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Les mots du sida à  Libreville: métaphores postcoloniales et hétérotopies

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par Yannick ALEKA ILOUGOU
Université Omar Bongo - Master 2012
  

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INTRODUCTION GENERALE

3

« La maladie est la zone d'ombre de la vie, un territoire Auquel il coûte cher d'appartenir .En naissant, nous Acquérons une double nationalité qui relève du royaume Des biens -portants comme de celui des malades. Et bien Que nous préférions tous présenter le bon passeport, le Jour vient oft chacun de nous est contraint, ne serait-ce Qu'un court moment, de se reconnaître citoyen de l'autre Contrée. »

Susan SONTAG.

Quand la métaphore exerce un droit de réification à tel point qu'elle crée une indiscernabilité entre l'irréel et le réel, nous assistons à une production d'une nouvelle réalité ayant une frontière fine avec l'imaginaire. Une métaphore consiste à comparer, à penser par analogie. La métaphore est une image mentale, elle est une représentation. Ce qui revient à dire que les métaphores, dans le cadre de notre étude, sont des représentations sociales.

En Afrique centrale, les représentations sociales comme partout ailleurs, s'inscrivent dans des figures de styles littéraires. « Une représentation sociale est une préparation à l'action (...) Sa qualité éminente est de donner un sens au comportement, de l'intégrer à un ensemble de comportements déterminés1.» Dans cette étude, il s'agit de décrire l'une des diverses représentations de la maladie et, plus précisément, de la maladie du Sida. Il s'agit de décrire, les lieux de production de ces représentations sociales. Pour ce faire, nous avons retenu les bars, les marchés, les cimetières, les églises et les mbandjas2 qui produisent des mots, des expressions, des métaphores, des représentations. Nous les qualifions, à la suite de Michel FOUCAULT, les hétérotopies. Ce sont « des lieux réels, des lieux effectifs, des lieux qui sont dessinés dans l'institution même de la société, et qui sont des sortes de contreemplacements, sortes d'utopies effectivement réalisées dans lesquelles les emplacements réels [...] sont à la fois représentés, contestés et inversés, des sortes de lieux qui sont hors de tous les lieux, bien que pourtant ils soient effectivement localisables »3. Entre autre, des lieux du sacré mais aussi le lieu de toutes les transgressions4. Dès que l'on se retrouve en présence d'expressions métaphoriques de la maladie du sida, telles que Sidonie, maladie du siècle, maladie du sang, de Mbumba, Mbumba Iyanô, Kôhng, ou encore, de punition divine ou de karma, nous sommes face à des mots produits par les usagers des hétérotopies. En fait, les hétérotopies sont des lieux oü l'on produit et use des métaphores dans une perspective métonymique ; jouant aussi sur des images. En d'autres termes, les images sont dotées de puissance ou encore de pouvoir au sens où elles sont censés agir comme des forces. Ce sont donc des lieux de représentations sociales. Le propre des représentations sociales en Afrique centrale est d'être gouverné par une violence de l'imaginaire. Sauf que ce gouvernement qui administre les populations par la violence de l'imaginaire est lui-même aliéné, car possédé par

1 Serge MOSCOVICI, Préface du livre de Claudine HERZLICH, Santé et maladie, Paris, Editions EHESS, 2005, p 10.

2 André RAPONDA-WALKER et Roger SILLANS, Rites et croyances des peuples du Gabon, Libreville, Editions Raponda Walker, coll « hommes et société », 2005, p 216.

3 Michel FOUCAULT, Dits et écrits IV, Paris, Gallimard, 1994, p 756

4 Michel FOUCAULT, l'art de penser, Conférence audio MP3, 1966

l'imaginaire. Ce qui permet de dresser une différence entre violence de l'imaginaire et violence symbolique. A la différence de la violence de l'imaginaire, la violence symbolique est une violence qui ne peut-être exercée par celui qui l'exerce et qui ne peut-être subie par celui qui la subit que parce qu'elle est méconnue en tant que telle5, la violence de l'imaginaire est une violence consentie. Or pour TONDA, la violence de l'imaginaire est « cette violence qui s'exerce sur les corps et les imaginations au moyen d'images (icônes, symboles, indices), de gestes corporels, de mots, [et qui ] doit son efficience aux consentements révoltés et aux connivences paradoxales de ces corps et imaginations6».

L'idée que nous voulons soutenir ici est que les métaphores du sida ont pour fonction de zombifier7 et vampiriser un individu ; lequel individu est généralement celui qui donne la maladie qui tue, qui est un assassin, un sorcier (Chapitre 1). Le zombie ou le vampire est « un être indifférent à l'humiliation, à l'horreur, à la peur, sans conscience et sans personnalité8». Le Souverain moderne (le nganga et le pasteur) qui est le dénominateur par lequel on arrive aux représentations sociales du Sida (Chapitre 3) est finalement, « une autorité qui dévore la vie [et] une autorité productrice de morts, ou, ce qui revient au même, de morts-vivants, c'està-dire des zombies, des vampires, au sens oü l'imagination populaire donne à ce mot au Gabon, à savoir les sorciers. Les « cités africaines » sont, dans cette perspective, des cités de « vampires9». Mais cette vampirisation s'établit par le moyen de « l'économie des miracles de la foi, des croyances aux fétiches, magies et sorcelleries nationales et internationales, et qui consiste en l'administration d'une violence indivisible sur les corps et les imaginations 10 ». Donc, le Souverain moderne gouverne et administre, les populations vampirisées et mystifiées, par l'argent, la force et les représentations sociales : les métaphores.

Mais si tant est que nos villes de l'Afrique centrale sont des lieux de vampirisation et de zombification, des « espaces hétérotopiques », il va de soi que la maladie ne peut, elleméme, qu'être englobée par ce nuage efficient d'images de l'imagination. Car « se représenter (...) c'est en réalité, aller au-delà, édifier une doctrine qui facilite la tâche de déceler, de programmer ou d'anticiper actes et conjonctures11.» La maladie à ce titre est une maladie en rapport avec l'autre. Elle n'est jamais personnelle, mais toujours collective. Ce qui explique qu'elle soit un phénomène social. Un phénomène social qui siège dans le « deuxième monde, deuxième cité, monde pandémonium, ou quatrième dimension12» : les hétérotopies.

5 Pierre BOURDIEU, Questions de sociologie, Paris, Les éditions de minuit, 1984, p 141.

6 Joseph TONDA, Le Souverain moderne, Op cit, p.7

7 A ce sujet lire Jean et John COMAROFF, « Nations étrangères, zombies, immigrants et capitalisme millénaire », Bulletin du Codesria, 3 et 4, 1999.

8 Joseph TONDA, Le Souverain moderne, Op cit, p 11.

9 Joseph TONDA, Op cit, p 10.

10 Joseph TONDA, Ibid, p 10.

11 Serge MOSCOVICI, Op cit, p 11.

12 Filip De BOEK, « Le deuxième monde et les enfants-sorciers en république démocratique du Congo », Paris , Karthala, coll « Politique africaine », n°80, décembre 2000, p33.

5

Chacun, dans les cités postcoloniales d'Afrique centrale, se donne une idée du réel au moyen des représentations. Ceci est le propre de l'idéologie. Dans la cité des vampires, la maladie se décrit par les moyens de la métaphore et de la métonymie. Seulement, « mon propos n'est pas la maladie physique en soi, mais l'usage qui en est fait en tant que figure ou métaphore13». Sauf qu'en Afrique centrale, dans les cités des vampires, il n'y a pas que les métaphores mais aussi la métonymie. Dans les villes postcoloniales, la maladie et la maladie du Sida sont étranges. C'est parce que comme le dit Susan SONTAG, « un mal aussi irréductible est, par définition, mystérieux14». L'homme est donc enclin à avoir peur de ce qu'il ne maîtrise pas. Il faut justifier l'injustifiable. Mais encore, il faut donner sens à cette pandémie pour rassurer. Le Souverain moderne se doit donc « de préserver l'apparence d'une maîtrise de la situation [qu'il n'a pas]15». En fait, « une nouvelle situation réclame une nouvelle magie 16» comme le dit les COMAROFF.

Mais de manière générale, «c'est l'esprit qui trahit le corps17», les mots ou le sens qui trahissent le corps. C'est ainsi que « méme si la maladie n'est pas ressentie comme la punition de la communauté [comme attaque lancée par un sorcier], elle le devient après coup à mesure qu'elle amorce l'effondrement inexorable de la morale et des moeurs18». En fait, elle finit par corrompre le langage comme le dit SONTAG. Le langage est corrompu par les représentations sociales, par les métaphores, le Kongossa (Chapitre 2). C'est ainsi que dans nos cités zombifiées, « la maladie intervient en tant que châtiment surnaturel, ou possession démoniaque19». C'est ce sens qui est problématique. C'est le mot et son sens qui pervertissent la maladie. Ainsi, « rien n'est plus répressif que d'attribuer une signification à une maladie, cette signification se situant invariablement au plan moral. Une maladie grave, dont l'origine demeure obscure et qu'aucun traitement ne réussit à guérir sera, tôt ou tard, totalement envahie par le sens qu'on lui donnera. Dans un premier temps, les terreurs les plus profondément enfouies (corruption, pourriture, pollution, anomie, débilité) sont identifiées à la maladie. Celle-ci devient alors métaphore. Puis, au nom de cette maladie (c'est-à-dire) en l'utilisant en tant que métaphore), l'horreur est à son tour greffée sur des éléments étrangers. La maladie devient adjectif. On l'emploiera comme épithète pour parler de quelque chose de répugnant ou de laid20». Nous avons ici une définition de ce que nous entendons par violence du sens. Nous entendons par violence du sens la puissance ou le pouvoir que le sens des expressions, des mots et des images exercent sur les individus par laquelle ils arrivent à créer une fabulation du réel. De même, cette violence du sens conduit à ce que nous parlions de la prestidigitation sociale. La corruption du sens du mot est une forme de prestidigitation. La

13 Susan SONTAG, La maladie et ses métaphores, le sida et ses métaphores, Paris, Christian Bourgeois éditeur, coll « titre 101 », 1993, p 11.

14 Susan SONTAG, Op cit, p13.

15 Jean-Pierre DOZON et Didier FASSIN, « raison épidémiologique et raisons d'Etat. Les enjeux socio-politiques du Sida en Afrique », Sciences sociales et santé, Paris, Vol. VII, n°1, février 1989, p 28.

16 Filip De BOEK, « Le deuxième monde et les enfants-sorciers en république démocratique du Congo », Op cit, p34.

17 Susan SONTAG, La maladie et ses métaphores, le sida et ses métaphores, Op cit, p 57.

18 Susan SONTAG, Op cit, p 58.

19 Susan SONTAG, Op cit, p 61.

20 Susan SONTAG, Op cit, p 80.

prestidigitation est une notion qui consiste à déformer le réel en irréel à tel point que l'irréel prend une autorité qui le confond et le fait paraître pour la réalité.

D'aucuns diront que les métaphores de la maladie du Sida existent au-delà des frontières de l'Afrique centrale. En effet, et c'est la raison qui conduit à ce que notre objet d'étude soit les métaphores postcoloniales et les hétérotopies. Les métaphores de la maladie semblent différentes dès qu'elles croisent la viscosité et la densité de l'imaginaire des sociétés postcoloniales d'Afrique centrale. Elles sont englouties, et « digérées " par les représentations de sorcellerie, de Dieu, et de cette frénésie à presque tout mettre en rapport avec le sexe (chapitre 4). L'exploitation de la maladie en Afrique centrale, plus précisément dans le milieu de la médecine hors secteur biomédical (MHSB)21, prend pour support une production imaginaire qui met la maladie dans une situation biomédicale complexe. Une situation complexe car la médecine dans la postcolonie porte les stigmates du conflit des guerres, rebellions pour les indépendances des sociétés dominés. Cette médecine reste, peut-être inconsciemment, la fille du colonialisme qui a servit à « mater " les peuples dits « primitif ".

Ainsi, les métaphores du Sida relaient cette maladie vers les « affaires du corps " qui ne sont que « toutes les situations de santé et de maladies, de fortune et d'infortune à la chasse, dans les champs, dans les affaires, à l'école, au jeu, à l'église, au bureau de l'administration, au marché, au foyer, en politique, en amour, en famille, etc.22" qui se diffusent par la rumeur. Ces affaires du corps n'ont alors rien avoir avec la conceptualisation médical du Sida. S'agit-il d'ignorance ou d'une lutte entre biomédecine et pratique thérapeutique indigène ?

Toutefois, la maladie en Afrique, et plus particulièrement le Sida, est dédoublée. Il y a ce que nous pourrons appeler le Sida du premier monde et le Sida du deuxième monde en reprenant De BOEK23. Le Sida du premier monde est le Sida biomédical. Un Sida qui repose son argumentaire théorique sur la véracité des notions étiologiques. Le Sida du deuxième monde n'est plus ce qu'en pense la biomédecine. Mais, il est un sort, une possession par une donnée inconnue. En fait, de manière générale la maladie du deuxième monde est toujours en rapport avec l'autre. Lorsque nous parlons de possession par une donnée inconnue, nous ne disons pas qu'il ne connaisse pas l'origine de la maladie. Mais que par des moyens invisibles l'autre peut donner la maladie à son voisin.

