INTRODUCTION GENERALE
3
« La maladie est la zone d'ombre de la vie, un
territoire Auquel il coûte cher d'appartenir .En naissant, nous
Acquérons une double nationalité qui relève du royaume Des
biens -portants comme de celui des malades. Et bien Que nous
préférions tous présenter le bon passeport, le Jour vient
oft chacun de nous est contraint, ne serait-ce Qu'un court moment, de se
reconnaître citoyen de l'autre Contrée. »
Susan SONTAG.
Quand la métaphore exerce un droit de
réification à tel point qu'elle crée une
indiscernabilité entre l'irréel et le réel, nous assistons
à une production d'une nouvelle réalité ayant une
frontière fine avec l'imaginaire. Une métaphore consiste à
comparer, à penser par analogie. La métaphore est une image
mentale, elle est une représentation. Ce qui revient à dire que
les métaphores, dans le cadre de notre étude, sont des
représentations sociales.
En Afrique centrale, les représentations sociales comme
partout ailleurs, s'inscrivent dans des figures de styles littéraires.
« Une représentation sociale est une préparation à
l'action (...) Sa qualité éminente est de donner un sens au
comportement, de l'intégrer à un ensemble de comportements
déterminés1.» Dans cette étude, il s'agit
de décrire l'une des diverses représentations de la maladie et,
plus précisément, de la maladie du Sida. Il s'agit de
décrire, les lieux de production de ces représentations sociales.
Pour ce faire, nous avons retenu les bars, les marchés, les
cimetières, les églises et les mbandjas2 qui
produisent des mots, des expressions, des métaphores, des
représentations. Nous les qualifions, à la suite de Michel
FOUCAULT, les hétérotopies. Ce sont « des lieux
réels, des lieux effectifs, des lieux qui sont dessinés dans
l'institution même de la société, et qui sont des sortes de
contreemplacements, sortes d'utopies effectivement réalisées dans
lesquelles les emplacements réels [...] sont à la fois
représentés, contestés et inversés, des sortes de
lieux qui sont hors de tous les lieux, bien que pourtant ils soient
effectivement localisables »3. Entre autre, des lieux du
sacré mais aussi le lieu de toutes les transgressions4.
Dès que l'on se retrouve en présence d'expressions
métaphoriques de la maladie du sida, telles que Sidonie, maladie du
siècle, maladie du sang, de Mbumba, Mbumba Iyanô, Kôhng, ou
encore, de punition divine ou de karma, nous sommes face à des mots
produits par les usagers des hétérotopies. En fait, les
hétérotopies sont des lieux oü l'on produit et use des
métaphores dans une perspective métonymique ; jouant aussi sur
des images. En d'autres termes, les images sont dotées de puissance ou
encore de pouvoir au sens où elles sont censés agir comme des
forces. Ce sont donc des lieux de représentations sociales. Le propre
des représentations sociales en Afrique centrale est d'être
gouverné par une violence de l'imaginaire. Sauf que ce gouvernement qui
administre les populations par la violence de l'imaginaire est lui-même
aliéné, car possédé par
1 Serge MOSCOVICI, Préface du livre de Claudine
HERZLICH, Santé et maladie, Paris, Editions EHESS, 2005, p
10.
2 André RAPONDA-WALKER et Roger SILLANS,
Rites et croyances des peuples du Gabon, Libreville, Editions Raponda
Walker, coll « hommes et société », 2005, p 216.
3 Michel FOUCAULT, Dits et écrits IV,
Paris, Gallimard, 1994, p 756
4 Michel FOUCAULT, l'art de penser,
Conférence audio MP3, 1966
l'imaginaire. Ce qui permet de dresser une différence
entre violence de l'imaginaire et violence symbolique. A la différence
de la violence de l'imaginaire, la violence symbolique est une violence qui ne
peut-être exercée par celui qui l'exerce et qui ne peut-être
subie par celui qui la subit que parce qu'elle est méconnue en tant que
telle5, la violence de l'imaginaire est une violence consentie. Or
pour TONDA, la violence de l'imaginaire est « cette violence qui s'exerce
sur les corps et les imaginations au moyen d'images (icônes, symboles,
indices), de gestes corporels, de mots, [et qui ] doit son efficience aux
consentements révoltés et aux connivences paradoxales de ces
corps et imaginations6».
L'idée que nous voulons soutenir ici est que les
métaphores du sida ont pour fonction de zombifier7 et
vampiriser un individu ; lequel individu est généralement celui
qui donne la maladie qui tue, qui est un assassin, un sorcier (Chapitre 1). Le
zombie ou le vampire est « un être indifférent à
l'humiliation, à l'horreur, à la peur, sans conscience et sans
personnalité8». Le Souverain moderne (le nganga et le
pasteur) qui est le dénominateur par lequel on arrive aux
représentations sociales du Sida (Chapitre 3) est finalement, « une
autorité qui dévore la vie [et] une autorité productrice
de morts, ou, ce qui revient au même, de morts-vivants,
c'està-dire des zombies, des vampires, au sens oü l'imagination
populaire donne à ce mot au Gabon, à savoir les sorciers. Les
« cités africaines » sont, dans cette perspective, des
cités de « vampires9». Mais cette vampirisation
s'établit par le moyen de « l'économie des miracles de la
foi, des croyances aux fétiches, magies et sorcelleries nationales et
internationales, et qui consiste en l'administration d'une violence indivisible
sur les corps et les imaginations 10 ». Donc, le Souverain
moderne gouverne et administre, les populations vampirisées et
mystifiées, par l'argent, la force et les représentations
sociales : les métaphores.
Mais si tant est que nos villes de l'Afrique centrale sont des
lieux de vampirisation et de zombification, des « espaces
hétérotopiques », il va de soi que la maladie ne peut,
elleméme, qu'être englobée par ce nuage efficient d'images
de l'imagination. Car « se représenter (...) c'est en
réalité, aller au-delà, édifier une doctrine qui
facilite la tâche de déceler, de programmer ou d'anticiper actes
et conjonctures11.» La maladie à ce titre est une
maladie en rapport avec l'autre. Elle n'est jamais personnelle, mais toujours
collective. Ce qui explique qu'elle soit un phénomène social. Un
phénomène social qui siège dans le « deuxième
monde, deuxième cité, monde pandémonium, ou
quatrième dimension12» : les
hétérotopies.
5 Pierre BOURDIEU, Questions de sociologie,
Paris, Les éditions de minuit, 1984, p 141.
6 Joseph TONDA, Le Souverain moderne, Op cit,
p.7
7 A ce sujet lire Jean et John COMAROFF, «
Nations étrangères, zombies, immigrants et capitalisme
millénaire », Bulletin du Codesria, 3 et 4, 1999.
8 Joseph TONDA, Le Souverain moderne, Op cit,
p 11.
9 Joseph TONDA, Op cit, p 10.
10 Joseph TONDA, Ibid, p 10.
11 Serge MOSCOVICI, Op cit, p 11.
12 Filip De BOEK, « Le deuxième monde et
les enfants-sorciers en république démocratique du Congo »,
Paris , Karthala, coll « Politique africaine », n°80,
décembre 2000, p33.
5
Chacun, dans les cités postcoloniales d'Afrique
centrale, se donne une idée du réel au moyen des
représentations. Ceci est le propre de l'idéologie. Dans la
cité des vampires, la maladie se décrit par les moyens de la
métaphore et de la métonymie. Seulement, « mon propos n'est
pas la maladie physique en soi, mais l'usage qui en est fait en tant que figure
ou métaphore13». Sauf qu'en Afrique centrale, dans les
cités des vampires, il n'y a pas que les métaphores mais aussi la
métonymie. Dans les villes postcoloniales, la maladie et la maladie du
Sida sont étranges. C'est parce que comme le dit Susan SONTAG, « un
mal aussi irréductible est, par définition,
mystérieux14». L'homme est donc enclin à avoir
peur de ce qu'il ne maîtrise pas. Il faut justifier l'injustifiable. Mais
encore, il faut donner sens à cette pandémie pour rassurer. Le
Souverain moderne se doit donc « de préserver l'apparence d'une
maîtrise de la situation [qu'il n'a pas]15». En fait,
« une nouvelle situation réclame une nouvelle magie
16» comme le dit les COMAROFF.
Mais de manière générale, «c'est
l'esprit qui trahit le corps17», les mots ou le sens qui
trahissent le corps. C'est ainsi que « méme si la maladie n'est pas
ressentie comme la punition de la communauté [comme attaque
lancée par un sorcier], elle le devient après coup à
mesure qu'elle amorce l'effondrement inexorable de la morale et des
moeurs18». En fait, elle finit par corrompre le langage comme
le dit SONTAG. Le langage est corrompu par les représentations sociales,
par les métaphores, le Kongossa (Chapitre 2). C'est ainsi que dans nos
cités zombifiées, « la maladie intervient en tant que
châtiment surnaturel, ou possession démoniaque19».
C'est ce sens qui est problématique. C'est le mot et son sens qui
pervertissent la maladie. Ainsi, « rien n'est plus répressif que
d'attribuer une signification à une maladie, cette signification se
situant invariablement au plan moral. Une maladie grave, dont l'origine demeure
obscure et qu'aucun traitement ne réussit à guérir sera,
tôt ou tard, totalement envahie par le sens qu'on lui donnera. Dans un
premier temps, les terreurs les plus profondément enfouies (corruption,
pourriture, pollution, anomie, débilité) sont identifiées
à la maladie. Celle-ci devient alors métaphore. Puis, au nom de
cette maladie (c'est-à-dire) en l'utilisant en tant que
métaphore), l'horreur est à son tour greffée sur des
éléments étrangers. La maladie devient adjectif. On
l'emploiera comme épithète pour parler de quelque chose de
répugnant ou de laid20». Nous avons ici une
définition de ce que nous entendons par violence du sens. Nous entendons
par violence du sens la puissance ou le pouvoir que le sens des expressions,
des mots et des images exercent sur les individus par laquelle ils arrivent
à créer une fabulation du réel. De même, cette
violence du sens conduit à ce que nous parlions de la prestidigitation
sociale. La corruption du sens du mot est une forme de prestidigitation. La
13 Susan SONTAG, La maladie et ses
métaphores, le sida et ses métaphores, Paris, Christian
Bourgeois éditeur, coll « titre 101 », 1993, p 11.
14 Susan SONTAG, Op cit, p13.
15 Jean-Pierre DOZON et Didier FASSIN, « raison
épidémiologique et raisons d'Etat. Les enjeux socio-politiques du
Sida en Afrique », Sciences sociales et santé, Paris, Vol.
VII, n°1, février 1989, p 28.
16 Filip De BOEK, « Le deuxième monde et
les enfants-sorciers en république démocratique du Congo »,
Op cit, p34.
17 Susan SONTAG, La maladie et ses
métaphores, le sida et ses métaphores, Op cit, p 57.
18 Susan SONTAG, Op cit, p 58.
19 Susan SONTAG, Op cit, p 61.
20 Susan SONTAG, Op cit, p 80.
prestidigitation est une notion qui consiste à
déformer le réel en irréel à tel point que
l'irréel prend une autorité qui le confond et le fait
paraître pour la réalité.
D'aucuns diront que les métaphores de la maladie du
Sida existent au-delà des frontières de l'Afrique centrale. En
effet, et c'est la raison qui conduit à ce que notre objet
d'étude soit les métaphores postcoloniales et les
hétérotopies. Les métaphores de la maladie semblent
différentes dès qu'elles croisent la viscosité et la
densité de l'imaginaire des sociétés postcoloniales
d'Afrique centrale. Elles sont englouties, et « digérées "
par les représentations de sorcellerie, de Dieu, et de cette
frénésie à presque tout mettre en rapport avec le sexe
(chapitre 4). L'exploitation de la maladie en Afrique centrale, plus
précisément dans le milieu de la médecine hors secteur
biomédical (MHSB)21, prend pour support une production
imaginaire qui met la maladie dans une situation biomédicale complexe.
Une situation complexe car la médecine dans la postcolonie porte les
stigmates du conflit des guerres, rebellions pour les indépendances des
sociétés dominés. Cette médecine reste,
peut-être inconsciemment, la fille du colonialisme qui a servit à
« mater " les peuples dits « primitif ".
Ainsi, les métaphores du Sida relaient cette maladie
vers les « affaires du corps " qui ne sont que « toutes les
situations de santé et de maladies, de fortune et d'infortune à
la chasse, dans les champs, dans les affaires, à l'école, au jeu,
à l'église, au bureau de l'administration, au marché, au
foyer, en politique, en amour, en famille, etc.22" qui se diffusent
par la rumeur. Ces affaires du corps n'ont alors rien avoir avec la
conceptualisation médical du Sida. S'agit-il d'ignorance ou d'une lutte
entre biomédecine et pratique thérapeutique indigène ?
Toutefois, la maladie en Afrique, et plus
particulièrement le Sida, est dédoublée. Il y a ce que
nous pourrons appeler le Sida du premier monde et le Sida du deuxième
monde en reprenant De BOEK23. Le Sida du premier monde est le Sida
biomédical. Un Sida qui repose son argumentaire théorique sur la
véracité des notions étiologiques. Le Sida du
deuxième monde n'est plus ce qu'en pense la biomédecine. Mais, il
est un sort, une possession par une donnée inconnue. En fait, de
manière générale la maladie du deuxième monde est
toujours en rapport avec l'autre. Lorsque nous parlons de possession par une
donnée inconnue, nous ne disons pas qu'il ne connaisse pas l'origine de
la maladie. Mais que par des moyens invisibles l'autre peut donner la maladie
à son voisin.
Ces représentations utilisent le sens par le moyen des
métaphores et des métonymies. « Car l'intérêt
de la métaphore réside précisément dans le fait
qu'elle se réfère à une maladie envahie par la
mystification, remplie des fantasmes de la fatalité à laquelle on
n'échappe pas24".
21 Joseph TONDA, « La santé en Afrique ou
l'esprit contre le corps », l'Homme et la maladie, Libreville,
Editions Raponda Walker, coll « palabres actuelles »,n°2-Vol A,
2008, p 69.
22 Joseph TONDA, La guérison divine en
Afrique centrale (Congo, Gabon), Paris, Karthala, 2002, p 41.
23 Filip De BOECK, « Le deuxième monde et
les enfants-sorciers en République Démocratique du Congo »,
Paris, Politique africaine, n°80, décembre 2000.
24 Susan SONTAG, La maladie et ses
métaphores, le sida et ses métaphores, p113.
7
Cet énoncé suggère que la maladie du Sida
se retrouve englobée dans un marché linguistique. Nous y
retrouvons les acteurs de ce marché qui sont les ngangas, les
rosicruciens et les pasteurs. Pierre BOURDIEU parle de ce marché comme
un marché oü s'échange les mots. C'est en fait un
marché du sens. Chacun dispute et échange le sens des mots et des
expressions que l'on utilise pour se représenter la maladie du Sida.
Ici, l'intervalle de réflexion est strictement dans le domaine du
symbolique. C'est l'échange, l'interaction du symbole du mot et de son
sens, ainsi que celui des producteurs de ces sens et ces mots qui
préoccupent cet auteur.
A contrario ou par extension, nous entendons ce marché
avec Max WEBER non plus comme un marché du sens mais une économie
des mots. Il y a en fait un commerce des mots et des expressions dans les
représentations sociales de la maladie du Sida. Ceci s'explique par le
biais de la présence du charisme, de la puissance de l'imaginaire. Les
acteurs de cette économie des mots appuient leur pouvoir sur la
présence d'un surnaturelle, d'un invisible qui préside au monde
terrestre. En fait cette économie des mots est rendu possible par la
force de l'enchantement du monde. Sans enchantement, les pasteurs, ngangas et
rosicruciens n'auraient « aucune autorité " dans la
société car leur pouvoir charismatique n'existerait pas.
L'économie des mots revient à postuler que les mots et leur sens
sont exploités, perverties dans un but lucratif et charismatique.
Les représentations métaphoriques du Sida au
Gabon dans les espaces hétérotopiques, sont une forme
d'explicitation du marché du sens des représentations sociales de
la maladie du Sida au Gabon. Dans sa forme inhérente, le marché
linguistique et l'économie des mots ne sont qu'une copulation qui permet
de mettre au jour l'exploitation de la maladie du Sida et celui du charisme
religieux. Que cela n'en déplaise à certains détracteurs,
le monde social Gabonais est encore dans le « stade métaphysique "
que nous illustrait Auguste COMTE dans son cour de philosophie positive. La
présence du charisme, de l'imaginaire est tellement encrée dans
les représentations sociales qu'elles nous permettent de dire que nous
sommes bien dans un monde enchanté ! Probablement du fait que «
l'héritage de la modernité coloniale, tel qu'il s'est
incarné dans l'État postcolonial, est parfois perçu comme
une source de sorcellerie et de mal25."
Une introduction à ce mémoire doit
nécessairement amener le lecteur à retenir que deux grands axes
situent l'ossature logique de cet argumentaire. Le premier axe est celui de la
violence de l'imaginaire. S'il est besoin de rappeler que la violence de
l'imaginaire est une « violence qui s'exerce sur les corps et les
imaginations au moyen d'images (icônes, symboles, indices), de gestes
corporels [et] de mots26» c'est pour dire que la
représentation des imaginaires des expressions et des mots, du charisme
sont les dignes produits de cette violence de l'imaginaire. Le terrain n'a fait
que corroborer ce point de vue. Le second axe est celui qui présente le
fait que les métaphores postcoloniales sont une forme de
réinvention d'un monde « indigène ". Un monde qui cherche et
recherche une identité tout en niant et
25 Filip De BOEK, « Le deuxième monde ou
les enfants-sorciers en République Démocratique du Congo »,
Paris, Karthala, coll « Politique africaine », n°80,
décembre 2000, p34.
26 Joseph TONDA, Le Souverain moderne, Op
cit, p 7.
déniant les acquis biomédicaux qui sont
perçus, par extension, comme une idéologie coloniale qu'il faut
faire disparaître.
L'objet de cette étude est les représentations
sociales, les métaphores postcoloniales du Sida ou, pour être
précis, les mots qui disent les maux du Sida. De fait, sur mon terrain,
« je n'ai pourtant rencontré que du langage [...] Le seul fait
empirique que j'aie pu noter, c'était de la parole27».
Il n'y avait rein d'autres que des mots pour décrire un mal. Et cette
description s'établissait dans des espaces du sacré, où
curieusement la déviance et la transgression avaient élues
domiciles. Ces espaces sont métaphoriquement des abcès qui n'ont
pour objectif que de faire souffrir la société en lui
administrant des doses d'imaginaires ayant les vertus de la morphine (Chapitre
4). C'est donc, à l'intersection dense des grilles de lecture de Pierre
BOURDIEU, Max WEBER et de Michel FOUCAULT que nous nous inscrivons dans un
cadre théorique qui semble proche de la sociologie imaginative de Jean
et John COMAROFF. Pour eux, cette sociologie « a trait aux constellations
symboliques que les individus mobilisent collectivement pour donner sens
à l'univers28.» L'hypothèse que nous formulons
à l'endroit de la question qui est de savoir pourquoi existe -t-il
autant de métaphores de la maladie du sida dans les espaces
hétérotopiques à Libreville est la suivante. Ces
métaphores existent car elles sont le produit des
hétérotopies, de l'imaginaire postcoloniale qui cherche à
réinventer et recréer un monde « indigène » qui
exclu l'idéologie coloniale. Tout ceci, se structurant autour d'un
marché linguistique de la maladie du sida dont la notion de charisme est
un stéréotype de l'outil d'exploitation du sens de la maladie.
C'est de manière hypothético-déductive que nous explorons
les hétérotopies et les métaphores du Sida à
Libreville par le moyen des entretiens et une analyse de contenu des
discours.
27 Jeanne FAVRET-SAADA, Les mots, la mort, les
sorts, Paris, Gallimard, coll « Folio/Essais », 1977,P 25.
28 Jérôme DAVID, « Sociologie
imaginative, néomodernisme et réalisme symbolique »,
Zombies et frontières à l'ère
néolibérale. Le cas de l' Afrique du Sud post-apartheid,
Paris, Les prairies ordinaires, coll « penser/croiser », 2010,
p14.
PRÉALABLES ÉPISTEMOLOGIQUES
10
PREALABLES EPISTEMOLOGIQUES SECTION 1 L 2 %J(7 7
&1- $0 3 1 ETUDE
1) Métaphores du Sida et hétérotopies
à Libreville
Dans la littérature la métaphore renvoie
à une figure de style qui a pour principe de comparer un
évènement, un corps à une chose. C'est un transfert de
sens par substitution29. « La métaphore, écrit
Aristote, consiste à donner à une chose un nom qui appartient
à une autre chose30 ». C'est en fait une analogie.
Lorsque l'on pense par analogie, « c'est pour affirmer une relation
d'équivalence entre objets (matériels et idéaux), des
conduites, des relations, des relations d'objets, des relations de relations,
etc31». Cette métaphore a pour objet de ternir, de
ridiculiser, de minimiser ou de dénier un fait, un
évènement ou un corps. Dans le cas de la métonymie l'image
quitte l'irréel pour intégrer le réel. En fait, la
métaphore décrit ou compare les choses tout en restant dans le
domaine de l'irréel, or la métonymie (qui est aussi une
métaphore) fait transiter l'objet irréel dans le réel.
L'imaginaire devient une chose réelle. C'est donc la
métaphorisation (et, dans une moindre mesure, la métonymisation)
de la maladie du Sida qui va intéresser notre analyse. Cette
métaphorisation du Sida renvoie à l'exploitation des expressions
usuelles du Sida dans la société. Ce sont des mots, des
expressions des discours qui sont le corpus de notre travail. En ce sens que
« le langage ordinaire qui, parce qu'ordinaire, passe inaperçu
enferme, dans son vocabulaire et sa syntaxe, toute une philosophie
pétrifiée du social toujours prête à [faire]
ressurgir des mots communs ou des expressions complexes construites avec des
mots communs que le sociologue utilise
inévitablement32».
Seulement il nous faut montrer les lieux dans lesquels sont
produits ces discours. C'est à cet effet que nous entendons par espace
hétérotopique un lieu dans lequel est produit des discours
sacré. C'est des lieux autres, considérés comme des hors
lieux, des lieux utopiques comme le décrit Michel FOUCAULT33.
Ce sont « des lieux réels, des lieux effectifs, des lieux qui sont
dessinés dans l'institution méme de la société, et
qui sont des sortes de contreemplacements, sortes d'utopies effectivement
réalisées dans lesquelles les emplacements réels [...]
sont à la fois représentés, contestés et
inversés, des sortes de lieux qui sont hors de tous les lieux, bien que
pourtant ils soient effectivement localisables »34.C'est des
lieux oü il y a des discours sacré comme nous l'avons dit, mais
c'est également des lieux de toutes les transgressions, « des lieux
oü l'ont rencontre des déviants 35 ». Pour lui,
« en général,
29 Madeleine GRAWITZ, Lexiques des sciences
sociales, Paris, Dalloz, 2000, p 275.
30 Susan SONTAG, La maladie et ses
métaphores, le sida et ses métaphores, Paris, Christian
Bourgeois éditeur, coll « titre 101 », 1993, p 121.
31 Maurice GODELIER, Horizons et trajets
marxistes en anthropologie, Paris, Maspéro, 1977,p 276 cité
par Joseph TONDA , « Capital sorcier et travail de Dieu »,
Pouvoirs sorciers, Paris, Karthala, coll « Politique africaine
», n°79 -octobre 2000, p 52.
32 Pierre BOURDIEU, Le métier du
sociologue, Paris, Mouton, 1973, p 87.
33 Michel FOUCAULT, l'art de penser,
Conférence audio MP3, 1966,
34 Michel FOUCAULT, Dits et écrits IV,
Paris, Gallimard, 1994, p 756
35 Michel FOUCAULT, Ibid 1966..
l'hétérotopie a pour règle de juxtaposer
en un lieu réel plusieurs espaces qui, normalement, seraient, devraient
être incompatibles.36» Ces lieux sont à Libreville
les temples de confréries initiatiques modernes, les cimetières,
les bars, les Mbandjas, les églises. La particularité de ces
lieux est qu'ils sont sacrés, interdits ou privilégiés.
Dans ces lieux on trouve un discours sacré mais, en même temps,
ils sont les lieux dans lesquels sont proférés des transgressions
dela morale. Les scandales de pédophilies dans les églises, les
profanations de tombes dans les cimetières37, les sacrifices
humains dans les confréries initiatiques et les Mbandjas n'y sont
nullement étranger. C'est en ce sens que « la
franc-maçonnerie, la Rose-croix, la Prima Curia, la médiation
transcendantale, auxquelles ils donnent une teneur ésotérique
particulière et parfois sanglante38». Les débats
inculpant l'Etat dans toutes sortes de machinations ou encore de son
incapacité à régler certaines situations sont le propre
des bars, des marchés et des transports en commun. Dans les bars, les
marchés ou les transports en commun nous n'avons pas, à
proprement parlé, un discours sacré, mais nous y observons des
propos généralement proférés contre l'Etat. C'est
un lieu qui est un baromètre de l'opinion publique. Un lieu oü
l'opinion trouve une tribune pour exprimer son désarroi. C'est aussi des
lieux de transgressions, lieu de déviance. Pour les marchés c'est
les ventes de produits avariés ; pour les bars des réseaux de
prostitutions et d'incitation à la débauche des mineurs et
à la consommation d'alcool ; pour les transports en commun des lieux de
surcharge et de conduite sans permis et assurance, donc un lieu d'infractions.
La particularité de ces lieux hétérotopiques, comme nous
venons de le décrire, est une forte prégnance de la
transgression, des délits, des infractions alors qu'ils devraient
être un lieu de l'ordre au vue de leur caractère «
sacré ». Mais les hétérotopies ont ceci de
particulier c'est que c'est « un lieu ouvert, mais qui a cette
propriété de vous maintenir au dehors.39»
Ainsi, la construction de ce concept de métaphores de
la maladie du Sida et d'hétérotopies résulte du constat de
la naissance d'une pandémie du Sida. En effet, il y a « un mal qui
émerge brutalement au cours de la même décennie des
années 1980, le Sida. Ce mal, présenté par le discours
scientifique comme sans possibilité de guérison, a pour
caractéristique fortement anxiogène de menacer la reproduction
des parentèles par l'accomplissement d'une sexualité sans
contrôle et sans entrave40 ». Mais bien plus encore, ce
mal à pour caractéristique d'être accompagner par une
métaphorisation et une métonymisation qui la déprave et la
réifie. Ceci par le fait qu' « un mal aussi irréductible
est, par définition, mystérieux41 ». C'est le
sens qui gravite autour de la métaphorisation et la
métonymisation de la maladie du Sida dans les espaces
hétérotopiques qui va nous intéresser. Nous nous
36 Michel FOUCAULT, Le corps utopique, les
hétérotopies, Paris, Nouvelles Editions Lignes, 2009,
p28.
37 Lire à ce sujet Lionel Cédrick
IKOGOU-RENAMY, L'or blanc : le marché occulte et illégal du
corps humain à Libreville, Libreville, UOB, Faculté des
Lettres et des Sciences Humaines, mémoire de DEA, octobre 2010.
38 Jean-François BAYART, « le capital
social de l'Etat malfaiteur, ou les ruses de l'intelligence politique »,
La criminalisation de l'Etat en Afrique, Bruxelles, Complexes, 1997, P
63.
39 Michel FOUCAULT, Op cit, p 32.
40 Joseph TONDA, « Economie religieuse du
pentecôtisme en Afrique centrale », La
pensée, Paris, n° 348,
octobre-décembre 2006, p.82.
41 Susan SONTAG, La maladie et ses
métaphores, le sida et ses métaphores, Paris, Christian
Bourgeois éditeur, coll « titre 101 », 1993, p 13.
12
intéressons à la fonction des métaphores
dans l'exercice de la représentation de la maladie du Sida à
Libreville.
Il faut tout d'abord préciser qu' « on
considère ainsi qu'à la différence des
sociétés occidentales, plus préoccupées par la
santé que par la maladie, les sociétés «
traditionnelles » d'Afrique se soucient davantage des maladies, des
interprétations à en donner et des moyens de les
combattre42 ». Ce qui permet d'énoncer que ce qui est
considéré comme maladie, ce n'est pas seulement le
désordre biologique ou/et mental affectant un individu : ce sont aussi
toutes sortes d'infortunes concernant sa position sociale 43 . Comme
le pense Claudine HERZLICH la maladie est aujourd'hui, de fait, entre les mains
de la médecine [biomédicale], mais elle demeure un
phénomène qui la déborde de toutes parts44 . Et
c'est bien parce qu'elle la déborde de toutes parts que l'expression du
social s'en trouve débordée. Elle est débordée par
les expressions et les mots cherchant à l'expliquer ou, parfois à
la dénier. C'est donc la maladie comme signifiant social qui est notre
préoccupation. Mais encore, ce sont les métaphores et les
métonymies du Sida qui motivent notre enquête. « Notre
stratégie d'enquête nous a toujours incités à placer
ce terrain autour d'un ou plusieurs foyers qui avaient éveillé
notre vigilance [sociologique], parce qu'ils étaient les creusets
oü se façonnaient, se déployaient, s'éprouvaient et
s'implantaient socialement des préoccupations et des inquiétudes
vernaculaires contemporaines-quelles qu'elles soient, et quelle qu'en soit
l'échelle phénoménale. Dans la mesure oü nous visons
à produire une [sociologie] qui soit empirique sans être
empiriste, nous avons défini tous nos objets de recherche, sans
exception45».
Lorsque nous regardons la société gabonaise,
nous constatons que les métaphores et/ou les métonymies de la
maladie s'étendent généralement sur quatre axes. Pour
être plus précis, dans le cas de la maladie du Sida quatre axes
nous intéresse. En fait, après avoir récolté des
données de terrain nous constatons que les métaphores et/ou les
métonymies du Sida vont s'étendre sur quatre dimensions qui sont
les métaphores de la médecine ésotérique
indigène, populaires, religieuses et musicales.
42 E. M'BOKOLO, « Histoires des maladies,
histoire et maladie : l'Afrique », Le sens du ma!, Paris,
Editions des archives contemporaines, 4ème édition,
1994, p177.
43 E. M'BOKOLO, Ibid, p 177.
44 Claudine HERZLICH, « Médecine moderne
et quête de sens : la maladie signifiant social », Le sens du
ma!, Paris, Editions des archives contemporaines, 4ème
édition, 1994, p201.
45 Jean et John COMAROFF, Zombies et
frontières a l'ère néolibérale. Le cas de l'Afrique
du Sud post-apartheid, Paris, Les prairies ordinaires, coll «
penser/croiser », 2010, p 53.
Tableau n°1 : Différentes expressions
utilisées pour représenter le Sida
Représentations de la médecine
ésotérique indigène
|
Représentations populaires
|
Représentations religieuses
|
Représentations Musicales
|
Mwiri
|
Maladie du siècle
|
Punition divine
|
Maladie du sang
|
Mbumba46
|
Sidonie
|
karma
|
Maladie d'amour
|
Mbumba Iyanô47
|
Grande maladie
|
|
Maladie de l'infidélité
|
Nzatsi
|
Les quatre lettres
|
|
Maladie du sexe
|
Kôhng
|
Syndromes inventé pour décourager
les amoureux
|
|
|
|
Mbolou48
|
|
|
Source l Mg MAkM$ ( . $ MI 2 8 * 2 8 MIEtISRXiOOIIP
IIItMIEIIsMIERnKOIIsMIE'IIMIXtlII
Les expressions ou les mots ci-dessus sont les
différentes métaphores ou métonymies que l'on donne au
Sida au Gabon. Cette liste n'est pas exhaustive, mais elle a la
particularité de présenter empiriquement notre objet
d'étude. Cet objet d'étude a la particularité d'être
axé sur des mots ou des groupes d'expression qui inscrivent le sujet
dans un champ littéraire. Les protagonistes de ce champ ne sont pas les
littéraires eux-mêmes. Les expressions du milieu populaire, du
milieu religieux, du milieu ésotérique indigène ou des
Médecines hors secteur biomédical (MHSB) et du milieu musical
décrites sont observable dans les hétérotopies
décrites plutôt. Les auteurs des métaphores sont les
bwitistes, les pentecôtistes, les rosicruciens, les gens ordinaires et
les musiciens que nous avons rencontrés. Les lieux dans lesquels ces
acteurs produisent ces métaphores et métonymies sont : les
Mbandjas, les temples de confrérie initiatique moderne, les
églises, les bars, les transports en commun, les marchés. Les
représentations métaphoriques ou métonymiques du Sida dans
le milieu de la médecine ésotérique indigène
s'expriment sous les noms et expressions tels que : Mbumba, le Mwiri, le Mbumba
Iyanô, Nzatsi (le fusil nocturne) ou Kôhng.
Le Mbumba est une entité mystique dont l'icône
représentatif est un serpent. Ce serpent est un python
considéré comme roi des serpents. Selon les traditionalistes
entretenus, il y a deux ethnies spécialistes du Mbumba. Ces ethnies sont
l'ethnie Mwiénè et l'ethnie Akélè. La
particularité de ce deux Mbumba se situe dans le fait que dans l'ethnie
Mwiénè il s'agit d'un serpent qui entoure la marmite, tandis que
pour les Akélè il s'agit d'un caïman de quatre à cinq
mètres de long nommé Ngando. C'est donc soit un serpent ou un
caïman qui est livré en même temps que la marmite nocturne.
Comme son nom l'indique, la marmite nocturne est une marmite dans lequel
réside des reliques notamment le crane de l'homme, le tibia et
l'intestin grêle de l'homme qui ont le pouvoir d'envouter et de tuer
toutes personnes dont le
46
Expression bantu qui renvoi à un serpent mystique
47
Expression Nkomi ethnie bantu du Gabon qui renvoi a un
géni blanc de l'eau
48
Expression Kota ethnie bantu du Gabon qui renvoi à une
maladie des tubercules qui ressemble à la maladie du Sida
14
corps (les vêtements, les objets personnels tels que les
photos, les cahiers, les sous vêtements, les serviettes
hygiéniques) s'y retrouve. Le corps dont nous parlons n'est autre que
les ongles, les cheveux, les dents de lait des enfants, les placentas, les
ombrils, les prépuces de circoncision, les empruntes de pas, les restes
d'arêtes ou d'os des repas. Donc, la marmite est le lieu de la mort, une
tombe symbolique, un réceptacle dans lequel le pouvoir ou la puissance
mortifère réside : la marmite du pouvoir. Le serpent ou le
caïman sont les chasseurs. C'est lui qui capture les proies et les tuent.
La particularité de ce serpent ou caïman est que sa morsure est
synonyme de mort. Lorsque son venin se répand dans le corps il peut
donner des symptômes identiques à celui du Sida. Notamment, perte
du poids, sortie des ganglions, perte de cheveux, démangeaisons,
fourmillements. Dans d'autres cas le serpent brise les membres du corps et
physiquement cela se représente par la perte des facultés de
motricité. Les personnes affectées par le Sida dont les
symptômes sont des enflures du corps ou pourrissement du corps sont
mystiquement attaquées par le caïman qui après les avoir
mordus les entrainent au fond de l'eau. Ce qui conduit à une enflure du
corps et une présence d'eau dans l'estomac ou dans les poumons. Mais
à tout le moins lorsque les ngangas assignent au Mbumba les
symptômes du Sida nous comprenons que nous avons traversé le
domaine de la métaphore pour nous retrouver dans celui de la
métonymie. Mais retenons que le Sida dans le milieu traditionnel est un
Sida sorcier ou encore un Mbumba49 .
Le Mwiri est une initiation réservée aux jeunes
hommes du village. En fait, son rôle premier est de faire transiter
l'enfant de l'état d'adolescence à celui d'adulte. Dans la
coutume des peuples Tsogho, c'est une initiation qui arrache à la femme
le jeune garçon pour l'intégrer à la société
masculine. La particularité de cette initiation est qu'elle joue le
rôle de justice au sein du village. Lorsqu'il y a eu vol,
adultère, meurtre ou parjure on utilise l'expression « taper le
diable » pour restaurer la justice et l'équilibre. Ce qui est
intéressant c'est que la ou les personnes qui sont fautives desdites
transgression vont voir, tour à tour, le corps se métamorphoser.
Ils vont avoir le ventre qui se gonfle jusqu'à ressembler à un
tétard; ils vont avoir des ganglions ou des gros boutons qui vont sortir
sur l'ensemble du corps ; ils vont être pris par des diarrhées
épuisantes qui vont les immobiliser dans les latrines et vont avoir leur
corps qui va perdre quasiment le quart de son poids en trois jours ; des fortes
fièvres dès la tombée de la nuit vont les coller au lit ;
ils vont aussi avoir les articulations qui vont extrêmement faire mal ;
ils vont avoir des toux grasse avec des postillons de sang. Toutes ces douleurs
vont aller en s'intensifiant jusqu'à ce que les (ou la) personnes
reconnaissent leur crime, délit ou leur infraction. Quand l'individu
reconnaît sa faute, alors on envoie le messager du Mwiri aller chercher
feuilles et bois pour faire une décoction et un bain pour faire partir
le maléfice. Ensuite dans la fin de l'après midi, il va devoir
confesser sa faute devant l'assistance des hommes initiés aux Mwiri. Si
les symptômes sont avancés il y aura le sacrifice d'un mouton pour
délivrer du mauvais sort. Et le traditionnaliste nous confirme alors que
pour lui le Sida est une forme de Mwiri. Soit une personne
malintentionnée lui à lancé ce sort, soit la personne
à commis une infraction. Le Sida est un Mwiri qui a pour but de punir
49 Luc de HEUSCH, «Considérations sur le
symbolisme des religion bantoues », L'homme, Paris, EHESS,
n°184, 2007, p180.
l'individu pour un agissement répréhensible.
Parfois il s'agit de jalousie et de mauvaise foi de la part d'une personne qui
enveut à une autre personne.
Le Mbumba Iyanô est une initiation propre aux ethnies
des côtes du Gabon. L'icône qui la représente est un animal
de légende qui est la sirène. Cette sirène se
représente, dans le monde du rêve du profane, dans le cas d'une
femme par la présence imaginaire d'un « génie " homme de
race blanche ou la présence d'une femme blanche dans le cas d'un homme.
Cette présence est une présence invisible qui perturbe le bon
déroulement de la vie de la personne et, l'initiation doit
réinstaurer l'harmonie entre le génie et la personne. Cette
perturbation que nous décrivons s'applique plus dans le cadre de trouble
de ménage. Le mari ou la femme ne veut plus s'accoupler avec son ou sa
partenaire. Il arrive que le « génie " durant la nuit vienne
s'interposer entre le couple et expulser physiquement le ou la conjoint(e) hors
du lit. Mais ce qui nous intéresse c'est que le génie peut
satisfaire sexuellement lui-même la personne à qui il est
relié. Ce qui explique les théories des hommes ou femmes de nuit,
mais nous y reviendrons. Ce qui intéresse notre propos c'est que les
manifestations de la colère du Mbumba Iyanô se présentent
sous les formes d'apparition de gros boutons sur toute la surface du corps. Ou
encore, la présence d'une tâche sombre un peu identique à
la dartre qui s'empare de la totalité du corps. Il y a aussi une
présence de forte fièvre, de trouble du sommeil, d'un fort
amaigrissement du corps et d'une perte manifeste de cheveux.
Le Nzatsi ou encore le fusil nocturne est un sort lancé
à individu dans le but de lui paralyser le corps, amputer un membre ou
le tuer. Cette pratique à été perfectionné par
l'ethnie Mvoungou résidant dans la province de la Ngounié. Ils
sont spécialistes dans le fusil nocturne car l'individu qui a
reçu la révélation lors d'un rite initiatique nommé
Dissumba était Mvoungou. Il existe un nombre indéterminé
de fusil nocturne. Ce que le terrain nous a révéler c'est qu'il y
a trois catégories qui vont d'une efficacité et intensité
faible qu'il nomme le « 25 "50, d'une autre intensité
moyenne qu'il nomme le « 220 volt "51et, une dernière
qui est le « 10 000 volt " qui a une intensité et efficacité
maximale qu'il compare volontiers à la foudre. Le propre du fusil
nocturne c'est que selon le désir de l'expéditeur, il peut soit
faire souffrir le destinataire ou l'achever d'un coup. Dans le cas d'une longue
souffrance l'expéditeur peut lui envoyer les symptômes du Sida, du
diabète, etc. Ce qui est à retenir c'est que le Sida, selon cette
médecine ésotérique indigène, peut être
donné mystiquement par le moyen de CPT52. Nous pouvons
constater un champ lexical du voltage. En ce sens que le fusil nocturne est
finalement une électrification sociale qui consiste à mettre hors
d'usage un individu.
Le Kôhng est une pratique mystique propre à la
province du Woleu-Ntem. Cette pratique a été importée des
pays voisins tels que le Cameroun et la Guinée Equatoriale. Elle vise
à tuer mystiquement un individu et à capturer son esprit afin de
travailler dans les plantations. Ce fétiche ou cette pratique se
représente sous la forme d'un petit cercueil dans lequel on trouve
50 Il le nomme ainsi car il le vendait dans les
années 1960 à 25fcfa,
51 En référence au courant du secteur.
Il a donc pour principe d'électrocuter.
52 Joseph TONDA, « La santé en Afrique ou
l'esprit contre le corps », l'Homme et la maladie, Libreville,
Editions Raponda Walker, coll « palabres actuelles »,n°2-Vol A,
2008, p 76.
16
toute sorte de relique, chaire humaine corps des individus
à nuire et une liste des personnes qui doivent mourir. Mais ce qui est
intéressant c'est que le Kôhng peut donner la maladie du Sida.
« Les détenteurs de ce type de sorcellerie peuvent mystiquement
prendre le sang d'un séropositif pour l'inoculer à un homme sain,
dans le dessein de nuire à ce dernier53». Ce qui nous
intéresse c'est que le Sida dans la société est une forme
de Kôhng54, de maladie mystique comme le prouve
l'énoncé ci-dessus.
Les métaphores du Sida dans le milieu populaire se
décrivent sous les mots et expressions tels que : maladie du
siècle, Sidonie, la grande maladie, les quatre lettres, le Mbolou ou
encore Syndromes inventé pour découragé les amoureux.
Quand on la considère comme maladie du siècle ou
grande maladie, c'est en faisant allusion à la peste. En ce sens que
« la peste est la principale métaphore par laquelle on comprend
l'épidémie du sida55 ». Pour mieux comprendre la
métaphore du Sida comme maladie du siècle, revenons sur
l'étymologie du mot peste. « Le mot « peste », du latin
plaga (coup, blessure), a longtemps été employé
métaphoriquement pour désigner le plus haut degré de
calamité, de malédiction, de fléau
collectif56». Si nous retenons le terme malédiction,
nous nous retrouvons dans le cas du Sida, au Gabon, qui est une maladie
associée à la malédiction. La
stigmatisation-marginalisation des personnes infectées est utile
à observer57. Le corps stigmatisé est un corps de
malchance sur la famille. Le malade doit être sevré de tout
contact familial, social. « En effet, le contact avec une personne
atteinte d'une maladie mystérieuse s'apparente obligatoirement à
une transgression ; pire, à la violation d'un tabou. Le nom même
de ces affections semble doté d'un pouvoir magique58».
Il est exclu comme si ce qu'il portait était contaminable par le regard.
