants touaregs
intégrés au sein des corps militaires et para militaires,
l'insécurité sporadique dans le Nord, l'inflation des
revendications des ex-combattants, les conflits internes, souvent violents, au
sein des ex-Fronts pour ne citer que ceux-là, étaient autant de
contradictions issues de la gestion post-conflit dont l'analyse s'avère
incontournable pour appréhender la résurgence du conflit dans le
Nord.
Notre étude s'articule autour de la question de
recherche suivante : Quel est l'impact des institutions sur la
politique de réinsertion des ex-combattants Touaregs ? Le
traitement de cette question appelle à une rupture
épistémologique avec les cadres conceptuels et théoriques
jusqu'ici en vogue. Nous l'aborderons dans le cadre de l'analyse des politiques
publiques.
L'analyse des politiques publiques est « l'un
des secteurs les plus dynamiques de la science politique
»2 comme le soutient Philippe Braud. Pour Pierre
Muller, l'analyse des politiques publiques est « la science de
l'Etat en action »3. La littérature
savante regorge d'une multitude de définitions du concept de politique
publique.4 Le concept est défini par Jean Claude Thoenig
1 Le Mouvement des Nigériens pour la Justice (MNJ) est
le nom de la nouvelle rébellion touarègue qui a
débuté ses attaques en février 2007. Elle est
animée sur le terrain par d'anciens rebelles touaregs
intégrés dans les corps militaires et para militaires à la
suite des Accords de Paix.
2 Phillipe Braud, op cit, 597.
3 Pierre Muller, Les politiques
publiques, Paris, LGDJ, 2000, p. 543
4 J. C. Thoenig en recensait déjà une
quarantaine de définitions dans sa présentation du Tome IV du
Traité de Science Politique dirigé par
J. Léca et M. Grawitz, p. XII.
5
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
comme désignant « les interventions
d'une autorité investie de puissance publique et de
légitimité gouvernementale sur un domaine spécifique ou du
territoire »1.
Ces politiques se caractérisent par leur triple forme :
« elles véhiculent des contenus, se traduisent par des
prestations et génèrent des effets
»2. Il n'est pas aisé de dissocier
l'analyse des politiques publiques de l'analyse classique de la science
politique. En effet, étant « des ensembles
structurés, réputés cohérents d'intentions, de
décisions et de réalisations imputables à une
autorité publique, locale, nationale ou supranationale »,
les politiques publiques apparaissent comme les résultats
du jeu politique ; car la politique (politics)
implique nécessairement la production des politiques publiques
(public policies) qui s'expriment dans l'action ou
l'inaction de l'Etat.
Pour le politiste américain Harold Lasswell, l'essence
de la politique réside dans « qui obtient quoi, quand
et comment? »4. Dans une perspective similaire,
David Easton en définissant la politique comme «
l'allocation autoritaire des valeurs » place les
politiques publiques au centre de l'action politique. Ceci témoigne de
la forte filiation entre la politics et la
public policy5. Mais celle-ci n'occulte
pas cependant des divergences d'approches, et même d'objet d'étude
entre les deux perspectives.
La démarche de la science politique peut être
illustrée par les paradigmes pluralistes et élitistes. Comme le
constate Marc Smyrl, «pour les pluralistes, l'Etat est avant
tout une arène où s'affrontent des intérêts divers.
Les politiques publiques dans ce schéma ne sont que les enjeux de cette
compétition. Une fois trouvée la réponse à la
question fondamentale « qui gouverne », la question subsidiaire
«pourquoifaire » trouve d'elle-même sa réponse
»6. Cette appréhension des politiques
publiques est aussi perceptible dans la théorie élitiste qui
considère les politiques publiques comme « une
traduction fidèle des relations de pouvoir qui les produisent
»7. Paul Pierson conclut ainsi que les
politologues appréhendent les politiques publiques comme une variable
dépendante résultant des rapports de forces, mais jamais comme
une variable indépendante, c'est-à-dire un des
déterminants de ces rapports de forces8.
L'analyse des politiques publiques a constitué une
avancée significative dans l'analyse politique. Pour Pierre Muller,
« ce qui caractérise le mieux le renversement
opéré par l'analyse des politiques publiques est le fait qu'elle
entend saisir l'Etat à partir de son action, c'est-à-dire
à partir de ses outputs »9. Ce champ
d'étude a ainsi permis de « sociologiser notre regard
sur l'Etat » (P. Muller), en même temps qu'elle a
révélé que « lesfonctions de gouvernement
sont irréductibles aux processus de représentation politique et
que l'on ne peut pas «déduire» le contenu et les formes des
actions gouvernementales (en tant qu'activités spécifiques) des
caractéristiques de la «politique
électorale» »10.
1 J. C. Thoenig, «Politique publique» in Laurie
Boussaguet et al (dir), Dictionnaire des politiques
publiques, Paris, Presses de Science po, 328.
2 Ibid.
3 Phillipe Braud, op cit, p. 597.
4 Cité par Adesina Sambo, « What is public policy
? » in R. Anifowose and F. Enemuo (eds), Elements of
Politics, Lagos, Malthouse Press Limited, 1999, p. 299.
5 Ibid.
6 Marc Smyrl, « Politics et policy dans les approches
américaines des politiques publiques : effets institutionnels et
dynamiques de changements » in Revue Française de
Science Politique, vol 52, n°1, février 2002, p
39.
7 Ibid ;
8 Paul Pierson, « When effects become causes
», World Politics, 45 (4), 1993, p. 595
cité par Marc Smyrl, ibid.
9 Pierre Muller, « L'analyse cognitive des politiques
publiques : vers une sociologie de l'action» in Revue
Française de Science Politique, vol 50, n°2, p.
190.
10 Ibid.
6
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Par ailleurs, comme toute discipline, l'analyse des politiques
publiques est traversée par plusieurs théories explicatives.
Celles-ci peuvent se résumer en deux grandes tendances, à savoir
les approches étatiques et les
approches pluralistes1. Entre ces deux
extrêmes se positionnent des théories médianes, plus
récentes et plus éclectiques. C'est le cas du
néo-institutionnalisme. L'institutionnalisme historique qui en est une
variante constitue notre cadre théorique d'analyse dans la
présente étude.
Le néo-institutionnalisme s'est développé
comme perspective théorique en science politique au début des
années 80 en réaction aux courants behavioristes et
structuro-fonctionnalistes en vogue depuis les années 502.
Ceux-ci avaient eux-mêmes été construits comme
dépassement de l'ancien institutionnalisme, très critiqué
pour son approche idéaliste et formaliste des phénomènes
politiques. Le néo-institutionnalisme partage avec l'ancien
institutionnalisme l'utilisation des institutions comme variables explicatives
autonomes, mais s'en démarque non seulement par une définition
plus large de l'institution, mais aussi par son champ d'investigation allant
au-delà des seules institutions formelles.
Alors que l'ancien institutionnalisme se focalise sur la
démocratie et ses institutions, le néo-institutionnalisme
s'intéresse à des objets et thématiques comme
l'étude traditionnelle de l'Etat, la démocratisation, les luttes
pour le contrôle du pouvoir, le rôle des grandes entreprises, les
politiques publiques etc. En outre, contrairement à la définition
formelle de l'institution propre à l'ancienne tradition
institutionnelle, le néo-institutionnalisme offre une définition
qui couvre les institutions formelles, les normes sociales, les symboles et les
idées3. Si cette approche s'est développée dans
des domaines divers, c'est surtout en politique comparée et en
politiques publiques qu'elle s'est imposée.
Le néo-institutionnalisme s'inscrit dans un
débat scientifique autour des facteurs explicatifs des
différences de trajectoires des Etats occidentaux en matière de
politiques publiques. Dans les années 70 et 80, trois thèses
dominaient ce débat. La première s'articule autour des «
valeurs nationales» et établit un lien
entre les vues socio-économiques d'une population et les prestations
sociales de l'État. La seconde postule que la taille de l'Etat
Providence est fonction du niveau de développement économique
d'un État. La dernière, enfin, défend l'idée que
les politiques sociales sont tributaires de la capacité de mobilisation
des acteurs4. L'apport du néo-institutionnalisme a
été d'introduire la variable institutionnelle dans l'analyse.
Toutefois, en science politique, le
néo-institutionnalisme n'est pas une approche homogène, il
renvoie à trois écoles ou variantes : l'institutionnalisme
historique, l'institutionnalisme des choix rationnels et l'institutionnalisme
sociologique. Selon Peter A. Hall et Rosemary C.R Taylor5, il existe
deux questions fondamentales pour toute analyse qui se veut institutionnelle
:
- Comment se construit la relation entre institution et
comportement ?
1 Pierre Muller et Yves Surel, L'analyse des
politiques publiques, Paris, Montchrestien, 1998, pp 33-52.
2 Mamoudou Gazibo, « Le néo-institutionnalisme
dans l'analyse comparée des processus de démocratisation »,
Politique et Sociétés, vol 21,
n°3, 2002, p.139.
3 Ibid, 140.
4 Daniel Béland, «Néo-institutionnalisme et
institutions sociales : une perspective sociologique» in
Politique et Sociétés, vol 21,
n°3, 2002, pp. 24-25.
5 Peter A. Hall, Rosemary C.R. Taylor, « La science
politique et les trois institutionnalismes », Revue
Française de Science Politique, vol 47, n°3-4,
1997.
7
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
- Comment expliquer les processus par lesquelles les
institutions naissent ou se maintiennent ?
L'institutionnalisme historique est une réaction aux
analyses politiques en termes de groupes en politique1 et au
structuro-fonctionnalisme2. Contrairement à la
première perspective, l'institutionnalisme historique recherchait les
explications des situations politiques dans la distribution inégale des
pouvoirs et des ressources, dans l'organisation institutionnelle de l'Etat et
des structures économiques. En cela, et tout en élargissant la
notion d'institution, cette grille d'analyse fait justice à une ancienne
tradition en science politique qui met au centre de ses analyses les
institutions officielles.
Face à la deuxième perspective,
l'institutionnalisme historique considère l'organisation
institutionnelle ou l'économie politique comme facteur fondamental de
structuration des comportements collectifs, contrairement à la tendance
fonctionnaliste à privilégier des paramètres propres aux
individus comme régissant le fonctionnement du système
politique3. Aussi, l'institutionnalisme historique se distingue des
théories pluralistes ou néo-marxistes en accordant une attention
centrale à l'Etat. Celui-ci n'est plus conçu comme «
un agent neutre arbitrant les intérêts concurrents,
mais un complexe d'institutions capable de structurer la nature et les
résultats des conflits entre groupes
»4.
Les travaux de Theda Skocpol sur les révolutions
sociales ont été pionniers dans la redécouverte des
institutions et l'introduction de l'approche stato-centrée dans
l'analyse politique5. L'explication de la gestion post conflit sous
cet angle exige, par ailleurs, une opérationnalisation de la
théorie. C'est de cette démarche que procèdent nos
hypothèses de recherche qui sont inspirées de
l'institutionnalisme historique. Notre recherche a consisté, en effet,
à tester les trois hypothèses suivantes :
Hypothèse 1 : Les institutions
existantes, lors de l'émergence de la politique de réinsertion
des ex-combattants touaregs, exercent une influence structurante sur la
configuration de la politique elle-même et des institutions qui en ont
résulté.
Hypothèse 2 : Les institutions de
gestion post conflit influencent les comportements des acteurs à travers
une structuration de leurs choix et stratégies et la configuration
asymétrique des pouvoirs qu'elles imposent.
Hypothèse 3 : Les institutions de
gestion post conflit et la politique de réinsertion engagent la
dynamique de leur reproduction en raison des intérêts
matériels et symboliques qu'elles conf$rent aux
acteurs.
Ces hypothèses constituent en même temps nos axes
principaux de recherche. Elles tentent de répondre à trois
questionnements essentiels propres à toute problématique
d'analyse institutionnelle. Il s'agit de l'origine des institutions, du lien
entre institutions et comportements des individus et enfin du maintien des
institutions.
1 Arthur Bentley fut un des précurseurs de la
group theory of politics et de la
behavioural revolution avec son Process
of Government (New York, Alfred A. Knopf inc, 1908). Pour lui,
l'essence de la politique est à rechercher dans la dynamique des groupes
comme il l'exprimait en ces termes : « When the groups are
adequately stated, everything is stated. When i say everything, i mean
everything. The complete description will mean the complete science, in the
study of socialphenomena, as in any other field». L'analyse
en termes de groupes fut approfondie par David Truman dans the
Governmental process (Illinois, Evanston, 1951). Voir Alan
Isaak, Scope and methods ofpolitical science,
Homewood, The Dorsey Press, 1969, p. 208.
2 G. Almond et G. Powell, Comparative politics: a
developmental approach, Little, Brown & co, 1966.
3 Peter Hall et Rosemary Taylor, op cit, p 470.
4 Ibid, p 471.
5 Mamoudou Gazibo, Jane Jenson, La politique
comparée, Montréal, Presses de l'Université
de Montréal, 2004, p.201
8
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
La première hypothèse permet de saisir le poids
des institutions existantes, c'est-à-dire de la continuité
historique sur la nature des institutions nouvelles et de la politique de
réinsertion. Il s'agit précisément de répondre
à la question suivante : dans quelle mesure la politique de
réinsertion des combattants touaregs et les institutions de gestion du
conflit portent-elles l'empreinte des institutions existantes1 ? Les
institutions, soulignent les néo-institutionnalistes, émergent
dans un monde saturé d'institutions, lesquelles exercent une influence
sur la nature et la forme des nouvelles institutions. La valeur heuristique de
cette proposition permet d'appréhender les éléments de
continuité et de rupture tels qu'ils s'expriment dans les institutions
issues du conflit touareg.
La deuxième hypothèse se rapporte à
« une question cruciale pour toute analyse institutionnelle
»2, à savoir comment les institutions
affectent-elles les comportements des individus ? Le lien entre institution et
comportement des acteurs est analysé selon une double démarche.
Dans une perspective calculatrice, il s'agit d'abord de montrer comment
l'institution structure les choix et les actions des acteurs impliqués
dans la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs. Les
institutions, « tout en modelant la façon dont les
acteurs perçoivent ou comprennent leurs propres intérêts
»3, fournissent également à ceux-ci
des informations sur les comportements possibles des autres acteurs.
Ensuite, la structuration des comportements des acteurs est
analysée en termes de relations asymétriques de pouvoirs que
toute institution impose aux acteurs. La configuration institutionnelle, en ce
qu'elle distribue inégalement les ressources et les pouvoirs entre
acteurs, constitue une variable indépendante dans l'explication des
situations politiques. Cet aspect important de l'hypothèse offre la
possibilité d'examiner l'impact des inégalités issues du
cadre institutionnel de la gestion post conflit et également celui des
normes de répartition des ressources entre les ressortissants de la
politique.
La troisième hypothèse repose sur la
théorie de path dependence. Dans son essence,
cette notion part du postulat que « les institutions durent
parce qu'une fois créées, elles génèrent les
conditions de leur permanence en engageant la dynamique de leur reproduction
»4. L'analyse des processus de maintien et de
reproduction des institutions issues de la politique de réinsertion
permet de mesurer l'impact du policy legacy et du
rôle des effets d'auto renforcement.
La notion de path dependence met en
exergue la dynamique d'institutionnalisation des politiques publiques et leur
tendance à élever le coût politique de toute
velléité de rupture avec les choix politiques et institutionnels
antérieurs. En clair, cette hypothèse permet de décrire le
processus par lequel les institutions de gestion post conflit se transforment
en « contrainte institutionnelle» et les
effets induits par celle-ci sur le système politique.
Par ailleurs, comme préalable à toute recherche,
il est indiqué de clarifier certains concepts de base utilisé
tout au long du travail afin d'en préciser la signification, et par
delà, faciliter la compréhension du document. Les concepts de
réinsertion, d'institutions
et de gestion post conflit sont ainsi
à comprendre dans les sens ci-après.
1 Ce type d'explication remonte à Alexis de Tocqueville
dans son l'Ancien Régime et la Révolution
où il montre que la rupture prétendument
provoquée par la Révolution n'en était pas une
véritablement. On retrouvait dans les nouvelles institutions de nombreux
éléments qui témoignent de l'héritage de la
Monarchie.
2 Peter Hall et Rosemary Taylor, op cit, p. 472.
3 Sven Steinmo, « Néo-institutionnalismes » in
Laurie Boussaguet et al, op cit, p. 293.
4 Mamoudou Gazibo et Jane Jenson, op cit, p. 209.
9
La problématique de la gestion post conflit
au Niger :: analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
La réinsertion désigne
le processus par lequel les ex-combattants touaregs démobilisés
après les Accords de Paix ont été
réintégrés à la vie civile normale. De par sa
nature, la réinsertion est une politique
rédistributive1,
c'est-à-dire une politique qui accorde des avantages à une frange
de la population jugée lésée. Cette politique a
revêtu trois modalités.
Il s'agit d'abord de l'intégration
qui a consisté à recruter les ex-combattants dans
différents corps de l'Etat (FDS, Fonction Publique, Université
etc.) selon leurs compétences. Ensuite, la
réintégration par laquelle les
ex-combattants ont été replacés dans leurs corps
d'origine, notamment les étudiants ou élèves et les agents
de l'Etat ayant quitté respectivement leurs institutions de formation et
leurs postes. La troisième modalité est la
réinsertion socio-économique qui a
concerné la majorité des ex-combattants dont le niveau
d'instruction ne permettait pas de bénéficier d'une
intégration. Elle s'est appuyée sur des projets communautaires
dans lesquels les ex-combattants ont bénéficié des
subventions et des appuis techniques afin de mener des activités
génératrices de revenus (coopératives, élevage
etc.).
La notion d'institution est
fondamentale dans toute analyse néo-institutionnaliste. André
Lecours distingue deux définitions2. Une définition
matérialiste des institutions qui renvoie aux
organes formels de l'État (parlements, tribunaux etc.), aux
constitutions et autres arrangements juridiques (systèmes de partis,
division territoriale etc.). C'est cette définition qu'adoptent les
institutionnalistes historiques. Une définition normative
qui analyse les institutions en termes de normes pouvant prendre
la forme de paramètres culturels et cognitifs, de règles et
procédures.
La notion d'institution désigne dans ce travail trois
catégories de phénomènes. Elle désigne d'abord,
dans le sillage de la posture matérialiste, les institutions formelles
telles que le Gouvernement, la Présidence de la République, le
HCRP ainsi que les normes formelles qui régissent leur fonctionnement.
Dans une deuxième acceptation, les institutions se rapportent aux
politiques publiques de gestion post conflit elles-mêmes, notamment la
politique de réinsertion des ex-combattants qui forme avec le cadre
institutionnel de sa mise en oeuvre (le HCRP), un ensemble d'institutions. La
discrimination positive sur laquelle s'est basée la gestion post conflit
est donc à considérer comme une institution. Enfin, les
institutions désignent, dans une perspective normative, les normes
informelles, les mécanismes et procédures officieuses de
décisions inhérentes au cadre institutionnel de la politique.
La notion de gestion post conflit
est proche du concept de peace
building3 qui se rapporte aux actions visant à
reconstruire une société sortant d'un conflit armé. Cette
démarche va au delà des approches classiques car elle
intègre les causes structurelles des conflits, notamment politico
institutionnelles, socioculturelles, économiques et
environnementales4. La gestion post conflit au Niger a donné
lieu à trois types de réponses de la part de l'Etat : une
réponse politique avec la décentralisation accompagnée
d'un investissement symbolique et idéologique, une réponse
1 Theodore Lowi distingue quatre types de politiques publiques
selon leur nature : les politiques distributives,
rédistributives,
régulatrices et
constitutives. Voir Johnson O. Olaniyi,
Foundations of public policy analysis, Ibadan, Sunad Publishers
Limited, 2001, p.21.
2 André Lecours, « L'approche
néo-institutionnaliste en science politique: unité ou
diversité ? » in Politique et
Sociétés, vol 21, n°3, 2002, p. 11.
3 Dans son An agenda forpeace,
(Report of the Secretary General, 17 juin 1992), Boutros Boutros Ghali a
défini quatre types d'interventions de l'ONU en matière de
règlement de conflits : le peace enforcement, le peace keeping, le peace
making et le peace building.
4 Necla Tshirgi, Peace building as the link
between security and development:: is the window of opportunity
closing?, New York, International Peace Academy Studies in
Security and Development, 2003.
10
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
économique avec des politiques volontaristes de
réduction des disparités régionales et une réponse
sociale consacrée par la réinsertion des ex-combattants
démobilisés.
En termes de méthodologie, notre recherche a
été réalisée à partir de trois techniques,
à savoir l'analyse documentaire, les entretiens et, dans une certaine
mesure, l'observation participante. Outre les publications scientifiques
(ouvrages, articles etc.), nous avons travaillé avec la documentation
administrative. L'essentiel de celle-ci a été analysé au
Haut Commissariat à la Restauration de la Paix (HCRP), institution qui
produit et centralise toutes les données sur le processus de paix. Une
partie de la documentation a été obtenue aux Archives Nationales
du Niger et au Service de la Documentation du Cabinet du Premier
Ministre.
Les entretiens ont été réalisés
sur la base d'un guide d'entretien selon la qualité de
l'enquêté et les axes de recherches. Ils ont concernés
trois catégories d'acteurs : les ex-combattants, les acteurs
étatiques (surtout les cadres du HCRP) et les personnes ressources
(chercheurs, leaders d'opinion, acteurs de la société civile
etc.) qui ont joué un rôle quelconque dans le processus de paix
avec l'ex-Rébellion. Notre recherche a été
facilitée principalement par trois facteurs.
Le premier est lié à notre qualité
d'agent du HCRP où nous travaillons en tant d'Appelé du Service
Civique National depuis le 21 février 2006. A ce titre, nous avons
bénéficié d'un accès direct aux archives de
l'institution et à toute la documentation sur la gestion post conflit.
Nous avons également participé aux activités du HCRP dans
plusieurs cadres (réunions de travail, Ateliers etc.) et ainsi
noué des liens empreints de confiance avec beaucoup d'acteurs
impliqués dans le processus de paix. C'est en ceci que nous parlons
d'observation participante. Il faut dire qu'en dehors de sa vocation
scientifique, notre recherche est aussi le témoignage d'une
expérience de travail dans une administration publique
nigérienne.
Aussi, nous avons déjà soutenu un mémoire
de maîtrise en science politique sur le conflit touareg en
20051. Nous avons, tout en capitalisant cette expérience,
cherché à aborder la question touarègue avec une nouvelle
problématique. Enfin, au cours de nos recherches, et compte tenu de
l'actualité de notre thème, nous avons été
sollicité à deux reprises par des acteurs de la
société civile pour présenter des communications sur la
gestion post conflit au Niger2. Les échanges issus de ces
débats nous ont été d'un concours très
précieux.
Toutefois, il faut reconnaître que ce travail souffre de
certaines limites. La première résultait de l'inexistence d'un
service de documentation au HCRP. En deux ans de prospection documentaire, les
données que nous avons pu reconstituer n'ont pas été
à la hauteur de nos ambitions. Il faut également noter la
difficulté à rencontrer certaines personnalités ayant
joué un rôle important dans le processus de paix en raison de
leurs fonctions. C'est le cas des anciens Haut Commissaires à la
Restauration de la Paix, comme le Général Seyni Garba et le
Colonel Hamidou Maigari, occupant respectivement les fonctions de Chef
d'État-major Adjoint des FAN et de Commandant de la Garde
Présidentielle.
1 Saidou AbdoulKarim, Poverty, economic
marginaliDation and political conflicts in contemporary Africa: A case study of
the Tuareg rebellion in Niger Republic (1990-1995), Bachelor of
Science (Bs c) in Political Science, Ahmadu Bello University, Zaria, Nigeria,
2005.
2 Nous avons présenté à cet effet deux
communications : «Conflit armé dans le Nord : analyse des causes
internes et ingérences extérieures » à la
Journée de Réflexion de l'ANDDH et Alternative Espaces Citoyens
le 11 août 2007 et «Conflit au Nord Niger: esquisse d'explication
à partir de la gestion post conflit » le 5 mai 2008 à
l'Atelier du RODADDHD sur la Stratégie Nationale de Prévention
des Conflits et les Mécanismes de Prévention des Conflits au
Niger.
11
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Un autre facteur limitant était lié au contexte
de suspicion et de psychose né depuis 2007 de l'avènement de la
rébellion du MNJ que le Gouvernement nigérien associait à
un groupe de bandits armés. Les mesures de répression contre
toute velléité de connexion avec le MNJ1 et la passion
qui alimentait cette question ont été autant de facteurs
handicapants.
Le chercheur que nous sommes a été souvent vu
comme un espion au service du Gouvernement de la part de certains
ex-combattants. Certains qu'entre eux qui ont accepté l'entretien ont
refusé d'aborder certaines questions délicates pour leur propre
sécurité, tandis que d'autres ont carrément refusé
la discussion. Et dans certains cas, notre expérience sur cette question
nous a souvent indiqué que les réponses fournies étaient
biaisées par l'actualité et la subjectivité.
Aussi, pour notre propre sécurité, nous avons
circonscrit le champ spatial de recherche à Niamey, le Nord étant
sous un régime militaire appelé « état de mise en
garde ». Bref, l'enquête aurait pu être elle-même
biaisée si elle n'avait pas débuté bien avant
l'avènement du MNJ. Beaucoup de nos entretiens ont en effet
été réalisés entre 2005 et 2006.
Une précision importante est à faire en ce qui
concerne le lien entre les données collectées et le thème
du mémoire : l'ensemble des conclusions issues de cette recherche est
extrapolable aux ex-combattants toubous, arabes et peulhs qui ont
été réinsérés à la vie civile avec
les ex-rebelles touaregs. Bien que chaque catégorie d'acteurs se soit
distinguée dans le processus en termes de comportement politique et que
l'impact dans les communautés soit variable, il est clairement ressorti
que la politique de réinsertion a induit dans ces groupes des logiques
politiques largement similaires. C'est pourquoi, bien que l'étude se
focalise sur le cas des ex-combattants touaregs, certaines analyses sont
illustrées par l'expérience des ex-combattants toubous, peulhs ou
arabes.
De manière générale, cette étude a
permis d'aborder la problématique de la gestion post conflit au Niger
sous deux grands axes. Il s'est agit d'abord, après un détour par
l'histoire, d'analyser l'impact des institutions sur le processus
d'émergence de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs. Cette démarche montre que, nonobstant des
éléments de rupture, la politique de réinsertion des
ex-combattants et les institutions de sa mise en oeuvre ont été
largement modelées par les institutions antérieures
(Première Partie).
Les institutions issues de ce processus de gestion post
conflit se sont, à leur tour, transformées en variables
indépendantes à travers un mécanisme de
rétroaction. L'analyse montre qu'elles ont contribué à la
structuration des comportements des acteurs en canalisant leurs choix et
stratégies, mais aussi engagé une dynamique d'autonomisation et
de path dependence. Si ce policy lock in
a engendré des dynamiques de stabilisation du
système politique, il n'en demeure pas moins qu'il a en même temps
impulsé un processus de déstabilisation de l'État de droit
au Niger (Deuxième Partie).
1 Un de nos collègues, Mohamed Aghali, agent des FNIS,
chauffeur et garde du corps du Haut Commissaire, est d'ailleurs détenu
à la Gendarmerie depuis le 28 mai 2008 suite à des écoutes
téléphoniques. Il est soupçonné comme Moussa Kaka,
le correspondant de RFI au Niger, de complicité avec le MNJ.
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
12
PREMIERE PARTIE
LA CRISE DE CONSTRUCTION NATIONALE :
SITE D'EMERGENCE DES POLITIQUES PUBLIQUES
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La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Pour aborder la problématique de la gestion
post-conflit, on ne saurait faire l'économie d'un détour par
l'histoire dont les données demeurent indispensables à l'analyse
politique. Les développements historiques du Niger pré colonial,
colonial et postcolonial permettent de cerner les contours du problème
touareg devenu désormais récurrent. Cette excursion historique
s'appuie sur l'origine du problème touareg en montrant son processus de
construction et de gestion, aussi bien dans la période coloniale que
dans la période post coloniale. Comme beaucoup de conflits ailleurs en
Afrique et dans le monde, le conflit touareg a résulté d'une
crise de construction nationale. La réinsertion des ex-combattants et
les autres politiques de gestion post conflit sont issues de ce conflit
armé. C'est à partir de ces développements que
l'émergence de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs est appréhendée. Cette première partie se base
sur la construction du problème touareg au Niger (Chap. 1) et permet
d'apprécier la continuité historique dans l'émergence des
politiques publiques de gestion post conflit (Chap. 2).
14
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
CHAPITRE I : LA CONSTRUCTION DU PROBLEME TOUAREG
Pour saisir le processus de construction du conflit touareg,
deux moments historiques sont à considérer. D'une part, le
problème touareg résulte d'un processus de domination coloniale
qui a consacré une rupture fondamentale avec les dynamiques
d'intégration propulsées dans l'espace nigérien
précolonial (section 1). D'autre part, à travers l'analyse des
politiques d'intégration nationale de l'État post colonial, le
rôle des variables politiques et géostratégiques est mis en
exergue (section 2).
Section 1 : L'origine coloniale du problème
touareg
Le problème touareg est issu du phénomène
colonial. Les données historiques sur les entités politiques
pré coloniales de l'espace nigérien et la nature de leurs
rapports plaident pour cette approche (paragraphe 1). La politisation de
l'ethnicité est ainsi apparue comme une politique pensée et
délibérée du pouvoir colonial (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : La configuration politique
précoloniale
L'étude de l'espace politique précolonial
révèle l'existence d'une diversité de formes
d'organisation so ciopolitique (A) et une primauté des rapports de
coopération sur la propension au conflit entre les différentes
communautés existantes (B).
A. Une diversité de configurations et
trajectoires politiques
Les sociétés politiques installées entre
le fleuve Niger et le lac Tchad étaient organisées politiquement
selon le rythme de leurs dynamiques internes. Il existait des
sociétés à Etat fortement centralisées et des
sociétés dites acéphales, sans Etat central, mais
disposant tout de même de systèmes politiques complexes
adaptés à leur culture1. Cependant, de manière
générale, les sociétés du Soudan central exhibaient
des formes d'organisation plus avancées que celles existant dans la zone
savano-forestière. L'espace nigérien a été
marqué par l'emprise des grands empires ayant prospéré
dans l'espace soudano-sahélien depuis le XIIe siècle.
C'est ainsi que l'Empire du Kanem Bornou fondé au XIIe
siècle avait étendu son influence sur les espaces
géographiques du Niger actuel. A sa disparition en 1900, ce grand empire
s'était retrouvé morcelé entre quatre Etats postcoloniaux
à savoir le Niger, le Nigeria, le Tchad et le Cameroun qui se partagent
le Lac Tchad. Le Kanem Bornou était organisé en
principautés et royaumes sur un modèle théocratique
d'inspiration islamique. Dans sa partie occidentale, l'espace nigérien
connu l'influence de l'Empire du Mali surtout pendant son apogée entre
le XIIe et le XIVe siècles.
D'ailleurs, les Etats haoussas entretenaient d'excellentes
relations avec le Mali dans les domaines culturels et politiques. Des empereurs
maliens comme Kankan Moussa ont exercé une influence forte sur l'espace
nigérien, tout comme d'ailleurs les empereurs Sonraï tel que Askia
Mohamed et Soni Ali Ber. Du VIIe au XIXe siècle, les populations
haoussas du Niger et du
1 Sanoussi Tambari Jackou, Affaires
Constitutionnelles et Organisation des Pouvoirs au Niger, vol 1,
Niamey, Démocratie 2000, 2000, pp. 1-21.
15
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Nigeria avaient développé des Etats
indépendants (Kano, Rano, Gobir ...). L'Empire haoussa du Kebbi par
exemple avait bâti sa base territoriale jusque dans la zone
sahélo-saharienne du Niger actuel (Filingué, Kourfey, Ader
...).
A la fin du XVIIIe siècle, le Sultanat d'Agadez dans le
nord du Niger actuel, créé par des confédérations
touarègues au XVè siècle, avait atteint un niveau
d'organisation politique et de prestige très avancé.
D'inspiration islamique, le Sultanat couvrait les régions de l'Azawak,
de l'Ader et du Damergou. Pour Maikorema Zakari, « l'une des
raisons qui présidèrent à sa fondation était
précisément le souci de mieux organiser les forces du pays en vue
de faire face aux agressions externes en provenance justement du Bornou puis du
Songhay qui voulaient chacun l'inclure dans sa Ione d'influence à cause
précisément de la position de carrefour commercial de l'Aïr
»1.
Un autre Sultanat d'obédience islamique fut l'Etat de
Damagaram dans le Zinder actuel créé par des populations
originaires du Bornou. Il apparaît que malgré leur
diversité de trajectoire, certains des Etats pré-coloniaux ayant
occupé l'espace nigérien étaient fortement inspirés
de l'Islam, sans être des Etats purement théocratiques. C'est au
XIXè siècle qu'un empire véritablement islamique va
naître dans la zone sahélienne : le Sultanat de Sokoto dans
l'actuel Nigeria. Sous la direction du marabout peulh Ousmane Dan Fodio, le
Sultanat de Sokoto va conquérir nombre d'Etats haoussas du nord Nigeria
et étendre son influence jusque dans les régions du Niger central
actuel. L'idéologie islamique de Ousmane Dan Fodio allait mobiliser
beaucoup de groupes ethniques islamisés comme les Touaregs de l'Azawak
et les Haoussas.
Ainsi, bien avant la pénétration coloniale, les
sociétés occupant l'espace nigérien avaient produit
à partir de leurs dynamiques endogènes des Etats plus ou moins
centralisés, connaissant parfois des différentiations
structurelles poussées. Le plus significatif en terme de construction
politique est l'existence d'une logique idéologique qui transcendait les
particularismes ethniques. L'idéologie islamique avait servi de base
à l'éclosion d'une conscience politique prenant le dessus sur les
allégeances primordiales.
Toutefois, les communautés ethnolinguistiques se
distinguaient de par leur organisation so ciopolitique. L'organisation so
ciopolitique du monde touareg se caractérise par l'existence d'une
stratification sociale faite de « castes cloisonnées
». Quatre catégories socioprofessionnelles se
retrouvent généralement dans les sociétés
touarègues : les Imajeren, les
Imrad, les Inaden et les
Iklan2.
Les Imajeren représentent le
groupe aristocratique guerrier dont l'occupation essentielle est la guerre.
Cette catégorie se singularise aussi par son aversion pour le travail
physique qui est censé relever des couches inférieures. A
côté de ces nobles, il existe d'autres tribus libres
appelées Ineslemen qui s'occupent des affaires
religieuses, de justice et d'instruction politique.
Ces confréries religieuses n'existent pas dans toutes
les sociétés touarègues. Les Imrad
sont des groupes non aristocratiques soumis aux
Imajeren, et à qui ils paient des tributs. En
tant que tribus pastorales, les Imrad s'occupent de
l'élevage des troupeaux appartenant aux
Imajeren, et bénéficient en retour de
la protection de ces derniers. Les Inadens ou
artisans constituent un autre groupe socioprofessionnel inférieur. De
par leur vocation pour le travail manuel, ils sont méprisés par
les nobles même si leurs connaissances techniques suscitent l'admiration.
Ils sont également craints dans le milieu touareg à cause des
pouvoirs surnaturels que la société leur prête.
1 Maikorema Zakari, « Un travestissement de l'histoire pour
les besoins de la cause » in SNECS, op cit, p. 10
2 André Salifou, La question touarègue
au Niger, op cit, pp. 11-21
16
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Selon Jan Krzystof Makulski, «les Inadens
produisent tout ce dont les touaregs ont besoin et notamment armes, ustensiles
de bois d'usage quotidien, parties en bois de tentes, selles, harnais,
ustensiles de terres glaise, bijouterie et ornements
»1. Ils exercent également les
métiers de coiffeurs, médecins et pharmaciens ainsi que le
rôle d'espion, de diplomate et de griot.
Les Iklans sont des Noirs
réduits à l'esclave domestique capturés dans les
populations sédentaires du Sud. Ils sont la frange la plus importante
numériquement dans la société touarègue et sont
subdivisés en deux (2) catégories : les Iklans
N'Taoussit, esclaves de case utilisés dans les travaux
domestiques et les Iklans N'Egguet, esclaves de dune
utilisés dans les travaux pastoraux. Les Iklans
sont affectés aux taches les plus hostiles et
appartiennent totalement à leurs maîtres.
Les Touaregs étaient estimés en 1988 à
557 054 habitants sur une population de 7 220 340 habitants, soit 7,6% de la
population totale, contre 53% pour les Haoussas et 21% pour les
Djermas2. Ces statistiques ont été contestées
par la rébellion touarègue qui estime que « les
Touaregs constituent en nombre le 2è peuple du Niger, s'il n'est pas le
premier »3. Leur peuplement s'étend «
de la région de Téra à l'ouest à celle
de Diffa à l'extrême est du pays, et du Sahara au nord, aux
régions jouxtant le Nigeria au sud
»5.
Un élément important dans les
sociétés touarègues est la place réservée
aux femmes. Celles-ci se spécialisent dans la production intellectuelle,
dans les Arts et les Lettres. En terme de spécificité
identitaire, les Touaregs fondent leur identité sur une
communauté linguistique. Le Touareg, c'est avant tout celui qui parle le
Tamasheq. En outre, les Touaregs sont les seuls
peuples dans la zone subsaharienne à disposer d'une écriture, le
Tifinar.
Ce peuple « guerrier »,
« dominateur», «jaloux de
son indépendance», «
insaisissable» a pourtant entretenu des rapports
suffisamment stables et pacifiques avec les autres communautés du Sud de
l'espace précolonial devenu le Niger.
B. La primauté de la coopération sur le
conflit
Avant la pénétration coloniale, les rapports
entre les différentes communautés ethnolinguistiques occupant
l'espace nigérien étaient dominés par la
complémentarité économique et des brassages culturels. Le
Nord, domaine pastoral par excellence, habité par des peuples nomades
dont les Touaregs, était en parfaite harmonie avec le Sud
sédentaire et agricole. Avant la colonisation, il n'existait pas de
délimitation des zones pastorales et sédentaires. A travers le
prestigieux commerce transsaharien, les Touaregs du Nord fournissaient aux
sédentaires du Sud des produits dont le sel, les dattes et le natron
qu'ils échangeaient contre les céréales.
1 Jan Krzystof Makulski, « Evolution du modèle de
la personnalité des Touaregs Kel-Ahaggar », Africana
Bulletin, n°15, Warszawa, 1971.
2 Les autres groupes ethniques sont les Peulhs (10%), les
Kanouris (4,4%), les Arabes, Toubous et Gourmantchés (1,6%) selon les
données du recensement général de 1988.
3 CRA, Programme Cadre de la
Résistance, p.8.
4 André Salifou, op cit, p. 107.
5 Les données historiques dans cette partie sont en
partie puisées de deux conférences publiques du Pr Djibo Hamani,
à savoir celle du 2 août 2007 à l'Atelier du Partenariat
Stratégique pour la Paix en Afrique (PASPA) sur le thème «
le rôle de l'histoire dans la recherche de la paix» et celle 11
août 2007 à la Journée de Réflexion de l'ANDDH et
Alternative Espace Citoyen sur le thème «les enjeux
stratégique du Sahara à travers l'histoire ».
17
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Le commerce transsaharien fut un modèle
d'intégration économique très avancé qui n'avait
rien à envier aux modèles existant ailleurs à cette
période. Le Pr Djibo Hamani, spécialiste de l'Aïr, compare
Agadez, le plus grand carrefour commercial du nord Niger, à Lagos et
Cotonou actuels réunis. On dénombrait plus de 100 000 têtes
de chameaux dans le Sahara en 1913. Les principaux partenaires
économiques des commerçants sahariens étaient des pays
comme la Libye, le Ghana, le Nigeria où les produits du Sahara
étaient de très loin, plus compétitifs que ceux
d'Europe.
La complémentarité économique entre le
Nord et le Sud imposait, par pragmatisme, une coexistence pacifique entre les
Touaregs et les populations sédentaires (Haoussa, Djerma, etc.).
L'histoire de la plupart des groupes ethniques existant dans le Niger actuel a
un lien avec la région de l'Aïr. Les populations haoussa, djerma,
toubou, par exemple, y ont vécu avant et après les Touaregs. Les
traces linguistiques et topographiques sont d'ailleurs actuellement
présentes pour confirmer cette réalité. Depuis des
siècles, l'Aïr a servi de carrefour entre les Etats Sonrhaï,
Haoussa et les pays de la méditerranée et du
Moyen-Orient1.
Les conflits intérieurs au monde touareg étaient
plus fréquents que ceux qui les opposaient aux populations non Touaregs.
Ceci était identique pour les autres groupes ethniques. L'essentiel des
conflits qui ont déchiré l'espace nigérien
n'étaient pas de nature ethnique, mais étaient liés
à l'occupation des zones de pâturages ou de culture et du
contrôle des routes commerciales. Le Pr Djibo Hamani soutient en effet
que « ce fut la pression démographique et la
compétition pour le contrôle des pâturages et des hommes qui
changèrent les conditions de coexistence pacifiques dans le pays
»2.
Les actions de razzias des Touaregs se limitaient à des
zones et régions marginales sur lesquelles les pouvoirs des
sédentaires étaient lâches. Selon Maikorema Zakari, «
les rapports entre les différents peuples de l'espace
nigérien n'ontpas été que conflictuels. Au cours d'une
cohabitation multiséculaire, ces peuples eurent l'occasion de se
connaître, de se brasser, de procéder à des échanges
commerciaux d'autant plus indispensables qu'il s'agissait de Iones aux
économies complémentaires : le pastoralisme domine au Nord et le
travail de la terre au Sud »3.
Aussi, tous les Etats non Touaregs de l'espace nigérien
ont compté parmi leurs sujets des populations Touaregs (Katsina, Gobir,
Damagaram, etc.) et tous les Etats touaregs (Aïr, Azawagh au XIXe
siècle, etc.) ont eu des sujets appartenant à d'autres
ethnies4. D'ailleurs, la plupart des Touaregs Kel Aïr, Kel
Geres du Damergu, de l'imannan, de Taghazar sont issus d'un métissage
avec les Djermas, les Sonraïs, les Haoussas et les Dagras5.
Les Touaregs passaient plus de temps dans le Sud
sédentaire que dans le Nord pastoral. Le métissage socioculturel
qui en a résulté explique pourquoi il est difficile aujourd'hui
de trouver un nigérien qui n'ait pas de lien consanguin avec les
Touaregs de par la généalogie de sa famille. Pour le Pr Kimba
Idrissa, «c'est la situation géographique du nord, Ione
de transit, carrefour entre la méditerranée au nord et le golfe
de Guinée, point de passage des principales routes commerciales
transsahariennes se
1 Interview du Pr Djibo Hamani, Sahel
Dimanche, n°1245 du 20 juillet 2007, p. 11
2 Djibo Hamani, «Une gigantesque falsification de l'histoire
» in SNECS, op cit, p. 30.
3 Op cit, p. 13.
4 République du Niger, Document de Base du
Gouvernement du Niger devant servir aux négociations avec la
rébellion, avril 1994, p. 9.
5 Ibid.
18
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
prolongeant jusqu'en pleine zone
forestière, qui fait de l'espace nigérien un
«melting-pot» ou se rencontrèrent et
parfoisfusionnèrent ethnies, cultures, économies du soudan et de
l'Afrique du nord »1.
L'ethnicité à cette époque n'était
pas une source de conflictualité car les groupes ethniques, en plus des
brassages culturels, étaient solidement unis par des liens
économiques ou politiques. En effet, «Quand les
caravanes ne venaient plus du Nord pour alimenter le commerce urbain ou
apporter du sel, et que les grains ne remontaient plus au Sud pour nourrir les
populations, le retour à la paix s'imposait
»2. L'expérience pré coloniale a
ainsi montré que l'ethnicité n'était pas une source
majeure de conflit, elle était plutôt «
étouffée» et «
contenue ». En Afrique, les «
conflits prétendument ethniques étaient en
réalité des conflits sociaux» comme le
soutient le Pr Ki-Zerbo3.
Le Niger pré colonial a même montré des
cas d'assimilation culturelle avec, par exemple, la région de Damagaram
où des populations Kanouris furent pacifiquement assimilées par
les Haoussas. Beaucoup de mécanismes ont été
mobilisés pour pacifier et harmoniser les relations intercommunautaires.
C'est le cas de la parenté à plaisanterie qui relie toutes les
communautés linguistiques du Niger : Peulh/Djerma, Peulh/Arawa,
Djerma/Gobirawa, Touareg/Djerma etc. Cette institution est le témoignage
éloquent de l'ancienneté des relations interethniques qui
contribuent à renforcer la solidarité et
l'interpénétration des cultures4.
Le cas de l'espace nigérien pré colonial infirme
une fois de plus la thèse propagée par l'idéologie
coloniale qui procède de ce que le Pr Basile Guissou appelle «
une vision européocentriste des institutions politiques
africaines précoloniales »5.
L'idéologie coloniale a, en effet, toujours dépeint une Afrique
déchirée par les conflits ethniques. Pour le Pr Ki-Zerbo, «
ily a toujours eu une expérience historique largement
répandue et transcendant les ethnies qui, au fil du temps, a
sculpté la conscience culturelle des uns et des autres. La conscience
culturelle des peuples n'est pas une médaille frappée une fois
pour toute avec arêtes bien circonscrites, mais plutôt un champ de
forces »6. Aucune ethnie n'a pu construire sa
personnalité culturelle encore moins sa personnalité biologique
en vase clos.
S'agissant précisément des Touaregs,
Hélène Claudot écrit que « l'idée
d'une vaste communauté économique africaine entre parfaitement
dans la vision du monde touarègue. Cette compréhension des
nécessités politiques et économiques nécessairement
supra-étatique est profondément ancrée en pays nomade,
notamment chez les anciens noyaux dirigeants écartés du pouvoir
par les autorités coloniales au profit d'éléments plus
dociles, et dont les perspectives se dessinent toujours à
l'échelle des relations inter confédérales et
intercommunautaires plutôt que tribales et locales
»7.
En définitive, cette description des relations entre
Touaregs et non Touaregs dans le Niger pré colonial ne permet pas de
comprendre l'éruption des rebellions touarègues. Celles-ci ont
leurs véritables sources dans le phénomène colonial.
1 Kimba Idrissa, « La dynamique de la gouvernance :
administration, politique et ethnicité » in Kimba Idrissa (dir),
Le Niger: Etat et Démocratie, Paris,
L'Harmattan, 2001, p. 53.
2 Djibo Hamani, Sahel Dimanche, op
cit.
3Joseph Ki-Zerbo, A quand
l'Afrique, Paris, Editions de l'Aube, 2003, p. 61
4 Kimba Idrissa, op cit, p. 57.
5 Basile Guissou, «La chefferie traditionnelle est politique
», http://www.petiteacademie.gov.bf/ cahier/article6.htm
(Consulté le 3 septembre 2008), p. 10.
6 Joseph Ki-Zerbo, Repères pour
l'Afrique, Dakar, Panafrika, 2007, p. 65
7 Hélène Claudot-Hawad « Bandits, rebelles et
partisans... », op cit, p. 148
19
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Paragraphe 2 : La politisation de l'ethnicité
La pénétration coloniale a brutalement
bouleversé l'ordre politique pré colonial bâti sur des
rapports de coopération. Le problème touareg va naître de
l'invention par le système colonial d'un clivage Est-Ouest (A) et de la
politique touarègue ambivalente du pouvoir colonial (B).
A. L'invention coloniale du clivage Est-Ouest
La pénétration coloniale française au
19e siècle a considérablement rompu les liens de
coopération et de solidarité entre les différentes
communautés de l'espace précolonial. La conquête
française fut déclenchée en 1890 à partir de
Bamako, dans le Mali actuel. Les Etats précoloniaux seront
progressivement conquis à partir d'avril 1890 avec la rencontre de trois
missions françaises à Kousseri au bord du Lac Tchad1.
Les territoires conquis furent d'abord rattachés à la colonie du
Haut Sénégal. On parlait alors de 3e Territoire
Militaire.
En 1911, ce Territoire fut élevé au rang de
Territoire du Niger avec Zinder comme capitale. En 1922, le Territoire devient
une Colonie. Cette colonie fut agrandie en 1932 suite à la suppression
de la colonie de Haute-Volta. Les cercles de Fada N'Gourma et de Dori furent
ainsi incorporés dans la colonie du Niger avant d'être
restitués en 1947 avec le rétablissement de la Haute-Volta. Le
clivage est-ouest est né de la politique coloniale de «
diviser pour mieux régner » qui a
consisté à attiser les rivalités ethniques entre les
différentes communautés. L'ethnicité, vue sous l'angle
constructiviste, n'existe pas en soi. Elle est le produit d'une construction
sociale par des acteurs.
Dès 1895, la conscience ethnique était
délibérément construite dans toutes les sphères
publiques : chantiers de travaux forcés, centres de recrutement
militaire, etc. Les groupes ethniques étaient ainsi classés selon
leur « aptitudes physiques» ou «
capacités guerrières ». Par
exemple, les populations nomades étaient citées comme «
médiocres » pour le métier des
armes. Un autre procédé subtil de cristallisation des
identités ethniques était l'obligation d'inscrire l'origine
ethnique sur tout document officiel. Le système colonial allait ainsi au
gré de ses intérêts créer un clivage fait de deux
groupes. Les populations vivant l'Est du pays (Haoussa, Touaregs, Toubous,
etc.) et celles vivant l'Ouest (Djerma en majorité). Les populations de
l'Ouest étaient jugées plus réceptives à la culture
française tandis que celles de l'Est étaient vues comme
suspectes, voire dangereuses.
Les Haoussas, par exemple, n'inspiraient pas du tout confiance
aux Français. Ces derniers redoutaient les liens que ceux-ci
entretenaient avec leurs frères du Nigeria voisin. C'est ce qui
justifia, semble-t-il, le transfert de la capitale de Zinder (pays haoussa)
à Niamey par un décret datant du 28 décembre1926. C'est
également ce qui présida à l'intégration (par le
même décret) des subdivisions peulh et sonrhaï de Téra
et Say dans la colonie du Niger.
La dichotomie ainsi créée se manifestait
à tous les niveaux. Ainsi, les régions de l'Est subissaient une
forte centralisation de l'administration coloniale. Agadez, Bilma et N'Guigmi
étaient en effet des cercles militaires jusqu'à la fin de la
2nde guerre mondiale. Selon Kimba Idrissa, « ce
clivage dans l'organisation territoriale et le caractère mixte de
l'administration (militaire/civil= donne l'impression d'une colonisation
inachevée qui présente au moment de l'indépendance trois
niveaux d'occupation de
1 Sanoussi Tambari Jackou, op cit, p. 7.
20
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
l'espace : l'Ouest, première région
conquise et passée au régime civil dès 1913, le Centre
demeuré tiède et réservé et enfin le Nord et
l'extrême Est maintenus sous régime militaire et toujours hostile
»1.
La colonisation intensifia cette dichotomie entre la «
colonie du Sud » sous administration civile et une « colonie du Nord
» sous administration militaire. La conséquence de cette politique
ethnique fut une nette domination des ressortissants de l'Ouest, notamment les
Djermas dans le champ politique dès les années 40. En effet, au
sein des groupes haoussas, peulhs, touaregs ou toubous, il y avait très
peu «d'évolués»
jusqu'à l'indépendance. Le premier parti nigérien, le
Parti Progressiste Nigérien (PPN/RDA) fut dominé dès sa
naissance par les élites originaires de l'Ouest.
En 1948, l'Union des Nigériens Indépendants et
Sympathisants (UNIS) apparut comme un parti haoussa localisé dans l'est
du pays. Pour Kimba Idrissa, « Ce fut la première
référence formelle à la région (Niger est) comme
catégorie politique et à l'identité ethnique (les
Haoussas) comme élément de mobilisation politique
»2. La naissance de l'Union Démocratique
Nigérienne (UDN) Sawaba en 1954 par Djibo Bakary, originaire de l'Ouest
mais bénéficiant du soutien des chefferies de l'Est, va provoquer
un « rééquilibrage ethnique »
des forces politiques. La dissolution de ce parti de gauche par le
Président Diori Hamani en 1959 permit au PPN/RDA de monopoliser la vie
partisane à l'indépendance. Pendant 15 ans (de 1959 à
1974), le RDA gouverna en parti unique de fait avec une domination totale de
élites issues de l'Ouest.
En réalité, le clivage Est-Ouest était
plus une affaire entre Djermas et Haoussas. Les minorités ethniques
comme les Touaregs, les Toubous, les Arabes étaient en marge de ce
conflit. Sur le plan économique, le clivage Est-Ouest se manifestait par
la rupture brutale de la complémentarité économique entre
le Sud et le Nord. En effet, les Français vont provoquer un effondrement
économique des régions du Nord en détournant les circuits
économiques vers leurs colonies du sud riveraines du golfe de
Guinée.
Les Touaregs étaient fortement dépendants du
commerce transsaharien, leurs chameaux assuraient par centaines de milliers le
transport des marchandises vers les pays haoussa, Yorouba, au Ghana, au
Cameroun actuel, etc. Les Touaregs firent face à la concurrence des
camions dans le transport des marchandises dans le Sahara. Les Français
vont accentuer la destruction de l'économie du Nord en coupant les
Touaregs de leur hinterland méridional le plus important, à
savoir le Nigeria.
C'est également dans cette perspective qu'il fut
institué une délimitation entre les zones sédentaires et
nomades. Comme le constate André Bourgeot, «ces
pasteurs-nomades furent alors enserrés dans un étau. Au sud, la
remontée des cultures de rente empiétait sur la Ione pastorale,
les contraignant à se replier sur les terrains de parcours les plus
arides, générant une rupture de la complémentarité
entre Ione pastorale et Ione agricole qui deviennent conflictuelles ; au nord,
la réorientation, des échanges vers l'intérieur des
frontières nationales désorganisa leurs réseaux
d'échange et amenuisa considérablement leurs mouvements
d'amplitude nécessaires à la reproduction du système
pastoral. Il s'ensuivit un cloisonnement politico-territorial
interétatique assorti de quadrillages administratifs à
l'intérieur de chaque Etat »3.
Ce fut l'une des sources de la crise du nomadisme. Toutes les
rebellions touarègues du Niger indépendant allaient se
développer dans les zones à vocation pastorale. Le pastoralisme
nomade fut déstabilisé « conséquemment
aux réorganisations sociales insufflées à l'époque
coloniale et au déclin
1 Kimba Idrissa, op cit, p. 23.
2 Ibid, p 63.
3 André Bourgeot, « Le désert quadrillé
: des Touaregs au Niger », op cit, p. 68.
21
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
irréversible du trafic caravanier
transsaharien »1. Ces politiques trouvent leur
fondement dans la vision coloniale du monde touareg.
B. L'ambivalence de la politique touarègue du
pouvoir colonial
Deux attitudes ont marqué la politique du pouvoir
colonial envers les Touaregs. La première a consisté en une
violente répression de la résistance touarègue et une
politique de déstructuration du système social et
économique de cette communauté. Par la seconde attitude, le
pouvoir colonial s'est montré conciliant envers la communauté
touarègue. Dès les premiers instants de la conquête
coloniale, les Français affichaient une attitude hostile à
l'égard de certaines communautés ethniques jugées
indésirables. Ce fut le cas des Touaregs.
