L'expression de la Liberté dans « sous le jasmin la nuit » de Maà¯ssa Bey( Télécharger le fichier original )par Abdelkader Belkhiter Université de Saà¯da Algérie - Magister 2009 |
ConclusionLe discours sur la femme est un axe central dans les récits de Maïssa Bey. Le nombre de personnages féminins qui les peuple est important. Elle n'incarne pas la place d'un actant / héroïne mais beaucoup plus, celle d'une victime face à ses multiples bourreaux. Oppression et tyrannie se liguent pour en faire un personnage éternellement sacrifié et banni. Elles sont l'objet de toutes sortes de violences. Les récits qui leur sont réservés en donnent l'image suivante : elles sont violées et brutalisées, dominées et battues, opprimées et soumises, persécutées et discréditées, méprisées, séduites et abandonnées. C'est un être qui apparaît ou se situe dans la catégorie de la marginalité de ceux qui vivent au rancart de la société. Elles subissent toutes les violences physiques et entre autres le viol. Un désir :Yasmina Khadra, Dib, Assia Djebar et d'autres écrivains ont dénoncé «le terrorisme », ce mot d'actualité, qui fait partie désormais de notre langage quotidien. Un phénomène qui a connu son paroxysme en Algérie où plusieurs de noms ont été emportés par la folie meurtrière des intégristes. Il ne suffirait pas d'y habiter pour pouvoir en parler et juger. Au début de la décennie 1990, Maïssa Bey a assisté aussi au développement et à la propagation rapide de l'idéologie islamiste. C'est un autre moment tragique de l'Histoire d'Algérie. L'Algérie retombe dans d'autres formes de violence qui conduisent à des confrontations sanglantes quarante ans presque après son indépendance. Ces événements ont bouleversé la vie de tous les algériens et bousculent leur perception du monde. Ce peuple fait sa mue : ce ne sont plus les Français, désormais partis, qui sont les étrangers pour ceux qui ont connu la guerre d'indépendance, mais leur descendance. Ces événements tragiques, qui ont secoué le pays depuis le début de la décennie écoulée, ont suscité une nouvelle littérature algérienne qualifiée de « littérature de l'urgence ». Cette littérature est un témoignage sur un moment brûlant de la conjoncture historique en Algérie : Pour Maïssa Bey, écrire dans une situation d'urgence est un acte d'engagement et de dévoilement d'une réalité explosive avec des « mots » disant le refus de toute complicité confortable ou subornation : «(...) La force des mots montre l'urgence de dire l'indicible, de chercher le pourquoi de cette folie qui ravage l'Algérie. De refuser le silence et la peur trop longtemps imposés. »18(*) Dans cette nouvelle « Nuit et silence », comme dans nouvelles d'Algérie, Maïssa Bey décrit et dévoile à nouveau le viol, les actes terroristes, et ce qu'il en résulte comme dégâts matériels et humains. Ce thème était déjà abordé dans ses écrits: « Bleu, blanc, vert ».19(*) et dans corps indicible parue dans les nouvelles Nouvelles d'Algérie Il est à noter que Maïssa Bey a consacré toute son écriture à toutes les femmes de son pays que l'on veut réduire au silence, Elle évoque, d'une voix personnelle puissante, le caractère double du langage en tant que discours de pouvoir et arme dans une société qui veut confisquer la parole féminine :
Je les recueille [ces mots-sangues], je les fais miens, je les égrène, le matin, avant de sortir de chez moi, comme d'autres égrènent un chapelet avant de s'abîmer dans la prières....Je tresse avec ces mots des colliers de fleurs que je passe à mon cou les jours où j'ai trop mal, les jours où déborde la souffrance.20(*) L'urgence qu'il y a à « porter la parole » dans la société algérienne postcoloniale, tient, dans les textes de Maïssa Bey, une place primordiale. Il s'agit, d'exprimer, par le langage, une réalité qui est indicible, ou de trouver « les mots pour le dire ». Ainsi, dans la Préface des Nouvelles d'Algérie, l'auteur écrit: Pour pouvoir écrire ce livre, il m'a fallu un jour regarder en face ce que jusqu'alors je n'avais pu imaginer, non, pas même imaginer, sans peur et sans souffrance. J'ai dû alors lutter contre la tentation du silence... essayer de la [la peur] faire plier sous le poids des mots. Expérience difficile s'il en est, que celle de trouver les mots pour dire l'indicible...21(*) Il est intéressant de remarquer ici que «l'urgence de