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L'expression de la Liberté dans « sous le jasmin la nuit » de Maà¯ssa Bey

( Télécharger le fichier original )
par Abdelkader Belkhiter
Université de Saà¯da Algérie - Magister 2009
  

Disponible en mode multipage

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République Algérienne Démocratique et Populaire

Ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique

Université de Saïda

Faculté des Lettres

« Moulay Tahar »

L'expression de la liberté dans « Sous le jasmin

la nuit » de Maïssa Bey

Mémoire de Magister,

Présenté par Belkhiter Abdelkader

Membres de jury

-

-

-

Année 2009

Table des matières

REMERCIEMENTS 4

INTRODUCTION : 5

Maissa Bey : 7

Sous le jasmin la nuit 8

Pourquoi la liberté ? 11

Chapitre I

La rupture : 13

L'écriture de la liberté 13

Liberté et/ou Nécessité 15

Un conflit : La liberté dans les relations affectives 17

Un récit éclaté : Une structure fragmentée 22

Récit de femme 25

Une parole révoltée 30

Un interdit 33

Conclusion 36

Chapitre II

Un désir : 37

Conclusion 45

L'altérité 46

Une affirmation 48

L'interrogation : Les réactions de la société 53

1. Les réactions du groupe social: 53

2. La résistance des individus face à la violence 55

Chapitre III

L'écriture comme création : 58

La liberté donnée par l'écriture : 59

La liberté du langage : 63

Ecriture libre 64

1. La syntaxe : 68

2. Le lexique : 69

Les lieux de la réception : 70

Les titres : 73

Une aspiration : 77

Esthétique de liberté : 78

1. L'éclatement de la parole : 78

2. L'horizon d'attente : 81

CONCLUSION : 87

BIBLIOGRAPHIE 90

Corpus : 90

Ouvrages généraux : 90

OEuvres littéraires citées : 91

De Maïssa Bey : 91

D'autres oeuvres : 91

Travaux universitaires : 91

Sites Internet : 92

CD Rom : 92

REMERCIEMENTS

INTRODUCTION :

La littérature maghrébine d'expression française se caractérise par l'appartenance à un espace, une chronologie et à une Histoire. Elle a rompu avec la tradition de la production littéraire arabe qui privilégiait le genre poétique et théâtral, tout en choisissant la langue française pour recourir à la forme romanesque, une forme plus récente et plus dominante puisqu'elle a un large public contrairement à la poésie et au théâtre qui sont restés marginalisés dans leurs choix d'écriture. Il est à signaler aussi que ces écrivains maghrébins n'ont pas rompu seulement avec la tradition arabe, mais ils ont rompu aussi avec la tradition romanesque française, leurs écritures avaient d'abord consisté à imiter les auteurs européens, puis à dévoiler le non-dit masqué par cette imitation, en tentant d'expliquer le Maghreb aux autres. Telle avait bien été la démarche de grands auteurs comme Feraoun, Mimouni, Assia Djebar, Mohamed Dib, Kateb Yacine, Abdelhamid Benhaddouga, Mouloud Mammeri et d'autres qui ont donné à la littérature algérienne cet élan qui ne cesse d'impulser les oeuvres littéraires de ces dernières années.

Cette littérature maghrébine d'expression française, dominée par les noms d'hommes, a aussi donné aux femmes le droit à la parole et l'expression libre afin d'imposer leurs noms et leurs écritures. Des noms de femmes ont illustré le patrimoine littéraire de cette région du Maghreb comme: Assia Djebar, Maïssa Bey, Nina Bouaraoui, Leila Sebbar, et d'autres connues et reconnues de par leurs engagement littéraire.

La diversité des écritures des femmes algériennes est patente : elles occupent le terrain, avec talent et provocation, tendresse et ironie. Le temps de l'effacement est révolu. Nous entrons dans celui de la diffusion avec une nécessaire différenciation entre oeuvres littéraires et expressions personnelles de revendication et de témoignage.

Ces femmes écrivaines n'ont pas attendu les années 80 pour écrire, s'exprimer et créer. La littérature féminine algérienne, qui comme toute littérature, se construit en fonction d'antériorités : Les Algériennes ont créé dans l'oralité, traduisant par la voix et le geste, les émotions, les sentiments et leur être au monde. Cette antériorité ancestrale est constituée de poèmes dits et chantés, de contes et de proverbes transmis d'une génération à l'autre, d'improvisations rituelles, de légendes et de chroniques. Les écrivaines vont entretenir avec cette tradition orale et écrite une relation de déférence, une relation de reproduction, une relation de transformation.

Les années 80 sont aussi, d'un bout à l'autre du Maghreb, fécondes pour cette littérature de langue française : auteurs nouveaux, écritures nouvelles. Les témoignages et les récits de vies sont devenus de plus en plus intensifs. Cela se remarque sur l'ensemble de la littérature algérienne de fiction et de témoignages; on veut parler en toute liberté, plaider sa propre cause, sortir du silence. Un grand nombre de romans avait pour héroïne une femme qui, au sens héroïque du terme, n'existe que sur le papier parce qu'elle n'est pas encore inscrite socialement c'est-à-dire elle est seulement en train d'advenir. Et elle n'adviendra dans la littérature que lorsque les femmes seront les héroïnes de leur vie, qu'elles auront appris la liberté.

Ainsi, Comment cette liberté investit-elle les différents récits de ce recueil de nouvelle?

Il est trop clair que ce ne peut être que par une décision et un choix qui est guidé par la volonté de se libérer de quelque chose ou trancher un conflit. Les tendances, les désirs, les sentiments, ainsi que les idées commandent davantage les conduites humaines. La liberté chez Maïssa Bey se traduit par plusieurs formes d'expressions : une rupture avec la société et le système, une interrogation sur son passé et son avenir, une écriture sur son quotidien péril, et un désir de dévoiler les souffrances des femmes.

L'écrivaine de Sous le jasmin la nuit effectue un voyage réel et imaginaire à la fois vers son origine. Ce retour, symbolique pour de multiples raisons, se présente comme recherche ou recueil des images et des voix pour constituer une mémoire collective à laquelle la narratrice peut s'identifier

Maïssa Bey :

Aujourd'hui, il existe au Maghreb une nouvelle génération de femmes qui investissent l'espace littéraire. Le monde arabe traverse actuellement une crise profonde remuée de soubresauts terribles. Dans ce contexte les femmes sont vulnérables, elles subissent la répression et les interdits. Il est donc important que des femmes écrivains expriment leur vécu, parlent de leur statut difficile, mettent en scène leurs préoccupations fondamentales. En tant que membre de cette génération d'écrivains, Maïssa Bey se sent un peu comme la porte-parole de toutes ces souffrances silencieuses.

Comme d'autres romancières, elle décide de se battre contre le mensonge et l'hypocrisie qui, depuis des siècles, entourent la condition des femmes algériennes qui sont tenues dans le silence : son écriture, du fait même de son existence, incarne la dissidence. Dissidence, mais également paradoxe par la possibilité de vie et de mort : l'écriture est en effet Vie, Création et Espoir. Cependant, les mots sont plus dangereux que les armes ; ils dévoilent ce que l'on ne doit pas montrer, ils disent ce que l'on veut cacher. Ainsi, témoigner, dire l'innommable, tel est le but de Maïssa Bey dont l'écriture est à la fois dissidence et paradoxe.

Née à Ksar el Boukhari, petit village au sud d'Alger, en 1950, Maïssa Bey de son vrai nom Soumia Benameur a suivi des études de français, une langue qu'elle a adorée (selon elle). Elle devient enseignante. Elle est également fondatrice et présidente d'une association de femmes algériennes « Paroles et écriture ». Maïssa Bey a traité de différents thèmes : les femmes, l'amour, la souffrance et la mort, et surtout l'Algérie. Avec la beauté d'une écriture dans l'éclat de sa maturité, des femmes, des mères, des soeurs, des amantes aiment, pleurent et meurent sous les regards de leurs hommes. Cet écrivain se fait l'écho de ses détresses et de ses bonheurs avec une immense compassion et un talent qui s'affirme de livre en livre. Elle construit une oeuvre riche et exigeante, thématiquement et esthétiquement inscrite dans la durée. Sans doute afin d'être en accord avec sa conception de la littérature qu'elle envisage comme le lieu privilégié du doute et de l'interrogation.

Maïssa Bey a obtenu le Prix de la Société des Gens de Lettres pour son livre « Nouvelles D'Algérie» (édition Grasset, 1999), « Cette fille-là en 2001 aux éditions de l'Aube, couronné par le Prix Marguerite-Audoux. Et en 2005 le Prix des Libraires Algériens pour l'ensemble de son oeuvre.

Les travaux universitaires faits de son oeuvre sont rares. Les études portaient essentiellement sur : Bleu, Blanc, Vert (L'Aube et Barzakh, 2006), Au commencement était la mer (Marsa, 1996), Surtout ne te retourne pas (L'Aube et Barzakh, 2005). Elles portaient sur des thèmes intimement liés à cet aspect maghrébin qu'a son oeuvre. La colonisation de l'Algérie, l'indépendance, le problème identitaire, le terrorisme, la femme, etc..., tous sont des thèmes qui investissent le domaine des recherches et analyses littéraires.

Sous le jasmin la nuit

C'est pourquoi nous nous proposons dans le présent travail d'étudier une de ses dernières oeuvres « Sous le jasmin la nuit ». Ce titre est inspiré d'une chanson : « Retrouver les paroles de cet air qui chante en elle sous le jasmin la nuit oui cette chanson d'autrefois venue sur ses lèvres elle ne sait comment elle ne sait pourquoi sous le jasmin la nuit c'est peut-être ça, seulement l'odeur pas l'obscur » P.12

Depuis des siècles, le jasmin est considéré en Orient comme le symbole de l'amour et de la tentation féminine. 

Coédité aux éditions l'Aube et Barzakh (2004), ce recueil de nouvelles sur lequel aucune analyse n'a été faite auparavant est composé de onze nouvelles : « Sous le jasmin la nuit », «  En ce dernier matin », « En tout bien tout honneur », « Improvisation », « Si, par une nuit d'été », « Sur une virgule », « Nonpourquoiparceque », « Nuit et silence », «  Main de femme à la fenêtre », « C'est quoi un arabe ? » et « La petite fille de la cité sans nom » où le rêve et l'ordinaire se mêlent étrangement. Le rêve de toute femme qui lutte et se cherche, et l'ordinaire d'une société où le mâle règne en maître absolu. Celui-ci, le suprême décideur du sort de sa soeur, de son épouse et de sa mère fait de l'ombre. Il est l'opposant, celui qui freine

la liberté ou la personnalité de la femme. Les récits sont surprenants, captivants et le lecteur est très vite happé par l'histoire, jusqu'à se mettre dans la peau de chaque héroïne. Sans alourdir le récit et en donnant juste ce qu'il faut comme détails, Maïssa Bey réussit à conter et à décrire ces femmes, leurs sentiments et leurs ressentiments pour les rendre plus réelles qu'elles ne le sont. Les récits pénétrés de pudeur et de sobriété semblent sortir du plus profond de la mémoire : Celle de Maïssa Bey, celle de la femme algérienne. L'écrivaine aborde le viol, l'enlèvement, la polygamie, l'autorité masculine avec beaucoup d'aisance. Colère et mélancolie jaillissent de ces récits dans un style souple et vif.

Ce recueil, comme on l'a déjà cité, composé de onze récits portant chacun sur une histoire différente mais qui convergent tous vers une fin voulue de Maïssa Bey : démontrer le degré et l'ampleur de la violence sur le monde, sur les êtres qui se battent pour leur identité, leur vie et aussi leur liberté, même si celle-ci ne se rencontre parfois que dans la mort.

Le thème qui nous a semblé le moins abordé était la liberté dans les écrits de Maïssa Bey. Apporter du nouveau d'une part, et redonner à son oeuvre une autre dimension d'une autre part, furent les principales raisons qui nous ont poussé à réaliser ce mémoire. Comment se manifeste la liberté dans l'oeuvre de Maïssa Bey « Sous le jasmin la nuit » ? Une question à laquelle nous tenterons de répondre tout au long de cette analyse. La première question que nous nous posons est de savoir de quel genre de liberté pourrait-il s'agir ? Nous y répondrons en étudiant progressivement l'oeuvre. La réponse divisera notre travail en trois chapitres : le premier et le deuxième chapitre traitera la liberté comme thème ou « l'écriture de la liberté », un thème dont il nous est imposé de le définir afin de clarifier le sens.

Dans le premier et le deuxième chapitre, nous essayerons d'étudier ces différentes histoires afin de dégager et de classer les principaux thèmes qui construisent les nouvelles. Il est à noter que contrairement à ses oeuvres précédentes, l'Algérie ne constitue plus le coeur de ses écrits. Elle se consacre aux femmes et seulement au vécu de la féminité. Cette vocation est imposée à l'écrivaine par le changement de circonstances donnant naissance à d'autres des priorités. Maïssa Bey n'écrit pas que pour soi, mais pour tout lecteur francophone qu'il soit algérien, maghrébin ou autre. Ainsi, les événements qui ont endeuillé l'Algérie tiennent une place plus ou moins importante dans les romans et les nouvelles. Nous verrons se défiler une certaine violence humaine « Nuit et silence » et naturelle «  Main de femme à la fenêtre » entrainant un combat persévérant, épouvantable et inébranlable pour une liberté tant recherchée, tant revendiquée.

Dans le troisième chapitre, il sera question d'un autre aspect de la liberté : celui de l'écriture ou « la liberté de l'écriture » ainsi que les moyens employés par l'auteur lui permettant d'appuyer la liberté thématique.

Nous finirons notre travail par une étude de l'esthétique de la liberté en analysant de manière plus détaillée l'éclatement de la parole et la liberté du langage utilisé par cette romancière.

Pourquoi la liberté ?

La liberté, par définition est la possibilité d'agir, de penser, de s'exprimer selon ses propres choix. Elle est l'Attitude de quelqu'un qui n'est pas dominé par la peur, la gêne, les préjugés1(*).

En philosophie, la liberté d'opinion, d'expression, de pensée (ou de penser) est le droit d'exprimer librement ses pensées, ses opinions et de les publier. Elle est aussi l'état de l'homme qui se gouverne selon sa raison, en l'absence de tout déterminisme.

La question de la liberté peut être considérée comme une question métaphysique par excellence dans la mesure où elle concerne le statut de l'être humain au sein de la nature.

La liberté qualifie en effet la relation de l'être humain en tant qu'agent, et du monde physique, relation notamment considérée dans son rapport à un déterminisme supposé ou réel. Cette question concerne donc particulièrement l'immanence et la transcendance de la volonté humaine par rapport au monde. Elle s'oppose en général au déterminisme, au fatalisme et à toute doctrine qui soutient la thèse de la nécessité du devenir.

Il convient de signaler que l'écriture de Maïssa Bey est marquée par une sorte de quête ontologique. Elle s'intéresse à l'être en tant qu'être, elle le défend. Là, la femme est le centre d'intérêt de l'écrivaine. Ainsi, nous serons amenés, en empruntant à l'analyse sémiologique certains de ses instruments, à interroger les territoires où se manifeste la liberté liée aux différentes formes de violences marquant ce recueil de nouvelles. La liberté et la violence, investirent presque tous les récits qui, comme des « tranches de durée » manifestes caractérisent les différentes formations discursives fonctionnant d'ailleurs comme autant de «tâches » et de « lieux éclatés » concourants à la mise en oeuvre du discours romanesque. Aussi, serons-nous obligés de questionner les espaces médiateurs mettant en oeuvre le passage d'une instance tirée de l'actualité au jeu de la fiction.

Maïssa Bey essaye de construire un univers romanesque marqué par une certaine dualité au niveau du jeu des personnages et des instances spatio-temporelles. C'est pour cette raison que nous verrons comment s'organise cette structuration binaire qui fait du lieu l'espace paradoxal d'une présence double et du personnage une entité à double face. C'est à travers le jeu de la parole que se construit le discours romanesque.

La rupture :

L'écriture de la liberté

Maïssa Bey se révolte contre la société et tout ce qui est tabous. Elle cherche, à travers le parcours des personnages, les jeux singuliers des instances spatiotemporelles et le mouvement narratif marqué par de fréquentes coupures et de ruptures, à peindre un univers singulièrement fragmenté et traversé par des plages de violence paroxystique. Elle met en scène des personnages représentant différents espaces sociaux, des hommes instruits, des femmes torturées, trompées et violées, des comédiennes, des intégristes... . Le langage de la violence et de la liberté traverse presque toute la représentation. Les relations entre les êtres sont teintées tantôt d'une violence sourde, tantôt d'une violence déclarée, ce qui les pousse à chercher leur liberté.

Maïssa Bey vit, comme femme et comme écrivaine, une situation de péril quotidien la violence est particulièrement prégnante dans cet univers :

« Aujourd'hui, écrire, parler, dire simplement ce que nous vivons, n'est plus une condition nécessaire et suffisante pour être menacée (...) Combien d'hommes, de femmes et d'enfants continuent d'être massacrés dans des conditions horribles, alors qu'ils se pensaient à l'abri, n'ayant jamais songé à déclarer publiquement leur rejet de l'intégrisme ? Il est certain qu'en écrivant, en rompant le silence, en essayant de braver la terreur érigée en système, je me place au premier rang dans la catégorie des personnes à éliminer»2(*)

L'écriture pour Maïssa Bey est un outil de combat pour briser le silence. Elle peint le quotidien du peuple algérien, ses souffrances, ses angoisses malgré qu'elle est menacée tantôt par les intégristes, tantôt par l'Etat.

Elle refuse de se laisser enfermer dans la vieille distinction réalité/irréalité. Elle utilise un langage courant qui sert à la communication quotidienne comme le dit Jean- Pierre Goldenstein : « Les néo-romanciers refusent de se laisser enfermer dans

la vieille distinction réalité/ irréalité»3(*) . C'est-à-dire refuser la norme et ses intentions. Ils assument avec courage et talent ce qui leur incombe : L'éveil des consciences quelles que soient les voies choisies. Ils font de la fiction et de l'art. Ils mettent en forme l'illusion constructive. Pour peindre la vie il faut d'abord la rêver.

Ces nouveaux romanciers introduisent dans leurs oeuvres des questionnements permanents qui mettent en relation le narrateur ou le personnage aux événements de l'histoire racontée, aux autres personnages et au narrataire. Cette littérature du questionnement prouve bien que raconter une histoire n'est jamais une affaire de certitude paisible, que le texte n'a pas la prétention de refléter un réel en lui même insaisissable, fuyant et souvent problématique. En transcendant le réel à travers une libération du mot qui varie et joue avec les formes du mythe, du fantastique, le texte ne cesse de s'écrire dans les fractures et de multiplier le sens. C'est cette stratégie du questionnement, de l'information douteuse, de cette « ère du soupçon » qui se déploie dans l'oeuvre de l'auteur ; c'est de même une « utopie du langage »4(*) qui montre bien que l'on ne peut point dire et tout écrire, dans un cadre figé et précis, ce que l'on croit être le réel, tout le réel. Le texte romanesque moderne n'assume plus une fonction essentiellement de communication ; l'écriture est une composante complexe qui se construit à partir du langage qui s'empare de tout, du réel comme de l'irréel, de l'intelligible comme de l'inintelligible, du concret comme de l'abstrait, du sérieux comme du fantaisiste, du rationnel comme de l'irrationnel, de la vérité comme du mensonge. La pensée moderne est hétéroclite et le texte romanesque se fait donc dans la fragmentation qui témoigne de la non connaissance absolue des choses :

« Le texte est une galaxie de signifiants, non une structure de signifiés ; il n'y a pas de commencement ; il est réversible ;on y accède par plusieurs entrées dont aucune ne peut-être à coup sûr déclarée principale ; les codes qu'il mobilisent se profilent à perte de vue, ils sont indécidables. »5(*)

Les personnages non seulement racontent leur récit de vie, mais ce qu'ils vivent est source de réflexion et de questions.

Par des textes de fiction-témoignage, inévitable dans ces années de cendres et de sang, Maïssa Bey décrit avec force et précisions les gens, leurs sentiments, leur quotidien. Elle conte aussi le dur quotidien des femmes dans une société déchirée par les tabous.

Dès ses premières oeuvres, Maïssa Bey s'est manifesté à travers sa voix du refus, à travers une rupture opérée continuellement dans son écriture. Ses derniers romans « Surtout ne te retourne pas », « Cette fille-là » , « Sous le jasmin la nuit » s'inscrivent dans ce genre d'écriture : il s'agit d'une écriture de la rupture et de la dissidence qui aboutit à une remise en question de la source de l'écriture qui s'efface au profit de diverses voix de femmes qui incarnent en elles toutes les figures de femmes héroïnes de l'Algérie colonisée ou de l'Algérie actuelle. Femmes combattantes pour leur liberté et oubliées aussitôt l'indépendance acquise, et femmes persécutées par le fanatisme des détenteurs d'une prétendue tradition islamique.

Liberté et/ou Nécessité

L'écriture, poétique ou prosaïque pour qu'elle soit authentique, doit revêtir le cachet personnel de son auteur. Ainsi, peut-on dire qu'elle doit laisser transparaître son moi profond comme le ferait un prisme ?

Certes, écrire, c'est être franc, c'est dire, se dire. En un mot, elle est pour le lecteur le radar qui lui permet de suivre, de cerner la personnalité de l'auteur. Chaque fois qu'on écrit un poème ou simplement quelques phrases, c'est une parcelle de son être qu'on offre à ses lecteurs qui peuvent la rejeter ou l'accepter selon la force et la nature des vibrations qu'elle déclenche chez ces derniers.

Il est important de souligner que l'écriture répond à un besoin de survie, une nécessité d'être ou une volonté de conjurer ou d'exorciser des situations insoutenables mais aussi d'immortaliser des situations heureuses, inattendues ou inespérées.

