REPUBLIQUE DU CAMEROUN REPUBLIC OF
CAMEROON
UNIVERSITE DE YAOUNDE I
THE UNIVERSITY OF YAOUNDE I
FACULTE DES ARTS, LETTRES ET SCIENCES
HUMAINES
FACULTY OF ARTS, LETTERS AND SOCIAL SCIENCES
DEPARTEMENT D'ANTHROPOLOGIE
DEPARTMENT OF ANTHROPOLOGY
CONSTRUCTION DES INFRASTRUCTURES SOCIALES POUR LES
BAKOLA/BAGYELLI ET INCIDENCE SUR LA COEXISTENCE AVEC LES BANTOU : CONTRIBUTION
A UNE ETHNO-ANTHROPOLOGIE DU CONFLIT
Mémoire présenté et soutenu publiquement en
vue de l'obtention d'un Master en Anthropologie
Spécialisation : Anthropologie du
développement
Présenté par : Bernard Aristide
BITOUGA Licencié en Anthropologie du développement
Dirigé par : Godefroy NGIMA
MAWOUNG
Chargé de Cours Ethno Anthropologue
Mai 2011
« Repérer ce qui mène au fondamental.
délaisser délibérément le reste, toute cette
multitude de choses disparates qui encombrent d'habitude notre esprit et le
détournent de l'essentiel »
Albert Einstein (1879-1955)
A, Esther NOAH NDI, Ma jeune soeur bien
aimée.
REMERCIEMENTS
Nous ne pouvons, en présentant les résultats de
notre étude, nous empêcher de penser à tous ceux qui, tout
au long de ce travail, ont soutenu nos efforts. Sans ceux-ci, ce travail
académique n'aurait sans doute été rendu possible. Nous
sommes redevable à beaucoup de personnes à qui nous tenons ici
à dire profondément merci.
Nos sincères remerciements au Docteur Godefroy NGIMA
MAWOUNG, pour son constant encouragement, ses critiques et sa
perpétuelle disponibilité à nous soutenir tout au long de
la rédaction de notre mémoire. Qu'il trouve ici l'expression de
notre profonde gratitude.
Notre reconnaissance au Professeur MBONJI EDJENGUELE, qui a su
développer en nous l'esprit scientifique. Nous n'oublions pas ses
nombreux conseils empreints de sagesse et de perspicacité.
Un merci sincère à tous les enseignants du
Département d'Anthropologie de l'Université de Yaoundé I,
à savoir : Dr. Luc MEBENGA TAMBA, Dr. Antoine SOCPA,
Dr. Paschal KUM AWAH, Dr. Célestin NGOURA, Dr. Paul
ABOUNA, M. Paul Ulrich OTYE ELOM, Mme Marcelle EWOLO NGAH, qui ont grandement
contribué à notre formation théorique et pratique. Ils ont
su créer une bonne ambiance et un climat de confiance qui a
été propice à notre épanouissement tout au long de
ces longues années de dur labeur et d'abnégation de soi.
Nous n'oublions pas les populations Ewondo, Ngoumba et Bakola
de Ngoyang et les communautés Ngoumba et Bagyelli de Bidjouka, qui nous
ont ouvert les portes de leur coeur et celles de leurs maisons et qui ont
grandement contribué à la réalisation de ce
mémoire.
Une reconnaissance particulière à Darios TANDZON
MAWATOUO, ma compagne qui a été décisive et
déterminante pour la réalisation de ce travail de recherche.
Nous ne pouvons clore cette liste de remerciements sans
évoquer les noms de : Oscar NOAH et NGA MBIDA BILONGO, mes chers
parents, qui ont oeuvré nuit et jour pour notre éducation et qui
ont tout donné pour notre formation académique.
Notre sentiment de reconnaissance à tous ceux-là
qui ont mis du leur à la mise en forme de ce travail de recherche, nous
vous sommes reconnaissant et nous vous témoignons notre profonde
gratitude.
RESUME
Notre travail de recherche porte sur : Construction
des infrastructures sociales pour les Bakola/Bagyelli et incidence sur la
coexistence avec les Bantou : contribution à une ethno-anthropologie du
conflit. La trame de fond qui a meublé ce mémoire repose
sur l'accentuation des conflits entre Bantou et Bagyelli/Bakola au sujet des
infrastructures sociales (foyer, maisons) qui ont été construites
au profit des Bakola/Bagyelli par des partenaires au développement. Pour
cerner le sujet, nous avons posé comme question principale : Pourquoi et
comment la construction des infrastructures sociales aux Bakola/Bagyelli
influe-t-elle sur les rapports de coexistence entre les Bantou et les
Pygmées à Ngoyang et Bidjouka ? L'hypothèse principale
correspondante a été : La construction des infrastructures
sociales aux Bakola/Bagyelli sonne le glas de la
supériorité des Bantou sur les Pygmées à
Bidjouka et Ngoyang. Notre cadre théorique a été construit
autour de l'ethnométhodologie et la théorie du conflit. A cet
effet, nous avons fait recours aux éléments suivants : les
ethnométhodes, les membres, le conflit, les groupes stratégiques
et l'arène. Les principales techniques utilisées dans ce travail
ont été : l'observation directe, l'entretien semidirectif, la
photographie et l'imagination.
Les résultats auxquels nous sommes parvenu sont: La
construction des infrastructures sociales aux Bakola influe sur la cohabitation
entre les Bantou et les Bakola à Ngoyang et à Bidjouka. La
sédentarisation des Bakola/Bagyelli qui passe par l'occupation des
terres appartenant aux Bantou est un facteur de conflit à Bidjouka et
à Ngoyang. La prise en charge unilatérale des Bakola/Bagyelli par
des partenaires au développement permet d'expliquer le climat
conflictuel qui prévaut sur les deux sites.
Hormis l'introduction et la conclusion, ce travail s'articule
autour de quatre chapitres : le chapitre premier porte sur la description du
cadre physique et humain des différents sites de recherche. Le second
met en exergue la définition des concepts, la revue de la
littérature et les théories explicatives. Le troisième
quant à lui porte sur la construction des infrastructures sociales aux
Bakola/Bagyelli et son influence sur leur mode de vie. Le dernier,
s'intéresse à l'analyse et à l'interprétation des
conflits.
ABSTRACT
The object of our research is entitled: The cohabit of
Bantou and Bakola/Bagyelli of Ngoyang and Bidjouka: A contribution to an
ethno-anthropology of conflict. The main idea of this dissertation is
the intensification of conflicts between Bantou and Bagyelli/Bakola concerning
the social infrastructures (cultural centres, houses) that have been
constructed for the Bakola/Bagyelli people. To solve this problem, we had to
answer the question: Why the construction of social infrastructures for the
Ngoyang and Bidjouka people influence the dayly life relationship between
Bantou and Pygmies? Our main hypothesis is: The construction of socials
infrastructures for the Bakola people influence the relationship between Bantou
and Bakola of Ngoyang and Bidjouka people. Our theorical framework is
constructed toward ethnomethodology and the conflict theory. In these theories,
we have choosen the following elements: ethnomethod's, members, conflict,
strategic groups and arena. The main technics that we have used in this
dissertation are: direct observation, interview, photography and
imagination.
These results reveal that, the construction of social
infrastructure for the Bakola people influence the dayly living relationship
between the Bantou and the Bakola people in Ngoyang and Bidjouka people. The
sedentarisation of Bakola/Bagyelli through the occupation of the bantous' lands
is a factor of conflicts in Bidjouka and Ngoyang. The fact that the
Bakola/Bagyelli people are completely in charge of the development partners
explains the conflict context in the two areas.
In addition to the introduction and the conclusion, this work
has four chapters: the first one describe the physical and human areas of the
research. The second chapter presents the definition of concepts, the
literature review and the explanations' theories. The third chapter presents
the Bakola/Bagyelli and the construction of social infrastructures in Bidjouka
and Ngoyang. The fourth chapter is based on the analysis and interpretation of
the conflicts. Our dissertation ends with a conclusion wich remind the steps
that we followed, the results that we obtain and the perspectives.
SOMMAIRE
REMERCIEMENTS iii
RESUME iv
ABSTRACT v
LISTE DES ACRONYMES ET DES SIGLES viii
A-ACRONYMES viii
B-SIGLES viii
INTRODUCTION 1
I-CONTEXTE ET JUSTIFICATION 2
a- Contexte de l'étude 2
b- Justification de la recherche 3
II- PROBLEME 3
III- PROBLEMATIQUE 4
IV- QUESTIONS DE RECHERCHE 6
V- HYPOTHESES DE RECHERCHE 6
VI - OBJECTIFS DE LA RECHERCHE 7
VII- METHODOLOGIE 7
VIII - PLAN DE TRAVAIL 12
CHAPITRE PREMIER : DESCRIPTION DU CADRE PHYSIQUE ET HUMAIN DES
SITES 13
CHAPITRE DEUXIEME : DEFINITION DES CONCEPTS, REVUE DE LA
LITTERATURE ET THEORIES EXPLICATIVES 36
CHAPITRE TROISIEME : BAKOLA/BAGYELLI ET CONSTRUCTION DES
INFRASTRUCTURES SOCIALES A BIDJOUKA ET A NGOYANG 56
CHAPITRE QUATRIEME : CONTRIBUTION ETHNO-ANTHROPOLOGIQUE A
L'ANALYSE ET INTERPRETATION DES CONFLITS 73
CONCLUSION 99
SOURCES 106
A-BIBLIOGRAPHIE 107
B-LISTE DES INFORMATEURS 113
ANNEXES 115
TABLE DES MATIERES 126
LISTE DES ILLUSTRATIONS
LISTE DES PHOTOGRAPHIES
Photo 1:Ecole publique de Bidjouka-Bambi 20
Photo 2 : Ecole publique de Ngoyang 27
Photo 3:Gibier (pangolin) pris au piège et destiné
à la commercialisation 28
Photo 4:Womi (Scorodophloeus Zenkéri)
séché à l'intérieur d'une cuisine 29
Photo 5: Produits issus de l'artisanat Bakola 30
Photo 6: Exemple de Nkola (NGALLY Sadrack) polygyne à
Ngoyang 34
Photo 7: NDIG David, voyant et guérisseur Ngyelli à
Bidjouka-samalè 35
Photo 8: NKORO Joseph, guérisseur Nkola de Ngoyang 35
Photo 9: Auvent traditionnel construit par les Bakola de Ngoyang
59
Photo 10 : Hutte traditionnelle bakola 60
Photo 11: Maison moderne bakola appartenant à Bang Bang
Roger, cacaoculteur 61
Photo 12: Maison crépie appartenant à NZIE Simon
construite par la CBCS 62
Photo 13: Intérieur de l'habitat-cuisine bakola de MANZUER
Rose 63
Photo 14: Maison appartenant à SEH Bernard construite par
la CBCS 65
Photo 15: Vue panoramique du hameau de Bidjouka-Samalè
66
Photo 16:Auvent moderne construit par la MIPROMALO à
Bidjouka-Samalè 67
Photo 17: Foyer de Ngoyang à l'abandon et en friche 68
Photo 18: Maison appartenant à un Nkola de Mimbiti et dont
les travaux sont restés
inachevés. 69
Photo 19: Intérieur d'une maison appartenant à NDIG
David (Bidjouka-Samalè) 71
Photo 20: Ngyelli du campement de Maschouer-Maschouer venu se
plaindre 84
Photo 21: Maison appartenant à NGUIAMBA Moïse, un
Nkola à Ngoyang 86
Photo 22: Maison appartenant à MABARI
Désiré, un Bantou à Ngoyang 86
Photo 23: Maison construite par la CBCS à Mimbiti 91
Photo 24: Etat des lieux après l'altercation qui avait
suivi l'interdiction 92
LISTE DES CARTES
Carte 1: Sites d'étude 17
Carte 2: La position maritime des Bakola par rapport aux autres
groupes Pygmées. 30
LISTE DES TABLEAUX
Tableau 1 : Rapport séquentiel des élèves
Bagyelli de l'école publique de Bidjouka --Bambi
(Année scolaire : 2010-2011) 21
Tableau 2 : Rapport de rentrée scolaire de l'école
publique de Bidjouka-Bambi 22
Tableau 3 : Effectif des enfants Bakola inscrits à
l'école publique de Ngoyang 26
Tableau 4 : Progression scolaire des enfants Bakola par niveau
d'apprentissage 26
LISTE DES ACRONYMES ET DES SIGLES
A- ACRONYMES
CED Centre pour l'Environnement et le
Développement.
COTCO Cameroon Oil Transportation Company
FEDEC Fondation pour l'Environnement et le
Développement au Cameroun
FONDAF Foyer Notre-Dame de la Forêt
MINAS Ministère des Affaires Sociales
MINATD Ministère de l'Administration
Territoriale et de la Décentralisation
MINDAF Ministère des Domaines et des
Affaires Foncières
MINFOF Ministère de la Forêt et de
la Faune
MIPROMALO Mission de Promotion des
Matériaux Locaux ORSTOM Office de la Recherche
Scientifique et Technique Outre-mer
RACOPY Réseau Recherche Actions
Concertées Pygmées
RAPID Réseau d'Action Participative aux
Initiatives de Développement
SAILD Service d'Appui aux Initiatives Locales de
Développement
B- SIGLES
CBCS Cameroon Biodiversity Conservation
Society
CCPP Chad Cameroon Pipeline Project
CNDHL Commission Nationale des Droits de l'Homme
et des Libertés
DFID Department for International Development
FPP Forest Peoples Project
GRAD-PRP Groupe de Recherche et d'Action pour le
Développement des Populations Rurales et Pygmées.
GRPS Groupe de Recherche en Santé
Publique
ONG Organisation Non Gouvernementale
PDPA Programme de Développement des
Peuples Autochtones
PDPP Plan de Développement des Peuples
Pygmées
PNDP Programme National de Développement
Participatif
PPAV Plan pour les Peuples Autochtones
Vulnérables
PSEDD Planet Survey-Environment et
Développement Durable
PPTE Pays Pauvres Très Endettés
SNV Netherlands Development Organisation
(Association Néerlandaise
d'Assistance au Développement)
INTRODUCTION
I-CONTEXTE ET JUSTIFICATION
a- Contexte de l'étude
Dès les premiers jours de son indépendance, le
Gouvernement camerounais a décidé de sédentariser les
Pygmées pour en faire des Camerounais à part entière, des
forces vives pour un pays en voie d'unification et de construction. En 1960, la
sédentarisation trouve un début d'application à l'Est. Il
en fut de même pour les Bagyelli/Bakola de BipindiNgovayang-Lolodorf,
Département de l'Océan, Province du Sud (actuellement devenue
Région)1. Aux alentours des années 1968, le
deuxième plan quinquennal de développement (1965-1970) lance
l'opération baptisée « opération mille pieds »
visant à développer les cultures de rente chez les Baka. De
multiples actions d'insertion sociale sont en méme temps
envisagées pour l'émancipation de ces peuples de la forét.
Les Pygmées n'ont plus dès lors cessé de préoccuper
le monde scientifique. Plusieurs études ont été
réalisées par le Gouvernement d'après les
indépendances, les missionnaires ainsi que les chercheurs en sciences
sociales. Les objectifs visés par l'Etat du Cameroun, étaient
d'assurer l'intégration socio-économique des Pygmées dans
la société et de promouvoir leur autonomie économique,
financière et sociale. L'action gouvernementale a été
progressivement complétée sur le terrain par celle des Eglises et
des Organisations Non Gouvernementales(ONG) qui ont appuyé et
accompagné ces populations dans les domaines de l'éducation, de
l'agriculture et de la santé. C'est dans cette optique que les
Bakola/Bagyelli2 de la région côtière ont
bénéficié des infrastructures sociales construites avec
l'appui financier et technique de deux partenaires au développement. A
Bidjouka(Bipindi) les Bagyelli ont bénéficié en 2008 de
huit maisons financées par les Fonds PPTE (Pays Pauvres
Très Endettés) et construites par la MIPROMALO
(Mission de Promotion des Matériaux Locaux). Ceux de
Ngoyang(Lolodorf), par contre, se sont vu construire en 2001 un foyer scolaire
pour leurs enfants par le SAILD/APE (Service d'Appui aux
Initiatives de Développement Local/Autopromotion des Pygmées dans
leur Environnement), et six maisons construites par l'ONG CBCS (Cameroon
Biodiversity Conservation Society) en 2006. Ces actions de développement
n'ont pas été sans conséquences sur le « relationship
» entre les Bantou et leurs voisins Pygmées. Elle a eu comme
incidence majeure, la détérioration du tissu social des Bantou
(Ngoumba, Fang, Ewondo, Bassa, etc.) des localités concernées
avec les Bakola/Bagyelli.
1 Décret NO2008/376 Du 12 Novembre
2008 portant organisation administrative de la République du
Cameroun. 2 Un des trois principaux groupes de Pygmées du
Cameroun qui sont localisées dans la région côtière.
Nous conserverons ces noms et cette orthographe pour la suite de notre
étude. Ngyelli au singulier et Ba-Gyelli au pluriel. C'est ce nom
qu'ils se donnent eux-mêmes au Sud, dans la zone de Kribi, alors que
leurs frères du Nord, zone de Lolodorf, se nomment Ba-Kola
(sg.Nkola).
b- Justification de la recherche
Raison scientifique
Il n'existe pas de réalité, de connaissance,
de vérité en soi. La connaissance, y compris scientifique,
s'acquiert et se vérifie tout à la fois dans et à
l'épreuve de l'expérience, selon un critère de «
satisfaction ». Il n'est pas lors d'objectivité hors des gens et
des chercheurs. Il y a seulement accord de la communauté des chercheurs,
et constitution de connaissances relatives qui deviennent de plus en plus
vraies par addition de significations et de
vérifications3.
Le cas des Pygmées en général, et des
Bakola /Bagyelli en particulier, n'échappe pas à cette oeuvre de
rupture - déconstruction - vérification. Les Pygmées n'ont
plus cessé de préoccuper le monde scientifique depuis la
période coloniale jusqu'à nos jours. Plusieurs études ont
été réalisées par les administrateurs coloniaux, le
Gouvernement camerounais, les missionnaires ainsi que des chercheurs de tout
champ de connaissance. Mais, ces différentes études n'ont pas
épuisé la question pygmée au Cameroun. Il reste encore des
aspects de leur vie ancestrale et actuelle qui interpellent les
spécialistes des sciences sociales. C'est donc pourquoi, il nous a paru
utile de nous intéresser aux rapports de coexistence des Bakola/Bagyelli
avec leurs voisins Bantou et les conflits qui en découlent. La
finalité d'une telle étude vise à apporter des
connaissances nouvelles dans le champ scientifique de l'Anthropologie de
développement de ces peuples.
II- PROBLEME
L'histoire migratoire donne à retenir que les
Bakola/Bagyelli entretiennent avec leurs voisins bantous des rapports
très anciens. Leur étroite parenté linguistique avec les
Kwassio (Ngoumba, Mabéa) laisse penser que leur histoire est plus ou
moins liée aux migrations ancestrales de ces derniers. Longtemps
basée sur un système d'échanges
déséquilibrés et motivée par une réelle
subordination, la coexistence des Bakola/Bagyelli avec les Bantou était
marquée par la domination et l'assujettissement des Pygmées par
les Bantou qui sont devenus leurs « maîtres »4. De
ces rapports de forces inégales, sont nés des conflits qui ont
permis la structuration des rapports de coexistence entre « Grands Noirs
» et Pygmées. La venue de la modernité a
contribué à l'évolution du mode de vie des Pygmées
qui s'est mué au fil des années du nomadisme au
semi-sédentarisme pour aboutir au sédentarisme. Le corollaire de
ce processus de sédentarisation fut l'apparition progressive d'habitats
précaires et permanents
3 Gauchotte, P. 1992, Le pragmatisme, Que sais-je ? Paris,
P.U.F.
4 NGIMA M.G ; 1993 Le système alimentaire des
groupes pygmées Bakola de la région de Campo ; Thèse de
Doctorat, Paris.
parfois proches, voire carrément au bord d'une piste,
et à proximité d'un village bantou. Cette transition a eu comme
conséquence l'émancipation des Bakola/Bagyelli qui les a conduit
à aspirer à l'amélioration des conditions de leur vie.
Cette mutation a amené les Pygmées à vouloir s'affranchir
de la domination de leurs anciens « maîtres-protecteurs ».
Ces aspirations à l'autonomisation ont
été mal perçues par les Bantou qui, à partir de ce
moment, ont multiplié des stratagèmes pour briser cet élan
de libération. Dès lors, sont apparus des conflits qui ont
grandement contribué à la détérioration des
rapports de coexistence entre Bantou et Pygmées. Le passé
récent de la cohabitation entre Ngoumba et Bagyelli à Bidjouka
d'une part, et Ewondo et Bakola à Ngoyang d'autre part,
révèle la permanence des conflits entre ces communautés.
Du vol de nourriture dans les champs des Bantou par les Pygmées,
à l'exploitation abusive des Bakola/Bagyelli par les Bantou, les
conflits n'étaient pas déjà, dans la majorité des
cas, à négliger. Car, on signale méme le
décès d'un Ngyelli en 1996 à Bidjouka des suites d'une
raclée qui lui avait été administrée par certains
habitants du village qui l'avaient accusé de vol des régimes de
banane-plantain dans leurs champs. Très souvent, les heurts jusqu'alors
signalés à Bidjouka et à Ngoyang étaient de faible
ampleur et se soldaient toujours par une issue pacifique.
La construction de logements par les partenaires au
développement (GRPS, SAILD/APE et CBCS) a été
initiée pour promouvoir l'autopromotion des Pygmées dans leur
environnement. Cette prise en compte de la cause pygmée visait, autant
que faire se peut, à recaser les Bakola/Bagyelli vivant sur la ligne du
tracé du pipeline (Doba-Kribi) et à les inclure dans le processus
de développement global de leur localité. Force est de
constater que la construction de ces infrastructures sociales est venue non
seulement accroître l'intensité des tensions et des conflits qui
existaient entre ces différentes communautés, mais aussi et
surtout créer une nouvelle forme de conflit : l'acceptation par les
Bantou que les Bakola/Bagyelli habitent des maisons mieux construites que les
leurs. Or, les Bantou se sont toujours considérés comme des Etres
supérieurs aux Pygmées. Ils vivent et conçoivent mal le
fait que les ONG préfèrent construire des maisons à leurs
« serviteurs » qu'à eux. Larvés et anodins qu'ils
étaient par le passé, ces conflits sont devenus en 2007(Ngoyang)
et 2008(Bidjouka) ouverts, entraînant comme conséquence la
détérioration des rapports de cohabitation entre Ngoumba versus
Bagyelli de Bidjouka et Ewondo et Bakola de Ngoyang.
III- PROBLEMATIQUE
Aussi paradoxale que puisse paraître la situation qui
prévaut à Bidjouka et à Ngoyang, il faut s'efforcer,
à partir de quelques pistes de réflexion, de mieux expliciter le
problème
suscité par la construction d'infrastructures sociales
aux Bakola/Bagyelli de Bidjouka et de Ngoyang. On est, dès lors, conduit
à interroger l'histoire des relations de cohabitation entre ces
différentes communautés (Pygmées et Bantou), mais
également la culture des Bantou et celle des Bakola des localités
étudiées.
En effet, on peut relever que les Bantou nourrissent à
l'endroit de leurs voisins Bakola un certain complexe de
supériorité qui les pousse à considérer les seconds
comme des « soushommes » et à n'avoir, par conséquent,
aucune considération à leur égard . Ils recourent aux
Pygmées quand il s'agit de bénéficier des soins
thérapeutiques administrés par les Bagyelli, ou quand il s'agit
de se procurer du gibier ou certaines espèces
végétales.
En convoquant les notions
d'ethnométhodes et celles de
membre, nous allons tenter de comprendre pourquoi la
construction des infrastructures peut avoir une influence sur la cohabitation
entre Bantou et Bakola. Car le conflit est souvent larvé,
c'est-à-dire qu'on ne peut pas forcément le voir « à
l'oeil nu ». Ce qui veut dire qu'un visiteur extérieur, une
personne étrangère au groupe ou à la communauté,
pourra ne pas prendre conscience de son existence. Seule une familiarité
plus grande avec ces personnes et ces structures, ou une analyse approfondie,
voire anthropologique, pourra pointer l'existence d'un conflit.
En sollicitant le concept de
conflit, nous aurons ainsi un moyen d'aller
au-delà de la façade consensuelle et de la mise en scène
en direction de l'extérieur que les Bantou et les Bakola/Bagyelli
peuvent proposer à toute personne étrangère à leur
vécu quotidien. Ceci est particulièrement important dans le cas
des discordes qui surviennent régulièrement lorsqu'il s'agit de
mener une action de développement en faveur des Pygmées. Cela a
été observé lorsqu'il a fallu dédommager les
populations riveraines du tracé du pipeline Tchad-Cameroun dans les
arrondissements de Lolodorf et de Bipindi5.
A travers l'identification des groupes
stratégiques, nous allons comprendre comment les
Bakola/Bagyelli s'organisent autour d'une appartenance groupale commune pour
défendre leurs intérêts et répondre à
l'agression faite sur eux par les Bantou, quand il s'agit de la mise en oeuvre
des projets de développement orientés en leur direction.
La notion d'arène nous
permettra de comprendre pourquoi la construction des infrastructures sociales
aux Bakola/Bagyelli a fait de Bidjouka et de Ngoyang des lieux de
confrontations entre des acteurs sociaux en interaction autour d'enjeux
communs.
Ces quelques voies de résolution du problème
suscité que nous venons d'évoquer peuvent nous pousser à
explorer l'origine des tensions sociales survenues au lendemain de
5 Samuel Nguiffo, secrétaire
général du CED (Centre pour l'environnement et le
développement), in le Courrier ACP-UE janvier-février 2002.
l'appropriation de ces logements sociaux par les Bakola. Car
pendant que certains Bantou habitent de vielles maisons
délabrées, leurs voisins Pygmées sont logés dans
des habitations meilleures que les leurs. Tout ceci fait dire aux Bantou qu'on
assiste là à une inversion de la structure sociale à
Bidjouka et Ngoyang.
Nous nous intéressons également aux Bakola pour
voir quelle est leur part de responsabilité dans ces conflits. Nous
serons amenés, dans un premier temps, à souligner que les Bakola,
de par leurs activités cynégétiques et de cueillette,
adhèrent partiellement à ces actions de développement. A
Bidjouka, le hameau est souvent laissé à l'abandon pour une
période de deux à trois mois, le temps que dure la saison de
chasse. A Ngoyang, le phénomène des déperditions scolaires
des enfants Bakola est fréquent. Ce qui n'est pas du goût des
Bantou. Nous pouvons aussi relever la façon avec laquelle ces
habitations sont entretenues par leurs propriétaires.
IV- QUESTIONS DE RECHERCHE
Nos questions de recherche se subdivisent en deux volets : la
question principale et les questions secondaires.
Question principale
Qp : Pourquoi et comment la construction des
infrastructures sociales aux Bakola/Bagyelli influe-t-elle sur les rapports de
coexistence entre les Bantou et les Pygmées à Ngoyang et Bidjouka
?
Questions secondaires
Q1 : Comment les Bantou perçoivent-ils
la construction des infrastructures sociales de qualité aux
Bakola/Bagyelli de Ngoyang et Bidjouka ?
Q2 : Pourquoi la construction des maisons
modernes aux Bakola/Bagyelli sur des terres appartenant aux Bantou a-t-elle une
influence sur la coexistence entre les Bantou et les Pygmées ?
Q3 : Pourquoi l'approche unilatérale
des partenaires au développement au sujet de la construction des maisons
a-t-elle une incidence sur l'harmonie sociale entre les Bantou et les
Bakola/Bagyelli ?
V- HYPOTHESES DE RECHERCHE
Face à la nature du problème, nous émettons
les hypothèses suivantes :
Hypothèse principale
Hp : La construction des infrastructures
sociales aux Bakola/Bagyelli sonne le glas de la
supériorité des Bantou sur les Pygmées à
Bidjouka et Ngoyang.
Hypothèses secondaires
H1 : La qualité des maisons
construites aux Bakola/Bagyelli joue sur la représentation sociale des
Bantous à l'endroit des Pygmées. En effet, le bantou vit mal le
fait que le Nkola ou le Ngyelli soit mieux logé que lui.
H2 : Le caractère durable de ces
infrastructures sociales, doublé du fait qu'elles sont construites sur
des terres appartenant aux Bantou influe sur la coexistence entre ces deux
communautés.
H3 : L'approche unilatérale des
partenaires au développement au sujet de la construction des maisons ne
garantit pas l'harmonie sociale entre Bantou et Pygmées. Cette
démarche contribue à exacerber les tensions qui découlent
de la convoitise et de la jalousie des uns sur les autres.
VI - OBJECTIFS DE LA RECHERCHE
Objectif principal
Op : Montrer pourquoi la construction des
infrastructures sociales aux Bakola/Bagyelli influe sur les rapports de
coexistence actuelle entre les Bantou et les Pygmées de Bidjouka et
Ngoyang.
Objectifs secondaires
O1 : Interroger le système
représentatif et psychologique des Bantou pour comprendre la perception
qu'ils ont au sujet de la construction des infrastructures sociales aux
Bakola/Bagyelli.
O2 : Monter comment la construction des
maisons pour les Bakola/Bagyelli sur des terres appartenant aux Bantou a une
influence sur la coexistence entre ces deux communautés.
O3 : Démontrer que la prise en charge
unilatérale des partenaires au développement au sujet de la
construction des maisons pour les Bakola/Bagyelli ne garantit pas l'harmonie
sociale à Bidjouka et Ngoyang.
VII- METHODOLOGIE
Choix des sites de recherche
Le choix des villages Bidjouka et Ngoyang ne s'est pas
effectué ex nihilo. Au regard de notre sujet de recherche et de la
problématique qui s'y dégageait, il nous fallait trouver
dans le Département de l'Océan des
localités qui se prêtaient à notre sujet de recherche.
C'est ainsi que les villages de Bidjouka et de Ngoyang ont été
retenus comme sites de recherche. Dans le premier, un hameau moderne a
été construit en 2008 par la MIPROMALO aux Bagyelli du campement
de Binzambo6 et cela avait conduit à la dégradation
des rapports de cohabitation entre les populations Ngoumba et les Bagyelli.
Dans le second, un foyer scolaire (2001) et des maisons d'habitation (2006)
avaient été construits aux Bakola respectivement par le SAILD/APE
et CBCS et cela avait eu comme conséquence l'accentuation des conflits
entre les Ewondo et les Bakola, ce qui a contribué à la
détérioration du climat social de la localité. C'est fort
de ces cas spécifiques de conflits constatés dans ces deux
villages que nous avons décidé de les retenir comme point
d'ancrage de notre travail de recherche. Toutefois, il faut souligner que ce ne
sont pas les seules localités où des conflits entre Bantou et
Pygmées ont été signalés dans les arrondissements
de Bipindi et de Lolodorf.
|
Méthodes et techniques de collecte de
données
|
a- Méthodes de collecte de données
La méthode de recherche est un ensemble de
démarches que suit l'esprit pour découvrir et démontrer la
vérité scientifique7.
1- La recherche documentaire
Si les documents renferment des informations utiles au
chercheur, dans la plupart des cas celles-ci n'apparaissent pas de façon
évidente. Un travail d'analyse est nécessaire pour les extraire.
C'est dans cette optique que la recherche documentaire a pour objet de
permettre au chercheur (et à son futur lecteur) de se représenter
les différentes approches possibles d'un même objet. La recherche
documentaire peut être entendue ici comme la connaissance des livres ou
tout simplement le répertoire des écrits relatifs à un
sujet donné. Cette étape doit permettre au chercheur
d'élaborer sa propre démarche à partir des connaissances
acquises par ses prédécesseurs. Et de fait, on ne part de rien.
D'autres ont travaillé, pensé avant nous, et ce méme si au
début nombre d'étudiants croient spontanément qu'il :
« n'y a rien » sur le sujet. Ou comme le disait Bernard de
Chartres, un auteur du Moyen Age que Marx
affectionnait particulièrement : « Nous sommes des nains
juchés sur des épaules de géants. Nous voyons
6 Binzambo est un campement situé à une
dizaine de kilomètres de Bidjouka, mais dont les populations
dépendent de l'autorité du Chef de Groupement de Bidjouka.
7 Joël Kambale Sihalikyolo ; impact de NTIC
sur la vie socio- économique cas de la ville de Beni. TFC
inédit, UOR ; 2007-2008
ainsi davantage et plus loin qu'eux, non parce que notre vue
est plus aigue ou notre taille plus haute, mais parce qu'ils nous portent en
l'air de toute leur hauteur gigantesque ... ».
2- Méthode ECRIS8
La méthode ECRIS
(Enquête Collective Rapide d'Identification des Conflits et
des Groupes Stratégiques...) est un canevas
d'enquête collective multi-sites, qui a été mis en oeuvre
à l'occasion de divers travaux récents en Afrique9.
Cette méthode a été mise au point en 1995 par le
LASDEL (Laboratoire d'Etudes et Recherche sur les Dynamiques
Sociales et le Développement Local) qui est un centre de
recherche en Sciences Sociales basé à Niamey(Niger) et
dirigé par Jean Pierre Olivier de Sardan et
Thomas Bierschenk10. De nombreux chercheurs font
mention des avantages de l'enquête collective sur l'enquête
individuelle. L'enquête collective permet, dans certaines conditions, une
confrontation des interprétations de terrain, une plus grande
explicitation des problématiques, une triangulation mieux
assurée, une meilleure prise en compte des contre-exemples, une plus
grande vigilance dans la rigueur empirique. Mais elle ne saurait être une
recette-miracle. Une recherche en équipe suppose en fait des alternances
de phases collectives et de phases individuelles.
Le canevas ECRIS voudrait simplement
optimiser les avantages d'une recherche en équipe, et réguler
cette alternance. Il suppose un savoir-faire professionnel et ne saurait en
dispenser. Il ne substitue en aucune façon à la nécessaire
vigilance du chercheur sur le terrain, mais voudrait en permettre l'exercice
dans un cadre collectif. Il voudrait faciliter la mise en oeuvre des
compétences anthropologiques au sein d'une équipe s'attaquant
à certains types de chantiers empiriques comparatifs. Il suppose
toujours, après la phase collective, une phase individuelle
d'enquête approfondie et d'observation participante. ECRIS ,
n'est donc pas un nouveau « produit » à placer sur le
marché aujourd'hui en expansion des études rapides, des
enquêtes pressées et des évaluations au pas de course.