Ces représentations utilisent le sens par le moyen des métaphores et des métonymies. « Car l'intérêt de la métaphore réside précisément dans le fait qu'elle se réfère à une maladie envahie par la mystification, remplie des fantasmes de la fatalité à laquelle on n'échappe pas24".

21 Joseph TONDA, « La santé en Afrique ou l'esprit contre le corps », l'Homme et la maladie, Libreville, Editions Raponda Walker, coll « palabres actuelles »,n°2-Vol A, 2008, p 69.

22 Joseph TONDA, La guérison divine en Afrique centrale (Congo, Gabon), Paris, Karthala, 2002, p 41.

23 Filip De BOECK, « Le deuxième monde et les enfants-sorciers en République Démocratique du Congo », Paris, Politique africaine, n°80, décembre 2000.

24 Susan SONTAG, La maladie et ses métaphores, le sida et ses métaphores, p113.

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Cet énoncé suggère que la maladie du Sida se retrouve englobée dans un marché linguistique. Nous y retrouvons les acteurs de ce marché qui sont les ngangas, les rosicruciens et les pasteurs. Pierre BOURDIEU parle de ce marché comme un marché oü s'échange les mots. C'est en fait un marché du sens. Chacun dispute et échange le sens des mots et des expressions que l'on utilise pour se représenter la maladie du Sida. Ici, l'intervalle de réflexion est strictement dans le domaine du symbolique. C'est l'échange, l'interaction du symbole du mot et de son sens, ainsi que celui des producteurs de ces sens et ces mots qui préoccupent cet auteur.

A contrario ou par extension, nous entendons ce marché avec Max WEBER non plus comme un marché du sens mais une économie des mots. Il y a en fait un commerce des mots et des expressions dans les représentations sociales de la maladie du Sida. Ceci s'explique par le biais de la présence du charisme, de la puissance de l'imaginaire. Les acteurs de cette économie des mots appuient leur pouvoir sur la présence d'un surnaturelle, d'un invisible qui préside au monde terrestre. En fait cette économie des mots est rendu possible par la force de l'enchantement du monde. Sans enchantement, les pasteurs, ngangas et rosicruciens n'auraient « aucune autorité " dans la société car leur pouvoir charismatique n'existerait pas. L'économie des mots revient à postuler que les mots et leur sens sont exploités, perverties dans un but lucratif et charismatique.

Les représentations métaphoriques du Sida au Gabon dans les espaces hétérotopiques, sont une forme d'explicitation du marché du sens des représentations sociales de la maladie du Sida au Gabon. Dans sa forme inhérente, le marché linguistique et l'économie des mots ne sont qu'une copulation qui permet de mettre au jour l'exploitation de la maladie du Sida et celui du charisme religieux. Que cela n'en déplaise à certains détracteurs, le monde social Gabonais est encore dans le « stade métaphysique " que nous illustrait Auguste COMTE dans son cour de philosophie positive. La présence du charisme, de l'imaginaire est tellement encrée dans les représentations sociales qu'elles nous permettent de dire que nous sommes bien dans un monde enchanté ! Probablement du fait que « l'héritage de la modernité coloniale, tel qu'il s'est incarné dans l'État postcolonial, est parfois perçu comme une source de sorcellerie et de mal25."

Une introduction à ce mémoire doit nécessairement amener le lecteur à retenir que deux grands axes situent l'ossature logique de cet argumentaire. Le premier axe est celui de la violence de l'imaginaire. S'il est besoin de rappeler que la violence de l'imaginaire est une « violence qui s'exerce sur les corps et les imaginations au moyen d'images (icônes, symboles, indices), de gestes corporels [et] de mots26» c'est pour dire que la représentation des imaginaires des expressions et des mots, du charisme sont les dignes produits de cette violence de l'imaginaire. Le terrain n'a fait que corroborer ce point de vue. Le second axe est celui qui présente le fait que les métaphores postcoloniales sont une forme de réinvention d'un monde « indigène ". Un monde qui cherche et recherche une identité tout en niant et

25 Filip De BOEK, « Le deuxième monde ou les enfants-sorciers en République Démocratique du Congo », Paris, Karthala, coll « Politique africaine », n°80, décembre 2000, p34.

26 Joseph TONDA, Le Souverain moderne, Op cit, p 7.

déniant les acquis biomédicaux qui sont perçus, par extension, comme une idéologie coloniale qu'il faut faire disparaître.

L'objet de cette étude est les représentations sociales, les métaphores postcoloniales du Sida ou, pour être précis, les mots qui disent les maux du Sida. De fait, sur mon terrain, « je n'ai pourtant rencontré que du langage [...] Le seul fait empirique que j'aie pu noter, c'était de la parole27». Il n'y avait rein d'autres que des mots pour décrire un mal. Et cette description s'établissait dans des espaces du sacré, où curieusement la déviance et la transgression avaient élues domiciles. Ces espaces sont métaphoriquement des abcès qui n'ont pour objectif que de faire souffrir la société en lui administrant des doses d'imaginaires ayant les vertus de la morphine (Chapitre 4). C'est donc, à l'intersection dense des grilles de lecture de Pierre BOURDIEU, Max WEBER et de Michel FOUCAULT que nous nous inscrivons dans un cadre théorique qui semble proche de la sociologie imaginative de Jean et John COMAROFF. Pour eux, cette sociologie « a trait aux constellations symboliques que les individus mobilisent collectivement pour donner sens à l'univers28.» L'hypothèse que nous formulons à l'endroit de la question qui est de savoir pourquoi existe -t-il autant de métaphores de la maladie du sida dans les espaces hétérotopiques à Libreville est la suivante. Ces métaphores existent car elles sont le produit des hétérotopies, de l'imaginaire postcoloniale qui cherche à réinventer et recréer un monde « indigène » qui exclu l'idéologie coloniale. Tout ceci, se structurant autour d'un marché linguistique de la maladie du sida dont la notion de charisme est un stéréotype de l'outil d'exploitation du sens de la maladie. C'est de manière hypothético-déductive que nous explorons les hétérotopies et les métaphores du Sida à Libreville par le moyen des entretiens et une analyse de contenu des discours.

27 Jeanne FAVRET-SAADA, Les mots, la mort, les sorts, Paris, Gallimard, coll « Folio/Essais », 1977,P 25.

28 Jérôme DAVID, « Sociologie imaginative, néomodernisme et réalisme symbolique », Zombies et frontières à l'ère néolibérale. Le cas de l' Afrique du Sud post-apartheid, Paris, Les prairies ordinaires, coll « penser/croiser », 2010, p14.

PRÉALABLES ÉPISTEMOLOGIQUES

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PREALABLES EPISTEMOLOGIQUES SECTION 1 L 2 %J(7 7 &1- $0 3 1 ETUDE

1) Métaphores du Sida et hétérotopies à Libreville

Dans la littérature la métaphore renvoie à une figure de style qui a pour principe de comparer un évènement, un corps à une chose. C'est un transfert de sens par substitution29. « La métaphore, écrit Aristote, consiste à donner à une chose un nom qui appartient à une autre chose30 ». C'est en fait une analogie. Lorsque l'on pense par analogie, « c'est pour affirmer une relation d'équivalence entre objets (matériels et idéaux), des conduites, des relations, des relations d'objets, des relations de relations, etc31». Cette métaphore a pour objet de ternir, de ridiculiser, de minimiser ou de dénier un fait, un évènement ou un corps. Dans le cas de la métonymie l'image quitte l'irréel pour intégrer le réel. En fait, la métaphore décrit ou compare les choses tout en restant dans le domaine de l'irréel, or la métonymie (qui est aussi une métaphore) fait transiter l'objet irréel dans le réel. L'imaginaire devient une chose réelle. C'est donc la métaphorisation (et, dans une moindre mesure, la métonymisation) de la maladie du Sida qui va intéresser notre analyse. Cette métaphorisation du Sida renvoie à l'exploitation des expressions usuelles du Sida dans la société. Ce sont des mots, des expressions des discours qui sont le corpus de notre travail. En ce sens que « le langage ordinaire qui, parce qu'ordinaire, passe inaperçu enferme, dans son vocabulaire et sa syntaxe, toute une philosophie pétrifiée du social toujours prête à [faire] ressurgir des mots communs ou des expressions complexes construites avec des mots communs que le sociologue utilise inévitablement32».

Seulement il nous faut montrer les lieux dans lesquels sont produits ces discours. C'est à cet effet que nous entendons par espace hétérotopique un lieu dans lequel est produit des discours sacré. C'est des lieux autres, considérés comme des hors lieux, des lieux utopiques comme le décrit Michel FOUCAULT33. Ce sont « des lieux réels, des lieux effectifs, des lieux qui sont dessinés dans l'institution méme de la société, et qui sont des sortes de contreemplacements, sortes d'utopies effectivement réalisées dans lesquelles les emplacements réels [...] sont à la fois représentés, contestés et inversés, des sortes de lieux qui sont hors de tous les lieux, bien que pourtant ils soient effectivement localisables »34.C'est des lieux oü il y a des discours sacré comme nous l'avons dit, mais c'est également des lieux de toutes les transgressions, « des lieux oü l'ont rencontre des déviants 35 ». Pour lui, « en général,

29 Madeleine GRAWITZ, Lexiques des sciences sociales, Paris, Dalloz, 2000, p 275.

30 Susan SONTAG, La maladie et ses métaphores, le sida et ses métaphores, Paris, Christian Bourgeois éditeur, coll « titre 101 », 1993, p 121.

31 Maurice GODELIER, Horizons et trajets marxistes en anthropologie, Paris, Maspéro, 1977,p 276 cité par Joseph TONDA , « Capital sorcier et travail de Dieu », Pouvoirs sorciers, Paris, Karthala, coll « Politique africaine », n°79 -octobre 2000, p 52.

32 Pierre BOURDIEU, Le métier du sociologue, Paris, Mouton, 1973, p 87.

33 Michel FOUCAULT, l'art de penser, Conférence audio MP3, 1966,

34 Michel FOUCAULT, Dits et écrits IV, Paris, Gallimard, 1994, p 756

35 Michel FOUCAULT, Ibid 1966..

l'hétérotopie a pour règle de juxtaposer en un lieu réel plusieurs espaces qui, normalement, seraient, devraient être incompatibles.36» Ces lieux sont à Libreville les temples de confréries initiatiques modernes, les cimetières, les bars, les Mbandjas, les églises. La particularité de ces lieux est qu'ils sont sacrés, interdits ou privilégiés. Dans ces lieux on trouve un discours sacré mais, en même temps, ils sont les lieux dans lesquels sont proférés des transgressions dela morale. Les scandales de pédophilies dans les églises, les profanations de tombes dans les cimetières37, les sacrifices humains dans les confréries initiatiques et les Mbandjas n'y sont nullement étranger. C'est en ce sens que « la franc-maçonnerie, la Rose-croix, la Prima Curia, la médiation transcendantale, auxquelles ils donnent une teneur ésotérique particulière et parfois sanglante38». Les débats inculpant l'Etat dans toutes sortes de machinations ou encore de son incapacité à régler certaines situations sont le propre des bars, des marchés et des transports en commun. Dans les bars, les marchés ou les transports en commun nous n'avons pas, à proprement parlé, un discours sacré, mais nous y observons des propos généralement proférés contre l'Etat. C'est un lieu qui est un baromètre de l'opinion publique. Un lieu oü l'opinion trouve une tribune pour exprimer son désarroi. C'est aussi des lieux de transgressions, lieu de déviance. Pour les marchés c'est les ventes de produits avariés ; pour les bars des réseaux de prostitutions et d'incitation à la débauche des mineurs et à la consommation d'alcool ; pour les transports en commun des lieux de surcharge et de conduite sans permis et assurance, donc un lieu d'infractions. La particularité de ces lieux hétérotopiques, comme nous venons de le décrire, est une forte prégnance de la transgression, des délits, des infractions alors qu'ils devraient être un lieu de l'ordre au vue de leur caractère « sacré ». Mais les hétérotopies ont ceci de particulier c'est que c'est « un lieu ouvert, mais qui a cette propriété de vous maintenir au dehors.39»

Ainsi, la construction de ce concept de métaphores de la maladie du Sida et d'hétérotopies résulte du constat de la naissance d'une pandémie du Sida. En effet, il y a « un mal qui émerge brutalement au cours de la même décennie des années 1980, le Sida. Ce mal, présenté par le discours scientifique comme sans possibilité de guérison, a pour caractéristique fortement anxiogène de menacer la reproduction des parentèles par l'accomplissement d'une sexualité sans contrôle et sans entrave40 ». Mais bien plus encore, ce mal à pour caractéristique d'être accompagner par une métaphorisation et une métonymisation qui la déprave et la réifie. Ceci par le fait qu' « un mal aussi irréductible est, par définition, mystérieux41 ». C'est le sens qui gravite autour de la métaphorisation et la métonymisation de la maladie du Sida dans les espaces hétérotopiques qui va nous intéresser. Nous nous

36 Michel FOUCAULT, Le corps utopique, les hétérotopies, Paris, Nouvelles Editions Lignes, 2009, p28.

37 Lire à ce sujet Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, L'or blanc : le marché occulte et illégal du corps humain à Libreville, Libreville, UOB, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, mémoire de DEA, octobre 2010.

38 Jean-François BAYART, « le capital social de l'Etat malfaiteur, ou les ruses de l'intelligence politique », La criminalisation de l'Etat en Afrique, Bruxelles, Complexes, 1997, P 63.