En 1895, le Commandant Toutée résuma la
stratégie ethnique du système colonial français en ces
termes : « Je résume mon impression en disant que la
vallée depuis Say est une petite Egypte. La seule erreur que je puisse
commettre, c'est de dire «petite ». Peut -- être est-ce une
grande Egypte... Si nous voulons nous établir sur les bords du fleuve,
il faudra tenir compte de l'organisation sociale de la région qui est
assez compliquée. Trois races se juxtaposent ou se superposent dans un
état d'équilibre instable qui dure pourtant depuis une trentaine
d'années. Cette situation est exactement celle où Bonaparte
trouve l'Egypte à la fin du siècle dernier. Des Fellah
constituant la masse laborieuse, des Turcs sans autorité réelle,
administrant le pays par habitude, des Mamlouks jouissant d'une liberté
et d'une autorité acceptée à regret par les deux autres
fractions de la population. Sur le Niger, les Fellah sont remplacés par
les Touaregs... on trouvera des éléments très suffisants
pour l'administration indigène chez les Sonrays qui fournissent
dé jà dans la plupart des villages le second chef. ,Quand aux
Touaregs qui sont à hauteur de Sinder leurprincipal centre de puissance,
on ne peut que les combattre et les expulser2. A leurfanatisme
musulman, ils joignent en effet contre nous une animosité tout
àfait laïque. Seuls Blancs établis dans le pays, exploitant
le prestige de leur race pour obtenir par la terreur tout ce qu'ils
désirent des habitants du pays, ils comprennent depuis longtemps que ce
système d'exploitation disparaîtra le lendemain de notre
installation dans le pays. Ce sont des
méconciliables »3.
Ces propos sont assez révélateurs de la
méfiance des Français contre les Touaregs et les populations
nomades en général. En effet, de par leur mode de vie
caractérisé par les razzias, le nomadisme, l'élevage
itinérant et leur forte hiérarchisation sociale, les Touaregs
étaient les mal aimés de l'Etat de type occidental que les
Français voulaient installer. Le processus d'importation d'un Etat de
facture wébérienne exigeait une conception rationnelle de la vie
sociale qui tranche avec le modèle nomade d'organisation so
ciopolitique.4
Sous un regard sociologique, l'Etat libéral se
conçoit avec Max Weber comme « une entreprise politique
de caractère institutionnel dont la direction administrative revendique
avec succès dans l'application des règlements, le monopole de la
contrainte physique »S.
Indépendamment de la centralisation du pouvoir politique, l'Etat moderne
libéral est la seule catégorie politique qui se réclame de
l'universel. En d'autres termes, il se définit par rapport à la
raison et se démarque de tout particularisme6.
1 André Bourgeot, « Le lion et la gazelle : Etats et
Touaregs » in Politique africaine, n°34,
juin 1989, p. 19.
2 Passage souligné par nous.
3 Archives Nationales de France,
Paris, Microfilm, IG185, 200 Mi 664, Mission Toutée. Note pour le
Gouverneur Général de l'AOF, Paris, le 18 septembre 1895,
cité par Kimba Idrissa, op cit, p. 58.
4 Hélène Claudot-Hawad, « Nomades et Etat :
L'impensé juridique » in Droit et
Société, n°15, 1990, pp. 229-242.
5 Guy Hermet et al, Dictionnaire de la science
politique et des institutions politiques, Paris, Armand Colin,
2001, p. 108.
6 Bertrand Badie, l'Etat importé :
l'occidentalisation de l'ordre politique, op cit, pp. 65-121.
22
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Dans cette perspective, la notion de territorialité que
seul l'Etat moderne sacralise se trouve contredite par le système
politique touareg qui repose sur un système lâche de type
confédéral. En effet, jusqu'à 1900, ces
confédérations touarègues indépendantes les unes
des autres constituaient le mode de gestion du pouvoir dans le monde touareg.
Pour André Salifou, «tout prédisposait mal les
Français vis-à-vis des Touaregs, dont la société
féodale était fondée sur un système d'exploitation
«esclavagiste »1. C'est ainsi que les
Français qui s'accommodaient mal d'un tel système
engagèrent un processus de libération d'esclaves détenus
par les Touaregs qu'ils regroupèrent dans des «villages de
liberté ».
Cette politique procédait d'une «
vision coloniale du monde touareg» qui selon
Hélène Claudot-Hawad, « repose sur plusieurs
postulats appliqués à « l'autre » : l'absence d'une
organisation politique véritable ; le poids des valeurs féodales
qui entravent le développement social et entraînant la «
revanche » des anciens opprimés ; enfin, l'inefficacité de
l'économie nomade et son inaptitude à faire face aux
périodes de sécheresses, d'où la nécessité
d'activités prédatrices »2. Il
était évident que pour les Français, il n'était pas
envisageable de laisser intact le pouvoir et le prestige des Touaregs sous
peine de compromettre leur propre hégémonie. Avec l'extermination
dès 1881, de la mission Flatters par les Touaregs, la confrontation
était devenue inévitable. Pour affaiblir la caste
guerrière touarègue, les Français vont intensifier les
libérations d'esclaves et renforcer la politique de
sédentarisation forcée.
Pendant des années, les révoltes
touarègues menées par des combattants célèbres
comme Fihroun Ag-El-Insar et Kaocen se soldèrent par des massacres des
populations touarègues. Pour réduire la résistance
touarègue, les militaires Français durent commettre un
véritable génocide contre cette communauté suite aux
révoltes des années 1916-1917. Après cette purge, un
changement de politique intervint. En effet, à la méthode forte
va se substituer une politique plus conciliante. Celle-ci consistera en la
réduction drastique des effectifs militaires dans la zone pastorale et
à l'arrêt de la politique anti-esclavagiste. Carte blanche fut
ainsi donnée aux Ima jerens de poursuivre leur
domination féodale sur les castes inférieures.
Dans son analyse des réactions des élites
touarègues au phénomène colonial, le sociologue Souley
Adji écrit : « la "situation coloniale" selon le mot de
Balandier est tellement particulière que nombre de couches
aristocratiques nouèrent elles-mêmes des relations avec
l'administration, coopérèrent, collaborèrent pour
préserver certains de leurs privilèges traditionnels, notamment
celui de continuer à exploiter les captifs, les Iklans. C'est en cela
qu'on peut dire que l'attitude des autorités coloniales à leur
égard a étéparadoxale et conciliante
»3.
En outre, contrairement aux régions sédentaires
du Sud du pays, le système colonial épargna les Touaregs de deux
institutions de domination, à savoir l'école et le service
militaire4. Selon Carolyn Norris, le « refus des
chefs de tribus, notamment d'envoyer leurs enfants dans les écoles
coloniales pour défendre leur liberté a eu pour effet qu'ily a eu
très peu de cadres touaregs formés lorsque les jeunes nations
maliennes et nigériennes ont cherché à mettre en place
leurs propres structures administratives »5. De
même, les Touaregs ne seront pas soumis aux travaux forcés qui ont
été institués dans les autres régions du Sud
jusqu'en 19466.
1 André Salifou, op cit, p. 23.
2 Op cit, p. 143.
3 Souley Adji, «Approche sociologique des mutations au sein
de la société touarègue » in SNECS, op cit, p. 67.
4 Pendant la période coloniale, il s'agissait
plutôt de faveurs, après l'indépendance, celles-ci se
transformeront en handicaps car les Touaregs compteront en leur sein
très peu « d'évolués » dans l'administration et
l'armée.
5 Carolyn Norris, «Mali Niger : une stabilité
fragile », Londres, UNHCR, mai 2001, p. 8 in
http://www-unhcr-org/home/rso
coi/3b c5adc66. pdf, adressée consultée le 5 juin 2007.
6 République du Niger, Document de Base du
Gouvernement du Niger..., op cit, p 11.
23
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
La politique touarègue du pouvoir colonial
français atteint une étape décisive avec la
création le 29 décembre 1956 de l'Organisation Commune des
Régions Sahariennes (OCRS) dont le projet de création a
été introduit par Félix Houphouët-Boigny en avril
1946, alors ministre d'Etat dans le Gouvernement Français. Cette
organisation, ou du moins cet Etat qui ne dit pas son nom, rassemble l'ensemble
des régions sahariennes de l'Algérie, de la Mauritanie, du
Soudan, du Niger et du Tchad. Une importante partie du territoire du Niger,
à savoir la partie nord de Tahoua et Agadez et la totalité de la
subdivision de Bilma était incorporé dans l'OCRS.
A travers l'OCRS, le pouvoir français envisageait de
réunir toutes les régions sahariennes en vue de faire main basse
sur les immenses richesses minières qu'elles abritent. Les Touaregs pour
leur part voyaient l'occasion de constituer un Etat Touareg qui les
«libérerait» du joug des autres ethnies majoritaires. En
dépit des protestations des nationalistes africains qui rejetaient toute
partition des territoires dont ils allaient hériter, l'OCRS put
fonctionner jusqu'à la veille des indépendances.
Le déclenchement le 1er novembre 1954 de la
Guerre de libération par le Front de Libération National (FLN)
algérien joua un rôle déterminant dans l'échec de
l'OCRS. Le rêve d'un Etat Touareg indépendant se trouva ainsi
brisé avec l'avènement des indépendances en 1960. Avec le
soutien des milieux rétrogrades français, les Touaregs
contestèrent les nouvelles républiques au Niger et au Mali en
début des années 60.
De manière globale, la conséquence du
phénomène colonial a été de rompre les liens de
coopération entre les entités politiques pré coloniales
car « avec l'extension de la domination française,
l'espace d'intervention des nomades se rétrécit progressivement;
les liens politiques et les échanges économiques avec les
sédentaires sont autoritairement interrompus ou entravés
»1. Le problème touareg dans ces deux pays
fut ainsi un des grands défis de l'Etat post colonial.
Section 2 : L'Etat post colonial et le défi du
problème touareg
La gestion du problème touareg par l'Etat post colonial
est examinée à travers une démarche double. Il est d'abord
ressorti que l'exercice autoritaire du pouvoir et les ramifications
géopolitiques du problème touareg expliquent dans une large
mesure l'échec des politiques de construction nationale menées
par les élites post coloniales (Paragraphe 1). En deuxième lieu,
l'analyse du difficile processus de règlement du conflit montre que les
Accords qui en ont résulté revêtent une double
signification politique (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Les limites des politiques de construction
nationale
L'analyse des causes du conflit dans la période post
coloniale permet de repérer comme facteurs explicatifs l'autoritarisme
de l'Etat post colonial (A) et les ramifications géopolitiques du
conflit (B).
A. La gestion autoritaire des clivages politiques
Le processus d'accession à l'indépendance n'a
pas favorisé, de par sa nature néocoloniale, l'émergence
d'une politique de rupture avec le système d'administration colonial. Il
était, en effet,
1 Hélène Claudot-Hawad, op cit, p. 144
24
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
difficile d'identifier des éléments de rupture
avec le système colonial aussi bien sur le plan politique que dans les
politiques économiques. Les contraintes structurelles nées de
l'administration coloniale ont fortement pesé sur la nature des
politiques d'intégration politique initiées par les
différents régimes qui se sont succédé au Niger.
La gestion des problèmes ethniques, notamment
l'épineux problème touareg, a permis de révéler la
fragilité des nations issues de la décolonisation. Les rebellions
armées touarègues au Niger peuvent s'expliquer au plan des
variables internes par leur gestion autoritaire. Sur le plan politique, le
soulèvement touareg traduit l'échec de l'importation
forcée de l'institution étatique occidentale de tradition
libérale1.
En effet, l'Etat nigérien à
l'indépendance ne répondait à aucune acceptation
théorique de la nation, ni dans la conception fascisante allemande, ni
dans la conception subjective française. Le Niger n'était pas
construit par un processus historique endogène, mais se présente
comme une création artificielle de la puissance coloniale2.
L'Etat post colonial avait ainsi à bâtir sa
légitimité politique en s'appuyant sur un discours universaliste
et un processus d'institutionnalisation.
Cet universalisme de l'Etat tranche fortement avec le
particularisme encore vivace des Touaregs, très jaloux de leur
liberté politique. Ici se confrontent deux conceptions de la nation. Une
conception universaliste ou
individualiste défendue par l'Etat et une
conception multiculturelle revendiquée par les
Touaregs3. Sous la Première République
déjà (1960-974), le Président Diori Hamani dût
affronter des tensions dans le monde touareg où les indépendances
étaient perçues comme un cauchemar car certains Touaregs
considéraient que « la construction d'une nation est un
choix délibéré des peuples qui doivent lui donner la forme
et le fond souhaités. La mosaïque des peuples qui constituent le
Niger actuel n'a ni choisi ses frontières, ni la démarche
à adopter pour parvenir à l'homogénéité
nécessaire à la réalisation d'une nation, digne et capable
d'élever sa voix dans le monde »4.
Les rebelles touaregs se considéraient en marge d'un
système qui serait basé sur un partage de pouvoirs entre les deux
groupes ethniques dominants, à savoir les Djermas qui contrôlent
la sphère politique et les Haoussas qui dominent l'économie.
Cette lecture de l'Etat nigérien post colonial est partagée par
Emmanuel Grégoire qui écrit : « Au Niger, ily a,
en effet, un partage en quelque sorte tacite des pouvoirs politiques et
économiques et un équilibre subtil entre ces deux pôles aux
mains respectives des deux principaux groupes ethniques que sont les Djermas et
les haoussas »5. Pour faire face à cette
crise de légitimité, l'Etat post colonial adopta une attitude
autoritaire, de fermeté absolue.
L'autoritarisme de l'Etat post colonial en Afrique vise, pour
résorber la crise de légitimité, à «
dépolitiser la société »,
à « remplacer la politique par l'administration
» selon l'expression du Pr Claude Ake6. La
particularité de l'autoritarisme dans la gestion d'un conflit est qu'il
traite des effets de celui-ci et non de ses racines profondes car, loin
d'être considéré comme un phénomène normal
dans le fonctionnement d'une société, le conflit est plutôt
vu comme un mal à extirper par la
1 Pour l'analyse des liens entre Etat post colonial et
conflits en Afrique, voir Samuel G. Egwu, « Beyond « revival of old
hatreds » : the state and conflicts in Africa » in Shedrack Gaya Best
(ed), Introduction to peace and conflict studies in west
Africa, Ibadan, Spectrum Books Limited, 2006, pp. 406-437.
2 Mahaman Tidjani Alou, « La dynamique de l'Etat post
colonial au Niger» in Kimba Idrissa (dir), Niger: Etat et
Démocratie, op cit, pp. 85-123.
3 Phillipe Braud, Sociologie politique,
op cit, p. 84.
4 CRA, Programme Cadre de la
Résistance, février 1994, p. 4.
5 Emmanuel Grégoire, «Le fait économique
Haoussa » in Politique Africaine, n°38,
Juin 1990, p. 61.
6 Claude Ake, Social science as imperialism: the
theory ofpolitical development, Ibadan, Ibadan University Press,
1979, p. 107. Du même auteur, Democracy and development in
Africa, Ibadan, Spectrum Book Limited, p. 6.
25
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
violen ce1. Cependant, l'analyse de la politique
touarègue de l'Etat post colonial, même si elle s'insère
largement dans le contexte autoritaire, permet de distinguer deux styles de
gestion.
Sous la Première République, le Pouvoir exhibait
un certain dosage de
«réflexivité» et de
pragmatisme tandis que le régime militaire de Seyni Kountché
(1974-987) prônait une attitude plus brutale. Dès décembre
1960, le Président Diori Hamani créa un
Ministère des Affaires Sahariennes et Nomades
qui fut dirigé par un Touareg en la personne de Mouddour
Zakara. La création de ce ministère, qui était d'ailleurs
censé siéger à Agadez dans le Nord, dénote une
volonté de prendre en compte le particularisme touareg dans
l'organisation institutionnelle des pouvoirs. Cette attitude contredit
l'idée d'une volonté de marginalisation défendue par
certains auteurs2. Les élites touarègues ont
bénéficié de l'existence de ce ministère à
travers un système de clientélisme par lequel ils
bénéficiaient « des facilités
matérielles et administratives, des dons, des licences d'importation,
des crédits auprès des organismes tels la CNCA (Caisse Nationale
de Crédit Agricole)... »3.
Cette politique conciliante du régime de Diori à
l'égard des Touaregs n'occulte pas l'existence d'une répression
politique impitoyable contre l'opposition animée par Djibo Bakary du
parti Sawaba. Beaucoup d'affrontements sanglants, d'actes de terrorisme et
d'exécutions sommaires furent enregistrés dans ce duel à
mort. La fermeté du régime de Diori se manifestait
également dès 1960 par l'arrestation du Sultan de l'Aïr
lorsque celui-ci manifesta dans une lettre adressée au
Général De Gaulle son désir de voir Agadez
érigée en Etat indépendant.
Le Sultan fut poussé dans cette action par certains
milieux français désireux de perpétuer le projet OCRS.
Dans le même sens, le pouvoir ne montra aucune volonté de rupture
avec la politique coloniale vis-à-vis du Nord. Toute la partie nord du
Niger était sévèrement quadrillée par des sections
de méharistes pour maintenir la sécurité et tenir en
respect les populations nomades, notamment les Touaregs et les
Toubous4. Le système d'administration mixte instauré
par le pouvoir français fut perpétué ainsi qu'une vision
coloniale des populations touarègues. De même, le régime
dut également fermer les yeux sur les pratiques esclavagistes qui
sévissaient dans les milieux touaregs tout comme les Français ont
dût s'en accommoder.
L'avènement du Général Seyni
Kountché au pouvoir à la faveur du coup d'Etat du 15 avril 1974
marque un tournant décisif dans l'évolution politique du Niger en
général et de la question touarègue en particulier. Avec
Seyni Kountché, « c'est l'ensemble du pays qui est mis
au pas et des Nigériens de toutes les ethnies, sans exception, subissent
le courroux du nouveau maître du pays »S.
Le régime de Kountché fut marqué par le pouvoir personnel,
les luttes intestines au sein de l'armée et une forte politisation des
problèmes ethniques. L'exécution du numéro deux du
régime, le Commandant Sani Souna Siddo en 1975, et la tentative de Coup
d'Etat du 15 mars 1976 furent lourds de conséquences politiques.
Selon C. Raynaut et S. Abba, la répression de la
tentative de coup d'État de mars 1976 était liée à
sa dimension ethnique : « Ce qui la caractérisait,
c'était sa connotation ethnique, c'est-à-dire la
1 Umar Mohamed Kaoje, «Democracy, the state and conflict
management in Africa » in Nigerian Journal of Political
Science, vol 9, n°1-2, Department of Political Science,
Ahmadu Bello University (ABU), Zaria, Nigéria, p. 163.
2 Selon André Bourgeot, « on constate
selon les Etats (Algérie, Libye, Niger, Mali, Burkina Faso) des
politiques qui visaient soit à marginaliser les Kel Tamacheq (Mali,
Niger), soit à oeuvrer à leur assimilation économique,
politique et culturelle (Algérie)» in « Le
désert quadrillé : des touaregs au Niger »,op cit, p. 68.
3 Oumara Mal Manga (capitaine), «Réflexions sur la
situation politique et les perspectives dans l'Azawak », Tahoua, 17
septembre 1990 (document manuscrit), p. 5, cité par André
Salifou, La question touarègue au Niger, op
cit, p. 41.
4 Mahaman Tidjani Alou, op cit, p. 101.
5 André Salifou, op cit, p. 42.
26
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
volonté déclarée de certains
de ses membres de s'attaquer à la suprématie Zarma-Sonrhai: C'est
en partie ce qui explique le caractère très dur de la
répression qui suivit»1. Parmi les sept
personnes exécutées figuraient des Touaregs dont Ahmed Mouddour
et le capitaine Sidi Mohamed. Il s'en suivit une chasse aux sorcières
qui conduit beaucoup de Touaregs en exil en Libye. Le président
Kountché supprima également dès son arrivée au
pouvoir le Ministère des Affaires Sahariennes et Nomades
et renforça l'administration militaire dans le Nord.
A tous ces facteurs politiques se greffaient des variables
économiques hostiles. Les violentes sécheresses qui se sont
abattues sur le Sahel eurent des impacts socio-économiques immenses dans
les zones nomades. Ces catastrophes écologiques venaient ainsi accentuer
la crise d'une zone pastorale souffrant de son enclavement, du manque
d'infrastructures hydrauliques, de l'insuffisance et de la mauvaise
répartition des points d'eau, de la rareté des marchés etc
.2
La crise du nomadisme qui s'en est suivie entraîna un
exode massif des populations touarègues vers les centres urbains et les
pays étrangers (Algérie, Libye, Nigeria, etc.), de même
qu'un début de sédentarisation des nomades commença
à s'observer. L'analyse de ces facteurs internes montre
l'interpénétration des variables identitaires, écologiques
et stratégiques dans l'émergence du conflit dans le nord Niger.
Tous les problèmes ayant affecté le Niger seront ensuite
récupérés par des élites touarègues pour en
faire un moyen de mobilisation politique. Ici apparaît la distinction
entre une condition et un
problème. Une condition devient un
problème public lorsqu'elle est problématisée par des
acteurs3.
Le problème public est toujours un construit social
issu d'une politisation faite par des entrepreneurs politiques. Pour Phillipe
Braud, « antagonistes et conflits d'intérêts ne
sont constitutifs d'enjeux politiques qu'à condition d'être
portés sur la scène politique, pris en charge par les acteurs qui
s'y affrontent. Aucun problème n'est en soi politique, n'importe lequel
peut le devenir sous certaines conditions de pertinence culturelle et
institutionnelle ».4 Ni les problèmes
économiques, encore moins la dictature politique n'ont concerné
que les Touaregs. L'avènement de la rébellion au sein de cette
communauté, au-delà les facteurs internes, s'explique aussi par
ses ramifications géopolitiques.
B. La dimension géopolitique du conflit
touareg
Pour cerner cette dimension stratégique du
problème touareg, il s'avère important de remonter à la
conquête coloniale. Pour la France, le Niger était destiné,
dès sa création, à jouer un rôle stratégique.
La conquête du Niger à l'époque était d'ailleurs
perçue comme un « hasard inutile et
arbitraire» ou un « accident de
l'histoire». Toutefois, il existait des mythes sur les
potentialités économiques qui encourageaient une conquête
politique de cet espa ce5. La conquête du Niger fut
1 C. Raynaut et S. Abba, «Trente ans
d'indépendance : repères et tendances » in
Politique africaine, n°38, juin 1990, p. 14.
2 République du Niger, Rapport de la
Commission Ad Hoc Chargée de Réfléchir sur le
Règlement Négocié de la Rébellion Armée au
Niger, p. 9.
3 Elisabeth Sheppard, « Problème public » in
Laurie Boussaguet et al, Dictionnaire des politiques
publiques, op cit, pp. 349355.
4 Op cit, p 330.
5 Kimba Idrissa, op cit, pp. 18-20.
27
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
d'abord une désillusion pour la France car les espoirs
de gains économiques furent vite déçus. D'où ce
dilemme : faut-il disloquer le territoire pour rattacher ses parties à
d'autres colonies1 ?
Le Niger fut finalement maintenu pour des impératifs
stratégiques. Déjà pendant la période pré
coloniale, le Sahara fut un enjeu géopolitique pour toutes les
puissances de la région. Le Sahara a fait en effet rêver depuis
des siècles « les conquérants militaires et
marchands car il donnait accès aux produits africains
» selon le Pr Djibo Hamani2. Son
intérêt stratégique fut rehaussé avec l'apparition
des Arabes après la naissance de l'islam. Toutes les puissances
islamiques ont cherché à contrôler les routes du Sahara. Le
Sultanat de l'Aïr fut créé par des Touaregs dans le but de
maintenir une hégémonie sur le commerce transsaharien.
Bien d'autres conquérants comme Idriss Alaoma du
Bornou, Askia Mohamed de Gao, le Sultan marocain Al Mansour, se sont
disputés le contrôle des routes sahariennes. La découverte
du pétrole en 1953 dans le Sahara accrut les convoitises. Pour la
France, l'importance stratégique du Niger à travers le Sahara est
illustrée par les propos du sénateur Borg en 1958 :
«D'ailleurs, il fallait être fou pour croire que nous
Français, nous allions laisser partir le Niger. En perdant la
Guinée nous perdons des richesses. Cela peut se remplacer. Mais si nous
perdons le Niger, nous perdons l'Algérie. Nous ouvrons la voie à
Nasser. Nous permettons la création d'un grand Etat musulman de Lagos
auxfrontières algériennes »3.
Ce qui fait la spécificité du Niger, c'est qu'il
contrôle trois issues clé en Afrique : le désert qui donne
accès aux Maghreb et à la Méditerranée et
protège les hinterlands algériens et tunisiens contre les menaces
anglaises, la porte du Tchad qui débouche sur l'Afrique centrale et
enfin, la porte du fleuve qui donne accès à l'Atlantique. Ces
éléments de stratégie faisaient du Niger, non pas une
colonie classique, mais un complément de l'empire français.
En outre, trois facteurs donnent au Niger sa
singularité par rapport aux autres Etats africains. D'abord le pays est
enclavé et quatre de ses frontières débouchent directement
sur le désert. Ensuite, il se place entre deux univers culturels :
l'Afrique blanche et l'Afrique noire. D'où le risque que certains
groupes socioculturels soient tentés de se détacher du centre car
ayant leur centre de gravité à l'extérieur. Ainsi, les
Arabes et les Touaregs pourraient préférer l'Algérie ou la
Libye au Niger. Enfin, le Niger est singulier de par le caractère
disproportionné de son territoire par rapport aux ressources
économiques disponibles.
Mais c'est aussi les ressources minières telles que
l'uranium exploité par le France depuis quarante ans qui donne au nord
Niger son importance stratégique. La création en 1957 de l'OCRS
visait pour la France de créer un nouveau territoire qui
échapperait aux mouvements nationalistes. Comme l'ont noté C.
Raynaut et S. Abba, « à un moment où se
profilait l'indépendance inéluctable de l'Algérie,
certains milieux français caressaient le rêve d'un ensemble
saharien prélevé sur différents pays limitrophes et dont
l'existence pourrait sauvegarder les intérêts français dans
le domaine pétrolier comme dans celui des expérimentations
nucléaires »4.
Les Touaregs voyaient dans le plan OCRS une opportunité
pour échapper à la domination des autres ethnies majoritaires qui
prenaient le relais dans la direction de cette « entreprise
franco-française piloté de Paris »5
qu'est le Niger. Même si cette « Afrique Saharienne
» n'eut
1 Ces développements sont analysés dans la
thèse du Pr Kimba Idrissa, La formation de la colonie du
Niger: du mythe à la politique du mal nécessaire,
thèse de Doctorat ès-Lettres, Université de Paris 7, 6
volumes, 1987.
2 Djibo Hamani, «Les enjeux stratégiques du Sahara
à travers l'histoire », op cit.
3 Kimba Idrissa, op cit, p. 19.
4 C. Raynaut et S. Abba, op cit, p. 22.
5 CRA, op cit, p. 4.
28
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
pas lieu, l'OCRS apparaît « comme un
handicap de naissance pour les futurs Etats-nations de la région, car il
introduit le germe de la revendication séparatiste et des
difficultés de la construction nationale
»1.
Mais le problème touareg au Niger n'a pas de solution
territoriale, contrairement au contexte malien, comme le souligne le Pr
André Salifou en ces termes : « Je persiste à
croire et à clamer haut etfort que la question touarègue ne se
pose pas de la même façon qu'au Mali. Autrement dit, à mes
yeux, le Pacte National malien ne peut en aucune façon servir de
référence pour un règlement du problème au Niger,
où aucune portion du territoire national ne peut être
considérée comme un «pays touareg 2». En
outre, des centaines de milliers de touaregs cohabitent, certains depuis des
siècles, avec des sédentaires, et entre les deux groupes, les
mariages se sont multipliés, entraînant des métissages
à la fois biologiques et culturels que nul ne peut ignorer aujourd'hui
».3
En outre, la ville d'Agadez, considérée par les
rebelles touaregs comme « capitale des Touaregs
», est en réalité une cité
haoussa4. De même, cette région n'est pas celle qui
compte le plus de Touaregs, contrairement au discours des mêmes rebelles
touaregs5. Ce détour par l'histoire permet de comprendre le
lien, ou du moins la communauté d'intérêts entre la France
et les Touaregs sur les enjeux du Sahara.
Une autre dimension stratégique du problème
touareg est liée à l'implication de la Libye. Le colonel Kadhafi
appelait dès son accession au pouvoir à soutenir les
«fils libres de la nation arabe souffrant de la
répression et des camps d'extermination au Mali et au Niger
»6. Les Touaregs ont toujours eu une
allégeance politique vis-à-vis de la Libye à laquelle ils
s'identifiaient mieux culturellement. Les rapports entre le Niger et la Libye
ont toujours été mis à mal par des différends
frontaliers autour des puits de Toummo et le Mangeni, zones très riches
en ressources minières dont le pétrole7.
Les relations politiques tendues entre le Président
Kountché, acquis à la France, et le Colonel Kaddafi vont
précipiter la constitution d'une opposition politique armée
contre le régime de Seyni Kountché en Libye. Beaucoup de
dissidents touaregs enrôlés dans la Légion Islamique de
Kadhafi s'exerceront au métier des armes8 dans les conflits
libanais, sahraoui et tchadien en même temps qu'ils subissaient un
endoctrinement idéologique « axée principalement
sur l'appartenance des hommes en formation à la nation arabe, sur
l'importance de la langue et de la civilisation arabes, différentes de
celle des populations vivant au sud du Sahara
»9.
C'est cette expérience libyenne qui donnera à la
première rébellion des années 90 ses premiers combattants
aussi bien au Niger qu'au Mali. En effet, suite au décès le 10
novembre 1987 du Général Seyni Kountché, on assista
à une normalisation des relations avec la Libye. Celle-ci s'expliquait
non seulement par la personnalité modérée du
Général Ali Saïbou, le
1 Propos d'une do ctorante citée par Djibo Hamani in
«Les enjeux stratégiques du Sahara à travers l'histoire
», op cit.
2 Souligné par nous.
3 André Salifou, op cit, p. 104.
4 Sur le peuplement de l'Aïr, voir Djibo Hamani, «Une
gigantesque falsification de l'histoire », op cit, pp. 24-43.
5 Selon le recensement général de la population
de 1988, la population touarègue est repartie sur le territoire national
comme suit :Tahoua (202 833), Tillabéri (155 315 ), Agadez (114 020),
Maradi (37 515), Zinder (36 688), Dosso (9 170), Diffa (1513). Voir Ibid, p.
107.
6 Le point, 22 février 1980,
cité par C. Raynaut, op cit, p. 22.
7 Voir interview de Sanoussi Tambari Jackou dans La
Roue de l'histoire, n°362 du 25 juillet 2007, pp. 6-7.
8 Les officiers touaregs maliens et nigériens
étaient formés à Tajora dans un régiment
d'élite où se recrutent les hommes chargés de la
sécurité rapprochée du colonel Kaddafi. Les hommes de
rang, à leur tour, étaient formés dans deux camps, le camp
du 2 mars pour la formation de base et le camp de Benghazi pour la formation de
type commando.
9 André Salifou, op cit, p. 112.
29
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
nouveau président, mais aussi par l'amenuisement des
ressources libyennes et la fin du conflit de la bande d'Aouzou. Le
Général Ali Saibou invita les Touaregs à rentrer au pays
participer à la construction nationale ; ces derniers vont, en
répondant à cet appel, négocier et obtenir avec les
Libyens, le rachat de leurs matériels de guerre (véhicules,
armes, munitions etc.)...
L'échec de la réinsertion des rapatriés
touaregs en 1990 fut la goûte d'eau qui fit déborder le vase avec
les massacres commis par l'armée nigérienne sur les populations
civiles touarègues à Tchintabaraden au mois de mai dont le bilan
reste encore inconnu1. Le traitement de cette affaire par la
Conférence Nationale Souveraine contribua à aggraver les tensions
et précipiter la formation d'une rébellion structurée dans
le Nord.
Paragraphe 2 : Le règlement du conflit touareg
L'éclatement du conflit armé dans le nord Niger
à partir de 1991 donna lieu à un processus de règlement
qui fut très laborieux du fait de la pluralité des mouvements
rebelles (A). L'analyse des différents Accords de Paix montre que le
processus de paix est porteur d'une double signification politique (B).
A. Le laborieux processus de paix
La rébellion survint dans un contexte de contestation
du régime autoritaire en place en proie à une crise de
légitimité. Ces mutations politiques ont provoqué un
affaiblissement de l'Etat. Certains événements tragiques comme
les massacres des Touaregs à Tchintabaraden par l'armée,
l'incapacité de la Conférence Nationale
Souveraine2 à trouver des solutions
au problème touareg ont précipité le déclenchement
du conflit. Celui-ci fut surtout favorisé par l'existence
d'entrepreneurs politiques touaregs qui ont instrumentalisé les
problèmes du Nord avec le soutien actif de la Libye et de la France.
La publication en 1992 de Touaregs, la
tragédie (Paris, Lattès) par Mano Dayak participe
de cette propagande idéologique qui vise à fournir une lecture
particulariste de la situation des Touaregs au Niger. Le soutien de la France
à la rébellion s'expliquait en partie par la volonté
d'affaiblir un Etat qui, depuis la Conférence Nationale, semblait acquis
à des forces politiques anti-françaises. Le contexte
géopolitique de l'époque fut en plus marqué par de
nombreux théâtres de conflits qui favorisaient la circulation des
armes.
A ces facteurs objectifs se greffaient des
éléments de subjectivité. Celle-ci permet de
«saisir ce qui fait sens» chez les
combattants touaregs dans la perspective de la sociologie compréhensive.
Les rapatriés touaregs rentrés au Niger à la faveur du
décès du Président Kountché furent très vite
désillusionnés par l'échec total de leur
réinsertion sociale. Ces ishomars8,
comme ils s'appelaient eux-mêmes, développaient une
«frustration relative» (Ted Gurr) qui
les
1 Officiellement, il y aurait eu 19 exécutions
sommaires, 50 morts par torture. Les Touaregs parlent eux de centaines de
morts. A l'origine de cette crise, les Touaregs rapatriés se plaignant
des conditions de leur accueil, ont attaqué la Sous-Préfecture de
Tchintabaraden le 7 mai 1990 faisant 3 morts parmi les Forces de Défense
et de Sécurité, 3 morts dans la population civile et 4
blessés. Après quoi, l'armée a engagé une
expédition punitive.
2 Les Touaregs avaient espéré, entre autres, que
certains officiers des FAN qu'ils soupçonnaient d'être coupables
dans l'affaire de Tchintabaraden, soient arrêtés et
sanctionnés. Il s'agit, exemple, du colonel Mamadou Tandja, alors
ministre de l'Intérieur et du Commandant Amadou Sofiani qui commandait
la Zone de Défense N°1.
3 Il s'agit d'une déformation du mot « chômeur
» pour désigner les touaregs désoeuvrés
rentrés de Libye et d'Algérie.
30
La problématique de la gestion post con flit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
conduira à l'action armée. C'est ainsi que la
thèse du complot de génocide contre les Touaregs fut
développée. Pour la Rébellion, le retour des Touaregs
réfugiés en Libye et en Algérie était
interprété comme suit : « l'astuce des
dirigeants de l'époque était simple, elle revêtait
seulement un aspect trompeurpour attirer l'oiseau vers l'appât. Lorsque
nous étions sur notre terre d'exil, le Niger ne peut avoir aucun
contrôle sur notre révolution. Il fallait trouver un moyen de nous
ramenerpour mieux nous contrôler, nous maîtriser et en fin nous
détruire »1.
Pour résister à ce «
complot» naîtront plusieurs Fronts
armés touaregs dont le premier noyau fut le Front de Libération
de l'Aïr et de l'Azawak (FLAA) de Rhissa Ag Boula créé le 19
octobre 1991. Ce Front connut un éclatement en 1993 avec la naissance en
juin de l'Alliance Révolutionnaire pour la Libération du Nord
(ARLN) d'Attaher Abdoulmoumin et en juillet du Front de Libération du
Tamoust (FLT) de Mano Dayak. Ces trois Fronts armés se sont joints en
octobre 1993 pour créer une large coalition, la Coordination de la
Résistance Armée (CRA). Celle-ci va s'agrandir avec
l'adhésion du Front Patriotique pour la Libération du Sahara
(FPLS) de Mohamed Anacko issu d'une scission du FLAA et créé en
janvier 1994.
Présidée par Mano Dayak, la CRA produit en
février 1994 le Programme Cadre de la Résistance
(PCR), document qui expose les revendications politiques de la
Rébellion. Le Gouvernement de Transition issu de la Conférence
Nationale opta pour un règlement pacifique du conflit à travers
plusieurs appels à l'apaisement2. Grâce à la
facilitation française, un accord de Trêve intervint le
1er juin 1993 avec le FLAA. Cet Accord fut reconduit le 11 septembre
1993 avec le seul FLT suite à l'éclatement du FLAA.
Le Gouvernement put rencontrer, grâce au concours d'un
Comité de médiation constitué de
la France, de l'Algérie et du Burkina Faso, l'ensemble des Fronts
armés les 15, 16 et 17 février 1994 à Ouagadougou. Un
premier Accord intervient le 9 octobre 1994 à Ouagadougou sur la base
des documents produits par les deux parties, à savoir le PCR par la CRA
et le Document de base du Gouvernement du Niger devant servir aux
Négociations avec la Rébellion (DBGN). Dans cet
Accord, la CRA renonçait au « fédéralisme » en
faveur de la décentralisation telle qu'elle est consacrée dans la
constitution du 26 décembre 19923. L'Accord définitif
fut signé à Ouagadougou le 15 avril 1995, mais cette fois-ci avec
l'Organisation de la Résistance Armée (ORA)
présidée par Rhissa Ag Boula4.
D'autres dissensions internes conduiront à la
création d'une autre coalition, l'Union des Forces de la
Résistance (UFRA) présidée par Mohamed Anacko. Suite
à un désaccord entre la Rébellion et le Gouvernement sur
les questions de grades dans l'armée lors de la session du
Comité de pilotage du 3 au 5 septembre 1997,
l'UFRA reprit les hostilités. Ses combattants quittèrent les
sites de cantonnement de Guirmat le 5 septembre. Cette coalition dissidente
était
1 CRA, op cit, p. 21
2 C'est le 7 janvier 1992 que le gouvernement nigérien
reconnut officiellement l'existence de la rébellion armée.
3 Pour d'amples précisions sur le processus de paix
jusqu'en mars 1995, voir HCRP, Note sur la question de la
Rébellion Armée, (mars 1995). Ce document fait le
bilan de la mise en oeuvre de l'Accord de Ouagadougou du 9 octobre 1994 et
analyse l'état de préparation des autres points à
négocier, notamment la question de la réinsertion des
combattants, la création d'une commission d'enquête sur les
exactions commises à Tchintabaraden, les questions économiques et
politiques etc.
4 L'ORA est constituée des mêmes Fronts que la
CRA, le changement consiste au remplacement de Mano Dayak par Rhissa Ag Boula
à la direction de la Coalition.
31
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
constituée de trois Fronts, le Mouvement Uni
Révolutionnaire (MUR), les Forces Armées Révolutionnaires
(FAR) et bien sûr le FPLS1.
Une autre faction de l'ORA va se désolidariser des
Accords de Paix en ressuscitant la CRA, il s'agit du FLT qui s'emploiera
à créer d'autres Fronts dans l'Aïr. La nouvelle CRA se
reliera aux Accords de Paix en mars 1996 à la faveur de
l'avènement du Conseil du Salut National (CSN) le 27 janvier ayant
renversé la 3e République de Mahamane Ousmane. Quand
à l'UFRA, elle s'était entre temps alliée aux Forces
Armées Révolutionnaires du Sahara (FARS), rébellion toubou
opérant dans le Kawar (nord est) animée par Barka Wardougou et
Chahaï Barkaï. La coalition UFRA/FARS fut ramenée dans le
processus de paix avec le Protocole d'Accord Additionnel d'Alger, le 28
novembre 1997. Le dernier Accord avec la Rébellion Armée sera
celui du 21 août 1998 avec le Front Démocratique pour le Renouveau
(FDR), rébellion toubou du Manga (Est) dirigée par Issa
Lamine.
Cette multiplicité d'acteurs a ralenti à maintes
reprises le processus de paix. Car, comme le souligne Soumana Souley, cadre du
HCRP, «l'éclatement de la structure originelle de la
Résistance Armée (FLAA) en plusieurs autres Fronts au gré
des divergences internes a rendu malcommode la gestion du processus en mettant
le Gouvernement face à une multitude d'interlocuteurs
»2. De par le contexte politique de leur
conclusion, il faut préciser que l'avènement de la 3e
République en avril 1993 a consacré l'ouverture d'une
«fenêtre d'opportunité
»3 (J. Kingdon) pour les acteurs des deux
parties.
L'Accord du 9 octobre 1994 est issu d'un
«couplage serré» entre le courant
des problèmes et le courant de la politique. En effet, en dépit
de l'ouverture au dialogue du régime de la Transition, le couplage avec
le courant des problèmes était trop «
lâche » pour permettre un Accord. Le
courant de la politique était aussi traversé par des conflits au
sommet de l'Etat entre le HCR et le Gouvernement, et aussi entre le pouvoir
civil de manière générale et l'armée très
hostile au dialogue avec la Rébellion.
L'installation d'un régime démocratique
favorable au dialogue facilitera les négociations. Cette
«fenêtre d'opportunité»
s'agrandit avec l'avènement du Président Ibrahim Baré
Maïnassara au pouvoir. Sa personnalité modérée, son
fair-play ainsi que son pouvoir d'injonction sur l'armée furent
déterminants. C'était lui qui ramena les coalitions UFRA/FARS et
CRA ainsi que le FDR dans le processus de paix. C'était également
sous son régime que les intégrations au sein des Forces de
Défense et de Sécurité ainsi que dans les autres corps de
l'Etat avaient démarré4.
Par ailleurs, il faut mentionner que les rebellions
touarègues et toubous ont engendré la prolifération des
Mouvements d'Autodéfense dans les communautés peulhs et arabes.
C'est ainsi que naîtront dans le Manga, la Milice Peulh de Diffa et la
Milice Arabe de N'Guigmi. Dans
1 L'UFRA fut créée à l'issue du
Congrès de la Résistance tenu à N'Tatat les 6, 7 et 8 du
mois de novembre 1996. Elle était initialement constituée de six
(6) Fronts : APLN, ARLN, FFL, FPLN, MUR et FPLS. Le gouvernement
nigérien lui accorde sa reconnaissance le 14 décembre 1996. Voir
HCRP, Acte de reconnaissance, 14 décembre
1996.
2 Soumana Souley, «Gestion des conflits : le cas de la
rébellion armée au Niger », Communication à la
Conférence sur le thème «les tensions et conflits en Afrique
de l'ouest : de 1900 à nos jours» organisée par MAPADEV,
29-30 novembre 2003, Niamey, Niger. P 17.
3 Vincent Lemieux, L'étude des politiques
publiques : les acteurs et leurs pouvoirs, Québec, Les
Presses de l'Université Laval, 2002, pp. 29-41.
4 Il faut préciser que l'ORA avait salué le Coup
d'Etat du 27 janvier 1996. L'arrivée des militaires avait permis de
débloquer le processus de paix bloqué par l'ORA qui refusait de
transmettre les listes de ses combattants et de son matériel de guerre
malgré les «pressions» du médiateur français.
L'ORA transmis la liste de ses combattants le 29 mars 1996, soit deux mois
après l'avènement du CSN. Voir HCRP, Lettre
N°0308/HCRP/CT du 8 novembre 1996, p. 3.
32
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
l'Azawak, deux Milices Arabes opéraient dans la zone de
Tassara, le Comité d'Autodéfense (CAD) et le Comité de
Vigilance de Tassara (CVT). Au total, le Niger a connu dans sa partie nord et
est, onze (11) Fronts touaregs dont six (6) dans l'Aïr et cinq (5) dans
l'Azawak1, deux rébellions toubous, à savoir les FARS
dans le Kawar et le FDR dans la Manga. Au titre des Mouvements
d'Autodéfense, trois (3) milices Arabes dont deux dans l'Azawak et une
dans le Manga, et une milice peulh dans le Manga.
Ceci donne au total dix sept (17) structures armées,
Fronts et Mouvements confondus, quatre régions directement
affectées, l'Aïr, l'Azawak, le Kawar et le Manga et quatre groupes
ethniques concernés, à savoir les Touaregs, les Arabes et les
Peulhs et les Toubous. C'est à la lumière de ces processus et de
ces réalités qu'il faut analyser les Accords de Paix.
B. La double signification des Accords de Paix
De 1991 à la Cérémonie Flamme de la Paix
en septembre 20003, quatre (4) Accords de Paix ont été
conclus. L'Accord de Paix du 9 octobre 1994 signé à Ouagadougou,
l'Accord de Paix définitif du 24 avril 1995 également
signé à Ouagadougou, le Protocole Additionnel du 28 novembre 1997
signé à Alger et l'Accord de N'Djamena du 21 août 1998. Ces
Accords revêtent deux significations. Par leur contenu, ils incarnent un
consensus politique entre la revendication identitaire de rebelles et
l'approche universaliste de l'État soucieux de préserver le cadre
étatique hérité de la colonisation.
L'analyse stratégique permet d'élucider la
seconde signification : les Accords de Paix reflètent les conflits de
leadership au sein des Fronts rebelles. A analyser leur contenu, ces Accords
peuvent être classés en trois catégories : les
Accords partiels, les Accords
définitifs, et les Protocoles d'Accords
Additionnels. Mais derrière cette diversité
formelle se révèle la volonté politique commune de
dépasser les clivages et d'asseoir les bases d'un nouvel ordre politique
plus pragmatique.
L'Accord du 9 octobre 1994 est un Accord partiel. Il
s'articule essentiellement autour la décentralisation ; et laisse en
marge d'autres questions essentielles comme la sécurité ou le
développement socio-économique. Cet accord rappelle le «
caractère unitaire indivisible, démocratique et
social de la République du Niger» et consacre la
décentralisation en lieu et place du « fédéralisme
» revendiqué par la Rébellion. Il prévoit
subsidiairement une trêve de trois mois, des mesures urgentes dans le
domaine socio-économique et culturel en faveur de la zone touchée
par le conflit. Il crée aussi un Comité de
suivi5 de l'Accord de Paix et une Cellule
de liaison constituée de
1 Dans l'Aïr, il s'agit du FLAA de Rhissa Ag Boula, du
FPLS de Mohamed Anacko, du FAR/ORA de Ousmane Ismaghril, du FLT de Mano Dayak
(actuellement Mohamed Akotey), du MUR de Ahmed Waddé Houmouna et du
FAR/UFRA de Silimane Hyard. Dans l'Azawak , il s'agit du FFL de Mohamed Ikta,
de l'APLN de Hamad Ahmed Halilou, du FPLN de Alhadi Alhadji, de l'ARLN de
Attaher Adboulmoumin (actuellement Bilal Islamane) et du MRLN de Goumour
Ibrahim.
2 Les trois Accords de Paix principaux sont en annexe.
3 Cette cérémonie consacrait le
désarmement total des Fronts et Mouvements ainsi que leur dissolution
officielle conformément à l'article 13 de l'Accord de Paix du 24
avril 1995.
4 La composition du comité de liaison
était comme suit : SE Mai Maigana, HCRP, Mohamed Aoutchiki
pour la CRA, SE Ambassadeur Dimbo Bamba pour le Burkina Faso, SE Ambassadeur
Laala Mohamed pour l'Algérie et SE Ambassadeur Alain Deschamps pour la
France.
33
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
militaires Burkinabé et Français1 en
vue de faciliter le contact entre les parties sur le terrain. Il fut
également prévu la libération des personnes
détenues de par et d'autre.
Les autres points à négocier portaient sur
l'intégration des ex-combattants dans les FDS et dans les autres corps
de l'Etat, la question du développement du Nord et la création
d'une commission d'enquête internationale. L'Accord du 24 avril 1995 est
un Accord définitif. Tout en reprenant les dispositions du premier
Accord sur la décentralisation dans son titre II, il traite dans ses
titres IV et suivant, de l'organisation des FDS et des questions
économiques, sociales et culturelles.
Quand à l'exigence de l'ORA pour la création
d'une commission d'enquête internationale sur les massacres de mai 1990
à Tchintabaraden, les deux parties avaient convenu d'une amnistie
générale. L'Accord du 24 avril était très
significatif dans la mesure où le Gouvernement a accepté
l'intégration des ex-rebelles dans l'armée et dans les autres
corps paramilitaires. En plus, il accepte la mise sur pied d'Unités
à Statut Militaire Particulier constituées des ressortissants des
zones Nord et Est du pays. Jusqu'en mars 1995, les FAN rejetaient en bloc
l'intégration en leur sein des éléments de la
Rébellion.
Dans le domaine économique, la Rébellion a, pour
sa part, concédé des politiques économiques plus souples
en faveur des zones touchées par le conflit qui sont très loin de
ses revendications initiales2. L'Accord du 21 août 98 avec le
FDR est le deuxième Accord définitif. Il est singulier car il est
conclu avec la rébellion toubou du Manga, non signataire des Accords du
24 avril3. Cet Accord s'inspire largement de celui du 24 avril, mais
n'est pas un Protocole Additionnel.
Il reprend les points objet du premier Accord sans le citer
formellement. Par contre, le Protocole d'Accord Additionnel d'Alger
complète l'Accord du 24 avril. Ce Protocole ne faisait que ramener dans
le processus de paix des signataires de l'Accord définitif du 24 avril.
Son contenu n'apporte aucune clause nouvelle par rapport au premier Accord. Sa
seule particularité est d'avoir intégré formellement les
FARS dans le processus.
Par ailleurs, ces quatre Accords ont été
complétés par de nombreux actes déterminant leurs
modalités d'application, à savoir les Relevés
de Conclusions et les Procès-verbaux
des réunions du Comité de
Pilotage5 intervenus entre 1996 et 1998. Ce processus
de « négociation continue », selon
l'expression de Soumana Souley, s'explique par la forme ouverte des Accords de
Paix.
Ce dernier constate : « les Accords de paix
au Niger ont été caractérisés par leur forme
ouverte. En effet, les Accords n'étaient pas finis au moment de leur
signature. Les Accords traitent des questions qui
1 La cellule de liaison
composée d'une quarantaine d'hommes (officiers et hommes
de rang) était mise en place en décembre 1994 à Agadez.
Elle a contribué à instaurer la sécurité dans la
zone de l'Aïr, mais elle eut des difficultés dans la région
de l'Azawak à Tahoua où les autorités militaires
s'étaient opposées à sa présence dans la zone. Voir
HCRP, Note sur la question... op cit, pp. 5-6.
2 Ces revendications étaient devenues caduques
après la signature de l'Accord du 9 octobre 1994 dans lequel la
Rébellion renonçait au « fédéralisme »,
car les revendications politiques contenues dans le Programme Cadre
de la Résistance (février 1994) étaient
justement formulées dans le cadre d'une autre forme d'Etat exigée
par la Rébellion qu'on appelle « fédéralisme
».
3 En fait, selon le témoignage que Moustapha issoufou,
ex-rebelle du FDR, nous a livré (Entretien le 2 octobre 2008 à
Niamey), le FDR n'était pas signataire de l'Accord du 24 avril en tant
que structure, mais beaucoup de rebelles toubous, dont lui-même, avaient
combattu avec les Touaregs depuis le premier noyau du FLAA en 1992. Ils ont
adhéré aux Accords du 24 avril à Niamey avant de reprendre
le maquis à l'Est pour faire prévaloir les intérêts
de leur région.
4 Voir infra, chapitre 2, section 1,
paragraphe 2, point B.
34
La problématique de la gestion post con flit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
demandaient à être
précisées et détaillées par la suite. Souvent, les
questions n'étaient qu'annoncées sommairement. Il en a
résulté au cours de l'application de longs débats
d'interprétations souvent houleux entre les deux parties...
»1.
Selon Mohamed Anacko, Haut Commissaire à la
Restauration de la Paix, « les Accords de Paix n'ont fait de
déterminer les principes généraux, les vraies
négociations n'ont commencé que bien après, au sein du
Comité Spécial de Paix »2. Ces
Relevés de Conclusions et
Procès-verbaux sont pour les Accords de Paix
ce que les règlements (décrets, arrêtés etc.)
représentent pour une loi. Il est donc impossible d'interpréter
les Accords de Paix sans connaître les clauses de ces «
règlements ».
D'ailleurs, dans ce travail, l'expression « Accords de
Paix » signifie non seulement les quatre Accords signés
formellement entre les parties, mais aussi leurs modalités
d'application3. Aussi, outre le caractère vague et
imprécis de certaines clauses, le point E de l'Accord du 24 avril
stipulait clairement que les clauses contenues dans l'Accord n'étaient
pas exhaustives et limitatives. En d'autres termes, il était toujours
possible à la Rébellion d'introduire de nouvelles revendications
que ces Accords auraient occultées.
Il est important de savoir également que les quatre
piliers du processus de paix retenus par le HCRP, à savoir la
décentralisation, la réinsertion, la sécurité et le
développement des régions concernées par la
rébellion, se rapportent exclusivement aux conditions de
désarmement définies par l'article 13 de l'Accord du 24 avril.
C'est suite à l'évaluation des prestations du Gouvernement dans
ces quatre domaines que les Fronts et Mouvements ont été
officiellement dissous et « désarmés » lors de la
Flamme de la Paix de septembre 20004.
Outre les engagements souscrits à l'article 13, le Gouvernement a pris
de nombreux autres engagements plus ou moins fermes à partir desquels le
processus de paix peut être évalué ; et pour lesquels
aucune action d'envergure n'a été menée à ce
jour.5
Par ailleurs, en dehors de leur contenu, l'analyse montre que
ces Accords traduisent des conflits entre acteurs au sein de la
Rébellion. Trois figures se sont disputées le leadership du
mouvement depuis 1991 : Mano Dayak, président de la CRA, Rhissa AG
Boula, président de l'ORA et Mohamed Anacko président de l'UFRA.
La création en 1996 de l'UFRA visait à disputer à Rhissa
AG Boula le leadership de la Rébellion.
La signature du Protocole Additionnel d'Alger en 1997 «
libérait » Mohamed Anacko de la tutelle du président de
l'ORA, Rhissa Ag Boula. La renaissance de la CRA après l'Accord du 24
avril, pourtant dissoute et remplacée par l'ORA en mars 1995,
procédait de la même logique stratégique.
Ressuscitée par Mano Dayak6, la nouvelle CRA posa comme
condition de son adhésion à l'Accord du 24 avril (dont ses
membres étaient signataires) sa reconnaissance officielle
1 Soumana Souley, op cit, p 16.
2 Entretien à Niamey, 16 avril 2008.
3 D'ailleurs, il est important de signaler que les premiers
Relevés de Conclusions étaient
signés en présence des médiateurs, dont le Commandant
Djibril Bassolé pour le Burkina Faso et l'Ambassadeur AbdelKader
Aïtourabi pour l'Algérie.
4 Voir HCRP, Evaluation des dispositions de l'article
13 de l'Accord du 24 avril 1995, décembre 1999.
5 Dans le Titre V de l'Accord du 24 avril (point C), on peut
citer certains engagements pris par le gouvernement, comme
«promouvoir les langues et écritures nationales
notamment le tamachèque et le ti finar », «envisager la
création d'institutions d'enseignement supérieur dans les
régions du Nord », « a f fecter, dans la mesure du possible,
dans les régions, le personnel enseignant ressortissant de ces
régions... », « la création, dans la mesure du possible
du possible, de stations de radio et de télévision
régionales émettant en langues nationales et reprenant les
principaux programmes nationaux» etc.
6 Le combat pour la reconnaissance de la nouvelle CRA fut
poursuivi par Mohamed Akotey après la mort de Mano Dayak dans un crash
d'avion le 15 décembre 1995.
35
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
en tant que coalition distincte de l'ORA de Rhissa Ag Boula.
Elle obtint la dite reconnaissance le 17 mars 1996 à la faveur de
l'avènement du Général Baré Maînassara
Ibrahim au pouvoir le 27 janvier 1996.1
Si la CRA de Mano Dayak visait à saper
l'hégémonie de l'ORA de Rhissa Ag Boula, la CRA de Mohamed Akotey
était une réaction contre la suprématie de l'UFRA de
Mohamed Anacko. En effet, la CRA ressuscitée par Mano Dayak fut «
redissoute » en décembre 1996, en même temps que tous les
autres Fronts (à l'exception de l'ORA) dans le cadre de la
création de l'UFRA comme coalition unique. Battu par Mohamed Anacko
à l'élection pour la conquête de la présidence de
l'UFRA, Mohamed Akotey « ressuscita » la CRA...