C'est plutôt un canevas de travail pour une recherche
socio-anthropologique comparative multi-sites, menée en
équipe, avec une phase collective « rapide »
précédant une phase de « terrain » classique, laquelle
reste indispensable et réclame une investigation individuelle
relativement intensive et donc relativement prolongée. Si la phase
collective est rapide, l'enquête complète ne l'est pas, et le
travail d'équipe passe par des recherches individuelles
coordonnées.
8 Un exposé approfondi de la méthode
ECRIS se trouve dans la partie Annexes de notre
mémoire.
9 Des enquêtes s'appuyant sur le canevas
ECRIS ont été menées sur les pouvoirs locaux, au
Bénin (cf. Bierschenk&Olivier de Sardan eds, 1998), en Centrafrique
(cf. Bierschenk&Olivier de Sardan, 1997b), au Niger (Olivier de Sardan
1999, Moussa 2003, Hahonou, 2003, Elhadji Dagobi 2003, Mohamadou 2003), au Mali
(Kassibo, éd. 1998) ;sur la corruption, au Niger, au Bénin et au
Sénégal (Blundo & Olivier de Sardan, 2001) ;sur la
santé, au Niger, au Mali, au Sénégal, en Guinée et
en Côte d'Ivoire (cf.Jaffré&Olivier de Sardan,2001) ;
10 T. Bierschenk, professeur à
l'Université de Mainz, Allemagne, est chercheur associé au LASDEL
et membre de son conseil scientifique.
b- Techniques utilisées
Nous avons choisis quatre techniques qui ont contribué
à collecter une quantité importante de données
qualitatives. Ces techniques sont :
L'observation
Peu importe si l'expression, souvent contestée, est
heureuse ou non. Ce quelle connote est relativement clair. Par un séjour
prolongé chez ceux auprès de qui il enquête (et par
l'apprentissage de la langue locale si celle-ci lui est inconnue),
l'anthropologue se frotte en « chair et en os » à la
réalité qu'il entend étudier. Il peut ainsi l'observer,
sinon de l'intérieur au sens strict, du moins au plus près de
ceux qui la vivent, et en interaction permanente avec eux. Le but d'une telle
manoeuvre, vise chez le chercheur à devenir « membre » de la
dite communauté et à ne plus être considéré
comme un étranger. L'observation participante devient dès lors un
stratagème, utilisé par le chercheur pour se familiariser avec
ses hôtes afin de comprendre du dedans le sens que les acteurs
eux-mêmes donnent à leurs actions quotidiennes. Ces séjours
prolongés à Bidjouka et à Ngoyang, nous ont permis de
collecter des informations utiles et essentielles auprès de nos
informateurs ; Car ce n'est qu'après avoir vécu dans le
méme environnement pendant plusieurs mois qu'on peut approfondir sa
connaissance de la communauté et qu'on peut obtenir des données
supérieures, non seulement en quantité, mais surtout en
qualité.
Entretien
L'entretien ou interview a été défini par
Bingham et Moore comme
étant une conversation avec un but.11 On distingue
classiquement trois types : l'entretien non directif ou libre, l'entretien
semi-directif et enfin l'entretien de type directif ou standardisé,
technique proche du questionnaire à questions ouvertes, qui vise
à explorer un domaine d'étude.
L'entretien peut être plus ou moins directive selon que
l'on cherche à contrôler un type d'information (c'est le cas de
l'entretien de type directif), à vérifier une situation ou un
domaine donné (entretiens semi - directif et directif), à
l'approfondir (entretien non directif et semi - directif) ou à
l'explorer (non-directif). Tout ceci reste fonction des objectifs à
atteindre et des hypothèses adoptées.
La photographie
La photographie est de plus en plus utilisée en sciences
humaines et sociales. Il est
11 Bingham et Moore cité par R. Ghiglione et al
in Les enquêtes sociologiques (Théories et pratiques),
Paris, A. Colin, 1991, p.11
devenu très facile de prendre des photographies sur un
terrain de recherche. Mais, rares sont encore les travaux qui donnent à
l'image un rôle aussi important que celui conféré par
exemple à une analyse statistique. La photographie est souvent
cantonnée dans le rôle de simple illustration d'un propos
construit hors d'elle et sans elle. Pourtant, l'image photographique
recèle des possibilités argumentatives très importantes.
Voilà pourquoi, François LAPLANTINE affirme :
La photographie, qu'on l'utilise ou non, nous donne une
leçon irremplaçable d'écriture. Elle nous apprend que l'on
peut faire varier la profondeur du champ visuel entre le gros plan et l'infini,
que la luminosité elle-même est l'objet d'une accommodation, qu'il
n'existe jamais une seule vision possible, mais une vision distincte et une
vision trouble[. .]Bref, la photographie permet à l'écriture
ethnographique(instrumentée ou non) d'éviter les pièges et
les illusions de la pensée dogmatique, dont le propre est d'être
affirmative, univoque et en quelque sorte monofocalisante12
.
Imagination
En ethnologie, nous pouvons créer des conditions
expérimentales par le truchement d'une technique malheureusement peu
exploité : l'imagination. On dit de
Galilée et d'Einstein qu'ils ont révolutionné la physique,
non pas à partir d'expériences réelles qui, en fait,
auraient été impossibles à cause de la technologie de leur
temps, mais bien à partir d'un travail réflexif qui leur a permis
de percevoir des phénomènes familiers sous un jour nouveau. Par
la pensée, on peut transformer les conditions démographiques,
économiques ou écologiques, et demander à des personnes ce
qui se passe ou se passerait dans de telles conditions. On apprend davantage en
enquêtant sur ce qui n'existe pas que sur la raison d'être de ce
que l'on observe. Toute préparation n'est d'ailleurs jamais
complète puisque l'imprévisible, l'inattendu, l'accidentel
représentent autant de facteurs qui nécessitent des orientations
nouvelles et font appel à l'imagination créatrice de
l'observateur.
c- Instruments de collecte de données
Pour collecter nos données, nous avons utilisé
des protocoles d'entretien. Les thèmes à débattre
étaient fixés à l'avance. Nous nous sommes servi d'un
dictaphone pour recueillir les informations. Afin d'explorer de nouvelles
pistes d'informations au cours des prochaines rencontres, nous nous efforcions
de transcrire à la fin de chaque journée d'enquête les
12 LAPLANTINE François., 1996, La
description ethnographique ; Paris: éditions Nathan, coll. «
128 : sciences sociales » no 119, 128 p.
enregistrements qui avaient été
réalisés. Un appareil photo numérique et un
caméscope nous ont permis d'immortaliser des scènes, des
personnages, des évènements, des cérémonies, etc.
Tout ce travail photographique nous aura donné l'opportunité
d'avoir des données de première main et de rendre
fidèlement compte de la réalité que nous avons
observée ou vécue sur le terrain.
VIII - PLAN DE TRAVAIL
Le présent travail a été subdivisé
en quatre chapitres répartis comme suit : le premier chapitre porte sur
la description du cadre physique et humain des différents sites de
recherche. Le deuxième quant à lui, présente la
définition des concepts, la revue de la littérature et les
théories explicatives. Le troisième chapitre porte la
construction des infrastructures sociales aux Bakola/Bagyelli et son influence
sur leur mode de vie. Le dernier, s'intéresse à l'analyse et
à l'interprétation des conflits. Notre travail s'achève
avec une conclusion qui rappelle la démarche suivie, les
résultats auxquels nous sommes parvenu, et quelques perspectives.
CHAPITRE PREMIER : DESCRIPTION DU CADRE PHYSIQUE ET
HUMAIN DES SITES
I-1- CADRE PHYSIQUE ET GEOGRAPHIQUE DES SITES D'ETUDE
I-1-1- BIDJOUKA
I- 1-1-Le milieu de recherche
Le village Bidjouka se trouve dans la Région du Sud, il
fait partie du Département de
l'Océan et de l'arrondissement de Bipindi. Il est
situé sur l'axe Kribi-Lolodorf à une quinzaine de
kilomètres de Bipindi. Bidjouka est coincé entre les
rivières Mbikiliki et Mougué et la grande chaîne
montagneuse de Ngovayang qui culmine à 1000m d'altitude. Le village
Bidjouka est principalement habité par les Ngoumba et est composé
de 15 clans (Nti, Samalè, Biwandi, Sabaly, Sasiang, Sangwo,
Sakoué, Salourè, Yembih, Sampan, Bimbpalang, Yendjok, Saguiong,
Sabvila, Bimbpang), avec une forte domination du clan Nti. Le village est
marqué par une forte densité de population. Bidjouka est
peuplé de 3000 âmes environ et se présente aujourd'hui
comme le plus grand village du Département de l'Océan. Le village
s'étend sur une distance de 15 km. Bidjouka est situé à
3°06 de latitude nord et 10° 28 de longitude Est.
I- 1-2-Le climat
La localité de Bidjouka est dominée par le bassin
versant de la Lokoundjé. S'agissant
du climat, il est de type guinéen avec quatre saisons,
deux périodes de précipitations maximum dans l'année
(août-septembre et avril-mai) et deux saisons sèches
(décembrejanvier et juin-juillet) ; une pluviométrie comprise
entre 2500 et 3000mm avec des températures moyennes de 25oC.
L'amplitude thermique annuelle ne dépasse guère 2oC.
Des maxima de 27.5oC sont observés à la fin de la
grande saison sèche (mars). Par contre, les plus basses
températures se notent en août.
L'humidité relative de l'air exprimée en
pourcentage est mesurée à 6h à 12h et à 18h. De
manière générale, les maxima s'observent à 6h et
les minima à 12h. Dans l'ensemble de la région, il n'y a pas de
grandes variations d'une saison à une autre ; encore moins d'un mois
à un autre. Cependant, les plus faibles taux d'humidité
s'observent en mars-avril (70%) à la fin de la grande saison
sèche.
I- 1-3-L'hydrographie
Le réseau hydrographique de Bidjouka est dense et
appartient au bassin de la
Lokoundjé. L'ensemble de la région est sous
l'influence du bassin de la Lokoundjé. D'une longueur de 216 km, ce
cours d'eau prend sa source aux contreforts ouest du plateau du centre-sud.
Elle a une direction Est-Ouest et reçoit sur sa rive droite la
Mougué au niveau de
Bipindi et la Tchangué sur sa rive gauche. Ce sont ses
principaux affluents. Son bassin versant couvre une superficie de 5200
km2.
Le bassin de la Lokoundjé est un vaste réseau de
rivières, de marécages, de ruisseaux. Il est de type
hiérarchisé. Chaque cours d'eau étant tributaire d'un plus
grand. Les principaux cours d'eaux secondaires sont la Mougué
alimentée par la Mbikiliki à Bidjouka. Ils sont alimentés
par une multitude de cours d'eau tertiaires (Mashuer-Mashuer, Gio, Bili
Bitchop, Bidjouka).
I- 1-4- La végétation
L'organisation du paysage à Bidjouka est marquée
par la prédominance sempervirente du type Biafréen. Ainsi, la
forêt se caractérise par une multitude de cycles complexes et pas
systématiquement en phase avec le rythme des saisons lié à
la pluviosité. Ces caractères désordonnés et
polymorphes font qu'à tout instant de l'année, la forét
est dans la capacité de dispenser une partie de ces ressources
spontanées.
Les ressources végétales
La forêt met à la disposition des populations
quantités de ressources végétales, à toutes les
strates de sa végétation. Ainsi, de nombreuses plantes
s'avèrent intéressantes pour les multiples usages qu'elles
autorisent.
Plantes alimentaires
Certains arbres revêtent un intérêt pour
leurs graines oléagineuses dont leur teneur en lipides et la saveur
qu'elles procurent aux préparations sont indéniables (Coula
edulis, Panda oleosa, Poga oleosa, Irvingia gabonensis) ;
Enfin, mentionnons certains arbres-foyers de produits
consommables très recherchés par les populations en
général et les Pygmées en particulier :
Arbres à miel ;
Arbres à chenilles (Eribroma ; Autranella) ;
Arbres à larves de dynastes (vieux troncs de raphia).
Les ressources animales
Chez les artiodactyles, les céphalophes, antilopes de
petite taille, ont élu domicile dans les secteurs encombrés de la
forêt. Le céphalophe bleu (Cephalophus monticola),
localement appelé « lièvre », est le plus
fréquent d'entre eux ; le potamochère (Potamocherus porcus
porcus) est, quant à lui, très prisé pour sa
graisse.
Les endroits marécageux sont le site de
prédilection de la grande antilope rayée
(Sitatunga tragelaphus spekei), du chevrotain
(Hyemoschus aquaticus) et d'autres grands mammifères plus
rares. Parmi les rongeurs, on peut citer l'athérure qui aime à se
nicher au sein des
structures de chablis (provoquées par la chute d'un
arbre). Le rat de Gambie (Cricetomys emini) et l'aulacode
(Tryonomys) sont aussi des captures ordinaires.
I-1-2- NGOYANG
I- 2-1-Le milieu de recherche
Ngoyang est un village situé dans le Sud du Cameroun en
pleine forêt équatoriale. Ngoyang fait partie du
Département de l'Océan et de l'arrondissement de Lolodorf. La
localité est située à une quinzaine de kilomètres
de Lolodorf. Le village se trouve à 140 km de Yaoundé et à
environ 230 km de Douala. On y arrive en prenant la Nationale No 1
en faisant escale à Boumnyebel, Eséka et en longeant la route qui
mène à Lolodorf. Ngoyang, est un village dont les principales
composantes ethniques sont au nombre de trois. Ce sont principalement les
Ewondo, les Ngoumba et les Bakola. Dans la partie Nord du village, On retrouve
les Essom à l'ouest, les Tsinga à l'est et les Kombé au
centre du village. Ngoyang est peuplé de 500 habitants environ pendant
les périodes de fort peuplement (vacances scolaires, fetes de fin
d'année, etc.).
I- 2-2-Le climat
Le climat de Ngoyang est de type guinéen avec quatre
saisons, deux périodes de précipitations maximum dans
l'année (août-octobre et avril-juin) et deux saisons sèches
(novembre-janvier et juin-juillet) ; une pluviométrie comprise entre
2500 et 3000mm avec des températures moyennes de 25oC.
L'amplitude thermique annuelle ne dépasse guère 2oC.
Des maxima de 30oC sont observés à la fin de la grande
saison sèche (mars). Par contre, les plus basses températures se
notent en août.
I- 2-3-L'hydrographie
Le réseau hydrographique de Ngoyang est dense et
appartient au bassin de la Lokoundjé. Le bassin de la Lokoundjé
est un vaste réseau de rivières, de marécages, de
ruisseaux. Ngoyang est traversé par la Mougué. On note aussi la
présence de quelques petits cours d'eau. Ils ont un écoulement
pendant la période des basses-eaux, les épisodes pluvieux de
saison sèche masquent le tarissement complet de ces rivières qui,
durant les crues débordent souvent de leur lit, les rendant ainsi
inaccessibles. Les petits ruisseaux prennent alors le relais pour les
activités quotidiennes : vaisselle, baignade, lessive, etc.
I- 2-4- La végétation
La végétation à Ngoyang est marquée
par la prédominance sempervirente du type
Biafréen. On y retrouve à l'intérieur de
cette forét dense des ressources végétales et des
ressources animales.
La carte ci-dessous présente l'environnement physique des
sites d'étude (Bidjouka et Ngoyang).
Carte 1: Sites d'étude Source : NGIMA,
2001
I-2- CADRE HISTORIQUE ET HUMAIN DES DEUX SITES
I-2-1-BIDJOUKA
I- 1-1-L'origine ethnonymique
Bidjouka ou Bidjocka est un petit village
situé entre Lolodorf et Kribi. Il était d'abord habité par
les Bassa et les Bakoko. Ceux-ci furent bousculés par les nouveaux
occupants(Ngoumba) pendant les guerres de conquête et durent se replier
du côté de Bipindi. Bidjouka, comme le déclarent les
habitants du village, ces derniers disent ne pas avoir des connaissances au
sujet de l'origine de ce nom. La plupart maîtrisent davantage l'histoire
de leur implantation sur le site que celle de l'origine ethnonymique de leur
village. Mais des
informations recueillies en d'autres lieux font état du
fait que Bidjouka serait le nom d'un patriarche bassa Bidjoka. C'est ce nom qui
est devenu Bigiouga pour les Ngoumba et Bidjouka (appellation
francisée). Il conviendra, dans le cadre des travaux futurs, de
préciser davantage l'origine et le contenu du nom Bidjouka.
I- 1-2-L'origine du peuplement
Bien que souvent cités, les Ngoumba sont peu connus.
Les Mabi/Ngoumba seraient partis d'Egypte en passant par le Soudan, l'Ethiopie,
en Afrique orientale. Cet itinéraire migratoire se vérifie en ce
sens qu'on retrouve au Rwanda, au Burundi et au Zimbabwe des peuples qui ont un
parler similaire à celui des Mabi/Ngoumba. Ensuite, ils sont
arrivés dans la région des Grands Lacs pour atteindre plus tard
le Sud de la République Centrafricaine, le Congo, le Gabon, puis la
Guinée Equatoriale et enfin le Cameroun.
L'histoire des migrations des Ngoumba est divisée en
deux grands itinéraires. Le premier axe prend son point de départ
de Messamena. Les Ngoumba sont partis de Somalomo qui est une localité
qui se situe entre Messamena et Zoatelé, puis ils ont bifurqué
par Ngoulémakong qui est le territoire des Bene. Ils ont
séjourné à cet endroit pendant un certain temps ; et c'est
pendant cette escale que les Ngoumba ont signé des accords de non
agression avec les Bene. Une autre branche des Ngoumba serait partie de Djoum.
Au lieu de suivre le fleuve Ntem, elle est remontée vers le village du
grand chef pygmée Lima. Cette branche a marqué un temps de repos
à cet endroit. Un jour, les Boulou sortant de nulle part
déferlent sur le village de Lima. Les Ngoumba auraient fait comprendre
à ces envahisseurs la raison de leur présence dans le village.
Peine perdue car ceux-ci furent sommés de quitter le village dans les
plus brefs délais. Lorsque les Boulou revinrent plus tard pour faire la
guerre aux Ngoumba ils trouvèrent que ceux-ci avaient quitté le
village du chef Lima. Ils demandèrent au chef pygmée où
étaient partis ses hôtes, celui-ci leur répondit qu'ils
étaient partis. L'histoire dit que c'est de cette conversation que
serait sorti le nom Mekuk. Ce sont les Boulou nouvellement arrivés qui
ont appelé ceux qui venaient de fuir Mekuk. Ce nom est resté
jusqu'aux jours d'aujourd'hui. . Il faut souligner ici que Mekuk est
l'expression générique utilisée pour désigner les
Mabi et les Ngoumba en territoire Bene et Boulou. Fuyant l'agresseur Boulou,
les Ngoumba sont allés du côté de Ngoulémakong ; de
là, ils sont descendus en biaisant par Ebolowa pour se retrouver
à Lolodorf. Certains d'entre eux se sont installés à
Lolodorf d'autres ont voulu continuer jusqu'à la côte à la
recherche du sel. D'autres se sont installés à Bikalla et
là ils firent face à l'hostilité des Bakoko et des Bassa
qui s'étaient premièrement installés dans la
localité. Ils ont guerroyé pour pouvoir s'installer
à cet endroit. Progressivement, les Ngoumba se sont retrouvés
à Bidjouka13.
I- 1-3-L'aspect socioculturel et économique
I- 1-3-1-/ 'RungsntiRosRbinle
a- Vie politique
Bidjouka est un village où cohabitent deux chefferies.
On a le siège de la chefferie de groupement qui compte sept villages de
Bingambo jusqu'à Lambi. La chefferie traditionnelle de troisième
degré qui comptait au départ trois chefs de quartier. Avec
l'accroissement de la population, le nombre de quartiers est passé de
trois à cinq (Mbikiliki-Oranger, Bambi -- Maschouer Maschouer, Centre,
Condor et Atlantique). Les chefs de quartier sont nommés par le chef de
village. La vie politique à Bidjouka de par cette cohabitation de deux
chefferies est très complexe. Parfois la chefferie de groupement semble
l'emporter sur les affaires du village. L'organisation politique actuelle du
village Bidjouka remonte à 2004. Le mandat du chef de quartier
dépend du bon vouloir du chef de village qui peut à tout moment
décidé de destituer un chef pour le remplacer par un autre.
Toutefois il faut également souligner que la longévité du
chef de quartier dépend aussi des relations qu'il entretient avec ses
populations. Quand ces relations sont mises à mal, les populations
peuvent rencontrer le chef de village pour lui faire part de leur
mécontentement et demander à ce que le chef de quartier soit
destitué de ses fonctions. En ce moment il revient au chef de village
d'apprécier la situation et de se prononcer au sujet du maintien ou de
la destitution de celui-ci.
b- Vie religieuse
Au jour d'aujourd'hui, on note qu'à Bidjouka, les
croyances sont multiples et cohabitent en parfaite harmonie: Catholiques,
Protestants (L'EPA : Eglise Protestante Africaine), Eglise
Néo-Apostolique, Eglise Adventiste du 7ème jour,
Eglises de Réveil, Baptistes, Pentecôtistes), Témoins de
Jéhovah et Animistes.
I- 1-3-2-/ ' Education
Le village, de par son étendue (15km), compte trois
écoles publiques (BidjoukaBambi, Centre et Atlantique) et un
collège d'enseignement secondaire. Le taux de scolarisation des enfants
en âge de fréquenter est relativement élevé à
Bidjouka. Pour la
13 Ces informations ont été
collectées auprès de M. MBA Léopolde, représentant
du chef de groupement de Bidjouka. Entretien réalisé le 06
février 2011 à Bidjouka-Oranger.
présente description, nous allons davantage nous
intéresser sur l'école publique de BidjoukaBambi qui se trouve
dans la zone qui a servi de cadre de référence pour nos travaux
de recherche. La majeure partie des effectifs de l'école publique de
Bidjouka-Bambi est composée des enfants bantous et de quelques enfants
Bakola qui sont faiblement représentés. Cette situation est
dû au fait que la plupart des enfants Bakola en âge de
scolarisation sont pris en charge soit par le FONDAF à Bipindi, soit par
les Petites Soeurs de Jésus à Ngovayang. Il faut tout de
même déplorer le fait que cet encasernement des enfants Bakola a
comme revers leur difficile intégration dans la société
globale parce qu'une fois sortis de ces centres d'accueil, ils ont du mal
à s'intégrer dans un environnement qui ne leur est pas familier.
Malgré ce faible taux de représentativité des
élèves pygmées, on note que le petit nombre qui s'y trouve
réussit à s'imposer et à obtenir des bons résultats
en fin d'année scolaire.
Le phénomène des déperditions scolaires
observé à l'école publique de BidjoukaBambi est un
handicap sérieux à l'émancipation intellectuelle des
jeunes pygmées. Parlant de la répartition par genre des enfants
Bagyelli, les garçons sont plus nombreux et plus constants dans leur
cursus scolaire que leurs soeurs. Les filles disparaissent
généralement à l'approche de la saison de la cueillette.
Celles-ci sont plus proches de leur maman pendant cette période
(Décembre-Février). Les jeunes femmes vont à la
pêche avec leur mère pour les aider à attraper du poisson.
A contrario, pendant cette période, les pères ne sont pas
très proches de leurs fils. Ils préfèrent se faire
accompagner par leurs épouses pour mener leurs activités
cynégétiques. Ce court développement nous permet de
comprendre le fort taux de déperdition scolaire observé chez les
jeunes filles Bagyelli scolarisées.
La photographie ci-contre montre une vue de face de
l'école publique de Bidjouka-
Bambi.
Photo 1:Ecole publique de
Bidjouka-BambiSource : Aristide BITOUGA (Bidjouka 2011)
Le tableau ci-dessous présente un rapport
séquentiel des élèves Bagyelli de l'école publique
de Bidjouka-Bambi pour le compte de cette année scolaire 2010-2011.
C'est un outil pédagogique qui permet de suivre au quotidien la
régularité et les résultats de chaque enfant Ngyelli qui
est régulièrement inscrit. A partir de ce tableau, le
maître peut apprécier l'état de progression de ces
apprenants qui ne sont pas toujours faciles à encadrer.
Classes
|
Noms et prénoms
|
Nombre d'absences
|
Causes d'absences
|
Nombre retard
|
Nombre déperdition
|
Moyenne obtenue
|
1ère
séquence
|
2ème
séquence
|
3ème
séquence
|
CM 2
|
MABALLI Guillaume
|
/
|
/
|
/
|
/
|
12.91
|
13.94
|
11.83
|
CM 2
|
NZOUANG Jean
|
/
|
/
|
/
|
/
|
9.94
|
10.91
|
9.84
|
CE 2
|
MBA Maurel
|
02
|
maladie
|
05
|
/
|
9.91
|
10.81
|
9.53
|
CE 2
|
EYENGA Pauline
|
/
|
/
|
/
|
/
|
8.24
|
10.30
|
9.84
|
CE 1
|
MIMBIANG Anne
|
07
|
maladie
|
08
|
/
|
11.30
|
11.20
|
11.34
|
CE 1
|
MIMBIANG Valérie
|
/
|
/
|
/
|
/
|
10.81
|
11.91
|
11.54
|
CE 1
|
MBOUAMBANDI Christian
|
03
|
Non justifiées
|
/
|
/
|
8.31
|
9.98
|
9.15
|
CP
|
NZIE Louis
|
09
|
Non justifiées
|
/
|
/
|
10.81
|
11.18
|
12.83
|
SIL
|
MBPOAPFOURI Victor
|
/
|
/
|
/
|
/
|
/
|
12.30
|
11.61
|
SIL
|
NGOUANDE Suzanne
|
02
|
maladie
|
02
|
/
|
/
|
9.81
|
13.20
|
SIL
|
BEH Léonard
|
11
|
Déplacement des parents
|
03
|
/
|
/
|
10.92
|
12.81
|
Tableau 1 : Rapport séquentiel des
élèves Bagyelli de l'école publique de Bidjouka -Bambi
(Année scolaire : 2010-2011)
Source : Aristide BITOUGA/M. Paul MAVIAN (Directeur de
l'école publique de Bidjouka-Bambi)
Le tableau ci-dessous présente sur une période
de trois années scolaires (2008-2009, 2009-2010, 2010-2011) les
différents effectifs (par classe, genre et nombre) des
élèves de l'école publique de Bidjouka-Bambi. A partir des
données mentionnées, on peut remarquer la faible
représentativité des enfants Bagyelli dans cette école.
Les raisons liées à ce faible taux
ont été données plus haut dans le texte
argumentatif. On observe que le nombre d'enfants Bagyelli certifiés est
très faible.
Année scolaire
|
2008-2009
|
2009-2010
|
2010-2011
|
Effectifs des élèves
Bagyelli
|
Classes
|
G
|
F
|
Classes
|
G
|
F
|
Classes
|
G
|
F
|
SIL
|
07
|
01
|
SIL
|
03
|
01
|
SIL
|
02
|
01
|
CP
|
03
|
01
|
CP
|
04
|
01
|
CP
|
01
|
00
|
CE I
|
00
|
00
|
CE I
|
00
|
00
|
CE I
|
02
|
01
|
CE II
|
04
|
02
|
CE II
|
02
|
02
|
CE II
|
01
|
01
|
CM I
|
01
|
00
|
CM I
|
01
|
00
|
CM I
|
00
|
00
|
CM II
|
00
|
00
|
CM II
|
01
|
00
|
CM II
|
02
|
00
|
Répartition par genre des élèves Bagyelli
|
G
|
F
|
G
|
F
|
G
|
F
|
15
|
04
|
11
|
04
|
08
|
03
|
Effectif total des élèves de l'école
publique
|
118
|
77
|
64
|
Pourcentage de
représentativité des
élèves Bagyelli
|
16%
|
19%
|
17%
|
Nombre d'élèves
Bagyelli certifiés
|
00
|
02
|
En cours
|
Nombre d'élèves Bantou certifiés
|
04
|
11
|
En cours
|
Tableau 2 : Rapport de rentrée scolaire de
l'école publique de Bidjouka-Bambi
Source : Aristide BITOUGA/ M. Paul MAVIAN
(Directeur de l'école publique de Bidjouka-Bambi)
I- 1-3-3-L'aspect économique a- Activités
agricoles
Les champs vivriers
Le manioc, la banane-plantain et le macabo sont les
principales cultures vivrières, tandis que les ignames, le maïs, le
taro, les courges, les arachides sont des cultures secondaires. Certaines
plantes saisonnières sont aussi cultivées ; il s'agit des
cultures maraichères telles que la tomate, les légumes verts
africains (zom, folon, etc.). Les parcelles cultivées
sont peu étendues. Le même champ porte au moins deux cultures. On
a le plus souvent les associations manioc-taro, manioc-maïs,
bananier-macabo, bananier-manioc ...
Les produits de rente : la prédominance du
cacao
La culture du cacao se fait sous-bois. Les plantations
cacaoyères sont dominées par quelques grands arbres
parsemés ça et là laissant filtrer la lumière. Le
feuillage de ces arbres protège les plants des rayons solaires.
Les plantations sont constituées soient de petites
parcelles proches de l'habitat, soient des parcelles plus vastes situées
plus loin dans la forêt. Elles occupent généralement les
bas-fonds ainsi que les versants proches des zones humides. Ce sont en
général de très vieilles cacaoyères dont
l'âge est supérieur à vingt ans.
Le lieu de vente des fèves de cacao est bien
localisé. Elle se fait dans un hangar aménagé à cet
effet à Bidjouka. Dans ce cas la vente est collective. Mais des
acheteurs viennent des villes et sillonnent les villages à la recherche
des vendeurs.
b- Activités
cynégétiques
La chasse
La chasse est une composante des différentes
stratégies de diversification des sources de nourriture et de revenus
pour la survie des ménages. De l'avis des paysans, les ressources
fauniques sont entrain de diminuer. La plupart des grands animaux sauvages ont
pratiquement disparu. Les animaux les plus couramment chassés sont : le
singe, l'antilope, le porc-épic, le lièvre, le rat et les
serpents. La chasse se fait avec des collets, des arcs et des flèches.
La chasse au fusil se pratique la nuit avec des torches. Cette forme
d'activité est le plus souvent collective car on va de plus en plus loin
du village pour plusieurs jours. Les grandes chasses se font en période
de pluies car le bruit des feuilles mortes en saison sèche met les
animaux en alerte. Cependant, la chasse se pratique toute l'année, mais
de façon plus intense en dehors des périodes favorables.
La pêche
La pêche qui est pratiquée à Bidjouka se
fait de façon artisanale. La pêche au barrage ou à la nasse
est pratiquée principalement par les femmes. C'est un système
oü un groupe de femmes bloquent chaque extrémité d'un cours
d'eau et à l'aide de calebasses vident l'eau du bassin ainsi crée
et ramassent tout simplement les poissons ainsi faits prisonniers. A la fin de
la pêche la saisie est alors repartie entre toutes les femmes qui ont
participées à la pêche. Ces poissons sont essentiellement
destinés à la consommation familiale même si le surplus est
aussi souvent séché et vendu.
La pêche à la nasse est aussi pratiquée
par les femmes et se fait non loin des rives des rivières. Elle permet
la capture des crevettes. Les nasses sont de sorte de petits paniers dans
lesquels sont mis des appâts (restes d'aliments) et immergés dans
l'eau. Le crustacé qui s'y
introduit à la recherche de l'appât est fait
prisonnier. Les autres formes de péche telles que la pêche
à la ligne, la pêche au filet sont pratiquées par les
hommes et les enfants de jour comme de nuit.
c- Activités de ramassage et de
cueillette
Les populations de Bidjouka tirent une très grande
variété de produits comestibles de leurs forêts. En
fonction des saisons et des périodes de l'année, on trouve des
espèces végétales qui sont très prisées par
les populations de Bidjouka mais également par d'autres personnes qui
n'hésitent pas à quitter des pays voisins pour venir s'en
procurer. C'est le cas par exemple des amendes de Irvingia gabonensis
et de Coula edulis (appelées respectivement dans la
région « ndo'o » et « mbpa »).Ces amendes
oléagineuses sont collectées en forêt pendant les mois de
juillet à septembre.
I-2-2-NGOYANG
I- 2-2-1-L'origine ethnonymique
Ngoyang, selon les informations recueillies sur le terrain
nous enseignent que le village porte le nom de la longue chaîne
montagneuse qui délimite la frontière naturelle de ce village. Ce
récif montagneux qui culmine sur plus de 1000m se nomme dans les langues
environnantes soit Ngoyang (Ewondo), Ngoboyo (Ngoumba), Ngovayang(Fang) et Ngo
Yang chez les Bassa. Le village avait été occupé
premièrement par les Bassa qui par la suite ont été
repoussés au Nord vers Eséka par les nouveaux venus.
I- 2-2-2-L'origine du peuplement
Ngoyang, est un village dont les principales composantes
ethniques sont au nombre de trois (Ewondo, Ngoumba et Bakola). Pour ce qui est
de l'occupation de l'espace par les Ewondo qui sont majoritaires, on retrouve
les Essom à l'ouest, les Tsinga à l'est et les Kombé au
centre du village. On ne peut pas dire avec la certitude la plus absolue
comment s'est fondé le village. Les écrits sur ce point sont
rares, voire inexistants. Il existe néanmoins une forte oralité
d'ailleurs en constante disparition du fait même de la disparition des
anciens. On s'accorde tout de même à dire que Ngoyang est un
village qui s'est bâti à partir d'une immigration qu'on peut
qualifier d'alimentaire. Rappelons en effet que l'océan atlantique est
à vol d'oiseau à environ 100 km de là et que chez les
peuples Ewondo comme chez les autres, le sel est un élément
essentiel de la dégustation des aliments. Tout comme on a connu pour
l'Asie une route des épices, on peut faire un parallèle
certainement maladroit en parlant de la route du sel. En effet, Tsinga, Essom
et Kombé n'ont pas vraiment leurs racines à Ngoyang
comme les Pygmées pourraient prétendre l'avoir
pour les forêts environnantes. Ce sont des clans qui viennent des
environs, pour les Tsinga et Essom, de la région de Yaoundé et
pour les Kombé de la région de Mbalmayo dans le centre du
Cameroun.
