République Algérienne Démocratique
et Populaire
Ministère de l'Enseignement supérieur et de la
Recherche scientifique
Université de Saïda
Faculté des Lettres
« Moulay Tahar »
L'expression de la liberté dans « Sous le
jasmin
la nuit » de Maïssa Bey
Mémoire de Magister,
Présenté par Belkhiter Abdelkader
Membres de jury
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Année 2009
Table des matières
REMERCIEMENTS
4
INTRODUCTION :
5
Maissa Bey :
7
Sous le jasmin la nuit
8
Pourquoi la liberté ?
11
Chapitre I
La rupture :
13
L'écriture de la liberté
13
Liberté et/ou Nécessité
15
Un conflit : La liberté dans les
relations affectives
17
Un récit éclaté : Une
structure fragmentée
22
Récit de femme
25
Une parole révoltée
30
Un interdit
33
Conclusion
36
Chapitre II
Un désir :
37
Conclusion
45
L'altérité
46
Une affirmation
48
L'interrogation : Les réactions de la
société
53
1. Les réactions du
groupe social:
53
2. La résistance des individus face
à la violence
55
Chapitre III
L'écriture comme création :
58
La liberté donnée par
l'écriture :
59
La liberté du langage :
63
Ecriture libre
64
1. La syntaxe :
68
2. Le lexique :
69
Les lieux de la réception :
70
Les titres :
73
Une aspiration :
77
Esthétique de liberté :
78
1. L'éclatement de la
parole :
78
2. L'horizon d'attente :
81
CONCLUSION :
87
BIBLIOGRAPHIE
90
Corpus :
90
Ouvrages généraux :
90
OEuvres
littéraires citées :
91
De Maïssa Bey :
91
D'autres oeuvres :
91
Travaux universitaires :
91
Sites Internet :
92
CD Rom :
92
REMERCIEMENTS
INTRODUCTION :
La littérature maghrébine d'expression
française se caractérise par l'appartenance à un espace,
une chronologie et à une Histoire. Elle a rompu avec la tradition de la
production littéraire arabe qui privilégiait le genre
poétique et théâtral, tout en choisissant la langue
française pour recourir à la forme romanesque, une forme plus
récente et plus dominante puisqu'elle a un large public contrairement
à la poésie et au théâtre qui sont restés
marginalisés dans leurs choix d'écriture. Il est à
signaler aussi que ces écrivains maghrébins n'ont pas rompu
seulement avec la tradition arabe, mais ils ont rompu aussi avec la tradition
romanesque française, leurs écritures avaient d'abord
consisté à imiter les auteurs européens, puis à
dévoiler le non-dit masqué par cette imitation, en tentant
d'expliquer le Maghreb aux autres. Telle avait bien été la
démarche de grands auteurs comme Feraoun, Mimouni, Assia Djebar, Mohamed
Dib, Kateb Yacine, Abdelhamid Benhaddouga, Mouloud Mammeri et d'autres qui ont
donné à la littérature algérienne cet élan
qui ne cesse d'impulser les oeuvres littéraires de ces dernières
années.
Cette littérature maghrébine d'expression
française, dominée par les noms d'hommes, a aussi donné
aux femmes le droit à la parole et l'expression libre afin d'imposer
leurs noms et leurs écritures. Des noms de femmes ont illustré le
patrimoine littéraire de cette région du Maghreb comme: Assia
Djebar, Maïssa Bey, Nina Bouaraoui, Leila Sebbar, et d'autres connues et
reconnues de par leurs engagement littéraire.
La diversité des écritures des femmes
algériennes est patente : elles occupent le terrain, avec talent et
provocation, tendresse et ironie. Le temps de l'effacement est révolu.
Nous entrons dans celui de la diffusion avec une nécessaire
différenciation entre oeuvres littéraires et expressions
personnelles de revendication et de témoignage.
Ces femmes écrivaines n'ont pas attendu les
années 80 pour écrire, s'exprimer et créer. La
littérature féminine algérienne, qui comme toute
littérature, se construit en fonction d'antériorités : Les
Algériennes ont créé dans l'oralité, traduisant par
la voix et le geste, les émotions, les sentiments et leur être au
monde. Cette antériorité ancestrale est constituée de
poèmes dits et chantés, de contes et de proverbes transmis d'une
génération à l'autre, d'improvisations rituelles, de
légendes et de chroniques. Les écrivaines vont entretenir avec
cette tradition orale et écrite une relation de déférence,
une relation de reproduction, une relation de transformation.
Les années 80 sont aussi, d'un bout à l'autre du
Maghreb, fécondes pour cette littérature de langue
française : auteurs nouveaux, écritures nouvelles. Les
témoignages et les récits de vies sont devenus de plus en plus
intensifs. Cela se remarque sur l'ensemble de la littérature
algérienne de fiction et de témoignages; on veut parler en toute
liberté, plaider sa propre cause, sortir du silence. Un grand nombre de
romans avait pour héroïne une femme qui, au sens
héroïque du terme, n'existe que sur le papier parce qu'elle n'est
pas encore inscrite socialement c'est-à-dire elle est seulement en train
d'advenir. Et elle n'adviendra dans la littérature que lorsque les
femmes seront les héroïnes de leur vie, qu'elles auront appris la
liberté.
Ainsi, Comment cette liberté investit-elle les
différents récits de ce recueil de nouvelle?
Il est trop clair que ce ne peut être que par une
décision et un choix qui est guidé par la volonté de se
libérer de quelque chose ou trancher un conflit. Les tendances, les
désirs, les sentiments, ainsi que les idées commandent davantage
les conduites humaines. La liberté chez Maïssa Bey se traduit par
plusieurs formes d'expressions : une rupture avec la société
et le système, une interrogation sur son passé et son avenir,
une écriture sur son quotidien péril, et un désir de
dévoiler les souffrances des femmes.
L'écrivaine de Sous le jasmin la nuit effectue
un voyage réel et imaginaire à la fois vers son origine. Ce
retour, symbolique pour de multiples raisons, se présente comme
recherche ou recueil des images et des voix pour constituer une mémoire
collective à laquelle la narratrice peut s'identifier
Maïssa Bey :
Aujourd'hui, il existe au Maghreb
une nouvelle génération de femmes qui investissent l'espace
littéraire. Le monde arabe traverse actuellement une crise profonde
remuée de soubresauts terribles. Dans ce contexte les femmes sont
vulnérables, elles subissent la répression et les interdits. Il
est donc important que des femmes écrivains expriment leur vécu,
parlent de leur statut difficile, mettent en scène leurs
préoccupations fondamentales. En tant que membre de cette
génération d'écrivains, Maïssa Bey se sent un peu
comme la porte-parole de toutes ces souffrances silencieuses.
Comme d'autres romancières, elle décide de se
battre contre le mensonge et l'hypocrisie qui, depuis des siècles,
entourent la condition des femmes algériennes qui sont tenues dans le
silence : son écriture, du fait même de son existence, incarne la
dissidence. Dissidence, mais également paradoxe par la
possibilité de vie et de mort : l'écriture est en effet Vie,
Création et Espoir. Cependant, les mots sont plus dangereux que les
armes ; ils dévoilent ce que l'on ne doit pas montrer, ils disent ce que
l'on veut cacher. Ainsi, témoigner, dire l'innommable, tel est le but de
Maïssa Bey dont l'écriture est à la fois dissidence et
paradoxe.
Née à Ksar el Boukhari, petit village au sud
d'Alger, en 1950, Maïssa Bey de son vrai nom Soumia Benameur a suivi des
études de français, une langue qu'elle a adorée (selon
elle). Elle devient enseignante. Elle est également fondatrice et
présidente d'une association de femmes algériennes « Paroles
et écriture ». Maïssa Bey a traité de différents
thèmes : les femmes, l'amour, la souffrance et la mort, et surtout
l'Algérie. Avec la beauté d'une écriture dans
l'éclat de sa maturité, des femmes, des mères, des soeurs,
des amantes aiment, pleurent et meurent sous les regards de leurs hommes. Cet
écrivain se fait l'écho de ses détresses et de ses
bonheurs avec une immense compassion et un talent qui s'affirme de livre en
livre. Elle construit une oeuvre riche et exigeante, thématiquement et
esthétiquement inscrite dans la durée. Sans doute afin
d'être en accord avec sa conception de la littérature qu'elle
envisage comme le lieu privilégié du doute et de l'interrogation.
Maïssa Bey a obtenu le Prix de la Société
des Gens de Lettres pour son livre « Nouvelles D'Algérie»
(édition Grasset, 1999), « Cette fille-là en 2001 aux
éditions de l'Aube, couronné par le Prix Marguerite-Audoux. Et en
2005 le Prix des Libraires Algériens pour l'ensemble de son oeuvre.
Les travaux universitaires faits de son oeuvre sont rares. Les
études portaient essentiellement sur : Bleu, Blanc, Vert
(L'Aube et Barzakh, 2006), Au commencement était la mer
(Marsa, 1996), Surtout ne te retourne pas (L'Aube et Barzakh,
2005). Elles portaient sur des thèmes intimement liés à
cet aspect maghrébin qu'a son oeuvre. La colonisation de
l'Algérie, l'indépendance, le problème identitaire, le
terrorisme, la femme, etc..., tous sont des thèmes qui investissent le
domaine des recherches et analyses littéraires.
Sous le jasmin la nuit
C'est pourquoi nous nous proposons dans le présent
travail d'étudier une de ses dernières oeuvres
« Sous le jasmin la nuit ». Ce titre est inspiré
d'une chanson : « Retrouver les paroles de cet air qui
chante en elle sous le jasmin la nuit oui cette chanson d'autrefois venue sur
ses lèvres elle ne sait comment elle ne sait pourquoi sous le jasmin la
nuit c'est peut-être ça, seulement l'odeur pas
l'obscur » P.12
Depuis des siècles, le jasmin est
considéré en Orient comme le symbole de l'amour et de la
tentation féminine.
Coédité aux éditions l'Aube et Barzakh
(2004), ce recueil de nouvelles sur lequel aucune analyse n'a été
faite auparavant est composé de onze nouvelles : « Sous le
jasmin la nuit », « En ce dernier
matin », « En tout bien tout
honneur », « Improvisation »,
« Si, par une nuit d'été »,
« Sur une virgule »,
« Nonpourquoiparceque », « Nuit et
silence », « Main de femme à la
fenêtre », « C'est quoi un
arabe ? » et « La petite fille de la
cité sans nom » où le rêve et l'ordinaire
se mêlent étrangement. Le rêve de toute femme qui lutte et
se cherche, et l'ordinaire d'une société où le mâle
règne en maître absolu. Celui-ci, le suprême décideur
du sort de sa soeur, de son épouse et de sa mère fait de l'ombre.
Il est l'opposant, celui qui freine
la liberté ou la personnalité de la femme. Les
récits sont surprenants, captivants et le lecteur est très vite
happé par l'histoire, jusqu'à se mettre dans la peau de chaque
héroïne. Sans alourdir le récit et en donnant juste ce qu'il
faut comme détails, Maïssa Bey réussit à conter et
à décrire ces femmes, leurs sentiments et leurs ressentiments
pour les rendre plus réelles qu'elles ne le sont. Les récits
pénétrés de pudeur et de sobriété semblent
sortir du plus profond de la mémoire : Celle de Maïssa Bey,
celle de la femme algérienne. L'écrivaine aborde le viol,
l'enlèvement, la polygamie, l'autorité masculine avec beaucoup
d'aisance. Colère et mélancolie jaillissent de ces récits
dans un style souple et vif.
Ce recueil, comme on l'a déjà cité,
composé de onze récits portant chacun sur une histoire
différente mais qui convergent tous vers une fin voulue de Maïssa
Bey : démontrer le degré et l'ampleur de la violence sur le
monde, sur les êtres qui se battent pour leur identité, leur vie
et aussi leur liberté, même si celle-ci ne se rencontre parfois
que dans la mort.
Le thème qui nous a semblé le moins
abordé était la liberté dans les écrits de
Maïssa Bey. Apporter du nouveau d'une part, et redonner à son
oeuvre une autre dimension d'une autre part, furent les principales raisons qui
nous ont poussé à réaliser ce mémoire. Comment se
manifeste la liberté dans l'oeuvre de Maïssa Bey
« Sous le jasmin la nuit » ? Une question
à laquelle nous tenterons de répondre tout au long de cette
analyse. La première question que nous nous posons est de savoir de quel
genre de liberté pourrait-il s'agir ? Nous y répondrons en
étudiant progressivement l'oeuvre. La réponse divisera notre
travail en trois chapitres : le premier et le deuxième chapitre
traitera la liberté comme thème ou « l'écriture
de la liberté », un thème dont il nous est
imposé de le définir afin de clarifier le sens.
Dans le premier et le deuxième chapitre, nous
essayerons d'étudier ces différentes histoires afin de
dégager et de classer les principaux thèmes qui construisent les
nouvelles. Il est à noter que contrairement à ses oeuvres
précédentes, l'Algérie ne constitue plus le coeur de ses
écrits. Elle se consacre aux femmes et seulement au vécu de la
féminité. Cette vocation est imposée à
l'écrivaine par le changement de circonstances donnant naissance
à d'autres des priorités. Maïssa Bey n'écrit pas que
pour soi, mais pour tout lecteur francophone qu'il soit algérien,
maghrébin ou autre. Ainsi, les événements qui ont
endeuillé l'Algérie tiennent une place plus ou moins importante
dans les romans et les nouvelles. Nous verrons se défiler une certaine
violence humaine « Nuit et silence » et naturelle
« Main de femme à la fenêtre »
entrainant un combat persévérant, épouvantable et
inébranlable pour une liberté tant recherchée, tant
revendiquée.
Dans le troisième chapitre, il sera question d'un autre
aspect de la liberté : celui de l'écriture ou « la
liberté de l'écriture » ainsi que les moyens
employés par l'auteur lui permettant d'appuyer la liberté
thématique.
Nous finirons notre travail par une étude de
l'esthétique de la liberté en analysant de manière plus
détaillée l'éclatement de la parole et la liberté
du langage utilisé par cette romancière.
Pourquoi la liberté ?
La liberté, par définition est la
possibilité d'agir, de penser, de s'exprimer selon ses propres choix.
Elle est l'Attitude de quelqu'un qui n'est pas dominé par la peur, la
gêne, les préjugés1(*).
En philosophie, la liberté d'opinion, d'expression, de
pensée (ou de penser) est le droit d'exprimer librement ses
pensées, ses opinions et de les publier. Elle est aussi l'état de
l'homme qui se gouverne selon sa raison, en l'absence de tout
déterminisme.
La question de la liberté peut être
considérée comme une question métaphysique par excellence
dans la mesure où elle concerne le statut de l'être humain au sein
de la nature.
La liberté qualifie en effet la relation de
l'être humain en tant qu'agent, et du monde physique, relation notamment
considérée dans son rapport à un déterminisme
supposé ou réel. Cette question concerne donc
particulièrement l'immanence et la transcendance de la volonté
humaine par rapport au monde. Elle s'oppose en général au
déterminisme, au fatalisme et à toute doctrine qui soutient la
thèse de la nécessité du devenir.
Il convient de signaler que l'écriture de Maïssa
Bey est marquée par une sorte de quête ontologique. Elle
s'intéresse à l'être en tant qu'être, elle le
défend. Là, la femme est le centre d'intérêt de
l'écrivaine. Ainsi, nous serons amenés, en empruntant à
l'analyse sémiologique certains de ses instruments, à interroger
les territoires où se manifeste la liberté liée aux
différentes formes de violences marquant ce recueil de nouvelles. La
liberté et la violence, investirent presque tous les récits qui,
comme des « tranches de durée » manifestes
caractérisent les différentes formations discursives fonctionnant
d'ailleurs comme autant de «tâches » et de « lieux
éclatés » concourants à la mise en oeuvre du discours
romanesque. Aussi, serons-nous obligés de questionner les espaces
médiateurs mettant en oeuvre le passage d'une instance tirée de
l'actualité au jeu de la fiction.
Maïssa Bey essaye de construire un univers romanesque
marqué par une certaine dualité au niveau du jeu des personnages
et des instances spatio-temporelles. C'est pour cette raison que nous verrons
comment s'organise cette structuration binaire qui fait du lieu l'espace
paradoxal d'une présence double et du personnage une entité
à double face. C'est à travers le jeu de la parole que se
construit le discours romanesque.
La rupture :
L'écriture de la
liberté
Maïssa Bey se révolte contre la
société et tout ce qui est tabous. Elle cherche, à travers
le parcours des personnages, les jeux singuliers des instances
spatiotemporelles et le mouvement narratif marqué par de
fréquentes coupures et de ruptures, à peindre un univers
singulièrement fragmenté et traversé par des plages de
violence paroxystique. Elle met en scène des personnages
représentant différents espaces sociaux, des hommes instruits,
des femmes torturées, trompées et violées, des
comédiennes, des intégristes... . Le langage de la violence et de
la liberté traverse presque toute la représentation. Les
relations entre les êtres sont teintées tantôt d'une
violence sourde, tantôt d'une violence déclarée, ce qui les
pousse à chercher leur liberté.
Maïssa Bey vit, comme femme et comme écrivaine,
une situation de péril quotidien la violence est particulièrement
prégnante dans cet univers :
« Aujourd'hui, écrire, parler, dire simplement
ce que nous vivons, n'est plus une condition nécessaire et suffisante
pour être menacée (...) Combien d'hommes, de femmes et d'enfants
continuent d'être massacrés dans des conditions horribles, alors
qu'ils se pensaient à l'abri, n'ayant jamais songé à
déclarer publiquement leur rejet de l'intégrisme ? Il est certain
qu'en écrivant, en rompant le silence, en essayant de braver la terreur
érigée en système, je me place au premier rang dans la
catégorie des personnes à éliminer»2(*)
L'écriture pour Maïssa Bey est un outil de combat
pour briser le silence. Elle peint le quotidien du peuple algérien, ses
souffrances, ses angoisses malgré qu'elle est menacée
tantôt par les intégristes, tantôt par l'Etat.
Elle refuse de se laisser enfermer dans la vieille distinction
réalité/irréalité. Elle utilise un langage courant
qui sert à la communication quotidienne comme le dit Jean- Pierre
Goldenstein : « Les néo-romanciers refusent de se laisser
enfermer dans
la vieille distinction réalité/
irréalité»3(*) . C'est-à-dire refuser la norme et ses
intentions. Ils assument avec courage et talent ce qui leur incombe :
L'éveil des consciences quelles que soient les voies choisies. Ils font
de la fiction et de l'art. Ils mettent en forme l'illusion constructive. Pour
peindre la vie il faut d'abord la rêver.
Ces nouveaux romanciers introduisent dans leurs oeuvres des
questionnements permanents qui mettent en relation le narrateur ou le
personnage aux événements de l'histoire racontée, aux
autres personnages et au narrataire. Cette littérature du questionnement
prouve bien que raconter une histoire n'est jamais une affaire de certitude
paisible, que le texte n'a pas la prétention de refléter un
réel en lui même insaisissable, fuyant et souvent
problématique. En transcendant le réel à travers une
libération du mot qui varie et joue avec les formes du mythe, du
fantastique, le texte ne cesse de s'écrire dans les fractures et de
multiplier le sens. C'est cette stratégie du questionnement, de
l'information douteuse, de cette « ère du soupçon » qui
se déploie dans l'oeuvre de l'auteur ; c'est de même une «
utopie du langage »4(*) qui montre bien que l'on ne peut point dire et tout
écrire, dans un cadre figé et précis, ce que l'on croit
être le réel, tout le réel. Le texte romanesque moderne
n'assume plus une fonction essentiellement de communication ; l'écriture
est une composante complexe qui se construit à partir du langage qui
s'empare de tout, du réel comme de l'irréel, de l'intelligible
comme de l'inintelligible, du concret comme de l'abstrait, du sérieux
comme du fantaisiste, du rationnel comme de l'irrationnel, de la
vérité comme du mensonge. La pensée moderne est
hétéroclite et le texte romanesque se fait donc dans la
fragmentation qui témoigne de la non connaissance absolue des choses
:
« Le texte est une galaxie de signifiants, non une
structure de signifiés ; il n'y a pas de commencement ; il est
réversible ;on y accède par plusieurs entrées dont aucune
ne peut-être à coup sûr déclarée principale ;
les codes qu'il mobilisent se profilent à perte de vue, ils sont
indécidables. »5(*)
Les personnages non seulement racontent leur récit de
vie, mais ce qu'ils vivent est source de réflexion et de questions.
Par des textes de fiction-témoignage, inévitable
dans ces années de cendres et de sang, Maïssa Bey décrit
avec force et précisions les gens, leurs sentiments, leur quotidien.
Elle conte aussi le dur quotidien des femmes dans une société
déchirée par les tabous.
Dès ses premières oeuvres, Maïssa Bey s'est
manifesté à travers sa voix du refus, à travers une
rupture opérée continuellement dans son écriture. Ses
derniers romans « Surtout ne te retourne pas », «
Cette fille-là » , « Sous le jasmin la nuit
» s'inscrivent dans ce genre d'écriture : il s'agit d'une
écriture de la rupture et de la dissidence qui aboutit à une
remise en question de la source de l'écriture qui s'efface au profit de
diverses voix de femmes qui incarnent en elles toutes les figures de femmes
héroïnes de l'Algérie colonisée ou de
l'Algérie actuelle. Femmes combattantes pour leur liberté et
oubliées aussitôt l'indépendance acquise, et femmes
persécutées par le fanatisme des détenteurs d'une
prétendue tradition islamique.
Liberté et/ou Nécessité
L'écriture, poétique ou prosaïque pour
qu'elle soit authentique, doit revêtir le cachet personnel de son auteur.
Ainsi, peut-on dire qu'elle doit laisser transparaître son moi profond
comme le ferait un prisme ?
Certes, écrire, c'est être franc, c'est dire, se
dire. En un mot, elle est pour le lecteur le radar qui lui permet de suivre, de
cerner la personnalité de l'auteur. Chaque fois qu'on écrit un
poème ou simplement quelques phrases, c'est une parcelle de son
être qu'on offre à ses lecteurs qui peuvent la rejeter ou
l'accepter selon la force et la nature des vibrations qu'elle déclenche
chez ces derniers.
Il est important de souligner que l'écriture
répond à un besoin de survie, une nécessité
d'être ou une volonté de conjurer ou d'exorciser des situations
insoutenables mais aussi d'immortaliser des situations heureuses, inattendues
ou inespérées.