Le Sida n'a pas de remède. Et cela fait peur. Il tue et infecte sans
distinction. Il est la maladie qui focalise toute l'attention. C'est la maladie
de la mort. Il est la peste du siècle, la maladie du siècle.
Le prénom « Sidonie » est un prénom
féminin qui a été attribué au Sida pour la
proximité syllabique des trois premières lettres. Mais l'autre
raison, qui justifie l'utilisation de ce prénom comme métaphore
du Sida, est qu'au début du Programme de Lutte National contre le Sida
dans les années 1990 il y avait une dame qui avait accepté de
révéler son identité de séropositive à la
télévision. Cette dame se nommait Sidonie SIAKA et intervenait
régulièrement pour faire des témoignages dans le cadre de
campagnes de sensibilisations. Son nom est devenu une métonymie, mais
aussi une personnification dans la société gabonaise de la
maladie du Sida.
53 Joseph TONDA, « Limites du social et
déficits d'institutionnalisation du culturel en Afrique : le spectre du
social et les esprits du culturel », Etre en société. Le
lien social a l'épreuve des cultures. Sous la dir. André
PETITAT, Laval, Les Presses de l'Université Laval, 2010, p 124.
54 Max Alexandre NGOUA, La sorcellerie du Kong
à Bitam : une manifestation symbolique de l'économie capitaliste,
Mémoire de maîtrise de sociologie, Libreville, Faculté
des lettres et des sciences humaines, Département de sociologie,
septembre. 2004.
55 Susan SONTAG, La maladie et ses
métaphores, le sida et ses métaphores, op cit, p
169.
56 Susan SONTAG, ibid, p 169.
57MAGANGA MAGANGA, La
stigmatisation-marginalisation des personnes vivant avec le VIH/Sida, dans les
familles gabonaises, Libreville, UOB, Département de Sociologie,
2011.
58 Susan SONTAG, op cit, p 14.
Il y a aussi l'expression « les quatre lettres »,
qui décrit la maladie du Sida. En effet dans le milieu populaire
gabonais, une personne atteinte du virus du Sida est qualifiée
d'être une personne atteinte par les quatre lettres qui sont le S.I.D.A.
Donc, il y a une violence symbolique qui se dégage de ces quatre lettres
disposé dans cet ordre. Nous entendons le terme violence symbolique au
sens oü Pierre Bourdieu l'entend. C'est --à- dire une violence qui
ne peut-être exercée par celui qui l'exerce et qui ne
peut-être subie par celui qui la subit que parce qu'elle est
méconnue en tant que telle59. Etre malade du Sida c'est
être étiqueté par des lettres comme un objet que l'on
spectacularise. Mais nous y reviendrons plutard.
Le Mbolou est dans la langue Kota une représentation
d'une maladie des tubercules que l'on a attribuée au Sida. En fait le
tubercule présente toute les caractéristiques d'un aliment de
bonne qualité. Seulement, dès que l'on touche ou palpe le
tubercule, il s'aplatit ou se perce sous la pression. En fait, à
l'intérieur du tubercule il n'y a plus que de l'eau noir ou une
matière putréfiée qui s'est transformée en liquide
noir telle de la cendre. Donc, l'allusion du Sida au Mbolou est une
métaphore qui compare le corps d'un sidéen à un tubercule
atteint de ladite maladie. En apparence le corps du sidéen donne
l'impression d'être en bonne santé mais bien au contraire il est
pourri de l'intérieur par le virus du Sida. Et son corps
dépérit à vu d'oeil comme dépérit un
tubercule qui est atteint par le Mbolou.
Bien que la métaphore du Sida comme « syndrome
inventé pour décourager les amoureux » apparue dans le
début des années 1990 ne soit plus utilisée, nous nous
sommes
tout de même proposé de la présenter. En
fait cette métaphore intervient dans la situation oüla
population apprend qu'il faut se protéger durant les rapports sexuels ;
qu'il faut s'abstenir
ou être fidèle à son ou sa partenaire.
« La voix sexuelle de la transmission de cette maladie,
considérée le plus souvent comme une calamité dont on est
seul responsable, est l'objet d'une condamnation encore plus vive que les
autres voies de transmission - surtout parce qu'on prend le Sida pour une
maladie non seulement de l'excès sexuel, mais de la
perversion60». C'est par rapport à cette situation de
maladie qui stigmatise les rapports sexuels que la population a imaginé
que cette maladie a été créée pour
décourager les amoureux. C'est probablement parce que « le
fléau n'est pas à la mesure de l'homme, on se dit donc que le
fléau est irréel, c'est un mauvais rêve qui va passer. Mais
il ne passe pas toujours et, de mauvais rêve en mauvais rêve, ce
sont les hommes qui passent, et les humanistes en premier lieu, parce qu'ils
n'ont pas pris leurs précautions61».
Nous avons pu, dans l'établissement de notre constat,
identifié deux expressions très utilisées dans le milieu
religieux pour décrire le Sida. Il s'agit des expressions de punition
divine, de karma.
A travers la personnification du Sida par le prénom de
Sidonie, il y a une allusion au sexe féminin. En fait le Sida ainsi
présenté est une maladie des femmes transmises par les femmes aux
hommes car la femme c'est le diable. Elle est le symbole de la
déchéance et de la trahison
59 Pierre BOURDIEU, Questions de sociologie,
Paris, Les éditions de minuit, 1984.
60 Susan SONTAG, op cit, p147.
61 Albert CAMUS, La peste, Paris, Gallimard,
coll « Folio », 1947, p 41
18
du monde depuis le jardin mythique d'Eden. Le Sida, à
ce titre, serait une fois encore comparable au poison de la pomme de l'arbre de
la connaissance du bien et du mal dans le milieu religieux. A cet effet,
l'expression « punition divine » utilisée suit la logique du
Sida comme châtiment de Dieu envers la désobéissance de ses
enfants. Car sous l'axe de la religion, le sida est une « punition divine
». C'est un terme qui est récurent et propre au milieu religieux.
C'est donc une maladie de Dieu mais aussi du Diable62 ! Car «
la maladie intervient en tant que châtiment surnaturel, ou possession
démoniaque, ou résultat des causes
normales63».
Le terme karma à été rencontré
dans le milieu ésotérique rosicrucien et bouddhiste. C'est un
cercle de confrérie initiatique moderne pour le premier et une religion
pour le second. Ce terme décrit les répercutions négatives
d'une action que nous avons intentée dans un moment ou une vie
antérieure. Pour les rosicruciens souffrir d'une maladie chronique ou
aigüe, c'est être victime des conséquences de ses propres
actes. Il l'explique selon toute sorte de raisons ; de la moquerie sur un
malade à sa stigmatisation, voire à son inquisition. Bref, il y a
toujours une raison pour justifier le mal. Être malade c'est avoir
contracté une dette dans une vie antérieur.
Nous avons dans le cas de notre constat fais une analyse de
contenu de certains textes de musiciens ayant chanté sur le Sida. Ce qui
ressort de cette analyse c'est que la maladie du sida est soit une maladie du
sang, une maladie du sexe, une maladie d'amour ou une maladie de
l'infidélité.
En 1992 l'artiste Hilarion NGUEMA chanta une chanson sur le
sida. Le corpus de ce chant révèle que le sida, selon l'artiste
est « une maladie du siècle, maladie du sexe, maladie du sang,
maladie d'amour ». En fait, pour comprendre ce texte il faut le situer
d'abord dans son contexte historique. En effet, les années 1990 sont les
années les plus difficiles sur le plan de la prévention. Il
fallait d'abord faire admettre aux populations la présence effective de
cette maladie. Nous pensons que le recours à la métaphore maladie
du siècle, renvoie au souvenir de la maladie de la peste qui
décima de nombreuses populations en Europe. Lorsque l'on entrevoit la
métaphore de maladie du sexe c'est en rapport avec la maladie de la
syphilis. C'est en fait les réminiscences de la maladie de la syphilis
et son mode de contamination qui pousse à dire que le Sida est tout
aussi une maladie du sexe comme la syphilis. De manière
générale , les différentes métaphores traduites
dans le chant de l'artiste visent à présenter les modes de
contamination de la maladie et le danger de la maladie.
Dans les mêmes années 1990, il y a eu le chant de
Mackjo's qui décrivait dans son corpus que le sida est une maladie de
l'infidélité. En fait dans le texte de l'artiste, c'est le
récit d'une femme qui est agréablement surprise que son homme
puisse revenir tôt à la maison, être attentif à elle,
faire les travaux de la maison et bien entendu satisfaire pleinement son devoir
conjugale. La phrase suivante reste significative pour la suite de notre
travail à savoir : « Sida
62 Joseph TONDA, « Le Sida, maladie de Dieu, du
Diable et de la sorcellerie », Sciences sociales et santé,
Vol 25,n°4, Paris, Décembre, 2007.
63 Susan SONTAG, op cit, p 61.
grace à toi j'ai retrouvé mon mari, merci Sida
j'ai retrouvé mon mari ! " La conscience du danger de la maladie du Sida
va obliger le mari à revenir à la fidélité. C'est
donc une exhortation à la fidélité. Or cette exhortation
est l'un des slogans du Programme national de Lutte contre le Sida (PNLS). Les
autres chants sur le Sida ne s'éloignent pas de ces deux textes qui
sont, pour ainsi dire, des stéréotypes musicaux de ce
thème.
L'inventaire des différentes représentations
métaphoriques et métonymiques du Sida dans la
société gabonaise présente une richesse littéraire
et imaginative avérée. Certes, les représentations
métaphoriques et métonymiques ainsi considérées
sont dans le domaine de la littérature, mais il ne reste pas moins que
nous voulons faire oeuvre sociologique. Si ceci est notre objectif, c'est pour
comprendre les raisons des multiples représentations de la maladie et du
Sida au Gabon. Ces raisons sont en fait une profonde différence entre la
métaphore et la métonymie dans les représentations de la
maladie au Gabon.
Tout d'abord, nous devons mettre de l'ordre en nous focalisant
d'abord sur les représentations sociales. Les représentations
sociales selon Pierre MANNONI sont des producteurs de sens64. Elles
le sont parce qu'« il s'agit d'une forme de connaissance, socialement
élaborée et partagée, ayant une visée pratique et
concourant à la construction d'une réalité commune
à un ensemble65". C'est aussi, « des ensembles d'actes
symboliques codifiés, à visée fonctionnelle et pratique,
« imposés " par le groupe relativement prévisibles et
répétés selon un schéma fixé [...],
orientés vers la communication avec les puissances
surnaturelles66". Au regard de ces différentes
définitions, nous pouvons retenir que les représentations
sociales en Afrique centrale sont des formes d'institutionnalisation du sens du
spectre, des formes d'institutionnalisation du sens. Ce qui revient à
dire que les représentations sociales sont des repères qui
donnent sens aux pratiques sociales. Le propre de ces pratiques c'est qu'elles
sont traduites dans des expressions métaphoriques et
métonymiques.
En fait, notre constat nous permet de remarquer qu'il y a deux
formes de styles d'expressions utilisées pour décrire le Sida :
la métaphore et la métonymie. Mais au regard de l'inventaire
empirique que nous venons de faire il ressort que la plupart des expressions
décrites relèvent plus de la métonymie que de la
métaphore. En fait nous dépassons le simple cadre de la
comparaison pour nous retrouver dans une description imaginaire qui devient
réel. En fait, nous nous retrouvons de plein pied dans un imaginaire qui
a possédé et subjugué la société. Pas
seulement un imaginaire comme faculté de création des
images67 mais aussi, et surtout, d'une indiscernabilité du
réel et de l'irréel68.
Donc, les représentations sociales du Sida au Gabon se
servent plus de la métonymie plutôt que de la métaphore.
Ceci se justifie par le fait que les croyances au serpent mystique, fusil
nocturne, Mbumba Iyanô, Mbumba, Mwiri ou au Kôhng qui « sont
autant des figures
64 Pierre MANNONI, Les représentations
sociales, Paris, PUF, coll « Que sais-je ? », 1998, p115.
65 Denise JODELET, Les représentations
sociales, Paris, PUF, 1989, P 36.
66 Gilles FERREOL, Dictionnaire de
sociologie, Paris, Armand Colin, 1995, P256
67 Cornélius CASTORIADIS, L'institution
imaginaire de la société, Paris, Seuil, 1975, p 17.
68 Gilles DELEUZE, Pourparlers 1972-1990,
Paris, Minuit, 2003, p 93.
20
de la mort que de la spectralisation du
social69», mettent la maladie du Sida dans une
indiscernabilité entre le réel et l'irréel. La maladie du
Sida louvoie dans les méandres des représentations sociales
gabonaises dans la quête de sens. Cependant, la biomédecine est en
lutte contre ces représentations à travers les tags, les bandes
dessinées produite par le PLIST70. A bien y penser, la
société semble tellement possédé que «
même là où existent des avancées en ce domaine, les
régressions s'imposent comme une sorte de loi générale et
abandonnent les individus à la violence des esprits du Sida, du
paludisme, des vers intestinaux, des mares, des forêts, des
rivières, etc71». La société gabonaise est
stéréotypée par un manque et un déni de solution
biopolitique. C'est ce que traduit Joseph TONDA quand il dit que « le
social en Afrique, c'est en un mot, une vaste sphère spectrale,
fantomatique, o
l' « esprit », c'est-à-dire le «
culturel », a du mal à s'institutionnaliser face aux urgences de la
vie biologique et matérielle qui l'expriment, la mettent en péril
et qui relèvent des déficits biopolitiques des pouvoirs
publics72».
Certes. Il y a évidence de manque de solutions
biomédicales mais que dire des iconographies, des publicités
contre la maladie du Sida ? Lorsqu'on regarde toutes ses propagandes contre le
Sida nous nous posons la question de savoir pourquoi l'Etat par les organismes
de lutte contre le Sida lutte-il contre les imaginaires de la maladie du Sida
?
Nous expliquons encore au Gabon les pluies au fait que «
Dieu soit entrain d'uriner » au lieu de relier ce phénomène
à une évaporation de l'eau et une accumulation de masse d'air
humide. Ou encore lorsqu'il pleut et qu'il y a du soleil au méme moment
c'est dû à un éléphant qui met bât. Les
exemples sont légion pour décrire l'état mental dans
lequel notre société se trouve. Nous nous pouvons encore regarder
toutes les représentations sur la maladie, et en particulier sur la
maladie du sida. Les métaphores de la maladie du Sida décrites
dans ce texte plus haut sont au fait de cette idée d'univers
métaphysique. Un univers dans lequel les fantômes, les bêtes
de forêts ou, tout simplement, le charisme imposent une vision du monde
quelque peu galvaudée. Cette dépréciation du monde des
idées est donc conditionnée par une production d'images et
d'imaginaires autorisées par le simple pouvoir du charisme donc de la
violence de l'imaginaire.
Si nous devons expliquer cette politique de l'Etat qui est de
lutter contre les imaginaires de la maladie du Sida, nous dirons que l'Etat
gabonais est entrain de mettre en scène le biopouvoir. Le biopouvoir est
une « technique du pouvoir sur « la » population en tant que
telle, sur l'homme en tant qu'être vivant, un pouvoir continu, savant,
qui est le pouvoir « de faire vivre73 ». C'est en d'autres
termes, pour paraphraser l'auteur, un pouvoir de régularisation qu'il
définit comme pouvoir de faire vivre et de laisser mourir. Nous voulons
décrire l'action des ONG et de l'Etat comme une forme de lutte, non plus
seulement, contre
69 Joseph TONDA, « Limites du social et
déficits d'institutionnalisation du culturel en Afrique : le spectre du
social et les esprits du culturel », Etre en société. Le
lien social a l'épreuve des cultures, p 134.
70 Voir annexes.
71 Joseph TONDA, Ibid , p 134.
72 Joseph TONDA, Op cit, p 127.
73 Michel FOUCAULT, Il faut défendre la
société. Cours au collège de France 1976, Paris,
Hautes Etudes, Gallimard, Le Seuil, 1997, p 214.
22
les IST mais aussi contre les imaginaires. Et nous pensons que
le terme lutte n'est pas exagérée car, là encore, le
pouvoir métonymique du souverain sort de l'eau ou de la forét
comme le dit TONDA74. « Il s'ensuit que le rapport à la
maladie, comme le rapport à la santé [et au pouvoir] sont, dans
ce champ [de l'imaginaire], des rapports agonistiques, des rapports de combat,
de conflit, de forces, de guerre75». A cet effet, c'est donc
tout aussi une guerre, une chasse que l'Etat exerce contre les idées
confuses et irréalistes des imaginaires de la maladie du Sida.
La question des préjugés des Librevillois au
sujet du Sida peut trouver une esquisse de réponse après
l'analyse du propos précédent. Il y a une dynamique des
représentations ou des schèmes traditionnels qui ostracisent
l'objectivité de la maladie du sida au Gabon. Et la notion de Souverain
moderne proposée par Joseph TONDA n'est peut être pas exempt de
tout reproche. Car les représentations sociales, et par extension les
représentations sociales de la maladie du Sida, sont au service du
souverain car elles permettent de mettre en exergue le pouvoir des esprits de
la forét et de l'eau qui sont au service du souverain. Il faut que les
images des monstres, des fantômes, des sirènes, des hommes
panthères, des crânes76, du Mwiri, du Kôhng, des
2577 continuent d'exister car ils sont le socle du pouvoir
mortifère du souverain. Les représentations sociales de la
maladie du sida permettent de définir un peu plus encore les lieux, le
mode, le contexte et la tactique du pouvoir du Souverain moderne au Gabon.
Mais il est utile de préciser que le souverain moderne
n'est pas exempt du pouvoir et de la possession de l'imaginaire. On aurait pu
penser qu'il se trouve en dehors du phénomène des
représentations sociales, de l'imaginaire. Qu'il se serve tout
simplement des images de fantômes, de serpents, de fusils nocturnes,
qu'il les créée et les contrôle. Donc, qu'il exploite la
violence de l'imaginaire, la violence du symbolique et la violence du
fétichisme. Nous avons oublié de dire qu'il se retrouve dans la
méme situation que le sociologue sur son terrain d'étude. Il est
à la fois intéressé par les productions sociales, mais
lui-même faisant parti de ces productions. D'oü la difficulté
de faire une rupture épurée de tous préjugés. Le
souverain exploite les représentations sociales, les images et les
imaginaires. Il exploite les expressions, les mots, les sens. Sauf qu'il n'en
est pas, à proprement parlé, le créateur et, à ce
titre, luimême est dans un cycle de reproduction des imaginaires. Il est
lui-même sous l'emprise des représentations sociales, sous
l'emprise de la violence de l'imaginaire, de la violence du symbolique et du
fétichisme. Ce qui revient à dire qu'il ne contrôle rien,
mais donne l'impression de le faire afin que les administrés pensent
qu'il l'a. En ce sens que tous et chacun à la fois contribue à
l'édification des images, des imaginaires.
74 Joseph TONDA, Le pouvoir et le lieu,
Conférence a L'université Omar Bongo de Libreville le 4 mai 2011,
Libreville, UOB, faculté des lettres et sciences humaines,
Département de littérature africaine, 2011.
75 Joseph TONDA, « La santé en Afrique ou
l'esprit contre le corps », l'Homme et la maladie, p 74.
76 Lire à ce sujet Lionel Cédrick
IKOGOU-RENAMY, L'or blanc : le marché occulte et illégal du
corps humain à Libreville, Libreville, UOB, Faculté des
Lettres et des Sciences Humaines, mémoire de DEA, octobre 2010.
77 Voir page 13.
Au terme de ce constat, il semble approprié de
repréciser notre objet d'étude. Nous entendons par les
métaphores du Sida au Gabon des modes d'expression qui sont des
productrices de sens des imaginaires de la maladie du Sida au Gabon. La
particularité de ces métaphores c'est qu'ils sont produits dans
des lieux hétérotopiques. C'est à cet effet que nous
entendons par espaces hétérotopiques, un lieu dans lequel est
produit des discours sacré. C'est des lieux autres,
considérés comme des hors lieux, des lieux utopiques C'est donc
le sens des métaphores produit dans des lieux
hétérotopiques qui conduisent à la création des
imaginaires dans la maladie du Sida qui nous importent ; les raisons qui
justifient la présence de ces représentations sociales, de ces
modes d'expression, de ce marché linguistique de la maladie qui sont le
leitmotiv de notre recherche.
2) Un objet à la frontière de la sociologie de
l'imaginaire et de la sociologie de la
santé , de la maladie
Notre objet d'étude qui est les métaphores
postcoloniales du Sida et hétérotopies à Libreville
à la particularité de se trouver à une intersection de
champ d'étude. Pour l'expliquer il semble approprier de dire que les
métaphores et les métonymies sont des figures de styles
littéraires. Mais leur particularité est qu'elles ont la
faculté d'être des styles, donc images et symboles, pour
décrire l'imaginaire. Les figures de styles littéraires de la
métaphore et de la métonymie ont des facultés de
créer des images. Si tant est qu'elles arrivent à créer
des images78 au sens dans lequel CASTORIADIS l'entend, donc à
produire des imaginaires, notre objet d'étude justifie sa
présence dans le champ de la sociologie de l'imaginaire. En ce sens que
nous voulons interroger le sens des imaginaires sur la maladie du Sida au Gabon
à travers les espaces hétérotopiques et les
métaphores afin de réunir les expressions et les mots qui
décrivent le sida au Gabon.
La sociologie de la santé, de la maladie et de la
médecine est un domaine particulier de la sociologie
générale. Elle s'intéresse à la fois à la
santé, la maladie et la médecine appréhendée dans
le champ des rapports sociaux. Ce champ d'étude nous permet de
comprendre « la dimension sociale » de la maladie car, « la
maladie est d'abord un fait social »79. Etant donné que
nous travaillons sur les métaphores et les métonymies du Sida au
Gabon, notre étude s'inscrit dans le champ de la sociologie de la
santé, de la maladie et de la médecine. Car il s'agit
d'étudier les différentes représentations de la maladie du
Sida sous l'angle des imaginaires produites par les métaphores et les
métonymies du Sida. En ce sens que « la maladie et la santé
se définissent donc en fonction des attentes liées à notre
environnement, à
78 Cornélius CASTORIADIS, L'institution
imaginaire de la société, Paris, Seuil, 1975, p 17.
79 Marc AUGE, Claudine HERZLICH et Al, Le sens du
mal. Paris, éditions des archives contemporaines, (col «
ordres sociaux ») 1994, 278 p.
nos insertions et à nos relations, familiales et
professionnelles par exemple, et constituent, au sens propre, des états
sociaux80».
Mais tout ceci ressemble fort bien à la sociologie
imaginative que nous propose les COMAROFF. Cette sociologie « a trait aux
constellations symboliques que les individus mobilisent collectivement pour
donner sens à l'univers81». Or tout cet exposé
n'est qu'une mise en rapport des imaginaires collectifs de la maladie du Sida
au Gabon avec les lieux ou espaces hétérotopiques. C'est une
sociologie qui rassemble les imaginaires , le symbolique dans un seul champ :
la sociologie imaginative.
SECTION 2 : CONSTRUCTION DU MODELE D'ANALYSE
1. Recension des travaux antérieurs
Quand Jean COPANS énonce que « tout apprentissage
scientifique commence par la lecture des travaux antérieurs
»82, il convoque avec intentionnalité
la discussion autour d'une problématique précise. Nous allons
discuter le sens des imaginaires ; comprendre le sens des
représentations afin d'aboutir sur une grille de lecture qui rend mieux
compte de l'objectif de notre étude à savoir : pourquoi les
métaphores et les métonymies du Sida au Gabon sont-ils des
indicateurs du pouvoir de l'Etat au Gabon ?
a) Position du débat en occident
Nous ouvrons notre discussion avec Pierre MANNONI83
au sujet des représentations sociales. Ce qui nous captive dans cet
ouvrage c'est la précision qu'il émet sur le fait que les
représentations sociales sont des producteurs de sens. Bien avant cette
mise en évidence du sens, il dit ceci : « [les
représentations sociales] émaillent aussi les discours politiques
et religieux, ainsi que de tous les grands domaines de la pensée sociale
: l'idéologie, la mythologie, la démonologie, les contes et les
légendes, les fables et les récits folkloriques, la pensée
scientifique même, ainsi que les domaines moins nobles comme la
superstition, les croyances, les illusions répandues84».
Ce qui revient à-dire que le langage, les expressions sont tous sous la
« tutelle » des représentations. Tout le discours ou la
pensée sociale est
80 Philippe ADAM et Claudine HERZLICH, Sociologie
de la maladie et de la médecine, Paris, Nathan université,
coll « Sociologie 128 », 1998, p7.
81 Jérôme DAVID, « sociologie
imaginative, néomodernisme et réalisme symbolique »,
Zombies et frontières à l'ère
néolibérale. Le cas de l'Afrique du Sud post-apartheid,
Paris, Les prairies ordinaires, coll « penser/croiser », 2010, p
14.
82Mesmin - Noël SOUMAHO, Eléments de
méthodologie pour une lecture critique, Libreville, Cergep/
L'harmattan, 2002, p 124.
83Pierre MANNONI, Les représentations
sociales, Paris, PUF, coll « Que sais-je ? », 1998.
84 Pierre MANNONI, Op cit, p 6.
24
codifié et a pour base les représentations
sociales. Elles sont douées d'un pouvoir coercitif. On ne les discute
pas. Elles sont et s'imposent à nous. Pour lui, « la
réalité n'est pas ce qu'elle est, mais qu'elles en font et c'est
avec une superbe désinvolture qu'elles se posent pour ce qu'elles
paraissent. Ce qui signifie qu'elles n'ont pas besoin de preuves pour
être, qu'éventuellement elles tirent les preuves d'elles
même, et que, sans se préoccuper d'être elles-mêmes
prouvées, elles s'offrent à prouver les choses en
dehors85». Mais il y a plus. Pierre MANNONI dit aussi que
« l'univers des croyances auxquelles l'homme adhère est, d'une
façon générale, immergé dans l'irrationnel. En
effet, son besoin de croire est tel qu'il ne se préoccupe guère
des justifications scientifiques ni des démonstrations rationnelles
susceptibles de rendre compte des contenus desdites
croyances86». Nulle n'est besoin de justifier la
présence ou l'explication d'une représentation. Elle est
là, et s'impose à nous par la force et le pouvoir du sens de
l'imaginaire. C'est ce qui permet à l'auteur de dire que « les
représentations sociales sont des producteurs de
sens87».
La discussion que nous entretenons avec Pierre MANNONI, nous
permet de présenter deux idées qui semblent pouvoir nous
éclairer le long de notre recherche. Il s'agit des métaphores et
des métonymies comme des représentations sociales, et des
représentations comme créateur de sens. En effet, les
métaphores et les métonymies ont pour effet d'imager des
situations. Elles sont des comparaisons qui décrivent des faits du
social. Dans le cas de notre recherche, les figures de styles
représentent toutes les notions imaginaires qui gravitent autour de la
maladie du Sida. Ces images ou ces imaginaires sont en fait des
représentations sociales. Et le propre de ces représentations
c'est qu'elles sont effectivement productrices de sens. Elles produisent le
sens de la maladie du Sida au Gabon. Ce sens est toujours un anathème
qui vise autrui. La maladie est toujours une malchance qui est lancée
par l'autre. C'est donc des métaphores et des métonymies
pourvoyeurs de sens dont nous voulons parler. Des représentations
sociales qui pensent la maladie du Sida comme une attaque ou un missile. C'est
sous cet aspect que la discussion avec Pierre MANNONI sera utile à notre
recherche.
Nous poursuivons notre discussion avec Pierre BOURDIEU
88. Il dit que « toute situation linguistique fonctionne comme
un marché dans lequel quelque chose s'échange. Ces choses sont
bien sûr des mots, mais ces mots ne sont pas seulement faits pour
être compris ; le rapport de communication n'est pas un simple rapport de
communication, c'est aussi un rapport économique où se joue la
valeur de celui qui parle89». C'est la situation linguistique
qui va intéresser notre auteur. Les mots ont un pouvoir et une dimension
économique. Les échanges linguistiques entre locuteur et
interlocuteur sont codifiés par des rôles assignés par la
communication. Pour lui par exemple, « pour que le discours professoral
ordinaire, énoncé et reçu comme allant de soi, fonctionne,
il faut un rapport autorité-croyance, un rapport entre un
émetteur autorisé et un récepteur prêt à
recevoir ce qui est dit, à croire que ce qui est dit mérite
d'être dit [...] Pour récapituler de façon abstraite et
rapide, la communication en
85 Pierre MANNONI, Les représentations
sociales, Paris, PUF, coll « Que sais-je ? », 1998, p 7.
86 Pierre MANNONI, Op cit, p 31.
87 Pierre MANNONI, Op cit, p 115.
88 Pierre BOURDIEU, « Ce que parler veut dire
», Question de sociologie, Paris, Les éditions de minuit,
1984.
89 Pierre DOURDIEU, Op cit, p100.
situation d'autorité pédagogique suppose des
émetteurs légitimes, des récepteurs légitimes, une
situation légitime, un langage légitime90». Les
personnes qui vont ou sont dans des lieux où l'on considère la
maladie comme un sort lancé par autrui se retrouve dans ce cas de
figure. Ils sont des émetteurs et des récepteurs
légitimes, et se retrouvent dans un lieu (ou non-lieu) qui impose un
langage précis. Ainsi cité, nous proposons d'énoncer une
formule de base que BOURDIEU identifie de la sorte : « habitus
linguistique + marché linguistique = expression linguistique,
discours91». Donc chaque discours ou expression linguistique
est nécessairement doté d'habitus linguistique et d'un
marché dans lequel peut être échangé ce discours et
ces habitus. Par habitus linguistique il entend « qu'il est le produit des
conditions sociales et par le fait qu'il n'est pas simple production de
discours mais production de discours ajusté à une «
situation », ou plutôt à un marché ou à un
champ92».
Considérer, la maladie du Sida comme un Mbumba, un
fusil nocturne, le Kôhng, une punition divine, un karma, une maladie du
siècle et du sexe ou un syndrome inventé pour décourager
les amoureux, c'est considérer les métaphores et les
métonymies comme habitus linguistique. Ce que pierre BOURDIEU apporte
à notre recherche c'est qu'il nous permet d'identifier ce champ ou ce
lieu ou s'exerce le pouvoir du discours. Ce lieu est le lieu des
représentations sociales, le lieu ou le champ de l'imaginaire. Mais
seulement nous pensons que nous ne sommes pas seulement dans un lieu d'un
marché linguistique. C'est-à-dire « toutes les fois que
quelqu'un produit un discours à l'intention de récepteurs
capables de l'évaluer, de l'apprécier et de lui donner un prix,
[un sens]93». Nous sommes dans un marché symbolique et
un marché de l'imaginaire. Par marché symbolique nous entendons
le lieu ou
s'échange les différentes formes de
représentations. Le marché de l'imaginaire est le lieu
oüce qui est irréel devient réel, ou l'allusion
et l'illusion se confondent et donne naissance à des
fantasmes et des fantômes. Or, la particularité
des métonymies c'est qu'elles participent à rendre indiscernable
le réel de l'irréel et c'est certainement l'un des aspects que
nous développerons dans cette étude.
Nous considérons la discussion avec Susan
SONTAG94 comme fondamentale à notre recherche. Elle est
fondamentale par la portée du titre de l'oeuvre : la maladie comme
métaphore, le sida et ses métaphores. Il va sans dire que cette
oeuvre a pour particularité de faire une présentation du comment
la maladie et le sida se représente dans l'univers social occidental.
Pour elle, « la maladie intervient en tant que châtiment surnaturel,
ou possession démoniaque, ou résultat des causes
normales95». Il y a déjà confirmation qu'en
occident la maladie est fabulée par l'imaginaire. Mais ce qui est
intéressant c'est qu'elle s'intéresse tout aussi aux producteurs
de ces métaphores. C'est en cela qu'elle pense que « la
société accusée de corruption et d'injustice a toujours eu
recours aux métaphores offertes par les maladies
90 Pierre BOURDIEU, Op cit, p 103.
91 Pierre BOURDIEU, « Le marché
linguistique », Question de sociologie, Paris, Les
éditions de minuit, 1984, p121.
92 Pierre BOURDIEU, Ibid, p 121.
93 Pierre BOURDIEU, Op cit, p 123.
94 Susan SONTAG, La maladie et ses
métaphores, le sida et ses métaphores, Paris, Christian
Bourgeois éditeur, coll « titre 101 », 1993.
95 Susan SONTAG, Op cit, p 61.
26
pour atténuer les soupçons qui pesaient sur
elle96». Les causes de manque d'hygiène qui ont
amené la peste du 18ème siècle était la
véritable cause de la peste. Et la société en était
la seul responsable, non pas toutes les suppositions et superstitions qui y
donnèrent sens. A travers ce texte nous comprenons pourquoi « la
peste est la principale métaphore par laquelle on comprend
l'épidémie du sida97". Non seulement le Sida est une
maladie incurable, mais elle est aussi un mal qui montre l'impuissance des
pouvoirs publics face à cette pandémie. « Le sida devient le
cheval de Troie de tous les Etats98». En ce sens qu'il se
retrouve partout et dans toutes les individualités composant la
société, et par cet effet entre dans la société
comme un ennemi par le biais du sexe. Outre cet aspect de « cheval de sexe
" ou plutôt cheval de Troie, Susan SONTAG reconnaît qu'en occident
il y a un abus des métaphores militaires. Or ces métaphores ont
la forte particularité d'être péjoratives pour les malades.
« Car elles surmobilisent, elles sur-décrivent et elles contribuent
puissamment à l'excommunication et à la stigmatisation des
malades [...] Nous ne subissons aucune invasion. Le corps n'est pas un champ de
bataille. Les malades ne sont ni des pertes humaines inévitables, ni
l'ennemi99".
Ce texte de Susan SONTAG est pertinent en de nombreux points.
Le premier c'est qu'elle nous permet de rendre évident la notion que la
maladie et la maladie du Sida sont bien aussi traversées par des
métaphores en occident. Seulement, dans le cas de l'Afrique centrale, et
plus particulièrement dans le cas du Gabon, les métaphores ne
sont pas les seuls moyens pour comparer la maladie ou la maladie du Sida
à quelque chose. La métonymie au Gabon est utilisée pour
comparer une maladie à quelque chose. Seulement, dans le cas de la
métonymie, dans le cas du Gabon, le sida par exemple ne sera plus
seulement comparer à l'objet mais chosifié, il va devenir cette
chose. En fait comme nous l'avons dit quand nous dressions notre constat plus
haut, le réel et l'irréel sont confondus par le moyen de la
métonymie. Nous ne savons plus ou est l'imaginaire et la
réalité. Les fantômes ont envahi la société !
Et c'est cela qui nous intéresse. Car lorsque SONTAG énonce que
la société corrompue et injustice commandite les
métaphores, nous avons plus ou moins une réponse à notre
question de recherche qui est de savoir, pourquoi les métaphores et les
métonymies du Sida au Gabon sont-ils des indicateurs du pouvoir de
l'Etat au Gabon ? La société est corrompues et injuste, certes.
Mais nous pensons que ce n'est pas seulement la corruption dans son sens strict
- c'est-à-dire achat de conscience- mais la corruption du sens. La
corruption du mot, des expressions qui est commanditée par la violence
du sens. Il y a violence du sens chaque fois que dans une discussion la
métonymie prend le dessus sur le réel et permet de mettre une
paire de lunette imaginaire qui fait voir à un individu en une chose ce
qu'elle n'est pas et, surtout, finit pas croire que cette chose est ce qu'elle
n'est pas. La violence du sens c'est la puissance que les expressions, les mots
et les images exercent sur les individus par laquelle ils arrivent à
créer une fabulation du sociale. Pour finir cette discussion avec Susan
SONTAG, la métaphore militaire est l'une des caractéristiques
fondamentales de la pensée « indigène ". Au Gabon soigner la
maladie c'est extraire, lutter, combattre le sorcier qui a envoyé la
maladie.
96 Susan SONTAG, Op cit, p 97.
97 Susan SONTAG, Op cit, p 169.
98 Susan SONTAG, La maladie comme
métaphore, le sida et ses métaphores, Op cit, p 215.
99 Susan SONTAG, Op cit, p 232.
En ce sens nous sommes dans une société de
guerre, de chasse. Ceci justifie l'utilisation des métaphores et les
métonymies de guerre.
Ce sont ces métaphores ou métonymies relatives
à la guerre qui nous amène à nous entretenir avec
Grégoire CHAMAYOU100. Dans son livre il dresse le
procès plus ou moins détaillé des différentes
chasses à l'homme dans l'histoire. Mais nous retenons certains aspects
qui semblent intéressant pour nous. Pour lui, « le pouvoir
pastorales s'était défini comme une anti-chasse. Pourtant [...]
il développa à son tour des pratiques cynégétiques,
ses propres chasses à l'homme, des chasses
pastorales101». Cela peut être
interprété de façon à ce que les campagnes
d'évangélisation ne sont que de vastes campagnes de chasses. Il
chasse les fidèles qui en fait ne sont que des proies. Mais ce n'est pas
une chasse compris dans son sens premier. Entre autre persécution d'un
prédateur sur une proie dans le but de le tuer. Il s'agit plutôt
d'une chasse qualifié d'exclusion du mal. Il dit qu' « on est plus
ici comme précédemment dans une logique de
prélèvement prédateur mais dans une rationalité de
l'ablation salutaire ou de l'exclusion bienfaisante102». Il
faut extirper les fidèles d'un lieu de la tentation qui les
pervertissent et les égarent du chemin de Dieu. Pour cela les tactiques
sont de plusieurs ordres. « L'image favorite des chasses pastorales
d'exclusion est sanitaire : métaphores de la maladie, de la
gangrène ou de l'épidémie103». En effet
c'est plus par les métaphores sur les épidémies telle que
le Sida est une punition divine (ou un Mbumba) que les pasteurs (mais aussi les
nganga) capturent des fidèles en leur faisant croire que la maladie a
des causes surnaturelles que seul l'église (ou les MHSB) peuvent
guérir. Le pasteur devient un prédateur tout comme le nganga et
le moyen de séduction pour avoir les fidèles n'est autre que la
transformation d'une maladie biomédicale en maladie surnaturelle encore
nommée psychosomatique. Nous retenons que nous sommes dans une forme de
chasse quand nous regardons les métaphores religieuses et de la MHSB.
Une sorte de guerre que les pasteurs et nganga livrent à une maladie qui
est la maladie du Sida dans le seul but de conquérir des «
âmes ». Mais nous poursuivrons la discussion un peu plus loin avec
un africaniste nommée Joseph TONDA.
Nous avons entrepris une discussion avec Raymond
ARON104 sur sa lecture de Max WEBER dans L'éthique
protestante ou l'esprit du capitalisme. La première chose est que
selon ARON, « WEBER à voulu prouver que les conceptions religieuses
sont effectivement un déterminant des conduites économiques et,
par conséquent, une des causes des transformations économiques
des sociétés105». Marx WEBER dit qu'il cherche de
comprendre « la naissance de la classe bourgeoise occidentale avec ses
traits distinctif106». Mais ce qui nous intéresse c'est
lorsque Raymond ARON dit que Max WEBER définit le charisme
100 Grégoire CHAMAYOU, Les chasses a l'homme. Histoire
et philosophie du pouvoir cynégétique, Paris, La fabrique
éditions, 2010.
101 Grégoire CHAMAYOU, Les chasses a l'homme. Histoire
et philosophie du pouvoir cynégétique, Paris, La fabrique
éditions, 2010, p 34.
102 Grégoire CHAMAYOU, Ibid, p 34.
103 Grégoire CHAMAYOU, Op cit, p 35.
104 Raymond ARON, Les étapes de la pensée
sociologiques, Paris, Tel Gallimard, 1967
105 Raymond ARON, Op cit, p 530.
106 Max WEBER, l'éthique protestante ou l'esprit du
capitalisme, Paris, Gallimard, 1970, p 17
28
comme « une qualité de ce qui est (...) hors du
quotidien107». C'est donc croire en des choses ou en des
personnes qui prétendent avoir des pouvoirs de se transformer en
bêtes, d'avoir des dons de guérisons divines ou en la
présence d'une dette karmique. En fait c'est ce point qui est
intéressant pour notre analyse. En fait, notre social est
possédé par la présence de charisme qui se conceptualise
à travers les métaphores et les métonymies du Sida. Car en
fait, toutes les représentations sociales sont des imaginations, des
leurres, des charismes pour reprendre WEBER. Chaque acteur qui produit les
métaphores et les métonymies est possédé par le
charisme. Et c'est la foi en ceux qui détiennent le pouvoir du charisme
qui crée une nouvelle forme d'économie : une économie des
mots et du sens.
A l'instar d'une discussion, nous avons suivi une
conférence prononcée par Michel FOUCAULT108. Ce qui
est utile dans cette conférence c'est que l'auteur déclare qu'il
y a des lieux utopiques dans chaque société. Que ces lieux ou
espaces sont des contre espaces. Il les identifie comme étant les
asiles, les cimetières, les jardins, les maisons closes, les prisons. Il
précise aussi que ces lieux sont non plus seulement des contre espaces
mais aussi des horslieux. Et ce sont ces hors lieux qu'il nomme
hétérotopies. Il continu en affirmant que ces lieux sont des
lieux sacrés, privées ou interdits. Et si tels est le cas, nous
pensons de fait que les églises, les temples, les Mbandjas, les bars,
les marchés, les transport en commun sont des lieux
hétérotopiques. Il poursuit son propos en mentionnant que ces
lieux hétérotopiques ont la particularité d'être des
lieux de ce que l'on peut considérer comme déviant. En effet, ils
sont les lieux dans lesquels sont proférés des transgressions
envers la morale. Les scandales de pédophilies dans les églises,
les profanations de tombes dans les cimetières 109, les
sacrifices humains dans les confréries et les Mbandjas, les
marchés c'est les ventes de produits avariés ; pour les bars des
réseaux de prostitutions et d'incitation à la débauche
mineur ; pour les transports en commun des lieux de surcharge donc un lieu
d'infractions. Cette conférence nous permet de mieux comprendre la
notion d'espace hétérotopique et surtout de la production des
discours dans, généralement, ces lieux de la «
déviance ».
Il est arrivé que nous rencontrions Florence BERNAULT
dans un texte sur la Sirène au Gabon110. Dans ce texte un
passage a particulièrement retenu notre attention. Elle écrit que
« en tant que fétiche du pouvoir, la Sirène n'appartient pas
aux catégories classiques des études du religieux au Gabon et,
partant, échappe aux déterminations analytiques de ces
dernières. Ni culte anti-sorcier, ni initiative thérapeutique, ni
mouvement syncrétique, ni société initiatique ou
secrète, elle dévie de l'énorme corpus de solutions
spirituelles, du christianisme conventionnel aux mouvements syncrétiques
millénaires (Bwiti, églises du réveil), en passant par les
groupements associatif (Rose-croix, franc-maçonnerie, Ndjobi) ou la
reformulation des stratégies initiatiques inventées en Afrique
centrale pour répondre aux
107 Raymond ARON, Op cit, p 545.
108 Michel FOUCAULT, L'art de penser, Paris,
Conférences audio MP3, 1966.
109 Lire à ce sujet Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
L'or blanc : le marché occulte et illégal du corps humain
à Libreville, Libreville, UOB, Faculté des Lettres et des
Sciences Humaines, mémoire de DEA, octobre 2010.