39 Michel FOUCAULT, Op cit, p 32.

40 Joseph TONDA, « Economie religieuse du pentecôtisme en Afrique centrale », La pensée, Paris, n° 348, octobre-décembre 2006, p.82.

41 Susan SONTAG, La maladie et ses métaphores, le sida et ses métaphores, Paris, Christian Bourgeois éditeur, coll « titre 101 », 1993, p 13.

12

intéressons à la fonction des métaphores dans l'exercice de la représentation de la maladie du Sida à Libreville.

Il faut tout d'abord préciser qu' « on considère ainsi qu'à la différence des sociétés occidentales, plus préoccupées par la santé que par la maladie, les sociétés « traditionnelles » d'Afrique se soucient davantage des maladies, des interprétations à en donner et des moyens de les combattre42 ». Ce qui permet d'énoncer que ce qui est considéré comme maladie, ce n'est pas seulement le désordre biologique ou/et mental affectant un individu : ce sont aussi toutes sortes d'infortunes concernant sa position sociale 43 . Comme le pense Claudine HERZLICH la maladie est aujourd'hui, de fait, entre les mains de la médecine [biomédicale], mais elle demeure un phénomène qui la déborde de toutes parts44 . Et c'est bien parce qu'elle la déborde de toutes parts que l'expression du social s'en trouve débordée. Elle est débordée par les expressions et les mots cherchant à l'expliquer ou, parfois à la dénier. C'est donc la maladie comme signifiant social qui est notre préoccupation. Mais encore, ce sont les métaphores et les métonymies du Sida qui motivent notre enquête. « Notre stratégie d'enquête nous a toujours incités à placer ce terrain autour d'un ou plusieurs foyers qui avaient éveillé notre vigilance [sociologique], parce qu'ils étaient les creusets oü se façonnaient, se déployaient, s'éprouvaient et s'implantaient socialement des préoccupations et des inquiétudes vernaculaires contemporaines-quelles qu'elles soient, et quelle qu'en soit l'échelle phénoménale. Dans la mesure oü nous visons à produire une [sociologie] qui soit empirique sans être empiriste, nous avons défini tous nos objets de recherche, sans exception45».

Lorsque nous regardons la société gabonaise, nous constatons que les métaphores et/ou les métonymies de la maladie s'étendent généralement sur quatre axes. Pour être plus précis, dans le cas de la maladie du Sida quatre axes nous intéresse. En fait, après avoir récolté des données de terrain nous constatons que les métaphores et/ou les métonymies du Sida vont s'étendre sur quatre dimensions qui sont les métaphores de la médecine ésotérique indigène, populaires, religieuses et musicales.

42 E. M'BOKOLO, « Histoires des maladies, histoire et maladie : l'Afrique », Le sens du ma!, Paris, Editions des archives contemporaines, 4ème édition, 1994, p177.

43 E. M'BOKOLO, Ibid, p 177.

44 Claudine HERZLICH, « Médecine moderne et quête de sens : la maladie signifiant social », Le sens du ma!, Paris, Editions des archives contemporaines, 4ème édition, 1994, p201.

45 Jean et John COMAROFF, Zombies et frontières a l'ère néolibérale. Le cas de l'Afrique du Sud post-apartheid, Paris, Les prairies ordinaires, coll « penser/croiser », 2010, p 53.

Tableau n°1 : Différentes expressions utilisées pour représenter le Sida

Représentations de la
médecine ésotérique
indigène

Représentations
populaires

Représentations
religieuses

Représentations
Musicales

Mwiri

Maladie du siècle

Punition divine

Maladie du sang

Mbumba46

Sidonie

karma

Maladie
d'amour

Mbumba Iyanô47

Grande maladie

 

Maladie de
l'infidélité

Nzatsi

Les quatre lettres

 

Maladie du sexe

Kôhng

Syndromes inventé
pour décourager les
amoureux

 
 
 

Mbolou48

 
 

Source l Mg MAkM$ ( . $ MI 2 8 * 2 8 MIEtISRXiOOIIP IIItMIEIIsMIERnKOIIsMIE'IIMIXtlII

Les expressions ou les mots ci-dessus sont les différentes métaphores ou métonymies que l'on donne au Sida au Gabon. Cette liste n'est pas exhaustive, mais elle a la particularité de présenter empiriquement notre objet d'étude. Cet objet d'étude a la particularité d'être axé sur des mots ou des groupes d'expression qui inscrivent le sujet dans un champ littéraire. Les protagonistes de ce champ ne sont pas les littéraires eux-mêmes. Les expressions du milieu populaire, du milieu religieux, du milieu ésotérique indigène ou des Médecines hors secteur biomédical (MHSB) et du milieu musical décrites sont observable dans les hétérotopies décrites plutôt. Les auteurs des métaphores sont les bwitistes, les pentecôtistes, les rosicruciens, les gens ordinaires et les musiciens que nous avons rencontrés. Les lieux dans lesquels ces acteurs produisent ces métaphores et métonymies sont : les Mbandjas, les temples de confrérie initiatique moderne, les églises, les bars, les transports en commun, les marchés. Les représentations métaphoriques ou métonymiques du Sida dans le milieu de la médecine ésotérique indigène s'expriment sous les noms et expressions tels que : Mbumba, le Mwiri, le Mbumba Iyanô, Nzatsi (le fusil nocturne) ou Kôhng.

Le Mbumba est une entité mystique dont l'icône représentatif est un serpent. Ce serpent est un python considéré comme roi des serpents. Selon les traditionalistes entretenus, il y a deux ethnies spécialistes du Mbumba. Ces ethnies sont l'ethnie Mwiénè et l'ethnie Akélè. La particularité de ce deux Mbumba se situe dans le fait que dans l'ethnie Mwiénè il s'agit d'un serpent qui entoure la marmite, tandis que pour les Akélè il s'agit d'un caïman de quatre à cinq mètres de long nommé Ngando. C'est donc soit un serpent ou un caïman qui est livré en même temps que la marmite nocturne. Comme son nom l'indique, la marmite nocturne est une marmite dans lequel réside des reliques notamment le crane de l'homme, le tibia et l'intestin grêle de l'homme qui ont le pouvoir d'envouter et de tuer toutes personnes dont le

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Expression bantu qui renvoi à un serpent mystique

47

Expression Nkomi ethnie bantu du Gabon qui renvoi a un géni blanc de l'eau

48

Expression Kota ethnie bantu du Gabon qui renvoi à une maladie des tubercules qui ressemble à la maladie du Sida

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corps (les vêtements, les objets personnels tels que les photos, les cahiers, les sous vêtements, les serviettes hygiéniques) s'y retrouve. Le corps dont nous parlons n'est autre que les ongles, les cheveux, les dents de lait des enfants, les placentas, les ombrils, les prépuces de circoncision, les empruntes de pas, les restes d'arêtes ou d'os des repas. Donc, la marmite est le lieu de la mort, une tombe symbolique, un réceptacle dans lequel le pouvoir ou la puissance mortifère réside : la marmite du pouvoir. Le serpent ou le caïman sont les chasseurs. C'est lui qui capture les proies et les tuent. La particularité de ce serpent ou caïman est que sa morsure est synonyme de mort. Lorsque son venin se répand dans le corps il peut donner des symptômes identiques à celui du Sida. Notamment, perte du poids, sortie des ganglions, perte de cheveux, démangeaisons, fourmillements. Dans d'autres cas le serpent brise les membres du corps et physiquement cela se représente par la perte des facultés de motricité. Les personnes affectées par le Sida dont les symptômes sont des enflures du corps ou pourrissement du corps sont mystiquement attaquées par le caïman qui après les avoir mordus les entrainent au fond de l'eau. Ce qui conduit à une enflure du corps et une présence d'eau dans l'estomac ou dans les poumons. Mais à tout le moins lorsque les ngangas assignent au Mbumba les symptômes du Sida nous comprenons que nous avons traversé le domaine de la métaphore pour nous retrouver dans celui de la métonymie. Mais retenons que le Sida dans le milieu traditionnel est un Sida sorcier ou encore un Mbumba49 .

Le Mwiri est une initiation réservée aux jeunes hommes du village. En fait, son rôle premier est de faire transiter l'enfant de l'état d'adolescence à celui d'adulte. Dans la coutume des peuples Tsogho, c'est une initiation qui arrache à la femme le jeune garçon pour l'intégrer à la société masculine. La particularité de cette initiation est qu'elle joue le rôle de justice au sein du village. Lorsqu'il y a eu vol, adultère, meurtre ou parjure on utilise l'expression « taper le diable » pour restaurer la justice et l'équilibre. Ce qui est intéressant c'est que la ou les personnes qui sont fautives desdites transgression vont voir, tour à tour, le corps se métamorphoser. Ils vont avoir le ventre qui se gonfle jusqu'à ressembler à un tétard; ils vont avoir des ganglions ou des gros boutons qui vont sortir sur l'ensemble du corps ; ils vont être pris par des diarrhées épuisantes qui vont les immobiliser dans les latrines et vont avoir leur corps qui va perdre quasiment le quart de son poids en trois jours ; des fortes fièvres dès la tombée de la nuit vont les coller au lit ; ils vont aussi avoir les articulations qui vont extrêmement faire mal ; ils vont avoir des toux grasse avec des postillons de sang. Toutes ces douleurs vont aller en s'intensifiant jusqu'à ce que les (ou la) personnes reconnaissent leur crime, délit ou leur infraction. Quand l'individu reconnaît sa faute, alors on envoie le messager du Mwiri aller chercher feuilles et bois pour faire une décoction et un bain pour faire partir le maléfice. Ensuite dans la fin de l'après midi, il va devoir confesser sa faute devant l'assistance des hommes initiés aux Mwiri. Si les symptômes sont avancés il y aura le sacrifice d'un mouton pour délivrer du mauvais sort. Et le traditionnaliste nous confirme alors que pour lui le Sida est une forme de Mwiri. Soit une personne malintentionnée lui à lancé ce sort, soit la personne à commis une infraction. Le Sida est un Mwiri qui a pour but de punir

49 Luc de HEUSCH, «Considérations sur le symbolisme des religion bantoues », L'homme, Paris, EHESS, n°184, 2007, p180.

l'individu pour un agissement répréhensible. Parfois il s'agit de jalousie et de mauvaise foi de la part d'une personne qui enveut à une autre personne.

Le Mbumba Iyanô est une initiation propre aux ethnies des côtes du Gabon. L'icône qui la représente est un animal de légende qui est la sirène. Cette sirène se représente, dans le monde du rêve du profane, dans le cas d'une femme par la présence imaginaire d'un « génie " homme de race blanche ou la présence d'une femme blanche dans le cas d'un homme. Cette présence est une présence invisible qui perturbe le bon déroulement de la vie de la personne et, l'initiation doit réinstaurer l'harmonie entre le génie et la personne. Cette perturbation que nous décrivons s'applique plus dans le cadre de trouble de ménage. Le mari ou la femme ne veut plus s'accoupler avec son ou sa partenaire. Il arrive que le « génie " durant la nuit vienne s'interposer entre le couple et expulser physiquement le ou la conjoint(e) hors du lit. Mais ce qui nous intéresse c'est que le génie peut satisfaire sexuellement lui-même la personne à qui il est relié. Ce qui explique les théories des hommes ou femmes de nuit, mais nous y reviendrons. Ce qui intéresse notre propos c'est que les manifestations de la colère du Mbumba Iyanô se présentent sous les formes d'apparition de gros boutons sur toute la surface du corps. Ou encore, la présence d'une tâche sombre un peu identique à la dartre qui s'empare de la totalité du corps. Il y a aussi une présence de forte fièvre, de trouble du sommeil, d'un fort amaigrissement du corps et d'une perte manifeste de cheveux.

Le Nzatsi ou encore le fusil nocturne est un sort lancé à individu dans le but de lui paralyser le corps, amputer un membre ou le tuer. Cette pratique à été perfectionné par l'ethnie Mvoungou résidant dans la province de la Ngounié. Ils sont spécialistes dans le fusil nocturne car l'individu qui a reçu la révélation lors d'un rite initiatique nommé Dissumba était Mvoungou. Il existe un nombre indéterminé de fusil nocturne. Ce que le terrain nous a révéler c'est qu'il y a trois catégories qui vont d'une efficacité et intensité faible qu'il nomme le « 25 "50, d'une autre intensité moyenne qu'il nomme le « 220 volt "51et, une dernière qui est le « 10 000 volt " qui a une intensité et efficacité maximale qu'il compare volontiers à la foudre. Le propre du fusil nocturne c'est que selon le désir de l'expéditeur, il peut soit faire souffrir le destinataire ou l'achever d'un coup. Dans le cas d'une longue souffrance l'expéditeur peut lui envoyer les symptômes du Sida, du diabète, etc. Ce qui est à retenir c'est que le Sida, selon cette médecine ésotérique indigène, peut être donné mystiquement par le moyen de CPT52. Nous pouvons constater un champ lexical du voltage. En ce sens que le fusil nocturne est finalement une électrification sociale qui consiste à mettre hors d'usage un individu.