Pour de nombreux anciens, leurs ancêtres seraient partis
de leur zone d'origine à la quête du sel. Mais quand on
connaît un peu la géographie du sud du Cameroun, on peut se
demander pourquoi ces clans se sont installés là à Ngoyang
à plus ou moins 100 km et pas beaucoup plus près de
l'océan, source de sel. Les explications là aussi sont
nombreuses. L'une de ces explications consiste à dire que les
bâtisseurs de Ngoyang ne sont jamais arrivés à la mer,
source de sel. Perdus dans la jungle, ne sachant plus trop où se
trouvait le chemin les menant au sel, et ne pouvant même plus rebrousser
chemin, ils se sont installés sur place. On a également dit que
les peuples, batanga par exemple se trouvant à côté de la
mer n'avaient pas particulièrement apprécié l'invasion de
ces Ewondo venus des régions de Yaoundé ou Mbalmayo. Cela aurait
entraîné des conflits obligeant "les envahisseurs" à se
replier vers les zones forestières situées plus loin de la
côte. Cela pourrait notamment expliquer le fait que certaines tribus
Ewondo soient aujourd'hui installées géographiquement bien
après "le sel".
I- 2-2-3-L'aspect socioculturel et
économique
I- 2-2-3-1-L'organisation sociale
a. Vie politique L'organisation sociale
s'articule autour d'une institution: la chefferie, qui représente
à
la fois l'autorité traditionnelle et l'autorité de
l'Etat. La chefferie est calquée sur un modèle de divisions
claniques et/ou de regroupements de familles ayant un ancêtre commun.
b. Vie religieuse On note qu'à Ngoyang,
les croyances sont multiples et cohabitent en parfaite
harmonie: Catholiques, Protestants (Eglise
Néo-Apostolique) et Animistes.
I- 2-2-3-2-L' Education
Le taux de scolarisation des enfants en âge de
fréquenter est très faible à Ngoyang. La
majeure partie des effectifs de l'école publique de la
localité est composée de quelques enfants bantous restés
au village et des enfants Bakola en majorité. Toutefois, il faut
souligner que, malgré le nombre important d'élèves en
début d'année scolaire, le phénomène des
déperditions scolaires observé à Ngoyang est un handicap
sérieux à l'émancipation intellectuelle des jeunes
pygmées.
Ci-dessous deux tableaux qui résument clairement la
situation scolaire à Ngoyang. Le premier tableau, présente les
effectifs de l'école publique de Ngoyang au cours des trois
dernières années scolaires (2007-2008, 2008-2009, 2009-2010). Le
second tableau, nous montre la progression scolaire par niveau d'apprentissage
des enfants Bakola.
Année scolaire
|
|
2007-2008
|
|
2008-2009
|
|
2009-2010
|
Effectif des élèves Bakola
|
|
94
|
|
104
|
|
84
|
Répartition par sexe des élèves Bakola
|
G
|
|
F
|
G
|
|
F
|
G
|
|
F
|
58
|
|
36
|
65
|
|
39
|
46
|
|
38
|
Effectif des élèves de l'école publique
de Ngoyang
|
|
162
|
|
157
|
|
154
|
Pourcentage de
représentativité des élèves Bakola
|
|
58%
|
|
66%
|
|
54%
|
Nombre d'élèves
Bakola certifiés
|
|
2
|
|
1
|
|
1
|
Tableau 3 : Effectif des enfants Bakola inscrits a
l'école publique de Ngoyang
Source : Aristide Bitouga/ Mme OYONO ANDEGUE Joséphine
(Directrice de l'école publique de Ngoyang
2009-2010)
Niveau d'apprentissage
|
Pourcentage d'élèves Bakola
|
SIL-CP
|
50%
|
CE1-CE2
|
40%
|
CM1-CM2
|
10%
|
Total
|
100
|
Tableau 4 : Progression scolaire des enfants Bakola par
niveau d'apprentissage
Source : Aristide Bitouga/ Mme OYONO ANDEGUE Joséphine,
(Directrice de l'école publique de Ngoyang
2009-2010)
L'école publique de Ngoyang, est une école
à cycle complet qui a été construit avec l'appui financier
du projet SAILD/APE. Elle reçoit tous les enfants Bakola qui viennent
des différents villages pygmées qui composent le groupement
Bakola de Ngoyang (Nkouonguio,
Ngo Manguèlè ; Mimbiti, Matindi, Nkouampboer, Meh,
etc....). La photo ci-après, montre le bâtiment principal de
l'école publique de Ngoyang.
Photo 2 : Ecole publique de Ngoyang Source :
Aristide Bitouga (Ngoyang 2009)
I- 2-2-3-3-L'aspect économique a- Activités
agricoles
Les méthodes culturales sont fondées sur une
agriculture forestière extensive sur brûlis,
caractéristique des espaces à faible densité de
population, mais également à bas niveau technologique.
L'agriculture sur brûlis consiste à défricher un terrain
dans la forêt, à brûler la végétation et
à cultiver le champ ainsi préparé pendant deux à
trois mois avant de l'abandonner en jachère afin de restituer la
fertilité du sol. En raison d'une grande disponibilité des sols,
la jachère dure en général plus de huit ans. L'abondance
des pluies permet la mise en place à longueur d'année d'un grand
nombre de cultures. La période de mise en culture d'une parcelle de
culture est de deux à quatre ans.
b- Activités
cynégétiques
La chasse
La chasse est une composante des différentes
stratégies de diversification des sources de nourriture et de revenus
pour la survie des ménages. La plupart des grands animaux sauvages ont
pratiquement disparu. Les animaux les plus couramment chassés sont : le
singe, l'antilope, le porc-épic, le lièvre, le rat et les
serpents. La chasse se fait avec des collets, des arcs et des flèches.
La chasse au fusil se pratique la nuit avec des torches. Cette forme
d'activité est le plus souvent collective car on va de plus en plus loin
du village pour plusieurs
jours. Les grandes chasses se font en période de pluies
car le bruit des feuilles mortes en saison sèche met les animaux en
alerte. Cependant la chasse se pratique toute l'année mais de
façon plus intense en dehors des périodes favorables.
Photo 3:Gibier (pangolin) pris au piège et
destiné à la commercialisation Source : Aristide Bitouga
(Ngoyang 2009)
c- Les activités commerciales
Il concerne d'une part le commerce des produits vivriers et
d'autre part la vente des denrées de première
nécessité. La première forme concerne surtout les femmes ;
celles-ci vendent leurs produits sur les marchés de Lolodorf et
d'Eséka. La proximité avec la route bitumée facilite
l'écoulement des produits vivriers. On peut même observer de
passage à Ngoyang que des acheteurs viennent sur place acheter les
produits dont ils ont besoin. Parmi ces produits on peut citer les produits
forestiers non ligneux, la viande de brousse, etc.
A Ngoyang, le petit commerce est très peu
développé. Cette situation peut s'expliquer par la
proximité du village avec les principales villes de ravitaillement que
sont Lolodorf et Eséka. On y retrouve la plupart des cas de petites
échoppes tenues par quelques villageois. Le savon, le sel, le sucre, le
pétrole, la cigarette et même les produits pharmaceutiques sont
proposés aux paysans. De même, les femmes et les enfants proposent
des denrées alimentaires crues ou cuisinées. On peut
également mentionner par la même lancée la vente des
produits comestibles tels que : le poisson sec ou boucané, les beignets,
les bâtons de manioc, mets de courges, etc. On observe aussi une
activité très lucrative : le commerce de l'écorce de
l'arbre à ail (Scorodophloeus Zenkéri) appelé
dans la région Womi. Cette écorce est
un condiment très prisée par les Bassa et d'autres peuples pour
assaisonner leurs différentes cuissons. Les
femmes Bakola vont en brousse chercher cette écorce et
viennent ensuite les empaquetées pour les déposer en bordure de
route à l'attente d'une éventuelle acheteuse qui viendra de
Yaoundé ou de Douala pour en acheter. Le paquet de 40 écorces de
Womi s'élève à cinq mille francs
CFA.
Photo 4:Womi (Scorodophloeus Zenkéri)
séché a l'intérieur d'une cuisine à
Ngoyang prêt pour être vendu
Source : Aristide Bitouga (Ngoyang 2009)
L'artisanat : L'artisanat constitue la cinquième plus
importante activité sociale et économique chez les Bakola et
Bagyelli de Lolodorf et Bipindi14. Il vient en troisième
position comme source de revenus. Une fois les produits préts, ils
n'hésitent pas à les proposer à des femmes bantoues qui
sont très nombreuses à s'en procurer pour le transport des
tubercules des champs vers le village.
La photographie ci-dessous, fait l'étalage de quelques
produits issus de l'artisanat Bakola de Ngoyang.
14 Arrêté n°0648/MINFOF du 10 décembre
2006 fixant la liste des animaux des classes de protection A, B et C.
Photo 5: Produits issus de l'artisanat Bakola
Source : Aristide Bitouga (Ngoyang 2009)
I-3-MONOGRAPHIE DES BAKOLA/BAGYELLI
I-3-1-DESCRIPTION GEOGRAPHIQUE ET HUMAINE
Les Bagyelli/Bakola occupent la position la plus occidentale.
Cette situation géographique suffit à les démarquer des
autres Pygmées car ils sont les seuls à évoluer en
forêt littorale.
Carte 2: La position maritime des Bakola par rapport aux
autres groupes Pygmées. Source :
www.gitpa.org
Outre quelques îlots de peuplement mentionnés au
Nord de la Guinée Equatoriale, leur présence s'affirme
essentiellement en territoire camerounais, délimité à
l'Ouest par la côte atlantique, entre la rivière Ntem du Sud et la
rivière Nyong au Nord, et à l'Est à la latitude
10°60' qui passe approximativement sur la ville d'Eséka.
L'appellation « Bagyelli » (nous conserverons
dorénavant ce nom et cette orthographe pour la suite de notre
étude) vient de Ngyelli au singulier et Ba-Gyelli au pluriel. C'est ce
nom qu'ils se donnent eux-mêmes au Sud, dans la zone de Kribi, alors que
leurs frères du Nord, zone de Lolodorf, se nomment Ba-Kola (sg.
Nkola)15 .Les Mabi et les Ngoumba les appellent : Ngyelli/
Bo-Gyelli, les Fang-Beti les nomment : Nkwé/Be-Kwé et les Mvae :
Nyela /Be-Yela.
Le / bajélé /, langue
des Bagyelli, est d'origine bantoue et appartient au groupe MakaNjem (A-81
selon la classification de M. Guthrie), c'est-à-dire proche du
/Mbvumbo/ et du /Mabi/, parlers respectifs des Mabi et des
Ngoumba. Ces parlers constituent entre eux des dialectes, car outre des
différences d'ordre phonétique et lexical, il y a
intercompréhension. En revanche le / bajélé / se
démarque nettement du / Baka / , parler classé dans la
sous famille oubanguienne.
Bien qu'étant sans nulle ambiguïté possible
des chasseurs-collecteurs, les Bagyelli se distinguent par une
sédentarisation relativement avancée. On estime que l'agriculture
est apparue chez eux depuis un demi-siècle, mais sa pratique reste
encore balbutiante. Les Bakola de Lolodorf pratiquent l'agriculture depuis 1940
et la cacaoculture vers les années 1947- 194816.
Le corollaire immédiat à ce processus de
sédentarisation est l'existence d'habitats permanents parfois proches,
voire carrément au bord d'une piste, et à proximité d'un
village bantou. Nous parlerons seulement d'une semi-sédentarisation
dans le sens oü elle n'entrave que partiellement les longues absences
saisonnières à but cynégétique, pratiquées
à certaines périodes de l'année.
Quant aux contacts avec les Bantou, ils semblent très
anciens, comme tend à le prouver la parenté des dialectes
mentionnée précédemment. L'histoire des Bagyelli reste
totalement méconnue, mais compte-tenue de la parenté
linguistique, elle est certainement liée aux migrations ancestrales des
Ngoumba, ainsi qu'en témoigne l'étude des traditions
15 LOUNG, JF.1987, « Le nom authentique du groupe
Pygmée de la région côtière camerounaise »,
Revue de géographie du Cameroun.
16 NGIMA M, G ; Le système alimentaire des
groupes Pygmées Bakola de la région de Campo ; Thèse
Doctorat, Paris.
Ngoumba17. Aujourd'hui cependant, les Bagyelli
entretiennent des relations variées avec d'autres populations bantoues
(Bassa, Mvae, Bulu, Batanga, Evuzok,...), d'oü leur plurilinguisme
marqué mais très variable selon la diversité des contacts.
Dans tous les cas en revanche, ce plurilinguisme reste unilatéral (le
Bantou parle très rarement la langue des Pygmées).
Longtemps basés sur un système d'échanges
déséquilibrés et motivés par une réelle
subordination, les contacts entre Bagyelli et « Grands Noirs » ont
subi des changements complexes qu'il convient de ne pas trop
schématiser. Signalons cependant la contribution à ces
changements, de la monétarisation croissante et de l'importance accrue
de l'écosystème villageois sur l'écosystème
forestier. La vente des graines de la liane Neh (Strophantus gratus,
Apocynacées) a contribué à faire accéder
indirectement les Bakola aux échanges internationaux dès
l'époque coloniale allemande, en tant que principaux cueilleurs de ce
produit. En effet, les Européens avaient découvert que ces
graines utilisées par les villageois et les Pygmées pour
fabriquer un poison avec lequel ils enduisent la pointe des flèches
d'arbalète, servant notamment pour la chasse aux singes, contiennent un
glucoside agissant sur le coeur : ils en suscitèrent donc la collecte
à grande échelle, et les exportaient pour approvisionner
l'industrie pharmaceutique métropolitaine.18
I-3-2-ACQUISITION DES RESSOURCES
Il s'agit ici de l'ensemble des techniques
élaborées par les Bagyelli pour acquérir les ressources
alimentaires offertes par le milieu naturel. Ces modes d'acquisitions se
repartissent en deux catégories :
1. Activités de prédation
Chasse au filet
Chasse à courre
Chasse à l'arbalète
Piégeage
Chasse au fusil
Collecte du miel
Cueillette Déterrage
17 LOUNG, J.F ; 1959, « Les pygmées de la forêt
de Mill ... » Les Cahiers d'Outre-mer
18 NGIMA M, G ; op.cit
2. Activités agricoles
La plantation
Le jardin de case
I-3-3-CULTURE NON MATERIELLE : structure sociale
La société pygmée Bakola/Bagyelli
actuelle est sous l'autorité d'un chef de campement ou du hameau qui est
choisi par ses pairs. Le chef est généralement le plus vieux du
campement qu'il a par sa propre initiative, fondé. Il est un Primus
inter pares, et son rôle se limite aux simples conseils qu'il peut
prodiguer aux siens. Son pouvoir n'est nullement coercitif et sa force se
limite surtout sur sa famille.
Société collectiviste
Les Bagyelli rentrent dans la catégorie des
sociétés dont l'organisation sociale repose sur le collectivisme
; c'est-à-dire que l'acquisition des ressources pour satisfaire les
besoins du groupe, s'opère en communauté. L'unité de
production de base n'est plus l'individu ni le ménage, mais la
collectivité. Une telle société se trouve dépourvue
de toute hiérarchie et le professionnalisme est peu prononcé :
chacun est supposé capable de tout faire. Bien entendu il convient, dans
la réalité de nuancer quelque peu ce schéma simpliste.
Certains clivages sociaux ont vu le jour dans cette
communauté exposée aux influences extérieures. Par
exemple, l'apparition de la polygynie est le reflet de l'influence bantoue
croissante au sein de la société bakola/bagyelli. En effet, la
polygynie peut être interprétée comme l'expression du
prestige social et de la réussite individuelle. De ce fait, certains
individus ayant acquis une certaine notoriété et un certain
prestige dans les hameaux, ont pris plusieurs épouses. Parmi celles-ci,
on peut noter la présence des femmes bantoues. La photographie
ci-dessous montre un nkola du village Ngoyang qui a pris pour épouses
deux femmes bantoues (une bassa et une éwondo).
Photo 6: Exemple de Nkola (NGALLY Sadrack) polygyne
à Ngoyang Source : Aristide Bitouga (Ngoyang 2010)
I-3-4-CROYANCE - PHARMACOPEE
I- 3-4-1-Le système de croyances
Bakola/Bagyelli
Les Bakola implorent le grand esprit de la forêt, bon et
méchant on le nomme le Minkuta. Son invocation
est l'affaire des hommes exclusivement. « C'est un esprit de la
forêt », affirme Nsoulmour Michel, pygmée
septuagénaire de Meh (Nkouampboer I), qui faisait office d'informateur
privilégié durant notre séjour dans la localité de
Ngoyang. Le devin du campement de Nkouonguio entrait en transe et se trouvait
en communication directe avec l'esprit avec le fantôme
(Nkuki) communément appelé
Minkuta. Le prêtre-sorcier est
entièrement couvert de feuilles qui reposent sur les habits qu'ils
portent sur lui ; il peut lui demander l'autorisation de soigner un malade et
les remèdes appropriés pour les soins, il peut lui demander de
venir en aide à quelqu'un qui a besoin d'aide dans un quelconque secteur
de sa vie (emploi, commerce, mariage, réussite, etc.)
I- 3-4-2-Médecine Bagyelli/Bakola
Les guérisseurs Bagyelli se sont ancrés une
solide réputation dans toute la région voire bien au-delà
de leur espace géographique. Grace à leur maitrise à
prodiguer des soins à l'aide de remèdes composés de
végétaux. Cette notoriété liée à leur
connaissance empirique des principes actifs des végétaux peut se
généraliser à l'ensemble des sociétés
pygmées d'Afrique. Dans les secteurs de Ngoyang et de Bidjouka nous
avons fait la connaissance de quelques Bakola réputés être
de grands guérisseurs. En fait, pour les non-pygmées, tout Nkola
connaît les propriétés médicinales des feuilles, des
herbes, des écorces, des lianes et des arbres de la
forêt, et est de ce seul fait guérisseur. Les
villageois, jeunes ou vieux, hommes ou femmes, des citadins de toutes origines,
et même des « hommes de science », africains ou occidentaux,
qui arrivent dans un campement pygmée, ne manquent pas une seule
occasion pour tirer de côté un pygmée qui leur fournira en
cachette, écorces, lianes, herbes , poudre, pour la virilité,
pour contrer le poison ou tout autre danger. D'aucuns n'hésitent pas
à ramener, des philtres d'amour. Conscients de cette
prédisposition de leurs hôtes, les Bakola n'attendent méme
plus qu'on le leur demande, ils le proposent de gaieté de coeur, mais
très timidement et sournoisement aux éventuels clients, moyennant
une modique récompense. Leurs amis en reçoivent même
très souvent sans contrepartie.
Papa NDIG David, est un voyant - guérisseur Bakola du
hameau de Binzambo (Bidjouka-samalè). Il est spécialisé
dans la confection des philtres d'amour, des talismans. Il est aussi
très sollicité dans le cadre du traitement des maladies mystiques
(poison de nuit, sorcellerie, malédictions, mauvais sorts envoutement,
sorcellerie, etc.)
Photo 7: NDIG David, voyant et guérisseur Ngyelli
à Bidjouka-samalèSource : Aristide Bitouga,
(Bidjouka-samalè 2010)
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Chef NKORO Joseph, est un guérisseur Bakola du hameau
de Nkouonguio(Ngoyang). Il est spécialisé dans le traitement des
maladies mystiques (mauvais sorts, malédictions, sorcellerie, etc.).Il
est aussi sollicité pour les rites de lavage, de purification et de
protection.
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Photo 8: NKORO Joseph, guérisseur Nkola de Ngoyang
Source : Aristide Bitouga, (Ngoyang 2010)
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CHAPITRE DEUXIEME : DEFINITION DES CONCEPTS, REVUE
DE LA LITTERATURE ET THEORIES EXPLICATIVES
II-1- DEFINITION DES CONCEPTS
A l'instar de toutes les sciences, l'Ethno-anthropologie
conçoit et utilise des termes et expressions pour désigner et
signifier des réalités singulières et pour bien
circonscrire les termes et les expressions dont il importe de cerner le sens
exact E. Durkheim dit à propos:
«Il faut définir les choses dont on traite afin que
l'on sache bien de quoi il est question et de rechercher les débats sous
jacents19 '.Cohen, établit que :
« La définition des concepts permet de faciliter la
communication et de promouvoir un usage commun des termes contenus dans le
problème de recherche20 '.
Infrastructures sociales : Le mot
infrastructure est présent dans plusieurs champs de connaissances ce qui
le rend difficilement cernable. Selon le dictionnaire Le Larousse
illustrée 2005, le vocable infrastructure désigne l'ensemble
des équipements techniques et matériels. Il peut aussi signifier
l'ensemble des ouvrages et des équipements au sol destinés
à faciliter le trafic routier, aérien, maritime ou ferroviaire,
on parle en ce moment d'infrastructures routières. On parle aussi
d'infrastructure pour désigner l'ensemble des installations
nécessaires à une activité, à la vie en un lieu.
Cette définition nous paraît être la mieux appropriée
pour rendre compte du contenu du concept infrastructures sociales dans notre
travail de recherche. En effet, la présence d'une infrastructure sociale
dans une communauté vise à l'amélioration des conditions
de vie des populations bénéficiaires. Ce sont des installations
nécessaires et utiles pour le milieu et qui contribuent à
l'épanouissement des individus. De ce fait on peut parler
d'infrastructures sociales lorsqu'il s'agit par exemple d'une école,
d'un dispensaire, des logements sociaux ou de tout autre édifice qui ont
été construits pour améliorer les conditions de vie des
populations.
Le concept infrastructure apparaît abondamment dans les
travaux de Karl Marx qui l'analyse comme l'ensemble des forces
productives et des rapports de production qui constituent la base
matérielle de la société et sur lesquels
s'élève la superstructure (idéologie et institutions).
Pour donner une meilleure compréhension de l'approche marxiste,
Maurice Godelier va procéder à une analogie avec
un bâtiment. L'auteur structure sa pensée en démontrant que
dans tout bâtiment, il y a un sous-bassement qui correspond aux
fondations. Théoriquement en les transposant sur le plan de la
réflexion, on peut appeler ces fondations, infrastructure (elles
correspondent alors au terme marxiste de rapports de production). Mais
19 Émile Durkheim, 1975, Éléments d'une
théorie sociale, Paris, Éditions de Minuit, Sens commun, pp.
13-36.
20 Cohen, 2004, Strategic supply chain management,MC
Graw Hill.
tout bâtiment possède aussi, au dessus des
fondations, une élévation comportant la maison proprement dite.
Cette élévation va avoir pour nom théorique superstructure
(elle correspond au terme marxiste de rapports de production).
Godelier remarque qu'aucun bâtiment n'a
de sens et de réalité s'il ne comporte pas des fondations et une
élévation qui forment un tout, la maison. Il y a donc
interaction. Il est de même dans une société ou
infrastructure et superstructure sont étroitement mêlées et
ne peuvent se concevoir l'un sans l'autre. De ce point de vu marxiste,
l'infrastructure est le sous bassement de toute société et elle
correspond aux rapports économiques ; tandis que la superstructure
correspond à l'ensemble des fonctions d'une société,
religion, art, parenté,...
Dans le cadre de notre travail, infrastructures sociales,
devra s'entendre comme les différentes constructions identifiées
sur le terrain dont la finalité vise à l'amélioration des
conditions de vie des Bakola/Bagyelli. Ce changement de vie passe par leur
sédentarisation et leur intégration dans la société
camerounaise globale. Au nombre de ces constructions qui ont retenu notre
attention nous pouvons citer : le foyer scolaire et les maisons construites
respectivement par le SAILD/APE et la CBCS à Ngoyang et le hameau
construit par la MIPROMALO à Bidjouka-Samalè.
Rapports de cohabitation : Selon le
dictionnaire Le Larousse illustrée 2005, la cohabitation est
l'état de deux ou plusieurs personnes qui habitent sous le méme
toit. C'est également le fait de vivre ensemble. On peut donc envisager
la cohabitation comme étant le partage d'un méme espace vital et
de ses ressources par des individus voire des communautés. La
cohabitation peut aussi s'envisager comme l'existence de coopération
entre deux ou plusieurs groupes sociaux pour assurer leur mieux être et
leur survie dans un environnement qu'ils partagent en commun. La cohabitation
met en situation de complémentarité des individus qui partagent
un même espace vital. Pour résoudre un certain nombre de
problèmes que leur pose leur environnement les gens sont appelés
à échanger, à s'entraider et à se soutenir
mutuellement.
De ces différentes approches définitionnelles,
nous pouvons envisager la relation bantou-pygmée comme étant des
rapports de cohabitation. Car ces deux communautés partagent un
même territoire et il existe entre ces deux groupes une
coopération à bénéfice réciproque.
Méme s'il faut relever ici le fait que cette coopération
perpétue la banalisation, la domination et l'assimilation des
pygmées. Les Bantou et les Pygmées entretiennent de très
anciens contacts et leur histoire est étroitement liée à
leurs migrations ancestrales. Les rapports entre villageois et pygmées
se situent à plusieurs niveaux : ce sont principalement des rapports de
dépendance et de complémentarité.
L'anthropologie marxiste s'est une fois de plus
illustrée dans l'étude et l'analyse des rapports de cohabitation
entre les classes sociales. Méme si la trame de fond de l'approche
marxiste a toujours consisté à mettre l'accent sur les rapports
de domination et d'exploitation entre le prolétariat et la bourgeoisie.
Comment comprendre le fait que des groupes d'hommes puissent coopérer
à la production et à la reproduction de leur subordination, voire
de leur exploitation ? Maurice Godelier donne une
réponse à cette question. Cette réponse tient dans la
proposition suivante : les rapports sociaux sont la résultante d'une
sorte de contrat passé entre les membres d'une méme
société, basé sur un échange de
procédés, à savoir un « service et un contre-service
». Godelier va alors émettre l'hypothèse
que la première relation « service et contre-service » dans
les sociétés d'origine serait fondée sur le service
magicoreligieux (service de protection spirituel) qui trouverait un
allié dans le service que pourrait offrir les guerriers (protection
matérielle). Cette alliance matérielle et symbolique ayant pour
but de protéger le groupe, entrainerait la nécessité
d'apparition des sous-groupes où chaque agrégat aura un
rôle spécifique à jouer pour la survie du groupe. C'est
dans cette optique que nous envisageons la cohabitation entre Bantou (Ewondo et
ngoumba) et les Bakola/Bagyelli. Ce sont des rapports de crainte mutuelle et
d'entraide qui unissent ces deux groupes. Les Bantou recourent aux savoirs
thérapeutiques et magiques des Pygmées tandis que ceux-ci font
appel aux Bantou pour bénéficier des biens et services que ces
derniers peuvent leur procurer.
II-2- REVUE DE LA LITTERATURE
Traditionnellement chasseurs-collecteurs instables, les
Pygmées en général et les Bakola/Bagyelli en particulier
n'ont pas souvent intéressé les colonisateurs successifs du
Cameroun, de même que les nouvelles autorités du pays. Ceux-ci ont
engagé les populations Bantoues dans les processus politique,
économique et social de modernisation du triangle national. Les
Pygmées, à l'inverse, sont restés confrontés
à l'exclusion et à la marginalisation de la vie
socio-économique. Le dépouillement des archives a permis par
exemple au Congo de montrer que dans les années 1930-1950 des
recensements des Pygmées avaient été effectués. Il
ressort de cette documentation ,que pour mieux attirer les Pygmées vers
les villages bantous ou oubanguiens, quelques villages pygmées avaient
été construits à côté des villages des «
Grands Noirs » ; que les administrateurs coloniaux de la Likouala
allèrent jusqu'à offrir des primes de 80 à 125 francs
à quelques chefs indigènes qui avaient réussi à
sortir un certain nombre de Pygmées des forêts et , qu'à la
Foire Internationale de l'Afrique Equatoriale
Française de 1938, organisée à Brazzaville ,
sous le patronage du Gouverneur RESTE, des Pygmées y
furent amenés et qu'aux dires de l'écrivain Antoine
Letembet Ambili21 :
Ceux-ci habitaient comme des parias dans des huttes en
feuilles de bambous, entourés de bananiers tout au long de la
rivière Mfoa, à quelques mètres du lieu où est
actuellement bâtie l'Ambassade de France au Congo. Pour les
Européens, comme pour les colonisés, ces Pygmées
n'étaient parqués en ces lieux que pour aiguiser la
curiosité de leur engouement inhumain.
A dire vrai, au moment où le Cameroun accède
à son indépendance le 1er Janvier 1960, les
Pygmées n'ont de dignité qu'entant qu'êtres de forét
asservis par les Bantou et non en tant que membres libres d'une
société nationale « moderne ». Ils sont encore ces
marginaux d'un ordre socio-politique nouveau qui proclame les idéaux
d'unité, de travail et de progrès. Cette tendance, bien qu'elle
tende de nos jours à disparaitre, transparaît encore dans le
quotidien de ces peuples au regard des rapports de cohabitation qu'ils
entretiennent avec les Bantou. Les actions visant l'amélioration des
conditions de vie des Pygmées dans la communauté nationale et
internationale vont se faire ressentir aux alentours des années 60. Ces
actions sont l'oeuvre de quelques Bantous et des missionnaires qui manifestent
un réel intérét pour le développement des
Pygmées. Ils mènent des activités liées à
l'alimentation, à la scolarisation, à l'hygiène et
à la santé.
Les exemples les plus patents dans cette dynamique sont ceux
de Monseigneur Lambert VAN HEYGEN, Archevêque de Bertoua, le
regretté père Ignace DHELLEMES dans le Sud-ouest Cameroun et les
Petites Soeurs de Jésus dans le Sud-ouest Cameroun. Ces pionniers seront
suivis plus tard par d'autres acteurs notamment l'Etat à travers le
MINAS (Ministère des Affaires Sociales), l'Association
Néerlandaise d'Assistance au Développement(SNV) et depuis 1994,
par le SAILD/APE. De manière générale, on peut souligner
que l'Etat et les autres populations voisines des Pygmées sont encore
loin d'assumer la citoyenneté des Bakola. Certes, dans une perspective
d'adaptation et d'ajustement au débat international, quelques
avancées ont été enregistrées telles que la
construction des infrastructures sociales aux Bakola/Bagyelli de Bidjouka et de
Ngoyang pour ne citer que ces exemples d'actions concrètes sur le
terrain, puisque c'est de cela qu'il s'agit dans ledit travail de recherche.
Mais au-delà de toutes ces avancées visibles, il faut souligner
que les pratiques sociales des Bantou perpétuent la banalisation, la
domination et l'assimilation des Pygmées.
Bahuchet22, parlant des rapports
qu'entretiennent les Bantou avec les Pygmées, adopte une approche
mitigée. Dans son ouvrage Introduction à l'ethnologie des
Pygmées, il
21 LETEMBET AMBILI A., 1984, «
L'intégration des pygmées dans la société moderne
», ETUMBA, n0 722, du 21 janvier.
entrevoit la cohabitation entre Bantou et Pygmées comme
étant des rapports de crainte mutuelle et d'entraide. Pour Bahuchet, le
fait que les Pygmées soient relégués à la
forêt, domaine de la sauvagerie confèrent aux Pygmées
d'être considérés aux yeux des Grands Noirs, comme
étant des Etres civilisateurs, Sauveurs, mais également des
Sauvages. L'ambigüité de l'espace forestier, à la fois
dévalorisé, dangereux, peuplé de monstres et de puissances
maléfiques mais aussi pourvoyeur d'abondance et de nourritures
convoitées sous-tend la vision des Pygmées, objet de
mépris mais aussi de crainte. La cohabitation sur un même
territoire avec les esprits et des génies redoutés, le partage de
facultés communes (force, habilité, agilité,
mobilité), le pouvoir de les contacter, impressionnent, voire effraient
les « Grands Noirs ". Ceux-ci d'ailleurs recourent aux savoirs
thérapeutiques et magiques des Pygmées et leur panthéon
n'est pas sans être influencé par le monde naturel et surnaturel
de ces derniers.
Dounias23, s'exprimant au sujet
des relations entre les Bantou et les Pygmées montre que les Bagyelli
entretiennent de très anciens contacts avec leurs voisins Bantou, et
leur étroite parenté linguistique avec les Ngoumba laisse penser
que leur histoire est étroitement liée aux migrations ancestrales
de ces derniers. En parcourant l'ensemble de l'oeuvre de Dounias il ressort que
tout porte à croire que le système d'échanges qui
prévalait alors, s'opérait selon le principe de troc
équilibré, motivé par une réelle
complémentarité. Les Bagyelli pourvoyaient les Bantou en produits
de la forêt (venaison, plantes médicinales) louaient leurs
services (guides, travaux d'essartage...). En échange, les Bantou
fournissaient en fer, en produits agricoles, et les garantissaient d'une
certaine protection.
Pour Ngima24, les rapports entre
villageois et Pygmées se situaient à deux niveaux : les rapports
de maîtres à dépendants et le troc entre produits de
chasse, de cueillette, de ramassage, et les produits fournis par les «
Grands Noirs " (vêtements, drogues, aliments, dot, fer). Pour cet auteur,
le Pygmée dépendait presque entièrement de son «
patron " villageois. Il travaillait dans ses plantations, chassait pour lui,
lui donnait du Strophantus pour rien, le plus souvent, soumettait ses
déplacements et événements familiaux. Cette
dépendance provenait du fait que la plupart des mariages pygmées
étaient supportés par le patron. Enfin, le manque
22 BAHUCHET S., 1978, Introduction à
l'ethnologie des Pygmées Aka de la Lobaye, Paris, EHESS.
23 DOUNIAS, E ; 1987, Ethnoécologie et alimentation
des Pygmées Bagyelli ; Le Havre, ISTOM.
24 NGIMA, M, G; 1993 Le système alimentaire des groupes
pygmées Bakola de la région de Campo ; Thèse Doctorat,
Paris.
de nourriture (manioc, plantain, macabo, couscous, ignames,
etc.), dû à la non pratique de l'agriculture, ramenait la petite
famille ainsi formée auprès de ses protégés et se
définissait en fonction de ceux-ci. C'est ainsi qu'elle adoptait leurs
clans et la famille et en faisait partie avec toute sa descendance, sans qu'il
y ait eu auparavant, des liens de parenté et de sang. En contrepartie,
le villageois pouvait héberger, nourrir et soigner son Pygmée.