L'Accord du 21 août avec le FDR peut être
également perçu comme une stratégie politique des
combattants toubous. Ces derniers qui combattaient aux cotés des
Touaregs se sont repliés dans leur région de l'est afin de se
différencier des Fronts touaregs et ainsi maximiser leurs
intérêts. Ce qui se dégage de ces différents
accords, c'est qu'ils sont quasiment identiques dans leur contenu. Ce qui
importe pour les acteurs, c'est moins le contenu que la forme. Signer un accord
directement avec le Gouvernement confère aux leaders du Front
d'importantes ressources politiques. Sur la base de ces différents
Accords de Paix, un ensemble de politiques publiques ont émergé
au Niger.
1 En mars 1996, l'ORA et la CRA vont créer un
Comité Technique de Négociation (CTN)
constitué de douze (12) membres « en vue de rechercher
les voies et moyens de leur unité d'une part et d'apprécier
ensemble l'application de l'Accord de Paix du 24 avril 1995 d'autre part».
Cf Résistance Armée (CRA-ORA), Acte
Fondamental N°001IRA du 26 mai 1996 portant Création d'un
Comité Technique de Négociation (CTN) au sein de la
Résistance.
36
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
CHAPITRE II : EMERGENCE DES POLITIQUES DE GESTION POST
CONFLIT ET CONTINUITE HISTORIQUE
Les politiques publiques issues du processus de
règlement des rebellions armées au Niger ont permis de mettre en
oeuvre les différentes clauses des engagements pris par les parties.
L'étude du processus d'émergence de ces politiques publiques
offre la possibilité d'aborder le premier axe de notre recherche. Ce
chapitre permet de tester l'hypothèse que les institutions naissent dans
un monde saturé d'institutions. Ces institutions existantes influent de
manière significative sur la configuration de nouvelles institutions.
Cette hypothèse est examinée à travers le rôle
joué par les institutions dans la structuration des réponses
étatiques face au conflit et l'empreinte des institutions existantes
dans les Accords de Paix (Section 1). Ensuite, le poids des institutions se
perçoit par le modelage de la politique de réinsertion par le
cadre institutionnel de gestion post-conflit (Section 2).
Section 1 : La dimension institutionnelle des
réponses étatiques au phénomène
rébellionnaire
Les institutions existantes ont eu un impact sur le
mécanisme de gestion de la Rébellion pendant la période de
Transition et sous la 3e République à travers la
structuration institutionnelle de la gestion du conflit (Paragraphe 1).
L'impact des institutions est également repérable dans les grands
principes des Accords de paix et leurs modalités d'application
(Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : La structuration institutionnelle de la
gestion du conflit
La gestion de la rébellion touarègue a
été considérablement influencée par l'organisation
des pouvoirs publics. Cette influence se mesure par l'orientation de la
politique gouvernementale (A) et la naissance des institutions de gestion du
conflit (B).
A. L'orientation de la politique gouvernementale
Le régime de la Transition issu de la Conférence
Nationale Souveraine fut le premier gouvernement à faire face à
la Rébellion Armée1. L'organisation des pouvoirs
publics pendant cette période était régie par l'Acte
Fondamental n°21 de la Conférence Nationale portant organisation
des pouvoirs publics pendant la période de Transition qui tenait lieu de
constitution2. Les organes de ce régime, qui n'est ni
parlementaire ni présidentiel ou semi-présidentiel, sont
constitués d'un exécutif bicéphale, d'un pouvoir
législatif, d'un pouvoir judiciaire ainsi que des organes de
contrôle. L'exécutif était détenu par le Premier
Ministre, Chef du Gouvernement, élu par la Conférence Nationale.
Le Chef de l'Etat, le Général Ali Saibou, fut maintenu dans des
fonctions protocolaires.
1La Transition a débuté juste
après la fin de la Conférence Nationale Souveraine le 3 novembre
1991 pour s'achever le 15 avril 1993 avec les élections
générales qui inaugurent la 3è République.
2 Laouel Kader Mahamadou, « L'évolution politique
et institutionnelle récente du Niger » in Kimba Idrissa, (dir),
Le Niger: Etat et Démocratie, op cit, pp.
321-352. Voir aussi sur l'organisation des pouvoirs pendant la Transition,
Sanoussi Tambari Jackou, Affaires constitutionnelles et
organisation des pouvoirs au Niger, op cit, pp. 193-208.
37
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Le pouvoir législatif était exercé par un
Haut Conseil de la République (HCR)
constitué par des membres élus par la Conférence Nationale
et présidé par le Pr André Salifou. Le pouvoir judiciaire
était exercé par une Cour Suprême et une Haute Cour de
Justice. De par l'organisation formelle des pouvoirs, la gestion du dossier de
la Rébellion revenait au Chef de Gouvernement en tant que
détenteur du pourvoir exécutif. Cela d'autant plus qu'il cumulait
ses fonctions de Chef du Gouvernement avec celles de Ministre de la
Défense Nationale.
Dès les premiers instants de la Transition, les trois
organes politiques avaient pourtant décidé, compte tenu de la
délicatesse de cette question, d'en faire une gestion commune. L'option
du Gouvernement face à la Rébellion était la recherche
d'une solution pacifique à travers l'ouverture d'un dialogue direct.
Dans la réalité, l'orientation de la politique gouvernementale
fut marquée par la prépondérance du Premier Ministre,
l'opacité dans la gestion du dossier de la rébellion et les
conflits institutionnels entre le Gouvernement et le HCR.
En s'appuyant sur ses attributions constitutionnelles, Cheffou
Amadou imprima sa marque dans la gestion du processus de négociation
avec les rebelles touaregs. C'est ainsi qu'il confia à certains de ses
proches, à savoir Mohamed Moussa et Albert Wright, respectivement les
portefeuilles du Ministère de l'Intérieur et celui
créé le 26 mars 1993 du Ministère de la
Réconciliation Nationale. A la tête de ce dernier
ministère, Albert Wright fut un des concepteurs essentiels de la
politique gouvernementale sur la Rébellion Armée. De par ses
attributions, le Ministre de la Réconciliation Nationale responsable
devant le premier ministre, disposait de la plénitude des
compétences sur la Rébellion.
La marginalisation des autres organes, à savoir le Chef
de l'Etat et le Président du HCR se manifestait dans le refus du Premier
ministre de rendre compte à ces derniers des initiatives qu'il prenait.
C'est ainsi qu'en mai 1992, le Premier ministre envoya à Paris une
délégation de trois personnalités pour prendre contact
avec Mano Dayak, un des cerveaux de la Rébellion1 à
l'insu du Chef de l'Etat et du Président du HCR.
Le Premier ministre avait déjà envoyé
secrètement une mission pour rencontrer la Rébellion le 9
février 1992. Les autres organes de la Transition ne seront
informés que plus tard de cette mission conduite par Soumana Souley,
alors Conseiller du Ministre de l'Intérieur. Le Premier ministre
était conforté dans sa politique unilatérale par des
activistes touaregs résidant à Niamey qui, dans une lettre
à lui adressée, rappelaient « à
l'Exécutif qu'il demeure le seul responsable du règlement de la
rébellion touarègue »2.
Mais cette politique solitaire du Premier Ministre
inspirée en partie par la configuration institutionnelle formelle
n'occulte pas le rôle structurant des institutions informelles. Une des
institutions existantes était l'armée et la façon dont
elle perçoit son rôle non seulement dans le champ politique, mais
aussi et surtout sur les questions militaires. Depuis 1974, année du
premier coup d'Etat, l'armée nigérienne est devenue une
armée politique, c'est-à-dire une armée qui perçoit
sa participation dans le jeu politique comme légitime3.
Les militaires nigériens ont toujours
considéré la rébellion touarègue comme relevant de
leurs seules compétences. Les mutineries de l'armée entre le 26
février et le 3 mars 1992 procèdent de cette logique. Les
militaires précédèrent à plusieurs arrestations de
responsables
1 André Salifou, La question touarègue
au Niger, op cit, p. 152.
2 Ibid, p. 137.
3 Kees Koonings and Dirk Kruijt, « Military and the
mission of nation building» in Kees Koonings and Dirk Kruijt (eds)
Political Armies: the military and nation building in the age of
democracy, London, Zed Book, 2002, p. 9-34.
38
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
politiques dont le Président du HCR et le Ministre de
l'Intérieur et libérèrent le capitaine Maliki
Boureima1, incarcéré à Kollo pour des massacres
commis contre des Touaregs en mai 1990 à Tchintabaraden. La rupture du
principe de soumission de l'armée au pouvoir politique traduit un
conflit entre deux institutions. L'institution formelle qui fait de
l'armée la main du pouvoir politique et une institution informelle
ancrée dans la culture militaire qui légitime son insoumission au
pouvoir civil.
La réaction de l'armée va également se
heurter à une autre institution liée au rôle de la France.
Paris avait confié le dossier de la Rébellion à la
Direction Générale de la Sécurité Extérieure
(DGSE). A Niamey, il s'est développé un processus informel et
secret de gestion de la Rébellion entre le Premier ministre et le
colonel Vié, Facilitateur Français au Niger. Pour André
Salifou, « Le Premier ministre ne conçoit absolument
rien par lui-même. C'est le facilitateur qui imagine et met au point tous
les scénarios »2.
Cette gestion opaque suscita la réaction
sévère du chef d'Etat-major des FAN, le Lieutenant-colonel Issa
Maazou qui s'exprimait lors d'une rencontre de la Cellule de
Réflexion le 23 février 92 en ces termes : «
Ce sont les FAN qui se battent contre la rébellion. Nous
sommes là, toujours disponibles, mais le Premier ministre
préfère passer des heures interminables avec le colonel
Vié, sans même prendre notre avis. Une telle façon de faire
doit cesser... »3. L'avènement de la
3e République en avril 93 marque un tournant politique
important. La Constitution du 26 décembre 1992 consacre un régime
semi-présidentiel qui fait du Président Mahamane Ousmane la
clé de voûte des institutions, mais ce dernier doit composer avec
un Chef de Gouvernement et un Parlement dotés de pouvoirs
propres4.
Ces mutations institutionnelles eurent un impact sur
l'orientation de la politique gouvernementale. Désormais, le
Président de la République devient le principal maître
d'oeuvre de la politique de défense nationale. Mais ses pouvoirs sont
limités par une configuration politique et institutionnelle assez
complexe. Le pouvoir reposait sur une coalition de partis, l'Alliance des
Forces du Changement (AFC) dont les trois principaux leaders se sont
partagé les trois postes clés : Mahamane Ousmane à la
Présidence, Mahamadou Issoufou à la Primature et Moumouni
Djermakoye à l'Assemblée Nationale.
Le Président Mahamane Ousmane maintient la politique du
dialogue avec la Rébellion. Le Parlement influença largement
l'orientation de sa politique Ainsi, suite de la rencontre avec la CRA en
février 1994 à Ouagadougou (Burkina Faso), le Gouvernement
introduit le document de la CRA, (le Programme Cadre de la
Résistance) devant le Parlement. Les débats
extrêmement passionnés au Parlement ont largement orienté
la politique du Chef de l'Etat. Les députés avaient
1Considéré comme un héros, le
capitaine Maliki Boureima était le seul officier qui avait reconnu
pendant la Conférence Nationale avoir ordonné des
exécutions sommaires des Touaregs en mai 1990. Lors de son audition
publique à cette occasion, ses aveux avaient provoqué un tonnerre
d'acclamation de la salle, non pas pour le féliciter d'avoir commis des
crimes, mais pour apprécier son courage car beaucoup d'officiers
supérieurs avaient nié leur implication dans ces massacres. Les
acclamations furent interprétées autrement par les Touaregs :
« le capitaine Maliki, héros de son étatfut
acclamé par la salle lorsque avec le plus grand mépris, il
exposait comment il a mené sa sale besogne, et surtout quand il a
décrit la manière macabre dont il a achevé le vieux
Abdoulmonine qui agonisait suite aux tortures qu'il a subies
», in CRA, Programme Cadre de la
Résistance, op cit, p. 24.
2 André Salifou, op cit, p. 178.
3 Ibid, 173.
4 Laouel Kader Mahamadou, « La fonction
présidentielle sous la 3è République » in
Sahel Dimanche du 18 septembre 1992, p. 4.
39
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
unanimement rejeté le projet de partition du pays
proposé par la Rébellion qui revendiquait les 2/3 du territoire
national.
Toute négociation avec la Rébellion doit
être encadrée par des principes intangibles, à savoir le
caractère unitaire de l'Etat, l'intégrité territoriale et
le respect d'une manière générale de la Constitution du 26
décembre 1992. C'était d'ailleurs à la demande du
Parlement que le Gouvernement élabora le Document de base du
Gouvernement du Niger devant servir aux négociations avec la
Rébellion en avril 1994. Cependant, aussi bien dans la
gestion du conflit par la Transition que sous la 3e
République, les institutions n'expliquent pas à elles seules les
situations politiques. Les néo-institutionnalistes reconnaissent,
d'ailleurs, le rôle important d'autres variables dans l'explication des
situations politiques1.
De celles-ci, on peut citer sous la Transition, les relations
personnelles difficiles entre Cheffou Amadou et André Salifou, la
personnalité modérée et réservée du
Président Ali Saibou, etc. Sous la 3e République, des
variables comme l'affaiblissement de l'Etat, la situation désastreuse
des finances publiques, la médiation des pays amis entre autres ont eu
leur effet sur l'orientation de la politique du régime. Le rôle
des institutions peut être également analysé par la
prolifération d'institutions.
B. La prolifération d'institutions
L'impact structurant des institutions existantes est
repérable dans la nature des institutions de gestion du conflit qui ont
proliféré aussi bien pendant la Transition que sous la
3e République. Pendant la Transition, la
prépondérance du Premier ministre de par la configuration
constitutionnelle s'exprimait éloquemment dans la nature de certaines
institutions et mécanismes mis en place. Une Cellule de
Réflexion fut instituée pour assurer une
concertation permanente entre les différents organes de la Transition.
Son rôle purement consultatif ne menaçait nullement les
attributions du Premier ministre2.
En outre, le Gouvernement institua par arrêté
n°29/PM du 23 août 1993 un Conseil National de
Sécurité présidé par le Ministre de
l'Intérieur qui coordonnait les actions des différents organes
compétents en matière de «
sécurité intérieure et défense du
territoire »3. Contrairement à la
Cellule, aucun représentant du HCR et de la
Présidence de la République ne figurait dans sa composition.
Cette logique de concentration de pouvoirs en faveur du
Gouvernement se traduit surtout par la création par décret
n°93-53/PM/ME/CRN du 26 mars 1993, du Ministère
Chargé de la Réconciliation Nationale à la
tête duquel fut placé Albert Wright, homme de confiance du Premier
ministre. Ce ministère était investi de toutes attributions en
matière de gestion « de la rébellion,
des
1 Mamoudou Gazibo et Jane Jenson, op cit, p. 210.
2 Cette institution survécut à la Transition. En
1994, la composition de cette Cellule de réflexion
était la suivante : ministre de la Défense,
ministre de l'Intérieur, ministre des Affaires Etrangères,
ministre de la Justice, ministre de la Réforme Administrative et de la
Décentralisation, Secrétaire d'Etat au Plan, Haut Commissaire
à la Restauration de la Paix, un Conseiller du Président de la
République, un Chargé de Mission à la Présidence,
le Chef d'Etat Major Particulier du Chef de l'Etat et le Chef d'Etat Major
Adjoint des Forces Armées Nationales (FAN). Voir HCRP, Note
sue la question... op cit. p. 41.
3 Journal officiel de la République du
Niger, n°18 du 15 septembre 1993.
40
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
conflits ethniques, politiques et religieux, des
problèmes de minorités et à la conception et mise en
oeuvre d'une politique de développement harmonieux des régions
»1.
Par son existence, ce ministère d'Etat
institutionnalisait la politique solitaire initiée par le Premier
ministre en ce qu'il écartait de facto toute participation des autres
organes dans la gestion de la Rébellion. En même temps, le
Ministère Chargé de la Réconciliation
Nationale peut être perçu comme la traduction de la
politique de dialogue du Gouvernement contre les solutions militaires que
prônaient les FAN. Une autre signification de cette institution est
qu'elle reflète une institutionnalisation des problèmes
ethniques. En effet, ce ministère marque une rupture avec le discours
universaliste de l'Etat qui faisait abstraction des clivages ethniques que la
Rébellion exprimait.
La Rébellion a de ce point de vue permis un changement
qualitatif dans le système politique nigérien en introduisant sur
l'agenda institutionnel les problèmes des minorités ethniques.
Cette attitude « réflexive
»2 avait d'ailleurs conduit le Gouvernement
à créer par décret n°92-319/PM du 2 octobre 1992 une
Commission ad hoc Chargée de Réfléchir sur le
Règlement Négocié de la Rébellion
Armée. Il s'agissait pour le Gouvernement de rechercher
une « solution au problème de la rébellion
à travers la réflexion, la concertation et la responsabilisation
de la communauté nationale »3.
Contrairement au Conseil National de
Sécurité, la Commission
comptait en son sein des représentants des organes de la
Transition. Elle regroupa plus de cent trente trois (133) participants issus de
tous les secteurs de la société nigérienne
(société civile, administration, Forces de Défense et de
Sécurité, université etc.). Dans son rapport, cette
Commission procédait à une analyse du
problème touareg et proposait des voies de sortie à court, moyen
et long terme4.
Ainsi, il est loisible de constater que l'émergence de
toutes ces institutions ad hoc ou permanentes traduisait l'effet structurant de
la configuration institutionnelle de cette période, même si elles
ont revêtu d'autres significations politiques. Cette hypothèse se
vérifie également avec l'avènement de la
République. Le changement des institutions engendra une certaine rupture
avec le cadre institutionnel existant.
Mais le cadre institutionnel de la Transition exerça
une emprise sur les nouvelles institutions car certains mécanismes comme
la Cellule de Réflexion furent maintenues. La
rupture s'opéra avec la création par décret
n°93-160/PRN du 12 novembre 1993 de la Commission de
Restauration de la Paix (CRP) auprès du Chef de
l'Etat5. Celle-ci reprenait presque in extenso
les attributions du Ministère Chargé de
la Réconciliation Nationale. La CRP,
présidée par une personnalité nommée par le Chef de
l'Etat, est composée de membres issus de la société
civile.
Par sa création, le Chef de l'Etat reprenait la gestion
du dossier de la Rébellion en vertu de ses attributions
constitutionnelles. N'étant pas Chef de Gouvernement au regard de la
nouvelle architecture institutionnelle, la suppression du
Ministère Chargé de la Réconciliation
Nationale par le Chef de l'État visait pour ce dernier
à s'approprier la gestion directe de ce dossier. La CRP fut
1 Voir aussi décret n°93-57/PM/ME/CRN du 26 mars
1993 portant organisation du Ministère Chargé de la
Réconciliation Nationale dans le Journal
officiel de la République du Niger, n°8 du 15 avril
1993, p. 233.
2 Pour dépasser la crise de légitimité de
l'Etat moderne, certains auteurs comme Jurgen Habermas proposent une attitude
dite réflexive ou herméneutique par laquelle le «
système » se réconcilie avec le « monde vécu
». Cette attitude consiste pour l'Etat à se remettre en cause en
adoptant des réponses moins systémiques face aux problèmes
sociaux. Voir Jurgen Habermas, Théorie de l'agir
communicationnel, Paris, Fayard, 1987.
3 Journal Officiel de la République du
Niger, Numéro Spécial 5 du 13 novembre 1992, p.
3.
4 République du Niger, Rapport de la
Commission Ad hoc..op cit.
5 Journal Officiel de la République du
Niger, n°12 du 15 novembre 1993.
41
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
transformée en Haut Commissariat à
la Restauration de la Paix (HCRP) par décret
n°94-007/ PRN du 14 janvier 1994.
Le HCRP est une institution permanente rattachée
à la Présidence de la République1 et
chargée, au terme de l'article 2 du décret cité plus haut,
« de rechercher et lever tous les obstacles à la
consolidation de l'unité Nationale et au raffermissement de la paix
sociale ». A ce titre, il assure la conception et la mise en
oeuvre de toutes les mesures et actions relatives à :
- la consolidation de l'unité nationale
- au raffermissement de la paix sociale
- au règlement négocié de la
rébellion armée
- au suivi permanent de toutes les actions entreprises.
Le HCRP est à la fois un mécanisme de gestion,
mais aussi de mise en oeuvre des
engagements pris entre les parties dans la phase
post-conflit. Cette rupture institutionnelle cache mal certains
éléments de continuité qui relèvent d'une logique
politique et pragmatique. En effet, le PM Cheffou Amadou et le nouveau
Président de la République Mahamane Ousmane étaient du
même parti politique, la Convention Démocratique et Sociale (CDS
Rahama).
Cela explique le maintien de certains responsables
impliqués dans la gestion de la Rébellion sous la Transition
ainsi que de la même approche pour le dialogue. Mr Mal Maigana,
nommé Haut Commissaire à la Restauration de la Paix et Mr Soumana
Souley, Conseiller Technique au HCRP, ont été maintenus en partie
pour leurs relations avec le régime de la Transition. Leur maintien dans
le processus obéissait également à un réalisme
inspiré par leur connaissance fine et pratique de ce dossier
délicat. Le Président de la République mis en place
également par décret n°94-185/PRN du 28 novembre 1994, une
Commission Nationale de Collecte et de Contrôle des Armes
Illicites afin de contenir la circulation des armes illicites
provoquées par le conflit au Nord2.
L'ensemble de ce dispositif institutionnel était
censé assurer un règlement négocié de la
Rébellion Armée en même qu'il jetait les bases d'une paix
durable. La survivance sous la 3e République de certaines institutions
nées sous la Transition, au delà les explications politiques,
démontre le poids de l'héritage institutionnel de la Transition
sur les nouvelles institutions. En même temps, elle montre la pertinence
de la théorie incrémentaliste de la
décision qui traduit «l'idée que les politiques
publiques évoluent le plus souvent de façon graduelle etpar un
mécanisme de petits pas »3.
Avec la conclusion des Accords définitifs le 24 avril
1995, certains principes ont été édictés pour
asseoir une paix durable. Leur analyse confirme également
l'hypothèse de la continuité historique des institutions.
Paragraphe 2 : La structuration institutionnelle des
Accords de Paix
L'hypothèse testée plus haut peut être
confrontée à la réalité dans l'analyse de la
gestion post-conflit. Celle-ci permet d'identifier le poids des institutions
dans la définition des principes de base des Accords de Paix (A) et dans
leurs modalités d'application (B).
1 Journal Officiel de la République du
Niger, n°3 du 1er février 1994.
2 Journal Officiel de la République du
Niger, n°24 du 15 décembre 1994, p. 985.
3 Alexandra Jonsson, « Incrémentalisme » in
Laurie Boussaguet et al, Dictionnaire des politiques
publiques, op cit, p. 261.
42
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Août 2009
A. Les principes de base des Accords de Paix
Les Accords de Paix, en ce qu'ils prenaient en compte les
revendications de la Rébellion sur la forme de l'Etat, étaient
censés consacrer une rupture avec les institutions politiques
existantes. L'étude du contenu des Accords de Paix montre à la
fois l'effet structurant des institutions existantes, mais aussi des
éléments de rupture. Dès la signature de l'Accord du 9
octobre 1994, le Gouvernement obtint de la Rébellion l'acceptation de la
décentralisation en lieu et place du « fédéralisme
».
Cet Accord sur la forme de l'Etat fut repris dans les Accords
du 24 avril au titre II où les parties réaffirment leur «
l'attachement à la constitution du 26 décembre 1992
» et leur l'adhésion aux «
déclarations des droits de l'homme de 1948, et la Charte
Africaine des droits de l'homme et des peuples de 1981 ». Il
s'agissait d'un pas majeur quand on sait que dans le Programme
Cadre de la Résistance (PCR), la Rébellion
proposait une forme d'Etat assez atypique. Celle-ci n'était ni une
fédération, ni une confédération, encore moins un
Etat unitaire décentralisé. Ce qui caractérisait cette
forme d'Etat, c'était avant tout une conception fascisante de la
nation1.
Dans leur analyse juridique de ce
«fédéralisme inédit»,
Mamadou Dagra et Amadou Tankoano écrivaient : « Le
fédéralisme de la rébellion tend à la
"purification" ethnique comme en Bosnie. En effet, tant du point de vue du
territoire, de la population que du pouvoir politique, il vise à la mise
en place d'un Etat à base ethnique dans lequel n'auraient des droits que
les "ressortissants" des régions revendiquées. Ainsi, seuls les
"autochtones" seraient électeurs et éligibles ; eux seuls
seraient bénéficiaires de recrutements aussi bien dans les
sociétés minières, l'administration que dans les Forces de
Défense et de Sécurité
»2.
Ces Accords démontraient l'impact des normes
établies d'autant plus que la procédure d'adoption des textes sur
la décentralisation suivait les formes classiques d'adoption des lois.
Toutefois, les Accords de Paix introduisaient une procédure
exceptionnelle consistant en la participation des ex-rebelles dans une
commission spéciale de reforme administrative. La politique de
réinsertion des ex-combattants, telle qu'elle était
esquissée dans les Accords de Paix, reflétait également
l'impact des institutions.
Dans le titre V (point D.3) de l'Accord du 24 avril, le
Gouvernement s'engageait à « intégrer des
éléments démobilisés de l'ORA à tous les
niveaux de l'administration publique selon les critères de
compétence et les nécessités de l'Etat », «
Il en sera de même pour les fonctions politiques».
Dans le même sens, le Gouvernement assortit l'intégration des
ex-combattants dans les FAN, la Gendarmerie Nationale, les Forces
paramilitaires à une «formation
appropriée» après avoir souscrit à un
« engagement conformément aux dispositions
réglementaires ».
Au sein des FAN par exemple, 19 ex-combattants
intégrés, déclarés inaptes pour le corps, furent
remplacés en 19974. Ces dispositions des Accords de Paix
traduisent le souci permanent de l'Etat de préserver les institutions
existantes et les normes régissant son fonctionnement. Le Gouvernement
n'entendait pas sacrifier les principes de l'Etat de droit sur l'autel du
pragmatisme et de la real politik commandés
par les circonstances. Mais cette subtilité de la partie
1 Les «régions touarègues» seront
dotées de leur propre constitution à laquelle doit se conformer
la constitution du Niger. Dans ces régions revendiquées par la
Rébellion, « seules les populations touarègues,
Kawariennes et Peuls Bororos autochtones seront électrices et
éligibles. Les résidents des autres Régions du pays pour
des raisons commerciales, administratives et autres ne seront ni
électeurs ni éligibles » in CRA,
Programme Cadre de la Résistance, p. 9.
2 Mamadou Dagra et Amadou Tankoano, « Le Programme Cadre de
Résistance et le Droit» in SNECS, op cit, p. 59.
3 Souligné par nous.
4 HCRP, Estimation du coût du processus de
paix, juillet 1998, p. 4.
43
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
gouvernementale répond aussi à une influence
diffuse de l'opinion publique nigérienne qui n'a jamais fait
mystère de son opposition à toute forme de privilèges aux
ex-combattants.
Les revendications politiques de la Rébellion ont
suscité au Niger des réactions très vives quand à
leur bien-fondé. L'argument d'une marginalisation des Touaregs dans la
gestion des affaires publiques et la répartition des investissements de
l'Etat a été farouchement combattu. L'idée selon laquelle
depuis l'indépendance, les critères d'octroi des ressources
étatiques étaient basés sur « le
degré de parenté avec les dignitaires du régime et le
degré d'éloignement de la souche touareg
»1 a été contredite par le
Gouvernement et certains auteurs à travers des statistiques
fiables2.
Le constat dressé par le Pr André Salifou est
significatif à cet effet : « La république du
Niger a été proclamée le 18 décembre 1958, et
dès le 31 décembre, sur les 12 membres du gouvernement du Niger,
on compte dé'à deux touaregs, MM. Zodi Ikhia au ministère
de l'Education, de la Jeunesse et des Sports et Mouddour Zakara comme ministre
de la Fonction Publique. Et depuis cette date, il y a eu en moyenne deux
ministres touaregs dans les 38 gouvernements qui se sont succédés
au Niger, ce qui est considérable car cette moyenne est de quatre pour
les haoussas qui constituent 50% de la population du Niger tandis que les
Touaregs n'en représentent que 8 à 9 %. Mieux, les Touaregs ont
représenté 22% de l'équipe gouvernementale. C'est le cas
dans le gouvernementformé le 14 novembre 1983 où ils sont 5 sur
les 22 ministres »3.
Le Gouvernement courait le risque d'entamer sa propre
légitimité en adhérant totalement au principe de
discrimination positive revendiqué par la Rébellion. Cependant,
en dépit de cette influence des institutions et des facteurs politiques,
certains éléments de rupture sont repérables dans les
Accords de Paix. C'est ainsi que, contrairement aux normes en vigueur, le
Gouvernement s'engageait à réintégrer des
éléments de la Rébellion ayant quitté leurs
fonctions dans l'administration publique, les sociétés d'Etat et
les élèves et étudiants ayant quitté leurs
établissements (art 16 Accord du 24 avril).
Les intégrations au sein de tous les corps de l'Etat
faisaient aussi dérogation aux lois et règlements en vigueur dans
la mesure où les ex-combattants étaient dispensés de
passer les concours d'entrée, là où cela était
exigé. S'agissant précisément des Forces de Défense
et de Sécurité, le Gouvernement s'était engagé
à revoir « à la hausse le contingent des recrues
ressortissants de la done touchée par le conflit
»4 et de « mettre un accent sur
le recrutement du personnel local »5 pour ce qui
est des agents des Forces paramilitaires.
Aussi, le Gouvernement s'était engagé à
«favoriser le développement de l'économie
régionale par la mise en oeuvre pour l'ensemble du secteur industriel et
minier des mesures incitatives à la création d'emplois
en
1 CRA, Programme Cadre de la
Résistance, op cit, p. 9.
2 On peut retenir par exemple qu'en 1990, le taux de
couverture sanitaire pour le Département d'Agadez (la plus grande
région du nord) était de 58,10% avec une population
estimée à 228 000 habitants contre : 31,75% pour le
département de Diffa (200 000 habitants), 25,56% pour le
département de Dosso (1 100 000 habitants), 26,22% pour le
département de Maradi (1 500 000 habitants), 23, 10% pour le
département de Tahoua (1 400 000 habitants), 28,98% pour le
département de Tillabéri (1 422 000 habitants), 26,44% pour le
département de Zinder (1 511 000 habitants), 31,31% pour la
Communauté Urbaine de Niamey dont la population est le double de celle
du département d'Agadez. Voir André Salifou, op cit, p. 99.
3 Ibid, p. 85.
4 Accord du 24 avril 1995, article 17 (Titre IV, point B)
5 L'insistance sur le personnel local rappelle la
northernisation policy du Gouvernement
Régional du Nord Nigeria dans les années 50 et 60 sous la
direction de Sir Ahmadu Bello. Cette politique a consisté à
remplacer progressivement, mais systématiquement les agents
chrétiens d'origine sudiste par des agents nordistes, musulmans en
majorité et d'ethnie haoussa-fulani. Voir Albert Olawale,
«Federalism, inter ethnic conflicts and the northernisation policy of the
50s and 60s » in Kunle Omuwo et al (eds), op cit, pp. 51-63.
44
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
faveur des populations locales qui
bénéficieront d'une priorité dans le recrutement
»1. Ces dispositions tranchent manifestement
avec les principes universels jusqu'ici en vigueur en ce qu'elles introduisent
la discrimination positive en faveur des ex-rebelles. Une telle rupture
était inévitable vu le contexte de la signature de ces Accords de
Paix qui sont issus d'un rapport de force.
Le passage de la politique de réinsertion à
l'agenda institutionnel est mieux appréhendé par le
modèle de la mobilisation externe de mise à l'agenda.
Selon ce modèle explicatif, la mise à l'agenda
s'effectue « lorsque des groupes organisés parviennent
à transformer leurproblème en question d'intérêt
public, en constituant une coalition autour de leur cause, et à
l'imposer à l'agenda public pour contraindre les autorités
publiques à l'inscrire à l'agenda gouvernemental appelant une
décision »2.
L'analyse néo-institutionnelle met l'accent sur la
notion de critical juncture (point tournant) pour
expliquer la naissance des institutions. Selon André Lecours,
«les institutions sont le produit de processus historiques
concrets, particulièrement ceux marqués par des dynamiques
conflictuelles »3. En d'autres termes,
l'émergence des institutions doit se comprendre en termes de relation de
pouvoir à des moments historiques précis.
De ce point de vue, le Gouvernement ne pouvait éviter
de faire certaines concessions à la Rébellion compte tenu des
conditions quasi-révolutionnaires de la conclusion des Accords de Paix.
Les éléments de continuité et de rupture avec les
institutions se vérifient surtout dans les modalités pratiques de
l'exécution des Accords de Paix.
B. Les modalités d'application des Accords de
Paix
Les Accords du 24 avril prévoyaient la mise en place
d'un Comité Spécial de Paix (CSP)
constitué des deux parties et des trois médiateurs chargé
de démarrer la mise en oeuvre des engagements pris. Le CSP siégea
à cinq reprises à Niamey en 19954. Mais, grâce
à la « confiance retrouvée »
entre la partie gouvernementale et la Rébellion, il fut
décidé sur proposition de la France, que les deux parties
continuent seules la mise en oeuvre des Accords. C'est ainsi que s'agissait de
la réinsertion des ex-combattants, des rencontres entre les deux parties
aboutirent aux Relevés de Conclusions
suivants5 :
- Le Relevé de Conclusions entre le Gouvernement et
l'ex-Résistance autour de la détermination des effectifs du 7 au
4 juillet 1996 ;
- L'Acte Additif à la détermination des
effectifs entre le Gouvernement et l'ORA en date du 4 septembre 1996 ;
- Le Protocole d'Accord sur le cantonnement, les
intégrations et le désarmement des 25 novembre au 14
décembre 1996 ;
1 Accord du 24 avril 1995, article 22 (Titre V, point B).
Souligné par nous.
2 Phillipe Garraud, «Agenda/Emergence » in Laurie
Boussaguet et al, Dictionnaire des politiques
publiques, op cit, p. 54.
3 André Lecours, op cit, p. 12. Voir aussi M. Gazibo et J.
Jenson, op cit, p. 204.
4 Les cinq sessions se sont tenues aux dates ci-après :
- 1ère session du 23 mai au 2 juin 1995
- 2è session du 13 juillet au 11 août 1995
- 3è session du 10 au 18 novembre 1995
- 4è session du 5 au 18 novembre 1995
- 5é session du 13 au 26 décembre 1995. Voir
HCRP, Mise en oeuvre des Accords de Paix, août
1996, p. 3.
5 HCRP, Bilan du processus de paix,
août 2004, p. 5.
45
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
- Le Forum de réconciliation intercommunautaire de
Tahoua (CVT -- CAD) du 15 février 1997 ;
- Les Procès-verbaux des Comités de Pilotage du
3 septembre 1997 et 22 avril 1998 ;
- Le Relevé de Conclusions entre le HCRP et les FARS
suite à l'armement additionnel du 2 juin 1999 ;
- Le Relevé de Conclusions entre le HCRP et le FDR du
19 août 1999 ;
- Le Relevé de Conclusions entre le HCRP et la Milice
Peulh du 7 février 2000 ;
- Le Relevé de Conclusions entre le HCRP et la Milice
Arabe de N'Guigmi du 30 mai 2000.
Les critères de déterminations des quotas par
Front ou Mouvement reposaient essentiellement sur l'armement détenu,
c'est-à-dire la « capacité de
nuisance» selon l'expression du Colonel Laouel Chékou
Koré, ancien Haut Commissaire à la Restauration de la Paix.
Ainsi, plus la structure dispose d'armes, plus elle aura des quotas. La
qualité des armes importait beaucoup puisqu'on tenait compte du nombre
de personnes nécessaire pour les manier. A titre d'exemple, un
Kalachnikov donne droit à une (1) place, une lance-roquette anti-char ou
une 12-7 donne trois (3) à quatre (4 places), un appareil radio de
transmission peut donner une (1) à deux (2) places etc. Cette formule
propre à l'institution militaire reflétait l'effet de celle-ci
sur ce processus décisif.
De l'avis de Soumana Souley, «par ce
procédé incitatif, le Gouvernement entendait dissuader les
rebelles de garder des armes de guerre.1 Pourtant, le
désarmement de certains chefs de guerre comme Chahaï Barkaï
des FARS ne fut pas chose aisée2. Aussi, cette formule,
pourtant universelle en matière de gestion post-conflit, ne fut pas
appliquée à la lettre. Il était apparu que les Fronts les
moins dotés en armement en seraient lésés. En
vérité, beaucoup de ces Fronts étaient fictifs, ils
étaient créés à la hâte par certains
opportunistes pour bénéficier des intégrations.
Déjà en 1996, lors de la réunion de
travail entre le HCRP, la Rébellion et la Médiation sur les
modalités de cantonnement, le HCRP avait proposé trois
critères d'admission sur les sites de cantonnement : être
nigérien, appartenir à un Front et détenir une arme. Ce
dernier critère fut rejeté par la Rébellion qui estima que
« tout élément remplissant les deux premiers
critères dans la limite de 5900 combattants devrait être admis
»3. Cette position fut acceptée par le
HCRP et la Médiation.
La Réunion du Comité de Pilotage
du 3 septembre 1997 a décidé d'attribuer les quotas
au prorata de 20 % de l'effectif théorique et 80% pour
l'armement4. En 1999, le FDR, s'estimant lésé par les
critères définis plus haut, introduisait un critère
d'ordre démographique et spatial. Dans un document adressé au
HCRP, il exprimait sa position en ces termes : «Pour le FDR,
le
1 Entretien à Niamey, 15 avril 2006.
2 Le « Commandant»
Chahaï avait signé un accord avec le gouvernement le 6 juin 2000
qui l'autorise à garder des armes même après le
désarmement de tous les Fronts afin d'assurer sa sécurité.
Ces armes devraient être restituées après l'installation
des USS dans le Kawar. Il garda ainsi une mitrailleuse 14,5 mm, une FAL
N°56353, une AK47 N°R22462, une SG N°64827 et quatre PA. Avec
l'installation des USS dans le Manga en fin 2000, le HCRP lui somma par lettre
N°44/HCRP/CT du 22 février 2001 de rendre les armes détenues
conformément à l'accord conclu. Une mission du HCRP fut
dépêchée pour le rencontrer à cet effet, mais en
même temps, les FAN en décidaient autrement. Une mission
lancée en même temps que celle du HCRP le 21 septembre 2001
attaqua le convoi du « commandant» qui
trouva la mort dans les combats. Voir HCRP, Bref aperçu sur
le désarmement des FARS, (document non daté) et
HCRP, Armement détenu par les FARS, juin
2000.
3 HCRP, Procès-verbal de
Réunion, 25 septembre 1996, p. 4. Voir aussi, HCRP,
Protocole d'Accord sur le cantonnement, les intégrations et
le désarmement, 25 novembre au 17 décembre 1996, p.
2.
4 Procès-verbal de Réunion du
Comité de Pilotage du 3 septembre 1997, p.
3.
46
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Karvar-Manga est un espace géographique
aussi vaste que l'Aïr-ADarvak et la population qui y vit est aussi
nombreuse que celle de l'Aïr-ADarvak. Il serait dès lors aberrant,
voire cynique de vouloir affecter au FDR, le 1/15 des quotas
réservés à l'autre ex-Rébellion. Une telle
démarche ne peut relever que du simplisme et de l'arithmétique
pur »1. C'était donc sur la base d'une
formule hybride combinant les critères à la fois politiques et
techniques que les quotas furent déterminés, tel que
illustré dans le tableau n°1 ci-dessous.
Tableau n°1 : Poids des Fronts et Mouvements en
pourcentage et par ordre dé croissant2
Structures
|
Statut
|
Pourcentage
|
Zone d'intervention
|
FARS
|
Front toubou
|
14,19%
|
Kawar
|
FPLS
|
Front touareg
|
12,33%
|
Aïr
|
FLT
|
Front touareg
|
10,54
|
Aïr
|
FLAA
|
Front touareg
|
9,31%
|
Aïr
|
MUR
|
Front touareg
|
8,40%
|
Aïr
|
CVT
|
Mouvement arabe
|
7,76%
|
Azawak
|
APLN
|
Front touareg
|
6,04%
|
Azawak
|
FAR/UFRA
|
Front touareg
|
5,86%
|
Aïr
|
CAD
|
Mouvement arabe
|
5,58%
|
Azawak
|
MRLN
|
Front touareg
|
5,45%
|
Azawak
|
FFL
|
Front touareg
|
4,12%
|
Azawak
|
ARLN
|
Front touareg
|
3,35%
|
Azawak
|
FAR/ORA
|
Front touareg
|
2,11%
|
Aïr
|
FPLN
|
Front touareg
|
2,8%
|
Azawak
|
|
Source : HCRP, Poids en
pourcentage des ex-Fronts et Mouvements, juillet 2006.
Les modalités d'application montraient, par ailleurs,
le rôle des institutions existantes dans l'attribution des grades. La
hiérarchie militaire refusa l'attribution des grades aux ex-rebelles
démobilisés. Dès mars 1995, les FAN s'étaient
prononcées contre toute intégration des éléments
démobilisés de la Rébellion en leur sein ; «
cela du fait même du caractère républicain
d'une armée, condition fondamentale de la viabilité de l'Etat
»3. Selon les officiers, l'égalité
d'accès pour tous les citoyens aux emplois militaires est «
incompatible avec la prise en compte de facteur ethnique
»4.
En effet, les mesures de discrimination positive en faveur
des ex-combattants contredisent les normes régissant l'institution
militaire. Cette contradiction fut à l'origine de la reprise des
hostilités par l'UFRA en septembre 1997. Finalement, les FAN ont
accepté le principe de l'intégration des éléments
démobilisés, mais à condition d'être encadrée
par des normes
1 FDR, Propositions du FDR sur
l'intégration, la réintégration, l'insertion
socio-économique et la détermination des grades, 23
février 1999, p. 1.
2 Seuls les Fronts et Mouvements du Manga (Est) ne figurent
pas dans ce tableau, à savoir le FDR, rébellion toubou et les
deux Milices de la zone (Milice Arabe de N'Nguigmi et la Milice Peulh de
Diffa). Ces structures ont été intégrées avec les
Accords de N'Ndjamena de 1998 sur des bases forfaitaires.
3 HCRP, Note sur la question de..., op
cit, p. 18.
4 ibid.
47
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
pré cises1. C'est ainsi qu'il fut
décidé que la formation des éléments
démobilisés ne pouvait se faire dans des camps isolés,
contrairement aux voeux de la Rébellion qui envisageait la formation de
ses éléments dans des écoles françaises. Les
écoles existantes de formation furent alors utilisées.
Ainsi, la logique institutionnelle propre à cette
structure étatique fut un facteur structurant dans l'application
pratique des clauses liées à la réinsertion. L'option du
HCRP fut dès les Accords du 9 octobre 1994 de solliciter l'avis de
toutes les structures de l'Etat sur d'éventuelles intégrations
des éléments de la Rébellion. Chaque structure se
prononçait en fonction de sa logique intrinsèque en termes de
critères d'entrée et de capacité d'absorption.
La Garde Républicaine offrait dès mars 1995 des
possibilités d'intégration pour les ex-combattants. Ce corps
disposait d'une catégorie E en voie d'extinction qui pouvait accueillir
les ex-combattants non titulaires du Certificat de Fin d'Etudes du Premier
Degré (CFEPD). En outre, il fut également décidé
que pour l'ensemble des corps de l'Etat, les intégrations se feront
selon les nécessités de services exprimées par les
institutions compétentes. Et surtout que l'affectation des agents dans
le Nord se fera en fonction de la connaissance du terrain et non du seul fait
d'être ressortissant de la Région.
Au cours du processus, les conditions pratiques de
sélection selon les corps furent graduellement définies et
précisées, notamment au sein des commissions
spécialisées qui seront créées à cet effet.
Il apparaît évident que malgré des éléments
de rupture, les institutions antérieures et leurs normes de
fonctionnement ont fortement encadré le processus de définition
de la politique de réinsertion. Malgré la présence des
représentants de la Rébellion dans toutes les sphères de
décisions, l'Etat a largement sauvegardé ses principes de
fonctionnement.
Au sein des Forces de Défense et de
Sécurité (FDS), la seule innovation qualitative fut la
création des Unités Sahariennes de
Sécurité (USS) composées de ressortissants
des zones touchées par le conflit. Mais ce corps était
lui-même incorporé au sein des Forces Nationales
d'Intervention et de Sécurité (FNIS) avec la
Garde Républicaine qui existait
déjà, et avec un Commandement Central basé à
Niamey. En clair, l'universalisme et la logique jacobine de l'Etat ne semblent
pas avoir souffert outre mesure de l'application des Accords à cette
étape précise. Cette réalité s'observe
également dans le cadre institutionnel de la gestion post-conflit.
Section 2 : Le modelage institutionnel dans
l'élaboration de la politique de réinsertion
Dans le cadre de la mise en oeuvre des Accords de Paix, un
ensemble de mécanismes a été institué. Le cadre
institutionnel de la gestion post conflit fait de mécanismes permanent
et ad hoc reflète la logique institutionnelle existante (Paragraphe 1).
Le output de la politique de réinsertion a
été largement influencé par ce dispositif institutionnel
(Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : La configuration institutionnelle de la
gestion post conflit
1 Ces conditions seront précisées à
l'issue de la session du Comité de Pilotage du
3 septembre 1997. Voir Cabinet du Premier Ministre,
Procès-verbal de Réunion, 3 septembre
1997, HCRP, Critères d'intégration des
éléments démobilisés de la Résistance
Armée-CAD-CVT et FDR dans certains corps de l'Etat,
1997.
48
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
L'analyse des institutions d'application des Accords de Paix
se base sur l'institution permanente du Haut Commissariat à la
Restauration de la Paix (HCRP) (A) et des différents mécanismes
interministériels (B).
A. L'existence d'un cadre permanent : Le HCRP
Le HCRP apparaît dans les deux phases du processus de
paix, celle de la négociation et celle de la gestion post-conflit. Sa
création par le Président Mahamane Ousmane porte l'empreinte du
changement institutionnel intervenu avec l'avènement de la 3e
République. De par sa dénomination, cette institution revêt
une signification universaliste et, en cela, témoigne de la
continuité historique des institutions. En effet, refusant de suivre
l'exemple malien où le Pacte National de 1992 a institué un
Commissariat au Nord", le Gouvernement
n'entendait pas faire du HCRP une institution au profit d'un groupe ethnique ou
d'une région particulière. De même qu'il n'entendait pas
rééditer l'expérience du Ministère des
Affaires Sahariennes et Nomades de la Première
République.
Le règlement de la Rébellion (le mot touareg
n'apparaît nulle part dans les textes) n'est qu'un aspect des
attributions du HCRP. Le HCRP était censé être un organe
neutre dans la mesure où le Haut Commissaire assurait la
présidence du Comité Spécial de Paix
(CSP). C'est du moins la perception qu'en avaient les ex-rebelles
touaregs qui avaient au début manifesté leur appréhension
quand à son impartialité. Mr Soumana Souley en témoigne :
« De toutes les actions menées par le Haut Commissaire
pour affirmer sa position médiane, il a été
systématiquement contesté par la partie ex-Résistance, qui
a toujours dénoncé sa position de fonctionnaire.
L'ex-Résistance a toujours montré sa défiance
vis-à-vis de cet organe faisantpartie intégrante de la
hiérarchie de l'appareil d'Etat
»2.
L'institution est rattachée à la
Présidence de la République et le Haut Commissaire
bénéficie du rang de ministre. Le HCRP est organisé
administrativement suivant le schéma des ministères. Le Haut
Commissaire dispose d'un Cabinet constitué d'un Chef de Cabinet, d'un
Secrétaire Particulier et d'un ou deux Conseillers Techniques. Le
Secrétariat Général coiffe les Départements des
Affaires Economiques, Sociales et Culturelles (DAES/C) et des Affaires
Juridiques et Politiques (DAPJ), le Service Financier et le Service d'Ordre.
Une Cellule d'Appui au HCRP fut créée par arrêté
n°3/PRN/HCRP du 20 janvier 1998 avec l'appui du Programme des
Nations-Unies pour la Développement (PNUD) avec pour mission d'aider
à la mise en oeuvre de la politique de développement de la zone
pastorale.
Si la création du HCRP fut une réponse
institutionnelle aux conflits armés et une reprise en main de la gestion
de la Rébellion par le pouvoir civil, il n'en demeure pas moins que
l'évolution de ce cadre a démontré l'influence
évidente de l'institution militaire. En effet, le HCRP fut une
institution hybride, tantôt administrée par un militaire,
tantôt par un civil. Quelle est la logique derrière les
nominations des Hauts Commissaires ? L'analyse des données
révèle, comme le comme le montre le tableau n°2 à la
page suivante, l'existence de corrélation entre la
1 Pacte National du 12 avril 1992, Chapitre IV, Titre III
(Point 43) sur la « création d'un Commissariat au Nord
pour une durée de cinq ans renouvelables chargé d'animer la mise
en oeuvre» du Pacte, notamment sur la Statut Particulier des
régions nord du Mali, publié par le journal
Construire l'Afrique, Numéro Spécial
« Kidal : les germes d'une sécession ou d'une
fédération du Sahara mauritanien au Niger ? », n°169,
du 1er au 15 juillet 2006, pp. 15-19.
2 Soumana Souley, « Le processus de paix au Niger »,
(document non daté).
49
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
qualité de la personnalité nommée
(militaire/civil) et le type de régime (civil/militaire) ou la
qualité du Chef de l'Etat (militaire de formation ou non).
Il est ainsi apparu que tous les quatre (4) militaires
nommés à la tête du HCRP l'ont été soit, sous
un régime d'exception (donc avec un Chef d'État militaire), soit
sous un régime civil, mais avec un Chef d'État militaire de
carrière. Il s'agit pour le premier cas du Lieutenant-Colonel Laouel
Chékou Koré et du Colonel Seyni Garba, respectivement
nommés par le Général Ibrahim Baré
Mainassara1 et le Commandant Daouda Malam Wanké. Pour le
second cas, il s'agit des Lieutenants-colonels Sofiani Amadou et Hamidou
Maigari, respectivement nommés par les présidents Ibrahim
Baré Mainassara et Mamadou Tandja.
Tableau n°2 : Liste des Haut Commissaires à
la Restauration de la Paix
Noms et prénoms
|
Période
|
Profession
|
Période de nomination
|
Maï Maigana
|
Du 14 janvier 1994 au 7 novembre 1995
|
Fonctionnaire à la retraite
|
3è République
|
Joseph Diatta2
|
Du 7 novembre 1995 au 8 mai 1996
|
Diplomate
|
3è République
|
Laouel Chékou Koré
|
Du 8 mai 1996 au 19 juin
1997
|
Offi cier des FAN
|
Conseil du Salut National
|
|
Sofiani Amadou
Du 19 juin 1997 au 19 juin 1998
|
Officier des FAN
|
4è République
|
|
Moustapha Tahi
Du 19 juin 1998 au 13 avril 1999
|
Diplomate
|
4è République
|
Seyni Garba
|
Du 13 avril 1999 au 30 janvier 2004
|
Officier des FAN
|
Conseil de Réconciliation Nationale
|
|
Hamidou Maigari
Du 30 janvier 2004 au 13 septembre 2005
|
Officier des FAN
|
5è République
|
|
Mohamed Anacko Depuis le 13 septembre
2005.
|
Ancien Chef de Front
|
5è République
|
|
Sources : Tableau établi par
nous à partir des décrets de nominations publiés dans le
Journal Officiel de la République (Archives
Nationales du Niger).
Des trois Haut commissaires civils1, seul
Moustapha Tahi a été nommé par un président
militaire de carrière, le Président Baré Mainassara. La
signification de ces données est de montrer
1 Le Général Baré avait renversé
le 27 janvier 1996 le régime de la 3è République suite
à l'instabilité institutionnelle provoquée par la
Cohabitation et mis en place un Conseil du Salut National (CSN) composé
d'officiers des FAN. Après une transition de six (6) mois, il se fit
élire Président de la République dans la cadre de la
4è République avant d'être assassiné le 9 avril 1999
par une junte militaire, le Conseil de Réconciliation Nationale (CRN),
dirigée par le Commandant Daouda Malam Wanké. Cette junte
organisa, après une transition de neuf (9) mois, des élections
générales à l'issue desquelles Mamadou Tandja, ancien
Colonel des FAN, fut élu Président de la 5è
République.
2 Joseph Diatta fut en fait nommé par décret
n°95-176 (bis)/PM du 7 novembre 1995 pour assurer l'intérim du Haut
Commissaire cumulativement avec ses fonctions de Secrétaire
Général du HCRP.
50
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
la perception militaire de la gestion post conflit par les
Chefs d'État issus de l'armée. Mais nos enquêtes nous ont
montré l'existence d'autres variables explicatives. Celles-ci tiennent
à des impératifs pragmatiques et à des facteurs
conjoncturels. La variable pragmatique se vérifie dans la mesure
où presque tous les Haut Commissaires, militaires et civils, ont eu une
expérience prouvée dans la gestion du problème de la
Rébellion. Les nominations n'obéissent donc à aucune
complaisance.
D'ailleurs, certains militaires n'avaient aucune relation
personnelle avec le Président qui les a nommés. C'est le cas de
Laouel Chekou Koré nommé par le président Baré. Cet
officier de la Gendarmerie Nationale s'était illustré, entre
autres, par son expertise dans l'enquête internationale
consécutive au crash d'avion dans lequel Mano Dayak avait trouvé
la mort en décembre 1995. C'est aussi le cas de Moustapha Tahi, ancien
Maire d'Agadez et président du Comité Régional
de Paix d'Agadez qui a joué un rôle notable dans la
conclusion de l'Accord Additionnel d'Alger entre le Gouvernement et la
coalition UFRA/FARS en 1997. Il fut également membre de la
Commission Ad hoc Chargée de Réfléchir sur le
Règlement Négocié de la Rébellion
sous la Transition en octobre 1992.
En deuxième lieu, la variable conjoncturelle explique
certaines nominations. C'est le cas de celle du Colonel Seyni Garba
(aujourd'hui Général) qui faisait suite au Coup d'Etat du
Commandant Daouda Mallam Wanké le 9 avril 1999. En poste à
l'Etat-major des FAN en qualité de Chef d'Etat-major en Second sous le
régime renversé, celui-ci devait être «
dégagé » pour deux raisons. D'abord, parce qu'il
n'était pas acteur dans le Coup d'Etat qui fut l'oeuvre de la Garde
Présidentielle ; ensuite, l'Officier que la junte nomma à la
tête de l'Etat-major (le Commandant Soumana Zanguina) était de
grade inférieur2.
Outre ces facteurs extérieurs au processus de paix, la
nomination de Seyni Garba, officier expérimenté et
respecté, était inspirée par les problèmes de
grades des ex-rebelles intégrés au sein des FAN. La nomination de
Mohamed Anacko, en remplacement du Lieutenant-colonel Hamidou Maïgari
était également due à des facteurs extérieurs au
processus de paix, du moins pour ce qui est du départ de ce dernier du
HCRP. Le lieutenant-colonel Hamidou Maigari devait partir en formation à
l'extérieur. Avant son départ, il fut nommé par le Chef de
l'Etat pour prendre la tête de la Garde Présidentielle.
L'arrivée de Mohamed Anacko au HCRP, ancien Chef de Front a
été la plus controversée3. Du côté
des ex-rebelles, cet acte fut interprété selon le camp où
se situent les différents acteurs.