Le Kôhng est une pratique mystique propre à la province du Woleu-Ntem. Cette pratique a été importée des pays voisins tels que le Cameroun et la Guinée Equatoriale. Elle vise à tuer mystiquement un individu et à capturer son esprit afin de travailler dans les plantations. Ce fétiche ou cette pratique se représente sous la forme d'un petit cercueil dans lequel on trouve

50 Il le nomme ainsi car il le vendait dans les années 1960 à 25fcfa,

51 En référence au courant du secteur. Il a donc pour principe d'électrocuter.

52 Joseph TONDA, « La santé en Afrique ou l'esprit contre le corps », l'Homme et la maladie, Libreville, Editions Raponda Walker, coll « palabres actuelles »,n°2-Vol A, 2008, p 76.

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toute sorte de relique, chaire humaine corps des individus à nuire et une liste des personnes qui doivent mourir. Mais ce qui est intéressant c'est que le Kôhng peut donner la maladie du Sida. « Les détenteurs de ce type de sorcellerie peuvent mystiquement prendre le sang d'un séropositif pour l'inoculer à un homme sain, dans le dessein de nuire à ce dernier53». Ce qui nous intéresse c'est que le Sida dans la société est une forme de Kôhng54, de maladie mystique comme le prouve l'énoncé ci-dessus.

Les métaphores du Sida dans le milieu populaire se décrivent sous les mots et expressions tels que : maladie du siècle, Sidonie, la grande maladie, les quatre lettres, le Mbolou ou encore Syndromes inventé pour découragé les amoureux.

Quand on la considère comme maladie du siècle ou grande maladie, c'est en faisant allusion à la peste. En ce sens que « la peste est la principale métaphore par laquelle on comprend l'épidémie du sida55 ». Pour mieux comprendre la métaphore du Sida comme maladie du siècle, revenons sur l'étymologie du mot peste. « Le mot « peste », du latin plaga (coup, blessure), a longtemps été employé métaphoriquement pour désigner le plus haut degré de calamité, de malédiction, de fléau collectif56». Si nous retenons le terme malédiction, nous nous retrouvons dans le cas du Sida, au Gabon, qui est une maladie associée à la malédiction. La stigmatisation-marginalisation des personnes infectées est utile à observer57. Le corps stigmatisé est un corps de malchance sur la famille. Le malade doit être sevré de tout contact familial, social. « En effet, le contact avec une personne atteinte d'une maladie mystérieuse s'apparente obligatoirement à une transgression ; pire, à la violation d'un tabou. Le nom même de ces affections semble doté d'un pouvoir magique58». Il est exclu comme si ce qu'il portait était contaminable par le regard. Le Sida n'a pas de remède. Et cela fait peur. Il tue et infecte sans distinction. Il est la maladie qui focalise toute l'attention. C'est la maladie de la mort. Il est la peste du siècle, la maladie du siècle.

Le prénom « Sidonie » est un prénom féminin qui a été attribué au Sida pour la proximité syllabique des trois premières lettres. Mais l'autre raison, qui justifie l'utilisation de ce prénom comme métaphore du Sida, est qu'au début du Programme de Lutte National contre le Sida dans les années 1990 il y avait une dame qui avait accepté de révéler son identité de séropositive à la télévision. Cette dame se nommait Sidonie SIAKA et intervenait régulièrement pour faire des témoignages dans le cadre de campagnes de sensibilisations. Son nom est devenu une métonymie, mais aussi une personnification dans la société gabonaise de la maladie du Sida.

53 Joseph TONDA, « Limites du social et déficits d'institutionnalisation du culturel en Afrique : le spectre du social et les esprits du culturel », Etre en société. Le lien social a l'épreuve des cultures. Sous la dir. André PETITAT, Laval, Les Presses de l'Université Laval, 2010, p 124.

54 Max Alexandre NGOUA, La sorcellerie du Kong à Bitam : une manifestation symbolique de l'économie capitaliste, Mémoire de maîtrise de sociologie, Libreville, Faculté des lettres et des sciences humaines, Département de sociologie, septembre. 2004.

55 Susan SONTAG, La maladie et ses métaphores, le sida et ses métaphores, op cit, p 169.

56 Susan SONTAG, ibid, p 169.

57MAGANGA MAGANGA, La stigmatisation-marginalisation des personnes vivant avec le VIH/Sida, dans les familles gabonaises, Libreville, UOB, Département de Sociologie, 2011.

58 Susan SONTAG, op cit, p 14.

Il y a aussi l'expression « les quatre lettres », qui décrit la maladie du Sida. En effet dans le milieu populaire gabonais, une personne atteinte du virus du Sida est qualifiée d'être une personne atteinte par les quatre lettres qui sont le S.I.D.A. Donc, il y a une violence symbolique qui se dégage de ces quatre lettres disposé dans cet ordre. Nous entendons le terme violence symbolique au sens oü Pierre Bourdieu l'entend. C'est --à- dire une violence qui ne peut-être exercée par celui qui l'exerce et qui ne peut-être subie par celui qui la subit que parce qu'elle est méconnue en tant que telle59. Etre malade du Sida c'est être étiqueté par des lettres comme un objet que l'on spectacularise. Mais nous y reviendrons plutard.

Le Mbolou est dans la langue Kota une représentation d'une maladie des tubercules que l'on a attribuée au Sida. En fait le tubercule présente toute les caractéristiques d'un aliment de bonne qualité. Seulement, dès que l'on touche ou palpe le tubercule, il s'aplatit ou se perce sous la pression. En fait, à l'intérieur du tubercule il n'y a plus que de l'eau noir ou une matière putréfiée qui s'est transformée en liquide noir telle de la cendre. Donc, l'allusion du Sida au Mbolou est une métaphore qui compare le corps d'un sidéen à un tubercule atteint de ladite maladie. En apparence le corps du sidéen donne l'impression d'être en bonne santé mais bien au contraire il est pourri de l'intérieur par le virus du Sida. Et son corps dépérit à vu d'oeil comme dépérit un tubercule qui est atteint par le Mbolou.

Bien que la métaphore du Sida comme « syndrome inventé pour décourager les amoureux » apparue dans le début des années 1990 ne soit plus utilisée, nous nous sommes

tout de même proposé de la présenter. En fait cette métaphore intervient dans la situation la population apprend qu'il faut se protéger durant les rapports sexuels ; qu'il faut s'abstenir

ou être fidèle à son ou sa partenaire. « La voix sexuelle de la transmission de cette maladie, considérée le plus souvent comme une calamité dont on est seul responsable, est l'objet d'une condamnation encore plus vive que les autres voies de transmission - surtout parce qu'on prend le Sida pour une maladie non seulement de l'excès sexuel, mais de la perversion60». C'est par rapport à cette situation de maladie qui stigmatise les rapports sexuels que la population a imaginé que cette maladie a été créée pour décourager les amoureux. C'est probablement parce que « le fléau n'est pas à la mesure de l'homme, on se dit donc que le fléau est irréel, c'est un mauvais rêve qui va passer. Mais il ne passe pas toujours et, de mauvais rêve en mauvais rêve, ce sont les hommes qui passent, et les humanistes en premier lieu, parce qu'ils n'ont pas pris leurs précautions61».

Nous avons pu, dans l'établissement de notre constat, identifié deux expressions très utilisées dans le milieu religieux pour décrire le Sida. Il s'agit des expressions de punition divine, de karma.

A travers la personnification du Sida par le prénom de Sidonie, il y a une allusion au sexe féminin. En fait le Sida ainsi présenté est une maladie des femmes transmises par les femmes aux hommes car la femme c'est le diable. Elle est le symbole de la déchéance et de la trahison

59 Pierre BOURDIEU, Questions de sociologie, Paris, Les éditions de minuit, 1984.

60 Susan SONTAG, op cit, p147.

61 Albert CAMUS, La peste, Paris, Gallimard, coll « Folio », 1947, p 41

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du monde depuis le jardin mythique d'Eden. Le Sida, à ce titre, serait une fois encore comparable au poison de la pomme de l'arbre de la connaissance du bien et du mal dans le milieu religieux. A cet effet, l'expression « punition divine » utilisée suit la logique du Sida comme châtiment de Dieu envers la désobéissance de ses enfants. Car sous l'axe de la religion, le sida est une « punition divine ». C'est un terme qui est récurent et propre au milieu religieux. C'est donc une maladie de Dieu mais aussi du Diable62 ! Car « la maladie intervient en tant que châtiment surnaturel, ou possession démoniaque, ou résultat des causes normales63».

Le terme karma à été rencontré dans le milieu ésotérique rosicrucien et bouddhiste. C'est un cercle de confrérie initiatique moderne pour le premier et une religion pour le second. Ce terme décrit les répercutions négatives d'une action que nous avons intentée dans un moment ou une vie antérieure. Pour les rosicruciens souffrir d'une maladie chronique ou aigüe, c'est être victime des conséquences de ses propres actes. Il l'explique selon toute sorte de raisons ; de la moquerie sur un malade à sa stigmatisation, voire à son inquisition. Bref, il y a toujours une raison pour justifier le mal. Être malade c'est avoir contracté une dette dans une vie antérieur.

Nous avons dans le cas de notre constat fais une analyse de contenu de certains textes de musiciens ayant chanté sur le Sida. Ce qui ressort de cette analyse c'est que la maladie du sida est soit une maladie du sang, une maladie du sexe, une maladie d'amour ou une maladie de l'infidélité.

En 1992 l'artiste Hilarion NGUEMA chanta une chanson sur le sida. Le corpus de ce chant révèle que le sida, selon l'artiste est « une maladie du siècle, maladie du sexe, maladie du sang, maladie d'amour ». En fait, pour comprendre ce texte il faut le situer d'abord dans son contexte historique. En effet, les années 1990 sont les années les plus difficiles sur le plan de la prévention. Il fallait d'abord faire admettre aux populations la présence effective de cette maladie. Nous pensons que le recours à la métaphore maladie du siècle, renvoie au souvenir de la maladie de la peste qui décima de nombreuses populations en Europe. Lorsque l'on entrevoit la métaphore de maladie du sexe c'est en rapport avec la maladie de la syphilis. C'est en fait les réminiscences de la maladie de la syphilis et son mode de contamination qui pousse à dire que le Sida est tout aussi une maladie du sexe comme la syphilis. De manière générale , les différentes métaphores traduites dans le chant de l'artiste visent à présenter les modes de contamination de la maladie et le danger de la maladie.

Dans les mêmes années 1990, il y a eu le chant de Mackjo's qui décrivait dans son corpus que le sida est une maladie de l'infidélité. En fait dans le texte de l'artiste, c'est le récit d'une femme qui est agréablement surprise que son homme puisse revenir tôt à la maison, être attentif à elle, faire les travaux de la maison et bien entendu satisfaire pleinement son devoir conjugale. La phrase suivante reste significative pour la suite de notre travail à savoir : « Sida

62 Joseph TONDA, « Le Sida, maladie de Dieu, du Diable et de la sorcellerie », Sciences sociales et santé, Vol 25,n°4, Paris, Décembre, 2007.

63 Susan SONTAG, op cit, p 61.

grace à toi j'ai retrouvé mon mari, merci Sida j'ai retrouvé mon mari ! " La conscience du danger de la maladie du Sida va obliger le mari à revenir à la fidélité. C'est donc une exhortation à la fidélité. Or cette exhortation est l'un des slogans du Programme national de Lutte contre le Sida (PNLS). Les autres chants sur le Sida ne s'éloignent pas de ces deux textes qui sont, pour ainsi dire, des stéréotypes musicaux de ce thème.

L'inventaire des différentes représentations métaphoriques et métonymiques du Sida dans la société gabonaise présente une richesse littéraire et imaginative avérée. Certes, les représentations métaphoriques et métonymiques ainsi considérées sont dans le domaine de la littérature, mais il ne reste pas moins que nous voulons faire oeuvre sociologique. Si ceci est notre objectif, c'est pour comprendre les raisons des multiples représentations de la maladie et du Sida au Gabon. Ces raisons sont en fait une profonde différence entre la métaphore et la métonymie dans les représentations de la maladie au Gabon.

Tout d'abord, nous devons mettre de l'ordre en nous focalisant d'abord sur les représentations sociales. Les représentations sociales selon Pierre MANNONI sont des producteurs de sens64. Elles le sont parce qu'« il s'agit d'une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d'une réalité commune à un ensemble65". C'est aussi, « des ensembles d'actes symboliques codifiés, à visée fonctionnelle et pratique, « imposés " par le groupe relativement prévisibles et répétés selon un schéma fixé [...], orientés vers la communication avec les puissances surnaturelles66". Au regard de ces différentes définitions, nous pouvons retenir que les représentations sociales en Afrique centrale sont des formes d'institutionnalisation du sens du spectre, des formes d'institutionnalisation du sens. Ce qui revient à dire que les représentations sociales sont des repères qui donnent sens aux pratiques sociales. Le propre de ces pratiques c'est qu'elles sont traduites dans des expressions métaphoriques et métonymiques.

En fait, notre constat nous permet de remarquer qu'il y a deux formes de styles d'expressions utilisées pour décrire le Sida : la métaphore et la métonymie. Mais au regard de l'inventaire empirique que nous venons de faire il ressort que la plupart des expressions décrites relèvent plus de la métonymie que de la métaphore. En fait nous dépassons le simple cadre de la comparaison pour nous retrouver dans une description imaginaire qui devient réel. En fait, nous nous retrouvons de plein pied dans un imaginaire qui a possédé et subjugué la société. Pas seulement un imaginaire comme faculté de création des images67 mais aussi, et surtout, d'une indiscernabilité du réel et de l'irréel68.