dire» une réalité trop terrible pour pouvoir être exprimée par le langage, semble remplacer, chez un nombre d'auteurs de la génération des années 90, les questionnements identitaires des auteurs bilingues de la première génération qui sont le résultat du conflit de l'univers symbolique de la langue maternelle et de la langue française qu'ils utilisent comme langue d'écriture. La nouvelle « Nuit et silence », est l'histoire d'une jeune fille de quinze ans qui a subi l'expérience du viol, et qui a été témoin du meurtre de ses parents et ses frères. Les circonstances de l'évènement raconté par la jeune fille donnent au texte un caractère universel. Le style est, comme c'est toujours le cas chez Bey, concis, la phrase est courte, le message est factuel, transparent. Ce style classique qui caractérise le langage poétique de Bey, dominé par ce qu'on peut appeler, le principe de la constance, alterne avec un style elliptique de la phrase éclatée et de la rupture de l'ordre de la syntaxe, où l'omission du sujet grammatical ou de l'article défini sont fréquents. Une pareille écriture génère la décomposition, la fracture du moi, accompagnée par un effondrement de l'univers symbolique du sujet semblable à celui qui domine dans le langage psychotique. On assiste à un vacillement au niveau du langage et au niveau de l'univers intérieur du sujet qui se retrouve au bord de la folie. On peut dire que la tentative de la narratrice de «s'affranchir du verbe» et de retrouver le monde de la constance, n'est autre que le désir de la réappropriation de la parole perdue. Le désir de dire de la jeune fille est accompagné du désir de nommer, parler, pour guérir, suite à l'expérience de la perte dans un monde injure. Pourtant, le réel exerce un pouvoir tellement fort sur la narratrice que les seuls mots qu'elle peut encore prononcer et penser sont les mots «inoffensifs» de son enfance: Je lui ai raconté l'histoire de mon arbre, celui que ma grande mère avait planté le jour de ma naissance. C'est un figuier qui a grandi en même temps que moi. Cela faisait seulement trois étés qu'il donnait des fruits». P. 114
Ainsi, dans cette nouvelle « Nuit et silence », la narratrice ne fait qu'évoquer, au cours de la narration, un attentat dans un style simple, et sans user d'effets stylistique ou esthétiques particuliers. Elle s'intéresse plus à ce qu'il y a après l'attentat, aux gens et femmes qui en souffrent. Comme les événements sont bien connus de tout le monde, les décrire d'une façon minutieuse n'avancerait à rien. Derrière ces événements non historicisés, mais beaucoup d'indices les spatialisent concrètement, l'auteur veut dépasser la question algérienne pour s'interroger sur cette envie de l'homme à chercher sa liberté physique et morale après un malheur vécu. Il y a tout un jeu avec le temps et avec l'espace rendant ces instances hybrides, c'est-à-dire trop flasques, l'actualité transporte le lecteur vers le mythe. Ainsi, l'auteur fait connaître les conditions dans lesquelles vivent les Algériens, victimes ou « spectateurs » de cette violence. Mais cette réalité dépasse le lieu géographique et va creuser des sillons dans l'Histoire, la mémoire, le sacré et les écritures. « Nuit et silence » est une triste histoire, celle d'une jeune fille qui ne perd pas l'espoir de retrouver un jour sa liberté même si celle-ci ne se rencontre parfois que par la mort : « On attend seulement la vraie mort. La fin de tout. La délivrance » P.110. L'auteur cherche, à travers ce récit à dévoiler l'inhumanité de l'homme trop prisonnier de vérités désuètes et de mythes cruels. La nouvelle « Nuit et silence » traite le problème du terrorisme. Des passages de ce récit présentent une violence exercée contre des gens de tout âge ; surtout des femmes. La description faite par la narratrice est plus réaliste car il ne s'agit pas d'un rêve. Maïssa Bey rapporte par le biais de cette nouvelle des faits réels, vécus par tous les algériens. D'une nouvelle à une autre, on assiste à un changement de perspectives. L'auteur nous fait voyager dans une Algérie où rêve et quotidien se mêle. Elle nous promène dans un pays qui débat sans fin dans les contradictions, celles qui entravent les femmes. L'écrivaine dénonce l'acte terroriste qui a ravagé tant de vies innocentes et qui a fait plonger l'Algérie dans l'ombre de la déraison et la