110 Florence BERNAULT, « La chair et son secret :
transfiguration du fétiche et incertitude symbolique au SudGabon »,
Fin de règne au Gabon, Paris, Karthala, coll « Politique
africaine », N°115, octobre 2009.
défis de la domination coloniale de la modernité
(Mwiri, Njembè)111». Ce passage retient notre
attention car notre terrain nous prouve tout à fait le contraire de ce
que vient d'énoncer Florence BERNAULT. Il y a en effet une initiation
et des recours thérapeutiques qui mettent
au centre de cette idéologie la Sirène. Nous
parlons ici du Mbumba Iyanô. Le Mbumba Iyanôest une
société initiatique qui voue un culte à la déesse
de l'eau : la Sirène. Et cette soit
disante Sirène peut nuire à une personne et des
soins thérapeutiques peuvent intervenir. Dans le cas de notre recherche,
les enquêtés nous déclarent qu'elle peut méme donner
des symptômes du Sida. Et, bien entendu, elle peut venir en songe donner
les soins thérapeutiques appropriés pour soigner l'individu.
Ainsi, notre terrain vient présenter une société
initiatique peut-être méconnu du public scientifique
européen et, nous comprenons que cet auteur ait affirmé un tel
propos car la population enquêtée ne lui a pas
révéler la présence de cette initiation. Les
enquêtés nous font généralement aller dans le sens
dans lequel ils veulent que nous allions.
b) Position du débat chez les universitaires
gabonais
Nous commençons notre discussion avec Germain OWONO
ESSONO qui a commis un mémoire au département de sociologie qui
s'intitule « le sexe et la mort ou la dénégation politique
du sida au Gabon : pour une analyse de contenu des images de 1986 à
2005112». Il s'inscrit dans un champ théorique
althussérien qui met à jour le rôle des appareils
idéologiques d'Etat dans le procès économique et politique
dans le but du contrôle de la conscience collective. Son terrain
d'étude a été Libreville. La réflexion sur `'le
sexe et la mort ou la dénégation politique du Sida au Gabon :pour
une analyse de contenue et des images sur le Sida de 1986 à 2005»
menée par Germain OWONO ESSONO montre comment le discours de l'Etat a
progressivement changé. En effet, un le discours politique disait que le
gabonais était naturellement immunisé contre le VIH/SIDA. Il,
s'agissait de rassurer la conscience collective .Cependant, Cette pseudo-
« immunité naturelle » n'a fait qu'augmenter le taux de
séroprévalence considérablement, ramenant logiquement
l'Etat vers une réalité celle de l'existence de la maladie.
Immédiatement le discours a changé pour alerter l'opinion quant
au danger de contamination durant les rapports sexuels par le VIH/ SIDA. En
cela, les spots publicitaires et les tags sur les murs des écoles, des
hôpitaux, des ONG, pour ne citer que ceux-là, ont servi à
faire naître le mot prévention dans le comportement sexuel des
Librevillois. Ceci nous permet de comprendre, à partir de notre travail,
comment l'image et la peur du VIH/Sida servent l'Etat afin, comme une
propagande, de mieux vendre le préservatif. En outre il permet de
comprendre comment les représentations sociales du Sida peuvent aggraver
une épidémie. Les images, par les médias (presse
écrite ou
111 Florence BERNAULT, Op cit, p 101.
112 Germain OWONO ESSONO, Le sexe et la mort ou la
dénégation politique du Sida au Gabon : pour une analyse de
contenue et des images sur le Sida de 1986 à 2005,
Libreville, UOB, Département de sociologie, 2005.
30
télévisée, bande
dessinée113) servent à produire un rapport
illusion/allusion qui occulte la réalité du sida au Gabon. Il y a
une construction médicale du Sida qui permet de conscientiser les
individus.
Ce mémoire nous permet d'avancer sur la construction de
notre analyse. En fait, la dénégation politique ne nous
intéresse pas à proprement parlé. C'est plutôt la
qualité des données de terrain de ce mémoire qui vient
rejoindre notre analyse. En effet, les images ou les tags qui figurent ici et
là à travers la capitale nous illustre assez bien les
représentations sociales métaphoriques du Sida. Il y a une image
qui précise bien que « le sida ce n'est pas la sorcellerie ».
Si tant est le besoin de briser ce mythe, c'est pour cause d'idées
préconçues créée par les MHSB et la religion. Ceci
revient à dire que ces deux « organes " participent à
l'occultation biomédicale du Sida au Gabon. Toute cette occultation est
alors relayée par la politique dans des discours (pour le cas du
mémoire de germain OWONO ESSONO) qui consiste à faire croire que
le gabonais est « naturellement immunisé contre le Sida ". Nous
retenons de cette discussion avec notre auteur qu'il y a bien présence
d'images, de représentations, de métaphores sur le Sida au Gabon.
Et que les iconographies qui parcourent la ville sont des
révélateurs de la violence de l'imaginaire et du sens dans notre
société gabonaise.
Pour sa part, le travail de Perrin- Herman IKOUBANGOYE
intitulé Religion et maladie : le traitement pentecôtiste du Sida
à Libreville (Gabon)114 nous a aussi intéressé.
Il s'inscrit dans un cadre théorique du structuralisme
matérialiste, donc althussérienne, et son champ d'étude
est Libreville. Son hypothèse principale s'articule autour du fait que
les pasteurs pentecôtistes s'opposent à la conception scientifique
du Sida en pratiquant la guérison divine sur la base d'une double
opportunité : d'un côté, le pouvoir idéologique
propre à l'Appareil Idéologique d'Etat (AIE) qui a une emprise
sur les esprits des malades désemparés. De l'autre, les logiques
du marché capitaliste des soins et la précarité
matérielle qu'elles produisent et exacerbent.
Dans ce mémoire nous retrouvons le corolaire
d'expression qui représente la maladie du Sida dans le milieu religieux.
Notamment le terme très récurent de punition divine. Mais il y a
bien plus. En fait notre auteur démontre comment la religion construit
le terme de punition divine. Et en fait, ce qui a lieu de retenir c'est que les
pasteurs la construisent ainsi à des fins capitalistes. Leur
désir est de faire croire, d'allusionner et d'illusionner les
fidèles sur un prétendu pouvoir qu'ils ont de guérir le
Sida par le « tout puissant nom de Jésus-Christ ", ainsi que par la
puissance des portes-feuilles des fidèles. Or, ce Sida n'est pas une
punition divine mais bien une maladie biomédicale. Il
déconstruise le Sida biomédicale et le reconstruise en Sida
religieux, en Sida imaginaire. En suivant l'analyse de Perrin-Herman
IKOUBANGOYE, le Sida comme punition divine n'est qu'une supercherie
capitaliste. Le
113 Parmi ces bandes dessinées nous rappelons celle
parut dans les années 1990 intitulée « Yannick NDOMBI ou le
choix de vivre » publié par le PNLS et ayant le soutien de l'OMS,
ou encore Le livret d'information publié en 2006 par le même
PNLS.
114 Perrin- Herman IKOUBANGOYE, Religion et maladie : le
traitement pentecôtiste du Sida à Libreville (Gabon),
Libreville, UOB, Département de sociologie, 2007.
capitaliste se sert des imaginaires, des
représentations sociales pour se faire du profit. Nous avons à
cet effet une brèche qui peut servir à notre analyse. Notamment,
le fait que le capitalisme soit une des raisons qui justifie la présence
de la forte utilisation de métaphores et de métonymies pour
décrire la maladie du Sida. La maladie et plus particulièrement
la maladie du Sida est comme un gâteau. Chaque composante de la
société veut sa part. Pour ce faire, les MHSB ou la religion se
servent de la violence du sens et de la violence de l'imaginaire pour pervertir
les idées biomédicales d'une maladie à des fins
capitaliste.
Notre discussion se poursuit avec Max Alexandre NGOUA
115 . Ce mémoire à la particularité d'avoir
pour champ d'étude Bitam et de suivre le cadre méthodologique du
matérialisme historique. Il s'intéresse à la pratique de
la sorcellerie du Kôhng dans une ville frontalière du Cameroun et
de la Guinée-Equatoriale. Le propre de cette pratique est de capturer
las âmes d'individus par le moyen de la sorcellerie. C'est
généralement au moyen d'une boîte en argent ou en or dans
laquelle sont disposée des miroirs. Pour lui, « les
commerçants et les politiciens recouvrent tous au Kong, les uns pour
enrichissement rapide, les autres pour conquérir ou conserver le
pouvoir116». Mais ce qui nous intéresse c'est le moyen
par lequel l'auteur décrit comment on inocule le Sida mystiquement
à un individu. Max Alexandre NGOUA dit que les « détenteurs
de ce type de sorcellerie peuvent mystiquement prendre le sang d'un
séropositif pour l'inoculer à un homme sain, dans le dessein de
nuire à ce dernier117». Ce qui revient à dire que
le Sida est une maladie que l'on peut envoyer par le Kôhng d'oü la
présence des métaphores sur le Kôhng au sujet du Sida.
c) Position du débat chez les africanistes
Le point de vue introductif que nous proposent Florence
BERNAULT et Joseph TONDA dans la revue politique africaine118 peut
servir aussi de point inaugural à la discussion du débat avec les
africanistes dans ce texte. En effet, l'introduction au thème du «
pouvoirs sorciers » permet de donner un aperçu du débat.
Pour les deux auteurs, « la sorcellerie est affaire de pouvoir, mais un
pouvoir déstructuré, en constant changement, accaparé ou
rêvé, ici et là, par toute gamme des acteurs
sociaux119». Lorsque nous regardons les données
d'enquête, nous remarquons que de nombreuses expressions ou de nombreux
mots sont reliés, plus moins, au thème de la sorcellerie. Pour
eux la sorcellerie, « c'est aujourd'hui un langage fluctuant autant qu'un
nombre de techniques sans cesse changeantes, offertes à tout venant.
Mais ce langage, ces pratiques obéissent sans doute à une
préoccupation centrale : ordonner
115 Max Alexandre NGOUA, La sorcellerie du Kong à
Bitam : une manifestation symbolique de l'économie capitaliste,
Mémoire de maîtrise de sociologie, Libreville, Faculté
des lettres et des sciences humaines, Département de sociologie,
septembre. 2004.
116 Max Alexandre NGOUA, Op cit, p 25.
117 Max Alexandre NGOUA, Op cit, p 91.
118 Florence BERNAULT et Joseph TONDA, « Dynamiques de
l'invisible en Afrique », Pouvoirs sorciers, Paris, Karthala,
coll « Politique africaine », n° 79 octobre 2000.
119 Florence BERNAULT et Joseph TONDA, Op cit, p 7.
32
34
les rapports de forces dans le concret ou dans
l'imaginaire120». La sorcellerie semble être un
système d'ordre sociétal des conflits visibles ou invisibles. Les
expressions, les métaphores et les métonymies qui
représentent alors le Sida sont des miroirs sur lesquels ce mirent les
rapports de forces réels ou irréels. Mais le plus pertinent est
à venir. En effet, les auteurs pensent que, « parce que les
ébranlements, les déchirures, les décompositions et les
instabilités de la sphère domestique de la parenté, comme
ceux du domaine de l'économie et de la sphère publique de l'Etat,
sont de plus en plus catastrophiques, les écarts, les vides et les
béances qu'ils produisent dans le systèmes des positions de force
constituent autant d'espaces oü peut s'investir et se démultiplier
violemment la puissance implosive de la sorcellerie [ de l'imaginaire et du
sens]121». Donc, les métaphores et les métonymies
du Sida justifient leur présence par un vide de politique
étatique sanitaire. C'est parce que le secteur de la santé est
« handicapé » au Gabon, que les représentations
sociales s'imposent comme suppléant d'une biomédecine absente ou
réservée à une ville, elle-même en conflit avec la
modernité. Lorsque nous disons en conflit avec la modernité, nous
entendons un lieu où les fantômes hantent les bureaux de
médecins, de cadres, d'enseignants d'université. Une ville
traversée de part en part par la puissance du stade métaphysique
Comtien. Encore que « la modernité, au nord et au sud, est fort peu
synonyme de désenchantement du monde122». A tout le
moins nous devons retenir que les métaphores et les métonymies du
Sida ont un lien avéré avec la sorcellerie et que dans notre
analyse nous devons en tenir compte.
Il nous faut tout aussi tenir compte de l'analyse que nous
propose MOUKALA NDOUMOU dans la revue Palabres actuelles123.
Pour lui, « l'une des caractéristiques générales
des modèles étiologiques dans la société dites
traditionnelles est la fréquence des interprétations
persécutrices dont la sorcellerie est
l'archétype124». Ce qui justifie, une fois encore, la
présence dans le langage gabonais du Mbumba, du Kôhng, du fusil
nocturne comme origine du Sida. Car dans le cas des MHSB, « le nganga fait
ainsi de toute infortune une pathologie relationnelle, le plus souvent
liée à des tensions lignagères. Le patient, dans cette
optique, est souvent habité par ces représentations et
explications subjectives de la maladie 125 ». La maladie, et
plus particulièrement la maladie du Sida, est une forme d'infortune qui
doit trouver ses causes dans la réussite d'un parent, dans la jalousie
d'un parent. « La maladie est donc toujours liée à l'action
d'un sorcier jaloux dont les agissements sont dévoilés à
tout moment126». Ceci permet de comprendre les
différentes figures de styles utilisées pour décrire la
maladie quelle qu'elle soit. En fait, « le corps se présente comme
un théâtre de forces et d'enjeux opposés, voire
contradictoires, auxquels on doit livrer bataille. On peut comprendre que la
maladie, ainsi envisagée, devient rapidement la métaphore d'un
conflit et que le processus thérapeutique consistera à repousser
l'« ennemi » envahisseur au-
120 Florence BERNAULT et Joseph TONDA, « Dynamiques de
l'invisible en Afrique », Op cit, p 7.
121 Florence BERNAULT et Joseph TONDA, Op cit, p 8.
122 Florence BERNAULT et Joseph TONDA, Op cit, p 5.
123 MOUKALA NDOUMOU, « Pathologies, superstitions et
santé publique au Gabon », Palabres actuelles, Libreville,
Editions Raponda-Walker, n° 2- Vol. A. 2008.
124 MOUKALA NDOUMOU, Op cit, p 131.
125 MOUKALA NDOUMOU, Op cit, p 128.
126 MOUKALA NDOUMOU, Op cit, p 132.
delà des frontières
corporelles127». Ce qui soulève le point de vue des
métaphores comme des métaphores de guerre, de la maladie comme
lieu de conflits, lieu de chasse.
Au sujet de la chasse, nous énoncions plus
haut128, Joseph TONDA129 nous propose une analyse de son
rapport avec la métaphore sur le Mbumba, les sirènes, les hommes
politiques qui se transforment en bête féroce. Il commence le
débat sur des généralités que Grégoire
CHAMAYOU présentent notamment sur le pouvoir pastoral. Mais nous
apprécions particulièrement la contextualisation, ou l'analogie
faite part TONDA sur le pouvoir pastoral et le pouvoir du nganga. Le nganga
différemment du pasteur est un chasseur. Il chasse les sorciers, les
mauvais esprits. Mais ce qui nous intéresse dans la lecture de la chasse
dans la société des MHSB par Joseph TONDA, c'est l'utilisation
des métaphores du Mbumba (serpent), des sirènes et des
bêtes féroces. En fait pour lui, le pouvoir sort de la
forêt. Les représentations sociales gravitent
généralement autour de la forêt, de la chasse. Quand on est
malade c'est généralement un serpent mystique (Mbumba), une
sirène (Mbumba Iyanô) détenu par un individu, qui nous
attaque. C'est toujours une bête féroce de la forêt qui nous
attaque et seul le nganga (ou le pasteur) a le pouvoir de le chasser. A cet
effet, les métaphores ou les métonymies de la maladie du Sida,
-car selon lui- c'est les métonymies qui représentent mieux le
phénomène de la chasse, sont utilisées pour manifester un
pouvoir de chasse qui sort des villages ; un pouvoir qui lutte contre les
esprits de la forêt et dont le détenteur est le nganga, le
pasteur. Ce qui justifie le fait que le Sida soit un Mbumba ou toutes
expressions utilisées dans les MHSB et dans les églises. Car la
maladie est une maladie donnée par un homme qui possède les
bêtes féroces de la forêt, par un prédateur qui
chasse par la maladie les individus, les proies de sa famille. Toutes les
métonymies et métaphores du Sida tournent autour de cette
problématique de la chasse, de la guerre.
Mais nous pensons que Le Souverain moderne de Joseph
TONDA130 mérite que nous nous y intéressions afin de
lire cette problématique des métonymies et des métaphores
de la maladie. Les premières lignes introductives du Souverain moderne
semblent à elles seules vouloir résumer tout ce dont nous parlons
dans ce mémoire. Il écrit qu' «une puissance
hégémonique unique instruit et administre le rapport aux corps,
aux choses et au pouvoir en Afrique centrale : le Souverain moderne. Elle est
constituée à la fois par les fantasmes et les
réalités, les esprits et les choses, les imaginaires et les
matérialités constitutifs des puissances contemporaines en
interaction du capitalisme, de l'Etat, du christianisme, du corps, de la
science, de la technique, du livre et de la sorcellerie. Son principe est la
violence de l'imaginaire, violence du fétichisme. Cette violence qui
s'exerce sur les corps et les imaginations au moyen d'images (icônes,
symboles, indices), de gestes corporels, de mots, doit son efficience aux
consentements révoltés et aux connivences paradoxales de ces
corps et
127 Ernest Fabert MENSAH NGOMA, « Les images de
l'évènement maladie », Palabres actuelles,
Libreville, Editions Raponda-Walker, n° 2- Vol. A. 2008, p 232.
128 Plus précisément à la page 24.
129 Joseph TONDA, Le pouvoir et le lieu,
Conférence a L'université Omar Bongo de Libreville le 4 mai 2011,
Libreville, UOB, faculté des lettres et sciences humaines,
Département de littérature africaine, 2011.
130 Joseph TONDA, Le Souverain moderne, Paris, Karthala,
2005.
imaginations131». Ce qui sous-entend que les
représentations sociales en Afrique centrale, tel qu'au Gabon, sont
gouvernées par la violence de l'imaginaire. Or, les métaphores et
les métonymies sont des représentations ce qui signifie qu'elles
sont elles aussi gouvernés par cette violence de l'imaginaire. Mais il
faut interroger le rapport social. Ce rapport s'établit entre la
métaphore et la métonymie par le fait qu'il y ait une des deux
(notamment la métonymie) qui permet de rendre réel
l'irréel. Et ceci se fait par la puissance du consentement que nous
appelons la violence du sens. Nous entendons par violence du sens, la
coercition que le sens des expressions, des mots et des images exercent sur les
individus par laquelle ils arrivent à créer une fabulation du
sociale. D'aucuns penseront que c'est la méme chose que la violence de
l'imaginaire. Mais en fait il y a une différence. L'on peut dire que la
violence de l'imaginaire c'est la fin du processus de la fabulation du sociale.
C'est l'outil qui permet de transformer, de façonner, de construire un
social. C'est en quelque sorte la main qui modèle. Or, la violence du
sens c'est l'origine, l'amont qui donne vie à l'imaginaire. On peut
penser à tout mais si ce à quoi on pense n'a aucun sens, les
images que nous concevons restent inertes, froides, sans pouvoir. C'est
l'explication que l'on va donner, ce que nous appelons, nous, violence du sens,
qui va activer la violence de l'imaginaire. Le sens est une forme d'accord, une
forme de connivence et de consentement. C'est une convention qui
légitime les actions et les moyens. La violence du sens est le
départ de l'imaginaire. C'est parce qu'on s'accorde sur des choses pour
se représenter certaines situations, et surtout de leur
définition (donc de leur sens), qu'on aura une puissance qui sera
investi pour les faires s`imposer et agir sur le social en l'occurrence la
violence de l'imaginaire.
Donc cette discussion nous aide en deux points. Le premier
c'est qu'il nous permet de comprendre l'origine des métaphores et des
métonymies. Entre autre que l'Etat à travers le Souverain moderne
commandite ou plutôt reste impassible face à des images et
représentations qui vont faire en sorte que le social soit
mystifié et possédé par des esprits fantasmagoriques. Ces
images ont pour fonction première d'élever le Souverain chasseur
et prédateur au-dessus des masses populaires car étant le plus
puissant des prédateurs. Le second point, nous permet de mieux
édifier ce que nous entendons par la notion de violence du sens. Entre
autre, une force ou une puissance qui possède les expressions, les mots
en les exacerbant et qui travaille sur le regard et l'ouïe de l'individu
en lui faisant voire, entendre des choses d'un monde extérieur
imaginaire et inexistant. En fait l'individu qui utilise ou qui est
possédé par les représentations sociales de l'imaginaire
et la violence du sens, est en fait un individu portant des lunettes de soleil
en pleine nuit et qui porte des écouteurs qui diffusent un programme de
conditionnement en boucle. Il écoute ce qu'il veut et/ou doit
écouter, entend ce qu'il veut et/ou doit entendre, et voit ce qu'il veut
et/ou doit voir. En bref, il vit ailleurs.
131 Joseph TONDA, Le Souverain moderne, Op cit , p 7.
d) Position du débat chez les
littéraires
Toujours en rapport avec la maladie du Sida nous avons lu le
roman de Chantal Magalie MBAZOO KASSA intitulé « Sidonie
»132. Dans ce roman, l'auteur relate comment un jeune
fonctionnaire contracte la maladie du Sida avec une jeune serveuse d'un bar
nommée Sidonie. Sidonie est un personnage mais aussi la personnalisation
et la personnification du Sida réalisée par MBAZOO KASSA. On
trouve décrit toutes les vicissitudes aux quelles sont liées les
membres de la famille ; notamment, la contamination de sa femme, abandon des
parents, discrimination, mort du fonctionnaire...Tout ceci constitue les faits
sociaux vécus au quotidien par les Librevillois. Mais bien plus encore.
Ce qui attire notre attention c'est le fait que le prénom Sidonie, qui
est une représentation métonymique et personnifiée de la
maladie du Sida, soit pris comme titre d'une oeuvre. Nous lisons en cela la
puissance des représentations sociales et cela intervient comme une
preuve pour indiquer que ces représentations métaphoriques et
métonymiques du Sida existent et parcourent le social.
Les bandes dessinées ont aussi
représentés les différentes métaphores ou
métonymies du VIH/SIDA. En effet, le dessinateur EMUNGANIA OMADJELA
alias FARGAS, médecin, a publié dans les années 90 et en
2010 les aventures de Yannick DOMBI. Dans le premier épisode
intitulé « Yannick DOMBI ou le choix de vivre »133,
l'auteur présente comment le VIH/SIDA est conçu dans les
conceptions gabonaises. Il montre comment le Sida fait des ravages dans les
années 90 à cause de l'ignorance des modes de contamination et de
la puissance des expressions. En 2010, FARGAS récidive avec un
deuxième épisode de Yannick DOMBI intitulé « terreur
à Lambaréné »134. Ce qui est
présenté c'est les nouvelles formes de représentations du
Sida. Entre autre, pour guérir du Sida il faut dépuceler une
vierge, ou encore faire des prières de guérison mais encore
consommer du bois sacré avec de l'urine pour guérir du Sida. Ceci
montre que « toutes sortes de moyens furent mises au service de cette
« propagande » (...) : affiches, bien sûr ; tracts et brochures
; campagnes de presse ; cartes postales ; expositions itinérantes ou
muséales, mêlant artefacts, images et textes ; cinéma et,
plus près de nous, radio télévisions135».
Nous retenons de ces ouvrages que les paysages des représentations
sociales qu'offre le roman et les bandes dessinées sont gabonais. Quant
à la pandémie du Sida, elle est focalisée sur la maladie
et ses différentes représentations. Elles stigmatisent la
conscience collective afin de prendre conscience de la maladie. Elles
présentent les représentations sociales du Sida. Nous pensons que
ces bandes dessinées sont utiles dans le débat. Par le fait
d'illustration des scènes quotidiennes où les gens revendiquent
leur possession par l'imaginaire à travers métaphores,
métonymies et personnifications du Sida. Nous revoyons le social
caricaturé dans les bandes dessinées. Nous voyons les
réalités des scènes et rien n'est exagéré
dans ces bandes dessinées. C'est des transcriptions réelles des
représentations sociales du Sida et en faire fi, c'est laissé
passer l'occasion d'ouvrir la boîte de « Pandore ».
132 Chantal Magalie MBAZOO KASSA, Sidonie, Paris, Alpha
oméga, 2001.
133 FARGAS, Yannick NDOMBI, ou le choix de vivre, Libreville,
PNLS, 1991.
134 FARGAS, Yannick DOMBI, terreur à
Lambaréné, Libreville, PNLS, 2010.
135 Luc BERLIVET, « Une biopolitique de l'éducation
pour la santé » in Le gouvernement des corps, Paris,
Editions EHESS, coll « Cas de figure », 2004,P 38.
36
Nous nous sommes aussi laissé séduire par le
roman d'Albert CAMUS136. Dans ce roman il décrit comment la
peste est vécue par les populations. Si nous l'avons parcouru c'est
parce que le titre de la peste semble évocateur car étant aussi
l'une des métaphores pour décrire le Sida. Ce qui est
intéressant c'est que la peste est vécue comme une attaque, une
guerre. Nous retrouvons encore dans la problématique de la chasse, des
métaphores militaires. Cette chronique a le mérite de nous
transcrire la décontenance d'une épidémie et toutes les
représentations qui s'ajustent au moment « T » de la maladie.
Mais encore, nous avons l'expression de la transition entre le postcolonialisme
et le postmodernisme. Pendant que le Docteur Rieux est dans une lutte qui
implique la responsabilité de Soi et ensuite des autres, le Père
Paneloux regarde dans un sens différent. En effet, pour le père
Paneloux c'est l'autre, le Stupéfiant qui puni les hommes pour leur
mécréance. Nous avons donc cette articulation entre
postcolonialisme (Les autres comme origine du malheur ou de la maladie) et
postmodernisme (la maladie est la responsabilité de l'individu).
D'ailleurs LAPLANTINE, nous propose une analyse de ce que nous venons de
décrire. Pour lui, « La Peste de Camus, et plus
particulièrement l'affrontement célèbre mettant aux prises
le Dr Rieux et le Père Paneloux, illustre parfaitement cette double
série de représentations. Alors que pour le premier la maladie
est un scandale contre lequel il faut lutter jusqu'au bout, méme si l'on
sait que l'on est vaincu d'avance, pour le second, la peste qui ravage la ville
d'Oran est un juste châtiment envoyé par Dieu pour demander aux
hommes de se repentir137.»
2. Explicitation du problème de recherche
A ce stade de la recherche, la recension des travaux des
prédécesseurs sont utiles car ils permettent de cumuler les
différents points aveugles que nous propose les oeuvres des autres
auteurs. Seulement, notre point aveugle est en fait une synthèse, sinon
l'explicitation du résumé de l'agrégat des observations et
contextualisations des points aveugles des autres auteurs appliquées
à nos données de terrain.
Ce que les données empiriques nous proposent, c'est la
présence de différentes expressions qui sont des
représentations sociales de la maladie du Sida. Nous constatons que ces
représentations utilisent des figures de styles littéraires en
l'occurrence les métaphores et les métonymies.
A travers Pierre MANNONI, nous sommes arrivé à
dire que la maladie est toujours une malchance qui est lancée par
l'autre. En fait, les représentations sociales pensent la maladie du
Sida comme une attaque ou un missile. Avec Pierre BOURDIEU, nous nous rendons
compte que ces représentations sociales sont une forme de marché
linguistique. Nous sommes dans un marché symbolique et un marché
de l'imaginaire. Par marché symbolique nous entendons le lieu ou
s'échange les différentes formes de représentations. Le
marché de
136 Albert CAMUS, La peste, Paris, Gallimard, coll
« Folio », 1947.
137François LAPLANTINE, Anthropologie de la
maladie, Paris, Editions Payot, 1992, p 365.
l'imaginaire est le lieu oü ce qui est irréel
devient réel, ou l'allusion et l'illusion se confondent et donne
naissance à des fantasmes et des fantômes. Or, la
particularité des métonymies c'est qu'elles participent à
rendre indiscernable le réel de l'irréel. Avec Susan SONTAG nous
retenons que les représentations sociales de la maladie sont
profondément axées sur le combat. Au Gabon soigner la maladie
c'est extraire, lutter, combattre le sorcier qui a envoyé la maladie. En
ce sens nous sommes dans une société de guerre, de chasse. Ceci
justifie l'utilisation des métaphores et les métonymies de
guerre. Ceci a conduit à ce qu'avec CHAMAYOU nous regardons les
producteurs de ces représentations et que nous remarquons que les
pasteurs et les ngangas ( Selon Joseph TONDA) sont des chasseurs. Nous ne
pouvons que retenir avec Michel FOUCAULT que les lieux de production des
métaphores sont des espaces hétérotopiques ; des lieus
sacré, privés ou interdit qui eux-mêmes sont des lieux de
transgression, de déviance. Nous retenons aussi, que nous sommes dans
une forme de chasse quand nous regardons les métaphores religieuses et
les métaphores de la MHSB. Une sorte de guerre que les pasteurs et
ngangas livrent à une maladie qui est la maladie du Sida dans le seul
but de conquérir des « âmes ».
Nous inaugurons dans cette recherche la notion de violence du
sens. Lorsque nous lisons Germain OWONO ESSONO nous rendons compte que les
images, les représentations sociales du Sida sont producteurs de sens.
Un sens imaginaire. Nous retenons de cette discussion avec notre auteur qu'il y
a bien présence d'images, de représentations, de
métaphores sur le Sida au Gabon. Et que les iconographies qui parcourent
la ville sont des révélateurs de la violence de l'imaginaire et
du sens dans notre société gabonaise. Ce que Perrin Herman
IKOUBANGOYE , à son tour, pense c'est que l'idée du Sida comme
punition divine n'est qu'une supercherie capitaliste. En fait, le capitalisme
se sert des imaginaires, des représentations sociales du Sida pour se
faire des profits. Pour ce faire, les MHSB ou la religion se servent de la
violence du sens et de la violence de l'imaginaire pour pervertir les
idées biomédicales d'une maladie à des fins
capitaliste.
Les africanistes tels Florence BERNAULT et Joseph TONDA nous
permettent de nous rendre compte que les représentations de la maladie
du Sida, donc les métaphores et les métonymies du Sida, sont
intrinsèquement liées à la notion de sorcellerie. En
effet, nos données de terrain nous édifient sur ce fait. A tout
le moins nous devons retenir que les métaphores et les métonymies
du Sida ont un lien avéré avec la sorcellerie. C'est au sujet de
cette sorcellerie que MOUKALA NDOUMOU et Joseph TONDA ont parlé de
guerre, de lutte, de chasse dans les représentations sociales de la
maladie. Ce qui justifie le fait que le Sida soit un Mbumba ou toutes
expressions utilisées dans les MHSB et dans les églises. Car la
maladie est une maladie donnée par un homme qui possède les
bêtes féroces de la forêt, par un prédateur qui
chasse par la maladie les individus, les proies de sa famille. Toutes les
métonymies et métaphores du Sida tournent autour de cette
problématique de la chasse, de la guerre. Ce qui sous-entend que les
représentations sociales de la maladie (et même les
représentations de la maladie) en Afrique centrale, tel qu'au Gabon,
sont gouvernées par la violence de l'imaginaire selon TONDA.
38
Si nous proposons ce récapitulatif des idées
énoncées plus haut c'est pour permettre au débat de suivre
une connexion logique. Car tous ce que l'on énonce doit faire suite
à « une possession momentané par les esprits ». On
pense à travers les auteurs et pas en dehors.
Notre terrain nous permet de constater que la maladie et le
Sida sont représentés par des expressions ou des mots. C'est mots
ou expressions ont la particularité d'être des figures de styles
littéraires, en autre métaphores et métonymies. Ces
figures de styles ne sont en fait que des représentations sociales qui
sont produites dans des lieux ou espaces hétérotopiques. La
maladie dans les sociétés de MHSB et religieuses est un fait
social qui, en fait, donne à ce que chacun puisse l'interpréter
à son gré. La maladie devient un diable, une attaque en
sorcellerie, l'oeuvre de Dieu etc. Et il faut chercher à comprendre la
présence de l'utilisation de toutes ses figures de styles. Car si les
sociétés capitalistes africaines ont tendances à
l'oublier, le Sida existe parce que la biomédecine lui a donné un
nom. L'utilisation des métaphores et des métonymies de guerres,
de chasse, de lutte ; la violence de l'imaginaire et du sens qui conditionnent
et structurent le marché linguistique de la maladie du Sida soldent, en
fin de compte, les métaphores du Sida d'une portée capitaliste.
En fait les métaphores et les métonymies de la maladie du Sida ne
sont qu'une forme accomplie de l'exploitation du social pour créer des
revenus. C'est l'inventaire du procès du capitalisme dans le
marché linguistique de la maladie du Sida qui est notre problème
de recherche, mais aussi la lutte de l'Etat contre les imaginaires de la
maladie du Sida. L'envoutement, la possession, la subjugation par le
capitalisme des mots et des expressions qui représentent la maladie du
Sida est la préoccupation de cette recherche.
3- Cadre théorique
Si nous nous accordons à dire avec Charles Wright MILLS
que, « dans notre monde faire de la sociologie c'est faire la politique de
la vérité138» sur le marché linguistique
de la maladie du Sida, cette politique de la vérité doit se faire
dans les règles de la méthode sociologique à savoir,
inscrire ce projet dans l'espace d'une grille de lecture théorique.
Cette recherche suit un type de raisonnement qualifié
d'hypothético-déductif. En ce sens qu'à travers les
données d'enquête nous avons pu déceler des théories
qui existent. Mais le fait que notre objet d'étude se trouve à la
frontière de la sociologie de l'imaginaire, de la sociologie de la
religion et de la sociologie de la santé, de la maladie et de la
médecine, donc une sociologie imaginative, conduit à ce que notre
cadre théorique puisse regarder dans plusieurs direction. Il est certes
vrai que cela ne suffit pas à justifier l'utilisation de
différents cadres théoriques. Mais nous avons opté pour
lire notre objet d'étude de choisir le constructivisme de Pierre
BOURDIEU, le point de vue de la sociologie compréhensive de Max WEBER et
la sociologie des hétérotopies de Michel FOUCAULT. Mais à
y regarder de
138 Charles Wright MILLS, L'imagination sociologique,
Paris , Hatier, 1979, p 36.
plus près, la sociologie imaginative de Jean et John
COMAROFF correspond mieux à réunir toutes ces théories. Ce
choix fait suite à ce que nous propose nos données de terrain
à savoir un marché linguistique de la maladie du Sida (BOURDIEU),
la chasse aux âmes (aux clients et au charisme) des pasteurs, ngangas,
rosicruciens qui produisent des mots et expressions qui donnent naissance
à ce marché linguistique produit dans les espaces
hétérotopiques (FOUCAULT).
4- Enonciation de l'hypothèse
Avant de présenter notre hypothèse, il semble
important de dire de quoi elle résulte. En effet, cette hypothèse
que nous proposons, fait suite à la question de savoir pourquoi
existe-t-il autant de métaphores de la maladie du Sida dans les espaces
hétérotopiques du Gabon ? L'hypothèse est qu'elles
existent car elles sont le produit de lieux hétérotopiques qui
structurent un marché linguistique de la maladie du Sida, et, dont la
notion du charisme, entre autre, exploite la production. Mais surtout, les
métaphores postcoloniales sont une forme de réinvention d'un
monde « indigène ». Un monde qui cherche et recherche une
identité tout en niant et déniant les acquis biomédicaux
qui sont perçus, par extension, comme une idéologie coloniale
qu'il faut faire disparaître.
5- Définition du concept d'espaces
hétérotopiques et de métaphores du Sida
Les métaphores sont avant tout des figures de styles
littéraires. Mais ce que nous nous entendons par métaphores du
Sida des modes d'expressions qui sont des productrices de sens des imaginaires
de la maladie du Sida au Gabon. Elles sont produites dans des espaces
hétérotopiques qui sont généralement des lieux de
transgressions, des espaces d'utopies et de déviances.
Construction du concept d'espaces
hétérotopiques et de métaphores du Sida
CONCEPT
|
DIMENSIONS / ESPACES
|
INDICATEURS
|
|
Médecine
traditionnelle indigène Mbandjas
|
-Mbumba
-Mwiri
-Mbumba Iyanô -Fusil nocturne -Kôhng
|
Métaphores postcoloniales et
hétérotopies
|
Populaire Bars, marchés, transports
en communs
|
-Maladie du siècle
- Sidonie
-Grande maladie
-Les quatre lettres
-Syndrome inventé pour
décourager les amoureux -Mbolou
|
Religieuse Eglises, Temples de confréries
initiatiques modernes
|
-Punition divine -Karma
|
Musicale Bars, scènes
|
-Maladie du sang -Maladie du sexe -Maladie d'amour -Maladie du
siècle
|
6- Explicitation de la relation entre problème
posé et hypothèse formulées
Lorsque nous parlons de relation cela suppose un rapport, un
rapport social dans le cas présent. « Le rapport social constitue
une logique d'organisation qui fait systèmes à travers l'ensemble
des champs (...). En ce sens, le concept de rapport social diffère
largement de la notion de relations sociales, car c'est un construit
théorique qui a donc un certain degré d'abstraction et de
généralité et qui met en évidence les grandes
lignes de force que sont les logiques des rapports sociaux qui régissent
la société139». Le problème de recherche
de notre étude est l'inventaire des métaphores du Sida dans le
marché linguistique des hétérotopies. Ce qui est une forme
de procès du capitalisme des mots de l'imaginaire. L'envoutement, la
possession, la subjugation par le capitalisme des mots et des expressions qui
représentent la maladie du Sida est la préoccupation de cette
recherche. Il y a des espaces hétérotopiques qui produisent ces
métaphores et ce rapport crée une économie
diligenté par la puissance de l'imaginaire. En fait, c'est le trop plein
de représentations sociales (ou le trop de peu d'objectivité
biomédicale) encrées dans les imaginaires qui est le
problème de cette recherche. Elle peut toutefois se représenter
aussi sous la question de savoir pourquoi existet-il autant de
métaphores de la maladie du Sida ? A cette question nous proposons
139 Danièle COMBES, Anne-Marie Daune-Richard et Anne-Marie
DEVREUX, « Mais a quoi sert l'épistémologie des rapports
sociaux de sexe ? », in Marie-Claude Hurtio, Michèle Kail
et Hélène Rouch (éds), Sexe et genre, De la
hiérarchie entre les sexes, Paris, Editions du CNRS, 1991, p 63
cité par Joseph TONDA, Le Souverain moderne, Paris, Karthala,
2005, p 11.
41
l'hypothèse selon laquelle les métaphores de la
maladie du Sida existent car elles sont le produit des échanges des
lieux hétérotopiques qui structurent un marché
linguistique de la maladie du Sida, et, dont la notion du charisme, entre
autre, exploite la production.
SECTION 3 : DEMARCHE METHODOLOGIQUE
1- Délimitation de l'univers d'enqurte
Il est maladroit de vouloir rédiger ce travail sans
présenter notre univers d'enquête et le type de population
étudiée. « Car il ne suffit pas de savoir de quels types de
données devront être rassemblées. Il faut encore
circonscrire les champs d'analyses empiriques dans l'espace géographique
et social, et dans le temps 140 ». En effet, cette partie des
préalables épistémologiques est cumulative aux travaux de
licence et de master I. Mais la particularité de cette étude est
que nous avons pris pour univers d'enquête la banlieue Est de Libreville
dans laquelle se situe de nombreux temple de Bwity ou traditionnel, mais aussi
car nous y avons le temple de confrérie initiatique moderne de l'AMORC.
Nous avons élaboré un échantillon représentatif qui
s'explique pour deux raisons :
o La population était très importante et il
fallait récolter beaucoup de données pour chaque individu
o Il était important de recueillir une image
globalement conforme à celle qui sera obtenue en questionnant l'ensemble
de la population
Donc, le choix de notre échantillon s'est fait par le
biais d'un choix raisonné encore appelé sondage empirique. En ce
sens que « lorsqu'un échantillon est identique à la
population dans laquelle il est prélevé, en ce qui concerne la
distribution des variables bien choisies, il est également peu
différent de la population en ce qui concerne la distribution des
variables non contrôlées141». Ainsi, nous avons
entretenu 29 personnes.
140 Raymond QUIVY et Luc Van CAMPENHOUDT, Manuel de recherche
en sciences sociales, Paris , Dunod, 1995, p 198.
141 Madeleine GRAWITZ, Méthodes des sciences
sociales, Paris, Dalloz, 2001, p 535
Tableau n°2 : Présentation de la
population enquêtée
Population enquêtée
|
Hommes
|
Femmes
|
Total
|
Bwitistes ou traditionnalistes
|
8
|
2
|
10
|
Rosicruciens
|
3
|
2
|
5
|
Pasteurs
|
4
|
2
|
6
|
Commerçants, gens ordinaires et musicien
|
5
|
3
|
8
|
Total
|
20
|
9
|
29
|
Diagramme n°1 : Population
enquêtée
Population enquêtée
Bwitistes ou traditionnalistes Rosucruciens
Pasteurs
Commerçants et gens ordinaires
2- Technique de collecte des données, choix de la
technique dominante
Nous avons choisi comme technique de collecte pour recueillir
les données empiriques l'entretien. Ce choix de cette technique s'est
faite car généralement, les enquêtés ne
m'accordaient quelques minutes et certains ne savaient ni lire ni
écrire. C'était donc des entretiens de types semi-directifs que
nous avons effectué. Dans l'optique de cerner les points
43
essentiels à la recherche. Il nous est arrivé de
nous mettre au service de quelques travaux pour obtenir des informations. Nous
avons choisi et invité dans des bars un parent très bavard qui
est passionné des débats populaires. Il a l'art de titiller les
autres personnes du bar pour les faire participer au débat. Pour notre
part, nous nous contentions d'introduire le sujet de manière triviale.
Nous avons quelques fois au marché, au moment des
déballages142 des sous- vêtements féminins,
lancé des débats au sujet du Sida qui créaient souvent une
curieuse passion dans les réactions. Aussi, nous prenons
régulièrement les transports en communs notamment SOGATRA pour
être à l'écoute des débats et des opinions des
gens.
A l'instar de CAMUS qui énonce que « Questions :
comment faire pour ne pas perdre son temps ? Réponse : l'éprouver
dans toute sa longueur. Moyens : passer des journées dans l'antichambre
d'un dentiste, sur une chaise inconfortable ; vivre à son balcon le
dimanche après-midi ; écouter des conférences dans une
langue qu'on ne comprend pas, choisir les itinéraires des chemins de fer
les plus longs et les moins commodes et voyager debout naturellement ; faire la
queue au guichet des spectacles et ne pas prendre sa place,
etc143», nous avons passer du temps dans les salons de coiffure
homme, dans les commérages des cours communes, les queues pour les
tickets d'unité de courant, les salles d'attentes des services de
l'hôpital général de Libreville, les cultes les dimanches
dans les église de réveil, les veillées de bwity, les
débats dans les bars, les bus et le marché. Tout ceci dans le but
de dresser un constat.