Donc, les représentations sociales du Sida au Gabon se servent plus de la métonymie plutôt que de la métaphore. Ceci se justifie par le fait que les croyances au serpent mystique, fusil nocturne, Mbumba Iyanô, Mbumba, Mwiri ou au Kôhng qui « sont autant des figures

64 Pierre MANNONI, Les représentations sociales, Paris, PUF, coll « Que sais-je ? », 1998, p115.

65 Denise JODELET, Les représentations sociales, Paris, PUF, 1989, P 36.

66 Gilles FERREOL, Dictionnaire de sociologie, Paris, Armand Colin, 1995, P256

67 Cornélius CASTORIADIS, L'institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, 1975, p 17.

68 Gilles DELEUZE, Pourparlers 1972-1990, Paris, Minuit, 2003, p 93.

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de la mort que de la spectralisation du social69», mettent la maladie du Sida dans une indiscernabilité entre le réel et l'irréel. La maladie du Sida louvoie dans les méandres des représentations sociales gabonaises dans la quête de sens. Cependant, la biomédecine est en lutte contre ces représentations à travers les tags, les bandes dessinées produite par le PLIST70. A bien y penser, la société semble tellement possédé que « même là où existent des avancées en ce domaine, les régressions s'imposent comme une sorte de loi générale et abandonnent les individus à la violence des esprits du Sida, du paludisme, des vers intestinaux, des mares, des forêts, des rivières, etc71». La société gabonaise est stéréotypée par un manque et un déni de solution biopolitique. C'est ce que traduit Joseph TONDA quand il dit que « le social en Afrique, c'est en un mot, une vaste sphère spectrale, fantomatique, o

l' « esprit », c'est-à-dire le « culturel », a du mal à s'institutionnaliser face aux urgences de la vie biologique et matérielle qui l'expriment, la mettent en péril et qui relèvent des déficits biopolitiques des pouvoirs publics72».

Certes. Il y a évidence de manque de solutions biomédicales mais que dire des iconographies, des publicités contre la maladie du Sida ? Lorsqu'on regarde toutes ses propagandes contre le Sida nous nous posons la question de savoir pourquoi l'Etat par les organismes de lutte contre le Sida lutte-il contre les imaginaires de la maladie du Sida ?

Nous expliquons encore au Gabon les pluies au fait que « Dieu soit entrain d'uriner » au lieu de relier ce phénomène à une évaporation de l'eau et une accumulation de masse d'air humide. Ou encore lorsqu'il pleut et qu'il y a du soleil au méme moment c'est dû à un éléphant qui met bât. Les exemples sont légion pour décrire l'état mental dans lequel notre société se trouve. Nous nous pouvons encore regarder toutes les représentations sur la maladie, et en particulier sur la maladie du sida. Les métaphores de la maladie du Sida décrites dans ce texte plus haut sont au fait de cette idée d'univers métaphysique. Un univers dans lequel les fantômes, les bêtes de forêts ou, tout simplement, le charisme imposent une vision du monde quelque peu galvaudée. Cette dépréciation du monde des idées est donc conditionnée par une production d'images et d'imaginaires autorisées par le simple pouvoir du charisme donc de la violence de l'imaginaire.

Si nous devons expliquer cette politique de l'Etat qui est de lutter contre les imaginaires de la maladie du Sida, nous dirons que l'Etat gabonais est entrain de mettre en scène le biopouvoir. Le biopouvoir est une « technique du pouvoir sur « la » population en tant que telle, sur l'homme en tant qu'être vivant, un pouvoir continu, savant, qui est le pouvoir « de faire vivre73 ». C'est en d'autres termes, pour paraphraser l'auteur, un pouvoir de régularisation qu'il définit comme pouvoir de faire vivre et de laisser mourir. Nous voulons décrire l'action des ONG et de l'Etat comme une forme de lutte, non plus seulement, contre

69 Joseph TONDA, « Limites du social et déficits d'institutionnalisation du culturel en Afrique : le spectre du social et les esprits du culturel », Etre en société. Le lien social a l'épreuve des cultures, p 134.

70 Voir annexes.

71 Joseph TONDA, Ibid , p 134.

72 Joseph TONDA, Op cit, p 127.

73 Michel FOUCAULT, Il faut défendre la société. Cours au collège de France 1976, Paris, Hautes Etudes, Gallimard, Le Seuil, 1997, p 214.

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les IST mais aussi contre les imaginaires. Et nous pensons que le terme lutte n'est pas exagérée car, là encore, le pouvoir métonymique du souverain sort de l'eau ou de la forét comme le dit TONDA74. « Il s'ensuit que le rapport à la maladie, comme le rapport à la santé [et au pouvoir] sont, dans ce champ [de l'imaginaire], des rapports agonistiques, des rapports de combat, de conflit, de forces, de guerre75». A cet effet, c'est donc tout aussi une guerre, une chasse que l'Etat exerce contre les idées confuses et irréalistes des imaginaires de la maladie du Sida.

La question des préjugés des Librevillois au sujet du Sida peut trouver une esquisse de réponse après l'analyse du propos précédent. Il y a une dynamique des représentations ou des schèmes traditionnels qui ostracisent l'objectivité de la maladie du sida au Gabon. Et la notion de Souverain moderne proposée par Joseph TONDA n'est peut être pas exempt de tout reproche. Car les représentations sociales, et par extension les représentations sociales de la maladie du Sida, sont au service du souverain car elles permettent de mettre en exergue le pouvoir des esprits de la forét et de l'eau qui sont au service du souverain. Il faut que les images des monstres, des fantômes, des sirènes, des hommes panthères, des crânes76, du Mwiri, du Kôhng, des 2577 continuent d'exister car ils sont le socle du pouvoir mortifère du souverain. Les représentations sociales de la maladie du sida permettent de définir un peu plus encore les lieux, le mode, le contexte et la tactique du pouvoir du Souverain moderne au Gabon.

Mais il est utile de préciser que le souverain moderne n'est pas exempt du pouvoir et de la possession de l'imaginaire. On aurait pu penser qu'il se trouve en dehors du phénomène des représentations sociales, de l'imaginaire. Qu'il se serve tout simplement des images de fantômes, de serpents, de fusils nocturnes, qu'il les créée et les contrôle. Donc, qu'il exploite la violence de l'imaginaire, la violence du symbolique et la violence du fétichisme. Nous avons oublié de dire qu'il se retrouve dans la méme situation que le sociologue sur son terrain d'étude. Il est à la fois intéressé par les productions sociales, mais lui-même faisant parti de ces productions. D'oü la difficulté de faire une rupture épurée de tous préjugés. Le souverain exploite les représentations sociales, les images et les imaginaires. Il exploite les expressions, les mots, les sens. Sauf qu'il n'en est pas, à proprement parlé, le créateur et, à ce titre, luimême est dans un cycle de reproduction des imaginaires. Il est lui-même sous l'emprise des représentations sociales, sous l'emprise de la violence de l'imaginaire, de la violence du symbolique et du fétichisme. Ce qui revient à dire qu'il ne contrôle rien, mais donne l'impression de le faire afin que les administrés pensent qu'il l'a. En ce sens que tous et chacun à la fois contribue à l'édification des images, des imaginaires.

74 Joseph TONDA, Le pouvoir et le lieu, Conférence a L'université Omar Bongo de Libreville le 4 mai 2011, Libreville, UOB, faculté des lettres et sciences humaines, Département de littérature africaine, 2011.

75 Joseph TONDA, « La santé en Afrique ou l'esprit contre le corps », l'Homme et la maladie, p 74.

76 Lire à ce sujet Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, L'or blanc : le marché occulte et illégal du corps humain à Libreville, Libreville, UOB, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, mémoire de DEA, octobre 2010.

77 Voir page 13.

Au terme de ce constat, il semble approprié de repréciser notre objet d'étude. Nous entendons par les métaphores du Sida au Gabon des modes d'expression qui sont des productrices de sens des imaginaires de la maladie du Sida au Gabon. La particularité de ces métaphores c'est qu'ils sont produits dans des lieux hétérotopiques. C'est à cet effet que nous entendons par espaces hétérotopiques, un lieu dans lequel est produit des discours sacré. C'est des lieux autres, considérés comme des hors lieux, des lieux utopiques C'est donc le sens des métaphores produit dans des lieux hétérotopiques qui conduisent à la création des imaginaires dans la maladie du Sida qui nous importent ; les raisons qui justifient la présence de ces représentations sociales, de ces modes d'expression, de ce marché linguistique de la maladie qui sont le leitmotiv de notre recherche.

2) Un objet à la frontière de la sociologie de l'imaginaire et de la sociologie de la

santé , de la maladie

Notre objet d'étude qui est les métaphores postcoloniales du Sida et hétérotopies à Libreville à la particularité de se trouver à une intersection de champ d'étude. Pour l'expliquer il semble approprier de dire que les métaphores et les métonymies sont des figures de styles littéraires. Mais leur particularité est qu'elles ont la faculté d'être des styles, donc images et symboles, pour décrire l'imaginaire. Les figures de styles littéraires de la métaphore et de la métonymie ont des facultés de créer des images. Si tant est qu'elles arrivent à créer des images78 au sens dans lequel CASTORIADIS l'entend, donc à produire des imaginaires, notre objet d'étude justifie sa présence dans le champ de la sociologie de l'imaginaire. En ce sens que nous voulons interroger le sens des imaginaires sur la maladie du Sida au Gabon à travers les espaces hétérotopiques et les métaphores afin de réunir les expressions et les mots qui décrivent le sida au Gabon.

La sociologie de la santé, de la maladie et de la médecine est un domaine particulier de la sociologie générale. Elle s'intéresse à la fois à la santé, la maladie et la médecine appréhendée dans le champ des rapports sociaux. Ce champ d'étude nous permet de comprendre « la dimension sociale » de la maladie car, « la maladie est d'abord un fait social »79. Etant donné que nous travaillons sur les métaphores et les métonymies du Sida au Gabon, notre étude s'inscrit dans le champ de la sociologie de la santé, de la maladie et de la médecine. Car il s'agit d'étudier les différentes représentations de la maladie du Sida sous l'angle des imaginaires produites par les métaphores et les métonymies du Sida. En ce sens que « la maladie et la santé se définissent donc en fonction des attentes liées à notre environnement, à

78 Cornélius CASTORIADIS, L'institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, 1975, p 17.

79 Marc AUGE, Claudine HERZLICH et Al, Le sens du mal. Paris, éditions des archives contemporaines, (col « ordres sociaux ») 1994, 278 p.

nos insertions et à nos relations, familiales et professionnelles par exemple, et constituent, au sens propre, des états sociaux80».

Mais tout ceci ressemble fort bien à la sociologie imaginative que nous propose les COMAROFF. Cette sociologie « a trait aux constellations symboliques que les individus mobilisent collectivement pour donner sens à l'univers81». Or tout cet exposé n'est qu'une mise en rapport des imaginaires collectifs de la maladie du Sida au Gabon avec les lieux ou espaces hétérotopiques. C'est une sociologie qui rassemble les imaginaires , le symbolique dans un seul champ : la sociologie imaginative.

SECTION 2 : CONSTRUCTION DU MODELE D'ANALYSE

1. Recension des travaux antérieurs

Quand Jean COPANS énonce que « tout apprentissage scientifique commence par la lecture des travaux antérieurs »82, il convoque avec intentionnalité la discussion autour d'une problématique précise. Nous allons discuter le sens des imaginaires ; comprendre le sens des représentations afin d'aboutir sur une grille de lecture qui rend mieux compte de l'objectif de notre étude à savoir : pourquoi les métaphores et les métonymies du Sida au Gabon sont-ils des indicateurs du pouvoir de l'Etat au Gabon ?

a) Position du débat en occident

Nous ouvrons notre discussion avec Pierre MANNONI83 au sujet des représentations sociales. Ce qui nous captive dans cet ouvrage c'est la précision qu'il émet sur le fait que les représentations sociales sont des producteurs de sens. Bien avant cette mise en évidence du sens, il dit ceci : « [les représentations sociales] émaillent aussi les discours politiques et religieux, ainsi que de tous les grands domaines de la pensée sociale : l'idéologie, la mythologie, la démonologie, les contes et les légendes, les fables et les récits folkloriques, la pensée scientifique même, ainsi que les domaines moins nobles comme la superstition, les croyances, les illusions répandues84». Ce qui revient à-dire que le langage, les expressions sont tous sous la « tutelle » des représentations. Tout le discours ou la pensée sociale est

80 Philippe ADAM et Claudine HERZLICH, Sociologie de la maladie et de la médecine, Paris, Nathan université, coll « Sociologie 128 », 1998, p7.

81 Jérôme DAVID, « sociologie imaginative, néomodernisme et réalisme symbolique », Zombies et frontières à l'ère néolibérale. Le cas de l'Afrique du Sud post-apartheid, Paris, Les prairies ordinaires, coll « penser/croiser », 2010, p 14.

82Mesmin - Noël SOUMAHO, Eléments de méthodologie pour une lecture critique, Libreville, Cergep/ L'harmattan, 2002, p 124.

83Pierre MANNONI, Les représentations sociales, Paris, PUF, coll « Que sais-je ? », 1998.