Chez Maïssa Bey, l'écriture est liée à une nécessité de défendre les droits de la femme, d'être une Algérienne. Elle a eu la perception d'un monde où le malheur était subi essentiellement par les femmes. Un malheur qu'elle a refusé. De ce refus est née l'envie d'avoir une vision poétique du monde qui était trop sinistre et trop difficile à comprendre. Elle a essayé d'introduire dans la conscience douloureuse du peuple algérien, à travers le déploiement de la subjectivité, de l'intimisme et du corps de la femme gommé dans le monde arabo-musulman où la religion, par exemple, vidée de son contenu mystique et extatique est réduite à une série de pratiques dogmatiques essentiellement fondés sur la demande. Demande surtout d'un paradis même si on fait des massacres, des tueries pour le mériter. Tentative donc alors de flouer Dieu, ce qui semble pour Maïssa Bey un acte insensé.

Cette façon de réduire la religion à une série de dogmes et de rituels mécaniques était révoltante. Cela avait donné et donne encore une société hypocrite où le mensonge est érigé en dogme absolu et sécrète une nuisance incroyable.

A travers ces écrit, Maïssa Bey veut dénoncer cette société algérienne, une société figée, avec quelque chose de préfabriqué, de lourdement et massivement réifié.

Certes, il était évident que seule la subjectivité pouvait désamorcer cette clôture du moi algérien ficelé, structuré et immobilisé par sa vision parcellaire et paresseuse de la religion musulmane très pragmatique qui déterminait à l'avance le moindre geste, le moindre comportement à travers une structure préétablie des siècles plus tôt. La misère, l'analphabétisme et les superstitions font périr cette société. Un certain nombre d'interdits la transformait aussi dans un état de psychose délirante caractérisée par une perte de contact avec la réalité et une dissociation de la personnalité.

Le fait politique était lui aussi marqué par la répression massive et impitoyable tantôt de la colonisation, tantôt du terrorisme dont les massacres, tortures et autres barbaries ont bercé l'enfance de l'écrivaine 6(*) qui a baigné dans le sang. Le sang, cet élément qui est à la fois de l'ordre du licite et de l'interdit. Il y eut des massacres organisés par l'armée française lors de l'occupation, et par les terroristes après la dissolution du parti «FIS » qui a gagné en 1992 les élections dans une Algérie plongée dans l'ombre de la grande désillusion. Lors de cette décennie noire, Elle a vu le sang couler dans les rues, des jeunes filles prises par force, violées, torturées. Ce fut là la constitution de sa névrose personnelle qui va irriguer tout son travail d'écrivaine.

Un conflit : La liberté dans les relations affectives

La famille est le noyau de la société, elle est le lieu de la perversion des valeurs sociales. Les relations affectives sont dissimulées : les gens s'aiment et n'arrivent pas à exister pleinement, à s'affirmer simplement ou à se dire authentiquement dans leur vie relationnelle. L'écrivaine en fait un élément fondamental. Elle a écrit deux nouvelles «Sous le jasmin la nuit » et « En ce dernier matin » pour montrer l'importance de ce sujet dans nos vies.

Dans ces deux récits, nous sommes face à une fiction où les relations affectives sont moins apparentes. Maïssa Bey présente les souffrances, les angoisses et les malheurs qui peuvent toucher n'importe quelle famille ordinaire vivant dans une société musulmane et sous les lois qui la régissent.

Dans « Sous le jasmin de la nuit », l'écrivaine décrit la vie d'une famille: un couple, leur vie est dépourvue d'amour ou encore ils ont du mal à exprimer ce sentiment. Maïssa Bey montre avec un talent remarquable et une écriture singulière comment un tel fait peut se produire, entrainant le lecteur dans un engrenage de faits.

Or le récit est marqué par une opposition fondamentale de deux personnages ; la femme «Maya » est un personnage indompté, replié sur lui-même. Elle est prisonnière de ses rêves dans lesquels elle s'épanouit:

« Elle se laisse glisser doucement dans une semi-conscience sur des rivages heureux et dérive sans repère dans un univers à peine bleuté, brumeux, traversé de temps à autre par des éclats de lumière. Elle court au bord d'un chemin de poussière, un sentier poudreux bordé de hautes montagnes sombres, elle court pieds nus, dans le soleil, tout entière tendue par le désir d'arriver de l'autre côté, là-bas au bord du fleuve dont elle entend la rumeur obsédante. Légère, elle court recouverte d'un voile de poussière rouge, d'un halo de lumière qui l'enveloppe et la protège. Ses pieds ne laissent aucune trace sur le chemin et elle avance, guidé par la certitude qu'un jour il faudra gravir les montagnes, déjouer les obstacles si elle veut arriver ». Pp 10-11

Le mari, quant à lui, détient le monopole de la force et de la puissance :

« Pénétrés de leur force, de leur vérité. Puissance d'homme. Jamais remise en cause. Leurres. Il marche. On le reconnait. On le salue. On s'écarte. Il est partout chez lui. Personne ne peut se mettre en travers ». P.15

Mais malgré tout ce pouvoir dont il dispose, il n'arrive pas à la posséder, à conquérir son coeur et son être.

« Oui se répète-t-il agacé, irrité, tourmenté, la réduire, qu'elle ne soit qu'à moi, philtres et sortilèges, aller jusqu'au bout briser la coque, extraire d'elle ce qui la rend si lointaine, inaccessible, comme si » P.14

Le récit fonctionne comme une masse hétérogène mettant opposition la femme et son mari égaré par sa sensiblerie. Nous sommes donc en face d'une situation duelle : « Elle remue légèrement les épaules, comme pour se débarrasser d'un fardeau, se détourne, pose la joue sur la main, lui dérobe son visage et continue de rêver... » P.9

Et face à cette situation, le mari se manifeste : « Dans un mouvement de rage, il se redresse, serre les poings tandis que monte en lui le désir de l'appeler, de la secouer brutalement pour lui faire reprendre conscience, lui faire savoir qu'il est là» p.10

La femme « Maya » puise de ces rêves pour s'enfuir, dans un premier temps, d'une chose qu'elle ignore: « Elle n'est pas malheureuse oh non ce mot ne lui convient pas. Non. Mais elle ne sait pas non plus mettre des mots sur ce qui lui manque tarissement enlisement ». P.14

Mais elle réalise qu'en fait, elle fuit ce monde, un monde gouverné par les hommes et régit selon leur loi : « Là, tout contre elle, fragile, vulnérable, un rien pourrait l'atteindre. Elle frissonne. Elle imagine sa voix plus tard. Sa voix d'homme. Ses mains d'hommes. Mains posées sur un corps de femme. Pour des caresses». pp. 15/16

L'écrivaine intègre dans ce récit un monologue pour marquer la tourmente de l'époux face à cette situation qui le dérange. Le mari rentre le soir avec l'espoir de retrouver un peu de confort et de tendresse chez sa femme. Mais Maya, dépourvue de toute sensibilité, reste impassible, indifférente, sans vie. Elle le regarde simplement :

«Penché sur elle, il la regarde dormir. Lèvres entrouvertes, souffle léger, paupières closes refermées sur des visions, des rêves qui l'excluent, il ne peut pas en douter. [...]Penché sur elle, il scrute son visage. Attentivement. Ce frémissement au coin des lèvres, n'est-ce pas l'esquisse d'un sourire, cette façon de cligner des yeux, brusquement, ce lent soupir venu du plus profond d'elle et qui parcourt son corps en une ondulation à peine perceptible, n'est-ce pas... Elle remue légèrement les épaules, comme pour se débarrasser d'un fardeau, se détourne, pose la joue sur sa main, lui dérobe son visage et continue de rêver. Puis elle relève le bras et de la main agrippe le drap en se mordant brusquement les lèvres». P. 18

Les personnages remettent en question l'harmonie de la vie familiale et les liens prétendument puissants de la famille. Toute fois, il convient de constater que Maïssa Bey évoque une situation d'exil intérieur : rêves confisqués d'êtres hors normes. «Maya » est une femme qui vit dans la solitude entre rêve et quotidien, une solitude parfois lourde et difficile à supporter, car elle n'a personne à qui se confier, seulement à sa propre personne ; celle-ci devient sa confidente et son asile dans le quel elle peut se réfugier et se dire, là où aucun étranger, aucun homme ne vient troubler sa tranquillité, rompre son inspiration, ternir les espérances qu'elle nourrit, aucune loi sociale ne vient la persécuter ou encore s'ingérer dans son intimité pour la gérer, contrôler sa liberté intérieure et la contraindre à l'observer, là enfin où elle est maîtresse et peut se livrer sans contrainte à ses rêveries et ses réflexions. Sa solitude, voire sa vie intérieure, un monde comme une forteresse impénétrable et imprenable, devient le lieu où chacune, libre de ses agissements et souveraine de son identité féminine, peut devenir femme dans tout son éclat.

Contrairement à ce personnage « Maya », Maïssa Bey nous présente dans « En ce dernier matin » une femme mourante. Seule face à la mort, elle se remémore tous les moments malheureux de sa vie. Une vie pleine d'insatisfaction, de contrainte, de souffrance et d'une révolte continue de l'épouse trompée.

Ce couple, cette femme et son mari, se heurte à de nombreux obstacles : absence de toute intimité, tendresse et amour, car dans cette société si l'on se marie c'est bien pour engendrer des enfants en vue de l'agrandissement de la famille.

« Elle a vingt ans. Elle ne s'en souvient pas. Ne résonnent dans sa mémoire que les cris de l'enfant, son premier fils, très vite arrivé. Trop vite ? Mais.... quelle importance? Que pouvait-elle attendre d'autre».P.25

« C'est dans ce même lit que jeune accouchée,.....elle a reçu les hommages de ceux et celles qui venaient lui rendre visite chaque fois qu'elle donnait naissance à un petit homme. Sept jours de gloire. Sept fils et trois filles. Tous vivants » P. 29

Sous le regard des ses hommes, ses filles, ses soeurs, cette mère quitte ce monde dans lequel les hommes faisaient comme si les femmes n'existaient pas, occultant la présence féminine tout en les reléguant afin de construire un monde selon leur propre mesure masculine.

Installé devant ce corps inerte, Rachid scrute comme pour la première fois le visage de sa mère, et dans l'amertume il se demande si elle était heureuse dans sa vie. Une question dont il connait déjà la réponse : « A-t-elle été heureuse ? Il baisse la tête, se couvre le visage de ses mains. Il connait la réponse »p.25

Cette femme est considérée comme mort vu qu'elle n'a pas vécu pleinement l'amour, et n'a pas connu la tendresse. De plus, elle ne sait pas ce qui se dissimule derrière le regard de cet homme qui n'a jamais su lui dire l'amour qu'il peut éprouver pour elle :

« Oui, c'est comme si elle était morte depuis longtemps. Depuis... depuis ... mais quelle importance ? Morte, elle l'était déjà, depuis... depuis... puisqu'elle n'existait pas dans les yeux de cet homme absent, toujours absent, même quand il était près d'elle». P.29

L'écrivaine propose un schéma complètement métamorphosé de la famille ordinaire. L'amour et la fidélité se transforment en haine et trahison. Et malgré tous les événements qui ont bouleversés la vie de cette femme trompée, elle est restée toujours la même, ses sentiments pour son mari n'ont pas changé.

« Lorsque l'opacité du silence s'installait enfin avec la nuit, commençait l'attente de l'homme qui ne venait pas, qui ne viendrait pas. L'homme qu'elle savait dans les bras d'une autre. Images dures, précises qui s'imposaient à elle» P.27

Mais derrière cette apparence se cache un désir profond. Celui de combler ce manque d'affection au-delà du foyer conjugal. Cloitrée entre quatre murs, elle rêve d'un autre homme avec qui elle peut retrouver l'amour et la tendresse : « Seul surgit le regard d'un autre. Cet homme. Un ouvrier qui venait chaque jour faire des travaux de plomberie ou de maçonnerie dans la maison en construction, juste en face de la leur ».P30

Ce sont ces sentiments dissimulés et ces désirs cachés au plus profond des femmes que Maïssa bey a tenté de dévoiler avec un style simple et une écriture créative, elle le dit lors d'un entretien:

« Au dernier matin de sa vie cette femme se souvient que quelque chose a frémi en elle et qu'elle a pu peut-être passer à côté. Il m'arrive en croisant de vieilles femmes de me demander si elles ont eu des désirs ou si elles ont seulement vécu ? Elles sont dans une telle relation au monde et à elles-mêmes qu'on les suppose heureuses à l'abord, car elles ont réussi leur vie sociale, elles ont eu des enfants, elles sont mères respectées... mais l'écriture c'est aussi de savoir gratter et lorsqu'on va au delà des apparences, au delà de cette réalité donnée on découvre une autre réalité »

Dans cet espace artificiellement limité et qui rime si bien avec la séquestration traditionnelle des femmes algériennes, la narratrice exerce non seulement une méticuleuse introspection vécue comme un retour dans le temps, mais elle s'imprègne inévitablement de l'histoire des autres femmes pareillement enfermées.

Un récit éclaté : Une structure fragmentée 

Les textes de Maïssa Bey sont fortement centrés sur la problématique féminine, ils sont marqués par une écriture créative, sobre et aérée au rythme lent et à la syntaxe raffinée. Une écriture qui hante la réalité de surface - ce " matériau ordinaire " - qui la marque au plus près, qui la restitue sans jamais tenter de s'y substituer.

Même si son entrée en écriture fut guidée par " l'urgence de porter la parole comme un flambeau contre la menace de sa confiscation ", Maïssa Bey ne témoigne pas mais crée, elle privilégie l'esthétique et l'exercice de style à la reproduction. Elle cherche les mots justes pour exprimer des situations où l'être accepte d'aller au plus périlleux de lui-même. Maïssa Bey traque les non-dits et les contraint de faire entendre le cri et apaiser la douleur.

Des ces premiers romans, Maïssa Bey montre le monde et se manifeste contre les tabous, les compartimentages, les replis dans les ghettos. L'écriture, pour elle, semble vouloir dire le monde, circuler au-delà des barrières. Elle restitue dans son oeuvre les éclats, les brisures, les violences et les beautés. Sous le jasmin la nuit s'inscrit dans cette démarche toujours renouvelée et si personnelle. Nous pouvons constater que nous nous trouvons face à un recueil où l'auteur choisi de concevoir l'écriture que comme le souffle de la liberté, un dépassement de soi et de ses conditions d'existence. Mais ce n'est pas un objectif en soi. C'est par l'écriture que les femmes peuvent lever la chape du déni qui pèse sur l'individu - mais plus encore sur les femmes - en tant qu'être autonome, symboliquement séparé de son groupe. Ecrire permet d'arracher le droit d'être, simplement d'être. Ecrire pour Maïssa bey c'est une existence et un espace de liberté :

« Je le répète souvent, l'écriture est aujourd'hui mon seul espace de liberté, dans la mesure où je suis venue à l'écriture poussée par le désir de redevenir sujet, et pourquoi pas, de remettre en cause, frontalement, toutes les visions d'un monde fait par et pour les hommes essentiellement ». (Le Soir d'Algérie - 29 septembre 2005)7(*) 

Elle ajoute que « C'est dans ce sens - et pour pasticher une formule célèbre - qu'il m'est souvent arrivé de proférer cette sentence : « J'écris, donc je suis».

Elle justifie son existence par une écriture créative et engagée contre le silence trop longtemps imposé et qui continue d'être imposé aux femmes

Maïssa Bey rejoint Robbe-Grillet en brisant d'un côté cette écriture traditionnelle et qui se veut linéaire, chronologique et localisée. Elle adopte une écriture qui multiplie et dédouble les espaces narratifs. Et d'un autre côté, L'écrivaine emprunte à Brecht sa manière de construire le récit : Elle met côte à côte des tableaux relativement autonomes, mais visant le même objectif, le même discours romanesque.

L'écriture et la structure, que nous étudions, jouent incontestablement un rôle impératif dans la transmission du message du texte littéraire, en l'occurrence « la violence » qui est au coeur de notre étude. Pour Marc Gontard :

« C'est l'écriture qui, dans ses formes mêmes, prend en charge la violence à transmettre, à susciter, à partager. C'est l'écriture qui, dans ses dispositifs textuels se charge de la seule fonction subversive à laquelle elle puisse prétendre. Car changer la société, c'est d'abord, pour l'écrivain, changer la forme des discours qui la constituent ».8(*)

Le changement de la société suppose un changement dans la manière d'écrire et de voir les choses. L'auteur a une mission surtout dans nos pays apparemment voues à toutes les calamités : naturelles, politiques, économiques, etc... Donc, il ya une fonction sociale de l'écrivain.

L'écrivain maghrébin écrit d'abord pour son peuple. Il est la bouche de ceux qui n'ont point de bouche.

L'éclatement du tissu textuel et le morcellement du récit nous invitent à percevoir un monde éclaté, absurde, violent et pessimiste où chacun suit son destin, ou plutôt décide de le subir ou de s'en échapper par l'action, le rêve ou le suicide. Comme si accéder à la parole et rendre compte de ce monde ne pouvait se faire qu'avec l'éclatement de la parole. C'est une forme « d'écriture de la colère ».

Le rythme, dans certains récits, est brisé. L'auteur tente de donner des idées sur la réalité sociale qui sous-tend de manière essentielle le livre. Selon Roland Barthes :

« Le plaisir du texte s'accomplit [de la] façon [la] plus profonde, lorsque le texte « littéraire » transmigre dans notre vie, lorsqu'une autre écriture parvient à écrire des fragments de notre quotidienneté, bref, quand il se produit une co-existence».9(*)

Maïssa Bey a diversifié les procédés de son écriture selon les besoins du public et de l'époque. Une chose qui peut être aisément vérifiée à travers les périodes plus ou moins distinctes qui ont marqué le cheminement de son oeuvre. C'est ainsi que l'écrivaine joue pleinement son rôle de médiateur et de témoin.

Les différents récits reflètent l'ambition de l'auteure de peindre des images, le plus fidèlement possible, à travers le récit d'une réalité réfractant les violences humaines et naturelles dans le même tableau, réunissant des situations aussi différentes les unes des autres, mais qui convergent cependant toutes vers une seule fin. La difficulté de percevoir ces images prolonge ce sentiment constant de malaise chez le lecteur, elle arrive à créer une ambiance ambiguë et malsaine très dérangeante où les phrases sont souvent chargées d'un sens caché.

Le texte propose une intrigue émiettée, chaque récit perturbe le lecteur davantage en le laissant suspendu, sur sa faim. L'auteure l'emporte d'un lieu à un autre, sans jamais satisfaire sa curiosité, ni assouvir sa soif. Ainsi, le lecteur reste suspendu entre les récits en tentant de retrouver le fil conducteur qui les relie et de déceler un lien possible, sans y parvenir nécessairement. D'ailleurs  le rôle de l'écriture n'est plus de transmettre un message, un sens plein, mais de faire comprendre que le texte est un objet qui doit être déchiffré.

C'est de là que le livre détient sa force tout en démontrant l'impuissance de toute parole face à un monde absurde. Aussi la déconstruction des récits qui construit le recueil de nouvelles réfléchit l'image de ces femmes qui sont réunis dans un même monde, où la violence les solidarise.

Récit de femme

Par « Si, par une nuit d'été» la légende est bien investie. Entre rêve et réalité, L'écrivaine nous raconte l'histoire de sept jeunes filles qui procèdent dans l'intimité à un jeu de confidence appelé, en Algérie, « Boukalettes »10(*) . Ces jeunes filles, agitées par un fort désir de vivre en transgressant les règles imposées, trouvent une forme de liberté dans la lecture et dans les sensations de liberté procurées par la nuit, le ciel et la mer.

Cette nouvelle est écrite dans un langage proche de la poésie, à la manière d'un conte qui pourrait très bien faire partie du récit des Mille et Une Nuits. En prologue se trouve la citation de Mahmoud Darwich11(*) «Voici ma langue, collier d'étoiles aux cous de ceux que j'aime» qui est à interpréter dans le contexte du langage comme don qui n'appartient à personne. Selon l'auteur, toute parole ne peut être réellement restituée que par le libre choix du don de cette parole, et non par une réappropriation forcée.

Les sept jeunes filles se réveillent au milieu d'une nuit d'été pour consulter les étoiles. C'est la voix de Warda qui s'élève aussitôt, voix de poétesse et voix porteuse de

la solidarité, en interpelant sa soeur cadette, Selma:

Veux-tu, dis, veux-tu que nous allions plus loin que les rêves? Allons, avant l'ultime soupir de la nuit, allons ensemble rejoindre l'aube avant que les regards des hommes n'en dissipent la tendresse. P.62

Une à une, les soeurs se retrouvent à la terrasse de leur maison, face à la mer, et le jeu des présages commence. C'est Leïla, l'aînée et la responsable, qui commence le jeu en appelant « les esprits de la nuit » pour dévoiler ce qui est écrit pour la première soeur Aziza, la réservée.