3- Résultats préliminaires de la
pré-enquête
o Réponses des entretiens
Les entretiens que nous avons faits nous ont permis de
recueillir des données empiriques avec une population souvent
illettrée. Nous avons interrogé les bwitistes et certains
traditionnalistes, des rosicruciens et des pasteurs. Il ressort que sur les 10
bwitistes et traditionnalistes interrogés la forte présence de
métaphore du Sida fait suite à des croyances en des génies
ou des forces surnaturelles. En fait les métaphores ou les
métonymies du Sida à savoir le Mbumba, le Kôhng, le Mbumba
Iyanô, le Mboulou et le fusil nocturne sont des pratiques qui pour eux
justifient la maladie du Sida. Pour eux lorsque l'on est atteint par l'une de
ces pratiques il y a des chances pour que l'on ait les symptômes de la
maladie du Sida qui se présentent sur le corps. Ce qui est
intéressant c'est que tous pensent de la méme manière.
Les rosicruciens interrogés, quand à eux,
pensent que le Sida est un karma. En fait pour eux le Sida est une maladie
contractée lorsque nos agissements dans une vie antérieure ont
été mauvais. La nature pour restaurer l'équilibre va faire
contracter une maladie à un individu pour qu'il répare ses
fautes. Et selon le principe de réincarnation, tant que l'individu ne
change pas , il va continuer de souffrir de ce genre de maladie. Le Sida est
une situation karmique.
142 Moment de la journée où un commerçant
ouvre un ballot de linge ou de lingerie. Ceci à la particularité
d'attirer les foules féminines.
143 Albert CAMUS, La peste, Paris, Gallimard, coll
« Folio », 1947, p 31.
Ce que les pasteurs pensent est que le Sida est une maladie
envoyé par Dieu pour faire revenir à lui ses enfants qui se sont
égarés et qu'ils comprennent que Dieu est le Salut. Pour eux, le
Sida est une punition de Dieu pour punir les infidèles. Mais aussi le
Diable peut poursuivre un fidèle de Dieu pour éprouver sa foi. Ce
qu'il recommande c'est alors de renforcer la foi afin de guérir et de
voir les miracles de Dieu.
Les gens ordinaires du marché, les commerçants
ou les musiciens ont des opinions variées. En effet, les
commerçants et les gens du marché sont plus dans des
considérations de la maladie du Sida comme une maladie inventé ou
qui n'attaque pas « n'importe qui». Ou encore que le Sida est
dû aux infidélités du couple. Ce qui nous rapproche de la
pensée du musicien qui pense que le Sida est la maladie de
l'infidélité.
4- 9 pULIVTMIQ CIRIK SotKAMICIArTATIl
Après avoir fait un récapitulatif des
réponses que nous avons reçues lors de nos entretiens il
convient, pour rendre cohérente cette partie, de représenter
notre hypothèse de travail. L'hypothèse est qu'elles existent car
elles sont le produit de lieux hétérotopiques qui structurent un
marché linguistique de la maladie du Sida, et, dont la notion du
charisme, entre autre, exploite la production. Les acteurs des du marché
linguistiques des métaphores et des métonymies du Sida sont, les
bwitistes, les rosicruciens, les pasteurs, les commerçants, les
musiciens et les gens ordinaires. Chacun donne une signification à la
maladie du Sida selon son sens. On peut constater que chacun de ces acteurs du
marché linguistique a un espace dans lequel il déploie son
discours. Mais ce qui a lieu de retenir c'est que chacun donne une
interprétation afin que leur charisme puisse être puissant afin
que les fidèles les « divinisent » et leur apportent le profit
(pour les pasteurs, nganga ou rosicrucien) ; ou encore chacun veut donner une
raison à la maladie pour se donner de l'importance ou pour justifier une
de ses actions. Car en aucun moment durant nos entretiens ils n'ont
mentionné qu'une autre pratique, ou même la médecine,
pouvait trouver les solutions. Lorsque nous parlons des ARV, les bwitistes
disent que c'est tirés des plantes, ou que cela n'enlève pas la
dette karmique pour les rosicruciens, ou encore qu'ils ne peuvent etre efficace
que par la puissance des prières et de la foi pour les pasteurs, mais
encore que le préservatif et les antirétroviraux sont des
produits pour au contraire augmenter le Sida au Gabon. Chacun ramène
toujours le débat sur son « pouvoir », ou de la pseudo-
complicité de la biomédecine dans la consolidation du Sida au
Gabon.
5- Conclusion de la pré-enquête
Au terme de notre pré-enquête nous remarquons que
le marché linguistique du Sida est un marché non pas seulement du
sens (en ce que chacun donne une définition à la maladie du Sida
par le moyen de métaphores te de métonymies, mais aussi un
marché du charisme) mais aussi un lieux hétérotopiques qui
est par essence un lieu de transgression, de déviance,
d'utopies. Nous sommes en faite dans un marché purement
capitaliste qui inaugure l'exploitation du sens de la maladie du Sida à
des fins d'accumulation de fidèles, de charismes et d'argent. La
présence d'autant de sens pour définir une maladie montre que le
rapport à la maladie n'est plus un rapport de malade à «
médecin » mais un rapport de maladie au sens, un rapport de client
à marchand, un rapport de maladie au capitalisme donc un rapport social.
Au regard des différentes données recueillies, nous arrivons
à la conclusion que les métaphores et les métonymies du
Sida sont des expressions crées pour assoir un pouvoir charismatique et
un pouvoir financier avéré. Le concept de métaphores et de
métonymie du Sida est en fait l'indicateur qui permet d'identifier le
marché « vicieux » du capitalisme. Les acteurs du
marché linguistique sont des capitalistes qui se servent des mots et de
la violence du sens ou de l'abstraction pour exploiter la maladie du Sida. La
société gabonaise devient ce grand espace
hétérotopique, ce grand lieu des chimères et des
cauchemars, un contre-espace, une contre-société, un
hors-lieux.
6- I IP 1tL1rdLrl'étudL
L'une des principales limites que nous avons rencontrée
est particulièrement l'indisponibilité de nos
enquêtés. Ils avaient généralement peu de temps
à nous accorder. Ceci nous obligeait à avoir des données
parcellées. Nous étions obligé de faire plusieurs demande
d'entretien afin de pouvoir arriver à avoir un corpus plus ou moins
conséquent. Nous avons étais obligé de suivre des
séances de prières, de recevoir des demande d'affiliation de
L'AMORC, de participer à des collectes de médicaments
indigènes en forét pour obtenir les informations que nous venons
de traiter. Nous avons aussi était obligé de créer des
techniques de collecte en créant des débats dans les
marchés, les bars, les transports en commun.
Une autre limite est à présenter. C'est un
contrat qui a été passé par un enquêté et moi
sur la non divulgation de certains secrets concernant le fusil nocturne. En ce
sens que l'intéressé m'a fait découvrir des techniques
qu'il utilise pour taper le fusil nocturne. Nous respectons scrupuleusement ce
contrat, car nous ne savons pas l'utilisation que les lecteurs en feront. C'est
en ce sens que dans cette enquête nous avons entièrement pris
conscience de ce que Montesquieu énonçait : « science sans
conscience n'est que ruine de l'âme ».
Première partie : Les métaphores de la
maladie du Sida dans les espaces hétérotopiques de la
médecine traditionnelle indigène et populaire à
Libreville
Introduction de la première partie
47
Emile DURKHEIM avait raison. « Les idées que nous
nous faisons nous tiennent à coeur, [...], et prennent ainsi une telle
autorité qu'elles ne supportent pas la
contradiction144». Nous sommes petit fils de traditionnaliste
et les idées que nous nous faisions de la maladie étaient
généralement tachées et entachées de
subjectivité. Pour ce faire, nous nous sommes aliéné et
« laissé posséder par les esprits » des scientifiques.
Car il fallait que l'on s'affranchisse des fausses évidences qui
dominent l'esprit trivial145. Pourquoi en parler à ce moment
de notre propos ? Pour la raison selon laquelle le terrain que nous avons
fréquenté pour collecter nos données était
particulier. Particulier, car nous le connaissions et que nous y avons
était socialisé. Nous avons été socialisé
non loin de cet espace hétérotopique de la médecine
traditionnelle indigène. Mais à notre grande surprise, certaines
choses que nous pensions connaître en fait ne l'était pas ! Cette
enquête nous a permis d'en savoir un peu plus sur certaines pratiques
effectuées dans notre société au sujet de la maladie
Les métaphores de la maladie nous ont conduites dans
divers espaces hétérotopiques de notre société.
Notamment les Mbandjas, les églises les bars, les marchés. Nous
étions curieux de savoir comment et quels termes utilisaient --ils pour
décrire la maladie du Sida. Nous avons des termes qui se distinguent,
notamment le Mwiri, le Mbumba, le Mbolou, le Mbumba Iyanô, le Nzatsi, le
Kôhng, Sidonie et le syndrome inventé pour décourager les
amoureux, la maladie du siècle, la grande maladie, les quatre lettres,
maladie du sexe, maladie du sang. Nous nous retrouvons en face de deux grands
ensembles qui sont la médecine ésotérique indigène
et les métaphores populaires. En ce qui concerne les deux ensembles,
nous nous apercevons que les métaphores utilisées restent
quelques peu dans le domaine du trivial, du sens commun.
Les espaces hétérotopiques que nous convoquons
dans notre second propos sont, les bars, les marchés, les salons de
coiffure (homme et dame), les files d'attentes, les transports en commun et les
scènes de spectacle. Les représentations que nous
décrivons sont au fait des commérages triviaux nommés
« Kongossa » ou encore CRIMADOR. Mais, quoique leur trivialité
ne souffre d'aucun doute, il n'en demeure pas moins qu'ils sont doués
d'une puissance symbolique et imaginative qui affectent, à tort ou
à raison, les représentations de la maladie du Sida.
Nous ne sommes donc pas sortis du registre de la discussion
autour de la maladie du Sida. Nous quittons tout simplement les eaux troubles
de la médecine traditionnelle indigène pour rentrer dans les
méandres des métaphores populaires au sujet du Sida. Encore que,
les représentations de la médecine traditionnelles sont, à
notre sens, propre au fait populaire. C'est donc une zone obscure propre
à la « nuit postcoloniale ». Car il s'agit de donner une
interprétation de ce que le milieu populaire entend par la maladie du
siècle, la grande maladie, les quatre lettres, Sidonie, Syndromes
inventé pour décourager les amoureux, maladie du sexe
144 Emile DURKHEIM, Les règles de la méthode
sociologique, Paris, PUF, coll « Quadrige », 2002,
11ème édition, p 32.
145 Emile DURKHEIM, Ibid, p 32.
et du sang, le mbolou. Toutes ces métaphores du Sida
interviennent dans l'espace et la progression historique du Sida dans la
société d'Afrique centrale postcoloniale. Elles ont muté
en même temps que le Sida progressait dans le temps. Elles sont parties
des plus triviaux vers les plus « raisonnables »
(biomédicalement parlant).
Chapitre I : Les représentations de la
médecine traditionnelle indigène du sida à
Libreville
Les lieux de productions des représentations de la
médecine ésotérique indigène du Sida sont les
espaces des Mband]as. Le Mband]a est un lieu oü l'on pratique des danses
rituelles de réjouissances, des danses funèbres à
l'occasion de l'exposition du corps d'un grand chef, d'un initié ou d'un
notable. C'est aussi le lieu oü l'on initie un profane au
bwity146. C'est un lieu sacré oü est diffusé le
savoir initiatique du Bwity. C'est donc un lieu d'utopie. On en veut pour
preuve les « délires » de l'initié pendant la
consommation de l'iboga147 lors de l'initiation au bwity. C'est un
hors-lieux, un autre monde, une autre société, un contre espaces,
un espace hétérotopique.
Si tant est que les hétérotopies sont des contre
espaces, c'est en ce sens qu'ils sont les lieux des déviances.
L'initié ou mbandzi, est généralement malade ou
affecté par toutes sortes d'infortune et Joseph TONDA les appelle «
les affaires du corps148». D'ailleurs le message qu'il verra
dans le miroir est des images de gens déformés, des ob]ets
inanimés qui parlent... Bref, c'est un lieu oü l'imaginaire
règne en maître absolu. Or, l'imaginaire c'est le produit
d'idées préconçues déformées et donc
déviant de la réalité. Ceci nous conduit alors, à
présenter des productions imaginaires qui ne sont que des
représentations sociales : les métaphores de la maladie du Sida
dans la médecine ésotérique indigène gabonaise.
La maladie est un fait social. Et c'est parce qu'elle est
considérée comme fait social qu'elle intéresse chaque
strate et champ sociale. Elle devient par la suite fait social total car la
société cherche en s'en approprier chaque explication et chaque
mutation. De fait, tout un agrégat de significations, de sens, mais
surtout de représentations populaires vont la rendre complexe à
comprendre. À tel point qu'elle devient un objet que, dans le cas
présent, la médecine ésotérique indigène
cherche à exproprier et extirper du champ de la biomédecine. Dans
le cas de l'hétérotopie populaire, c'est une
indiscernabilité entre rumeur et ragot. Nous arrivons dans une situation
où les représentations indigènes et populaire de la
maladie possèdent les conceptions profanes de la maladie à
l'instar du Mwiri, du Mbumba, du Mbolou, du Mbumba Iyanô, du Nzatsi et du
Kôhng, etc.
SECTION 1 : Le Mwiri, le Mbumba Iyanô , le Mbumba
et le Sida
Les cercles initiatiques indigènes sont des cercles dans
lesquels la maladie est appréhendée et traduite dans des formes
de représentations sociales. Ces représentations
146 André RAPONDA-WALKER et Roger SILLANS, Rites et
croyances des peuples du Gabon, Libreville, Editions Raponda Walker, coll
« hommes et société », 2005, p 200.
147 Plantes hallucinogènes utilisées dans le rituel
d'initiation au bwity
148 « Nous entendons par « affaires du corps »,
toutes les situations de santé et de maladies, de fortunes et
d'infortune a la chasse, dans les champs, dans les affaires, a l'école,
au jeu, a l'église, au bureau de l'administration, au marché, au
foyer, en politique, en amour, en famille, ect. » Joseph TONDA, La
guérison divine en Afrique centrale (Congo, Gabon), Paris,
Karthala, 2002, p 41
50
sociales ne sont que des métaphores qui renvoient aux
croyances d'un surnaturel. La caractéristique de ce surnaturel que nous
venons d'énoncer est d'être un appel à la puissance d'un
génie ou d'une égrégore initiatique qui puni les impies
d'un acte socialement prohibé. Et, le Sida, du point de vue
métaphorique et sociologique, est une forme de manifestation de la
possession par un génie ou l'égrégore d'un cercle
initiatique.
1) Le Mwiri
Emile DURKHEIM énoncé que « la
première démarche du sociologue doit donc être de
définir les choses dont il traite, afin que l'on sache et qu'il sache
bien de quoi il est question149". Alors, qu'est-ce que c'est que le
Mwiri ? « Le Mwiri, ou Mangogo, est essentiellement une secte d'hommes,
très répandue dans la Ngounié et le Bas-Ogowè, dans
laquelle peuvent être admis tous les garçons dès la
puberté. D'ailleurs les jeunes garçons ont hate d'y être
initié afin de pouvoir faire figure d'hommes, et aussi, pour ne pas
être considérés comme des ignares et des
couards150". Cette initiation « se fait par cohorte [...] Dans
les nombreux villages oü le Mwiri reste un rite de passage obligatoire,
c'est l'oncle maternel qui décide que le temps de l'initiation est venu
pour ses neveux [...]. L'initiation, qui laisse clairement apparaître la
structure canonique des rites de passages, commence par une phase de
réclusion en brousse avant de se poursuivre au village, en privé
au corps de garde puis en public dans la cour centrale 151 ". Mais
cette définition du Mwiri n'est pas tellement intéressante pour
notre étude. En ce sens que vous trouverez de nombreux texte qui en ont
fait large description152.
Ce qui nous intéresse c'est que « le Mwiri est
également la société initiatique masculine chargée
d'assurer le contrôle de l'ordre social et de punir les transgressions.
Un vol, un adultère ou même un mensonge peut en effet
entraîner une sanction magique, punition infligée par le
génie Mwiri sous le forme d'une maladie subite (dont le symptôme
majeur est un gonflement du ventre)153». C'est donc les
symptômes donnés par le Mwiri qui vont nous intéresser. En
effet, les symptômes du Mwiri sont multiples et ne se limitent pas
à la description simpliste que nous propose Julien BONHOMME.
En effet, la maladie dans la médecine
ésotérique indigène est assimilée à la
possession par une entité, d'un génie. Le Mwiri comme
précédemment a effectivement des symptômes pour faire
savoir que l'individu ( initié ou profane) est posséder par le
Mwiri. Nous avons interrogé un acteur de la médecine
ésotérique indigène M. Etienne154, et voici ce
qu'il nous révéler au sujet du Mwiri.
149 Emile DURKHEIM, Les règles de la méthode
sociologique, Paris, PUF, coll « Quadrige, 11ème
édition, 2002, P34.
150 André RAPONDA-WALKER et Roger SILLANS, Rites et
croyances des peuples du Gabon, Libreville, Editions Raponda Walker, coll
« hommes et société », 2005, p 229.
151 Julien BONHOMME, Le miroir et le crâne. Parcours
initiatique au Bwete missoko (Gabon), Paris , CNRS, 2006, p 162.
152 Lire les deux précédents auteurs ci-dessus dans
les ouvrages cités.
153 Julien BONHOMME, Op cit, P 167.
154 M Etienne, Masculin, Niveau d'étude secondaire,
retraité, Bwitiste, Ipounou/ Massango
Enoncé n°1 :
« Te parler du Mwiri c'est difficile. Les blancs sont
trop curieux. Aujourd'hui je vais te parler de ça, demain tu vas mettre
ça dans des livres que les femmes vont lire ?(.. ;)Si c'est pour parler
des choses qui arrivent sur le corps de quelqu'un y a pas de problème.
Mais tu dois déposer le Bwity155(Rire) ! Le Mwiri quand il
attrape quelqu'un il a plusieurs manières. La manière que les
gens connaissent beaucoup c'est lorsque le ventre se gonfle. Mais il y a aussi
les diarrhées violentes qui commencent généralement au
couché du soleil. Il y a aussi les fièvres comme celle que l'on a
souvent quand on a le palu. Elles viennent que vers les 18H au début.
Après lorsque ca duré elles restent toute la journée. Il y
a aussi le corps qui maigri a un tel point que tu as la peau sur les os et tu
n'arrive pas à marcher. Il y aussi des personnes qui passent leur temps
à tousser jusqu'à cracher du sang. C'est le mwiri qui met de
l'eau dans les poumons ou qui déchire les poumons avec ses griffes. Tu
vois que ce que je viens de te dire là ressemble beaucoup à la
tuberculose. (...) Ce que les gens appel le Sida c'est souvent le Mwiri. Moi
quand je traite ce genre de personne j'enlève toujours le diable. Car
peut être que la personne est sorti en vampire et puis elle est
coincé dans une protection de terrain. Ou bien elle a violé des
interdits ou tout simplement quelqu'un lui a tapé le
diable156. Parfois aussi le sorcier l'a attaqué dans la nuit
et puis il l'a tapé le diable pour l'atteindre (...). Bon selon les cas,
comme je suis modounga157, c'est du retour de la brousse que je sais
véritablement de quoi la personne souffre. Si c'est les autres ou
lui-même qui connaît l'origine de sa maladie. En fonction des cas,
,je choisi le traitement. On utilise le sacrifice du mouton quand la personne
est au dernier stade du Mwiri. C'est-à dire quand il est paralysé
et qu'il fait tout sur place. Après il y a les médicaments pour
soigner intérieurement les blessures que les griffes du Mwiri a
causé».
Au regard de cet entretient il y a un fait qui amène a
ce que nous énoncions que « considéré ainsi, la
maladie entraine donc toujours une interrogation qui dépasse le corps
individuel et le diagnostic [biomédical]158». Selon le
discours que nous venons de transcrire, nous remarquons que le diagnostic se
fait en forét. C'est des arbres, des plantes qui vont définir
l'origine de la maladie et, surtout de son traitement. Ce qui revient à
dire que le Sida selon notre enquêté est une maladie donnée
par le Mwiri et que seul les bois de forêt sont susceptible de pouvoir
octroyer la guérison du malade.
Nous disons aussi que la maladie du Sida comme Mwiri, n'est
plus simplement une métaphore. Mais elle est bien plus car elle
interactionne d'autres schèmes, d'autres variables qui font en sorte
qu'elle devienne une chose réelle. C'est peut être en ce sens que
HERZLICH énonce que « plus encore que métaphore, la maladie
est donc un signifiant dont
155 Une somme d'argent symbolique pour avoir la
bénédiction du Bwity.
156 Une autre expression pour décrire et appeler le
Mwiri.
157 Grade qui correspond à celui qui parle avec le
Mwiri
158 Claudine HERZLICH, « La perception quotidienne de la
santé et de la maladie et leur dynamique dans le champ social »,
L'étude des représentations sociales, Paris, Delachaux
et Niestlé, 1986, p 158
52
le signifié est le rapport de l'individu à
l'ordre social159». C'est aussi peut-être pour cela que
cette allusion et comparaison du Mwiri au Sida ne semble plus se limiter
à la métaphore. Nous pensons que le Mwiri est une
métonymie du Sida. En ce sens que la métaphore reste dans le
domaine de l'imaginaire. Tandis que les métonymies sont une forme de
capacité qu'ont les métaphores pour franchir symboliquement cette
frontière entre l'imaginaire et le réel.
Donc, le Mwiri c'est le Sida. Ou plutôt, le Sida
biomédical a une représentation sociale dans une croyance
indigène appelée Mwiri. Car les symptômes de la maladie du
Sida sont identiques à ceux du Mwiri. Ce qui justifie, dans cette
société initiatique160, que la biomédecine
n'ait pas encore trouvé le remède du Sida car le Sida c'est le
Mwiri. Il faut connaître ce que c'est que le Mwiri pour découvrir
le remède du Sida.
Nous pouvons déduire que le Mwiri, selon la conception
de M Etienne, est une maladie de l'immunodéficience acquise. Ou encore
que le sort jeté ou la sortie en vampire peuvent faire contracter
à une tierce personne, la maladie du Sida donc ce que la
biomédecine à identifié sous le terme de Syndrome
d'Immunodéficience Acquise. Car, lorsque l'on dit Sida dans la
pensée de la médecine ésotérique indigène,
il y a comme une forme de contingence, de mépris, de sous-estimation
face à ce que décrit cet acronyme. Or, ce qui est vrai, c'est que
le Sida est le Mwiri ont certainement les mémes symptômes mais de
là à en faire une comparaison, une allusion comme l'une
étant l'autre est quelque peu triviale.
Dans la foulée du débat nous lui avons
demandé ce qu'il pensait de ce qui ont trouvé le Sida est ce que
lui qui a été scolarisé en pense. Voici sa réponse
:
Enoncé n°2 :
« Tu sais petit les blancs ont trouvé beaucoup
de chose. Mais ce qu'il trouve existait d'une certaine manière dans nos
traditions. C'est le cas du Mwiri et du Sida. Ils ont vu au microscope ce que
nous nous disions lorsque nous allons demander aux arbres l'origine de la
maladie. Nos arbres sont nos microscopes (rire). Je ne dis pas que
l'hôpital n'est pas intéressant mais la maladie du Sida se soigne
aussi chez les noirs. Seulement, il veule que se soit eux seulement qui ait la
paternité du remède pour se faire de l'argent. Nous aussi nous
soignons ce que eux ils appellent le Sida ».
Cet énoncé revient à dire que pour lui,
il y a bien entendu un « Sida biomédical ».
C'est-à-dire une maladie prouvée rationnellement par le biais
d'une étiologie scientifique. Mais ce que lui il appelle Mwiri, est une
forme de la maladie du Sida et que lui aussi peut à travers les soins de
cette initiation soigner les symptômes du Sida. Nous disons bien les
symptômes. Car faire cesser les diarrhées, les toux, les
fièvres ne veut absolument pas dire que le Sida soit traité.
C'est le même cas des ARV. Ils permettent de stopper ou réduire et
ralentir la progression du virus du Sida, mais il ne le guérit pas.
159 Claudine HERZLICH, Op cit, p 159.
160 Plus précisément dans le lieu que nous avons
enquêté c'est-à-dire dans la banlieue de Ntoum vers
Ndonguila.
2) Le Mbumba Iyanô
Le Mbumba Iyanô est une initiation qui est propre
à la région de la côte du Gabon. Avec les échanges
interethniques, cette initiation s'est diffusée dans de nombreuses
régions du Gabon. C'est donc une initiation qui à la
particularité d'être pratiquée, à son origine, par
l'ethnie Mwiénè plus précisément les Orungus, les
Mpongwés. Mais il y a aussi une ethnie vivant vers la côte des
villes de Gamba et de Mayumba les Ivilis qui pratique ce rite initiatique. La
particularité de cette initiation est d'être en rapport avec un
génie de race blanche. En effet, ce génie est
généralement blanc ou blanche. Si nous faisons un appel à
l'histoire on comprend pourquoi cette initiation est proche de l'ethnie
Mpongwé. Nous ne devons pas oublier que c'est l'une des premières
ethnies à avoir eu un contact avec les blancs quand il s'agit des
grandes conquêtes des voyages maritimes du 18ème
siècle.
Nous nous sommes rapprochés de deux femmes qui initient
au Mbumba Iyanô. La première est Mpongwé et réside
à Agondjé, tandis que la seconde est d'ethnie Ipounou et
réside en face de la cité de la démocratie à
Libreville. La première s'appelle Mme Jeannette161 et voici
ce qu'elle pense du Sida :
Enoncé n°3 :
« Le Mbumba Iyanô c'est le géni qui est
une sirène. Si c'est une femme qui est malade alors le Mbumba
Iyanô est un homme. Si c'est l'homme qui est malade, c'est que le
géni est une femme. En fait, le génie du Mbumba Iyanô c'est
notre contraire. C'est notre autre sexe qui est dans nous (sic). Dieu a fait
l'homme moitié moitié [c'est-à-dire un côté
femme et un côté homme]. Donc l'homme doit savoir que le
génie lui donne le bonheur s'il se comporte bien avec lui. C'est comme
le génie, le Mbumba Iyanô choisi l'homme ou la femme qui doit
être avec toi. Si il n'aime pas la personne, il fait tout pour casser le
mariage. Il peut venir se mettre dans le même lit que toi et chasser la
personne du lit. Parfois tu rêves que tu as des rapports avec une femme
ou un homme. C'est le Mbumba Iyanô. Parfois tu rêve que tu es dans
l'eau avec des blancs, c'est le Mbumba Iyanô. Les gens parlent que c'est
Onyambé (fantômes) ou Onômé Yoguéra (homme de
nuit). Non c'est le Mbumba Iyanô, mon fils ! Quand c'est comme ça
il faut arranger le génie. Il arrive même que lorsque le
géni est beaucoup fâché, il peut faire sortir les
abcès, les gros boutons, ou les taches comme la dartre sur le corps. Il
peut même te faire maigrir. Il faut pas que les gens te regarder.
Personne ne doit te vouloir [personne ne doit te désirer]. (...) Ca
ressemble au Sida mais ce n'est pas le Sida. Parfois les gens pensent que c'est
le Sida alors que c'est le Mbumba qui embête la personne. Il peut
même faire en sorte que les machines du blanc montrent que tu as le Sida
pour que les gens fuient à côté de toi. Parce que il veut
rester seul. Comme ça là, il faut se faire initié au
Mbumba pour que ton géni soit arrangé. Le Mbumba Iyanô est
trop fort. Il peut même bloquer les enfants [il peut empêcher de
procréer]. ( ...) Le Mbumba Iyanô rend malade les gens qui ne veut
pas les arranger. C'est comme quelqu'un qui est initié ne doit
pas
161 Mme Jeannette, féminin, niveau d'étude
primaire, traditionnaliste, technicienne de surface dans une administration,
Mpongwé.
54
casser les interdits sinon le Mbumba Iyanô peut
même le tuer. Il peut faire en sorte que quand on te regarde on te voit
comme un onyambé ; comme quelqu'un qui a la maladie là. Faut pas
jouer ?! Quand tu l'arranges on peut même dire que tu as le Sida, que les
trucs des blancs on vu çà [les machines qui permettent de
détecter la sérologie d'un individu], tout ca là sa
disparaît. Sauf si c'est la maladie de Dieu et que c'est Dieu qui a
envoyé ».
La seconde s'appelle Maman Mado162 et voici ce
qu'elle nous dit au sujet du Sida et de son rapport au Mbumba Iyanô.
Enoncé n°4 :
« On m'a amené une fille il y a deux ans qui
s'appelait Inès M ... Elle avait beaucoup maigri. Elle avait les
abcès, les boutons les petites brulures sur la peau avec des taches
noires sur tout le corps comme la veste. Ses parents m'ont dit qu'elle avait la
maladie qu'on appelle Sidé (Sida c'est comme ça qu'elle le
prononce). Je ne dormais pas. Rien à faire. La fille là pleurait
toute la nuit. C'est comme ça que quand je dormais un jour, j'ai vue une
sirène qui est venue me parler que ho « si je fait souffrir la
fille là c'est parce que elle ne me donne pas à manger, elle fait
( s'accouple) avec des hommes sales. Et puis elle fait ça n'importe
comment. Elle est venue me prendre là où j'étais c'est
pour me mettre dans la saleté ? Il faut qu'elle m'arrange sinon je la
tue». C'est comme ça là qu'elle m'a montré des
feuilles, et des bois pour la laver, et pour manger et boire. Elle m'a
montré un endroit au cap que je n'avais jamais vu et que je ne
connaissais pas. Elle m'a dit qu'elle allé me guider avec des signes
qu'elle avait mis. Le jour là mon petit mari, c'était fort !!! On
est arrivé sur la route y avait un gros cailloux blancs qui était
là. C'était le premier signe. Elle avait dit que dès qu'on
voyait ça il fallait qu'on débrousse et on faisait tout droit. On
a fait ça durant une heure les hommes était fatigué. Ici
là il fallait soulevé la fille, là-bas les choses.. Non
c'était fort ! Moimême je doutais. Les parents parlaient
déjà que ce que je fais là c'est faux. Après on a
écouté un grand cri qui nous a fait mal aux oreilles. J'ai pris
les crises. Je ne sais plus mes j'ai marché dans la foret les gens me
suivaient jusqu'à ce que on est arrivé où il y avait le
sable blanc. Y avait l'eau autour et au milieu y avait le sable blanc comme le
sable de la mer mais en pleine forêt. Mais le sable là
était trop blanc. Y avait aussi un arbre du Mbumba Iyanô qui
était la au milieu du sable. (...) J'ai mis la fille là dans
l'ifulu163. Je n'avais pas vu les mouches comme ça ! Y avait
les mouches AHHH !! On dirait qu'elles suivaient quelques de chose de pourrie.
Dès que j'ai mis la fille là à l'eau pour la laver avec
les feuilles et les écorces qu'on m'a montré, voici la pluie en
pleine saison sèche. Une forte pluie avec les tonnerres. Ca là
c'est le signe du Mbumba Iyanô : la sirène. L'eau était
devenue tout blanc comme si on avait mis du lait dedans. Dès que j'ai
fini de la laver elle était encore dans l'eau voici que elle a vu
quelque chose brillait dans l'eau. Quand elle a mis la main elle a senti comme
une main qui l'a tirée. Elle est rentrée dans l'eau. On a
commencé à la chercher. Une minute après elle est sortit
devant (à 50 mètres du lieu). Elle tremblait, elle ne parlait pas
!
162 Maman Mado, féminin, pas de niveau d'étude mais
femme d'un instituteur a la retraite, traditionnaliste, sans profession,
Ipounou
163 C'est une purification par fumigation et sudation. Lire a ce
sujet Julien BONHOME, Le miroir et le crâne. Parcours initiatique au
Bwete missoko (Gabon), Paris , CNRS, 2006, p 34.
Elle a ouvert la main elle avait des cories et une petite
pierre en or. Je lui demandais que c'est comment elle ne m'a pas répondu
elle n'arrivait pas à parler. Après ça la pluie s'est
calmée. On est rentré ! Arrivé à la maison elle a
dit qu'elle a vu deux sirènes qui lui ont remis des cories et puis l'or.
Mon chéri ! Laisse. La fille en deux semaines elle était
guérit. On a fait les cérémonies elle est partie en
France. J'ai appris qu'elle est morte en début d'année. Elle
avait épousé un blanc. »
Nous avons posé la question de savoir de quoi elle est
morte. Et elle nous a répondu qu'elle est morte de l'hépatite B.
Et elle a ajouté :
Enoncé n°5 :
« Je lui avais dit que faut plus qu'elle fasse les
choses n'importe comment. Il faut qu'elle respecte les interdits. Faut plus
qu'elle mange le [pénis, les fesses du partenaire ou de se faire
sodomiser164]. Mais rien ! Ce que le génie lui a interdit
c'est ce qu'elle est partie faire ». La fille de Maman Mado m'avouera
autour d'un verre que la fille n'est pas morte seulement de l'hépatite B
mais qu'elle avait aussi le Sida.
Ce que nous retenons de ces deux discours, parfois relevant du
fantastique nous l'accordons, c'est que le Mbumba Iyanô est dans
l'idéologie de la société médicale indigène
très relié au Sida. Les symptômes qui sont amaigrissement,
boutons envahissant toutes la surface du corps, détérioration de
la peau par la présence de plaques de muqueuses, sont autant de
similitudes entre la maladie du Sida et l'initiation indigène
dénommé Mbumba Iyanô.
L'idéologie médicinale indigène impute au
Mbumba Iyanô des phénomènes sociaux assez répandus
dans la société gabonaise. Notamment, les hommes ou femmes de
nuit et le problème de procréation. Mais surtout que le Sida
n'est pas une maladie biomédicale, mais bien maladie des esprits, des
génies. Le Sida est la conséquence de la possession par la
présence de génie jaloux, un génie maniaque de la
propreté, de génie frigide ou pudique. Le Sida est alors
détaché de son sens de syndrome pour être rattaché
à un sens purement imaginaire. Quelques correspondances suffisent pour
faire un rapport entre une maladie et une superstition, une
idéologie.
Ce que nous pouvons observer dans le dernier discours c'est
que le malade finit par mourir d'une IST. Les soins que prodiguent les deux
mères initiatrices du Mbumba Iyanô sont, certes, efficaces pour
réduire la progression des symptômes de la maladie du Sida. Mais
ils ne soignent pas la maladie du Sida. Et ce n'est pas les esprits qui
soignent, mais bien évidemment la vertu thérapeutique des
plantes, des écorces de bois. Malheureusement, elles ont refusé
à chaque fois de nous donner le nom des feuilles ou des bois qu'elles
utilisent pour soigner ou réduire les symptômes de la maladie.
Le Mbumba Iyanô nous permet de dresser une, des
nombreuses, explication des hommes ou des femmes de nuit. Se serait donc la
présence du génie qui est jaloux ou qui
164 C'est nous qui avons changé les expressions. Car les
mots qu'elle a utilisé étaient trop vulgaires.
56
refuse la présence d'une compagne ou d'un compagnon.
Mais, il faut retenir que dans certaines idéologies initiatiques
indigènes souffrir du Sida, (et surtout avoir les symptômes tels
que des boutons, des muqueuses ou un amaigrissement du corps) c'est être
posséder par le génie jaloux du Mbumba Iyanô. Mais quelque
fois, nous nous retrouvons en plein discours commerciale. Chacun veut montrer
la puissance d'un génie, la puissance d'un esprit qu'eux seul ont la
capacité de voire, d'entendre. Ou tout simplement, « l'effet
recherché par qui raconte son expérience est alors la fascination
ou la peur : On ne parlerait pas si l'on espérait
fasciner165».
3) Le Mbumba
Le Mbumba n'est pas une initiation. Nous la classons dans les
différentes formes de pratiques ésotérique sorcellaires
indigène. Le Mbumba est une forme de réceptacle mystique qui a
des vertus de nuire à des individus. « L'attaque de sorcellerie,
elle, met en forme le malheur qui se répète et qui atteint par
hasard les personnes et les biens d'un ménage
ensorcelé166». Mais qu'est-ce qu'il y a de plus
précis que la description d'un enquêté sur la question ?
Pour ce faire, nous restituons les propos de Papa Aspro167 au sujet
du Mbumba.
Enoncé n°6 :
« Le Mbumba c'est beaucoup de chose mais qui se
résument en une seul, la marmite nocturne. La marmite nocturne c'est ce
qu'on appelle Mbumba. Dès qu'on parle de marmite nocturne on voit
déjà le serpent. Dans la marmite il y a des choses qui rendent la
marmite dangereuse. La marmite là est d'abord en terre cuite et elle
reste généralement au plafond ou sous le lit. C'est pas comme les
gens qui déterrent168 qui disent que c'est dans le sol qu'on
enterre ça, c'est faux ! Il y a la tête de serpent169
et sa peau, le miroir, le crane d'un homme avec les dents170, le
tibia ou l'avant bras humain, la main d'Ikanda (Potto de Bosman171),
la main du gorille, une chaîne, un cadenas, une plume de perroquet.
D'autres ethnies mettent à l'intérieur un petit cercueil ( les
fangs). Bon tu cherches à savoir comment sa fonctionne ? Bon la marmite
nocturne c'est la où on prépare les personnes que l'on a choisi
pour être mangé dans la nuit. Le tibia ou l'avant bras c'est le
fantôme qui frappe ou qui espionne
165 Jeanne FAVRET-SAADA, Les mots, la mort, les sorts,
Paris, Gallimard, coll « Folio/ Essais », 1977, P 29.
166 Jeanne FAVRET-SAADA, Les mots, la mort, les sorts,
Paris, Gallimard, coll « Folio/ Essais », 1977, P 20.
167 Papa Aspro, niveau d'étude primaire, Bwitiste, ancien
militaire, Pounou / massango.
168 Il y a un débat entre les nganga qui
déterrent les fétiches et ce qui ne le font pas. Certains disent
que c'est de la mystification, que ce qu'il déterre c'est des choses
plantées auparavant ou tout simplement un tour de passe-passe : de la
prestidigitation. Car dans la sorcellerie, il y a des lieux consacrés
pour mettre certains reliques surtout la marmite nocturne. Ces endroits sont :
Le plafond de maison, les cuisines indigènes, sous les lits. Une marmite
nocturne se met dans un lieu oü l'on peut se réunir aussi bien
physiquement et invisiblement. Car il faut avoir les capacités de se
dédoubler spirituellement pour se retrouver dans ces lieux pour
décider des victimes à proposer.
169 Le python est généralement le plus
utilisé car c'est le roi des serpents donc, il est, pour eux, le chef
des serpents mystiques.
170 Dans les pratiques sorcellaires le crâne qui a des
dents est un crâne funeste qui n'a qu'un seul appétit
mangé, tué.
171 Potto de Bosman du nom scientifique Perodictitus potto.
l'individu choisi172. Le serpent c'est celui
qui enlasse la proie, qui la capture et fait en sorte que où qu'il soit
l'individu est tracé. Généralement mystiquement la marmite
nocturne est entourée par le python. Le miroir c'est pour observer et
voir tout les mouvements des personnes qui sont choisis pour être
préparer mystiquement173 . Le crâne est celui qui
possède174 et qui doit manger pour donner ensuite le bonheur
à ceux qui font partie de la tontine mystique175. La main
d'Ikanda176, est mise pour tenir la personne que l'on a choisi afin
qu'elle ne s'échappe pas. La main du gorille à la même
fonction que celle de l'Ikanda. En fait si on n'a pas une on prend l'autre, ou
bien les deux. La chaîne représente le corps du serpent et ce qui
va attacher l'individu mystiquement. Le cadenas sert pour bloquer, attacher
toute sorte de projet pour se faire délivrer ou toute sorte de chose qui
va à l'encontre des paroles ou des idées de la
confrérie177. La plume de perroquet représente la
langue du serpent, le venin. C'est lui qui fait vivre la marmite. Sans lui rien
ne peut se faire. C'est le coeur de la marmite.»
Nous avons complété ces données par
l'entretien d'un autre Bwitiste nommé Papa Maboule178. Et
voici le contenu de son exposé.
Enoncé n°7 :
« Tu connais le Pitsia
Ngondet ?! C'est le monde de la nuit, le monde du vampire, le pitsia ngondet.
Dans ce monde là, petit, tout est possible Mangongo179! Tu
vois pour tuer un homme les sorciers ont mis en place de nombreuse techniques.
Mais il faut que tu saches que toutes ses techniques ont une seul base : la
marmite nocturne. Bon les spécialistes de cette technique se sont les
mwiénès et les akèlès. (...) Chaque ethnie à
sa spécialité. Les pounou c'est le ditingou (fantôme), les
massangos, les simba, les tsogos, les pouvis c'est les makouangous du mwiri.
Les Mvoungou c'est le fusil nocturne et les fang c'est les makagha et le
kôhng Les mwiénès utilisent le boa tandis que les
akèlès utilisent le caïman (ngando). Dans la marmite celui
qui avale et envoute la personne c'est le serpent ou le boa. Le boa
172 Généralement les maladies tels que
l'hypertension ou l'AVC sont les nouvelles maladies mystiques que les sorciers
ont trouvé pour atteindre un individu selon les propos de Papa Aspro. Le
sorcier envoi par l'entremise du tibia le fantôme (donc la personne a qui
appartenait le tibia ou l'avant bras) pour frapper la personne choisi. Il le
frappe généralement derrière la nuque. Voilà
pourquoi certaines personnes qui meurent de l'AVC déclarent
généralement qu'il ressente comme un coup reçu et une
douleur vive a cet endroit précis de la tête.
173 Voilà pourquoi selon Papa Aspro, le sorcier voit
tout ce que nous faisons. Il a un espèce d'écran qui est comme
une télévision mystique. Et cette télévision dans
la réamlité est un miroir. Bon dans une autre dimension, c'est
l'eau du cadavre mélangée avec certains organes humains et
certaines plantes qu'ils utilisent pour voir chaque mouvement des individus.
Ils gardent cette décoction dans une cuvette blanche.
174 C'est généralement le crâne d'un ancien
membre de la confrérie sorcellaire qui est sollicité pour
être introduit dans la marmite.
175 La tontine mystique est un terme importé par les
camerounais pour décrire le fiat que les sacrifices sont rotatifs.
176 L'Ikanda est une bête qui a la faculté d'avoir
une saisie ferme sur les objets.
177 Le cadenas en question est représenté selon
Aspro par la présence du noeud que l'on fait sur le malade lors de la
coupure de corde.
178 Papa Maboule, masculin, niveau d'étude primaire,
Bwitiste, sans, Massango
179 Expression des initiés du mwiri. Pour assermenter les
propos. Il frappe avec vigueur sur ses scarifications aux bras gauche.