84 Pierre MANNONI, Op cit, p 6.

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codifié et a pour base les représentations sociales. Elles sont douées d'un pouvoir coercitif. On ne les discute pas. Elles sont et s'imposent à nous. Pour lui, « la réalité n'est pas ce qu'elle est, mais qu'elles en font et c'est avec une superbe désinvolture qu'elles se posent pour ce qu'elles paraissent. Ce qui signifie qu'elles n'ont pas besoin de preuves pour être, qu'éventuellement elles tirent les preuves d'elles même, et que, sans se préoccuper d'être elles-mêmes prouvées, elles s'offrent à prouver les choses en dehors85». Mais il y a plus. Pierre MANNONI dit aussi que « l'univers des croyances auxquelles l'homme adhère est, d'une façon générale, immergé dans l'irrationnel. En effet, son besoin de croire est tel qu'il ne se préoccupe guère des justifications scientifiques ni des démonstrations rationnelles susceptibles de rendre compte des contenus desdites croyances86». Nulle n'est besoin de justifier la présence ou l'explication d'une représentation. Elle est là, et s'impose à nous par la force et le pouvoir du sens de l'imaginaire. C'est ce qui permet à l'auteur de dire que « les représentations sociales sont des producteurs de sens87».

La discussion que nous entretenons avec Pierre MANNONI, nous permet de présenter deux idées qui semblent pouvoir nous éclairer le long de notre recherche. Il s'agit des métaphores et des métonymies comme des représentations sociales, et des représentations comme créateur de sens. En effet, les métaphores et les métonymies ont pour effet d'imager des situations. Elles sont des comparaisons qui décrivent des faits du social. Dans le cas de notre recherche, les figures de styles représentent toutes les notions imaginaires qui gravitent autour de la maladie du Sida. Ces images ou ces imaginaires sont en fait des représentations sociales. Et le propre de ces représentations c'est qu'elles sont effectivement productrices de sens. Elles produisent le sens de la maladie du Sida au Gabon. Ce sens est toujours un anathème qui vise autrui. La maladie est toujours une malchance qui est lancée par l'autre. C'est donc des métaphores et des métonymies pourvoyeurs de sens dont nous voulons parler. Des représentations sociales qui pensent la maladie du Sida comme une attaque ou un missile. C'est sous cet aspect que la discussion avec Pierre MANNONI sera utile à notre recherche.

Nous poursuivons notre discussion avec Pierre BOURDIEU 88. Il dit que « toute situation linguistique fonctionne comme un marché dans lequel quelque chose s'échange. Ces choses sont bien sûr des mots, mais ces mots ne sont pas seulement faits pour être compris ; le rapport de communication n'est pas un simple rapport de communication, c'est aussi un rapport économique où se joue la valeur de celui qui parle89». C'est la situation linguistique qui va intéresser notre auteur. Les mots ont un pouvoir et une dimension économique. Les échanges linguistiques entre locuteur et interlocuteur sont codifiés par des rôles assignés par la communication. Pour lui par exemple, « pour que le discours professoral ordinaire, énoncé et reçu comme allant de soi, fonctionne, il faut un rapport autorité-croyance, un rapport entre un émetteur autorisé et un récepteur prêt à recevoir ce qui est dit, à croire que ce qui est dit mérite d'être dit [...] Pour récapituler de façon abstraite et rapide, la communication en

85 Pierre MANNONI, Les représentations sociales, Paris, PUF, coll « Que sais-je ? », 1998, p 7.

86 Pierre MANNONI, Op cit, p 31.

87 Pierre MANNONI, Op cit, p 115.

88 Pierre BOURDIEU, « Ce que parler veut dire », Question de sociologie, Paris, Les éditions de minuit, 1984.

89 Pierre DOURDIEU, Op cit, p100.

situation d'autorité pédagogique suppose des émetteurs légitimes, des récepteurs légitimes, une situation légitime, un langage légitime90». Les personnes qui vont ou sont dans des lieux où l'on considère la maladie comme un sort lancé par autrui se retrouve dans ce cas de figure. Ils sont des émetteurs et des récepteurs légitimes, et se retrouvent dans un lieu (ou non-lieu) qui impose un langage précis. Ainsi cité, nous proposons d'énoncer une formule de base que BOURDIEU identifie de la sorte : « habitus linguistique + marché linguistique = expression linguistique, discours91». Donc chaque discours ou expression linguistique est nécessairement doté d'habitus linguistique et d'un marché dans lequel peut être échangé ce discours et ces habitus. Par habitus linguistique il entend « qu'il est le produit des conditions sociales et par le fait qu'il n'est pas simple production de discours mais production de discours ajusté à une « situation », ou plutôt à un marché ou à un champ92».

Considérer, la maladie du Sida comme un Mbumba, un fusil nocturne, le Kôhng, une punition divine, un karma, une maladie du siècle et du sexe ou un syndrome inventé pour décourager les amoureux, c'est considérer les métaphores et les métonymies comme habitus linguistique. Ce que pierre BOURDIEU apporte à notre recherche c'est qu'il nous permet d'identifier ce champ ou ce lieu ou s'exerce le pouvoir du discours. Ce lieu est le lieu des représentations sociales, le lieu ou le champ de l'imaginaire. Mais seulement nous pensons que nous ne sommes pas seulement dans un lieu d'un marché linguistique. C'est-à-dire « toutes les fois que quelqu'un produit un discours à l'intention de récepteurs capables de l'évaluer, de l'apprécier et de lui donner un prix, [un sens]93». Nous sommes dans un marché symbolique et un marché de l'imaginaire. Par marché symbolique nous entendons le lieu ou

s'échange les différentes formes de représentations. Le marché de l'imaginaire est le lieu ce qui est irréel devient réel, ou l'allusion et l'illusion se confondent et donne naissance à des

fantasmes et des fantômes. Or, la particularité des métonymies c'est qu'elles participent à rendre indiscernable le réel de l'irréel et c'est certainement l'un des aspects que nous développerons dans cette étude.

Nous considérons la discussion avec Susan SONTAG94 comme fondamentale à notre recherche. Elle est fondamentale par la portée du titre de l'oeuvre : la maladie comme métaphore, le sida et ses métaphores. Il va sans dire que cette oeuvre a pour particularité de faire une présentation du comment la maladie et le sida se représente dans l'univers social occidental. Pour elle, « la maladie intervient en tant que châtiment surnaturel, ou possession démoniaque, ou résultat des causes normales95». Il y a déjà confirmation qu'en occident la maladie est fabulée par l'imaginaire. Mais ce qui est intéressant c'est qu'elle s'intéresse tout aussi aux producteurs de ces métaphores. C'est en cela qu'elle pense que « la société accusée de corruption et d'injustice a toujours eu recours aux métaphores offertes par les maladies

90 Pierre BOURDIEU, Op cit, p 103.

91 Pierre BOURDIEU, « Le marché linguistique », Question de sociologie, Paris, Les éditions de minuit, 1984, p121.

92 Pierre BOURDIEU, Ibid, p 121.

93 Pierre BOURDIEU, Op cit, p 123.

94 Susan SONTAG, La maladie et ses métaphores, le sida et ses métaphores, Paris, Christian Bourgeois éditeur, coll « titre 101 », 1993.

95 Susan SONTAG, Op cit, p 61.

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pour atténuer les soupçons qui pesaient sur elle96». Les causes de manque d'hygiène qui ont amené la peste du 18ème siècle était la véritable cause de la peste. Et la société en était la seul responsable, non pas toutes les suppositions et superstitions qui y donnèrent sens. A travers ce texte nous comprenons pourquoi « la peste est la principale métaphore par laquelle on comprend l'épidémie du sida97". Non seulement le Sida est une maladie incurable, mais elle est aussi un mal qui montre l'impuissance des pouvoirs publics face à cette pandémie. « Le sida devient le cheval de Troie de tous les Etats98». En ce sens qu'il se retrouve partout et dans toutes les individualités composant la société, et par cet effet entre dans la société comme un ennemi par le biais du sexe. Outre cet aspect de « cheval de sexe " ou plutôt cheval de Troie, Susan SONTAG reconnaît qu'en occident il y a un abus des métaphores militaires. Or ces métaphores ont la forte particularité d'être péjoratives pour les malades. « Car elles surmobilisent, elles sur-décrivent et elles contribuent puissamment à l'excommunication et à la stigmatisation des malades [...] Nous ne subissons aucune invasion. Le corps n'est pas un champ de bataille. Les malades ne sont ni des pertes humaines inévitables, ni l'ennemi99".

Ce texte de Susan SONTAG est pertinent en de nombreux points. Le premier c'est qu'elle nous permet de rendre évident la notion que la maladie et la maladie du Sida sont bien aussi traversées par des métaphores en occident. Seulement, dans le cas de l'Afrique centrale, et plus particulièrement dans le cas du Gabon, les métaphores ne sont pas les seuls moyens pour comparer la maladie ou la maladie du Sida à quelque chose. La métonymie au Gabon est utilisée pour comparer une maladie à quelque chose. Seulement, dans le cas de la métonymie, dans le cas du Gabon, le sida par exemple ne sera plus seulement comparer à l'objet mais chosifié, il va devenir cette chose. En fait comme nous l'avons dit quand nous dressions notre constat plus haut, le réel et l'irréel sont confondus par le moyen de la métonymie. Nous ne savons plus ou est l'imaginaire et la réalité. Les fantômes ont envahi la société ! Et c'est cela qui nous intéresse. Car lorsque SONTAG énonce que la société corrompue et injustice commandite les métaphores, nous avons plus ou moins une réponse à notre question de recherche qui est de savoir, pourquoi les métaphores et les métonymies du Sida au Gabon sont-ils des indicateurs du pouvoir de l'Etat au Gabon ? La société est corrompues et injuste, certes. Mais nous pensons que ce n'est pas seulement la corruption dans son sens strict - c'est-à-dire achat de conscience- mais la corruption du sens. La corruption du mot, des expressions qui est commanditée par la violence du sens. Il y a violence du sens chaque fois que dans une discussion la métonymie prend le dessus sur le réel et permet de mettre une paire de lunette imaginaire qui fait voir à un individu en une chose ce qu'elle n'est pas et, surtout, finit pas croire que cette chose est ce qu'elle n'est pas. La violence du sens c'est la puissance que les expressions, les mots et les images exercent sur les individus par laquelle ils arrivent à créer une fabulation du sociale. Pour finir cette discussion avec Susan SONTAG, la métaphore militaire est l'une des caractéristiques fondamentales de la pensée « indigène ". Au Gabon soigner la maladie c'est extraire, lutter, combattre le sorcier qui a envoyé la maladie.

96 Susan SONTAG, Op cit, p 97.

97 Susan SONTAG, Op cit, p 169.

98 Susan SONTAG, La maladie comme métaphore, le sida et ses métaphores, Op cit, p 215.

99 Susan SONTAG, Op cit, p 232.

En ce sens nous sommes dans une société de guerre, de chasse. Ceci justifie l'utilisation des métaphores et les métonymies de guerre.

Ce sont ces métaphores ou métonymies relatives à la guerre qui nous amène à nous entretenir avec Grégoire CHAMAYOU100. Dans son livre il dresse le procès plus ou moins détaillé des différentes chasses à l'homme dans l'histoire. Mais nous retenons certains aspects qui semblent intéressant pour nous. Pour lui, « le pouvoir pastorales s'était défini comme une anti-chasse. Pourtant [...] il développa à son tour des pratiques cynégétiques, ses propres chasses à l'homme, des chasses pastorales101». Cela peut être interprété de façon à ce que les campagnes d'évangélisation ne sont que de vastes campagnes de chasses. Il chasse les fidèles qui en fait ne sont que des proies. Mais ce n'est pas une chasse compris dans son sens premier. Entre autre persécution d'un prédateur sur une proie dans le but de le tuer. Il s'agit plutôt d'une chasse qualifié d'exclusion du mal. Il dit qu' « on est plus ici comme précédemment dans une logique de prélèvement prédateur mais dans une rationalité de l'ablation salutaire ou de l'exclusion bienfaisante102». Il faut extirper les fidèles d'un lieu de la tentation qui les pervertissent et les égarent du chemin de Dieu. Pour cela les tactiques sont de plusieurs ordres. « L'image favorite des chasses pastorales d'exclusion est sanitaire : métaphores de la maladie, de la gangrène ou de l'épidémie103». En effet c'est plus par les métaphores sur les épidémies telle que le Sida est une punition divine (ou un Mbumba) que les pasteurs (mais aussi les nganga) capturent des fidèles en leur faisant croire que la maladie a des causes surnaturelles que seul l'église (ou les MHSB) peuvent guérir. Le pasteur devient un prédateur tout comme le nganga et le moyen de séduction pour avoir les fidèles n'est autre que la transformation d'une maladie biomédicale en maladie surnaturelle encore nommée psychosomatique. Nous retenons que nous sommes dans une forme de chasse quand nous regardons les métaphores religieuses et de la MHSB. Une sorte de guerre que les pasteurs et nganga livrent à une maladie qui est la maladie du Sida dans le seul but de conquérir des « âmes ». Mais nous poursuivrons la discussion un peu plus loin avec un africaniste nommée Joseph TONDA.