Chez Maïssa Bey, l'écriture est liée
à une nécessité de défendre les droits de la femme,
d'être une Algérienne. Elle a eu la perception d'un monde
où le malheur était subi essentiellement par les femmes. Un
malheur qu'elle a refusé. De ce refus est née l'envie d'avoir une
vision poétique du monde qui était trop sinistre et trop
difficile à comprendre. Elle a essayé d'introduire dans la
conscience douloureuse du peuple algérien, à travers le
déploiement de la subjectivité, de l'intimisme et du corps de la
femme gommé dans le monde arabo-musulman où la religion, par
exemple, vidée de son contenu mystique et extatique est réduite
à une série de pratiques dogmatiques essentiellement
fondés sur la demande. Demande surtout d'un paradis même si on
fait des massacres, des tueries pour le mériter. Tentative donc alors de
flouer Dieu, ce qui semble pour Maïssa Bey un acte insensé.
Cette façon de réduire la religion à une
série de dogmes et de rituels mécaniques était
révoltante. Cela avait donné et donne encore une
société hypocrite où le mensonge est érigé
en dogme absolu et sécrète une nuisance incroyable.
A travers ces écrit, Maïssa Bey veut
dénoncer cette société algérienne, une
société figée, avec quelque chose de
préfabriqué, de lourdement et massivement
réifié.
Certes, il était évident que seule la
subjectivité pouvait désamorcer cette clôture du moi
algérien ficelé, structuré et immobilisé par sa
vision parcellaire et paresseuse de la religion musulmane très
pragmatique qui déterminait à l'avance le moindre geste, le
moindre comportement à travers une structure préétablie
des siècles plus tôt. La misère, l'analphabétisme et
les superstitions font périr cette société. Un certain
nombre d'interdits la transformait aussi dans un état de psychose
délirante caractérisée par une perte de contact avec la
réalité et une dissociation de la personnalité.
Le fait politique était lui aussi marqué par la
répression massive et impitoyable tantôt de la colonisation,
tantôt du terrorisme dont les massacres, tortures et autres barbaries ont
bercé l'enfance de l'écrivaine 6(*) qui a baigné dans le sang. Le sang, cet
élément qui est à la fois de l'ordre du licite et de
l'interdit. Il y eut des massacres organisés par l'armée
française lors de l'occupation, et par les terroristes après la
dissolution du parti «FIS » qui a gagné en 1992 les
élections dans une Algérie plongée dans l'ombre de la
grande désillusion. Lors de cette décennie noire, Elle a vu le
sang couler dans les rues, des jeunes filles prises par force, violées,
torturées. Ce fut là la constitution de sa névrose
personnelle qui va irriguer tout son travail d'écrivaine.
Un conflit : La liberté
dans les relations affectives
La famille est le noyau de la société, elle est
le lieu de la perversion des valeurs sociales. Les relations affectives sont
dissimulées : les gens s'aiment et n'arrivent pas à exister
pleinement, à s'affirmer simplement ou à se dire authentiquement
dans leur vie relationnelle. L'écrivaine en fait un
élément fondamental. Elle a écrit deux nouvelles
«Sous le jasmin la nuit » et « En ce dernier matin
» pour montrer l'importance de ce sujet dans nos vies.
Dans ces deux récits, nous sommes face à une
fiction où les relations affectives sont moins apparentes. Maïssa
Bey présente les souffrances, les angoisses et les malheurs qui peuvent
toucher n'importe quelle famille ordinaire vivant dans une
société musulmane et sous les lois qui la régissent.
Dans « Sous le jasmin de la nuit »,
l'écrivaine décrit la vie d'une famille: un couple, leur vie est
dépourvue d'amour ou encore ils ont du mal à exprimer ce
sentiment. Maïssa Bey montre avec un talent remarquable et une
écriture singulière comment un tel fait peut se produire,
entrainant le lecteur dans un engrenage de faits.
Or le récit est marqué par une opposition
fondamentale de deux personnages ; la femme «Maya » est un personnage
indompté, replié sur lui-même. Elle est prisonnière
de ses rêves dans lesquels elle s'épanouit:
« Elle se laisse glisser doucement dans une
semi-conscience sur des rivages heureux et dérive sans repère
dans un univers à peine bleuté, brumeux, traversé de temps
à autre par des éclats de lumière. Elle court au bord d'un
chemin de poussière, un sentier poudreux bordé de hautes
montagnes sombres, elle court pieds nus, dans le soleil, tout entière
tendue par le désir d'arriver de l'autre côté,
là-bas au bord du fleuve dont elle entend la rumeur obsédante.
Légère, elle court recouverte d'un voile de poussière
rouge, d'un halo de lumière qui l'enveloppe et la protège. Ses
pieds ne laissent aucune trace sur le chemin et elle avance, guidé par
la certitude qu'un jour il faudra gravir les montagnes, déjouer les
obstacles si elle veut arriver ». Pp 10-11
Le mari, quant à lui, détient le monopole de la
force et de la puissance :
« Pénétrés de leur force, de
leur vérité. Puissance d'homme. Jamais remise en cause. Leurres.
Il marche. On le reconnait. On le salue. On s'écarte. Il est partout
chez lui. Personne ne peut se mettre en travers ». P.15
Mais malgré tout ce pouvoir dont il dispose, il
n'arrive pas à la posséder, à conquérir son coeur
et son être.
« Oui se répète-t-il agacé,
irrité, tourmenté, la réduire, qu'elle ne soit qu'à
moi, philtres et sortilèges, aller jusqu'au bout briser la coque,
extraire d'elle ce qui la rend si lointaine, inaccessible, comme si »
P.14
Le récit fonctionne comme une masse
hétérogène mettant opposition la femme et son mari
égaré par sa sensiblerie. Nous sommes donc en face d'une
situation duelle : « Elle remue légèrement les
épaules, comme pour se débarrasser d'un fardeau, se
détourne, pose la joue sur la main, lui dérobe son visage et
continue de rêver... » P.9
Et face à cette situation, le mari se manifeste :
« Dans un mouvement de rage, il se redresse, serre les poings tandis
que monte en lui le désir de l'appeler, de la secouer brutalement pour
lui faire reprendre conscience, lui faire savoir qu'il est là»
p.10
La femme « Maya » puise de ces rêves
pour s'enfuir, dans un premier temps, d'une chose qu'elle ignore: «
Elle n'est pas malheureuse oh non ce mot ne lui convient pas. Non. Mais
elle ne sait pas non plus mettre des mots sur ce qui lui manque tarissement
enlisement ». P.14
Mais elle réalise qu'en fait, elle fuit ce monde, un
monde gouverné par les hommes et régit selon leur loi : «
Là, tout contre elle, fragile, vulnérable, un rien pourrait
l'atteindre. Elle frissonne. Elle imagine sa voix plus tard. Sa voix d'homme.
Ses mains d'hommes. Mains posées sur un corps de femme. Pour des
caresses». pp. 15/16
L'écrivaine intègre dans ce récit un
monologue pour marquer la tourmente de l'époux face à cette
situation qui le dérange. Le mari rentre le soir avec l'espoir de
retrouver un peu de confort et de tendresse chez sa femme. Mais Maya,
dépourvue de toute sensibilité, reste impassible,
indifférente, sans vie. Elle le regarde simplement :
«Penché sur elle, il la regarde dormir.
Lèvres entrouvertes, souffle léger, paupières closes
refermées sur des visions, des rêves qui l'excluent, il ne peut
pas en douter. [...]Penché sur elle, il scrute son visage.
Attentivement. Ce frémissement au coin des lèvres, n'est-ce pas
l'esquisse d'un sourire, cette façon de cligner des yeux, brusquement,
ce lent soupir venu du plus profond d'elle et qui parcourt son corps en une
ondulation à peine perceptible, n'est-ce pas... Elle remue
légèrement les épaules, comme pour se débarrasser
d'un fardeau, se détourne, pose la joue sur sa main, lui dérobe
son visage et continue de rêver. Puis elle relève le bras et de la
main agrippe le drap en se mordant brusquement les lèvres». P.
18
Les personnages remettent en question l'harmonie de la vie
familiale et les liens prétendument puissants de la famille. Toute fois,
il convient de constater que Maïssa Bey évoque une situation d'exil
intérieur : rêves confisqués d'êtres hors normes.
«Maya » est une femme qui vit dans la solitude entre rêve et
quotidien, une solitude parfois lourde et difficile à supporter, car
elle n'a personne à qui se confier, seulement à sa propre
personne ; celle-ci devient sa confidente et son asile dans le quel elle peut
se réfugier et se dire, là où aucun étranger, aucun
homme ne vient troubler sa tranquillité, rompre son inspiration, ternir
les espérances qu'elle nourrit, aucune loi sociale ne vient la
persécuter ou encore s'ingérer dans son intimité pour la
gérer, contrôler sa liberté intérieure et la
contraindre à l'observer, là enfin où elle est
maîtresse et peut se livrer sans contrainte à ses rêveries
et ses réflexions. Sa solitude, voire sa vie intérieure, un monde
comme une forteresse impénétrable et imprenable, devient le lieu
où chacune, libre de ses agissements et souveraine de son
identité féminine, peut devenir femme dans tout son
éclat.
Contrairement à ce personnage « Maya »,
Maïssa Bey nous présente dans « En ce dernier matin
» une femme mourante. Seule face à la mort, elle se
remémore tous les moments malheureux de sa vie. Une vie pleine
d'insatisfaction, de contrainte, de souffrance et d'une révolte continue
de l'épouse trompée.
Ce couple, cette femme et son mari, se heurte à de
nombreux obstacles : absence de toute intimité, tendresse et amour, car
dans cette société si l'on se marie c'est bien pour engendrer des
enfants en vue de l'agrandissement de la famille.
« Elle a vingt ans. Elle ne s'en souvient pas. Ne
résonnent dans sa mémoire que les cris de l'enfant, son premier
fils, très vite arrivé. Trop vite ? Mais.... quelle importance?
Que pouvait-elle attendre d'autre».P.25
« C'est dans ce même lit que jeune
accouchée,.....elle a reçu les hommages de ceux et celles qui
venaient lui rendre visite chaque fois qu'elle donnait naissance à un
petit homme. Sept jours de gloire. Sept fils et trois filles. Tous vivants
» P. 29
Sous le regard des ses hommes, ses filles, ses soeurs, cette
mère quitte ce monde dans lequel les hommes faisaient comme si les
femmes n'existaient pas, occultant la présence féminine tout en
les reléguant afin de construire un monde selon leur propre mesure
masculine.
Installé devant ce corps inerte, Rachid scrute comme
pour la première fois le visage de sa mère, et dans l'amertume il
se demande si elle était heureuse dans sa vie. Une question dont il
connait déjà la réponse : « A-t-elle
été heureuse ? Il baisse la tête, se couvre le visage de
ses mains. Il connait la réponse »p.25
Cette femme est considérée comme mort vu qu'elle
n'a pas vécu pleinement l'amour, et n'a pas connu la tendresse. De plus,
elle ne sait pas ce qui se dissimule derrière le regard de cet homme qui
n'a jamais su lui dire l'amour qu'il peut éprouver pour elle :
« Oui, c'est comme si elle était morte depuis
longtemps. Depuis... depuis ... mais quelle importance ? Morte, elle
l'était déjà, depuis... depuis... puisqu'elle n'existait
pas dans les yeux de cet homme absent, toujours absent, même quand il
était près d'elle». P.29
L'écrivaine propose un schéma
complètement métamorphosé de la famille ordinaire. L'amour
et la fidélité se transforment en haine et trahison. Et
malgré tous les événements qui ont bouleversés la
vie de cette femme trompée, elle est restée toujours la
même, ses sentiments pour son mari n'ont pas changé.
« Lorsque l'opacité du silence s'installait
enfin avec la nuit, commençait l'attente de l'homme qui ne venait pas,
qui ne viendrait pas. L'homme qu'elle savait dans les bras d'une autre. Images
dures, précises qui s'imposaient à elle» P.27
Mais derrière cette apparence se cache un désir
profond. Celui de combler ce manque d'affection au-delà du foyer
conjugal. Cloitrée entre quatre murs, elle rêve d'un autre homme
avec qui elle peut retrouver l'amour et la tendresse : « Seul
surgit le regard d'un autre. Cet homme. Un ouvrier qui venait chaque jour faire
des travaux de plomberie ou de maçonnerie dans la maison en
construction, juste en face de la leur ».P30
Ce sont ces sentiments dissimulés et ces désirs
cachés au plus profond des femmes que Maïssa bey a tenté de
dévoiler avec un style simple et une écriture créative,
elle le dit lors d'un entretien:
« Au dernier matin de sa vie cette femme se souvient
que quelque chose a frémi en elle et qu'elle a pu peut-être passer
à côté. Il m'arrive en croisant de vieilles femmes de me
demander si elles ont eu des désirs ou si elles ont seulement
vécu ? Elles sont dans une telle relation au monde et à
elles-mêmes qu'on les suppose heureuses à l'abord, car elles ont
réussi leur vie sociale, elles ont eu des enfants, elles sont
mères respectées... mais l'écriture c'est aussi de savoir
gratter et lorsqu'on va au delà des apparences, au delà de cette
réalité donnée on découvre une autre
réalité »
Dans cet espace artificiellement
limité et qui rime si bien avec la séquestration traditionnelle
des femmes algériennes, la narratrice exerce non seulement
une méticuleuse introspection vécue comme un retour dans le
temps, mais elle s'imprègne inévitablement de l'histoire des
autres femmes pareillement enfermées.
Un récit
éclaté : Une structure fragmentée
Les textes de Maïssa Bey sont fortement centrés
sur la problématique féminine, ils sont marqués par une
écriture créative, sobre et aérée au rythme lent et
à la syntaxe raffinée. Une écriture qui hante la
réalité de surface - ce " matériau ordinaire " - qui la
marque au plus près, qui la restitue sans jamais tenter de s'y
substituer.
Même si son entrée en écriture fut
guidée par " l'urgence de porter la parole comme un flambeau contre la
menace de sa confiscation ", Maïssa Bey ne témoigne pas mais
crée, elle privilégie l'esthétique et l'exercice de style
à la reproduction. Elle cherche les mots justes pour exprimer des
situations où l'être accepte d'aller au plus périlleux de
lui-même. Maïssa Bey traque les non-dits et les contraint de faire
entendre le cri et apaiser la douleur.
Des ces premiers romans, Maïssa Bey montre le monde et
se manifeste contre les tabous, les compartimentages, les replis dans les
ghettos. L'écriture, pour elle, semble vouloir dire le monde, circuler
au-delà des barrières. Elle restitue dans son oeuvre les
éclats, les brisures, les violences et les beautés. Sous le
jasmin la nuit s'inscrit dans cette démarche toujours renouvelée
et si personnelle. Nous pouvons constater que nous nous trouvons face à
un recueil où l'auteur choisi de concevoir l'écriture que
comme le souffle de la liberté, un dépassement de soi et de ses
conditions d'existence. Mais ce n'est pas un objectif en soi. C'est par
l'écriture que les femmes peuvent lever la chape du déni qui
pèse sur l'individu - mais plus encore sur les femmes - en tant
qu'être autonome, symboliquement séparé de son groupe.
Ecrire permet d'arracher le droit d'être, simplement d'être. Ecrire
pour Maïssa bey c'est une existence et un espace de liberté :
« Je le répète souvent,
l'écriture est aujourd'hui mon seul espace de liberté, dans la
mesure où je suis venue à l'écriture poussée par le
désir de redevenir sujet, et pourquoi pas, de remettre en cause,
frontalement, toutes les visions d'un monde fait par et pour les hommes
essentiellement ». (Le Soir d'Algérie - 29 septembre
2005)7(*)
Elle ajoute que « C'est dans ce sens -
et pour pasticher une formule célèbre - qu'il m'est souvent
arrivé de proférer cette sentence : «
J'écris, donc je suis».
Elle justifie son existence par une écriture
créative et engagée contre le silence trop longtemps
imposé et qui continue d'être imposé aux femmes
Maïssa Bey rejoint Robbe-Grillet en brisant d'un
côté cette écriture traditionnelle et qui se veut
linéaire, chronologique et localisée. Elle adopte une
écriture qui multiplie et dédouble les espaces narratifs. Et d'un
autre côté, L'écrivaine emprunte à Brecht sa
manière de construire le récit : Elle met côte
à côte des tableaux relativement autonomes, mais visant le
même objectif, le même discours romanesque.
L'écriture et la structure, que nous étudions,
jouent incontestablement un rôle impératif dans la transmission du
message du texte littéraire, en l'occurrence « la
violence » qui est au coeur de notre étude. Pour Marc
Gontard :
« C'est l'écriture qui, dans ses formes
mêmes, prend en charge la violence à transmettre, à
susciter, à partager. C'est l'écriture qui, dans ses dispositifs
textuels se charge de la seule fonction subversive à laquelle elle
puisse prétendre. Car changer la société, c'est d'abord,
pour l'écrivain, changer la forme des discours qui la
constituent ».8(*)
Le changement de la société suppose un
changement dans la manière d'écrire et de voir les choses.
L'auteur a une mission surtout dans nos pays apparemment voues à toutes
les calamités : naturelles, politiques, économiques, etc...
Donc, il ya une fonction sociale de l'écrivain.
L'écrivain maghrébin écrit d'abord pour
son peuple. Il est la bouche de ceux qui n'ont point de bouche.
L'éclatement du tissu textuel et le morcellement du
récit nous invitent à percevoir un monde éclaté,
absurde, violent et pessimiste où chacun suit son destin, ou
plutôt décide de le subir ou de s'en échapper par l'action,
le rêve ou le suicide. Comme si accéder à la parole et
rendre compte de ce monde ne pouvait se faire qu'avec l'éclatement de la
parole. C'est une forme « d'écriture de la
colère ».
Le rythme, dans certains récits, est brisé.
L'auteur tente de donner des idées sur la réalité sociale
qui sous-tend de manière essentielle le livre. Selon Roland
Barthes :
« Le plaisir du texte s'accomplit [de la]
façon [la] plus profonde, lorsque le texte
« littéraire » transmigre dans notre vie, lorsqu'une
autre écriture parvient à écrire des fragments de notre
quotidienneté, bref, quand il se produit une co-existence».9(*)
Maïssa Bey a diversifié les procédés
de son écriture selon les besoins du public et de l'époque. Une
chose qui peut être aisément vérifiée à
travers les périodes plus ou moins distinctes qui ont marqué le
cheminement de son oeuvre. C'est ainsi que
l'écrivaine joue pleinement son rôle de médiateur et de
témoin.
Les différents récits reflètent
l'ambition de l'auteure de peindre des images, le plus fidèlement
possible, à travers le récit d'une réalité
réfractant les violences humaines et naturelles dans le même
tableau, réunissant des situations aussi différentes les unes des
autres, mais qui convergent cependant toutes vers une seule fin. La
difficulté de percevoir ces images prolonge ce sentiment constant de
malaise chez le lecteur, elle arrive à créer une ambiance
ambiguë et malsaine très dérangeante où les phrases
sont souvent chargées d'un sens caché.
Le texte propose une intrigue émiettée, chaque
récit perturbe le lecteur davantage en le laissant suspendu, sur sa
faim. L'auteure l'emporte d'un lieu à un autre, sans jamais satisfaire
sa curiosité, ni assouvir sa soif. Ainsi, le lecteur reste suspendu
entre les récits en tentant de retrouver le fil conducteur qui les relie
et de déceler un lien possible, sans y parvenir nécessairement.
D'ailleurs le rôle de l'écriture n'est plus de transmettre
un message, un sens plein, mais de faire comprendre que le texte est un objet
qui doit être déchiffré.
C'est de là que le livre détient sa force tout
en démontrant l'impuissance de toute parole face à un monde
absurde. Aussi la déconstruction des récits qui construit le
recueil de nouvelles réfléchit l'image de ces femmes qui sont
réunis dans un même monde, où la violence les solidarise.
Récit de femme
Par « Si, par une nuit d'été»
la légende est bien investie. Entre rêve et réalité,
L'écrivaine nous raconte l'histoire de sept jeunes filles qui
procèdent dans l'intimité à un jeu de confidence
appelé, en Algérie, « Boukalettes »10(*) . Ces jeunes filles,
agitées par un fort désir de vivre en transgressant les
règles imposées, trouvent une forme de liberté dans la
lecture et dans les sensations de liberté procurées par la nuit,
le ciel et la mer.
Cette nouvelle est écrite dans un langage proche de la
poésie, à la manière d'un conte qui pourrait très
bien faire partie du récit des Mille et Une Nuits. En prologue
se trouve la citation de Mahmoud Darwich11(*) «Voici ma langue, collier d'étoiles
aux cous de ceux que j'aime» qui est à interpréter dans
le contexte du langage comme don qui n'appartient à personne. Selon
l'auteur, toute parole ne peut être réellement restituée
que par le libre choix du don de cette parole, et non par une
réappropriation forcée.
Les sept jeunes filles se réveillent au milieu d'une
nuit d'été pour consulter les étoiles. C'est la voix de
Warda qui s'élève aussitôt, voix de poétesse et voix
porteuse de
la solidarité, en interpelant sa soeur cadette, Selma:
Veux-tu, dis, veux-tu que nous allions plus loin que les
rêves? Allons, avant l'ultime soupir de la nuit, allons ensemble
rejoindre l'aube avant que les regards des hommes n'en dissipent la
tendresse. P.62
Une à une, les soeurs se retrouvent à la
terrasse de leur maison, face à la mer, et le jeu des présages
commence. C'est Leïla, l'aînée et la responsable, qui
commence le jeu en appelant « les esprits de la nuit » pour
dévoiler ce qui est écrit pour la première soeur Aziza, la
réservée.
« O vous,
Esprits de la nuit
Dont les souffles raniment les braises
Qui rougeoient au coeur des ténèbres,
Saurez-vous d'un signe
Eclairer la voie
Et dévoiler ce qui est écrit pour
elle ? » p.63
En lisant le signe d'un avion qui passe dans le ciel, Leila
s'exclame: « Tu vas partir, oui, c'est ça, j'en suis
sûre, un jour tu traverseras les océans, tu t'en iras dans un
oiseau d'acier ».P.64
Pourtant, Warda, l'intelligente, ajoute:
Voici ce que dit le présage: celui qui viendra vers
toi t'emmènera loin, très loin de nous. Tu vivras dans des pays
où les hivers sont blancs et longs, très longs. Tu oublieras les
étés et la lumière jaillie d'entre les jasmins.