58
paralyse la personne alors que le caïman le fait
pourrir ou gonfler. Pour atteindre la personne on utilise son corps. Ces
cheveux, ses ongles, sa photo, ses bijoux, ses habits, ses slips, ses
empruntes, son ombre, le placenta, les ombrils, les serviettes
hygiéniques, le prépuce, les cahiers, les bics. A partir de
ça mon petit, il tamise et tripote180 les
articles181et la personne et dedans (rire) !Mais tout cela c'est le
mbumba. Car nous quand on consulte on voit le serpent. Le serpent n'est jamais
seul il est toujours accompagné du fantôme ( tibia, avant-bras et
le crane). L'autre nom du Mbumba c'est la marmite nocturne. C'est le serpent
qui chasse et qui tue ! Tu as compris (rire) ! (...) Bon quand la personne est
atteinte par le serpent de la marmite nocturne, elle maigri, jusqu'à
avoir la peau sur les os. Le serpent lui suce le sang. Elle s'étouffe
très souvent, des vertiges, des diarhées, des boutons qui sortent
sur le corps. Elle n'arrive plus à marcher. Elle voit les
fantômes, les revenants (la personne dont le crâne est dans la
marmite). C'est comme le Sida. C'est un Sida du Pitsia ngondet. Le monde de la
nuit, tout est possible, Le noir est fort Mangongo !!! »
C'est long propos nous renseigne sur de nombreux points. Le
premier nous renseigne sur la composition du Mbumba. Tandis que le second nous
donne plus ou moins une idée sur le rapport entre le Mbumba, le serpent
mystique est le Sida. Au préalable, il est utile de présenter
déjà différents symptômes que décrit Julie
BONHOMME dans le cas du Mbumba. « Fatigue, perte d'appétit, maux de
reins, sensation d'étouffement, palpitations, tension, grossesses
difficiles ou faiblesse sexuelle, sont les symptômes manifestes du nungu
(chez les mitsogo) ou Mbumba (dans le groupe mèryè)182
». Mais ce qui suit est tout aussi une description utile car il nous donne
une autre signification du Mbumba. « Serpent invisible associé
à l'arc-en-ciel qui étouffe et avale progressivement sa victime
tout en lui suçant le sang jusqu'à la mort. Ce serpent
constricteur, souvent désigné par le terme figure de « corde
», est l'allié invisible d'un sorcier qui s'empare par son
intermédiaire de la force vitale de sa victime (...). Cette
thématique sorcellaire du ligotage et de l'étouffement constitue
une métaphore pertinente pour ces nombreux patients qui se sentent
perpétuellement entravés et enfermés dans une vie
malheureuse183». Donc le Mbumba est aussi un arc-en-ciel, un
serpent, une marmite nocturne. Ce qui veut dire comme il le précise que
c'est ici différentes expressions sont considérées comme
différentes formes d'infortune. Nous ne sommes pas loin de ce que Luc de
HEUSCH a décrit. « Mbumba est donc en cause dans tout les cas
d'infortune oü la prospérité est
menacée184».
Nous retenons essentiellement que le Sida est une infortune.
En cela, « ce que nous appelons « maladie » n'a d'existence que
par rapport au patient et à sa culture185». Le Sida se
conçoit comme une attaque en sorcellerie. Et la proximité des
symptômes du Sida et ce du
180 Il passe a l'expérience
181 C'est tout ce qui est en rapport avec la marmite nocturne,
c'est-à-dire crâne, tibia, serpent, etc.
182 Julien BONHOMME, Le miroir et le crâne. Parcours
initiatique au Bwete missoko (Gabon), Paris , CNRS, 2006, p 98.
183 Julien BONHOMME, Op cit, p 99.
184 Luc de HEUSCH, «Considérations sur le symbolisme
des religions bantoues », L'homme, Paris, EHESS, n°184,
2007, P 180.
185 Jacques RUFFIE et Jean-Charles SOURNIA, Les
épidémies dans l'histoire de l'homme. De la peste au Sida,
Paris, Flammarion, 1995, P 15.
Mbumba met la comparaison entre une maladie étiologique
biomédicale (Sida) et des maladies coptées par les
représentations indigènes imaginaires. Le Mbumba est une forme de
« virus traditionnel » qui donne plusieurs maladies dont le Sida est
l'une des dernières formes la plus récente. Il y a une
appropriation du Sida biomédical par la médecine
ésotérique indigène. Nous retenons également que le
Sida Mbumba se transmet mystiquement par la puissance des objets
mortifères qui se retrouvent dans la marmite nocturne ou l'arc-en-ciel.
Le Pitsia ngondet est ce lieu hétérotopique où tout est
possible même contracter le virus du Sida. Le Mbumba est un serpent du
Pitsia ngondet qui est là pour tuer par des maladies
biomédicales. La transmission du Sida est coptée et travestie
dans l'imaginaire par la morsure du serpent, du Mbumba ou de l'arc-en-ciel. Et
en cela le venin du Mbumba peut être assimilé au virus du Sida du
point de vue symbolique.
SECTION 2 : , le Nzatsi, le Kôhng
A l'instar du Mwiri, du Mbumba Iyanô et du Mbumba, la
section que nous introduisons est au fait des questions de la relation entre
une maladie biomédicale (le Sida) et les représentations sociales
de la médecine ésotérique indigène. Ces
représentations ne sont que des métaphores qui décrivent,
en même temps, des pratiques initiatiques et/ou sorcellaires et la
maladie du Sida. Nous ouvrons cette section afin de présenter comment
les pratiques de la médecine ésotérique indigène se
représentent une maladie biomédicale. La maladie est un fait
social et culturel.
1) Le Nzatsi ou le fusil nocturne
Le Nzatsi est une expression vernaculaire de l'ethnie
Pouvé. Lors de notre enquête nous avons discuté avec un
bwitiste qui se nomme M Nicolas186. Il nous a dit que le Nzatsi peut
donner le Sida ou pour être plus précis, que le Sida est une forme
de Nzatsi. Voici l'extrait d'une partie de ces propos :
Enoncé n°9 :
« Est-ce que tu sais que par le nzatsi une personne
peut avoir le Sida ? Le fusil nocturne peut donner le Sida. Quand la personne
qui tape le nzatsi tamise les articles, les supports qu'il utilise peuvent
donner le Sida. Parmi les articles du fusil nocturne il y a des
éléments du corps de l'homme qu'il faut mettre. Bon
généralement on prend le tibia,ou l'avant bras pour que sa touche
l'avant bras, le tibia ou le pied de la personne à qui on veut damer
ça. Bon maintenant si l'os qu'on utilise appartenait à quelqu'un
qui avait la maladie, il peut attraper çà. L'autre chose c'est
que lorsque on tape le nzatsi, il y a plusieurs sortes de nzatsi : y a le
nzatsi simple qu'on nomme le 25, il y a celui qu'on appelle le 220 volts et y a
celui qu'on appelle le 10 000 volts ou la foudre. Bon y a celui qu'on appelle
« debout, assis,
186 M. Nicolas, masculin, niveau d'étude secondaire,
bwitiste, élève, Pounou.
60
couché » c'est-à-dire que tu passe 5
à 10 minutes debout, 5 à 10 minutes assis et 5 à 10
minutes couché. Y en a beaucoup, je ne peux pas tout te citer. Mais les
spécialistes de ce domaine se sont les Mvoungou. Eux ils ne jouent pas
avec ça. Quand quelqu'un te dit qu'il est Mvoungou faut te méfier
ils sont dangereux. Bon, quand je dis que le Sida c'est le nzatsi c'est parce
que il y a des fusils nocturnes simples. C'est-à dire ce qui sont
frappés simplement sans des tournures pour compliquer celui qui va
traiter le malade. Il y a le fusil nocturne qu'on te frappe avec le
fantôme et celui qu'on frappe avec le fantôme et le serpent
(mbumba). C'est celui là qui donne le Sida. Car non seulement le pied ou
le bras va pourrir, mais il aura le corps qui va maigrir ou s'enfler, la peau
qui va pourrir, l'apparition de boutons, la paralysie les vomissements, les
diarrhées, les fièvres. Quand le poison du nzatsi arrive au
niveau du coeur c'est la mort. Les gens disent que c'est le diabète qui
fait en sorte qu'on coupe le pied à quelqu'un alors que c'est Nzatsi.
C'est comme quand quelqu'un est malade du Sida et qu'il a une blessure au pied,
il faut vérifier : c'est le fusil nocturne. »
Une description plus adapté pour décrire le
nzatsi nous a été proposé par Julien BONHOMME. « Le
fusil nocturne (bota-a-pitsi, littéralement « fusil nocturne
») est un mal physique bien localisé : il se manifeste par une
intense douleur qui commence dans le pied, remonte dans la jambe et peut aller
jusqu'à la nécrose et la paralysie. Cette affliction est la
conséquence d'un coup de fusil invisible tiré par un sorcier, ou
bien d'un piège de chasse invisible que la victime a
déclenché à son insu. Les ngangas disent d'ailleurs
souvent trouver dans les plaies cheveux, ongles ou tessons, preuve du
caractère sorcellaire du mal187». Une autre
définition peut-être retenu. « On appelle fusil nocturne une
arme mystique, donc « invisible », dont les effets se manifestent par
une affection soudaine et une mort brutale de la victime dans des circonstances
inexpliquées. Au Gabon, le fusil nocturne est fait d'un os de tibia
humain peint d'un côté en rouge et de l'autre en blanc. Selon
l'usage que l'on veut en faire, il sert comme arme offensive ou
défensive188.» Mais une contextualisation du fusil
nocturne a été proposé par joseph TONDA. Pour lui, «
le fusil nocturne, qui se dit tel quel en français au Gabon, est la
réponse à l'énigme humaine de la violence de la traite et
par la suite, de la colonisation et de l'ère postcoloniale. Le fusil
nocturne dit l'inhumanité de la civilisation, sa part trop nocturne,
justement, celle-là qui a fait que des hommes jeunes, forts, vigoureux
aient été nuitamment enlevés par des inconnus, ou
pistés, rattrapés, fusillés pour l'exemple, parce qu'ils
étaient fondamentalement rétifs à la nuit qui tombait sur
leur vie et que le bruit de tonnerre du fusil de traite accomplissait. Plus
tard, les vaincus de ces fusils, leur fils ou arrières petit-fils ont
actualisé le vocabulaire de la violence nocturne des fusils : les
missiles, les avions, les camions nocturnes sont venus enrichir ce monde des
ténèbres né de la rencontre et qui appartient à
l'univers des sorciers189».
La présente métaphore du nzatsi est une
introduction au registre de la chasse. « Dans ce sens, le champ des
médecines hors secteur biomédical apparaît comme un champ
dominé
187 Julien BONHOMME, Le miroir et le crâne. Parcours
initiatique au Bwete missoko (Gabon), Paris , CNRS, 2006, p 100.
188 Joseph TONDA, La guérison divine en Afrique
centrale (Congo, Gabon), Paris, Karthala, 2002, p 36.
189 Joseph TONDA, « mots-objets, mots-sujets, mots-esprits
», Les mots passants, Paris, Riveneuve éditions, 2009, p
139.
par la violence de l'imaginaire, qui est toujours une violence
matérielle, physique. Un champ où des histoires de vie racontent
des expériences de corps ravagés, en permanence, par le conflit,
par la guerre contre laquelle on se blinde pour renvoyer le missile à
qui vous l'a envoyé à votre insu, pour renvoyer le cpt à
qui vous l'a envoyé190». A des fins purement mystiques
et sorcellaires, le fusil nocturne devient le fusil pour donner le Sida. Le
sida devient le piège, le filet, le guet-apens lancé par un fusil
nocturne afin de tuer à des fins cannibales mystiques. A chaque fois, le
rapport à la maladie du Sida et aux métaphores, dans la
médecine ésotérique indigène, est
conditionné par la présence de la sorcellerie.
2) Le Kôhng
Le kôhng est une pratique sorcellaire propre à la
région du Nord du Gabon. C'est une technique de sorcellerie qui a
migré des pays frontaliers à cette région notamment le
Cameroun et la Guinée équatoriale. A la différence des
autres métaphores, nous n'avons pas eu d'enquêté qui nous
ont parlé du Kôhng. Mais nous avons eu la possibilité de
lire le mémoire de maîtrise de Max Alexandre NGOUA191
qui traite largement de ce thème. Et c'est à la lecture de ce
mémoire que nous avons trouvé une similitude entre le Kôhng
et la métaphore du Sida.
Le Kôhng est une boîte ou un petit cercueil dans
lequel il y a des miroirs sur les quatre côté et dans laquelle on
retrouve des mains de gorille, des morceaux de chair (humaine), des morceaux de
crâne, une chaîne, des stylos et généralement une
liste des personnes à atteindre mystiquement192. Ce qui est
intéressant c'est que sur cette liste à côté des
noms il y a la manière dont les personnes citées doivent mourir.
Et c'est ici que nous avons trouvé matière a réflexion. Il
est mentionné la notion de Sida. Ce qui revient à dire que le
Kong peut donner mystiquement le Sida. Joseph TONDA193 décrit
que dans le journal194 « c'est la réalité plus
que tangible de deux Kôhng et de leurs fonctions : le kôhng
reliquaire et le kôhng nylon. Ce dernier, par exemple, est destiné
« uniquement à faire du mal sans apporter un quelconque profit
particulier à son utilisateur ». Et les « détenteurs de
ce type de sorcellerie peuvent mystiquement prendre le sang d'un
séropositif pour l'inoculer à un homme sain, dans le dessein de
nuire à ce dernier.195» Donc dans l'imaginaire
sorcellaire Gabonais, le Kong peut
190 Joseph TONDA, « La santé en Afrique ou l'esprit
contre le corps », l'Homme et la maladie, Libreville, Editions
Raponda Walker, coll « palabres actuelles », n°2-Vol A, 2008, P
76.
191 Max Alexandre NGOUA, La sorcellerie du Kong à
Bitam : une manifestation symbolique de l'économie capitaliste,
Libreville, Mémoire de maîtrise, UOB, Faculté de Lettres et
sciences Humaines, département de sociologie, septembre 2004.
192 Nous tenons cette informations du journal
télévisé de la RTG 1 produit le lundi 24 octobre 2008
à 13heures 27 minutes
193 Joseph TONDA, « Limites du social et déficits
d'institutionnalisation du culturel en Afrique : le spectre du social et les
esprits du culturel », Etre en société. Le lien social a
l'épreuve des cultures. Sous la dir. André PETITAT, Laval,
Les Presses de l'Université Laval, 2010, p 124
194 L'Union Plus du mardi 11 novembre 2008,p1O, et
l'Union du Lundi 3 novembre 2008.
195 Joseph TONDA, « Limites du social et déficits
d'institutionnalisation en Afrique... », Op cit, p 124.
62
donner le Sida à un individu sain. NGOUA nous donne la
méthode par laquelle on livre une personne au Kong. « Le candidat
au Kong, prélèvera auprès de son parent sa «
saleté » (vétement, mèche de cheveux, ongles... etc)
ou sa photo. A défaut de sa photo, il écrira le nom de son parent
sur une liste. Puis ces éléments seront introduits dans la
boîte.196»
Nous constatons une grande similitude entre le Mbumba, la
marmite nocturne, l'arcen-ciel avec le Kong. En effet, les techniques
utilisées sont les mêmes. A savoir, les objets du
prélèvement du corps de la personne à envouter ou à
tuer. Ce qui est à retenir c'est que la boîte, la marmite ou le
petit cercueil sont tous des endroits spectrale, des tombes réceptacles
de la mort et manifestations du pouvoir mortifère de l'économie
capitaliste. En ce sens , le Sida dans les représentations
indigènes est un Sida assurément sorcier. Car le mal et la mort
que donne le Sida ne peuvent être comparés qu'à un
équivalent de cette puissance mortifère au Gabon ;
c'est-à-dire le Mbumba, le fusil nocturne, l'arc-en-ciel, le Kong ou la
marmite nocturne qui ne sont que les objets de rituels par lequel le sorcier
donne la mort.
196 Propos recueillies par Max Alexandre NGOUA, La
sorcellerie du Kong à Bitam : une manifestation symbolique de
l'économie capitaliste, Libreville, Mémoire de
maîtrise, UOB, Faculté de Lettres et sciences Humaines,
département de sociologie, septembre 2004, p90.
Chapitre II : Les représentations du Sida dans
l'espace populaire à Libreville
Pour collecter les données de cette enquête il
nous a fallu tendre l'oreille vers les ragots, le « kongossa ». Nous
n'imaginions aucunement être troublé par des métaphores.
Nous avons été heurté par l'ignorance des protagonistes
qui produisent ces métaphores. Mieux encore, nous avons
été perturbé par la violence de l'imaginaire qui gravitent
autour de ces discours. La particularité des espaces
hétérotopiques dans lesquels nous avons collecté nos
donnés c'est qu'ils sont des lieux de passage quelques fois «
obligatoire ». En effet, nous allons tous au marché, dans les bars,
les files d'attentes, ou nous prenons les transports en commun. Les
métaphores que nous allons décrire ont été
rencontrées dans ces lieux populaires. Dans ces lieux nous n'avons pas
rencontré des personnes qui prenaient pour recours, pour expliquer le
Sida, la sorcellerie. Du moins à ce moment précis ils n'ont pas
posé le problème sous le terme de sorcellerie. C'est plutôt
sous des formes ironiques et très souvent euphémisées que
les personnes décrivent la maladie du Sida. Certaines de ces formes
ironiques et tragiques ont été utilisées dans des bandes
dessinées197.
Quand les locuteurs autorisés métaphorisent,
c'est dans le désire de ne pas citer la maladie. Comme si en la
prononçant cela suffit pour être contaminé. On pourrait
penser qu'il s'agit aussi de faire preuve de discrétion car en utilisant
ces métaphores elles restent du domaine des « initiés
». Elles exclues, de fait, toutes les personnes non autorisées, les
profanes. Les personnes qui ne comprennent pas le déchiffrage des
métaphores représentent les personnes non autorisées. Mais
rare sont les individus qui ignore la signification de Sidonie, syndrome
inventé pour décourager les amoureux, maladie du siècle,
la grande maladie ou les quatre lettres. S'il en existe encore, à
travers cette section, ils y trouveront leur initiation.
SECTION 1 : Le Mbolou, Sidonie et le syndrome
inventé pour décourager les amoureux : les heures difficiles
de la prévention à Libreville
La maladie du Sida, comme bien d'autres, est pensée et
représentée par analogie à quelque chose. Le Sida c'est
être porteur de Sidonie ou d'être atteint par le syndrome
inventé pour décourager les amoureux. La production des
métaphores de la maladie par les espaces hétérotopiques
doit, pour être comprise, être située dans un contexte
historique. L'histoire d'une pandémie est un instituant
méthodologique pour révéler et comprendre les rapports de
la maladie à la société. Il ne faut donc pas, balayer d'un
revers toutes les frénésies théoriques de l'aube de la
maladie du Sida en Afrique centrale, et au Gabon, dans la fin des années
1980. Bien plus qu'on ne le pense, ces dispersions à savoir Sidonie ou
le syndrome inventé pour décourager les amoureux, les quatre
lettres, la grande maladie ou maladie du siècle, le
197 Fargas, Yannick NDOMBI, ou le choix de vivre, Libreville,
PNLS, 1991 ou Yannick DOMBI, terreur à
Lambaréné, Libreville, PNLS, 2010.
64
mbolou, se révèlent plus précises, et
probablement on peut y trouver de l'actuelité, pour comprendre les
métaphores du Sida au Gabon. Notre intuition est donc de chercher
à comprendre la production populaire des métaphores du Sida. Nous
regardons dans la direction du kongossa pour interroger la raison de ces
métaphores sur la maladie.
1) Le Mbolou
Le Mbolou contrairement à tout ce que nous avons vu est
une maladie des tubercules. Nous avons pris l'habitude d'avoir des entretiens
qui tournent autour de la sorcellerie. Mais cette fois il s'agit de la
description de la maladie des tubercules de manioc. Nous sommes arrivés
à la découverte de cette maladie dans un débat avec un
étudiant Kota dénommé M Serge198.
Enoncé n°8 :
« Mbolou est une expression kota qui
représente la maladie des tubercules de manioc. En fait dans le
tubercule donne l'impression de bonne qualité à première
vue. Seulement, lorsqu'on le touche il s'écrase et s'aplatie. De plus il
y a comme une forme de liquide noir qui en sort. De la pourriture en liquide
noire qui sort de ce tubercule. Et nos parents au village l'identifient au Sida
car comme le malade du Sida, le corps de la personne donne l'impression
d'être en bonne santé alors qu'à l'intérieur il n'y
a que de la pourriture, le virus Sida. »
A la différence des précédentes
représentations de la médecine ésotérique
indigène présentées plus haut, le Mbolou ne fait appel
à aucune représentation qui s'appuie sur le mysticisme ou la
sorcellerie. Si nous fions au donné de terrain, le Mbolou est une simple
description de la maladie des tubercules de manioc. Il n'y a pas utilisation de
métaphores mystiques, dérivant de techniques et méthodes
sorcellaires. Nous nous retrouvons dans une comparaison étiologique.
Nous comparons le Sida à une maladie de tubercule. C'est deux maladies
qui sont comparées.
Le corps du tubercule malade est comparé au corps du
malade du Sida. Il s'agit de faire la liaison entre la pourriture de la maladie
du tubercule et la pourriture du virus du Sida. Le corps est le lieu de la
comparaison, l'espace de la guerre oü siège la pathologie du «
tubercule » et du Sida. Nous ne sommes pas dans un rapport d'esprit contre
le corps que décrit Joseph TONDA199. C'est-à-dire
« une guerre qui, contrairement à ce qu'on pourrait croire, coalise
contre les corps les dispositifs épistémologiques scientifiques
et les forces non scientifiques, figures de l'imaginaire200».
C'est donc des métaphores de « corps à corps » dont
nous parlons dans la description du Mbolou. Le Mbolou est une maladie qui est
ostensible. Elle ne convoque aucun référent de l'esprit non
scientifique. Nous sommes dans le cas
198 M Serge, masculin, niveau d'étude supérieur,
chrétien, étudiant, Kota
199 Joseph TONDA, « La santé en Afrique ou l'esprit
contre le corps », l'Homme et la maladie, Libreville, Editions
Raponda Walker, coll « palabres actuelles », n°2-Vol A, 2008,
P68.
200 Joseph TONDA, Ibid, p 68.
spécifique que nous décrit Susan SONTAG
lorsqu'elle parle de la maladie comme métaphore201. Elle
pense que « dans un premier temps, les terreurs les plus
profondément enfouies (corruption, pourriture, pollution, anomie,
débilité) sont identifiées à la maladie. Celle-ci
devient alors métaphore. Puis au nom de cette maladie (...), l'horreur
est à son tour greffée sur des éléments
étrangers. La maladie devient adjectif. On l'emploiera comme
épithète pour parler de quelque chose de répugnant ou de
laid202». C'est dans ce cas nous prenons le Mbolou comme une
description identique à ceux que vient de nous présenter SONTAG.
La maladie des tubercules de manioc est prise comme métaphore de la
maladie du Sida.
2) Sidonie et les débuts du PNLS dans les
années 1990
Les métaphores du Sida viennent au jour dès
qu'on officialise l'arrivée d'une nouvelle maladie dite incurable : le
Sida. Comme on peut s'en douter, le propos qui suivra va caricaturer une
métaphore, une personnification, c'est-à-dire une analogie d'un
mal au nom d'une personne Sidonie. Dans les débuts des années
1990, le Programme National de Lutte contre le Sida va mettre en place des
campagnes de sensibilisation contre la maladie du Sida. Ces campagnes ont pour
propre de présenter les modes de contamination de la maladie mais aussi,
et surtout, par des témoignages de personnes vivants avec le virus du
Sida. C'est ainsi que dans le début des années 1990, le PNLS
procéda à cette campagne, notamment, par le témoignage
d'une dénommée Sidonie SIAKA. Le récit de vie de Sidonie
passait en boucle sur les ondes aussi bien de radio que de
télévision. Voici ce que nous révéla
Hugues203 à ce sujet.
Enoncé n°14 :
« Cette affaire de Sidonie a été une
expérience difficile pour le PNLS. Tu sais on ne pensait pas que les
gens ferait une telle récupération. D'abord, la pauvre Sidonie,
à été stigmatisée. Elle a été
reniée par ses parents et certains de ses amis. Elle a perdu son
travail. Mais bien plus encore, les gens la regardaient avec une telle horreur
qu'elle pensait que rien que son regard pouvait donner le Sida. Là
où les agents de l'ancien service du marketing pensaient créer
une conscientisation ils ont créé une stigmatisation des
personnes vivants avec le Sida et Sidonie était la première
à en payer les frais. Il y a eu une récupération de cette
campagne pour dénigrer les porteurs du VIH Sida. Même les enfants
à la route avaient pris la fameuse expression : il souffre de Sidonie.
Vous avez lu sûrement MBAZOO KASSA Chantal dans Sidonie. Et bien ce n'est
pas seulement un roman ou une description de comment ce jeune cadre a
attrapé le Sida, c'est une stigmatisation. C'est d'une certaine
201 Susan SONTAG, La maladie et ses métaphores, le
sida et ses métaphores, Paris, Christian Bourgeois éditeur,
coll « titre 101 », 1993.
202 Susan SONTAG, Op cit, P80.
203 M. Hugues, masculin, niveau d'étude supérieur,
chrétien, infirmier, massango
66
manière nos premières erreurs ou
plutôt les premiers pas difficiles de la prévention que nous
cherchons très rapidement à oublier. Aujourd'hui, quelques vingt
années plus tard, je souris quand tu me rappelle cette histoire de
Sidonie. Mais je t'assure il n'y avait rein de risible quand je repense
à ces moments où les porteurs du virus venaient en larmes
raconter au psychologue ce qu'on leur faisait vivre dans les familles ; les
injures publics, les humiliations, les lynchages... Petit il n'y avait rien de
marrant. On pensait qu'en montrant des témoignages les gens
comprendraient, mais le noir est terrible ! Bien au contraire les taux
augmentaient chaque trimestre et on ne pouvait rien faire. Les gens au lieu de
se marrer devaient être plus responsables. C'est pas que nous avons
résolu tout à fait ce problème de représentations.
Mais, Sidonie, c'est quelque chose à oublier. C'est des moments noirs de
la prévention au Gabon. Je t'assure, tu n'imagines pas combien de
personnes ont souffert à cause de cette expression de Sidonie. J'ai
tellement de souvenirs, d'anecdotes (soupir)... N'en parlons plus !
»
La métaphore de Sidonie prêtée au Sida est
une des nombreuses métaphores que l'on assigne à la maladie. Les
années fin des années 1980 et début des années
1990, sont au regard du propos précédent, des moments difficiles
de la prévention contre le Sida au Gabon. En fait, les messages de
prévention ne sont pas accueillis comme cela se doit. « C'est
exactement ce à quoi travaillent les concepteurs des messages de
prévention diffusés par les acteurs de santé publique
occidentaux. A partir de ce qu'ils identifient comme les causes sociales du
phénomène jugé indésirable, ils vont rechercher des
prises symboliques dans les représentations qui sous-tendent les
pratiques à risque, pour tenter d'en renverser la valence et, ce
faisant, promouvoir un style de vie plus sain204.» Les messages
de prévention, plus particulièrement celui de Sidonie, n'ont pas
reçu les échos favorables que les concepteurs de ce programme ont
souhaité. La récupération de Sidonie peut être
considérée comme des effets pervers des campagnes de
prévention. La situation émotionnelle décrite par Hugues
au sujet de Sidonie est probablement ce que pense Susan SONTAG quand elle dit
que « de même que la maladie est le plus grand malheur, de
même le plus grand malheur de la maladie est la solitude ; lorsque
l'infection de la maladie dissuade de venir ceux qui devraient être au
chevet du malade ; jusqu'au médecin se fait rare (...) le patient
devient un hors-la-loi, un excommunié.205 » En
réalité, lorsque l'on est étiqueté par le terme
« péjoratif » (car en réalité le terme Sidonie
n'est aucunement pris dans un sens positif, car lorsqu'on voit Sidonie on fait
référence au mal qui tue, à une maladie dénigrante
qu'elle porte) de Sidonie, l'effet à pour impact d'être
qualifié d'hors- la loi. Et, de fait, nous sommes plus ou moins
réfractaire à ce que dit LAPLANTINE quand il énonce que la
maladie « n'engage pas vraiment le sujet dans son
intégralité, et encore moins le sujet dans son rapport au groupe,
mais seulement son corps, ou le plus souvent même une partie de son
corps. 206» Dans les sociétés de
l'obscurité imaginaire, la maladie, et plus particulièrement la
maladie du Sida, est un engagement total du
204 Luc BERLIVET, « Une biopolitique de l'éducation
pour la santé. La fabrique des campagnes de prévention »,
Le gouvernement des corps, Paris, EHESS, 2004, p 45.
205 Susan SONTAG, la maladie comme métaphore, le sida
et ses métaphores, Paris, Christian Bourgois éditeur, 1993,
p 157.
206 François LAPLANTINE, Anthropologie de la
maladie, Paris, Editions Payot, 1992, p 280.
68
corps et même un engagement d'un « sur-corps »
qui n'est autre que les représentations sociales donc la
société.
Dans le début des années 1990, le terme de
Sidonie pour décrire la maladie est un terme qui, vraisemblablement, est
récupéré par la population pour décrire la maladie.
En fait, lorsque le PNLS pense se servir d'une personne vivant avec le Sida (en
l'occurrence Sidonie SIAKA) pour que les acteurs sexuels prennent conscience
des dangers de la maladie du Sida, il ne s'est pas rendu compte de la puissance
de récupération et de la force ironiquement néfaste des
productions imaginaires de la société gabonaise. En ce sens que,
premièrement, la prévention est une donnée propre aux pays
développés, c'est-à-dire des pays oü
l'évolution de la biomédecine a déjà achevée
la« rupture " entre les préjugées et les faits
biomédicaux. Deuxièmement, le PNLS n'a pas effectué cet
effort de contextualisation qui consiste à se demander si les
méthodes occidentales en matière de prévention sont aussi
applicables aux terrains de l'Afrique centrale. Car s'il avait fait cet effort,
il se serait rendu compte que le gabonais, croyant à la puissance des
génies de la terre bénie des dieux, ne croyait pas que le Sida
existait et que ceux que cette maladie affectaient, étaient tout
simplement des impies, des fornicateurs, des sorciers qui n'avaient que ceux
qu'ils méritaient.
Sidonie est donc un prénom féminin qui a
été attribué au Sida pour la proximité syllabique
des trois premières lettres. Ensuite, l'on constate une
allitération en «Sid " qui renvoie dans le vocabulaire à
l'acide qui est un produit corrosif toxique dangereux. Mais aussi, en
l'allusion au sexe féminin introduit la notion que le Sida est une
`'maladie des femmes» transmises par les femmes aux hommes car la femme
c'est le diable. Elle est le symbole de la déchéance et de la
trahison du monde depuis le jardin d'Eden. Le Sida, à ce titre, serait
une fois encore comparable au poison de la pomme de l'arbre de la connaissance
du bien et du mal. Le PNLS aurait fait ce rapprochement, certes pas
évident, entre la violence du symbole en la personne de Sidonie SIAKA et
la violence de l'imaginaire entre autre la métaphore du Sida Sidonie.
Certes l'évènement ne pouvait être prévu, mais les
coûts émotionnels seraient amoindris.
Si cette métaphore de Sidonie semble
désuète et obsolète aujourd'hui, c'est pour la raison
selon laquelle le Sida a éprouvé les dieux de la terre
bénite. La maladie du Sida a fait ses preuves biomédicales au
détriment de nombreux morts. Certes, il est prétentieux de dire
que la rupture biomédicale est accomplie au sujet du Sida au Gabon. Car
le propre des sociétés postcoloniales est d'être
récluses et concaténées dans des pratiques sociales qui ne
sont, ni plus ni moins, qu'une forme traditionnelle d'une revendication
identitaire, une nuit idéologique. C'est cette identité, cette
obscurité imaginaire qui est en lutte avec la biomédecine. Car la
prévention symboliquement est une notion étrangère tout
comme la médecine en est une. Sidonie qui est une personnification du
Sida n'est rien d'autre qu'un archétype de la puissance de la violence
de l'imaginaire dans les sociétés postcoloniales. C'est aussi un
stéréotype de la pensée des sociétés de
l'Afrique centrale au sujet de la maladie. Dans la société
postcoloniale du Gabon, la maladie devient le lieu de rencontre où se
confronte toutes les structures de causalités du Souverain moderne. La
maladie est cet « espace hétérotopique » oü
s'enchevêtre et se concatène les différentes pratiques
sociales, qui sous
autres formes sont des schèmes aigües des
représentations identitaires. L'espace dans lequel sévit le Sida
est un lieu de crise identitaire, une grande nuit, un espace de mort, de mort
symbolique et imaginaire. Lorsque nous parlons de représentation
identitaire, nous mettons en scène cette particularité des
familles de rechercher dans une maladie biomédicale, une autre cause que
celle de l'étiologie. Le regard inquisiteur, dans le cas de la maladie
du Sida, se tournent vers un bouc-émissaire. C'est la quête d'une
identité de la maladie qui est toujours référé
à l'autre. Sidonie SIAKA est cet autre qui s'est livré à
la grande inquisition du sens commun.
3) Le syndrome inventé pour décourager les
amoureux : le Sida dans les années1990
Le syndrome inventé pour décourager les amoureux
est une métaphore de la maladie du Sida qui est née dans le
début des années 1990. Cette figure de style est un
euphémisme aussi bien qu'une ironie. Nous avons trouvé cette
représentation dans une bande dessinée intitulée
Yannick Ndombi ou le choix de vivre 207 . Dans cette bande
dessinée, l'auteur présente les différentes
représentations qui sont attribuées au Sida dans le début
des années 1990. Cette période est propre au moment ou
l'itinéraire du Sida est à son stade exponentiel. C'est la
période oü le Sida est entrain de prendre de l'autorité dans
les consciences collectives et individuelles comme agent mortifère.
C'est la période oü « chaque époque, chaque
société est littéralement hantée par un certain
type de maladie (...) et développe une certaine conception de
l'étiologie208». Curieusement, les débuts de la
prévention du Sida au Gabon sont des moments difficiles, qui ne sont
rendu complexe que par la seule puissance des corollaires des
représentations sociales que nous identifions dans ce propos, entre
autre, comme les métaphores du Sida.
La prévention du Sida au Gabon s'est heurtée
à cette grande nuit dans laquelle sommeille toutes les
sociétés postcoloniales. Une nuit idéologique. Un sommeil
qui s'effectue par la violence de l'imaginaire et du symbole. Dans le cas
spécifique de la maladie du sida, les métaphores, et d'une
certaine manière toutes les représentations sociales, sont cette
grande nuit idéologique dans laquelle la maladie biomédicale est
plongée au Gabon. Alors, le syndrome inventé pour
décourager les amoureux, un euphémisme patent et notoire, est une
ombre qui vise à dissimuler non plus seulement l'ignorance mais surtout
la peur. Car, lorsque les génies de la « terre bénite »
ont abandonné leurs enfants, la peur s'empare des consciences
individuelles jusqu'à créer des fictions qui ont pour intention
de rassurer par la force de l'euphémisme qui n'est autre qu'une violence
de l'imaginaire. Plus simplement, l'expression syndrome inventé pour
décourager les amoureux est un euphémisme qui vise à
atténuer la peur que les populations ont vis-à-vis de la maladie
du Sida. En ce sens que, l'Etat (et la biomédecine) n'a trouvé
aucun remède contre le Sida et que le seul moyen qu'il préconise
c'est des recommandations par le moyen de la prévention.
207 FARGAS, Yannick NDOMBI, ou le choix de vivre, Libreville,
PNLS, 1991.
208 Francois LAPLANTINE, Anthropologie de la maladie,
Paris, Editions Payot, 1992, p 117.
Dans la société de la grande nuit, où les
espaces hétérotopiques sont les pourvoyeurs magistraux des
représentations sociales de la maladie du Sida, le syndrome
inventé pour décourager les amoureux est une expression qui vient
illustrer le fait selon lequel la maladie « appréhendée
comme hasard ou comme nécessité, comme innée ou
accidentelle, (...) est toujours extérieure à l'individu
lui-même.209" Le Sida est une devenu une ombre de la grande
nuit. Cependant, cette maladie est biomédicalement réelle, donc
est une maladie du « jour ", de la réalité. Dès que
le sens est corrompu par les mots, les représentations sociales
c'est-àdire les métaphores, la nuit s'installe et pervertie les
faits réels en faits irréels ; des faits de la grande nuit dans
lesquelles la peur créer ces ombres du spectre qui ne sont que les
métaphores de la maladie du Sida.
Lorsque nous diligentons les figures de styles de la maladie
vers l'analogie, vers la métaphore, l'euphémisation de la maladie
du Sida, il va se créer des mots ou expressions qui peuvent se
décrire sous les termes, maladie du siècle, la grande maladie ou
les quatre lettres. En ces termes nous pensons que, « la pratique
médicale était étroitement lié à la culture
et à l'époque dans laquelle elle s'inscrivait, [et] n'arrive
jamais à s'affranchir soit de la superstition religieuse, soit de la
superstition philosophique [ et populaire]210."
4) La maladie du siècle et la grande maladie
Lorsque nous présentons le Sida comme maladie du
siècle ou représentations sociales, c'est bien sûr en
première intention en référence aux grandes maladies qui
ont parcouru les époques des sociétés. Nous prenons
référence sur « la lèpre médiévale, la
syphilis de la renaissance ou la tuberculose du début de la civilisation
des machines211." Ainsi énoncé, « le Sida est la
Peste du 20ème siècle212". Elle est la
maladie du siècle, la grande maladie qui sévit sur notre
ère de la postcolonie. C'est la maladie qui défraie les
chroniques depuis plus de 20ans, qui mobilise toute la communauté
scientifique et politique. C'est la maladie à « la mode ».
C'est la maladie qui crée des revenus énorme pour les organismes
internationaux aussi bien que pour les firmes pharmaceutiques213.
C'est la maladie de la peur, de toutes les attentions, l'ennemi
mondial214, la maladie du siècle, la grande maladie.
En seconde intention, la maladie du siècle et la grande
maladie est une donnée recueillie in-situ. Nous étions debout
(inconfortablement) dans un transport en commun (SOGATRA) et la circulation
avait été arrêtée, durant une demie heure, pour
laisser passer le cortège présidentiel. Nous avons reconnu le
véhicule présidentiel, mais aussi le véhicule du
ministre
209 François LAPLANTINE, Anthropologie de la
maladie, Paris, Editions Payot, 1992, p 280.
210 François LAPLANTINE, Op cit, p 116.
211 Mirko D . GRMEK, Histoire du Sida, Paris , Payot et
Rivages, 1995, p 21.
212 Maroun TARABAY, Les stigmates de la maladie.
Représentations sociales de l'épidémie du Sida,
Paris, Editions Payot Lausanne, coll « Hic et Nunc », 2000, p 53.
213 Lire à ce sujet Yannick ALEKA ILOUGOU, Le
marché symbolique du préservatif et du Sida à
Libreville, Libreville, FLSH, Département de sociologie,
mémoire de maîtrise, 2010.
214 Maroun TARABAY, Op cit, p 54.
70
des sports René NDEMEZO OBIANG. Les dames et certains
hommes, visiblement impatients et énervés suite à la
chaleur caniculaire, se mirent à discuter en traitant les
personnalités qui passaient de « GAGUI215» et de
personnes ayant la maladie du Siècle et la grande maladie216.
Ainsi prononcé et contextualisé, le terme de maladie du
siècle est proche d'une injure. Tout corps portant le virus est un corps
injurieux à l'ordre social. Car être malade du sida c'est porter
un germe nuisible, un germe de la déchéance et des
péchés sexuelles de la perversion. Le sida est une maladie de la
perversion et, de fait, quiconque est porteur de ce virus est
immédiatement taxé, étiqueté, stigmatisé et
marginalisé. Être malade du Sida est une forme d'injure, et la
maladie du siècle est cette injure dans ce cas précis, Nous
sommes ici dans une forme avérée de
stigmatisation-marginalisation des personnes vivants avec la maladie du Sida.
Dans ce cas, la métaphore est une forme de marginalisation, une
expression déshumanisante.
Outre cet aspect de discrédit lancé sur les
porteurs de la maladie du Sida, nous avons fait une analyse des personnes
autorisés qui produisent ce discours comme le dit BOURDIEU. Dans ce bus
de transport en commun de SOGATRA, nous avons pu remarquer que les personnes
qui ont produit ces métaphores de grande maladie et de maladie du
siècle sont des personnes instruites. En effet, bien avant qu'ils
prononcent le discours sur « GAGUI » et « la grande maladie et
la maladie du siècle », la discussion tournait autour des travaux
« dit de l'émergence ou de l'énervance217 ».
Nous avons remarqué que c'était des débats de
lettrés avec tous les préjugés que le sens commun puisse
produire. Donc, ces métaphores de maladie du siècle et de la
grande maladie sont des métaphores prononcées par des
lettrés. Ce n'est donc pas seulement les « illettrés »
qui ont les conceptions les plus triviales sur la maladie du Sida. Car dans ce
bus, nous avons constaté que les lettrés sont eux aussi
producteurs de représentations sociales qui pervertissent la maladie du
Sida.
5) Les quatre lettres
Les quatre lettres sont une autre représentation de la
maladie du Sida. Pour comprendre cette autre métaphore du Sida, il nous
faut transcrire une discussion que nous avons eu avec deux dames au
marché Mont-Bouet. Nous remarquons bien entendu que certaine de nos
données d'enquête ont été obtenues sous forme
d'enquête informel afin de mieux intégrer le groupe. En fait,
c'est plus ou moins la logique de l'espace hétérotopique du
marché. Il faut crée une sorte de familiarité avec le
milieu. C'est-à-dire choisir un style vestimentaire qui
215 Nom de la mascotte de la Coupe d'Afrique des nations de
football 2012 dérivant du clan Essangui chez les fangs. Dans le milieu
populaire ce nom est attribué au Président Ali BONGO ONDIMBA. Ce
nom dans le milieu populaire a été substitué à
IBUBU ( qui veut dire gorille en langue vernaculaire Ipounou) donné au
président par la population lors de sa tournée
présidentielle à Mouila. durant la campagne électorale de
2009 Vu que la mascotte de la CAN est un gorille le Kongossa à
préféré GAGUI
216 Il s'agit bien entendu du ministre René NDEMEZO
OBIANG.
217 Propos des personnes qui parlaient dans le bus.
n'attire pas l'attention. De fait, toutes sortes d'artifices
propres au milieu professionnel218 sont prohibées car il
fallait être conforme à l'espace. C'est d'une certaine
manière ce qu'énonce Placide ONDO quand il dit que « de
fait, la participation au songo comme affirmation d'une identité
culturelle ou ethnique s'accommode mal de la correction vestimentaire fortement
occidentalisée en vigueur dans les activités officielles. Il
s'agit donc de dissimuler la distance sociale par le biais d'une pratique
culturelle commune et d'une simplicité vestimentaire. Ainsi, fondu dans
le groupe ethnique, on peut en tirer un profit symbolique : la reconnaissance
comme membre de ce groupe 219 .» Nous avons discuté avec
Aude 220 et Linda 221 simultanément222.
Enoncé n°15 :
Aude- Je ne portais pas les strings il y a deux ans. Mais
un jour j'ai surpris dans le téléphone de mon gars, la photo
d'une de ses « pétasses » qui était en
sous-vêtements. Elle avait un string avec une corde. On s'est battu ce
jour avec mon gars et j'ai pris la décision de m'habiller sexy comme ses
pétasses comme ça il n'aura plus de raisons d'aller chercher
dehors.
Linda- Toi c'est même petit, moi je l'ai surpris au
motel avec une voisine. On s'est battu avec la fille. Jai déchiré
ses habits et en dessous elle avait un string rouge. J'avoue qu'elle
était bien avec. Mais avec la colère et la jalousie,
j'étais obligé de lui dire que c'est à cause du string
qu'il va me ramener les quatre lettres à la maison. Quand je suis
rentré on s'est encore bien battu avec mon gars, après on a bien
fait (rire) !