Nous avons entrepris une discussion avec Raymond ARON104 sur sa lecture de Max WEBER dans L'éthique protestante ou l'esprit du capitalisme. La première chose est que selon ARON, « WEBER à voulu prouver que les conceptions religieuses sont effectivement un déterminant des conduites économiques et, par conséquent, une des causes des transformations économiques des sociétés105». Marx WEBER dit qu'il cherche de comprendre « la naissance de la classe bourgeoise occidentale avec ses traits distinctif106». Mais ce qui nous intéresse c'est lorsque Raymond ARON dit que Max WEBER définit le charisme

100 Grégoire CHAMAYOU, Les chasses a l'homme. Histoire et philosophie du pouvoir cynégétique, Paris, La fabrique éditions, 2010.

101 Grégoire CHAMAYOU, Les chasses a l'homme. Histoire et philosophie du pouvoir cynégétique, Paris, La fabrique éditions, 2010, p 34.

102 Grégoire CHAMAYOU, Ibid, p 34.

103 Grégoire CHAMAYOU, Op cit, p 35.

104 Raymond ARON, Les étapes de la pensée sociologiques, Paris, Tel Gallimard, 1967

105 Raymond ARON, Op cit, p 530.

106 Max WEBER, l'éthique protestante ou l'esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1970, p 17

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comme « une qualité de ce qui est (...) hors du quotidien107». C'est donc croire en des choses ou en des personnes qui prétendent avoir des pouvoirs de se transformer en bêtes, d'avoir des dons de guérisons divines ou en la présence d'une dette karmique. En fait c'est ce point qui est intéressant pour notre analyse. En fait, notre social est possédé par la présence de charisme qui se conceptualise à travers les métaphores et les métonymies du Sida. Car en fait, toutes les représentations sociales sont des imaginations, des leurres, des charismes pour reprendre WEBER. Chaque acteur qui produit les métaphores et les métonymies est possédé par le charisme. Et c'est la foi en ceux qui détiennent le pouvoir du charisme qui crée une nouvelle forme d'économie : une économie des mots et du sens.

A l'instar d'une discussion, nous avons suivi une conférence prononcée par Michel FOUCAULT108. Ce qui est utile dans cette conférence c'est que l'auteur déclare qu'il y a des lieux utopiques dans chaque société. Que ces lieux ou espaces sont des contre espaces. Il les identifie comme étant les asiles, les cimetières, les jardins, les maisons closes, les prisons. Il précise aussi que ces lieux sont non plus seulement des contre espaces mais aussi des horslieux. Et ce sont ces hors lieux qu'il nomme hétérotopies. Il continu en affirmant que ces lieux sont des lieux sacrés, privées ou interdits. Et si tels est le cas, nous pensons de fait que les églises, les temples, les Mbandjas, les bars, les marchés, les transport en commun sont des lieux hétérotopiques. Il poursuit son propos en mentionnant que ces lieux hétérotopiques ont la particularité d'être des lieux de ce que l'on peut considérer comme déviant. En effet, ils sont les lieux dans lesquels sont proférés des transgressions envers la morale. Les scandales de pédophilies dans les églises, les profanations de tombes dans les cimetières 109, les sacrifices humains dans les confréries et les Mbandjas, les marchés c'est les ventes de produits avariés ; pour les bars des réseaux de prostitutions et d'incitation à la débauche mineur ; pour les transports en commun des lieux de surcharge donc un lieu d'infractions. Cette conférence nous permet de mieux comprendre la notion d'espace hétérotopique et surtout de la production des discours dans, généralement, ces lieux de la « déviance ».

Il est arrivé que nous rencontrions Florence BERNAULT dans un texte sur la Sirène au Gabon110. Dans ce texte un passage a particulièrement retenu notre attention. Elle écrit que « en tant que fétiche du pouvoir, la Sirène n'appartient pas aux catégories classiques des études du religieux au Gabon et, partant, échappe aux déterminations analytiques de ces dernières. Ni culte anti-sorcier, ni initiative thérapeutique, ni mouvement syncrétique, ni société initiatique ou secrète, elle dévie de l'énorme corpus de solutions spirituelles, du christianisme conventionnel aux mouvements syncrétiques millénaires (Bwiti, églises du réveil), en passant par les groupements associatif (Rose-croix, franc-maçonnerie, Ndjobi) ou la reformulation des stratégies initiatiques inventées en Afrique centrale pour répondre aux

107 Raymond ARON, Op cit, p 545.

108 Michel FOUCAULT, L'art de penser, Paris, Conférences audio MP3, 1966.

109 Lire à ce sujet Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, L'or blanc : le marché occulte et illégal du corps humain à Libreville, Libreville, UOB, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, mémoire de DEA, octobre 2010.

110 Florence BERNAULT, « La chair et son secret : transfiguration du fétiche et incertitude symbolique au SudGabon », Fin de règne au Gabon, Paris, Karthala, coll « Politique africaine », N°115, octobre 2009.

défis de la domination coloniale de la modernité (Mwiri, Njembè)111». Ce passage retient
notre attention car notre terrain nous prouve tout à fait le contraire de ce que vient d'énoncer
Florence BERNAULT. Il y a en effet une initiation et des recours thérapeutiques qui mettent

au centre de cette idéologie la Sirène. Nous parlons ici du Mbumba Iyanô. Le Mbumba Iyanôest une société initiatique qui voue un culte à la déesse de l'eau : la Sirène. Et cette soit

disante Sirène peut nuire à une personne et des soins thérapeutiques peuvent intervenir. Dans le cas de notre recherche, les enquêtés nous déclarent qu'elle peut méme donner des symptômes du Sida. Et, bien entendu, elle peut venir en songe donner les soins thérapeutiques appropriés pour soigner l'individu. Ainsi, notre terrain vient présenter une société initiatique peut-être méconnu du public scientifique européen et, nous comprenons que cet auteur ait affirmé un tel propos car la population enquêtée ne lui a pas révéler la présence de cette initiation. Les enquêtés nous font généralement aller dans le sens dans lequel ils veulent que nous allions.

b) Position du débat chez les universitaires gabonais

Nous commençons notre discussion avec Germain OWONO ESSONO qui a commis un mémoire au département de sociologie qui s'intitule « le sexe et la mort ou la dénégation politique du sida au Gabon : pour une analyse de contenu des images de 1986 à 2005112». Il s'inscrit dans un champ théorique althussérien qui met à jour le rôle des appareils idéologiques d'Etat dans le procès économique et politique dans le but du contrôle de la conscience collective. Son terrain d'étude a été Libreville. La réflexion sur `'le sexe et la mort ou la dénégation politique du Sida au Gabon :pour une analyse de contenue et des images sur le Sida de 1986 à 2005» menée par Germain OWONO ESSONO montre comment le discours de l'Etat a progressivement changé. En effet, un le discours politique disait que le gabonais était naturellement immunisé contre le VIH/SIDA. Il, s'agissait de rassurer la conscience collective .Cependant, Cette pseudo- « immunité naturelle » n'a fait qu'augmenter le taux de séroprévalence considérablement, ramenant logiquement l'Etat vers une réalité celle de l'existence de la maladie. Immédiatement le discours a changé pour alerter l'opinion quant au danger de contamination durant les rapports sexuels par le VIH/ SIDA. En cela, les spots publicitaires et les tags sur les murs des écoles, des hôpitaux, des ONG, pour ne citer que ceux-là, ont servi à faire naître le mot prévention dans le comportement sexuel des Librevillois. Ceci nous permet de comprendre, à partir de notre travail, comment l'image et la peur du VIH/Sida servent l'Etat afin, comme une propagande, de mieux vendre le préservatif. En outre il permet de comprendre comment les représentations sociales du Sida peuvent aggraver une épidémie. Les images, par les médias (presse écrite ou

111 Florence BERNAULT, Op cit, p 101.

112 Germain OWONO ESSONO, Le sexe et la mort ou la dénégation politique du Sida au Gabon : pour une analyse de contenue et des images sur le Sida de 1986 à 2005, Libreville, UOB, Département de sociologie, 2005.

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télévisée, bande dessinée113) servent à produire un rapport illusion/allusion qui occulte la réalité du sida au Gabon. Il y a une construction médicale du Sida qui permet de conscientiser les individus.

Ce mémoire nous permet d'avancer sur la construction de notre analyse. En fait, la dénégation politique ne nous intéresse pas à proprement parlé. C'est plutôt la qualité des données de terrain de ce mémoire qui vient rejoindre notre analyse. En effet, les images ou les tags qui figurent ici et là à travers la capitale nous illustre assez bien les représentations sociales métaphoriques du Sida. Il y a une image qui précise bien que « le sida ce n'est pas la sorcellerie ». Si tant est le besoin de briser ce mythe, c'est pour cause d'idées préconçues créée par les MHSB et la religion. Ceci revient à dire que ces deux « organes " participent à l'occultation biomédicale du Sida au Gabon. Toute cette occultation est alors relayée par la politique dans des discours (pour le cas du mémoire de germain OWONO ESSONO) qui consiste à faire croire que le gabonais est « naturellement immunisé contre le Sida ". Nous retenons de cette discussion avec notre auteur qu'il y a bien présence d'images, de représentations, de métaphores sur le Sida au Gabon. Et que les iconographies qui parcourent la ville sont des révélateurs de la violence de l'imaginaire et du sens dans notre société gabonaise.

Pour sa part, le travail de Perrin- Herman IKOUBANGOYE intitulé Religion et maladie : le traitement pentecôtiste du Sida à Libreville (Gabon)114 nous a aussi intéressé. Il s'inscrit dans un cadre théorique du structuralisme matérialiste, donc althussérienne, et son champ d'étude est Libreville. Son hypothèse principale s'articule autour du fait que les pasteurs pentecôtistes s'opposent à la conception scientifique du Sida en pratiquant la guérison divine sur la base d'une double opportunité : d'un côté, le pouvoir idéologique propre à l'Appareil Idéologique d'Etat (AIE) qui a une emprise sur les esprits des malades désemparés. De l'autre, les logiques du marché capitaliste des soins et la précarité matérielle qu'elles produisent et exacerbent.

Dans ce mémoire nous retrouvons le corolaire d'expression qui représente la maladie du Sida dans le milieu religieux. Notamment le terme très récurent de punition divine. Mais il y a bien plus. En fait notre auteur démontre comment la religion construit le terme de punition divine. Et en fait, ce qui a lieu de retenir c'est que les pasteurs la construisent ainsi à des fins capitalistes. Leur désir est de faire croire, d'allusionner et d'illusionner les fidèles sur un prétendu pouvoir qu'ils ont de guérir le Sida par le « tout puissant nom de Jésus-Christ ", ainsi que par la puissance des portes-feuilles des fidèles. Or, ce Sida n'est pas une punition divine mais bien une maladie biomédicale. Il déconstruise le Sida biomédicale et le reconstruise en Sida religieux, en Sida imaginaire. En suivant l'analyse de Perrin-Herman IKOUBANGOYE, le Sida comme punition divine n'est qu'une supercherie capitaliste. Le

113 Parmi ces bandes dessinées nous rappelons celle parut dans les années 1990 intitulée « Yannick NDOMBI ou le choix de vivre » publié par le PNLS et ayant le soutien de l'OMS, ou encore Le livret d'information publié en 2006 par le même PNLS.

114 Perrin- Herman IKOUBANGOYE, Religion et maladie : le traitement pentecôtiste du Sida à Libreville (Gabon), Libreville, UOB, Département de sociologie, 2007.

capitaliste se sert des imaginaires, des représentations sociales pour se faire du profit. Nous avons à cet effet une brèche qui peut servir à notre analyse. Notamment, le fait que le capitalisme soit une des raisons qui justifie la présence de la forte utilisation de métaphores et de métonymies pour décrire la maladie du Sida. La maladie et plus particulièrement la maladie du Sida est comme un gâteau. Chaque composante de la société veut sa part. Pour ce faire, les MHSB ou la religion se servent de la violence du sens et de la violence de l'imaginaire pour pervertir les idées biomédicales d'une maladie à des fins capitaliste.

Notre discussion se poursuit avec Max Alexandre NGOUA 115 . Ce mémoire à la particularité d'avoir pour champ d'étude Bitam et de suivre le cadre méthodologique du matérialisme historique. Il s'intéresse à la pratique de la sorcellerie du Kôhng dans une ville frontalière du Cameroun et de la Guinée-Equatoriale. Le propre de cette pratique est de capturer las âmes d'individus par le moyen de la sorcellerie. C'est généralement au moyen d'une boîte en argent ou en or dans laquelle sont disposée des miroirs. Pour lui, « les commerçants et les politiciens recouvrent tous au Kong, les uns pour enrichissement rapide, les autres pour conquérir ou conserver le pouvoir116». Mais ce qui nous intéresse c'est le moyen par lequel l'auteur décrit comment on inocule le Sida mystiquement à un individu. Max Alexandre NGOUA dit que les « détenteurs de ce type de sorcellerie peuvent mystiquement prendre le sang d'un séropositif pour l'inoculer à un homme sain, dans le dessein de nuire à ce dernier117». Ce qui revient à dire que le Sida est une maladie que l'on peut envoyer par le Kôhng d'oü la présence des métaphores sur le Kôhng au sujet du Sida.

c) Position du débat chez les africanistes

Le point de vue introductif que nous proposent Florence BERNAULT et Joseph TONDA dans la revue politique africaine118 peut servir aussi de point inaugural à la discussion du débat avec les africanistes dans ce texte. En effet, l'introduction au thème du « pouvoirs sorciers » permet de donner un aperçu du débat. Pour les deux auteurs, « la sorcellerie est affaire de pouvoir, mais un pouvoir déstructuré, en constant changement, accaparé ou rêvé, ici et là, par toute gamme des acteurs sociaux119». Lorsque nous regardons les données d'enquête, nous remarquons que de nombreuses expressions ou de nombreux mots sont reliés, plus moins, au thème de la sorcellerie. Pour eux la sorcellerie, « c'est aujourd'hui un langage fluctuant autant qu'un nombre de techniques sans cesse changeantes, offertes à tout venant. Mais ce langage, ces pratiques obéissent sans doute à une préoccupation centrale : ordonner

115 Max Alexandre NGOUA, La sorcellerie du Kong à Bitam : une manifestation symbolique de l'économie capitaliste, Mémoire de maîtrise de sociologie, Libreville, Faculté des lettres et des sciences humaines, Département de sociologie, septembre. 2004.