désillusion. Elle se retrouve bien impliqué dans la narration : l'emploi du «Je » narrateur. Pour elle, dire « je » est une façon de se couler dans le plus intime de l'être et par-là même d'aller au plus profond22(*). Certes, il est parfois difficile de se dissocier des personnages que l'on crée. Elle leur donne une vie esthétique propre et intangible. Son existence se perd dans ces personnages : « La personnalité de l'artiste, traduite d'abord par un cri, une cadence, une impression, puis par un récit fluide et superficiel, se subtilise enfin jusqu'à perdre son existence et, pour ainsi dire, s'impersonnalise »23(*). Beaucoup de femmes comme Assia Djebar, Aïcha Lemsine, Beyda Bachir ou Safia Ketou écrivent sous un pseudonyme, ce choix d'un pseudonyme peut se traduire par une sorte de «voile». Elles se dissimulent selon une stratégie: ne pas gêner la famille ou le mari. Mais pour Maïssa Bey, c'est plutôt une question de vie. Elle était menacée. A l'époque où elle a commencé à se faire publier (les années 1990), c'était comme elle le dit, écrire sous son nom et partir ou choisir l'anonymat et rester24(*). Il n'y avait pas d'alternative, c'était une question de vie ou de mort. Donc le choix n'y était pas et c'était cela qui lui avait motivé en premier pour l'option du pseudonyme: « Je n'ai pas eu vraiment le choix. J'ai commencé à être publiée au moment où l'on voulait faire taire toutes les voix qui s'élevaient pour dire non à la régression, pour dénoncer les dérives dramatiques auxquelles nous assistions quotidiennement et que nous étions censés subir en silence... dans le meilleur des cas »25(*). Par le biais de la voix de ses personnages, Maïssa Bey ne veut à aucun moment dissimuler sa position idéologique. La nouvelle « Nuit et silence » décrit une jeune adolescente enceinte « quinze ans» p.110, gisant sur un lit dans un hôpital à Alger : « On va t'emmener dans un centre à Alger» P.105 Au fur et à mesure que le récit progresse, on saura que cette jeune fille fut enlevée lors d'un massacre dans un douar par des terroristes qui voulaient se venger de la trahison de son frère : « La nuit où il sont venus au douar pour se venger de la trahison de mon frère, il faisait très chaud » P 109 Sachant qu'elle porte le fruit d'une faute qu'elle n'a pas commise, la narratrice voulait se suicider pour retrouver sa pureté puisqu'elle était déshonorée: « Je voudrais mourir. Qui voudra de moi maintenant ? J'ai déshonorée la famille» p.108 « Je ne vais plus manger. Comme ça cette chose dans mon ventre ne pourra pas se nourrir (...) m'aidera à mourir pour retrouver ma pureté» P.111 Le dialogue entretenu entre une femme terroriste et la narratrice qui voulait connaitre les motifs de ces tueries révèle les motivations des groupes terroristes qui justifient leurs crimes par le recours au sacré. Cette femme se met à parler à la place des autres pour donner raison à leurs actes en donnant des exemples : « Quand il ya des cafards dans une maison, si on veut s'en débarrasser, il faut les tuer tous! Les exterminer ! Si non ils prolifèrent à nouveau » P.106 Pour eux, tuer des innocents, des enfants, c'était pour les sauver et les empêcher de devenir des mécréants comme leurs parents. Tuer des femmes adultes c'est les purifier. Ces criminels veulent mettre le pays en coupe réglée au nom d'un islam dénaturé par le vol, le viol et la violence Dans l'incipit de «Nuit et silence », L'écrivaine utilise ce qu'on appelle « le topos de la lumière»26(*) ce qui assure une « rhétorique du dévoilement » qui fait passer de l'inconnu au connu. Les Personnages de ce récit progressent dans l'action. La narratrice n'est ni omnisciente, ni omnipotente. Son ignorance s'assimile à celle de tous ces Algériens/spectateurs. Elle ne sait pas plus que les autres personnages. D'un autre côté, l'auteur ne nous fait part que des sentiments de la jeune fille par le biais de monologues : des souvenirs de morts (sa famille, les femmes torturées), des remords et des regrets. Le fait qu'elle fut obligée d'accomplir ce qu'elle a accomplie pour rester en vie, ne la laisse pas insensible. Le discours réaliste devient porteur d'un témoignage et de l'affirmation de la parole de l'auteur. Ainsi, Maïssa Bey, à travers le discours de cette femme enlevée, violée et condamnée à vivre d'horribles expériences et dans le déshonneur, prend