«  O vous,

Esprits de la nuit

Dont les souffles raniment les braises

Qui rougeoient au coeur des ténèbres,

Saurez-vous d'un signe

Eclairer la voie

Et dévoiler ce qui est écrit pour elle ? » p.63

En lisant le signe d'un avion qui passe dans le ciel, Leila s'exclame: « Tu vas partir, oui, c'est ça, j'en suis sûre, un jour tu traverseras les océans, tu t'en iras dans un oiseau d'acier ».P.64

Pourtant, Warda, l'intelligente, ajoute:

Voici ce que dit le présage: celui qui viendra vers toi t'emmènera loin, très loin de nous. Tu vivras dans des pays où les hivers sont blancs et longs, très longs. Tu oublieras les étés et la lumière jaillie d'entre les jasmins. P.64

Après ce présage d'un « exil au goût d'amertume » qui met la petite Aziza en larmes, c'est Selma, la cadette, la soumise, la secrète, qui s'écrie tout de suite pour la consoler:

N'écoute pas ce qu'elle dit! ...comme tout poète elle a l'étrange et fascinante manie de se laisser emporter trop facilement par la magie des mots, de les laisser s'écouler d'elle sans jamais chercher à les retenir... P.64

C'est à Amina, la rebelle, d'affronter, à présent, le destin. Aussitôt que Leïla consulte les étoiles, une tempête s'élève; Amina l'affronte courageusement en se mettant à danser jusqu'à ce que la tempête se calme et ne laisse plus place «qu'au feu qui brûle en elle». Ensuite, vient le tour de Selma, qui, en voyant une étoile filante, fait le voeu de partir en disant: « je veux ... je veux moi aussi m'en aller, aller à la découverte d'autres mondes où je pourrais enfin laisser libre cours aux envies innombrables qui m'emplissent en vain de leur tumulte» P.66

Mais elle se reprend tout de suite pour dire: «Non, non, être aimée de tous. Simplement. C'est là mon voeu» P.67

Après Naima, la délicate, c'est à Warda d'affronter son destin, mais elle ne veut pas participer au jeu. Sa voix prend les résonnances de la voix de l'auteur, lorsqu'elle affirme devant ses soeurs:

Je passe mon tour. Moi qui n'attend personne et que personne attend, je sais où trouver les clés... il est d'autres signes, essentiels à ma vie, des signes qui m'ont ouvert, et continueront longtemps je l'espère, de m'ouvrir tous les chemins. C'est grâce à eux seuls que je suis vivante, que j'avance la tête haute et que je peux oublier ou combler les défaillances de la nature. Sais-tu que quand je lis, quand j'écris, quand je laisse venir à moi les mots, tout ce qui m'entoure disparaît? P.68.

C'est, enfin, le destin d'Assia, la soeur fière, qui est révélé à la fin; pour elle, ce n'est pas une surprise - c'est la relation amoureuse avec un garçon du lycée que se trace son futur certain.

En choisissant la forme littéraire caractéristique de la littérature arabe et qui est celle de la nouvelle, Maïssa Bey crée, une poétique qui prend ses racines littéraires dans la culture arabe et veut redonner la parole des femmes algériennes en utilisant un langage allégorique proche de la poésie et du conte de leur culture.

Ainsi, dans cette nouvelle « Si, par une nuit d'été », comme dans « nuit et silence», Maïssa Bey ne cesse de montrer le rôle de la fille ainée dans la famille algérienne, celui de seconder la mère souvent trop occupée :

« Avant même qu'elle ait fini de prononcer les derniers mots de l'incantation, un pleur d'enfant transperce le silence de la nuit. Toutes l'entendent très nettement. Sans surprise. Leïla n'est pas seulement la soeur aînée, elle est aussi celle qui a très vite et très souvent secondé, sinon remplacé, la mère trop occupée pour leur donner les soins dont elles avaient besoin pour grandir. Personne ne sait mieux qu'elle consoler, écouter... » P.69

On peut ajouter que les filles citées par notre écrivaine portent des prénoms de fleurs « Warda », des prénoms de printemps ou d'espace «Assia » pour transcender la souffrance et l'exclusion12(*)

L'écrivaine réussit à s'introduire avec délicatesse et force dans l'univers des femmes, le sien aussi. Un univers qui occupe toute son écriture et son espace d'expression et se traduit différemment, mais avec la même rage de dire, d'offrir une tribune aux femmes pour dire leur vécu, leur quotidien et de chanter leur espoir.

Encore une fois, dans « Sur une virgule » nous assistons à un aller-retour entre deux temps et un espace unique (la ville d'Alger). Ce jeu avec les instances spatio-temporelles est présent dans d'autres romans de l'auteur, notamment « Entendez vous dans les montagnes...»13(*), où passé et présent alternent. Nous aurons ainsi affaire à deux temporalités, d'où l'usage de temps grammaticaux du présent et du passé.

L'auteur qui met en opposition deux temporalités fait dire à ses personnages que les choses ont changé vu le changement des deux sociétés : Une société française dans laquelle la femme jouit pleinement de sa liberté, et une société algérienne bardées par des interdits et gérée par les lois et les traditions arabo-musulmanes qui empêchent et décrète comme illicite toute rencontre entre femme et homme loin d'une union légale.

La narratrice, une jeune mariée, éprouve le désir de s'identifier à «Marie » une jeune fille française vivait en Algérie avant l'indépendance: « Pour moi Marie à dix-huit ans. Mon âge. Et c'est à moi qu'elle ressemble» P.75

« Mais il arrive parfois que dans un geste gracieux, elle fasse voler autour d'elle une longue chevelure sombre et brillante, en tout points semblable à la mienne » P.74

En lisant les notes de Marie, la jeune fille cherche l'amour, la tendresse ainsi que sa liberté. Tout comme Marie, son quotidien est dur dans une Algérie marquée par les attentats, les enlèvements :

« Quand je sors pour faire des courses, il m'arrive de faire un détour, sans le dire à ma mère qui ne parle que des récents enlèvements de jeunes filles. Je me contente de franchir les grilles et de faire quelques pas dans l'allée central du jardin... le temps d'imaginer le bras d'un garçon autour de ma taille, son visage penché sur moi, une mèche rebelle retombant sur ses yeux et les mots qu'il pourrait me dire». P.78

Maïssa Bey retrace une période bien précise de notre histoire « La veille de l'indépendance» elle puise des dates mentionnées sur le cahier de Marie pour nous donner une brève idée sur ce qui se passait pendant les dernier jours de l'occupation française: Attentas, tortures, des bombes qui explosent jours et nuits. Face à tout cela, elle cherche le souffle d'amour: « Je donnerais ma vie entière pour que résonne en moi quelques instants seulement le même chant d'amour» P.85

Il est évident que la plupart des femmes ont appris dans la famille à tirer un apprentissage de chacune des difficultés et de chacun des problèmes, que leurs expériences personnelles ont été la meilleure école de formation. Maïssa Bey n'hésite pas à nous donner une idée sur la manière dont une fille peut user pour déjouer les obstacles de l'autorité matriarcale afin qu'elle jouisse de sa liberté. C'est dans leur nature comme l'a déjà monté dans « Improvisation » : « J'ai toujours joué de la comédie. Sans arrêt, comme toutes les femmes. Depuis toute petite.... bien obligée».P.50

Une parole révoltée

Dans la courte nouvelle intitulée « Nonpourquoiparceque », l'emploi de l'innovation linguistique et l'utilisation de l'énoncé réflexif 14(*) semblent remplacer, de plus en plus, la transparence qui est caractéristique du classicisme de style des premiers textes de Maïssa Bey. Pour employer un autre concept théorique dans le domaine de la poétique qu'introduit Todorov, à «la parole-action» qui couvre l'aspect performatif du discours, s'ajoute la «parole-récit» qui a pour objet le discours même.15(*)

Cette nouvelle est une révolte contre la tyrannie du langage perpétuée dans les valeurs patriarcales de la société algérienne actuelle. Cette nouvelle est aussi une analyse lucide, au ton tranchant, de la rhétorique que le pouvoir algérien utilise, afin de tenir les femmes en état de soumission. La perte de la cause ou du sens et d'un discours fondé sur des valeurs démocratiques et égalitaires, y est illustrée par le dialogue en tête du texte, où la question «pourquoi» génère la réponse inconditionnelle «parce que», sans aucune explication. L'angoisse que ces réponses répétées engendrent, avec le temps, est celle de la narratrice qui réagit de cette manière devant la parole répressive. On peut dire que cette surconscience du pouvoir de la parole et du caractère presque magique des mots est une caractéristique de l'univers de cet auteur et revient sans cesse dans ce qu'elle dit ou écrit:

Derrière ou devant le «parce que», un gouffre. Ou une montagne couronnée de pics tranchants. Alors je me cogne, je m'enfonce...Chaque nuit, au moment où je ferme les yeux, toutes les lettres du NONPOURQUIPARCEQUE se tiennent la main, se déploient, se déforment, s'allongent démesurément, et forment une chaîne pendant que je cours de l'une à l'autre, tentant de passer sous la barre du A ou de sauter entre les deux jambes renversées des U ». Pp. 89-90.

Derrière ces paroles, on peut percevoir l'angoisse de l'auteur provoquée par la perte de son père, torturé pendant la guerre d'Algérie par le pouvoir répressif français, dans des circonstances qu'elle n'a jamais pu reconstituer pas plus qu'elle n'a pu se confronter à ceux qui ont perpétué l'acte. 16(*)

L'auteur énumère, ensuite, des dialogues, des exemples de la vie quotidienne où la jeune fille, puis, plus tard, la femme, doit apprendre à utiliser les mots, «s'arranger avec la vérité... à pas feutrés, enrobés de mensonges», pour pouvoir obtenir ce qu'elle veut. En effet, la rhétorique du langage du pouvoir permettant la répression des femmes

par la parole est rendu dans le passage suivant:

Parce que: conjonction de subordination. Suivie, dans les conditions normales, d'une phrase qu'on appelle...proposition subordonnée de cause. Mais chez nous les causes sont tellement indiscutables que les propositions sont supprimées, d'office. On ne fonctionne plus que par ellipses ». P. 90

Quelquefois, on réussit à obtenir une explication, nous dit la narratrice, qui s'exclame sur un ton sarcastique: « Ouf! J'ai eu droit à une phrase normalement constituée sur le plan grammatical. » P. 92

La liberté est, ainsi, une chose que l'on donne conditionnellement à la femme algérienne, elle est «étroitement surveillée».

En essayant de comprendre les raisons de ces actes de représailles admis par sa société, la narratrice finit par conclure: « peut-être a-t-on peur de moi? Que les dangers pourraient venir de moi? Que toutes les envies, ces élans, ce besoin de lumière et d'espace... ». P. 93

La femme qui ne se révolte pas, et s'accommode de la réalité en balayant de son dictionnaire « les mots révolte, insoumission, expression, affirmation, rêves, idéal », sera envahie par les sentiments de désespoir, d'impuissance, et de colère rentrée:

Le mur est là, devant soi, raide, compact, d'une hauteur infranchissable et les gouffres sont encore plus sombres, plus profonds, ils grouillent de mots qu'on y a laissé tomber jour après jour, qui parfois s'accrochent et rampent le long des parois pour essayer de revenir à la surface mais qui sont découragés par les abrupts. Il ne reste que l'illusion du langage. Qui dit tout, sauf l'essentiel. P.95

Dans la société arabo-musulmane, les filles sont mal traitées et cela dès la nuit des temps. Elles représentent un lourd fardeau pour toute la famille : un déshonneur. Mais l'Islam vint pour corriger ces idées arriérées et donner à la femme sa liberté. Les valeurs sociales changent avec le temps et cette religion est vidée de son contenu mystique et extatique pour être réduite à une série de pratiques dogmatiques essentiellement fondés sur la demande, et jamais sur le don de soi. La femme est de nouveau méprisée par l'homme qui l'a entourée d'interdits. C'est ainsi que le mensonge est devenu leur seule délivrance.

C'est ainsi qu'avec un discours simple, limpide et des phrases parfois non achevées, que l'écrivaine peint l'intelligence de la femme qui, pour avoir plus de liberté, ment: « Tours et détours. C'est ainsi que peu à peu se sont décomposés les NONPOURQUOIPARCEQUE et que je suis devenue spécialiste des dissimulations. Des contournements » P. 94

Un interdit

Mais l'écrivaine ne conte pas seulement les bouleversantes histoires d'amour des femmes mais aussi leur dur quotidien traversé de souffrance et d'amertume. Ainsi «En tout bien tout honneur » raconte l'histoire d'un couple: leur relation est vouée à l'échec. La famille peut parfois se heurter à de nombreux obstacles. La polygamie est un de ces obstacles à la vie du couple.

Dans la pluparts de ses écrits, et dans un style sobre, confirmé à chaque fois un peu plus, Maïssa Bey aborde, comme on l'a déjà cité, le viol, l'enlèvement, la polygamie, l'autorité masculine, la marginalisation, ...tous ces tabous qui tiennent en otage la femme: « J'ai pensé à une statue, une statue de pierre, et brusquement j'ai compris. C'est ça, me disais-je, je suis pétrifiée » P.35

Cette femme était paralysée, immobilisée, stupéfiée par la décision prise par son mari qui faisait comme si c'est elle qui l'a poussé à se remarier. Elle n'est pas perçue comme une victime, au contraire, elle est responsable de cet acte :

« C'était-il fait conseiller par ses nouveaux maitres, ceux qui connaissent la Loi comme il aimait à le répéter, et qui savaient qu'il fallait rejeter toutes les responsabilités sur moi et mes semblables, comme on se débarrasse d'un morceau d'ordure? Bien sûr, c'est une stratégie imparable, éprouvée» P.38

Mais l'écrivaine dénonce cette conduite qui permet aux hommes de reléguer les femmes pour construire un monde selon leur propre mesure masculine, c'est-à-dire un univers mutilé de la présence de la femme dans leur vie. Ils leur proposent une liberté apparente : « Je t'avais laissé le choix! Et bien mieux encore il avait ajouté : c'est ce que tu voulais». P.37

Maïssa Bey utilise ce qu'on appelle «la transposition » ou « le retard » de l'exposition cité par Raphaël Baroni :

« Cette transposition de l'exposition représente un cas particulier de déformation temporelle dans le déroulement de la fable. [...] Ce retard de l'exposition peut se prolonger jusqu'à la fin de l'exposé: tout au long du récit le lecteur est maintenu dans l'ignorance de certains détails, nécessaires à la compréhension de l'action [...] Cette circonstance ignorée nous est communiquée dans le dénouement. Le dénouement qui inclut des éléments de l'exposition et qui est comme l'éclairage en retour de toutes les péripéties connues depuis l'exposé précédent, s'appelle dénouement régressif. (Tomachevski 1965: 275-276)17(*).

Cette transposition consiste à introduire des ressources de secrets qui mettent l'accent sur les moyens textuels contribuant à tenir en haleine le lecteur et éveille sa curiosité. Le retard d'exposition est clairement exploité dans ce récit. Le lecteur éprouve ainsi une curiosité de connaitre les détails qui suivent cette expression utilisé dans l'incipit par la narratrice : « Il m'a dit, à partir de maintenant tu dois apprendre à vivre avec ça » P.33

Ce détail n'est expliqué qu'à la dixième page de cette nouvelle:

« Il avait un autre chemin à parcourir, un chemin très étroit, celui que traçait pour moi cet homme. Et tant qu'il n'avait pas prononcé la formule magique de répudiation, celle qui a le pouvoir de ravager toute une vie, et bien plus, deux vies dans ce cas précis... » P.42

Ce retard produit le désir de lire et retient le lecteur à sa lecture, tout en lui permettant d'émettre des hypothèses qui pourront être textuellement vérifiées ou infirmées. Maïssa Bey évoque deux thèmes qui ont perturbé la vie d'une famille ordinaire : le divorce et la polygamie : « Avec mon statut de première épouse, déjà mère, je me voyais régner sur toi et sur toutes celles qui pourraient se succéder ici »P.43

L'écrivaine ordonne et restitue à des portraits de femmes, par la pointe de sa plume, la légitimité, la tendresse, mais surtout cette souffrance qui apparaît toujours en filigrane. Cependant, ces aspects, qui ont toujours été maîtrisés, avaient quand même quelques éclats de lumière qui rayonnaient tel l'éternel espoir  que rien finalement n'est jamais perdu malgré la gravité des situations.

La femme algérienne est au coeur d'un conflit interminable, toujours sous la domination de l'homme. Celui-ci, le suprême décideur du sort de sa soeur, de son épouse et de sa mère fait de l'ombre. Il est l'opposant. Celui qui freine la liberté ou la personnalité de la femme dans sa quête d'une authentique personnalisation par le « je».

La plénitude jamais atteinte, Maïssa Bey, comme d'autres romancières suppriment donc symboliquement l'homme:

« Et alors, à cet instant, que fait l'héroïne? Elle tend la main, il a le dos tourné, il ne peut pas voir ce qui se passe derrière lui, elle saisit le couteau. Il est maintenant dans le couloir, elle le suit, pas trop près, en essayant de faire le moins de bruit possible ; l'obscurité du couloir, la folie que peut engendrer le désespoir [...] tout semble la pousser à accomplir le geste fatal...et elle lève la main. (PP 38/39)

Conclusion

Le discours sur la femme est un axe central dans les récits de Maïssa Bey. Le nombre de personnages féminins qui les peuple est important. Elle n'incarne pas la place d'un actant / héroïne mais beaucoup plus, celle d'une victime face à ses multiples bourreaux. Oppression et tyrannie se liguent pour en faire un personnage éternellement sacrifié et banni. Elles sont l'objet de toutes sortes de violences. Les récits qui leur sont réservés en donnent l'image suivante : elles sont violées et brutalisées, dominées et battues, opprimées et soumises, persécutées et discréditées, méprisées, séduites et abandonnées.

C'est un être qui apparaît ou se situe dans la catégorie de la marginalité de ceux qui vivent au rancart de la société. Elles subissent toutes les violences physiques et entre autres le viol.

Un désir :

Yasmina Khadra, Dib, Assia Djebar et d'autres écrivains ont dénoncé «le terrorisme », ce mot d'actualité, qui fait partie désormais de notre langage quotidien. Un phénomène qui a connu son paroxysme en Algérie où plusieurs de noms ont été emportés par la folie meurtrière des intégristes. Il ne suffirait pas d'y habiter pour pouvoir en parler et juger.

Au début de la décennie 1990, Maïssa Bey a assisté aussi au développement et à la propagation rapide de l'idéologie islamiste. C'est un autre moment tragique de l'Histoire d'Algérie. L'Algérie retombe dans d'autres formes de violence qui conduisent à des confrontations sanglantes quarante ans presque après son indépendance. Ces événements ont bouleversé la vie de tous les algériens et bousculent leur perception du monde. Ce peuple fait sa mue : ce ne sont plus les Français, désormais partis, qui sont les étrangers pour ceux qui ont connu la guerre d'indépendance, mais leur descendance.

Ces événements tragiques, qui ont secoué le pays depuis le début de la décennie écoulée, ont suscité une nouvelle littérature algérienne qualifiée de « littérature de l'urgence ». Cette littérature est un témoignage sur un moment brûlant de la conjoncture historique en Algérie : Pour Maïssa Bey, écrire dans une situation d'urgence est un acte d'engagement et de dévoilement d'une réalité explosive avec des « mots » disant le refus de toute complicité confortable ou subornation : «(...) La force des mots montre l'urgence de dire l'indicible, de chercher le pourquoi de cette folie qui ravage l'Algérie. De refuser le silence et la peur trop longtemps imposés. »18(*)

Dans cette nouvelle « Nuit et silence », comme dans nouvelles d'Algérie, Maïssa Bey décrit et dévoile à nouveau le viol, les actes terroristes, et ce qu'il en résulte comme dégâts matériels et humains. Ce thème était déjà abordé dans ses écrits: « Bleu,

blanc, vert ».19(*) et dans corps indicible parue dans les nouvelles Nouvelles d'Algérie

Il est à noter que Maïssa Bey a consacré toute son écriture à toutes les femmes de son pays que l'on veut réduire au silence, Elle évoque, d'une voix personnelle puissante, le caractère double du langage en tant que discours de pouvoir et arme dans une société qui veut confisquer la parole féminine :


Ils dansent autour de moi une ronde infernale, tous ces noms que mon dictionnaire qualifie de communs: carnage, massacre, tuerie, boucherie, auxquels, comme pour creuser encore plus profond dans nos plaies, viennent s'accoler les adjectifs: effroyable, terrible, horrible, insoutenable, inhumain, et bien d'autres...Il ne suffit pas d'effacer les mots pour faire disparaitre ce qui est.

Je les recueille [ces mots-sangues], je les fais miens, je les égrène, le matin, avant de sortir de chez moi, comme d'autres égrènent un chapelet avant de s'abîmer dans la prières....Je tresse avec ces mots des colliers de fleurs que je passe à mon cou les jours où j'ai trop mal, les jours où déborde la souffrance.20(*)

L'urgence qu'il y a à « porter la parole » dans la société algérienne postcoloniale, tient, dans les textes de Maïssa Bey, une place primordiale. Il s'agit, d'exprimer, par le langage, une réalité qui est indicible, ou de trouver « les mots pour le dire ». Ainsi, dans la Préface des Nouvelles d'Algérie, l'auteur écrit:

Pour pouvoir écrire ce livre, il m'a fallu un jour regarder en face ce que jusqu'alors je n'avais pu imaginer, non, pas même imaginer, sans peur et sans souffrance. J'ai dû alors lutter contre la tentation du silence... essayer de la [la peur] faire plier sous le poids des mots. Expérience difficile s'il en est, que celle de trouver les mots pour dire l'indicible...21(*)

Il est intéressant de remarquer ici que «l'urgence de dire» une réalité trop terrible pour pouvoir être exprimée par le langage, semble remplacer, chez un nombre d'auteurs de la génération des années 90, les questionnements identitaires des auteurs bilingues de la première génération qui sont le résultat du conflit de l'univers symbolique de la langue maternelle et de la langue française qu'ils utilisent comme langue d'écriture.

La nouvelle « Nuit et silence », est l'histoire d'une jeune fille de quinze ans qui a subi l'expérience du viol, et qui a été témoin du meurtre de ses parents et ses frères. Les circonstances de l'évènement raconté par la jeune fille donnent au texte un caractère universel. Le style est, comme c'est toujours le cas chez Bey, concis, la phrase est courte, le message est factuel, transparent.