Pour la faction UFRA dont il est le Président, il
s'agit là d'un geste positif et d'une marque de confiance pour les
Touaregs. Mais pour les autres factions, (notamment la CRA et l'ORA), cette
nomination a été perçue comme une faveur accordée
à une faction de la Rébellion au détriment des autres. Aux
yeux de certains citoyens nigériens, cet acte était dangereux
car, les ex-rebelles ne sont pas encore vus comme dignes de confiance au point
d'occuper des postes aussi stratégiques pour la sécurité
du pays.
1 Mohamed Anacko est un cas atypique, il n'est ni un civil
ordinaire, ni un militaire officiel. Il est un ancien chef de guerre, notamment
chef de la rébellion du FPLS et de la coalition UFRA. A sa nomination au
HCRP, il était Conseiller à la Présidence de la
République avec rang de ministre.
2 Voir Journal Officiel de la République du
Niger, Numéro Spécial n°6 du 13 avril 1999, p.
142.
3 Surtout que Hamidou Maigari avait proposé au Chef de
l'Etat pour le remplacer au HCRP, Mr Sani Gonda, Secrétaire
Général de l'Institution, en poste dans cette institution depuis
1994 où il a occupé aussi le poste de Directeur des Affaires
Economiques, Sociales et Culturelles (DAES/C).
51
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Cette suspicion s'est d'ailleurs renforcée depuis
l'avènement du MNJ avec la défection de certains ex-chefs
rebelles dont Rhissa Ag Boula du FLAA.1 En fait, la nomination de
Mohamed Anacko était une réponse implicite aux revendications des
ex-combattants qui ont fustigé lors du Forum d'Agadez en 2005 la «
marginalisation des ressortissants de la région d'Agade
»2 dans le Gouvernement. Un ex-responsable du
FPLS nous a confié que Mohamed Anacko a été proposé
à ce poste par la section MNSD Nassara d'Agadez, parti dans lequel il
milite, afin combler le vide créé par le limogeage de Rhissa Ag
Boula du Gouvernement en 2004.
Il faut dire que depuis la cérémonie
Flamme de la Paix en septembre 2000 à Agadez
qui a marqué la dissolution de tous les Fronts et Mouvement et leur
désarmement, les conditions d'une paix durable semblaient être
remplies. Ce qui pouvait donc justifier une administration civile au HCRP et
même un Haut Commissaire issu de la Rébellion. En
réalité, dans les débuts du processus de paix, les
questions militaires étaient centrales et nécessitaient une
administration militaire. Il s'agissait des questions liées au
désarmement, au cantonnement des combattants, au respect du
cessez-le-feu, etc. bref, toutes choses qui relèvent des
compétences militaires.
Cette alternance entre militaires et civils à la
tête du HCRP a été favorisée par l'impact de
l'institution militaire sur le processus. Il est ressorti de nos enquêtes
que les militaires affichent plus d'autorité et de rigueur dans
l'administration. Ils sont moins enclins à transiger sur des principes,
contrairement aux civils qui font montre de plus de souplesse. Et leur
qualité d'officier des FAN impose le respect (sinon la peur) ; et cela a
facilité les rapports avec non seulement le Chef de l'État, mais
aussi l'ensemble des administrations.
En somme, le HCRP en tant qu'institution permanente de
gestion post-conflit, fut considérablement influencée par la
logique institutionnelle militaire. Celle-ci confirme une fois de plus que
l'environnement institutionnel formel et informel constitue une variable
explicative suffisamment pertinente pour déterminer les situations
politiques. Ce « monde saturé d'institutions
» a également influencé largement les
mécanismes interministériels de gestion post-conflit.
B. Les mécanismes ad hoc ou
interministériels
Aux côtés du HCRP ont été
institués certains mécanismes interministériels dans la
définition des politiques issues des Accords de Paix. Si le HCRP,
nonobstant l'influence de l'institution militaire sur son fonctionnement
apparaît comme une institution originale, les mécanismes
interministériels incarnent avec plus de netteté l'emprise des
institutions sur le pro cessus3. C'est ainsi qu'il fut
créé auprès du Haut Commissaire à la Restauration
de la Paix par arrêté n°34/PM du 20 mars 1997, une
Commission Chargée des Intégrations et de la
Réinsertion Socio-économique des Ex-combattants de la
Résistance Armée.
1 L'arrestation de Mohamed Aghali, Agent des FNIS, Chauffeur
et Garde du Corps de Mohamed Anacko, le 28 mai 2008 par la Gendarmerie
Nationale n'est pour pas pour dissiper ces suspicions.
L'intéressé est poursuivi pour contacts présumés
avec le MNJ...
2 Voir HCRP, Forum de consolidation de la paix dans
la région d'Agade , mars 2005 (document non
paginé).
3 Nous ne retenons ici que les institutions liées
à la politique de réinsertion des ex-combattants, d'autres
institutions ont été crées, notamment en ce qui concerne
la politique de décentralisation. Il s'agit de la Commission
Spéciale sur le Redécoupage Administratif de la République
du Niger installée le 3 janvier 1995 et un
Haut Commissariat à la Réforme Administrative et
à la Décentralisation (HCRA/D) créé
le 15 août 1995 conformément à l'article 6 de l'Accord du
24 avril 1995.
52
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Cette Commission fut subdivisée en deux
sous-commissions, la Sous-commission Intégration
présidée par le Secrétaire
Général du Ministère du Travail et la Sous-commission
Réinsertion Socio-économique présidée par le
Secrétaire Général du Ministère du Plan. Ensuite,
il fut créé par décret n°9-54/PRN du 9 avril 1997 une
Commission Chargée du Cantonnement des Ex-combattants de la
Résistance Armée et du Comité de Vigilance de Tassara
(CVT) présidée par le Ministre de la Défense
Nationale.1 Les travaux de ces deux commissions étaient
supervisés par un Comité interministériel de
Pilotage présidé par le Premier Ministre
créé par arrêté n°035/PM du 20 mars 1997.
Par décret n°97-220/PRM du 19 juin 1997, il fut
également créé une Commission Nationale de
Coordination et de Suivi des Opérations de Rapatriement des
Nigériens déplacés en Algérie et au Burkina Faso du
fait de la Rébellion2. Celle-ci,
présidée par le Ministère de l'intérieur, a
supervisé, conformément aux Accords de Paix, le retour des
populations nigériennes déplacées sur la base de leur
libre consentement. A cet égard, deux Accords tripartites
Niger-Algérie-HCRP et Niger-Burkina Faso-HCR furent conclus.
L'analyse de ces différents mécanismes montre
d'abord que la gestion post-conflit a été une véritable
« opération commando » car elle a
mobilisé presque tout ce qui existe comme institution dans
l'administration nigérienne3. Pratiquement tous les
ministères ont été impliqués, de même que les
représentants de la Rébellion. De par leur configuration, ces
différentes commissions étaient de nature ad hoc, donc
appelées à disparaître une fois leur travail accompli.
C'est ainsi que la fin du cantonnement des ex-combattants intervenu le 30
octobre 1997 mettait également fin à la mission de la
Commission de Cantonnement car le désarmement
des Fronts eut lieu avec la cérémonie de Tchintabaraden le 28
octobre 19974.
De même, les travaux de la Commission
Chargée des Intégrations et de la Réinsertion
Socio-économique prenaient fin une fois que les
intégrations avaient débuté sous la 4e
République. L'option de l'Etat de faire participer toutes les
administrations dans la mise en oeuvre des Accords de Paix s'explique par deux
facteurs. D'une part, un processus inclusif mettant face à face
l'ensemble l'administration publique et les représentants de la
Rébellion avait la vertu de donner une présomption de
légitimité aux décisions arrêtées. Cette
procédure démocratique mettait le pouvoir politique à
l'abri d'éventuels critiques pouvant émaner, soit de
l'administration, soit de la Rébellion elle-même ; surtout quand
on sait que beaucoup de cadres nigériens étaient très peu
enthousiasmés par les mesures de discrimination positive que la
politique de réinsertion impliquait.
D'autre part, cette option était aussi
inévitable d'un point de vue technique. En effet, les
intégrations, réinsertion socio-économique
nécessitaient la maîtrise d'une certaine expertise qui
déborde les capacités du HCRP. A ce stade de mise en oeuvre des
Accords, le rôle des experts
1 Journal Officiel de la République du Niger,
n°09 du 1er mai 1997, p. 459.
2 Journal Officiel de la République du
Niger, n°14 du 15 juillet 1997.
3 On peut par exemple retenir la composition de la
Sous-commission Intégration :
Président : Secrétaire
Général du Ministère du Travail et de l'Emploi
Membres : un (1) représentant pour chacune des
institutions suivantes : Cabinet du Premier ministre, Ministère
Chargé de l'Education Nationale, Ministère de la Santé
Publique, Ministère des Mines, Ministère du Développement
Industriel et des Mines, Ministère du Commerce, Ministère du
Plan, Ministère de l'Hydraulique et de l'Environnement, Ministère
de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche, deux (2)
représentants du HCRP, deux (2) représentants du Ministère
des Finances, trois (3) représentants du Ministère de
l'Intérieur et enfin un (1) représentant pour chacune des trois
coalitions rebelles (ORA, CRA, UFRA).
4 Mais il faut préciser que ce premier
désarmement ne concernait que les Fronts de l'Azawak, le
désarmement effectif n'interviendra que le 5 juin 2000.
53
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Août 2009
prenait toute son importance. Selon le modèle de John
Kingdon, on dira qu'il s'agit là d'un «couplage
serré» entre le courant des problèmes et le
courant des solutions1. Ceci peut être illustré par les
attributions des Sous-commissions Intégration
et Réinsertion
Socio-économique.
Au nombre des attributions de la première, on pouvait
lire : « recenser les effectifs à intégrer,
retenir suivant les critères qu'elle aura déterminés les
éléments à affecter aux différents corps,
évaluer l'incidence budgétaire des opérations
d'intégration des effectifs retenus comprenant les équipements
individuels, la formation et les salaires » etc. Pour la
seconde Sous-commission, on peut retenir : «
définir la stratégie, la politique, les
critères de réinsertion et veiller à leur application,
évaluer le processus de réinsertion, créer les bases de
données sur la démobilisation et sur les opportunités
existantes et potentielles dans les tones de réinsertion et plus
particulièrement le Nord Niger» etc.
En juillet 1998, le HCRP procédait à une
analyse à la fois juridique et financière des intégrations
à incidence financière sur le Budget de l'Etat. Ces
intégrations étaient planifiées en trois phases : une
première étape de 1055 éléments déjà
pris en compte dans le Budget et intégrés, une deuxième
étape avec 771 éléments en attente d'intégration
dont la disponibilité financière sur le Budget de l'Etat pour
l'exercice 1998 était à confirmer par le Ministère des
Finances et une troisième étape de 1081 éléments
à intégrer avant fin 1998. Le coût global de toutes les
intégrations pour une année était estimé à
3. 755.287. 000 F CFA2.
Du point de vue de la nature technique de ces questions, les
mécanismes interministériels trouvaient donc leur justification.
Mais à leur tour et par rétroaction, les mécanismes
interministériels vont fortement modeler la politique de
réinsertion des ex-combattants selon la logique et les valeurs propres
aux institutions existantes. La discrimination positive crée des effets
de dissonance cognitive pour les agents de l'État, imbus qu'ils
étaient des valeurs bureaucratiques qu'ils ont fortement
intériorisées. Pour l'administration, le processus de paix ne
peut ignorer des principes élémentaires de recrutement à
la Fonction Publique et dans les autres corps de l'Etat comme fournir un acte
de nationalité, un casier judiciaire, un acte de naissance
etc.3
Par contre, les ex-combattants trouvaient ces exigences
excessives et contraires à l'esprit des Accords de paix. Les
représentants de l'ex-Rébellion, à raison de trois
personnes par Commission, n'eurent pas la tâche facile dans cette foule
d'experts très peu enthousiasmés par l'idée de sacrifier
les règles bureaucratiques sur l'autel du pragmatisme politique. Les
compromis étaient difficiles entre ces deux pôles à logique
divergente : les fonctionnaires qui incarnent la bureaucratie
et les ex-combattants qui symbolisent la
politique.
En encadrant le processus de mise en oeuvre de la politique
de réinsertion, les procédures administratives inspirées
par les institutions existantes ont permis de faire prévaloir un
minimum
1 Vincent Lemieux, op cit. pp. 29-41.
2 HCRP, Estimation du coût du processus de
paix, juillet 1998, pp. 4-5.
3 Dans le Procès-verbal de la Réunion du
Comité de Pilotage du 3 septembre 1997, par
exemple, les modalités d'intégration dans la Gendarmerie
Nationale étaient fixées comme suit :
- être âgé de 20 à 30 ans
- être au minimum titulaire du CEPE ou du CFEPD
- être de nationalité nigérienne
- l'aptitude médicale est obligatoire, elle est
constatée par un médecin militaire
- avoir un certificat de toise de un mètre soixante cinq
(1,65)
- ne pas être en instance d'un procès civil
- être célibataire sans enfant et ne contracter
mariage qu'après la formation ; à l'issue de laquelle il sera
enclenché la procédure administrative appropriée.
54
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
de rigueur technocratique dans le processus. C'est sans doute
pour échapper à cette rigidité des institutions que les
Chefs et Cadres ont préféré un traitement
«politique » de leur réinsertion.
Leur cas a été, en effet, laissé à la
discrétion du Chef de l'Etat1.
De même, pour la réinsertion
socio-économique, les experts de l'administration avaient leur propre
logique. Celle-ci a conduit à commanditer sur le terrain des
enquêtes afin de recenser les ex-combattants, évaluer leurs
besoins et attentes, leurs niveaux d'instruction, etc. Toutes ces
procédures propres aux institutions ont rendu le processus très
lent. Ceci a, à maintes reprises, suscité des réactions
hostiles de l'ex-Rébellion qui considérait de telles
procédures comme des manoeuvres dilatoires.
En clair, en imprimant leur marque sur la définition
des modalités pratiques de la politique de réinsertion, les
institutions existantes démontrent éloquemment leur
continuité historique. La logique institutionnelle prenait sa revanche
sur la logique politique qui avait présidé à la conclusion
des Accords de Paix. L'impact essentiel des modalités d'application des
Accords a été d'introduire une dose de méritocratie dans
cette politique de quota. De ce fait, elle a permis d'éviter des
dysfonctionnements dans l'administration étatique.
C'est l'ensemble de ce processus, fait de jeux des acteurs et
de logiques institutionnelles qui a donné toute son empreinte à
la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs.
Paragraphe 2 : L'empreinte institutionnelle dans le output
de la politique de réinsertion
Le output de la politique de
réinsertion des ex-combattants a été influencé par
la configuration institutionnelle post conflit. Cette réinsertion a
revêtu deux modalités principales : la cooptation des Chefs et
Cadres dans l'appareil d'État (A) et les diverses formes de
réinsertion des ex-combattants marquées par de nombreux
balbutiements (B).
A. La cooptation des élites dans l'appareil
d'État
Phénomène naturel à toute organisation,
le leadership au sein des différents Fronts et Mouvement armés
est exercé par un Chef, à l'origine de la structure, et ses
proches lieutenants appelés Cadres. A l'issue du processus de
rétablissement de la paix, dix sept (17) structures ont
été dénombrées dont onze (11) Fronts touaregs, deux
(2) Fronts toubous et quatre (4) Mouvements d'Autodéfense (une Milice
Peulh et trois Milices Arabes). Ceci donne ainsi dix sept (17) Chefs de Fronts
et Mouvements. Ces derniers ont reçu avec leurs Cadres un traitement
spécial différent de celui apporté à leurs
combattants.
A l'issue de la session du Comité
Interministériel de Pilotage du 22 avril 1998, il fut
décidé que le cas de la réinsertion des Chefs et leurs
Cadres soit laissé à l'appréciation du Président de
la République2. De ce fait, ils échappent à la
compétence des différents mécanismes
interministériels mis en place. C'est plutôt le HCRP, en tant que
démembrement de l'institution présidentielle, qui a
impulsé la nature de leur réinsertion. Par son truchement, le
Chef de l'État, à l'époque le Général
Ibrahim Baré Mainassara, a apporté deux types traitements aux
élites : il s'agit soit d'une
1 Voir infra, la réinsertion des élites.
2 Cette solution est une clause expresse des Accords de Paix,
précisément le Protocole d'Accord d'Alger en son article 8 et
l'Accord de N'Djaména dans son titre IV.
55
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
nomination politique, soit l'octroi d'une prime correspondant
au départ volontaire des fonctionnaires de l'Etat.
A ce jour, la situation des Chefs de Fronts et Mouvements
peut être présentée dans le tableau n°3 à la
page suivante. Des dix sept (17) Chefs de Fronts et Mouvements, neuf (9)
occupent des postes politiques dont trois (3) ministres et un
député national1. Ce résultat témoigne
de la nature hautement politique de la réinsertion des élites.
Cooptés dans les hautes sphères de l'État, la
réinsertion de ces élites reflète la configuration
institutionnelle de la gestion post conflit qui a fait de leur cas une
prérogative présidentielle.
Mais avant ces traitements, le HCRP avait sollicité les
voeux des Chefs et de leurs Cadres en termes de projet de réinsertion.
L'analyse des fiches de voeux individuelles remplies par ceux-ci permet de les
classer en trois catégories selon les activités
souhaitées. La 1ère catégorie a opté
pour des activités privées (commerce, élevage, agence de
voyage, etc.) avec un montant précis du capital souhaité allant
de sept (7) à cent quarante (140) millions de CFA. La 2e
catégorie a souhaité des activités salariées. Parmi
ceux-ci figuraient des ex-rebelles initialement agents de l'Etat. Ces derniers
ont demandé soit une promotion au sein de leur institution d'origine,
soit une formation continue. Enfin, une 3è catégorie des
élites a sollicité des postes politiques (ambassadeur,
sous-préfet, etc.).
Devant le caractère fantaisiste et irréaliste de
certaines des doléances enregistrées2, le choix d'un
traitement politique de la réinsertion des élites s'est
imposé. En outre, bien avant le règlement définitif de
leur cas, les Chefs et Cadres étaient pris en charge par le HCRP de
façon informelle. Pour remédier à cette situation
d'improvisation, une solution provisoire fut trouvée en 1998 consistant
à accorder des pécules sur les « Fonds de
Sécurité » du Budget National. Il s'agissait d'un
pécule mensuel de cent cinquante mille (150 000) F CFA pour chaque Chef
de Front, et un pécule mensuel pour deux de ses Cadres, à savoir
cent mille (100 000) F CFA pour le premier et soixante cinq (75 000) F CFA pour
le second3.
Par ailleurs, pour accompagner la réinsertion des Chefs
et Cadres, le Gouvernement organisa avec le soutien du PNUD, un Atelier de
Formation en Management à leur intention du 7 au 12 février 2000
à Tahoua. Les quarante cinq (45) participants issus de toutes les
structures ont ainsi bénéficié d'une formation en
Comptabilité Gestion, Fiscalité et Législation
Douanière, Correspondance Commerciale et Administrative par le Cabinet
d'Expert CEFA.
Dans la mise en oeuvre de cette réinsertion, on
constate cependant que la politique n'a pas été respectée
à la lettre.
Certains Chefs et Cadres ont en réalité
cumulé les nominations politiques et les pécules correspondant au
départ volontaire des fonctionnaires. C'est ainsi qu'en juin 2000,
l'Etat a octroyé des pécules à sept (7) personnes par
Front ou Mouvement, à savoir le Chef de la structure et six (6) de ses
Cadres. Les Chefs ont bénéficié chacun de la somme de cinq
millions deux cent mille (5 200 000) F CFA et les Cadres de deux millions neuf
cent mille (2 900 000) F CFA chacun, alors que beaucoup d'entre eux occupaient
déjà des postes politiques au titre de la
réinsertion4.
1 Il existe de nombreux Cadres occupant d'autres postes
politiques parmi lesquels on peut citer Issia Ag Kato, Cadre du FPLS,
actuellement Ministre des Ressources Animales, Omar Sanda, Cadre de la Milice
Peulh, Conseiller Technique du HCRP.
2 On a enregistré par exemple des doléances telles
que «Villa + Voiture + 7 millions ».
3 HCRP, Procès-verbal de la Commission
technique de la Réunion Préparatoire du Comité de
Pilotage, 6 janvier 1998.
4 HCRP, La question du traitement des cadres de
l'ex-Résistance armée et des Comités
d'Autodéfense, juin 2006.
56
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Tableau n°3 : La réinsertion des dix sept
(17) Chefs de Fronts et de Mouvements
Noms et Prénoms
|
Structure
|
Zone
|
Activité actuelle
|
Mohamed Ikta
|
FFL
|
Azawak
|
Lieutenant des Douanes
|
Hamad A. Halilou
|
APLN
|
Azawak
|
Conseiller à la Primature
|
Alhadi Alhadj
|
FPLN
|
Azawak
|
Conseiller à la Présiden ce de
la République
|
Bilal Islamane
|
ARLN
|
Azawak
|
Préposé des Douanes
|
Goumour Ibrahim
|
MRLN
|
Azawak
|
Chargé de Mission à la Présidence de la
République
|
Najim Boujima
|
CVT
|
Azawak
|
Activités privées
|
Ahmed Boubacar
|
CAD
|
Azawak
|
Activités privées
|
Maazou Boukar
|
Mili ce Peulh
|
Manga
|
Conseiller à la Présiden ce de
la République
|
Sélim Hamed
|
Milice Arabe
|
Manga
|
Député National
|
Issa Lamine
|
FDR
|
Manga
|
Ministre de la Santé Publique
|
Ahmed W. Hounouna
|
MUR
|
Aïr
|
Activités privées
|
Silimane Hyard
|
FAR/UFRA
|
Aïr
|
Activités privées
|
Rhissa Ag Boula1
|
FLAA
|
Aïr
|
Ancien Ministre du Tourisme
|
Mohamed Anacko
|
FPLS
|
Aïr
|
Haut Commissaire (HCRP)
|
Mohamed Akotey
|
FLT
|
Aïr
|
Ministre de l'Environnement
|
Ousmane Ismaghril
|
FAR/ORA
|
Aïr
|
Activités privées
|
Ali Sidi Adam
|
FARS
|
Kawar
|
Conseiller à la Présiden ce de
la République
|
|
Source : Tableau issu de nos
enquêtes.
En 2006, lors de la Réunion des Chefs de Fronts et
Mouvements du 15 juin tenue à Niamey, la question des Cadres fut
réactivée. Pour les Chefs rebelles, les traitements
antérieurs n'ont concerné que les Cadres dits principaux, et il y
aurait encore par Front et Mouvement, des dizaines de Cadres non encore
désintéressés dont le nombre fut estimé à
deux cent cinquante (250). La Réunion décida, sur proposition du
HCRP, de leur octroyer chacun un million deux cent mille (1 200 000) F CFA,
soit au total trois cent millions 300 000 000 F CFA pour l'ensemble des
intéressés.
Mais le paiement de ces pécules fut annulé en
2007 sur instruction du Chef de l'Etat. La politique de réinsertion des
Chefs et Cadres a été au fond, véritablement
influencée par le cadre institutionnel. Le pouvoir
discrétionnaire du Chef de l'Etat de décider du cas des
élites a eu comme conséquence une incohérence dans la
politique. La réinsertion des élites a ainsi fluctué selon
les humeurs du Chef de l'Etat au pouvoir, et également au gré des
circonstances, comme le
1 Rhissa Ag Boula fut ministre du Tourisme et de l'Artisanat
de 1997 à son limogeage en 2004 suite au meurtre d'un de ses adversaires
politiques, Adam Amagué, qu'il aurait commandité. Il
bénéficia d'une liberté provisoire en 2005 grâce
à l'intervention du colonel Kaddafi. Rhissa Ag Boula a
créé un nouveau Front et repris les armes depuis janvier 2008.
57
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
montre la réactivation de la question des Cadres en
2006. Celle-ci faisait suite à la résurgence de la
rébellion au Mali voisin1.
L'annulation du paiement des pécules des Cadres
promises en 2007 avait certainement son explication dans la gestion du conflit
avec le MNJ. En outre, la réinsertion des Chefs et Cadres a
révélé une lecture assez particulière des Accords
de paix par les ex-combattants. Pour ceux-ci, les postes politiques sont des
acquis qui relèvent de l'administration et non
de la politique2.
En d'autres termes, ces quotas ne sont plus susceptibles de
discussion ; et, par conséquent, chaque Gouvernement au Niger doit
nécessairement compter en son sein des représentants de
l'ex-Rébellion. Ceci explique pourquoi la majorité des Chefs
occupent aujourd'hui des postes politiques de façon quasi-inamovible. Si
le cas des élites, laissé à l'appréciation du Chef
de l'Etat, a été mieux maîtrisé, celui des
ex-combattants fut beaucoup plus complexe.
B. Les balbutiements de la réinsertion des
ex-combattants
La politique de réinsertion des ex-combattants a
essentiellement produit deux types de traitements. Il s'agit d'abord des
intégrations qui ont consisté à
recruter directement les ex-combattants dans divers corps de l'Etat et de la
réinsertion
socio-économique qui a permis de
réinsérer à la vie civile des ex-combattants à
travers l'octroi des subventions dans le cadre des projets communautaires. La
réinsertion des ex-combattants a été faite sur fond de
tension. En effet, si dans le cas des intégrations, le processus a
été réalisé avec diligence, de nombreux cas de
désertions ou de révocation des ex-combattants au sein des FNIS
ont mis à mal le processus de paix.
Pour la réinsertion socio-économique, les dix
ans de retard que sa réalisation a accusé n'étaient pas
aussi pour apaiser les tensions. Les effectifs ont été
déterminés à travers les différents
Relevés de Conclusions issus des
réunions entre les deux parties. Les recrutements au titre des
intégrations furent déterminés non seulement par les
critères de compétence, des besoins exprimés par les
ex-combattants eux-mêmes, mais aussi en fonction des besoins de service
exprimés par les administrations. Au total, trois mille quatorze (3014)
ex-combattants ont été intégrés, comme
illustré dans le tableau n°4 à la page suivante. Il est
à noter que pour certains ex-combattants, il s'agissait des
réintégrations.
En effet, l'article 16 de l'Accords de Paix du 24 avril 95
engageait le Gouvernement à réintégrer à la
Fonction Publique et dans les Sociétés d'Etats, les
éléments démobilisés de la Rébellion qui
avaient quitté leurs postes. Il en a été de même
pour les élèves et étudiants. Dans la
1 Les états de paiement étaient
déjà préparés par le HCRP et transmis au
Ministère des Finances. Certains ex-combattants s'étaient
même endettés, convaincus qu'ils étaient que le paiement
était acquis. En fait, il semble que le Chef de l'Etat a
été dissuadé d'aller au bout de ce processus par les
désertions de certains ex-combattants pour rejoindre le MNJ.
2 Cette distinction entre politique et administration est de
Claude Ake. Il l'exprimait en ces termes : «reduced to the
essentials, the difference is that politics refers to the process whereby
members of the community arrive at decisions about the management of matters of
common concern, administration refers to the implementation of these decisions
(...) The political situation is one in which the issues are still in dispute,
the administrative situation is highly structured because it is a matter of
relating determinate rules and norms to standardized circumstances. So in a
sense, administration begins where politics ends» in C. Ake,
Social science as imperialism: the theory ofpolitical
development, Ibadan, Ibadan University Press, 1979, p 107.
58
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
pratique, ces réintégrations se sont
passées sans heurt majeur par la médiation du HCRP qui
introduisait les dossiers des ex-combattants aux institutions
concernées. Mais, il est à relever que certains avaient
opté pour d'autres emplois au lieu de reprendre leur activité
d'origine.
C'est le cas surtout des Chefs et Cadres, qui, on l'a vu, ont
bénéficié d'un traitement spécial. Les
intégrations ont en même temps permis à l'Etat de
répondre à une question centrale des Accords de Paix, à
savoir la sécurité des zones touchées par le conflit. La
mise en place des Unités Sahariennes de
Sécurité (USS), corps constitué en
majorité des ex-combattants et/ou des ressortissants des zones
affectées par la Rébellion, a été
considérée comme un des quatre (4) piliers des Accords de Paix
par le HCRP. Ces Unités ont absorbé 1602 ex-combattants, soit
53,15% du total des ex-combattants intégrés. Ceux-ci ont
été repartis dans les quatre compagnies créées par
décret n°98-038/PRN/MI/AT du 23 janvier 1998 dans les zones
touchées par le conflit (Kawar, Manga, Aïr et Azawak).
En ce qui concerne la réinsertion
socio-économique, le processus accusa un long retard. Ce processus a
concerné au total 4050 ex-combattants. Au début, le
Relevé de Conclusions du 4 juillet 1996
prévoyait 3500 éléments. Par la suite s'étaient
ajoutés 250 éléments consécutivement aux
Relevés de Conclusions conclus entre le HCRP
et le FDR, la Milice Peulh et la Milice Arabe de N'Guigmi. En plus, en
septembre 2000, des 600 ex-combattants initialement destinés à un
recrutement dans les Sociétés d'Etat, 300 avaient opté
pour la réinsertion socio-économique.
Tableau n°4 : La situation des intégrations
dans les corps de l'Etat
Corps
|
Effectifs prévus
|
Effectifs intégrés
|
Forces Armées Nigériennes (FAN)
|
274
|
274
|
Gendarmerie Nationale
|
66
|
66
|
Unités Sahariennes de Sécurité
|
1602
|
1602
|
Garde Républicaine
|
91
|
91
|
Police Nationale
|
107
|
107
|
Douanes
|
120
|
120
|
Forêt/Faune
|
112
|
112
|
Sous/total 1
|
2372
|
2372
|
Université
|
152
|
152
|
Lycées/Collèges
|
160
|
160
|
Ecoles Normales
|
85
|
85
|
Ecoles Nationale de Santé Publique
|
65
|
65
|
ENA-IFTIC-IPDR1
|
61
|
61
|
Fonction Publique
|
7
|
7
|
Auxiliaires Ministère de l'Education
|
73
|
73
|
Auxiliaires Ministère de la Santé Publique
|
40
|
40
|
Sous/total 2
|
642
|
642
|
Total général
|
3014
|
3014
|
|
Source : HCRP, Bilan du
processus de paix, août 2004, p. 6.
1 Ecole Nationale d'Administration, Institut de Formation aux
Techniques de l'Information et de la Communication, Institut Pratique de
Développement Rural (Kollo).
59
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Le Gouvernement n'a pu honorer ses engagements pour les 300
ex-combattants restants. Ceux-ci avaient reçu en compensation un
pécule de un million cinq cent mille (1 500 000) F CFA chacun en 2006.
Au total, la réinsertion socio-économique a permis de
désintéresser 4050 ex-combattants repartis en trois zones,
à savoir le Kawar (230 ex-combattants), le Manga (660 ex-combattants) et
l'Aïr/l'Azawak (3160 ex-combattants). La réinsertion
socio-économique des ex-combattants est inséparable du
développement des zones touchées par le conflit qui fait l'objet
du Titre V de l'Accord de Paix du 24 avril 1995.
Pour répondre à cette clause, le Gouvernement a
adopté deux approches. L'une a consisté à prendre des
mesures urgentes en vue de réhabiliter les zones touchées par le
conflit et d'occuper temporairement les ex-combattants
démobilisés. L'autre approche s'inscrit dans le long terme. Elle
était censée aboutir à l'élaboration d'un vaste
programme de développement de la zone pastorale. Au titre des mesures
d'urgence, deux Projets à Haute Intensité de Main-d'oeuvre (HIMO)
ont été réalisés en vue non seulement de
réhabiliter les infrastructures de développement, mais aussi
occuper les ex-combattants en attente de leurs intégrations ou
réinsertion1.
En outre, une Table Ronde fut organisée du 30 au 31
octobre 1995 à Tahoua afin de mobiliser les Bailleurs de Fonds et
relancer les projets de développement des zones concernées. Dans
le cadre du long terme, des études avaient été
commanditées par l'Etat à travers des experts afin de
déterminer les opportunités d'emploi pour les ex-combattants.
C'est ainsi que le Cabinet Maina Boukar et Conseils a
réalisé en août 1997 deux études :
Etudes sur les opportunités d'emploi et d'occupation et les
potentialités de réinsertion socio-économique des
ex-combattants et le Rapport sur les quelques
résultats de l'enquête relatifs au profil et aux attentes des
ex-combattants et le rapport de l'informaticien sur le programme mis en place
et sur le déroulement des enquêtes. Au mois de
novembre 1997, une étude fut réalisée par un Expert du
Bureau International du Travail (BIT) sur un programme de réinsertion
des ex-combattants2.
Ce programme n'a pu être exécuté, faute
de financement. La réinsertion socio-économique ne
débutera qu'en 2002, soit sept (7) ans après les Accords de Paix.
Dans le Kawar, elle fut exécutée par le Projet Consolidation de
la Paix dans la Région de Bilma entre avril 2002 et le 31 mai 2004. Les
ex-combattants furent organisés en Coopératives et Groupements
selon les domaines économiques choisis et ont
bénéficié des subventions et de l'encadrement technique du
Projet.
Dans le Manga, le Projet Consolidation de la Paix dans la
Région de Diffa exécuta la réinsertion des 660
ex-combattants entre mai 2001 et le 31 mai 2003. 95 Microprojets
regroupés en 9 Groupements d'Intérêt Economique (GIE) ont
été formés et financées. L'ensemble de ces Projets
était financé grâce au soutien du PNUD, du Programme des
Volontaires des Nations-Unies (PVNU) et de la Coopération
Française (principal bailleur de fonds).
Pour la zone Aïr/Azawak, la réinsertion ne
débuta qu'en 2006 avec le soutien de la France, des USA, du PNUD, du
PVNU pour le grand contingent des ex-combattants. En termes de résultats
obtenus, le Projet Consolidation de la Paix dans l'Aïr et l'Azawak (PCPAA)
a constitué 298 coopératives, 298 Microprojets financés
à hauteur de 1 042 800 $ US dans des
1 HCRP, Programme d'Intervention HIMO au profit des
Ex-combattants dans l'Aïr et l'Arawak, Novembre 1997.
2 République du Niger, Proposition pour un
programme d'urgence de réinsertion des ex-combattants,
novembre 1997.
60
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
domaines comme l'élevage, l'agriculture, le commerce
général, etc.1 Le PCPAA a été
prolongé pour une année supplémentaire lors de la
dernière réunion du Comité de
Pilotage2 du Projet tenue à Niamey le 17 mars
2008.
La réinsertion socio-économique fut très
lente dans son application. Cette lenteur est d'autant plus paradoxale que la
réinsertion socio-économique concerne l'écrasante
majorité des ex-combattants dont le niveau d'instruction n'était
pas compatible avec les intégrations3. Plusieurs facteurs
expliquent ce paradoxe. Le plus important a été l'insuffisance du
financement due en partie au boycott économique de certains pays suite
au Coup d'Etat du Général Ibrahim Baré Mainassara en
janvier 19964.
Certaines puissances comme les Etats-Unis avaient, en effet,
combattu le régime de la 4è République à travers
une suspension de leur coopération économique et
financière5. Le problème de financement a failli
remettre en cause le processus de paix à certaines périodes,
comme le note Soumana Souley : « ...les requêtes de
financement ont toujours tardé à être honorées au
regard des difficultés financières de l'Etat. Cette situation
pouvait compromettre le bon déroulement du processus. Au cantonnement
des ex-combattants par exemple, n'eut été l'intervention rapide
du partenaire français qui a déboursé plus d'une centaine
de millions, des problèmes insurmontables auraient ramené le
processus en arrière »6.
Selon Abdourahamane Mayaki, Expert en Bonne Gouvernance au
PNUD/Niger, le démarrage tardif de la réinsertion des
ex-combattants dans l'Aïr et l'Azawak s'explique du fait que «
les partenaires voulaient d'abord intervenir dans un
échantillon restreint avant d'élargir à l'Aïr et l'A
atvak l'expérience née de la gestion de la question dans le
Katvar et le Manga »7. On note également
un manque d'enthousiasme dans la recherche de financement par le Gouvernement
qui, par ailleurs, a toujours été le dernier à s'acquitter
de sa contribution dans le financement des différents projets de
réinsertion. Cette attitude a conduit la France à conditionner
son appui au versement par le Gouvernement du Niger de sa contribution (10%) au
titre du PCPAA en 2006.
En plus, la réinsertion des ex-combattants
s'était heurtée au refus de certains partenaires dont les
méthodes d'intervention étaient incompatibles avec la
discrimination positive8.
1 PCPAA, Rapport annuel, janvier
2008.
2 C'est le Haut Commissaire qui préside le
Comité de Pilotage du Projet en partenariat
avec le Ministère du Développement Communautaire et de
l'Aménagement du Territoire
3 Selon l'enquête du Cabinet Maina et Conseils
d'août 1997 portant sur un échantillon de 1851 ex-combattants, il
était ressorti que 57,15% n'avaient reçu aucune instruction
scolaire tandis que 30,60% ont, soit suivi des cours d'alphabétisation,
soit fréquenté l'école coranique, et donc appris à
lire et à écrire. Les autres, qui ne sont que 245, soit 12,25% se
repartissent entre le CFEPD/CAP (168), le BEPC (65), le Bac (8) et
l'Université (4). Voir Etudes sur les opportunités
d'emploi et d'occupation et les potentialités de réinsertion
socio-économique des ex-combattants, août 1997, Page
3.
4 Voir Dodo Boukari AbdoulKarim, « La
conditionnalité démocratique de l'aide au développement :
le cas du Niger depuis le coup d'Etat du 27 janvier 1996 » in Actes du
Premier Colloque International sur le thème
«Armée et démocratie en Afrique : cas du
Niger». Niamey, 6-9 décembre 1999.
5 L'Ambassadeur américain Joseph Wilson, alors en
poste à Niamey, a révélé dans ses mémoires
(The politics of truth, 2004) qu'il s'était
personnellement investi pour la chute du régime de Baré
Mainassara.Voir Africa International, n°378
juillet/août 2004, page 4.
6 Soumana Souley, op cit, p. 17.
7 Interview dans la revue Seeda
consacrée à la rébellion touarègue,
n°41-42, 2008, p. 14.
8 A la rencontre des Bailleurs de Fonds sur le financement du
programme d'urgence de réinsertion socio-économique des
ex-combattants tenue le 19 décembre 1997 à Niamey, la
représentante de ECHO (Office Humanitaire de la Communauté
Européenne) a estimé que son institution se veut communautaire,
ses actions sont censées bénéficier à toute la
population et non à une frange représentée par les
ex-combattants. Voir HCRP, Rapport de synthèse de
la
61
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Au total, en termes de policy
output, le Gouvernement a réinséré à
la vie civile plus de sept mille quatre cent quatre vingt trois (7483)
ex-combattants, toutes catégories confondues. Il s'agit pour le
traitement des Chefs et Cadres de cent dix neuf (119) personnes, à
savoir les dix sept (17) Chefs et leurs Cadres (à raison de 6 par
structure) estimés à cent deux (102) personnes. Pour les
ex-combattants, trois mille quatorze (3014) ont bénéficié
des intégrations, quatre mille cinquante (4050) de la réinsertion
socio-économique et trois cent (300) ex-combattants initialement
prévues pour les Sociétés d'Etat,
bénéficiaires d'une réinsertion spéciale.
Réunion des Bailleurs de Fonds sur le
Financement du Programme d'Urgence de Réinsertion
Socio-économique des Ex-combattants tenue à Niamey le 19
décembre 1997, décembre 1997, p. 5.
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
62
DEUXIEME PARTIE
L'IMPACT DES INSTITUTIONS SUR LA REINSERTION ENTRE
STRUCTURATION ET REPRODUCTION
63
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Le policy output résultant
du processus de gestion post confit a été suffisamment
modelé par le monde des institutions existantes. La politique de
réinsertion des ex-combattants et le cadre institutionnel qui en a
résulté ont à leur tour produit des effets structurants
sur le processus. Cette deuxième partie examine les deux axes de
recherche portant sur les relations entre institutions et comportements et la
logique de reproduction des institutions. D'abord, l'analyse montre dans quelle
mesure les institutions affectent les comportements des acteurs. A partir des
institutions politiques existantes et du cadre institutionnel de la gestion
post conflit, il est apparu que les stratégies déployées
par les ex-combattants ont dans une large mesure été induites par
les institutions (chapitre I). Ensuite, par des phénomènes
de path dépendence, la politique de
réinsertion et les institutions qui y sont liées ont
engagé la dynamique de leur propre reproduction. Cette
institutionnalisation de la politique est porteuse de logiques à la fois
stabilisatrices et déstabilisatrices pour le système politique
(chapitre II).
64
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
CHAPITRE I : INSTITUTIONS ET LOGIQUES
COMPORTEMENTALES DES EX-COMBATTANTS
Les institutions, une fois créées, deviennent
des variables indépendantes capables d'expliquer les situations
politiques. Pour employer l'expression de Paul Pierson, «
l'e~~et devient la cause» en ce sens que les
institutions induisent des changements qualitatifs dans leur environnement.
D'une part, cette vertu explicative des institutions se perçoit dans la
structuration des stratégies des ex-combattants (section 1) et d'autre
part, dans les relations asymétriques de pouvoir qu'elles introduisent
entre les différents acteurs (section 2).
Section 1 : La structuration des stratégies des
ex-combattants
Les configurations institutionnelles «
structurent les contextes et les choix qui y sont possibles
»1. En ce sens, les institutions se
présentent pour les ressortissants de la politique, tantôt comme
une opportunité (paragraphe 1), tantôt comme une contrainte
(paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Les institutions comme
opportunité
Les institutions se présentent comme une
opportunité dans leur dimension formelle qui peut être
appréciée par le statut juridique du HCRP (A). Elles le sont
aussi dans leur expression informelle tel que le montre le processus
décisionnel au sein de cette même institution (B).
A. Le statut juridique du HCRP
Les normes formelles qui régissent le cadre
institutionnel de la gestion post conflit induisent des résultats en
termes de comportement des acteurs, notamment les ressortissants
eux-mêmes. Ainsi, les institutions créées et leurs
règles officielles de fonctionnement se présentent comme une
opportunité pour les ex-combattants destinés à la
réinsertion. Cette hypothèse se vérifie à travers
l'administration du HCRP et le rattachement de celui-ci à la
Présidence de la République.
En effet, l'alternance entre une administration militaire et
civile n'est pas sans incidence sur l'exécution de la politique de
réinsertion. Au terme du décret n°94-007/PRN du 14 janvier
1994 portant création et attributions du HCRP, le Haut Commissaire est
nommé par le Chef de l'Etat de façon discrétionnaire, ce
dernier pouvant choisir un civil ou un militaire. Le style de commandement
propre aux militaires se présente comme une opportunité à
cet égard. La discipline, la rigueur et le sens du travail bien fait qui
caractérisent l'institution militaire ont permis de faciliter
l'exécution de la politique de réinsertion. Le parcours des
militaires au HCRP a été marqué par le travail rigoureux,
le respect strict des normes de travail etc. bref, toutes choses qui ont
largement contribué à accroître la capacité
institutionnelle de l'institution.
Tous les agents du HCRP reconnaissent que le rythme de
travail était plus rigoureux sous l'administration militaire.En outre,
l'administration militaire a été d'un grand secours pour la
facilitation des contacts entre le HCRP et les commandements militaires du
Nord. Au sortir des Accords de Paix, la politique de réinsertion et
beaucoup de questions liées à la gestion post conflit
1 Mamoudou Gazibo et Jane Jenson, op cit, p. 209.
65
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
en général, relevaient dans une large mesure
des compétences des FAN. Les militaires étaient incontournables
dans la gestion des processus de désarmement, de démobilisation
et de cantonnement. Jusqu'à présent d'ailleurs, c'est un ancien
militaire à la retraite, le sergent-chef Mamane Garba, qui occupe le
poste d'opérateur radio au HCRP.
La détermination des quotas par Front et Mouvement qui
tenait compte de l'armement des différentes structures fut
essentiellement l'oeuvre des militaires. Dans la mise en oeuvre des Accords de
la Paix, la présence des officiers à la tête du HCRP a
été très déterminante pour débloquer
certaines impasses. C'était, en effet, grâce à la
nomination des militaires comme le colonel Seyni Garba (aujourd'hui
général) que les problèmes de grades ont pu être
surmontés, ainsi que les problèmes liés au transfert de
grades.
Les militaires avaient la possibilité de conduire des
missions difficiles dans des zones dangereuses du Nord et de l'Est du Niger et
prendre contact avec les groupes dissidents. Ces facteurs ont largement induit
des comportements favorables des ex-rebelles et favorisé leur
adhésion aux Accords de Paix. Par ailleurs, le rattachement du HCRP
à la présidence de la République est certainement un des
facteurs structurants les plus importants. En effet, le Haut Commissaire ne
rend compte qu'au Chef de l'Etat. L'institution du HCRP est ainsi partie
intégrante d'une institution politiquement irresponsable. Car, de par
ses attributions et son organisation formelle, le HCRP n'entretient avec les
autres ministères que des rapports de coopération.
En 1995, sous la direction Mai Maigana, le Haut Commissaire,
fort de sa position vis-à-vis du Chef de l'État, convoquait
même des ministres pour régler certains problèmes relevant
de leurs compétences. Il faut en plus souligner que l'organisation des
pouvoirs est telle que le Parlement n'a pas la possibilité d'interpeller
le Haut Commissaire pour s'expliquer sur l'exécution de la politique de
réinsertion. Ce dernier a rang de ministre mais n'est pas membre du
Gouvernement. L'impact de cette configuration a facilité la mise en
oeuvre de la politique de réinsertion. Le HCRP avait ainsi la
possibilité de traiter directement avec le Chef de l'Etat en se passant
du Gouvernement.
L'institution était aussi, de par son statut juridique,
à l'abri de tout contrôle direct du Parlement. C'est ainsi que
beaucoup de dossiers pendants et controversés furent rapidement
débloqués. C'est le cas de la question des trois cent (300)
ex-combattants initialement destinés aux Sociétés
d'État que le Chef de l'État a réglé en juin 2006.
L'élément structurant a été pour les ressortissants
de cette politique de redéployer toutes leurs stratégies sur la
Présidence de la République. Car les autres institutions (le
Parlement, la Primature par exemple) n'avaient aucune emprise sur le HCRP qui
dispose d'une autonomie dans la gestion de la réinsertion. Les
correspondances officielles du HCRP étaient traitées avec
diligence dans tous les ministères1. Sur celles-ci, on
pouvait lire couramment l'expression «sur instruction du Chef
de l'État.... ».
En plus, l'institution dispose d'un mécanisme lui
permettant administrativement de faire parvenir au Chef de l'Etat certaines
informations directement, sans transiter par le circuit ordinaire de la
Présidence2. La place centrale du Chef de l'Etat dans la
gestion post conflit
1 Le HCRP utilise cette formule par exemple pour faire
débloquer avec diligence des fonds destinés aux ex-combattants
par le Ministère des Finances et de l'Economie.
2 Ces correspondances confidentielles et directes sont
appelées «Note au Président de la République ».
L'essentiel des demandes des ex-combattants dont le contenu semble
controversé sont transmises par le truchement de ces «notes
».
66
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
explique également que des fonctions politiques
à la Présidence de la République soient attractives et
perçues comme stratégiques. Mohamed Anacko, avant sa nomination
au HCRP était Conseiller à la Présidence avec rang de
ministre avant d'être ministre délégué aux Finances.
C'est également le cas de Ali Sidi Adam, responsable des FARS, le front
le plus puissant militairement, qui est Conseiller à la
Présidence.
C'est dire que les perceptions des acteurs et leurs actions
ont été construites et modelées par ce dispositif
institutionnel de nature présidentialiste. Ceci était d'autant
plus pertinent que la réinsertion des Chefs et Cadres était
laissée à l'appréciation du Chef de l'Etat. Ce pouvoir
discrétionnaire, à lui conféré par les Accords, a
orienté toutes les stratégies des ex-Chefs et Cadres sur la
Présidence. L'opportunité pour les ex-combattants, c'est aussi le
bénéfice de discrétion que de tels arrangements
institutionnels offraient.
En effet, l'autonomie du HCRP et son rattachement direct au
Chef de l'Etat ont permis à beaucoup de demandes des ex-combattants
suffisamment controversées d'être traitées sans heurt. La
politique de réinsertion, avec le principe de discrimination positive
qu'elle implique, n'a jamais fait l'unanimité au sein de l'opinion
publique. Elle a même été farouchement combattue par
beaucoup de nigériens. La procédure assez discrète de
règlement de certaines difficultés nées de la
réinsertion a évité au pouvoir politique de mettre
à mal sa légitimité. C'est le cas par exemple de la
réinsertion des Cadres.
Il est certain que si beaucoup de Cadres ont cumulé des
avantages (contrairement aux Accords de Paix), c'est en partie en raison du
dispositif institutionnel fermé, à l'abri de la curiosité
du public. Toutes ces implications produites par les institutions ont
favorisé une conception néo-patrimoniale de la politique de
réinsertion. Le caractère fermé du cadre institutionnel
explique pourquoi la résurgence de la rébellion en 2007 a surpris
l'opinion publique.
Les multiples tractations secrètes qui ont
été menées entre le HCRP et le premier noyau du MNJ depuis
2004 ne pouvaient être perçues par le public. Il suffit d'ailleurs
de parcourir les articles de la presse écrite sur le conflit au nord
pour constater ce déficit d'information. Il est fort probable que les
limites de la gestion post conflit, les signes alarmants d'une reprise des
hostilités auraient été perçues si le Haut
Commissaire pouvait être interpellé par l'Assemblée
Nationale pour s'expliquer sur la gestion des Accords de Paix.
Le HCRP est au Niger l'une des institutions qui communiquent
le moins1. Cette situation a été savamment
exploitée par les ex-combattants, notamment les élites
résidant à Niamey, pour faire aboutir certaines demandes
contestables au regard des prescriptions des Accords de Paix. Ces facteurs
structurants sont également perceptibles au niveau de certaines normes
informelles tel que le processus décisionnel du HCRP.
B. Le processus décisionnel au sein du HCRP
Indépendamment des normes officielles, les
règles pragmatiques de fonctionnement des institutions ont concouru
à élargir la marge de manoeuvre des ressortissants de la
politique de réinsertion. Cette structuration des comportements des
acteurs est liée au processus décisionnel du HCRP. Celui-ci peut
être d'abord appréhendé par la localisation de cette
institution à Niamey
1 Le HCRP disposait d'un Attaché de Presse en la
personne de Mounkaila N'Goila nommé en 2002. Ce poste n'existe plus
actuellement. Le HCRP n'organise plus des conférences de presse à
l'occasion du 24 avril, comme cela se faisait au lendemain des Accords de
Paix.
67
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
(et non pas dans le Nord). L'emplacement du HCRP dans la
capitale est essentiel, et il détermine dans une large mesure le
processus décisionnel de cette institution. Cette localisation a eu une
incidence sur les actions des ex-combattants.
En terme d'opportunité, cette concentration de la
structure à Niamey a été, en partie, à l'origine de
certains comportements des élites des Fronts et Mouvements, qui pour la
plupart, résident dans la capitale. Contrairement à leurs
combattants dont la majorité vit dans le Nord ou l'Est du pays, les
Chefs et Cadres ont beaucoup bénéficié de la
proximité physique avec le pouvoir central en général et
le HCRP en particulier. Cet avantage de proximité leur offre des
ressources informationnelles et relationnelles. L'institution n'a aucun
démembrement dans le Nord et l'Est du pays1. Cette situation
leur permet donc d'influencer le processus de décision du HCRP, souvent
au mépris des attentes de leurs combattants.
En 2006, lors de l'examen du dossier des 300 ex-combattants
que l'État devait intégrer dans les Sociétés
d'État, c'étaient les Chefs des Fronts et Mouvements qui avaient
convaincu le HCRP de remplacer les emplois promis par des pécules, soit
un million cinq cent mille (1 500 000) FCFA chacun. Or, le HCRP était
à pied d'oeuvre pour leur chercher des emplois dans les
sociétés minières comme AREVA qui inauguraient de nouveaux
chantiers dans le Nord, conformément d'ailleurs à leurs attentes.
Aussi, dans beaucoup de cas, ces pécules ont été
empochés par d'autres personnes totalement étrangères
à la Rébellion. Il est clair que de telles pratiques seraient
tempérées si le HCRP était directement en contact avec les
ex-combattants.
Aussi, les différents projets de réinsertion
socio-économique basés dans les zones concernées
étaient pilotés de Niamey par le HCRP. Ce dernier joue un
rôle central dans ce processus car c'est cette institution qui identifie
et transmet les listes des ex-combattants destinés à la
réinsertion aux différentes équipes des projets. C'est
également le HCRP qui, à partir de Niamey, transmet aux
équipes des projets les listes des ex-combattants désignés
comme personnes ressources pour assister le staff du Projet. Les ex-combattants
restés dans leurs zones sont devenus dépendants de ceux
résidant à Niamey en matière d'information sur le
processus.
Cette situation explique en partie pourquoi beaucoup de
non-combattants ont pu bénéficier des intégrations dans
divers corps de l'Etat au détriment de vrais combattants restés
à des centaines de kilomètres dans le Nord. De ce fait, cet
emplacement géographique apparaît comme un facteur structurant qui
induit des comportements et accroît la marge de manoeuvre de certains
acteurs. Ceci est d'autant plus évident que les rares missions que le
HCRP effectue dans les zones touchées par le conflit ne permettent pas
véritablement de répercuter les attentes des ex-combattants au
niveau central.
On retrouve ici une des explications institutionnelles de la
gestion néo-patrimoniale de la réinsertion par certains
responsables de ces structures. Ceux-ci étaient à l'abri des
pressions de leurs combattants restés au Nord et l'Est du pays. Leurs
comportements étaient quelque peu dictés par ce dispositif
institutionnel. Il est apparu que les leaders des Fronts et Mouvements
étaient plus attentifs aux pressions et sollicitations de leurs proches
(ex-combattants ou non) résidant à Niamey que de celles de leurs
combattants restés très loin de la capitale. Cette
1 Il est à préciser cependant qu'au
début du processus, les préfectures du Nord avaient
créé des comités régionaux de suivi pour relayer le
HCRP. A Tahoua, le Préfet créait par arrêté
n°164/PTA du 2 octobre 1995, un comité régional
chargé du « suivi et de l'évaluation des actions
entreprises dans la cadre de la restauration de la paix ».
Ce comité était chargé de « l'application
des directives et des mesures ou actions arrêtées par le HCRP, de
ses démembrements et des structures créées dans le cadre
de la restauration de la paix ».
68
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
concentration du HCRP à Niamey obéit à
des visées politiques et stratégiques. Comme l'explique un cadre
de cette institution, « un HCRP basé à Agade
sera simplement une boite à accumuler des problèmes, vu la
proximité avec les ex-combattants »1. En
d'autres termes, il serait perçu comme une «maison des
Touaregs » ; ce qui mettra à mal la logique
universaliste que l'Etat prône.
En somme, il faut dire que cette structuration a
créé un processus décisionnel qui fonctionne selon un
modèle
néo-corporatiste2.
Selon ce mécanisme, « la décision publique est
le produit d'une forte interaction entre le gouvernement et les
intérêts sectoriels »3. Les
modalités de mise en oeuvre de la politique de réinsertion n'ont
jamais été le produit d'une décision unilatérale
des autorités étatiques. Les relations personnelles qui se sont
nouées pendant le processus entre les acteurs étatiques et les
ex-combattants ont produit un mécanisme informel de décision en
marge des normes officielles.
Ces interactions ont abouti à l'émergence
d'une policy community constituée des cadres
du HCRP et des ex-rebelles. Le concept de policy
community désigne « des
communautés fermées, ou relativement fermées, qui
s'imposent comme parties prenantes incontournables dans le processus de
définition d'une politique publique dans un secteur particulier
»4. Cette policy
community maintient un contrôle sur le processus de mise en
oeuvre de la politique à telle enseigne qu'elle s'est finalement
institutionnalisée. Ce mécanisme accroît la marge de
manoeuvre des ressortissants dans la mesure où il permet des calculs
rationnels.