P.64
Après ce présage d'un « exil au
goût d'amertume » qui met la petite Aziza en larmes, c'est
Selma, la cadette, la soumise, la secrète, qui s'écrie tout de
suite pour la consoler:
N'écoute pas ce qu'elle dit! ...comme tout
poète elle a l'étrange et fascinante manie de se laisser emporter
trop facilement par la magie des mots, de les laisser s'écouler d'elle
sans jamais chercher à les retenir... P.64
C'est à Amina, la rebelle, d'affronter, à
présent, le destin. Aussitôt que Leïla consulte les
étoiles, une tempête s'élève; Amina l'affronte
courageusement en se mettant à danser jusqu'à ce que la
tempête se calme et ne laisse plus place «qu'au feu qui brûle
en elle». Ensuite, vient le tour de Selma, qui, en voyant une
étoile filante, fait le voeu de partir en disant: « je veux ...
je veux moi aussi m'en aller, aller à la découverte d'autres
mondes où je pourrais enfin laisser libre cours aux envies innombrables
qui m'emplissent en vain de leur tumulte» P.66
Mais elle se reprend tout de suite pour dire: «Non,
non, être aimée de tous. Simplement. C'est là mon
voeu» P.67
Après Naima, la délicate, c'est à Warda
d'affronter son destin, mais elle ne veut pas participer au jeu. Sa voix prend
les résonnances de la voix de l'auteur, lorsqu'elle affirme devant ses
soeurs:
Je passe mon tour. Moi qui n'attend personne et que
personne attend, je sais où trouver les clés... il est d'autres
signes, essentiels à ma vie, des signes qui m'ont ouvert, et
continueront longtemps je l'espère, de m'ouvrir tous les chemins. C'est
grâce à eux seuls que je suis vivante, que j'avance la tête
haute et que je peux oublier ou combler les défaillances de la nature.
Sais-tu que quand je lis, quand j'écris, quand je laisse venir à
moi les mots, tout ce qui m'entoure disparaît? P.68.
C'est, enfin, le destin d'Assia, la soeur fière, qui
est révélé à la fin; pour elle, ce n'est pas une
surprise - c'est la relation amoureuse avec un garçon du lycée
que se trace son futur certain.
En choisissant la forme littéraire
caractéristique de la littérature arabe et qui est celle de la
nouvelle, Maïssa Bey crée, une poétique qui prend ses
racines littéraires dans la culture arabe et veut redonner la parole des
femmes algériennes en utilisant un langage allégorique proche de
la poésie et du conte de leur culture.
Ainsi, dans cette nouvelle « Si, par une nuit
d'été », comme dans « nuit et silence»,
Maïssa Bey ne cesse de montrer le rôle de la fille ainée dans
la famille algérienne, celui de seconder la mère souvent trop
occupée :
« Avant même qu'elle ait fini de prononcer les
derniers mots de l'incantation, un pleur d'enfant transperce le silence de la
nuit. Toutes l'entendent très nettement. Sans surprise. Leïla n'est
pas seulement la soeur aînée, elle est aussi celle qui a
très vite et très souvent secondé, sinon remplacé,
la mère trop occupée pour leur donner les soins dont elles
avaient besoin pour grandir. Personne ne sait mieux qu'elle consoler,
écouter... » P.69
On peut ajouter que les filles citées par notre
écrivaine portent des prénoms de fleurs « Warda », des
prénoms de printemps ou d'espace «Assia » pour transcender la
souffrance et l'exclusion12(*)
L'écrivaine réussit à s'introduire avec
délicatesse et force dans l'univers des femmes, le sien aussi. Un
univers qui occupe toute son écriture et son espace d'expression et se
traduit différemment, mais avec la même rage de dire, d'offrir une
tribune aux femmes pour dire leur vécu, leur quotidien et de chanter
leur espoir.
Encore une fois, dans « Sur une virgule »
nous assistons à un aller-retour entre deux temps et un espace unique
(la ville d'Alger). Ce jeu avec les instances spatio-temporelles est
présent dans d'autres romans de l'auteur, notamment « Entendez
vous dans les montagnes...»13(*), où passé et présent
alternent. Nous aurons ainsi affaire à deux temporalités,
d'où l'usage de temps grammaticaux du présent et du passé.
L'auteur qui met en opposition deux temporalités fait
dire à ses personnages que les choses ont changé vu le changement
des deux sociétés : Une société française
dans laquelle la femme jouit pleinement de sa liberté, et une
société algérienne bardées par des interdits et
gérée par les lois et les traditions arabo-musulmanes qui
empêchent et décrète comme illicite toute rencontre entre
femme et homme loin d'une union légale.
La narratrice, une jeune mariée, éprouve le
désir de s'identifier à «Marie » une jeune fille
française vivait en Algérie avant l'indépendance: «
Pour moi Marie à dix-huit ans. Mon âge. Et c'est à moi
qu'elle ressemble» P.75
« Mais il arrive parfois que dans un geste gracieux,
elle fasse voler autour d'elle une longue chevelure sombre et brillante, en
tout points semblable à la mienne » P.74
En lisant les notes de Marie, la jeune fille cherche l'amour,
la tendresse ainsi que sa liberté. Tout comme Marie, son quotidien est
dur dans une Algérie marquée par les attentats, les
enlèvements :
« Quand je sors pour faire des courses, il m'arrive
de faire un détour, sans le dire à ma mère qui ne parle
que des récents enlèvements de jeunes filles. Je me contente de
franchir les grilles et de faire quelques pas dans l'allée central du
jardin... le temps d'imaginer le bras d'un garçon autour de ma taille,
son visage penché sur moi, une mèche rebelle retombant sur ses
yeux et les mots qu'il pourrait me dire». P.78
Maïssa Bey retrace une période bien précise
de notre histoire « La veille de l'indépendance» elle puise
des dates mentionnées sur le cahier de Marie pour nous donner une
brève idée sur ce qui se passait pendant les dernier jours de
l'occupation française: Attentas, tortures, des bombes qui explosent
jours et nuits. Face à tout cela, elle cherche le souffle d'amour:
« Je donnerais ma vie entière pour que résonne en moi
quelques instants seulement le même chant d'amour» P.85
Il est évident que la plupart des femmes ont appris
dans la famille à tirer un apprentissage de chacune des
difficultés et de chacun des problèmes, que leurs
expériences personnelles ont été la meilleure école
de formation. Maïssa Bey n'hésite pas à nous donner une
idée sur la manière dont une fille peut user pour déjouer
les obstacles de l'autorité matriarcale afin qu'elle jouisse de sa
liberté. C'est dans leur nature comme l'a déjà
monté dans « Improvisation » : « J'ai toujours
joué de la comédie. Sans arrêt, comme toutes les femmes.
Depuis toute petite.... bien obligée».P.50
Une parole
révoltée
Dans la courte nouvelle intitulée
« Nonpourquoiparceque »,
l'emploi de l'innovation linguistique et l'utilisation de
l'énoncé réflexif 14(*) semblent remplacer, de plus en plus, la transparence
qui est caractéristique du classicisme de style des premiers textes de
Maïssa Bey. Pour employer un autre concept théorique dans le
domaine de la poétique qu'introduit Todorov, à «la
parole-action» qui couvre l'aspect performatif du discours, s'ajoute la
«parole-récit» qui a pour objet le discours
même.15(*)
Cette nouvelle est une révolte contre la tyrannie du
langage perpétuée dans les valeurs patriarcales de la
société algérienne actuelle. Cette nouvelle est aussi
une analyse lucide, au ton tranchant, de la rhétorique que le
pouvoir algérien utilise, afin de tenir les femmes en état de
soumission. La perte de la cause ou du sens et d'un discours fondé sur
des valeurs démocratiques et égalitaires, y est illustrée
par le dialogue en tête du texte, où la question
«pourquoi» génère la réponse inconditionnelle
«parce que», sans aucune explication. L'angoisse que ces
réponses répétées engendrent, avec le temps, est
celle de la narratrice qui réagit de cette manière devant la
parole répressive. On peut dire que cette surconscience du pouvoir de la
parole et du caractère presque magique des mots est une
caractéristique de l'univers de cet auteur et revient sans cesse dans ce
qu'elle dit ou écrit:
Derrière ou devant le «parce que», un
gouffre. Ou une montagne couronnée de pics tranchants. Alors je me
cogne, je m'enfonce...Chaque nuit, au moment où je ferme les yeux,
toutes les lettres du NONPOURQUIPARCEQUE se tiennent la main, se
déploient, se déforment, s'allongent démesurément,
et forment une chaîne pendant que je cours de l'une à l'autre,
tentant de passer sous la barre du A ou de sauter entre les deux jambes
renversées des U ». Pp. 89-90.
Derrière ces paroles, on peut percevoir l'angoisse de
l'auteur provoquée par la perte de son père, torturé
pendant la guerre d'Algérie par le pouvoir répressif
français, dans des circonstances qu'elle n'a jamais pu reconstituer pas
plus qu'elle n'a pu se confronter à ceux qui ont perpétué
l'acte. 16(*)
L'auteur énumère, ensuite, des dialogues, des
exemples de la vie quotidienne où la jeune fille, puis, plus tard, la
femme, doit apprendre à utiliser les mots, «s'arranger avec la
vérité... à pas feutrés, enrobés de
mensonges», pour pouvoir obtenir ce qu'elle veut. En effet, la
rhétorique du langage du pouvoir permettant la répression des
femmes
par la parole est rendu dans le passage suivant:
Parce que: conjonction de subordination. Suivie, dans les
conditions normales, d'une phrase qu'on appelle...proposition
subordonnée de cause. Mais chez nous les causes sont tellement
indiscutables que les propositions sont supprimées, d'office. On ne
fonctionne plus que par ellipses ». P. 90
Quelquefois, on réussit à obtenir une
explication, nous dit la narratrice, qui s'exclame sur un ton sarcastique:
« Ouf! J'ai eu droit à une phrase normalement
constituée sur le plan grammatical. » P. 92
La liberté est, ainsi, une chose que l'on donne
conditionnellement à la femme algérienne, elle est
«étroitement surveillée».
En essayant de comprendre les raisons de ces actes de
représailles admis par sa société, la narratrice finit par
conclure: « peut-être a-t-on peur de moi? Que les dangers
pourraient venir de moi? Que toutes les envies, ces élans, ce besoin de
lumière et d'espace... ». P. 93
La femme qui ne se révolte pas, et s'accommode de la
réalité en balayant de son dictionnaire « les mots
révolte, insoumission, expression, affirmation, rêves,
idéal », sera envahie par les sentiments de désespoir,
d'impuissance, et de colère rentrée:
Le mur est là, devant soi, raide, compact, d'une
hauteur infranchissable et les gouffres sont encore plus sombres, plus
profonds, ils grouillent de mots qu'on y a laissé tomber jour
après jour, qui parfois s'accrochent et rampent le long des parois pour
essayer de revenir à la surface mais qui sont découragés
par les abrupts. Il ne reste que l'illusion du langage. Qui dit tout, sauf
l'essentiel. P.95
Dans la société arabo-musulmane, les filles sont
mal traitées et cela dès la nuit des temps. Elles
représentent un lourd fardeau pour toute la famille : un
déshonneur. Mais l'Islam vint pour corriger ces idées
arriérées et donner à la femme sa liberté. Les
valeurs sociales changent avec le temps et cette religion est vidée de
son contenu mystique et extatique pour être réduite à une
série de pratiques dogmatiques essentiellement fondés sur la
demande, et jamais sur le don de soi. La femme est de nouveau
méprisée par l'homme qui l'a entourée d'interdits. C'est
ainsi que le mensonge est devenu leur seule délivrance.
C'est ainsi qu'avec un discours simple, limpide et des phrases
parfois non achevées, que l'écrivaine peint l'intelligence de la
femme qui, pour avoir plus de liberté, ment: « Tours et
détours. C'est ainsi que peu à peu se sont
décomposés les NONPOURQUOIPARCEQUE et que je suis devenue
spécialiste des dissimulations. Des contournements » P. 94
Un interdit
Mais l'écrivaine ne conte pas seulement les
bouleversantes histoires d'amour des femmes mais aussi leur dur quotidien
traversé de souffrance et d'amertume. Ainsi «En tout bien tout
honneur » raconte l'histoire d'un couple: leur relation est
vouée à l'échec. La famille peut parfois se heurter
à de nombreux obstacles. La polygamie est un de ces obstacles à
la vie du couple.
Dans la pluparts de ses écrits, et dans un style sobre,
confirmé à chaque fois un peu plus, Maïssa Bey aborde, comme
on l'a déjà cité, le viol, l'enlèvement, la
polygamie, l'autorité masculine, la marginalisation, ...tous ces tabous
qui tiennent en otage la femme: « J'ai pensé à une
statue, une statue de pierre, et brusquement j'ai compris. C'est ça, me
disais-je, je suis pétrifiée » P.35
Cette femme était paralysée, immobilisée,
stupéfiée par la décision prise par son mari qui faisait
comme si c'est elle qui l'a poussé à se remarier. Elle n'est pas
perçue comme une victime, au contraire, elle est responsable de cet acte
:
« C'était-il fait conseiller par ses nouveaux
maitres, ceux qui connaissent la Loi comme il aimait à le
répéter, et qui savaient qu'il fallait rejeter toutes les
responsabilités sur moi et mes semblables, comme on se débarrasse
d'un morceau d'ordure? Bien sûr, c'est une stratégie
imparable, éprouvée» P.38
Mais l'écrivaine dénonce cette conduite qui
permet aux hommes de reléguer les femmes pour construire un monde selon
leur propre mesure masculine, c'est-à-dire un univers mutilé de
la présence de la femme dans leur vie. Ils leur proposent une
liberté apparente : « Je t'avais laissé le choix!
Et bien mieux encore il avait ajouté : c'est ce que tu
voulais». P.37
Maïssa Bey utilise ce qu'on appelle «la
transposition » ou « le retard » de l'exposition cité par
Raphaël Baroni :
« Cette transposition de l'exposition
représente un cas particulier de déformation temporelle dans le
déroulement de la fable. [...] Ce retard de l'exposition peut se
prolonger jusqu'à la fin de l'exposé: tout au long du
récit le lecteur est maintenu dans l'ignorance de certains
détails, nécessaires à la compréhension de l'action
[...] Cette circonstance ignorée nous est communiquée dans le
dénouement. Le dénouement qui inclut des éléments
de l'exposition et qui est comme l'éclairage en retour de toutes les
péripéties connues depuis l'exposé
précédent, s'appelle dénouement régressif.
(Tomachevski 1965: 275-276)17(*).
Cette transposition consiste à introduire des
ressources de secrets qui mettent l'accent sur les moyens textuels contribuant
à tenir en haleine le lecteur et éveille sa curiosité. Le
retard d'exposition est clairement exploité dans ce récit. Le
lecteur éprouve ainsi une curiosité de connaitre les
détails qui suivent cette expression utilisé dans l'incipit par
la narratrice : « Il m'a dit, à partir de maintenant tu
dois apprendre à vivre avec ça » P.33
Ce détail n'est expliqué qu'à la
dixième page de cette nouvelle:
« Il avait un autre chemin à parcourir, un
chemin très étroit, celui que traçait pour moi cet homme.
Et tant qu'il n'avait pas prononcé la formule magique de
répudiation, celle qui a le pouvoir de ravager toute une vie, et bien
plus, deux vies dans ce cas précis... » P.42
Ce retard produit le désir de lire et retient le
lecteur à sa lecture, tout en lui permettant d'émettre des
hypothèses qui pourront être textuellement vérifiées
ou infirmées. Maïssa Bey évoque deux thèmes qui ont
perturbé la vie d'une famille ordinaire : le divorce et la polygamie :
« Avec mon statut de première épouse,
déjà mère, je me voyais régner sur toi et
sur toutes celles qui pourraient se succéder ici »P.43
L'écrivaine ordonne et restitue à des portraits
de femmes, par la pointe de sa plume, la légitimité, la
tendresse, mais surtout cette souffrance qui apparaît toujours en
filigrane. Cependant, ces aspects, qui ont toujours été
maîtrisés, avaient quand même quelques éclats de
lumière qui rayonnaient tel l'éternel espoir que rien
finalement n'est jamais perdu malgré la gravité des situations.
La femme algérienne est au coeur d'un conflit
interminable, toujours sous la domination de l'homme. Celui-ci, le
suprême décideur du sort de sa soeur, de son épouse et de
sa mère fait de l'ombre. Il est l'opposant. Celui qui freine la
liberté ou la personnalité de la femme dans sa quête d'une
authentique personnalisation par le « je».
La plénitude jamais atteinte, Maïssa Bey, comme
d'autres romancières suppriment donc symboliquement l'homme:
« Et alors, à cet instant, que fait
l'héroïne? Elle tend la main, il a le dos tourné, il ne peut
pas voir ce qui se passe derrière lui, elle saisit le couteau. Il est
maintenant dans le couloir, elle le suit, pas trop près, en essayant de
faire le moins de bruit possible ; l'obscurité du couloir, la folie que
peut engendrer le désespoir [...] tout semble la pousser à
accomplir le geste fatal...et elle lève la main. (PP 38/39)
Conclusion
Le discours sur la femme est un axe central dans les
récits de Maïssa Bey. Le nombre de personnages féminins qui
les peuple est important. Elle n'incarne pas la place d'un actant /
héroïne mais beaucoup plus, celle d'une victime face à ses
multiples bourreaux. Oppression et tyrannie se liguent pour en faire un
personnage éternellement sacrifié et banni. Elles sont l'objet de
toutes sortes de violences. Les récits qui leur sont
réservés en donnent l'image suivante : elles sont violées
et brutalisées, dominées et battues, opprimées et
soumises, persécutées et discréditées,
méprisées, séduites et abandonnées.
C'est un être qui apparaît ou se situe dans la
catégorie de la marginalité de ceux qui vivent au rancart de la
société. Elles subissent toutes les violences physiques et entre
autres le viol.
Un désir :
Yasmina Khadra, Dib, Assia Djebar et d'autres écrivains
ont dénoncé «le terrorisme », ce mot
d'actualité, qui fait partie désormais de notre langage
quotidien. Un phénomène qui a connu son paroxysme en
Algérie où plusieurs de noms ont été
emportés par la folie meurtrière des intégristes. Il ne
suffirait pas d'y habiter pour pouvoir en parler et juger.
Au début de la décennie 1990, Maïssa Bey a
assisté aussi au développement et à la propagation rapide
de l'idéologie islamiste. C'est un autre moment tragique de l'Histoire
d'Algérie. L'Algérie retombe dans d'autres formes de violence qui
conduisent à des confrontations sanglantes quarante ans presque
après son indépendance. Ces événements ont
bouleversé la vie de tous les algériens et bousculent leur
perception du monde. Ce peuple fait sa mue : ce ne sont plus les
Français, désormais partis, qui sont les étrangers pour
ceux qui ont connu la guerre d'indépendance, mais leur descendance.
Ces événements tragiques, qui ont secoué
le pays depuis le début de la décennie écoulée, ont
suscité une nouvelle littérature algérienne
qualifiée de « littérature de l'urgence ». Cette
littérature est un témoignage sur un moment brûlant de la
conjoncture historique en Algérie : Pour Maïssa Bey, écrire
dans une situation d'urgence est un acte d'engagement et de dévoilement
d'une réalité explosive avec des « mots » disant le
refus de toute complicité confortable ou subornation : «(...)
La force des mots montre l'urgence de dire l'indicible, de chercher le pourquoi
de cette folie qui ravage l'Algérie. De refuser le silence et la peur
trop longtemps imposés. »18(*)
Dans cette nouvelle « Nuit et silence »,
comme dans nouvelles d'Algérie, Maïssa Bey décrit et
dévoile à nouveau le viol, les actes terroristes, et ce qu'il en
résulte comme dégâts matériels et humains. Ce
thème était déjà abordé dans ses
écrits: « Bleu,
blanc, vert ».19(*) et dans corps indicible parue dans les
nouvelles Nouvelles d'Algérie
Il est à noter que Maïssa Bey a consacré
toute son écriture à toutes les femmes de son pays que l'on veut
réduire au silence, Elle évoque, d'une voix personnelle
puissante, le caractère double du langage en tant que discours de
pouvoir et arme dans une société qui veut confisquer la parole
féminine :
Ils dansent autour de moi une ronde
infernale, tous ces noms que mon dictionnaire qualifie de communs: carnage,
massacre, tuerie, boucherie, auxquels, comme pour creuser encore plus profond
dans nos plaies, viennent s'accoler les adjectifs: effroyable, terrible,
horrible, insoutenable, inhumain, et bien d'autres...Il ne suffit pas d'effacer
les mots pour faire disparaitre ce qui est.
Je les recueille [ces mots-sangues], je les fais miens, je
les égrène, le matin, avant de sortir de chez moi, comme d'autres
égrènent un chapelet avant de s'abîmer dans la
prières....Je tresse avec ces mots des colliers de fleurs que je passe
à mon cou les jours où j'ai trop mal, les jours où
déborde la souffrance.20(*)
L'urgence qu'il y a à « porter la
parole » dans la société algérienne
postcoloniale, tient, dans les textes de Maïssa Bey, une place
primordiale. Il s'agit, d'exprimer, par le langage, une réalité
qui est indicible, ou de trouver « les mots pour le dire ».
Ainsi, dans la Préface des Nouvelles
d'Algérie, l'auteur écrit:
Pour pouvoir écrire ce livre, il m'a fallu un jour
regarder en face ce que jusqu'alors je n'avais pu imaginer, non, pas même
imaginer, sans peur et sans souffrance. J'ai dû alors lutter contre la
tentation du silence... essayer de la [la peur] faire plier sous le poids des
mots. Expérience difficile s'il en est, que celle de trouver les mots
pour dire l'indicible...21(*)
Il est intéressant de remarquer ici que «l'urgence
de dire» une réalité trop terrible pour pouvoir être
exprimée par le langage, semble remplacer, chez un nombre d'auteurs de
la génération des années 90, les questionnements
identitaires des auteurs bilingues de la première
génération qui sont le résultat du conflit de l'univers
symbolique de la langue maternelle et de la langue française qu'ils
utilisent comme langue d'écriture.
La nouvelle « Nuit et silence »,
est l'histoire d'une jeune fille de quinze ans qui a subi l'expérience
du viol, et qui a été témoin du meurtre de ses parents et
ses frères. Les circonstances de l'évènement
raconté par la jeune fille donnent au texte un caractère
universel. Le style est, comme c'est toujours le cas chez Bey, concis, la
phrase est courte, le message est factuel, transparent.
Ce style classique qui caractérise le langage
poétique de Bey, dominé par ce qu'on peut appeler, le principe de
la constance, alterne avec un style elliptique de la phrase
éclatée et de la rupture de l'ordre de la syntaxe, où
l'omission du sujet grammatical ou de l'article défini sont
fréquents. Une pareille écriture génère la
décomposition, la fracture du moi, accompagnée par un
effondrement de l'univers symbolique du sujet semblable à celui qui
domine dans le langage psychotique. On assiste à un vacillement au
niveau du langage et au niveau de l'univers intérieur du sujet qui se
retrouve au bord de la folie. On peut dire que la tentative de la narratrice de
«s'affranchir du verbe» et de retrouver le monde de la constance,
n'est autre que le désir de la réappropriation de la parole
perdue. Le désir de dire de la jeune fille est accompagné du
désir de nommer, parler, pour guérir, suite à
l'expérience de la perte dans un monde injure.