Aude- Comme c'est les strings qu'il veut là !? J'ai
tout une valise de strings, de toutes les couleurs. Comme ça il va pas
me ramener le Sida. C'est bête mais parfois c'est parce que on s'habille
comme des vieilles que nos hommes là vont dehors, avec des filles peut
être qui ont les quatre lettres (Elle se retourne et fait mine de
postillonner comme pour conjurer la mauvaise parole qu'elle vient de faire
sortir, ensuite elle essuie sa bouche), pardon (soupir).
Linda- En tout cas, c'est string là qu'il mange
tous les jours sauf quand je suis dans la planète des femmes. Je le
fatigue bien ! Comme ça y a pas de reste pour les autres, pas de
maladie, pas de quatre lettres. Oui ho ! Dès qu'il voit le string
là il est debout !
218 Les vestes, les cravates, les chemises, les mallettes ou
porte-documents sont interprétés dans l'espace
hétérotopique du marché et des bars, comme attitude de
personnes venant espionner. Du coup, tous propos est interprété
de manière suspecte et, de fait, la discussion devient stérile.
Nous avons dû nous vêtir de manière simple afin de
n'éveiller aucun soupçon et nous fondre dans la masse (car nous
étions conforme a l'identité des lieux) et accéder au
discours.
219 Placide ONDO, « Le Kongossa politique ou la passion de
la rumeur à Libreville », Fin de règne au Gabon,
Paris, Karthala, Coll « Politique africaine », n°115,
octobre 2009, p 91.
220 Mlle Aude, féminin, niveau d'étude secondaire,
catholique, sans profession, Fang.
221 Mlle, Linda, féminin, niveau d'étude
supérieure, catholique, Assistance en communication des entreprises,
Mwiénè.
222 Cette discussion a eu lieu devant un déballage de
lingerie féminin. Le commerçant criait « Votre mari cherche
les strings dehors, il cherche le Sida dehors, madame faut porté le
string à la maison »
72
Ce qu'on peut extraire de ce discours, c'est entre autre que
les quatre lettres sont une représentation et une métaphore du
Sida qui est utilisée par, plus ou moins, des personnes instruites. Bien
que le débat fût assez trivial, probablement suite au lieu dans
lequel le débat a eu lieu, les intervenantes étaient des
personnes instruites. En ce sens que nous voyons que cette métaphore
prend en compte la connaissance de l'alphabétisation et du nombre. Il
faut connaître l'alphabet et connaître compter pour
prétendre faire une telle analogie du sida à ces lettres et leur
nombre.
6) Le Kongossa et les métaphores de la maladie du
Sida : ragot ou rumeur ?
Le Kongossa est un terme populaire au Gabon qui renvoi
à la rumeur. La rumeur ou le Kongossa, puisque c'est de cela dont il
s'agit, est l'expression du discours du trottoir. C'est aussi ce qu'on appel
radio trottoir. C'est un baromètre symbolique qui identifie et montre
l'ossature de la puissance de la matrice imaginaire, et féconde, des
espaces hétérotopiques. Le Kongossa, ou la rumeur a pour objet ou
champ préféré le discours et les évènements
sociaux inédits. De la mort d'un politicien vers la possession d'une
cuvette de sang et d'un crane gardé dans une chambre « noire ", en
passant par les meurtres, les viols, les avortements de la voisine,
l'arc-en-ciel de Untel, des fraudes, de l'adultère de sa soeur, de
l'inceste du père avec sa fille, de la mauvaise cuisine de la voisine,
de l'impuissance de x et de la stérilité de y, du diabète
avancé d'Ali Ben et de sa blessure inguérissable, des quatre
lettres de BONGO ou de NDEMEZO...Tout est objet à débat, de
rumeur, de Kongossa. Et le Kongossa a cette forte inclinaison de ramener
toujours le discours autour des « affaires du corps ", les « choses
du corps " dont la maladie du Sida est un de ces archétypes.
Mais, le propre du Kongossa est d'être le discours
« officiel " des espaces hétérotopiques populaire en
l'occurrence : les bars (dépôt de vin de palme et de
mussungu223), les bus en commun, les marchés. C'est des
espaces éloignés des lieux du pouvoir de la richesse tel que la
Sablière ou le « Bord de mer ». C'est des espaces
hétérotopiques qui se superposent ou se juxtaposent aux «
désordres ou [aux] difformités d'une urbanisation de camps, avec
ses baraquements, ses rues et pistes encombrées d'ordures, sans
égouts, dans une proximité banalisée avec les rats, les
cafards, les chiens errants, les mouches, les moustiques, voire les
serpents.224» C'est donc dans ces espaces
hétérotopiques et leurs bidonvilles, c'est lieux
d'obscurité - de grande nuit où les « choses du corps " sont
relatives à la possession sorcellaire ou messianique - dans lesquels la
maladie du Sida va être métamorphosée symboliquement en une
maladie de la sorcellerie, une maladie dont le Kongossa c'est fait le
chroniqueur.
Au regard de cette section de l'espace
hétérotopique populaire, à savoir les bars, les transport
en commun ou encore les marchés, nous devons dire que dans cet espace,
le
223 Lieu hétérotopique aussi appelé de
manière populaire à Libreville « réunion des parents
d'élève ».
224 Joseph TONDA, Ibid, p 161.
Kongossa est celui qui véhicule la maladie du Sida
comme une maladie qui est syndrome inventé pour décourager les
amoureux, Sidonie, une maladie du siècle ou cette grande maladie dont
ces quatre lettres sont des lettres de la mort. C'est par la puissance de la
rumeur que les préjugées circulent ci et là dans la
société gabonaise. C'est dans ce sens qu' « il faut prendre
les choses pour en extraire les visibilités. Et la visibilité
à une époque, c'est le régime de lumière, et les
scintillements, les miroitements, les éclairs qui se produisent au
contact de la lumière et des choses225.» En fait, c'est
dans le Kongossa que l'imaginaire scintille et se miroite. Le Kongossa est le
corps -symboliquement- qui transporte l'imaginaire qui en est l'âme.
L'imaginaire à Libreville est toujours soit une rumeur qui est une
fiction, une légende, un mythe ou soit un ragot, une médisance.
Le CRIMADOR226 est une déformation, une métamorphose,
une perversion du réel. C'est, en quelque sorte, un autre nom de
l'imaginaire au Gabon. Dans un certains sens, le ragot est un cran au-dessus de
la rumeur. La rumeur est une nouvelle vague et incertaine de quelque chose. Le
ragot est plus de la médisance sur quelqu'un que l'on va chercher
à diaboliser. En fait, la rumeur du Kongossa rend le réel
irréel, tandis que le ragot rend l'irréel réel. C'est lui
qui transpose une maladie du Sida qui est réelle, en une maladie de
l'autre (Sidonie) ou une invention c'est-à-dire une fiction,
l'irréelle. Les métaphores du sida sont des passagers imaginaires
du Kongossa. Mais bien plus encore, le Kongossa, siège des
métaphores du Sida, est un dans sens la violence de l'imaginaire.
À travers le kongossa et le ragot nous avons une icône de ce que
nous entendons par la violence de l'imaginaire dans la capitale d'une
postcolonie d'Afrique centrale, Libreville. Entre autre, une puissance qui
réifie, travestit la réalité et son sens, et qui conduit
à la rendre indiscernable de son être et finit par la faire
disparaître en tant que réalité. Car, le Kongossa tout
comme le ragot n'est jamais que quelque chose d'irréel que l'on veut
intégrer avec force et subtilité dans la réalité.
Et, de fait, les commérages en rapport avec la fiction cherchent
à légitimer le pouvoir d'une chose par la puissance du symbole et
la force des images et imaginaires. Le Kongossa, c'est la violence de
l'imaginaire dans son stade le plus brut.
SECTION 2: Les représentations musicales du Sida
dans les espaces
hétérotopiques à Libreville
Il est bien connu que la musique adoucit les moeurs. Mais il
est n'est as commun de dire que la musique est un soporifique pour faire dormir
les moeurs. En les adoucissants, en les subjuguants, les moeurs se transforment
et se métamorphosent, ou plutôt, se métaphorisent en un
discours généralement proche du discours du trottoir, le
Kongossa. Lorsque le Sida prend « possession » du Gabon, le PNLS va
se servir de la musique comme ustensile et méthode pour faire passer le
message de prévention. Toutes sortes de message vont alors transiter par
le canal de la musique et pas seulement pour un type de population
précis. Les styles de musique, du Makossa au Soukouss en passant par le
Zouk, la Biguine et le rap se disputent se nouvel « Eldorado » pour
un tube qui sera la clé d'un succès. Dans le cas du
225 Gilles DELEUZE, Pourparlers, Paris, Les
éditions de minuit, coll « Reprise », 2003, p 132.
226 Lire à ce sujet Joseph TONDA, Le Souverain
moderne, Op cit, p 161.
74
Gabon, Maman Dédé227 est la
première à ouvrir les hostilités. Malheureusement, le taux
d'audience est infime et se morceau intitulé « Sida " passe dans
les coulisses. Cela est peut être dû au fait que la maladie n'est
pas encore connu ou très peu alors. Dans les années 1991 et 1992,
les tubes se succèdent sur ce nouveau thème, mais, cette fois,
gagne une popularité. Cela est peut être le fait de la
notoriété des artistes qui chantent à son sujet, notamment
Mack'joss et Hilarion NGUEMA. En 1998, le mouvement prend la possession des
jeunes avec le rap. Il y a alors un premier album « Bantu Mix " produit
par Georges KANGUA du studio Cage intitulé « Le VIH est là !
". Dans cette chanson nous retrouvons tous les artistes du hit parade gabonais.
En 2001, le groupe de rap Raboon sous la direction de Franck BAPOUNGA, sort un
titre intitulé « Ne me dis pas ça ". Arnold DJOUD en 2006
chante aussi sur le Sida.
Contrairement à ce qu'on pourrait penser, les textes de
ces chansons sont des propos conscientisant. Ces textes pour la plupart
gravitent autour du thème le Sida maladie du sexe, du sang d'amour et
d'infidélité. C'est à ce titre que nous renvoyons ces
thèmes vers les métaphores musicales de la maladie du Sida au
Gabon. En ce sens qu'ils sont une forme de représentations sociales de
la maladie à un moment donnée de l'histoire. C'est donc, les
métaphores de la scène musicale. Les métaphores de la
société de spectacle au sujet de la maladie du Sida sont le
centre de préoccupation de ce chapitre. Doit-on penser que ces
métaphores sont des représentations en dichotomie ouverte avec
celle des espaces hétérotopiques religieux et populaires ? Est-ce
que ces métaphores sont implicitement le discours de l'Etat contre les
maux des mots populaires qui se représentent faussement le Sida ?
Sommes-nous en face d'une forme de biopolitique ?
1) Le Sida, maladie du sexe dans la postcolonie : la
violence de l'imaginaire
Le sida est une maladie sexuellement transmissible. Il n'en
fait aucun doute. Tout comme il ne fait aucun doute qu'elle est
également une maladie qui se transmet par les voies sanguines. Cela
revient à dire que l'évidence qu'elle soit une maladie du sexe et
du sang ne souffre, à notre sens, biomédicalement d'aucune
contestation. Les métaphores que nous décrivons semblent plus de
métaphores biomédicales que musicales. Et lorsque l'on observe
l'évolution de la prévention au Gabon on peut comprendre la
présence de ces métaphores dans le milieu musicales. La
scène devient le lieu ou l'espace hétérotopique sur lequel
l'Etat s'exprime par le moyen de la musique et des artistes. C'est dans cet
espace que nous retrouvons le discours plus ou moins équivalent à
celui du PLIST.
L'introduction de ce propos ci-dessus met en évidence
le fait ou la raison de la métaphorisation du Sida comme maladie du
sexe. L'évidence biomédicale et étiologique des modes de
contamination de la maladie du Sida présente cette maladie comme, nous
l'avons mentionné plus haut, une maladie sexuellement transmissible. Le
discours musical au sujet
227 Première artiste Gabonaise a avoir chanté sur
le Sida 1990. In formation obtenue par le biais d'un artiste nommé Mack'
Joss
du Sida n'est pas étranger à cette idée.
Nous dirons qu'il restitue textuellement le sens de cette évidence
biomédicale. Nous l'avons retrouvé dans un texte d'Hilarion
NGUEMA. Le corpus de ce chant révèle que le sida, selon l'artiste
est « une maladie du siècle, maladie du sexe, maladie du sang,
maladie d'amour ». En fait, pour comprendre ce texte il faut le situer
d'abord dans son contexte historique. En effet, les années 1990 sont les
années les plus difficiles sur le plan de la prévention. C'est
l'année que nous qualifions d' « année de l'ombre ».
Une année de l'ombre en ce sens que le Sida, dans cette période,
n'est pas cette maladie biomédicale qui suit en effet une logique
étiologique. Bien au contraire. C'est une maladie des autres, des
blancs, qui ne peut atteindre que les individus qui vivent en dehors des
prescriptions théologiques ou traditionnelles. Cela dit, le propos
implique le fait selon lequel la maladie du Sida est une maladie d'impies et de
personnes qui oublient qu'ils sont d'abord et avant tout africains.
C'est-à-dire, des personnes liées à leur culture, à
leur tradition, à une idéologie identitaire oü la maladie
est la résultante d'une attaque, une chasse. Être africain c'est
croire au fétiche, à la sorcellerie, au vampire, à
l'obscurité. C'est donc croire que la maladie du Sida est
contracté parce qu'on ne possède pas les «
vaccins228» qui blindent contre les Nzatsi, les fusils
nocturnes, les attaques sorcellaires d'un parent ou d'un groupe de parents. Le
constat est donc que, dans cette époque, la maladie du Sida n'est pas
connue ou est déniée pour être une maladie sexuellement
transmissible.
Chanter que le Sida est une maladie du sexe dans une
société de la « grande nuit », c'est démystifier
les ombres, les Mbumba, les Nzasti, les Kôhng, le Dieu
pentecôtiste. Nous sommes donc dans une forme de lutte contre
l'obscurité de la grande nuit africaine. Cette nuit imaginaire qui
plonge la maladie dans le monde des méandres des préjugés
où les sorciers ont le pouvoir de « vamper » pour aller
chasser et tuer à coup de Sida mystique. C'est, « sans doute notre
temps (...) [qui] réfère l'image à la chose, la copie
à l'original, la représentation à la
réalité, l'apparence à l'être.229»
Mais encore, dès que dans cette période l'évidence de la
transmission sexuelle du Sida s'impose au grand jour dans la « grande nuit
», il devient un Sida politique. La pensée de la « grande nuit
» ouvre une autre brèche. Dans cette brèche, l'imaginaire
s'y insère afin de pervertir et corrompre le sens de cette
évidence de la réalité. En effet, sous les auspices de la
violence de l'imaginaire, la maladie est un Sida que les grands hommes
politiques ou hommes d'affaires donnent en déflorant des jeunes
fillettes ingénues pour être guéris. Le phallus « hors
norme » du Souverain moderne déflore et abîme230
dans la « grande nuit » le sexe féminin dans un délire
pervers et obsessionnel, symbolique et imaginaire d'une repentance. « La
sexualité de l'autocrate fonctionne à partir du principe de
dévoration et d'avalement des femmes, à commencer par les vierges
qu'il déflore allègrement231.» Car comme Achille
MBEMBE le dit « la verge du potentat est un furieux
228 Scarifications qui ont pour vertus de blinder contre les
attaques de serpents, de sorciers, et de fusil nocturne ou de poison
229 Feuerbach préface a la deuxième édition
de l'Essence du christianisme cité par Guy DEBORD, La
société du spectacle, Paris, Gallimard, coll « Folio
», 1992, p 13.
230 Lire à ce sujet Placide ONDO, « Le Kongossa
politique ou la passion de la rumeur à Libreville », Fin de
règne au Gabon, Paris Karthala, coll « Politique africaine
», n° 115, octobre 2009, p 79.
231 Achille MBEMBE, Sortir de la grande nuit. Essais sur
l'Afrique décolonisée, Paris, la découverte, 2010, p
217.
76
organe, nerveux, facilement excitable et porté vers la
boulimie232.» C'est-à-dire que la maladie du sexe, qui
est le Sida, dans les sociétés de l'obscurité ne peut
être guérit quand captant et capturant, comme le fait un chasseur
de la « grande nuit », par le sexe la guérison.
Symboliquement, le pouvoir postcolonial est la jouissance sous toutes ses
formes : voitures de grand luxe, château de marbre, compte en banque
à douze zéro, une collection fétichiste de « bombe
sexuelle », etc. Pour MBEMBE « le pouvoir postcolonial, en
particulier, s'imagine littéralement comme une machine à jouir.
Ici, être souverain, c'est pouvoir jouir absolument, sans retenue ni
entrave. La gamme des plaisirs est étendue233.» C'est
par le sexe que la maladie est insérée, et c'est par le sexe
vierge, détruit par un puissant phallus Souverain, qui manque toujours
de les étrangler lorsqu'il le leur enfonce au fond de la
gorge234, que la maladie sera éradiquée. Le Sida
maladie du sexe ressemble fort, à la suite de ce propos, a une forme
d'asphyxie qui est infligée à la population par un potentat, un
souverain. Une violence de l'imaginaire s'impose car le rapport à la
maladie est corrompu par l'imaginaire, cette irréalité qui
gouverne les esprits et les corps des populations des sociétés
postcoloniales.
L'ambivalence entre un projet biomédical, et
dirons-nous biopolitique, et une récupération imaginaire de ce
projet fait suite à une déficience accrue, de la
société indigène de la grande nuit, à une
reconnaissance de la biomédecine à saisir son objet. Dès
lors, l'évidence biomédicale de la transmission sexuelle du Sida
va être contextualisée et se heurter sur des rapports culturels,
pourtant imaginaire, dans lesquels le phallus est symbole de
prospérité, de puissance et de pouvoir. Accepter et
tolérer le Sida comme maladie biomédicale et comme maladie du
sexe, c'est pratiquement interdire le sexe dans la pensée
indigène. « Le Sida sert d'argument à un nouvel interdit
sexuel, non plus moral, mais fonctionnel. C'est la circulation libre du sexe
qui est visée. On interrompt le contact, on stoppe les flux. Or, (...)
le sexe, l'argent, l'information doivent circuler librement.235
» Le Sida, maladie du sexe de la chanson d'Hilarion NGUEMA a alors plus
à dire que nous le pensions. Il est un rapport de force, un rapport
hégémonique entre le Souverain qui déflore ou sodomise,
à tout va, les jeunes gens parce qu'il est détenteur du pouvoir
et de l'argent. Et, du méme coup, le Sida postcolonial se mélange
à toutes sortes de représentations imaginaires qui font de lui un
agent mortifère. C'est donc, une forme de violence du pouvoir qui allie
dans la maladie du Sida sexe et mort236. Nous sommes dans un
cocktail Molotov qui se compose des termes Sida, Sexe, argent et mort. En
d'autres termes, nous sommes face un terme qui met en relation un virus, un
phallus richissime, un utérus ou rectum assoiffés d'argent, et
des imaginaires qui en définitif conduisent à la mort. C'est
encore ce que nous pouvons appeler la violence de l'imaginaire.
232 Achille MBEMBE, Op cit, p 218.
233 Achille MBEMBE, Op cit, p 217.
234 Achille MBEMBE, Ibid, p 218
235 Jean BEAUDRILLARD, La transparence du mal. Essais sur les
phénomènes extrêmes, Paris, Galilée, 1990, p
72
236 Achille MBEMBE, Op cit, p 221.
2) Le Sida maladie du sang
Lorsque Hilarion NGUEMA dit dans sa chanson que le Docteur lui
a dit que le Sida est une maladie du sexe, du siècle et du sang, il met
à jour la pensée biomédicale qui est en lutte pour
démystifier les rumeurs sur les modes de contamination. Cette chanson
dévoile les intentions avérées des ONG pour lutter contre
les représentations sociales du Sida. Cette chanson met à jour
tous les préjugés qui gravitent autour de la maladie du Sida.
C'est donc, la lutte contre le discours trivial populaire à laquelle
cette chanson s'attaque. Car, en effet, le Sida est ici dans un
dédoublement. Il y a exactement deux Sida maladie du sang. Il y a le
Sida biomédical qui présente l'idée que le Sida est un
virus qui s'attaque aux défenses immunitaires du corps humain par le
moyen du sang, puis il y a le Sida populaire qui est aussi un Sida du sang.
Mais ce Sida populaire est un Sida qui utilise le sang de façon
mystique. Il y a prélèvement mystique du sang d'une personne
affectée par le Sida pour l'inoculer à un autre individu dans
l'objectif de nuire. Le virus dans cette conception symbolique est introduite
par la morsure et le venin du vampire qui, au préalable, comme un
moustique, à ingéré le sang d'un sidéen pour
ensuite l'insérer dans le corps de sa proie.
C'est un dédoublement du Sida. Il y a un Sida qui est
un virus du sang biomédical et il y a un Sida qui est une morsure
mystique du vampire. C'est donc une opposition ouverte dans la chanson de
Hilarion NGUEMA entre la biomédecine et le milieu populaire. Une lutte
idéologique de la revendication d'une maladie qui est, malheureusement
une maladie biomédicale et rien d'autre. Le Sida est une maladie du sang
parce que c'est un virus qui détruit les défenses immunitaire du
corps de l'homme. Ce n'est pas une maladie du sorcier, du « vampireux
», qui vient sucer ou inoculer du sang à une tierce personne. Cette
chanson est une représentation de la santé biomédicalement
parlant. C'est une représentation sociale et biomédicale du Sida
qui, entre autre, exclu les ombres de la nuit et la puissance des «
vampires ». Tout se passe comme si à travers les chansons nous
inaugurons symboliquement une « guerre froide » des mots du Sida. La
chanson devient le lieu de conscientisation, de prévention, de lutte
contre les apories et préjugés populaires qui affectent le Sida.
La scène du spectacle musicale du Sida est un lieu d'éducation,
mais aussi un lieu de lutte contre les non-sens et l'irréel. Pour
corroborer ce propos nous allons transcrire quelques phrases que nous a
proposées Franck BAPOUNGA237 au sujet de la chanson du
Sida.
Énoncé n°16 :
« La scène est un lieu d'éducation. Bon
d'accord dans certains de nos textes c'est foutre (mettre) l'ambiance qui
compte. Mais quand il s'agit de sujet sérieux, comme le Sida, le rappeur
doit montrer l'exemple. Il doit être conscient car il doit faire passer
un message sérieux et toute sa technique à faire passer ce
message fera de lui un rappeur respecté. Le ring et la scène
c'est la même chose quand on monte on doit être sérieux.
Alors quand le sujet est sérieux, le message doit être
sérieux. Le Sida il faut le faire connaître dans sa
réalité aux petits frères. Et c'est ce que j'ai fait quand
j'ai écrit « ne me dit pas ça ! » J'éduque du
mieux que je peux.»
237 Franck BAPOUNGA, masculin, niveau d'étude secondaire,
catholique , Massango
78
Ce propos présente que dans le cadre de la
prévention les rappeurs ou musiciens deviennent des éducateurs et
se doivent de faire passer un message authentique et le plus proche de la
réalité possible. La réalité c'est la
vérité biomédicale de la maladie du Sida. C'est les mots
de prévention, les mots scientifiques que les populations on travestit.
C'est redire dans un rythme populaire ce qui à été dit
dans les émissions de télévision ou de radio. L'objectif
est d'intégrer et infiltrer la conscience populaire afin de la
démystifier, la sortir du spectacle des ombres de l'imaginaires qui
réifient la chose en objet spectrale. C'est encore intégrer les
espaces hétérotopiques qui sont, dans les sociétés
postcoloniales, envoûter et sous l'emprise de la puissance de la grande
nuit, la violence de l'imaginaire.
Dans la grande nuit idéologique dans laquelle la
société postcoloniale gabonaise se meut, le sexe et le sang sont
des objets de puissance, de pouvoir. C'est toujours des « affaires du
corps », les « choses du corps ». C'est toujours celui qui a
« le bon sang » qui réussit ; réussir ici, c'est
occuper un poste ministériel, réussir dans le sport, à
l'école, dans le milieu professionnel etc. Du coup avoir le Sida ce
n'est plus seulement avoir la maladie du sang, c'est-à-dire un virus,
c'est avoir le sang souillé, avoir un « mauvais sang », avoir
la malchance. Alors quand on entend maladie du sang dans la nuit noire de la
postcolonie, c'est avoir la malchance, la poisse, le « Nzobu
238 ». La population a fait de cette expression de maladie du
sang une expression pour décrire un évènement des plus
dramatiques de la société. La maladie du sang équivaut
à avoir un mauvais sang aussi biomédicalement que
mystiquement.
238 Expression Ipounou qui est le nom de l'animal appelé
la civette qui a la caractéristique d'être une bête portant
malheur à cause de ses excréments dont l'odeur est violement
putride et insupportable.
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
Conclure cette première partie, c'est retenir
l'essentielle de deux chapitres qui l'ont structuré. Ainsi, ce que nous
pouvons retenir des représentations de la médecine
ésotérique indigène c'est tout d'abord cette
diversité de variété d'expressions pour décrie de
façon analogique la maladie du Sida. Cette diversité peut se
comprendre par le fait qu'« au Gabon, comme ailleurs, il y a une
appréciation polysémique de la maladie. Ainsi, le nombre
élevé de groupe ethno-linguistiques ou d'environnements
socio-culturels ne permet pas d'avoir une représentations univoque des
pathologies239». Car, chaque ethnie et chaque rite initiatique
ou pratique sociale donne une définition de la maladie du Sida. Bien
plus encore, ce qui émerge brutalement c'est cette convocation
compulsive et quelque fois frénétique à la sorcellerie.
Tout a une origine sorcellaire en Afrique centrale. Chaque individu voit en
l'autre un éventuel jeteur de sort, de nzatsi, de Mbumba, de Kôhng
; un agent sorcier qu'il faut éradiquer à coup de protection, ou
à travers le terme de «taper le diable 240». Cette
société indigène est finalement une société
qui souffre de la sorcellopathie. Nous entendons par sorcellopathie cette
tendance dépressive et compulsive à voir en chaque infortune, et
par extension à chaque maladie, une attaque mystique diligentée
par un ou des individus qui sont jaloux d'une quelconque forme de
réussite propre à un individu.
Les considérations des métaphores du Sida dans
le milieu musical au Gabon relèvent, au terme de notre
itinéraire, des considérations biomédicales. Ce sont des
considérations qui prennent en compte les notions de prévention.
La scène musicale est une forme de plate forme du discours
biomédical qui veut se réapproprier, devant l'esprit pervers de
l'imaginaire gabonais, cette maladie du Sida. Car, les
précédentes métaphores du Sida nous ont montré la
dimension puissante des imaginaires qui réifient le Sida en maladie de
la sorcellerie. Les artistes sont conscient du message qu'ils doivent faire
circuler dans l'espace hétérotopique des bars, des scènes,
des boîtes nuit. La musique qui adoucit les moeurs va aussi remodeler le
message perverti par les églises, les temples de bwity, les initiations
indigènes, les marchés, les transports en commun, de la maladie
du Sida. Les métaphores du Sida dans le milieu musicale sont une forme
du discours de l'État contre les incohérences et les fausses
représentations que les populations, aussi bien religieuses que
traditionnelles ou encore populaires, ont sur la maladie du Sida. C'est donc un
discours, comme nous l'avons dit avant, qui est scrupuleusement fidèle
au propos de la biomédecine par le moyen de la prévention. Nous
sommes ici dans un discours que nous qualifions de biopolitique.
C'est-à-dire un discours qui prône la vie et laisse mourir quand
la science et la biomédecine ne peuvent plus rien241. C'est
donc un effort de l'État, qui s'est muté en État
biopolitique, de démystifier et démythifier le Sida
indigèno-religieux en sida biomédical. Cet État qui a mis
au centre de la société le Sujet. Le discours de l'État
à travers la biopolitique, les métaphores musicales de
239 MOUKALA NDOUMOU, « Pathologies, superstitions et
santé publique au Gabon », L'homme et la maladie,
Libreville, Editions Raponda Walker, coll « palabres actuelles
», n°2-Vol A, 2008, p 130.
240 Action qui consiste à aller voir les initiés du
mwiri afin de jeter un sort à une ou un groupe de personnes qui ont
attaqués un individu mystiquement
241 Michel FOUCAULT, Il faut défendre la
société. Cours au collège de France 1976, Paris,
Hautes Etudes, Gallimard, Le Seuil, 1997
80
prévention contre la maladie du Sida, est une forme
d'exhortation à une conscientisation du Sida comme maladie de la
biomédecine, une maladie de la responsabilité individuelle du
Sujet. C'est un refus de l'imaginaire comme explication de la maladie. Nous
sommes là dans une forme encore de démagification du monde
gabonais au sujet de la maladie. Le discours de la prévention est une
exhortation à sortir de la grande nuit idéologique qui embrigade
et concatène la société gabonaise. Cette nuit imaginaire
de l'imaginaire, une nuit oü les esprits ont colonisé le
réel ou de tout ce qui est réel.
Les métaphores populaires du Sida sont enclin à
une forte manie obsessionnelle de tout dédramatiser, minimiser qu'il
devient un danger pour la population elle-même. Le discours populaire sur
le Sida reste toujours fidèle à son esprit de «
trivialité » qui ramène tout au bas ventre, au sexe.
Pourtant, le Sida n'est pas qu'une affaire de sexe. Il est bien aussi une
maladie qui peut se contaminer de manière sanguine. Ce pan de la
contamination semble être absorbé par le regard et le
caractère sexuel de la maladie du Sida. Probablement du fait que la
maladie du Sida circule dans les espaces hétérotopiques,
au-delà des frontières, par le sexe, et en ce sens, est le
stéréotype et l'archétype méme d'une maladie
émergente, une maladie postcoloniale. C'est-à-dire une maladie
qui ne connaît pas les contraintes des passeports et de manière
générale de l'identité. Une maladie qui est au-delà
des considérations des replis identitaires qui l'ont inaugurée
dans les années 1980 et début 1990242.
Les espaces hétérotopiques des Médecines
Hors Secteurs Biomédical, sont des lieux de production de la violence de
l'imaginaire et de la violence du Sens. Les Mbandja, les temples, les bars
produisent des métaphores de la maladie du Sida qui ne sont que des
formes stéréotypées de la violence de l'imaginaire. De la
sorcellopathie au charisme du souverain, de la chanson à un balbutiement
d'une biopolitique, le marché linguistique, symbolique et imaginaire de
la maladie du Sida trouve son ossature sur la notion du kongossa, des ragots,
de la sorcellerie : la violence de l'imaginaire.
242 C'est dans cette période que l'on a attribué
au Sida comme lieu d'origine l'Afrique. Lire a cet effet, Jean-Pierre DOZON et
Didier FASSIN« Raison épidémiologique et raisons d'Etat. Les
enjeux socio-politiques du Sida en Afrique », Sciences sociales et
santé, Paris, Vol. VII, n°1, février
1989.
Deuxième partie : Les métaphores de la
maladie du Sida dans les espaces hétérotopiques
pentecôtiste et des confréries initiatiques modernes à
Libreville
Introduction de la deuxième partie
82
Le second propos de notre thème considère une
réflexion quelque opposée au premier. Quand nous disons à
l'opposé, nous sous-entendons un propos distant des
considérations sorcellaires et populaires que nous venons de
côtoyer dans le précédent propos. Nous rentrons simplement
dans un autre registre du discours qui inaugure la présence de
démons et de Dieu. En ce sens que les lieux dans lesquels nous avons
collecté nos donnés sont des espaces hétérotopiques
qui sont des lieux « sacrés». Les discours sont
différents, car l'instituant de ces discours est la bible
(église) et les monographies (A.M.O.R.C).
Cette partie propose une lecture à la fois historique
et sociologique des métaphores de la maladie du Sida dans le milieu
pentecôtiste et des confréries initiatiques modernes gabonais. Il
nous faut « revenir aux textes [au discours], aux lieux de constructions
de l'imaginaire, afin de localiser les lieux, formes et modes d'expression de
cette tension.243 ». Le marché linguistique du Sida
reste le concept le mieux approprié pour lire les discours
métaphorique des acteurs de ce marché. En ce sens que l'action
coordonné entre un locuteur autorisé et un interlocuteur
autorisé montre mieux le rapport de force qui existe dans
l'élaboration du discours métaphorique du Sida dans une
période postcoloniale. Seulement, toute cette démarche n'est
rendu possible que par la puissance des représentations imaginatives,
ainsi que par la force du sens du mot. C'est donc, la violence symbolique de
Pierre BOURDIEU et cette sociologie imaginative des COMAROFF qui semblent plus
approprié pour lire la métaphore de la maladie du Sida dans
l'espace hétérotopique populaire de la postcolonie gabonaise.
C'est trois ensembles ont un mode de représentations de
la maladie, et de la maladie du sida en particulier, qui se distingue par une
forte prégnance à l'utilisation de la notion de charisme. Le
charisme dans le sens commun est un don particulier conféré par
une grâce divine pour le bien commun. C'est plus une qualité qui
permet à son possesseur d'exercer un ascendant sur un groupe.
Sociologiquement, « le charisme peut être défini comme une
relation de pouvoir fortement asymétrique entre un guide inspiré
et une cohorte de suiveurs qui reconnaissent en lui et en son message la
promesse et la réalisation anticipée d'un ordre nouveau auquel
ils adhèrent avec une conviction plus ou moins
intense244». Seulement, le mode d'expression utilisé
pour faire assoir ce pouvoir charismatique et l'usage quasi intense et
obsessionnel des métaphores. « Mais les métaphores
charismatiques ne sont pas le produit d'une imagination débridée.
Elles sont régies par une rhétorique plus ou moins
conventionnelle, par laquelle le personnage charismatique cherche à se
donner des garants
243 Lydie MOUDILENO, Littérature postcoloniale
244 Raymond BOUDON et Francois BOURRICAUD, Dictionnaire
critique de la sociologie, Paris, PUF, 1990, 3ème édition, p
78.
pour alimenter la foi de ses fidèles. Dans le processus
d'attestation qui consacre le personnage charismatique, l'imaginaire social est
un recours non pas unique, mais parfois décisif245».
Pour introduire, nous devons dire que les
représentations sociales de la maladie, et de la maladie du Sida, dans
les espaces hétérotopiques religieux au Gabon sont
caractérisées par une présence des métaphores de la
maladie. Ces métaphores sont utilisées par des « leader
» dans le but de faire assoir un pouvoir que nous qualifions
d'économique. Ce pouvoir économique passe par légitimation
par les fidèles ou les « fraters246» du charisme du
pasteur, du nganga ou du maître.
245 Raymond BOUDON et Francois BOURRICAUD, Ibid, p
78.
246 Terme utilisé pour décrire un frère dans
l'A.M.O .R.C
84
Chapitre III : Les représentations
pentecôtistes et des confréries initiatiques modernes du Sida
à Libreville
Nous avons désespérément osé
penser que les représentations de la maladie du Sida auraient
évoluées depuis les années 1990 dans le milieu
ésotérique pentecôtiste en Afrique centrale. À ces
déviances représentatives et disparates de la maladie du Sida, se
sont ajoutées les représentations des cercles de
confréries initiatiques modernes. Nous connaissons les analogies du
milieu pentecôtiste sur le Sida le comparant à une punition divine
ou à une maladie du Diable. Mais, nous connaissons moins l'idée
qui circule dans le milieu des cercles de confréries initiatiques
modernes qui représente la maladie du Sida comme un Karma. Ici encore,
les espaces hétérotopiques sont les lieux des discours
déformés, perverties, qui illustrent assez bien le fait que ces
lieux sont des lieux de déviances et de transgression. Pourtant, ces
espaces sont des lieux du sacré, des lieux de la morale. Nous pensons
alors que le capitalisme aliène la morale par la puissance du charisme.
Il y a une économie des mots, qui est véhiculées par la
violence symbolique et par la violence de l'imaginaire. Toutes ces imaginations
font de cette maladie une maladie du karma, une maladie du Diable ou de Dieu,
une punition divine. La guérison divine devient la
propriété des leaders charismatiques des espaces
hétérotopiques des églises, et temples initiatiques.
Puisque nous ne devons pas omettre de dire que le Sida dans ces espaces est une
maladie qui est hors du secteur biomédical. Seul l'imaginaire,
l'imagination peut alors délivrer et extirper le mal. « La maladie
existe parce que le péché est entré dans le monde. Elle
est toujours le signe que nous vivons dans un monde révolté
contre Dieu, le rappel de la puissance satanique (...) L'homme malade ne peut
vivre sa maladie que dans la repentance247.»
SECTION 1 : Le pentecôtisme et le Sida : la
punition divine
Comme nous avons énoncé ci-dessus, nous pensions
que depuis les années 1990, les idées que l'ont se faisait du
Sida aurait évolués. Mais, bien au contraire, elles persistent et
se transposent dans un terme qui exclu la proposition de la maladie du Sida
comme une maladie du Diable. Aujourd'hui, les discours pastoraux, au sujet de
la maladie du Sida, se sont mutés en utilisant l'expression de punition
divine. Il s'agit dans cette section de penser les refondations de cette
pensée de la maladie du Sida comme punition divine.
1) L'évidence biomédicale du Sida et
l'obstination charismatique pentecôtiste
Il faut, dès le départ, préciser que nous
parlons dans cette partie de la métaphore de la maladie du Sida dans le
milieu religieux pentecôtiste. Cette métaphore est la punition
divine. Mais bien avant, nous devons présenter les autres
représentations pentecôtistes de la maladie
247Maurice Jeanneret, « Jésus-Christ et la
maladie », Les cahiers protestants, s.l, s.e, 1966, n°4-5,
pp 21-22.
du Sida. Le Sida était une maladie du diable, mais
aussi de la sorcellerie. Le Sida était une maladie que le diable a
envoyée par les moyens de perversion et de luxure pour éprouver
le peuple de Dieu. De fait la sorcellerie est le bastion des suppôts de
Satan, et l'objectif de la sorcellerie est le même que celui du diable
car la sorcellerie est gérée par le diable. Donc, le Sida, ou
être malade du Sida, était être atteint par la maladie du
diable ou de la sorcellerie. Pour cela il fallait faire une prière de
délivrance pour extraire le diable et le mal
sorcellaire248.
Jusqu'en 2006, la distribution des antirétroviraux
(ARV), n'avait pas encore pris une telle ampleur. Et c'est vers la fin de
l'année 2007 que la distribution des antirétroviraux devient
effective. Lorsque nous parlons d'effectivité c'est parce que la
distribution des antirétroviraux à commencé à
être gratuite. Puis, cette distribution est toujours à la bourse
des plus démunis. Mais plus encore, le service des statistiques du PLIST
a observé une augmentation des tests de dépistage du Vih/Sida de
32%249. Mais encore, toujours selon le service des statistiques du
PLIST250, il y a encore 20 ans les gens ne savaient ce que
c'était le Sida. Aujourd'hui méme un enfant du primaire peut dire
le mode de contamination du Sida ainsi que ce que c'est que la Sida. Ceci
inclut que les modes de contamination sont connus et ne se laisse plus
facilement préter à n'importe qu'elle interprétation.
Ce que nous voulons décrire ici, c'est le fait selon
lequel dans le début des années 1990, la début de la
maladie du Sida était méconnue et laissait place à toutes
sortes d'interprétations. C'est ainsi qu'« à l'instar d'un
être qui, devant une réalité objective qui le «
dépasse », qu'il dit « ne pas comprendre », qui n' «
est pas vraie » ou qu'il « ne réalise pas " comme on dit, la
société a recours à la puissance instituante de
l'imaginaire pour « réaliser " en produisant des significations
sociales qui donnent sens à l'évènement251."
Cependant, 20 ans plutard, la connaissance du Sida biomédical s'est
construite une évidence étiologique. Quoique aux abonnés
absents certaines représentations tendent à subsister, le fait
est que le Sida ait affirmé sa présence étiologique dans
le milieu religieux. Mais, ce n'est plus le Sida sorcier qui prend la place
après les différentes tentatives de délivrances qui
généralement n'ont pas échouées. C'est plutôt
la présence d'une volonté divine de faire souffrir un individu.
Car la punition divine est une forme de châtiment que Dieu inflige
à ses fidèles les plus récalcitrants. Sur le terrain de
notre étude nous avons suivie un cas de Mlle Micheline252 qui
souffrait du Sida dans une église 253 . Après les
différentes prières de délivrance et de
désenvoutement, Micheline continuait à se sentir de plus en plus
mal. Elle perdait du poids. Après avoir accusé le manque de foi
de Micheline, le pasteur de l'église lui recommandait des jeûnes
de plusieurs jours sans alimentation. Tout ceci contribuait à affaiblir
un peu plus Micheline. Dans les dernières semaines de vie de la malade,
le discours du pasteur avait changé. Il ne s'agissait
248Joseph TONDA, « Le Sida, maladie de Dieu, du
Diable et de la sorcellerie », Sciences sociales et santé,
Vol 25,n°4, Paris, Décembre, 2007
249 Donnée recueillie au PLIST en janvier 2010.
250 Il a refusé de décliner son identité car
c'est dans une discussion hors de son lieu de travail que nous avons eu
certaines informations classées confidentielles.
251 Joseph TONDA, La guérison divine en Afrique
centrale (Congo, Gabon), Paris, Karthala, p 47.
252 Mlle Micheline, niveau d'étude sixième,
chrétienne, ancienne caissière, mwiènè (morte le 13
septembre 2011)
253 Assemblée de Dieu du Gabon, église d'Owendo :Ad
Bananier.
86
plus d'une maladie du Diable mais une maladie de Dieu, une
punition divine. Car aucun démon ne peut résister à aux
prières et aux différents jeûnes auxquels il avait soumis
Micheline. Dans ce cas, c'est la maladie de Dieu. Une maladie pour punir le
fidèle d'une vie de débauche et d'infidélité
à Dieu : une punition divine.
Donc, la punition divine que propose le milieu
pentecôtiste comme métaphore du Sida est en fait une sorte
d'obstination perverse. En fait, le terme de punition divine est un terme qui
est un dernier recourt lorsque la puissance charismatique du pasteur est
confrontée à l'échec. Pour éviter de mentionner le
terme échec, un terme plus approprié est utilisé qui n'est
autre que celui de punition divine. Ainsi, le pasteur concède sa
défaite, son impuissance face à la maladie du Sida non pas
à l'évidence étiologique et biomédicale, mais
à la volonté supreme d'un Dieu qui décide de faire
souffrir ses fidèles.
2)Le charisme et la punition divine
Il faut au préalable définir ce que nous
entendons par charisme. Pour Max WEBER, le charisme est « la
qualité extraordinaire (à l'origine déterminée de
façon magique, autant chez les prophètes et les sages,
thérapeutes et juristes, que chez les chefs des peuples chasseurs et
héros guerriers) d'un personnage, qui est, pour ainsi dire, doué
de force ou de caractères surnaturels ou surhumain ou tout ou moins en
dehors de la vie quotidienne, inaccessible au commun des mortels ou encore qui
est considéré comme envoyé par Dieu ou comme exemple, en
conséquence considéré comme un chef254.»