Cette configuration néo-corporatiste
du processus de décision constitue une source
d'information pertinente, permet aux acteurs d'anticiper sur les actions des
autres partenaires impliqués dans le processus. Ceci explique comment
à partir d'un certain moment, le HCRP a cessé de travailler avec
les quotas des Fronts et Mouvements, contrairement aux normes formelles
arrêtées. Ce choix est issu d'un consensus entre les membres de la
communauté décisionnelle et échappe totalement aux acteurs
étatiques qui sont en dehors de ce cadre institutionnel (les
ministères, le Cabinet du Premier ministre etc.). Egalement, les
ex-rebelles étaient assurés, grâce à ce dispositif,
de faire impunément entorse aux Accords de Paix.
C'est ainsi que des éléments
intégrés dans certains corps ont pu à maintes occasions
bénéficié de prestations que les Accords ne
prévoyaient pas. Ces normes informelles de décision ont ainsi
joué sur la conception que les ex-combattants se font de leurs
intérêts et ont contribué à influencer certains de
leurs comportements. Ce dispositif institutionnel qui fait des ressortissants
des acteurs clés de ce processus est lui-même, dans une certaine
mesure, le produit de la politique de réinsertion elle-même,
notamment celle des élites.
Ces derniers contrôlent depuis lors des ressources
politiques indépendamment de leur qualité d'ex-chefs rebelles.
Les principaux Chefs rebelles, ceux occupant des fonctions
ministérielles par exemple, disposent des mêmes ressources
statutaires que le Haut Commissaire lui-même. De cette façon, ils
sont apparus à la fois comme bénéficiaires des politiques
publiques de gestion post conflit et co-concepteurs de celles-ci. Il ressort
donc que l'organisation institutionnelle a favorisé une appropriation du
système décisionnel par les anciens combattants.
1 Entretien à Niamey, mai 2008.
2 Le modèle néo-corporatiste
en politiques publiques rend compte de
«l'interpénétration des institutions de la
démocratie représentative» et des groupes de
pressions catégoriels dans le processus de décision. Voir
Phillipe Braud, Sociologie politique, op cit, pp.
364-369.
3 Charlotte Halpern, «Décision» in Laurie
Boussaguet et al, Dictionnaires des politiques
publiques, op cit, p. 159.
4 Ce concept est proche mais plus étroit que celui
de policy network , voir Guy Hermet et al,
Dictionnaire de la science politique... op cit, p.
240 et svt.
69
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Cette appropriation du système HCRP par ces
élites a dissuadé toute velléité contestataire de
leur part. Ceci permet de comprendre pourquoi le HCRP, en dépit de
certaines contraintes qu'il présente pour eux, a toujours
été perçu par ceux-ci comme le cadre institutionnel le
mieux indiqué pour la satisfaction de leurs intérêts. Cette
attitude positive vis-à-vis de l'institution s'est
matérialisée à plusieurs étapes du processus de
paix, lorsqu'il s'est agit de désamorcer des crises.
L'impasse que le processus de paix a connu en 1997 avec la
reprise des hostilités par l'UFRA, les problèmes de
révocations au sein des FNIS, la question de la réinsertion
socio-économique pour ne citer que ceux-ci, ont été
l'occasion pour les deux parties d'actionner le système HCRP pour
surmonter les crises.
En cela, on peut donc estimer que les institutions, dans leurs
règles de fonctionnement pragmatiques, ont accru la marge de manoeuvre
des ressortissants et contribué à structurer leurs attitudes et
comportements. Ceci n'occulte pas les contraintes que les institutions
présentent pour ces acteurs.
Paragraphe 2 : Les institutions comme contrainte
Les contraintes inhérentes au cadre institutionnel de
gestion post conflit se mesurent également aussi bien par des normes
formelles illustrées par la rigidité de l'administration publique
(A) que par des normes informelles telles que les contraintes
géographiques et linguistiques (B).
A. La rigidité de l'administration publique
Les institutions se présentent ici comme une limite de
la capacité d'influence des ressortissants sur le processus de mise en
oeuvre de la politique de réinsertion. En rétrécissant la
marge de manoeuvre de ces acteurs, les institutions induisent d'autres
attitudes et comportements. Cette réalité se lit dans les
contraintes que constitue l'administration militaire du HCRP et
également dans la rigidité des normes régissant les
institutions dans lesquelles les ex-combattants ont été
intégrés. Au-delà des significations que la nomination des
militaires à la tête du HCRP a revêtues, l'administration
militaire a rempli certaines fonctions latentes.
Le contexte issu de la signature des Accords de Paix
était marqué par les relations de suspicion et de méfiance
mutuelles entre les parties. Au HCRP, cette situation post conflit a mis
à mal les relations entre le personnel civil et les ex-combattants
directement sortis des maquis. Des incompréhensions entre les deux
parties se sont ainsi soldées par des agressions physiques ou menaces
verbales, toutes choses qui ont créé un contexte de travail
tendu, voire dangereux pour le personnel civil.
Trois agents du HCRP ont fait les frais de ce climat de
psychose. Un d'entre eux fut physiquement agressé par un Cadre de
l'ex-Rébellion dans les locaux du HCRP, les deux autres furent
menacés de mort, dont un avec arme à feu. L'arrivée des
militaires à partir de mai 19961 a permis de mettre en
confiance les agents du HCRP en leur offrant un cadre de travail plus
sécurisé. Cette situation conduit le colonel Laouel Chékou
Koré, (à l'époque chef d'escadron) alors Haut Commissaire,
à placer des sentinelles à l'entrée des locaux.
1 Bien avant la nomination du Chef d'Escadron Laouel C.
Koré, c'est le Chef d'Escadron Yayé Garba qui fut nommé
Conseiller Technique du Haut Commissaire le 25 mars 1996.
70
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
La sécurisation du cadre de travail apparaît ici
non pas comme une cause de l'arrivée des militaires, mais comme une
fonction latente que l'institution militaire remplit pour le HCRP. Si pour les
cadres du HCRP, l'administration militaire est facteur de
sécurité et de sérénité, il n'en est pas de
même pour les ex-rebelles. Pour ces derniers, la gestion des militaires,
en dépit de certains atouts qu'elle présente, apparaît
plutôt comme une contrainte, une limitation de leur pouvoir d'influence.
Ainsi, le dispositif militaire dans les locaux de l'institution a eu un impact
dissuasif sur les ex-combattants. Les comportements violents ont cessé
avec le temps au profit des rapports plus empreints de compréhension et
de civilité.
De ce point de vue, l'administration militaire a eu une
incidence sur les attitudes et les comportements des acteurs, notamment les
ex-combattants. Cette incidence a été ainsi structurante car
l'administration militaire a changé le contexte et les options qui y
étaient disponibles. Une action violente, verbale ou physique, de la
part des ex-combattants envers le personnel entraînerait certainement des
mesures de représailles immédiates de la part des militaires. La
prise en compte de ce changement de données conduit à un
changement d'attitude et de comportement.
L'institution fournit donc une information aux acteurs quand
aux conséquences de leurs actes, c'est-à-dire les
réactions possibles qui peuvent en résulter. Cette
réalité confirme la vertu structurante des institutions. Pour
Peter Hall et Rosemary Taylor, en effet, « le point central
est qu'elles (institutions) a~~ectent les comportements des individus en jouant
sur les attentes d'un acteur donné concernant les actions que les autres
acteurs sont susceptibles d'accomplir en réaction à ses propres
actions ou même en même temps qu'elles
»1.
Une autre dimension de l'impact militaire sur les
comportements est la rigidité et la fermeté des officiers quand
au respect de certains principes. Très peu prédisposés
à transiger sur les principes (contrairement aux civils), les militaires
se sont surtout distingués par leur conception stricte des Accords de
Paix. Beaucoup de demandes des ex-combattants manifestement en marge des
clauses des Accords de Paix se sont heurtées au refus catégorique
des militaires. C'est le cas des problèmes nés de
l'intégration des ex-combattants dans les corps militaires et para
militaires.
Les demandes des ex-combattants en faveur d'une
réintégration des éléments déserteurs ou
révoqués n'ont été admises dans l'agenda du HCRP
qu'en 2006 avec l'avènement d'une administration civile. Les normes
régissant les institutions d'accueil des ex-combattants
intégrés ont produit les mêmes contraintes et induit des
attitudes et des comportements. Comme nous l'avons souligné, les Accords
de Paix n'ont pas consacré une rupture totale avec les institutions
antérieures.
Les conditions d'accès dans les différents corps
de l'Etat n'ont pas substantiellement changé, à l'exception bien
sûr, du fait que les ex-combattants sont dispensés de passer les
concours d'entrée, là où cela était exigé.
Dans l'esprit des Accords de Paix, les ex-combattants intégrés ne
sont pas censés, en vertu de leur situation, bénéficier
d'un traitement particulier. Une fois admis dans la Fonction Publique par
exemple, l'ex-combattant est censé être régi par les
mêmes textes que les autres fonctionnaires travaillant dans ce même
corps. Il en est de même dans toutes les institutions.
En général, l'adaptation au nouvel emploi s'est
faite sans heurt dans les corps civils. C'est surtout au sein des corps
militaires et para militaires que la rigidité des normes a
été difficile à
1 Op cit, p. 472.
71
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Août 2009
assimiler pour les ex-combattants, comme en témoignent
les désertions et révocations au sein des FNIS. Les normes
encadrant les comportements des acteurs ont eu des incidences sur les attitudes
et les comportements des ex-combattants de deux manières.
D'abord, par leur rigidité et leur portée
universelle, les normes ont conduit à des comportements d'auto
discipline de la part des ex-combattants. Celle-ci fut dictée par un
calcul rationnel que les institutions, en fournissant des informations fiables
aux acteurs, ont favorisé. Il est bien connu que dans les corps
militaires et paramilitaires, la hiérarchie est très stricte sur
le respect des normes.
En plus, le pouvoir des autorités politiques sur ces
corps n'est pas si important qu'il puisse permettre une interférence de
celles-ci sur les affaires internes à ceux-ci. Il en découle une
conséquence de taille : il est difficile, voire impossible pour un
ex-combattant frappé par une sanction au sein de son corps de
bénéficier d'un traitement complaisant en se servant de ses
relations politiques.
Dans la même perspective, un ex-combattant
intégré à l'Université ne peut espérer
bénéficier des faveurs en sa qualité d'ancien rebelle.
Bref, les institutions d'accueil des ex-combattants ignorent la discrimination
positive. L'auto discipline, c'est-à-dire la conformité aux
règles par l'appropriation et l'intériorisation
extérieures de celles-ci, est ainsi une conséquence de la force
structurante des institutions.
Dans un second lieu, l'on a assisté à des
comportements qu'Albert Hirs chman appelle «comportements de
sortie» (exit) dictés par le refus
d'intérioriser les régulations contraignantes des
institutions1. Les désertions des ex-combattants au sein des
FNIS en sont des manifestations tangibles. Dès juillet 1997, 56
ex-combattants destinés aux FAN avaient
démissionné2. Dans une logique compréhensive,
ces « comportements de sortie» ne sont pas
uniquement imputables à la rigidité des normes et à
l'incapacité ou le refus des ex-combattants de s'y adapter.
Ils procèdent également d'une
«frustration relative» (T. Gurr) que les
ex-combattants ont développée au sein de ces institutions. Selon
plusieurs témoignages de ces derniers, il n'y aurait une méfiance
et une suspicion contre tous les éléments intégrés.
Et l'accès à des postes stratégiques leur serait interdit
quelque soit leur rang. D'après un ancien Cadre de
l'ex-Rébellion, « on ne donne jamais à un
ex-combattant intégré la responsabilité de gérer un
magasin de munitions ou les clés d'un véhicule 4X4. On est
intégrés que de manière mécanique, on pense que
nous sommes toujours prêts à reprendre la guerre
»3.
En juin 2006, dans la déclaration sanctionnant leur
rencontre avec le HCRP, les Chefs de Fronts et Mouvements avaient
fustigé les « renvois complaisants»
et les « révocations planifiées
»4 de leurs combattants dans les FDS. Mais
l'argument de la «frustration relative»
n'occulte pas celui de la logique utilitaire. Pour certains, la
désertion était rationnelle dans la mesure où elle leur
ouvrait des perspectives plus prometteuses. C'est ainsi que beaucoup sont
retournés en Libye ou en Algérie, pays dont beaucoup d'entre eux
détiennent la nationalité d'ailleurs.
1 Selon cet auteur, trois options se présentent pour
un acteur face à un changement de contexte : la « défection
» (exit), « la loyauté »
(loyality) et « la prise de parole »
(voice). Voir Mamoudou Gazibo et Jane Jenson, op cit,
302 ; Phillipe Braud, op cit, p. 47
2 HCRP, Estimation du coût du processus de
paix, juillet 1997, p. 4.
3 Il s'exprimait pendant la réunion des Chefs de Fronts
et Mouvements du 15 juin 2006 au HCRP.
4 HCRP, Conclusions de la Réunion des Chefs
et Cadres de l'ex-Résistance Armée et Comités
d'Autodéfense, juin 2006, p. 2.
72
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
En clair, la rigidité de l'administration, militaire
comme civile, explique certains comportements des ex-combattants
intégrés, même si ces comportements obéissent
également à d'autres logiques. Cette hypothèse se
vérifie avec les normes informelles.
B. Les contraintes géographiques et
linguistiques
Les institutions se présentent comme une contrainte et
un facteur structurant des comportements des acteurs dans leur dimension
informelle. Cette capacité des normes informelles à modeler les
attitudes et comportements peut s'apprécier à travers l'impact de
la situation géographique du HCRP et le rôle de la langue de
travail. L'implantation du HCRP dans la capitale, outre qu'elle répond
à des nécessités pratiques, est porteuse d'une valeur
symbolique. Contrairement au modèle malien et à
l'expérience nigérienne sous la 1ère
République, le Niger a créé un HCRP dont les attributions
ne font référence à aucune ethnie ou région
spécifiques.
Cette démarcation avec toute référence
particulariste témoigne une fois encore de la continuité
historique, du poids des institutions antérieures qui s'observe dans la
nature des institutions de gestion post conflit. Mais le facteur structurant
est surtout lié à la distance géographique entre
l'institution et la majorité des ex-combattants. Si cette distance a
été une opportunité pour les ex-combattants
résidant à Niamey, elle apparaît comme une contrainte pour
ceux résidant dans les zones reculées.
En plus d'être à des centaines de
kilomètres de la capitale, les ex-combattants sont également
dispersés non seulement dans les quatre régions (Kawar, Manga,
Aïr, Azawak) mais aussi disséminés à
l'intérieur de celles-ci. Ce cumul de facteurs objectifs et handicapants
amenuise la capacité des ex-combattants à influer sur la
politique de réinsertion. Le HCRP ne dispose pas d'antenne
régionale ou autre structure déconcentrée chargée
de mettre en oeuvre sa politique sur place. Cette situation met les
ex-combattants en position de dépendance vis-à-vis de leurs Chefs
installés à Niamey.
C'est à ces derniers qu'il appartient par exemple de
constituer les listes de leurs éléments candidats à
l'intégration ou à la réinsertion socio-économique.
Dans certains cas, les listes sont dressées sans tenir compte des
ex-combattants résidant dans les zones reculées. C'est ainsi pour
la réinsertion socio-économique dans l'Aïr et l'Azawak, les
deux cent vingt (220) ex-combattants par Front ou Mouvement ont
été déterminés par la direction de chaque structure
basée à Niamey. L'instabilité qui caractérise ces
listes témoigne des tensions qu'elles soulèvent au sein de ces
structures1. Les ex-combattants n'ont jamais manqué une
occasion pour demander une déconcentration du HCRP dans les zones
touchées par le conflit.
En juillet 1997, les ex-combattants avaient demandé
une restructuration du HCRP et une intégration de leurs
représentants dans la gestion de cette structure2. Ils l'ont
également exprimé avec force pendant le Forum d'Agadez de
février 2005 en demandant que le HCRP «
transfère carrément ses bureaux à Agade pour
permettre aux ex-combattants de s'adresser directement à
cette
1 Nous avons été chargé au HCRP en 2006
de tenir le fichier des 3160 ex-combattants de l'Aïr/Azawak. Nous
étions à ce titre fréquemment sollicité pour, soit
retirer un nom pour le remplacer par un autre, soit pour un ex-combattant de
vérifier par lui-même son nom ou celui d'un de ses proches sur la
liste etc.
2 Ministère du Plan et de la Privatisation (Cellule Zone
pastorale), Rapport d'activités du mois de juillet
1997, p. 6.
73
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
institution »1. En
dépit de ces multiples revendications, aucune mesure n'a
été prise dans ce sens ou même envisagée par le
Gouvernement.
L'impact de cette contrainte géographique a
été structurant car elle réduit la marge de manoeuvre des
ex-combattants. Certains ont adopté des «comportements
de sortie » (exit), d'autres se sont contentés des
protestations verbales (voice). Dans le premier cas,
les ex-combattants désillusionnés par le processus ont
préféré vaguer à d'autres occupations ou
émigrer dans les pays voisins. C'est le cas dans l'Aïr et l'Azawak
de ceux ayant été programmés pour la réinsertion
socio-économique. Ils ont attendu dix (10) ans pour voir leurs projets
démarrer.
Dans le deuxième cas, les ex-combattants se sont saisi
des rares occasions qui se sont présentées à eux pour
exprimer leur mécontentement. Il s'agit en particulier des missions du
HCRP dans leurs zones ou de celles des autorités politiques. Certains se
sont souvent organisés pour créer une insécurité
à travers des attaques armées afin d'attirer l'attention des
autorités.
Par ailleurs, la langue du travail, le Français, a
été une variable importante dans la structuration des attitudes
et comportements des ex-combattants. En effet, pour un ex-combattant, la
maîtrise de la langue française est une ressource
stratégique. Au contraire, pour l'analphabète, l'usage du
Français dans le processus devient une contrainte qui réduit les
options à lui offertes. L'ex-combattant analphabète ne peut lire
les Accords de Paix, ni les autres documents de travail de sa structure ou de
l'Etat, de même qu'il ne peut prétendre à certaines
responsabilités, quelque soit son rang dans sa structure. C'est tout le
sens de la distinction utilisée par le HCRP entre le « Chef »
et le « Responsable » pour qualifier les différents
acteurs.
Le premier est le chef de guerre et fondateur de la structure,
tandis que le second n'est pas forcément le chef, mais le cadre, «
l'évolué » vivant à Niamey et qui représente
sa structure dans les réunions avec le HCRP2. Dans les cas
où le Chef est analphabète, le responsable arrive avec le temps
à le supplanter en termes d'influence dans le processus en raison de son
bagage intellectuel. Cette contrainte linguistique amenuise donc le pouvoir du
Chef analphabète ainsi que ses combattants étant dans la
même situation. Ceci renverse avec le temps les rapports de force au sein
de la structure car, en temps de paix, les ressources intellectuelles et
éducationnelles supplantent celles liées à la
maîtrise du canon.
Au-delà de la rupture d'autorité qu'elle induit
au plan interne, la contrainte linguistique et éducationnelle a,
à certains égards, changé les rapports de force entre les
structures existantes, c'est-à-dire les Fronts et Mouvements. Il est
ainsi apparu qu'un Mouvement d'Autodéfense, moins influent qu'un Front
en termes de capacité de nuisance, peut mettre en valeur ses ressources
intellectuelles pour modifier les rapports de force.
A titre d'illustration, la Milice Peulh de Diffa a
été l'une des structures qui a réalisé les
meilleurs « investissements ». Mr Saidou Omar Sanda, un de ses
responsables, ingénieur en Informatique de formation, est depuis 2008
Conseiller Technique au HCRP, position qui le met au coeur du système
décisionnel. Il tient son poste non pas à la puissance de sa
structure, mais à son niveau intellectuel et à son
expérience en matière de gestion conflit. Très
réputé pour son
1 HCRP, Forum de consolidation de la paix dans la
région d'Agade~, (synthèse des travaux avec la
coordination des ex-combattants), mars 2005 (document non paginé).
2 Pour les FARS par exemple, le Responsable est Ali Sidi
Adam, Conseiller à la Présidence de la République, les
Chefs de guerre étaient Barka Wardougou et le feu Chahaï
Barkaï. Pour le FLAA, le responsable est le «Commandant» Amadou
N'Gadé, «Chef d'Etat-major» du Front et propriétaire
d'une société de gardiennage à Niamey. Le Chef de Front
était Rhissa Ag Boula.
74
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
expertise en informatique, il a pu faire valoir ses
compétences à un moment où le HCRP cherchait justement des
technocrates.
Dans toutes les autres structures, les Chefs
analphabètes se sont contentés de la réinsertion sous
forme de pécules ou de postes protocolaires (Chargé de mission,
Conseiller etc.) pendant que les autres se sont taillés des
portefeuilles ministériels. Le tableau n°5 ci-dessous montre que
huit (8) sur les dix sept (17) leaders de ces Fronts et Mouvements n'ont pas
fréquenté l'école moderne.
Mais il faut préciser que certains ont effectué
des études en Arabe de niveau secondaire ou supérieure en Libye.
C'est le cas d'Ali Sidi Adam des FARS. Aussi, certains des Chefs rebelles,
à l'exemple du ministre Issiad Ag Kato, ancien « Chef
d'État-major » du FPLS, se sont formés après les
Accords de Paix.
Tableau n°5 : Les ex-Chefs de Fronts et de
Mouvements par niveau d'instruction
Noms et Prénoms
|
Structure
|
Niveau d'instruction
|
Activité actuelle
|
Mohamed Ikta Abdoulaye
|
FFL
|
Etudes secondaires
|
Lieutenant des Douanes
|
Hamad Ahmed Halilou
|
APLN
|
Études coraniques
|
Conseiller à la Primature
|
Alhadi Alhadj
|
FPLN
|
Études coraniques
|
Conseiller à la Présidence
|
Bilal Islamane
|
ARLN
|
Etudes secondaires
|
Préposé des Douanes
|
Goumour Ibrahim
|
MRLN
|
Études coraniques
|
Chargé de Mission à la Présidence
|
Najim Boujima
|
CVT
|
Études coraniques
|
Activités privées
|
Ahmed Boubacar
|
CAD
|
Études secondaires
|
Activités privées
|
Maazou Boukar
|
Milice Peulh
|
Études coraniques
|
Conseiller à la Présidence
|
Sélim Hamed
|
Milice Arabe
|
Etudes secondaires
|
Député national
|
Issa Lamine
|
FDR
|
Études supérieures
|
Ministre de la Santé
|
Ahmed W. Hounouna
|
MUR
|
Etudes coraniques
|
Activités privées
|
Silimane Hyard
|
FAR/UFRA
|
Etudes coraniques
|
Activités privées
|
Rhissa Ag Boula
|
FLAA
|
Etudes supérieures
|
En rébellion
|
Mohamed Anacko
|
FPLS
|
Études supérieures
|
Haut Commissaire (HCRP)
|
Mohamed Akotey
|
FLT
|
Etudes supérieures
|
Ministre de l'Environnement
|
Ousmane Ismaghril
|
FAR/ORA
|
Etudes secondaires
|
Activités privées
|
Ali Sidi Adam
|
FARS
|
Études coraniques
|
Conseiller à la Présidence
|
|
Source : Tableau établi par nous.
Celui-ci a non seulement passé le bac, mais aussi
obtenu une licence et une maîtrise en Gestion des Ressources Humaines,
puis un Master en Affaires Internationales en France. Lors des réunions
de travail au HCRP, les ex-combattants analphabètes, lorsqu'ils sont
invités, n'ont pas la possibilité de participer qualitativement
aux débats car les documents de travail sont en Français. En
général, les débats se déroulent également
en Français, surtout lorsque les représentants des bailleurs de
fond sont présents. Or, c'est justement pendant ces rencontres que les
vraies décisions sont arrêtées.
75
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Lors de la réunion du Comité de
pilotage du Projet Aïr/Azawak du 5 février 2007,
c'est après les discussions en plénière que les
représentants des ex-combattants se sont isolés pour faire leurs
recommandations, en se débrouillant au passage pour les faire
rédiger et saisir en Français. La seconde réunion du
Comité de Pilotage le 17 mars 2008 (à
laquelle nous avons pris part), aurait entraîné le même
scénario n'eut été l'intervention du Haut Commissaire
Mohamed Anacko, touareg lui-même. Ce dernier s'était
efforcé de traduire en tamasheq les débats pour les
représentants de la Rébellion présents dans la salle, et
restituer en retour leurs points de vue à la plénière.
Ces variables linguistiques et éducationnelles ont des
effets structurants dans la mesure où elles déterminent la
conception que les acteurs se font de leurs intérêts. Souvent,
même lorsque les réunions se font en tamasheq et en haoussa, la
substance des débats n'est pas toujours celle que l'on retrouve dans les
rapports administratifs officiels. Autrement dit, les rapports de
synthèse ne reflètent pas toujours les points de vue
exprimés par les ex-combattants dans leurs langues. En juin 2006,
pendant la rencontre entre le HCRP et les anciens Chefs rebelles et de
Mouvements, l'essentiel des débats se sont déroulés en
tamasheq et en haoussa car les ex-combattants étaient majoritaires dans
la salle.
Pourtant, au moment de lire la déclaration finale
devant les journalistes, certaines des décisions arrêtées
ont été délibérément occultées dans
le communiqué final. Ainsi, alors que les ex-combattants avaient
à l'unanimité conclu à « l'insuffisance
des fonds destinés à la réinsertion
socio-économique », le communiqué a retenu
simplement que « la réunion a évoqué la
question de la réinsertion socio-économique
»1. En plus, le point relatif au «
déplacement des ex-chefs de Fronts ainsi que de leurs biens
dans les tones touchées par le conflit »2
a été purement et simplement supprimé, quelques minutes
avant la lecture du communiqué.
Toutefois, il existe des cas exceptionnels où les
ex-rebelles refusent délibérément d'user du
Français même lorsqu'ils le parlent. L'ancien Chef Toubou des
FARS, Chahaï Barkaï utilisait un interprète lors des
réunions de travail avec les cadres du HCRP alors qu'il parlait bien
Français, ce que ses interlocuteurs ne savaient pas. Sans doute
s'agit-il d'une autre stratégie de combat[
La reprise en main du processus par les anciens combattants
instruits au détriment de leurs frères d'armes
analphabètes, la forte dépendance de ces derniers
vis-à-vis des premiers sont ainsi des manifestations tangibles de la
structuration des situations politiques par les institutions informelles,
notamment la langue et le niveau d'instruction.
Section 2 : Les relations de pouvoir
asymétriques entre acteurs
L'organisation institutionnelle de l'Etat et de toute
entité produit des inégalités de pouvoir et de ressources
entre acteurs. Pour M. Gazibo et J. Jenson, « c'est
l'organisation institutionnelle qui détermine les rapports de force
entre acteurs »3. Cette hypothèse de
l'institutionnalisme historique est testée dans
1 Les ex-combattants avaient rejeté le montant des
subventions (165 000 FCFA par ex-combattant) que le projet leur proposait.
Selon le témoignage d'un d'entre eux à cette occasion, en 1995,
quand il déposa les armes, alors célibataire, il pouvait accepter
cette somme. Mais dix ans après, devenu père de famille, cette
subvention est inacceptable.
2 Les anciens rebelles des zones de l'Aïr et de l'Azawak
exigeaient un statut d'ancien chef de Front qui leur permette de circuler dans
leurs zones comme des «autorités»
pour échapper aux contrôles de routines des Forces de
Défense et de Sécurité qu'ils qualifient de «
tracasseries ».
3Op cit, p. 209.
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La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
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les relations institutionnelles entre les acteurs
étatiques (Paragraphe 1) et les relations de pouvoir entre les
ex-combattants (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Les relations entre acteurs
étatiques
Les relations au niveau des acteurs étatiques sont
examinées d'abord dans l'organisation interne du HCRP (A) et ensuite
dans les rapports que celui-ci entretient avec les autres institutions de
l'Etat (B).
A. L'organisation interne du HCRP
Au terme de l'arrêté n°005/PRN du 24
février 1994 portant organisation et fonctionnement du HCRP, cette
institution est organisé comme suit :
- le Cabinet du Haut Commissaire composé du Chef de
Cabinet, de un ou deux Conseillers Techniques et du Secrétariat
Particulier ;
- le Secrétariat Général comprenant un
Service des Etudes et de la Documentation, un Bureau d'Ordre et un
Secrétariat ;
- le Département des Affaires Politiques et Juridiques
;
- le Département des Affaires Economiques et
Sociales.
L'arrêté crée également
auprès du HCRP une Commission de Restauration de la Paix composée
de «personnalités représentatives de la
société civile issues de toutes les régions du pays
». Organisé sur le modèle des
ministères, le HCRP est avant tout une institution administrative. Le
Haut Commissaire qui a rang de ministre, dispose administrativement d'un
pouvoir hiérarchique, c'est-à-dire, d'un pouvoir d'injonction
institutionnalisé1. De par cette configuration
institutionnelle, le Haut Commissaire dispose d'un pouvoir de dernier ressort
sur les politiques de l'institution.
Cette suprématie peut être illustrée par
le traitement des correspondances. Selon le circuit de transmission des
informations, c'est le Secrétaire Général qui examine le
premier les correspondances, donne un avis consultatif et transmet au Haut
Commissaire à qui il revient de prendre la décision finale. Ce
dernier peut éventuellement se faire assister par ses Conseillers ou les
Chefs de Départements selon la nature de la question. Le
Secrétaire Général assure l'intérim du Haut
Commissaire en cas d'absence ou d'empêchement.
Dans le fonctionnement réel de l'institution, les
pouvoirs du Haut Commissaire et du Secrétaire Général
s'exercent en collaboration avec les Chefs des Départements et le
Conseiller Technique. La décision est également influencée
par les groupes extérieurs à l'institution, notamment les
ressortissants de la politique de réinsertion des ex-combattants.
D'où le caractère néo-corporatiste
du processus décisionnel. En fait, la détention par
le Haut Commissaire des ressources statutaires est contrebalancée par
les ressources politiques diverses (informationnelles, statutaires etc.) que
détiennent les cadres techniques de l'institution.
L'analyse des politiques publiques distingue trois types de
fonctions exercées par l'administration dans l'action publique : la
«mise en forme » des normes, la
«mise en oeuvre» des
1 Phillipe Braud distingue le pouvoir d'influence
qui repose sur la séduction (et exclut la contrainte) et
le pouvoir d'injonction. Ce dernier s'appuie sur la
menace de sanction et revêt trois modalités : injonction de fait,
injonction morale et injonction basée sur la règle de droit.
Cette dernière modalité est la forme la plus
institutionnalisée. Voir Sociologie politique,
op cit, p. 41.
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au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
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politiques arrêtées et l'intermédiation
entre l'État et les groupes d'intérêts.1
L'existence de ces règles pragmatiques réduit
considérablement la marge de manoeuvre du politique. Toutefois, en
dépit de ces contrepoids, il demeure que l'organisation institutionnelle
place le Haut Commissaire au centre de la décision. Cette
asymétrie de pouvoir entre acteurs institutionnels internes
entraîne des conséquences pratiques en termes de comportements des
acteurs.
Ainsi, le Haut Commissaire, en tant que principal
décideur, imprime sa marque sur le processus de mise en oeuvre de la
politique de réinsertion. Son Cabinet devient le lieu d'articulation des
demandes des ex-combattants car étant perçu par ceux-ci comme le
lieu stratégique de la décision. Cette réalité est
empirique car l'absence du Haut Commissaire peut se savoir à la seule
observation du niveau d'affluence des visiteurs dans l'enceinte de
l'institution.
D'ailleurs, l'intérim du Haut Commissaire ne traite
jamais des questions sensibles, d'où une paralysie de l'institution
pendant ses périodes d'absence. Les stratégies des ressortissants
ont donc consisté à établir et entretenir de bonnes
relations avec les Haut Commissaires afin de sauvegarder le système de
décision néo-corporatiste qui s'est
établi avec le temps.
Cette stratégie de « séduction » du
Haut Commissaire par les ressortissants est d'autant plus aisée que les
élites de la Rébellion occupent des postes politiques aussi
importants et stratégiques que le sien. C'est le cas des ex-Chefs
rebelles siégeant au Gouvernement comme Mohamed Akotey et Issiad Ag
Kato, respectivement ministre de l'Environnement et de la Lutte contre la
Désertification et ministre des Ressources Animales.
Cependant, par réalisme, et pour se mettre à
l'abri des aléas liés au changement de direction à la
tête de l'institution, les ex-combattants ont noué des rapports
étroits avec les principaux cadres de l'institution. La
fidélisation de ces cadres était d'autant plus aisée qu'il
y a eu très peu de rotation des agents au sein du HCRP. A titre
d'exemple, Mr Sani Gonda et Mr Soumana Souley, respectivement Secrétaire
Général et Conseiller Technique du HCRP sont en poste depuis la
création de l'institution en 1994.
Ces cadres sont les véritables architectes des
politiques du HCRP par leur maîtrise de l'information et leur
expérience. Si les successions entre militaires et civils à la
tête de l'institution ont eu des impacts en termes de style de
commandement, il demeure que l'orientation de la politique de l'institution est
restée la même.
En clair, l'organisation institutionnelle, en instituant une
asymétrie de pouvoir entre acteurs institutionnels, n'a pas
entraîné une monopolisation totale de la décision par le
Haut Commissaire. Dans la réalité, c'est surtout la perception
des acteurs extérieurs à l'institution qui explique le
déploiement des stratégies en direction du Haut Commissaire.
D'autres variables interviennent pour expliquer le niveau
d'intérêt inégal que les ex-combattants accordent aux
cadres de l'institution. D'abord, par leur origine ethnique, certains cadres
sont jugés « peu recommandables», indignes de confiance par
certains anciens rebelles. Ces préjugés s'expliquent en
réalité, non pas par l'origine ethnique de ces agents, mais par
leur conception des Accords de Paix.
Par une démarche manichéenne, les membres du
personnel du HCRP sont catégorisés en deux groupes selon qu'ils
soient favorables ou non à la discrimination positive. Les
ex-combattants désireux de faire aboutir leurs revendications ciblent
leur interlocuteur selon la rigidité de ses positions sur la politique
de réinsertion, c'est-à-dire selon son degré de sympathie
pour la cause touarègue.
1 Philippe Bezez, «Administration» in Laurie Boussaguet
et al, op cit, pp. 32-41.
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au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
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Ce degré de sympathie est apprécié par la
propension à faire de concessions, à passer des compromis, voire
à fermer les yeux sur les abus. Le Secrétaire
Général Sani Gonda par exemple, malgré l'importance de son
poste dans l'organisation institutionnelle, est très peu
fréquenté par les ex-combattants à cause de sa
fermeté, de son refus de transiger sur des principes. Il en est de
même pour le Conseiller Technique Soumana Souley. En 2006, un
ex-combattant touareg nous a confié que celui-ci était «
responsable de tous les blocages que connaît la
réinsertion des ex-combattants depuis le début
»1.
Par contre, le Directeur des Affaires Economiques, Sociales et
Culturelles (DAES/C), Chipkaou Oumarou semble plus chanceux. Il est mieux
courtisé pour deux raisons. D'abord en raison de la centralité de
son poste, ensuite grâce à la souplesse de sa personnalité
et de son fair play. De par sa fonction, il s'occupe,
entre autres, de l'identification des ex-combattants destinés à
la réinsertion socio-économique. C'est lui qui reçoit les
listes des ex-combattants établies par les responsables des
différentes structures et gère la base de données. Il
s'agit d'un poste stratégique dans la mesure où, le plus souvent,
au gré des intérêts, ces listes sont modifiées par
les responsables des structures concernées.
De tels agissements et abus se seraient heurtés
à des rejets complets, n'eut été le fairplay
et le sens de modération qui caractérisent le
personnage. Mais la complexité du processus décisionnel au HCRP
entraîne une diversification des partenaires qui conduit à
traiter, malgré soi, avec les autres cadres. En effet, le
Secrétaire Général reste formellement incontournable par
ses ressources statutaires. A l'exception du Haut Commissaire, aucun cadre ne
peut expédier une correspondance à l'extérieur sans son
avis, et toutes les correspondances extérieures passent obligatoirement
par lui.
Ce contrôle de l'information dans l'administration est
une ressource politique importante, surtout lorsqu'il s'agit des questions
controversées sur lesquelles les agents ne partagent pas les mêmes
opinions. Les cadres reconnus pour leur intransigeance sont souvent
contournés malgré leur position statutaire. L'une des
stratégies consiste à solliciter directement l'intervention du
Haut Commissaire qui peut, à partir de son Cabinet, expédier
certaines correspondances.
Un exemple de ces questions controversées était
le cas des 33 ex-combattants diplômés de l'Ecole Nationale
d'Administration (ENA). Ces derniers avaient sollicité en 2006 une
intervention du HCRP pour une intégration directe à la Fonction
Publique « dans le cadre de la consolidation de la paix
». Or, de l'avis de la majorité des cadres du HCRP,
les Accords de Paix n'ont jamais prévu que les ex-combattants admis dans
les écoles professionnelles au titre de l'intégration devaient
être intégrés directement à la Fonction Publique
après leur formation.
Ce point de vue n'est pas partagé par certains cadres
du HCRP qui épousent la position des ex-combattants. Ceux-ci invoquent
l'argument que l'intégration reste inachevée tant que les
ex-combattants formés n'ont pas bénéficié d'une
intégration professionnelle dans un corps de l'Etat. Pour
répondre à cette sollicitation, le HCRP est amené à
expédier des correspondances aux ministères concernés
(Finances, Fonction publique etc.) avec une argumentation solide. Il va de soi
qu'une telle démarche n'est pas pour enthousiasmer les cadres
défendant l'avis contraire. D'où la nécessité de
les contourner...
Ces phénomènes de pouvoir en marge du cadre
institutionnel formelle appellent donc à reconnaître le poids des
variables extra institutionnelles dans l'explication des comportements des
acteurs. Au-delà de l'asymétrie des pouvoirs que consacrent les
institutions, les acteurs disposent
1 C'était lors de la réunion des ex-Chefs de Fronts
et de Mouvements des 15 et 15 juin 2006 au HCRP à Niamey.
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La problématique de la gestion post conflit
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toujours d'une marge de manoeuvre. La science politique a
toujours démontré que les relations de pouvoirs ne sont jamais
unidirectionnelles. Les relations que le HCRP entretient avec les institutions
extérieures confirment cette réalité.
B. Les relations avec les autres institutions
Dans le cadre de l'exécution de la politique de
réinsertion des ex-combattants, le HCRP entretient de relations
fonctionnelles avec plusieurs institutions et ministères
concernés. L'organisation de l'institution sur le modèle des
ministères ne donne à celle-ci aucune prééminence
sur ces derniers. Elle suggère plutôt des rapports de pure
coopération. Mais malgré l'absence de pouvoir hiérarchique
sur le plan institutionnel, le HCRP dispose de certains atouts qui lui
confèrent un pouvoir d'influence sur les ministères.
Au lendemain des Accords de Paix, les mécanismes
interministériels ad hoc mis en place plaçaient le HCRP au coeur
du processus de paix. En matière de réinsertion des
ex-combattants, le HCRP présidait le Comité
Spécial de Paix (CSP) en 1995 et la Commission
chargée de l'intégration et de la réinsertion
socio-économique des ex-combattants mise en place en 1997.
Il était également représenté dans tous les autres
mécanismes mis en place à cet effet. A partir de la Flamme de la
Paix, ces mécanismes ont disparu.
Le HCRP est resté ainsi la seule institution
compétente en matière de suivi de la politique de
réinsertion des ex-combattants. Les rapports que l'institution
entretient avec les autres ministères portent essentiellement sur le
traitement des ex-combattants bénéficiaires de
l'intégration. Le HCRP est seul à détenir les
données relatives aux Fronts et Mouvements, notamment l'identité
des ex-combattants, leur structure d'appartenance, leurs attentes en
matière de réinsertion etc.
Ainsi, s'agissant des ex-combattants à
réintégrer dans leurs corps d'origine (Société
d'Etat, Fonction Publique, etc.), c'est le HCRP qui certifie à travers
des correspondances officielles que les concernés sont effectivement
ex-combattants et soumet leurs dossiers à l'institution
concernée. Il en est de même pour les intégrations
où, en fonction des besoins exprimés par les différentes
institutions, le HCRP introduit les dossiers de recrutement des ex-combattants.
Si le traitement de ces cas s'est passé sans heurt, certaines questions
assez complexes ont entraîné des incompréhensions entre le
HCRP et certaines structures. Et avec les conflits de compétence ainsi
générés, chaque institution déploie ses ressources
politiques pour s'affirmer et défendre ses principes.
Plusieurs cas permettent d'illustrer cette
réalité. On peut citer celui des « transferts de grades
» au sein des Forces de Défense et de Sécurité (FDS).
Il s'agit des grades d'officiers ou sous-officiers alloués à
chaque structure en fonction de son quota. Et il arrive que ces postes soient
vacants en cas, par exemple, de démission ou de révocation du
candidat au grade désigné par sa structure et remplissant les
critères d'admission.
Dans ces cas, les responsables de la structure
concernée sollicitent la médiation du HCRP pour obtenir le
transfert du grade en question au profit d'un autre ex-combattant qu'elle aura
désigné. Il existe un deuxième type de transfert de grade
qui se passe d'un corps à un autre. Par exemple, le transfert d'un grade
de lieutenant de la Gendarmerie Nationale au FNIS, ou vice-versa. C'est ainsi
qu'en 2007, un ex-combattant de la Milice Arabe devant bénéficier
d'un poste d'officier dans la Gendarmerie Nationale « s'est vu
refusé cette faveur par suite d'indiscipline lors d'un
stage
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La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
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de formation d'officier
»1. La Milice Arabe avait sollicité que
ledit poste, « étant un acquis »,
soit transféré dans le corps des FNIS au profit d'un autre
ex-combattant de la Milice intégré dans ce corps.
Sur ces questions délicates qui dérogent aux
normes établies, les ministères concernés résistent
en faisant valoir les textes en vigueur. C'est le cas en février 2000,
d'un ex-combattant dont le HCRP a demandé l'inscription au Lycée
kassai de Niamey. Le Ministère de l'Education Nationale rejeta la
demande en faisant valoir que l'intéressé, ayant
déjà redoublé une fois, ne peut plus s'inscrire dans un
lycée public conformément aux textes en vigueur2.
Souvent, face aux résistances des ministères, le
HCRP fait intervenir un de ses atouts majeurs à savoir, son rattachement
à la Présidence de la République. C'est ainsi qu'en 2007,
deux officiers intégrés l'un dans les FAN et l'autre dans la
Gendarmerie Nationale ayant tous les deux écopé de sanctions dans
leurs corps respectifs, ont demandé l'intervention du HCRP pour obtenir
une «grâce »3.
L'institution adressa une « demande de grâce
» « à titre humanitaire
» directement au Chef de l'Etat. Une telle démarche
ne serait certainement pas recevable au Ministère de la Défense
Nationale ou à l'Etat-major des FAN.
En réalité, lorsque les problèmes
touchent aux FDS, les chances sont toujours minces que le Chef de l'Etat
intervienne. Militaire lui-même, le président Mamadou Tandja s'est
montré très réticent sur ces questions, et en cela, moins
entreprenant que son prédécesseur Ibrahim Baré Mainassara
que les ex-combattants regrettent beaucoup d'ailleurs. Il est très
difficile pour le Chef de l'État de braver le règlement militaire
dans un pays où l'armée continue à jouer un rôle
politique important.
Une autre forme d'intervention du HCRP pour les ex-combattants
a consisté à plaider en leur faveur pour l'obtention de certaines
prestations. Par exemple, à maintes reprises, le HCRP écrit au
Ministère du Tourisme pour solliciter la délivrance au profit
d'un ex-combattant d'une autorisation de création d'agence de voyage
dans la région d'Agadez. C'est le cas aussi des demandes de port d'armes
à feu. Suite à la réunion du Comité de
Pilotage des 22 et 23 avril 1998, il fut décidé de
permettre aux ex-combattants, selon des conditions pré
cises4, de porter des armes à feu.A cet effet, le HCRP a
introduit toutes les demandes de port d'arme des candidats auprès du
Ministère de l'Intérieur.
Ces différentes interventions du HCRP pour
régler certaines difficultés nées de la réinsertion
s'expliquent par le fait que les autres institutions ignorent dans leur logique
la politique de deux poids deux mesures issue des Accords de Paix. Pour
utiliser le langage systémique, on dira que ces institutions sont des
entités autoréférentielles (N.
Luhmann) qui rejettent toute demande étrangère aux normes du
système. Pour le Ministère de la Défense par exemple, le
cas d'un ex-combattant sanctionné selon les textes en vigueur dans les
FAN n'est pas un problème politique, voire une menace pour le processus
de paix. Il s'agit plutôt d'un cas d'indiscipline ordinaire qui
1 Ce sont les termes utilisés par le HCRP dans sa lettre
adressée au Chef de l'État à cet effet.
2 MEN, Lettre N°0342/MEN/DESG du 9 mars 2000.
3 Le premier relevant de la Gendarmerie Nationale a
écopé de « 60 jours d'arrêt de rigueur et
6 mois de mise en non activité » ; le deuxième
est sous-officier des FAN et a écopé « de 60
jours d'arrêt de rigueur suivi d'un an de mise en non activité
avec effacement au tableau d'avancement».
4 Il s'agit de « trois autorisations de port
d'armes par Front, Mouvement ou ComitéCes autorisations seront
délivrées par le Ministère de l'Intérieur et de
l'Aménagement du Territoire à titre provisoire pour une
durée d'une année et concerneront uniquement les armes de poing
(PA » in HCRP, Procès-verbal du
Comité Technique de la réunion préparatoire du
Comité de Pilotage, 6 janvier 1998, p. 5.
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La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
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doit être traité conformément aux textes
en vigueur. Cette réaction institutionnelle contraste avec la logique du
HCRP qui se charge de traduire ces problèmes dans un langage politique,
condition indispensable pour leur admission dans l'agenda institutionnel.
Une autre illustration est celle de quatre (4) ex-combattants
inscrits à l'Université de Niamey. Ces derniers avaient
sollicité l'intervention du HCRP afin de s'inscrire à
l'Université de Ouagadougou au Burkina Faso en bénéficiant
du statut de réfugiés politiques. Le Haut Commissaire adressa une
lettre à la Présidence de la dite Université pour
introduire leur candidature. Ces étudiants se plaignaient de
l'instabilité qui paralyse les années universitaires à
Niamey. Il est bien clair qu'une telle demande serait bloquée par
les gate keepers (filtres) du «
système » du Ministère de
l'Enseignement supérieur.
En général, les rapports entre le HCRP et les
autres institutions de l'Etat n'ont pas été influencés
outre mesure par l'inégalité consacrée par l'organisation
institutionnelle. Même si le HCRP, en tant que prolongement de la
Présidence de la République, bénéficie d'une
autorité supérieure sur certaines institutions,
l'expérience a montré que chaque institution déploie des
mécanismes de résistances en faisant valoir les textes qui la
régissent. L'analyse des relations de pouvoir entre les ex-combattants
confirme aussi la capacité des acteurs à résister aux
inégalités induites par les institutions.
Paragraphe 2 : Les relations de pouvoir entre les
ex-combattants
Les institutions consacrent des rapports asymétriques
de pouvoir entre les ex-combattants d'une part à travers la
primauté des Fronts rebelles sur les Mouvements d'autodéfense
(A), et d'autre part à travers la capacité distributive des
élites au sein de chacune de ses structures (B).
A. La primauté des Fronts sur les Mouvements
La mise en oeuvre de la politique de réinsertion des
ex-combattants touaregs a fait apparaître d'énormes
disparités entre les dix sept (17) structures en termes de ressources
politiques. Ces disproportions résultent en partie des institutions,
c'est-à-dire des normes à partir desquelles les
différentes structures armées ont été
classées sur un continuum. Ces normes reposent sur le poids des Fronts
et Mouvements, lui-même déterminé à partir de la
puissance militaire et de l'effectif théorique.
En fait, ces normes dissimulent un autre critère de
classification qui aurait donné des résultats différents,
s'il avait été pris en compte. Il s'agit de la distinction entre
les organisations rebelles, appelées Fronts et
les organisations communautaires d'auto défense appelées
Mouvements. Du point de vue de l'Etat, les Fronts
sont considérés comme les plus dangereux car, en tant que
rébellion, ils s'attaquent aux intérêts de l'Etat et
défendent des revendications politiques et identitaires qui menacent
l'unité nationale et l'intégrité territoriale.
Quand aux Mouvements d'auto défense, ils apparaissent
plutôt comme des alliés du pouvoir contre les rébellions,
même s'ils lui disputent le monopole de la violence sur son territoire,
critère essentiel de l'Etat selon Max Weber. En effet, les Mouvements
d'auto défense ont fortement contribué à affaiblir les
rébellions armées touarègues et toubous. C'est pourquoi,
dès les Accords du 9 octobre 1994, la CRA tenait fermement au
désarmement des Comités d'auto
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La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
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défense de Tassara dans l'Azawak1. Le
désarmement de ces Mouvements fut un des points de discorde entre les
parties pendant cette période.
Il faut dire que l'implication de ces Mouvements d'auto
défense dans la politique de réinsertion des ex-combattants
relève d'un paradoxe car les communautés concernées n'ont
jamais pris les armes contre l'Etat. En plus, ces Mouvements n'étaient
pas constitués de personnes désoeuvrées et sans
perspective à l'image de la majorité des combattants touaregs et
toubous. Aussi bien dans les communautés arabes que peulh, les
combattants de ces milices étaient des citoyens ordinaires qui vaquaient
à des occupations précises. Leur « réinsertion »
ne fait donc pas sens.
Dans l'Azawak, l'explication de leur implication réside
dans le fait que la rébellion touarègue a fait de leur
désarmement une condition essentielle de son propre désarmement.
Et ces miliciens ont négocié en retour des prestations de la part
de l'État. Ce schéma a été reproduit à l'Est
avec les milices arabe et peulh opérant dans cette zone. Mais certains
ex-rebelles touaregs contestent énergiquement l'attribution des postes
aux milices arabes.
Pour Goumour Ibrahim, Chef du MRLN, « le vrai
vol dans tout ce processus, c'est le fait qu'on ait donné des postes aux
miliciens Arabes. C'est nous qui avons fait la rébellion, et c'est
d'autres qui bénéficient des retombées de notre combat. En
fait, le Gouvernement voulait simplement récompenser ses alliés
»2. Si dans l'Azawak, les Touaregs et les Arabes
se sont réellement affrontés, il n'en est pas de même
à l'Est. En effet, selon les rebelles toubous, les Arabes de N'guigmi se
sont constitués en une milice fictive avec leur consentement bien
après les Accords de Paix, tout juste pour bénéficier des
mêmes avantages que leurs frères de l'Azawak.
C'est du moins ce que nous a confié Moustapha Issoufou,
Cadre du FDR : «Nous n'avons jamais eu de conflit avec les
Arabes de N'guigmi avec lesquels nous avons beaucoup de liens socioculturels.
Certains d'entre eux nous ont approché pour nous faire savoir qu'ils
voulaient constituer une milice afin de bénéficier des avantages
du processus de paix, et nous n'avons pas opposé de résistance.
Nous nous sommes affrontés avec les Arabes Mohamides qui sont Tchadiens.
Avec les miliciens Peulh, nous nous sommes affrontés, mais de
façon très modérée
»3.
Le processus de paix était d'abord une affaire entre le
Gouvernement et les Fronts rebelles. Mais dans la définition de
critères et des modalités de réinsertion, cette
suprématie des Fronts sur les Mouvements s'est quelque peu
atténuée. Avec l'adoption des critères de
détermination des poids des structures basées sur l'armement, on
s'est rendu compte que certains Mouvements d'auto défense étaient
plus puissants que beaucoup des Fronts rebelles.
En conséquence de quoi, certains de ces Mouvements ont
été paradoxalement mieux « servis » que ces Fronts
rebelles. A titre d'illustration, deux des Mouvements Arabes de l'Azawak,
à savoir le CAD (5,58%) et le CVT (7,76%), étaient militairement
plus forts que certains Fronts touaregs comme le FPLN (2,8%), l'ARLN (3,35%),
le MRLN (5,45%), le FFL (4,12%) et les FAR/ORA (2,11%). Les Mouvements sont
d'autant plus été avantagés par ces normes de
répartition que celles-ci donnaient moins de poids aux effectifs des
structures (80% armement, 20% effectif).
Le continuum de pouvoir entre structures armées qui
crée une inégalité entre celles-ci est donc une
conséquence des institutions, des normes retenues pour attribuer les
quotas. Mais dans
1 Voir HCRP, Note sur la question de la
rébellion armée, mars 1995, p. 4.
2 Entretien à Niamey le 25 septembre 2008.
3 Entretien à Niamey le 2 octobre 2008.
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au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
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la mise en oeuvre de la politique de réinsertion, cette
asymétrie théorique de pouvoir engendrée par les
institutions fut minimisée par l'intervention d'autres variables. Il
s'agit des stratégies des acteurs. La réinsertion des Chefs et
Cadres a permis à ces derniers d'investir les sphères du pouvoir
et, à certains devenus entrepreneurs politiques efficaces, d'accumuler
un capital social (P. Bourdieu) considérable.
La réinsertion des élites, étant
laissée à l'application du Chef de l'Etat, le degré de
proximité avec ce dernier était devenu une ressource
valorisée. En plus des Chefs ou Cadres occupant des postes
ministériels, quatre (4) Chefs occupent des fonctions politiques
à la Présidence de la République1. Mohamed
Anacko par exemple, l'actuel Haut Commissaire, était avant sa nomination
en 2005 à ce poste, Conseiller à la Présidence avec rang
de ministre. Aujourd'hui, à la tête du HCRP, il devient le Chef le
plus influent sur la politique de gestion post conflit en
général, et la politique de réinsertion des ex-combattants
en particulier.
L'impact de ces luttes de positionnement a été
de rompre, dans une certaine mesure, les hiérarchies établies par
le poids des Fronts et Mouvements. D'ailleurs, depuis quelques années,
le HCRP ne travaille plus avec les poids des différentes structures
déterminés pour servir de critère de répartition
des postes. Pour la réinsertion socio-économique des
ex-combattants dans l'Aïr et l'Azawak par exemple, chaque Front ou
Mouvement dispose d'un quota de 220 ex-combattants. De même pour la
réinsertion des 250 Cadres en 2006, chaque structure était
invitée à fournir une liste de 14 ex-combattants.
Cette rupture avec les normes est le résultat des
stratégies de certains Chefs qui, s'estimant
«lésés» par les institutions, ont toujours
plaidé pour un traitement égal dans le partage des avantages.
Outre les ressources liées à la position politique qu'ils
occupent, le réalisme politique de certains Chefs et Cadres les a
conduits à s'engager activement dans les partis politiques. Ainsi, en
plus des ressources liées à leur statut d'ancien Chef de guerre,
bénéficiant de poste politique à vie, certains ont accru
leur capacité d'influence en intégrant le « système
» des partis politiques.
Il est bien connu qu'au Niger comme ailleurs en Afrique, selon
des lois non écrites, la distribution des postes politiques importants
s'est toujours faite sur la base de l'équilibre ethno régional.
Tous les Gouvernements tentent d'apparaître comme un échantillon
de la nation. Si au temps des régimes autoritaires, ce dosage ethno
régional se faisait par pure cooptation, avec l'avènement de la
démocratie, il est réalisé à partir des logiques
internes aux partis politiques composant la coalition au pouvoir.