Pourtant, le réel exerce un pouvoir tellement fort sur
la narratrice que les seuls mots qu'elle peut encore prononcer et penser sont
les mots «inoffensifs» de son enfance:
Je lui ai raconté l'histoire de mon arbre, celui
que ma grande mère avait planté le jour de ma naissance. C'est un
figuier qui a grandi en même temps que moi. Cela faisait seulement trois
étés qu'il donnait des fruits». P. 114
Ainsi, dans cette nouvelle « Nuit et
silence », la narratrice ne fait qu'évoquer, au cours de la
narration, un attentat dans un style simple, et sans user d'effets stylistique
ou esthétiques particuliers. Elle s'intéresse plus à ce
qu'il y a après l'attentat, aux gens et femmes qui en souffrent. Comme
les événements sont bien connus de tout le monde, les
décrire d'une façon minutieuse n'avancerait à rien.
Derrière ces événements non
historicisés, mais beaucoup d'indices les spatialisent
concrètement, l'auteur veut dépasser la question
algérienne pour s'interroger sur cette envie de l'homme à
chercher sa liberté physique et morale après un malheur
vécu. Il y a tout un jeu avec le temps et avec l'espace rendant ces
instances hybrides, c'est-à-dire trop flasques, l'actualité
transporte le lecteur vers le mythe. Ainsi, l'auteur fait connaître les
conditions dans lesquelles vivent les Algériens, victimes ou «
spectateurs » de cette violence. Mais cette réalité
dépasse le lieu géographique et va creuser des sillons dans
l'Histoire, la mémoire, le sacré et les écritures.
« Nuit et silence » est une triste
histoire, celle d'une jeune fille qui ne perd pas l'espoir de retrouver un jour
sa liberté même si celle-ci ne se rencontre parfois que par la
mort : « On attend seulement la vraie mort. La fin de tout. La
délivrance » P.110.
L'auteur cherche, à travers ce récit à
dévoiler l'inhumanité de l'homme trop prisonnier de
vérités désuètes et de mythes cruels. La nouvelle
« Nuit et silence » traite le problème du terrorisme.
Des passages de ce récit présentent une violence exercée
contre des gens de tout âge ; surtout des femmes. La description faite
par la narratrice est plus réaliste car il ne s'agit pas d'un
rêve. Maïssa Bey rapporte par le biais de cette nouvelle des faits
réels, vécus par tous les algériens.
D'une nouvelle à une autre, on assiste à un
changement de perspectives. L'auteur nous fait voyager dans une Algérie
où rêve et quotidien se mêle. Elle nous promène dans
un pays qui débat sans fin dans les contradictions, celles qui entravent
les femmes.
L'écrivaine dénonce l'acte terroriste qui a
ravagé tant de vies innocentes et qui a fait plonger l'Algérie
dans l'ombre de la déraison et la désillusion. Elle se retrouve
bien impliqué dans la narration : l'emploi du «Je » narrateur.
Pour elle, dire « je » est une façon de se couler dans le plus
intime de l'être et par-là même d'aller au plus
profond22(*). Certes, il
est parfois difficile de se dissocier des personnages que l'on crée.
Elle leur donne une vie esthétique propre et intangible. Son existence
se perd dans ces personnages :
« La personnalité de l'artiste, traduite
d'abord par un cri, une cadence, une impression, puis par un récit
fluide et superficiel, se subtilise enfin jusqu'à perdre son existence
et, pour ainsi dire, s'impersonnalise »23(*).
Beaucoup de femmes comme Assia Djebar, Aïcha Lemsine,
Beyda Bachir ou Safia Ketou écrivent sous un pseudonyme, ce choix d'un
pseudonyme peut se traduire par une sorte de «voile». Elles se
dissimulent selon une stratégie: ne pas gêner la famille ou le
mari. Mais pour Maïssa Bey, c'est plutôt une question de vie. Elle
était menacée. A l'époque où elle a commencé
à se faire publier (les années 1990), c'était comme elle
le dit, écrire sous son nom et partir ou choisir l'anonymat et
rester24(*). Il n'y avait
pas d'alternative, c'était une question de vie ou de mort. Donc le choix
n'y était pas et c'était cela qui lui avait motivé en
premier pour l'option du pseudonyme:
« Je n'ai pas eu vraiment le choix. J'ai
commencé à être publiée au moment où l'on
voulait faire taire toutes les voix qui s'élevaient pour dire non
à la régression, pour dénoncer les dérives
dramatiques auxquelles nous assistions quotidiennement et que nous
étions censés subir en silence... dans le meilleur des cas
»25(*).
Par le biais de la voix de ses personnages, Maïssa Bey ne
veut à aucun moment dissimuler sa position idéologique.
La nouvelle « Nuit et silence »
décrit une jeune adolescente enceinte « quinze ans»
p.110, gisant sur un lit dans un hôpital à Alger : « On
va t'emmener dans un centre à Alger» P.105
Au fur et à mesure que le récit progresse, on
saura que cette jeune fille fut enlevée lors d'un massacre dans un douar
par des terroristes qui voulaient se venger de la trahison de son frère
: « La nuit où il sont venus au douar pour se venger de la
trahison de mon frère, il faisait très chaud » P 109
Sachant qu'elle porte le fruit d'une faute qu'elle n'a pas
commise, la narratrice voulait se suicider pour retrouver sa pureté
puisqu'elle était déshonorée:
« Je voudrais mourir. Qui voudra de moi maintenant
? J'ai déshonorée la famille» p.108
« Je ne vais plus manger. Comme ça cette chose
dans mon ventre ne pourra pas se nourrir (...) m'aidera à mourir pour
retrouver ma pureté» P.111
Le dialogue entretenu entre une femme terroriste et la
narratrice qui voulait connaitre les motifs de ces tueries révèle
les motivations des groupes terroristes qui justifient leurs crimes par le
recours au sacré. Cette femme se met à parler à la place
des autres pour donner raison à leurs actes en donnant des exemples :
« Quand il ya des cafards dans une maison, si on veut s'en
débarrasser, il faut les tuer tous! Les exterminer ! Si non ils
prolifèrent à nouveau » P.106
Pour eux, tuer des innocents, des enfants, c'était pour
les sauver et les empêcher de devenir des mécréants comme
leurs parents. Tuer des femmes adultes c'est les purifier. Ces criminels
veulent mettre le pays en coupe réglée au nom d'un islam
dénaturé par le vol, le viol et la violence Dans l'incipit de
«Nuit et silence », L'écrivaine utilise ce qu'on
appelle « le topos de la lumière»26(*) ce qui assure une «
rhétorique du dévoilement » qui fait passer de l'inconnu au
connu. Les Personnages de ce récit progressent dans l'action. La
narratrice n'est ni omnisciente, ni omnipotente. Son ignorance s'assimile
à celle de tous ces Algériens/spectateurs. Elle ne sait pas plus
que les autres personnages.
D'un autre côté, l'auteur ne nous fait part que
des sentiments de la jeune fille par le biais de monologues : des souvenirs de
morts (sa famille, les femmes torturées), des remords et des regrets. Le
fait qu'elle fut obligée d'accomplir ce qu'elle a accomplie pour rester
en vie, ne la laisse pas insensible. Le discours réaliste devient
porteur d'un témoignage et de l'affirmation de la parole de l'auteur.
Ainsi, Maïssa Bey, à travers le discours de cette femme
enlevée, violée et condamnée à vivre d'horribles
expériences et dans le déshonneur, prend position contre ces
« détenteurs » de « vérités uniques ».
Elle réclame la liberté, la paix et réprouve si durement
ceux qui exercent cette violence.
Les passages relatifs aux massacres ne sont qu'une vue
fragmentaire, que quelques souvenirs qui ont ressurgis de la mémoire de
cette jeune fille et qui lui ont donné la force vaincre cette peur. Elle
parle pour dire. Sa parole est porteuse, elle va au delà de
l'événement immédiat: dénoncer le terrorisme.
Effectivement, les images que la jeune femme revoyait, les
scènes d'horreur qu'elle se rappelait, comme celles où, elle et
d'autres filles enlevées, avaient été torturées,
violées ; étaient des images choquantes qui ne faisaient à
chaque fois que de lui procurer plus de haine et de courage :
« Je ne veux pas de cet être qui bouge en moi.
Je ne pourrai pas donner le jour à un être qui pourrait leur
ressembler... à le laisser grandir pour haïr, tuer ou se faire
tuer» Pp.108/109
« ... je lui tenais la jambe pour l'empêcher de
s'approcher de Ali. Je me traînais par terre» P.106
Des images qui témoignent d'une violence atroce au
point où l'auteur ne peut plus en rajouter avec son style, elle
n'utilise même pas le mot « terrorisme » ou « terroriste
» dans ce récit. Elle apporte des témoignages d'une
précision cynique pour provoquer l'indignation du lecteur, sur la
barbarie insoutenable des terroristes. Les mots sont simples et les phrases
plus qu'expressives.
Face à cette violence qui ne cesse de croître,
l'auteur revendique le droit à la liberté, la
nécessité de préserver la dignité qui sont les
pôles moraux indispensables à tout homme. Ces femmes se battent
pour la procurer : « Je n'ai plus pensé à elle depuis le
jour où je me suis enfuie» P.101
« Elle a fini par leur échapper, cette nuit.
En silence. Dieu ! Leur fureur quand ils ont découvert au petit matin
son corps qui se balançait à quelque centimètres à
peine au-dessus du sol...elle leur à échapper»
Pp.101/102
Le droit à l'éducation est souligné ici,
Maïssa voulait mettre l'accent sur ce point qui a souvent
Bouleversé la vie des jeunes filles vivant dans une
société dont laquelle elles sont perçues comme un
déshonneur, des êtres impurs. Ces filles sont victimes des valeurs
sociales et des traditions archaïques. Elles sont obligées de
quitter les rangs des classes pour aider leurs mères : «
d'ailleurs, beaucoup parlaient en français. Et moi, à
l'école, je n'ai pas eu le temps d'apprendre le français. Mon
père m'a fait quitter l'école à neuf ans pour aider ma
mère » P.104
Aussi parce qu'elles représentent pour leurs familles
un lourd fardeau qui ne se dissipe que le jour de leurs mariages. Cette
idée est installée même chez ces filles-là :
« Je porte encore un fardeau » P.100
« Si mon père et mes frères
étaient encore en vie, ils m'auraient tuée. Pour ne pas avoir
affronté le déshonneur. Et je les aurais laissés faire
...J'ai déshonoré la famille» P.108
Quand le silence fait la loi, il serait difficile de le
briser, difficile de rompre une tradition Longtemps séculaire qui s'est
imposée dans la vie d'une femme. Celle-ci malgré les violences
qu'elle subit, les oppressions et les humiliations, ne peut dire son
malheur; sa révolte qui bout en elle, bref sa souffrance incandescente
qui brûle au plus profond d'elle-même. Elever la voix est un acte
proscrit. Aussi qui mieux qu'une femme peut ressentir cette
déchirure.
Conclusion
Il est intéressant de remarquer ici que «l'urgence
de dire» une réalité trop terrible pour pouvoir être
exprimée par le langage, semble remplacer, chez un nombre d'auteurs de
la génération des années 90, les questionnements
identitaires des auteurs bilingues de la première
génération qui sont le résultat du conflit de l'univers
symbolique de la langue maternelle et de la langue française qu'ils
utilisent comme langue d'écriture.
L'urgence qu'il y a à restaurer la parole perdue
individuelle et collective des femmes algériennes, constitue l'autre
versant de la poétique de Maïssa Bey qui, fille d'un instituteur
qu'elle a perdue très jeune pendant la guerre d'Algérie, a fait
l'expérience de tous les dangers auxquels la femme algérienne est
exposée dans la société arabo-musulmane lorsqu'elle
s'associe au pouvoir de l'écriture, de la lecture et du savoir. Elle
explique: « Et puis, il a fallu qu'un jour, je ressente l'urgence
de dire, de porter la parole, comme on pourrait porter un
flambeau ».27(*) Elle ne nie pas le caractère sociologique de
ces textes que de nombreux critiques soulignent, mais elle précise:
Et plus la pression de la société est forte,
plus l'oppression des personnages par cette société est grande,
plus elle envahit l'oeuvre, au risque même de paraitre
délibérée. C'est cela la réalité
algérienne aujourd'hui.28(*)
L'altérité
Il est évident que le regard qu'on porte sur
«l'autre», et vice versa, mène à des
carrefours problématiques. En regardant « l'autre», en
parlant de « l'autre« et en écrivant sur «
l'autre», une image est véhiculée qui renseigne sur
le « je » qui regarde ou qui écrit. Cette image qu'on
se fait de l'autre peut être en fait, d'une part, une négation de
« l'autre» et d'autre part, un prolongement du «je
» et de son espace référentiel :
« Tiens, chez nous on dit : être frappé
par le vent. C'est pas mal comme expression non? [...] je ne suis pas d'ici.
Enfin, je ne suis pas née ici. .. J'espère que cela n'aura aucune
incidence sur la suite des événements [...] Je ne suis
pas née de ce côté de la Méditerranée. Et ma
mère non plus. Pas plus que mon père » P.49
La narratrice expose le désir de s'intégrer, de
ne faire qu'un avec «l'autre» et la nécessité
de tenir à ses racines. Elle veut, aussi démontrer qu'on a tous
un point commun, une histoire commune pour ainsi dire nous ne sommes pas
différents de « l'autre» :
« Parce que tout le monde me le dit, vraiment, on ne
dirait pas une arabe...ton teint, tes cheveux [...] Le hasard des combinaisons
génétiques, sous savez bien ... les mélanges...
Berbères, Vandales, Phéniciens, Arabes, Turcs, Espagnols,
Français, ... pour s'y retrouver dans cette généalogie,
ces métissages...je pourrai passer pour une
méditerranéenne et puis je parle français sans accent
» P.49
Le drame de l'identité est présent dans cette
nouvelle « Improvisation » qui est un monologue. Aussi, des
traits de caractères, des tranches de vie sont
révélés dans ce discours. La jeune dame « Leila
» monte sur le théâtre, sans aucune préparation, avec
l'espoir d'être acceptée et engagée comme comédienne
suite à une annonce publiée par la direction du
théâtre. Sur scène, elle interpelle le jury : «
Qu'est-ce que je suis venue faire ici ? En France ?... Postuler pour
le rôle bien sûr, tenter ma chance ! » P.50
Elle quitte son pays pour se libérer de
l'autorité patriarcale. Elle essaye de démontrer à son
public comment les choses peuvent évoluer de manière
insatisfaisante et désagréable, comment la femme sur l'autre rive
de la Méditerranée, souffre et assume l'autorité de
l'époux en silence : «Et c'est ma mère qui essuyait tout
en silence. Les tempêtes, les bourrasques, entre de trop rares accalmies.
Vous comprenez maintenant pourquoi je suis partie, pourquoi j'ai largué
les amarres... j'ai quitté mon pays, j'ai quitté mon
soleil» P.55
Et pour déjouer cette autorité, elle use de son
génie et du mensonge : « J'ai toujours joué de la
comédie. Sans arrêt, comme toutes les femmes. Depuis toute
petite.... bien obligée.» P.50
L'écrivaine évoque aussi un autre sujet: la
fragilité, la soumission, la faiblesse de la femme qui a connu une vie
difficile, sa souffrance d'enfance, d'adolescence et d'adulte était en
grande partie causée par le fait qu'elle donne inconsciemment aux autres
le pouvoir de lui enlever la liberté d'être elle-même et
aussi l'acte de faire un choix «signe de liberté ».
Sommes-nous libres de faire nos propres choix ? Choisir notre
sexe ? L'écrivaine dénonce une idée tant marquée
cette société : celle d'avoir beaucoup d'enfants et des
mâles d'abord. Un autre aspect de la liberté est abordé
ici: celui de la possibilité d'agir, de penser et de s'exprimer selon
ses propres choix. Tel est le cas de cette comédienne qui eut une
certaine hésitation pour le choix du rôle qu'elle va jouer; un
choix entre Phèdre ou Antigone29(*): « J'ai tellement hésité entre
Phèdre et Antigone....des méditerranéennes elles aussi...
»P.51.
Ce choix fait par Maïssa bey n'est pas fortuit, elle veut
montrer qu'à travers toute l'histoire, les femmes ont souffert et ont
subi l'injustice de l'autorité masculine
L'écriture de Maïssa Bey retrace
l'évolution de la voix féminine à partir de la
constatation d'un silence, silence de la femme dans la société
patriarcale. Une société qui veut le silence. Un thème
déjà évoqué par une autre romancière
algérienne Assia Djebar en disait en 1987 :
« Une femme algérienne qui se met
à écrire risque d'abord l'expulsion de sa société
(...) Aujourd'hui, on peut dire qu'il y a une dizaine d'Algériennes qui
écrivent. Par la langue française, elles se libèrent,
libèrent leur corps, se dévoilent, essaient de se maintenir en
tant que femmes travailleuses et, quand elles veulent s'exprimer par
l'écriture, c'est comme si elles expérimentaient ce risque
d'expulsion. En fait la société veut le silence. A un moment
donné toute écriture devient provocation. Tant qu'il y avait la
justification de la guerre d'Algérie, on pouvait
écrire. » (Le Monde, 29 mai 1987) 30(*)
Par son écriture, l'écrivaine crée un
lieu d'expression à la parole féminine et dans cet espace, sa
propre voix peut s'exprimer de manière individuelle, tout en
s'inscrivant dans une polyphonie féminine.
Une affirmation
A partir des années 85, les témoignages et les
récits de vie deviennent plus intensifs. Ceci se remarque sur l'ensemble
de la littérature algérienne d'expression française. On
veut alors parler en toute liberté, plaider sa propre cause, sortir du
silence. Aussi, l'une des caractéristiques de l'écriture
féminine d'expression française au Maghreb est de raconter et se
raconter tout en recourant à la mémoire qui remonte
jusqu'à l'enfance, il s'agit de récits autobiographiques. Un
thème précis et particulièrement douloureux, mais glorieux
aussi, pour les romancières algériennes est celui de l'histoire
immédiate : c'est-à-dire les souvenirs de la guerre
l'indépendance à laquelle les femmes ont pris part. Ce
thème de la guerre tient une part importante dans les romans
algériens Maïssa Bey, comme d'autres, poursuit inlassablement sa
quête identitaire et nous emmène, une fois de plus, à la
découverte d'une Algérie omniprésente. Dès sa
tendre enfance, elle était en quête de ses origines ; cette
recherche de l'identité la plus profonde.
Dans un récit autobiographique « C'est quoi un
arabe ? », Maïssa décrit tout ce qui peut constituer son
être, son rapport au monde, ses relations avec les autres, sa
singularité. C'est un récit autobiographique du moment qu'il
parle d'un flash back durant la colonisation française. Une
période qui a tant marquée son enfance : Elle évoque ses
souvenirs et parle de son père ; un instituteur, qui a été
torturé et tué par l'armée française : «
Des militaires français accompagnés d'un homme ... Ils sont
pénétrés chez eux au milieu de la nuit » P.
145
« ... puis ils sont partis, emmenant son
père». P 145
Avec un mélange de fiction et de souvenirs personnels,
Maïssa bey écrit ce récit avec le désir de revenir
sur les chemins de son enfance et plus loin encore. Revisiter le passé
pour éclairer ou tenter d'éclairer le présent : «
Enfance. Je plonge mes mains dans l'informe.je cherche. Sable mouvants,
tièdes. Je m'enfonce». P.135
Le personnage central est une jeune fille qui tente de
reconstituer les fragments épars de sa personnalité. Elle
perçoit dans l'ordonnance de son monde des incohérences :
Que veut dire « arabe » ? Et pourquoi l'autre perçoit cet
être comme
différent même si ce dernier parle et/ou peut
parler la même langue ?
« Mais alors, les arabes peuvent aussi parler
français ? Parler une langue. La faire sienne sans toutefois perdre de
vue qu'elle ne nous appartient pas». P.138
Des questions et d'autres que la narratrice n'a guère
trouver de réponses même chez les adultes qu'elle suppose
connaitre tout : « ... seuls les adultes peuvent répondre aux
questions. Néanmoins, je n'ai pas la réponse». P.135
Elle cherche la réponse dans les yeux de son grand
père, et dans tout ce qui l'entoure mais vainement. A l'école,
cette petite fille a appris beaucoup de choses, a découvert des mondes
si vastes.
Inconsciemment, l'écrivaine ne veut évoquer ce
souvenir, celui où des militaires ont conduit avec eux son père.
Elle tente de se rappeler seulement des bons moments qui ont
précédés ce drame. Elle songe à la liberté
donnée par cet immense espace (son village).
« D'où vient, si intense, cette impression de
liberté? Sans doute des espaces nus et déserts, au-delà
des champs de blé à perte vue. L'écho des cris d'enfants
répercutés loin, très loin. Epis arrachés, encore
verts, gout des grains de blé encore tendres ». P.139
Mais vint le moment où toute protection, toute
liberté disparaissent à jamais. L'écrivaine revient sur
les traces de l'histoire. Il lui a fallu, certainement, faire des recherches
pour ne pas trahir le réel, du moins sur le plan de la chronologie des
faits historiques évoqués : « Janvier 1957, Enfin
un point d'ancrage. Un repère sûr. Quoi de plus solide qu'une date
pour étayer des souvenirs ? Certifiées conforme par les livres
d'histoire» P.141
Suite à une grève générale
décrétée par le FLN (Front de Libération National),
son père fut arrêté et condamné parce qu'il
combattait pour sa liberté, sa dignité. Il refuse d'être
humilié : « Sous le même soleil des hommes se font
la guerre. Lui et les siens se battent pour ne plus être humiliés.
Pour avoir le droit d'être libre sur une terre qui leur
appartient» P.143
Dans ce récit, Maïssa Bey ne donne pas seulement
des précisions sur le temps de l'action, mais dénote aussi un
autre aspect: celui du respect qui règne entre les membres de la
famille. Cette cellule familiale, qui est souvent considérée
comme l'espace fondamental et la pierre angulaire de toute
société.