La punition divine est un terme pentecôtiste qui est utilisé, dans
le cas de la maladie du Sida, pour décrire que le mal est originairement
de Dieu. Le rapport que nous établissons dans cette partie est que le
charisme, donc ce pouvoir surnaturel conféré à un
individu, est en rapport avec la construction idéologique du terme de
punition divine. Lorsque nous regardons ce que nous propose notre terrain avec
la malade Micheline, nous lisons le rapport entre charisme et punition divine
comme une forme de refus de la maladie biomédical. Lorsque le pasteur se
rend compte que toutes les prières, les jeûnes, les exorcismes,
les choses sur lesquelles se reposent tout la puissance de son charisme, ne
sont d'aucune efficacité, il y a un recours au terme de punition divine.
Ce terme n'est en fait qu'un mode de reconnaissance d'impuissance face à
la maladie du Sida. Ce que nous avons vécu in situ avec Micheline, nous
révèle, que ce que le pasteur entend par punition divine n'est
autre qu'une manière encore plus radicale de culpabiliser un malade
souffrant du Sida. C'est une mode qui permet au malade de se rendre compte que
le pasteur ne peut rien pour le sauver et que sa guérison n'est plus
dans la main des hommes mais bien dans la main de Dieu. La seule chose reste un
espoir famélique et fatal, accroché à une
hypothétique foi fragilisé et amenuisé par le
découragement, les prières interminables, les jeûnes,
etc.
254 Max WEBER,, Economie et société,
Paris, Plon, Tome 1, 1971, p 241
Le Sida comme maladie de la punition divine est en fait un
déni de la puissance biomédicale. Au sujet de Micheline, nous
avons discuté avec son aîné M Georges255qui nous
a dit ce qu'il pensait durant le décès de sa soeur.
Enoncé n°10 :
« Tu sais, Mimi256 a
voulu mourir comme ça. Je lui avais dit que ces jeûnes
étaient inutiles. La seule réponse c'était que
j'étais un démon. Tu te rends compte ? Une personne qui est
malade on l'a met sous un jeline. Au lieu d'aller au PLIST pour se faire
enregistrer, et de fait profiter des ARV, rien ! Dieu ici, Dieu là !
Aujourd'hui voilà ! (...) [ Au même moment le pasteur
prêchait de repentance, de délivrance de Micheline] Tu vois,
on ne parlais pas de repentance ou je sais pas quoi quand il venait crier ici
toutes les nuits. C'était satan sort de ce corps, démon du
ndjembè sort etc. Regarde comment ils sont envoutés on dirait des
moutons ! Nous sommes nous même responsable de nos vies mais on oublie
que nous sommes trop souvent prisonniers de nos représentations.
» Le terme punition divine dans cette optique n'est autre qu'un
transfert d'une improductive puissance compulsive charismatique (qui d'ailleurs
n'est que factice) vers un imaginaire ordonnancement (Dieu). Tout ceci est une
forme d'évidence de l'étiologie de la maladie du Sida, est dans
le cas présent une forme de déni de l'étiologique et de la
biomédecine.
SECTION 2 : Les représentations sociales dans
les confréries initiatiques modernes
Cette section vient inaugurer une représentation de la
maladie du Sida qui n'est pas très répandue dans la
société gabonaise. Nous voulons parler du karma comme forme et
représentation de la maladie. Le karma, par extension, est identifiable
au fait de contracter la maladie du Sida. Dans cette section, il s'agit de
faire état des idées de ces instances ésotériques
qui prônent le fait que la maladie du Sida soit une forme de karma.
Qu'est-ce que c'est que le karma ?
1) I EOEOERE& : le karma et la maladie du Sida
Dans cette section nous avons interrogé deux individus
dont chacun est adepte de la Rose-Croix A.M.O.R.C. L'A.M.O.R.C est un mouvement
ésotérique ou encore une confrérie initiatique moderne qui
dispense des enseignements ésotérique qui ont pour effets
d'améliorer et réveiller les facultés spirituelles
latentes qui sommeillent dans chaque individu. Nous
255 M. Georges, niveau d'étude supérieur,
franc-maçon, directeur des ressources humaines à la retraite,
Mwiénè.
256 Petit surnom de Micheline
88
avons interrogé le maître Louis Paul
ELIWATCHANGO257 au sujet de ce rapport entre la maladie du Sida et
le karma.
Enoncé n°11 :
« Le karma est la loi de causalité. C'est un
mot sanscrit qui signifie loi de cause à effet. On peut
répertorier trois formes de karma. Nous avons le karma lié
à l'environnement biologique. Ce karma est un karma qui met en cause les
liens génétiques et les maladies que l'on peut contracter
biomédicalement. Nous avons en second, le karma lié à
l'environnement
psycho-affectif.il
s'agit des situations où certaines personnes se trouvent opposés
à des paroles pervers que l'on peut appelés conditionnement
pervers ou encore empoisonnement mental. Nous avons enfin le troisième
karma qui est lié à l'environnement spirituel. Il s'agit des
principes plus subtils ou les croyances sont comme des portes ouvertes aux
attaques positives ou négatives par exemple la peur. Dans ces trois
grandes répartitions nous devons retenir qu'il n'y a en
définitive que deux formes de karma : individuel et collectif. Le karma
individuel est un karma que les entités supérieures envoient
à un individu suite à des actions irréfléchies.
Parfois même, il se peut que les entités, afin qu'il
s'intéresse aux réalités spirituelles et qu'il prenne en
main la mission qui lui est assigné sur terre, peuvent lui faire avoir
une maladie pour se conscientiser (la conscience de l'humanisme). Le karma
collectif est un karma qu'une population peut avoir à cause des mauvaise
pensées ou pratiques occasionnés dans une vie
précédente (regarde les juifs et les palestiniens pourquoi
crois-tu que les juifs ont été décimés par les
allemands ou encore qu'ils ne vivent que de guerres et attentats avec les
palestiniens ? La réponse, le tort causé à un grand
maître qui était Jésus. N'oublie pas que lorsqu'il montait
sur la montagne Golgotha avec sa croix, il dit aux femmes qui se lamentaient ne
pleuraient pas pour moi mais pleuraient pour vos enfants (rire)) C'est une
conséquence des actions produites et générées par
tous les hommes de cette planète. Nous sommes responsables de ce qui
arrive sur terre. Pour revenir à notre sujet, effectivement on peut
tomber malade suite à un karma individuel ou collectif (la peste,
Ebola,). Et le Sida est une maladie karmique. Elle est soit individuelle et/ou
collective. Maintenant on peut éviter un Sida karmique individuel. Car
du point de vue de la prévention on peut faire un effort de s'abstenir
ou de porter des préservatifs, ou encore de stériliser des objets
communs. Mais le Sida karmique collectif, c'est difficile de l'éviter.
Car nous sommes d'une certaine manière tributaire des erreurs de nos
descendants. Encore faut-il faire la différence entre une maladie
karmique collective et une maladie karmique individuelle (rire) ! Il n'y a que
des maîtres qui peuvent vous la faire »
Nous nous retrouvons ici face un individu qui cumule un savoir
ésotérique et un savoir biomédical. Nous nous retrouvons
dans une forme de syndrome du prophète que décrit TONDA. Il
écrit que « produit par excellence des logiques individualistes
propres à la situation de crise d'identité à laquelle il
prétend mettre fin, le prophète tente de reconstituer la fonction
totalisante des pratiques du champ thérapeutique et religieux (...) en
recomposant les
257 Maître Louis Paul ELIWATCHANGO, masculin, niveau
d'étude supérieur, rosicrucien, médecin
généraliste homéopathe au Sénat, Mpongwè
fonctions de prétre et du médecin
séparées par la biomédecine et l'Eglise [ou la
loge]258». C'est le fait qu'il y ait une sorte de brassage dans
le discours de ce médecin qui nous a conduit à discuter avec un
autre rosicrucien qui ne cumule pas et ne contracte pas le syndrome du
prophète. Nous avons discuté avec Landry259.
Enoncé n°12 :
« Le Sida est une maladie due au karma. Le karma
c'est la loi du choc en retour. Quand tu poses des actes sur terre ces actes
tôt ou tard finissent par te rattraper. Bon il y a un type de Sida qui
est un Sida qui est donné à un individu pour qu'il puisse
changé ses agissements. Pour qu'il prenne conscience qu'il y a un monde
spirituel qui dirige tout sur terre. Il y a ensuite un Sida qui est un Sida
normal qui fait suite aux dépravations d'un individu. Il y a des grands
débauchés qui ont de nombreux rapports sexuels à risques
depuis des années mais qui n'attrapent pas le Sida. Ces personnes sont
en fait tributaires de bonnes actions accomplies dans une vie antérieur,
et aujourd'hui profite de cette largesse des entités karmique : les 24
vieillards. Mais si à cause de sa vie de débauche dans cette vie
actuelle le même individu fait du mal aux autres, dans sa prochaine
incarnation il est certains qu'on lui donnera une maladie sexuellement
transmissible comme le Sida. Sinon comment justifier le fait qu'un innocent
comme un nouveau né puisse naître avec cette maladie ? D'accord,
il y a les principes de la contamination, mais pourquoi lui, et pourquoi
à ce moment ? Tu vois, lorsqu'une personne qui a contracté le VIH
prend conscience de son comportement dépravé, qu'il fait appel
à l'indulgence des 24 vieillards, il peut être sauvé. Car
c'est le but souhaité par les entités karmiques. Il faut que
l'homme prenne conscience qu' il y a, au-dessus de lui, des forces
supérieures qui président à la destinée. Il y a des
prières pour diminuer la dette karmique. Et lorsque cette dette est
allégée, même une personne qui a le Sida en phase terminale
peut être guérie miraculeusement !»
Nous sommes en présence d'un tout autre discours. Il
est certes commun du point de vue de la notion de karma mais, il y a le fait
que, à la différence du maître médecin, Landry pense
que le Sida peut être guéri de façon karmique.
C'est-à-dire que, avec des prières précises on peut
alléger une dette qui peut se manifester par une maladie telle que le
Sida. Donc, il y a soit premièrement, une opposition du discours entre
deux personnes de la même obédience suite au capital scolaire.
Entre autre la compréhension des valeurs biomédicales est
ostracisée par un trop plein de croyances imaginaires. Le médecin
rosicrucien arrive à faire la différence entre l'imaginaire et la
réalité, tandis que le second suite à son quotient
intellectuel peut élevé, ne fait aucune différence car
pour lui l'un et l'autre ne sont que la méme chose. Deuxièmement,
il y a possibilité d'une rétention de l'information par le
maître qui était, pensons-nous, pris entre deux feux celui de
maître spirituel et de docteur en médecine. En fait, il avait
devant lui un étudiant et s'est, sans doute senti, de cadrer le
débat dans un mode scientifique, pour d'une certaine manière
faire reconnaître sa valeur intellectuelle. Il fallait faire un discours
autorisé au sens ou BOURDIEU l'entend. C'est-à-dire un discours
qui en prend en compte deux interlocuteurs autorisés qui
échangent des mots sur des domaines
258 Joseph TONDA, La guérison divine en Afrique
centrale (Congo, Gabon), Paris, Karthala, 2002, p107.
259 M. Landry, masculin, niveau d'étude secondaire,
rosicrucien, coursier, Nkomi/Mpongwè
90
communs. Il n'a peut être pas senti l'utilité de
décrire des enseignements de l'A.M.O.R.C qui peuvent guérir ou
encore il était pris par le traditionnel serment du secret.
A tout le moins, après avoir entretenu ces deux adeptes
de l'Ancien Mystique Ordre de la Rose-Croix, nous retenons que pour la
Rose-Croix A.M.O.R.C, le Sida est une forme de maladie karmique. Nous entendons
par maladie karmique une maladie qui trouve son origine non plus dans les
germes bactériologiques ou virusales étiologique et
biomédicale, mais dans le comportement social de l'individu. La maladie
du Sida est une maladie du rapport social du point de vue rosicrucien. Qui dit
rapport social dit rapport sexuel mais aussi, comportement vis-à-vis
d'autrui. Le Sida est plus un problème de comportement plutôt
qu'un problème sexuel.
2) Le bouddhisme et la maladie du Sida
Le bouddhisme est une religion qui prend ses sources dans la
région de l'Asie et plus précisément au Tibet. Pour faire
cette discussion nous avons interrogé Hubert260un adepte de
cet enseignement. Ce qui a amené que je puisse m'intéresser
à lui c'est le fait que dans nos discussions préalables il
m'avoua qu'il était séropositif. Voici le résumé
des idées d'Hubert sur la question du Sida et du Karma.
Enoncé n°13 :
« Le karma est une force de la nature qui
équilibre les rapports entre les hommes. Et la mort est une de ses armes
tout comme la maladie ou l'infortune des hommes. Le bouddhisme à pour
objectif de remettre d'abord l'homme en harmonie avec lui et autrui, et ensuite
de le mettre en harmonie avec la nature. La mort, la maladie ou les infortunes
que les hommes croisent sur le chemin dans la vie est une forme
d'équilibre qui met l'homme sur le sentier de l'harmonie avec la nature.
Lorsque nous vivons de manière désordonnés
(débauches sexuelles, l'alcool, l'ambiance, la calomnie, etc) nous
arrivons tout ou tard à contracter des maux, des infortunes qui peuvent
nous suivre des générations. En fait, la terre ou la vie est une
salle de classe. Quand l'élève à compris les cours il
évolue dans la hiérarchie céleste au moment de l'examen
c'est-à-dire la mort. Quand il n'a rien compris, la nature le remet dans
les mêmes conditions ou même dans des conditions plus difficiles et
ceci jusqu'à ce qu'il comprenne. Cela peut prendre des
générations, mais il finit toujours par comprendre que les autres
sont plus importants que lui et qu'il y a un être supérieur qui
préside au devenir. Tu sais que je suis séropositif. Pourtant je
n'étais pas volage mais tu vois quand tu pratique le bouddhisme tu dois
être capable de transformer tout évènement négatif,
donc d'une certaine manière toute faiblesse en force. J'ai 35ans
aujourd'hui et la chose que j'ai appris c'est que les entités
supérieures mon envoyé une épreuve, je dois la
traversée avec dignité et foi. De fait, mon Sida n'est pas le
Sida des autres ou celui de mon oncles qui est un grand franc-maçon
comme ma mère se vertu à le croire. C'est un enseignement qui
doit me
260 M. Hubert, masculin, niveau d'étude supérieur,
bouddhiste, enseignant d'Espagnol, camerounais
permettre de savoir ce que c'est être malade. Donc,
je prends mes préoccupations pour éviter de contaminer mes
frères et, aujourd'hui, les gens sont plus respectueux des
séropositifs. C'est que mes prières vers Bouddha sont entrain de
porter leur fruit. Je suis séropositif parce que la maladie est un
enseignement ésotérique. Tu vois ma mission est de continuer de
croire en l'humanité, en être supérieur, et non pas
à m'affaler sur mon sort ou à culpabiliser les autres. Bien au
contraire en les aimants je me sens mieux chaque jour. Vous me donnez la force
chaque jour de tenir plus longtemps, car chaque jour est enseignement. Et tu
vois, il faut bien mourir de quelque chose, du coup que se soit le Sida, un
accident ou autres chose on doit tout passer l'examen de fin vie terrestre afin
de savoir si on grandira ou pas ! En fait vivre avec le Sida comme un karma,
c'est vivre et accepter sa séropositivité : c'est une
manière d'apprendre à bien mourir! »
Nous devons avouer que l'entretien avec Hubert a
été très différent des autres. Le Sida du point de
vue bouddhiste est un Sida karmique. En fait, toutes les affaires du corps cher
à TONDA sont, dans cette conception bouddhique, une forme de karma. La
maladie et de manière globale, toutes les infortunes que vivent les
hommes sont dus au karma. Hubert pratiquant du bouddhisme assume son Sida suite
au fait que c'est enseignement d'humanisme. C'est dire que la maladie chez les
bouddhistes n'est pas un rapport avec les autres. Ce n'est pas un rapport avec
la sorcellerie mais plutôt une volonté supérieure qui
régie la destinée de chaque individu. Le Sida dans le Bouddhisme
n'est pas une infortune mais un mal nécessaire à
l'évolution de l'homme et de l'humanité. C'est un mal
nécessaire que les hommes doivent affronter avec dignité.
C'est en cela que nous disions, au départ, que cette
conception de maladie est totalement différente de ce que nous avons
entendu depuis le début de notre enquête. Il n'y a aucun rapport
avec les autres si ce n'est dans un but de se surpasser. Il n'y a aucun recours
au monde de la sorcellerie qui souhaite anéantir un individu en lui
donnant la maladie. Toutefois, il y a toujours un recours à
l'imaginaire. Il y a la présence d'un rapport entre un ciel qui donne la
maladie à la terre. Si dans cette pensée le rapport à la
maladie n'est plus celle des hommes aux hommes, mais transfigurée
à celui de homme à la nature ou aux êtres
supérieurs, nous nous retrouvons dans ce recours d'une fabrication d'un
charisme individuel. Car le but finale est toujours l'exploitation de la
maladie du Sida dans l'objectif d'atteindre des facultés
extraquotidiennes que Max WEBER a nommées : le charisme.
92
Chapitre IV: Les représentations du Sida dans la
postcolonie de Libreville
Le propre des maladies épidémiques est
qu'à un certain moment, il y a une forte propension à les
considérées comme des états passionnels. Susan SONTAG
pense en effet que « la ressemblance extrêmement frappante qui se
dégage des mythes attachés à la tuberculose et au cancer
[mais aussi au Sida] tient au fait que ces (...) maladies sont, ou
étaient considérées comme des états
passionnels.261» Nous pouvons comprendre cette logique
lorsqu'on renvoi à une métaphore du Sida qui s'énonce
comme syndrome inventé pour décourager les amoureux. C'est un mal
qui stresse les rapports sociaux et bien entendu les rapports sexuels. Or, en
postcolonie, les états passionnels, plus précisément les
états sexuels, sont le propre de l'activité sociale. Nous
l'illustreront dans ce propos par le propos de Joseph TONDA dans le Souverain
moderne au sujet du corps-sexe. Dans les sociétés postcoloniales,
le corps, et par extension l'amour, souffre d'une exploitation aussi bien
économique que symbolique ou imaginaire. Le corps est socialement
construit. Et sociologiquement « la définition méme de ce
qu'est le corps et de ce qu'il représente est un enjeu dans les rapports
sociaux262.» Lorsque la société de la
scène et du spectacle présente une métaphore du Sida comme
maladie d'amour ou d'infidélité, comment pouvons-nous lui
adresser un regard du point de vue de la théorie de la
postcolonialité ? Mais encore comment peut - on contextualiser les
métaphores du sida de la médecine traditionnelle indigène
dans l'analyse des sociétés postcoloniales ?
SECTION 1 : Le sida, le sexe, le sang, la sorcellerie
et Dieu : l'imaginaire de la postcolonie
Le premier axe de cette étude retient quatre
expressions qui peuvent permettre une approche sociologique des
métaphores du Sida dans la postcolonie. Le sexe, le sang, la sorcellerie
et Dieu sont les métaphores constantes qui analogiquement renvoi
à la maladie du sida. C'est en identifiant ce groupe de
métaphores que nous parvenons à construire un postulat de trois
piliers des métaphores de la maladie du sida dans les
sociétés postcoloniales. Dans le cas de la ville de Libreville ,
les métaphores identifiées permettent de dresser un cadre «
conceptuel » qui peut orienter les raisons de l'utilisation compulsive des
métaphores du Sida.
1) Le Sida maladie d'amour et maladie
d'infidélité dans la postcolonie
Ce que nous présente le corpus de notre recherche c'est
que le Sida est une métaphore qui intègre l'espace
hétérotopique de la musique. Dans cet espace, la maladie du sida
est une maladie d'amour et une maladie de l'infidélité. En effet,
Hilarion NGUEMA dans sa chanson
261 Susan SONTAG, La maladie comme métaphore, le Sida
et ses métaphores, Paris, Christian Bourgois éditeur, coll
« Titre 101 », 1993, p 33.
262 Didier FASSIN et Dominique MEMMI, « Le gouvernement de
la vie, mode d'emploi », Le gouvernement des corps, Paris, EHESS,
coll « Cas de figure », 2004, p 17.
sur le Sida, dit que le médecin lui a dit que < le
sida est une maladie du sexe, maladie du sang, maladie du siècle,
maladie d'amour ». L'artiste Mackjo's regarde quand à lui dans une
autre direction pour lui le Sida est une maladie de l'infidélité.
Nous avons eu un entretien avec lui dont voici le contenu.
Énoncé n°17 :
« Quand j'écrivais ce texte j'ai pris la peine
de chercher les différents modes de contamination du Sida. Mais il
fallait rendre original ce texte pour le changer de ce que maman
Dédé avait dit. Puis un jour, j'ai écouté la
conversation d'une de mes belle-soeur avec sa copine. Elle disait que son mari
avait changé de comportement depuis qu'il avait vu son ami avec qui il
faisait les coups fourrés mourir du Sida. Il rentrait tôt à
la maison, il avait repris à faire la cuisine les week-ends et il lui
faisait l'amour convenablement. Elle disait que toutes ces choses ne lui
était pas arrivées depuis longtemps. A' partir de là, j'ai
eu mon inspiration et j'ai ajouté la touche personnel. Ce que je chante
n'est donc pas une idée venue comme ça. J'ai écouté
et j'ai amélioré avec le message du PNLS et ca fait un tube.
»
Au regard de ce corpus que nous avons transcrit, nous voyons
apparaître les métaphores de l'amour et de
l'infidélité. Le sida dans ces corpus est une maladie des
passions. <Le symptôme de la maladie était une activité
amoureuse (...) et toute maladie était de l'amour
métamorphosé263» comme le dit SONTAG. Dans les
propos des artistes, nous retrouvons in extenso le discours de la
prévention du Sida au Gabon. Les auteurs n'hésitent pas à
dire clairement que leur source et leurs textes sont des propos de
préventions. Ces textes sont des discours < biomédicaux
». Et si certains ont le chic d'être quelques fois hilarants, il
n'en demeure pas moins que les textes restent inspirés de la
biomédecine.
Le Sida est une maladie d'amour car effectivement elle est une
maladie du libéralisme. C'est-à-dire qu'elle est cette maladie de
l'échange ; lequel échange se fait comme les produits à la
seul différence qu'il s'agit du sexe. C'est par le sexe, les sentiments,
l'amour que le Sida se diffuse dans le monde. Métaphoriquement, le
premier symptôme du Sida c'est l'amour. Car c'est par l'amour ou par le
fait qu'on se sente attiré sexuellement, ou peut-être
sentimentalement qu'on va se faire contaminer par le virus du Sida. Nous ne
mettons pas en exergue le préservatif car les partenaires peuvent aussi
contracter la maladie malgré le préservatif. C'est dire que
même le sang est aussi un moyen de contamination et que l'amour n'est pas
la seule voie par laquelle on peut contracter le virus du Sida. Donc, c'est par
le fait que le Sida soit une maladie du libéralisme parce que le sexe
s'échange comme l'information, que nous arrivons, parfois, impuissant,
vers une conséquence logique : l'infidélité.
L'infidélité ou la polygamie permet d'une certaine manière
à ce que le Sida respecte cette notion du libéralisme. La
multiplicité des partenaires est une forme d'échange sexuel, un
échange (on peut dire aussi économique) qui respecte les lois de
la société capitaliste postcoloniale. C'est-à-dire des
sociétés oü le sexe, l'information et l'argent
s'échangent. En Afrique centrale le corps est un corps sexuel. Le corps
renvoi à la notion de sexe. Car < le
263 Susan SONTAG, Op cit, P34
94
sexe de l'homme et celui de la femme sont nommés, dans
certaines d'Afrique centrale, par le mot de corps264.»
Être malade du Sida en Afrique centrale, c'est avoir le
mauvais sang, le mauvais corps, le corps malade. C'est donc avoir ce
corps-sexe, ce corps sexuel malade. D'ailleurs jusque dans les années
1998, la population gabonaise pensait que le Sida ne s'attrapait que par voie
sexuelle. Nous avons eu cette confirmation quand nous étions allé
rendre visite à une amie qui venait d'accouchait. Elle cohabitait avec
une fille qui avait le Sida et qui, elle aussi, venait d'accoucher. Mon amie me
confia que cette dernière disait que ses parents pensent qu'elle a eu le
Sida à cause des rapports sexuels non-protégés, cependant
le père de l'enfant est séronégatif. Ceci confirme une
idée que le Sida ne se contracte pas que par le sexe, l'amour. En outre,
les sociétés postcoloniales africaines sont des
sociétés du « bas ventre ». On cherche à avoir
de l'argent car c'est le pouvoir. C'est le pouvoir car on peut acheter tout ce
que le sexe féminin, « le corps de la femme » désire.
La pensée populaire transcrit ce propos en disant que plus on a de
l'argent plus on a de femmes. Et plus on a de femmes plus on a de la
considération, du pouvoir. C'est par amour qu'on consomme le corps-sexe
de la femme. Et c'est par ce méme amour qu'on s'échange
infidèlement la « chose du pouvoir » : le sexe. Et c'est cet
amour-sexe avec son corollaire d'infidélité qui affecte le
corps-sexe, qui est, ce que nos enquêtés entendent par maladie
d'amour, maladie d'infidélité.
2) Les trois piliers des métaphores du Sida dans la
postcolonie
Les mots ou les choses, les discours ou les récits sont
producteurs de sens. C'est quelque fois dans les espaces
hétérotopiques, dans les lieux populaires où
siègent la viscosité du kongossa, dans les chemins de traverse de
l'inédit et de l'insolite qui se représentent symboliquement par
la grande nuit idéologique de la postcolonie, que la
société gabonaise trouve son sens et son expression. C'est dans
les contradictions, les apories, les kongossa, les imaginaires du Sida que nous
sommes arrivé vers un constat. Les métaphores du Sida reposent
son ossature sur trois piliers. Nous les avons identifiés comme la
sorcellerie, dieu (ou la religion) et le sexe. Ce n'est pas une
métaphore du Sida que nous proposons ici du moins ce n'est pas notre
intention. Ceci est une construction théorique des piliers qui
soutiennent les métaphores du Sida au Gabon. Le corpus de notre
enquête nous permet de constater un fait social qui est les
métaphores du Sida. À la lumière de la théorie de
la postcolonie, de la sociologie imaginative des COMAROFF, de la sociologie de
la guérison divine, nous arrivons vers l'identification des piliers qui
sont les raisons des métaphores du Sida.
a) La sorcellerie
Le premier pilier des métaphores du Sida est la
sorcellerie. Lorsque nous établissons notre corpus nous remarquons que
les premières considérations et représentations du Sida
dans le
264 Joseph TONDA, Le souverain moderne, Op cit, p
208.
milieu indigène gravitent autour de la notion de
sorcellerie. Être malade est une affaire dans les sociétés
postcoloniales indigène de malchance, d'infortune, d'anthropophagie.
C'est des sociétés où « la colonisation s'est
imposée à des sociétés que certains ethnologues ont
dit, disent encore, soumises à la souveraineté du mythe
265 ." Mais encore après cette décolonisation, les
sociétés de la postcolonie ou de la grande nuit
idéologique sont toujours sous le joug du mythe. En ce sens que le mythe
dans la société orale indigène est synonyme de savoir, de
culture, d'histoire. C'est dans ce sens que « le mythe devient la source
de tout savoir, le modèle auquel les générations
successives se réfèrent pour maintenir l'ordre des choses : un
certain état des rapports sociaux, un certain agencement des
thèmes culturels266." À partir de cette
réflexion sur le mythe dans les sociétés postcoloniales
nous pensons, aussi, que le mythe est la raison de cette contextualisation de
la maladie comme une infortune, une malchance, une forme d'anthropophagie.
Cette malchance ou ces infortunes conceptualisées par TONDA comme des
« affaires du corps " ou encore « chose du corps " ont pour leitmotiv
la sorcellerie. Cette sorcellerie qui d'une certaine manière est une
attaque mystique perfectionné par une imagination néfaste et
mortifère d'un ou des individus du lignage. La maladie du Sida, tout
comme la maladie de façon générale, devient le champ et le
lieu d'une chasse, d'une guerre nocturne et invisible mais aussi une agape ou
banquet de vampire. Le sorcier, le vampire, devient un chasseur de la nuit, un
prédateur nocturne à l'image de la chauve-souris ou plus
précisément de la chouette. D'ailleurs dans la
société gabonaise de la postcolonie, la chouette est un oiseau du
malheur qui n'est qu'une métamorphose d'un homme sorcier267.
Donc, pour tuer sa proie le prédateur indigène mystique de la
postcolonie va se parer de toutes sortes de techniques et d'artifices qui
passent par l'inoculation du Sida mystiquement et le cannibalisme imaginaire ou
fictif. Nous disons imaginaire car les récits de personnes qui
déclarent avoir mangé « la chair humaine peut avoir l'aspect
du poisson ou de la viande de boeuf, le sang celui de l'eau ou du
vin.268 " A cet effet, toutes les marmites nocturnes, arc-en-ciel,
Nzatsi, Kôhng vont servir à capturer, empoisonner et consommer la
proie du prédateur indigène de la postcolonie. Ce qui est
intéressant c'est le rapport entre la sorcellerie et la nuit. Le sorcier
est tout puissant dans la nuit, dans l'obscurité, l'ombre qui est le
lieu du trouble, de l'aveuglement, de l'indistinction. La sorcellerie est ce
lieu oü le discernement manque. C'est alors le siège de
l'imaginaire, le monde de l'irréel qui gouverne les activités et
les comportements sociaux des gabonais face à la maladie. C'est une
société de la nuit, une société oü
l'idéologie est commandée par la violence symbolique, la violence
de l'abstraction comme le nomme Jean et John COMAROFF, et que Gilles DELEUZE
entend sous le nom de violence de l'imaginaire, et que nous entendons sous le
terme de la violence du sens. C'est en ce sens que cette société
est une société de la postcolonie, une société
sorcellopathe qui considère une maladie de la réalité
biomédicale comme une maladie de la
265 Georges BALANDIER, Sens et puissance, Paris, PUF,
coll « Quadrige », 1986, p 202.
266 Georges BALANDIER, Ibid, p 202.
267 Dans les années 1992 à Port-Gentil, il y
avait un homme qui se transformait en panthère dans la nuit dans le
quartier « derrière le centre social » et s'attaquait aux
poulaillers, aux moutons et chèvres des concessions voisines.
268 Marc AUGE, « Les métamorphoses du vampire. D'une
société de consommation a l'autre », La construction du
monde, Paris, Maspero, 1974, p 115.
96
nuit, une maladie de la sorcellerie. Une société
qui transfigure et réifie tous rapports sociaux à une chose vers
un imaginaire, vers un cauchemar qui, pourtant irréel, est
réel.
b) Le sexe ou les corps et cordes du string
Le discours romanesque gabonais est illustratif de la
contamination au Sida par le sexe. En effet, dans Sidonie de Chantal
Magalie MBAZOO KASSA, c'est au détour d'un bar durant une mission qu'un
jeune fonctionnaire va être contaminé par une serveuse aux corps
exotique : une « bombe sexuelle ". Le récit proposé par cet
auteur nous permet d'entrevoir une analyse sociologique de cette contamination.
Autrement dit, c'est dans un détour, dans un espace
hétérotopique, un lieu de toutes les transgressions, que le
fonctionnaire va être contaminé par une serveuse « bombe
sexuelle ", un « oiseau prédateur " de la nuit. Le propre d'une
« bombe sexuelle " c'est qu'elle stimule et réveille les fantasmes
les plus inédits et triviaux qui sont refoulés et enfouies dans
le code morale de chaque individu. C'est par besoin de découvrir
l'exotisme sexuel, c'est ailleurs sexuel, cette infidélité, ce
corps-sexe fantasmatique d'un soir, par lequel le jeune fonctionnaire va
contracter la maladie du Sida.
Lorsque nous recensons le corpus au sujet de l'expression du
Sida comme maladie des quatre lettres, nous retenons que c'est cette notion de
« bombe sexuelle " qui est une notion apparaissant masquée dans les
discours. Lorsque nous avons retranscrit les propos d'Aude et Linda, nous
retenons que ce sont les strings (avec les cordes), les stretchs qui poussent
les hommes à l'infidélité. Ce sont donc les sous
vêtements sexy, les sous-vêtements qui attirent, excitent. Ce sont
les strings avec les cordes, les stretchs, d'une manière les
vétements qui mettent en valeur les formes, les beaux corps, le corps
des bombes. Ces strings sont des sousvétements portés à
l'origine par les danseuses stripteaseuses de bar, d'espaces
hétérotopiques afin d'illuminer la « fleur de pique ". Ce
sont des outils pour mettre en valeur le corps, le corps-sexe, le sexe de la
« bombe " afin d'atteindre un seul but avoué : la subjugation.
Selon Aude et Linda, le string est le vêtement porté par ses
« pétasses " qui volent les maris. Ce sont des vêtements que
les maris infidèles vont trouver sur les corps sexy, les corps-sexes,
sur les bombes sexuelles et dont il faut désormais s'accaparer et en
faire des apparats afin de reconquérir cet homme en quête
d'exotisme et de fantasme sexuelle. Le port du string, pourtant
sous-vêtements des femmes peut fréquentable, brise les tabous et
la morale. Chacune se veut « stringueuse " ou adepte de la lettre «
T269 " pour retenir le concubin dans le lit nuptiale. Chacun
transgresse le code moral pour intégrer une norme sexuelle qui
réifie les rapports sociaux conjugaux. Aujourd'hui, il est rare de
trouver des femmes de 14 à 40ans qui ne compte pas dans leur garde robe
une collection de string270. Chacune veut avoir un string en corde
comme un attribut, une possession d'une partie du corps des « bombes
sexuelles ".
C'est retenir alors, que l'infidélité est une
affaire de fantasme, une affaire de strings et de bombe sexuelle, une affaire
de sexe. Le Sida est une maladie qui transite dans la société
269 Autre nom que certains jeunes donnent au string comme
allusion à sa forme en T.
270 Il y a une quinzaine d'années le string était
tabou au Gabon car référant a la prostitué.
gabonaise par l'infidélité sexuelle, par le
fantasme des bombes sexuelles, de leurs corps et cordes du string. Tout ceci
pour dire que, les métaphores du Sida prennent pour piliers
représentatifs l'infidélité car elle est le siège
de tous les fantasmes sexuels, qui sont malheureusement
représentés dans notre étude par les strings portés
par les corps des bombes sexuelles voleuses de maris.
c) Dieu ou le stupéfiant
Le Sida dans la société gabonaise est une
maladie que Dieu décide de donner à qui il veut. Le Sida est une
maladie qui fait suite à une volonté divine. Le troisième
pilier des métaphores du Sida au Gabon est un rejet ou encore une forme
de déni biomédical de la maladie du Sida. Dans les
sociétés postcoloniales indigènes, les acteurs ont
tendance à déférer leurs droits mais aussi leurs erreurs,
sur un ordonnancement qui dicte leur destin. La maladie du Sida est d'abord une
maladie individuelle, bien que dans le milieu religieux elle soit
reléguée au second plan car étant une maladie de Dieu ou
du Diable. En ce sens que, dès que le statut de séropositif est
connu, il est directement attribué, délégué
à une cause extérieur qui est généralement une
puissance supérieure à son entendement. Entre autre, une
puissance qui dirige la volonté est dicte le destin. C'est-à-dire
que ce qui doit arriver, arrive car l' « Être Suprême »
aurait décidé de ce qui arrive. Et c'est sous des variables
linguistiques telles que punition divine et de karma, qu'elle s'exprime au
Gabon. Nous nous retrouvons dans une vision que nous décrit Michel
FOUCAULT, plus précisément quand il énonce la
théorie du pouvoir Souverain. Le Souverain est dans un royaume sur
lequel il a droit de vie et de mort. La terre, selon les pentecôtistes,
est d'une certaine manière le royaume de Dieu sur lequel il a
autorité de vie et de mort. Dieu décide de qui doit vivre et de
qui doit mourir sur terre. Et il choisit, bien entendue, la façon dont
ses sujets doivent mourir. Dieu, nous avons compris, est le Souverain. Celui
qui puni à coup de Sida ou de karma.
Nous remarquons alors que ce Dieu auquel ils ont excessivement
recourt, est toujours un être invisible, inconnu, que personne ne
connaît, un construit idéologique que Karl MARX a décrit
comme l'opium du peuple : un «stupéfiant ». C'est donc une
omniprésence de l'imaginaire qui s'installe et s'impose dans chaque
rapport social et chaque rapport social face à la maladie. Le Sida dans
la tradition religieuse (et selon notre enquête) est un mal, une main
divine invisible qui vient réguler l'ordre dans les rapports sociaux,
les rapports sexuels dépravés. Ainsi dans une forme de
régulation, le « Sida divin » est une correction afin que les
hommes s'améliorent. Le rapport à la maladie du Sida dans la
religion est un rapport entre sujet et Souverain qui décide de vie ou de
mort.
Alors, le Sida méme s'il est, en dernier recours, une
maladie biomédicale envoyé par le Dieu Souverain, il est d'abord
dans cette expérience, une explication théologique, un refus
biomédical de la maladie. Cette métaphore de punition divine ou
de karma est un déni expressif de la maladie du Sida biomédical.
Dieu, le stupéfiant, est un outil pour voyager (tout comme le fait la
foi) dans un monde imaginaire, le monde de la grande nuit de la postcolonie. Si
au Gabon l'opium n'est pas donné, le cannabis est alors
métaphoriquement plus proche de
98
nous. Ainsi, dès qu'on a consommé sa dose de
« cannabis " injectée par la bible, la société prend
une autre forme où tout est idyllique, où tout est clair,
c'est-à-dire obscur. Dans les nuages de fumée de
stupéfiant, dans ce monde des ombres et de la nuit postcoloniale, le
Sida devient une volonté du stupéfiant, du Souverain, de Dieu. Le
propre de cette pensée est que cette consommation de stupéfiant
se fait dans l'espace hétérotopique des églises qui,
encore ici, est symboliquement un lieu de la transgression comme le dit Michel
FOUCAULT. Alors, nous comparons le pentecôtisme ou la religion qui
prône le karma comme des associations de drogués qui suite
à une overdose de stupéfiant, de foi en Dieu, meurt d'une maladie
du monde réel qui est le Sida. Ce qui revient à dire que
désintoxiquer ces lieux hétérotopiques religieux revient
à les faire « sortir de la grande nuit ", des nuages de
fumée de l'ombre du cannabis, de la foi de Dieu, c'est-à-dire
tout simplement les extirper de l'imaginaire.
SECTION 2 : Les métaphores du Sida, de la
décolonisation au postcolonialisme
Cette section ouvre la réflexion sur le fait d'une
forte imagination à se représenter la maladie autrement que
biomédicalement dans les sociétés postcoloniales. Nous
soupçonnons à cet effet, que la décolonisation joue un
rôle important dans la construction des métaphores du Sida. En
fait ces représentations métaphoriques du sida sont une
revendication, ou, plutôt une revendication identitaire. C'est un refus
du colonialisme, une quête personnelle d'une nouvelle identité
extirpée des notions coloniales.
1) Les métaphores du Sida : stéréotype
du discours de la décolonisation
Nous voulons commencer ce propos avec une condition sine qua
none pour expliquer ce rapport entre les métaphores du Sida et la
décolonisation ou encore la postcolonie. Cette condition est la
puissance de production de l'imaginaire des lieux ou des espaces
hétérotopiques. Michel FOUCAULT les conçoit comme des
lieux de transgression, des lieux de la déviance. Les métaphores
en Afrique postcoloniale par leur nature analogique, comparent et
déforment la réalité. C'est certainement parce que «
le bidonville est devenu le lieu névralgique de ces nouvelles formes de
sécessions sans révolution, d'affrontements souvent sans
tête apparente, de type moléculaire et cellulaire, et qui
combinent des éléments de la lutte des classes, de la lutte des
races, de la lutte ethnique, des millénarismes religieux et des luttes
en sorcellerie.271» C'est du fait que ces lieux sont des lieux
des bidonvilles qui sont le bastion des rumeurs, de la déformation. Mais
peut-être que Eugénia VILELA trouve mieux les mots pour
décrire ce que nous venons de dire. Pour elle, « l'ordre politique
et économique a créé l'espace sans lieu. Un espace qui,
renversant le sens d'un lieu, le définit comme un endroit presque
mystique dans sa plus absolue facticité, un espace de
déracinés.272 " C'est donc un lieu qui « a pour
fonction de tisser un lien funèbre entre la vie et la terreur. En
prenant la mort pour la vie et en maintenant les deux termes dans un rapport
d'échange aussi
271 Achille MBEMBE, Op cit, p 25.
272 Eugénia VILELA, « Sur l'exil. Le corps des ombres
« , in La tentation du corps,, Paris, EHESS, coll « cas de
figure », n°9, 2009, p 11
infernal que quasi permanent, il peut ainsi renouveler,
presque à volonté, des cycles prédatoires dont chacun
enfonce chaque fois davantage l'Afrique dans le midi
dionysiaque273». Les métaphores du Sida ont la
faculté de dépiécer ou de pervertir par la puissance de
l'image et par la puissance de l'imaginaire la réalité. Les
espaces hétérotopiques dans lesquels nous nous mouvons sont des
espaces qui nous font vivre ou transcrivent, l'espace imaginaire dans lequel
nous nous exprimons. C'est des espaces de réalités qui sont en
fait des lieux vidés du réel. Et c'est exactement ce que font les
métaphores du Sida. Elles vident la réalité postcoloniale
de son réel. Elle déracine le mot de son sens.
Cela dit, le discours de la décolonisation ou le
discours postcolonial est un refus de la colonisation. Le discours postcolonial
est le lieu ou s'exprime l'identité. Une identité africaine qui
jubile son autorité au soleil des indépendances. A
l'époque de la colonisation il y avait cette interdiction de parler sa
propre langue vernaculaire. Car elle était une forme de repli
identitaire devant la langue européenne qui était la seule
identité ; la seule langue qui avait le propre d'être la langue
universelle. Joseph TONDA disait entre autre à ce sujet que «
l'infraction, c'était le patois. De manière tout à fait
pratique, vécue, le symbole signifia pour nous l'Interdit, la Loi. La
langue indigène, le patois étaient ainsi métonymiquement
associés à la puanteur du Symbole, et c'est la Loi qu'incarnait
la langue française qui autorisait, c'est-àdire imposait cette
stigmatisation.274» C'est ainsi que les indépendances
sont venues imposer une nouvelle norme qui réifia les
considérations au sujet du patois. « Chacun peut s'exprimer en sa
propre langue, et les destinataires de ces propos peuvent les recevoir dans la
leur275.» Or, le langage et la multiplicité des langues
vernaculaires parlées au Gabon posent le problème de
l'identité et la crise du repli propre à la société
postcoloniale. Nous voyons cette idée dans la production symbolique des
métaphores du Sida. Chaque ethnie la ramène à son sens et
non à celui de la biomédecine. La multiplicité des
métaphores vernaculaires du Sida sont une forme de (re)quête de
l'identité.
Les métaphores du Sida, nous l'avons vu, ont cette
forte propension à dénier le discours biomédical. Mais, ce
dénie est parce que les métaphores se transcrivent dans les
langues vernaculaires qui sont elles mêmes radicalement, au sortir de la
colonisation, hostiles aux langues du colonisateur. Nous sommes bien loin de ce
que pense Tahar Ben JELLOUN quand il dit « ma langue maternelle cultive
l'hospitalité et entretient la cohabitation avec intelligence et
humour.276» Peut-être avec intelligence et humour,
certes. Mais quand à l'hospitalité nous émettons des
réserves. Car, à notre sens, il n'y a aucune hospitalité
dans les métaphores indigènes sauf la présence
avérée d'un ressentiment et de réminiscences sombres aux
douleurs des martyres des plantations de café, de tabac, de canne
à sucre et des guerres pour les indépendances. « On a,
pendant quelque temps, prétendu que la réticence de
273 Achille MBEMBE, Ibid, p 25
274 Joseph TONDA, « Mots-objets, mots-sujets, mots-esprits
», Les mots passants, Paris, Riveneuve éditions, 2009, p
133.