A ces deux critères s'est ajouté l'exigence pour
tout régime politique de respecter le quota accordé aux
représentants de l'ex-Rébellion depuis les Accords de
Paix2. De ce point de vue, le cumul de ces trois ressources par un
acteur devient une source d'influence potentielle qui peut se traduire en
pouvoir réel lorsqu'elle est savamment mobilisée par celui-ci.
Parmi les élites de la Rébellion, certains se sont
avérés être de vrais entrepreneurs politiques.
1 Il s'agit de Alhadi Alhadji (FPLN), Maazou Boukar (Milice
Peulh) et Ali Sidi Adam (FARS) tous les trois Conseillers à la
Présidence et de Goumour Ibrahim (MRLN), Chargé de mission
à la Présidence. Voir supra tableau
N°3, première partie, chapitre 2.
2 C'est du moins ce qu'en pensent les anciens Chefs rebelles
touaregs. Si les décideurs politiques respectent ces quotas, c'est moins
parce qu'ils les considèrent comme une clause des Accords de paix que
pour améliorer la légitimité de leurs partis auprès
des ex-combattants et sympathisants de la rébellion. C'est pourquoi
d'ailleurs ils tentent d'enrôler les anciens rebelles dans leurs partis
afin de les assimiler à la logique partisane.
84
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
On peut citer deux exemples. Celui d'abord de Issa Lamine,
Chef du FDR, actuel ministre de la Santé Publique et militant actif de
la Convention Démocratique et Sociale (CDS Rahama). Il cumule trois
ressources : Chef de la seule rébellion armée de l'est du pays,
représentant de cette région et d'un groupe ethnique minoritaire
(les Toubous), membre du Bureau Politique National du deuxième parti
membre de la coalition au pouvoir.
Il en est de même pour le Chef de l'ORA, Rhissa Ag
Boula. Celui-ci avait milité dans le Mouvement National pour la
Société de Développement (MNSD Nassara), le parti au
pouvoir depuis 1999. Sa présence au Gouvernement sept (7) durant
(1997-2004) s'expliquait aussi par ses ressources politiques incontestables :
il était assurément le plus charismatique des Chefs rebelles
touaregs, il incarnait les intérêts de la région d'Agadez
et enfin, défendait les couleurs du parti au pouvoir dans cette
même région.
Toutes ces logiques stratégiques des acteurs ont
finalement rompu les disparités établies à partir de la
puissance militaire des Fronts et Mouvements. Ceci confirme une fois encore,
qu'en temps de paix, les rapports de forces au sein et entre les structures
armées changent. Ces développements montrent également que
les institutions interagissent toujours avec d'autres variables explicatives
pour engendrer des résultats politiques. L'analyse des pouvoirs
conférés aux élites par les institutions procède de
cette même logique.
B. La capacité distributive des
élites
La capacité distributive désigne «
le contrôle de l'attribution d'emploi, de prébendes ou
de privilèges »1. Ce concept traduit
parfaitement le pouvoir de médiation dont avaient
bénéficié les Chefs et Cadres dans le processus de
réinsertion des ex-combattants. Cette capacité distributive
apparaît comme une véritable ressource politique pour ces acteurs.
Elle a consisté à leur accorder la faculté exclusive
d'identifier leurs combattants et d'en transmettre les listes au HCRP dans
toutes les étapes de la politique.
C'était à eux qu'il appartenait d'établir
la liste nominative de leurs combattants destinés à une
prestation quelconque (intégration, réinsertion
socio-économique, etc.). L'authenticité de ces listes est ainsi
certifiée par la signature du Chef de Front ou de Mouvement. Il s'agit
là d'une institution, d'une norme de travail entre le HCRP et les
différentes structures armées. Cette loi non écrite a eu
pour implication d'établir des rapports de pouvoir asymétriques
entre les Chefs et leurs combattants.
En effet, c'est grace à cette capacité
distributive que les élites ont pu se constituer une clientèle.
Ils ont ainsi intégré beaucoup de personnes totalement
étrangères à la rébellion ou, en tout cas, ne
répondant à aucune acceptation de la notion de
combattant2. A ce stade de la politique, les ressources politiques
des combattants au sens actif du terme qui reposaient sur les capacités
militaires s'étaient vues supplantées par d'autres ressources qui
reposent sur le degré de parenté avec le Chef de Front ou
Mouvement et/ou sur le niveau d'instruction. Ce changement
1 Op cit, p. 59.
2 Beaucoup d'ex-combattants font valoir que le combattant
n'est pas seulement celui qui se bat sur le terrain, la notion recouvre tous
ceux qui, d'une façon ou d'une autre, ont contribué à la
défense de la cause touarègue. Il peut s'agir par exemple des
agents de renseignements, des bailleurs de fonds, des rédacteurs de
tracts etc.
85
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
de rapport de forces internes à ces structures rend
compte de la nature dynamique du phénomène du
pouvoir.1
Comme le constate Frédéric Deycard,
«pour les chefs de front, les nominations sont vite devenues
un moyen d'asseoir leur pouvoir sur leurs tribus et sur leurs hommes. Le
processus d'intégration leur a en effet donné un rôle
central, puisqu'ils sont chargés de l'élaboration des listes des
noms. Ces listes sont rapidement devenues l'enjeu des négociations au
sein des tribus et entre fronts, chacun jouant de son influence pour
négocier l'ajout d'un nom et le faire valider auprès des
instances en charge de l'organisation de
l'intégration.»2.
Mais outre la souplesse de la notion de combattant, d'autres
facteurs ont expliqué l'attribution des postes à des
non-combattants. D'abord, au regard des modalités de
détermination des quotas, certaines structures ont pu acquérir
plus de quotas qu'ils n'ont de combattants, particulièrement grâce
à la puissance de leur armement. Ces places vacantes ont
été ainsi attribuées et même vendues à des
non-combattants selon plusieurs témoignages.
Une autre explication de ce phénomène
réside dans le fait que certaines structures n'avaient pas dans leurs
rangs des éléments instruits capables d'occuper certains postes
à elles attribués (officiers, fonction publique,
université, etc.). Les Chefs ont alors fait appel, en toute
indépendance, à d'autres nigériens ressortissants ou non
de leur région. En outre, il faut souligner que beaucoup de combattants
sont rentrés en Libye après les Accords de Paix. C'est le cas des
combattants des FARS, le Front le plus puissant dont environ 70% des
combattants sont rentrés en Libye. Ces départs, ou du moins ces
retours s'expliquent par des logiques à la fois utilitaires et
axiologiques.
La logique utilitaire procède d'une
rationalité en finalité8
car, établis en Libye depuis des années et
bénéficiant d'une situation matérielle meilleure dans ce
pays, ces combattants ne pouvaient accepter l'offre de l'Etat qu'ils estimaient
dérisoire. La logique axiologique se rapporte à une
rationalité en valeur qui résulte d'une
forte intégration de l'individu dans sa communauté. Pour
beaucoup, la lutte armée n'était pas un acte
intéressé, elle s'inscrit plutôt dans l'accomplissement
d'un rôle sociologique.
Bref, tous ces facteurs ont accru la capacité
distributive des Chefs qui ont eu les mains libres pour déterminer leurs
« combattants » et faire de bons « investissements
» selon le mot d'un responsable de la Milice Peulh. La
conséquence de cette gestion patrimoniale a été
également d'exclure certains combattants au sens strict du terme. En
effet, il y a eu certains combattants qui ont eu maille à partir avec
leur «hiérarchie» ou
«Etat-major» et ont été ainsi
exclus du processus par les Chefs. Ces derniers ont la capacité de
modifier à tout moment les listes qu'ils transmettent au HCRP. Ce sont
les Chefs qui définissent le combattant. Et pendant tout le processus,
ils ont fait et défait les combattants au gré de leurs humeurs et
de leurs intérêts4. C'est ainsi qu'en 2006,
1 Ce phénomène est aussi réel dans le
champ des relations internationales où comme le soutient P. de
Senerclens, « la puissance se comptabilise alors en termes de
divisions, de chars, d'avions, d'artillerie, mais aussi de stratégies,
de ressources économiques, de logistique, de commandement et de
géographie. En temps de paix, lorsque les risques d'un engagement
militaire, lorsque le recours à la guerre n'est plus d'actualité,
ces facteurs de puissances peuvent devenir d'un faible
apport», in P. de Senerclens, La politique
internationale, Paris, Arman Colin (compact), 11è
édition, 2002, p. 32.
2 F. Deycard, « Le Niger entre deux feux. La nouvelle
rébellion du MNJ face à Niamey » in Politique
africaine, n°108, décembre 2007, p. 134.
3 La distinction entre rationalité en finalité
et rationalité en valeur est de Max Weber. Voir R. Boudon et F.
Bourricaud, Dictionnaire critique de sociologie,
Paris, PUF, 2004, pp.471-488.
4 Certains ex-combattants en brouille avec leurs Chefs et
exclus du processus par ces derniers étaient obligés de prendre
contact directement avec les agents du HCRP à Niamey. Pour justifier
leur qualité de combattant, ils
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La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
lorsque la réunion des Chefs et Cadres du 15 juin 2006
décida de remplacer les emplois promis à 300 ex-combattants dans
les Sociétés d'Etat par des pécules (1 500 000 F CFA
chacun), les listes ont automatiquement changé. En fait, ces
ex-combattants devaient bénéficier des emplois subalternes dans
les Sociétés d'Etat (gardiens, planton, etc.), ce qui
était peu attrayant. La promesse de l'argent frais aiguisa les
appétits, les Chefs firent ainsi bénéficier à leurs
proches les pécules au détriment des vrais combattants qui
attendaient ces prestations depuis dix (10) ans.
D'ailleurs, la décision d'octroyer des pécules
en lieu et place des emplois a été fortement influencée
par les Chefs de Fronts et de Mouvements. L'approche du HCRP a consisté
dans un premier temps à concevoir un programme de réinsertion
socio-économique au profit de ces ex-combattants1 ; programme
qui n'a pu être exécuté, faute de financement. Ensuite, le
HCRP a cherché des opportunités d'emplois pour ces ex-combattants
dans les sociétés exploitant les ressources minières dans
le Nord à l'exemple de Areva. Des démarches auprès de
cette société avaient même été
engagées à cet effet par le Haut Commissaire.
Cette institution qui donne carte blanche aux Chefs fut
également appliquée dans le traitement des problèmes de
révocations d'ex-combattants au sein des FNIS. Lorsqu'il fut
décidé de réintégrer, si possible, les
ex-combattants « révoqués pourfautes
mineures», c'était aux Chefs qu'il fut demandé
de transmettre les listes de leurs éléments. Dans la
correspondance que le HCRP adressa aux Fronts et Mouvements en 2006, on pouvait
lire : « ... vous voudrez bien me faire parvenir pour examen
la liste des éléments des USS révoqués dont vous
estimez que la réintégration est souhaitable2 avec
les motifs et dates des actes ».
En termes clairs, le Chef a la possibilité d'exclure,
selon ses humeurs, certains des éléments de sa structure
concernés par la révocation. Il peut ainsi faire
réintégrer celui qui est coupable de la pire des fautes et
refuser celui qui en a commis la plus légère. Dans le fond, cette
norme de travail donne une partie de l'explication de la résurgence de
la rébellion depuis début 2007 avec l'avènement du MNJ.
L'émergence de cette nouvelle rébellion a été
précipitée par les conflits internes au FLAA qui était
divisé en deux parties rivales : le clan de Rhissa Ag Boula, Chef de
Front et celui des Frères Alambo (Boubacar et Aghali3).
Ce dernier clan s'estimait marginalisé dans la
réinsertion, arguant que Rhissa Ag Boula se taillait la part belle sans
que l'Etat n'intervienne pour l'en empêcher. La faction Alambo fut, en
effet, exclue dans le traitement des 300 ex-combattants initialement
destinés aux Sociétés d'Etat (soit 25 500 000 F par
structure) et également pour la réinsertion
socio-économique dans l'Aïr et l'Azawak où le FLAA avait un
quota de 220 places.
En signe de protestation, les Alambo adressèrent une
lettre au HCRP signé par 146 ex-combattants (n'est ce pas l'embryon du
MNJ ?) demandant à l'Etat de prendre des dispositions pour arrêter
la gestion patrimoniale de leur Front par Rhissa Ag Boula. Les tentatives de
présentent souvent les armes ou tout autre
matériel de guerre qu'ils détiennent (radio de transmission par
exemple) et tentent de les échanger contre une prestation quelconque du
HCRP.
1 Voir HCRP, Programme de réinsertion
socio-économique de trois cent (300) ex-combattants initialement
prévus dans les Sociétés et les Projets de
Développement, février 2006.
2 Souligné par nous.
3 Aghali Alambo est le chef du MNJ. Son frère Boubacar
a trouvé la mort dans l'attaque la plus sanglante qu'ils ont
menée contre les FAN le 22 juin 2007 à Tizerzet.
87
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
médiation du Haut Commissaire ne donnèrent aucun
résultat1. Aghali Alambo finit par rejoindre son frère
qui avait déjà pris le maquis. Ainsi, la rupture entre les deux
factions rivales du FLAA fut la goûte d'eau qui fit déborder le
vase. L'explication de ce conflit interne réside fondamentalement dans
l'institution qui donne au Chef de Front le pouvoir discrétionnaire de
partager seul le « gâteau ».
Mais pourquoi l'Etat, à travers le HCRP, n'a-t-il pas
tenté de pénétrer ces Fronts et Mouvements afin de traiter
directement avec les combattants ? Pour le Colonel Laouel Chékou
Koré, ancien Haut Commissaire, « il était
pratiquement impossible de connaître ni le nombre, ni l'identité
des combattants sans la médiation des Chefs
»2. En plus, selon cet officier, l'Etat a
dû fermer les yeux sur les logiques internes aux Fronts afin de
créer un cadre apaisé pour le processus de paix.
Les institutions, en rendant certaines options possibles et
d'autres impossibles ou difficiles, structurent les choix et les comportements
des acteurs. Les comportements de type clientéliste des Chefs rebelles
témoignent éloquemment de la pertinence de cette
hypothèse. De même, les institutions, en limitant les options et
marges de manoeuvre de la faction Alambo ont conduit celle-ci à recourir
aux armes. Selon certaines sources, Aghali Alambo aurait même
tenté vainement de rencontrer le Chef de l'Etat sur cette question.
Les institutions donnent aux acteurs l'information fiable qui
autorise le calcul rationnel. Le Chef de Front a l'intime conviction que seule
sa signature fait autorité au HCRP, il peut ainsi faire fi des
réactions de ses rivaux. Les Alambo avaient, en effet, transmis une
liste pour les dix sept (17) ex-combattants devant bénéficier des
pécules, contre la liste « officielle » transmise par le Chef
de Front. C'était finalement celle-ci qui fut admise. D'ailleurs, Rhissa
Ag Boula, contrairement à son habitude, se déplaça en
personne au HCRP pour rappeler que le FLAA n'a qu'un seul Chef...
1 Une des pistes envisagée était de proposer
à Aghali Alambo, qui fut sous-préfet de Tchirozérine suite
aux Accords de Paix, un poste politique comme Conseiller à la Primature.
Quand à son frère Boubacar accusé d'être responsable
de la mort d'éléments des FDS, le HCRP envisageait de lui faire
accorder une amnistie.
2 Entretien à Niamey, 26 mars 2008.
88
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
CHAPITRE II : POLITIQUE DE REINSERTION ET PHENOMENES DE
PATH DEPENDENCE
Outre la structuration des stratégies des acteurs, les
institutions engagent la dynamique de leur permanence par des
phénomènes de reproduction. La réinsertion des
ex-combattants permet de tester cette hypothèse de l'institutionnalisme
historique en mettant en exergue le processus de reproduction des institutions
(Section 1) et l'impact de cette dynamique d'institutionnalisation (section
2).
Section 1 : La cristallisation de la logique
reproductrice
La reproduction des institutions de gestion post conflit peut
être appréhendée à travers la contrainte
institutionnelle qu'elles incarnent (Paragraphe 1) et les mécanismes de
résistances qu'elles déploient face à un environnement
politique hostile (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Le HCRP comme contrainte
institutionnelle
L'analyse montre que si la politique de réinsertion a
engagé le processus de sa reproduction telle qu'elle apparaît dans
la dynamique d'auto renforcement du HCRP (A), certains éléments
indiquent des changements de choix politiques de la part du Gouvernement
(B).
A. La dynamique d'auto renforcement
Dans l'explication des dynamiques de reproduction
institutionnelle, les auteurs néo-institutionnalistes s'appuient sur la
notion de « dépendance au sentier»
ou path dépendence1. La dynamique
d'auto renforcement désigne le processus par lequel le HCRP et la
politique de discrimination positive qu'il conduit deviennent des contraintes
pour les pouvoirs publics, à telle enseigne que leur suppression brutale
s'avère difficile.
En effet, sans être impossible, une rupture brutale est
extrêmement coûteuse politiquement. L'institutionnalisme historique
soutient que « lorsqu'un point tournant lance une
société dans une voie institutionnelle, tout changement
subséquent sera balisé par le contexte institutionnel ainsi
formé »2. A la suite des travaux de P.
Pierson, nous retenons deux processus politiques qui concourent à rendre
toute option de rupture coûteuse : le processus d'action
collective et les processus cognitifs
d'interprétation et de légitimation des enjeux de la vie
politique3.
Le premier processus rend compte de la place centrale de
l'action collective dans la vie politique et de la capacité de
résistance des groupes sociaux lorsque leurs intérêts sont
menacés. Cette posture nous permet d'appréhender les
stratégies des ex-combattants pour sauvegarder
1 Cette notion est susceptible de deux acceptations. Une
acceptation large qui met l'accent sur l'importance de la continuité
historique dans l'explication des situations politiques présentes et une
conception étroite et plus précise que traduit l'expression
«increasing returns » (avantages
croissants) en science économique. Cf Paul Pierson, « Increasing
return, path dependence and the study of politics » in
American Political Science Review, vol 94, n°2, juin 2000,
p. 251.
2 André Lecours, op cit, p. 13.
3 Voir à cet effet, Bruno Palier et Guiliano Bonoli,
«Phénomènes de path dependence et
réformes des systèmes de protection sociale »,
Revue Française de Science Politique, vol 49,
n°3, 1999, p.400
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La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
leurs intérêts issus de la gestion post conflit.
Ces derniers s'organisent en groupes de pressions puissants, prompts à
faire échec à toute éventuelle remise en cause de ces
acquis sociaux conquis de haute lutte1.
La politique de réinsertion a permis à certains
ex-combattants d'occuper des positions stratégiques dans les
sphères de l'Etat et même de l'économie. En même
temps, en leur conférant une capacité distributive importante,
les institutions ont accru leur pouvoir d'influence et ainsi créé
les conditions de la constitution d'un réseau clientéliste. Cette
politique de l'Etat a paradoxalement favorisé l'émergence d'une
communauté d'intérêts soudée entre des acteurs qui
se combattaient (conflits entre Fronts et Mouvements) ou étaient
divisés sur des questions de leadership (conflits au sein des
structures).
Bref, la réinsertion a favorisé la formation
d'un groupe de pression des ex-combattants en même temps
qu'une policy community que celui-ci constitue avec
les cadres du HCRP. La « force de frappe » des ex-combattants
s'explique aussi bien par l'usage de leurs ressources politiques que par les
opportunités offertes par les institutions. Bénéficiant de
positions stratégiques dans l'appareil d'Etat, les ex-combattants ont
également tiré profit d'un cadre institutionnel favorable. Au
niveau interne, il faut souligner que, malgré la dissolution officielle
des Fronts et Mouvements depuis 2000, ces structures continuent d'exister de
façon informelle. Bien que très peu institutionnalisés et
officiellement désarmés, ces structures disposent encore d'une
organisation stable avec une direction, des ressources et des objectifs...
Mais l'action collective des ex-combattants ne se traduit pas
par des manifestations ou déclarations publiques. Au contraire, elle se
manifeste par des actions discrètes de
lobbying par le truchement du HCRP. Ainsi, par leur promptitude
à s'organiser, les ex-combattants ont réussi à
préserver l'essentiel des acquis obtenus à la faveur de la
réinsertion. C'est ainsi que les quotas obtenus au sein des
différents corps de l'Etat ont pu être préservés par
les actions de la policy community ainsi
créée.
Dans le traitement des révoqués des FNIS, les
ex-combattants ont obtenu le respect des quotas alloués à
l'ex-Résistance au sein de ce corps à travers les remplacements
des éléments révoqués ou ceux ayant
déserté. Cette décision est une clause expresse des
Accords de Paix2. Il en est de même pour les autres corps
militaires et para militaires où chaque vacance de poste provoque
automatiquement une réaction des ex-combattants qui proposent un
remplacement. Ces actions de lobbying des
ex-combattants se traduisent par des rencontres périodiques des acteurs
au HCRP en vue d'évaluer le processus de paix et formuler des
revendications à l'intention des pouvoirs publics.
En 2006, grâce aux pressions des ex-combattants, la
question des Cadres des ex-Fronts et Mouvements a été
réactivée et a donné lieu à des décisions
concrètes. Cette vigilance des ex-combattants sur la politique de
réinsertion explique en partie la permanence du HCRP en tant
qu'institution de gestion post conflit, malgré qu'il soit
considéré (à tort) par beaucoup d'acteurs
1 Dans son ouvrage Dismantling the welfare State ?
Reagan,Thatcher and the politics of retrenchment (Cambridge,
Cambridge University Press, 1994), Paul Pierson montre comment les acquis
sociaux de l'Etat-Providence ont survécu aux politiques
néo-libérales. Dans une perspective similaire, Theda Skocpol a
analysé l'origine et le maintien des politiques sociales aux Etats-Unis
dans son Protecting Soldiers and Mothers: The political origins of
social policy in the United States (Cambridge, Belknap Press,
1992).
2 Elle est contenue précisément dans un
relevé de conclusion. Voir HCRP, Le Relevé de
Conclusions de la Réunion des 4 et 5 mai 2000 relatif aux
intégrations, au désarmement et à la réinsertion
des ex-combattants (mai 2000), page 2.
90
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
comme un organe ad hoc, le Chef de l'Etat y
compris1. La gestion de la nouvelle rébellion du MNJ a
donné l'occasion pour les ex-combattants de réactiver certaines
de leurs demandes en souffrance depuis des années.
Cet activisme des ex-combattants contribue beaucoup à
dissuader toute tentative de changement de cap de la part de l'Etat. Ceci est
d'autant plus réel que la politique de discrimination positive en faveur
des ex-combattants, en tant qu'acquis important pour ces derniers, a
été fortement intériorisée et banalisée par
une partie de la population, ainsi que le soutient Soumana Souley : «
Pour procéder aux intégrations, il a fallu faire des
entorses à plusieurs lois et règlements. Ilfaut relever que cette
discrimination dite positive a été bien acceptée par les
Nigériens en général qui ont su accompagner le processus
de paix de leur adhésion sans faille même dans les travers de la
discrimination positive »2.
Par ailleurs, comme le montre P. Pierson, pour rompre avec une
politique ou institution établie, « les gouvernements
doivent d'abord chercher à changer les points de vue avant de changer de
politique publique ou d'institution de protection sociale
»3. Il s'agit de la dimension cognitive de la
dynamique d'institutionnalisation des politiques sociales. Au Niger, comme
souligné, la réinsertion des ex-combattants a soulevé
à ses débuts de sentiments de rejet de la part des citoyens, mais
ceux-ci s'en sont accommodés avec le temps, en partie grâce au
discours conciliateur des autorités qui assimilent la réinsertion
à la réconciliation nationale. Pour les ex-combattants, cette
politique est perçue comme légitime parce qu'elle corrigeait une
« injustice ».
En outre, dans leur compréhension des Accords de Paix,
les ex-combattants considèrent la réinsertion comme un processus
continu. En d'autres termes, les problèmes nés de la
réinsertion ne sont pas susceptibles de traitement par les institutions
normales, mais devront être traités comme une composante du
processus de paix. A titre d'exemple, le problème d'un ex-combattant
touareg intégré dans la Fonction Publique ne doit pas être
traité conformément au Statut Général de la
Fonction Publique, mais doit faire l'objet d'un « traitement politique
».
La tendance à la politisation des questions sociales
s'observe aussi dans le traitement de certaines affaires judiciaires dans
lesquelles se trouvent impliqués des ex-combattants4. Cette
lecture des Accords de Paix n'est pas partagée par les acteurs
étatiques et témoigne des divergences d'interprétation des
Accords entre les parties. D'ailleurs, dans le but de circonscrire autant que
faire se peut ces Accords extrêmement vastes et vagues, le HCRP les a
réduits à quatre piliers5.
En réalité, une lecture attentive des Accords
montre que ces quatre politiques ne sont que les conditions du
désarmement (art 13 Accord du 24 avril) ; beaucoup d'autres engagements
de l'Etat sont occultés par cette simplification. La conséquence,
c'est que les ex-combattants ont la possibilité à chaque moment,
au gré de leurs intérêts, de « puiser » dans les
Accords pour
1 Le président Mamadou Tandja désignait le HCRP
comme un organe de mission dans son Discours à la Nation du 23 avril
2008.
2 Soumana Souley, Le processus de paix au Niger
(document non daté), p. 6.
3 Bruno Palier, Guiliano Bonoli, op cit, p. 401
4 Il en est ainsi par exemple de l'affaire Rhissa Ag Boula
arrêté en 2004 pour une affaire de meurtre. Son arrestation fut
politisée par ses partisans qui ont repris les armes pour exiger sa
libération. Voir infra, chapitre 2, section 2,
paragraphe 2 (point B, le recours à la violence).
5 Il s'agit, rappelons-le, de la décentralisation, de
la réinsertion des ex-combattants, du développement et de la
sécurité des zones touchées par le conflit.
91
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
légitimer une reprise des hostilités ou
simplement formuler d'autres demandes. Les discours et pratiques du MNJ
procèdent de cette logique.
De l'avis de Soumana Souley, «Les Accords de
Paix sont extrêmes vastes, il est impossible de les appliquer à la
lettre. C'est pourquoi, nous les avons limités à quatre piliers
essentiels qui en représentent la substance. C'est pour éviter de
tomber dans un cercle vicieux qu'il nous parait nécessaire de
répéter à chaque occasion que la réinsertion
socio-économique dans l'Aïr et l'A atvak consacre la~in du
processus de paix»1.
Bref, ces développements révèlent la
difficulté pour le Gouvernement de délégitimer
aux yeux des ex-combattants une politique qu'ils
interprètent d'abord différemment et surtout qu'ils ont fortement
intériorisée. Le même investissement idéologique qui
a été réalisé par le Gouvernement pour
légitimer la discrimination positive aux yeux des citoyens doit
être déployé pour cette fois-ci
déconstruire et
délégitimer cette pratique aux yeux des
bénéficiaires. Depuis quelques années déjà,
la réinsertion des ex-combattants a été
dépolitisée, elle a
intégré la sphère de
l'administration2. C'est donc sur une
question taboue que le Gouvernement est appelé à provoquer un
débat.
En fait, les autorités politiques ne peuvent
s'aventurer à introduire cette controverse dans le débat public
au risque de se compromettre. Une publicisation de ces débats
révélerait les divergences d'interprétation des Accords
entre les parties, mettrait aussi à nu les abus auxquels la
réinsertion a donné lieu en même temps qu'elle donnerait
aux ex-combattants l'opportunité de réactiver les clauses non
satisfaites des Accords. Toutes ces contraintes traduisent des effets d'auto
renforcement qui élèvent le coût d'une action radicale de
l'État pour mettre fin à cette politique dont le HCRP est devenu
le symbole.
Il est clair que toute velléité de suppression
du HCRP sera interprétée par les ex-combattants comme une
déclaration de guerre. Une telle hypothèse est très peu
envisageable du fait de la vigilance des ex-combattants. L'hypothèse
d'un débat public pour déconstruire la
réalité et imposer une nouvelle grille de lecture n'est pas pour
autant praticable, vu ses implications politiques dangereuses.
Ces contraintes maintiennent la politique dans une situation
de policy lock in. Mais au regard de certaines
mesures initiées par le président Mamadou Tandja, cette
conclusion mérite d'être relativisée.
B. Le changement des choix politiques
Les développements précédents
suggèrent bien que la gestion post conflit est devenue un
véritable secteur d'action publique tel que le
conçoit l'analyse des politiques publiques3. Si la politique
de réinsertion et le cadre institutionnel de sa mise en oeuvre
apparaissent comme des contraintes, il n'en demeure pas moins que l'Etat
déploie des stratégies de rupture qui indiquent
1 Entretien à Niamey, avril 2006.
2 Par exemple, interpellés sur le recrutement sans
concours des ex-combattants, le réflexe de tous les ministres de la
Fonction Publique depuis 2000 a été de répondre qu'il
s'agit d'une clause des Accords de Paix, ils ne font qu'appliquer la « loi
». C'est donc une question purement administrative qui n'est pas sujette
à discussion.
3 Pierre Muller distingue trois dimensions constitutives d'un
secteur de politiques publiques : l'existence d'acteurs exprimant des
intérêts spécifiques (les ex-combattants),
l'émergence d'un cadre institutionnel (le HCRP) et la dimension
cognitive qui exprime la vision des acteurs (les perceptions des
ex-combattants). Cf Pierre Muller, « Secteur » in Laurie Boussaguet
et al, op cit, pp. 407-414.
92
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
une volonté de changement. L'explication de ce
changement de cap déborde les limites de la présente
étude.
On retiendra simplement qu'il s'inscrit dans une vaste
politique de diversification des partenaires stratégiques engagée
par le président Mamadou Tandja dont les enjeux sont liés
à l'exploitation des ressources minières. Cette politique de
rupture se traduit notamment par l'abolition du quasi-monopole français
en la matière et une plus grande implication de nouveaux partenaires
dont la Chine prin cipalement1. Une telle politique exige donc de la
fermeté vis-à-vis des dissidents Touaregs accusés
d'être instrumentalisés par la France et la Libye2.
Deux indicateurs principaux et intimement imbriqués
permettent d'accréditer l'hypothèse de changement de la politique
de réinsertion. Il s'agit d'abord de la tendance à la
marginalisation du HCRP qui procède d'un choix politique de rupture avec
les options antérieures en matière de gestion post conflit. Ce
changement de cap politique se traduit ensuite dans le choix de l'option
militaire face à la rébellion du MNJ.
A travers la destruction graduelle du HCRP, la logique de
perpétuation des acquis de la discrimination positive autour desquels se
sont cristallisés les intérêts des ex-combattants se trouve
ainsi menacée. La marginalisation du HCRP se mesure par une lecture
simpliste et réductrice de ses attributions, et par l'affaiblissement de
sa capacité institutionnelle. Réduite à un rôle
d'institution de mission, le HCRP est de facto dessaisi de certaines de ses
autres attributions que sont, entre autres, la recherche et la consolidation de
l'unité nationale, le raffermissement de la paix sociale etc.
Les réactions du HCRP pour rentrer dans la
plénitude de ses attributions se sont souvent heurtées à
des résistances diffuses mais farouches3. Déjà
en 1995, les cadres du HCRP ont vainement tenté de faire intervenir
l'institution dans la gestion du conflit institutionnel et politique né
de la Cohabitation ; ce qui aurait certainement modifié la perception de
l'opinion publique sur les missions du HCRP. De par son rattachement à
la Présidence de la République, le HCRP ne pouvait être
perçu comme une institution neutre et au dessus des
considérations partisanes.
Cette perception du HCRP comme la main du Chef de l'Etat
résulte de son rôle dans le règlement de la
rébellion armée où cet organe a été
contesté au début par les rebelles touaregs. Ces derniers ont en
effet considéré le HCRP comme une institution partisane incapable
de se placer au dessus de la mêlée. Soumana Souley en
témoigne : « Cet état d'esprit s'est
installé et cristallisé; ainsi transposé aux crises
politiques qui ont défrayé la chronique en 1995-1996 pendant la
cohabitation, il est évident que le Haut Commissariat ne pouvait pas
dès lors se déployer sur le terrain de la
gestion
1 La Chine a lancé le 27 octobre 2008 la construction
d'une raffinerie de pétrole à Zinder qui aura une capacité
de 20 000 barils/jour. Le bloc d'Agadem d'où la raffinerie sera
alimentée dispose d'une réserve estimée à 328
millions de barils et 10 milliards de m3 de gaz. Cf Le republicain
n°849 du 30 octobre au 5 novembre 2008, p. 9.
2 En 2007, le président Mamadou Tandja a accusé
le Libye et Areva d'être derrière la rébellion du MNJ. Le
DG de Areva Niger et son Attaché en Sécurité furent
expulsés du territoire nigérien en juillet 2007. Les rapports
avec Areva se sont depuis normalisés avec la reconduction du partenariat
minier entre les deux parties le 13 janvier 2009 qui s'est traduit par une
revalorisation du prix de l'uranium.
3 A titre d'exemple, en 2007 le ministère de
l'Intérieur n'a pas apprécié l'implication du HCRP dans le
règlement du problème d'insécurité au nord
Tillabéri qu'il estime comme relevant de ses seules attributions. Il l'a
fait savoir dans une lettre adressée au HCRP. Ce conflit meurtrier
oppose les éleveurs peulhs du Niger aux touaregs maliens le long de la
frontière commune. Le Ministère de la Défense Nationale,
pour sa part, boycottait les réunions tenues sur cette question au
HCRP.
93
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
des tensions politiques alors même que
l'article premier de son décret de création lui ouvrait ce
terrain de par la consolidation de l'unité nationale et de
l'a~~ermissement de la paix sociale »1.
Aussi, plusieurs autres mécanismes de gestion des
conflits sont nés avec le temps selon les domaines. C'est ainsi qu'un
Conseil National de Dialogue Politique a
été institué en 2004 pour le règlement des conflits
à caractère politique. C'est également le cas de la
Commission Nationale du Dialogue Social pour la
gestion des conflits entre l'Etat et les partenaires sociaux, du
Secrétariat Permanent du Code Rural pour les
conflits agriculteurs/éleveurs etc. Toutes ces institutions occupent
aujourd'hui des terrains dans lesquels le HCRP ne peut intervenir.
La politique de rupture se laisse voir depuis quelques
années à travers l'affaiblissement de la capacité
institutionnelle du HCRP. Cette institution a vu ses moyens d'actions en termes
de ressources humaines, matérielles et financières, s'amenuiser
d'année en année, à telle enseigne que l'institution n'est
plus en mesure aujourd'hui d'assumer pleinement sa mission.
D'abord, cette politique a consisté en la suppression
de certains postes comme l'Attaché militaire, l'Attaché de
Presse, la Cellule d'Appui, etc. En plus, les vacances de postes ne donnent pas
lieu à des remplacements, histoire d'étouffer l'institution par
extinction. C'est ainsi que le poste de Directeur des Affaires Juridiques et
Politiques (DAPJ), malgré sa place stratégique dans le dispositif
institutionnel, est resté vacant pendant cinq (5) ans (2002-2007). Le
poste de Conseiller Technique du HCRP est également resté vacant
toute l'année 2007, l'année de naissance du MNJ...
Depuis sa création, certains de ses mécanismes
n'ont jamais été mis en place, comme par exemple, la
Commission de Restauration de la Paix et de la Consolidation de
l'Unité Nationale. Cette commission est placée sous
la présidence du Haut Commissaire et est composée au terme de
l'article 7 de l'arrêté n°005/PRN du 24 février 1994
« de personnalités représentatives de la
société civile issues de toutes les régions du pays
». Elle était censée assister le HCRP dans sa
mission à travers un modèle participatif.
Aussi, dans les dispositions déterminant l'organisation
interne du HCRP, notamment en ce qui concerne les Attributions des
Départements des Affaires Juridiques et Politiques (DAPJ) et des
Affaires Economiques, Sociales et Culturelles (DAES/C), il est prévu
certains services techniques comme celui des Affaires Politiques, des Affaires
Sociales censés renforcer la capacité institutionnelle de
l'Institution, mais ces services n'ont jamais existé dans la
réalité2.
Toutes les tentatives de l'institution pour s'adapter à
son environnement et améliorer la qualité de son travail se sont
heurtées à des rejets complets. Depuis quelques années
déjà, le HCRP a soumis au Secrétariat
Général du Gouvernement un ambitieux projet de réforme
institutionnelle qui prévoit, entre autres, des postes de Chargés
de Missions dans les zones sensibles, un Service de la Documentation, un
Chargé des Relations Publiques3.
Cet input n'a donné lieu
à ce jour à aucune réponse malgré l'insistance du
Haut Commissaire en 2006 et 2007. Il s'agissait dans ces réformes de
corriger certaines incohérences juridiques et administratives. Comme on
l'a noté, il existe des services existant dans les textes,
1 Soumana Souley, Le processus de paix au
Niger, op cit, p. 3.
2 Il en est ainsi du Service des Etudes et de la Documentation
prévu dans l'Arrêté N°005/PRN du 24 février
1994 portant organisation et fonctionnement du HCRP en son article 3.
3 HCRP, Rapport de présentation du projet
de décret portant organisation du HCRP et du projet
d'arrêté~ixant les avantages à allouer à certains
agents du HCRP, 2007.
94
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
mais qui n'ont jamais vu le jour et des services ayant une
existence de facto, c'est-à-dire existant dans la réalité
sans être prévus par les textes1.
D'autres incohérences ont trait aux textes. Par
exemple, le décret n°94/105/PRN du 22 juin 1994 fixant les
avantages alloués à certains responsables du HCRP cite le
décret n°93/160/PRN du 12 novembre 1993 portant création
d'une Commission de Restauration de la Paix (CRP),
alors même que ce dernier décret a été
expressément abrogé par le décret n°94/007 du 14
janvier 1994 portant création du HCRP en son article 7.
La politique d'extinction du HCRP s'apprécie aussi
éloquemment à travers la baisse drastique de son budget. Le
budget de l'institution est passé de 40 millions en 2005 à 25
millions en 2006 alors que même le HCRP budgétisait ses
activités en 20062 à 326 millions, soit un
écart de 301 millions ! Un indicateur aussi éloquent de la
rupture d'option entre le Chef de l'Etat et le HCRP est l'écart profond
entre le projet de discours que l'institution propose à l'occasion de la
Fête de la Concorde et le discours final lu par le Chef de
l'Etat.3 De plus en plus, en effet, le projet de discours du HCRP
est vidé de sa substance à la Présidence de la
République en ce qui concerne l'appréciation du HCRP sur le
processus de paix.
Autre preuve du désintérêt de la
Présidence envers le HCRP : en janvier 2008, le personnel de
l'institution a même failli être oublié par le protocole de
la Présidence pour la présentation des voeux de nouvel an au Chef
de l'État. Cette politique hostile de l'Etat vis-à-vis du HCRP
n'est que le reflet de la nouvelle conception de la politique de
réinsertion des ex-combattants des autorités politiques.
Au-delà de la lecture réductrice des
attributions de l'institution, cette attitude procède d'une logique de
rupture in crémentale, de changement de cap dans la conduite de la
réinsertion dont la terminaison brutale s'avère impossible. Ceci
permet de nuancer l'effet de la path dépendance
en matière de possibilité de changement. Bruno
Palier et Giuliano Bonoli attirent l'attention sur le fait que des changements
fondamentaux peuvent être induits, même «
derrière une stabilité de surface
»4. Autrement dit, les élites politiques
ne sont pas toujours prisonnières des choix antérieurs.
Depuis 2007, avec la gestion de la nouvelle rébellion
du MNJ, la politique de rupture s'est radicalisée. Le Chef de l'Etat a
rejeté un plan de négociation soumis par le HCRP en 2007 et
opté en faveur de l'option militaire. Le gouvernement nigérien
refuse toujours la qualité de rébellion au MNJ. En plus, dans les
tentatives de négociation et de dialogue tacites avec les rebelles, le
Gouvernement a carrément écarté le HCRP au profit des
personnalités dites personnes ressources (députés de la
région d'Agadez, chefs traditionnels, etc.).
Cette politique de path shifting
s'observe également dans le traitement des combattants du MNJ ayant
accepté de déposer les armes. Contrairement au processus
antérieurs de réinsertion, ces derniers sont directement
reçus à la Présidence de la République où
ils bénéficient de sommes d'argent en échange de leur
« acte patriotique ». La volonté
politique est claire, il s'agit d'éviter les
1 Il en est ainsi du Service Financier du HCRP qui n'a aucune
existence juridique.
2 HCRP, Planning d'activités du HCRP
2006, décembre 2005
3 Chaque année, c'est le HCRP qui propose au Chef de
l'Etat le discours du 24 avril.
4 Bruno Palier, Guiliano Bonoli, op cit, p.408. Voir
également sur les limites de la path
dependence, Dénis Saint Martin, «Apprentissage social
et changement institutionnel : la politique de `l'investissement dans
l'enfance' au Canada et en Grande Bretagne » in Politique et
Sociétés, vol 21, n°3, 2002, pp. 41-67.
95
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
« erreurs du passé
»1 en refusant toute perspective de signature
d'un accord additionnel. Ainsi, la réinsertion des ex-combattants du MNJ
par le HCRP risquerait d'être un cercle vicieux, d'autant plus qu'il
existe le risque de dissension au sein du cette rébellion ; ce qui
conduirait éventuellement à la reprise des hostilités par
des factions dissidentes et la conclusion de protocoles d'accords
interminables2. Bref, le même scénario des
années 90 risquerait de se répéter.
Le HCRP est soupçonné de vouloir maintenir le
cercle vicieux autour de la gestion post conflit. D'ailleurs, la signature en
Libye d'un protocole d'accord avec le MNJ est la troisième étape
du plan de négociation que le HCRP a soumis au président Tandja.
Le refus du Gouvernement de négocier peut donc être
interprété comme une volonté politique de tourner la
page. Le Gouvernement nigérien a ainsi depuis
2007 engagé une nouvelle dynamique en matière de gestion du
problème touareg en général censée dépasser
le cercle vicieux créé par l'expérience
antérieure.
Le HCRP, institution perçue comme le principal «
reproducteur » de cette politique de réinsertion, ne peut que faire
les frais de cette nouvelle option politique. Mais l'institution ne reste pas
inactive, elle déploie des résistances farouches pour survivre
dans cet environnement hostile.
Paragraphe 2 : Les mécanismes de résistance
de l'institution
Le cadre institutionnel de la gestion post conflit et la
politique de réinsertion qu'il conduit résistent à la
politique de rupture de l'État non seulement par les stratégies
de survie du HCRP (A), mais aussi par l'engagement des ex-combattants
eux-mêmes à défendre les acquis de la gestion post conflit
(B).
A. Les stratégies de survie du HCRP
Depuis sa création, le HCRP a tenté,
malgré les résistances, de remplir la plénitude de ses
attributions, ou du moins à diversifier ses missions si l'on accepte la
conception réductrice qui le confine au seul dossier de la
rébellion. L'institution s'est beaucoup investie dans la promotion de la
culture de la paix. Plusieurs rencontres intercommunautaires ont
été organisées à travers le pays afin de consolider
la paix et la quiétude sociale. C'est le cas du Forum de Tesker dans
l'est du pays en 2005 pour une coexistence pacifique entre les
différentes communautés de cette localité. Le HCRP a
également tenté de se déployer dans le règlement
des conflits fonciers opposant chaque année agriculteurs et
éleveurs sans grand succès.
Dans le planning de ses activités 2006 et 2007, le HCRP
prévoit dans le cadre de l'accomplissement de sa mission des actions
comme la résolution des conflits intercommunautaires liés
à la gestion des ressources naturelles, les sensibilisations des
élus locaux sur la gestion et la prévention des conflits, la
multiplication des manuels scolaires sur la culture de la paix, des ateliers de
formation des inspecteurs de l'enseignement primaires, etc. En
réalité,
1 C'est-à-dire les processus de cantonnement,
désarmement et réinsertion avec tous les abus qui en ont
résulté, notamment la manipulation des effectifs par
l'ex-rébellion, le coût exorbitant du processus etc.
2 Cette appréhension est d'autant plus justifiée
que le MNJ n'est pas un groupe homogène. A côté des
ex-rebelles touaregs, il y aurait des anciens militaires fidèles au
président Baré, des trafiquants et bandits opérant dans le
Sahara etc.
96
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
l'institution cherche à élargir son champ
d'action, à se créer une raison d'exister dans la mesure
où les options du Chef de l'Etat sur la politique de réinsertion
indiquent une volonté de rupture.
Cependant, ces tentatives de diversification de ses missions
furent bloquées par l'absence de financement. C'est seulement en 2006
que l'institution a pu marquer un tournant décisif avec son implication
dans le traitement de l'insécurité au nord Tillabéri. Ce
conflit meurtrier opposant éleveurs peulh nigériens et
éleveurs touaregs maliens le long de la frontière était
jusqu'ici géré par le ministère de l'Intérieur. Le
HCRP organisa du 17 au 18 mars 2007, à Tillabéri au Niger, un
Forum sur l'insécurité transfrontalière et le Pastoralisme
avec la partie malienne.
Mieux, le HCRP a lancé en septembre 2007 sous sa
tutelle un Projet Pilote d'Appui à la Transhumance
Transfrontalière (PAGTT) entre le Niger, le Mali et le Burkina Faso pour
une période de dix huit (18) mois. Ce projet a pour objectif global la
sauvegarde et l'accroissement de la production pastorale au Sahel1.
De manière plus précise, il vise à sécuriser
durablement l'accès aux ressources naturelles aux éleveurs
transhumants dans les zones transfrontalières. Les cadres du HCRP
impliqués dans le projet s'occupent de la composante intitulée
«prévention, gestion des conflits et promotion d'une culture de la
paix »2.
A travers ces deux initiatives, le HCRP élargit ses
compétences au delà de la seule politique de mise en oeuvre des
Accords de Paix en général et de la réinsertion des
ex-combattants en particulier. Mais si cette logique de reproduction donne
à l'institution des raisons objectives d'exister, il n'en demeure pas
moins qu'elle révèle des paradoxes. Le premier paradoxe est
inhérent à l'origine de ces deux initiatives.
En effet, aussi bien pour le problème
d'insécurité au nord Tillabéri que pour le Projet sur la
Transhumance Transfrontalière, l'initiative est venue de
l'extérieur. Pour le premier cas, ce sont les organisations de la
société civile de la zone, à savoir le Conseil des
Eleveurs Nord Tillabéri (CENT) et l'Association pour la Redynamisation
de l'Elevage au Niger (AREN) à travers Dr Gandou Zakara et Boubacar
Diallo qui en étaient les initiateurs. En bons entrepreneurs politiques,
ces derniers avaient saisi le HCRP en réaction à la gestion
purement militaire de ce conflit par le Ministère de l'Intérieur.
Ils ont ainsi trouvé un accueil favorable auprès du HCRP qui se
cherchait une raison d'exister. Une «fenêtre
d'opportunité» était donc ouverte.
Le projet sur la transhumance est issu d'une discussion entre
le Haut Commissaire et le Délégué de la Commission
Européenne en 2006. Le Haut Commissaire sollicitait au début un
appui pour la réinsertion des ex-combattants. Le
Délégué de la Commission Européenne indiqua que son
institution était plus disposée à intervenir dans le
domaine de la transhumance transfrontalière. C'est ainsi donc que
l'idée germa au HCRP d'intégrer cette dimension dans ses
activités3.
Ces deux exemples de reproductions institutionnelles
témoignent de la nature hasardeuse des politiques étatiques en
général et de celles du HCRP en particulier. Ils confirment toute
la complexité de la décision et participent à la
déconstruction du mythe de la rationalité de l'Etat
1 République du Niger (HCRP/MEF), U. E.,
Etude d'identification d'un projet d'appui à la gestion de la
transhumance dans les nones transfrontalières du Niger (phase 1 : Mali,
Burkina Faso), décembre 2006.
2 Le Secrétaire Général du HCRP est
coordonnateur du Projet, le Chef du Service Financier en est le
gestionnaire-comptable et le DAES/C, l'expert en matière de conflits. Un
des Secrétaires du HCRP est également recruté dans la
cellule de gestion du Projet qui est logée dans les locaux du HCRP.
3 Pourtant, dans tous les documents officiels, il est
écrit que c'est sur instruction du Chef de l'Etat que l'étude sur
l'insécurité transfrontalière a été
lancée...
97
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
que la science politique doit à Hegel et M. Weber. Ce
processus décisionnel est mieux appréhendé par le
modèle développé par John Kindgon qui remet en cause le
modèle séquentielle.
Dans notre contexte, il apparaît donc que l'intervention
du HCRP sur ces deux questions (transhumance, insécurité nord
Tillabéri) n'est nullement une politique pensée par l'institution
elle-même. Le HCRP s'appropriait et exécutait des priorités
définies par d'autres institutions. De ce point de vue, ces
interventions procèdent plutôt de processus parallèles et
autonomes ayant conduit au couplage entre trois
courants : les problèmes (insécurité), les solutions
(CENT, AREN, Union Européenne) et la politique (HCRP).
Le deuxième paradoxe de cette dynamique de reproduction
est lié à son impact. Le projet sur la transhumance a permis
à l'institution, certes, d'améliorer sa situation
financière et matérielle, mais aussi, il a contribué
à affaiblir sa capacité institutionnelle. Cette capacité
de l'institution était mise à rude épreuve avec une
érosion des relations professionnelles entre les agents du HCRP
impliqués dans l'équipe du projet et les autres agents, lesquels
ont développé un sentiment de frustration.
L'avènement de ce projet a «
créé un climat de travail malsain»
selon le mot d'un cadre du HCRP. Les agents non impliqués dans la
cellule du projet estimaient que celui-ci était taillé sur mesure
pour des considérations matérielles et se plaignaient de
«l'opacité» qui entoure son
management. Ces effets pervers ont quelque peu ralenti l'élan du HCRP
par rapport à sa mission en matière de gestion conflit, puisque
c'étaient justement les chevilles ouvrières de l'institution qui
s'occupaient de la cellule de gestion du projet1.
Deux « clans» se sont ainsi constitués au
HCRP autour de ces enjeux : celui des cadres membres de la cellule de gestion
du projet et celui des autres agents. Les relations étaient devenues
plus étroites et soudées entre les membres de la cellule du
projet, créant du coup une distance avec les autres agents. Ces
incompréhensions se sont manifestées jusque dans les taches les
plus élémentaires de l'administration (enregistrement de
courrier, livraison de lettres etc.)2. Ainsi, tout en
renforçant les capacités matérielles et financières
du HCRP3, le projet a aussi affaibli à un moment donné
cette institution au plan des rapports humains.
Au-delà de cela, il faut relever que la diversification
des attributions du HCRP révèle un dilemme pour les cadres de
l'institution. Ces derniers ont d'abord le souci de défendre leur «
mandat » en démontrant que le HCRP a achevé sa mission
d'application des Accords de paix. Tous les documents de l'institution
répètent que la réinsertion socio-économique des
ex-combattants dans l'Aïr et l'Azawak (censée finir en 2008)
était la dernière phase de la politique de réinsertion en
particulier et du processus de paix en général.
Mais ce bilan positif est aujourd'hui contrarié par le
discours du MNJ qui considère la gestion post conflit comme un
échec. Ce que conteste Mr Chipkaou Oumarou qui affirme : «
Le MNJ nous a poignardé dans le dos. Le HCRP envisageait de
se déployer sur d'autres champs, notamment sur les
1 Les quatre cadres du HCRP membres de l'équipe du
Projet bénéficient des indemnités en argent et en nature
qu'ils cumulent avec tous leurs avantages au titre du HCRP.
2 Par exemple, le planton refusait de livrer le courrier du
Projet prétextant qu'il n'est payé que par le HCRP, le Projet ne
lui donne rien. Il en est de même pour la Secrétaire qui refuse de
toucher à tout travail du Projet. Les membres de l'équipe du
Projet font appel en cas de besoin au concours des Appelés du Service
Civique, dont nous même.
3 Le Projet a mis à la disposition du HCRP un
véhicule 4X4, des ordinateurs et lui fournit régulièrement
du carburant.
98
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
actions de développement dans les tones
à risque et la promotion de la culture de la paix. Le MNJ est venu comme
un désaveu, une négation de toutes les actions que le HCRP a
menées depuis sa création »1.
C'est pourquoi, depuis que le HCRP a été
dessaisi du dossier MNJ par le Chef de l'Etat, les actions de l'institution
s'inscrivent uniquement dans le parachèvement des Accords de Paix
antérieurs, c'est-à-dire ignorant l'existence du MNJ, comme si de
rien n'était... C'est le sens que Mr Omar Sanda, Conseiller Technique au
HCRP, donne au projet d'extension du Projet Aïr/Azawak :
«Notre politique actuelle consiste à ignorer le MNJ. Il
s'agit pour nous de poursuivre les actions de réinsertion des 3160
ex-combattants de l'Aïr/Aatvak conformément aux engagements pris
par le Gouvernement 2». Mais tout en se souciant
de leur bilan, les cadres de l'institution aspirent en même temps
à préserver le HCRP pour des considérations
«corporatistes ».
Le rattachement du HCRP à la Présidence de la
République fait des agents de l'institution des
privilégiés par rapport aux agents des autres ministères.
Outre le fait symbolique de la valorisation sociale du statut d'agent de la
Présidence de la République, le personnel de cette haute
institution bénéficie de nombreuses gratifications
matérielles et financières. La suppression du HCRP
entraînerait le redéploiement de ses cadres dans leurs
ministères d'origine et donc, consacrerait la fin des privilèges.
En plus, aucun des agents de l'institution ne peut espérer obtenir un
poste plus « juteux » que celui qu'il occupe au HCRP avec l'emprise
des partis politiques sur la haute administration3.
Les cadres du HCRP sont les premiers militants de la
préservation du cadre institutionnel de la gestion post conflit et, en
conséquence, de la politique de discrimination positive qu'il symbolise.
Les ex-combattants partagent les mêmes intérêts pour le
maintien du HCRP, mais sont très réservés sur la nouvelle
orientation que les cadres veulent donner à l'institution. Les
ex-combattants estiment que le HCRP est très loin d'avoir achevé
sa mission de gestion post conflit au point de songer à se
déployer sur d'autres champs. Ceci explique l'inflation de leurs
revendications.
B. L'inflation des demandes des ex-combattants
Le processus de mise en oeuvre des Accords de Paix,
particulièrement de la politique de réinsertion des
ex-combattants, a engendré beaucoup de contradictions qui rendent sa
terminaison aléatoire. En plus de la dynamique reproductrice
engagée par le HCRP lui-même, les ex-combattants contribuent, par
l'articulation des demandes, à maintenir les institutions de gestion
post conflit. Et de ce fait, ils participent à consolider les acquis de
la discrimination positive. Profitant à la fois de leurs ressources
politiques et d'un cadre institutionnel favorable, les ex-combattants ont
contribué à créer un cercle vicieux autour de la politique
de réinsertion. Il en a résulté un processus circulaire
interminable par lequel chaque demande satisfaite conduit à la
formulation d'une autre demande.
Il est donc tout à fait justifié de parler de
capture de la politique ou de policy lock in. Cette
inflation des revendications s'observe d'abord par le traitement de la question
des Chefs et Cadres. Depuis septembre 2000, la réinsertion des
élites fut réalisée selon les modalités convenues
entre les parties. Ce traitement des Chefs et Cadres, laissé à
l'appréciation du Chef de
1 Entretien à Niamey, 25 juillet 2008.
2 Entretien à Niamey, 16 mars 2008.
3 Aucun des cadres du HCRP ne milite activement dans un parti
politique.
99
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
l'Etat, était donc achevé. Mais en 2006, cette
question fut curieusement réactivée lors de la réunion des
Chefs des Mouvements et Fronts du 15 juin. L'explication donnée par les
Chefs et Cadres était que « ce premier traitement ne
couvrait pas l'ensemble des Cadres mais ceux dits principaux
»1. Les Fronts et Mouvements disposeraient encore
chacun d'une «quinzaine, voire d'une quarantaine de Cadres
»2 en attente. Le nombre de «
nouveaux Cadres» fut estimé à 250
personnes auquel le Chef de l'Etat promis un pécule de 1 200 000 F CFA
chacun.