Ce style classique qui caractérise le langage poétique de Bey, dominé par ce qu'on peut appeler, le principe de la constance, alterne avec un style elliptique de la phrase éclatée et de la rupture de l'ordre de la syntaxe, où l'omission du sujet grammatical ou de l'article défini sont fréquents. Une pareille écriture génère la décomposition, la fracture du moi, accompagnée par un effondrement de l'univers symbolique du sujet semblable à celui qui domine dans le langage psychotique. On assiste à un vacillement au niveau du langage et au niveau de l'univers intérieur du sujet qui se retrouve au bord de la folie. On peut dire que la tentative de la narratrice de «s'affranchir du verbe» et de retrouver le monde de la constance, n'est autre que le désir de la réappropriation de la parole perdue. Le désir de dire de la jeune fille est accompagné du désir de nommer, parler, pour guérir, suite à l'expérience de la perte dans un monde injure.

Pourtant, le réel exerce un pouvoir tellement fort sur la narratrice que les seuls mots qu'elle peut encore prononcer et penser sont les mots «inoffensifs» de son enfance:

Je lui ai raconté l'histoire de mon arbre, celui que ma grande mère avait planté le jour de ma naissance. C'est un figuier qui a grandi en même temps que moi. Cela faisait seulement trois étés qu'il donnait des fruits». P. 114

Ainsi, dans cette nouvelle «  Nuit et silence », la narratrice ne fait qu'évoquer, au cours de la narration, un attentat dans un style simple, et sans user d'effets stylistique ou esthétiques particuliers. Elle s'intéresse plus à ce qu'il y a après l'attentat, aux gens et femmes qui en souffrent. Comme les événements sont bien connus de tout le monde, les décrire d'une façon minutieuse n'avancerait à rien.

Derrière ces événements non historicisés, mais beaucoup d'indices les spatialisent concrètement, l'auteur veut dépasser la question algérienne pour s'interroger sur cette envie de l'homme à chercher sa liberté physique et morale après un malheur vécu. Il y a tout un jeu avec le temps et avec l'espace rendant ces instances hybrides, c'est-à-dire trop flasques, l'actualité transporte le lecteur vers le mythe. Ainsi, l'auteur fait connaître les conditions dans lesquelles vivent les Algériens, victimes ou « spectateurs » de cette violence. Mais cette réalité dépasse le lieu géographique et va creuser des sillons dans l'Histoire, la mémoire, le sacré et les écritures.

« Nuit et silence » est une triste histoire, celle d'une jeune fille qui ne perd pas l'espoir de retrouver un jour sa liberté même si celle-ci ne se rencontre parfois que par la mort : « On attend seulement la vraie mort. La fin de tout. La délivrance » P.110.

L'auteur cherche, à travers ce récit à dévoiler l'inhumanité de l'homme trop prisonnier de vérités désuètes et de mythes cruels. La nouvelle « Nuit et silence » traite le problème du terrorisme. Des passages de ce récit présentent une violence exercée contre des gens de tout âge ; surtout des femmes. La description faite par la narratrice est plus réaliste car il ne s'agit pas d'un rêve. Maïssa Bey rapporte par le biais de cette nouvelle des faits réels, vécus par tous les algériens.

D'une nouvelle à une autre, on assiste à un changement de perspectives. L'auteur nous fait voyager dans une Algérie où rêve et quotidien se mêle. Elle nous promène dans un pays qui débat sans fin dans les contradictions, celles qui entravent les femmes.

L'écrivaine dénonce l'acte terroriste qui a ravagé tant de vies innocentes et qui a fait plonger l'Algérie dans l'ombre de la déraison et la désillusion. Elle se retrouve bien impliqué dans la narration : l'emploi du «Je » narrateur. Pour elle, dire « je » est une façon de se couler dans le plus intime de l'être et par-là même d'aller au plus profond22(*). Certes, il est parfois difficile de se dissocier des personnages que l'on crée. Elle leur donne une vie esthétique propre et intangible. Son existence se perd dans ces personnages :

« La personnalité de l'artiste, traduite d'abord par un cri, une cadence, une impression, puis par un récit fluide et superficiel, se subtilise enfin jusqu'à perdre son existence et, pour ainsi dire, s'impersonnalise »23(*).

Beaucoup de femmes comme Assia Djebar, Aïcha Lemsine, Beyda Bachir ou Safia Ketou écrivent sous un pseudonyme, ce choix d'un pseudonyme peut se traduire par une sorte de «voile». Elles se dissimulent selon une stratégie: ne pas gêner la famille ou le mari. Mais pour Maïssa Bey, c'est plutôt une question de vie. Elle était menacée. A l'époque où elle a commencé à se faire publier (les années 1990), c'était comme elle le dit, écrire sous son nom et partir ou choisir l'anonymat et rester24(*). Il n'y avait pas d'alternative, c'était une question de vie ou de mort. Donc le choix n'y était pas et c'était cela qui lui avait motivé en premier pour l'option du pseudonyme:

« Je n'ai pas eu vraiment le choix. J'ai commencé à être publiée au moment où l'on voulait faire taire toutes les voix qui s'élevaient pour dire non à la régression, pour dénoncer les dérives dramatiques auxquelles nous assistions quotidiennement et que nous étions censés subir en silence... dans le meilleur des cas »25(*).

Par le biais de la voix de ses personnages, Maïssa Bey ne veut à aucun moment dissimuler sa position idéologique.

La nouvelle « Nuit et silence » décrit une jeune adolescente enceinte « quinze ans» p.110, gisant sur un lit dans un hôpital à Alger : « On va t'emmener dans un centre à Alger» P.105

Au fur et à mesure que le récit progresse, on saura que cette jeune fille fut enlevée lors d'un massacre dans un douar par des terroristes qui voulaient se venger de la trahison de son frère : « La nuit où il sont venus au douar pour se venger de la trahison de mon frère, il faisait très chaud » P 109

Sachant qu'elle porte le fruit d'une faute qu'elle n'a pas commise, la narratrice voulait se suicider pour retrouver sa pureté puisqu'elle était déshonorée:

« Je voudrais mourir. Qui voudra de moi maintenant ? J'ai déshonorée la famille» p.108

« Je ne vais plus manger. Comme ça cette chose dans mon ventre ne pourra pas se nourrir (...) m'aidera à mourir pour retrouver ma pureté» P.111

Le dialogue entretenu entre une femme terroriste et la narratrice qui voulait connaitre les motifs de ces tueries révèle les motivations des groupes terroristes qui justifient leurs crimes par le recours au sacré. Cette femme se met à parler à la place des autres pour donner raison à leurs actes en donnant des exemples : « Quand il ya des cafards dans une maison, si on veut s'en débarrasser, il faut les tuer tous! Les exterminer ! Si non ils prolifèrent à nouveau » P.106

Pour eux, tuer des innocents, des enfants, c'était pour les sauver et les empêcher de devenir des mécréants comme leurs parents. Tuer des femmes adultes c'est les purifier. Ces criminels veulent mettre le pays en coupe réglée au nom d'un islam dénaturé par le vol, le viol et la violence Dans l'incipit de «Nuit et silence », L'écrivaine utilise ce qu'on appelle « le topos de la lumière»26(*) ce qui assure une « rhétorique du dévoilement » qui fait passer de l'inconnu au connu. Les Personnages de ce récit progressent dans l'action. La narratrice n'est ni omnisciente, ni omnipotente. Son ignorance s'assimile à celle de tous ces Algériens/spectateurs. Elle ne sait pas plus que les autres personnages.

D'un autre côté, l'auteur ne nous fait part que des sentiments de la jeune fille par le biais de monologues : des souvenirs de morts (sa famille, les femmes torturées), des remords et des regrets. Le fait qu'elle fut obligée d'accomplir ce qu'elle a accomplie pour rester en vie, ne la laisse pas insensible. Le discours réaliste devient porteur d'un témoignage et de l'affirmation de la parole de l'auteur. Ainsi, Maïssa Bey, à travers le discours de cette femme enlevée, violée et condamnée à vivre d'horribles expériences et dans le déshonneur, prend position contre ces « détenteurs » de « vérités uniques ». Elle réclame la liberté, la paix et réprouve si durement ceux qui exercent cette violence.

Les passages relatifs aux massacres ne sont qu'une vue fragmentaire, que quelques souvenirs qui ont ressurgis de la mémoire de cette jeune fille et qui lui ont donné la force vaincre cette peur. Elle parle pour dire. Sa parole est porteuse, elle va au delà de l'événement immédiat: dénoncer le terrorisme.

Effectivement, les images que la jeune femme revoyait, les scènes d'horreur qu'elle se rappelait, comme celles où, elle et d'autres filles enlevées, avaient été torturées, violées ; étaient des images choquantes qui ne faisaient à chaque fois que de lui procurer plus de haine et de courage :

« Je ne veux pas de cet être qui bouge en moi. Je ne pourrai pas donner le jour à un être qui pourrait leur ressembler... à le laisser grandir pour haïr, tuer ou se faire tuer» Pp.108/109

« ... je lui tenais la jambe pour l'empêcher de s'approcher de Ali. Je me traînais par terre» P.106

Des images qui témoignent d'une violence atroce au point où l'auteur ne peut plus en rajouter avec son style, elle n'utilise même pas le mot « terrorisme » ou « terroriste » dans ce récit. Elle apporte des témoignages d'une précision cynique pour provoquer l'indignation du lecteur, sur la barbarie insoutenable des terroristes. Les mots sont simples et les phrases plus qu'expressives.

Face à cette violence qui ne cesse de croître, l'auteur revendique le droit à la liberté, la nécessité de préserver la dignité qui sont les pôles moraux indispensables à tout homme. Ces femmes se battent pour la procurer : « Je n'ai plus pensé à elle depuis le jour où je me suis enfuie» P.101

« Elle a fini par leur échapper, cette nuit. En silence. Dieu ! Leur fureur quand ils ont découvert au petit matin son corps qui se balançait à quelque centimètres à peine au-dessus du sol...elle leur à échapper» Pp.101/102

Le droit à l'éducation est souligné ici, Maïssa voulait mettre l'accent sur ce point qui a souvent Bouleversé la vie des jeunes filles vivant dans une société dont laquelle elles sont perçues comme un déshonneur, des êtres impurs. Ces filles sont victimes des valeurs sociales et des traditions archaïques. Elles sont obligées de quitter les rangs des classes pour aider leurs mères : « d'ailleurs, beaucoup parlaient en français. Et moi, à l'école, je n'ai pas eu le temps d'apprendre le français. Mon père m'a fait quitter l'école à neuf ans pour aider ma mère » P.104

Aussi parce qu'elles représentent pour leurs familles un lourd fardeau qui ne se dissipe que le jour de leurs mariages. Cette idée est installée même chez ces filles-là : « Je porte encore un fardeau » P.100

« Si mon père et mes frères étaient encore en vie, ils m'auraient tuée. Pour ne pas avoir affronté le déshonneur. Et je les aurais laissés faire ...J'ai déshonoré la famille» P.108

Quand le silence fait la loi, il serait difficile de le briser, difficile de rompre une tradition Longtemps séculaire qui s'est imposée dans la vie d'une femme. Celle-ci malgré les violences qu'elle subit, les oppressions et les humiliations, ne peut dire son malheur; sa révolte qui bout en elle, bref sa souffrance incandescente qui brûle au plus profond d'elle-même. Elever la voix est un acte proscrit. Aussi qui mieux qu'une femme peut ressentir cette déchirure.

Conclusion

Il est intéressant de remarquer ici que «l'urgence de dire» une réalité trop terrible pour pouvoir être exprimée par le langage, semble remplacer, chez un nombre d'auteurs de la génération des années 90, les questionnements identitaires des auteurs bilingues de la première génération qui sont le résultat du conflit de l'univers symbolique de la langue maternelle et de la langue française qu'ils utilisent comme langue d'écriture.

L'urgence qu'il y a à restaurer la parole perdue individuelle et collective des femmes algériennes, constitue l'autre versant de la poétique de Maïssa Bey qui, fille d'un instituteur qu'elle a perdue très jeune pendant la guerre d'Algérie, a fait l'expérience de tous les dangers auxquels la femme algérienne est exposée dans la société arabo-musulmane lorsqu'elle s'associe au pouvoir de l'écriture, de la lecture et du savoir. Elle explique: « Et puis, il a fallu qu'un jour, je ressente l'urgence de dire, de porter la parole, comme on pourrait porter un flambeau ».27(*) Elle ne nie pas le caractère sociologique de ces textes que de nombreux critiques soulignent, mais elle précise:

Et plus la pression de la société est forte, plus l'oppression des personnages par cette société est grande, plus elle envahit l'oeuvre, au risque même de paraitre délibérée. C'est cela la réalité algérienne aujourd'hui.28(*)

L'altérité

Il est évident que le regard qu'on porte sur «l'autre», et vice versa, mène à des carrefours problématiques. En regardant « l'autre», en parlant de « l'autre« et en écrivant sur « l'autre», une image est véhiculée qui renseigne sur le « je » qui regarde ou qui écrit. Cette image qu'on se fait de l'autre peut être en fait, d'une part, une négation de « l'autre» et d'autre part, un prolongement du «je » et de son espace référentiel :

« Tiens, chez nous on dit : être frappé par le vent. C'est pas mal comme expression non? [...] je ne suis pas d'ici. Enfin, je ne suis pas née ici. .. J'espère que cela n'aura aucune incidence sur la suite des événements [...] Je ne suis pas née de ce côté de la Méditerranée. Et ma mère non plus. Pas plus que mon père » P.49

La narratrice expose le désir de s'intégrer, de ne faire qu'un avec «l'autre» et la nécessité de tenir à ses racines. Elle veut, aussi démontrer qu'on a tous un point commun, une histoire commune pour ainsi dire nous ne sommes pas différents de « l'autre» :

« Parce que tout le monde me le dit, vraiment, on ne dirait pas une arabe...ton teint, tes cheveux [...] Le hasard des combinaisons génétiques, sous savez bien ... les mélanges... Berbères, Vandales, Phéniciens, Arabes, Turcs, Espagnols, Français, ... pour s'y retrouver dans cette généalogie, ces métissages...je pourrai passer pour une méditerranéenne et puis je parle français sans accent » P.49

Le drame de l'identité est présent dans cette nouvelle « Improvisation » qui est un monologue. Aussi, des traits de caractères, des tranches de vie sont révélés dans ce discours. La jeune dame « Leila » monte sur le théâtre, sans aucune préparation, avec l'espoir d'être acceptée et engagée comme comédienne suite à une annonce publiée par la direction du théâtre. Sur scène, elle interpelle le jury : « Qu'est-ce que je suis venue faire ici ? En France ?... Postuler pour le rôle bien sûr, tenter ma chance ! » P.50

Elle quitte son pays pour se libérer de l'autorité patriarcale. Elle essaye de démontrer à son public comment les choses peuvent évoluer de manière insatisfaisante et désagréable, comment la femme sur l'autre rive de la Méditerranée, souffre et assume l'autorité de l'époux en silence : «Et c'est ma mère qui essuyait tout en silence. Les tempêtes, les bourrasques, entre de trop rares accalmies. Vous comprenez maintenant pourquoi je suis partie, pourquoi j'ai largué les amarres... j'ai quitté mon pays, j'ai quitté mon soleil» P.55

Et pour déjouer cette autorité, elle use de son génie et du mensonge : « J'ai toujours joué de la comédie. Sans arrêt, comme toutes les femmes. Depuis toute petite.... bien obligée.» P.50

L'écrivaine évoque aussi un autre sujet: la fragilité, la soumission, la faiblesse de la femme qui a connu une vie difficile, sa souffrance d'enfance, d'adolescence et d'adulte était en grande partie causée par le fait qu'elle donne inconsciemment aux autres le pouvoir de lui enlever la liberté d'être elle-même et aussi l'acte de faire un choix «signe de liberté ».

Sommes-nous libres de faire nos propres choix ? Choisir notre sexe ? L'écrivaine dénonce une idée tant marquée cette société : celle d'avoir beaucoup d'enfants et des mâles d'abord. Un autre aspect de la liberté est abordé ici: celui de la possibilité d'agir, de penser et de s'exprimer selon ses propres choix. Tel est le cas de cette comédienne qui eut une certaine hésitation pour le choix du rôle qu'elle va jouer; un choix entre Phèdre ou Antigone29(*): « J'ai tellement hésité entre Phèdre et Antigone....des méditerranéennes elles aussi... »P.51.

Ce choix fait par Maïssa bey n'est pas fortuit, elle veut montrer qu'à travers toute l'histoire, les femmes ont souffert et ont subi l'injustice de l'autorité masculine

L'écriture de Maïssa Bey retrace l'évolution de la voix féminine à partir de la constatation d'un silence, silence de la femme dans la société patriarcale. Une société qui veut le silence. Un thème déjà évoqué par une autre romancière algérienne Assia Djebar en disait en 1987 :

« Une femme algérienne qui se met à écrire risque d'abord l'expulsion de sa société (...) Aujourd'hui, on peut dire qu'il y a une dizaine d'Algériennes qui écrivent. Par la langue française, elles se libèrent, libèrent leur corps, se dévoilent, essaient de se maintenir en tant que femmes travailleuses et, quand elles veulent s'exprimer par l'écriture, c'est comme si elles expérimentaient ce risque d'expulsion. En fait la société veut le silence. A un moment donné toute écriture devient provocation. Tant qu'il y avait la justification de la guerre d'Algérie, on pouvait écrire. » (Le Monde, 29 mai 1987) 30(*)

Par son écriture, l'écrivaine crée un lieu d'expression à la parole féminine et dans cet espace, sa propre voix peut s'exprimer de manière individuelle, tout en s'inscrivant dans une polyphonie féminine.

Une affirmation

A partir des années 85, les témoignages et les récits de vie deviennent plus intensifs. Ceci se remarque sur l'ensemble de la littérature algérienne d'expression française. On veut alors parler en toute liberté, plaider sa propre cause, sortir du silence. Aussi, l'une des caractéristiques de l'écriture féminine d'expression française au Maghreb est de raconter et se raconter tout en recourant à la mémoire qui remonte jusqu'à l'enfance, il s'agit de récits autobiographiques. Un thème précis et particulièrement douloureux, mais glorieux aussi, pour les romancières algériennes est celui de l'histoire immédiate : c'est-à-dire les souvenirs de la guerre l'indépendance à laquelle les femmes ont pris part. Ce thème de la guerre tient une part importante dans les romans algériens Maïssa Bey, comme d'autres, poursuit inlassablement sa quête identitaire et nous emmène, une fois de plus, à la découverte d'une Algérie omniprésente. Dès sa tendre enfance, elle était en quête de ses origines ; cette recherche de l'identité la plus profonde.

Dans un récit autobiographique « C'est quoi un arabe ? », Maïssa décrit tout ce qui peut constituer son être, son rapport au monde, ses relations avec les autres, sa singularité. C'est un récit autobiographique du moment qu'il parle d'un flash back durant la colonisation française. Une période qui a tant marquée son enfance : Elle évoque ses souvenirs et parle de son père ; un instituteur, qui a été torturé et tué par l'armée française : « Des militaires français accompagnés d'un homme ... Ils sont pénétrés chez eux au milieu de la nuit » P. 145

« ... puis ils sont partis, emmenant son père». P 145

Avec un mélange de fiction et de souvenirs personnels, Maïssa bey écrit ce récit avec le désir de revenir sur les chemins de son enfance et plus loin encore. Revisiter le passé pour éclairer ou tenter d'éclairer le présent : « Enfance. Je plonge mes mains dans l'informe.je cherche. Sable mouvants, tièdes. Je m'enfonce». P.135

Le personnage central est une jeune fille qui tente de reconstituer les fragments épars de sa personnalité. Elle perçoit dans l'ordonnance de son monde des incohérences : Que veut dire « arabe » ? Et pourquoi l'autre perçoit cet être comme

différent même si ce dernier parle et/ou peut parler la même langue ?

« Mais alors, les arabes peuvent aussi parler français ? Parler une langue. La faire sienne sans toutefois perdre de vue qu'elle ne nous appartient pas». P.138

Des questions et d'autres que la narratrice n'a guère trouver de réponses même chez les adultes qu'elle suppose connaitre tout : « ... seuls les adultes peuvent répondre aux questions. Néanmoins, je n'ai pas la réponse». P.135

Elle cherche la réponse dans les yeux de son grand père, et dans tout ce qui l'entoure mais vainement. A l'école, cette petite fille a appris beaucoup de choses, a découvert des mondes si vastes.

Inconsciemment, l'écrivaine ne veut évoquer ce souvenir, celui où des militaires ont conduit avec eux son père. Elle tente de se rappeler seulement des bons moments qui ont précédés ce drame. Elle songe à la liberté donnée par cet immense espace (son village).

« D'où vient, si intense, cette impression de liberté? Sans doute des espaces nus et déserts, au-delà des champs de blé à perte vue. L'écho des cris d'enfants répercutés loin, très loin. Epis arrachés, encore verts, gout des grains de blé encore tendres ». P.139

Mais vint le moment où toute protection, toute liberté disparaissent à jamais. L'écrivaine revient sur les traces de l'histoire. Il lui a fallu, certainement, faire des recherches pour ne pas trahir le réel, du moins sur le plan de la chronologie des faits historiques évoqués : « Janvier 1957, Enfin un point d'ancrage. Un repère sûr. Quoi de plus solide qu'une date pour étayer des souvenirs ? Certifiées conforme par les livres d'histoire» P.141

Suite à une grève générale décrétée par le FLN (Front de Libération National), son père fut arrêté et condamné parce qu'il combattait pour sa liberté, sa dignité. Il refuse d'être humilié : « Sous le même soleil des hommes se font la guerre. Lui et les siens se battent pour ne plus être humiliés. Pour avoir le droit d'être libre sur une terre qui leur appartient» P.143

Dans ce récit, Maïssa Bey ne donne pas seulement des précisions sur le temps de l'action, mais dénote aussi un autre aspect: celui du respect qui règne entre les membres de la famille. Cette cellule familiale, qui est souvent considérée comme l'espace fondamental et la pierre angulaire de toute société.