Mais cette situation d'étroite dépendance unilatérale
étant devenue un état de fait pendant longtemps, celle-ci
était acceptée et vécue tout naturellement par les deux
parties, et n'empêchait pas des rapports presque amicaux et
détendus dans la vie quotidienne.
La diminution constante de la venaison comme terme de troc
entraine un accroissement proportionnel des services. Pour continuer à
recevoir du sel et des produits agricoles, les Bakola/Bagyelli doivent investir
plus de temps aux tâches agricoles chez leurs voisins, pour combler le
manque à gagner des chasses de plus en plus aléatoires.
Le phénomène de l'endettement accroit
considérablement la dépendance alimentaire des Bakola/Bagyelli.
On note sur le terrain une forte expansion de cette dépendance des
Pygmées vis-à-vis des Bantous. Ceci peut s'expliquer entre autres
par l'attrait des Bakola/Bagyelli vers l'alcool, le tabac et le chanvre ; trois
vices indissociables que les Bantous entretiennent savamment à leur
profit. L'accoutumance aidant, les Pygmées n'hésitent pas
à contracter de lourdes dettes pour satisfaire leur manque. Ces derniers
se voient dès lors, imbriqués dans un processus de remboursement
sans fin, qui bien sûr, accroît la dépendance
économique, mais aussi ajoute une dimension conflictuelle aux relations
: le « patron " bantou en position de force s'attribue le droit de faire
pression sur « son pygmée " pour obtenir le dédommagement de
la dette.
Cette situation de dépendance n'est pas sans avoir une
incidence psychologique complexe sur les rapports Pygmées/Bantous. Le
« patron " bantou adopte une attitude paternaliste et protectionniste
à l'égard de son « enfant pygmée ". Il perçoit
en effet, ce dernier comme un être inférieur, ignorant, car
très peu scolarisé, et influençable. De ce point de vue,
le comportement protectionniste est une habile façade pour justifier
leur forte emprise sur les Pygmées. L'attitude méprisante et
dévalorisante à l'égard du mode de vie pygmée
contribue à la valorisation de l'écosystème villageois par
le Bagyelli/Bakola. Le Pygmée qui vit en permanence cette relation de
dominant à dominé, finit, à la limite, à se
persuader luimême de son infériorité.
Aujourd'hui, la sédentarisation apparait comme une
marque d'évolution. Cela apparait à travers des indices visibles
tels que les transformations enregistrées au niveau de l'habitat, de
l'économie, de l'éducation et de la santé. Lentement mais
progressivement, les Bakola
abandonnent la vie nomade pour se constituer en
établissements fixes ou semi-mobiles. Ils sortent de plus en plus de
brousse pour aligner à l'instar de leurs voisins Bantou leurs
habitations le long de la route ou des pistes carrossables. Les villages ou
hameaux qui se créent n'ont qu'un lointain apparentement avec les
anciens campements. Les huttes de branchages et de feuilles de
maranthacées cèdent la place à des cases modernes, aux
casesnattes ou pailles tressées, géométriquement
alignées.
Sur le plan économique et social, les Pygmées
mènent aujourd'hui des activités visant à réduire
leur marginalisation sociale, leur dépendance et leur subordination aux
populations Bantous voisines. Le processus de changement des modes de vie dans
les activités de production est marqué par l'adoption et le
développement de l'agriculture vivrière et l'insertion
problématique dans l'économie de marché, eux-mêmes
liés au processus de sédentarisation des communautés
pygmées. En fait, les Pygmées ne vivent plus exclusivement de la
chasse et de la cueillette, ils pratiquent l'agriculture. Certes la pratique de
l'agriculture ne date pas d'hier, mais elle a pris une réelle ampleur
ces dernières années et elle tient une place de plus en plus
importante dans l'économie. L'agriculture pratiquée ici est
davantage tournée vers la production vivrière. On constate dans
les arrondissements de Bipindi et de Lolodorf que les Bakola se sont
réellement investis dans les activités agricoles, il y a une
régression de leur dépendance vis-à-vis des Bantous.
Dans le domaine de l'éducation, l'école s'est
ancrée bien que timidement dans les mentalités de ces derniers.
Par le passé, les enfants pygmées étaient
éduqués par leurs parents sur la base de leur propre
expérience. Actuellement, cette éducation de base est
complétée par les enseignements de l'école moderne. Les
enfants pygmées suivent les enseignements soit dans les centres
préscolaires mis en place dans leur hameau par les structures d'appui,
soit dans les écoles publiques installées dans les villages
Bantous voisins. La formation reçue au centre préscolaire
prépare l'entrée des élèves dans les écoles
publiques villageoises. Dans certains cas, les enfants pygmées partent
directement des hameaux pour l'école publique du village. La
scolarisation a nettement progressé grâce à la
sensibilisation menée auprès des parents par les organisations
non gouvernementales.
II-3-THEORIES EXPLICATIVES
La théorie peut se définir comme un modèle
explicatif d'un phénomène social ou d'une réalité
sociale. Pour Raymond Aron, il dit de la théorie
qu'elle est :
Un système hypothético-déductif
constitué par un ensemble de propositions dont les termes sont
rigoureusement définis, élaborés à partir d'une
conceptualisation de la réalité perçue et
observée25.
Pour mieux l'expliciter Mbonji Edjenguèlè
dit d'elle qu'elle est :
Un ensemble de lois concernant un phénomène,
elle se veut être un corps explicatif global et synthétique
établissant des liens de relation causale entre les faits
observés, analysés et généralisant lesdits liens
à toutes sortes de situations26.
Les données primaires et secondaires ont été
analysées à l'aide de deux théories que sont :
l'ethnométhodologie et la théorie du conflit.
II-3-1-Présentation et Justification du choix des
théories
a- L'ethnométhodologie
L'ethnométhodologie a été
élaborée par Alfred Schütz et Harold Garfinkel au cours des
années 1960. L'ethnométhodologie est une théorie
sociologique qui considère l'ordre social comme un accomplissement
méthodique. Harold Garfinkel dit de sa recherche qu'elle est
orientée vers la tâche d'apprendre de quelle façon les
activités ordinaires réelles des membres consistent en des
méthodes pour rendre les actions pratiques, les circonstances pratiques,
la connaissance de sens commun des structures sociales et les raisonnements
sociologiques pratiques, analysables. L'ethnométhodologie relie donc une
approche des faits sociaux « comme des oeuvres », qui « voit des
processus », une approche de la cognition, en l'occurrence celle des
« méthodes des membres », et une approche de la communication.
Le thème central des études ethnométhodologiques est la
« descriptibilité (« accountability ») rationnelle des
actions pratiques, en tant qu'elle est un accomplissement continu et
pratique27 ». L'ethnométhodologie n'a pas pour objet de
construire un sens, elle tente plutôt de comprendre comment le sens se
construit dans un groupe précis. Si les membres ont une
compétence unique pour construire du sens, ils ne s'interrogent que
rarement sur la manière dont ils se construisent.
L'ethnométhodologie repose sur quatre grands principes à savoir :
L'indexicalité: désigne une
propriété du monde plus qu'un phénomène social.
Elle est une notion empruntée à la linguistique, elle a
été initialement formulée en 1954 par le linguiste
25 Aron, R; 1967, « What is a theory of International
Relations? », Journal of International Affairs, pp.185-206.
26 Mbonji, E ; 2005, L'Ethno-perspective ou le
discours de l'ethno anthropologie culturelle, Yaoundé, P.U.Y.
27 Garfinkel,H ; 1986 ,Ethnomethodological Studies of
Work, Londres ,Routledge & Kegan Paul.
Bar Hillel. Celui-ci dit de la notion d'Indexal expressions,
une notion qu'il a lui-même formée, « il y a des
expressions indexicales qui ne peuvent pas êtres sorties de leur
contexte. ». L'ethnométhodologie emprunte cette notion pour
rendre compte de la nécessité qu'il y a pour comprendre les
échanges au sein d'interaction, de les indexer sur les situations
locales qui les ont produites.
La réflexivité: c'est une
notion précise mais délicate à manipuler, car on peut
rapidement la confondre avec l'indexicalité. Contrairement à
l'indexicalité, elle est un phénomène observable dans les
comportements. On peut la comprendre comme la capacité de chacun
à interpréter les signes qu'il observe pour construire du
sens.
La descriptibilité: c'est un
caractère qui doit s'appliquer aux sujets d'études
ethnométhodologiques. Ceux-ci doivent être rapportables,
descriptibles, observables, résumable à toute fin pratique selon
les termes de Garfinkel. On laisse donc de côté les objets
construits par l'entendement humain véhiculant une part importante
d'imaginaire, impossible à circonscrire.
Les ethnométhodes: ce sont des
processus que les membres d'un groupe utilisent pour mener à bien leurs
actions pratiques. Les actions pratiques sont des activités quotidiennes
et banales que chacun assure sans y préter une attention
particulière. L'ethnométhodologie est donc l'étude de ces
ethnométhodes.
L'ethnométhodologie, dans le cadre de notre travail de
recherche s'offre à nous comme une théorie appropriée pour
analyser les rapports de cohabitation entre les communautés bantoues
(Ngoumba et Ewondo) et les Bakola/Bagyelli. En effet, elle nous permet de
mettre en évidence, de décrire des occurrences, des formes de
raisonnement pour dégager des « patterns " sous-jacents, les
structures sociales, qui, contrairement aux positions de Durkheim, ne sont pas
données, évidentes, lisibles, mais doivent être
construites, détectées, reconnues comme « objectives ". Le
chercheur doit lui apprendre à reconnaître comment quoi est
caractérisé. La notion de code est importante. Code de conduite,
implicite, à découvrir, mutuellement élaboré,
transmis dans et par l'action implicitement, et dont l'enquêteur doit
tenir compte pour rendre compte de ce qu'il voit du point de vue du code :
condition absolue. Le code est incarné dans la situation, et cette
dernière révèle le code. C'est le code qui rend l'action
sociale observable et reportable de façon plausible et partagée.
Car le conflit est souvent larvé, c'est-à-dire qu'on ne peut pas
forcément le voir « à l'oeil nu " ou plus
précisément, il nécessite, dans bien des cas pour
être vu et compris, une investigation socioanthropologique, un oeil
clinique. C'est-à-dire qu'un visiteur extérieur, une personne
étrangère au groupe ou à la communauté, pourra ne
pas prendre conscience de son existence. Seule une
familiarité plus grande avec ces personnes et ces
structures, ou une analyse approfondie voire anthropologique, pourra pointer
l'existence d'un conflit.
b- La théorie du conflit
La théorie du conflit affirme que la
société ou l'organisation fonctionne de sorte que chaque
participant individuel et ses groupes luttent pour maximiser leurs avantages.
Ce qui contribue inévitablement aux changements sociaux comme les
évolutions politiques et/ou les révolutions. Cette théorie
est la plupart du temps appliquée en vue d'expliquer le conflit entre
les classes sociales, prolétariat contre bourgeoisie ainsi que, pour les
idéologies, capitalisme contre socialisme. La théorie essaie de
réfuter le fonctionnalisme.
En effet, il n'est pas question de considérer que les
sociétés et les organismes fonctionnent de sorte que chaque
individu et groupe joue un rôle spécifique, comme des organes dans
le corps. Il y a des hypothèses de base radicale (la
société est éternellement en conflit, ce qui pourrait
expliquer le changement social), ou de base modérée (la coutume
et le conflit sont toujours mélangés). La version
modérée tient compte du fonctionnalisme puisqu'elle accepterait
ce même jeu négatif d'institutions sociales par partie dans
l'individuBeibehaltung de la société. L'essence de la
théorie du conflit est mieux résumée par la «
structure de pyramide » classique dans ce qu'une élite dicte des
limites aux masses plus grandes. Toutes les positions, lois, et traditions
principales dans la société sont conçues pour soutenir
ceux qui ont traditionnellement été dans la puissance, ou les
groupes qui sont perçus pour être supérieurs dans la
société selon cette théorie. Ceci peut également
être augmenté pour inclure la « moralité » de
n'importe quelle société et par prolongation leur
définition de déviance. Quelque chose qui défie la
commande de l'élite sera probablement considéré «
déviante » ou « moralement répréhensible.
»
En résumé, la théorie du conflit cherche
à cataloguer les manières dont ceux qui ont le pouvoir, dans la
recherche de puissance travaillent à rester dans la puissance. Dans la
théorie du conflit, le groupe stratégique concurrent joue un
rôle principal. Nous allons à l'intérieur de la
théorie du conflit convoqué trois éléments que sont
: l'arène, les groupes stratégiques et le conflit.
Arène
C'est peut-être dans le contexte des analyses de
Bailey28 le terme, fréquemment
utilisé dans la littérature anglo-saxonne, est le plus
significatif, bien qu'il ne soit jamais explicitement défini.
Bailey voit la politique, nationale comme locale, en termes de
« jeu »,
28 Bailey, 1969, Strategems and spoils. A social
anthropology of politics , Oxford.
oü se confrontent et s'affrontent les acteurs sociaux,
autour des leaders et de factions. L'arène est au fond l'espace social
oü prennent place ces confrontations et affrontements.
La notion d'arène peut utilement être
rapprochée de la notion voisine de « champ ". Pour Swartz,
le champ (politique) est un espace social et territorial à
l'intérieur duquel sont reliés les uns et les autres les acteurs
impliqués dans un processus politique. Le champ politique inclut «
the values, meanings, resources, and relationships employed by the
participants in that process". Ainsi son acception du champ politique est
plus large que celle de Bailey et d'autres. Pour Swartz,
« arène " renvoie à:
The social and cultural area which is immediately adjacent
to the field both in space and in time", zone qui « contains the
repertory of values, meanings, and resources these actors possess, together
with the relationships among them» (relations qui peuvent être
multiplexes ou non) and « the values, meanings and resources possessed by
the field29.
Divers auteurs ont quant à eux utilisé
arène et champ de façon interchangeable, et d'autres ont
utilisé champ pour inclure simultanément les sens de champ et
d'arène selon Swartz. Pour nous, arène
évoque à la fois une échelle plus restreinte et une plus
claire conscience des affrontements chez les acteurs eux-mêmes. Une
arène, au sens où nous l'entendons est un lieu de confrontations
concrètes d'acteurs sociaux en interaction autour d'enjeux communs. Un
projet de développement est une arène. Le pouvoir villageois est
une arène.
Conflit
Les premiers travaux en anthropologie qui aient
systématiquement abordé la réalité sociale par le
biais des conflits sont sans doute ceux de l'Ecole de Manchester, dès le
début des années 195030. Cependant les usages qui ont
été faits de la notion de conflit restent ambigus, et renvoient
à au moins trois niveaux d'analyse qu'il est utile de
désagréger.
D'une part, un constat empirique : les sociétés,
toutes les sociétés, sont traversées de conflits ; Le
conflit est donc un élément inhérent à toute vie
sociale. Cette idée est un leitmotiv dans l'oeuvre de Max
Gluckman, le fondateur de l'Ecole de Manchester, et
dans celle de ses disciples31.
D'autre part, une analyse structurelle : les conflits
renvoient à des différences de positions. Le plus clair exemple,
et le plus systématique, en est le premier grand ouvrage de
29 Swartz, M.J.1969, Social and Cultural Perspectives,
London: University of London Press: 1-46.
30 Bien évidemment la notion de conflit
était déjà au coeur du paradigme marxiste. Mais divers
auteurs extérieurs à cette tradition ont mis en évidence
l'importance des conflits, comme Dahrendorf (1959), en macrosociologie,
Crozier(1964) en sociologie des organisations.
31 Le conflit est déjà un thème
d'un des premiers ouvrages de Gluckman(1940), mais prend plus d'importance dans
les publications ultérieures comme : « Custom and conflict in
Africa " (Gluckman, 1956).
Victor Turner32. Les conflits sont
l'expression de « contradictions » structurelles. Autrement dit les
sociétés, aussi petites soient elles, et aussi dépourvues
soient elles de formes institutionnalisées de « gouvernement
», sont divisées et clivées. Ces divisions et ces clivages
sont entretenus par des « coutumes », c'est-à-dire des normes,
des règles morales, des conventions. Les conflits expriment donc des
intérêts différents liés à des positions
sociales différentes et sont culturellement structurés.
L'analyse structurelle, nous semble quant à elle devoir
etre amendée(en suivant d'ailleurs certaines pistes que Gluckman lui
même a tracées dans ses écrits les plus programmatiques).
Il est vrai que bien souvent les conflits renvoient à des positions
différentes dans la structure sociale. Mais il convient pour
Long33 de souligner l'existence d'une marge de
manoeuvre pour les individus ; C'est ce dernier qui a introduit dans la
sociologie et l'anthropologie du développement la problématique
de l'Ecole de Manchester. Un conflit entre personnes ou entre groupes n'est pas
l'expression d'intérêts objectifs opposés, mais aussi
l'effet de stratégies personnelles, plus ou moins insérées
dans des réseaux et organisées en alliances.
Identifier les conflits, c'est aussi un moyen d'aller au-
delà de la façade consensuelle et de la mise en scène en
direction de l'extérieur que les acteurs d'une société
locale proposent souvent à l'intervenant ou au chercheur
extérieur. Ceci est particulièrement important dans le champ du
« développement », où les stratégies de mise en
scène face à des intervenants extérieurs sont devenues une
part du savoir-faire des acteurs locaux. En Afrique, où la « rente
du développement » est désormais une composante structurelle
de l'économie de nombreux villages et a été
intégrée dans les stratégies
paysannes34, toute enquête est perçue
par les villageois comme les prémisses d'un flux aide potentiel, et les
gens présentent donc aux chercheurs le spectacle d'un village uni et
dynamique, dont les besoins correspondent exactement à ce que l'on pense
que les visiteurs sont prts à fournir.
Groupes stratégiques
C'est vers Evers35 que nous nous sommes cette fois
tourné pour mieux expliquer le concept de groupe stratégique.
Chez ce sociologue allemand, il s'agit de proposer une alternative à la
catégorie de « classe sociale », trop figée, trop
mécanique, trop économique,
32 Turner, 1957, Schism and continuity in an African
Society,Manchester University.
33 Long, 1989, Encounters at the interface.A
perspective on Social Discontinuities in Social Life,Wageningen.
34 Bierschenk&Olivier de Sardan, 1997,
«Ecris: Rapid collective inquiry for the identification of conflicts
and
the strategic groups »; Human
Organization.
35 Evers & Schiel, 1988, Strategische Gruppen.
Vergleichende Studien zu Staat ; Berlin, Reimer Vertag.
trop dépendante d'une analyse marxiste en termes de
« rapports de production ». Les groupes stratégiques
apparaissent ainsi comme des agrégats sociaux plus empiriques, à
géométrie variable, qui défendent des
intéréts communs, en particulier par le biais de l'action sociale
et politique.
Cette perspective plus pragmatique, plus proche des
réalités empiriques, au lieu de définir a priori les
critères de constitution de groupes sociaux, déduit les groupes
pertinents pour un problème donné à partir de l'analyse
des formes d'action observables en vue de l'appropriation des ressources. Selon
les contextes ou les circonstances, un acteur social est un membre potentiel de
différents groupes stratégiques, en fonction de son propre
répertoire de rôles. Il n'y a pas de frontières rigides
entre les groupes stratégiques. La notion de groupe stratégique
reste essentiellement d'ordre empirique et heuristique. Elle suppose simplement
que dans une collectivité donnée les acteurs n'ont ni les
mémes intéréts, ni les mémes
représentations, et que, selon les problèmes, leurs
intérêts et leurs représentations s'agrègent
différemment, mais pas n'importe comment.
II-3-2-EXPOSE SUR LES THEORIES
II- 3-2-1- L'Ethnométhodologie
Dans cette section, il sera question de présenter l'Ecole
de Chicago et les principaux théoriciens.
II- 3-2-1-1- L'Ecole de Chicago
Les origines de l'Ecole de Chicago
s'enracinent dans la sociologie de la ville de Chicago de la
première moitié du 20ème siècle,
grâce aux travaux d'une mouvance née au sein de
l'Université de Chicago, dès l'ouverture de cette dernière
en 1892, et qui sera connue sous le nom de « l'Ecole de Chicago ». Et
ce n'est pas un hasard. La ville de Chicago du début du siècle
était confrontée, en effet, à des problèmes
explosifs : problèmes de déracinement culturel et donc
d'insertion-de « désorganisation réorganisation »,
diront les sociologues de Chicago- de la mosaïque d'ethnies qui la
constituait pour moitié de sa population en 1900, à la faveur
d'importants mouvements d'immigration en provenance de pays aussi divers que
l'Irlande, l'Italie, l'Allemagne, la Pologne ..., à quoi s'ajoute
l'immigration intense des Noirs Américains venus du Sud ;
problèmes de désintégration sociale aussi, avec, en
particulier et déjà, des phénomènes lourds de
délinquance, de gangs, de criminalité ; et encore,
problèmes de maîtrise d'une croissance urbaine gigantesque et
cependant non contrôlée ...
Autant de questions qui relèvent par excellence de
l'analyse sociologique, faisant méme l'objet d'une demande sociale
explicite d'études pour les comprendre et les traiter. Mais la
sociologie ainsi sollicitée se devait à
l'évidence d'être moins académique et plus pratique,
c'est-à-dire capable de traiter les problèmes et, pour ce faire,
de pénétrer les lieux où ils se posent et d'en saisir, de
l'intérieur le sens et les enjeux ...
Et c'est précisément cette sociologie empirique
que l'Ecole de Chicago va initier et développer jusqu'à
l'institutionnaliser. Et elle le fera d'autant mieux que nombre de ces
fondateurs, comme L. WARNER et R. REDFIELD, sont anthropologues de formation,
ou acquis aux vertus de l'observation in situ et du travail monographique,
comme E. HUGHES. L'histoire de cette entreprise de fondation s'est faite en
deux vagues :
Celle des précurseurs, jusqu'aux années 1920, avec
William I. Thomas, Robert E. PARK, Ernest W. BURGESS, Rodérick D. Mc
KENZIE ;
Celle des fondateurs de l'interactionnisme à proprement
parler (tel que conceptualisé sous le label « interactionnisme
symbolique »), qui donnera lieu à la « deuxième
école de Chicago », avec la première
génération, des années 1930-1940 : Herbert G. BLUMER,
Everett C. HUGHES, Alfred SCHUTZ, William L. WARNER, Robert REDFIELD ... . Et
une seconde génération, dans les années 1950-1960 avec
Harold GARFINKEL, Erving GOFFMAN, Howard BECKER...
II-3-2-1-2-Les théoriciens II-3-2-1-2-1- Alfred
Schutz
Avocat d'affaires à Vienne, Alfred Schutz écrit
en 1932 Der Sinnhafte Aufbau der sozialen Welt, un ouvrage sur la
phénoménologie du monde social dans lequel il tente de nouer les
fils reliant interaction sociale et intercompréhension. Fortement
influencé par M. Weber et par E. Husserl, A. Schutz forge le projet
d'une sociologie phénoménologique [... définie, comme] une
herméneutique de l'action sociale. A. Schutz, Le Chercheur et le
quotidien, trad. française, 1987). Elle vise à la
compréhension des procédures d'interprétation quotidienne
qui permettent de donner un sens à nos actions et à celle des
autres.
Tout comme Husserl considérait que le monde est une
donnée objective qui s'impose de la même manière, avec sa
structure et son histoire, aux individus qui doivent composer avec, Schutz
s'intéresse au monde social tel qu'il est perçu de façon
immédiate et familière grâce notamment à une
connaissance socialement distribuée(par les amis, les maitres, les
parents). Wébérien, Schutz accorde ensuite un primat à la
notion de sens de l'action. Pour résoudre le problème
délicat de la connaissance du sens de l'action d'autrui, Schutz pose les
bases d'une théorie de l'interaction.
A cette fin, il opère tout d'abord une analyse critique
de la notion wébérienne de compréhension et
reconnaît volontiers, malgré tout, que la connaissance
intersubjective par l'interchangeabilité des points de vue est possible.
En second lieu, il puise chez Husserl la notion de Typicité. La
typicité est un ensemble des schèmes interprétatifs qui
caractérisent notre connaissance familière te commune des choses
perçues par le biais d'intérêts et de sens communs. La
typicité n'est donc pas un stratagème heuristique visant à
mieux comprendre le monde historique (comme l'était, à l'inverse,
la notion d'idéal-type chez M. Weber) mais le produit d'une conception
du monde de la part des acteurs.
Schutz a été d'une influence déterminante
sur le développement de l'ethnométhodologie, non pas comme
passeur de Husserl en sociologie, mais bien plutôt par le fait que «
Schutz fut relu de façon très personnelle par Garfinkel qui
privilégia le thème, peu développé, de la
réflexivité du sens commun, c'est-à-dire de la
capacité des agents à rendre compte eux-mêmes de leurs
pratiques antérieurement à toute pratique scientifique. ».
Les travaux de Schutz servent également de point de repère pour
les sociologues qui, aujourd'hui privilégient une approche
phénoménologique de la vie quotidienne.
II-3-2-1-2-2-Harold Garfinkel
Né en 1917, H. Garfinkel est au début des
années 1950 inscrit en thèse sous la direction du sociologue
Talcott Parsons. Figure marquante de ce que l'on a appelé le
fonctionnalisme, ce dernier est marqué par le problème de
l'ordre: pourquoi y a-t-il dans le monde social de l'ordre plutôt que le
chaos? La réponse qu'il apporte dès 1937 (dans The Structure
of Social Action) à cette question est que les individus agissent
en suivant «des modèles normatifs qui règlent les
conduites et les appréciations réciproques». Ces normes
sont incorporées par les individus au cours de la socialisation et
appliquées sans même avoir besoin d'y réfléchir.
Parallèlement, H. Garfinkel se nourrit aussi de la pensée du
sociologue Alfred Schütz (1899-1959).Inspiré par la
phénoménologie d'Edmund Husserl, il tente de décrire
l'expérience individuelle du monde social comme un monde intersubjectif
allant de soi, un monde de routines.
La production d'un monde quotidien ordonné, non
problématique, routinier fascine également Garfinkel. Mais les
réponses de ses prédécesseurs ne le satisfont
guère. En effet, dans les deux cas, tout se passe comme si les normes ou
les routines agissaient de leur propre force, comme si les individus, dans leur
action ordinaire, ne faisaient qu'appliquer mécaniquement des
règles qui leur seraient extérieures. Et que,
symétriquement, le sociologue n'avait rien à dire sur la
manière dont concrètement les gens (inter)agissent ou se
comprennent. Les Recherches vont illustrer le point
de vue opposé. Pour le fondateur de l'ethnométhodologie, l'ordre
social (un monde prévisible) ne s'impose pas aux individus, il est
produit par eux. S'appuyant notamment sur l'interactionnisme symbolique et le
courant pragmatique, il montre que loin d'être des « idiots
culturels » agissant selon des alternatives préétablies, les
individus ont des compétences pour interpréter la situation dans
laquelle il se trouve et y agir convenablement. La science des
ethnométhodes, c'est-à-dire :
Des procédures appuyées sur un stock de
connaissances qu'utilisent les membres dans leur activité
quotidienne», vise donc à rendre compte le plus finement
possible «de la manière dont les individus font et disent ce
qu'ils font et disent lorsqu'ils agissent en commun ,dans le but de
découvrir les «méthodes» qu'ils utilisent pour
accomplir, au moment même où ils le font, l'activité
pratique dans laquelle ils sont pris 36.
II-3-2-2-La théorie du conflit
Dans cette section, il sera question de présenter l'Ecole
de Manchester et les principaux théoriciens.
II-3-2-2-1- L'Ecole de Manchester
L'Ecole de Manchester a mis sur pied un
important projet de recherche anthropologique dans les régions rurales
et urbaines de l'Afrique Centrale britannique des années 1950 et 1960 ;
Ces recherches étaient coordonnées par le Département de
l'Anthropologie Sociale de l'université de Manchester et la
Rhodes-Livingstone Institute. Les innovations théoriques et
méthodologiques qui aboutirent à ce projet coopératif
n'étaient qu'une suite de celles qui avaient été
initiées dans le même domaine de recherche par Max Gluckman au
début de sa carrière académique comme agent de recherche
pour l'Institut. Plus tard, il devint le tout premier professeur du
Département d'Anthropologie sociale à l'université de
Manchester. Ses étudiants, plus tard, dans le cadre de leurs travaux de
recherche développèrent des approches théoriques et
méthodologiques de Gluckman qui, éventuellement, aboutirent
à la mise en oeuvre d'une école de Pensées:
l'Ecole de Manchester. Tout au long de sa
carrière, Gluckman a joué un rôle majeur dans la
création de l'Ecole de Manchester.
Quelques thèmes sont considérés comme
caractéristiques des approches de recherche de l'Ecole de Manchester.
Ses Théoriciens ont examiné des situations de conflit qui sont
contenues dans un ordre apparemment établi, qui est
perpétuellement menacé par le refus des individus à
accepter des compromis qui ne satisfassent pas leurs besoins immédiats.
L'Ecole
36 Albert Ogien, «A quoi sert
l'ethnométhodologie?», Critique, n° 735, 2008.
de Manchester se caractérise par son
intérêt pour le conflit et sa focalisation méthodologique
sur l'analyse des situations réelles; Les étudiants collectaient
les données à partir des observations faites sur les actions
sociales des individus et les décrivaient de façon très
détaillée. Leurs investigations démontrèrent un
intérêt pour le processus social dans des cas concrets de conflit
et de résolution de ceux-ci.
II-3-2-2-2- Les
théoriciens II-3-2-2-2-1- Max Gluckman
Max Gluckman (1911-1975), est né à Johannesburg,
Afrique du Sud des parents russojuifs. Il étudia l'Anthropologie
à l'université de Witwatersrand de 1928-1939, sous la direction
de Mme A.W.Hoernlé et Schapera. En 1938, il se rend à
l'université d'Oxford oü il décrocha son Ph.D deux ans plus
tard. Entre 1936 et 1938, Gluckman a mené des travaux de recherche dans
le pays Zulu. De ses expériences de terrain il rédigea entre
autre essais : Le Royaume Zulu de l'Afrique du Sud et
Analysis of a social situation in Modern Zululand. Gluckman a
développé plus tard son point de vue sur la question de
l'opposition segmentaire qui est le point central de la théorie du
conflit. Gluckman a développé sa propre approche théorique
sur les modes d'opposition et les conflits oü il approuve l'idée de
l'expression d'équilibre à travers le conflit en opposition
segmentaire et a insisté sur les multiples allégeances sociales
orchestrés par les acteurs des groupes d'opposition. Il était
influencé par le travail des néo-structuralistes d'Oxford,
particulièrement par les premiers travaux d'EvansPritchard. En 1939,
Gluckman se rendit en Rhodésie du nord comme chercheur de la
Rhodes-Livingstone Institute. Là, il mena des travaux de recherche parmi
les Barotseland. En 1941, ses travaux furent suspendus après qu'il ait
prit les commandes de la dite Institut. Peu après, il retourna à
Barotseland où il focalisa ses recherches sur les processus judiciaires
des cours tribales de Barotse. A partir des données collectées,
il publia deux livres de grande importance : The judicial process among the
Barotse of Northern Rhodesia37(1955) et The Ideas
in Barotse jurisprudence38(1965). Dans ses descriptions et
analyses, Gluckman démontre son intérêt pour les tribunaux
et leur rôle en tant que agents de moralité; En 7947, il quitta
l'Institut pour un poste d'enseignant à Oxford. Deux plus tard, il
renonce à son poste à Oxford pour une nomination à
l'université de Manchester comme le tout premier professeur
d'Anthropologie sociale. Gluckman forma la plupart des chercheurs, ceux qui
étaient désignés comme agents de recherche et pourvu
à un cadre académique pour eux après leur retour sur le
37 Gluckman ; 1955, The judicial process among the
Barotse of Northern Rhodesia
38 Gluckman ; 1965, The Ideas in Barotse
jurisprudence
terrain en Afrique Centrale. Leurs premiers rapports
étaient généralement présentés lors des
séminaires de Gluckman à l'université de Manchester.
II-3-2-2-2-2- Michel Crozier
Né à Sainte-Menehould, Michel Crozier
étudie à l'École des Hautes Etudes Commerciales (HEC)
avant d'effectuer son premier séjour aux États-Unis (1949-1950),
où il réalise une étude sur les syndicats
américains. Après avoir intégré le Centre National
de la Recherche Scientifique (CNRS) à son retour en France, il se
consacre à la sociologie du travail, dans le sillon de Georges
Friedmann, et se distingue en inscrivant sa démarche sociologique dans
un travail de terrain et d'enquête. Son analyse du Centre des
chèques postaux de Paris, en 1954, est ainsi suivie d'une enquête
sur le fonctionnement du Monopole français des tabacs et allumettes, qui
trouvent un certain écho en France et dans de nombreux pays.
Après un deuxième séjour
déterminant aux États-Unis, à l'université Stanford
(Californie), en 1959-1960, Michel Crozier fonde en 1961 le Centre de
sociologie des organisations. En 1964, il publie son premier ouvrage important,
le Phénomène bureaucratique39, fortement
influencé par les études culturalistes américaines, qui
conçoivent la culture comme un système de comportements
conditionnés par l'éducation et le milieu social. L'ouvrage
décrit le fonctionnement d'une administration française
marquée par la centralisation des décisions, qui engendre la peur
du face-à-face et qui aboutit à l'isolement de chaque
catégorie hiérarchique ainsi qu'au développement de
relations de pouvoir parallèles. Le fonctionnement et les
dysfonctionnements des systèmes bureaucratiques y sont analysés
à travers la manière dont les acteurs pratiquent entre eux le jeu
de la coopération ou celui du conflit.
Michel Crozier mène parallèlement une
réflexion méthodologique dans le cadre de l'analyse
stratégique, qu'il expose dans un ouvrage écrit avec Erhard
Friedberg, l'Acteur et le Système40.
Élargissant son analyse, il s'efforce de saisir des situations
concrètes, déterminées par le système de pouvoir
propre à une organisation. Il parvient à la conclusion que, loin
d'exécuter passivement une règle transmise d'« en haut
», l'acteur conserve toujours une marge de liberté : il
s'insère en fait dans un système d'actions concret, terme qui
désigne la
39 Crozier, M ; 1965, Le
phénomène bureaucratique ; Paris, Editions du Seuil.