A y regarder de très près, la distinction
Chef/Cadre/Combattant est un leurre. La
distinction sert uniquement aux élites d'accumuler les
privilèges en gonflant les effectifs. Beaucoup d'éléments
permettent d'attester que ces « nouveaux
cadres» sont en réalité fictifs. Dans le
traitement de cette question, le FLAA avait par exemple demandé au Haut
Commissaire d'intercéder auprès du Trésorier
Général pour que le mandatement des 25 500 000 F CFA lui revenant
soit fait au profit du Trésorier du FLAA et non pas directement aux dix
sept (17) « Cadres ».
Le FLAA avait en effet « décidé
de faire bénéficier le montant revenant aux dix sept (17)
ex-combattants à autant d'ex-combattants qui sont actuellement dans le
dénuement total... »3. Ces fonds devaient
aussi servir à désintéresser les «
martyrs et victimes de guerre »4 du
FLAA. En clair, la réinsertion des Cadres visait donc autre chose, faute
de Cadres...
D'ailleurs, il suffit de consulter les listes transmises par
les différents Fronts et Mouvements pour constater que les mêmes
noms se sont répétés depuis le début du processus.
En fait, c'est au gré des intérêts et des circonstances que
l'on devient Chef, Cadre ou Combattant5. Un Chef de Front ou de
Mouvement peut ainsi se « rabaisser » au statut de Combattant
lorsqu'il s'agit d'empocher des sommes d'argent importantes. De même, un
Combattant peut être auréolé du statut de « Cadre
» ou « Chef » lorsqu'on décide de lui faire
bénéficier de certains avantages.
Une autre revendication, cette fois-ci pour les Chefs,
était l'élaboration du statut pour ex-
Chefs de rébellion ou de mouvement d'autodéfense
afin de « leurfaciliter les rapports de travail avec les
représentants de l'Etats à tous les niveaux et déterminer
un statut leur permettant une vie décente
»6. Il s'agit là d'une revendication
inédite et qui va certainement au delà des clauses des Accords de
Paix. Les Chefs estiment être ignorés officiellement par les
institutions. Le HCRP est la seule institution qui les reconnaît comme
interlocuteurs.
En effet, dans tous les Ministères, un Chef de Front
est un citoyen ordinaire et ne peut être reçu qu'en cette
qualité. Or, les Chefs estiment être des «
autorités »7. Et pour cette
raison, ils revendiquent un statut qui leur permette d'accéder à
toutes les institutions en cette qualité. Dans une note adressée
au Chef de l'Etat en date du 12 juin 2007, les Chefs de Fronts et Mouvements
1 HCRP, Traitement de la question des
Cadres...op cit, p. 1.
2 Ibid.
3 Lettre du FLAA au HCRP, 2006.
4 Ibid.
5 Sur les listes des 250 cadres et des 300 ex-combattants
(initialement destinés aux Société d'Etat)
bénéficiaires des pécules à titre compensatoire, se
trouvaient de nombreux ex-combattants, cadres et chefs occupant
déjà des postes dans les corps de l'Etat.
6 HCRP, Conclusions de la réunion des
Chefs...op cit, juin 2006, p. 1.
7 C'est le mot utilisé par le «commandant» A.
N'Gadé, «Chef d'État-major» du FLAA pendant la
réunion du 15 juin 2006 au HCRP.
100
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
réitéraient également leur revendication
sur « la nomination des responsables des ex-Fronts et de leurs
principaux Cadres »1, question qui était
censée être réglée...
D'autres demandes formulées par l'ex- Rébellion
ont trait à leurs combattants. A ce sujet, les ex-combattants ayant
bénéficié de bourses d'études dans les
écoles professionnelles ont réclamé une intégration
directe dans la Fonction Publique. Ceci n'a pourtant jamais été
prévu dans les Accords de Paix et leurs modalités d'application.
C'est le cas de trente trois (33) «ex-combattants »
diplômés de l'Ecole Nationale d'Administration (ENA) pour lesquels
les Chefs avaient demandé une intégration directe «
conformément aux accords de paix ». Pour
les ex-combattants intégrés dans les corps militaires et para
militaires, révoqués conformément aux textes en vigueur ou
ayant déserté, les Chefs avaient sollicité «
la réintégration des éléments sur
lesquels desfautes graves ne pèsentpas
2».
En termes clairs, il est demandé aux pouvoirs publics
de faire dérogation aux lois et règlements de l'Etat pour le
traitement des problèmes relatifs aux ex-combattants. Mieux,
l'ex-Rébellion demande que le recrutement des ex-combattants dans les
corps militaires et para militaires soit annuel. Cette requête suppose
l'existence d'un « stock » important d'ex-combattants non encore
intégrés, ce qui est naturellement inexact.
Dans le fond, l'ex-Rébellion cherche à travers
la perpétuation de cette politique clientéliste à
conserver sa capacité distributive, et ainsi continuer à faire
des « bons investissements ». Cette logique
reproductrice est aussi évidente dans la réinsertion
socio-économique des ex-combattants dans l'Aïr et l'Azawak
concernant 3 160 éléments. Le Projet Consolidation de la Paix
dans l'Aïr et l'Azawak (PCPAA), censé clôturer ses
activités en 2007 démontre toute la réalité de ce
cercle vicieux autour de la politique de réinsertion. La réunion
du Comité de Pilotage de ce Projet tenue le 17
mars 2008 à Niamey a décidé de l'extension pour une
année supplémentaire du Projet. Deux raisons majeures ont
été invoquées pour justifier cette extension. Il s'agit
d'abord de la nécessité d'impliquer les femmes dans le processus
de réinsertion et de la conception d'un document pour une
deuxième phase.
L'introduction de la composante féminine est
justifiée par l'équipe du Projet en raison « des
problèmes d'identification des bénéficiaires
» lors de l'établissement des listes des
ex-combattants. Il est ainsi indiqué que « les femmes
qui constituent les premières victimes en matière de conflits,
ont été sous-représentées sur les listes des ex-
combattants bénéficiaires des actions du Projet. C'est ainsi que,
sur les 3 160 ex-combattants ayant bénéficié
déjà de la subvention, figurent seulement 156 femmes, soit un
taux de représentativité de 4,93%. On ne compte que huit (8)
coopératives féminines sur les 298 coopératives
d'ex-combattants appuyés par le Projet soit 3,10%
»3.
Quand à la conception d'un document de projet pour une
seconde phase, elle vise à « consolider les acquis de
la première phase du PCPAA à travers la poursuite des
activités de consolidation de la paix et d'amélioration de
lagouvernance locale »4 et à
«promouvoir un développement durable des tones
pastorales touchées par les conflits armés, notamment
l'AïrlAawak, le Kawar et le Manga ». Avec ces deux
nouvelles dimensions, le Projet de réinsertion assure sa propre
reproduction et s'enlisera certainement dans un cercle vicieux.
1 HCRP, Déclaration des Chefs de Fronts,
Mouvements et Comités d'Autodéfense et Milices, 12
juin 2007.
2 HCRP, Conclusions de la réunion des
Chefs...op cit, juin 2006, p. 2.
3 République du Niger, PNUD, (Document de projet
Niger), Consolidation de la Paix dans l'Aïr et
l'ADawak, mars 2007, p. 9.
4 Ibid, p. 14.
101
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Comment expliquer que c'est seulement douze (12) années
après les Accords de la Paix que l'on se préoccupe du sort des
femmes ? Comment expliquer aussi que la réinsertion
socio-économique se confonde avec le « développement des
zones touchées par le conflit » ? Cette clause est, en effet,
officiellement honorée depuis longtemps1. Cette extension de
la réinsertion traduit une volonté de perpétuer les acquis
de la politique de gestion post conflit. La communauté
d'intérêts entre les acteurs autour de cette question s'explique
par les velléités de rupture radicale du Gouvernement. Il est
paradoxal de constater que ce sont les bailleurs de fonds (PNUD notamment) qui
se montrent plus entreprenants que le Gouvernement lui-même sur des
questions liées à sa propre sécurité.
Ce manque d'intérêt explique pourquoi le
Gouvernement n'a rien prévu dans son budget 2007 pour soutenir la
réinsertion. En ressuscitant la question du développement des
zones touchées par le conflit, ces acteurs s'assurent ainsi du maintien
de la politique ; surtout que le Projet parle explicitement des zones de
l'Aïr, de l'Azawak, du Kawar et du Manga pour éviter la controverse
autour du Programme de Développement de la Zone Pastorale
élaboré en 2000 par le HCRP2.
Ainsi, à travers tous ces processus de reproduction
activés par les acteurs, la politique de réinsertion des
ex-combattants devient un éternel recommencement, un cercle vicieux
savamment entretenu par des acteurs intéressés. Ce processus
d'institutionnalisation révèle des effets ambivalents sur le
système politique en général.
Section 2 : Le double impact de la dynamique
d'institutionnalisation
L'analyse du processus d'institutionnalisation induit par la
logique de reproduction de la politique de réinsertion montre qu'il a eu
un impact double et ambivalent. Il a d'abord engendré des dynamiques de
stabilisation à travers une fonction tribunitienne (Paragraphe 1), mais
a produit en même temps des effets pervers par la consolidation d'une
culture politique aristocratique (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Le développement d'une fonction
tribunitienne
Les ex-combattants ont été
intégrés au système politique par le processus de leur
réinsertion à travers un cadre institutionnel qui canalise leur
propension à la violence (A) et une recomposition du champ politique
induite par la reconversion politique des élites (B).
1 Selon Chipkaou Oumarou, Directeur des Affaires Economiques,
Sociales et Culturelles (DAES/C) au HCRP, « toute la
complexité de cette clause réside dans cette question : à
partir de quel critère peut-on estimer que l'Etat a satisfait cette
clause du «développement» ? En d'autres termes, quel
indicateurpermet de certifier que le Nord est
«développé» ?
2 Cette controverse est la suivante : selon certains
ex-rebelles, dans l'esprit des Accords de Paix, le Gouvernement doit
«développer» les zones
touchées par le conflit (Aïr, Azawak, Manga et Kawar) et non pas la
zone pastorale dans son ensemble. Pour eux, le concept zone pastorale a
été inventé pour détourner le programme vers
d'autres zones du Sud ; surtout quand on sait que l'écrasante
majorité de la population pastorale du Niger réside à
Tillabéri et Maradi. La population pastorale du Niger était
estimée en 1997 à 3.364.507 habitants dont 1.235 611 à
Tillabéri, 1.005.827 à Maradi contre 310.079 à Agadez et
108.666 à Tahoua. Voir HCRP, Programme de
développement de la Ione pastorale (résumé),
septembre 2000, p. 6.
102
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
A. La canalisation des frustrations des
ex-combattants
La science politique doit la notion de fonction tribunitienne
aux travaux de George Lavau sur le Parti Communiste Français. Son
analyse est résumée par A. Loada et L.M. Ibriga en ces termes :
«Ce parti, à l'instar des tribuns de la plèbe
à Rome, intégrerait de façon latente, inattendue au
système capitaliste et de « démocratie
bourgeoise» qu'il combat les couches et classes
défavorisées qu'il représente et défend. Ce
faisant, le PCF renforce indirectement le système en lui permettant de
fonctionner avec les groupes défavorisés et mal
intégrés et en canalisant leur potentiel subversif au profit de
revendications plus limitées, compatibles avec la survie du
système »1.
L'expérience de la réinsertion des
ex-combattants touaregs montre que les institutions de gestion post conflit,
notamment le HCRP, ont rempli cette fonction latente
à l'égard des anciens guérilleros touaregs.
Cette fonction d'intégration a été remplie non seulement
par le HCRP, mais aussi par le mécanisme de self
help propre aux Touaregs. Le HCRP offre aux ex-combattants un
cadre d'expression, d'articulation de leurs revendications dont le contenu
s'avère souvent incompatible avec la logique des autres institutions
étatiques.
La recherche de l'adéquation entre ces revendications
et les normes du système politique exige cependant un important travail
politique de la part du HCRP. C'est ainsi que celui-ci remplit une fonction
d'agrégation des demandes qui se présente sous un double angle.
Dans un premier temps, ce travail politique a consisté à filtrer
les exigences articulées par les ex-combattants afin de les rendre
compatibles les unes des autres. Et en second lieu, ces demandes sont traduites
dans un langage politique adapté au système politique. On peut
illustrer ce processus par le traitement de la réinsertion des Chefs et
Cadres où le HCRP s'est efforcé de rendre compatibles les
exigences articulées par ceux-ci avec les principes de
l'État2. Les nominations à des postes purement
politiques (Conseiller, Chargé de mission etc.) avaient servi à
concilier leurs inputs avec les normes en vigueur.
De par sa vocation, le HCRP s'est toujours montré
hostile aux solutions militaires pour régler les problèmes de la
gestion post conflit, contrairement aux institutions régaliennes
(Ministère de l'Intérieur, Ministère de la Défense
Nationale, FAN). L'institution privilégie le dialogue avec tout individu
ou groupe armé défendant des revendications politiques. Le HCRP a
toujours privilégié un « règlement
politique» face à des mouvements insurrectionnels,
là où d'autres institutions auraient invoqué la loi,
c'est-à-dire la répression. Les institutions de l'État,
imbues des valeurs bureaucratiques, ignorent dans leur logique toute notion de
discrimination positive.
Le HCRP est la courroie de transmission qui permet aux
inputs des ex-combattants d'intégrer l'agenda
institutionnel du système. Cette fonction a contribué à
canaliser le potentiel de violence des ex-combattants, car ces derniers se sont
approprié les mécanismes du HCRP pour faire admettre leurs
demandes dans la « boite noire » du
système politique. Plusieurs cas concourent à démontrer la
vertu pacificatrice de cette fonction tribunitienne. Le HCRP a eu à
maintes reprises à ramener dans le processus de paix des groupes
dissidents. Ce fut le cas en 1996 avec la CRA de Mohamed Akotey et en novembre
1997 de l'UFRA de Mohamed Anacko.
1 Augustin Loada et Ibriga Luc Marius, Droit
constitutionnel et institutions politiques, Ouagadougou, UFR/SJP,
Université de Ouagadougou, 2007, p. 288.
2 Il suffit pour cela de se rappeler des doléances
irréalistes et fantaisistes comme «Villa + Voiture + 7
millions» introduites par un Cadre de l'ex-Rébellion.
103
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Depuis lors, les ex-combattants se sont parfaitement
accommodés du cadre institutionnel
de gestion post conflit pour faire valoir leurs
intérêts. Le traitement apporté aux ex-combattants
révoqués au sein des FNIS illustre cette procédure
d'étiquetage qui consiste en «
la désignation d'un enjeu comme relevant d'une
autorité publique... »1, impliquant donc
la production de outputs. Les ex-combattants avaient
vainement tenté d'introduire ce problème au niveau du
Ministère de l'Intérieur. Le
«système» de ce Ministère est
tel que ce type de revendications n'est pas susceptible d'admission, à
fortiori de traitement devant aboutir à des décisions. Il a fallu
l'intervention du HCRP qui s'est employé à traduire ces
revendications dans un langage politique. Ce travail cognitif
d'interprétation du réel consiste à analyser les
problèmes des révoqués comme une menace pour la
sécurité du pays.
Cette question a été érigée en un
problème politique qui touche à l'unité nationale et
à
l'intégrité du territoire. A travers une
argumentation solide, et puisant aussi bien dans les Accords de Paix que la
constitution du pays, le HCRP était parvenu à faire de ce
problème une partie intégrante du processus de paix. C'est
à ce prix que ces problèmes des ex-combattants au sein des FNIS
ont été soumis et traités par le Chef de l'Etat
lui-même en juin 2006.
En 2007, nous avons rencontré au HCRP un ex-combattant
révoqué des USS du Manga (Est) qui estimait être victime
d'une injustice. Son réflexe a été de parcourir des
centaines de
kilomètres pour venir s'adresser au HCRP et faire
valoir ses droits. Sur place à Niamey, il tenta vainement
d'intégrer le « système » du
Ministère de l'Intérieur dont relève son corps. C'est au
HCRP qu'il trouva un accueil, un cadre d'expression pour soumettre ses
doléances. Ce cas n'est pas isolé. Il témoigne de la
singularité du rôle politique latent que le HCRP joue dans le
système politique nigérien. Le problème
d'insécurité au nord Tillabéri offre également un
bel exemple de cette fonction d'intégration des groupes à
potentiel violent dans le système politique.
Les populations peulh de Tillabéri qui se battaient contre
les touaregs maliens n'ont
jamais été reconnues comme des milices par le
Ministère de l'Intérieur qui, dans sa logique, ne reconnaît
à aucun groupe le droit de s'auto défendre et prône une
politique de fermeté à l'égard de toute milice. Toute
autre est l'approche du HCRP. Les deux logiques se sont confrontées lors
d'une réunion au HCRP sur l'organisation d'un forum de
réconciliation avec la partie malienne en 2006.
Le représentant du Ministère de l'Intérieur
récusa le terme « milice » employé pour
désigner les organisations d'auto défense peulh
qui, selon lui, n'ont aucune existence officielle. Le Haut Commissaire Mohamed
Anacko fit valoir l'approche du HCRP qui peut se résumer en ceci :
Il faut accepter de reconnaître les milices armées et
dialoguer avec elles pour restaurer la paix. On ne peut pas fermer lesyeux sur
des faits, qu'ils soient officiellement reconnus ou non, ces groupes sont
armés. Ilfaut regarder la réalité en face.
Cette controverse traduit toute la quintessence de la fonction
tribunitienne. En ce sens, le HCRP intègre les groupes armés dans
le système en les reconnaissant d'abord comme interlocuteurs et en
engageant un dialogue avec eux.
Pendant que le Ministère de l'Intérieur cherche
fermement à désarmer les milices peulhs au nom du principe
wébérien du monopole de la violence par l'Etat, le HCRP leur
propose une
1 Guy Hermet et al, Dictionnaire de la science
politique..., op cit, p. 241.
104
La problématique de la gestion post con flit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
réinsertion socio-économique en échange
de leur désarmement sur le modèle initié avec les
rébellions armées1. Mais ces actions n'épuisent
pas les fonctions latentes du HCRP.
Cette institution offre aux ex-combattants beaucoup de
services, notamment ceux résidant à Niamey. C'est ainsi que ces
derniers utilisent souvent les locaux de HCRP pour tenir leurs rencontres et
évaluer le processus de paix. Beaucoup d'ex-combattants utilisent
également les services du HCRP pour des affaires privées, qui
pour faire saisir des documents au Secrétariat, qui pour faire des
photocopies, ou encore passer des coups de téléphone.
En poste au HCRP entre 2006 et 2008, nous avons eu
personnellement à saisir à maintes occasions les documents d'un
Cadre de la Rébellion travaillant dans le privé dont l'entreprise
ne dispose pas de Secrétariat. Il faut noter aussi que les rencontres
des Chefs de Fronts et Mouvements organisées dans les locaux du HCRP
périodiquement sont bien « arrosées »2. A
ces gratifications matérielles s'ajoutent des gratifications
symboliques. Il arrive, en effet, que le HCRP délivre à certains
ex-combattants des attestations certifiant qu'ils ont oeuvré pour la
consolidation de la paix et l'unité nationale au Niger.
Mais les Chefs des Fronts et Mouvements, à leur tour
aussi, travaillent à la canalisation de la violence de leurs combattants
à travers les solidarités communautaires. Il est bien connu que
les touaregs constituent une société fortement
intégrée et solidaire qui est un bel exemple de
communauté (M. Weber). Grâce à
cette solidarité, les élites touarègues bien
positionnées dans les sphères du pouvoir soutiennent leurs
combattants et proches en difficulté à travers plusieurs
prestations.
Il est un fait empirique que bon nombre d'anciens Chefs
rebelles accueillent chez eux nombreux des leurs qui sont dans la
nécessité. Beaucoup d'ex-combattants apprécient leurs
anciens Chefs sur la base de leur capacité à redistribuer.
Expliquant l'émergence du MNJ, F. Deycard soutient que «
les solidarités familiales ont modéré les
mécontentements, mais l'absence des perspectives de progression sociale
de combattants de la première heure, alors qu'ils se montraient
dé<4 peu satis faits de la qualité des postes
réservés, a produit un fort sentiment de frustration
»3. C'est aussi le sens qu'il faut donner
à la requête du FLAA en 2006 qui demandait que les 25 500 000 F
CFA destinés à ses dix sept (17) Cadres soient partagés
entre plusieurs personnes en difficultés (martyrs, victimes de guerre,
femmes, etc.).
Ces gestes de solidarité, de redistribution des
richesses, ont fortement contribué à contenir les frustrations
des ex-combattants. Et de façon latente, ces prestations sociales ont
facilité leur intégration dans le système qu'ils ont
combattu. Cette fonction tribunitienne porte donc en elle une dynamique de
stabilisation du système politique. Il en est de même de la
reconversion des élites politiques.
B. La reconversion politique des élites
La réinsertion des élites de
l'ex-Rébellion et des Mouvements d'Autodéfense a indiscutablement
engendré des mutations qualitatives sur le système politique. La
politique de
1 Le HCRP a pu imposer sa démarche en faisant adopter
la solution de la réinsertion aux miliciens peulh telle qu'elle fut
appliquée aux rebelles touaregs. Voir HCRP, Rapport du Forum
de Tillabéri sur l'insécurité trans frontalière et
le Pastoralisme, mars 2007.
2 Le HCRP organise des festins dans ses locaux à la fin
de chaque rencontre. Les Chefs sont ensuite reçus par le Chef de l'Etat
et repartent avec d'importantes sommes d'argent.
3 Frédéric Deycard, «Le Niger entre deux
feux... », op cit, p. 134.
105
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
réinsertion des ex-combattants qui s'est
institutionnalisée avec le temps a entraîné une
recomposition du champ politique. Cette mutation s'est
concrétisée par le changement de la configuration des rapports de
forces entre les élites politiques nationales.
Si ce processus visait manifestement à restaurer la
paix dans le Nord, il a aussi de façon indirecte contribué
à intégrer les ex-combattants dans le système que leur
« révolution » entendait briser. La fonction tribunitienne des
institutions fut favorisée par la recomposition sociologique du
personnel politique au sommet de l'État à la faveur de
l'ascension politique des ex-Chefs de la rébellion armée.
La théorie des élites en science
politique1 appréhende ces phénomènes sous deux
angles.2 Selon la conception moniste, le
pouvoir politique est concentré entre les mains d'une élite
dirigeante dont les différentes fractions s'interpénètrent
et partagent une communauté de valeurs et d'intérêt. A
cette perspective s'oppose une vision pluraliste qui
repose sur la théorie polyarchique. Cette approche met l'accent sur la
pluralité des élites plutôt que son
homogénéité. Mais ces deux visions ne sont pas
antagoniques car chacune élucide un aspect de la réalité
politique empirique.
Les anciens chefs de l'ex-rébellion constituent une
fraction de l'élite politique nigérienne qui partage certains
intérêts avec les autres fractions, mais son influence se limite
essentiellement aux politiques publiques de gestion post conflit. En outre, la
loyauté de cette élite à l'égard de la
communauté politique est sujette à
caution. Bref, en dépit de la recomposition politique par l'ascension
des ex-rebelles, l'élite politique reste partagée entre
unité et pluralité.
La réinsertion de ces élites a consacré
la constitution d'une nouvelle classe d'entrepreneurs politiques dont la
particularité réside dans son origine conflictuelle. Ces nouveaux
acteurs du jeu politique doivent tous leur ascension à la lutte
armée. L'impact de leur réinsertion a été de
consolider la dynamique de stabilisation du système politique qui leur a
offert une alternative pacifique pour défendre leurs
intérêts. Depuis les Accords de Paix, tous les gouvernements qui
se sont succédé au Niger ont compté en leur sein des
représentants de l'ex-Rébellion reconvertis en politiciens
ordinaires.
Les nominations de ces derniers ne relèvent pas de la
politique, mais de
l'administration. En d'autres termes, les quotas au
profit de l'ex-Rébellion étant acquis, le débat ne peut
que se poser en termes de la personnalité à nommer, mais jamais
sur l'opportunité du quota lui-même. Cette question du quota a
été réglée par la guerre qui est «
la continuation de la politique par d'autres
moyens» comme l'enseigne V. Clausewitz. Même si
certains militent au sein des partis politiques, il n'en demeure pas moins que
l'essentiel de leurs ressources politiques se situent dans leur qualité
d'anciens rebelles.
Aussi, le degré de reconversion politique est variable
selon les acteurs. Certains à l'exemple d'Issiad Ag Kato sont des «
militants debout »3. Ils se sont
tellement investis dans les partis politiques que seule leur origine ethnique
rappelle leur passé d'anciens rebelles. D'autres par
1 Iain McLean, Oxford dictionary
ofpolitics, Oxford, Oxford University Press, 1996, pp. 154-155.,
V.P. Varma, Modern political theory, New Delhi, Vikas
Publishing House Ltd, 1975, pp.143-221.
2 Phillipe Braud, Sociologie politique,
op cit, pp.583-596.
3 C'est le mot utilisé par l'intéressé
lors de notre entretien (Niamey, 2 octobre 2008) pour se définir
politiquement. Il est actuellement ministre des Ressources Animales moins en
raison de son passé d'ex-combattant que de son engagement partisan au
sein de la CDS Rahama dont il est le premier responsable au niveau de la
région d'Agadez. Par contre, son ancien chef Mohamed Anacko ne s'affiche
jamais publiquement sur la scène partisane bien qu'il soit militant du
MNSD Nassara au pouvoir.
106
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
contre s'appuient toujours sur leur qualité d'anciens
rebelles et se contentent d'un militantisme de figuration, voire clandestin.
Mais l'invariant qui se dégage de cette configuration est que tous ont
eu pour capital initial les acquis de la lutte armée.
L'analyse des comportements partisans des anciens Chefs
rebelles plaide pour la thèse de la déviation idéologique.
Presque tous ont rejoint le parti au pouvoir depuis fin 1999, à savoir
le MNSD Nassara de Mamadou Tandja qu'ils ont combattu au prix de leur vie. Dans
le fond, le système politique nigérien post rébellion est
proche dans certains de ses aspects du modèle consociatif
analysé par Arend Lijphart1. La similitude
tient surtout à la prise en compte du facteur ethnique dans
l'organisation institutionnelle et l'exercice du pouvoir. Cette organisation
pragmatique du pouvoir n'est pas nouvelle en Afrique où la recherche de
la stabilité politique a conduit à une approche minimaliste de la
théorie individualiste de l'Etat2. L'innovation
apportée par la rébellion touarègue au Niger a
été de consacrer la primauté du critère de
l'appartenance à la rébellion sur celui de l'origine ethno
régionale.
L'analyse de la rotation du personnel politique au sein du
Gouvernement depuis la fin de la rébellion montre bien que les anciens
rebelles touaregs se sont taillé le monopole de la représentation
de leur région au sein de l'exécutif. Ceci implique que,
désormais, être seulement ressortissant de la région
d'Agadez (Touareg ou non) est une condition nécessaire, mais pas
suffisante pour bénéficier d'un tel privilège. La
conséquence de ce parachutage des ex-rebelles dans les sphères du
pouvoir est qu'ils sont à l'abri de tous les aléas politiques
allant des changements de mouvance présidentielle, de majorité
parlementaire et même des coups d'Etat3 !
En Afrique, l'application du modèle
consociatif dans certains pays comme le Nigeria a
entraîné selon O. Nnoli une mentalité de «
ethnic watchers »4, c'est-à-dire un
réflexe parochial consistant à
apprécier toute politique ou institution publique sur des bases
ethniques. Par exemple, au moindre changement de la composition d'un
gouvernement ou même d'une équipe nationale de football, ces
« ethnic watchers 1 apprécient d'abord le
dosage ethnique et seulement ensuite le mérite.
L'inamovibilité des ex-rebelles au sein du pouvoir a
fortement aidé à intégrer dans le
5
système les élites touarègues qui
rejetaient « la prétendue démocratie en vogue au
Niger » et qui estimaient que le Niger devait
«prendre le chemin d'une nouvelle forme d'Etat
»6, s'il veut « sauver les
meubles »7. Ces ex-rebelles semblent aujourd'hui
acquis au système, sinon en sont parmi les plus ardents
défenseurs. Toutefois, cette adhésion au système politique
est purement extérieure, elle n'implique aucunement identification
à la communauté politique et aux
valeurs universalistes de l'Etat.
1 Sur la théorie consociative, voir Dauda Abubakar,
«The federal character principle, consociationalism and democratic
stabiliy in Nigeria» in Kunle Amuwo et al (eds), Federalism
andpolitical restructuring in Nigeria, op cit, p. 169.
2 Au Niger par exemple, il existe depuis 1993 des
circonscriptions dites spéciales qui assurent la représentation
des minorités toubou, arabe et gourmantché dans l'Assemblé
Nationale.
3 Rhissa Ag Boula est resté ministre de 1997 à
2004 et a travaillé ainsi avec trois régimes : la 4è
République du président Baré, le CRN de Wanké et la
5è République du président Tandja.
4 O. Nnoli, Ethnicity and democracy in
Africa, Lagos, Malthouse Press Limited, p. 24. Selon cet auteur,
sur l'autel de la stabilité, des valeurs comme la méritocratie,
l'excellence, l'égalité des citoyens ont été
sacrifiées. Cette politique conduit aussi les
bénéficiaires de la discrimination positive à demeurer
«sous-développés» pour
continuer à en bénéficier.
5 CRA, Programme Cadre de la
Résistance, op cit, p.28.
6 ibid.
7 ibid.
107
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
En termes plus explicites, les ex-combattants adhèrent
au système par nécessité et réalisme car, tout en
jugeant l'ordre politique actuel illégitime, ils n'espèrent pas
obtenir mieux par la confrontation armée. Le rêve d'un Etat
touareg indépendant s'est estompé, tout comme en 1958, où
selon la Rébellion, « les mirages d'une
indépendance dans un cadre touareg, comme nous étions en droit
d'y aspirer, s'envolait en éclat »1. Ce
réalisme des anciens rebelles est entretenu par les facilités
d'accès aux ressources matérielles et symboliques de l'Etat
grâce aux positions politiques qu'ils occupent. La rébellion a
été une sorte de raccourci aux sphères du pouvoir.
Etre ministre dans le contexte démocratique actuel du
Niger demande un investissement politique énorme et difficile qui
implique le militantisme partisan, un capital de sympathie, un minimum de
ressources financières et même peut-être de ressources
mystiques ! Les plus influents des ex-rebelles sont « dispensés
» de ce parcours de combattant car ils ont déjà fini leur
« politique » dans le maquis.
La situation des ex-combattants peut être
comparée à celle du mouvement ouvrier du 19è siècle
en Europe de l'ouest. Les ouvriers, mobilisés par les slogans
révolutionnaires marxistes, aspiraient à une révolution.
Mais le système capitaliste, par ses réformes sociales, a
étouffé le radicalisme marxiste et entraîné le
révisionnisme ou « l'économisme » (V. Lénine)
qui s'accommode du système capitaliste. Aujourd'hui, aussi bien pour les
Chefs et Cadres touaregs occupant des postes politiques que pour leurs
combattants intégrés dans les différents corps de l'Etat,
les perspectives d'un changement radical, d'une «
révolution touarègue» ont perdu
leurs vertus mobilisatrices d'antan.
Ce « révisionnisme touareg » se manifeste
dans la position des anciens rebelles face à la nouvelle
rébellion du MNJ. Ces derniers ont dès le début fait part
de leur option pour le dialogue avec le MNJ et se sont engagés à
apporter leur concours «pour la réussite du dialogue
entre les deux parties »2. Tout comme les partis
socialistes appelaient les Communistes à abandonner le slogan
maoïste « le pouvoir est au bout du
fusil» et à intégrer le système
libéral, les ex-rebelles reconvertis exhortent leurs anciens
frères d'armes à dialoguer et envisager des solutions dans le
cadre du « système ».
Dans l'ensemble, les transformations engendrées par la
réinsertion des élites ont considérablement
conforté la stabilité extérieure du système
politique. Mais cette conclusion doit être nuancée car l'analyse
révèle également que cette politique induit des dynamiques
de déstabilisation par ses effets pervers.
Paragraphe 2 : La consolidation d'une culture politique
aristocratique
Le renforcement de cette culture aristocratique produit par
l'effet d'institutionnalisation de la politique de réinsertion se
manifeste à travers une tendance au rejet de la citoyenneté
universaliste (A) et le recours à la violence (B).
A. Le rejet de la citoyenneté universaliste
La réinsertion des ex-combattants touaregs a eu comme
impact de mettre à mal un processus d'institutionnalisation de l'Etat de
droit timidement engagé depuis la Conférence
1 Ibid, p. 3.
2 HCRP, Déclaration des Chefs de Fronts,
Mouvements et Comités d'Autodéfense et Milices, 12
juin 2007.
108
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Nationale Souveraine en 1991. En légitimant la
discrimination positive en faveur d'une frange de la population, cette
politique fait ainsi dérogation au principe de l'égalité
des citoyens devant la loi que l'Etat de droit implique. Elle s'écarte
donc de la conception individualiste de la citoyenneté jusqu'ici
affirmée avec force par l'Etat. Les principes de l'Etat de droit ont
été sacrifiés sur l'autel du pragmatisme inspiré
par la volonté de restaurer la paix et préserver l'unité
nationale. C'est ce qui justifie les dérogations accordées aux
ex-combattants dans l'accès aux emplois de l'Etat et aux postes
politiques.
Cependant, cette discrimination positive n'était pas
censée se perpétuer. Par des effets pervers, la
réinsertion a enclenché de manière implicite une dynamique
de déstabilisation de l'État. En cherchant à apaiser les
tensions, elle a entretenu et consolidé une culture politique
aristocratique hostile à toute notion de droit. En d'autres termes,
à force de bénéficier de la discrimination positive, les
ex-combattants ont développé des réflexes de « super
citoyen » qui tranchent avec le discours sur l'État de droit.
Beaucoup d'ex-combattants intégrés ont brillé par leur
incapacité à se reconvertir en citoyens ordinaires, à se
soumettre à des normes universelles.
Cette attitude déviante explique dans une large mesure
les contradictions qui ont émaillé le processus des
intégrations au sein des institutions étatiques. Le
problème des révoqués et des déserteurs au sein des
FNIS en est une illustration. Les décisions prises par la
hiérarchie militaire de révoquer certains agents des FNIS (dont
des ex-combattants) en vertu des textes en vigueur ont été
qualifiées par les ex-Chefs rebelles de « renvois
complaisants »1 et «
révocations planifiées
»2, sans qu'ils ne soient capables d'en apporter
les preuves.
En fait, la faiblesse des arguments mobilisés pour
justifier la demande de réintégration des éléments
révoqués cachait mal l'esprit aristocratique qui motivait la
démarche : les ex-combattants touaregs ne sont pas des
citoyens ordinaires, ce sont des citoyens supérieurs qui ne peuvent
être régis par les mêmes lois que les autres.
Cette culture politique explique donc la répugnance des ex-combattants
à s'approprier les institutions officielles, c'est-à-dire saisir
les juridictions compétentes en la matière.
En effet, depuis la signature des Accords de Paix, il n'a
jamais été enregistré de cas où
l'ex-Résistance ou certains de ses éléments ont saisi une
juridiction pour faire valoir leurs droits. Au contraire, la tendance a
toujours été de chercher des solutions
«politiques », c'est-à-dire
dérogatoires aux textes en vigueur. La demande de
réintégration des agents des FNIS révoqués ou
déserteurs par le seul fait qu'ils sont ex-combattants apparaît de
ce point de vue comme un rejet, voire un mépris des institutions ;
surtout, lorsqu'on sait que beaucoup d'autres nigériens dans ces corps
ont écopé des mêmes sanctions pour les mêmes
fautes.
Certains ex-combattants intégrés dans des
établissements scolaires ont également développé
les mêmes réflexes aristocratiques. C'est ainsi que, très
souvent, certains d'entre eux ont sollicité du HCRP des mesures
dérogatoires lorsque leurs intérêts ne cadrent pas avec les
normes officielles. A titre d'exemple, il est arrivé, on l'a
noté, que des ex-combattants ayant redoublé à deux
reprises une classe, demandent une réinscription dans un
établissement public, ce qui n'est pas autorisé par les textes en
vigueur.
Les ex-combattants destinés aux corps militaires et
para militaires, en plus de la dérogation à eux
concédée pour l'accès à ces corps, ont
également bénéficié des mesures exceptionnelles
pendant leur formation. A l'E cole Nationale de Police de Niamey par exemple,
beaucoup d'éléments intégrés se sont
distingués par leur indiscipline sans qu'ils ne soient frappés
1 HCRP, Conclusions de la
Réunion...op cit, p. 2.
2 Ibid.
109
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
d'une quelconque sanction. Convaincus de leur
«immunité », les ex-combattants pouvaient s'autoriser le
mépris des règles disciplinaires.
De tels comportements tendent à créer une
situation d'amnistie perpétuelle où chaque manquement aux lois
est systématiquement pardonné lorsqu'il s'agit d'un
ex-combattant. Cette politique de deux poids deux mesures s'explique aussi bien
par le contexte d'émergence des politiques publiques de gestion post
conflit que par l'effet structurant des institutions.
Issu d'un rapport de force, la politique de réinsertion
était l'expression d'un affaiblissement de l'institution étatique
qui, pour des impératifs de survie, fut contrainte de faire des
concessions. Mais pour les ex-rebelles la discrimination positive en leur
faveur est une correction apportée à un système injuste
dans un pays où « la situation du peuple touareg peut
se résumer par ces quelques mots : marginalisation politique,
pauvreté absolue, persécution »1.
En d'autres termes, la politique est perçue comme légitime car
elle est la condition indispensable pour freiner «toute forme
de recolonisation du Nordpar le Sud »2.
Cette perception de la politique de réinsertion, qui
fait de la discrimination positive une condition de justice sociale, permet de
cerner les comportements déviants développés par les
anciens rebelles. Le cadre institutionnel a été en partie un
facteur explicatif majeur dans ce processus. Par sa seule existence, le HCRP
contribue au développement de cette culture aristocratique car c'est la
seule institution au Niger par laquelle les inputs
des ex-combattants intègrent la « boite noire »
du système politique.
Intégrés dans les différents corps (FAN,
Fonction Publique, Université etc.) par une procédure
exceptionnelle mise en oeuvre par le HCRP, les ex-combattants se sont
montrés incapables de s'affranchir de la tutelle de cette institution.
Il est vrai que de par sa fonction tribunitienne, le HCRP a pu contenir les
propensions à la violence des ex-combattants.
Mais cette canalisation des révoltes s'est faite au
prix d'une rupture avec les lois universelles de l'Etat. Dans toutes les
institutions où ont été intégrés les
ex-combattants, l'Etat a souvent fonctionné à deux vitesses : aux
normes officielles appliquées aux nigériens ordinaires se
greffent des normes « politiques » appliquées aux
ex-combattants « au nom de la consolidation de la paix ». Si beaucoup
d'institutions avaient brandi la loi pour refuser de telles pratiques, les
démarches du HCRP, fort de son rattachement à la
Présidence de la République, ont eu souvent raison de leur
résistance.
En servant d'instrument de politisation des problèmes
des ex-combattants intégrés, le HCRP a ainsi été le
cadre institutionnel de l'éclosion, du moins du maintien et du
renforcement d'une culture aristocratique. Les ex-combattants ont ainsi
cultivé un réflexe de déviance qui n'est pas sans
conséquence sur le processus d'institutionnalisation de l'Etat.
Ainsi, face à un problème banal, certains
ex-combattants préfèrent faire valoir leurs revendications par le
truchement du HCRP que d'emprunter la voie offerte par les institutions
classiques de l'Etat. Bref, il se dégage clairement l'impression que la
réinsertion a participé à consolider un sentiment de
supériorité des ex-combattants par rapport à leurs
concitoyens.
Le recours à la violence est une des manifestations
tangibles de cette culture politique aristocratique.
1 CRA, Programme Cadre...op cit, p.
1.
2 Ibid, p. 31.
110
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
B. Le recours à la violence
Le recours à la violence est la manifestation violente
des dynamiques de déstabilisation de l'État engendrées par
la politique de réinsertion des ex-combattants. L'explication
institutionnelle du passage à la violence peut s'insérer dans un
cadre plus éclectique emprunté au sociologue Ted
Gurr1. Cet auteur utilise la notion de frustration
relative qui « résulte du sentiment d'une
différence (négative) entre les biens que l'individu se sent
autorisé à convoiter et les biens qu'il peut effectivement se
procurer (P). Les potentialités de violence sociale sont à leur
sommet lorsqu'un maximum d'individus se trouvent placés dans une
situation identique »2.
Selon ce schéma, le passage à la violence n'est
pas automatique. Il nécessite deux conditions essentielles, à
savoir la diffusion des «normes éthiques
justificatrices» et la conviction en l'efficacité de
la violence. Les recours à la violence par les ex-combattants dans la
phase post conflit répondent pertinemment à cette grille
d'analyse. Ces derniers ont fortement intériorisé une culture
aristocratique alimentée par l'institutionnalisation des institutions de
discrimination positive. Ce processus a paradoxalement contribué
à consolider un sentiment subjectif de marginalisation qui, de facto,
légitime la perpétuation de la discrimination positive.
La politique de réinsertion est venue renforcer un
particularisme touareg que ni le discours universaliste de l'Etat, ni le
réalisme politique n'ont pu ébranler. Pour justifier la lutte
armée, les ex-combattants puisent, soit de manière diffuse dans
le registre nationaliste touareg, soit de manière rationnelle en
démontrant des défaillances dans l'application des Accords de
Paix. Il en est ainsi de la reprise des hostilités dès septembre
1997 par l'UFRA de Mohamed Anacko. La rébellion toubou des FARS avait
également repris les combats en février 1997 s'estimant
agressée par les FAN.
En 2004, après l'arrestation de Rhissa Ag Boula en
rapport avec l'assassinat de Adam Amagué, un de ses rivaux politiques,
son frère Mohamed Ag Boula avait repris le maquis et opéré
plusieurs opérations meurtrières contre l'Etat et les populations
civiles3. Jusqu'à cette période, ces violences
sporadiques ont été contenues. C'est avec le MNJ depuis 2007
qu'on a assisté à la résurgence d'une véritable
rébellion.
Les sources de légitimation de ces différentes
insurrections n'ont jamais changé, même si le MNJ tente de se
démarquer du particularisme ethnique touareg4. Outre la
facilité de légitimation de la violence, ces
phénomènes sont confortés par la conviction de
l'efficacité de la lutte armée. Celle-ci s'explique par la
vulnérabilité militaire de l'Etat, la facilité d'obtenir
des soutiens actifs (politiques, matériels, financiers, etc.) à
l'extérieur et aussi l'existence d'un cadre institutionnel (le HCRP)
dont la vocation est justement de négocier avec les rebellions
armées.
En effet, les pratiques déstabilisatrices des
dissidents touaregs illustrent l'interpénétration entre les
variables psychosociologiques et les institutions dans l'explication du recours
à la violence. L'hypothèse « frustration agression » de
Ted Gurr n'explique pas tout. Le néo-institutionnalisme en science
politique a montré la vertu explicative des institutions dans
1 Cette théorie est exposée dans son
ouvrage Why men rebel (Princeton, Princeton
University Press, 1970).
2 Phillipe Braud, Sociologie politique,
op cit, p. 427.
3 Rhissa Ag Boula était alors ministre du Tourisme. Il
bénéficia en 2005 d'une liberté provisoire en
réalité pour calmer la tension dans le Nord. En fuite depuis
janvier 2008, il dirige un nouveau Front, le Front des Forces du Redressement
(FFR). Le 14 juillet 2008, la Cour d'Assises de Niamey l'a condamné par
contumace à la peine de mort pour l'assassinat d'Adam Amagué.
4 Pour les revendications du MNJ, voir journal Le
Témoin, N°214 du 5 septembre 2007, pp. 6-8.
111
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
l'engendrement de la violence protestataire1. Le
cadre institutionnel de gestion post conflit entretient une culture
aristocratique en fournissant à tout candidat à la
rébellion le cadre d'expression de ses revendications.
C'est dans ce sens qu'il faudra interpréter l'approche
du HCRP face au MNJ, c'est-à-dire la proposition d'un plan de
négociation au Chef de l'Etat devant aboutir à un protocole
d'accord additionnel. Il est vrai que grâce à la politique de
dialogue du HCRP, beaucoup de dissidents ont été ramenés
dans le processus de paix. C'est le cas de certains éléments des
FARS en janvier 2007. Mais de manière latente, cette politique de
«main tendue » a conforté les dissidents dans le choix de la
violence comme moyen de contestation. Aussi, le passage à la violence
est stimulé par la perspective d'obtenir de la part de l'État des
concessions par la médiation du HCRP.
Les négociations antérieures avec les groupes
dissidents sont donc devenues des précédents dangereux. En 2005,
le HCRP a pu trouver un « règlement politique
» à l'insécurité dans l'Aïr
consécutive à l'arrestation de l'ancien ministre Rhissa Ag Boula
pour une affaire de meurtre. Au Forum d'Agadez de 2005 organisé à
cet effet, cette affaire judiciaire de droit commun a été
politisée. Les ex-combattants avaient alors demandé et obtenu sa
libération pour « calmer le jeu ».
Selon eux, il ne s'agirait pas d'une affaire judiciaire, mais d'une «
affaire politique qui doit être réglée au
niveau national »2.
En termes plus clairs, de l'avis de ses ex-compagnons d'armes,
Rhissa Ag Boula n'est pas un citoyen ordinaire en vertu de son statut d'ancien
chef de la rébellion touarègue. Il n'est donc pas susceptible de
poursuite par la justice nigérienne. Ce fut une véritable
opération de chantage, d'instrumentalisation des identités pour
les intérêts des ex-rebelles. L'avènement du MNJ
procède de cette même logique de pérennisation d'une
discrimination positive au profit des ex-combattants. Chaque fois que l'Etat de
droit est invoqué, les ex-combattants réagissent violemment pour
protéger leur statut de privilégiés et d'aristocrates
conquis de haute lutte.
Ces comportements montrent toute la difficulté
d'institutionnaliser un Etat démocratique au Niger, c'est-à-dire
un système où la violence reste le monopole de l'Etat, et
où les citoyens sont traités sur le même pied
d'égalité en toute circonstance. Le recours à la violence
par les ex-combattants est symptomatique d'une faible assimilation des valeurs
démocratiques et d'un déficit de loyauté envers la
communauté politique. De toute évidence, la nouvelle
rébellion du MNJ se présente comme une opportunité pour
les anciens Chefs de Fronts.
D'abord en affaiblissant l'Etat, le MNJ créé des
conditions de négociations plus favorables aux ex-Chefs de Fronts pour
faire aboutir certaines de leurs demandes. C'est ainsi qu'ils ont
profité d'une rencontre le 12 juin 2007 à Niamey pour formuler et
adresser au Chef de l'Etat certaines revendications controversées,
qu'ils ont pris soin de ne pas évoquer dans la déclaration qu'ils
ont rendue publique à cet effet3. A analyser les
revendications de ces anciens rebelles reconvertis, on est frappé par
les similitudes, sinon la filiation avec les exigences du MNJ.
Avec l'avènement du MNJ, le pouvoir s'est montré
plus sensible aux doléances de l'ex-rébellion. Le cas de la
question des 250 Cadres des Fronts et Mouvements le démontre. Le
1 Marco Giugni, «Ancien et nouvel institutionnalisme dans
l'étude de la politique contestataire » in Politique et
Sociétés, vol 21, n°3, 2002, pp. 69-90.
2 HCRP, Forum de consolidation de la paix dans la
région d'AgadeD, mars 2005, (document non
paginé).
3 Ces revendications tournent autour du «
recrutement annuel dans les corps militaires et para militaires,
l'intégration des ex-combattants formés dans les écoles
professionnelles, le remplacement ou la réintégration des
éléments révoqués pour des fautes mineures dans les
différents corps militaires et para militaires, la nomination des
responsables des ex-fronts et mouvements et leurs cadres »
etc.
112
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
traitement de ce dossier a connu une
accélération impressionnante en 2007 grâce à
l'émergence du MNJ, alors qu'il était en souffrance huit (8) ans
durant.
En outre, les anciens rebelles soutenaient l'option du
dialogue avec le MNJ parce qu'ils voulaient saisir l'opportunité pour
réintégrer certains de leurs éléments
révoqués au sein des FNIS. Beaucoup de ces éléments
se sont d'ailleurs empressés de rejoindre le MNJ espérant des
négociations avec le Gouvernement. Entre 1999 et 2006, cent quarante
quatre (144) ex-combattants ont été révoqués des
FNIS (dont quatre (4) de la Garde Républicaine) et trois (3) de la
Gendarmerie.
Les déclarations des ex-combattants lors de la
rencontre des 15 et 16 juin 2006 étaient révélatrices de
l'impasse qui bloquait le processus de paix. Ils rappelaient alors au Chef de
l'Etat que « le quota alloué aux ex-Fronts et
Mouvements d'Autodéfense reste et demeure la garantie de la paix
»1 et que les révocations des
ex-combattants des FNIS « n'étaient pas sans
conséquence sur la gestion du processus de paix
»2... Le HCRP proposa au Chef de l'Etat un «
traitement politique » qui consistait à
réintégrer les ex-combattants sur qui « il ne
pesaitpas de fautes lourdes ».
Mais cette solution qui risquait de provoquer la
résistance de l'armée n'a pas abouti. Et certains des
éléments concernés ont rejoint le MNJ. C'est dans ce sens
qu'il faut comprendre la disponibilité au dialogue des ex-Chefs de
Fronts et Mouvements. Il s'agit d'une logique utilitaire dont la
finalité est de préserver la politique de discrimination positive
conquise par la lutte armée. Devant la politique de rupture avec les
choix antérieurs initiée par le président Tandja, l'usage
de la méthode forte par les ex-rebelles s'avérait
nécessaire.
Par ailleurs, un accord avec le MNJ aurait l'avantage aussi de
renforcer les raisons d'exister du HCRP désormais rompu dans la gestion
post conflit. Le pouvoir était ainsi devant le dilemme de savoir s'il
fallait réintégrer les ex-combattants révoqués pour
apaiser les tensions ou respecter le principe d'égalité des
citoyens devant la loi. Le recours à la
violence est une manifestation tangible de la culture politique aristocratique
que la politique de réinsertion a consolidée. Cette violence
remplit des fonctions pour des puissances
étrangères ; ce qui ne signifie aucunement que celles-ci soient
à l'origine de celle-ci.
Nous soutenions que « d'un point de vue
épistémologique, l'analyse des causes de ce conflit
démontre la valeur heuristique de la distinction entre les fonctions
remplies par une institution et les causes efficientes à l'origine de
celle-ci »3 (...). Si le MNJ sert les
intérêts de puissances impérialistes (fonction), cela ne
veut nullement dire que celles-ci sont à l'origine de l'émergence
de celui-ci (cause) »4. Il ressort de ce fait que
l'explication de la résurgence de l'insécurité au nord
Niger est plus à rechercher dans l'impasse de la gestion post conflit
que dans des « complots
impérialistes» dont nous ne minimisons pas pour
autant l'importance.
1 HCRP, Conclusions de la Réunion
...., op cit, p 2.
2 Ibid.
3 Saidou Abdoulkarim « Conflit au nord Niger : esquisse
d'explication... » op cit, P. 29.
4 Ibid.
113
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
CONCLUSION
Au terme de cette analyse, de nombreux apports de
connaissances aussi bien sur l'objet d'étude que sur la
problématique adoptée sont à mettre en
évidence1. Cette recherche, faut-il le rappeler, était
basée sur cette question principale : quel est l'impact des
institutions sur la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs? Pour répondre à cette question, nous
avons adopté une problématique institutionnelle basée sur
la théorie de l'institutionnalisme historique qui s'est
développée comme perspective analytique majeure en science
politique depuis le début des années 80. Ce cadre
théorique d'analyse est lui-même appliqué selon une
démarche hypothético-déductive dans le champ de l'analyse
des politiques publiques.
En effet, pour aborder la question touarègue sous cet
angle, nous avons dû dépasser les approches classiques du
problème touareg au Niger dont la particularité réside
dans une lecture holiste du phénomène. Cette rupture
épistémologique était d'autant plus nécessaire que
depuis la conclusion des Accords de Paix, la gestion post conflit n'a pas
suscité au sein de la communauté scientifique un engouement
à la hauteur de sa portée politique. Aussi, les grilles d'analyse
jusqu'ici utilisées n'étaient plus en mesure de rendre compte des
nouveaux développements dans la crise au nord Niger qui sont largement
induits par la gestion post conflit.
L'analyse de la résurgence des tensions et de
l'insécurité dans le nord du Niger ne saurait faire
l'économie de l'étude du processus de réinsertion des
ex-combattants engagé depuis une dizaine d'années
déjà. Dans sa dimension interne, le conflit au nord Niger doit
s'analyser à partir des politiques publiques issues du règlement
de la première rébellion armée. Notre travail
répond donc à un besoin, non seulement d'approfondir la
connaissance du problème touareg au Niger, mais aussi de relativiser les
approches classiques quand à l'explication des tensions issues de la
gestion post conflit. L'idée générale que notre
problématique introduit est que le problème du nord Niger doit
s'analyser désormais à partir des contradictions de la gestion
post conflit.
Dans ce cadre, nous avons isolé certaines propositions
principales du néo-institutionnalisme historique pour construire un
modèle d'analyse et dégager des hypothèses de recherche.
Cette d'opérationnalisation du cadre théorique a consisté
à identifier trois hypothèses développées par le
néo-institutionnalisme historique à partir desquelles les axes de
la recherche ont été fixés. Ces hypothèses se
rapportent aussi à trois séquences d'une politique publique,
à savoir l'émergence, la mise en oeuvre et l'impact de la
politique sur son environnement.
C'est ainsi grâce à ces hypothèses que
nous avons filtré la foule des données existantes sur la gestion
post conflit et la question touarègue en général en
fonction de leur «pertinence ». La collecte des données a
été réalisée grâce à la technique de
l'entretien, de l'analyse documentaire et de l'observation participante. La
confrontation de nos hypothèses avec la réalité positive a
mis en évidence la valeur heuristique de celles-ci, mais aussi a permis
d'apprécier les écarts qui les séparent avec les faits
empiriques.
Avec la première hypothèse, nos enquêtes
ont largement confirmé la pertinence de la proposition de
l'institutionnalisme historique sur la continuité historique et le poids
des institutions existantes sur tout processus de changement institutionnel.
L'impact des institutions s'est manifesté de la phase de gestion du
conflit à la gestion post conflit. Aussi bien dans la
1 Le plan de la conclusion est inspiré de la
méthode proposée par Raymond Quivy et L. Van Campenhoudt dans
leur Manuel de recherches en sciences sociales,
(Paris, Dunod, 2006, pp. 215-219).
114
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
configuration des institutions nées de la gestion de la
Rébellion que dans l'orientation de la politique gouvernementale, les
institutions formelles et informelles ont considérablement
structuré les options et les résultats obtenus. Mais cette
influence historique n'occulte pas l'existence d'éléments de
rupture qui se sont manifestés dans la substance des Accords de Paix et
les institutions de gestion post conflit.
L'élément central dans la politique de
réinsertion des ex-combattants est certainement le principe de la
discrimination positive qui contraste avec les logiques d'un Etat à
prétention universaliste. Même si dans les modalités
d'application des Accords de Paix, les normes universelles de l'Etat,
c'est-à-dire les institutions existantes, ont imprimé leur marque
pour amoindrir son effet, il n'en demeure pas moins que cette politique a
consacré une rupture avec celles-ci. En outre, notre hypothèse ne
rend pas compte de l'effet d'autres variables, particulièrement celles
liées aux intérêts socio-économiques des acteurs,
à la dimension internationale de la rébellion touarègue et
aussi aux relations interpersonnelles. Dans leur émergence, les
institutions de gestion post conflit ont été influencées,
en plus des institutions existantes, par ces variables que notre cadre
théorique appréhende mal ou minimise. C'est le cas des relations
personnelles entre acteurs politiques.