position contre ces « détenteurs » de « vérités uniques ». Elle réclame la liberté, la paix et réprouve si durement ceux qui exercent cette violence. Les passages relatifs aux massacres ne sont qu'une vue fragmentaire, que quelques souvenirs qui ont ressurgis de la mémoire de cette jeune fille et qui lui ont donné la force vaincre cette peur. Elle parle pour dire. Sa parole est porteuse, elle va au delà de l'événement immédiat: dénoncer le terrorisme. Effectivement, les images que la jeune femme revoyait, les scènes d'horreur qu'elle se rappelait, comme celles où, elle et d'autres filles enlevées, avaient été torturées, violées ; étaient des images choquantes qui ne faisaient à chaque fois que de lui procurer plus de haine et de courage : « Je ne veux pas de cet être qui bouge en moi. Je ne pourrai pas donner le jour à un être qui pourrait leur ressembler... à le laisser grandir pour haïr, tuer ou se faire tuer» Pp.108/109 « ... je lui tenais la jambe pour l'empêcher de s'approcher de Ali. Je me traînais par terre» P.106 Des images qui témoignent d'une violence atroce au point où l'auteur ne peut plus en rajouter avec son style, elle n'utilise même pas le mot « terrorisme » ou « terroriste » dans ce récit. Elle apporte des témoignages d'une précision cynique pour provoquer l'indignation du lecteur, sur la barbarie insoutenable des terroristes. Les mots sont simples et les phrases plus qu'expressives. Face à cette violence qui ne cesse de croître, l'auteur revendique le droit à la liberté, la nécessité de préserver la dignité qui sont les pôles moraux indispensables à tout homme. Ces femmes se battent pour la procurer : « Je n'ai plus pensé à elle depuis le jour où je me suis enfuie» P.101 « Elle a fini par leur échapper, cette nuit. En silence. Dieu ! Leur fureur quand ils ont découvert au petit matin son corps qui se balançait à quelque centimètres à peine au-dessus du sol...elle leur à échapper» Pp.101/102 Le droit à l'éducation est souligné ici, Maïssa voulait mettre l'accent sur ce point qui a souvent Bouleversé la vie des jeunes filles vivant dans une société dont laquelle elles sont perçues comme un déshonneur, des êtres impurs. Ces filles sont victimes des valeurs sociales et des traditions archaïques. Elles sont obligées de quitter les rangs des classes pour aider leurs mères : « d'ailleurs, beaucoup parlaient en français. Et moi, à l'école, je n'ai pas eu le temps d'apprendre le français. Mon père m'a fait quitter l'école à neuf ans pour aider ma mère » P.104 Aussi parce qu'elles représentent pour leurs familles un lourd fardeau qui ne se dissipe que le jour de leurs mariages. Cette idée est installée même chez ces filles-là : « Je porte encore un fardeau » P.100 « Si mon père et mes frères étaient encore en vie, ils m'auraient tuée. Pour ne pas avoir affronté le déshonneur. Et je les aurais laissés faire ...J'ai déshonoré la famille» P.108 Quand le silence fait la loi, il serait difficile de le briser, difficile de rompre une tradition Longtemps séculaire qui s'est imposée dans la vie d'une femme. Celle-ci malgré les violences qu'elle subit, les oppressions et les humiliations, ne peut dire son malheur; sa révolte qui bout en elle, bref sa souffrance incandescente qui brûle au plus profond d'elle-même. Elever la voix est un acte proscrit. Aussi qui mieux qu'une femme peut ressentir cette déchirure. * 18 - Maïssa Bey cité par BENDJELID Fouzia, L'écriture de la rupture dans l'oeuvre romanesque de Rachid Mimouni, Thèse de doctorat, (sous la direction de Fewzia SARI) Université D'Oran, 2006. P. 544 * 19 - Maïssa bey. Bleu, blanc, vert. Edition de Barzakh, Alger, Septembre 2006. * 20 - http://pedagogie.ac-aix-marseille.fr/etablis/lycees/A_Briand/CDI/, 20/04/2004. * 21 - Maïssa Bey, Nouvelles d'Algérie, Paris: Grasset, 1998, p. 11-12. * 22 - http://www.lesfrancophonies.com/maison-des-auteurs/bey-maissa * 23 - G. Genette, Hans R. Jaus. Théorie des genres. Edit. Seuil. Paris 1986. p125 * 24 - http://zaweche.unblog.fr/2008/05/21/maissa-bey-un-auteur-a-lire-absolument-et-le-plus-vite-possible/ * 25 - http://zaweche.unblog.fr/2008/05/21/maissa-bey-un-auteur-a-lire-absolument-et-le-plus-vite-possible * 26 - Duchet Claude cité par Jean-Pierre Goldenstein. Lire le roman. Page 85, In http://books.google.fr/books? |
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