40 Crozier, M & Friedberg, E ; 1977, L'acteur et le
système ; Paris, Editions du Seuil
multitude des jeux complexes régissant les conduites
humaines et orientant les stratégies. Selon Michel Crozier,
l'imbrication des diverses actions crée des « zones d'incertitude
» : du fait que l'on ne peut pas prévoir si les acteurs adoptent
une stratégie de coopération ou d'affrontement, l'issue de toute
réforme est aléatoire.
CHAPITRE TROISIEME : BAKOLA/BAGYELLI ET CONSTRUCTION
DES INFRASTRUCTURES SOCIALES A BIDJOUKA ET A NGOYANG
III-1- BAKOLA/BAGYELLI ET OCCUPATION DE L'ESPACE
Dans cette section, nous allons présenter l'occupation
de l'espace par les Bakola/Bagyelli. Il s'agira de faire ressortir les
caractéristiques d'un campement de forét et ceux du village de
lisière. Nous ferons également une présentation de
l'habitat Bakola/Bagyelli. Une section sera consacrée à la
construction des infrastructures sociales et enfin nous aborderons la question
de la représentation culturelle de ces infrastructures par les
Bakola/Bagyelli.
III- 1-1-Campement de forêt (mbasa)
C'est l'habitat construit par les Bagyelli lorsqu'ils
s'absentent plusieurs jours du village de lisière pour leurs
activités cynégétiques. Le type d'habitat reste
foncièrement le méme, qu'il s'agisse d'un camp de ligne de
pièges, d'un bivouac pour quelques jours ou d'un camp de chasse
collective pour plusieurs semaines. Là encore, la forme standard de
construction est quadrangulaire, mais de facture considérablement
simplifiée et de matériaux très légers. L'espace
vital est réduit au minimum, l'essentiel de la journée se
déroulant au grand jour. Les boucans de viande, sont
aménagés à l'extérieur des huttes. Comparé
au village permanent, le campement de forêt occupe un espace
considérablement ramassé. La séparation en quartier n'est
plus de rigueur (durant le séjour en forêt, le principe de vie
communautaire acquiert toute son expression).
Le choix de l'emplacement d'un campement est stratégique
dans le sens où il tient compte de :
-la présence de gibier. En camp de chasse, ce
critère reste, bien entendu prépondérant ;
-la configuration physique des lieux : faible densité
en gros arbres pour faciliter le dégagement du site ; un sol
relativement meuble( pour faciliter l'ancrage de l'ossature de l'habitat) et
peu inondable : la proximité d'un cours d'eau( pour la consommation, les
préparations de repas, la toilette et les besoins naturels) ; on
évite le voisinage d'un arbre mort pour pallier tout accident
causé par sa chute éventuelle ; facilité à se
procurer les matériaux de construction ; les Bagyelli
privilégient aussi l'utilisation de sites naturels propices à
l'occupation humaine (abris sous roches,...).
Lorsque la communauté est structurée en
plusieurs clans, chacun se regroupe en quartier. Les entrées des cases
d'un méme quartier sont toutes orientées vers une cour centrale
commune ce qui illustre la structure foncièrement collectiviste de la
société pygmée. Ainsi, durant la journée, les
entrées de case ne sont jamais fermées (sauf si l'ensemble de
la
communauté s'absente pour plusieurs jours :
l'obturation de l'entrée informe l'éventuel visiteur de l'absence
prolongée des occupants), et la nuit, si un panneau d'écorce fait
office de porte, c'est plus par souci de maintenir à l'intérieur
la chaleur dégagée par le feu et éviter l'intrusion
d'animaux sauvages que de se dissimuler aux yeux du reste de la
communauté.
II1- 1-2-Village de lisière (mboga ou kwato)
L'apparition du village de lisière marque le
début de la sédentarisation des Bakola/Bagyelli. Cette vie
semi-sédentaire remonte, d'après nos informateurs Bakola,
à la période d'avant les indépendances du Cameroun.
D'après NKORO Joseph, chef du groupement Bakola de Lolodorf, «
Les Pygmées furent sommés de quitter les forêts pour
venir s'installer aux abords des routes ». L'Etat naissant visait,
à travers cette mesure conservatoire, à avoir la main mise sur
toutes les populations qui vivaient sur le territoire national. «
Pendant la guerre des indépendances, poursuit notre
informateur, les Pygmées furent accusés d'être de
connivence avec les combattants nationalistes. Selon Nkoro : « On
avait accusé nos parents de cacher les rebelles dans la forêt et
de fabriquer des fétiches pour les rendre invulnérables aux
assauts des ennemis». Dès lors, les Pygmées, sous
l'effet des menaces et des représailles, durent se résoudre
à adopter cette vie de semisédentarisme. Notre informateur
poursuit en ces termes : « C'est ainsi que de façon très
timide nos parents ont commencé à venir s'installer aux abords
des pistes des villages bantous41. »
L'existence d'un village fixe et permanent est liée au
développement des activités agricoles chez les Bagyelli. Le plan
proprement dit d'un tel village ne suit pas un schéma type, mais
répond, malgré tout, à un certain nombre de
caractères que l'on ne retrouve pas en campement provisoire de
forêt. Le choix de l'emplacement d'un village de lisière est
stratégique dans ce sens qu'il tient compte des relations qu'ils
entretiennent avec les Bantou. Ce critère est déterminant dans le
choix du site du village. Les rapports socioéconomiques
privilégiés avec certaines familles bantoues expliquent la
présence des villages Bagyelli permanents à proximité des
axes routiers.
Au centre ou à l'entrée du village se dresse un
auvent. Ce lieu social typiquement bantou est avant tout un espace convivial,
mais fait aussi office de case à palabre oü l'on reçoit les
visiteurs. Cette construction quadrangulaire, dépourvue de cloisons,
est, de plus, un
41 Nkoro joseph, chef du groupement Bakola de
l'arrondissement de Lolodorf ; entretien réalisé le 28
décembre 2009 à Nkouonguio-chefferie
lieu de sieste privilégié : les Bagyelli peuvent se
reposer à l'ombre de la toiture en panneau de raphia, tout en
bénéficiant du rafraîchissement occasionné par les
déplacements d'air.
Photo 9: Auvent traditionnel construit par les Bakola de
Ngoyang Source : Aristide Bitouga (Matsindi 2009)
III-2- PRESENTATION DE L'HABITAT DES
BAKOLA/BAGYELLI
III- 2-1-Habitat traditionnel
L'habitat permanent se caractérise par sa forme
quadrangulaire, héritée du modèle de construction bantoue.
La superficie de l'habitat varie de 6m2 à 20m2.
Par le passé, l'habitat traditionnel (mbasa)
qu'on rencontrait habituellement dans les campements de forêt
était fait à base de larges feuilles de maranthacées ou
d'Anthocleista, qui étaient fixées à l'ossature
végétale de l'habitat : une encoche était faite sur la
nervure, près du pétiole, et les feuilles étaient
crochetées en rang. Cette disposition conférait à
l'ensemble un aspect en « écailles de pangolin ». Mais de nos
jours, les feuilles de maranthacées ou d'Anthocleista ont
cédé la place aux panneaux de raphia ou aux rameaux de palmier.
L'emploi de panneaux de raphia ou de rameaux de palmier constitue un bon
compromis : moins éphémères que la simple feuille de
maranthacées ou d'Anthocleista, ils restent d'une grande
disponibilité. Les panneaux de raphia sont d'un usage polyvalent et
demandent peu de temps de travail. Les Bakola/Bagyelli au contact avec les
Bantou ont maîtrisé la technologie du tissage des panneaux de
raphia. Il n'existe pas de hameaux où on ne retrouve un Pygmée
qui ne sache pas tisser les panneaux de raphia. La maîtrise de cette
technique constitue de nos jours une source de revenus non négligeable
pour ces derniers. Ils confectionnent des panneaux de raphia qu'ils vendent aux
Bantou qui n'ont pas les moyens financiers pour pouvoir se construire une
maison avec une toiture en tôles d'aluminium. Le terre-plein autour de la
case est gratté de sorte à surélever la construction et la
ménager ainsi des eaux de ruissellement dues aux violents orages
tropicaux.
Photo 10 : Hutte traditionnelle bakola Source :
Aristide Bitouga (Matsindi 2009)
Bien que faites pour durer, ces huttes n'ont pas la
longévité des maisons des Bantou. La structure totalement
végétale leur confère une certaine fragilité ; en
l'absence de clous, l'ossature de l'ensemble est maintenue par des ligatures de
liane qui, à moyen terme, ne peuvent s'opposer à l'affaissement
de la case. La mise en chantier de la case de remplacement avant l'abandon
définitif de la demeure croulante explique la mouvance relative de
l'habitat Bagyelli au sein du village.
III- 2-2- Habitat moderne (ndabo)
L'habitat moderne Bakola/Bagyelli repose en majeure partie sur
le modèle de construction bantoue, l'utilisation de glaise (mur en
poto-poto ou mortier indigène) est présente dans l'ensemble des
campements pygmées que nous avons eu à visiter. Un hameau est
constitué de plusieurs modèles d'habitations. On peut observer
des cases qui sont à la fois un mélange de traditionnel et de
moderne. A l'observation, c'est le cas d'une bonne frange de maisons
appartenant aux Bakola des hameaux de Ngoyang dont les murs sont faits à
base de glaise et la toiture en panneaux de raphia (ndula
mbasa).
C'est le modèle le plus présent dans les
campements visités à Ngoyang et à Bidjouka grâce
à son coût relativement très faible et la
disponibilité des matériaux qui entrent en jeu dans la
construction de ce type d'habitat. Toutefois, il faut souligner ici le fait que
ce type de construction n'est pas propre aux seuls Bakola. Les Bantou peu
nantis se construisent ce même modèle à la seule
différence que les leurs sont un peu plus hautes et plus spacieuses que
celles des pygmées. A côté de ces cases
semi-traditionnelles, on note une amélioration de l'architecture des
cases ou des maisons appartenant à des Pygmées sur le terrain.
L'accès à l'habitat moderne fait partie aujourd'hui des signes de
distinction et de richesse chez les
Bakola/Bagyelli des localités de Bipindi et de Lolodorf.
La possession d'une maison aux normes modernes donne droit à son
détenteur beaucoup d'estime de la part de ses pairs.
Grâce à leurs moyens propres, certains
Bakola/Bagyelli ont réussi à bâtir des maisons modernes
avec des tôles en aluminium (ndula bikwembe).
Ceux des Bakola qui ont pu se construire ce type d'habitat sont devenus des
cultivateurs et qui, par la suite, sont devenus des vendeurs de cacao. C'est le
cas de certains Bakola/Bagyelli que nous avons identifiés à
Matsindi et Nkouonguio à Ngoyang et Maschouer-Maschouer et Binzambo
à Bidjouka.
Photo 11: Maison moderne bakola appartenant à Bang
Bang Roger, cacaoculteur Source : Aristide Bitouga (Matsindi 2009)
Un autre groupe de Bakola qui ont « ouvert les yeux
» grâce à leur niveau de scolarisation, se sont lancés
dans l'exploitation forestière et ont engrangé des
bénéfices qui leur ont permis de se construire des maisons
modernes. C'est le cas de NGALLY Sadrack, qui est exploitant forestier dans le
village de Ngoyang et dont l'activité a permis qu'il puisse se
construire une maison qui fait la fierté du hameau de Nkouonguio. A
côté de ces pygmées qui sont devenus de grands agriculteurs
et de ceux qui s'exercent dans l'exploitation forestière, il y a une
infime frange d'entre eux qui ont pu se construire une maison grace à
leur réputation de tradipraticiens « très puissants
».C'est le cas du chef NKORO de Nkouonguio qui a
bénéficié des largesses d'un patient qui a
matérialisé sa reconnaissance par la construction d'une
bâtisse qui figure parmi les plus respectables du village Ngoyang.
Le dernier groupe de Bakola/Bagyelli qui sont
propriétaires d'habitations modernes le sont devenus grâce aux
actions sociales et philanthropiques de certaines ONG qui portent un
intérêt particulier sur les questions liées à
l'habitat des Pygmées. Parmi ces Organisations Non Gouvernementales qui
oeuvrent dans le secteur de l'habitat des Bakola/Bagyelli nous pouvons citer :
RAPID, CBCS, FEDEC, SAILD, GRSP. Ces actions ont contribué à
améliorer les
conditions de logements de quelques uns des Bakola qui ont
été éligibles à ces différents projets de
construction de maisons d'habitation. La photographie ci-dessous montre une de
ces nombreuses cases qui ont été construites aux Bakola de
Ngoyang.
Photo 12: Maison crépie appartenant à NZIE
Simon construite par la CBCS Source: Aristide Bitouga (Mimbiti I,
2009)
III-2-3-Description de l'habitat-cuisine (kisini)
L'habitat-cuisine est constitué d'un mobilier
très sobre. Au-dessus du foyer, maintenu allumé quasiment en
permanence, se trouve la claie à double rayonnage suspendue au plafond
ou dressée sur 4 pieds :
le niveau inférieur est réservé à la
venaison mise à boucaner ;
le niveau supérieur, moins directement exposé au
feu, sert de point de stockage des produits de récolte (boules de manioc
séchées ou épis de maïs, arachide, ...). La chaleur
et la fumée les préservent de l'humidité et
d'éventuels prédateurs ;
une tringle de bois, suspendu à la toiture, accueille
filets de chasse et cordes végétales sensibles à
l'humidité.
Un pan de cloison inoccupé accueille une
étagère à plusieurs rayons où sont rangés
les ustensiles de cuisine et les restes de repas. Les outils, armes et effets
personnels sont suspendus aux murs ou glissés entre les panneaux de
raphia. Les tambours de cérémonies sont rangés
couchés le long de la cloison et font ainsi office de sièges.
Photo 13: Intérieur de l'habitat-cuisine bakola de
MANZUER Rose Source : Aristide Bitouga (Fuer Ngier 2009)
III-3- CONSTRUCTION DES INFRASTRUCTURES SOCIALES
III-3-1-NGOYANG
> La construction du foyer (SAILD-APE,
PPAV)
La construction du foyer cadrait avec l'avènement du
projet SAILD-APE qui c'était implanté à Lolodorf en
Septembre 1994. A cette occasion, il avait été demandé
à certains responsables Bakola, notamment le chef NKORO, NGALLY Sadrack
et d'autres leaders ce qu'il fallait faire pour concrétiser la
scolarisation des enfants Pygmées. Au sortir de cette concertation, les
responsables du projet avaient compris que les Pygmées étaient
défavorisés parce que la plupart des hameaux étaient
situés en forêt et très loin de l'école. Il
était donc question de mettre sur pied un centre pour regrouper les
élèves de la SIL au CM2 ; La semaine de classe terminée,
les enfants pouvaient retourner le week-end voir leurs parents dans les
campements. Le reste de la semaine ils habiteraient au foyer. Le but
visé par la construction de ce foyer était de faire chuter le
taux de désertion et d'absentéisme très
élevé des enfants Bakola scolarisés. L'éloignement
des campements pygmées de l'école publique de Ngoyang contribuait
fortement au phénomène des déperditions scolaires des
enfants pygmées. C'est ainsi qu'est né le foyer scolaire pour
enfants Bakola de Ngoyang.
L'idée de construction du foyer c'était faite au
départ avec l'adhésion et la participation de toutes les
communautés implantées à Ngoyang. Que ce soient les
Ewondo, les Ngoumba ou les Pygmées, tout le monde avait
adhéré à l'idée de construction du foyer. La
construction du foyer s'est faite avec la contribution et la participation de
toutes les populations de Ngoyang. Les Ngoumba avaient fourni une
quantité importante de sable comme contribution, les Ewondo ont
apporté une contribution financière ainsi que les
Pygmées. Au cours de nombreuses réunions de
sensibilisation et d'information des populations de Ngoyang au sujet de la
construction du foyer aux enfants Bakola, il était clairement ressorti
qu'au lieu de construire seulement le foyer qui sera pour les
élèves pygmées, il faut également reconstruire
l'école publique de Ngoyang qui sera pour toutes les populations. Ce qui
explique l'état actuel des locaux de l'école publique du village.
Au départ, cette école était en matériaux
provisoires. L'école et le foyer ont donc été construits
avec la venue du projet SAILD-APE. La mise en oeuvre du projet prévoyait
que l'école publique soit ouverte à tous les enfants de Ngoyang.
Mais pour ce qui était du foyer, seuls les enfants Bakola pouvaient
être admis. Le foyer avait été pensé pour favoriser
l'intégration scolaire des apprenants Bakola, afin qu'à l'instar
de leurs voisins bantous qu'ils puissent eux aussi améliorer leur taux
de scolarisation.
> La construction des maisons (CBCS)
Le projet de construction des maisons dans les campements
pygmées de Lolodorf et de Bipindi par la CBCS survient au courant de
l'année 2002. En effet, la CBCS en tant qu'organisation à
vocation ornithologique avait constaté dans le cadre de ses
activités autour du massif forestier de Ngovayang que le picartharte
chauve était menacé d'extinction. La disparition de cet oiseau
avait deux causes principales. La première cause identifiée
était que les Bakola/Bagyelli menaient une chasse abusive autour de
cette espèce. La seconde était liée au grand
intérêt que les Bakola/Bagyelli accordent à sa chair pour
la consommation. Il devenait donc urgent pour les responsables de CBCS de
mettre en oeuvre un plan de protection et de conservation du picartharte
chauve. La stratégie qui fût retenue prévoyait que pour
protéger l'oiseau, il fallait détourner les pygmées de
leurs activités cynégétiques qui avaient des graves
conséquences sur la survie de cette espèce. Le plan adopté
visait dès lors à mettre en place un projet qui mettra l'accent
sur le développement des activités alternatives qui pourront
contribuer à occuper les Bakola/Bagyelli et les conduire à
l'abandon progressif de la pratique de la chasse du picartharte chauve.
La mise en oeuvre du projet visait de la part des promoteurs
à améliorer globalement les conditions de vie des populations
pygmées concernées. Le programme avait été
financé par le DFID (Department for International Development) et
courait sur une période allant de 2002 à 2006 pour ce qui
était de la première phase. Le projet fut baptisé : «
Amélioration des droits et des conditions de vie des peuples autochtones
Pygmées autour du massif de Ngovayang ». Parmi les grands axes du
projet, le volet construction des maisons aux Bakola/Bagyelli revêtait un
intérêt majeur. La construction des maisons visait en quelque
sorte à sédentariser les Pygmées et
à les éloigner des activités de braconnage. Toutefois, il
est fondamental de rappeler que même si le projet était
orienté en direction des Pygmées, ceux-ci n'avaient pas
été consultés au sujet du bienfondé et de la
pertinence du projet. La construction de ces infrastructures c'était
faite sans concertation préalable avec les principaux
bénéficiaires. Ils ont juste été informés
qu'on était venu pour leur construire des maisons d'habitation. Tout ce
qu'ils avaient à apporter comme contribution à la
réalisation du projet c'était de déblayer un site sur
lequel la case devait être construite. Le projet prévoyait dans
son aspect pratique à laisser les Bakola recouvrir les murs de glaise
(poto-poto) une fois l'implantation et le tôlage de la maison
achevés par le technicien en charge de la construction de ces habitats.
La photographie ci-dessous, montre une des nombreuses maisons qui ont
été construites par la CBCS dans le cadre de ce projet.
Photo 14: Maison appartenant à SEH Bernard
construite par la CBCS Source : Aristide Bitouga (Mimbiti II, 2009)
III-3-2-BIDJOUKA
> La construction du hameau de Bidjouka
(Bidjouka-Samalè)
Le Groupe de Recherche en Santé Publique(GRPS), dont
Monsieur NDONG NGOE
Constant est le Président avait introduit une
proposition de projet au CCS PPTE pour solliciter un financement afin de mener
les activités de l'ONG dont il est le responsable sur le terrain.
Grâce à son expérience sur le terrain en tant que
médecin au Centre Médical d'Arrondissement (CMA) de Bipindi au
courant de la période 1996-2001, il avait identifié un nombre
important de problèmes auxquels étaient confrontés les
Bagyelli de cet arrondissement. Ces difficultés étaient davantage
liées au difficile accès aux soins de santé primaires,
à l'éducation et à l'habitat. Il était ressorti de
l'étude du dossier que la mise en oeuvre du projet devait se faire avec
les Petites Soeurs de Jésus qui sont implantées dans la
localité depuis plusieurs décennies et qui sont une
congrégation religieuse qui travaillent essentiellement dans
l'assistance multidimensionnelle de la communauté bagyelli.
Le campement de Binzambo (Bidjouka-Samalè) sera retenu
dans le cadre de la phase opérationnelle du projet. Il était donc
question que soit construit aux Pygmées de ce campement un hameau
composé de huit maisons et un auvent (case à palabre). Les
Bagyelli de Binzambo appartiennent au clan Samalè ; cette
précision faite on peut comprendre pourquoi ceux-ci se
rapprochèrent des Bantou de leur clan par l'entremise de leur figure de
proue Massila pour solliciter l'obtention d'un lopin de terre sur lequel les
maisons devraient être construites. Après négociation, le
site actuel fut retenu pour la réalisation des travaux de construction.
Il faut tout de méme préciser que l'acquisition de ce terrain
c'était faite contre le versement d'une compensation au
propriétaire Samalè du terrain. Les maisons achevées, il
fut organisée une réunion de rétrocession de ces cases aux
bénéficiaires. La photographie cidessous montre quelques unes des
maisons qui ont été construites à Bidjouka-Samalè.
On peut au loin apercevoir une maison occupée par ses
propriétaires.
Photo 15: Vue panoramique du hameau de
Bidjouka-Samalè Source: Aristide Bitouga (Bidjouka 2008)
Le projet visait autant que faire se peut à mieux
intégrer les Bagyelli dans leur nouvel environnement. C'est la raison
pour laquelle hormis les maisons (huit), les promoteurs
décidèrent d'ajouter un auvent à l'entrée du
hameau. Cette bâtisse occupe une place importante dans la
société pygmée parce qu'elle joue deux rôles. Elle
sert de case de repos pour les membres de la communauté et fait office
également de case à palabre dans la résolution des
conflits entre les individus résidents dans le hameau. La photographie
cidessous montre l'auvent moderne qui a été construit dans le
hameau de Bidjouka-Samalè. On peut apercevoir au loin des enfants
Bagyelli assis dans l'enceinte de l'auvent.
Photo 16:Auvent moderne construit par la
MIPROMALO à Bidjouka-SamalèSource: Aristide
Bitouga (Bidjouka 2008)
III-4- BAKOLA ET REPRESENTATIONS CULTURELLES DES
INFRASTRUCTURES SOCIALES
Toutes les sociétés, mêmes les plus
ouvertes aux changements rapides et cumulés, manifestent une certaine
continuité ; tout ne change pas et ce qui change ne se modifie pas en
« bloc ». Ce point de vue est la résultante de la somme des
observations que nous avons faites sur le terrain. En effet, que ce soit
à Ngoyang ou à Bidjouka, il est très difficile d'affirmer
que la construction des infrastructures sociales aux Bakola/Bagyelli a
considérablement modifié leur vécu quotidien ou leur
perception/représentation de l'habitat. Il devient dès lors
intéressant que nous nous attardions sur les représentations
culturelles des Bakola/Bagyelli au sujet de ces maisons dont ils sont les
principaux bénéficiaires.
De prime abord, nous pouvons affirmer que tout comportement ou
toute attitude de l'homme est une production de signification. Ce qui fait en
sorte que le comportement des individus ne peut se comprendre que dans le jeu
des signifiants et des signifiés. Il devient donc intéressant
pour nous d'interroger les schèmes culturels des sociétés
pour parvenir à comprendre le sens ou la place qu'elles donnent à
un objet ou à un élément extérieur à leur
environnement culturel. A ce propos, Jodelet dira :
Les représentations sociales sont des
systèmes d'interprétation régissant notre relation au
monde et aux autres qui orientent et organisent les conduites et les
communications sociales. Les représentations sociales sont des
phénomènes cognitifs engageant l'appartenance sociale des
individus par l'intériorisation de pratiques et d'expériences, de
modèles de conduites et de pensée42 .
Du foyer en passant par les maisons construites par la CBCS
à Ngoyang et le hameau de Bidjouka-Samalè, il est question pour
nous de dégager les processus qui déterminent
42 Jodelet, 1989 ; Les représentations
sociales, Paris : PUF
l'appropriation de ces infrastructures par les
Bakola/Bagyelli. Il nous revient dès lors dans le développement
qui va suivre de montrer comment les valeurs, les normes sociales et les
modèles culturels des Bakola/Bagyelli sont pensés et vécus
par les concernés en rapport avec ces nouvelles maisons dont ils sont
aujourd'hui les heureux propriétaires.
III-4-1- Les Bakola et les représentations
culturelles des infrastructures sociales
La construction du foyer scolaire de Ngoyang bien
qu'étant une émanation des Bakola eux-mémes n'a pas
produit l'effet escompté. En effet, les objectifs du projet SAILD-APE
visaient à augmenter le taux de scolarisation des enfants Bakola et la
régression du phénomène des déperditions scolaires.
Au regard des résultats obtenus sur le terrain, l'on ne saurait se
satisfaire de la situation à Ngoyang. Le foyer, bien qu'appartenant aux
Bakola, celui-ci n'a pas été intégré au «
capital collectif » de la communauté. Les populations ne se sont
pas approprié l'infrastructure pour faire d'elle une source
d'émancipation. Les parents n'ont vu dans le foyer qu'une
opportunité qui leur était accordée de se
désengager du devoir d'envoyer leurs enfants à l'école.
Que ce soit la gestion, l'entretien ou la participation communautaire à
la survie du foyer, ils n'ont rien fait sur ces quelques aspects. Le foyer se
mourait au jour le jour et cela se traduisait par l'état en friche des
bâtiments qui composaient le foyer (dortoir, réfectoire, salle de
fêtes, etc.). Le foyer est resté dans la tête des Bakola
comme étant l'affaire du SAILD et par conséquent ils n'avaient
aucune obligation au sujet de l'entretien et du maintien en bon état de
cette infrastructure sociale. La photographie cidessous montre l'état de
quasi abandon du foyer par les Bakola. On peut voir que le site n'est pas
entretenu par ceux qui devaient en principe le faire à savoir les
principaux bénéficiaires que sont les Bakola.
Photo 17: Foyer de Ngoyang a l'abandon et en friche
Source : Aristide Bitouga (Ngoyang 2009)
Pour ce qui est du projet qui a conduit à la
construction des maisons aux Bakola par la CBCS, nous pouvons dire que ce ne
fut pas au départ l'émanation d'une volonté propre des
Pygmées. Méme si aujourd'hui, on peut observer le fort engouement
de ces derniers à solliciter la pérennisation du projet. En
réalité, ceux-ci n'avaient pas été consultés
au sujet de la mise en oeuvre de ce programme. Mais au demeurant, force est
tout de même de constater que les bénéficiaires n'ont pas
boudé leur plaisir de devenir propriétaires d'un nouveau type
d'habitat qui n'était pour la grande majorité qu'une vue de
l'esprit. Car, au regard de l'investissement que nécessite la
construction d'une case moderne, très peu de Bakola peuvent s'offrir un
tel luxe. Pour la grande majorité des Pygmées de telles maisons
ne sont pas à leur portée. Seuls les Bantou, au regard des moyens
dont ils disposent, peuvent s'en construire.
Le projet prévoyait que l'implantation de la maison, le
tôlage et la pause des ouvertures seraient assurés par la CBCS ;
Pour ce qui est du bourrage des murs de la case, cela reviendrait à
chaque propriétaire de maison. Le bourrage terminé, il avait
été convenu que l'ONG achevait les travaux de construction par le
crépissage des murs. Mais les observations faites à Mimbiti nous
ont permis de nous rendre compte que certains Bakola qui avaient
bénéficié des implantations au courant de l'année
2003 en 2011 avaient été incapables de bourrer les murs de leurs
maisons. La photographie ci-dessous montre une maison appartenant à un
Nkola qui ne s'est pas préoccupé de bourrer sa maison. Femmes et
enfants vivent dans ce hangar qui leur sert de logis.
Photo 18: Maison appartenant à un Nkola de Mimbiti
et dont les travaux sont restés inachevés.
Source : Aristide BITOUGA (Mimbiti 2009)
Ce que nous pouvons retenir comme leçons de cette
situation est que les Bakola ne se sont pas reconnus dans cette nouvelle forme
d'habitat qui leur imposait pour être construite plus de travail et de
sacrifice. La grande majorité des Pygmées des campements de
Ngoyang
sont restés tributaires de leur habitat traditionnel et
peinent de nos jours à s'accommoder avec ces maisons qui « sont
venues des autres ». Nous pouvons également relever que la venue de
ces maisons n'a pas eu une influence sur le mode de vie des Bakola.
III-4-2-Les Bagyelli et les représentations
culturelles des infrastructures sociales
La construction du hameau de Bidjouka-Samalè visait
dans son volet social à faire sortir les Bagyelli du campement de
Binzambo de la forêt pour les installer en bordure de route. Les raisons
évoquées pour justifier le choix du campement de Binzambo
portaient essentiellement sur quelques difficultés qui entravaient le
mieux-être des Bagyelli vivant dans la forêt. Au nombre de ces
difficultés on peut citer :
Les enfants ne pouvaient pas aller facilement à
l'école à cause de l'éloignement du campement de
l'école publique de Bidjouka-Bambi.
L'inaccessibilité des populations aux soins de
santé primaires causée par l'éloignement du campement de
la structure sanitaire.
La difficile traversée de la Mougué
(rivière) pendant la saison de pluies.
L'isolement des Bagyelli du reste des populations vivantes
à Bidjouka. Ce qui contribue à leur non prise en compte dans la
politique de développement du village. Toutes ces difficultés
citées ont conduit la grande majorité des Bagyelli de Binzambo
à accepter volontairement de partir de la forét pour venir
s'installer au bosquet de Mangom (Bidjouka-Samalè). Toutefois, il est
important de mentionner le fait que même si les Pygmées ont
apprécié l'initiative il n'en demeure pas moins vrai que
plusieurs réserves ont été émises par les Bagyelli
qui ont contribué à remettre en cause le bienfondé du
projet de construction des maisons. La nécessité de construire
des maisons aux Bagyelli était une bonne chose mais comme nous ont
confié certains informateurs Pygmées au cours de nos entretiens
qu'ils n'ont pas été consultés pour savoir s'ils voulaient
quitter la forét pour aller s'installer dans un hameau qu'on leur
construirait. Mapfoung, un des leaders Pygmées du
hameau a déclaré :
Nous étions très contents quand Massila est
venue nous dire qu'on allait nous construire des maisons. Mais à notre
grande surprise les maisons n'ont pas été construites où
nous aurions souhaité qu'elles soient construites. Nous voulions que ces
maisons soient construites en foret. C'est là-bas que nous sommes
habitués à vivre. Nous venons ici au village(Bidjouka) pour
quelques temps. Après nous rentrons en forêt43.
La non prise en compte du point de vue des principaux
bénéficiaires que furent les Bagyelli a eu comme
conséquence la désertion rapide du hameau et l'abandon des
maisons
43 Mapfoung, entretien réalisé le
09/01/2010 au bosquet de Mangom (Bidjouka-Samalè).
qui leur avaient été offertes. Sur un total de
huit maisons, six d'entre elles furent abandonnées par leurs
propriétaires qui préférèrent retourner vivre en
forêt. Pour comprendre la réaction des Bagyelli face à ces
maisons qui leur étaient destinées, il convient d'interroger les
principaux acteurs au sujet des représentations culturelles qu'ils
projettent sur ces maisons.
Des informations collectées sur le terrain, deux
facteurs identifiés par les Bagyelli expliquent leur difficile
intégration à cette initiative qui visait à
améliorer leurs conditions de vie d'un point de vue global et celui de
l'habitat en particulier. Le premier argument développé par les
Bagyelli est lié au plan de construction des maisons. En effet, le
modèle de construction habituellement utilisé par les Bagyelli
n'a pas été pris en compte. La segmentation des maisons en
compartiments (salle de séjour, chambres, cuisine) ne cadrait pas avec
le schéma traditionnel de leurs cases. La case bagyelli est un tout. Le
Ngyelli ne fait pas une distinction entre les différentes pièces
de la maison. Un coin de la case sert de cuisine (étagère, claie,
foyer, etc.), les lits sont disposés de part et d'autre de l'espace
intérieur avec un ou deux sièges (sièges, bancs). Parce
que peu habitués à l'architecture qui leur est proposée,
les Bagyelli ne s'encombrent pas lorsqu'il s'agit de disposer les objets,
meubles ou ustensiles à l'intérieur de la maison. On trouve dans
la salle de séjour (salon) le lit, les ustensiles de cuisine (marmites,
assiettes, seau, etc.) ainsi que des outils (machette, houe, etc.)
placés à même le sol. La photographie ci-dessous montre
l'intérieur d'une maison occupée par un Bagyelli du hameau de
Bidjouka-Samalè.
Photo 19: Intérieur d'une maison appartenant a
NDIG David (Bidjouka-Samalè) Source : Aristide Bitouga
(Bidjouka 2009)
Le deuxième argument évoqué par les
Bagyelli est la disposition linéaire des maisons. En effet, la
société bagyelli est collectiviste et se traduit par le fait
qu'habituellement la construction des cases se fait de façon groupale et
sphérique. Les entrées des maisons d'un
même quartier sont toutes orientées vers une cour
centrale commune, ce qui illustre la structure foncièrement
collectiviste de la société Bagyelli. Ainsi, durant la
journée, les entrées de case ne sont jamais fermées (sauf
si l'ensemble de la communauté s'absente pour plusieurs jours :
l'obturation de l'entrée informe l'éventuel visiteur de l'absence
prolongée des occupants), et la nuit, si un panneau d'écorce fait
office de porte, c'est plus par souci de maintenir à l'intérieur
la chaleur dégagée par le feu et éviter l'intrusion des
animaux que de se dissimuler aux yeux du reste de la communauté. Avec
cette disposition linéaire des maisons, les Bagyelli ont vu tomber leur
esprit collectiviste. Or, comme l'affirment les principaux
bénéficiaires, cette disposition linéaire des maisons a
fait naître dans la mentalité des membres de la communauté
un individualisme qu'on n'avait pas jusqu'alors observé. Cet
individualisme a contribué à exacerber les tensions entre les
occupants du hameau de Binzambo-Samalè. Certains informateurs nous ont
fait savoir que de plus en plus, on parlait des problèmes de jalousie,
de tuerie, voire de sorcellerie. A cet effet, Mapfoundoeur Gervais
affirme que :
Il y a un problème de complexe entre eux. Je cite par
exemple Massila, elle est déjàémancipée
et eux ils sont encore comme ils sont. Il y a un peu de jalousie. Ce qui
fait
que quand tu vois quelqu'un déjà
évolué tu lui jettes des mauvaises intentions. Si bien qu'il y a
même ici déjà des problèmes de tueries. C'est l'une
des causes qui fait en sorte que d'autres préfèrent rentrer en
brousse. Par exemple Massila a fréquenté, elle est mieux
placée, elle a des relations et elle voyage beaucoup. Maintenant ses
frères l'accusent en disant qu'elle est ceci, elle est cela.