275 Achille MBEMBE, Op cit, p 16.
276 Tahar Ben JELLOUN, << On ne parle pas le francophone
>>, Le monde diplomatique, Paris, n° 638, mai 2007, p
20.
100
l'autochtone à se confier au médecin
européen trouvait dans l'attachement de l'indigène à ses
techniques médicales traditionnelles ou dans sa fixation aux sorciers ou
aux guérisseurs de son groupe.277 » De fait, au
même moment que ce développe cette hostilité pour la langue
du colonisateur et à l'endroit du colonisateur, réciproquement,
il y a une opposition entre le discours biomédical et le discours
trivial des espaces hétérotopiques, assiégé par les
spectres imagés et imaginaires qui hantent les représentations
sociales indigènes de la maladie. Cette opposition est la cause des
réminiscences de la médecine coloniale interprétée
( à l'époque de la lutte pour les indépendances) comme une
médecine pour tuer les rebelles à la colonisation. Dès
lors, « c'est à travers les mythes terrifiants, si prolifiques dans
les sociétés sousdéveloppées, que le
colonisé va puiser des inhibitions à son agressivité
:génies malfaisants qui interviennent chaque fois que l'on bouge de
travers, hommes-léopards, hommes-serpents, chiens à six pattes,
zombies, toute une gamme inépuisable d'animalcules ou de géants
dispose autour du colonisé un monde de prohibitions, de barrages,
d'inhibitions beaucoup plus terrifiant que le monde
colonialiste.278» Les métaphores du Sida donnent «
l'illusion de comprendre le monde, de le sonder, de le connaître et
même de le dominer.279» Du coup, les
représentations sociales de la maladie ou encore les métaphores
du Sida sont, sous un certain angle, ce refus de la colonisation. Un refus de
la chose du blanc qui est la biomédecine, un refus de la chose du blanc
qui est la langue française et tout ce qui s'y rapporte telle que la
médecine. Cette médecine coloniale qui n'a pas
hésité à tuer, décimer les rebelles à la
colonisation. Les métaphores à l'ère de la postcolonie
gabonaise sont un stéréotype du discours de la
décolonisation. Un discours dans sa forme la plus triviale et la plus
proche du discours de la décolonisation, le repli identitaire. Les
métaphores du Sida au Gabon sont la forme première du discours de
la décolonisation. Là oü l'Autre ne se concevait que dans
l'expression du dominant, c'est-à-dire un nègre « primitif
» et dérobé de toute humanité. Comme le dit Frantz
FANON un « objet au milieu d'autres objets.280»
Le besoin de vouloir tout expliquer dans sa langue, dans ces
termes, même au détriment du discours officiel de la
biomédecine, est plus une contre attaque contre la criminalisation des
pratiques thérapeutiques indigènes qu'une une forme de «
nihilisme » de l'autre. « Les mots ne correspondent jamais à
ce qu'ils s'efforcent d'exprimer.281» Encore que la notion
d'officiel reste, elle-même, profondément suspecte. Car le fait
est de savoir si ce discours n'est pas une fois de plus l'intention du dominant
colonisateur. Toutefois, l'obsession des sociétés
indigènes de l'Afrique centrale, et plus précisément du
Gabon, à vouloir tout réifier, tout tailler à sa mesure
idéologique est une forme de concaténation et des stigmates
indélébiles de la colonisation. La pensée des
métaphores du Sida est cloîtrée dans un repli identitaire
du sens qui est aussi une lutte contre le discours colonial. Lorsque nous
disons repli identitaire du sens , nous entendons une réflexion qui veut
tout expliquer par sa vision du
277 Frantz FANON, L' an V de la révolution
algérienne, Paris, La découverte, 2010, p 359.
278 Frantz FANON, Les damnés de la terre, Paris,
La Découverte, 2010, p 465.
279 Tahar Ben JELLOUN, Ibid, p 20
280 Frantz FANON, Peau noire, masques blancs, Paris,
Seuil, 1952. Extrait parut dans Le Point, Hors-série,
numéro 22, Avril- mai 2OO9, p 89.
281 Tahar Ben JELLOUN, Ibid, p 20.
monde et qui exclu les apports théoriques des autres.
Get Autre qui a longtemps condamné le patois et la liberté
à coup de fouet et de torture. Il doit être, à son tour,
exclu du discours formel de la scène sociale indigène. Et
même si la puissance de la biomédecine reste avérée,
elle doit être d'abord éprouvée par la puissance des
spectres de la nuit indigène qui sortent de la forét et de l'eau.
Il faut que les Mbumba, les Nzatsi, les arc-en-ciel, les Kôhng, les
Mbumba Iyanô, les Mwiri aient montré leurs limites pour que la
biomédecine, sortie de l'ombre de la nuit du repli identitaire, prenne
sa place tout comme les indépendances ont redonné sa place
humaine à la race noire. « Loin de n'être que des complexes
politico-économiques, les différents régimes coloniaux
furent aussi des complexes de l'inconscient et, souvent, c'est à ce
titre qu'ils laissèrent d'indélébiles traces dans
l'imaginaire des colonisés.282» C'est donc, lorsque
l'impuissance des esprits de la nuit indigène (une nuit
idéologique que nous qualifions de « nuit de la prestidigitation
postcoloniale »), ces esprits qui viennent souverainement envahir et
coloniser le jour et les réalités des villes de l'Afrique
centrale est constatée, que la conquête biomédicale prend
son autorité à contre poids sur la pensée indigène.
Par le fait que les métaphores du Sida soit une pensée qui est un
stéréotype de la pensée de la décolonisation (avec
tous ce repli identitaire et ce « nihilisme » de la
biomédecine), nous avons ici un pléonasme. Nous parlons de
pléonasme parce que si la société indigène a
été décolonisée, il n'en demeure pas moins que la
pensée, et donc son idéologie profonde, reste elle-même une
pensée qui doit être décolonisée.
C'est-à-dire que la pensée de l'idéologie du Librevillois
a été colonisée par les esprits de la nuit. Ges esprits
qui étaient une forme de contestation du joug colonial283,
mais qui en définitive, après leur départ continuent de
les posséder, de les garder dans une transe symbolique et imaginaire.
Les esprits indigènes, la pensée indigène est une forme de
transe qui habite la société moderne de l'Afrique centrale. Ce
qui conduit à ce que nous énoncions que la pensée
indigène, la société gabonaise doit être
décolonisée du joug des esprits de la nuit afin qu'elle entre
véritablement dans l'antre des sociétés modernes.
Voilà où nous voulions arriver. Nous voulons que les lecteurs
regardent les métaphores du Sida comme le stéréotype de la
décolonisation. Non pas seulement comme le discours qui est en lutte
contre le discours colonial et, par extension, contre la biomédecine.
Mais aussi ce discours indigène, cette idéologie qui est
profondément corrompue, envahie, colonisée par le sens trivial
des esprits de la forét, de l'eau et de la grande nuit, qui doit
être décolonisée. De façon plus simple, les
métaphores du Sida sont un discours du pléonasme de la
décolonisation. Elles le sont en ce sens qu'elles sont l'expression d'un
repli identitaire propre à la décolonisation, mais aussi l'antre
du cauchemar colonial qui les hantent par le recours excessif à une
violence symbolique et une violence de l'imaginaire. Les métaphores du
Sida sont la présence évidente des stigmates de la colonisation
qui édifient le fait que la société et la pensée
gabonaise n'est pas encore sortie de la nuit du combat idéologique.
282 Achille MBEMBE, Op cit, p 91.
283 Au sujet de cette contestation du joug colonial par le
sens des métaphores nous pouvons trouver un complément de
réponse avec Achille MBEMBE. Pour lui la colonisation est une «
tentative d'invention de nouvelles coutumes [qui] fut a l'origine de nouvelles
contraintes, elle libéra également de nouvelles ressources et
obligea les sujets coloniaux soit à chercher à en tirer profit,
soit à les contester ou les déformer, soit à faire tout
cela sinon simultanément, du moins parallèlement. », Op
cit, p 88.
2) Les métaphores du Sida à Libreville
1d1-1l'1-x11411-K4 I1-4s le Soi : discussion autour de la
postcolonialité et de la modernité
Entreprendre une discussion sur l'extérieur et le Soi
dans les métaphores du Sida, c'est ouvrir une discussion autour de deux
notions qui sont le postcolonialisme et le modernisme dans la
société gabonaise. En effet, nous pensons que les
métaphores du Sida s'articulent , du point de vue historique de la
notion de prévention, sur deux axes historique que nous résumons
sous les termes de postcolonialité et de modernité.
Nous disions qu'il y a deux moments qui structurent la
réflexion des métaphores du Sida. Le premier moment est cette
période de la postcolonie. Dans cette période, les
métaphores du Sida sont la manifestation de cette incurie de
l'État sur la maladie du Sida. En effet, à travers les discours
de membres du gouvernement, à l'instar du Docteur OKIASS, qui
énonce que le gabonais est naturellement immunisé contre le Sida,
nous avons une lecture de la puissance de l'imaginaire. Le gabonais pense que
vivant sur la « terre bénie de Dieu » aucun malheur ne peut,
même pas le Sida, les affecter car étant protéger par une
puissance invisible, les esprits des ancetres, les génies de l'eau et de
la forest. C'est la croyance en ces esprits qui ouvre la
spécificité de la pensée postcoloniale dans ce propos.
Dans cette période, le Gabon, « pays des dieux », est
cloîtré dans un repli identitaire qui cherche à exprimer la
maladie du Sida. C'est ainsi que, le Mbumba ou l'arc-en-ciel
représentation symbolique d'un serpent mystique sorcier propre aux
ethnies de l'Estuaire, du Moyen-Ogooué, de l'Ogooué-Maritime et
la Nyanga est une explication du Sida. Ou encore, le Nzatsi (répandue
dans toutes les provinces du pays et dans chaque ethnie), le Kôhng
(propre à la région du Woleu-Ntem et de l'ethnie fang), le Mbolou
(ethnie kota) qui sont aussi cette représentation de la maladie du Sida.
Cela dit, la maladie du Sida est dans un repli identitaire. Ce repli s'explique
par le fait que chaque ethnie du Gabon cherche à donner une explication
au Sida. Mais ces représentations de la maladie du Sida sont
profondément, comme nous l'avons montré dans les chapitres
précédents, des pensées où le malheur, la maladie
du Sida font suite a une attaque en sorcellerie. C'est dire que la maladie du
Sida dans cette période de la pensée postcoloniale au Gabon est
tournée vers l'extérieur. C'est toujours l'autre qui est à
l'origine de la maladie. La maladie du Sida est alors une maladie de
l'extérieur, de l'extériorité, du repli identitaire. Ces
métaphores sont exprimées dans des espaces
hétérotopiques qui prônent la puissance de l'imaginaire.
C'est pour ainsi dire des lieux de l'obscurité, de l'ombre, de la grande
nuit imaginaire où règnent l'imaginaire et le non-être, la
mort. La maladie est en rapport avec ces choses, ce mauvais corps ou ce mauvais
sang qui a été inoculé par un agent extérieur, un
membre propre ou extérieur au lignage consanguin.
Le second moment est une période où la notion de
prévention prend une autorité scientifique au Gabon.
C'est-à-dire que le discours sur le Sida, même dans les espaces
hétérotopiques propre au sens du populaire, a « radicalement
» muté. Les métaphores du Sida n'ont plus rien avoir avec ce
discours du sens trivial qui avait pour ossature un besoin d'identification aux
puissances imaginaire régnant dans les forêts indigènes de
chaque ethnie du Gabon. Nous nous retrouvons dans des métaphores
où le Sida est une maladie du sang, une maladie d'amour, une maladie du
sexe. C'est dire, au premier abord, que nous avons tourné la
103
page d'une extériorité de la maladie vers une
individualisation de la maladie. Car le sang, l'amour ou le sexe sont plus
proche de la notion de l'engagement de chaque individu face à cette
maladie. C'est soit par le sang ou le sexe que nous l'obtenons. Non plus par
une quelconque présence extérieure
mortifère284. C'est parce que nous ne nous protégeons
pas que nous contractons le Sida, l'individu est mis devant sa propre
dérive. Il y a une exclusion du bouc émissaire pour
accéder à la notion d'individualisme que, d'une certaine
manière, la notion de Karma cherche à « révolutionner
» dans la religion. Nous entrons dans une société qui sort
de l'obscurité du repli identitaire de la maladie du Sida. Une
société gabonaise qui démystifie et démythifie les
puissances de la nuit comme agent privilégier de la contamination du
Sida. Nous accédons à cette société où le
Sujet reprend toute sa place dans la société afin de prendre sa
responsabilité face à la maladie du Sida longtemps
attribué au mauvais regard du chasseur de la nuit imaginaire. Nous
accédons, petit à petit, à une société
moderne oü l'être reprend le pouvoir et le contrôle de la
réalité. Une modernité qui est selon Fidèle-Pierre
NZE NGUEMA « l'expression d'un ensemble de circonstance gratuites (...)
qui aboutissent au XXème siècle au développement
exponentiel des sciences et des techniques.285»
Toutefois, cette réflexion sur ces « tares »
à métaphoriser les objets, les choses et les mots en figures de
spectres de la nuit de la prestidigitation postcoloniale peuvent, in fine, se
comprendre. Il peuvent se comprendre du fait que ces figures font partie
intrinsèque de nousmémes. C'est probablement nos fantasmes qui
sont imagés au grand jour du réel par les métaphores et
les représentations sociales. Et, en ce sens, nous nous accordons avec
FOUCAULT quand il dit que « nous ne vivons pas dans un espace
homogène et vide, mais au contraire, dans un espace qui est tout
chargé de qualités, un espace qui est peut-être aussi
hanté de fantasmes ; l'espace de notre perception première, celui
de nos rêveries, celui de nos passions détiennent en
eux-mêmes des qualités qui sont comme
intrinsèques.286»
284 Confère les annexes.
285 Fidèle -Pierre NZE-NGUEMA, Modernité,
tiers-mythe et bouc-hémisphère, Paris, Publisud, 1990, p
31.
286 Michel FOUCAULT, Dits et écrits IV, Paris,
Gallimard, 1994, p 754.
CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE
Dans le milieu religieux, nous ne sommes pas loin de cette
conception populaire qui indique que la maladie du sida peut être
donnée par le moyen de la sorcellerie. Sauf que dans le cas du Sida, au
fil du temps de la déconstruction biomédicale des
révélations illusoires des pasteurs, de moins en moins
déclarent guérir le Sida. Mais ils n'ont pas,
nécessairement, abdiqué pour autant. Le rapport à changer
car ce n'est plus une maladie du Diable mais une punition divine que les
séropositifs ne peuvent extraire de leur corps que par la puissance
charismatique du pasteur et de ses prières de délivrances. Quant
au mouvement ésotérique des confréries initiatiques, le
rapport à la maladie oscille entre l'homme et les esprits
supérieurs. Être malade du Sida c'est être tributaire d'un
karma individuel ou collectif. Apprendre à vivre avec sa maladie,
l'assumer c'est alléger son karma et peut être guérir
divinement du Sida. L'autre dans cette conception cesse d'être
diabolisé mais est plutôt vu comme moyen de repentance. A tout le
moins, il existe ce principe que Michel FOUCAULT énonce comme pouvoir de
vie et de mort sur les sujets287. Dans cet univers religieux, il y a
toujours un être qui à droit de vie et de mort sur les hommes,
Dieu ou le Souverain moderne, et la maladie est une de ses armes.
Mais quelque chose d'essentielle semble utile à retenir
de cette deuxième partie. L'essentiel est de retenir que dans les villes
postcoloniales, la forte prégnance à tout se représenter
suit un mode de raisonnement qui se conceptualise sous trois piliers qui sont :
la sorcellerie, le sexe et Dieu ou la religion. Ce n'est jamais loin des
frontières de la sorcellerie, du sexe ou de Dieu que la maladie de
manière générale, et la maladie du sida en particulier, se
représente. C'est toujours soit en rapport avec l'autre ou en rapport
avec une puissance imaginaire telle que Dieu, qui est à l'origine du
sida. C'est donc toujours les idées qui gravitent autour des choses du
corps, des affaires du corps qui soutiennent les piliers des métaphores
du sida à Libreville. Nous ne quittons pratiquement pas le domaine de
l'imaginatif.
Cependant, il faut éviter d'omettre de parler du
phénomène de la décolonisation. En effet, comme nous
l'avons présenté la décolonisation a participé pour
beaucoup dans l'édification des métaphores et, de manière
générale, des représentations sociales
déformées de la maladie du sida. Car elles étaient le lieu
de la revendication identitaire d'une race, d'une langue, d'une culture noire.
Ainsi, la médecine s'est heurtée aux représentations
sociales qui s'étaient établies en l'absence ou lors du
déficit biomédical pour lutter contre la maladie du sida.
À cet effet, les métaphores sont un front ou un lieu de conflit
entre un discours biomédical colonial européen et un discours
traditionnel indigène qui dénie le sida. C'est le lieu de la
revendication identitaire d'un langage. Un marché économique et
politique se dégage de cette lutte du sens.
Mais encore, deux grands moments se distinguent dans la
description de notre objet d'étude. Le premier c'est cette forte
inclinaison à renvoyer tout vers une attaque extérieur.
287 Michel FOUCAULT, Il faut défendre la
société. Cours au collège de France 1976, Paris,
Hautes Etudes, Gallimard, Le Seuil, 1997
105
Une recherche du bouc-émissaire est propre au sida dans
la société postcoloniale. C'est toujours l'autre que l'on peut
métaphoriser en autre invisible, un autre qui est sans être.
« Dans ces espaces, le pouvoir crée un Autre absolument
nommé, dit par des mots ultimes qui le totalisent en tant
qu'Autre.288» Le second moment, c'est cette
réappropriation du sida par la biomédecine. Le sujet, le citoyen
cesse de prendre pour référence cet Autre imaginaire pour
réintégrer la notion de responsabilité. La
modernité fait flamber les imaginaires afin de faire repousser la notion
du Soi. Le soi, devient le centre des conceptions du sida. L'Autre fautif,
envoyeur de fusil nocturne, qui inocule mystiquement le sida, ou qui
décide de comment je vais mourir tend à disparaît afin de
laisser place à la notion moderne de responsabilité.
A travers cette partie nous comprenons qu'en fait, « les
métaphores ou les mots qui servent à parler du Sida, sous
prétextes d'imposer le réel du Sida contre l'irréel des
métaphores ou des mots, institut ces derniers au même niveau de
réalités que le réel du Sida. Cela signifie que
l'irréel devient aussi réel que le réel et c'est cela la
violence de l'imaginaire. C'est une violence qui transforme les figures de
l'imaginaire en figures aussi réelles, sinon, plus réelles que
les réalités289. » Mais ces métaphores ont
plus une utilité politique. En ce sens qu'elles sont assimilables
à des dispositifs, des manières de penser. Car le dispositif
c'est «tout ce qui a, d'une manière ou d'une autre, la
capacité de capturer, d'orienter, de déterminer, d'intercepter,
de modeler, de contrôler et d'assurer les gestes, les conduites, les
opinions et les discours des êtres vivants.290» Les
métaphores sont des dispositifs qui visent à endoctriner mais
aussi à modeler les esprits des acteurs des espaces
hétérotopiques des villes postcoloniales.
288 Eugénia VILELA, op cit, p 12.
289 Joseph TONDA, Entretien a l'UOB, le 27 septembre 2011.
290 Giorgio AGAMBEN, Qu'est-ce qu'un dispositif ?,
Paris, Editions Payot et rivages, 2007, p 31.
CONCLUSION GENERALE
Pour conclure, il nous faut mentionner que la
société que nous étudions est la société
moderne et postcoloniale. Même les espaces hétérotopiques
indigènes, pourtant traditionnels, sont traversés par ce courant
de la modernité qui s'est exprimé par la souveraineté de
la loi capitaliste, de l'esprit de l'individualisme et le repli identitaire. La
société gabonaise dans laquelle nous venons d'achever notre
enquête est une société moderne et une
société sur laquelle l'imaginaire à jeter son
dévolu. Nous sommes dans une forme d'immense accumulation de
spectacles.291 La société gabonaise postcoloniale est
donc une société du spectacle. Nous devons comprendre ce terme
dans son sens premier. C'est-à-dire, une société où
le quotidien est une masse de scènes ironiques, érotiques,
tragiques, dramatiques et parfois inédites. C'est ce que Gilles DELEUZE
dit quand il énonce que l'intentionnalité fait place à
tout un théâtre, une série de jeux du visible et de
l'énonçable.292 C'est donc le spectacle qui «
n'est pas [seulement] un ensemble d'images, mais un rapport social entre des
personnes, médiatisé par des images [et des
choses].293 » Ce spectacle n'est qu'une forme de l'imaginaire
ou « il est le coeur de l'irréalisme de la société
réelle294.» Contrairement à ce que l'on pourrait
penser, cette société que nous décrivons, cette
société avec ses scènes aussi inédites les unes que
les autres, est en fait un lieu où la réalité est
transcrite ; une réalité possédée et
enchevêtrée par le spectre de l'imaginaire. C'est peut être
comme le dit DEBORD parce que la réalité apparaît dans le
spectacle, et le spectacle est réel. C'est-à-dire que
l'imaginaire prend une autorité réelle sur la scène du
spectacle, l'apparence. Ainsi dit, nous pouvons considérer que
l'ensemble de la configuration des représentations qui viennent
d'être décrites est constitué par la transformation du
capital économique295.
Les métaphores postcoloniales du Sida, les mots du Sida
à Libreville sont issus de la réappropriation de
l'économie libérale par les sociétés du spectacle
de la postcolonie. C'est une économie des mots. Une économie qui
met en rapport des mots et une maladie, des mots et une marchandise qui est le
Sida ; les mots et la fiction imaginative du sens. Nous sommes dans une forme
de réification d'un marché symbolique et imaginaire. C'est les
choses et affaires du corps, cette sorcellopathie, ces strings des bombes
sexuelles, ce stupéfiant qui viennent, tous et chacun à la fois,
expliquer la viscosité du sens de la maladie du Sida au Gabon. Une
viscosité cherchant avant tout le sens des choses du fait d'une urgence
logique et sociale.296 Ils viennent expliquer une chose
réelle avec des concepts aussi irréels les uns que les autres.
Pourtant, ces concepts irréels s'échangent bien dans cette
société du spectacle, cette société de la «
grande nuit postcoloniale » que décrit Achille
MBEMBE297. Nous nous accordons alors avec TONDA quand il dit que
« tous les imaginaires que nous avons décrits et qui convertissent
en capital sorcier le capital économique, le capital scolaire, le
capital
291 Guy DEBORD, La société du spectacle,
Paris, Gallimard, coll « Folio », 1992, p 15.
292 Gilles DELEUZE, Pourparlers 1972-1990, Paris,
Éditions de minuit, 2003, p 146.
293 Guy DEBORD, Op cit, p16.
294 Guy DEBORD, Op cit, p 17
295 Joseph TONDA, « Capital sorcier et travail de Dieu
», Pouvoirs sorciers, Paris, Karthala, coll « Politique
africaine », n°79 -octobre 2000, p 58.
296 Marc AUGE, Maladies, Paris, Encyclopédies
Universalis, corpus 14, 2002, p 194
297 Achille MBEMBE, Sortir de la grande nuit. Essais sur
l'Afrique décolonisée, Paris, La découverte, 2010, p
16.
107
politique, le capital religieux et chrétien sont la
preuve de ce que Dieu et le génie sorcier [mais aussi la rumeur] sont
partie prenante des mêmes structures de causalité du malheur en
Afrique298». Nous accordons du crédit à ce propos
en ce sens que c'est le rapport à l'imaginaire social qui perverti,
transfigure, métamorphose et métaphorise la chose réelle
en produit irréel. Le Sida de ce fait n'est plus un syndrome d'immuno
déficience acquise, mais quelque chose qui se rattache à toutes
les sordidités imaginaires du discours trivial et du mythe
indigène. C'est-à-dire, tout sauf un discours rationnel qui est
conforme aux normes étiologiques de la pensée biomédicale.
Il faut s'attendre à ce qu'une analyse selon laquelle, « toute
maladie ou infortune requiert une interprétation, et celle-ci est un
avatar des relations sociales et des représentations propres à
une société299», devienne un argument
d'autorité dans l'explication du rapport des représentations
sociales de la maladie du Sida à la réalité. La
société postcoloniale de Libreville est une société
qui est dans une crise de la question de la représentation. Ce qui
conduit indubitablement vers une crise étiologique. Mais encore, «
tout se passe par conséquent comme si la transmission
hétérosexuelle était la seule réalité
épidémiologique tangible et exemplifiait à elle seule,
sous forme de comportements spécifiques, le sous-développement et
les misères de l'Afrique.300»
Implicitement, les acteurs de la société
postcoloniale gabonaise sont en perpétuelle contradiction avec
eux-mémes et leur propre sens. Ceci nous l'illustrons avec SINDZINGRE
quand il dit qu' « être le sujet d'une infortune est un
évènement fondamentalement injuste pour quiconque, qui implique
la nécessité de trouver un sens, de l'insérer dans une
chaîne de causes et effets301.» Nous y voyons une
contradiction car les acteurs de la postcolonie croient en ce Dieu
stupéfiant, en ces esprits de la forét et de la grande nuit de
l'agape sorcellaire. Ce sont ces représentations qui les
protègent, et qu'ils divinisent, qui sont encore, curieusement à
l'origine du mal. C'est-à-dire qu'ils sont, symboliquement, pris de
passion et d'admiration, d'adoration pour les structures de causalité du
malheur : leur propre imagination. Ce qui nous permet de dire que les acteurs
de la postcolonie participent aux structures de causalité du malheur en
Afrique centrale car ils en font partis. Ils s'empoisonnent de leur propre
poison imaginaire. Ils sont en fait une sorte de paradoxe. Ils stigmatisent le
mal qui leur est donné par celui ou ceux qu'ils ont crées, mais
ils sont pris d'adoration pour leur bourreau, leur Souverain, leur imagination.
En fait nous sommes dans une forme de théorie du miroir. Mieux encore,
nous sommes en face de la théorie du syndrome de Stockholm. Syndrome par
lequel l'otage finit par tomber amoureux de son bourreau. Les sujets
postcoloniaux sont effrayés par le reflet du miroir en oubliant que ce
qu'ils les effraient n'est autre que la projection imaginaire de leurs phobies
; en un mot ils ont peur d'eux-mêmes. C'est une forme de
298 Joseph TONDA, Op cit, p 65.
299 N. SINDZINGRE, « La nécessité du sens :
l'explication de l'infortune chez les SUNFO », Le sens du mal,
Paris, éditions des archives contemporaines, coll « Ordres sociaux
», 1994, p 96.
300 Jean-Pierre DOZON, « Le sida et l'Afrique ou la
causalité culturelle en question », in Critique de la
santé publique, Paris, Balland, 2001, p 224.
301 N. SINDZINGRE, Ibid, p 96.
masochisme ou encore une forme de possession302, de
transe. Mais peut-être que Yves BARREL trouve mieux les mots pour
exprimer ce que nous pensons quand il dit qu' « en prenant son temps pour
se contredire, la pensée humaine évite de
s'affoler303.» C'est donc cela à quoi nous avons affaire
dans cette étude, un affolement. C'est l'affolement qui conduit à
ce que la maladie soit égarée dans les chemins de traverses des
imaginaires. La maladie n'est plus seulement ce qui affecte les organes
humains, mais aussi cette chose psychosomatique qui affecte l'esprit et ensuite
le corps. C'est l'esprit de Dieu ou les esprits de la forêt, le
non-être, qui donne le mal. Il n'y a plus rien avoir avec les
bactéries, les parasites ou les virus, la maladie dans la postcolonie a
été extraite de son champ. « Ainsi, que la maladie soit
appréhendée comme hasard ou comme nécessité, comme
innée ou accidentelle, elle est toujours extérieure à
l'individu lui-même.304» Nous en viendrons à
penser qu' à l'intérieur du corps humain, il y a un taux de
bactéries ou de parasites, d'une certaine façon un taux de
désordre autorisé. Tout comme la société à
son taux d'hérésie, d'inepties « autorisées »
dont les guerres, les épidémies meurtrières, les
représentations sociales imaginaires en sont le
stéréotype. Et la maladie sociale la plus répandue
à l'heure actuelle dans les sociétés de la postcolonie
africaine est la violence de l'imaginaire, la violence du sens.
Cette maladie de l'imaginaire est une maladie qui surgit suite
à une entreprise de reconstruction, ou encore de
réidentification. Lorsque baisse la flamme du joug colonial, l'africain
est exposé a des réalités qui sont la construction d'un
monde selon son idéologie. Mais ce monde est le lieu de déficit.
Car ce que les colons laissent derrière eux ce ne sont que des
structures primaires instaurées pour la petite communauté
européenne. Ces structures qui prenaient en charge la part de ce qu'ils
appelaient « l'Afrique utile ». Ce n'est donc rien que les «
travailleurs nègres » qui en avaient accès. Du coup, le
déficit sanitaire éclate avec une spontanéité
cruelle au grand jour des indépendances. Alors, face à ce
déficit de structures, l'imaginaire va réinventer et
réifier un monde. Un monde où la médecine indigène
avec toutes ses représentations prend une autorité «
biomédical » en attendant l'arrivée de la
biomédecine, le retour du « colon blanc ». Les
métaphores du Sida sont une caractéristique de ce que nous venons
d'énoncer. Les métaphores de la maladie est un manque de quelque
chose. Cette capacité de la société à créer
des significations imaginaires à partir desquelles se conçoit la
possibilité méme de distinguer le rationnel et l'irrationnel, le
naturel et le surnaturel, implique pour une formation sociale confrontée
à des déficits historiquement produits, de s'inventer ou de
s'instituer à partir du magma composé par les combinaisons,
mélanges, associations, fusions de significations imaginaires sociales
indigènes et exogènes305 comme le dit Joseph TONDA.
C'est donc d'une certaine manière pour éviter de s'affoler que la
société use des métaphores du Sida qui ont de
l'autorité dans l'État biopoliticien du Gabon. L'imaginaire
302 Lire à ce sujet Charles BAUDELAIRE qui dans un
poème présente métaphoriquement cette grande nuit
idéologique dans lequel un individu rend hommage à son
oppresseur. « Le possédé », Les fleurs du mal,
Paris, La librairie Générale Française, coll « Livre
de Poche classique », 1999, p 85.
303 Yves BAREL, Le paradoxe et le système,
Grenoble, PUG, 1979, p 258 cité par André MARY dans la
préface de La guérison divine, Paris, Karthala, 2002, p
10
304 François LAPLANTINE, Anthropologie de la
maladie, Paris, Editions Payot, 1992, p 280.
305 Joseph TONDA, La guérison divine en Afrique
centrale (Congo, Gabon), Paris, Karthala, 2002, p 229.
109
prend le relais dès que la biomédecine ou la
biopolitique devient déficiente. C'est à cet effet, que nous
pensons que les métaphores postcoloniales sont en fait des dispositifs.
Car, par elles, il y a une orientation, un formatage, une formation et
reformation, une réformation du modèle de penser. La maladie
s'égare dans les méandres de l'imaginaire car elle permet de
distraire la conscience collective en attendant la fin du déficit
médicale.
Il nous faut aussi retenir, que le Stupéfiant, les
Esprits de la forét et de l'eau sont tous l'unique représentation
du Souverain. C'est l'être imaginaire qui a pouvoir de vie et de mort sur
les sujets qui l'ont créés. Mais ce Souverain est un imaginaire.
C'est quelque chose que l'on n'a jamais vu mais qui agit par une puissance
« magique » sur les corps, sur les choses par les mots. C'est un
être irréel qui vient commander les choses, le réel. Le
réel est assiégé par l'irréel, qui, par extension,
arrive à le réifier, l'aliéner à tel point qu'une
indiscernabilité s'installe entre le réel et l'irréel.
Alors, « la leçon de la sociologie de la guérison divine en
Afrique centrale, est celle du caractère fondamentalement magique du
Souverain moderne 306 .» Nous pouvons ironiquement penser que
la violence de l'imaginaire est fondamentalement une « pensée de la
magie ». C'est-à-dire une pensée qui pervertie et rend
indiscernable les choses de leur non être, c'est ce que nous appelons de
la prestidigitation sociale. Nous pensons que la biomédecine est une
médecine démagifiante, méme si l'on reconnaît que
son pouvoir technique se double d'un « pouvoir charismatique qui se
nourrit de la foi dans les possibilités de la médecine à
vaincre la maladie et la mort307.»
Cependant, dès que la biomédecine arrive dans
les lieux de la pensée indigène, tout ne se passe pas comme s'il
fallait, pour la médecine ésotérique indigène,
léguer ou restituer ces droits à la biomédecine. Mais bien
au contraire, une lutte entre les deux s'opère sur le champ de la
maladie ; une lutte pour s'approprier le sens de la maladie et parfois plus
encore. Les métaphores de la maladie du Sida sont un exemple de ce
conflit entre la biomédecine et la médecine
ésotérique indigène. Nous parlons plus ici de
déficit, mais de refus de restituer le droit à la
réalité. Cette lutte est un conflit ouvert qui expose la
dualité entre l'imaginaire et la réalité, entre
l'irréel et le réel, entre l'être et le non-être.
C'est alors tout simplement une lutte de sens.
À la question de savoir pourquoi existe-t-il autant de
métaphores de la maladie du Sida dans les espaces
hétérotopiques du Gabon, nous pensons que la floraison
névralgique des espaces hétérotopiques à
Libreville, qui sont les lieux producteurs du sens commun, ont pris le dessus
sur la biomédecine par l'incurie avérée de l'État
au début de la pandémie du Sida. Mais nous devons comprendre que
cet État postcolonial s'est lui-même infecté par ce
besoin
d' « affolement » créé par le satrape
dans l'objectif de rendre la réalité indiscernable. Car dans
cette obscurité, la manipulation des hommes de la société
gabonaise devient plus facile car cette population est elle-même cette
chose qui sort de la forêt et qui croit en ces choses de la nuit et du
non-être. Cet État postcolonial de la fin des années 80 et
des années 90 tend à entrer dans un modernisme. Ceci inclut que
le repli identitaire qui plane sur le besoin de
306 Joseph TONDA, Op cit, p 230
307 Jean-Claude GUYOT, Quelle médecine pour quelle
société, Paris, Privat, 1982, p 291 cité par Joseph
TONDA, La guérison divine en Afrique en Centrale, Op cit,
p231.
donner une explication, un sens imaginaire de la maladie du
Sida propre à chaque ethnie, est ostracisé par la puissance d'une
représentation « univoque " de la maladie du Sida comme maladie
biomédicale. Nous entrevoyons une lecture « moderniste " des
métaphores du Sida à Libreville. En ce sens que les
métaphores du Sida sont caractérisées par deux grands
moments. Le premier moment est cette période postcoloniale oü le
Sida c'est le Mbumba, le Nzatsi, le Kôhng, en quelque sorte le sida est
un évènement qui est attribué à la puissance d'un
pouvoir mortifère sorcellaire invisible. C'est-à-dire que dans la
postcolonie la maladie est une entité extérieure à
l'être. C'est un mal donné par les autres. Le second moment c'est
la deuxième période de la fin des années 90 qui s'inaugure
par des métaphores musicales qui démystifient,
démythifient le sida des autres, le Sida invisible sorcellaire, pour
intégrer cette dimension du soi et de sa propre responsabilité.
C'est donc un Sida qui ne prend en compte que le soi et non plus les autres
cette extériorité que l'on cherche à condamner de son mal.
C'est deux moments s'opposent par le fait que l'un est tourné vers
l'extérieur et cherche la causalité de la maladie en dehors de
soi, tandis que l'autre regarde à l'intérieur de Soi comme une
critique de la responsabilité. Alors, parmi les structures de
causalités du Souverain moderne nous pouvons ajouter les
métaphores et leur sens, la violence du sens. Mais encore, les
structures de causalité de la maladie du Sida ne sont plus
essentiellement les Nzatsi, les Mbumba, les Mwiri, les Kôhng, mais aussi,
les actes qui impliquent sa propre responsabilité (comme le refus du
port du préservatif). Ce n'est plus l'autre mais moi qui suit
responsable de ma maladie.
Seulement, nous réaffirmons avec force que les
métaphores postcoloniales sont une forme de réinvention d'un
monde « indigène ". Un monde qui cherche et recherche une
identité tout en niant et déniant les acquis biomédicaux
qui sont perçus, par extension, comme une idéologie coloniale
qu'il faut faire disparaître.
En définitive, la peste, que nous décrivons
comme métaphore du Sida ou comme grande épidémie selon
CAMUS, est la métaphore des représentations sociales de la
maladie du Sida. Ce sont ces représentations du Sida qui nous
déciment en grand nombres depuis les années 1990 comme l'a fait
la peste. Ces représentations sociales, ces métaphores du Sida,
qui la rendent plus puissante et plus meurtrière en Afrique Centrale.
C'est donc ces métaphores qu'il nous faut extirper de la nuit de la
prestidigitation postcoloniale, la nuit de l'imaginaire pour enfin vivre la
réalité de la maladie du sida au grand jour du réel. Nous
devons passer à autre chose, entre autre à la reddition de la
frénésie des représentations imaginaires à vouloir
s'accaparer le réel. Mais nous ne devons pas oublier que si ces
métaphores sont la peste « on peut lire dans les livres, que le
bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu'il peut rester
pendant des dizaines d'années endormi dans les meubles et le linge,
qu'il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs
et les paperasses, et que peut-être, le jour viendrait oü, pour le
malheur et l'enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et
les enverrait mourir dans une cité heureuse308." Les
métaphores du Sida ou la violence de l'imaginaire dans la
société postcoloniale gabonaise sont l'épidémie qui
corrompt le sens de la maladie.
308 Albert CAMUS, La peste, Paris, Gallimard, coll
« Folio », 1947, p 279.
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franc-maçon, directeur des ressources humaines à la retraite,
Nkomi / Mpongwè.
M. Hubert, masculin, niveau d'étude supérieur,
bouddhiste, enseignant d'Espagnol, camerounais
M. Hugues, masculin, niveau d'étude supérieur,
chrétien, infirmier, massango
M. Landry, masculin, niveau d'étude secondaire,
rosicrucien, coursier, Nkomi/Mpongwè M. Mackjo's, masculin, niveau
d'étude secondaire, catholique, Pounou
M. Nicolas, masculin, niveau d'étude secondaire, bwitiste,
élève, Pounou.
M. x, niveau d'étude supérieur, catholique,
statisticien, Fang.
Maître Louis Paul ELIWATCHANGO, masculin, niveau
d'étude supérieur, rosicrucien (grand conseiller de l'ordre de la
Rose-croix A.M.O.R.C au Gabon), médecin généraliste
homéopathe au Sénat, Mpongwè
Maman Mado, féminin, pas de niveau d'étude mais
femme d'un instituteur à la retraite, traditionnaliste, sans profession,
Ipounou
Mlle Aude, féminin, niveau d'étude secondaire,
catholique, sans profession, Fang.
Mlle Micheline, niveau d'étude sixième,
pentecôtiste, ancienne caissière, Mwiénè (morte le
13 septembre 2011 à Libreville)
Mlle, Linda, féminin, niveau d'étude
supérieure, catholique, Assistance en communication des entreprises,
Mwiénè
Mme Jeannette, féminin, niveau d'étude primaire,
traditionnaliste, technicienne de surface dans une administration,
Mpongwé.
Papa Aspro, niveau d'étude primaire, Bwitiste, ancien
militaire, Pounou / massango.
Papa Maboule, masculin, niveau d'étude primaire, Bwitiste,
sans, Massango (décédé en décembre 2010)
TABLE DES MATIERES
Dédicace
Remerciements
Listedes
sigles.................................................................................................
..
Listes des tableaux et
diagramme.........................................................................
Introduction 1
Préalables épistémologiques
7
Première partie : Les métaphores de la
maladie du Sida dans les espaces hétérotopiques de la
médecine traditionnelle indigène et populaire à Libreville
44
Introduction de la première partie 45
Chapitre I : Les représentations de la
médecine ésotérique indigène du sida à
Libreville
47
Section n°1 : Le Mwiri, le Mbumba Iyanô , le
Mbumba et le Sida 47
1) Le Mwiri 48
2) Le Mbumba Iyanô 51
3) Le Mbumba 54
Section n°2 : Le Nzatsi, le Kôhng
57
2) Le Nzatsi 57
3) Le Kôhng 59
Chapitre II : Les représentations du sida dans
l'espace populaire à Libreville 61
Section n°1 : Le Mbolou, Sidonie, Le syndrome
inventé pour décourager les amoureux, la maladie du
siècle, les quatre lettres et le kongossa 61
1) Le Mbolou 62
2) Sidonie et les débuts du PNLS dans les années
1990 63
3) Le syndrome inventé pour décourager les
amoureux : le sida dans les années 1990.....66
4) La maladie du siècle et la grande maladie 67
5) Les quatre lettres .68
6) Le Kongossa et les métaphores de la maladie du Sida :
ragot ou rumeur 70
119
Section n°2 : Les représentations musicales
du sida dans les espaces hétérotopiques à Libreville
71
1) Le sida maladie du sexe dans la postcolonie : la violence de
l'imaginaire 72
2) Le sida maladie du sang 74
Conclusion de la première partie 77
Deuxième partie : Les
métaphores de la maladie du Sida dans les espaces
hétérotopiques pentecôtiste et des confréries
initiatiques modernes à Libreville 79
Introduction de la deuxième partie 80
Chapitre III : Les représentations
pentecôtistes et des confréries initiatiques modernes du sida
à Libreville 82
Section n°1 : Le pentecôtisme et le sida : la
punition divine 82
1) L'évidence biomédicale du sida et l'obstination
charismatique pentecôtiste 82
2) Le charisme et la punition divine 84
Section n°2: Les représentations
sociales dans les confréries initiatiques modernes 85
1) L'A.M.O.R.C : le karma et la maladie du sida 85
2) Le bouddhisme et la maladie du Sida 88 Chapitre
IV : Les représentations du sida dans la postcolonie de Libreville :
NIQtDtINHOiDSSUFEHAoFIRIoTiIXI . 90
Section n°1: Le Sida, le sexe, le sang, la
sorcellerie et Dieu I liI' DTiQDRIEGMD postcolonie 90
1) / I AidDI' DODdIII4iD' oXOW' DlDdIHOilQjICOMO dDQA OD
SIANFIOQiI . 90
2) Les trois piliers des métaphores du sida dans
la postcolonie Librevilloise 92
Section n°2: Les métaphores du sida,
de la décolonisation au
postcolonialisme........................................................................
« « « « « « « « « « «
« « « « « « « « « « «
« 96
1) Les métaphores du sida : stéréotype du
discours de la décolonisation 96
2) Les métaphores du sida à Libreville, de
l'extérieur vers le soi : discussion autour de la postcolonialité
et de la modernité 99
Conclusion de la deuxième partie 102
Conclusion générale 104
Bibliographie 109
121
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