« Cela ne correspond pas à ce que je sais
aujourd'hui des traditions en vigueur dans notre famille. Impossible. Les
pères en ce temps-là ne pouvaient voir leur femme ou leurs
enfants en présence de leur propre père. Par pudeur. Par respect
» P.137
Cette nouvelle ne s'apparente pas immédiatement
à une écriture autobiographique puisqu'elle est écrite
à la troisième personne mais les glissements fréquents de
la troisième « elle » témoin, à la
première personne « je » acteur peuvent nourrir une
réflexion sur la définition du genre. La focalisation interne est
un choix d'écriture qui a du sens et construit du sens. La
proximité du personnage de la femme et de l'auteur est renforcée
par ce choix. Ce passage de l'un à l'autre est constitutif de
l'écriture investie par la présence d'un discours réaliste
où l'actualité n'est pas absente.
Quoique ce soit un récit autobiographique, Maïssa
bey emploie la troisième personne « elle » qui,
selon R Barthes :
De même, l'emploi du
« il »romanesque engage deux éthiques
opposées : puisque la troisième personne du roman
représente une convention indiscutée, elle séduit les plus
académiques et les moins tourmentés [...] De toute
manière, elle est le signe d'un pacte intelligible entre la
société et l'auteur, mais elle est aussi pour ce dernier le
premier moyen de faire tenir le monde de la façon qu'il veut. Elle est
donc plus qu'une expérience littéraire : un acte humain qui
lie la création à l'Histoire ou à l'existence.
31(*)
Donc une manière de fasciner les lecteurs et les
attirer. Aussi elle permet de se distancier et aller jusqu'au bout du
récit. Des distances qui sont parfois, comme les a jugé
Maïssa bey, nécessaires.
« J'ai fait appel au «elle», une
distanciation était nécessaire. Ce qui est certain, c'est que le
«elle» permet d'aller jusqu'au bout du récit, de prendre des
distances parfois nécessaires. Peut-être que le «Je»
narratif peut amener à un amalgame entre l'auteur et
l'héroïne... » 32(*)
Dans la nouvelle « La petite fille de la cité
sans nom » la légende s'articule dans la fiction.
L'écrivaine, dans l'incipit de ce récit, annonce sont projet
d'écriture:
« Elle aurait pu s'appeler Ariane33(*). Pourquoi Ariane ? A cause de
son nom, et aussi des labyrinthes. De ceux qu'on doit parcourir dès
l'enfance, pendant longtemps, jusqu'à ce qu'on trouve la lumière
» P.149
C'est ainsi que le personnage principal se voit subir
le même sort que « Ariane » : éclairer les
jours de ceux qu'elle aime afin de leur permettre de retrouver le chemin, tout
comme Ariane qui, séduite par Thésée, l'aide à
s'échapper du labyrinthe en lui fournissant un fil qu'il dévide
derrière lui afin de retrouver son chemin. Cette fille aux yeux
aigue-marine cherche le bonheur et la liberté dans l'autre rive: «
Tout ce qu'elle veut, c'est pouvoir un jour s'en aller à son
tour» P.151
Rania, la petite fille muette, s'en rend compte et assume le
poids de la misère commune à toute la famille, et à tous
les habitants de cette cité oubliée.
« Elle a parfois plusieurs kilomètres à
faire et doit frapper à plusieurs portes [...] elle sait qu'elle doit
à tout prix rapporter de l'eau à la maison, sinon ils n'auront
pas de quoi préparer à manger et laver leur linge ».
p.152
Ces rêves se transforment en cauchemars d'un labyrinthe
sans fin. Prisonnière dans ce dédale, elle s'efforce de trouver
le fil d'Ariane qui le guiderait certainement vers la sortie et par
conséquent vers sa liberté enchantée dans un ailleurs.
« Elle non plus ne sait pas pourquoi elle rêve
souvent de labyrinthes. D'immenses galeries sombres et humides, inlassablement
parcourues en allers et en retours inutiles. Toutes les nuits, elle court,
s'égare dans inextricables dédales, parce que personne n'a tendu
de fil pour elle pour l'aider à déboucher sur la lumière
» pp. 151/152
Cette fillette, muette et invisible, qui après avoir
tenté de s'exprimer un temps par la danse et l'écriture sur le
sable, finit par disparaître dans la mer:
« Les mots dans les livres sont noirs et silencieux,
ils sinuent comme des serpents et ne résonnent pas dans sa tête
même quand elle en trace les contours sur la terre, [...] mais c'est
peut-être à force de tracer des signes dans la poussière
qu'elle a trouvé le chemin. Ou alors à force de regarder les
étoiles disparues depuis longtemps. Personne dans la cité ne sait
pourquoi, un matin, elle n'était plus là». P.153
Le récit reste ouvert, personne ne sait ce qui est
arrivé à la petite fille. Le lecteur assiste à un
brouillage du drame ce qui rend ce récit « énigmatique
»34(*), il se
constitue comme dérangement de la communication de l'information. Le
lecteur est placé devant un événement, un comportement
dont le sens lui échappe et dont les conséquences lui demeurent
cachées. Selon Charles Grivel, cet acte d'écriture produit le
désir de lire et retient le lecteur à la lecture :
« Le démenti suppose l'énigme, n'est
opérant qu'en tant qu'énigme. L'innovation en effet, n'est
intéressante que dans la mesure où elle est rendue
mystérieuse: une information non probable n'est en soi ni
intéressante, ni étonnante [...] Autrement dit, la rupture de
l'ordre archétypal n'est efficace qu'à partir du moment où
elle ouvre obscurément sur cet ordre même »35(*)
L'énigme suscite un questionnement chez le lecteur et
contient la promesse d'une réponse aux hypothèses
supposées par ce lecteur et qui pourront être
vérifiées ou infirmées.
L'interrogation : Les réactions de la
société
1. Les réactions du
groupe social:
L'opposition entre violence physique et morale, violence
corporelle et psychique n'est décisive qu'en apparence. C'est ainsi que
Maïssa bey ne s'attache pas seulement à peindre une violence
physique, apparente et flagrante. Elle nous montre à travers ces
récits une multiplicité de violences de tout aspect, diffuses ou
spectaculaires. Elles se rejoignent et mènent toutes à la perte
de l'homme. La violence se définit ici comme un attribut fonctionnel,
marqué par des oppositions physiques et symboliques articulant les
récits et déterminant le fonctionnement des réseaux
discursifs.
Le discours de la liberté et sur la liberté
notamment structurent les textes tout en se muant en un élément
médiateur entre la fiction et le réel. C'est ce jeu
d'oppositions, donc de conflits qui apportent une certaine caution
« thématique » aux récits et devient un
espace pluriel, caractérisant plusieurs espaces différents. Temps
et espace sont parfois diffus, fonctionnant comme des
« chronotopes » pour reprendre le mot de Mikhaïl
Bakhtine. Le discours de la liberté est paradoxalement attenant à
celui de l'indifférence et de la violence qui traverse tous les
personnages des récits.
Les personnages des différents récits, victimes
du joug social, se retrouvent toujours dans la même
société, avec les mêmes individus qui la constituent, mais
ils ne sont pas perçus comme des victimes, au contraire, ils sont
rejetés et mis à l'écart. Le changement d'espace ne
suggère nullement un changement d'attitudes ou de comportements. La
souffrance traverse tous les récits. Le champ lexical de la nuit, de
l'obscurité et de la mort, du silence investit tous les récits
et modélisent la syntaxe narrative des nouvelles. D'ailleurs, les
personnages réifiés perdent, en quelque sorte, leur âme,
leur existence et leur être. Le mythe traverse leur territoire et
neutralise toute dimension humaine.
A.J.Greimas a donné forme aux rapports de base que
peuvent avoir les personnages d'un roman : Rapports de désir, de
communication et de participation36(*). A l'aide de « la règle d'opposition
»37(*) on peut
déduire les relations qui régissent les rapports de nos
personnages, ce qui nous amène à mieux voir cette
indifférence sociale.
Ainsi, l'« amour » qui désigne le rapport de
désir, se transforme en «haine », ce qui caractérise
indéniablement le sentiment qu'éprouve Maya à
l'égard de son mari. En revanche ce rapport est dénué de
réciprocité. Cette relation ne peut qu'entraîner angoisse
et colère.
Il faut remarquer aussi qu'a travers les récits :
« Sous le jasmin la nuit », « En ce
dernier matin » et « Nonpourquoiparceque »,
une impossibilité de communication se fait jour. L'auteur cherche
à donner la nausée au lecteur. Autrement dit, la vraisemblance du
texte est indispensable pour que la charge émotionnelle et la violence
qu'il contient, soient opérantes.
Ainsi, on peut aisément remarquer l'absence de
communication à travers les nombreux monologues qui travaillent certains
récits. Les personnages ne semblent parler qu'à eux mêmes.
Quelques phrases échappent au monologue pour constituer de courts
dialogues. Finalement, la parole naît et meurt à
l'intérieur du personnage, elle est muette, les personnages sont
passifs.
2.
La résistance des individus face à la violence
Nous avons vu dans les parties précédentes
comment la violence physique, morale ou psychique traverse profondément
tous les récits. L'écrivaine ne s'arrête pas uniquement
à la description de sociétés perdues et
déchirées par la violence, mais convoque également
les familles et tout être pour faire face à cette violence,
malgré les difficultés quotidiennes et la conjoncture
extérieure terriblement pessimiste.
L'élément spatio-temporel et le contexte
socio-historique prennent une autre direction. Ce qui permet de mettre en jeu
une sorte de métamorphose thématique et esthétique. La
famille et la société gardent leurs repères et ses
espaces conventionnels. Nous sommes en présence d'un discours
présentant une tranche de la société qui résiste
face à la violence, avec ses moyens physiques et spirituels, à
son ébranlement et à sa désagrégation.
Cette femme a une voix douce, très douce elle m'a
parlé. Elle disait la même chose que les autres :
« Tu es là, avec nous. Tu n'as rien à avoir peur. C'est
fini. Tu peux ouvrir les yeux, personne ne te fera plus mal ».[...]
Au bout d'un moment, elle s'est levée et m'a dit encore :
« N'aie pas peur. Je ne veux pas te faire du mal. Je reviendrais te
voir ». P.104
Dans ce récit « Nuit et
silence », l'auteure, qui ne peut rester sourd aux appels de son
pays, décrit l'horreur et l'inqualifiable violence qui a frappé
l'Algérie. Elle use souvent d'un ton réaliste comme si la langue
ne pouvait se jouer de l'horreur en parlant de manière opaque,
contrairement aux autres récits. A travers les signes explicites et
implicites de cette écriture qui se revendique transparente, l'auteure
n'hésite pas à se dévoiler et à s'impliquer
fortement dans ce récit. Chaque fois que la patrie est menacée,
Maïssa Bey intervient en faisant acte de témoin et
d'écrivaine qui n'hésite pas à se dévoiler et
à produire un récit transparent.
Tous les romanciers algériens qui ont abordé ce
thème ont mis en exergue cette violence marquée par une
opposition de deux camps et de deux champs lexcico-sémantiques. Il y a
une sorte d'incommunicabilité. Les auteurs s'impliquent dans le
récit et usent d'un style de facture réaliste. Assia Djebar,
Rachid Boudjedra, Rachid Mimouni, Malika Mokkedem, Yasmina Khadra, Dib refusent
de prendre une distance avec les antagonistes de ce pays et usent d'une langue
simple, souvent dépouillée d'images complexes et difficiles pour
peindre la société terrorisée par les attentats et les
génocides collectifs.
Dans « Nuit et silence »,
Maïssa Bey décrit une jeune fille, bien que vivant dans une
société terrorisée, a pu résister. Elle peint
l'image de la femme courageuse pareille à celles qui ont vécu la
guerre de libération.
L'espace est circonscrit par la description des
événements dans le récit « Sur une
virgule ». Le lecteur découvre aisément le lieu
dont il est question. Le « je » de la première
personne est le lieu de la subjectivité du narrateur et l'espace de
divulgation de la parole et de la position de l'écrivaine. Espace et
événements sont intimement liés. C'est
l'événement qui détermine l'espace.
Nous pouvons remarquer aussi qu'aucun détail sur la vie
privée du couple cité dans « Sous le jasmin la
nuit » n'est avancé, et très peu d'informations
sont données sur les deux aspects physique et moral. L'auteure ne donne
que des informations au compte-gouttes sur ses personnages appelés
à devenir les lieux privilégiés d'un élargissement
du discours romanesque. C'est l'événement lui-même qui
prend de l'importance aux dépens des personnages se retrouvant comme des
illustrateurs attitrés du discours littéraire. Les jeux de
l'énonciation révèlent le fonctionnement de la
diégèse et inscrivent le discours dans des conditions historiques
et sociologiques précises. Le lieu et les conditions
d'énonciation précisés engendrent une manière de
raconter et délimitent également le protocole de lecture.
Le choix, sans doute volontaire, de l'auteure de clarifier
certains lieux dans les différents récits permet de mettre en
exergue un effet voulu, celui de la solidité de la femme
algérienne que les événements n'ont pas réussi
à affecter. Effectivement, la femme et épouse recèle
toujours en elle cet amour et cette affection qui lui sont propres, et que
l'atrocité de la vie n'a pas pu atteindre ni éteindre. Il s'agit
d'un événement qu'un lecteur non attentif ou absorbé par
l'intrigue principale de l'action pourra négliger, alors qu'il est d'une
importance majeure.
Le narrateur retrace le destin d'une famille, vivant en
cohésion et entretenant d'excellents rapports avec son entourage. La
petite communauté dans laquelle elle vivait était paisible,
calme. Toutefois ce calme est perturbé lors de l'arrestation du
père par l'armée française. La narratrice évoque
quelques détails qui permettent de distinguer sa petite famille par
rapport à la grande famille, ses moeurs et ses traditions :
« Les robes longues, amples et unies des ses tantes.
Sur leur tête, des foulards de soie bariolée. Les signes
mystérieux tatoués sur leur visage, sur le dos de leurs mains. Le
burnous blanc et la barbe de son grand père » P.136
« Chez elle, on parle aussi en français.
Souvent. Sa mère qui s'appelle Fleur, Zahra, n'est pas tout à
fait comme ses tantes. Elle porte des robes courtes et fleuries, serrées
à la taille qu'elle a si fine. Elle ne se couvre pas la tête et
n'a pas de tatouages sur le visage... » P.137
La famille reste unie jusqu'à ce que le père
choisisse d'affronter le destin. C'est ainsi que l'auteure en pleines violences
tumultueuses et conflits accentue la charge émotionnelle du lecteur et
développe d'autres modes de violences. Les individus tentent
d'échapper à la violence, mais elle les poursuit pour dominer le
monde dans un combat éternel : « ... parce que nous
sommes arabes » P.143
L'auteur qui épargne au lecteur des émotions
fortes et violentes préfère rompre ce fil en utilisant
différents procédés : les contrastes entre deux
aspects d'une condition ; les espaces oppositionnels et oxymoriques. C'est
le cas des deux récits « En tout bien tout
honneur » et « Nuit et silence »,
que nous venons d'évoquer mettant en oeuvre un procédé qui
sert à amortir le choc : en plein milieu de la violence humaine et
de l'horreur, existe toujours un peu d'humanité et de
sensibilité : « Cette femme a une voix douce,
très douce. Elle m'a parlé. Elle disait la même chose que
les autres : « tu es là, avec nous. Tu n'as pas à
avoir peur. C'est fini. Tu peux ouvrir tes yeux, personne ne te fera plus
mal » P.104
L'écriture comme
création :
Chaque écrivain crée des mondes et jouit de
cette création. Le verbe est fait pour être entendu. On
écrit pour qu'autrui, quelque part, recueille l'essence d'une
pensée, pour la rejeter, ou la faire sienne. L'écriture, comme le
verbe, est échange et transmission ; et c'est parce qu'elle est
échange et transmission qu'elle est libération. Si l'on
interrompt son mouvement essentiellement expansif, elle devient
aliénation, soliloque infini qui tournera, tôt ou tard, à
la folie, en vertu de l'impossible dialogue avec soi-même. L'homme qui
fait acte d'écriture sait que sa parole n'est pas vaine ; son verbe
est visible, sa parole prend corps.
L'écrivain comme l'écrivaine peuvent être
souverains du monde, c'est-à-dire être en mesure de
déployer une écriture souveraine. Le verbe reste, pour
l'écrivain, organique, démonstrative ; il s'abreuve aux
racines de l'être, quand celui de l'homme, libéré de
l'obsession d'apparaître, vise à la métaphysique. Il a
jusqu'à présent rarement engendré un verbe
héroïque, seulement un verbe amoureux. Mais l'écrivaine
revendique encore ce corps dont l'homme l'a exilée si longtemps, en
même temps qu'il continue à l'y réduire. Voici pourquoi
l'écriture féminine demeure majoritairement si dépendante,
et pourquoi les personnages qu'elle met en scène restent pris dans le
rapport viscéral à l'autre, alors que
« l'écriture est la possibilité même du
changement » un moyen d'explorer les possibles, de déjouer un
destin dont on nous dit qu'il est commandé d'abord par le biologique.
Les femmes portent en elles la blessure, le manque et la
béance. L'écriture tente alors de combler ce
« manque » imposé, cette plaie infligée, mais
ne peut semble-t-il faire l'économie de la sexualité, de l'amour
et de l'homme, qui cessent d'être des ingrédients
(nécessaires) de l'histoire pour devenir toute l'histoire38(*).
La liberté donnée par
l'écriture :
Au cours des vingt-cinq dernières années, un
glissement s'est produit dans la théorie et la pratique de la
composition des textes, loin du point de vue que ce qui importe le plus en
écriture est un produit brillant de perfection qui révèle
une maîtrise subtile des règles, des règlements et des
modes rhétoriques. Une nouvelle importance a émergé qui
engage une conscience du processus d'écrire tout entier et non pas
seulement de ses produits. Cela inclut de commencer avec l'angle le plus large
possible et de ne resserrer son sujet que plus tard. Cela inclut
également d'explorer la liberté et la pureté de
l'écriture privée, de la tenue d'un journal, et
de « l'écriture libre » telle que l'a
développé Peter Elbow et d'autres qui demandent aux
écrivains de mettre de côté temporairement les questions de
structure, d'organisation et de correction pour laisser la plume courir
continuellement pour mettre leurs pensées sur le papier. Cette voie vers
la maîtrise de l'écriture est vue davantage par le travail
nécessaire pour augmenter son aisance, avec une confiance croissante
dans sa capacité à mettre ses pensées et ses sentiments
sous une forme écrite, que par la reproduction des différents
modèles de la phrase, du paragraphe ou de l'essai.
Pour certains écrivains, comme Maïssa Bey,
l'utilisation de « l'écriture libre » pour
atteindre l'aisance a été vraiment
« libératoire », mais pas pour tous : Elle le
dit lors d'une interview :
« Je préfèrerais dire "
libératrice ", cela me parle plus. Je le répète souvent,
l'écriture est aujourd'hui mon seul espace de liberté, dans la
mesure où je suis venue à l'écriture poussée par le
désir de redevenir sujet, et pourquoi pas, de remettre en cause,
frontalement, toutes les visions d'un monde fait par et pour les hommes
essentiellement » 39(*)
Certains trouvent que la liberté de
« l'écriture libre » est une restriction en
elle-même et sont incapables de composer avec aisance.
Depuis ses débuts, Maïssa Bey ne s'est jamais
accommodé d'un seul archétype pour ses écrits. Avec son
style particulier, elle reste imprévisible et ne se plie pas devant les
règles de l'art qui risquent d'endiguer son ingéniosité.
Son écriture ou plus précisément ses
« manières » d'écrire sont
perpétuellement remises en question.
Dans ce recueil de nouvelles Sous le jasmin la nuit,
Maïssa Bey a choisi de mettre à nu sournoisement une
réalité occulte qui recèle une liberté tantôt
déclarée et revendiquée, tantôt dissimulée
dans un récit éclaté. Elle concilie les exigences d'un
public avide de nouveau et un plaisir personnel. La diversité des
thèmes abordés et des récits racontés permet
à l'auteur de multiplier ses manières d'écrire au profit
d'un langage plus expressif et plus significatif. Outre la structure
spécifique à chacun des récits, le genre littéraire
est aussi plurivalent et variant d'un récit à l'autre afin de
procurer à ce recueil un autre aspect de liberté.
Ainsi, à la lecture de ce recueil de nouvelles, en
passant d'un récit à l'autre, l'auteur nous fait transiter d'une
forme d'écriture à une autre. Le réalisme est au centre de
ces récits, il en constitue souvent le fond ou l'arrière plan,
même si certains essayent d'échapper à l'emprise du
réel pour se situer dans l'irréel et le fantastique. Les moyens
les plus simples et les plus évidents qui nous permettent de
déchiffrer les récits et de déterminer leur degré
de réalisme sont les indicateurs spatio-temporels qui sont cependant
assez nombreux dans le texte.
Le degré de véracité est appuyé
par la présence d'un certains nombres d'indices spatiaux qui lui
confèrent un ancrage dans le social. Les noms de pays, de villes, de
quartiers ou de rues existants réellement sont cités à
plusieurs reprises. Aussi d'autres indices temporels lui confèrent des
repères historiques relativement exacts. Nous aborderons en
détail ces différents indices dans une partie
ultérieure.
La technique de l'écriture réaliste est de
mettre en scène, sur un fond historique précis, des personnages
de tous les milieux, de toutes les classes sociales et de toutes les
catégories socioprofessionnelles, tel est le cas de tous les
récits de ce recueil où le lecteur a affaire à des
personnages de milieux distincts (citadins ou ruraux), de tranches d'âges
diverses : des vieux et des jeunes, à des classes sociales aussi
éloignées les unes que les autres : riches et pauvres,
instruits et non-instruits.
Le discours réaliste est un discours persuasif :
il cherche à produire l'illusion référentielle. Il est
marqué par le sceau de l'évènement immédiat tel que
celui du terrorisme accompli dans l'horreur. Le récit se veut conforme
à la réalité socioculturelle du lecteur, et varie avec
leur variation, il renvoie au contexte extra-linguistique. Telle est la raison
pour laquelle Maïssa Bey élargie son champ d'investigations pour
essayer de satisfaire la majorité se ses lecteurs.