« Cela ne correspond pas à ce que je sais aujourd'hui des traditions en vigueur dans notre famille. Impossible. Les pères en ce temps-là ne pouvaient voir leur femme ou leurs enfants en présence de leur propre père. Par pudeur. Par respect » P.137

Cette nouvelle ne s'apparente pas immédiatement à une écriture autobiographique puisqu'elle est écrite à la troisième personne mais les glissements fréquents de la troisième « elle » témoin, à la première personne « je » acteur peuvent nourrir une réflexion sur la définition du genre. La focalisation interne est un choix d'écriture qui a du sens et construit du sens. La proximité du personnage de la femme et de l'auteur est renforcée par ce choix. Ce passage de l'un à l'autre est constitutif de l'écriture investie par la présence d'un discours réaliste où l'actualité n'est pas absente.

Quoique ce soit un récit autobiographique, Maïssa bey emploie la troisième personne « elle » qui, selon R Barthes :

De même, l'emploi du « il »romanesque engage deux éthiques opposées : puisque la troisième personne du roman représente une convention indiscutée, elle séduit les plus académiques et les moins tourmentés [...] De toute manière, elle est le signe d'un pacte intelligible entre la société et l'auteur, mais elle est aussi pour ce dernier le premier moyen de faire tenir le monde de la façon qu'il veut. Elle est donc plus qu'une expérience littéraire : un acte humain qui lie la création à l'Histoire ou à l'existence. 31(*)

Donc une manière de fasciner les lecteurs et les attirer. Aussi elle permet de se distancier et aller jusqu'au bout du récit. Des distances qui sont parfois, comme les a jugé Maïssa bey, nécessaires.

« J'ai fait appel au «elle», une distanciation était nécessaire. Ce qui est certain, c'est que le «elle» permet d'aller jusqu'au bout du récit, de prendre des distances parfois nécessaires. Peut-être que le «Je» narratif peut amener à un amalgame entre l'auteur et l'héroïne... » 32(*)

Dans la nouvelle « La petite fille de la cité sans nom » la légende s'articule dans la fiction. L'écrivaine, dans l'incipit de ce récit, annonce sont projet d'écriture:

« Elle aurait pu s'appeler Ariane33(*). Pourquoi Ariane ? A cause de son nom, et aussi des labyrinthes. De ceux qu'on doit parcourir dès l'enfance, pendant longtemps, jusqu'à ce qu'on trouve la lumière » P.149

C'est ainsi que le personnage principal se voit subir le même sort que « Ariane » : éclairer les jours de ceux qu'elle aime afin de leur permettre de retrouver le chemin, tout comme Ariane qui, séduite par Thésée, l'aide à s'échapper du labyrinthe en lui fournissant un fil qu'il dévide derrière lui afin de retrouver son chemin. Cette fille aux yeux aigue-marine cherche le bonheur et la liberté dans l'autre rive: « Tout ce qu'elle veut, c'est pouvoir un jour s'en aller à son tour» P.151

Rania, la petite fille muette, s'en rend compte et assume le poids de la misère commune à toute la famille, et à tous les habitants de cette cité oubliée.

« Elle a parfois plusieurs kilomètres à faire et doit frapper à plusieurs portes [...] elle sait qu'elle doit à tout prix rapporter de l'eau à la maison, sinon ils n'auront pas de quoi préparer à manger et laver leur linge ». p.152

Ces rêves se transforment en cauchemars d'un labyrinthe sans fin. Prisonnière dans ce dédale, elle s'efforce de trouver le fil d'Ariane qui le guiderait certainement vers la sortie et par conséquent vers sa liberté enchantée dans un ailleurs.

« Elle non plus ne sait pas pourquoi elle rêve souvent de labyrinthes. D'immenses galeries sombres et humides, inlassablement parcourues en allers et en retours inutiles. Toutes les nuits, elle court, s'égare dans inextricables dédales, parce que personne n'a tendu de fil pour elle pour l'aider à déboucher sur la lumière » pp. 151/152

Cette fillette, muette et invisible, qui après avoir tenté de s'exprimer un temps par la danse et l'écriture sur le sable, finit par disparaître dans la mer:

« Les mots dans les livres sont noirs et silencieux, ils sinuent comme des serpents et ne résonnent pas dans sa tête même quand elle en trace les contours sur la terre, [...] mais c'est peut-être à force de tracer des signes dans la poussière qu'elle a trouvé le chemin. Ou alors à force de regarder les étoiles disparues depuis longtemps. Personne dans la cité ne sait pourquoi, un matin, elle n'était plus là». P.153

Le récit reste ouvert, personne ne sait ce qui est arrivé à la petite fille. Le lecteur assiste à un brouillage du drame ce qui rend ce récit « énigmatique »34(*), il se constitue comme dérangement de la communication de l'information. Le lecteur est placé devant un événement, un comportement dont le sens lui échappe et dont les conséquences lui demeurent cachées. Selon Charles Grivel, cet acte d'écriture produit le désir de lire et retient le lecteur à la lecture :

« Le démenti suppose l'énigme, n'est opérant qu'en tant qu'énigme. L'innovation en effet, n'est intéressante que dans la mesure où elle est rendue mystérieuse: une information non probable n'est en soi ni intéressante, ni étonnante [...] Autrement dit, la rupture de l'ordre archétypal n'est efficace qu'à partir du moment où elle ouvre obscurément sur cet ordre même »35(*)

L'énigme suscite un questionnement chez le lecteur et contient la promesse d'une réponse aux hypothèses supposées par ce lecteur et qui pourront être vérifiées ou infirmées.

L'interrogation : Les réactions de la société

1. Les réactions du groupe social:

L'opposition entre violence physique et morale, violence corporelle et psychique n'est décisive qu'en apparence. C'est ainsi que Maïssa bey ne s'attache pas seulement à peindre une violence physique, apparente et flagrante. Elle nous montre à travers ces récits une multiplicité de violences de tout aspect, diffuses ou spectaculaires. Elles se rejoignent et mènent toutes à la perte de l'homme. La violence se définit ici comme un attribut fonctionnel, marqué par des oppositions physiques et symboliques articulant les récits et déterminant le fonctionnement des réseaux discursifs.

Le discours de la liberté et sur la liberté notamment structurent les textes tout en se muant en un élément médiateur entre la fiction et le réel. C'est ce jeu d'oppositions, donc de conflits qui apportent une certaine caution « thématique » aux récits et devient un espace pluriel, caractérisant plusieurs espaces différents. Temps et espace sont parfois diffus, fonctionnant comme des « chronotopes » pour reprendre le mot de Mikhaïl Bakhtine. Le discours de la liberté est paradoxalement attenant à celui de l'indifférence et de la violence qui traverse tous les personnages des récits.

Les personnages des différents récits, victimes du joug social, se retrouvent toujours dans la même société, avec les mêmes individus qui la constituent, mais ils ne sont pas perçus comme des victimes, au contraire, ils sont rejetés et mis à l'écart. Le changement d'espace ne suggère nullement un changement d'attitudes ou de comportements. La souffrance traverse tous les récits. Le champ lexical de la nuit, de l'obscurité et de la mort, du silence investit tous les récits et modélisent la syntaxe narrative des nouvelles. D'ailleurs, les personnages réifiés perdent, en quelque sorte, leur âme, leur existence et leur être. Le mythe traverse leur territoire et neutralise toute dimension humaine.

A.J.Greimas a donné forme aux rapports de base que peuvent avoir les personnages d'un roman : Rapports de désir, de communication et de participation36(*). A l'aide de « la règle d'opposition »37(*) on peut déduire les relations qui régissent les rapports de nos personnages, ce qui nous amène à mieux voir cette indifférence sociale.

Ainsi, l'« amour » qui désigne le rapport de désir, se transforme en «haine », ce qui caractérise indéniablement le sentiment qu'éprouve Maya à l'égard de son mari. En revanche ce rapport est dénué de réciprocité. Cette relation ne peut qu'entraîner angoisse et colère.

Il faut remarquer aussi qu'a travers les récits : « Sous le jasmin la nuit », «  En ce dernier matin » et « Nonpourquoiparceque », une impossibilité de communication se fait jour. L'auteur cherche à donner la nausée au lecteur. Autrement dit, la vraisemblance du texte est indispensable pour que la charge émotionnelle et la violence qu'il contient, soient opérantes.

Ainsi, on peut aisément remarquer l'absence de communication à travers les nombreux monologues qui travaillent certains récits. Les personnages ne semblent parler qu'à eux mêmes. Quelques phrases échappent au monologue pour constituer de courts dialogues. Finalement, la parole naît et meurt à l'intérieur du personnage, elle est muette, les personnages sont passifs.

2. La résistance des individus face à la violence

Nous avons vu dans les parties précédentes comment la violence physique, morale ou psychique traverse profondément tous les récits. L'écrivaine ne s'arrête pas uniquement à la description de sociétés perdues et déchirées par la violence, mais convoque  également les familles et tout être pour faire face à cette violence, malgré les difficultés quotidiennes et la conjoncture extérieure terriblement pessimiste.

L'élément spatio-temporel et le contexte socio-historique prennent une autre direction. Ce qui permet de mettre en jeu une sorte de métamorphose thématique et esthétique. La famille et la société gardent leurs repères et ses espaces conventionnels. Nous sommes en présence d'un discours présentant une tranche de la société qui résiste face à la violence, avec ses moyens physiques et spirituels, à son ébranlement et à sa désagrégation.

Cette femme a une voix douce, très douce elle m'a parlé. Elle disait la même chose que les autres : « Tu es là, avec nous. Tu n'as rien à avoir peur. C'est fini. Tu peux ouvrir les yeux, personne ne te fera plus mal ».[...] Au bout d'un moment, elle s'est levée et m'a dit encore : « N'aie pas peur. Je ne veux pas te faire du mal. Je reviendrais te voir ». P.104

Dans ce récit « Nuit et silence », l'auteure, qui ne peut rester sourd aux appels de son pays, décrit l'horreur et l'inqualifiable violence qui a frappé l'Algérie. Elle use souvent d'un ton réaliste comme si la langue ne pouvait se jouer de l'horreur en parlant de manière opaque, contrairement aux autres récits. A travers les signes explicites et implicites de cette écriture qui se revendique transparente, l'auteure n'hésite pas à se dévoiler et à s'impliquer fortement dans ce récit. Chaque fois que la patrie est menacée, Maïssa Bey intervient en faisant acte de témoin et d'écrivaine qui n'hésite pas à se dévoiler et à produire un récit transparent.

Tous les romanciers algériens qui ont abordé ce thème ont mis en exergue cette violence marquée par une opposition de deux camps et de deux champs lexcico-sémantiques. Il y a une sorte d'incommunicabilité. Les auteurs s'impliquent dans le récit et usent d'un style de facture réaliste. Assia Djebar, Rachid Boudjedra, Rachid Mimouni, Malika Mokkedem, Yasmina Khadra, Dib refusent de prendre une distance avec les antagonistes de ce pays et usent d'une langue simple, souvent dépouillée d'images complexes et difficiles pour peindre la société terrorisée par les attentats et les génocides collectifs.

Dans « Nuit et silence », Maïssa Bey décrit une jeune fille, bien que vivant dans une société terrorisée, a pu résister. Elle peint l'image de la femme courageuse pareille à celles qui ont vécu la guerre de libération.

L'espace est circonscrit par la description des événements dans le récit « Sur une virgule ». Le lecteur découvre aisément le lieu dont il est question. Le « je » de la première personne est le lieu de la subjectivité du narrateur et l'espace de divulgation de la parole et de la position de l'écrivaine. Espace et événements sont intimement liés. C'est l'événement qui détermine l'espace.

Nous pouvons remarquer aussi qu'aucun détail sur la vie privée du couple cité dans « Sous le jasmin la nuit » n'est avancé, et très peu d'informations sont données sur les deux aspects physique et moral. L'auteure ne donne que des informations au compte-gouttes sur ses personnages appelés à devenir les lieux privilégiés d'un élargissement du discours romanesque. C'est l'événement lui-même qui prend de l'importance aux dépens des personnages se retrouvant comme des illustrateurs attitrés du discours littéraire. Les jeux de l'énonciation révèlent le fonctionnement de la diégèse et inscrivent le discours dans des conditions historiques et sociologiques précises. Le lieu et les conditions d'énonciation précisés engendrent une manière de raconter et délimitent également le protocole de lecture.

Le choix, sans doute volontaire, de l'auteure de clarifier certains lieux dans les différents récits permet de mettre en exergue un effet voulu, celui de la solidité de la femme algérienne que les événements n'ont pas réussi à affecter. Effectivement, la femme et épouse recèle toujours en elle cet amour et cette affection qui lui sont propres, et que l'atrocité de la vie n'a pas pu atteindre ni éteindre. Il s'agit d'un événement qu'un lecteur non attentif ou absorbé par l'intrigue principale de l'action pourra négliger, alors qu'il est d'une importance majeure.

Le narrateur retrace le destin d'une famille, vivant en cohésion et entretenant d'excellents rapports avec son entourage. La petite communauté dans laquelle elle vivait était paisible, calme. Toutefois ce calme est perturbé lors de l'arrestation du père par l'armée française. La narratrice évoque quelques détails qui permettent de distinguer sa petite famille par rapport à la grande famille, ses moeurs et ses traditions :

« Les robes longues, amples et unies des ses tantes. Sur leur tête, des foulards de soie bariolée. Les signes mystérieux tatoués sur leur visage, sur le dos de leurs mains. Le burnous blanc et la barbe de son grand père » P.136

«  Chez elle, on parle aussi en français. Souvent. Sa mère qui s'appelle Fleur, Zahra, n'est pas tout à fait comme ses tantes. Elle porte des robes courtes et fleuries, serrées à la taille qu'elle a si fine. Elle ne se couvre pas la tête et n'a pas de tatouages sur le visage... » P.137

La famille reste unie jusqu'à ce que le père choisisse d'affronter le destin. C'est ainsi que l'auteure en pleines violences tumultueuses et conflits accentue la charge émotionnelle du lecteur et développe d'autres modes de violences. Les individus tentent d'échapper à la violence, mais elle les poursuit pour dominer le monde dans un combat éternel : « ... parce que nous sommes arabes » P.143

L'auteur qui épargne au lecteur des émotions fortes et violentes préfère rompre ce fil en utilisant différents procédés : les contrastes entre deux aspects d'une condition ; les espaces oppositionnels et oxymoriques. C'est le cas des deux récits « En tout bien tout honneur » et « Nuit et silence », que nous venons d'évoquer mettant en oeuvre un procédé qui sert à amortir le choc : en plein milieu de la violence humaine et de l'horreur, existe toujours un peu d'humanité et de sensibilité : « Cette femme a une voix douce, très douce. Elle m'a parlé. Elle disait la même chose que les autres : « tu es là, avec nous. Tu n'as pas à avoir peur. C'est fini. Tu peux ouvrir tes yeux, personne ne te fera plus mal » P.104

L'écriture comme création :

Chaque écrivain crée des mondes et jouit de cette création. Le verbe est fait pour être entendu. On écrit pour qu'autrui, quelque part, recueille l'essence d'une pensée, pour la rejeter, ou la faire sienne. L'écriture, comme le verbe, est échange et transmission ; et c'est parce qu'elle est échange et transmission qu'elle est libération. Si l'on interrompt son mouvement essentiellement expansif, elle devient aliénation, soliloque infini qui tournera, tôt ou tard, à la folie, en vertu de l'impossible dialogue avec soi-même. L'homme qui fait acte d'écriture sait que sa parole n'est pas vaine ; son verbe est visible, sa parole prend corps.

L'écrivain comme l'écrivaine peuvent être souverains du monde, c'est-à-dire être en mesure de déployer une écriture souveraine. Le verbe reste, pour l'écrivain, organique, démonstrative ; il s'abreuve aux racines de l'être, quand celui de l'homme, libéré de l'obsession d'apparaître, vise à la métaphysique. Il a jusqu'à présent rarement engendré un verbe héroïque, seulement un verbe amoureux. Mais l'écrivaine revendique encore ce corps dont l'homme l'a exilée si longtemps, en même temps qu'il continue à l'y réduire. Voici pourquoi l'écriture féminine demeure majoritairement si dépendante, et pourquoi les personnages qu'elle met en scène restent pris dans le rapport viscéral à l'autre, alors que « l'écriture est la possibilité même du changement » un moyen d'explorer les possibles, de déjouer un destin dont on nous dit qu'il est commandé d'abord par le biologique.

Les femmes portent en elles la blessure, le manque et la béance. L'écriture tente alors de combler ce « manque » imposé, cette plaie infligée, mais ne peut semble-t-il faire l'économie de la sexualité, de l'amour et de l'homme, qui cessent d'être des ingrédients (nécessaires) de l'histoire pour devenir toute l'histoire38(*).

La liberté donnée par l'écriture :

Au cours des vingt-cinq dernières années, un glissement s'est produit dans la théorie et la pratique de la composition des textes, loin du point de vue que ce qui importe le plus en écriture est un produit brillant de perfection qui révèle une maîtrise subtile des règles, des règlements et des modes rhétoriques. Une nouvelle importance a émergé qui engage une conscience du processus d'écrire tout entier et non pas seulement de ses produits. Cela inclut de commencer avec l'angle le plus large possible et de ne resserrer son sujet que plus tard. Cela inclut également d'explorer la liberté et la pureté de l'écriture privée, de la tenue d'un journal, et de « l'écriture libre » telle que l'a développé Peter Elbow et d'autres qui demandent aux écrivains de mettre de côté temporairement les questions de structure, d'organisation et de correction pour laisser la plume courir continuellement pour mettre leurs pensées sur le papier. Cette voie vers la maîtrise de l'écriture est vue davantage par le travail nécessaire pour augmenter son aisance, avec une confiance croissante dans sa capacité à mettre ses pensées et ses sentiments sous une forme écrite, que par la reproduction des différents modèles de la phrase, du paragraphe ou de l'essai.

Pour certains écrivains, comme Maïssa Bey, l'utilisation de « l'écriture libre » pour atteindre l'aisance a été vraiment « libératoire », mais pas pour tous : Elle le dit lors d'une interview :

« Je préfèrerais dire " libératrice ", cela me parle plus. Je le répète souvent, l'écriture est aujourd'hui mon seul espace de liberté, dans la mesure où je suis venue à l'écriture poussée par le désir de redevenir sujet, et pourquoi pas, de remettre en cause, frontalement, toutes les visions d'un monde fait par et pour les hommes essentiellement » 39(*)

Certains trouvent que la liberté  de « l'écriture libre » est une restriction en elle-même et sont incapables de composer avec aisance.

Depuis ses débuts, Maïssa Bey ne s'est jamais accommodé d'un seul archétype pour ses écrits. Avec son style particulier, elle reste imprévisible et ne se plie pas devant les règles de l'art qui risquent d'endiguer son ingéniosité. Son écriture ou plus précisément ses « manières » d'écrire sont perpétuellement remises en question.

Dans ce recueil de nouvelles Sous le jasmin la nuit, Maïssa Bey a choisi de mettre à nu sournoisement une réalité occulte qui recèle une liberté tantôt déclarée et revendiquée, tantôt dissimulée dans un récit éclaté. Elle concilie les exigences d'un public avide de nouveau et un plaisir personnel. La diversité des thèmes abordés et des récits racontés permet à l'auteur de multiplier ses manières d'écrire au profit d'un langage plus expressif et plus significatif. Outre la structure spécifique à chacun des récits, le genre littéraire est aussi plurivalent et variant d'un récit à l'autre afin de procurer à ce recueil un autre aspect de liberté.

Ainsi, à la lecture de ce recueil de nouvelles, en passant d'un récit à l'autre, l'auteur nous fait transiter d'une forme d'écriture à une autre. Le réalisme est au centre de ces récits, il en constitue souvent le fond ou l'arrière plan, même si certains essayent d'échapper à l'emprise du réel pour se situer dans l'irréel et le fantastique. Les moyens les plus simples et les plus évidents qui nous permettent de déchiffrer les récits et de déterminer leur degré de réalisme sont les indicateurs spatio-temporels qui sont cependant assez nombreux dans le texte.

Le degré de véracité est appuyé par la présence d'un certains nombres d'indices spatiaux qui lui confèrent un ancrage dans le social. Les noms de pays, de villes, de quartiers ou de rues existants réellement sont cités à plusieurs reprises. Aussi d'autres indices temporels lui confèrent des repères historiques relativement exacts. Nous aborderons en détail ces différents indices dans une partie ultérieure.

La technique de l'écriture réaliste est de mettre en scène, sur un fond historique précis, des personnages de tous les milieux, de toutes les classes sociales et de toutes les catégories socioprofessionnelles, tel est le cas de tous les récits de ce recueil où le lecteur a affaire à des personnages de milieux distincts (citadins ou ruraux), de tranches d'âges diverses : des vieux et des jeunes, à des classes sociales aussi éloignées les unes que les autres : riches et pauvres, instruits et non-instruits.

Le discours réaliste est un discours persuasif : il cherche à produire l'illusion référentielle. Il est marqué par le sceau de l'évènement immédiat tel que celui du terrorisme accompli dans l'horreur. Le récit se veut conforme à la réalité socioculturelle du lecteur, et varie avec leur variation, il renvoie au contexte extra-linguistique. Telle est la raison pour laquelle Maïssa Bey élargie son champ d'investigations pour essayer de satisfaire la majorité se ses lecteurs.