Voilà pourquoi eux ils ne veulent pas venir habiter ici. C'est l'une des
causes principales du fait que les maisons aient été
abandonnées44.
Ces nombreux incidents ont poussé beaucoup d'occupants
à abandonner leur maison pour rentrer s'installer en forét.
44 Mapfoundoeur Gervais, responsable Samalè du
hameau de Binzambo, entretien réalisé le 09/01/2010 au bosquet de
Mangom.
CHAPITRE QUATRIEME : CONTRIBUTION
ETHNO- ANTHROPOLOGIQUE A L'ANALYSE ET INTERPRETATION DES
CONFLITS
IV-1- LA NOTION DE CONFLIT
Nous souhaiterions tout d'abord limiter notre réflexion
sur les conflits, aux domaines des rapports de cohabitation intercommunautaire
mettant en situation de conflit des communautés voisines mais
culturellement différentes à l'instar ici des Bakola/Bagyelli et
des Bantou (Ngoumba, Ewondo) vivant dans les localités de Bidjouka et de
Ngoyang. Ensuite, nous allons essayer d'éclairer la notion de conflit en
tant qu'anthropologue du conflit, c'est-àdire comme un chercheur qui
veut comprendre les conditions d'existence de la cohabitation et de la
coopération humaine, en regardant les relations intercommunautaires
comme les produits de construits sociaux dont il faut trouver la dynamique.
Pour bien nous faire comprendre, partons de ce qui pourrait
ressembler par bien des points à un paradoxe : dans le cadre des
relations intercommunautaires, on peut affirmer qu'aucun groupe ou
communauté ne veut vraiment volontairement et explicitement vivre des
conflits et pourtant qu'on rencontre fréquemment dans l'action
quotidienne. Ceci nous oblige donc à nous interroger sur les processus
sociaux qui conduisent les acteurs à se trouver pris dans de telles
situations alors même que les conflits sont généralement
vécus de manière négative par ces mêmes acteurs.
Pourquoi les situations de conflit dans la vie intercommunautaire, que nous
n'aimons pas et que peu de personnes aiment, se produisent quand même et
de façon assez fréquente ?
IV-1-1-Aperçu ethnolinguistique de la notion de
conflit chez les Ewondo
Une analyse ethnolinguistique du mot conflit
(etôm) dans la langue Ewondo montre que celui-ci a comme voisin
immédiat le mot guerre (bitâ), qu'il vaut mieux
éviter dans le cas général. Les Ewondo emploient le mot
etôm quand il s'agit d'une situation qui oppose deux individus
sans que cette dissension ne perturbe l'occupation de l'espace ou le partage
des ressources naturelles disponibles. Par contre, bitâ, c'est
lorsqu'il il y a opposition, confrontation entre deux groupes ou plusieurs
camps rivaux. C'est pratiquement la manifestation du conflit ouvert où
tous les moyens sont mis à contribution pour pouvoir vaincre son
adversaire, voire le détruire jusqu'à la mort. Comme mots
antinomiques du mot conflit, on trouve accord (ouyili) et
paix (ivevoé), supposés par conséquent permettre
d'éviter le conflit. L'entrée par le mot
compétition (nkat) donne aussi comme voisin le mot
conflit. Par contre le mot alliance (abaman ngoul) serait
antinomique du mot conflit. Le mot coopération (bene
ngam) propose le mot accord, déjà rencontré,
comme voisin. La coopération peut donc être pensée
comme une pratique conduisant à l'accord, qui évitera le
conflit.
Coopération /bene
ngam/
Compétition /nkat/
Accord /ouyili/
Alliance /ngam /
Conflit /etôm/
Coalition / abaman ngoul
/
Paix /ivevoé/
Guerre /bitâ/
La figure 145 montre le graphe de
mots que nous venons d'analyser.
Qu'il soit individuel ou collectif, le conflit est partie
intégrante d'un jeu social dans lequel il est nécessaire de
plaire à l'autre. Que l'on soit «
risquophile46 » ou «
risquophobe », et méme si l'on accepte le postulat
que les règles du conflit sont inhérentes et contingentes au
temps et au lieu d'épanouissement du développement de celuici,
force est de constater que le conflit s'impose partout, méme si nombre
de règles sont conçues dans le seul but d'éviter sa
survenue, tandis que d'autres visent sa gestion une fois celui-ci
déclaré. Le conflit s'impose d'autant plus qu'il va pouvoir
simultanément exclure et intégrer, et apparaître tout
simplement comme nécessaire puisque, par sa réalisation, il
permet d'en éviter d'autres. Le conflit apparaît comme
inhérent aux sociétés humaines. Mais, dans un monde
où presque tout un chacun dit souhaiter le retour à la paix en
rêvant à une concorde vraisemblablement utopique, il semble a
contrario plus facile de se retrouver dans le conflit, plus lancinant et
certainement plus perpétuel que la paix du même nom. Le conflit a
réinventé le mouvement perpétuel. La paix n'est finalement
qu'un sursis entre deux occurrences d'un conflit qui, par sa récurrence
polymorphique, ressurgit toujours, là ou ailleurs.
Le conflit est présent dans presque tout rapport
humain. Domestico-familial, régional, national ou global, larvé
ou bien ouvert, primitif ou sociétal, devenant alors structuré et
organisé, le conflit, multiple et protéiforme, est constitutif de
toute société. Les conflits
45 Graphe conçu par Paul Naegel, Chercheur, « Centre
François-Viète », université de Nantes ;
46 Risquophobe et risquophile sont des concepts utilisés
par Menard Olivier dans Le conflit, Juin 2005, Nantes l'Harmattan, Logiques
sociales.
survenus à Bidjouka et Ngoyang sont de nature
socioculturelle. Car, ceux-ci mettent aux prises des communautés au
sujet de la construction des infrastructures sociales aux Pygmées par
des partenaires au développement. Ces logements ont fait naître
des antagonismes entre des populations entretenant entre elles une coexistence
pacifique.
IV-1-2-Définition et clinique du conflit
intercommunautaire dans le cadre de la cohabitation
Comme il se doit dans toute contribution scientifique, nous
devons d'abord tenter une définition : de quoi parle-t-on lorsqu'on
parle de conflit intercommunautaire dans le cadre de la cohabitation ? Nous
pouvons qualifier de situations conflictuelles, celles dans lesquelles des
acteurs (au moins deux groupes) rencontrent des difficultés à
coopérer, voire se trouvent dans l'incapacité complète de
travailler ensemble ou de nouer une coopération. C'est vraiment
l'impossibilité de faire des choses ensemble, ou au moins l'apparition
des limites importantes dans l'engagement mutuel, qui nous paraît la
caractéristique essentielle du conflit. Cette impossibilité de
coopérer que nous avons précédemment nommée
bitâ, intervient chez les Ewondo lorsque le conflit
s'externalise et prend des proportions plus grandes. Nous avons relevé
que etôm c'est le conflit larvé et bitâ
c'est l'affrontement. La situation de Ngoyang fut une situation de
bitâ, car elle avait opposé deux groupes rivaux (les
Ewondo et les Bakola) dans un affrontement physique où toutes les
ressources avaient été mobilisées (matérielles et
immatérielles, visibles et invisibles) pour venir à bout de
l'adversaire. En pareille circonstance, il est très fréquent de
trouver des individus qui déclarent : « nge be yit bya amos bya
yange bo alou » (S'ils nous ont vaincu le jour, nous prendrons notre
revanche la nuit).
Le conflit est souvent larvé, c'est-à-dire qu'on
ne peut pas forcément le voir « à l'oeil nu » ou plus
précisément, il nécessite, dans bien des cas pour
être vu et compris, une investigation socio-anthropologique, un oeil
clinique. C'est-à-dire qu'un visiteur extérieur, une personne
étrangère au groupe ou à la communauté, pourra ne
pas prendre conscience de son existence. Seule une familiarité plus
grande avec ces personnes et ces structures, ou une analyse approfondie voire
anthropologique, pourra pointer l'existence d'un conflit. Ce point de vue est
partagé par Balandier qui, parlant de la
complexité des sociétés humaines dit à propos :
Les sociétés ne sont jamais ce qu'elles
paraissent être ou ce qu'elles prétendent être. Elles
s'expriment à deux niveaux au moins ; l'un superficiel, présente
les structures
" officielles » si l'on peut dire, l'autre profond,
assure l'accès aux rapports réels les plus fondamentaux
~47
Il convient dès lors d'avoir cet oeil clinique de
l'anthropologue des conflits pour nous permettre de repérer un certain
nombre de signes établissant une présomption de conflit :
On peut l'observer d'abord dans les situations oü les
acteurs (particulièrement lors d'entretiens) tiennent des propos
négatifs les uns sur les autres. On parle des autres, dans une
tonalité de reproche, sur le registre de la morale mais aussi sur le ton
de l'humour et de la moquerie disqualifiante. Que ce soit à Bidjouka ou
à Ngoyang, nous avons régulièrement été
témoin des situations de dénigrement des Pygmées par les
Bantous. Quand ce n'est pas pour traiter ces derniers d'animaux de forét
ou de primitifs, c'est pour démontrer aux yeux de l'étranger ou
du visiteur que ça ne vaut pas la peine méme d'engager une
quelconque action de développement à l'endroit des
Pygmées, car, disent les Ngoumba ou les Ewondo, celle-ci est
vouée à l'échec. Au cours d'un entretien avec les Ngoumba
de Nkouambpoer I au sujet du foyer, voici ce qui nous a été
rapporté par une femme bantoue :
« Je te dis que l'homme pygmée vole comme il
n'est pas permis. Ce sont eux qui ont volé toutes les choses qu'il y
avait là-bas au foyer48. »
Cette dernière tente tout de même de nuancer son
propos en continuant :
« Il n'y a pas que les Pygmées qui ont
volé les choses au foyer. Il y a aussi les Bantous qui ont bien
volé. Les Pygmées et les Bantou ont tous volé les choses
qu'il y avait au foyer pour aller vendre à Lolodorf. »
Il est très fréquent d'entendre sortir de la bouche
d'un Ewondo de Ngoyang des expressions telles que:
/ Bekwe ba bene ben ya? / La traduction de cette
locution donne: " Ces pygmées sont même comment? ».
Une phrase qui traduit généralement l'agacement d'un Bantou
devant une attitude désobligeante d'un Pygmée à son
endroit. Le Nkola, est ici présenté comme quelqu'un qui ne sait
pas vivre en communauté, un individu dont les attitudes et les
comportements ne relèvent pas du registre des humains.
/Bekwe bene be tsit/ La traduction littérale
nous donne : « Les Pygmées sont des animaux. ». Cette autre
expression, est utilisée par les Ewondo de Ngoyang, lorsqu'ils veulent
affirmer leur différence vis-à-vis de leurs voisins Bakola. La
conscience collective des Ewondo projette sur les Pygmées des
appréciations qui traduisent l'idée qu'ils ont de leurs voisins.
Ce ne sont pas des êtres humains et par conséquent toute
collaboration avec ceux-ci est très peu
47 G. Balandier ; Sens et puissances : les dynamiques
sociales, 1981, Paris.
48 Ngiongnza Mpfouniwang, femme bantoue, entretien
réalisé le 30 décembre2009 à Meh (Ngoyang).
souhaitée. L'Ewondo ne considère pas le Nkola
comme l'autre lui-même. Pour lui, le Pygmée se trouve encore
à un stade très peu évolué de la civilisation
moderne. Le Bantou voit, analyse les actions du pygmée à partir
de sa culture et voudrait que celui-ci puisse faire pareillement à lui.
Dès lors où le Nkola ne se conforme pas à ce que le Bantou
estime être bien pour lui, il est relégué au second plan et
devient de ce fait un animal. Car pour le Bantou, il n'y a que la bête
qui puisse être à même de vivre en marge de la vision
dictée ou voulue par lui qui se considère comme l'être
supérieur sur qui les autres doivent s'inspirer pour pouvoir se
réaliser.
Pour ce qui est des Ngoumba de Bidjouka, nous avons
relevé bon nombre d'expressions que ceux-ci utilisent pour cataloguer ou
pour étiqueter les Bagyelli. Nous relevons ci-dessous quelques unes qui
ont particulièrement attiré notre attention :
/ngièl yi ngièl/ (un Pygmée reste un
Pygmée) ; les Ngoumba développent à l'endroit des
Pygmées une sorte de scepticisme qui est traduit dans cette expression
par le fait quel que soit ce que le Ngyelli, pourra avoir ou pourra faire, il
n'en demeure pas moins vrai qu'il ne sera rien d'autre que celui-là qui
est habitué à vivre dans la forêt.
/diga mè ngièl nina !/ (regardes-moi ce
Pygmée !) ; cette locution est utilisée pour marquer la
différence qui existe entre un Bantou et le Pygmée. Il arrive des
fois que la même expression soit utilisée par un Ngoumba pour
railler son frère ce qui conduit bien souvent à des
réactions imprévisibles de la part de celui en direction de qui
la phrase a été dite. Car, traité un Ngoumba de
Pygmée s'apparente souvent à une insulte très grave qui
peut avoir des conséquences extrêmement dommageables par la
suite.
/lé dou mbpi ngièl / (Mentir comme un
Pygmée) ; dans l'imagerie populaire des Ngoumba, le Pygmée est
celui-là qui est reconnu comme étant quelqu'un qui ment en toute
circonstance et dont la parole ne peut bénéficier d'aucune
crédibilité de la part de son interlocuteur. Lorsque vous
êtes en situation d'échange avec un Ngyelli, il vaut mieux rester
sur vos gardes car vous n'êtes pas à l'abri d'une tentative de
ruse de ce dernier. Certains Bantou vous diront même : « Le
Pygmée ne dit jamais non !»
/dzio mbpi ngièl/ (Voler comme un Pygmée) ; le
Pygmée est régulièrement pris à partie parce que
comme disent les Bantou : « Les Pygmées sont de très grands
voleurs. ». La pomme de discorde régulièrement
mentionnée dans les causes des conflits entre les Bantou et les
Pygmées c'est le vol. Les Bantou accusent à tort ou à
raison ces derniers d'être les principaux voleurs de leurs cultures
vivrières. Ce qui, à bien des égards, a conduit les Bantou
à bastonner un Pygmée par simple soupçon que celui-ci
pourrait être le principal suspect.
/noumbo mbpi ngièl/ (Sentir comme un Pygmée) ; le
Pygmée, parce qu'il passe la majeure partie de son existence en
forêt, dégage une odeur qui lui est caractéristique. C'est
cette odeur
qui permet souvent de le distinguer du bantou lorsqu'ils se
retrouvent à partager ensemble une même activité.
Dès lors, il est fréquent de voir un Bantou qui dégage une
forte odeur corporelle d'être assimilé à un Nkola.
Ces expressions traduisent à souhait le regard que les
Bantou portent à l'endroit de leurs voisins territoriaux que sont les
Pygmées avec qui ils entretiennent des rapports de cohabitation
séculaires. Il est très courant d'entendre des propos
dégradants et dévalorisants à l'endroit des Bakola venant
des Bantou pour signifier la grandeur des uns sur les autres. Au cours d'un
entretien réalisé à Bidjouka, une sexagénaire
Ngoumba s'exprimait en ces termes :
Vous voulez sortir les animaux de la forêt pourquoi
? Vous perdez votre temps. Les Pygmées sont faits pour vivre dans la
brousse. Il n'y a que nous qui vivons avec eux qui les maîtrisons.
Même si un Ngyelli va à l'école, devient ministre, pour moi
il reste un sauvage ! Les Pygmées ne connaissent pas l'importance de
quelque chose. Donne un habit à celui-ci maintenant et reviens demain
voir ce que cet habit est devenu pour que tu comprennes que ça ne vaut
pas la peine49 !
On peut dans ces propos déceler à quel niveau
les Bantou sous-estiment les Pygmées et développent
vis-à-vis de ceux-ci un complexe de supériorité. Cette
situation telle que décrite nous amène à penser avec
Olivier Menard que :
[ ... ] n'est pensable comme objet, n'est possible comme
phénomène du vivre
ensemble, qu'à la condition de mouvements
conflictuels dont la signification cosmopsychologique répète la
structure archaïque des rivalités et des joutes ; cette
répétition engage, toutefois, une activité
évaluatrice par laquelle s'introduit comme un conflit, ou un jeu, dont
résulte, sinon l'antagonisme, du moins l'écart, entre l'antique
et le moderne. Ce jeu ne permet de distinguer le moderne de l'antique que pour
neutraliser l'engloutissement dialectique des valeurs du second dans celle du
premier50.
Les propos des Bantous au sujet des Pygmées sont
toujours teintés d'un caractère dévalorisant.
Régulièrement le Nkola est pris à partie pour montrer son
incompétence et sa trop grande fainéantise. Au cours d'un
entretien qui portait sur les propositions à formuler par les Bantous
pour une saine cohabitation entre eux et les Pygmées, une femme bantoue
nous a dit :
Un Pygmée ne peut pas travailler son champ seul.
Les Pygmées ne font rien seuls. Donc, nous devons faire des groupes de
travail avec eux. Seuls, ils ne peuvent rien. Or c'est important qu'un
Pygmée ait son champ pour ne plus voler. Mais quand il n'a pas le champ,
il va voler chaque jour. Qu'il le veuille ou non il va voler ! Sinon il va
manger quoi ? Ils sont très négligents. Ce n'est pas qu'ils sont
faibles, mais ils négligent tout. Mais quand ils entendent qu'il y a le
vin quelque part ; ils vont aller travailler là-bas. C'est en ce moment
là qu'ils montrent comment ils sont forts. Mais pour qu'ils travaillent
pour eux-mêmes ça les dépasse.
49 SABOUANG Esther, femme âgée Ngoumba,
entretien réalisé le 04 janvier 2010 à Bidjouka.
50 O. Menard, Le conflit, op.cit
Quand il faut chasser le rat en brousse ils sont
très forts ! Mais pour mettre le manioc en terre c'est ça qui les
dépasse. Les Pygmées, quand ils vont en brousse pour chercher le
miel ils sont très forts ; mais pour travailler le champ rien ! Pour
chasser le rat ou le lièvre ils sont capables de faire toute une
journée en brousse51.
A l'inverse, les Bakola se plaignent
régulièrement des abus dont ils sont victimes de la part des
Bantous. Ils considèrent leurs voisins comme des gens qui ne sont
là que pour les exploiter et rien d'autre. Les Pygmées se sentent
marginalisés par les Bantous. C'est avec dédain qu'ils sont
regardés, ils sont très peu considérés et tout
contact avec un Bantou dans le sens d'une forme de rapprochement sentimental
est difficilement accepté par les autres. A Ngoyang, par exemple, nous
avons interrogé un Nkola au sujet de ce qu'il pensait de leurs voisins
Ewondo et il nous a répondu en ces termes :
Les Ewondo, sont très bizarres. Ils épousent
nos soeurs et nous aussi on épouse leurs soeurs, mais dans nos rapports
quotidiens tu as toujours l'impression que nous sommes leurs esclaves ou que
nous ne sommes rien à leurs yeux. Ils aiment que quand quelqu'un veut
venir faire quelque chose ici chez nous que la personne puisse d'abord
s'adresser à eux. Vous comprenez vous même que c'est une situation
qui ne nous arrange pas. Mais il faut voir quand ils sont malades comment ils
courent après nous pour que nous puissions leur apporter notre aide et
notre savoir-faire. Nous prenons notre revanche sur nos maîtres en leur
faisant boire notre salive dans des tisanes et autres potions que nous leur
concoctons pour qu'ils puissent retrouver la
guérison52.
La méme question nous l'avons posé à une
Ngyelli de Bidjouka qui nous a répondu sans détour en nous disant
:
Les Ngoumba pensent même qu'ils sont quoi ? Avant,
ils étaient les seuls à aller à l'école,
aujourd'hui les choses ont changé nous aussi nous partons
déjà à l'école. Pour moi, je pense qu'il n'y a plus
rien qui nous différencie d'eux. Regardez nos maisons, vous ne voyez pas
qu'elles ne sont pas différentes de celles des Bantou et je peux
même dire qu'elles sont plus jolies que les leurs. Tout ce qu'ils font
là pour nous dénigrer ce n'est rien d'autre que de la jalousie.
Le temps où ils étaient au-dessus de nous est passé et
c'est ce qu'ils refusent d'accepter53.
Nous relatons dans ce témoignage une histoire
vécue par un Ngyelli de Bidjouka qui avait commis le crime de
lèse majesté d'oser entretenir une relation amoureuse avec une
fille bantoue du village. Selon nos témoins, un jour, un jeune homme
Ngyelli était tombé amoureux d'une jeune fille bantoue.
Après des nuits d'insomnie, il se décide enfin à lui
parler. Et à son grand bonheur, la fille répond à ses
avances. Il a un salaire assuré chaque fin de mois
51 NGUIONGNZA. M ; op.cit
52 NGALLY Sadrack, chef Bakola de Nkouonguio,
entretien réalisé le 28 décembre 2009 à Ngoyang.
53 MASSILA Véronique, femme Nkola
émancipée. Entretien réalisé à Bidjouka, le
6 janvier 2010 à BidjoukaSamalè (Binzambo).
et ne réve que de faire plaisir à sa bien
aimée. Il lui fait des cadeaux, l'emmène de temps en temps se
promener dans les endroits à la mode à Lolodorf.
Lorsqu'elle perd son grand-père, il lui apporte une
aide financière. Ils font des projets d'avenir comme tous les jeunes
gens dans leur situation. Bientôt, un enfant est en route. Et l'on
s'attend à ce que ces jeunes gens si amoureux l'un de l'autre
officialisent leur union. Cette grossesse sonne plutôt le glas de leur
idylle. La famille et les voisins s'en mélent. Les passions se
déchainent. Cette histoire ne peut aller plus loin. Il faut que cela
cesse. La fille essaie de résister, mais la pression familiale et de la
communauté entière est très forte. La jeune fille finit
par céder. Elle arrête de fréquenter son ami. Le jeune
homme n'a pas revu sa dulcinée méme lorsqu'il a appris qu'elle a
accouché d'une fillette. Les parents avaient aussitôt
emmené leur fille à Yaoundé pour l'éloigner du
Pygmée.
Ce jeune homme n'est pas le seul à avoir
été traité de cette manière parce qu'il a
osé s'intéresser à une fille bantoue. Selon nos
mêmes informateurs, un jour, un autre jeune Ngyelli, habitant du
campement Maschouer-Maschouer, en état d'ivresse, avait fait des avances
à une jeune fille bantoue. Pour toute réponse, il avait
reçu une gifle retentissante qui lui avait été
administrée par le frère ainé de la fille pour qui de
telles avances constituaient une offense à l'honneur de la famille.
Les stratégies d'évitement peuvent être un
autre signe constitutif d'un conflit. Il est difficile de réunir
certaines personnes, il était prévu qu'elles se parlent et elles
ne se sont pas paiées. A Bidjouka ou Ngoyang, nous n'avons pas
été témoin d'une quelconque synergie d'action entre les
Bantou et les Pygmées. L'observateur avisé et curieux a tôt
fait de se rendre compte que les uns et les autres s'évitent, si ce
n'est dans le cadre d'une demande d'aide d'un Bantou qui a besoin de la main
d'oeuvre pour ses travaux champêtres ou qui voudrait commissionner un
chasseur Nkola en forêt pour que ce dernier puisse lui ramener du gibier,
soit pour la commercialisation ,soit pour la consommation domestique. Il en est
de même du Nkola qui ne fait recours à son voisin Bantou que
lorsqu'il s'agit d'obtenir une quelconque faveur. Au demeurant, on peut dire
que ces situations d'évitement réciproque contrastent avec la
réalité au quotidien. Car comment expliquer que des personnes qui
s'évitent dans leurs rapports quotidiens soient aussi dépendants
les uns des autres ? La réponse à cette question est une fois de
plus donnée par O. Menard lorsqu'il dit, paiant des rapports de
cohabitation entre les individus :
De même que, pour avoir une forme, le cosmos a besoin
« d'amour et de haine »,de
forces attractives et de forces répulsives, la
société a besoin d'un certain rapport
quantitatif d'harmonie et de dissonance, d'association et de
compétition, de sympathie et d'antipathie pour accéder à
une forme définie54.
IV-2- ANALYSE DES CONFLITS
Pour identifier les causes des conflits, on peut, comme
certains des acteurs qui y vivent et qui y prennent part, mobiliser la notion
d'arène qui est au sens oü nous l'entendons, un lieu de
confrontations concrètes d'acteurs sociaux en interaction autour
d'enjeux communs. La construction des infrastructures sociales pour les
Bakola/Bagyelli est une arène. Nous voulons, dans le cadre de notre
analyse, mettre l'accent sur l'intérêt heuristique de
l'étude des conflits en prenant comme rampe de lancement le conflit,
sans toutefois omettre son lien étroit avec les rapports de cohabitation
intercommunautaire. L'argument que nous voulons avancer pour soutenir notre
posture consiste à dire qu'il existe « une vie de conflits ».
Des personnes ou des groupes peuvent un jour coopérer mieux ou le
contraire, les communautés peuvent entrer en conflit après une
période de coopération importante. Il existe plusieurs
situations, que l'on rencontre habituellement dans le déclenchement des
conflits et qui peuvent servir comme cadre de référence pour
analyser les conflits qui ont été identifiés à
Bidjouka et à Ngoyang entre Bantou et Bakola/Bagyelli.
En effet, au regard de données collectées sur le
terrain nous avons constaté que les conflits identifiés à
Bidjouka et Ngoyang ont trois causes principales: l'occupation des terres
appartenant aux Bantou, les schèmes culturels et l'action
unidirectionnelle des partenaires au développement dans la prise en
charge des Bakola/Bagyelli. Toutefois, précisons que les trois causes
qui constituent le point d'ancrage de notre analyse sur les conflits dans ces
deux villages ne sont pas les seules qui peuvent intervenir dans le
déclenchement des rivalités.
IV-2-1- La prise en charge unilatérale des
Bakola/Bagyelli par des partenaires au développement
Les situations où un acteur, un groupe, une
communauté se trouve en forte dépendance vis-à-vis
d'autres acteurs ou d'un système, sont des situations promptes à
générer des conflits ; ceux qui les subissent peuvent adopter des
attitudes agressives pour essayer de réduire cette dépendance.
Crozier tente de nous donner une explication en ces termes :
En effet, agir sur autrui, c'est entrer en relation avec
lui ; et c'est dans cette relation que se développe le pouvoir d'une
personne A sur une personne B. Le pouvoir est donc une relation, et non pas un
attribut des acteurs. Il ne peut se manifester-et donc devenir contraignant
pour l'une des parties en présence-que par sa mise en oeuvre dans une
relation qui met aux prises deux ou plusieurs acteurs dépendant les uns
des
54 O, MENARD ; Le conflit, op.cit
autres dans l'accomplissement d'un objectif qui conditionne
leurs objectifs personnels55.
Les Bantou ont toujours développé à
l'endroit des Bakola une sorte de paternalisme avilissant; qui semble
aujourd'hui ne plus s'accorder avec l'évolution et l'émancipation
de leurs « sujets » d'hier. Tout acte d'émancipation ou de
démarcation d'un Pygmée est médiatisé. Ainsi, il
leur est interdit de prendre contact avec d'autres personnes sans passer par
leurs « possesseurs » qui jouent, non seulement un rôle
d'interprètes mais surtout de censeurs. Ils vivent donc
étroitement liés aux « Grands Noirs » qui sont
chargés de « défendre leurs intérêts » sur
les plans socioéconomique et judiciaire. Cette situation accentue leur
dépendance et instaure entre eux et les tribus bantoues voisines une
relation dégradante. En fait, les Bakola sont considérés
comme un héritage que les Bantou transmettent à leurs
descendants. Ainsi à sa mort, un homme peut léguer à son
fils un « cheptel » de 15 à 20 Pygmées qu'il a
lui-même reçus de son père. Aussi n'est-il pas rare de voir
les habitants d'un village se disputer un Pygmée, chacun le
réclamant être de son clan. Au cours d'un entretien
réalisé à Bidjouka auprès des populations bantoues,
un Ngoumba nous a déclaré parlant du projet de l'oléoduc
pipeline Tchad-Cameroun si les Bakola avaient été aussi
dédommagés au même titre que eux nous a répondu :
Oui, nous avons nos Bagyelli ici. Mon « troupeau
» de Bagyelli vit dans mes forêts derrière ma maison. C'est
mon père qui me les a donnés~J'ai reçu une compensation
pour les dommages causés à mes terres et mes récoltes, pas
celles de Bagyelli. Ils pratiquent l'agriculture et la chasse sur mes
terres.
Les Bantou pensent que les Pygmées ne peuvent pas vivre
sans eux. A ce sujet, une Ngoumba interrogée à Ngoyang dira
à propos :
Ce sont nos enfants qui encouragent les enfants
pygmées pour qu'ils puissent fréquenter. Sans eux, ils ne peuvent
rien faire. Ce sont les enfants des Bantou qui forcent pour que les enfants
Pygmées puissent aller à l'école. S'il n'y a pas les
Bantou, il n'y a rien pour les Pygmées. C'est comme ça ! Et c'est
cela que le Gouvernement avec les ONG oublient. Il faut un Bantou à
côté d'un Pygmée pour l'encourager à faire quelque
chose. Les gens qui vivent à côté des Pygmées
doivent être ensemble avec eux. Sinon ça ne peut pas
marcher.
Le Pygmée connait quoi ? Il va dire quoi ? Donc, il
regarde d'abord le Bantou pour voir ce que le Bantou va faire ou dire. Les
parents, autrefois, avaient les Pygmées chez eux ; mais ce
n'était pas comme d'autres disent que c'était l'esclavage. Ce qui
se passait c'est que chaque tribu bantoue avait ses Pygmées. Donc quand
un Pygmée veut faire quelque chose, il vient d'abord voir le Bantou pour
lui demander conseil pour voir ce qu'il doit faire. C'est le Bantou qui lui
donne des idées pour lui dire de faire comme ceci ou comme cela. Mais
quand vous venez ici, vous ne regardez pas les
55 Crozier M &Friedberg E, L'acteur et le système,
Paris.
Bantou. Les Pygmées ne vont rien faire même si
c'est après cent ans. Même si on fait quoi ! Il faut d'abord
passer par les gens du village pour avoir les
Pygmées56.
Les Bakola, bien que de façon timide, se sont ouverts
à la modernité et ceci a eu comme incidence leur
détachement progressif de le leurs « maîtres »
d'autrefois. Ces situations d'indépendance et d'affranchissement des
Pygmées sont très mal perçues par les Bantou qui voient
filer entre leurs doigts ceux-là mêmes qui leur permettaient
encore de se considérer comme les « Seigneurs de la forêt
». Les Bantou tentent donc par tous les moyens de restaurer cette relation
de dépendance des Bakola vis-à-vis d'eux, mais sans
succès. La scolarisation des Bakola, l'intervention de quelques ONG
(FONDAF, RAPID, CBCS, FEDEC, SAILD) dans les campements ont fortement
contribué à l'autonomisation des Bakola qui, de nos jours,
veulent faire entendre leur voix et s'affirmer en tant que citoyens camerounais
à part entière. La photographie ci-dessous, montre un Ngyelli du
campement de Maschouer-Maschouer(Bidjouka) venu se plaindre d'avoir
été abusé par un Ngoumba.
Photo 20: Ngyelli du campement de
Maschouer-Maschouer venu se plaindre d'avoir été
abusé par un Bantou de Bidjouka
Source : Aristide Bitouga, (Bidjouka 2010)
Une telle image ne pouvait pas être enregistrée
il y a quelques années par le passé. La preuve, s'il en fallait
une, qui montre que les Pygmées sont entrain de rompre d'avec cette
dépendance séculaire avec les Bantou. Comme réponse des
Bantou à cette rupture soudaine d'avec leurs anciens « serviteurs
», ces derniers n'hésitent pas à saboter le travail des ONG
sur le terrain en accusant celles-ci d'être responsables des conflits qui
naissent de plus en plus entre les Bantou et les Bakola. A Ngoyang, par
exemple, les Ewondo sont allés jusqu'à accuser le SAILD de monter
les Bakola contre eux pour leur arracher leurs terres. A Bidjouka,
56 NGUIONGZA. M ; op.cit
les Bagyelli nous ont fait état du fait que les Ngoumba
avaient porté un coup de frein au projet de construction des maisons qui
avait été initié par le GRPS et les Petites Soeurs de
Jésus.
Au regard de ce qui vient d'être dit, on peut comprendre
pourquoi la prise en charge des Bakola/Bagyelli par des partenaires au
développement est une des causes des conflits qui sévissent
à Bidjouka et à Ngoyang. En effet, les Bantou voient d'un mauvais
oeil l'action des ONG sur le terrain. Cette réticence est motivée
par le fait que les Ngoumba et les Ewondo pensent que les Pygmées ne
vivent pas seuls dans les villages où ils sont installés. Les
Bakola/Bagyelli ne sont pas les seuls nécessiteux ou les seuls qui
soient indigents. Autant les Pygmées ont des besoins ou sont
démunis, autant les Bantou avec lesquels ils partagent le même
espace territorial en ont également.
Dès lors, ceux-ci pensent que les ONG doivent agir sur
le terrain ou mener des activités en faveur de l'amélioration des
conditions de vie des Pygmées, en tenant compte des populations bantoues
qui vivent avec eux. En voulant s'intéresser uniquement aux
Bakola/Bagyelli, les partenaires au développement, font naître
à travers leur approche d'autres problèmes qui sont des leviers
sur lesquels les Bantou s'appuient pour pressuriser les Pygmées.