Son écriture répond à deux
exigences : Elle se doit à la fois de donner au lecteur des
garanties sur la vérité du savoir asserté et de
conférer à ce savoir un statut narratif. D'où le recours,
comme le déclare Hamon, au « personnel romanesque »
par le biais soit de personnages-prétextes garants de l'information
(personnages compétents) comme est le cas de la jeune fille dans
« Nuit et silence » à travers qui le
lecteur se permet de vivre, ne serait-ce que pour un court moment, dans une
Algérie bouleversée par l'acte terroriste ; elle emporte le
lecteur sur les lieux des crimes des terroristes avec les descriptions qu'elle
en fait
Ceci dit, il y a d'autres moyens pour exprimer une
réalité. Le symbolisme a sans doute plus d'impact sur le lecteur
qu'une description sèche du réel. Il s'offre à l'attention
de toute personne sans se dissimuler, et tout être humain est
potentiellement capable de le percevoir et de comprendre son message
malgré qu'il soit par nature ésotérique. Mais son sens
fluide et caché permet à tout un chacun de lui attribuer une
interprétation différente et son étude n'est jamais
achevée. C'est la raison pour laquelle Maïssa Bey a
superposé à la réalité décrite un symbolisme
plus pittoresque et expressif qui endigue toute tentative
d'interprétation exhaustive ou une compréhension totale de son
oeuvre, et permet à tout chercheur de mettre en lumière un aspect
nouveau. Certes, essayer de déchiffrer tous les symboles serait une
aberration outrageuse, néanmoins, nous essayerons de mettre la
lumière sur quelques uns des symboles existants dans notre texte, nous
chercherons à dévoiler les questions posées et qui sont
plus importantes que les réponses en matière de symbolisme.
La liberté est au centre de toute approche, c'est le
thème central sur lequel s'articulent tous les autres thèmes.
Les symboles sont aussi nombreux, ils se complètent et se renforcent, le
sens profond de leur signification n'apparaît que par leur union. Chaque
symbole isolément peut avoir plusieurs interprétations, et le
sens de son message en est moins précis.
Le mythe est utilisé comme catalyseur afin de dissoudre
les conflits de l'existence pour dépeindre la liberté. Nuit, mer,
ville, village ou montagne, sont tous présents dans les textes, ils
amplifient les différentes formes de silence, de violence ou de
liberté que l'on peut retrouver dans ce recueil de nouvelles. Ils
cadrent l'espace diégétique et sont les principales clefs de
toute tentative d'approche. Les éléments naturels comme le vent,
la pluie et l'eau, sont personnifiés. La personnification semble leur
donner un certain pouvoir et donc leur accorder un rôle important dans
les récits.
Les personnifications, par leur façon
d'apparaître dans les différents textes, jouent le rôle de
personnage. Cela concerne, dans le récit de « Main de
femme à la fenêtre » par exemple, le vent, le la
pluie ou le ciel. Le vent, le soleil et la lune semblent plus que vivants, ils
sont humanisés :
« ... la lune a décidemment oublié de
se retirer ». P.16
« Quelques traînées blanches se
dissipent dans le ciel, suivies quelques instants plus tard par des nuages plus
compacts qui accourent et s'agrègent dans le ciel pour masquer le
soleil. Enfin ! Seraient-ce là les messagers de la
pluie ? » P.129
« Il est tiré de son sommeil par une longue
plainte. Il reconnait très vite le mugissement du vent sous la
porte-fenêtre de la chambre... » P.129
Le ciel est personnifié et doté d'un pouvoir :
« Le ciel instamment sollicité, a mis les
bouchées doubles. Comme si, dans un accès de
générosité exceptionnel, ou pour ne plus entendre les
lamentations des hommes, il voulait effacer en un seul jour de longs mois
d'aridité et de poussière ». P130
Les mots sont aussi personnifiés :
« Les mots prononcés arrivent
jusqu'à elle, elle en recueille quelques-uns pour plus tard, on ne sait
jamais, mais une fois qu'ils se sont frayés le chemin jusqu'à sa
connaissance, jusqu'au sens, ils restent blottis dans sa gorge et refusent de
sortir ». P.153
C'est une écriture de mystère qui refuse de
délivrer ses secrets malgré le voile de réalité qui
la dissimule. Les symboles sont des procédés de
désambiguïsation. C'est un recueil de nouvelles qui vise des
couches de lecteurs plus étendues et plus cultivées.
Le réalisme et le symbolisme se côtoient. Dans
les récits de « Nuit et silence », «
Sur une virgule » et « Main de femme à la
fenêtre », « C'est quoi un arabe ? »
et « La petite fille de la cité sans
nom », tous les éléments
diégétiques renvoient à une réalité, une
ouverture réaliste dans un monde normal, les descriptions minutieuses de
lieux, des quartiers, des rues donnent une impression de réalisme
excessif, les personnages, malgré l'habillage de réalité
dont l'auteur cherche à les couvrir, sont de fiction.
La
liberté du langage :
Dans un roman ou un recueil de nouvelle, l'écrivain
communique sa vision du monde, l'originalité. L'oeuvre
littéraire est un produit de travail sur la forme. Le langage
utilisé pour communiquer a aussi une fin. L'écrivain valorise la
forme de son roman, en inventant des métaphores, en produisant des
alliances de mots, en renouvelant des images. A ce niveau, c'est la forme
poétique qui domine. Cette fonction accorde une importance
particulière à l'aspect «esthétique du message
transmis. Elle utilise des procédés permettant de mettre le
langage lui-même en valeur.
Aussi la fonction expressive du langage a aussi une fonction
importante dans l'écriture littéraire : le texte
littéraire a un pouvoir d'évocation. Cela signifie que le message
n'est pas explicitement formel, le sens est présent dans les mots, le
rythme, les phrases et la sonorité. Pour elle :
« Le côté poétique est un
parti pris. Quand j'ai entrepris ce texte qui est quand même assez
ambitieux, je me suis dit que je n'avais pas droit à l'erreur. D'abord
au plan historique. Il fallait que tous les faits historiques soient
vérifiés. La deuxième chose, c'était sur le plan de
l'écriture parce que dire des choses atroces telles qu'elles se sont
passées, le napalm, les tortures, c'est horrible! Je ne pouvais pas les
décrire comme elles se sont déroulées. Il fallait
transcender cela par l'écriture. Vous savez, quand on lit des
tragédies grecques où il y a les pires des choses qui se passent,
les parricides, les matricides, etc. et pourtant, c'est très beau parce
que c'est de la littérature, c'est de la création. Je crois que
c'est ça que j'ai gardé en tête durant toute la
rédaction de ce texte ».40(*)
Maïssa Bey utilise des mots tranchants pour peindre la
souffrance du peuple algérien, car rien ne peut décrire ces
supplices, ces souffrances physiques ou morales intolérable qu'un mot
juste.
Ecriture libre
L'écriture linéaire chemine sans superflu, de
mots-clés en mots-liens. D'un point de départ à un autre.
Les récits sont cohérents, une cohérence fondée sur
l'isotopie et l'anaphore et dont la fonction s'exerce à
l'intérieur du texte. Pour R. Martin : « La
cohésion textuel se fonde sur des critères comme ceux d'isotopie,
d'anaphore... »41(*).
Les phrases, utilisées par Maïssa Bey, sont
souvent courtes (deux voire même une seule proposition), sèches,
parfois nominales :
Elles comportent dans leurs compositions énonciatives
une modalité constituante différente types d'actes. Quelles
soient déclaratives, interrogatives ou exclamatives, elles peuvent
exprimer autres choses que leurs typologie : « Quand elle
devient énoncé, une phrase déclarative peut être
bien autre chose qu'une simple déclaration : elle peut être
une plainte, une reproche, une menace ». 42(*)
Il est à noter que la diversité des
thèmes, des genres, des lieux et des espaces romanesques, engendre une
diversité au niveau du langage utilisé par l'écrivaine.
Elle n'a pas utilisé un seul registre langagier, elle ne cesse de
changer le niveau de langue tout le long des récits. Nous remarquerons,
de façon générale, que ce changement de registres
dépend essentiellement de l'espace qui cadre l'action, et des
personnages qui participent à cette dernière.
Par ce passage d'un registre à l'autre, Maïssa bey
participe à cette volonté de l'auteur de déstabiliser le
lecteur qui arrive difficilement à comprendre certains récits. Il
se retrouve obligé de puiser dans tous les niveaux de son bagage
langagier afin d'accomplir sa tâche, à savoir la lecture, qui
désormais n'est plus un moment de détente.
Afin d'amplifier les effets de violence et de la
liberté dans ces récits, Maïssa a choisi de multiplier ses
styles d'écriture. Ne se contentant pas d'un seul, elle concilie les
extrêmes : une langue hautement soignée et parfois
poétique, et une autre mimétique de l'oral, populaire. Elle a
tenté dans de ce recueil de nouvelle de rendre compte du parlé
à l'écrit, en ouvrant les portes de la littérature
à l'oralité et rendre ainsi possible une rencontre entre deux
mondes. La langue parlée, usuelle, qui caractérise le mode oral
est introduite illicitement dans le texte littéraire qui se doit
d'être conforme à certaines règles et convenances
langagières qui lui confèrent son trait distinctif, à
savoir sa littérarité.
Les deux récits : Si, par une nuit
d'été et Nonpourquoiparceque, sont les
récits les plus marqués par cette oralité. L'inscription
de l'oralité dans le texte se fait par divers moyens qui lui assurent
l'effet escompté. Parmi ces procédés, nous noterons la
ponctuation qui marque fortement cette écriture.
Différents signes de ponctuation sont mis en place afin
d'assurer au texte sa dimension orale. Leur fonction joue un rôle
irremplaçable dans le mimétisme de la langue orale et sa
transcription à l'écrit. Parmi ces signes de ponctuation, nous
remarquerons l'abondance des points d'exclamation et des points
d'interrogation « !, ? ». Les répliques
des deux personnages dans le récit Nonpourquoiparceque en sont
l'illustration parfaite :
Ces répliques s'inscrivent plus dans l'oral que dans
l'écrit grâce à l'emploi des signes typographiques, en
même temps qu'au manque d'indication quant à la prise de parole de
chacun d'entre eux. Procédé qui pousse le lecteur à
imaginer qu'il s'agit d'une fille et sa mère inconnues,
s'échangeant des paroles sans pouvoir coller de noms sur leurs visages.
De fait, une telle scène, qui peut se produire dans n'importe quelle
famille arabe, est plus appropriée à l'oral qu'à
l'écrit.
« Allons ! De l'audace. Préparer
soigneusement l'argumentation. Aller au feu. Les mains moites, le coeur
battant. Je me lance :
-Tu connais Maya, tu sais... oui, tu connais sa mère,
celle qui habite dans la petite maison à coté de la où on
va acheter les...
- Oui, et alors ?
- On a compo de maths après demain.
- ...
- Sa mère voudrait que ...
- Que ... quoi ? » p.
91
Un autre signe de ponctuation, utilisé rarement dans
les écrits, il s'agit des points de
suspension « ... ». Ce signe particulier indique
généralement que le l'énoncé est interrompu :
- Soit involontairement par le locuteur :
« - j'ai envie... j'ai envie de jouer, dit doucement
Leila » p. 61
« Je veux ... je veux moi aussi m'en aller »
p. 66
- Soit parce qu'un personnage coupe la parole à son
interlocuteur :
« Je suis invitée à l'anniversaire de
...
- Non !
- Pourquoi ? Toutes mes ...
- Non !
- Mais ...
Tais-toi ! Va ranger les vaisselles !» p.
91
- Soit pour marquer une hésitation :
« -je pourrai enfin laisser libre cours aux envies
innombrables qui m'emplissent en vain de leur tumulte. Et d'abord
... » p. 67
- Soit parce que le personnage ne trouve pas la suite à
son énoncé :
« Etant donné que tu es une fille
.... » p. 90
Ainsi, l'utilisation des points de suspension par l'auteur,
lui évite tout commentaire susceptible de décrire l'action qui
accompagne la parole émise. Elle permet également aux lecteurs de
suivre facilement et rapidement le dialogue sans qu'il n'y ait d'interruptions
susceptibles de gêner leur lecture. En somme, ce signe de ponctuation est
capable de traduire des émotions particulières des personnages.
Il participe en grande partie au reflet de la langue orale dans
l'écrit.
Enfin l'utilisation très fréquente des virgules,
des points d'exclamation pour renforcer le ton de la phrase et
accélérer son rythme :
« - Oui, là, elle a disparu maintenant,
mais c'était vraiment une étoile filante ! Nous l'avons
vue ! C'est pour toi, c'est un signe, un message ! Oh oui ! Tu
peux demander ce que tu veux, le ciel te l'accordera ! »
p.66
« - As-tu fait tes devoirs, rangé ta chambre,
ramassé tes affaires qui trainent n'importe où, essuyé la
vaisselle... » P. 93.
En lisant ces passages, nous remarquerons que l'auteur le
truffe de virgules et de points d'exclamation au point où le lecteur
arrive aisément à reproduire l'intonation orale. La ponctuation
oblige ainsi le lecteur à lire le texte d'une certaine manière et
avec certains rythme et ton, préalablement visés par l'auteur.
Bien que le langage des deux récits
précédemment cités fasse partie de l'oral, certains
passages à l'intérieur des mêmes textes ne relèvent
pourtant pas de l'oral et s'inscrivent au contraire dans le langage soutenu et
des fois poétique. Tel est le cas lorsque Leila dans Si, par une
nuit d'été... par exemple récite, lors d'une de leurs
réunions nocturnes, les paroles magiques qui peuvent ouvrir les portes
des ténèbres :
« O vous,
Esprits de la nuit
Dont les souffles raniment les braises
Qui rougeoient au coeur des ténèbres,
Saurez-vous d'un signe
Eclairer la voie
Et dévoiler ce qui est écrit pour
elle ? » p.63
Cet écart entre les langages est créé non
seulement entre les différents récits, mais existe à
l'intérieur d'un même récit. Le mélange
d'écritures littéraire et orale, l'alternance de langages et de
registres langagiers, donnent un rythme aux différents récits et
visent à produire un effet de liberté.
Afin de mieux percevoir cette écriture de
l'oralité et afin de faire ressortir ses mécanismes, nous allons
essayer d'approcher le texte de plus près. Les règles du
français académique, telle que la syntaxe, la bienséance,
ne sont pas respectées.
1. La syntaxe :
Les personnages, qui sont pour la majorité des filles
et des femmes, utilisent un langage propre à elles. Maïssa a
essayé de rapporter dans son recueil de nouvelles, non seulement la vie
qu'elles mènent, mais également leur façon de parler pour
donner aux différents récits une illusion de réel.
La construction traditionnelle de la phrase :
« pronom personnel + verbe + nom » n'est pas
respectée. Le démantèlement de la phrase est un trait
spécifique à la langue orale. Remarquons la suppression de
certains constituants « verbes » et
« compléments » de la phrase dans le passage
suivant : « Tenez, maintenant je vais.... »
P.57
« Moi, je suis, enfin, j'étais... la
nuit... Leila, ténèbres et velours... obscurité et
silence, enfin, je parle du prénom qu'on m'a donné...
là-bas...j'aurais préféré être la
lumière, Nour...mais ça aussi ... maintenant j'ai le
deuxième L de mon prénom ».Pp 49/50
La rapidité de la langue orale nécessite
à côté de cette suppression de certains mots, la
suppression de certaines lettres aussi. Dans certains cas, il s'agit d'une
élision, définie comme la « suppression, dans
l'écriture ou la prononciation de la voyelle finale d'un mot devant un
mot commençant par une voyelle ou un h muet »
2. Le lexique :
La langue retranscrite de l'orale
est une langue brute. Les mots employés par l'auteure sont des mots
vivants. Si le vocabulaire populaire est bien vivant, il donne naissance
à autant de mots qu'il en laisse mourir. Les mots familiers
n'appartiennent pas au monde de la langue académique, leur effet
esthétique est très limité. La bienséance est
pratiquement absente du texte.
Le recours de l'auteure à un mélange de mots
familiers et à des expressions familières nuit à la
compréhension de certains lecteurs francophone qui sont habitués
à la langue littéraire et non pas à la langue dialectale
propre à la société française.
Ainsi, nous retrouvons des mots familiers connus et compris
par tous communauté maghrébine : « Bent el
Houmma » pour fille du quartier, « Khalti
Aicha » pour ma tante, « La chahada » pour
témoignage, « Allah ou akbar » pour Au nom du Dieu,
« Hammam » pour Bain, « Meskina » pour
pauvre, « Leila » pour nuit, etc. D'autres expressions qui
font partie du langage familier maghrébin : « faire
tomber l'être de son ventre » qui signifie «
avorter », « là-bas chez nous » pour
désigner le pays l'Algérie, « le vent m'a
frappé »
Ces mots empruntés l'arabe populaire, introduits dans
le récit Improvisation, ne freinent pas le métro de
l'écriture, ni la compréhension du récit du fait qu'ils
sont suivis d'une interprétation.
Les lieux de la
réception :
Toute création littéraire est destinée
à la consommation du public. Le premier souci d'un auteur est celui
d'être lu et reconnu. Il cherche à séduire le lecteur est
l'incite à l'achat du produit dit « livre », par
l'emploi d'un bon titre qui facilite sa compréhension. G. Genette le
souligne quand il dit : « A la fois évidente et trop
insaisissable, la fonction de séduction, incitatrice à l'achat
et/ou à la lecture, ne m'inspire guère de commentaire [...] un
bon titre est le vrai proxénète d'un
livre »43(*)
Ainsi l'activité de production et l'activité de
l'édition sont intimement liées. Le livre ne prend
réellement vie et de dimension qu'une fois lu. Les jugements
esthétiques des lecteurs lui procurent cette existence. Il n'existe
qu'avec la complicité active de ses lecteurs et la réception de
l'oeuvre constitue une expérience esthétique au même titre
que sa production. Le lecteur lorsqu'il entre en contact avec le monde du
texte, est en quête de sens.
Une oeuvre est une création littéraire
accompagnée par des messages d'accompagnement qui contribuent à
la vêtir. Ces messages disposent de lieux spécifiques,
couvertures, dos de livres, pages intérieurs d'avant ou après le
texte.
« Il existe [...] autour du texte du roman, des lieux
marqués, des balises, qui sollicitent immédiatement le lecteur,
l'aident à se repérer, et orientent, presque malgré lui,
son activité de décodage. Ce sont, au premier rang, tous les
segments de texte qui présentent le roman au lecteur, le
présentent, le dénomment, le commentent, le relient au
monde : la première page de couverture, qui porte le titre, le nom
de l'auteur et de l'éditeur, la bande-annonce ; la dernière
page de couverture, où l'on trouve parfois le prière
d'insérer ; la deuxième page de couverture, ou le dos de la
page du titre, qui énumère les autres oeuvres du même
auteur ; bref, tout ce qui désigne le livre comme produit à
acheter, à consommer, à se conserver en bibliothèque, tout
ce qui le situe comme une sous-classe de la production imprimée,
à savoir le livre, et, plus particulièrement le roman. Ces
éléments [...] forment un discours sur le texte et un discours
sur le monde » 44(*)
Mais ils peuvent aussi occuper un support étranger au
livre lui-même qu'il s'agisse de commentaires éditoriaux ou
auctoriaux livrés à la presse, d'entretiens avec l'auteur lors
d'une émission radiophonique ou télévisée. Cet
écart spatial et temporel par rapport au texte est dit
« épitexte » définit par G. Genette comme
« est épitexte tout élément paratextuel qui
ne se trouve pas annexé au texte dans le même volume, mais qui
circule en quelque sorte à l'air libre, dans un espace physique et
social virtuellement illimité ». 45(*)
Aussi la première de couverture est d'une importance
majeure. C'est le biais par lequel s'effectue le premier contact entre le
lecteur et le livre. Le lecteur doit apprendre à manipuler l'objet-livre
en connaissance de cause pour savoir ce qu'il achète, pour faire ses
commandes et ses choix. Il doit repérer par une pratique suffisante le
type d'ouvrage qu'il consulte en fonction de son apparence. Il doit aussi
savoir observer le contenu de la première de couverture, sa mise en
forme.
Les indications génériques, annexes des titres,
ont aussi pour rôle d'attirer le lecteur, de capter son attention et de
susciter son intérêt, de situer l'oeuvre et de classer. Elles sont
reçues par le public comme une information sur une intention ou sur
une décision :
« L'indication générique est une
annexe du titre [...] puisque destinée à faire connaitre le
statut générique de l'oeuvre. Ce statut est officiel, en ce sens
qu'il est celui que l'auteur et l'éditeur veulent attribuer au
texte et qu'aucun lecteur ne peut légitimement ignorer ou
négliger cette attribution ».46(*)
Comme le rappelle G. Genette, ces indications doivent figurer
sur la première de couverture pour faire connaitre le statut
générique de l'oeuvre. En somme le contenu est du ressort de
l'écrivain et la présentation du livre reste
réservée généralement à l'éditeur.
Le livre qui fait l'objet de notre étude
« Sous le jasmin la nuit », présente
d'emblée quelques aspects paradoxaux donnant forme à une certaine
mouvance et instabilité. Ainsi la première question qui se pose
et s'impose est celle de savoir à quel genre littéraire
appartient cette oeuvre ? Le lecteur est d'emblée
troublé : aucune indication générique
mentionnée sur la première de couverture. Cette indication
n'apparait que dans la page de titre et dans le commentaire figurant sur la
quatrième de couverture qui annonce qu'il s'agit d'un recueil de
nouvelles et donne une vague idée sur les thèmes
abordés : « Les nouvelles de ce recueil ont toutes
pour héroïne une femme qui se bat pour son identité, sa vie
et sa liberté... »
Le livre est composé de onze nouvelles où
chacune d'entre elles est indépendante, s'autosuffisante et
cohérente. Les récits fonctionnent comme un ensemble, comme un
tout du fait que le recueil de nouvelles, pour René Audet, est
considérer non plus comme un corpus de textes autonomes à
analyser individuellement, mais comme totalité signifiante, oeuvre
certes composite mais unifiée par des effets de lecture qui
transgressent les frontières entre les
nouvelles »47(*)
Dans chacune de ces nouvelles est racontée une femme
rêveuse, une femme tourmentée. Cette souffrance, elle la vit seule
dans le silence.
Les titres :
Les éléments hétérogènes
qui entourent le texte ont pour rôle de le présenter et de
l'introduire, d'interpeller le lecteur et de conditionner sa lecture. Parmi ces
éléments, le titre s'impose comme étiquette de l'ensemble,
inaugure le protocole de lecture. Habituellement bref, facile à
mémoriser, allusif, il oriente et programme l'acte de lecture. Il met
donc en oeuvre les mêmes fonctions que le message publicitaire :
fonction référentielle, connotative et poétique :
« Le titre du roman est un message codé
en situation de marché ; il résulte de la rencontre d'un
énoncé romanesque et d'un énoncé
publicitaire ; en lui se croisent nécessairement
littérarité et socialité : il parle l'oeuvre en terme
de discours social mais le discours en termes de roman. [...] le titre
résume et assume le roman, et oriente la
lecture »48(*).
Le titre est à la fois stimulation et début
d'assouvissement de la curiosité du lecteur. Il est toujours plus ou
moins énigmatique : « Le titre, c'est bien connu, est
le nom du livre, et comme tel il sert à le nommer, c'est-à-dire
à le désigner aussi précisément que possible et
sans trop de risque de confusion »49(*).