Son écriture répond à deux exigences : Elle se doit à la fois de donner au lecteur des garanties sur la vérité du savoir asserté et de conférer à ce savoir un statut narratif. D'où le recours, comme le déclare Hamon, au « personnel romanesque » par le biais soit de personnages-prétextes garants de l'information (personnages compétents) comme est le cas de la jeune fille dans «  Nuit et silence » à travers qui le lecteur se permet de vivre, ne serait-ce que pour un court moment, dans une Algérie bouleversée par l'acte terroriste ; elle emporte le lecteur sur les lieux des crimes des terroristes avec les descriptions qu'elle en fait

Ceci dit, il y a d'autres moyens pour exprimer une réalité. Le symbolisme a sans doute plus d'impact sur le lecteur qu'une description sèche du réel. Il s'offre à l'attention de toute personne sans se dissimuler, et tout être humain est potentiellement capable de le percevoir et de comprendre son message malgré qu'il soit par nature ésotérique. Mais son sens fluide et caché permet à tout un chacun de lui attribuer une interprétation différente et son étude n'est jamais achevée. C'est la raison pour laquelle Maïssa Bey a superposé à la réalité décrite un symbolisme plus pittoresque et expressif qui endigue toute tentative d'interprétation exhaustive ou une compréhension totale de son oeuvre, et permet à tout chercheur de mettre en lumière un aspect nouveau. Certes, essayer de déchiffrer tous les symboles serait une aberration outrageuse, néanmoins, nous essayerons de mettre la lumière sur quelques uns des symboles existants dans notre texte, nous chercherons à dévoiler les questions posées et qui sont plus importantes que les réponses en matière de symbolisme.

La liberté est au centre de toute approche, c'est le thème central sur lequel s'articulent tous les autres thèmes. Les symboles sont aussi nombreux, ils se complètent et se renforcent, le sens profond de leur signification n'apparaît que par leur union. Chaque symbole isolément peut avoir plusieurs interprétations, et le sens de son message en est moins précis.

Le mythe est utilisé comme catalyseur afin de dissoudre les conflits de l'existence pour dépeindre la liberté. Nuit, mer, ville, village ou montagne, sont tous présents dans les textes, ils amplifient les différentes formes de silence, de violence ou de liberté que l'on peut retrouver dans ce recueil de nouvelles. Ils cadrent l'espace diégétique et sont les principales clefs de toute tentative d'approche. Les éléments naturels comme le vent, la pluie et l'eau, sont personnifiés. La personnification semble leur donner un certain pouvoir et donc leur accorder un rôle important dans les récits.

Les personnifications, par leur façon d'apparaître dans les différents textes, jouent le rôle de personnage. Cela concerne, dans le récit de « Main de femme à la fenêtre » par exemple, le vent, le la pluie ou le ciel. Le vent, le soleil et la lune semblent plus que vivants, ils sont humanisés :

« ... la lune a décidemment oublié de se retirer ». P.16

« Quelques traînées blanches se dissipent dans le ciel, suivies quelques instants plus tard par des nuages plus compacts qui accourent et s'agrègent dans le ciel pour masquer le soleil. Enfin ! Seraient-ce là les messagers de la pluie ? » P.129

«  Il est tiré de son sommeil par une longue plainte. Il reconnait très vite le mugissement du vent sous la porte-fenêtre de la chambre... » P.129

Le ciel est personnifié et doté d'un pouvoir :

«  Le ciel instamment sollicité, a mis les bouchées doubles. Comme si, dans un accès de générosité exceptionnel, ou pour ne plus entendre les lamentations des hommes, il voulait effacer en un seul jour de longs mois d'aridité et de poussière ». P130

Les mots sont aussi personnifiés :

« Les mots prononcés arrivent jusqu'à elle, elle en recueille quelques-uns pour plus tard, on ne sait jamais, mais une fois qu'ils se sont frayés le chemin jusqu'à sa connaissance, jusqu'au sens, ils restent blottis dans sa gorge et refusent de sortir ». P.153

C'est une écriture de mystère qui refuse de délivrer ses secrets malgré le voile de réalité qui la dissimule. Les symboles sont des procédés de désambiguïsation. C'est un recueil de nouvelles qui vise des couches de lecteurs plus étendues et plus cultivées.

Le réalisme et le symbolisme se côtoient. Dans les récits de «  Nuit et silence », «  Sur une virgule » et «  Main de femme à la fenêtre », « C'est quoi un arabe ? » et « La petite fille de la cité sans nom »,   tous les éléments diégétiques renvoient à une réalité, une ouverture réaliste dans un monde normal, les descriptions minutieuses de lieux, des quartiers, des rues donnent une impression de réalisme excessif, les personnages, malgré l'habillage de réalité dont l'auteur cherche à les couvrir, sont de fiction.

La liberté du langage :

Dans un roman ou un recueil de nouvelle, l'écrivain communique sa vision du monde, l'originalité. L'oeuvre littéraire est un produit de travail sur la forme. Le langage utilisé pour communiquer a aussi une fin. L'écrivain valorise la forme de son roman, en inventant des métaphores, en produisant des alliances de mots, en renouvelant des images. A ce niveau, c'est la forme poétique qui domine. Cette fonction accorde une importance particulière à l'aspect «esthétique du message transmis. Elle utilise des procédés permettant de mettre le langage lui-même en valeur.

Aussi la fonction expressive du langage a aussi une fonction importante dans l'écriture littéraire : le texte littéraire a un pouvoir d'évocation. Cela signifie que le message n'est pas explicitement formel, le sens est présent dans les mots, le rythme, les phrases et la sonorité. Pour elle :

« Le côté poétique est un parti pris. Quand j'ai entrepris ce texte qui est quand même assez ambitieux, je me suis dit que je n'avais pas droit à l'erreur. D'abord au plan historique. Il fallait que tous les faits historiques soient vérifiés. La deuxième chose, c'était sur le plan de l'écriture parce que dire des choses atroces telles qu'elles se sont passées, le napalm, les tortures, c'est horrible! Je ne pouvais pas les décrire comme elles se sont déroulées. Il fallait transcender cela par l'écriture. Vous savez, quand on lit des tragédies grecques où il y a les pires des choses qui se passent, les parricides, les matricides, etc. et pourtant, c'est très beau parce que c'est de la littérature, c'est de la création. Je crois que c'est ça que j'ai gardé en tête durant toute la rédaction de ce texte ».40(*)

Maïssa Bey utilise des mots tranchants pour peindre la souffrance du peuple algérien, car rien ne peut décrire ces supplices, ces souffrances physiques ou morales intolérable qu'un mot juste.

Ecriture libre

L'écriture linéaire chemine sans superflu, de mots-clés en mots-liens. D'un point de départ à un autre. Les récits sont cohérents, une cohérence fondée sur l'isotopie et l'anaphore et dont la fonction s'exerce à l'intérieur du texte. Pour R. Martin : « La cohésion textuel se fonde sur des critères comme ceux d'isotopie, d'anaphore... »41(*).

Les phrases, utilisées par Maïssa Bey, sont souvent courtes (deux voire même une seule proposition), sèches, parfois nominales :

Elles comportent dans leurs compositions énonciatives une modalité constituante différente types d'actes. Quelles soient déclaratives, interrogatives ou exclamatives, elles peuvent exprimer autres choses que leurs typologie : « Quand elle devient énoncé, une phrase déclarative peut être bien autre chose qu'une simple déclaration : elle peut être une plainte, une reproche, une menace ». 42(*) 

Il est à noter que la diversité des thèmes, des genres, des lieux et des espaces romanesques, engendre une diversité au niveau du langage utilisé par l'écrivaine. Elle n'a pas utilisé un seul registre langagier, elle ne cesse de changer le niveau de langue tout le long des récits. Nous remarquerons, de façon générale, que ce changement de registres dépend essentiellement de l'espace qui cadre l'action, et des personnages qui participent à cette dernière.

Par ce passage d'un registre à l'autre, Maïssa bey participe à cette volonté de l'auteur de déstabiliser le lecteur qui arrive difficilement à comprendre certains récits. Il se retrouve obligé de puiser dans tous les niveaux de son bagage langagier afin d'accomplir sa tâche, à savoir la lecture, qui désormais n'est plus un moment de détente.

Afin d'amplifier les effets de violence et de la liberté dans ces récits, Maïssa a choisi de multiplier ses styles d'écriture. Ne se contentant pas d'un seul, elle concilie les extrêmes : une langue hautement soignée et parfois poétique, et une autre mimétique de l'oral, populaire. Elle a tenté dans de ce recueil de nouvelle de rendre compte du parlé à l'écrit, en ouvrant les portes de la littérature à l'oralité et rendre ainsi possible une rencontre entre deux mondes. La langue parlée, usuelle, qui caractérise le mode oral est introduite illicitement dans le texte littéraire qui se doit d'être conforme à certaines règles et convenances langagières qui lui confèrent son trait distinctif, à savoir sa littérarité.

Les deux récits : Si, par une nuit d'été et Nonpourquoiparceque, sont les récits les plus marqués par cette oralité. L'inscription de l'oralité dans le texte se fait par divers moyens qui lui assurent l'effet escompté. Parmi ces procédés, nous noterons la ponctuation qui marque fortement cette écriture.

Différents signes de ponctuation sont mis en place afin d'assurer au texte sa dimension orale. Leur fonction joue un rôle irremplaçable dans le mimétisme de la langue orale et sa transcription à l'écrit. Parmi ces signes de ponctuation, nous remarquerons l'abondance des points d'exclamation et des points d'interrogation « !, ? ». Les répliques des deux personnages dans le récit Nonpourquoiparceque en sont l'illustration parfaite :

Ces répliques s'inscrivent plus dans l'oral que dans l'écrit grâce à l'emploi des signes typographiques, en même temps qu'au manque d'indication quant à la prise de parole de chacun d'entre eux. Procédé qui pousse le lecteur à imaginer qu'il s'agit d'une fille et sa mère inconnues, s'échangeant des paroles sans pouvoir coller de noms sur leurs visages. De fait, une telle scène, qui peut se produire dans n'importe quelle famille arabe, est plus appropriée à l'oral qu'à l'écrit.

« Allons ! De l'audace. Préparer soigneusement l'argumentation. Aller au feu. Les mains moites, le coeur battant. Je me lance :

-Tu connais Maya, tu sais... oui, tu connais sa mère, celle qui habite dans la petite maison à coté de la où on va acheter les...

- Oui, et alors ?

- On a compo de maths après demain.

- ...

- Sa mère voudrait que ...

- Que ... quoi ? » p. 91

Un autre signe de ponctuation, utilisé rarement dans les écrits, il s'agit des points de suspension « ... ». Ce signe particulier indique généralement que le l'énoncé est interrompu :

- Soit involontairement par le locuteur :

« - j'ai envie... j'ai envie de jouer, dit doucement Leila » p. 61

« Je veux ... je veux moi aussi m'en aller » p. 66

- Soit parce qu'un personnage coupe la parole à son interlocuteur :

« Je suis invitée à l'anniversaire de ...

- Non !

- Pourquoi ? Toutes mes ...

- Non !

- Mais ...

Tais-toi ! Va ranger les vaisselles !» p. 91

- Soit pour marquer une hésitation :

« -je pourrai enfin laisser libre cours aux envies innombrables qui m'emplissent en vain de leur tumulte. Et d'abord ... » p. 67

- Soit parce que le personnage ne trouve pas la suite à son énoncé :

« Etant donné que tu es une fille .... » p. 90

Ainsi, l'utilisation des points de suspension par l'auteur, lui évite tout commentaire susceptible de décrire l'action qui accompagne la parole émise. Elle permet également aux lecteurs de suivre facilement et rapidement le dialogue sans qu'il n'y ait d'interruptions susceptibles de gêner leur lecture. En somme, ce signe de ponctuation est capable de traduire des émotions particulières des personnages. Il participe en grande partie au reflet de la langue orale dans l'écrit.

Enfin l'utilisation très fréquente des virgules, des points d'exclamation pour renforcer le ton de la phrase et accélérer son rythme :

« - Oui, là, elle a disparu maintenant, mais c'était vraiment une étoile filante ! Nous l'avons vue ! C'est pour toi, c'est un signe, un message ! Oh oui ! Tu peux demander ce que tu veux, le ciel te l'accordera ! » p.66

« - As-tu fait tes devoirs, rangé ta chambre, ramassé tes affaires qui trainent n'importe où, essuyé la vaisselle... » P. 93.

En lisant ces passages, nous remarquerons que l'auteur le truffe de virgules et de points d'exclamation au point où le lecteur arrive aisément à reproduire l'intonation orale. La ponctuation oblige ainsi le lecteur à lire le texte d'une certaine manière et avec certains rythme et ton, préalablement visés par l'auteur.

Bien que le langage des deux récits précédemment cités fasse partie de l'oral, certains passages à l'intérieur des mêmes textes ne relèvent pourtant pas de l'oral et s'inscrivent au contraire dans le langage soutenu et des fois poétique. Tel est le cas lorsque Leila dans Si, par une nuit d'été... par exemple récite, lors d'une de leurs réunions nocturnes, les paroles magiques qui peuvent ouvrir les portes des ténèbres :

«  O vous,

Esprits de la nuit

Dont les souffles raniment les braises

Qui rougeoient au coeur des ténèbres,

Saurez-vous d'un signe

Eclairer la voie

Et dévoiler ce qui est écrit pour elle ? » p.63

Cet écart entre les langages est créé non seulement entre les différents récits, mais existe à l'intérieur d'un même récit. Le mélange d'écritures littéraire et orale, l'alternance de langages et de registres langagiers, donnent un rythme aux différents récits et visent à produire un effet de liberté.

Afin de mieux percevoir cette écriture de l'oralité et afin de faire ressortir ses mécanismes, nous allons essayer d'approcher le texte de plus près. Les règles du français académique, telle que la syntaxe, la bienséance, ne sont pas respectées.

1. La syntaxe :

Les personnages, qui sont pour la majorité des filles et des femmes, utilisent un langage propre à elles. Maïssa a essayé de rapporter dans son recueil de nouvelles, non seulement la vie qu'elles mènent, mais également leur façon de parler pour donner aux différents récits une illusion de réel.

La construction traditionnelle de la phrase : « pronom personnel + verbe + nom » n'est pas respectée. Le démantèlement de la phrase est un trait spécifique à la langue orale. Remarquons la suppression de certains constituants « verbes » et « compléments » de la phrase dans le passage suivant : «  Tenez, maintenant je vais.... » P.57

«  Moi, je suis, enfin, j'étais... la nuit... Leila, ténèbres et velours... obscurité et silence, enfin, je parle du prénom qu'on m'a donné... là-bas...j'aurais préféré être la lumière, Nour...mais ça aussi ... maintenant j'ai le deuxième L de mon prénom ».Pp 49/50

La rapidité de la langue orale nécessite à côté de cette suppression de certains mots, la suppression de certaines lettres aussi. Dans certains cas, il s'agit d'une élision, définie comme la « suppression, dans l'écriture ou la prononciation de la voyelle finale d'un mot devant un mot commençant par une voyelle ou un h muet  »

2. Le lexique :

La langue retranscrite de l'orale est une langue brute. Les mots employés par l'auteure sont des mots vivants. Si le vocabulaire populaire est bien vivant, il donne naissance à autant de mots qu'il en laisse mourir. Les mots familiers n'appartiennent pas au monde de la langue académique, leur effet esthétique est très limité. La bienséance est pratiquement absente du texte.

Le recours de l'auteure à un mélange de mots familiers et à des expressions familières nuit à la compréhension de certains lecteurs francophone qui sont habitués à la langue littéraire et non pas à la langue dialectale propre à la société française.

Ainsi, nous retrouvons des mots familiers connus et compris par tous communauté maghrébine : « Bent el Houmma » pour fille du quartier, « Khalti Aicha  » pour ma tante, « La chahada » pour témoignage, « Allah ou akbar » pour Au nom du Dieu, « Hammam » pour Bain, « Meskina » pour pauvre, « Leila » pour nuit, etc. D'autres expressions qui font partie du langage familier maghrébin : « faire tomber l'être de son ventre » qui signifie «  avorter », « là-bas chez nous » pour désigner le pays l'Algérie, « le vent m'a frappé »

Ces mots empruntés l'arabe populaire, introduits dans le récit Improvisation, ne freinent pas le métro de l'écriture, ni la compréhension du récit du fait qu'ils sont suivis d'une interprétation.

Les lieux de la réception :

Toute création littéraire est destinée à la consommation du public. Le premier souci d'un auteur est celui d'être lu et reconnu. Il cherche à séduire le lecteur est l'incite à l'achat du produit dit « livre », par l'emploi d'un bon titre qui facilite sa compréhension. G. Genette le souligne quand il dit : « A la fois évidente et trop insaisissable, la fonction de séduction, incitatrice à l'achat et/ou à la lecture, ne m'inspire guère de commentaire [...] un bon titre est le vrai proxénète d'un livre »43(*)

Ainsi l'activité de production et l'activité de l'édition sont intimement liées. Le livre ne prend réellement vie et de dimension qu'une fois lu. Les jugements esthétiques des lecteurs lui procurent cette existence. Il n'existe qu'avec la complicité active de ses lecteurs et la réception de l'oeuvre constitue une expérience esthétique au même titre que sa production. Le lecteur lorsqu'il entre en contact avec le monde du texte, est en quête de sens.

Une oeuvre est une création littéraire accompagnée par des messages d'accompagnement qui contribuent à la vêtir. Ces messages disposent de lieux spécifiques, couvertures, dos de livres, pages intérieurs d'avant ou après le texte.

« Il existe [...] autour du texte du roman, des lieux marqués, des balises, qui sollicitent immédiatement le lecteur, l'aident à se repérer, et orientent, presque malgré lui, son activité de décodage. Ce sont, au premier rang, tous les segments de texte qui présentent le roman au lecteur, le présentent, le dénomment, le commentent, le relient au monde : la première page de couverture, qui porte le titre, le nom de l'auteur et de l'éditeur, la bande-annonce ; la dernière page de couverture, où l'on trouve parfois le prière d'insérer ; la deuxième page de couverture, ou le dos de la page du titre, qui énumère les autres oeuvres du même auteur ; bref, tout ce qui désigne le livre comme produit à acheter, à consommer, à se conserver en bibliothèque, tout ce qui le situe comme une sous-classe de la production imprimée, à savoir le livre, et, plus particulièrement le roman. Ces éléments [...] forment un discours sur le texte et un discours sur le monde » 44(*) 

Mais ils peuvent aussi occuper un support étranger au livre lui-même qu'il s'agisse de commentaires éditoriaux ou auctoriaux livrés à la presse, d'entretiens avec l'auteur lors d'une émission radiophonique ou télévisée. Cet écart spatial et temporel par rapport au texte est dit « épitexte » définit par G. Genette comme « est épitexte tout élément paratextuel qui ne se trouve pas annexé au texte dans le même volume, mais qui circule en quelque sorte à l'air libre, dans un espace physique et social virtuellement illimité ». 45(*)

Aussi la première de couverture est d'une importance majeure. C'est le biais par lequel s'effectue le premier contact entre le lecteur et le livre. Le lecteur doit apprendre à manipuler l'objet-livre en connaissance de cause pour savoir ce qu'il achète, pour faire ses commandes et ses choix. Il doit repérer par une pratique suffisante le type d'ouvrage qu'il consulte en fonction de son apparence. Il doit aussi savoir observer le contenu de la première de couverture, sa mise en forme.

Les indications génériques, annexes des titres, ont aussi pour rôle d'attirer le lecteur, de capter son attention et de susciter son intérêt, de situer l'oeuvre et de classer. Elles sont reçues par le public comme une information sur une intention ou sur une décision :

« L'indication générique est une annexe du titre [...] puisque destinée à faire connaitre le statut générique de l'oeuvre. Ce statut est officiel, en ce sens qu'il est celui que l'auteur et l'éditeur veulent attribuer au texte et qu'aucun lecteur ne peut légitimement ignorer ou négliger cette attribution ».46(*)

Comme le rappelle G. Genette, ces indications doivent figurer sur la première de couverture pour faire connaitre le statut générique de l'oeuvre. En somme le contenu est du ressort de l'écrivain et la présentation du livre reste réservée généralement à l'éditeur.

Le livre qui fait l'objet de notre étude « Sous le jasmin la nuit », présente d'emblée quelques aspects paradoxaux donnant forme à une certaine mouvance et instabilité. Ainsi la première question qui se pose et s'impose est celle de savoir à quel genre littéraire appartient cette oeuvre ? Le lecteur est d'emblée troublé : aucune indication générique mentionnée sur la première de couverture. Cette indication n'apparait que dans la page de titre et dans le commentaire figurant sur la quatrième de couverture qui annonce qu'il s'agit d'un recueil de nouvelles et donne une vague idée sur les thèmes abordés : « Les nouvelles de ce recueil ont toutes pour héroïne une femme qui se bat pour son identité, sa vie et sa liberté... »

Le livre est composé de onze nouvelles où chacune d'entre elles est indépendante, s'autosuffisante et cohérente. Les récits fonctionnent comme un ensemble, comme un tout du fait que le recueil de nouvelles, pour René Audet, est considérer non plus comme un corpus de textes autonomes à analyser individuellement, mais comme totalité signifiante, oeuvre certes composite mais unifiée par des effets de lecture qui transgressent les frontières entre les nouvelles »47(*)

Dans chacune de ces nouvelles est racontée une femme rêveuse, une femme tourmentée. Cette souffrance, elle la vit seule dans le silence.

Les titres : 

Les éléments hétérogènes qui entourent le texte ont pour rôle de le présenter et de l'introduire, d'interpeller le lecteur et de conditionner sa lecture. Parmi ces éléments, le titre s'impose comme étiquette de l'ensemble, inaugure le protocole de lecture. Habituellement bref, facile à mémoriser, allusif, il oriente et programme l'acte de lecture. Il met donc en oeuvre les mêmes fonctions que le message publicitaire : fonction référentielle, connotative et poétique :

« Le titre du roman est un message codé en situation de marché ; il résulte de la rencontre d'un énoncé romanesque et d'un énoncé publicitaire ; en lui se croisent nécessairement littérarité et socialité : il parle l'oeuvre en terme de discours social mais le discours en termes de roman. [...] le titre résume et assume le roman, et oriente la lecture »48(*).