L'approche unidirectionnelle des ONG, crée des jalousies, du
mécontentement et de la frustration chez les Bantou. Cette
démarche, il faut le reconnaître, est de nature à exacerber
les tensions qui existent dans la cohabitation entre ces communautés
voisines. Il est très difficile pour les « Grands Noirs » de
voir que les « esclaves » d'hier soient aujourd'hui logés
à une meilleure enseigne que leur supposé « maître
». Comment comprendre qu'un Nkola habite une maison moderne alors que le
Ngoumba ou l'Ewondo qui se croit supérieur vit dans une case en terre
battue avec une toiture en paille ?
Tous ces facteurs peuvent expliquer le fait qu'aujourd'hui les
Bantou voient dans ces changements sociaux une modification de l'architecture
sociale de leurs villages et qui induisent forcément un regard
différent des Bakola à leur endroit. La photographie ci-dessous
montre une maison appartenant à un Nkola qui a été
construite grace à l'appui technique et financier d'un partenaire au
développement.
Photo 21: Maison appartenant à NGUIAMBA
Moïse, un Nkola à Ngoyang Source : Aristide Bitouga,
(Ngoyang 2009)
A contrario, la photographie ci-dessous montre une case
appartenant à un Ngoumba dans le même village.
Photo 22: Maison appartenant à MABARI
Désiré, un Bantou à Ngoyang Source : Aristide
Bitouga, (Ngoyang 2009)
Pour l'étranger qui séjourne dans cette
localité, il est clair que l'image qu'on avait jusqu'alors
véhiculée sur les Pygmées mérite d'être
remise en cause pour s'interroger désormais sur qui tient
dorénavant les commandes. Cette presqu'égalité sociale
entre les Bantou et les Bakola crée forcément des jalousies et de
la concurrence entre ces différentes communautés. Chaque
communauté s'efforçant d'affirmer au quotidien sa
notoriété. Une situation qui ne plaît pas du tout aux
Bantou qui conçoivent très mal le fait que les Pygmées
qu'ils ont toujours considérés comme des « moins que rien
», des « sous hommes », soient aujourd'hui au même pied
d'égalité qu'eux. Dans la localité de Ngoyang, nous avons
rencontré une jeune fille Nkola, qui est conseillère municipale
à la commune de Lolodorf ; tandis qu'à Bidjouka, une autre est
infirmière au dispensaire catholique de Ngovayang. Deux exemples qui
montrent à suffisance la difficulté que les Bantou ont dans ces
deux villages à
confiner les Bakola/Bagyelli dans leur petite forêt comme
cela était encore le cas il ya quelques années.
IV-2-2-L'occupation des terres appartenant aux Bantou comme
cause des conflits
Les dynamiques à l'intérieur des
sociétés qui conduisent celles-ci vers une certaine
évolution marquée par la domination de certains groupes sur
d'autres ; allant du simple exercice du pouvoir à l'appropriation du
pouvoir. Cette situation a comme conséquence la confiscation du
territoire par ceux qui exercent le pouvoir et qui conduit ces derniers
à protéger cet espace et à refuser tout partage de
celui-ci avec d'autres groupes partageant le même espace territorial. Un
responsable de l'ONG dénommée GRAD-PRP basée à
Lolodorf nous a répondu parlant du problème foncier à
Ngoyang en ces termes :
La question foncière est un problème
très sérieux entre les Bantou et les Pygmées. Les Ewondo
sont allés jusqu'à dire que comme les ONG soutiennent les
Pygmées dans tout ce qu'ils font, les ONG doivent leur donner de
l'argent pour leur terrain sur lequel est construit le foyer. La raison
évoquée par ceux-ci vient du fait qu'ils disent que ce sont eux
qui ont donné les terres aux Pygmées pour que ceux-ci puissent
s'y installer. Les Bantou affirment avoir été abusés parce
que, disent-ils : « Nous croyions que les Pygmées étaient
juste là pour quelques temps et qu'après ils devaient retourner
en foret». C'est la raison pour laquelle ils ont demandé au SAILD
de les payer pour leurs terres qu'ils avaient cédées aux
Pygmées57.
Telle semble être la dure réalité à
laquelle sont confrontés les Bakola/Bagyelli. Que l'on soit à
Bidjouka ou à Ngoyang, la réalité est la même sur le
terrain. Les Pygmées se plaignent d'être victimes de
marginalisation au niveau de l'accès à la terre pour pouvoir
exercer des activités qui sont de divers ordres : agricole,
d'exploitation forestière, de mise en valeur, d'occupation domestique,
etc. Un Pygmée interrogé à Ngoyang au sujet de
l'accès à la terre nous a répondu en ces termes : «
Les Ewondo disent que tout ça ce sont leurs terres. Ils disent que
nous les Pygmées nous devons quitter d'ici et que le terrain leur
revient ». La protection des terres par les Bantou est l'un des
enjeux majeurs des nombreux conflits ayant jonché les rapports de
cohabitation entre ces communautés territorialement voisines. De prime
abord, on peut être amené à penser que les Pygmées
n'ont pas le droit de posséder les terres. Ce qui est faux ; au regard
de la Déclaration universelle des droits des peuples
autochtones58 qui dit en sa partie six(6), en ses articles 25 et 26
que :
57 MIMBOH Paul-Félix/ Responsable GRAD-PRP,
entretien réalisé le 05/01/2010 à Lolodorf
58 Déclaration universelle des droits des
peuples autochtones ; voir en Annexe
Article 25
Les peuples autochtones ont le droit de conserver et de
renforcer les liens particuliers, spirituels et matériels , qui les
unissent à leurs terres, à leurs territoires, à leurs eaux
fluviales et côtières, et aux autres ressources qui constituent
leur patrimoine, ou qu'ils occupent ou exploitent, traditionnellement, et
d'assumer leurs responsabilités en la matière à
l'égard des générations futures.
Article 26
Les peuples autochtones ont le droit de posséder,
de mettre en valeur, de gérer et d'utiliser leurs terres et territoires,
c'est-à-dire l'ensemble de leur environnement comprenant les terres,
l'air, les eaux, fluviales et côtières, la banquise, la flore, la
faune et autres ressources qu'ils possèdent ou qu'ils occupent ou
exploitent traditionnellement.
Mais il faut dire que la vérité est tout autre
sur le terrain au regard des menaces et du refus de l'accès aux terres
dont les Bakola sont l'objet de la part des Bantou. On pourrait donner raison
à MENARD qui dit à propos :
L' " aversion », le " sentiment d'être des
étrangers et des ennemis l'un pour l'autre », apparaissent comme la
" forme latente » d'une forme plus générale de socialisation
conflictuelle : Sans cette aversion, la vie [...], qui met chacun de nous
quotidiennement en contact avec d'innombrables autres individus, n'aurait
aucune forme pensable59.
Pour résoudre ce problème de l'accès aux
terres par les Bakola, il va falloir que l'Etat puisse prendre à bras le
corps la défense des intérêts des Pygmées qui
méritent en tout de point de vue de vivre où bon leur semble. Il
faut ici dire que la Constitution du Cameroun qui fut adoptée par la loi
n° 96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la constitution du
02 juin 1972. La Constitution du 18 janvier 1996 est l'une des rares, sinon la
seule de l'Afrique subsaharienne à faire usage du mot « autochtone
». Elle dispose à cet effet dans son préambule que : «
l'Etat assure la protection des minorités et préserve les
droits des populations autochtones conformément à la loi
». Cette disposition de la loi fondamentale Camerounaise est
renforcée par sa tradition orale reconnaissant à certaines
communautés des droits immémoriaux sur certaines terres. La
Constitution reconnaît en outre l'égalité de tous les
Camerounais en droits et en devoirs et dispose que « l'Etat assure
à tous les citoyens les conditions nécessaires à leur
développement ». Et selon la lettre de l'article 2 de cette
constitution, la République du Cameroun « reconnaît et
protège les valeurs traditionnelles conformes aux principes
démocratiques, aux droits de l'homme et à la loi ».
Cela dit, il n'y a
59 O, MENARD ; Le conflit, op.cit
aucune loi de ce pays qui n'explicite pas ces dispositions
constitutionnelles. Toutefois, on note sur le terrain que ces dispositions de
la loi ne sont pas appliquées et ceci au grand dam des Pygmées
qui sont victimes des abus de pouvoir des Bantou. On peut dire avec Crozier que
:
Le phénomène du pouvoir est simple et
universel, mais le concept de pouvoir est fuyant et multiforme...quel que soit
en effet son « type », c'est-à-dire ses sources, sa
légitimation, ses objectifs ou ses méthodes d'exercice, le
pouvoir-au niveau le plus général-implique toujours la
possibilité pour certains ou groupes d'agir sur d'autres individus ou
groupes60.
IV-2-3-Les schèmes culturels comme
éléments qui sous-tendent les conflits
La scolarisation croissante des enfants Bakola, la
possibilité pour les jeunes filles Bakola de contracter des alliances
matrimoniales avec les « Blancs », l'amélioration des
conditions de vie en général, et celles de l'habitat en
particulier sont autant d'éléments que nous voulons analyser pour
expliquer l'émancipation actuelle qui caractérise les
Bakola/Bagyelli de Ngoyang et de Bidjouka. Leur « ascension sociale »
a eu comme corollaire, l'apparition d'une sorte de « mentalité
concurrentielle » chez les Bakola. En effet, ceux-ci ont pris conscience
de leur condition de citoyens camerounais à part entière et
entendent le manifester de fort belle manière. Les Bakola sont sortis
craintivement de leur réclusion et de leur torpeur. L' « ouverture
des yeux » des Pygmées a vu naître dans cette nouvelle forme
de cohabitation une forme de concurrence, le Nkola essayant toutefois qu'il
pose un acte à vouloir se comparer à son voisin Ngoumba ou
Ewondo. Ce qui pousse les Bantou à se mettre en colère au regard
de ce qui se passe actuellement dans ces différents villages. Ce qui
détermine la nature anthropologique de la concurrence, c'est qu'il
s'agit d'une lutte indirecte. Quand on nuit directement à son adversaire
ou qu'on l'écarte de son chemin, on cesse du même coup
d'être en concurrence avec lui. En général, le langage
n'admet l'usage du terme de concurrence que lorsque la lutte consiste dans les
efforts parallèles des deux parties en vue d'un seul et même
enjeu. L'émancipation actuelle des Bakola et leur ouverture au monde,
ont eu comme conséquence la naissance d'un climat de concurrence entre
eux et leurs voisins Bantou.
Les groupes, les acteurs à l'intérieur d'une
société possèdent des systèmes de pensée
générateurs de structures mentales auto-organisées. La
façon dont les uns et les autres décodent, les symboles,
diffère d'une communauté à une autre. C'est cette
différence qui engendre très souvent les conflits. Nonobstant
leur émancipation et leur ouverture à la
60 CROZIER ; op.cit
modernité, les Bakola restent tributaires d'une vision
du monde qui leur est propre. En effet, au regard de la manière avec
laquelle ces derniers s'approprient certains projets de développement ;
l'observateur peut être amené à s'interroger sur la
nécessité qu'il y a à s'acharner à vouloir les
faire sortir de leur milieu sociétal forestier pour les amener au
contact de ce que l'on nomme le développement. Les Bakola, s'approprient
difficilement tout ce qui leur est étranger et c'est ce qui explique en
partie les résultats mitigés du projet SAILD/APE à
Ngoyang. A Bidjouka, on s'étonne que le hameau moderne qui leur a
été construit, connaisse des périodes de désertion
quasi totale. Cette opposition de logique entre eux et leurs voisins Bantou
peut expliquer en partie la difficulté que les Bantou éprouvent
à voir des ONG s'investir pour améliorer les conditions de vie
des Pygmées. Au cours d'un entretien avec un habitant du village Ngoyang
au sujet de l'appréciation qu'il portait sur les différentes
actions de développement qui étaient menées au profit des
Bakola ce dernier n'a pas hésité à nous traduire son
amertume vis-à-vis de ces initiatives. Le concerné nous a dit
:
C'est vous les ONG et tous ces gens qui viennent de
Yaoundé qui amenez le désordre dans ce village. Comment les
Pygmées pourront-ils encore nous respecter ? Vous donnez trop
d'importance à ces Pygmées. Pour quels résultats ? Je ne
sais pas. Regardez seulement comment ils entretiennent les vêtements que
vous leur offrez ! Un Pygmée reste un Pygmée. Même si tu
l'amènes en Europe, quand il reviendra ; il va retourner en brousse
continuer à chasser le rat palmiste. Pourquoi vous ne faites pas ces
choses aux gens qui en ont vraiment besoin ? Vous énervez !
[sic]
Nous avons- même été témoin sur le
terrain de certains faits insolites. A Ngoyang, une ONG dénommée
RAPID, oeuvre dans la distribution des semences et du petit outillage agricole
aux Bakola. Mais chose curieuse, ces derniers vont échanger ce
matériel agricole auprès des Bantou contre des sachets de whisky
qu'on nomme communément « KITOKO ». Un Nkola que nous avons
suivi est allé troquer une machette neuve contre quatre sachets de
KITOKO dont la valeur marchande équivaut à quatre cent(400)
francs CFA.
Conscients donc de cette situation, les Bantou
n'hésitent pas à proposer ces sachets de liqueur aux Bakola
contre une machette, une houe ou une pelle qui vient de leur être offerte
par RAPID. Mais chose curieuse, lorsque le Nkola a fini de consommer ces
quelques sachets de whisky, il revient à la charge pour tenter de
récupérer son outil qui a servi de monnaie d'échange. Il
s'en suit forcément des querelles, voire des disputes violentes entre
celui-ci et son acheteur. De ce qui vient d'être décrit, on peut
dire une fois de plus avec CROZIER que :
On ne peut pas éviter le conflit. Il peut
s'interpréter comme l'action et l'intervention de l'homme sur
l'homme, c'est-à-dire le pouvoir et sa face « honteuse »,
la manipulation et le chantage, sont consubstantiels à toute
entreprise collective,
précisément parce qu'il n'y a pas
déterminisme structurel et social, et parce qu'il ne peut jamais y avoir
conditionnement total61.
IV-3- ETUDE DE CAS
Dans l'élaboration de cette section qui porte sur les
études de cas, nous avons opté pour l'approche chronologique que
nous avons empruntée aux historiens. Nous pensons que celle-ci est
à même de nous aider à pouvoir présenter les faits
de manière succincte et détaillée. Elle nous permet
d'avoir une vue globale sur les différentes étapes qui ont
conduit au déclenchement des différents conflits.
IV-3-1-Conflit de Ngoyang (campement de Nkouonguio)
Présentation des faits
> Février 2005 : Construction des maisons aux Bakola
par CBCS
Après le foyer pour leurs enfants, les Bakola ont
également bénéficié en 2005 d'un autre projet de
construction des maisons d'habitation, grâce aux appuis technique et
financier d'une ONG dénommée CBCS. La mise en oeuvre de cet autre
projet de construction d'infrastructures sociales aux Bakola était, de
l'avis de NGALLY Sadrack, la goutte d'eau qui allait faire déborder le
vase. Il l'affirme en ces termes :
Quand on a eu à construire ces maisons, c'est
après cela que les Bantou se sont fâchés en disant que
c'est à eux qu'on doit construire de telles maisons et non pas à
nous. C'est après cela que de sérieux problèmes ont
commencé entre eux et nous. Ils sont allés à Lolodorf voir
le Sous-préfet. [sic]
Photo 23: Maison construite par la CBCS à
MimbitiSource : Aristide Bitouga, (Mimbiti 2009)
Et lorsque ce dernier est questionné sur les mobiles de la
colère des Bantou à leur endroit il répond :
61 Crozier,op.cit.
Le problème c'est que leur chef là-bas avait
demandé qu'on lui construise aussi une maison chez lui. C'est là
que Monsieur Guillaume62 a répondu qu'il n'est pas venu ici
pour construire les maisons aux Bantou. Face à ce refus qui leur avait
été opposé, ils avaient porté plainte contre le
chef NKORO à Lolodorf. Quand le chef est rentré de la convocation
de Lolodorf, il a commencé à se plaindre contre les Bantou, ce
qui nous a conduits à nous mettre en colère contre les
Ewondo.
> Août 2006 : le conflit proprement dit
Interrogé sur les causes immédiates du
déclenchement du conflit à Ngoyang entre Bantou et
Pygmées, le responsable (un Nkola) chargé de la gestion et de
l'entretien du foyer nous a répondu en ces termes :
C'est moi, en tant que responsable du foyer qui leur ai
donné la salle pour organiser leur bal. J'avais même
demandé qu'ils s'occupent du nettoyage de la devanture, ce qu'ils n'ont
pas fait. Mais moi je n'ai pas regardé cela. Ce qui m'a
gêné, c'est lorsqu'ils ont dit qu'ils ne veulent pas l'odeur des
Pygmées à côté d'eux. C'est alors que je leur ai
demandé : « ça ce sont les choses de qui ? Ce sont les
choses des Pygmées. Ce n'est pas l'argent de l'Etat qui a construit ce
foyer. Ce foyer appartient aux Pygmées. Donc si vous faites quelque
chose ici nous devons être impliqués ». C'est là donc
que nous nous sommes fâchés et nous leur avons dit : « vous
êtes dans notre salle et vous nous dites que vous ne voulez pas les
Pygmées dans votre bal ? Vous quittez à trois kilomètres
d'ici et vous venez créer les problèmes ici ? ». C'est en ce
moment que la bagarre a déclenché. [sic]
La photographie ci-dessous montre l'état de la salle
après l'échauffourée qui avait suivi l'interdiction faite
aux Bakola d'y accéder pour se joindre aux Bantou qui étaient
entrain de festoyer.
Photo 24: Etat des lieux après l'altercation qui
avait suivi l'interdiction des Pygmées d'accéder à la
salle de fête.
Source : Aristide BITOUGA, (Ngoyang 2009)
62 Responsable CBCS chargé de la construction
des maisons aux Bakola
IV-3-2-Conflit de Bidjouka-Samalè
Présentation des faits
> Décembre 2006 : Initiation du projet
Le Médecin Ndong Ngoé Constant, un des auteurs
du projet, avait vécu et exercé sa profession de Médecin
dans la localité de Bipindi (1998-2001). C'est son séjour en tant
que témoin oculaire et acteur principal qui lui a permis de mettre en
évidence les souffrances des Bagyelli qu'il a résumées
dans le dossier qui avait servi de cadre logique à la mise en oeuvre du
projet.
> 2007 : Financement du projet
Le Groupe de Recherche en Santé Publique(GRPS), dont
Monsieur Ndong Ngoé Constant est membre a introduit une proposition de
projet au CCS PPTE pour solliciter un financement afin de mener leurs
activités sur le terrain. Il ressortit de l'étude du dossier que
la mise en oeuvre du projet devait se faire avec les Petites Soeurs de
Jésus.
> 2008 : Démarrage des travaux
Le campement de Binzambo (Bidjouka-Samalè) sera retenu
pour la construction d'un hameau composé de huit maisons. Les Bagyelli
de Binzambo appartiennent au clan Samalè. Cette précision faite,
on peut comprendre pourquoi ceux-ci se rapprochèrent des Bantou de leur
clan par l'entremise de leur figure de proue Massila, pour solliciter
l'obtention d'un lopin de terre sur lequel les maisons seront construites.
Après négociation, le site actuel fut retenu pour la
réalisation des travaux de construction. Il faut tout de méme
préciser que l'acquisition de ce terrain c'était faite contre le
versement d'une compensation au propriétaire Samalè du
terrain.
> Juin 2008 : La répartition des maisons
Lorsque la construction des maisons a été
achevée, il y a eu une réunion qui avait été
présidée par le sous-préfet de Bipindi qui était
accompagnée, pour la circonstance, par les Petites Soeurs de
Jésus. Celles-ci étaient venues avec tous les trousseaux des
clés de toutes les maisons. Au cours de cette réunion, les
heureux bénéficiaires recevaient un trousseau de clés avec
une maison à eux attribuée.
> Origine du conflit
A la différence du conflit survenu à Ngoyang,
celui-ci n'était pas ouvert, mais celui-ci, par contre, était
larvé. En effet, l'arrivée des Bagyelli sur le site a conduit
à l'anthropisation de l'espace ; ce qui a conduit l'ancien
propriétaire du terrain à demander aux Pygmées de ne plus
empiéter sur ses terres. Il avait demandé aux Pygmées de
s'en tenir aux limites qui avaient été
fixées, sinon ils se rendraient coupables des
représailles de sa part. Cette situation a dès lors conduit
à l'instauration d'un climat délétère entre les
Bagyelli et leur oncle Samalè concerné. Les Pygmées
avaient été sommés de ne plus planter anarchiquement les
rejetons de bananierplantain sur le lopin de terre qui leur avait
été octroyé. Devant le refus des Pygmées
Samalè d'obtempérer, ce dernier vint saccager les jeunes plants
de bananier-plantain qui avaient déjà été mis en
terre. Cette situation dégénéra sur une violente
altercation entre les principaux acteurs avec comme conséquence majeure
le départ d'une bonne frange de Bagyelli qui se résolurent
à retourner vivre dans leur campement de forêt de Binzambo.
IV-4- INTERPRETATION DES CONFLITS
L'action unidirectionnelle des partenaires au
développement dans la prise en charge des Bakola/Bagyelli que nous avons
mentionnée parmi les causes des conflits, peut conduire à la mise
en place d'un certain nombre de barrières/obstacles à la
mobilité sociale des Bagyelli. Les différentes causes des
conflits que nous venons de présenter nous permettent d'expliquer le
processus de construction des groupes stratégiques au sein des
communautés bantoues et bakola. Le refus des Bantou de voir les
Pygmées se développer peut être interprété
comme une « cristallisation du marché du développement
». En effet, le comportement des Bantou à
Ngoyang ou à Bidjouka trahit l'hypocrisie de ces
derniers à l'endroit des Bagyelli. Ayant étéles
premiers à avoir goutté aux délices de la
modernité, ils veulent continuer à asseoir le
monopole, méme si le discours des Bantou à
l'égard des Bakola est tout aussi altruiste. Car il est fréquent
de rencontrer des Bantou qui se font les défenseurs de la cause
pygmée. Nombreux sont ces Bantou qui pensent que les Pygmées
doivent aussi accéder à la modernité. Cette accession
à la modernité masque en réalité les
véritables enjeux qui sous-tendent l'action altruiste des Bantou
à l'endroit des Pygmées.
Ils sont d'avis que les Pygmées se développent,
mais à leur façon ; c'est-à-dire en plaçant le
Bantou et non le Pygmée au centre des actions de développement
à mener sur le terrain. Ce sont eux les Ngoumba(Bidjouka) ou les
Ewondo(Ngoyang) qui doivent servir d'interface entre les développeurs et
les principaux bénéficiaires que sont les Bakola/Bagyelli. Les
Bantou estiment que leurs « protégés », les
Pygmées, ne sont pas aptes à pouvoir défendre
eux-mêmes leurs intérêts. Les Pygmées ne savent pas
ce qu'ils veulent, ils ne savent pas ce qui est bien pour eux. Ce sont les
Bantou qui sont habilités à pouvoir véritablement
défendre leurs intérêts. Ayant accédé les
premiers à l'école occidentale, ce sont les Bantou qui sont les
interlocuteurs appropriés quand il s'agit de contribuer à sortir
leurs « Pygmées » de la « sauvagerie ». Il n'y a
qu'à regarder la multitude d'ONG qui oeuvrent pour la défense de
la
cause pygmée. Elles sont pour la grande
majorité, au regard de ce qui se vit sur le terrain, des goulots
d'étranglement pour ce qui est de l'amélioration des conditions
de vie des Pygmées. Mais nous n'allons pas nous attarder sur cet aspect
dans le cadre de nos travaux actuels. Très peu de ces ONG sont
l'émanation de la volonté des Pygmées eux-mêmes.
Organismes et associations privés de
développement présents dans la région
Numéro
|
Nom de la structure
|
Droit/Origine
|
Domaine d'action
|
Zone d'action
|
Principales actions menées
|
1
|
MUDICUS MUNDI
|
Espagnole
|
Santé
|
Lolodorf et
Ngovayang
|
-Mise en place
des Comités de santé
-Equipement et
construction des
centres de santé
|
2
|
FEDEC
|
Néerlandaise
|
Environnement
|
Lolodorf
|
-Suivi évaluation environnementale sur le tracé
du pipeline Tchad - Cameroun
|
3
|
SAILD
|
Camerounaise
|
Autopromotion des pygmées
|
Lolodorf et
Bipindi
|
-Autopromotion des Pygmées -Sensibilisation à
l'entretien routier
|
4
|
PLANET SURVEY
|
Camerounaise
|
Environnement- forêt et agriculture
|
Lolodorf et
Bipindi
|
Droit à la
citoyenneté -Sensibilisation VIH-SIDA
|
5
|
CED/FPP
|
Camerounaise
|
Environnement- forêt
|
Akom II et
Campo
|
-Cartographie d'occupation de l'espace
-Droit d'usage
|
6
|
CBCS Ngovayang Forest Project
|
ONG camerounaise
|
Environnement
et gestion
durable des
ressources naturelles
|
Massif forestier de Ngovayang et alentours
|
-Renforcement des capacités des communautés locales
en vue de la gestion durable
|
|
|
|
|
|
des ressources
naturelles -Amélioration du niveau de vie des
populations
|
7
|
FONDAF
|
ONG camerounaise
|
Education et
formation
|
Bipindi
|
Formation
primaire des
pygmées
Bagyelli
|
8
|
RAPID
|
ONG camerounaise
|
Citoyenneté, habitat,
éducation et
agriculture
|
Lokoundjé, Bipindi et Lolodorf
|
Scolarisation des enfants Bagyelli Formation
agricole des
Bagyelli
|
Source : Aristide BITOUGA, 2010.
Toutefois, il faut tout de même reconnaître que
ces actions de développement en direction des Pygmées ont, d'une
manière certaine, contribué à l'émancipation des
Bakola/Bagyelli dans les localités visitées. Au-delà de
ces quelques avancées remarquables, il convient tout de même de
rappeler que ces actions menées par ces ONG sont
génératrices de revenus pour leurs différents promoteurs.
On peut donc comprendre l'opacité qui entoure le déploiement
effectif de ces organisations sur le terrain. Les Bantou, conscients donc des
enjeux financiers qui entourent ces projets, sont réticents
vis-à-vis de toute forme de projet dans lesquels ils ne se sentent ou ne
sont pas impliqués.
Cette réticence a été observée
à Ngoyang et à Bidjouka. Pour ce qui est de la construction du
foyer pour les enfants Bagyelli, ce sont les Pygmées eux-mêmes,
qui, au terme de plusieurs réunions de concertation avec le SAILD,
avaient demandé qu'on leur construise une structure pour accueillir
leurs enfants afin de lutter contre le phénomène des
déperditions scolaires. A Bidjouka-Samalè (Binzambo), ce sont les
Pygmées eux-mêmes qui avaient formulé le besoin de partir
de la forét pour venir s'installer en bordure de la route. Ils voulaient
être au fait de ce qui se passe en route.
Pour ce qui est du cas de Ngoyang, la construction du foyer en
elle-même ne causa pas de problème. Tout a commencé
à se détériorer quand les Bantou ont voulu se mêler
dans la gestion du foyer. Les Ewondo avaient du mal à accepter que seuls
les enfants pygmées
aient droit à des repas alors que les leurs
fréquentaient la même école et étaient eux aussi
soumis au problème de faim. L'Ewondo, forgé dans une
société de type égalitaire, supporte très mal voir
son frère jouir d'un bien alors que lui ne le possède pas. Cette
situation est très mal vécue par celui qui ne peut s'offrir ce
dont dispose son frère, et bienvenu le conflit qui, si rien n'est fait
pour rétablir l'équilibre, débouchera, à coup
sûr bien des fois, sur des tueries ou des meurtres, le recours à
la sorcellerie faisant office d'arme redoutable en pareille circonstance. Mais,
pour le cas d'espèce, les Bantou se considérant comme
supérieurs aux Pygmées auront ici plutôt recours à
la force, à la dissuasion, à l'intimidation, au chantage et
à l'usurpation pour s'emparer de ce qui ne leur appartient pas.
La théorie du conflit s'inscrit, dans le cadre de notre
interprétation, dans la perspective de l'étude des conflits
intergroupes. En effet, nous pensons que la seule catégorisation en deux
groupes distincts entraîne la discrimination à l'encontre de
l'exogroupe, dans le but de différencier son groupe. L'enjeu de la
différenciation est une identité collective positive, celle-ci
résultant d'une comparaison entre les groupes favorables à
l'endogroupe. L'opposition Bantou/Bagyelli est dès lors remise en cause
tant il est vrai que nous pensons qu'elle contribue à exacerber les
tensions entre ces deux communautés. Turner voit dans
le groupe :
Une collection d'individus qui se perçoivent comme
membres d'une même catégorie, qui attachent une certaine valeur
émotionnelle à cette définition d'euxmêmes et qui
ont atteint un certain degré de consensus concernant l'évaluation
de leur groupe et de leur appartenance à celui-ci63.
On peut donc, au regard de cette définition de la
notion de groupe, affirmer que le groupe existe lorsque les individus ont
conscience d'en faire partie ; lorsqu'ils se catégorisent dans ce
groupe. La catégorisation sociale est « un outil cognitif qui
segmente, classe et ordonne l'environnement social et qui permet aux individus
d'entreprendre diverses formes d'actions sociales ». La
catégorisation sociale définit la place de chacun dans la
société. Dès lors, les groupes sociaux fournissent donc
à leurs membres une identification sociale appelée «
identité sociale », cette identité sociale elle-méme
n'étant que la résultante de la conscience qu'a un individu
d'appartenir à un groupe social ainsi que la valeur et la signification
émotionnelle que celui-ci attache à cette appartenance. Un
Ngyelli qui est considéré par les autres Pygmées comme
ayant réussi nous a fait part du combat qui est le sien pour inculquer
à ses frères l'idée suivant laquelle ils doivent se battre
s'ils veulent être considérés par les Bantou comme des
individus à part entière. Il déclare fort à propos
:
63 Tajfel, Hand Turner,J.C ;1979 An integrative theory
of intergroup conflict. In S. Worchel and W. Austin (eds), The social
psychology of intergroup relations (pp.33-48). Pacific Grove,
CA/Brooks/Cole.
Comme je vous l'ai dit sur mon histoire, je n'ai pas
baissé les bras et je ne compte pas baisser les bras. C'est ma seule
leçon. A chaque fois que j'ai l'occasion soit de m'asseoir avec mes
petits-frères, soit avec mes propres enfants, je leur dis toujours vous
avez une grande lutte à mener contre les Bantou. C'est-à-dire,
par le biais de l'école. C'est l'école qui va vous amener
à vous faire considérer dans la société parce que,
à l'époque ancienne nos grands-parents étaient
considérés parce qu'ils étaient chasseurs.
Le système de croyances des individus peut influencer
la nature des relations entre deux groupes ou deux communautés. Le
premier de ce continuum est appelé « pôle de la
mobilité sociale ». Il correspond à la croyance en la
flexibilité de la société qui permet à tout
individu insatisfait de son appartenance groupale de passer dans un autre
groupe plus valorisant. Ce passage est possible grâce au talent, au
travail ou encore à la chance. Est opposé à ce pôle
celui du « changement social ». Il est caractérisé par
la croyance en une stratification entre les groupes fortement marquée.
Celle-ci rend impossible, pour un individu seul, de s'extraire de son groupe.
La grande majorité des Pygmées rencontrés sur le terrain
vivent leur précarité comme un sort qui leur a été
réservé par leurs ancêtres. Quand ils parlent du Bantou
c'est avec beaucoup de respect, d'admiration qu'ils le font. L'idée
d'une quelconque flexibilité de la société n'est pas
l'apanage du plus grand nombre. Le manque d'ambition de ces derniers est d'une
curiosité étonnante.
CONCLUSION
Notre travail de recherche portait sur : Construction
des infrastructures sociales pour les Bakola/Bagyelli et incidence sur la
coexistence avec les Bantou : contribution à une ethno-anthropologie du
conflit. Le problème soulevé était celui de
l'accentuation des conflits entre Bantous et Bagyelli/Bakola liée
à la construction des infrastructures sociales (foyer, maisons) par des
partenaires au développement (GRPS, SAILD/APE, CBCS). En effet, les
conflits avaient toujours existé entre ces deux communautés, mais
ont toujours ou presque été larvés. Avec la construction
des logements sus cités, les conflits sont devenus ouverts. Ce qui a eu
comme conséquences :
Querelles et altercations fréquentes entre ces
différentes communautés ;
Descentes répétées des autorités
administratives des localités de Bipindi et de Lolodorf pour ramener les
protagonistes à la table de négociation et au calme ;
Saccage et pillage du foyer scolaire (2007) qui avait
été construit pour les enfants Bakola à la suite d'un
affrontement entre les Pygmées et les Ewondo ;
Importance des cas de blessés graves survenus à la
suite des affrontements permanents entre Ngoumba et Bagyelli signalés au
niveau du dispensaire de Ngovayang; Instauration d'un climat de défiance
et d'insécurité entre les concernés dans lesdits
villages.
Notre préoccupation tout au long de cette étude
a consisté à répondre à la question principale de
recherche : Pourquoi et comment la construction des infrastructures sociales
aux Bakola/Bagyelli influe-t-elle sur les rapports de coexistence entre Bantou
et Pygmées à Ngoyang et Bidjouka ? A ce questionnement nous avons
proposé comme réponse provisoire (hypothèse) : La
construction des infrastructures sociales aux Bakola/Bagyelli sonne le glas de
la supériorité des Bantou sur les Pygmées
à Bidjouka et Ngoyang. L'aspect méthodologique a pris en compte
le choix des sites de recherche, la méthode, les techniques et les
outils de collecte. La répartition de notre mémoire s'est faite
en quatre chapitres : le premier portait sur la description du cadre physique
et humain des différents sites de recherche. Le deuxième chapitre
mettait en exergue la définition des concepts, la revue de la
littérature et les théories explicatives. Le troisième
chapitre porte sur la construction des infrastructures sociales aux
Bakola/Bagyelli et son influence sur leur mode de vie. Le dernier,
s'intéressait à une analyse ethno-anthropologique des conflits
survenus à Ngoyang et à Bidjouka.