Ne se détachant pas du contexte social, il
permet de formuler des hypothèses de lecture qui seront
vérifiées lors de la lecture. Le titre remplit trois
fonctions : la désignation, l'indication du contenu et la
séduction du public.
Titre et texte sont en étroite
complémentarité : « l'un annonce, l'autre
explique ». Le titre donc annonce le roman et le cache : il doit
trouver un équilibre entre « les lois du marché et le
vouloir dire de l'écrivain ». Le titre peut être
entièrement rapporté par l'auteur, mais l'éditeur semble
bien disposer d'un droit de regard sur sa composition ; la
responsabilité du titre, en principe, « est toujours
partagée entre l'auteur et l'éditeur ». 50(*)
Le message véhiculé par le texte prend forme
dans le titre même, ainsi le déchiffrement de ce dernier, qui est
un masque codé, nous permettra de vérifier cette
hypothèse, à savoir si le texte et le titre convergent vers une
même optique.
Le titre de ce recueil est un
titre « énigmatique » et abstrus, qui laisse le
lecteur sur sa faim, ce qui nous mène à penser que
l'écrivaine veut certainement provoquer chez lui un sentiment de
mystère en même temps qu'un sentiment de malaise, elle cherche
à attirer sa curiosité. Le lecteur cherche à
délimiter les diverses possibilités qui puissent convenir
à cette association (Jasmin/Nuit) afin de rendre le titre plus
intelligible et moins diffus. Pour ce faire, on s'interrogera sur le sens de
ce « Sous le jasmin la nuit » :
Par cette étude, on s'intéresse à la
polysémie du titre, aux jeux visuels et sonores qui lui sont
associés. Cette première série d'observations permet de
dépasser une simple lecture référentielle et de lire le
titre du recueil comme une métaphore de la poésie du langage.
Depuis des siècles, le jasmin est
considéré en Orient comme le symbole de l'amour et de la
tentation féminine. Ce titre est inspiré d'une chanson
On se propose de partir de l'observation des
titres (titre du recueil, titres des nouvelles) afin d'appréhender la
composition de ce recueil dans la perspective de ce que E. Hoppenot et M. Lopez
appellent, dans Les titres et leurs surprises,
« l'esthétique de la surprise » 51(*). Celle-ci peut se
définir par plusieurs traits: des images inédites et
juxtaposées qui confrontent le lecteur à un univers inattendu, le
recours à la polysémie, à l'analogie, toutes ces
caractéristiques contribuent à illustrer la richesse de l'oeuvre
de Maïssa Bey.
Une première lecture du titre du recueil permet de
constater qu'il est inspiré d'une chanson52(*). Aussi les occurrences des
termes se référant au jasmin et à la nuit sont symbole de
paix, de liberté, de silence ...
Cependant, le titre reste encore très
problématique. Tout d'abord, les références au jasmin
sont principalement des allusions à la joie et à
l'épanouissement. La nuit au silence, à la solitude, à la
mort. D'autre part, le titre ne semble pas renvoyer à la totalité
du recueil. Or, l'absence de déterminants et d'une virgule entre les
deux mots « Jasmin » et « Nuit »
ouvrent à une infinité de possibles.
Ainsi peut-on considérer que le titre du recueil
prend des significations dépassant le simple thématisme, le
jasmin pouvant être compris comme matériau poétique et
symbole de l'amour et de la tentation féminine. Cette difficulté
d'élucidation permet d'approcher l'esthétique de la surprise et
de s'interroger sur l'effet produit dans l'écriture tant par la
dimension métaphorique que par le jeu des associations sonores et
visuelles que cette première observation a permis de repérer.
On peut alors élargir le point de vue et mettre
à jour les motifs auxquels est associé celui du jasmin/ la nuit
pour s'interroger sur la relation qu'entretient le titre avec l'ensemble du
recueil et tenter de comprendre son pluriel. Les résonances positives du
jasmin peuvent être liées à la joie et
l'épanouissement, celles de la nuit au silence, à la solitude,
à la mort et à la régénération: Tout
comme l'hiver appelle le printemps, la nuit évoque la promesse d'une vie
renouvelée « Mais le noir est le symbole de la nuit
précédant le jour et il est alors force d'appel des
énergies du début du jour ». 53(*)
Il est aussi le symbole de l'amabilité et de la
bonté, en raison de son parfum agréable. Il exprime l'amour
naissant ou la sympathie voluptueuse. Certains lui donnent aussi la
signification de l'impatience amoureuse. Le jasmin exprime la
sensualité. Il symbolise aussi la grâce et
l'élégance, aussi le mensonge et le désespoir:
Dans le nom jasmin, on retrouve aussi les mots arabes
yas (désespoir) et min (mensonge).
Pourquoi cette plante magnifique porterait-elle de si mauvais présages?
Tout simplement parce que l'on dit que le parfum du jasmin blanc l'emportant
sur celui de toutes les autres fleurs, c'est lui que les maris adultères
offraient à leur maîtresse ! 54(*)
Ces tonalités opposées sont souvent
associées à d'autres motifs, également contradictoires et
qui, eux, parcourent l'ensemble du recueil. Il s'agit, d'une part, du motif de
l'eau, de soleil lui-même lié à l'ombre de la nuit ou
à celle du corps (" Les femmes ", " la mort "), et, d'autre part, du
motif du feu, dédoublé en thème de la lumière. Il
est alors possible de mieux comprendre le pluriel du titre et de voir, qu'en
fait, il renvoie bien à la totalité du recueil à condition
de s'éloigner de son sens référentiel et d'exploiter
toutes les ressources de la polysémie, ce qui permet de recentrer la
réflexion autour de l'esthétique de la surprise.
Le thème « jasmin » contrairement
à « Nuit » est peu présent dans la table des
matières, il n'est pas évoqué dans ce recueil de
nouvelles. Le titre « Sous le jasmin la nuit » mis
en relation avec les titres des nouvelles, participe donc déjà
à l'esthétique de la surprise : ceux-ci n'ont en effet pour la
plupart rien d'immédiatement commun avec le titre du recueil. La
fonction du titre comme programme de lecture est donc ici à
première vue détournée.
Ainsi, la table des matières éclaire-t-elle
davantage et permet-elle de mieux comprendre ce titre « Sous le
jasmin la nuit » ?
La lecture de la table des matières met en
évidence une apparente discontinuité, une
hétérogénéité des titres. Si l'on aborde
cette table des matières d'un point de vue thématique, on peut
identifier certains thèmes récurrents : les
femmes « Main de femme à la fenêtre»,
la nuit (Sous le jasmin la nuit », « Si, par
une nuit d'été », « nuit et
silence » les légendes et les mythes " La petite
fille de la cité sans nom », le temps et les saisons
« En ce dernier matin ».
Les titres comportent peu d'adjectifs et pratiquement aucun
verbe à part la nouvelle « C'est quoi un
arabe », et presque tous se présentent sans
déterminants.
Par certains aspects donc, les titres de la table des
matières constituent déjà, en tant que tels, un travail
sur la langue.
Certains titres sont repris de manière anaphorique et
répétés, soit au début, soit dans le corps de la
nouvelle. Ils répondent généralement à trois
caractéristiques : Ils informent, intéressent et nouent le
contrat de lecture.
Une aspiration :
Maïssa Bey a retranscrit ces mots pour se
sauver de la déraison et l'absurdité de ce monde. Elle a aussi
écrit cet ouvrage en pensant à tous ceux qui vivent des relations
affectives avec leurs enfants, leurs parents, leur conjoint ou leurs amis (es)
dans lesquelles ils se sentent privés de liberté et aussi
à ceux qui ne réussissent pas à connaître des
relations affectives satisfaisantes et durables parce qu'ils ont peur de perdre
leur liberté. Elle l'a écrit pour tous les gens qui s'aiment et
qui n'arrivent pas à exister pleinement, à s'affirmer simplement
ou à se dire authentiquement dans leur vie relationnelle. Par le biais
de ce recueil de nouvelles, elle écrit pour ceux qui prêtent aux
besoins, aux désirs, aux idées et aux opinions des autres plus
d'importance qu'à leurs propres besoins et pour ceux qui, par amour de
l'autre, négligent «l'amour de soi».
"A tous ceux qui me demandent pourquoi j'écris, je
réponds tout d'abord qu'aujourd'hui je n'ai plus le choix, parce que
l'écriture est mon ultime rempart, elle me sauve de la déraison
et c'est en cela que je peux parler de l'écriture comme d'une
nécessité vitale."55(*)
Ces pages permettront certainement à toute personne,
qui grâce à une éducation fondée sur le respect, a
trouvé la voie de la liberté profonde. Ceux-là trouveront
dans ce livre un écho de leur expérience et un outil de
confirmation et d'approfondissement.
Pour Maïssa Bey, aider ou éduquer quelqu'un c'est
lui permettre, par la relation même que nous avons avec lui, de
connaître et de trouver les clés de sa propre liberté et
non, par inconscience, d'entretenir les chaînes d'une dépendance
malsaine. Elle veut que toute personne contribue à
l'épanouissement de l'être par l'éclosion du sentiment de
liberté.
La lecture de recueil de nouvelles permettra aux lecteurs de
porter leur regard sur eux-mêmes plutôt que de le lire en essayant
d'utiliser son contenu pour comprendre les femmes ou les aider. La meilleure
façon de créer un sentiment réel de liberté dans
nos relations et dans nos sociétés est de consacrer notre
énergie à la recherche de liberté personnelle et
intérieure.
Esthétique de liberté :
1. L'éclatement de la parole :
Dans un style remarquable et dans une écriture
créative, la romancière peint les relations affectives entre les
individus ; elle parle du corps de la femme, du plaisir, du
désir, du sexe, elle le fait car cela s'intègre dans un ensemble,
sans aller dans l'autre sens, c'est-à-dire écrire des choses pour
choquer où pour plaire à une certaine société.
Elle recherche le mot juste dans son écriture afin d'exprimer des
situations vécues et son ressenti concernant son pays, sa
révolte.
La communication paraît impossible entre les
personnages. Les dialogues que Maïssa Bey nous propose mettent en
scène une violence souvent non déclarée,
suggérée et produite grâce à une parole aphone qui
se conjugue avec le silence dans un monde absurde. Les personnages de
« Nonpourquoiparceque » s'échangent des
paroles, mais l'incommunicabilité reste maîtresse du texte. Le
verbe vient en quelque sorte pour suppléer l'absence d'actions. Mais
paradoxalement, chaque mot dit par les personnages apporte au territoire
discursif un surcroît de légitimité et de densité.
Certes, les dialogues marquant le récit sont peu nombreux, mais
réussissent néanmoins à dessiner les contours d'une
rencontre trop peu productive. Mais peut-on parler réellement de
dialogue dans un univers où les personnages ne s'écoutent pas, ne
s'entendent pas, s'ignorent ? Ils vivent en vase-clos.
Les dialogues qui ont lieu entre les deux personnages :
la fille et sa mère dans la nouvelle
« Nonpourquoiparceque » marque le refus de cette violence
du milieu familial. Cette fille, toujours contrainte de contourner et de
déjouer la syntaxe du « parce que ! »,
cette réponse-injonction qui ponctue les refus et les interdictions
familiales. Alors, il faut mentir pour voler « la peur au
ventre » quelques instants de liberté.
Les paroles qu'elles s'échangent semblent incomprises,
tantôt ignorées. Les deux personnages se regardent, se parlent.
Chaque personnage construit un univers monologique. Cette absence
d'échange ou de communication est en soi une violence qui pousse chaque
individu à réclamer une liberté.
Cette réification des personnages est encore
renforcée par cette situation monologique. Parler, c'est agir, mais ici
parler n'a aucun sens, la parole est inapte à porter du sens. C'est
à la limite de cette « écriture
blanche » dont parle Roland Barthes dans Le degré
zéro de l'écriture.56(*)
Lorsque le mari s'adresse à son épouse, ses
paroles s'avèrent bientôt vaines. Son interlocuteur ne semble pas
entendre ce qu'il dit, ou omet de le faire Maya, l'épouse,
préfère ne pas parler, elle pense que la parole n'a aucune
utilité. Elle préfère écouter :
« ...il l'appelle. Maya. [...]Il ne sait pas si
elle le regarde, si elle lui sourit, attentif seulement à ce qu'il
pourra saisir d'elle et emporter avec lui. Halo de lumière transparente
du jour. Elle s'approche, prête à écouter, à
obéir ». Pp.12/13
Les mots se noient dans un océan de silence et
d'inefficacité. Tout se perd. L'homme est incapable de dire, de parler.
Il n'arrive pas à se faire maître de
l'« échange » souvent peu présent. Les
personnages évoluent dans un monde qui les dépasse. Chaque
personnage construit son propre univers où l'autre est exclue. Nous
avons affaire à une altérité négative.
La parole des personnages est dense, intéressante.
Maïssa bey essaye, par le biais des mots simples mais tranchants, de
briser le silence qui règne sur la société
arabo-musulmane.
Quelques répliques sont reprises et reviennent tout le
long du récit Nonpourquoiparceque sans que cela ne fasse
avancer le récit. Nous avons l'impression que les choses ne bougent pas.
Ce qui nous plonge dans l'univers de l'absurde.
- Dis, est-ce que je peux... ?
- Non !
- Pourquoi ?
- Parce que...
- Pourquoi parce que ?
- Parce que c'est comme ça.
Variante
- Parce que tu ne peux pas
- Pourquoi ?
- parce que P.89
Dans ce récit NONPOURQUOIPARCEQUE,
malgré les nombreux dialogues entre la jeune fille et sa mère, la
communication ne s'établit pas. Un décalage d'âge et
d'idées s'installe, ce qui crée un obstacle empêchant la
circulation de toute parole.
L'impuissance de communiquer provient aussi de l'impuissance
de la parole, et cette dernière provient de l'impuissance de l'homme qui
la produit. Dans le récit Sous le jasmin la nuit, Maya semble
fragile, faible et la vulnérable devant cette autorité
exercée par son mari.
Ailleurs, dans Nuit et silence la discussion entre la
femme terroriste et la jeune fille était aussi stérile à
cause de la divergence des points de vue. Elle exposait son point de vue avec
des phrases violentes.
Les différents récits portent essentiellement
sur des sujets d'actualité. Le but est de poser les questions
plutôt que d'y répondre, Maïssa Bey choisit de rester neutre
et lègue le rôle du juge et le verdict au lecteur.
A partir du silence des personnages et de la violence qui
prédomine, se construit les récits. La parole perd sa valeur et
sa fonction originelle. Les personnages sont en rupture avec leur langage et
avec leur vie. Maïssa Bey use de cette parole afin de démontrer
l'impuissance de la parole et l'absurdité du monde.
2.
L'horizon d'attente :
Tout acte de lecture suppose un acte d'écriture, ainsi
le lecteur construit la réalité que fabrique l'auteur dans sa
création de l'oeuvre, il construit une histoire qui est le mentir vrai
du roman. La première lecture est une lecture d'évasion
« lecture naïve ». Cette lecture éveille
l'aspect psychologique chez le lecteur, aussi l'aspect imaginaire qui va faire
appel à un code dit « code dramatique ».
L'acte de lecture de tout texte littéraire
préexiste une attente du lecteur, une conception préalable, des
préjugés et des présupposés qui orientent la
compréhension du texte et lui permettent une réception
appréciative tout en le classant dans le genre dont il fait partie. Cet
espace a été l'objet de nombreuses investigations et est
nommé, depuis les travaux de Hans Robert Jauss, L'esthétique de
la réception. En effet il écrivait :
« L'esthétique de la réception ne
permet pas seulement de saisir le sens et la forme de l'oeuvre
littéraire tels ont été compris de façon
évolutive à travers l'histoire. Elle exige aussi que chaque
oeuvre soit placée dans la série littéraire dont elle fait
partie, afin qu'on puisse déterminer sa situation historique, son
rôle et son importance dans le contexte général de
l'expérience littéraire »57(*).
L'ensemble de ces éléments qui conditionnent cette
réception de l'oeuvre d'art correspond, selon une terminologie que Hans
Robert Jauss empruntée à l'épistémologue Karl
Popper, à « l'horizon d'attente » du
récepteur :
« Selon Popper, la démarche de la science
de l'expérience pré-scientifique ont en commun le fait que toute
hypothèse, de même que toute observation, présuppose
certaines attentes, « celles qui constituent l'horizon d'attente sans
lequel les observations n'auraient aucun sens et qui leur confère donc
précisément la valeur d'observation »58(*).
Ce concept constitue une des notions clef de
l'esthétique le la réception, mais il ne doit cependant pas
être perçu comme une forme de déterminisme figé.
Jauss conçoit cet horizon d'attente comme un code esthétique des
lecteurs : tout lecteur doit mobiliser des savoirs culturels, des
connaissances du genre, une familiarité avec la forme et le thème
et le contraste entre langue littéraire et langue pratique, bref, c'est
la somme des éléments plus ou moins conscients dont il dispose et
qu'il est prêt à réinvestir dans le texte pour mieux le
comprendre. Dans le cadre d'une étude de l'oeuvre d'art, la prise en
compte de cet horizon d'attente apparaît comme essentielle, car
dès son origine :
« L'oeuvre [...] nouvelle est reçue et
jugée non seulement par contraste avec un arrière-plan d'autres
formes artistiques, mais aussi par rapport à l'arrière-plan de
l'expérience de la vie quotidienne. La composante éthique de sa
fonction sociale doit être elle aussi appréhendée par
l'esthétique de la réception en termes de question et de
réponse, de problème et de solution, tels qu'ils se
présentent dans le contexte historique, en fonction de l'horizon
où s'inscrit son action » 59(*).
Ainsi, pour toute étude littéraire, il faut
prendre en considération la question de la réception de l'oeuvre
afin de mieux cerner l'ensemble des choix effectués par l'auteur servant
à son élaboration.
Selon Sartre : « la lecture est une
création dirigée », c'est-à-dire que tout
lecteur, quand il lit un livre le crée, mais il le crée au sein
d'un cadre fourni par l'auteur. Ce dernier aspire à communiquer du
nouveau, mais il est contraint, pour tenir compte de la réception et de
la situation de discours, à intégrer son texte dans une tradition
formelle. Par conséquent, son choix de l'écriture doit-il rester
limité afin de satisfaire le lectorat, et rester fidèle à
son horizon d'attente ?
Les écrits de Maïssa bey s'inscrivent dans le
cadre de la littérature maghrébine d'expression française.
Par ailleurs, ses lecteurs sont loin d'être limités par une
zone géographique prédéterminée, ne
dépassant pas les lisières de la
méditerranée ; bien au contraire, le champ est plus vaste
que cela, s'étendant aux lecteurs de toutes les communautés
francophones. Cette appartenance particulière à une
littérature spécifiée, limite par contre leur horizon
d'attente qui se trouve conditionné par les évènements
sanglants que vit l'Algérie depuis plus de dix ans et par
l'écriture de l'urgence qui marque les dernières productions
littéraires algériennes.
Ainsi, on apprend parfois plus sur le lecteur que sur
l'oeuvre, selon Sartre : « tous les ouvrages de l'esprit
contiennent en eux même l'image du lecteur auquel ils sont
destinés ». En effet, si le livre est destiné
à un lecteur non concerné il n'aura désormais aucun
intérêt ; néanmoins, l'attente du lecteur ne
transparaît pas nécessairement dans la lecture qu'il en fera. Le
lecteur en lisant Comme un bruit d'abeilles s'attend à lire des
témoignages, à lire un texte qui peint avec
fidélité la société algérienne de ces
dernières années en proie au terrorisme et où la
réalité est présentée sans aucun fard. En somme, il
s'apprête à lire une des formes de cette écriture de
l'urgence. L'horizon d'attente qu'il développe, n'est pas, selon Jauss,
strictement individuel, mais aussi historique, c'est-à-dire
trans-individuel. Cette attitude d'attente influence la lecture, mais pas
obligatoirement dans un sens déterminé. Afin de susciter encore
plus l'intérêt de ses lecteurs et de mettre en branle leur
imagination, Maïssa bey demeure indocile et va à l'encontre de
cette attente en insistant sur tous les aspects imprévisibles et
susceptibles de les choquer et de créer chez eux une insatisfaction qui
ne peut-être assouvie qu'une fois l'oeuvre est lue et relue. Selon
Charles Bonn :
« L'échec d'une littérature trop
fidèle à l'horizon d'attente qui l'accueille, ou aux directives
idéologiques d'un discours culturel, provient de sa sollicitation d'un
lebel de conformité », et il ajoute que
« la répétition ne produit que des épigones
insignifiants, même si dans l'instant de leur première lecture ils
comblent une lecture qui ne sait pas qu'elle n'attend plus ce
déjà connu, tout en le
réclamant ».60(*)
Le lecteur s'attend à lire une série de
nouvelles fictives et imaginaires, mais le texte proposé par Maïssa
Bey ne répond plus à cette attente. Ces textes constituent ce
que Jauss appelle « l'écart
esthétique », qui est la deuxième notion clef de son
esthétique de la réception. Il considère que plus cet
écart esthétique est important, meilleur est le livre. Pour
« bien lire le roman » il ne faut donc rien en attendre
parce qu'attendre quelque chose, c'est se préparer à être
déçu. Cet écart rend l'oeuvre sapide malgré qu'il
contrecarre parfois l'attente du lecteur avec tout ce que cela peut
entraîner comme conséquences indésirables à savoir
le risque de produire l'effet contraire : lasser et blaser le lecteur et
compromettre l'approbation du public.
Afin d'atteindre son objectif, Maïssa Bey met en oeuvre
différentes méthodes qui concourent à l'élaboration
de cet écart. Elle procède par le plan thématique et
narratif, pour passer ensuite au plan formel et technique.
Les divers thèmes abordés par l'auteure
convergent tous vers cette même idée de liberté qu'elle
tend à exprimer et à observer au travers de son écriture.
Mais sont-ce ces thèmes que tout lecteur s'attend à lire ?
Selon l'esthétique de la réception, l'oeuvre littéraire
est reçue et jugée aussi par rapport à
l'arrière-plan de l'expérience de la vie quotidienne, ainsi, le
terrorisme en Algérie reste au coeur de cette attente qui se
réfère toujours à ce statut
d'écrivain-témoin.
La première partie de notre étude nous a permis
de voir les différents thèmes traités par l'auteur et de
constater que le thème du terrorisme y figure mais qui n'est cependant
pas prédominant - il n'est abordé que dans un
récit : Nuit et silence. D'autre part, le récit
d'ouverture et celui qui scande le reste des récits n'est aucunement en
rapport, ni avec ce thème attendu, ni avec l'Algérie, ce pays
sensé hanter les romans des écrivains Algériens. A
l'encontre de toute attente, il s'agit des thèmes de la polygamie,
l'intégrisme et de la liberté de la femme.