Le titre est à la fois stimulation et début d'assouvissement de la curiosité du lecteur. Il est toujours plus ou moins énigmatique : « Le titre, c'est bien connu, est le nom du livre, et comme tel il sert à le nommer, c'est-à-dire à le désigner aussi précisément que possible et sans trop de risque de confusion »49(*).

Ne se détachant pas du contexte social, il permet de formuler des hypothèses de lecture qui seront vérifiées lors de la lecture. Le titre remplit trois fonctions : la désignation, l'indication du contenu et la séduction du public.

Titre et texte sont en étroite complémentarité : « l'un annonce, l'autre explique ». Le titre donc annonce le roman et le cache : il doit trouver un équilibre entre « les lois du marché et le vouloir dire de l'écrivain ». Le titre peut être entièrement rapporté par l'auteur, mais l'éditeur semble bien disposer d'un droit de regard sur sa composition ; la responsabilité du titre, en principe, « est toujours partagée entre l'auteur et l'éditeur ». 50(*)

Le message véhiculé par le texte prend forme dans le titre même, ainsi le déchiffrement de ce dernier, qui est un masque codé, nous permettra de vérifier cette hypothèse, à savoir si le texte et le titre convergent vers une même optique.

Le titre de ce recueil est un titre « énigmatique » et abstrus, qui laisse le lecteur sur sa faim, ce qui nous mène à penser que l'écrivaine veut certainement provoquer chez lui un sentiment de mystère en même temps qu'un sentiment de malaise, elle cherche à attirer sa curiosité. Le lecteur cherche à délimiter les diverses possibilités qui puissent convenir à cette association (Jasmin/Nuit) afin de rendre le titre plus intelligible et moins diffus. Pour ce faire, on s'interrogera sur le sens de ce « Sous le jasmin la nuit » :

Par cette étude, on s'intéresse à la polysémie du titre, aux jeux visuels et sonores qui lui sont associés. Cette première série d'observations permet de dépasser une simple lecture référentielle et de lire le titre du recueil comme une métaphore de la poésie du langage.

Depuis des siècles, le jasmin est considéré en Orient comme le symbole de l'amour et de la tentation féminine. Ce titre est inspiré d'une chanson

  On se propose de partir de l'observation des titres (titre du recueil, titres des nouvelles) afin d'appréhender la composition de ce recueil dans la perspective de ce que E. Hoppenot et M. Lopez appellent, dans Les titres et leurs surprises, « l'esthétique de la surprise » 51(*). Celle-ci peut se définir par plusieurs traits: des images inédites et juxtaposées qui confrontent le lecteur à un univers inattendu, le recours à la polysémie, à l'analogie, toutes ces caractéristiques contribuent à illustrer la richesse de l'oeuvre de Maïssa Bey.

Une première lecture du titre du recueil permet de constater qu'il est inspiré d'une chanson52(*). Aussi les occurrences des termes se référant au jasmin et à la nuit sont symbole de paix, de liberté, de silence ...

 Cependant, le titre reste encore très problématique. Tout d'abord, les références au jasmin sont principalement des allusions à la joie et à l'épanouissement. La nuit au silence, à la solitude, à la mort. D'autre part, le titre ne semble pas renvoyer à la totalité du recueil. Or, l'absence de déterminants et d'une virgule entre les deux mots « Jasmin » et «  Nuit » ouvrent à une infinité de possibles.

 Ainsi peut-on considérer que le titre du recueil prend des significations dépassant le simple thématisme, le jasmin pouvant être compris comme matériau poétique et symbole de l'amour et de la tentation féminine. Cette difficulté d'élucidation permet d'approcher l'esthétique de la surprise et de s'interroger sur l'effet produit dans l'écriture tant par la dimension métaphorique que par le jeu des associations sonores et visuelles que cette première observation a permis de repérer.

On peut alors élargir le point de vue et mettre à jour les motifs auxquels est associé celui du jasmin/ la nuit pour s'interroger sur la relation qu'entretient le titre avec l'ensemble du recueil et tenter de comprendre son pluriel. Les résonances positives du jasmin peuvent être liées à la joie et l'épanouissement, celles de la nuit au silence, à la solitude, à la mort et à la régénération: Tout comme l'hiver appelle le printemps, la nuit évoque la promesse d'une vie renouvelée « Mais le noir est le symbole de la nuit précédant le jour et il est alors force d'appel des énergies du début du jour ». 53(*) 

Il est aussi le symbole de l'amabilité et de la bonté, en raison de son parfum agréable. Il exprime l'amour naissant ou la sympathie voluptueuse. Certains lui donnent aussi la signification de l'impatience amoureuse. Le jasmin exprime la sensualité. Il symbolise aussi la grâce et l'élégance, aussi le mensonge et le désespoir:

Dans le nom jasmin, on retrouve aussi les mots arabes yas (désespoir) et min (mensonge). Pourquoi cette plante magnifique porterait-elle de si mauvais présages? Tout simplement parce que l'on dit que le parfum du jasmin blanc l'emportant sur celui de toutes les autres fleurs, c'est lui que les maris adultères offraient à leur maîtresse ! 54(*)

 Ces tonalités opposées sont souvent associées à d'autres motifs, également contradictoires et qui, eux, parcourent l'ensemble du recueil. Il s'agit, d'une part, du motif de l'eau, de soleil lui-même lié à l'ombre de la nuit ou à celle du corps (" Les femmes ", " la mort "), et, d'autre part, du motif du feu, dédoublé en thème de la lumière. Il est alors possible de mieux comprendre le pluriel du titre et de voir, qu'en fait, il renvoie bien à la totalité du recueil à condition de s'éloigner de son sens référentiel et d'exploiter toutes les ressources de la polysémie, ce qui permet de recentrer la réflexion autour de l'esthétique de la surprise.

Le thème « jasmin » contrairement à « Nuit » est peu présent dans la table des matières, il n'est pas évoqué dans ce recueil de nouvelles. Le titre « Sous le jasmin la nuit » mis en relation avec les titres des nouvelles, participe donc déjà à l'esthétique de la surprise : ceux-ci n'ont en effet pour la plupart rien d'immédiatement commun avec le titre du recueil. La fonction du titre comme programme de lecture est donc ici à première vue détournée.

Ainsi, la table des matières éclaire-t-elle davantage et permet-elle de mieux comprendre ce titre « Sous le jasmin la nuit » ?

La lecture de la table des matières met en évidence une apparente discontinuité, une hétérogénéité des titres. Si l'on aborde cette table des matières d'un point de vue thématique, on peut identifier certains thèmes récurrents : les femmes « Main de femme à la fenêtre», la nuit (Sous le jasmin la nuit », « Si, par une nuit d'été », « nuit et silence » les légendes et les mythes " La petite fille de la cité sans nom », le temps et les saisons « En ce dernier matin ».

Les titres comportent peu d'adjectifs et pratiquement aucun verbe à part la nouvelle « C'est quoi un arabe », et presque tous se présentent sans déterminants.

 Par certains aspects donc, les titres de la table des matières constituent déjà, en tant que tels, un travail sur la langue.

Certains titres sont repris de manière anaphorique et répétés, soit au début, soit dans le corps de la nouvelle. Ils répondent généralement à trois caractéristiques : Ils informent, intéressent et nouent le contrat de lecture.

Une aspiration :

Maïssa Bey a retranscrit ces mots pour se sauver de la déraison et l'absurdité de ce monde. Elle a aussi écrit cet ouvrage en pensant à tous ceux qui vivent des relations affectives avec leurs enfants, leurs parents, leur conjoint ou leurs amis (es) dans lesquelles ils se sentent privés de liberté et aussi à ceux qui ne réussissent pas à connaître des relations affectives satisfaisantes et durables parce qu'ils ont peur de perdre leur liberté. Elle l'a écrit pour tous les gens qui s'aiment et qui n'arrivent pas à exister pleinement, à s'affirmer simplement ou à se dire authentiquement dans leur vie relationnelle. Par le biais de ce recueil de nouvelles, elle écrit pour ceux qui prêtent aux besoins, aux désirs, aux idées et aux opinions des autres plus d'importance qu'à leurs propres besoins et pour ceux qui, par amour de l'autre, négligent «l'amour de soi».

"A tous ceux qui me demandent pourquoi j'écris, je réponds tout d'abord qu'aujourd'hui je n'ai plus le choix, parce que l'écriture est mon ultime rempart, elle me sauve de la déraison et c'est en cela que je peux parler de l'écriture comme d'une nécessité vitale."55(*)

Ces pages permettront certainement à toute personne, qui grâce à une éducation fondée sur le respect, a trouvé la voie de la liberté profonde. Ceux-là trouveront dans ce livre un écho de leur expérience et un outil de confirmation et d'approfondissement.

Pour Maïssa Bey, aider ou éduquer quelqu'un c'est lui permettre, par la relation même que nous avons avec lui, de connaître et de trouver les clés de sa propre liberté et non, par inconscience, d'entretenir les chaînes d'une dépendance malsaine. Elle veut que toute personne contribue à l'épanouissement de l'être par l'éclosion du sentiment de liberté. 

La lecture de recueil de nouvelles permettra aux lecteurs de porter leur regard sur eux-mêmes plutôt que de le lire en essayant d'utiliser son contenu pour comprendre les femmes ou les aider. La meilleure façon de créer un sentiment réel de liberté dans nos relations et dans nos sociétés est de consacrer notre énergie à la recherche de liberté personnelle et intérieure.

Esthétique de liberté :

1. L'éclatement de la parole :

Dans un style remarquable et dans une écriture créative, la romancière peint les relations affectives entre les individus ; elle parle du corps de la femme, du plaisir, du désir, du sexe, elle le fait car cela s'intègre dans un ensemble, sans aller dans l'autre sens, c'est-à-dire écrire des choses pour choquer où pour plaire à une certaine société. Elle recherche le mot juste dans son écriture afin d'exprimer des situations vécues et son ressenti concernant son pays, sa révolte.

La communication paraît impossible entre les personnages. Les dialogues que Maïssa Bey nous propose mettent en scène une violence souvent non déclarée, suggérée et produite grâce à une parole aphone qui se conjugue avec le silence dans un monde absurde. Les personnages de « Nonpourquoiparceque » s'échangent des paroles, mais l'incommunicabilité reste maîtresse du texte. Le verbe vient en quelque sorte pour suppléer l'absence d'actions. Mais paradoxalement, chaque mot dit par les personnages apporte au territoire discursif un surcroît de légitimité et de densité. Certes, les dialogues marquant le récit sont peu nombreux, mais réussissent néanmoins à dessiner les contours d'une rencontre trop peu productive. Mais peut-on parler réellement de dialogue dans un univers où les personnages ne s'écoutent pas, ne s'entendent pas, s'ignorent ? Ils vivent en vase-clos.

Les dialogues qui ont lieu entre les deux personnages : la fille et sa mère dans la nouvelle « Nonpourquoiparceque » marque le refus de cette violence du milieu familial. Cette fille, toujours contrainte de contourner et de déjouer la syntaxe du « parce que ! », cette réponse-injonction qui ponctue les refus et les interdictions familiales. Alors, il faut mentir pour voler «  la peur au ventre » quelques instants de liberté.

Les paroles qu'elles s'échangent semblent incomprises, tantôt ignorées. Les deux personnages se regardent, se parlent. Chaque personnage construit un univers monologique. Cette absence d'échange ou de communication est en soi une violence qui pousse chaque individu à réclamer une liberté.

Cette réification des personnages est encore renforcée par cette situation monologique. Parler, c'est agir, mais ici parler n'a aucun sens, la parole est inapte à porter du sens. C'est à la limite de cette « écriture blanche » dont parle Roland Barthes dans Le degré zéro de l'écriture.56(*)

Lorsque le mari s'adresse à son épouse, ses paroles s'avèrent bientôt vaines. Son interlocuteur ne semble pas entendre ce qu'il dit, ou omet de le faire Maya, l'épouse, préfère ne pas parler, elle pense que la parole n'a aucune utilité. Elle préfère écouter :

« ...il l'appelle. Maya. [...]Il ne sait pas si elle le regarde, si elle lui sourit, attentif seulement à ce qu'il pourra saisir d'elle et emporter avec lui. Halo de lumière transparente du jour. Elle s'approche, prête à écouter, à obéir ». Pp.12/13

Les mots se noient dans un océan de silence et d'inefficacité. Tout se perd. L'homme est incapable de dire, de parler. Il n'arrive pas à se faire maître de l'« échange » souvent peu présent. Les personnages évoluent dans un monde qui les dépasse. Chaque personnage construit son propre univers où l'autre est exclue. Nous avons affaire à une altérité négative.

La parole des personnages est dense, intéressante. Maïssa bey essaye, par le biais des mots simples mais tranchants, de briser le silence qui règne sur la société arabo-musulmane.

Quelques répliques sont reprises et reviennent tout le long du récit Nonpourquoiparceque sans que cela ne fasse avancer le récit. Nous avons l'impression que les choses ne bougent pas. Ce qui nous plonge dans l'univers de l'absurde.

- Dis, est-ce que je peux... ?

- Non !

- Pourquoi ?

- Parce que...

- Pourquoi parce que ?

- Parce que c'est comme ça.

Variante

- Parce que tu ne peux pas

- Pourquoi ?

- parce que P.89

Dans ce récit NONPOURQUOIPARCEQUE, malgré les nombreux dialogues entre la jeune fille et sa mère, la communication ne s'établit pas. Un décalage d'âge et d'idées s'installe, ce qui crée un obstacle empêchant la circulation de toute parole.

L'impuissance de communiquer provient aussi de l'impuissance de la parole, et cette dernière provient de l'impuissance de l'homme qui la produit. Dans le récit Sous le jasmin la nuit, Maya semble fragile, faible et la vulnérable devant cette autorité exercée par son mari.

Ailleurs, dans Nuit et silence la discussion entre la femme terroriste et la jeune fille était aussi stérile à cause de la divergence des points de vue. Elle exposait son point de vue avec des phrases violentes.

Les différents récits portent essentiellement sur des sujets d'actualité. Le but est de poser les questions plutôt que d'y répondre, Maïssa Bey choisit de rester neutre et lègue le rôle du juge et le verdict au lecteur.

A partir du silence des personnages et de la violence qui prédomine, se construit les récits. La parole perd sa valeur et sa fonction originelle. Les personnages sont en rupture avec leur langage et avec leur vie. Maïssa Bey use de cette parole afin de démontrer l'impuissance de la parole et l'absurdité du monde.

2. L'horizon d'attente :

Tout acte de lecture suppose un acte d'écriture, ainsi le lecteur construit la réalité que fabrique l'auteur dans sa création de l'oeuvre, il construit une histoire qui est le mentir vrai du roman. La première lecture est une lecture d'évasion « lecture naïve ». Cette lecture éveille l'aspect psychologique chez le lecteur, aussi l'aspect imaginaire qui va faire appel à un code dit «  code dramatique ».

L'acte de lecture de tout texte littéraire préexiste une attente du lecteur, une conception préalable, des préjugés et des présupposés qui orientent la compréhension du texte et lui permettent une réception appréciative tout en le classant dans le genre dont il fait partie. Cet espace a été l'objet de nombreuses investigations et est nommé, depuis les travaux de Hans Robert Jauss, L'esthétique de la réception. En effet il écrivait :

« L'esthétique de la réception ne permet pas seulement de saisir le sens et la forme de l'oeuvre littéraire tels ont été compris de façon évolutive à travers l'histoire. Elle exige aussi que chaque oeuvre soit placée dans la série littéraire dont elle fait partie, afin qu'on puisse déterminer sa situation historique, son rôle et son importance dans le contexte général de l'expérience littéraire »57(*).

L'ensemble de ces éléments qui conditionnent cette réception de l'oeuvre d'art correspond, selon une terminologie que Hans Robert Jauss empruntée à l'épistémologue Karl Popper, à « l'horizon d'attente » du récepteur :

« Selon Popper, la démarche de la science de l'expérience pré-scientifique ont en commun le fait que toute hypothèse, de même que toute observation, présuppose certaines attentes, « celles qui constituent l'horizon d'attente sans lequel les observations n'auraient aucun sens et qui leur confère donc précisément la valeur d'observation »58(*).

Ce concept constitue une des notions clef de l'esthétique le la réception, mais il ne doit cependant pas être perçu comme une forme de déterminisme figé. Jauss conçoit cet horizon d'attente comme un code esthétique des lecteurs : tout lecteur doit mobiliser des savoirs culturels, des connaissances du genre, une familiarité avec la forme et le thème et le contraste entre langue littéraire et langue pratique, bref, c'est la somme des éléments plus ou moins conscients dont il dispose et qu'il est prêt à réinvestir dans le texte pour mieux le comprendre. Dans le cadre d'une étude de l'oeuvre d'art, la prise en compte de cet horizon d'attente apparaît comme essentielle, car dès son origine :

« L'oeuvre [...] nouvelle est reçue et jugée non seulement par contraste avec un arrière-plan d'autres formes artistiques, mais aussi par rapport à l'arrière-plan de l'expérience de la vie quotidienne. La composante éthique de sa fonction sociale doit être elle aussi appréhendée par l'esthétique de la réception en termes de question et de réponse, de problème et de solution, tels qu'ils se présentent dans le contexte historique, en fonction de l'horizon où s'inscrit son action » 59(*).

Ainsi, pour toute étude littéraire, il faut prendre en considération la question de la réception de l'oeuvre afin de mieux cerner l'ensemble des choix effectués par l'auteur servant à son élaboration.

Selon Sartre : « la lecture est une création dirigée », c'est-à-dire que tout lecteur, quand il lit un livre le crée, mais il le crée au sein d'un cadre fourni par l'auteur. Ce dernier aspire à communiquer du nouveau, mais il est contraint, pour tenir compte de la réception et de la situation de discours, à intégrer son texte dans une tradition formelle. Par conséquent, son choix de l'écriture doit-il rester limité afin de satisfaire le lectorat, et rester fidèle à son horizon d'attente ?

Les écrits de Maïssa bey s'inscrivent dans le cadre de la littérature maghrébine d'expression française. Par ailleurs, ses lecteurs sont loin d'être limités par une zone géographique prédéterminée, ne dépassant pas les lisières de la méditerranée ; bien au contraire, le champ est plus vaste que cela, s'étendant aux lecteurs de toutes les communautés francophones. Cette appartenance particulière à une littérature spécifiée, limite par contre leur horizon d'attente qui se trouve conditionné par les évènements sanglants que vit l'Algérie depuis plus de dix ans et par l'écriture de l'urgence qui marque les dernières productions littéraires algériennes.

Ainsi, on apprend parfois plus sur le lecteur que sur l'oeuvre, selon Sartre : « tous les ouvrages de l'esprit contiennent en eux même l'image du lecteur auquel ils sont destinés ». En effet, si le livre est destiné à un lecteur non concerné il n'aura désormais aucun intérêt ; néanmoins, l'attente du lecteur ne transparaît pas nécessairement dans la lecture qu'il en fera. Le lecteur en lisant Comme un bruit d'abeilles s'attend à lire des témoignages, à lire un texte qui peint avec fidélité la société algérienne de ces dernières années en proie au terrorisme et où la réalité est présentée sans aucun fard. En somme, il s'apprête à lire une des formes de cette écriture de l'urgence. L'horizon d'attente qu'il développe, n'est pas, selon Jauss, strictement individuel, mais aussi historique, c'est-à-dire trans-individuel. Cette attitude d'attente influence la lecture, mais pas obligatoirement dans un sens déterminé. Afin de susciter encore plus l'intérêt de ses lecteurs et de mettre en branle leur imagination, Maïssa bey demeure indocile et va à l'encontre de cette attente en insistant sur tous les aspects imprévisibles et susceptibles de les choquer et de créer chez eux une insatisfaction qui ne peut-être assouvie qu'une fois l'oeuvre est lue et relue. Selon Charles Bonn :

« L'échec d'une littérature trop fidèle à l'horizon d'attente qui l'accueille, ou aux directives idéologiques d'un discours culturel, provient de sa sollicitation d'un lebel de conformité », et il ajoute que « la répétition ne produit que des épigones insignifiants, même si dans l'instant de leur première lecture ils comblent une lecture qui ne sait pas qu'elle n'attend plus ce déjà connu, tout en le réclamant ».60(*)

Le lecteur s'attend à lire une série de nouvelles fictives et imaginaires, mais le texte proposé par Maïssa Bey ne répond plus à cette attente. Ces textes constituent ce que Jauss appelle « l'écart esthétique », qui est la deuxième notion clef de son esthétique de la réception. Il considère que plus cet écart esthétique est important, meilleur est le livre. Pour « bien lire le roman » il ne faut donc rien en attendre parce qu'attendre quelque chose, c'est se préparer à être déçu. Cet écart rend l'oeuvre sapide malgré qu'il contrecarre parfois l'attente du lecteur avec tout ce que cela peut entraîner comme conséquences indésirables à savoir le risque de produire l'effet contraire : lasser et blaser le lecteur et compromettre l'approbation du public.

Afin d'atteindre son objectif, Maïssa Bey met en oeuvre différentes méthodes qui concourent à l'élaboration de cet écart. Elle procède par le plan thématique et narratif, pour passer ensuite au plan formel et technique.

Les divers thèmes abordés par l'auteure convergent tous vers cette même idée de liberté qu'elle tend à exprimer et à observer au travers de son écriture. Mais sont-ce ces thèmes que tout lecteur s'attend à lire ? Selon l'esthétique de la réception, l'oeuvre littéraire est reçue et jugée aussi par rapport à l'arrière-plan de l'expérience de la vie quotidienne, ainsi, le terrorisme en Algérie reste au coeur de cette attente qui se réfère toujours à ce statut d'écrivain-témoin.