Avec la deuxième hypothèse, nous avons mis en
évidence l'effet structurant des institutions sur les comportements des
acteurs. Dans la phase de mise en oeuvre de la réinsertion, les
institutions se sont ainsi présentées à la fois comme des
contraintes et des opportunités pour les ressortissants. Ces effets
institutionnels ont engendré des attitudes et des comportements de la
part des ex-combattants, attestant de ce fait de l'influence structurante des
institutions de gestion post conflit. A analyser l'ossature institutionnelle du
HCRP, il est clairement apparu que les choix opérés
antérieurement en matière de design institutionnel (ses normes de
fonctionnement, sa localisation géographique, ses attributions etc.)
expliquent dans une large mesure les choix stratégiques des acteurs.
Une des conclusions importantes à cet égard est
certainement l'explication institutionnelle du patrimonialisme dans la gestion
interne des Fronts et Mouvements par les anciens combattants. Aussi, l'analyse
a mis en exergue les changements de pouvoir induits par les institutions entre
et au sein des Fronts et Mouvements dans la phase post conflit. Mais à
ce niveau également, la problématique institutionnelle n'explique
pas tout, d'où le recours à des explications relevant d'un
registre de type culturaliste pour rendre compte de certains comportements des
acteurs.
La troisième hypothèse est certainement la plus
pertinente. L'expérience de la gestion post conflit au Niger a
confirmé l'hypothèse de l'institutionnalisme historique sur le
maintien des institutions. La notion de path
dependence rend parfaitement compte du phénomène de
« capture » de la politique de réinsertion des ex-combattants
en montrant le processus d'institutionnalisation de celle-ci et sa
transformation en une contrainte institutionnelle qui a rendu toute tentative
de rupture problématique.
En outre, la confrontation de cette hypothèse avec la
réalité a montré certains paradoxes. C'est le cas du
caractère hasardeux des initiatives de reproduction des institutions qui
ont échappé souvent aux agents du HCRP pourtant
intéressés par celles-ci. Ce paradoxe corrobore l'idée
de
115
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
l'irrationalité de la décision publique et, en
général, atteste de la pertinence d'une conception «
désenchantée » de l'Etat que l'analyse des politiques
publiques a contribué à révéler1.
En plus, avec le processus de reproduction des institutions,
il est ressorti que les ressortissants ne sont pas les seuls militants du
maintien du statu quo et acteurs du policy lock in.
On a noté également une forte implication des agents de
l'Administration, en particulier du HCRP, partagés entre deux logiques
contradictoires : celle de justifier le bilan de l'exécution d'une
mission et celle de sauvegarder les intérêts symboliques et
matériels que celle-ci a contribué à cristalliser.
La particularité de ce policy lock in
est le caractère discret, voire secret du processus de
reproduction institutionnelle, compte tenu du caractère «
dépolitisé » des Accords de Paix en général et
de la réinsertion des ex-combattants en particulier2. Il se
dégage que l'enjeu principal autour de ce conflit entre institutions de
gestion post conflit et les nouvelles orientations politiques de l'Etat touche
à un des fondamentaux de l'État, à savoir
l'idéologie universaliste.
En général, on peut estimer que les
hypothèses de recherche se sont dans l'ensemble
révélées pertinentes dans l'explication des
phénomènes observés. Les écarts constatés ne
sont pas aussi profonds pour conclure à une faiblesse heuristique de la
théorie à laquelle ces hypothèses se rattachent. Le
recours sporadique à d'autres grilles inspirées de paradigmes
différents, voire concurrents, n'altère nullement la vertu
heuristique des institutions. Au contraire, cette analyse cadre parfaitement
avec la démarche très souvent éclectique des sciences
sociales.
Ceci est d'autant plus évident que les
institutionnalistes historiques n'ont jamais considéré les
institutions comme les seules variables explicatives, ainsi que le soutiennent
Peter Hall et Rosemary Taylor : « ...Bien qu'ils attirent
l'attention sur le rôle des institutions dans la vie politique, il est
rare que les théoriciens de l'institutionnalisme historique affirment
que les institutions sont l'unique facteur qui influence la vie politique. Ils
cherchent en général à situer les institutions dans une
chaîne causale qui laisse une place à d'autresfacteurs en
particulier les développements socio-économiques et la diffusion
des idées »3.
En termes d'apport de connaissances, cette étude peut
être évaluée d'abord selon ce qu'elle ajoute à
l'état de connaissances sur la question touarègue (ce que nous
savons de plus) et ensuite, ce qu'elle nuance, corrige ou remet en question (ce
que nous savons d'autre). Sur le premier aspect, cette recherche apporte une
analyse sur un chantier laissé en friche, insuffisamment
étudié dans une perspective scientifique, du moins politologique.
De par la problématique adoptée, le problème touareg est
analysé autrement que par l'Histoire, le Droit ou l'Anthropologie.
La démarche de l'analyse des politiques publiques a
ainsi permis de « sociologiser » notre
regard sur cette question par l'examen d'une politique concrète, de son
émergence à son impact
1 Des auteurs comme Patrice Duran considèrent l'analyse
des politiques publiques comme une «pensée de crise» car cette
discipline a connu son essor pendant les crises de l'Etat-providence en
Occident. Plusieurs travaux ont contribué à déconstruire
le mythe de la rationalité absolue dans la décision publique. Le
modèle de la poubelle ou garbage can model de
Michael Cohen et James March, l'incrémentalisme de Charles Lindblom ou
encore le modèle de la «fenêtre
d'opportunité» de John Kingdon en sont des
illustrations. Voir Charlotte Halpern, «Décision» in Laurie
Boussaguet et al, op cit, pp. 153-160.
2 Les Accords de Paix sont dans sa sphère de
l'administration, ils ne sont donc pas susceptibles
de débats publics, car il s'agit avant tout pour le Gouvernement
d'honorer des engagements souscrits à l'issue d'un processus politique
exceptionnel. Le cadre institutionnel (le HCRP), de par son organisation et son
fonctionnement, a contribué faire de la question de la
réinsertion une des politiques les moins discutées en public.
3 Peter Hall et Rosemary Taylor, op cit, p.476.
116
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
sur son environnement en passant par sa mise en oeuvre.
Contrairement aux travaux antérieurs se sont concentrés sur les
causes de la rébellion touarègue, notre travail a eu pour
ambition de compléter la littérature savante par l'étude
de la gestion post conflit issue de cette rébellion. Cette recherche a
mis en lumière les processus politiques qui ont suivi les Accords de
Paix et analysé leurs impacts sur le champ politique nigérien. A
cet effet, l'élucidation des fonctions manifestes et latentes du HCRP
dans ces processus est un apport substantiel pour appréhender l'impact
de la gestion post conflit sur le système politique.
Sur le second angle, cette étude constitue une esquisse
d'explication de la résurgence du conflit au nord Niger, même si
celle-ci n'est pas au centre de notre réflexion. Notre étude sur
la réinsertion relativise certaines perspectives analytiques sur cette
question. L'analyse institutionnelle montre que le recours à la violence
est en partie le résultat d'une structuration institutionnelle. Cette
approche se démarque en cela des explications culturalistes qui
établissent un lien de causalité entre la propension culturelle
(postulée) à la violence des touaregs et la lutte armée.
L'analyse institutionnelle démontre l'existence d'un lien d'engendrement
entre les institutions et le recours à la lutte armée. Le MNJ est
une des expressions de cette dynamique.
Cette recherche permet aussi de nuancer les explications
simplistes inspirées de la sociologie dépendantiste
réduisant la rébellion armée à de
simples conspirations impérialistes. Nous avons rappelé la
nécessité de distinguer la cause
à l'origine d'un phénomène de la
fonction que celui-ci peut être amené
à remplir après sa naissance1. Le MNJ résultent
essentiellement d'une impasse de la politique de gestion post conflit (cause).
Mais une fois constituée, cette rébellion a très vite
été récupérée par des acteurs opportunistes
internes et externes (fonction).
Le processus de reproduction des institutions est un apport
important car il met en exergue la logique intrinsèque du cadre
institutionnel à se reproduire ainsi que les acteurs impliqués et
leurs rôles respectifs dans le processus. L'étude de l'impact de
cette institutionnalisation révèle que la réinsertion des
ex-combattants a engendré des dynamiques à la fois
stabilisatrices et déstabilisatrices. C'est dans cet effet ambivalent
que réside le paradoxe de cette politique.
La réinsertion des ex-combattants a été
un champ d'affrontement entre universalisme et
particularisme. Les contradictions qu'elle suscite
constituent la manifestation tangible d'une crise de légitimité
de l'Etat dont l'analyse déborde le champ des politiques publiques et
sollicite les outils conceptuels la sociologie politique. Le problème
touareg au Niger et au Mali rappelle encore une fois la pertinence du
débat posée par le Pr Basile Guissou sur la crise de l'Etat en
Afrique, notamment sur la nécessité de concevoir «
d'autres constructions politiques et institutionnelles plus
endogènes »2.
Derrière le refus des ex-combattants touaregs
d'admettre l'universalisme et le radicalisme de l'Etat contre la discrimination
positive se révèle une contradiction structurelle du
système politique nigérien. Le déficit
d'intériorisation des valeurs universelles par les ex-combattants, le
refus par ces derniers de s'approprier le cadre démocratique pour faire
valoir leurs droits, sapent la dynamique d'institutionnalisation de l'Etat de
droit et de la démocratie au Niger.
Du point de vue de l'analyse des politiques publiques, cette
tension peut être appréhendée par la notion de
référentiel que développent les
approches cognitives. Comme le montre Pierre
1 Saidou Abdoulkarim, «Conflit dans le nord : esquisse
d'explication à partir de la gestion post conflit» op cit.
2 Basile Guissou, De l'Etat patrimonial à
l'Etat de droit moderne au Burkina Faso. Esquisse d'une théorie de la
construction de l'Etat en Afrique, Thèse de Doctorat
d'Etat en Sociologie Politique, Université de Cocody, Côte
d'Ivoire, 2002.
117
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Muller, « les politiques publiques ne servent
pas (en tout cas pas seulement) à résoudre les problèmes
»1, mais plutôt à imposer des
représentations sur les problèmes. Il n'existe jamais de
consensus aussi bien sur la nature des problèmes, sur la chaîne
causale qui les produit que sur les effets de l'action publique au plan
sociétal.
Les problèmes soulevés par la réinsertion
des ex-combattants confirment cette hypothèse. L'adoption de la
politique de réinsertion est issue d'un rapport de forces, elle n'a
jamais signifié pour l'Etat nigérien la reconnaissance d'un
problème de marginalisation des touaregs. Les Accords de Paix incarnent
l'imposition par les rebelles touaregs d'une interprétation du
réel, d'une lecture particulariste de la réalité positive
que le Gouvernement a accepté par pragmatisme2. Le
Gouvernement a toujours rejeté l'idée que les touaregs seraient
les « véritables Turcs de l'Afrique»
(Mano Dayak). Cette position est toujours vivace dans les sphères du
pouvoir et au sein de l'opinion publique.
Tout aussi vivace est la conviction des ex-rebelles quand au
bien-fondé de la discrimination positive pour qui le maintien d'un Etat
à deux vitesses, qui ignore le principe de l'égalité des
citoyens devant la loi, est la condition de survie de la communauté
politique. Cette culture aristocratique de l'Etat est réelle et demeure.
Mieux, elle a été renforcée paradoxalement par
l'expérience de la gestion post conflit et en constitue, d'ailleurs, un
des effets pervers. En somme, le problème touareg reste
entier3.
Ces réflexions nous conduisent aux apports de
connaissances théoriques. A travers cette recherche, c'est la pertinence
de l'analyse institutionnelle que la science politique behavioriste et le
marxisme, entre autres, ont contribué à marginaliser, qui se
trouve confirmée et confortée. Ce travail procède d'un
effort de réhabilitation des institutions et de l'Etat en
général dans l'analyse politique4.Cependant, en
dépit de la qualité de cette problématique, il faut
reconnaître que celle-ci mérite encore d'être affinée
afin de mieux saisir les faits sociaux.
La complexité de la question touarègue,
notamment l'imbrication d'une multitude de variables à la fois
conjoncturelles et structurelles devrait conduire à des analyses
beaucoup plus éclectiques. En cela, le modèle des « trois I
» est intéressant car il combine à la fois les
intérêts, les idées et les institutions dans l'analyse des
politiques publiques. Ces trois concepts se rapportent aux trois formes de
néo-institutionnalismes, à savoir l'institutionnalisme du choix
rationnel, l'institutionnalisme sociologique et l'institutionnalisme
historique. Il est ressorti des travaux en
1 Pierre Muller, «L'analyse cognitive des politiques
publiques : vers une sociologie de l'action publique» op cit, p. 194.
2 Ce problème rappelle l'expérience historique
du Nigeria où les Nordistes musulmans (Haoussas)
bénéficient des quotas dans les universités pour rattraper
le retard accusé dans le domaine de l'éducation par rapport au
Sudistes chrétiens. Pourtant, historiquement, c'était les Emirs
du Nord qui avaient bloqué l'éducation dans leurs zones
(indirect rule) pour sauvegarder leur culture. Voir
Chris O. Uroh, « On the ethics of ethnic balancing: federal character
reconsidered » in Kunle Amuwo (ed), Federalism and political
restructuring in Nigeria, (Ibadan, Spectrum Books Limited, 2004,
p.196). Le parallèle peut être fait au Niger. Les Touaregs avaient
bénéficié des mêmes «faveurs» que les
Haoussas du Nigeria sous la colonisation ; ils ont été
épargnés de l'école, de l'armée et des travaux
forcés.
3 Voyons par exemple comment les ex-rebelles apprécient
la décentralisation. Lors de la réunion des Chefs de Fronts et
Mouvements du 15 juin 2006 à Niamey, un Chef de Front déclarait :
« 80% des élus locaux de la région d'AgadeD
étaient des détracteurs de la Rébellion, le sens de notre
rébellion, c'était le pouvoir». Autrement dit,
ils ont combattu pour leurs ennemis...
4 Des travaux dans ce sens abondent de plus en plus. Sur le
cas du Niger, on peut citer l'article de Mamoudou Gazibo « La force des
institutions : la CENI comme site d'institutionnalisation au Niger » in
Patrick Quantin (dir), Gouverner les sociétés
africaines, Paris, Karthala, pp. 65-84.
118
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
politiques publiques que chacun de ces trois courants tend
à minimiser les autres variables qui ne relèvent pas de son
champ.
C'est pour remédier à cette faiblesse que la
combinaison de ces trois outils a été pensée. Comme le
constate Yves Surel, «parler des «trois I » peut
alors se concevoir comme une façon de croiser plusieurs approches pour
comprendre les dynamiques propres à l'action publique et comme un bon
moyen de tester des hypothèses alternatives ou complémentaires
sur un même objet »1.Dans le sens de cette
nouvelle articulation théorique, Daniel Beland propose de «
réintégrer certaines variables
socio-économiques dans l'analyse institutionnelle
»2 afin de combler les lacunes de ce cadre
théorique.
Cette articulation doit aussi prendre en compte la place des
idées et des paradigmes politiques, très souvent en marge des
analyses institutionnelles. Dénis Saint Martin montre également
que la logique intrinsèque des institutions à se maintenir que la
notion de path dependence met en exergue n'est pas la
seule explication de la continuité institutionnelle. L'approche
cognitive a permis de mettre en lumière les changements qualitatifs
induits par les idées et les processus d'apprentissage so
cial3.
En outre, il faut relever la faiblesse du
néo-institutionnalisme dans l'explication du changement. La politique de
rupture engagée par le président Mamadou Tandja avec les
politiques antérieures trouve son explication moins dans le cadre
institutionnel que dans d'autres facteurs sociopolitiques internes et externes
au système politique. A cet effet d'ailleurs, André Lecours
estime que la diversité de la théorie institutionnelle n'est pas
mauvaise en soi. Le vrai problème réside dans la propension
à privilégier la continuité au détriment du
changement institutionnel4.
L'analyse institutionnelle doit également, dans la
modélisation de la problématique, préciser le contenu du
concept d'institution. S'il est vrai que ce concept a gagné en
complexité à la faveur de l'avènement du
néo-institutionnalisme, il n'en demeure pas moins qu'il est devenu
depuis lors une sorte de « fourre-tout ». Ce qui fait dire à
M. Gazibo et J. Jenson que « la multitude de
définitions et la faiblesse du consensus à ce sujet ont conduit
àfaire naître des critiques telles que celles émises par
Erhard Friedberg qui considère cette diversité des significations
données à la notion d'institution comme une preuve de la
confusion qui entoure le néo-institutionnalisme »S.
L'institutionnalisme historique gagnerait donc à concevoir
une définition plus précise et opérationnelle de cette
notion centrale.
Enfin, pour approfondir notre objet d'étude, l'analyse
de problématique de la reconversion politique des anciens rebelles nous
parait pertinente. A cet égard, les partis politiques constituent des
sites d'observations privilégiés. Le recours à la violence
par des ex-combattants pourtant intégrés dans divers corps de
l'État indique que la question de la reconversion reste posée.
L'ambivalence des comportements politiques de ces acteurs, partagés
entre les valeurs démocratiques et l'attachement à une culture
aristocratique qui nourrit des pratiques «hors système »,
appelle une élucidation scientifique plus élaborée.
1 Yves Surel, «Trois I », in Laurie Boussaguet et al,
op cit, p. 456.
2 Daniel Beland, «Néo-institutionnalisme
historique et politiques sociales : une perspective sociologique» in
Politique et Sociétés, vol 21,
n°3, 2002, p. 29.
3 Dénis Saint Martin, op cit, p. 45. Hugh Heclo
introduit le concept de policy puDDling pour montrer
que les changements de politiques publiques ne sont pas seulement une affaire
de lutte de pouvoir (powering), mais peuvent aussi
être analysés sous leur dimension cognitive. Cf Jacques De
Maillard, «Apprentissage» in Laurie Boussaguet et al, op cit, pp.
59-66.
4 André Lecours, op cit, p. 14.
5 Op cit, p.198.
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à la Restauration de la Paix durant la transition de févier
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de l'Accord du 24 avril 1995, décembre 1999
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région d'AgadeD, mars 2005
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La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
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,Mise en oeuvre de l'Accord du 24 avril
1995, août 1996
,Note sur la question de la Rébellion
Armée, mars 1995
,Poids en pourcentage des ex-Fronts et
Mouvements, juillet 2006
,Procès-verbal de
Réunion, 25 septembre 1996
,Procès-verbal du Comité Technique de
la réunion préparatoire du Comité de Pilotage,
6 janvier 1998
,Programme d'intervention HIMO au profit des
ex-combattants de l'Aïr et l'A asvak, nov. 1997
, Programme de développement de la one
pastorale, septembre 2000
,Programme de réinsertion
socio-économique de trois cent (300) ex-combattants initialement
prévus dans
les Sociétés et les Projets de
Développement, février 2006
,Planning d'activités du HCRP
2006, décembre 2005
,Planning d'activités du HCRP
2007, décembre 2006
,Protocole d'Accord sur le Cantonnement, les
Intégrations et le Désarmement (25 novembre-14
décembre
1996), décembre 1996
,Rapport de présentation du projet de
décretportant organisation du HCRP et du projet
d'arrêtéfixant les
avantages à allouer à certains agents
du HCRP, 2007
, Rapport de synthèse de la réunion
des bailleurs de fonds sur le financement du programme d'urgence
de
réinsertion socio-économique des
ex-combattants tenue à Niamey le 19 décembre 1997,
décembre 1997
, Rapport du Forum de Tillabéri sur
l'insécurité transfrontalière et le pastoralisme 17-18
mars 2007,
mars 2007
,Récapitulatif des critères
d'intégration des éléments démobilisés de la
Résistance Armée-CVT-CAD dans
certains corps de l'Etat, 1997
, Relevé des Conclusions relatif à la
détermination des effectifs (07juin-06juillet 1996),
juillet 1996
,Relevés des Conclusions de la réunion
des 4 et 5 mai 2000 relatif aux intégrations, au désarmement et
à
la réinsertion des
ex-combattants, mai 2000
,Traitement de la question des Cadres de
l'ex-Résistance Armée et des Comités
d'Autodéfense, juin 2006
PCPAA, Rapport annuel, janvier 2008
République du Niger, Document de base du
Gouvernement du Niger devant servir aux négociations avec la
rébellion, avril 1994
~~~~~~~~~~~~~~~~~, PNUD, Document de projet
Consolidation de la Paix dans l'Aïr et l'A asvak, mars
2008
125
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
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,Proposition pour un programme d'urgence de
réinsertion des ex-combattants, novembre 1997
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JORN, n°8 du 15 avril 1993
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JORN, n°18 du 15 septembre 1993
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février 1994
JORN, n°24 du 15 décembre
1994
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JORN, numéro spécial 6 du
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Thèses, mémoires, communications
DODO BOUKARI AbdoulKarim, « La conditionnalité
démocratique de l'aide au développement : le cas du Niger depuis
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126
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Colloque International sur le thème
«Armée et démocratie en Afrique : cas du
Niger», Niamey 6-9 décembre 1999
HAMANI Djibo, «Les enjeux stratégiques du Sahara
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Réflexion de l'ANDDH et Alternative Espaces Citoyens sur le thème
« conflit au nord Niger : analyse des enjeux
stratégiques et impacts sur la cadre
démocratique», Niamey, 11 août 2007
GUISSOU Basile, De l'Etat patrimonial à l'Etat
moderne au Burkina Faso : esquisse d'une théorie de la construction de
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communication à la Journée de Réflexion de l'ANDDH et
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nord Niger : analyse des enjeux stratégiques et impacts sur la cadre
démocratique». Niamey, 11 août 2007
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à l'Atelier du RODADHD sur la Stratégie Nationale de
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des Conflits au Niger. Niamey, 5 mai 2008
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rébellion armée au Niger », communication à la
Conférence sur les tensions et les crises en Afrique de
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au sein de la Résistance, mai 1996
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la réintégration et la réinsertion sociale et la
détermination des grades, 23 février 1999
127
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Annexes
Annexe 1 : Accord établissant une
paix définitive entre le Gouvernement de la République du Niger
et l'Organisation de la Résistance Armée (ORA)
Annexe 2 : Protocole d'Accord Additionnel
entre le Gouvernement de la République du Niger et l'Union des Forces de
la Résistance Armée (FPLS, MUR, FAR) et les Forces Armées
Révolutionnaires du Sahara
Annexe 3 : Accord de N'Djaména
entre le Gouvernement de la République du Niger et le Front
Démocratique pour le Renouveau (FDR).
1
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
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ANNEXE 1
ACCORD ETABLISSANT UNE PAIX DEFINITIVE ENTRE LE
GOUVERNEMENT DE LA REPUBLIQUE DU NIGER ET L'ORGANISATION DE LA RESISTANCE ARMEE
(ORA)
Préambule
Le Gouvernement de la République du Niger et
l'Organisation de la Résistance Armée (ORA),
dénommées les deux parties dans le cadre du présent accord
:
- Convaincus de la nécessité de retrouver et de
préserver la paix dans leurs pays, de consolider l'unité
nationale, et de se consacrer aux tâches de développement
socio-économique ;
- Soucieux de parachever le processus de paix engagé
par l'Accord de Paix signé à Ouagadougou le 19 octobre 1994 et
consacré par le présent accord ;
- Réaffirmant leur attachement à la constitution du
26 décembre 1992 ;
- Respectueux de la Déclaration Universelle des Droits
de l'Homme de 1948 et de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des
Peuples de 1981 ;
- Désireux de donner aux populations la
responsabilité de gérer leurs propres affaires par une libre
administration des collectivités territoriales reposant sur les
principes de la décentralisation et de la déconcentration
contenus dans la constitution du 26 décembre 1992 :
Sont convenus sous la médiation de la République
Algérienne Démocratique et Populaire, du Burkina Faso et de la
République française de ce qui suit :
TITRE I : DES PRINCIPES DIRECTEURS
Article premier: Le
présent Accord dont les dispositions sont irréversibles engage
solennellement le Gouvernement de la République du Niger et
l'Organisation de la Résistance Armée (ORA) à ramener la
paix d'une manière globale et définitive sur le territoire de la
République.
Article 2 : Les dispositions du
présent Accord lient tous les Nigériens et leurs institutions.
TITRE II : DE L'ORGANISATION TERRITORIALE ET
ADMINSTRATIVE
Article 3 : Le
découpage territorial, l'organisation et les pouvoirs des
collectivités territoriales seront définis par la loi sur la base
des travaux de la commission spéciale chargée de
réfléchir sur le découpage administratif de la
République du Niger, en conformité avec l'Accord de Paix
signé à Ouagadougou le 19 octobre 1994, en ses articles I, II et
III ainsi libellés :
A) DECOUPAGE TERRITORIAL
Article 4 : La République
du Niger est divisée en circonscriptions administratives qui sont :
- La région
- Le département
- L'arrondissement
- La commune
Article 5 : La région, le
département et la commune sont érigés en
collectivités territoriales.
2
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Article 6 : La
création et les limites des collectivités territoriales
(régions, départements, communes) et celles des arrondissements
sont fixés par la loi sur la proposition de la commission
spéciale dont seront les membres les représentants de la CRA.
B) DE L'ORGANISATION ET DES POUVOIRS DES
COLLECTIVITES TERRITORIALES
Article 7 : Les
collectivités territoriales seront dotées de conseils ou
d'assemblées élus au suffrage universel direct et dont les
présidents élus en leur sein seront les chefs des
exécutifs régionaux, départementaux et communaux.
Article 8 : Dans le cadre de
leur libre administration, les conseils ou les assemblée élus
règleront par voix délibérative leurs propres affaires
dans les domaines prévus par la loi notamment le budget, la conception,
la programmation, la mise en oeuvre, le suivi et l'évaluation des
actions de développement économique, social et culturel
d'intérêt régional ou local.
C) DES REPRESENTANTS DE L'ÉTAT
Article 9 : La
représentation de l'État sera assurée par :
- un représentant au niveau de la région
- un représentant dans le département
- un représentant dans l'arrondissement
- un maire élu dans la commune.
La dénomination de ces représentants sera
déterminée par la loi.
Article 10 : Les
représentants de l'État auront pour mission :
a) de veiller à l'application des lois et
règlements en vigueur
b) d'assurer le contrôle de la légalité
à postériori des décisions et actions des
collectivités territoriales
c) d'apporter aux collectivités territoriales,
à leur demande, conseils et assistance des services techniques de
l'État.
TITRE III: DE LA RESTAURATION DE LA PAIX ET DE
LA RECONCILIATION NATIONALE
Article 11 : Un cessez-le
--feu définitif entrera en vigueur à zéro heure (heure de
Niamey) le lendemain de la signature du présent Accord.
Article 12 : En vue de la
restauration d'une sécurité définitive, de la restauration
et de la consolidation de la paix, les deux parties décident de
créer et d'établir à Niamey dans les 15 jours qui suivent
la signature du présent Accord un Comité Spécial de Paix
composé de chacune des deux parties sur une base paritaire et de la
médiation. L'effectif de ce comité ne pourra dépasser 20
dont 14 pour les deux parties. La présidence du Comité
Spécial de Paix sera confiée au Haut Commissaire à la
Restauration de la Paix et la vice-présidence à un
représentant de l'ORA.
Les moyens nécessaires au fonctionnement du Comité
seront assurés par l'État.
3
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Le Comité tiendra des réunions
périodiques. Il pourra aussi être convoqué par son
président à la demande de l'une ou de l'autre des parties. Les
réunions du Comité feront l'objet de procès-verbaux.
Le Comité aura pour mission :
1) de veiller à l'application de l'Accord et du
calendrier établi par celui-ci
2) de veiller à ce que les dispositions de l'Accord
fassent l'objet d'une large diffusion et d'une campagne d'explication
auprès des populations nigériennes
3) de veiller à l'exécution des
opérations de désarmement et de récupération de
toutes les armes, minutions et matériels de guerre
4) de déterminer les effectifs avant le début
des intégrations.
A cet effet, il recevra notamment :
- les listes des éléments démobilisés
de l'ORA dont il procédera au décompte
- la liste des armes, munitions et matériels de guerre qui
devront être rendus et dont il contrôlera la
récupération et le stockage, et décidera de
la destination.
Le Comité Spécial de Paix aura sous son
autorité un groupe d'observateurs militaires pour la composition duquel
il sera fait appel essentiellement aux pays médiateurs.
Le groupe d'observateurs militaires aura pout tâches
pendant son mandat :
- de contrôler l'application du cessez-le-feu et de rendre
compte de ses violations éventuelles
- de contrôler dans le cadre du présent Accord la
récupération, la remise et le stockage des armes.
Les fonctions de ce groupe seront définies par un
document qui devra être arrêté avant l'arrivée des
observateurs et qui précisera les modalités de leur emploi.
Sa mission sera d'une durée de trois (3) mois,
renouvelable en cas de nécessité.
Le groupe dont le poste de commandement sera à Niamey
disposera d'antennes dans les régions touchées par le conflit.
Article 13 : Le Comité
Spécial de Paix veillera à l'exécution des
opérations de désarmement et de récupération de
toutes les armes, munitions et matériel de guerre lorsque le
Gouvernement :
- aura mis en place la loi sur la décentralisation avec un
calendrier détaillé d'application
- aura adopté le statut des unités à
statut militaire particulier avec un calendrier de création et
d'organisation de ces unités et aura mis en place ces unités
- aura mis en place avec l'appui des partenaires du Niger
l'exécution du programme d'urgence et des stratégies de
développement économique, social et culturel prévues dans
le présent Accord afin de permettre la création d'emploi dans la
zone touchée par le conflit
- aura démarré l'intégration, la
réintégration, le recrutement d'éléments
démobilisés de l'ORA dans l'Administration Publique, les Forces
de Défense et de Sécurité, les lycées et à
l'Université, et dans les projets de développement.
Pour sa part, l'ORA s'engage à désarmer et
démobiliser ses éléments.
Article 14 : Le Gouvernement
s'engage à mettre fin à l'action de tous les groupes et bandes
armées (milices, brigades etc.) susceptibles d'aggraver le climat
d'insécurité et de compromettre les efforts de paix. A cet effet
; il procédera à leur désarmement.
4
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
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Article 15 : Una amnistie
générale sera décidée en faveur des
éléments de l'ORA et des éléments des Forces de
Défense et de Sécurité ainsi que des autres agents de
l'État pour tous les actes commis du fait du conflit
antérieurement à la date de la signature du présent
Accord.
Le Gouvernement instituera une journée
commémorative de réconciliation nationale à la
mémoire des victimes du conflit et des évènements de Mai
1990 et prendra des mesures d'apaisement en leur faveur.
Article 16 : Le Gouvernement
procédera à la réintégration à la Fonction
Publique et dans les Sociétés d'État des
éléments démobilisés de l'ORA qui avaient le statut
de fonctionnaires ou d'agents publics. Le Gouvernement procédera
également à la réintégration dans les
établissements scolaires et universitaires des éléments
démobilisés de l'ORA qui avaient le statut d'élève
ou d'étudiant.
TITRE IV : DE L'ORGANISATION DES FORCES DE DEFENSE
ET DE SECURITE Article 17 : a) Unités
à Statut Militaire particulier
Il sera créé des unités à statut
militaire particulier dans les régions de l'Aïr, de l'Azawak et du
Kawar.
Le statut particulier de ces unités (commandement,
gestion des personnels, recrutement, formation, avancement) sera
déterminé par les textes réglementaires sur proposition
d'une commission interministérielle dont seront membres en outre des
représentants de l'ORA.
Ces unités auront pour mission d'assurer le maintien de
l'ordre et de la sécurité publique.
Dans le cadre de leur mission, elles devront agir de
façon coordonnées et en complémentarité avec les
forces classiques de défense et de sécurité.
Le personnel de ces unités sera composé
d'éléments démobilisés de l'ORA et de
ressortissants des régions concernées.
b) Forces Armées Nigériennes et Gendarmerie
Nationale
Dans le cadre de la restauration de la paix et de la
confiance, le Gouvernement s'engage à intégrer dans
l'armée des éléments démobilisés de l'ORA
qui recevront une formation appropriée. Ces éléments
souscriront un engagement conformément aux dispositions
réglementaires.
En plus, dans le cadre du recrutement annuel, le contingent de
recrues, ressortissants de la zone touchée par le conflit sera revue
à la hausse.
A cet effet, les textes réglementaires y afférents
seront réaménagés.
Par ailleurs, la loi 62-10 du 16 mars 1962 sur proposition du
comité interministériel prévu à l'alinéa a)
du présent article sera soumise à l'Assemblée
Nationale.
c) Forces paramilitaires
Le Gouvernement intégrera selon les textes en vigueur
au sein des Forces paramilitaires (gardes républicains, police
nationale, douane), des éléments démobilisés de
l'ORA qui recevront une formation appropriée.
5
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Pour la protection de l'environnement, de la faune et de la
flore, un accent sera mis sur le recrutement du personnel local.
En cas de nécessité, les dispositions seront prises
pour réaménager les textes en vigueur. TITRE V :
DU DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE, SOCIAL ET CULTUREL
Article 18 : Dans le cadre de
l'application de l'article 8 du présent Accord, le Gouvernement prendra
dans les domaines prévus par la loi toutes les mesures
nécessaires pour assurer aux collectivités territoriales la libre
gestion de leurs affaires dans les actions de développement
économique, social et culturel d'intérêt régional et
local.
Article 19 : En vue de
permettre le retour librement consenti et la réinsertion des personnes
déplacées, le Gouvernement s'engage, en liaison avec l'ORA, les
pays amis et les organisations humanitaires internationales concernées,
à mettre en place, d'une part, des centres d'accueil et d'orientation
où le séjour sera des plus brefs possibles et, d'autre part des
sites de réinsertion dans lesquels seront développées des
activités socio-économiques adéquates.
Article 20 : En vue du
renforcement et de l'élargissement à la zone touchée par
le conflit des actions déjà entreprises dans le cadre des aides
d'urgence au plan alimentaire, sanitaire et scolaire prévues dans
l'Accord de Paix de Ouagadougou du 9 octobre 1994, le Gouvernement s'engage, en
liaison avec l'ORA et les populations concernées, à
établir à partir des statistiques disponibles des populations
déplacées et celles déjà en place, les besoins
réels de l'aide d'urgence à insérer dans le programme
global. Ce programme sera soumis par le Gouvernement aux bailleurs de fonds en
temps opportun.
Article 21 : Dans le cadre du
programme de réinsertion sociale des éléments
démobilisés de l'ORA, le Gouvernement prendra des dispositions en
vue de leur recrutement dans les projets à haute intensité de
main d'oeuvre dans la zone touchée par le conflit.
Article 22 : Sans
préjudice des dispositions de l'article 8 du présent Accord, le
Gouvernement s'engage à prendre toutes les dispositions
nécessaires en vue de poursuivre et d'accélérer les
efforts d'investissements dans la zone pastorale par la mise en oeuvre des
nouvelles stratégies de développement visant :
A. Dans le domaine du développement rural
1) L'élevage
Une politique de rentabilisation de l'élevage prenant en
compte :
- la santé animale
- la reconstitution du cheptel
- la commercialisation du bétail et des produits
dérivés de l'élevage
- l'implantation d'unités de transformation et de
conservation des produits
- une meilleure gestion des pâturages
- l'aménagement des points d'eau et la multiplication des
puits pastoraux
- la constitution des banques
céréalières
2) L'agriculture
Une mise en oeuvre des potentialités agricoles que
recèlent les régions en assurant leur exploitation tout au long
de l'année et une transformation locale des produits par :
6
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
- l'encadrement technique des paysans
- l'appui au service d'encadrement des collectivités
- la commercialisation des produits agricoles
- la lutte contre les éléments de culture
- la création des unités de transformation et de
conservation des produits agricoles
- l'exploitation des eaux souterraines
- le renforcement des potentialités maraichères par
la mise en exploitation de périmètres hydro
agricoles.
B. Dans le domaine des mines et industries
Les mines resteront une richesse nationale dont les
bénéfices doivent permettre le développement de toutes les
régions. Pour cela, il faut :
- diversifier la production minière
- valoriser les matières premières locales à
travers l'industrialisation
- favoriser le développement de l'économie
régionale par la mise en oeuvre pour l'ensemble du secteur industriel et
minier des mesures incitatives à la création d'emplois en faveur
des populations locales qui bénéficieront d'une priorité
dans le recrutement
- transférer aux collectivités territoriales une
partie des ressources nationales générées par
l'exploitation minière et industrielle. Le taux et les modalités
de transfert de ces ressources seront déterminés par la loi sur
la décentralisation.
C. Dans le domaine du développement social et
culturel
1. Santé
- la réhabilitation des infrastructures
déjà existantes
- la construction et l'équipement de nouvelles
unités sanitaires
- la multiplication des pharmacies et des dépôts de
médicaments
- la formation du personnel
- la mise en place d'équipes mobiles de santé dans
les zones nomades
2. Education
- adapter les programmes d'enseignement selon les
réalités socioculturelles des régions
- promouvoir les langues et écritures nationales
notamment le tamachèque et le tifinar
- envisager la création d'institutions d'enseignement
supérieur dans les régions du Nord
- réhabiliter, construire et multiplier les écoles
et cantines scolaires
- former le personnel enseignant
- affecter dans la mesure du possible dans les régions,
le personnel enseignant ressortissant de ces
régions pour s'assurer d'une meilleure sensibilisation
des populations sur les problèmes de
l'éducation afin de résoudre les problèmes
inhérents au recrutement scolaire.
- Accroître le taux de scolarisation
3. Culture
- la création des centres culturels et musées
régionaux valorisant les cultures, l'histoire et les traditions
orales
- la multiplication d'échanges culturels et sportifs
interrégionaux et extérieurs
D. Dans le domaine des services
7
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
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1. Transports et communications
- l'entretien, la gestion et la construction des routes, pistes,
aéroports, auto gares
- l'ouverture et le développement du trafic aérien
afin de désenclaver les régions
- l'assouplissement des contrôles et formalités de
police
- la création, dans la mesure du possible, de stations de
radio et de télévision régionales émettant en
langues nationales et reprenant les programmes nationaux
- l'installation des moyens de communication BLU (bandes
latérales uniques) dans les centres les
plus reculés.
2. Tourisme, hôtellerie et artisanat
- envisager la suppression des visas pour les ressortissants de
l'Union Européenne
- mettre en place des vols charters directs
- assouplir les formalités d'accueil et de circulation des
personnes
- réhabiliter et promouvoir les unités
hôtelières
- prendre les mesures d'accompagnement pour relancer les
secteurs du tourisme, de l'hôtellerie et
de l'artisanat générateurs de recettes, devises et
emplois.
3. Administration Publique
Le Gouvernement, soucieux d'une participation active de toutes
les composantes de la population nigérienne à la gestion des
affaires de l'État et dans la cadre de la consolidation de la paix,
s'engage à intégrer des éléments
démobilisés de l'ORA à tous les niveaux de
l'Administration publique selon les critères de compétences et
les nécessités de l'État.
Il en sera de même pour les fonctions politiques.
E. La liste des actions ci-dessus
énumérées n'est pas limitative
Article 23 : Le Gouvernement
organisera une table ronde regroupant les pays amis du Niger et les
organisations internationales pour le financement du programme
économique et social du présent Accord.
Article 24 : Dans le souci
d'une meilleure répartition géographique des infrastructures et
des équipements, le Gouvernement s'engage à appuyer la politique
de décentralisation par une politique d'aménagement du
territoire. Cette répartition devra tenir compte des
potentialités économiques de chaque région.
Article 25 : Les dispositions du
présent Accord seront mise en oeuvre ainsi qu'il suit :
1. 15 avril 1995 : Paraphe de l'Accord définitif de paix
de Ouagadougou
2. 24 avril 1995 : Signature solennelle de l'Accord
définitif de paix de Niamey
3. 25 avril 1995 : Entrée en vigueur du cessez-le-feu
définitif à zéro heure (heure de Niamey)
4. 9 mai 1995 : Installation du Comité Spécial de
Paix
5. 31 mai 1995 : Installation d'une commission
interministérielle
6. 30 juin 1995 : Adoption du statut des unités à
statut militaire particulier
7. 1er juillet 1995 : Démarrage de
l'intégration, de la réintégration et du recrutement dans
les forces paramilitaires, les sociétés d'État,
lycées, l'Université, l'Administration publique et les projets de
développement.
8. 1er juillet 1995 : Installation du groupe d'observateurs
militaires
9. 15 juillet 1995 : Mise en place de la loi sur la
décentralisation
10. 15 juillet 1995 : Démarrage du programme d'aide
d'urgence et des projets de développement
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La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
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11. 1er septembre 1995 : Début des travaux de
détermination des effectifs
12. 1er octobre 1995 : Mise en place des
unités à statut militaire particulier
13. 1er octobre 1995 :
Désarmement/Démobilisation des éléments de l'ORA
14. 1er octobre 1995 : Démarrage de la formation et de
l'intégration des éléments de l'ORA dans les forces de
défense et de sécurité.
15. 15 octobre 1995 : Table Ronde sur le programme d'urgence.
NB : Ce calendrier n'étantpas exhaustif, le comité en
déterminera la suite.
TITRE VI : DISPOSITIONS FINALES
Article 26 : Le
présent Accord est établi en 5 exemplaires originaux
rédigés en langue française et signés par chacune
des deux parties, ainsi que chacun des 3 médiateurs.
Un exemplaire original sera conservé par chacun des
signataires.
Article 27 : Le
présent Accord qui entre en vigueur à compter de sa date de
signature, sera publié au Journal Officiel de la République du
Niger.
Fait à Ouagadougou, le 15
avri11995
ONT SIGNE
Pour le Gouvernement de la République du Niger
Monsieur MAI MAIGANA
Pour l'Organisation de la Résistance
Armée Monsieur RHISSA AG BOULA
La Médiation
Pour la République Algérienne
Démocratique et Populaire Monsieur LALA MOHAMDED
Pour la République
Française
Monsieur ALAIN DESCHAMPS
Pour le Burkina Faso
Monsieur ABLASSE OUEDRAOGO
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La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
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ANNEXE 2
PROTOCOLE D'ACCORD ADDITIONNEL ENTRE LE GOUVERNEMENT DE
LA REPUBLIQUE DU NIGER ET L'UNION DES FORCES DE LA RESISTANCE ARMEE (FPLS, MUR,
FAR) ET LES FORCES ARMEES REVOLUTIONNAIRES DU SAHARA
En application de l'Accord de Paix du 24 avril 1995, le
Gouvernement de la République du Niger, l'Union des Forces de la
Résistance Armée (UFRA/FPFS, MUR, FAR) et les Forces Armée
révolutionnaires du Sahara (FARS),
- Convaincus de la nécessité de retrouver la paix
dans leur pays
- Soucieux de préserver l'unité nationale et
l'intégrité du territoire de la république
- Réaffirmant leur attachement à la constitution du
12 mai 1996 et au respect des institutions de la République
Sont convenus, sous les auspices de la République
Algérienne Démocratique et Populaire, de ce qui suit :
Article premier: Un
cessez-le-feu définitif entrera en vigueur le 29 novembre 1997 à
00 H 00 heure de Niamey.
Le Gouvernement, l'UFRA et les FARS doivent tout mettre en oeuvre
afin d'éviter toute action susceptible d'engendrer des confrontations
dans les zones touchées par le conflit.
Article 2 : L'entrée en
vigueur du cessez-le-feu sera suivie de la libération des personnes
détenues de part et d'autre, selon les modalités
arrêtées par les deux parties.
Article 3 : Dès
l'entrée en vigueur du cessez-le-feu, les deux parties s'engagent,
chacune en ce qui la concerne, à procéder aux opérations
de déminage.
A l'issue de cette opération dont la durée ne
saurait excéder deux semaines, les deux parties constitueront une
équipe conjointe qui aura pour mission de vérifier
l'effectivité du déminage.
Article 4 : Le cantonnement des
ex-combattants prendra effet à compter du 1er janvier 1998 et prendra
fin le 31 janvier 1998. Une commission mixte procédera aux
opérations de recensement à compter du 10 janvier 1998.
Article 5 : Les
intégrations dans les unités sahariennes de
sécurité et les corps militaires et paramilitaires seront
effectives le 25 janvier 1998.
Une action sera menée en direction des
sociétés d'État et d'économie mixte en vue de
permettre l'intégration des ex-combattants démobilisés.
Dans les domaines de l'éducation et de la santé,
les intégrations se feront en fonction des dossiers
présentés et au moment opportun.
Article 6 : Il sera
créé un cadre approprié pour la recherche du financement
du programme de réinsertion socio-économique des
ex-combattants.
Article 7 : Le
désarmement des ex-combattants interviendra le 30 janvier 1998.
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La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
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DISPOSITIONS PARTICULIERES
Article 8 : Les Unités
Sahariennes de Sécurité doivent être opérationnelles
après leur formation. Pour le cas spécifique des zones à
risque, elles seront opérationnelles à la même
période. L'ex-Résistance sera pleinement associée à
la gestion du processus de décentralisation.
L'intégration et la nomination des cadres des Fronts et
Mouvements dans les emplois de l'État sont laissés à
l'appréciation du Président de la République.
Une amnistie générale sera décidée en
faveur des personnes impliquées dans les actes commis du fait du conflit
antérieurement à la date d signature du présent protocole
d'accord. Des mesures d'apaisement seront prises en faveur des populations
affectées par le conflit et l'immortalisation de toutes les victimes.
DISPOSITIONS FINALES
Article 9 : L'UFRA (FPLS, MUR,
FAR) et les FARS, à l'instar du Gouvernement nigérien, demandent
à l'Algérie de poursuivre ses bons offices pour la restauration
de la paix au Niger.
A ce titre, l'Algérie assurera en étroite
coordination avec les deux parties le suivi de la mise en oeuvre des
dispositions du présent protocole d'accord.
RECOMMANDATION
La réunion recommande au Gouvernement et au Front
Démocratique pour le Renouveau (FDR) de tout mettre en oeuvre pour
aboutir à un dénouement heureux de la situation qui
prévaut actuellement à l'Est du pays pour rétablir la paix
et la sécurité dans les meilleurs délais.
Fait à Alger, le 23 novembre 1997 ONT
SIGNE
Pour le Gouvernement de la République du Niger
ISSOUFOU OUBANDAWAKI
Pour l'Union des Forces de la Résistance
Armée (FPLS, MUR, FAR) MOHAMED ANACKO
Pour les Forces Armées Révolutionnaires
du Sahara (FARS) BARKA WARDOUGOU
Pour le Gouvernement de la République
Algérienne Démocratique et Populaire MADJID
BOUGUERRA
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La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
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ANNEXE 3
ACCORD DE N'DJAMENA ENTRE LE GOUVERNEMENT DE LA
REPUBLIQUE DU NIGER ET LE FRONT DEMOCRATIQUE POUR LE RENOUVEAU
(FDR)
Le Gouvernement de la République du Niger et le FDR,
- Convaincus de la nécessité de retrouver et de
préserver la paix dans leur pays, soucieux de
consolider l'unité nationale et de se consacrer aux
tâches de développement économique et social -
Réaffirmant leur attachement à la constitution du 12 mai 1996 et
au respect des institutions de la
République
Sont convenus, sous les auspices du Gouvernement de la
République du Tchad de ce qui suit :
I. DU CESSEZ LE FEU
Cessez-le-feu entre les Forces de Défense et de
Sécurité de la République du Niger et le Front
Démocratique pour le Renouveau par l'arrêt de toutes les
activités militaires hostiles à l'une ou l'autre des parties.
Le cessez-le-feu entre en vigueur dès la signature du
présent accord.
L'entrée en vigueur du cessez-le-feu sera suivie de la
libération de toutes les personnes détenues de part et d'autre
pour faits de guerre.
II. DES AFFAIRES POLITIQUES ET
ADMINSTRATIVES
Le Gouvernement de la République du Niger s'engage
à prendre en compte les préoccupations du FDR en matière
de décentralisation administrative ainsi que celles de la question des
minorités nationales.
III. DU DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE ET SOCIAL
Le Gouvernement du Niger s'engage à prendre toutes les
dispositions nécessaires en vue de poursuivre et
d'accélérer les efforts d'investissement dans la zone de
Kawar-Manga.
IV. DE LA PARTICIPATION A LA GESTION DES AFFAIRES
PUBLIQUES
Le Gouvernement de la République du Niger s'engage
à reprendre dans les services respectifs les fonctionnaires et agents de
l'État ayant quitté leurs services pour raisons d'ordre
politique.
Le Gouvernement de la République du Niger s'engage
à recruter de nouveaux cadres du FDR en fonction des diplômes et
de ses engagements vis-à-vis de ses partenaires au
développement.
Le Gouvernement de la République du Niger s'engage
à faire inscrire les étudiants et scolaires en vue de parachever
leurs études dans les établissements secondaires, lycées,
écoles professionnelles, les instituts et universités. Les
nominations des cadres dans les emplois de l'État sont laissées
à l'appréciation du Président de la République.
V. DES AFFAIRES MILITAIRES
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La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
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Le FDR s'engage à regrouper avec le concours du
Gouvernement les ex-combattants à Silla (Département de Diffa).
Le recensement, le désarmement et le tri se feront à Silla dans
un délai n'excédant pas deux mois à partir de la signature
du présent accord.
Les éléments des Forces de Défense et de
Sécurité ayant regagné les rangs du FDR seront
réintégrés dans leurs corps d'origine et leur situation
individuelle sera régularisée conformément aux textes
régissant les grades et fonctions dans les différents corps
militaires et para militaires.
Ceux des ex-combattants retenus après le tri seront
intégrés dans les Unités Sahariennes de
Sécurité et les corps para militaires. Le Gouvernement prendra
les mesures nécessaires en vue de la réinsertion dans la vie
active des ex-combattants démobilisés.
VI. DES REFUGIES
Le Gouvernement de la République du Niger s'engage
à organiser le retour volontaire des refugiés par le CONARAP avec
le concours du HCR et assurer leur réinsertion
socio-économique.
VII. DISPOSITIONS PARTICULIERES
Une amnistie générale sera proclamée par le
Gouvernement en faveur des personnes impliquées dans les actes commis du
fait du conflit antérieurement à la date de signature du
présent accord.
Le Gouvernement de la République du Niger s'engage
à accélérer par la procédure d'urgence
l'érection du FDR en parti politique après son
désarmement.
VIII. DISPOSITIONS FINALES
Le présent accord est établi en trois exemplaires
originaux rédigés en langues française et signés
par chacune des deux parties ainsi que le Médiateur.
Fait à N'Djamena, le 21 août 1998
ONT SIGNE
Pour le Gouvernement de la République du
Niger
Le Haut Commissaire à la Restauration de la Paix Monsieur
MOUSTAPHA TAHI
Pour le Front Démocratique pour le Renouveau
Le Vice-président
GOUKOUNI MAHAMAN ZENE
Pour le Gouvernement de la République du
Tchad
Le Ministre des Affaires Etrangères et de la
Coopération MAHAMAT SALEH ANNADIF
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La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
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Table des matières
AVERTISSEMENT I
REMERCIEMENTS II
SIGLES ET ABREVIATIONS III
INTRODUCTION GENERALE 1
PREMIERE PARTIE 12
LA CRISE DE CONSTRUCTION NATIONALE : SITE D'EMERGENCE
DES
POLITIQUES PUBLIQUES 12
CHAPITRE I : LA CONSTRUCTION DU PROBLEME TOUAREG
14
SECTION 1 : L'ORIGINE COLONIALE DU PROBLEME TOUAREG
14
Paragraphe 1 : La configuration politique
précoloniale 14
A. Une diversité de configurations et
trajectoires politiques 14
B. La primauté de la coopération sur
le conflit 16
Paragraphe 2 : La politisation de l'ethnicité
19
A. L'invention coloniale du clivage Est-Ouest
19
A. L'ambivalence de la politique touarègue du
pouvoir colonial 21
SECTION 2 : L'ETAT POST COLONIAL ET LE DEFI DU PROBLEME TOUAREG
23
Paragraphe 1 : Les limites des politiques de
construction nationale 23
A. La gestion autoritaire des clivages
politiques 23
B. La dimension géopolitique du conflit
touareg 26
Paragraphe 2 : Le règlement du conflit touareg
29
A. Le laborieux processus de paix
29
B. La double signification des Accords de Paix
32
CHAPITRE II : EMERGENCE DES POLITIQUES DE GESTION POST
CONFLIT
ET CONTINUITE HISTORIQUE 36
SECTION 1 : LA DIMENSION INSTITUTIONNELLE DES REPONSES
ETATIQUES AU PHENOMENE
REBELLIONNAIRE 36
Paragraphe 1 : La structuration institutionnelle de
la gestion du conflit 36
A. L'orientation de la politique
gouvernementale 36
B. La prolifération d'institutions
39
Paragraphe 2 : La structuration institutionnelle des
Accords de Paix 41
A. Les principes de base des Accords de Paix
42
B. Les modalités d'application des Accords
de Paix 44 SECTION 2 : LE MODELAGE INSTITUTIONNEL DANS
L'ELABORATION DE LA POLITIQUE DE
REINSERTION 47
Paragraphe 1 : La configuration institutionnelle de
la gestion post conflit 47
A. L'existence d'un cadre permanent : Le HCRP
48
B. Les mécanismes ad hoc ou
interministériels 51
Paragraphe 2 : L'empreinte institutionnelle dans le
output de la politique de réinsertion 54
A. La cooptation des élites dans l'appareil
d'Etat 54
B. Les balbutiements de la réinsertion des
ex-combattants 57
DEUXIEME PARTIE : 62
14
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
"1I.PA!T DES INSTITUTIONS SUR "A REINSERTION ENTRE
STRU!TURATION ET REPRODU!TION 62
!-APITRE I INSTITUTIONS ET "OGI#UES !O.PORTE.ENTA"ES DES 23
!. 64
SECTION 1 : LA STRUCTURATION DES STRATEGIES DES EX-COMBATTANTS
64
Paragraphe 1 : Les institutions comme
opportunité 64
A. Le statut juridique du HCRP 64
B. Le processus décisionnel au sein du HCRP
66
Paragraphe 2 : Les institutions comme
contrainte 69
A. La rigidité de l'administration
publique 69
B. Les contraintes géographiques et
linguistiques 72
SECTION 2 : LES RELATIONS DE POUVOIR ASYMETRIQUES ENTRE ACTEURS
75
Paragraphe 1 :Les relations entre acteurs
étatiques 76
A. L'organisation interne du HCRP
76
B. Les relations avec les autres
institutions 79
Paragraphe 2 : Les relations de pouvoir entre les
ex-combattants 81
A. La primauté des Fronts sur les
Mouvements 81
B. La capacité distributive des
élites 84
!-APITRE II PO"ITI#UE DE REINSERTION ET P-ENO.ENES DE PAT-
DEPENDEN!E 88
SECTION 1 : LA CRISTALLISATION DE LA LOGIQUE REPRODUCTRICE 88
Paragraphe 1 : Le HCRP comme contrainte
institutionnelle 88
A. La dynamique d'auto renforcement
88
B. Le changement des choix politiques
91
Paragraphe 2 :Les mécanismes de
résistance de l'institution 95
A. Les stratégies de survie du
HCRP 95
B. L'inflation des demandes des
ex-combattants 98
SECTION 2 : LE DOUBLE IMPACT DE LA DYNAMIQUE
D'INSTITUTIONNALISATION 101
Paragraphe 1 : Le développement d'une fonction
tribunitienne 101
A. La canalisation desfrustrations des
ex-combattants 102
B. La reconversion politique des
élites 104
Paragraphe 2 : La consolidation d'une culture
politique aristocratique 107
A. Le re jet de la citoyenneté
universaliste 107
B. Le recours à la violence
110
!ON!"USION 113
BIB"IOGRAP-IE 119
ANNE2ES 127
ANNE2E 4 1
ANNE2E ' 9
ANNE2E 5 11
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