Selon Glaudes et Reuter 61(*) les modalités de lecture permettent de
spécifier les types de relations que lecteur établit avec le
texte narratif. Il distingue trois modalités possibles, applicables
à tous les textes, or si on en cherchait la correspondance avec la
lecture de notre texte on en dégagera deux, au lieu d'une :
1- La modalité phénoménale -
descriptive ou factuelle : selon laquelle le lecteur, se sentant
extérieur à l'histoire, enregistrerait les faits rapportés
sans en chercher les causes ni prendre parti.
2 - La modalité identifico-émotionnelle :
le lecteur, se sentant impliqué dans l'histoire - qu'il s'identifie aux
personnages ou qu'il les rejette par des jugements et des manifestations
émotionnelles - tenterait d'expliquer la conduite des protagonistes par
leur caractère et la dynamique de leurs rapports
réciproques.61(*)
Ainsi tout lecteur, quelque soit sa nationalité, peut
s'identifier au texte. Il adoptera deux types de relations : il se sentira
concerné à plus d'un titre dans quelques uns des récits
tandis que pour d'autres, il aura une vision extérieure plus
limitée et moins impliquée. Finalement, et malgré cet
écart historico-esthétique, Maïssa Bey tente de contenter
tous ses lecteurs et de satisfaire tous les goûts.
Maïssa Bey a fait référence aux textes
antiques et à la mythologie grecque qui est assez courante chez les
écrivains littéraires ; Le mythe d'Ariane, de Phèdre
et d'Antigone. Ce dernier est l'un des plus connu, et qui a fait l'objet de
nombreuses études littéraires, sociologiques et psychologiques,
ce qui a permis aux lecteurs d'en savoir et d'en connaître un minimum.
De ce fait Maïssa les intègre dans les deux récits
« Improvisation » et « La petite fille de la
cité sans nom ». il n'est pas sans savoir que son lectorat
connaît bien les points cardinaux de ce mythe. Par conséquent,
tout changement ou rectification effectué à ce niveau serait
d'emblée repéré. Or il ne s'accommode pas de l'utiliser
sous sa forme originaire et l'introduit sous une nouvelle forme conforme avec
le rôle de l'un de ses personnages : la petite fillette de
« La petite fille de la cité sans
nom ». Ce qui nous mène à considérer
cet acte comme une violation attentatoire à l'horizon d'attente.
La petite fillette s'identifie à Ariane dans sa
recherche d'un amour perdu et d'une liberté enchantée. Mais
l'identification à ce personnage mythique reste partielle et la
comparaison faite des deux personnages reste diffuse du fait que dans l'incipit
Maïssa bey compare cette fille à Ariane qui a aidé
Thésée pour sortir du labyrinthe : « Elle
aurait pu s'appeler Ariane. Pourquoi Ariane ? A cause de son nom, et aussi
des labyrinthes. De ceux qu'on doit parcourir dès l'enfance, pendant
longtemps, jusqu'à ce qu'on trouve la lumière »
P.149
Mais on assiste une certaine infidélité de
l'auteur vis-à-vis du mythe voire à sa démythification.
Ainsi, ce personnage comparé à Ariane, se trouve confondu avec
Thésée, quand elle cherche la sortie et la lumière du
jour :
« Elle non plus ne sait pas pourquoi elle
rêve souvent de labyrinthes. D'immenses galeries sombres et humides,
inlassablement parcourues en allers et en retours inutiles. Toutes les nuits,
elle court, s'égare dans inextricables dédales, parce que
personne n'a tendu de fil pour elle pour l'aider à déboucher sur
la lumière » Pp. 151/152
N'est-ce pas une mise en question de tout le mythe ? Le
lecteur en lisant : « « Elle aurait pu s'appeler
Ariane. Pourquoi Ariane ? A cause de son nom, et aussi des labyrinthes
[...] » P. 149, s'attend à une certaine concordance
entre les deux personnages, mais l'auteur s'arrange toujours pour passer outre
cette attente, ce qui perturbe les connaissances préalables du lecteur
et met davantage son imagination en éveil.
CONCLUSION :
Dans un monde régi par l'égalité
sexuelle, les femmes et les hommes s'exprimeraient de la même
manière. La domination masculine a généré
l'illusion d'une littérature « féminine » qui
n'est en fait qu'une réaction à la culture patriarcale. Les
femmes, dans leurs productions diverses, ne font que faire
réapparaître un contenu humain (le corps en l'occurrence) que les
hommes ont décidé de ne pas reconnaître comme leur et dont
ils ont fait le propre des femmes. Ce qui résoudrait du même coup
la contradiction qui appert dans la conformité entre ce qu'elles disent
et ce qu'« ils » disent d'elles : les femmes sont
corps.
Mais le problème est plus complexe. Car pour autant
que les femmes parlent du corps, c'est toujours encore du corps
féminin. Un corps féminin qu'elles soumettent comme
les hommes à l'infini de l'abjection, de la torture et de la
disparition. De ce fait, la réduction phallique de la femme à la
chair et de la chair à la femme demeure, et c'est en cela que la
littérature féminine ainsi décrite ne fait
qu'entériner la domination masculine.
Cette littérature féminine est contestée
parce qu'elle est dérangeante. La société est
bousculée par des oeuvres où une subjectivité s'expose,
où un(e) individu(e) se gère, se mettant en marge de
l'approbation du groupe.
Ainsi, on ne pense pas qu'il y ait une
spécificité de l'écriture féminine dans la
littérature du monde arabe. On pense que c'est réduire
l'importance de la femme arabe que de la cantonner à une écriture
revendicative. Lorsqu'elles écrivent, elles ne sont ni homme ni femme.
Un livre n'est pas un tract politique. Écrire pour une femme comme pour
un homme, c'est retranscrire la vie et, au-delà, rendre compte de
l'univers intérieur qu'elles traversent.
Il est toutefois évident que dans le monde
maghrébin en particulier, les écrivains hommes ont une place
prépondérante. C'est sans doute le signe que dans une
société où la communauté passe avant l'individu,
les femmes ont plus de mal à accéder au droit d'exister par elle
même donc de créer. Mais Leur situation n'est pas monolithique.
Elles puisent du flux entre leurs racines arabes et leur expérience
française. Il y a dans cette écriture, des rythmes, une
sensualité, une lumière qui leur viennent de l'autre
côté de la Méditerranée. C'est cela qui leur
caractérise. Plus que le fait d'être une femme.
Pour dire l'histoire des femmes et de son pays dans une langue
venue de l'ailleurs, la romancière Maïssa Bey s'approprie le
français, le transforme. Son langage supprime le superflu pour donner
naissance à une écriture sèche et envoûtante dans
ses répétitions et la brièveté de ses phrases.
Au-delà du témoignage, l'adoption du français donne
à l'auteur une certaine liberté dans les thèmes
abordés et en particulier dans le traitement de l'univers
féminin. Il lui est possible d'évoquer la solitude des femmes,
leur dépendance aux hommes et la question du viol
Ainsi, L'écriture est devenue pour Maïssa Bey son
seul espace de liberté, dans la mesure où elle écrit
poussée par le désir de redevenir sujet, de remettre en cause,
frontalement, toutes les visions d'un monde fait par et pour les hommes
essentiellement.
La plupart des femmes ont connu une vie difficile, leur
souffrance d'enfance, d'adolescence et d'adulte était en grande partie
causée par le fait qu'elles donnaient inconsciemment aux autres le
pouvoir de leur enlever la liberté d'être elles-mêmes. Cette
souffrance les a maintenues dans un emprisonnement psychique qui a
contribué à réprimer leurs émotions et leurs
besoins, et aussi leurs potentialités créatrices. Certaines
d'entre elles ont appris dans la famille à tirer un apprentissage de
chacune de des difficultés et de chacun de des problèmes que
leurs expériences personnelles ont été la meilleure
école de formation.
Dans cet ouvrage Maïssa Bey évoque la question de
la liberté. Une question qui a constitué un thème majeur
de la fiction universelle. Elle nous invite dans cet ouvrage à
méditer sur les questions de l'essence de l'homme, sa
prédisposition à la violence et l'absurdité de son monde
afin d'acquérir sa liberté.
Elle suit une voie originale. Elle a créé des
personnages auxquels elle a su donner la force et la dimension de l'univers.
Ils avouent des itinéraires et des souvenirs communs et s'inventent des
destinées à la démesure de leur fracture avec la vie.
Certains choisissent de subir leur destin, au même moment que d'autres
préfèrent y échapper par le rêve.
Au niveau de l'écriture, nous avons essayé de
démontrer comment l'écriture pourrait-elle être libre. Des
différents éléments paratextuels qui favorisent la
réception du recueil, on a pu déceler cette autre forme de
liberté qui agit sur le lecteur indirectement mais intensément.
La dernière partie de notre travail démontre la liberté de
la parole et de la narration et du langage.
Ainsi notre étude se veut une étude
générale du thème de la liberté dans le recueil de
nouvelles de Maïssa Bey Sous le jasmin la nuit. Un survol des
différents aspects de la liberté produite dans ou par le texte,
ce qui ouvre la perspective pour d'éventuelles recherches plus
approfondies.
BIBLIOGRAPHIE
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Barzakh, Alger, 2004.
Ouvrages généraux :
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Convergence critique II, Alger, Edi. Tell, Décembre 2002
Gérard Genette, Figures II, Paris, Seuil,
1969.
Gérard Genette, Seuils, Paris, Seuil, 1969.
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récit, Paris, Seuil, 1983.
G. Genette, Hans R. Jaus. Théorie des genres,
Paris, Edit. Seuil. 1986.
Glaudes Pierre et Reuter Yves, Le personnage,
Paris, PUF, Collection « Que sais-je ? »,
1998.
Hans Robert Jauss, Pour une esthétique de la
réception, traduit par Maillard C., Paris, Gallimard, 1978.
Jacqueline Arnaud, La littérature maghrébine de
langue française. Origines et perspectives, Paris, Collection
Espaces méditerranéens, Publisud, 1996.
Jean-Pierre Goldenstein, Lire le roman,
Bruxelles, De Boeck & Larcier, 1999.
Marc Gontard, La violence du texte. La littérature
marocaine de langue française, Paris, L'Harmattan, 2000.
Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie
du roman, Paris, Gallimard, 1987.
Roland Barthes, Le degré zéro de
l'écriture, suivi de nouveaux essais critiques, Paris, Le Seuil,
1953, Rééditions 1972.
Samoyault Tiphaine, L'intertextualité.
Mémoire de la littérature, Paris, Armand Colin, 2005.
Cervoni Jean, L'enonciation, Paris, PUF, 1987
OEuvres littéraires citées :
De Maïssa Bey :
Surtout ne te retourne pas, Alger, Barzakh, 2005.
Entendez vous dans les montagnes..., Alger, L'Aube /
Barzakh, 2005.
Bleu, blanc, vert. Alger,
Edition de Barzakh, Septembre 2006.
D'autres oeuvres :
Italo Calvino, Si par une nuit d'hiver un voyageur,
Paris, Le Seuil, 1981Berthold
Travaux universitaires :
AZZOUZ Asma-Lamia, Ecritures féminines
algériennes de langue française (1980-1997). Mémoire, voix
resurgies, narrations spécifiques. Thèse de
doctorat (sous la direction du professeur Arlette Chemain),
Université de Nice - Sophia Antipolis, 1998.
BENDJELID Faouzia, L'écriture de la rupture dans
l'oeuvre romanesque de Rachid Mimouni, Thèse de doctorat, (sous la
direction de Fewzia SARI) Université D'Oran, 2006.
FOUET Jeanne, Aspects du paratexte dans l'oeuvre de Driss
Chraïbi, Thèse de doctorat, (sous la direction de
Marie Miguet), Université de Besançon, 1997
Sites Internet :
http://www.africansuccess.org/visuFiche.php?id=630&lang=fr
http://www.aujardin.info/plantes/jasmin_hiver.php
http://discipline.free.fr/noir_blanc.htm
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http://www.initiales.org/chap004/rubr001/index.html.
http://www.lesfrancophonies.com/maison-des-auteurs/bey-maissa
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www.limag.com.
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www.yahoo.fr.
http://zaweche.unblog.fr/2008/05/21/maissa-bey-un-auteur-a-lire-absolument-et-le-plus-vite-possible/
CD Rom :
Le petit Larousse illustré. 2007.
* 1 - Le petit Larousse
illustré.2007.
* 2 -
http://www.lesfrancophonies.com/maison-des-auteurs/bey-maissa
* 3 - Jean-Pierre Goldenstein,
lire le roman. Page 24 In http://books.google.fr/books?
* 4 - R .Barthes, le
degré zéro de l'écriture, suivi de nouveaux essais
critiques, éd. Du Seuil, coll. Points, 1972.p.62
* 5- R. Barthes cité
par Bendjelid Faouzia, L'écriture de la rupture dans l'oeuvre
romanesque de Rachid Mimouni, Thèse de doctorat, Université
D'Oran, 2006, p.164
* 6 - Maïssa Bey avait
sept ans quand elle a perdu son père mort en 1957 suite à des
tortures que lui ont infligées des militaires français, venus le
chercher à la maison et emmené devant elle. Elle était
marquée à jamais de cette séparation brusque et
brutale.
* 7-
http://dzlit.free.fr/ajauteur.php?aut=01140
* 8-
http://www.decitre.fr/livres/La-violence-du-texte.aspx/9782858021796
* 9 - Roland Barthes, Le
degré zéro de l'écriture, suivi de nouveaux essais
critiques, Paris, Le Seuil, 1953, Rééditions 1972.
* 10 - Boukalettes » est
un jeu familial algérien qui consiste à faire des noeuds à
un mouchoir ou un foulard puis on prononce une formule tout en dénouant
ces noeuds afin qu'un rêve soit réalisé.
* 11 - Mahmoud Darwich,
poète de la résistance, poète de l'exil, chef de file de
la poésie arabe contemporaine. Il consacre des poèmes d'amour
aux femmes « Le lit de
l'étrangère ». Il porte une attention
particulière à la condition des femmes palestiniennes.
* 12 - Warda veut dire rose et
par extension, désigne toute fleur. Leila signifie « Nuit » et
le prénom Assia un continent « Asie »
* 13 - Maïssa Bey.
Entendez-vous dans les montagnes. Edi. L'aube. Paris. 2002.
* 14 - Todorov,
Littérature et signification, Paris: Larousse, 1967. Selon
l'auteur, un énoncé réflexif est tout énoncé
qui « parle, donc, à l'intérieur de
l'énoncé, d'un des éléments du processus
d'énonciation de ce même énoncé, de son acte
d'émission. », p. 26.
* 15 -
http://ae-lib.org.ua/texts/todorov__poetique_de_la_prose__fr.htm.
Selon Todorov, la parole-action et la parole-récit
sont deux types des discours : La parole-action est perçue comme
une information, la parole-récit comme un discours.
* 16 - Un autre texte de Bey,
Entendez-vous dans les montagnes (2002), est l'objet d'une quête
douloureuse où l'auteur tente de reconstituer les circonstances de la
mort de son père et essaie de donner un visage au tortionnaire qui a
cause sa mort.
* 17 - Baroni, Raphaël,
« Tension narrative, curiosité et suspense : les deux niveaux
de la séquence narrative », in VOX POETICA, le 6
janvier 2004, p.12.
* 18 - Maïssa Bey
cité par BENDJELID Fouzia, L'écriture de la rupture dans l'oeuvre
romanesque de Rachid Mimouni, Thèse de doctorat, (sous la direction de
Fewzia SARI) Université D'Oran, 2006. P. 544
* 19 - Maïssa bey. Bleu,
blanc, vert. Edition de Barzakh, Alger, Septembre 2006.
* 20 -
http://pedagogie.ac-aix-marseille.fr/etablis/lycees/A_Briand/CDI/,
20/04/2004.
* 21 - Maïssa Bey,
Nouvelles d'Algérie, Paris: Grasset, 1998, p. 11-12.
* 22 -
http://www.lesfrancophonies.com/maison-des-auteurs/bey-maissa
* 23 - G. Genette, Hans R.
Jaus. Théorie des genres. Edit. Seuil. Paris 1986. p125
* 24 -
http://zaweche.unblog.fr/2008/05/21/maissa-bey-un-auteur-a-lire-absolument-et-le-plus-vite-possible/
* 25 -
http://zaweche.unblog.fr/2008/05/21/maissa-bey-un-auteur-a-lire-absolument-et-le-plus-vite-possible
* 26 - Duchet Claude
cité par Jean-Pierre Goldenstein. Lire le roman. Page 85, In
http://books.google.fr/books?
* 27 - Dans la rubrique
L'auteur répond aux questions d'Algérie Littérature /
Action, Nov. 1996, Paris: Editions Marsa, p.75
* 28 - Idem, p.77.
* 29- Dans la
mythologie
grecque, Phèdre est la fille de
Minos, roi de
Crète, et
de
Pasiphaé.
C'est aussi la soeur d'Ariane qui aide Thésée à sortir du
labyrinthe. Elle épouse
Thésée,
roi d'
Athènes.
Tombée amoureuse de son beau-fils,
Hippolyte
(que Thésée a eu avec
Antiope,
la reine des
Amazones), elle est
repoussée par celui-ci. Par vengeance, elle accuse le jeune homme
d'avoir cherché à la violenter. Furieux, Thésée
implore aussitôt sur son fils la malédiction de
Poséidon,
qui lui doit trois voeux. Poséidon emballe les chevaux du jeune homme
qui périt écrasé par son char. Accablée de remords,
Phèdre se suicide et Thésée apprend trop tard la
vérité
Quant à « Antigone »,
elle est la soeur de Polynice qui est venu avec les armées d'
Argos pour reprendre le
trône de Thèbes à son frère Étéocle.
Les deux hommes s'entretuent lors d'un combat singulier. Le nouveau roi, leur
oncle Créon déclare Polynice « traître à
la patrie » et interdit toute sépulture sous peine de mort,
condamnant ainsi son âme à l'errance. Mais Antigone s'oppose,
seule, à cette décision. Elle s'en va jeter quelques
poignées de terre sur le corps de Polynice. Prise en flagrant
délit, elle affronte Créon qui lui dénie, en tant que
femme, le droit de faire la loi et fait appliquer la sentence de mort. Il la
fait emmurer dans une grotte.
* 30 - Assia Djebar cité
par
* 31 - Roland Barthes, Le
degré zéro de l'écriture, suivi de nouveaux essais
critiques, Le Seuil, 1953, Rééditions 1972, page 29.
* 32-
http://zaweche.unblog.fr/2008/05/21/maissa-bey-un-auteur-a-lire-absolument-et-le-plus-vite-possible/
* 33 -
Ariane est, dans la mythologie grecque, la fille du roi de
Crète Minos (fils de Zeus et d'Europe) et de Pasiphaé. Soeur de
Glaucos, Phèdre, c'est aussi la demi-soeur du Minotaure. Séduite
par Thésée, elle aide celui-ci à s'échapper du
Labyrinthe. Contre la promesse de l'épouser, elle lui fournit un fil
qu'il dévide derrière lui afin de retrouver son chemin, seul
moyen de triompher du labyrinthe qui n'a qu'une seule entrée.
* 34 - Tomachevski cité
par Raphaël Baroni In VOX POETICA, Tension narrative,
curiosité et suspense : les deux niveaux de la séquence
narrative Le 6 janvier 2004. P.12
* 35 - Grivel, Charles (1973
:261-262). cité par Raphaël Baroni In VOX POETICA,
Tension narrative, curiosité et suspense : les deux niveaux de la
séquence narrative Le 6 janvier 2004. P.12
* 36 - Tzvetan Todorov,
Littérature et signification, Paris, Librairie
Larousse, 1967. p. 58.
* 37 - Tzvetan Todorov,
Littérature et signification, Paris, Librairie
Larousse, 1967. p. 59.
* 38 -
http://sisyphe.org/spip.php?article1400
* 39 -
http://zaweche.unblog.fr/2008/05/21/maissa-bey-un-auteur-a-lire-absolument-et-le-plus-vite-possible/
* 40 -
http://www.lexpressiondz.com/article/3/2008-05-22/52837.html
* 41 - Jean Cervoni.
L'énonciation. Paris, PUF, 1987. Page 20
* 42 - Ibid. Page 20
* 43 -
Gérard Genette. Seuils, Paris , Edi. Seuil, 2002, page 95.
* 44 - Henri Mitterrand, 1979
cité par Kristian Achour In Clefs pour la lecture des récits.
Convergence critique II, Alger, Edi. Tell, Décembre 2002
* 45 - Gérard Genette.
Seuils, Paris, édit. Seuil, 2002, page 346
* 46 - Gérard Genette.
Seuils, Paris, édit. Seuil, 2002, page 99
* 47- René Audet,
des textes à l'oeuvre, cité par Cécile Alduy in
http://www.fabula.org/revue/cr/84.php
* 48 - Claude Duchet
cité par Kristain Achour in Clefs pour la lecture des récits.
Convergence critique II, Alger, Edi. Tell, Décembre 2002
* 49 - Gérard Genette.
Seuils, Paris , édi. Seuil, 2002, Page83
* 50 - Ibid, pp. 77/78. La
relation auteur-lecteur est une relation de production et de consommation. A
coté de cet aspect littéraire se superpose l'aspect commercial.
Ces deux aspects sont indissociables. Le titre est, de plus en plus
travaillé par l'auteur, mais aussi par l'éditeur pour
répondre aux besoins du « marché
littéraire », constitue la porte d'entrée dans
l'univers livresque. et participe à la médiation entre l'auteur
et le lecteur.
* 51 -
http://www.cpod.com/monoweb/atari/atari/alcool.htm.
* 52 -
http://www.lesfrancophonies.com/maison-des-auteurs/bey-maissa
* 53 -
http://discipline.free.fr/noir_blanc.htm
* 54 -
http://www.aujardin.info/plantes/jasmin_hiver.php. 17/05/2008
* 55 -
http://www.africansuccess.org/visuFiche.php?id=630&lang=fr
* 56 - Roland Barthes, Le
degré zéro de l'écriture, suivi de nouveaux essais
critiques, Paris, Le Seuil, 1953, Rééditions 1972.
* 57 - Jauss H.R., Pour une
esthétique de la réception, Paris, Gallimard, 1978,
p. 69
* 58 - Ibid. p. 82
* 59 - Jauss H.R., Pour une
esthétique de la réception, Paris, Gallimard, 1978, p.
83
* 60 - Glaudes Pierre et Reuter
Yves, Le personnage, Paris, PUF, Collection « Que
sais-je ? », 1998.
* 61 - Glaudes Pierre et
Reuter Yves, Le personnage, Paris, PUF, Collection
« Que sais-je ? », 1998. p. 115.
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