La première partie de notre étude nous a permis de voir les différents thèmes traités par l'auteur et de constater que le thème du terrorisme y figure mais qui n'est cependant pas prédominant - il n'est abordé que dans un récit : Nuit et silence. D'autre part, le récit d'ouverture et celui qui scande le reste des récits n'est aucunement en rapport, ni avec ce thème attendu, ni avec l'Algérie, ce pays sensé hanter les romans des écrivains Algériens. A l'encontre de toute attente, il s'agit des thèmes de la polygamie, l'intégrisme et de la liberté de la femme.

Selon Glaudes et Reuter 61(*) les modalités de lecture permettent de spécifier les types de relations que lecteur établit avec le texte narratif. Il distingue trois modalités possibles, applicables à tous les textes, or si on en cherchait la correspondance avec la lecture de notre texte on en dégagera deux, au lieu d'une :

 1- La modalité phénoménale - descriptive ou factuelle : selon laquelle le lecteur, se sentant extérieur à l'histoire, enregistrerait les faits rapportés sans en chercher les causes ni prendre parti.

2 - La modalité identifico-émotionnelle : le lecteur, se sentant impliqué dans l'histoire - qu'il s'identifie aux personnages ou qu'il les rejette par des jugements et des manifestations émotionnelles - tenterait d'expliquer la conduite des protagonistes par leur caractère et la dynamique de leurs rapports réciproques.61(*)

Ainsi tout lecteur, quelque soit sa nationalité, peut s'identifier au texte. Il adoptera deux types de relations : il se sentira concerné à plus d'un titre dans quelques uns des récits tandis que pour d'autres, il aura une vision extérieure plus limitée et moins impliquée. Finalement, et malgré cet écart historico-esthétique, Maïssa Bey tente de contenter tous ses lecteurs et de satisfaire tous les goûts.

Maïssa Bey a fait référence aux textes antiques et à la mythologie grecque qui est assez courante chez les écrivains littéraires ; Le mythe d'Ariane, de Phèdre et d'Antigone. Ce dernier est l'un des plus connu, et qui a fait l'objet de nombreuses études littéraires, sociologiques et psychologiques, ce qui a permis aux lecteurs d'en savoir et d'en connaître un minimum. De ce fait Maïssa les intègre dans les deux récits « Improvisation » et « La petite fille de la cité sans nom ». il n'est pas sans savoir que son lectorat connaît bien les points cardinaux de ce mythe. Par conséquent, tout changement ou rectification effectué à ce niveau serait d'emblée repéré. Or il ne s'accommode pas de l'utiliser sous sa forme originaire et l'introduit sous une nouvelle forme conforme avec le rôle de l'un de ses personnages : la petite fillette de « La petite fille de la cité sans nom  ». Ce qui nous mène à considérer cet acte comme une violation attentatoire à l'horizon d'attente.

La petite fillette s'identifie à Ariane dans sa recherche d'un amour perdu et d'une liberté enchantée. Mais l'identification à ce personnage mythique reste partielle et la comparaison faite des deux personnages reste diffuse du fait que dans l'incipit Maïssa bey compare cette fille à Ariane qui a aidé Thésée pour sortir du labyrinthe : « Elle aurait pu s'appeler Ariane. Pourquoi Ariane ? A cause de son nom, et aussi des labyrinthes. De ceux qu'on doit parcourir dès l'enfance, pendant longtemps, jusqu'à ce qu'on trouve la lumière » P.149

Mais on assiste une certaine infidélité de l'auteur vis-à-vis du mythe voire à sa démythification. Ainsi, ce personnage comparé à Ariane, se trouve confondu avec Thésée, quand elle cherche la sortie et la lumière du jour :

« Elle non plus ne sait pas pourquoi elle rêve souvent de labyrinthes. D'immenses galeries sombres et humides, inlassablement parcourues en allers et en retours inutiles. Toutes les nuits, elle court, s'égare dans inextricables dédales, parce que personne n'a tendu de fil pour elle pour l'aider à déboucher sur la lumière » Pp. 151/152

N'est-ce pas une mise en question de tout le mythe ? Le lecteur en lisant : « « Elle aurait pu s'appeler Ariane. Pourquoi Ariane ? A cause de son nom, et aussi des labyrinthes [...] » P. 149, s'attend à une certaine concordance entre les deux personnages, mais l'auteur s'arrange toujours pour passer outre cette attente, ce qui perturbe les connaissances préalables du lecteur et met davantage son imagination en éveil.

CONCLUSION :

Dans un monde régi par l'égalité sexuelle, les femmes et les hommes s'exprimeraient de la même manière. La domination masculine a généré l'illusion d'une littérature « féminine » qui n'est en fait qu'une réaction à la culture patriarcale. Les femmes, dans leurs productions diverses, ne font que faire réapparaître un contenu humain (le corps en l'occurrence) que les hommes ont décidé de ne pas reconnaître comme leur et dont ils ont fait le propre des femmes. Ce qui résoudrait du même coup la contradiction qui appert dans la conformité entre ce qu'elles disent et ce qu'« ils » disent d'elles : les femmes sont corps.

Mais le problème est plus complexe. Car pour autant que les  femmes parlent du corps, c'est toujours encore du corps féminin. Un corps féminin qu'elles soumettent comme les hommes à l'infini de l'abjection, de la torture et de la disparition. De ce fait, la réduction phallique de la femme à la chair et de la chair à la femme demeure, et c'est en cela que la littérature féminine ainsi décrite ne fait qu'entériner la domination masculine.

Cette littérature féminine est contestée parce qu'elle est dérangeante. La société est bousculée par des oeuvres où une subjectivité s'expose, où un(e) individu(e) se gère, se mettant en marge de l'approbation du groupe.

Ainsi, on ne pense pas qu'il y ait une spécificité de l'écriture féminine dans la littérature du monde arabe. On pense que c'est réduire l'importance de la femme arabe que de la cantonner à une écriture revendicative. Lorsqu'elles écrivent, elles ne sont ni homme ni femme. Un livre n'est pas un tract politique. Écrire pour une femme comme pour un homme, c'est retranscrire la vie et, au-delà, rendre compte de l'univers intérieur qu'elles traversent.

Il est toutefois évident que dans le monde maghrébin en particulier, les écrivains hommes ont une place prépondérante. C'est sans doute le signe que dans une société où la communauté passe avant l'individu, les femmes ont plus de mal à accéder au droit d'exister par elle même donc de créer. Mais Leur situation n'est pas monolithique. Elles puisent du flux entre leurs racines arabes et leur expérience française. Il y a dans cette écriture, des rythmes, une sensualité, une lumière qui leur viennent de l'autre côté de la Méditerranée. C'est cela qui leur caractérise. Plus que le fait d'être une femme.

Pour dire l'histoire des femmes et de son pays dans une langue venue de l'ailleurs, la romancière Maïssa Bey s'approprie le français, le transforme. Son langage supprime le superflu pour donner naissance à une écriture sèche et envoûtante dans ses répétitions et la brièveté de ses phrases. Au-delà du témoignage, l'adoption du français donne à l'auteur une certaine liberté dans les thèmes abordés et en particulier dans le traitement de l'univers féminin. Il lui est possible d'évoquer la solitude des femmes, leur dépendance aux hommes et la question du viol

Ainsi, L'écriture est devenue pour Maïssa Bey son seul espace de liberté, dans la mesure où elle écrit poussée par le désir de redevenir sujet, de remettre en cause, frontalement, toutes les visions d'un monde fait par et pour les hommes essentiellement.

La plupart des femmes ont connu une vie difficile, leur souffrance d'enfance, d'adolescence et d'adulte était en grande partie causée par le fait qu'elles donnaient inconsciemment aux autres le pouvoir de leur enlever la liberté d'être elles-mêmes. Cette souffrance les a maintenues dans un emprisonnement psychique qui a contribué à réprimer leurs émotions et leurs besoins, et aussi leurs potentialités créatrices.
Certaines d'entre elles ont appris dans la famille à tirer un apprentissage de chacune de des difficultés et de chacun de des problèmes que leurs expériences personnelles ont été la meilleure école de formation.

Dans cet ouvrage Maïssa Bey évoque la question de la liberté. Une question qui a constitué un thème majeur de la fiction universelle. Elle nous invite dans cet ouvrage à méditer sur les questions de l'essence de l'homme, sa prédisposition à la violence et l'absurdité de son monde afin d'acquérir sa liberté.

Elle suit une voie originale. Elle a créé des personnages auxquels elle a su donner la force et la dimension de l'univers. Ils avouent des itinéraires et des souvenirs communs et s'inventent des destinées à la démesure de leur fracture avec la vie. Certains choisissent de subir leur destin, au même moment que d'autres préfèrent y échapper par le rêve.

Au niveau de l'écriture, nous avons essayé de démontrer comment l'écriture pourrait-elle être libre. Des différents éléments paratextuels qui favorisent la réception du recueil, on a pu déceler cette autre forme de liberté qui agit sur le lecteur indirectement mais intensément. La dernière partie de notre travail démontre la liberté de la parole et de la narration et du langage.

Ainsi notre étude se veut une étude générale du thème de la liberté dans le recueil de nouvelles de Maïssa Bey Sous le jasmin la nuit. Un survol des différents aspects de la liberté produite dans ou par le texte, ce qui ouvre la perspective pour d'éventuelles recherches plus approfondies.

BIBLIOGRAPHIE

Corpus :

Maïssa Bey, Sous le jasmin la nuit, Edi L'Aube/ Barzakh, Alger, 2004.

Ouvrages généraux :

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Gérard Genette, Figures II, Paris, Seuil, 1969.

Gérard Genette, Seuils, Paris, Seuil, 1969.

Gérard Genette, Nouveau discours du récit, Paris, Seuil, 1983.

G. Genette, Hans R. Jaus. Théorie des genres, Paris, Edit. Seuil. 1986.

Glaudes Pierre et Reuter Yves, Le personnage, Paris, PUF, Collection « Que sais-je ? », 1998.

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Jacqueline Arnaud, La littérature maghrébine de langue française. Origines et perspectives, Paris, Collection Espaces méditerranéens, Publisud, 1996.

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Roland Barthes, Le degré zéro de l'écriture, suivi de nouveaux essais critiques, Paris, Le Seuil, 1953, Rééditions 1972.

Samoyault Tiphaine, L'intertextualité. Mémoire de la littérature, Paris, Armand Colin, 2005.

Cervoni Jean, L'enonciation, Paris, PUF, 1987

OEuvres littéraires citées :

De Maïssa Bey :

Surtout ne te retourne pas, Alger, Barzakh, 2005.

Entendez vous dans les montagnes..., Alger, L'Aube / Barzakh, 2005.

Bleu, blanc, vert. Alger, Edition de Barzakh, Septembre 2006.

D'autres oeuvres :

Italo Calvino, Si par une nuit d'hiver un voyageur, Paris, Le Seuil, 1981Berthold

Travaux universitaires :

AZZOUZ Asma-Lamia, Ecritures féminines algériennes de langue française (1980-1997). Mémoire, voix resurgies, narrations spécifiques. Thèse de doctorat (sous la direction du professeur Arlette Chemain), Université de Nice - Sophia Antipolis, 1998.

BENDJELID Faouzia, L'écriture de la rupture dans l'oeuvre romanesque de Rachid Mimouni, Thèse de doctorat, (sous la direction de Fewzia SARI) Université D'Oran, 2006.

FOUET Jeanne, Aspects du paratexte dans l'oeuvre de Driss Chraïbi, Thèse de doctorat, (sous la direction de Marie Miguet), Université de Besançon, 1997

Sites Internet :

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http://zaweche.unblog.fr/2008/05/21/maissa-bey-un-auteur-a-lire-absolument-et-le-plus-vite-possible/

CD Rom :

Le petit Larousse illustré. 2007.


* 1 - Le petit Larousse illustré.2007.

* 2 - http://www.lesfrancophonies.com/maison-des-auteurs/bey-maissa

* 3 - Jean-Pierre Goldenstein, lire le roman. Page 24 In http://books.google.fr/books?

* 4 - R .Barthes, le degré zéro de l'écriture, suivi de nouveaux essais critiques, éd. Du Seuil, coll. Points, 1972.p.62

* 5- R. Barthes cité par Bendjelid Faouzia, L'écriture de la rupture dans l'oeuvre romanesque de Rachid Mimouni, Thèse de doctorat, Université D'Oran, 2006, p.164

* 6 - Maïssa Bey avait sept ans quand elle a perdu son père mort en 1957 suite à des tortures que lui ont infligées des militaires français, venus le chercher à la maison et emmené devant elle. Elle était marquée à jamais de cette séparation brusque et brutale.

* 7- http://dzlit.free.fr/ajauteur.php?aut=01140

* 8- http://www.decitre.fr/livres/La-violence-du-texte.aspx/9782858021796

* 9 - Roland Barthes, Le degré zéro de l'écriture, suivi de nouveaux essais critiques, Paris, Le Seuil, 1953, Rééditions 1972.

* 10 - Boukalettes » est un jeu familial algérien qui consiste à faire des noeuds à un mouchoir ou un foulard puis on prononce une formule tout en dénouant ces noeuds afin qu'un rêve soit réalisé.

* 11 - Mahmoud Darwich, poète de la résistance, poète de l'exil, chef de file de la poésie arabe contemporaine. Il consacre des poèmes d'amour aux femmes « Le lit de l'étrangère ». Il porte une attention particulière à la condition des femmes palestiniennes.

* 12 - Warda veut dire rose et par extension, désigne toute fleur. Leila signifie « Nuit » et le prénom Assia un continent « Asie »

* 13 - Maïssa Bey. Entendez-vous dans les montagnes. Edi. L'aube. Paris. 2002.

* 14 - Todorov, Littérature et signification, Paris: Larousse, 1967. Selon l'auteur, un énoncé réflexif est tout énoncé qui « parle, donc, à l'intérieur de l'énoncé, d'un des éléments du processus d'énonciation de ce même énoncé, de son acte d'émission. », p. 26.

* 15 - http://ae-lib.org.ua/texts/todorov__poetique_de_la_prose__fr.htm.

Selon Todorov, la parole-action et la parole-récit sont deux types des discours : La parole-action est perçue comme une information, la parole-récit comme un discours.

* 16 - Un autre texte de Bey, Entendez-vous dans les montagnes (2002), est l'objet d'une quête douloureuse où l'auteur tente de reconstituer les circonstances de la mort de son père et essaie de donner un visage au tortionnaire qui a cause sa mort.

* 17 - Baroni, Raphaël, « Tension narrative, curiosité et suspense : les deux niveaux de la séquence narrative », in VOX POETICA, le 6 janvier 2004, p.12.

* 18 - Maïssa Bey cité par BENDJELID Fouzia, L'écriture de la rupture dans l'oeuvre romanesque de Rachid Mimouni, Thèse de doctorat, (sous la direction de Fewzia SARI) Université D'Oran, 2006. P. 544

* 19 - Maïssa bey. Bleu, blanc, vert. Edition de Barzakh, Alger, Septembre 2006.

* 20 - http://pedagogie.ac-aix-marseille.fr/etablis/lycees/A_Briand/CDI/, 20/04/2004.

* 21 - Maïssa Bey, Nouvelles d'Algérie, Paris: Grasset, 1998, p. 11-12.

* 22 - http://www.lesfrancophonies.com/maison-des-auteurs/bey-maissa

* 23 - G. Genette, Hans R. Jaus. Théorie des genres. Edit. Seuil. Paris 1986. p125

* 24 - http://zaweche.unblog.fr/2008/05/21/maissa-bey-un-auteur-a-lire-absolument-et-le-plus-vite-possible/

* 25 - http://zaweche.unblog.fr/2008/05/21/maissa-bey-un-auteur-a-lire-absolument-et-le-plus-vite-possible

* 26 - Duchet Claude cité par Jean-Pierre Goldenstein. Lire le roman. Page 85, In http://books.google.fr/books?

* 27 - Dans la rubrique L'auteur répond aux questions d'Algérie Littérature / Action, Nov. 1996, Paris: Editions Marsa, p.75

* 28 - Idem, p.77.

* 29- Dans la mythologie grecque, Phèdre est la fille de Minos, roi de Crète, et de Pasiphaé. C'est aussi la soeur d'Ariane qui aide Thésée à sortir du labyrinthe. Elle épouse Thésée, roi d' Athènes. Tombée amoureuse de son beau-fils, Hippolyte (que Thésée a eu avec Antiope, la reine des Amazones), elle est repoussée par celui-ci. Par vengeance, elle accuse le jeune homme d'avoir cherché à la violenter. Furieux, Thésée implore aussitôt sur son fils la malédiction de Poséidon, qui lui doit trois voeux. Poséidon emballe les chevaux du jeune homme qui périt écrasé par son char. Accablée de remords, Phèdre se suicide et Thésée apprend trop tard la vérité

Quant à « Antigone », elle est la soeur de Polynice qui est venu avec les armées d' Argos pour reprendre le trône de Thèbes à son frère Étéocle. Les deux hommes s'entretuent lors d'un combat singulier. Le nouveau roi, leur oncle Créon déclare Polynice « traître à la patrie » et interdit toute sépulture sous peine de mort, condamnant ainsi son âme à l'errance. Mais Antigone s'oppose, seule, à cette décision. Elle s'en va jeter quelques poignées de terre sur le corps de Polynice. Prise en flagrant délit, elle affronte Créon qui lui dénie, en tant que femme, le droit de faire la loi et fait appliquer la sentence de mort. Il la fait emmurer dans une grotte.

* 30 - Assia Djebar cité par

* 31 - Roland Barthes, Le degré zéro de l'écriture, suivi de nouveaux essais critiques, Le Seuil, 1953, Rééditions 1972, page 29.

* 32- http://zaweche.unblog.fr/2008/05/21/maissa-bey-un-auteur-a-lire-absolument-et-le-plus-vite-possible/

* 33 - Ariane est, dans la mythologie grecque, la fille du roi de Crète Minos (fils de Zeus et d'Europe) et de Pasiphaé. Soeur de Glaucos, Phèdre, c'est aussi la demi-soeur du Minotaure. Séduite par Thésée, elle aide celui-ci à s'échapper du Labyrinthe. Contre la promesse de l'épouser, elle lui fournit un fil qu'il dévide derrière lui afin de retrouver son chemin, seul moyen de triompher du labyrinthe qui n'a qu'une seule entrée.

* 34 - Tomachevski cité par Raphaël Baroni In VOX POETICA, Tension narrative, curiosité et suspense : les deux niveaux de la séquence narrative Le 6 janvier 2004. P.12

* 35 - Grivel, Charles (1973 :261-262). cité par Raphaël Baroni In VOX POETICA, Tension narrative, curiosité et suspense : les deux niveaux de la séquence narrative Le 6 janvier 2004. P.12

* 36 - Tzvetan Todorov, Littérature et signification, Paris, Librairie Larousse, 1967. p. 58.

* 37 - Tzvetan Todorov, Littérature et signification, Paris, Librairie Larousse, 1967. p. 59.

* 38 - http://sisyphe.org/spip.php?article1400

* 39 - http://zaweche.unblog.fr/2008/05/21/maissa-bey-un-auteur-a-lire-absolument-et-le-plus-vite-possible/

* 40 - http://www.lexpressiondz.com/article/3/2008-05-22/52837.html

* 41 - Jean Cervoni. L'énonciation. Paris, PUF, 1987. Page 20

* 42 - Ibid. Page 20

* 43 - Gérard Genette. Seuils, Paris , Edi. Seuil, 2002, page 95.

* 44 - Henri Mitterrand, 1979 cité par Kristian Achour In Clefs pour la lecture des récits. Convergence critique II, Alger, Edi. Tell, Décembre 2002

* 45 - Gérard Genette. Seuils, Paris, édit. Seuil, 2002, page 346

* 46 - Gérard Genette. Seuils, Paris, édit. Seuil, 2002, page 99

* 47- René Audet, des textes à l'oeuvre, cité par Cécile Alduy in http://www.fabula.org/revue/cr/84.php

* 48 - Claude Duchet cité par Kristain Achour in Clefs pour la lecture des récits. Convergence critique II, Alger, Edi. Tell, Décembre 2002

* 49 - Gérard Genette. Seuils, Paris , édi. Seuil, 2002, Page83

* 50 - Ibid, pp. 77/78. La relation auteur-lecteur est une relation de production et de consommation. A coté de cet aspect littéraire se superpose l'aspect commercial. Ces deux aspects sont indissociables. Le titre est, de plus en plus travaillé par l'auteur, mais aussi par l'éditeur pour répondre aux besoins du « marché littéraire », constitue la porte d'entrée dans l'univers livresque. et participe à la médiation entre l'auteur et le lecteur.

* 51 - http://www.cpod.com/monoweb/atari/atari/alcool.htm.

* 52 - http://www.lesfrancophonies.com/maison-des-auteurs/bey-maissa

* 53 - http://discipline.free.fr/noir_blanc.htm

* 54 - http://www.aujardin.info/plantes/jasmin_hiver.php. 17/05/2008

* 55 - http://www.africansuccess.org/visuFiche.php?id=630&lang=fr

* 56 - Roland Barthes, Le degré zéro de l'écriture, suivi de nouveaux essais critiques, Paris, Le Seuil, 1953, Rééditions 1972.

* 57 - Jauss H.R., Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard, 1978, p. 69

* 58 - Ibid. p. 82

* 59 - Jauss H.R., Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard, 1978, p. 83

* 60 - Glaudes Pierre et Reuter Yves, Le personnage, Paris, PUF, Collection « Que sais-je ? », 1998.

* 61 - Glaudes Pierre et Reuter Yves, Le personnage, Paris, PUF, Collection « Que sais-je ? », 1998.   p. 115.






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