Notre cadre théorique a convoqué deux
théories que sont : l'ethnométhodologie et la théorie du
conflit. Nous avons eu recours aux notions de membres, d'ethnométhodes,
de
groupes stratégiques, d'arène et de conflit pour
analyser les données que nous avons collectées sur le terrain.
Les résultats auxquels nous sommes parvenu au terme de notre travail de
recherche sont les suivants :
La construction des infrastructures sociales aux Bakola influe
sur la cohabitation entre les Bantous et les Bakola à Ngoyang et
à Bidjouka. En effet, la construction de ce hameau à Bidjouka a
contribué à perturber l'establishment qui avait jusqu'alors
prévalu dans ce village. Les Ngoumba se considèrent comme les
« Grands Patrons » et à ce titre s'estiment être
audessus des Pygmées en tout point de vue. Ce qui n'est plus très
évident quand on peut remarquer que certains Pygmées sont mieux
logés que leurs maîtres. La réaction des Ngoumba,
dès lors, consiste à pousser les Bagyelli à abandonner
leurs maisons pour pouvoir s'en approprier et s'y installer. Face à ces
menaces dont ils sont victimes, les Pygmées résistent à
toute forme d'agression orchestrée par les Bantous. Dès lors,
s'installe un climat de défiance qui, plus tard, finit par
dégénérer en un conflit ouvert mettant « dos à
dos » les Bantou et les Pygmées.
La sédentarisation des Bakola qui passe par
l'occupation des terres appartenant aux Bantou constitue une source de conflit
à Bidjouka et Ngoyang. Il est apparu au terme de nos travaux sur le
terrain que les Bantou voient d'un très mauvais oeil l'occupation leurs
terres par les Bakola. En effet, d'après les Ewondo ou les Ngoumba, les
terres leur appartiennent prioritairement. L'hostilité des Bantou
vis-à-vis de l'occupation de leur espace par les Pygmées trouve
est justifiée par les premiers par le fait qu'ils se considèrent
être déjà euxmémes à l'étroit et que
s'il faut encore venir ajouter d'autres populations, cela ne va que contribuer
à exacerber les tensions foncières déjà existantes
entre les populations présentes sur le site. Or, le fait que les
Pygmées viennent occuper aujourd'hui leurs terres est perçu par
ceux-ci comme une intrusion de ces derniers dans un territoire qui n'est pas le
leur. Pour les Bantous ce terres sont leurs et ne devraient être pas
occupées par n'importe qui et n'importe comment. Les populations
bantoues proposent comme alternative à la sédentarisation des
Pygmées que cela se fasse dans leur environnement forestier. S'il faut
développer les Pygmées, que cela se fasse dans la forêt, en
ce moment ils ne pourront pas se mêler des affaires des Pygmées.
Mais si c'est dans leur village, que ces actions de développement sont
menées, ils devront toujours s'intéresser à tout ce qui
sera fait.
Les cultures bantoues et bakola regorgent en leur sein des
éléments qui sous-tendent les conflits. Dans notre argumentaire,
nous avons montré comment les Bantou usaient de la force, du chantage,
de l'usurpation et des menaces à l'endroit des Pygmées pour
pouvoir
bénéficier de ce qui était destiné
aux Pygmées. En effet, il est ressorti de cette recherche que les Bantou
(Ngoumba et Ewondo) appartenant à des sociétés de type
égalitaire ont du mal à voir les Pygmées
bénéficier d'un certain nombre de privilèges dont ils ne
pouvaient pas en profiter. Dès cet instant, il faut tout mettre en
oeuvre pour que la situation soit équilibrée. Les Bakola vivent
leur dépendance vis-à-vis des Bantou comme quelque chose de
normatif. Ils sont résignés et se reconnaissent comme
des personnes inférieures aux Bantou. Pour ces derniers, toute tentative
allant dans le sens de s'affranchir de ce pouvoir tutélaire de «
leurs maîtres », est considérée comme vouée
à l'échec. Cette manière de penser ou de se comporter des
Bagyelli trouve une explication à l'intérieur de la culture
pygmée. En effet, le Bakola/Bagyelli voit le Bantou comme son
protecteur, celui sans qui sa survie est menacée. Aussi avons-nous
noté que, lorsqu'un Pygmée veut s'affranchir du Bantou, au bout
d'un certain temps il revient et se remet au service de son maître.
La prise en charge unilatérale des Bakola/Bagyelli par
des partenaires au développement explique le climat conflictuel qui
prévaut à Bidjouka et à Ngoyang. En effet, la prise en
charge des Pygmées par les ONG crée chez les Bantous de
l'animosité et de la jalousie. Cette animosité est d'autant plus
grande que les populations séculaires se plaignent de ne pas être
prises en compte par ces ONG lorsque celles-ci viennent pour améliorer
les conditions de vie des Pygmées. A titre illustratif, les parents
bantous se plaignent que leurs enfants sont lésés pendant la
distribution des fournitures scolaires aux enfants Bakola. Ils pensent que
cette façon de faire contribue à développer chez les
enfants bantous un complexe de supériorité vis-à-vis des
enfants Pygmées. Car, d'après les Bantous comment expliquer que
des enfants qui fréquentent la même école et quelque fois
sont tous démunis, pendant que d'autres bénéficient de
certains avantages, d'autres soient délaissés.
Pour ce qui est des perspectives, nous avons
préféré nous attarder sur un certain nombre de points. Les
recherches qui ont été menées dans les localités de
Ngoyang et de Lolodorf ont difficilement débouché sur des
solutions concrètes, puisque les Pygmées ont toujours
été très peu associés dans l'identification et la
réalisation des projets qui les concernent au premier chef. En les
écartant dans la mise en oeuvre des projets dont ils sont au coeur du
dispositif, c'est les maintenir dans la domination. Nous pensons donc que la
réorientation des projets dans le sens de la recherche-action aboutira
à des solutions pratiques et à l'atténuation des conflits
dans ces différentes localités.
Si le conflit est naturellement le jardin du juriste, le
conflit touche toutes les sciences parce qu'il est humain, tant par la
difficulté de l'adéquation de l'âme et du corps que par
celle de l'homme et des autres lui-même. C'est la raison pour laquelle
nous avons voulu, à partir de notre posture d'anthropologue, essayer de
comprendre la logique qui sous-tend les conflits observés à
Ngoyang et à Bidjouka, entre Bantou et Bakola/Bagyelli. Il devient donc
impératif pour mieux cerner la notion de conflit, de recourir à
la multidisciplinarité qui, nous pensons, est la condition sine qua non
pour comprendre tous les tenants et aboutissants de la difficile cohabitation
entre des peuples qui ont en commun de nombreuses affinités.
L'étude des conflits doit faire appel à d'autres
champs de connaissances tels que la sociologie, le droit, la psychologie
sociale, les sciences de l'éducation, etc., pour parvenir à une
approche globale. La notion de conflit est complexe, voire holistique et sa
compréhension devrait se faire autour d'une étude
pluridisciplinaire. C'est la raison pour laquelle, nous voulons, à
partir de la posture anthropologique, envisager des nouvelles approches que,
nous pensons, contribueront à mieux cerner, mieux maîtriser les
différents conflits qui subsistent dans les rapports de cohabitation
entre les Bantou et les Bakola/Bagyelli.
Nous envisageons que des études futures soient
conduites dans ces localités par des spécialistes dans la
résolution des conflits dont les travaux pourront déboucher sur
la mise en place d'une cellule de prévention et de gestion des conflits
entre Bantou et Bakola/Bagyelli. En effet, l'idée qui sous-tend notre
propos se fonde sur le fait que le conflit perturbe les équilibres tout
en permettant, par sa survenance, d'y trouver des solutions. Qu'il exclue ou
qu'il intègre, le conflit, déstructurant et structurant à
la fois, apparaît comme nécessaire, puisque par sa
réalisation, il permet d'en éviter ou d'en résoudre
d'autres, méme s'il semble avoir réinventé le mouvement
perpétuel. Il n'est donc dès lors envisageable de parler d'une
cohabitation entre Bantou et Pygmées qui soit possible sans la
manifestation des conflits. Mais, ce qui importe dans le conflit, c'est la
capacité pour les individus à pouvoir le circonscrire, afin de le
résoudre, afin d'éviter qu'il ne débouche sur des actes
qui remettront en cause la cohabitation entre ces différentes
communautés.
Dans les domaines d'intervention des ONG, il est important que
des anthropologues soient associés pour pouvoir opérationnaliser
la mise en oeuvre des projets de développement dans les
communautés. Le rôle des anthropologues sera grandement profitable
à ces populations ; car par le principe de la recherche-action, des
études préalables seront menées avec les
communautés bénéficiaires pour pouvoir les assister dans
l'identification de leurs besoins réels. Cette démarche aura
comme avantage qu'elle évitera qu'on aboutisse à des projets qui
ne rencontreront pas le désir des communautés et qui sera mal
vécu par ces
dernières qui voient généralement dans de
telles initiatives une épine qu'on leur met dans le pied.
Des études sociologiques, psychologiques, voire dans le
domaine des sciences de l'éducation, devront être menées
sur le terrain pour comprendre le phénomène des désertions
scolaires chez les enfants Bakola/Bagyelli et leur faible intégration
scolaire. Nos observations sur le terrain nous ont permis de relever que la
caractéristique fondamentale de l'éducation chez les
Pygmées en général et chez les Bakola/Bagyelli en
particulier est la préparation de l'individu à assurer sa propre
subsistance, unique préoccupation de la vie. L'enfant est donc
formé pour être capable de réaliser toutes les
activités qui permettent l'acquisition des biens de consommation et de
perpétuer le patrimoine culturel. Ce processus de socialisation a des
incidences sur l'intégration scolaire des enfants pygmées et
contribue de ce fait à leur sous scolarisation.
En définitive, nous pouvons dire que la somme des
expériences tentées au Cameroun si riche qu'elle apparaisse,
laisse entrevoir des handicaps dont l'analyse implique la mise en place de
politiques cohérentes d'émancipation des Pygmées. Le
développement est un fait social total : politique, social,
économique et culturel. L'intégration des Pygmées dans la
société nationale ne peut ignorer ces dimensions du
développement. A l'heure oü l'on parle de lutte contre la
pauvreté, de l'action humanitaire, de la promotion des droits de l'homme
et de l'intégration économique sous-régionale, le
Gouvernement camerounais doit s'efforcer de reconnaître aux
Pygmées leur dignité humaine et s'employer activement à
les conduire au développement. Le problème des Pygmées est
très compliqué. Il est intrinsèquement lié à
d'autres : la politique, la nature de la société, la loi, les
droits de l'homme, la religion, la culture, l'identité du peuple,
l'économie et l'état de l'environnement naturel. En
conséquence, une approche d'ensemble doit être adoptée pour
résoudre ce problème en prenant en compte les
intérêts de toutes les parties impliquées plutôt que
ceux d'une seule. C'est pour tout ce qui précède que nous
préconisons une politique de bénéfice mutuel : l'approche
de la voie médiane.
Ce travail de recherche, nous aura permis d'interroger le
concept de développement et de parvenir à montrer que ce dernier,
lorsqu'il est mal maîtrisé, devient plutôt source de conflit
et non source d'émancipation de l'homme et de son semblable. Nous en
sommes arrivé à admettre que toute société peut
être vue sous deux aspects en apparence semblables. En effet, selon que
l'on considère ses invariants, ses facteurs de maintien, sa
continuité ou, à l'inverse, ses forces de transformation, ses
changements structurels, il est possible d'en construire des images fort
différentes. Cette manière d'envisager la réalité
sociale conduit, à considérer
principalement les processus qui déterminent sa
modification et provoquent, à terme, une mutation. Toutes les
sociétés, même celles qui prétendent être les
plus ouvertes aux changements rapides et cumulés, manifestent une
certaine continuité ; tout ne change pas et ce qui change ne se modifie
pas en «bloc».
Malgré la contradiction flagrante des informations
ethnographiques et malgré l'impuissance analytique du concept («
les Pygmées sont un peuple de chasseurs-cueilleurs »), on continue
à parler de société de chasseurs-cueilleurs, lorsqu'il
s'agit de les classer. L'obsession est telle qu'on arrive à croire qu'il
est des chasseurs-cueilleurs comme de l'hystérie et de la pensée
sauvage. Des choses honnies et menaçantes qu'il serait
préférable de tenir éloignées. Il faudrait retracer
l'histoire de l'expansion coloniale pour mieux comprendre que les
Pygmées ont souvent fait problème et combien les colonisateurs
européens se sont partout plaint des difficultés propres à
la saisie et à la domination de peuples nomades qui leur semblaient
toujours n'avoir rien à perdre. Les Pygmées paraissent
menaçants aussi parce que, si on venait à démontrer que
l'écart qui nous sépare n'est qu'une illusion, on en arriverait
bientôt à se convaincre aussi qu'il est possible de bien vivre
sans trop travailler, que la propriété peut être ni
privée ni publique mais non existante. Ce sont là des
idées qui paraissent évidemment dangereuses et absurdes à
l'idéologie des personnes dites « civilisées » que sont
les Bantou. Il faut donc repousser le plus loin possible tous ces
Pygmées et s'en servir comme contraste. C'est ce qui peut expliquer
toutes les menaces, toutes les agressions, tous les abus et la marginalisation
dont ils sont victimes dans nos villages et dans nos forêts.
Puisse ce travail de recherche contribuer non seulement
à une meilleure connaissance des Pygmées, mais aussi rappeler que
toute société possède une culture, des savoirs, des
savoir-faire et un savoir-être dont d'autres sociétés
peuvent tirer profit ;que le « développement » est
peut-être un leurre, que les plus « primitifs » ne sont pas
ceux qu'on pense.
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Déclaration universelle des droits des peuples
autochtones
Décret NO2008/376 Du 12 Novembre 2008 portant
organisation administrative de la République du Cameroun.
B-LISTE DES INFORMATEURS
A-Commune de Lolodorf
Noms et
Prénoms
|
Identité
|
Lieu d'entretien
|
Age (ans)
|
Date d'entretien
|
Nkoro Joseph
|
Chef du
Groupement
Bakola de
|
Ngoyang
|
60
|
26-12-09 27-12-09 28-12-09
|
|
l'arrondissement de
|
|
|
29-12-09
|
|
Lolodorf
|
|
|
|
Nzie Jean-Paul
|
Chef du campement de Mimbiti I
|
Mimbiti I
|
62
|
27-12-09
|
Nzie Yigui
Simon
|
Chef du campement de Mimbiti II
|
Mimbiti II
|
60
|
27-12-09
|
Matie Apollinaire
|
Guide Bakola
|
Ngoyang
|
17
|
27-12-09
|
Bikoe Jean-Marie
|
Habitant Ewondo
|
Ngoyang
|
40
|
26-12-09
|
|
de
|
|
|
31-12-09
|
|
Ngoyang
|
|
|
|
Ngally Sadrack
|
Chef du campement
|
Ngoyang
|
39
|
28-12-09
|
|
de Nkouogio
|
|
|
04-01-10
|
Ngiongza Angèle
|
Cultivatrice
|
Nkouampboer I
|
35
|
30-12-09
|
|
Ngoumba
|
|
|
|
Oyono Andegue
Joséphine
|
Directrice de
l'Ecole Publique de
|
Ngoyang
|
34
|
04-01-10
|
|
Ngoyang
|
|
|
|
Ndongo Ndongo
|
Délégué du MINAS
|
Lolodorf
|
39
|
04-01-10
|
|
de Lolodorf
|
|
|
05-01-10
|
Mimboh Paul-
|
GRAD-PRP de
|
|
42
|
05-01-10
|
Félix
|
Lolodorf
|
Lolodorf
|
|
|
B-Commune de Bipindi
Noms et Prénoms
|
Identité
|
Lieu d'entretien
|
Age
|
Date d'entretien
|
Sabouang Esther
|
Femme âgée
Ngoumba
|
Quartier Samal-
Biwandi(Bidjouka)
|
65
|
07-01-10 08-01-10
|
Mapoung David
|
Bagyelli
|
Campement de
Bizambo(Bidjouka)
|
37
|
09-01-10
|
Ndig David
|
Patriarche Bagyelli
|
Campement de
Bizambo(Bidjouka)
|
73
|
09-01-10
|
Ndtoungou Napoléon
|
Bagyelli
|
Campement de
Bizambo(Bidjouka)
|
35
|
09-01-10
|
Mapfoudoeur Gervais
|
Président du
comité de
vigilance de
Mbikiliki -
Oranger
|
Campement de
Bizambo(Bidjouka)
|
51
|
09-01-10
|
NZIE Ndtoungou
|
Chef du quartier Mbikiliki-
Oranger
|
Quartier Samal-
Biwandi(Bidjouka)
|
43
|
05-01-10 06-01-10
|
MBA Léopolde
|
Représentant du
chef de
groupement
|
Quartier Oranger-
Centre(Bidjouka)
|
55
|
06-02-2011
|
MAVIAN Paul
|
Directeur de
l'école publique
de Bidjouka-
Bambi
|
Quartier Mbikiliki-
Oranger
|
35
|
06-02-2011
|
NDTOUNGOU NZIE
|
Chef du quartier Mbikiliki-
Oranger
|
Quartier Mbikiliki-
Oranger
|
42
|
06-02-2011
|
Sr VIRGINIE
|
Responsable de la
congrégation les
« Petites Soeurs
de Jésus »
|
Dispensaire de
Ngovayang
|
75
|
07-02-2011
|
ANNEXES
I- ANNEXE METHODOLOGIQUE
GUIDE D'ENTRETIEN No 1
CIBLE : Les responsables des ONG (SAILD,
GRPS, CBCS) Identification :
L'historique du projet
Les principaux financiers
Le projet dans sa phase pratique.
Les objectifs du projet
L'exécution du projet
Les cibles visées par le projet
Les principaux bénéficiaires
Le bilan du projet
Les recommandations
GUIDE D'ENTRETIEN No 2
CIBLE : Les leaders des
communautés bantoues et bakola/bagyelli
Identification :
La genèse de la cohabitation avec les Bantou et Bakola.
L'évolution de cette cohabitation avec le temps
L'état actuel de ces rapports de cohabitation
Les différentes causes des tensions et des conflits Les
formes de résolution des conflits
Les principales revendications
Les principales craintes
Les types de mécanisme de gestion des conflits
II- QUELQUES ORGANISATIONS PYGMEES OEUVRANT DANS
L'OCEAN
CODEBABIK est le Comité de
Développement des Bakola/Bagyelli des Arrondissements de Bipindi et
Kribi à travers lequel les Pygmées luttent pour faire entendre
leur voix, afin d'accéder à un statut de citoyen à part
entière, d'obtenir un espace vital, de se protéger,
d'améliorer les relations avec les Bantou, d'aider les populations
sédentarisées et de favoriser une prise de conscience collective.
Le siège du CODEBABIK se trouve à Bipindi.
FONDAF, Le Foyer Notre-Dame de la Forêt
est une association de droit camerounais juridiquement indépendante. Son
objectif principal est de réduire la marginalisation du Peuple
Pygmée Bagyelli par l'éducation, tout en le préparant
à la sédentarisation. Le FONDAF a contribué à
l'éducation de plusieurs générations de Bakola/Bagyelli et
montre des résultats concrets. Le FONDAF est basé à
Bipindi.
OCAPROCE-Cameroun, L'Organisation
Camerounaise de Promotion de la Coopération Economique Internationale en
faveur des Peuples Autochtones, a pour objectif la défense des Droits
Humains des enfants et femmes des populations autochtones. Elle a son
siège à Yaoundé.
RACOPY, Le Réseau d'Actions
Concertées Pygmées, est né en 1996 de la volonté
des organisations d'appui de mieux répondre aux besoins et
intérêts des différents groupes de populations
Pygmées Baka, Bagyelli/Bakola et Bedzan (BBB). Progressivement il est
passé d'une plate-forme d'échanges sur les activités et
les difficultés rencontrées dans le cadre de l'accompagnement de
ces populations, à un espace de concertation et d'harmonisation des
approches et de soutien des actions de lobbying et de plaidoyer des
Pygmées. Le RACOPY est basé à Yaoundé.
RAPID, Le Réseau d'Action
Participative aux Initiatives de Développement, est né le 22
juillet 2002 de la volonté de ses pères fondateurs d'oeuvrer pour
l'intégration socioéconomique des Bakola/Bagyelli des
arrondissements de la Lokoundjé, de Bipindi et de Lolodorf. RAPID est
mandaté par la FEDEC (Fondation pour l'Environnement et le
Développement au Cameroun) pour mettre en oeuvre le PPAV (Plan pour les
Peuples Autochtones Vulnérables). Son siège se trouve à
Kribi.
III- ANNEXE LEXICALE DU BAJELE
Transcription phonétique adoptée
a : amour
e : été
? : meule
å : répète
i : rire
o : auteur
u : couleur
ü : mur
y : paillasson
ã : dedans
õ : bonbon
g : garçon
j : gémir
w : watt
z : zut
? : bang(en fin de mot)
ç : pagne(en début de mot)
TONS :
ì : ton bas
í : ton haut
â : ton moyen U : ton haut bas ì : ton bas haut
Règles usuelles
Bonjour : âsiå
Bonsoir : ikonda ko'ogó
Bonne nuit : ikyyyyibyjy
Comment tu vas ? : ina'a wé i
Tu as bien dormi ? oya
mbâmbâi
On se voit demain : ibi ç? nala na
buai
Je veux boire de l'eau : m? b? ça ma
dibâ J'ai envie de manger : må bî
dîâ
Merci : âwâ
Pronoms personnels
Je : må Nous :
bi'i
Tu : WE Vous :
buå
Il : çå Ils :
bô
Les Nombres
Un : vuruç Six :
ntó'o
Deux : bibà Sept :
?mbuérî
Trois : bilàli Huit
: lómbì
Quatre : bíná Neuf
: revuá
Cinq : bítán? Dix
: lìwóm
Habitat
Village de lisière :
mbogâ
Campement : mbàssâ
Maison : ndábó Salon
: mpádzà Cuisine :
kísîn~ Chambre : kílî
yâ ndábó
Véranda : wôgô
sî Toiture : ndúlá
Toilette : dùgú Cour :
?ns??
Ustensiles Marmite :
mînké Couteau :
ntümâ Assiette :
mpâdí Gobelet :
kôbî Cuillère :
tôgô Fourchette :
nlùmá
Louche : nkô? wa tôgô
Spatule : b~'á
Seau : ló?á
Plat : bågî
Outils
Arbalète :mbâdzi Filet de chasse
:wàró Piège :li
lámbò Hotte :nkù
Panier :nkùndu Hache
:tõ?
Sagaie :le kõ? Claie
:ta'ã?
Machette :nkùalá Meule de bois
:pùãza
Pierre à écraser :li wómo
Liane : nlõ?
Corde :nkólí
Rotin à ligature :nkûlå?
Fruits
Avocat :pl'í
Papaye :pòbò Mangue
:ndogò
Pamplemousse :pampçlé Orange
:pùmá
Corossol :sábâsábâ
Citron :çòpiã?
Noix de coco :mbòndó Mandarine
: mãdarin? Prunes :lisâ
Goyave :âmvl
Tubercules Manioc
:?mbô?
Plantain :kôndò Macabo :li
kábi Igname :?ò? Melon :le
bògô
Animaux Animaux domestiques Canard
:lòlò
Poule :kûbâ
Coq : sã? wa kûbâ Porc
:ngòyâ Chèvre :tibâ
Chien :mbûá
Chat :singî
Forestier
Tortue :kulu Escargot
:ngolå Abeilles :baço babo
Lièvre :kuå? Porc-épic
:ngomba Pangolin :nzali
Rat palmiste :ko Ecureuil :mbogo
Buffle :mbuli Antilope :li kena
Sanglier :ngoya wa sigi Singe :
kemå Chimpanzé :waga Gorille
:ngila
Biche :dzibu Chauve-souris
:wubu Hyène :yovo'o Varan
:nkagu Mangouste :misoge Perdrix
:kuali
Vipère :pelå
Couleuvre :tubu
Serpent boa :mbomu
Mamba :lagå wa lå bombålå
Epervier :woli
Chat-tigre :mpa
Aquatique
Crabe d'eau douce :kõ? Grenouille Goliath
:diáw Crevette :nkiã?
Poisson vipère :?wõ?
Poisson courant :li çiå?
Plats et Boissons
Plats
Soupe de viande :mpua? wa ba tsiro Mets
d'arachide :nkonda wa vånå Mets de courges
:nkonda wa ngodo Sauce d'arachide :mpua? wa
vånå Mets de maïs :mbombå wami
mpondå Etouffée de :
Viande :ndomba liba tsiro
Poisson :ndomba liba suå
Sauce d'amande sauvage :mpua? wa ndo'ogo
Sauce de jus de noix :nsugu wama låndi
Sauce de grains de courges :nsuga ngodo Feuilles de
manioc (jus de noix de palme et piment) :maka ma
kpuåmå
Boissons
Vin de palme :maniogo ma lilåndi Vin de
cacao :maniogo ma kaka Vin de raphia :maniogo ma
dzamba Eau de feu :a'ha
Bière :bia'a
Jus de fruits :madiba ma bibuma bibi
buåråbå Saisons-Eléments
Grande saison sèche :mveza bi siu
Petite saison sèche :mveza bi nkola
Grande saison de pluies :mbula
nånå
Petite saison de pluies :nkola
Pluie :mbula Eau :madiba
Cours d'eau : Mer :ma?
Fleuve :nsolo nånå
Rivière :nsolo Lune
:ngodå
Peine :ngodå nlo ndema
Croissant :ngodå salima
Demi :mpålå ya ngodå
Soleil :veza Vent
:mp?bå
Parenté
Père :pàbá
Mère :màmá
Le fils :muana wa?
La fille :muana wa? wa muali
nktlâ
Le frère :mani nya? wa?
La soeur : kali wa?
La femme :muali wa?
Grands parents :
- Grand-père :mbòmbó a
mòró
- Grand-mère : mbzmbó a muali
nktlâ Le frère du père
:nt~mbâ nga pjbá
Le frère de la mère : nt~mbâ nga
màmá La soeur du père :kali nga
:pàbá
La soeur de la mère : kâ mani ç?
nga mjmá
Les enfants du frère de mon père
:bnâ bâ kgó wanga
Les enfants des frères de ma mère :
bnâ bâ nga kali nga m1má
Union
Mariage :líbà
Dot :bòndà
La femme de mon frère :mùalí
ngá mo wa? Le mari de ma soeur :l~me
ngá klî wa?
Les enfants de mon frère : bana nga ntomba wa?
Les enfants de ma soeur :bana nga kali
wa?
Les enfants de mes enfants :ba
ndamba
Les enfants des enfants de mes enfants :be dzibo?
bia?
Le père de ma femme :nki wa?
La mère de ma femme :nki wa? wa muali
kola Le mari de ma fille :enlome na muana wa?
L'épouse de mon fils :mbombi
wa?
III-LOCALISATION DES CAMPEMENTS VISITES
A-COMMUNE DE LOLODORF
Liste des campements pygmées rattachés
à Ngoyang
No
|
Campements
|
1
|
Mimbiti I&II
|
2
|
Ngomanguèlè
|
3
|
Meh
|
4
|
Nkouonguio
|
5
|
Mougo Bandé
|
6
|
Bouel-Ngouombi
|
7
|
Matsindi I&II
|
8
|
Fuer Ngier
|
B-COMMUNE DE BIPINDI
Liste des campements pygmées rattachés
à Bidjouka
No
|
Campements
|
1
|
Binzambo I&II
|
2
|
Maschouer-Maschouer
|
3
|
Bili Bitsop
|
4
|
Bigambilli
|
TABLE DES MATIERES
REMERCIEMENTS iii
RESUME iv
ABSTRACT v
LISTE DES ACRONYMES ET DES SIGLES viii
A-ACRONYMES viii
B-SIGLES viii
INTRODUCTION 1
I-CONTEXTE ET JUSTIFICATION 2
a- Contexte de l'étude 2
b- Justification de la recherche 3
II- PROBLEME 3
III- PROBLEMATIQUE 4
IV- QUESTIONS DE RECHERCHE 6
V- HYPOTHESES DE RECHERCHE 6
VI - OBJECTIFS DE LA RECHERCHE 7
VII- METHODOLOGIE 7
VIII - PLAN DE TRAVAIL 12
CHAPITRE PREMIER : DESCRIPTION DU CADRE PHYSIQUE ET HUMAIN DES
SITES 13
I-1- CADRE PHYSIQUE ET GEOGRAPHIQUE DES SITES D'ETUDE 14
I-1-1- BIDJOUKA 14
I-1-1-Le milieu de recherche 14
I-1-2-Le climat 14
I-1-3-L'hydrographie 14
I-1-4- La végétation 15
I-1-2- NGOYANG 16
I-2-1-Le milieu de recherche 16
I-2-3-L'hydrographie 16
I-2-4- La végétation 17
I-2- CADRE HISTORIQUE ET HUMAIN DES DEUX SITES 17
I-2-1-BIDJOUKA 17
I-1-1-L'origine ethnonymique 17
I-1-2-L'origine du peuplement 18
I-1-3-L'aspect socioculturel et économique 19
I-1-3-1-L'organisation sociale 19
I-1-3-2-L' Education 19
I-1-3-3-L'aspect économique 22
I-2-2-NGOYANG 24
I-2-2-1-L'origine ethnonymique 24
I-2-2-2-L'origine du peuplement 24
I-2-2-3-L'aspect socioculturel et économique 25
I- 2-2-3-1-L'organisation sociale 25
a. Vie politique 25
b. Vie religieuse 25
I-2-2-3-2-L' Education 25
I-2-2-3-3-L'aspect économique 27
a-Activités agricoles 27
b- Activités cynégétiques 27
I-3-MONOGRAPHIE DES BAKOLA/BAGYELLI 30
I-3-1-DESCRIPTION GEOGRAPHIQUE ET HUMAINE 30
I-3-2-ACQUISITION DES RESSOURCES 32
1.Activités de prédation 32
2.Activités agricoles 33
I-3-3-CULTURE NON MATERIELLE : structure sociale 33
I-3-4-CROYANCE -- PHARMACOPEE 34
I-3-4-1-Le système de croyances Bakola/Bagyelli 34
I-3-4-2-Médecine Bagyelli/Bakola 34
CHAPITRE DEUXIEME : DEFINITION DES CONCEPTS, REVUE DE LA
LITTERATURE ET
THEORIES EXPLICATIVES 36
II-1- DEFINITION DES CONCEPTS 37
II-2- REVUE DE LA LITTERATURE 39
II-3-THEORIES EXPLICATIVES 43
II-3-1-Présentation et Justification du choix des
théories 44
II-3-2-EXPOSE SUR LES THEORIES 49
II-3-2-1- L'Ethnométhodologie 49
II-3-2-1-1- L'Ecole de Chicago 49
II-3-2-1-2-Les théoriciens 50
II-3-2-1-2-1- Alfred Schutz 50
II-3-2-1-2-2-Harold Garfinkel 51
II-3-2-2-La théorie du conflit 52
II-3-2-2-1- L'Ecole de Manchester 52
II-3-2-2-2- Les théoriciens 53
II-3-2-2-2-1- Max Gluckman 53
II-3-2-2-2-2- Michel Crozier 54
CHAPITRE TROISIEME : BAKOLA/BAGYELLI ET CONSTRUCTION DES
INFRASTRUCTURES SOCIALES A BIDJOUKA ET A NGOYANG 56
III-1- BAKOLA/BAGYELLI ET OCCUPATION DE L'ESPACE 57
III-1-1-Campement de forêt (mbasa) 57
II1- 1-2-Village de lisière (mboga ou kwato) 58
III-2- PRESENTATION DE L'HABITAT DES BAKOLA/BAGYELLI 59
III-2-1-Habitat traditionnel 59
III-2-3-Description de l'habitat-cuisine (kisini) 62
III-3- CONSTRUCTION DES INFRASTRUCTURES SOCIALES 63
III-3-1-NGOYANG 63
> La construction du foyer (SAILD-APE, PPAV) 63
> La construction des maisons (CBCS) 64
III-3-2-BIDJOUKA 65
> La construction du hameau de Bidjouka
(Bidjouka-Samalè) 65
III-4- BAKOLA ET REPRESENTATIONS CULTURELLES DES INFRASTRUCTURES
SOCIALES 67
III-4-1- Les Bakola et les représentations culturelles des
infrastructures sociales 68
III-4-2-Les Bagyelli et les représentations culturelles
des infrastructures sociales 70
CHAPITRE QUATRIEME : CONTRIBUTION ETHNO-ANTHROPOLOGIQUE A
L'ANALYSE ET INTERPRETATION DES CONFLITS 73
IV-1- LA NOTION DE CONFLIT 74
IV-1-1-Aperçu ethnolinguistique de la notion de conflit
chez les Ewondo 74
IV-1-2-Définition et clinique du conflit
intercommunautaire dans le cadre de la cohabitation 76
IV-2- ANALYSE DES CONFLITS 82
IV-2-1- La prise en charge unilatérale des
Bakola/Bagyelli par des partenaires au développement 82
IV-2-2-L'occupation des terres appartenant aux Bantou comme
cause des conflits 87
IV-2-3-Les schèmes culturels comme éléments
qui sous-tendent les conflits 89
IV-3- ETUDE DE CAS 91
IV-3-1-Conflit de Ngoyang (campement de Nkouonguio) 91
IV-3-2-Conflit de Bidjouka-Samalè 93
IV-4- INTERPRETATION DES CONFLITS 94
CONCLUSION 99
SOURCES 106
A-BIBLIOGRAPHIE 107
I-OUVRAGES GENERAUX 107
II-OUVRAGES SPECIALISES 108
III-ARTICLES 111
IV-THESES ET MEMOIRES 111
1-THESES 111
2-MEMOIRES 111
V-REVUES ET PRESSES 112
VI-SITES INTERNET 112
VII- TEXTES DE LOIS, ARRETES ET DECRETS 112
B-LISTE DES INFORMATEURS 113
A-Commune de Lolodorf 113
B-Commune de Bipindi 114
ANNEXES 115
I- ANNEXE METHODOLOGIQUE 116
GUIDE D'ENTRETIEN No 1 116
GUIDE D'ENTRETIEN No 2 116
II-QUELQUES ORGANISATIONS PYGMEES OEUVRANT DANS L'OCEAN 117
III-ANNEXE LEXICALE DU BAJELE 118
III-LOCALISATION DES CAMPEMENTS VISITES 125
TABLE DES MATIERES 126
|