116 Max Alexandre NGOUA, Op cit, p 25.

117 Max Alexandre NGOUA, Op cit, p 91.

118 Florence BERNAULT et Joseph TONDA, « Dynamiques de l'invisible en Afrique », Pouvoirs sorciers, Paris, Karthala, coll « Politique africaine », n° 79 octobre 2000.

119 Florence BERNAULT et Joseph TONDA, Op cit, p 7.

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les rapports de forces dans le concret ou dans l'imaginaire120». La sorcellerie semble être un système d'ordre sociétal des conflits visibles ou invisibles. Les expressions, les métaphores et les métonymies qui représentent alors le Sida sont des miroirs sur lesquels ce mirent les rapports de forces réels ou irréels. Mais le plus pertinent est à venir. En effet, les auteurs pensent que, « parce que les ébranlements, les déchirures, les décompositions et les instabilités de la sphère domestique de la parenté, comme ceux du domaine de l'économie et de la sphère publique de l'Etat, sont de plus en plus catastrophiques, les écarts, les vides et les béances qu'ils produisent dans le systèmes des positions de force constituent autant d'espaces oü peut s'investir et se démultiplier violemment la puissance implosive de la sorcellerie [ de l'imaginaire et du sens]121». Donc, les métaphores et les métonymies du Sida justifient leur présence par un vide de politique étatique sanitaire. C'est parce que le secteur de la santé est « handicapé » au Gabon, que les représentations sociales s'imposent comme suppléant d'une biomédecine absente ou réservée à une ville, elle-même en conflit avec la modernité. Lorsque nous disons en conflit avec la modernité, nous entendons un lieu où les fantômes hantent les bureaux de médecins, de cadres, d'enseignants d'université. Une ville traversée de part en part par la puissance du stade métaphysique Comtien. Encore que « la modernité, au nord et au sud, est fort peu synonyme de désenchantement du monde122». A tout le moins nous devons retenir que les métaphores et les métonymies du Sida ont un lien avéré avec la sorcellerie et que dans notre analyse nous devons en tenir compte.

Il nous faut tout aussi tenir compte de l'analyse que nous propose MOUKALA NDOUMOU dans la revue Palabres actuelles123. Pour lui, « l'une des caractéristiques générales des modèles étiologiques dans la société dites traditionnelles est la fréquence des interprétations persécutrices dont la sorcellerie est l'archétype124». Ce qui justifie, une fois encore, la présence dans le langage gabonais du Mbumba, du Kôhng, du fusil nocturne comme origine du Sida. Car dans le cas des MHSB, « le nganga fait ainsi de toute infortune une pathologie relationnelle, le plus souvent liée à des tensions lignagères. Le patient, dans cette optique, est souvent habité par ces représentations et explications subjectives de la maladie 125 ». La maladie, et plus particulièrement la maladie du Sida, est une forme d'infortune qui doit trouver ses causes dans la réussite d'un parent, dans la jalousie d'un parent. « La maladie est donc toujours liée à l'action d'un sorcier jaloux dont les agissements sont dévoilés à tout moment126». Ceci permet de comprendre les différentes figures de styles utilisées pour décrire la maladie quelle qu'elle soit. En fait, « le corps se présente comme un théâtre de forces et d'enjeux opposés, voire contradictoires, auxquels on doit livrer bataille. On peut comprendre que la maladie, ainsi envisagée, devient rapidement la métaphore d'un conflit et que le processus thérapeutique consistera à repousser l'« ennemi » envahisseur au-

120 Florence BERNAULT et Joseph TONDA, « Dynamiques de l'invisible en Afrique », Op cit, p 7.

121 Florence BERNAULT et Joseph TONDA, Op cit, p 8.

122 Florence BERNAULT et Joseph TONDA, Op cit, p 5.

123 MOUKALA NDOUMOU, « Pathologies, superstitions et santé publique au Gabon », Palabres actuelles, Libreville, Editions Raponda-Walker, n° 2- Vol. A. 2008.

124 MOUKALA NDOUMOU, Op cit, p 131.

125 MOUKALA NDOUMOU, Op cit, p 128.

126 MOUKALA NDOUMOU, Op cit, p 132.

delà des frontières corporelles127». Ce qui soulève le point de vue des métaphores comme des métaphores de guerre, de la maladie comme lieu de conflits, lieu de chasse.

Au sujet de la chasse, nous énoncions plus haut128, Joseph TONDA129 nous propose une analyse de son rapport avec la métaphore sur le Mbumba, les sirènes, les hommes politiques qui se transforment en bête féroce. Il commence le débat sur des généralités que Grégoire CHAMAYOU présentent notamment sur le pouvoir pastoral. Mais nous apprécions particulièrement la contextualisation, ou l'analogie faite part TONDA sur le pouvoir pastoral et le pouvoir du nganga. Le nganga différemment du pasteur est un chasseur. Il chasse les sorciers, les mauvais esprits. Mais ce qui nous intéresse dans la lecture de la chasse dans la société des MHSB par Joseph TONDA, c'est l'utilisation des métaphores du Mbumba (serpent), des sirènes et des bêtes féroces. En fait pour lui, le pouvoir sort de la forêt. Les représentations sociales gravitent généralement autour de la forêt, de la chasse. Quand on est malade c'est généralement un serpent mystique (Mbumba), une sirène (Mbumba Iyanô) détenu par un individu, qui nous attaque. C'est toujours une bête féroce de la forêt qui nous attaque et seul le nganga (ou le pasteur) a le pouvoir de le chasser. A cet effet, les métaphores ou les métonymies de la maladie du Sida, -car selon lui- c'est les métonymies qui représentent mieux le phénomène de la chasse, sont utilisées pour manifester un pouvoir de chasse qui sort des villages ; un pouvoir qui lutte contre les esprits de la forêt et dont le détenteur est le nganga, le pasteur. Ce qui justifie le fait que le Sida soit un Mbumba ou toutes expressions utilisées dans les MHSB et dans les églises. Car la maladie est une maladie donnée par un homme qui possède les bêtes féroces de la forêt, par un prédateur qui chasse par la maladie les individus, les proies de sa famille. Toutes les métonymies et métaphores du Sida tournent autour de cette problématique de la chasse, de la guerre.

Mais nous pensons que Le Souverain moderne de Joseph TONDA130 mérite que nous nous y intéressions afin de lire cette problématique des métonymies et des métaphores de la maladie. Les premières lignes introductives du Souverain moderne semblent à elles seules vouloir résumer tout ce dont nous parlons dans ce mémoire. Il écrit qu' «une puissance hégémonique unique instruit et administre le rapport aux corps, aux choses et au pouvoir en Afrique centrale : le Souverain moderne. Elle est constituée à la fois par les fantasmes et les réalités, les esprits et les choses, les imaginaires et les matérialités constitutifs des puissances contemporaines en interaction du capitalisme, de l'Etat, du christianisme, du corps, de la science, de la technique, du livre et de la sorcellerie. Son principe est la violence de l'imaginaire, violence du fétichisme. Cette violence qui s'exerce sur les corps et les imaginations au moyen d'images (icônes, symboles, indices), de gestes corporels, de mots, doit son efficience aux consentements révoltés et aux connivences paradoxales de ces corps et

127 Ernest Fabert MENSAH NGOMA, « Les images de l'évènement maladie », Palabres actuelles, Libreville, Editions Raponda-Walker, n° 2- Vol. A. 2008, p 232.

128 Plus précisément à la page 24.

129 Joseph TONDA, Le pouvoir et le lieu, Conférence a L'université Omar Bongo de Libreville le 4 mai 2011, Libreville, UOB, faculté des lettres et sciences humaines, Département de littérature africaine, 2011.

130 Joseph TONDA, Le Souverain moderne, Paris, Karthala, 2005.

imaginations131». Ce qui sous-entend que les représentations sociales en Afrique centrale, tel qu'au Gabon, sont gouvernées par la violence de l'imaginaire. Or, les métaphores et les métonymies sont des représentations ce qui signifie qu'elles sont elles aussi gouvernés par cette violence de l'imaginaire. Mais il faut interroger le rapport social. Ce rapport s'établit entre la métaphore et la métonymie par le fait qu'il y ait une des deux (notamment la métonymie) qui permet de rendre réel l'irréel. Et ceci se fait par la puissance du consentement que nous appelons la violence du sens. Nous entendons par violence du sens, la coercition que le sens des expressions, des mots et des images exercent sur les individus par laquelle ils arrivent à créer une fabulation du sociale. D'aucuns penseront que c'est la méme chose que la violence de l'imaginaire. Mais en fait il y a une différence. L'on peut dire que la violence de l'imaginaire c'est la fin du processus de la fabulation du sociale. C'est l'outil qui permet de transformer, de façonner, de construire un social. C'est en quelque sorte la main qui modèle. Or, la violence du sens c'est l'origine, l'amont qui donne vie à l'imaginaire. On peut penser à tout mais si ce à quoi on pense n'a aucun sens, les images que nous concevons restent inertes, froides, sans pouvoir. C'est l'explication que l'on va donner, ce que nous appelons, nous, violence du sens, qui va activer la violence de l'imaginaire. Le sens est une forme d'accord, une forme de connivence et de consentement. C'est une convention qui légitime les actions et les moyens. La violence du sens est le départ de l'imaginaire. C'est parce qu'on s'accorde sur des choses pour se représenter certaines situations, et surtout de leur définition (donc de leur sens), qu'on aura une puissance qui sera investi pour les faires s`imposer et agir sur le social en l'occurrence la violence de l'imaginaire.

Donc cette discussion nous aide en deux points. Le premier c'est qu'il nous permet de comprendre l'origine des métaphores et des métonymies. Entre autre que l'Etat à travers le Souverain moderne commandite ou plutôt reste impassible face à des images et représentations qui vont faire en sorte que le social soit mystifié et possédé par des esprits fantasmagoriques. Ces images ont pour fonction première d'élever le Souverain chasseur et prédateur au-dessus des masses populaires car étant le plus puissant des prédateurs. Le second point, nous permet de mieux édifier ce que nous entendons par la notion de violence du sens. Entre autre, une force ou une puissance qui possède les expressions, les mots en les exacerbant et qui travaille sur le regard et l'ouïe de l'individu en lui faisant voire, entendre des choses d'un monde extérieur imaginaire et inexistant. En fait l'individu qui utilise ou qui est possédé par les représentations sociales de l'imaginaire et la violence du sens, est en fait un individu portant des lunettes de soleil en pleine nuit et qui porte des écouteurs qui diffusent un programme de conditionnement en boucle. Il écoute ce qu'il veut et/ou doit écouter, entend ce qu'il veut et/ou doit entendre, et voit ce qu'il veut et/ou doit voir. En bref, il vit ailleurs.

131 Joseph TONDA, Le Souverain moderne, Op cit , p 7.

d) Position du débat chez les littéraires

Toujours en rapport avec la maladie du Sida nous avons lu le roman de Chantal Magalie MBAZOO KASSA intitulé « Sidonie »132. Dans ce roman, l'auteur relate comment un jeune fonctionnaire contracte la maladie du Sida avec une jeune serveuse d'un bar nommée Sidonie. Sidonie est un personnage mais aussi la personnalisation et la personnification du Sida réalisée par MBAZOO KASSA. On trouve décrit toutes les vicissitudes aux quelles sont liées les membres de la famille ; notamment, la contamination de sa femme, abandon des parents, discrimination, mort du fonctionnaire...Tout ceci constitue les faits sociaux vécus au quotidien par les Librevillois. Mais bien plus encore. Ce qui attire notre attention c'est le fait que le prénom Sidonie, qui est une représentation métonymique et personnifiée de la maladie du Sida, soit pris comme titre d'une oeuvre. Nous lisons en cela la puissance des représentations sociales et cela intervient comme une preuve pour indiquer que ces représentations métaphoriques et métonymiques du Sida existent et parcourent le social.

Les bandes dessinées ont aussi représentés les différentes métaphores ou métonymies du VIH/SIDA. En effet, le dessinateur EMUNGANIA OMADJELA alias FARGAS, médecin, a publié dans les années 90 et en 2010 les aventures de Yannick DOMBI. Dans le premier épisode intitulé « Yannick DOMBI ou le choix de vivre »133, l'auteur présente comment le VIH/SIDA est conçu dans les conceptions gabonaises. Il montre comment le Sida fait des ravages dans les années 90 à cause de l'ignorance des modes de contamination et de la puissance des expressions. En 2010, FARGAS récidive avec un deuxième épisode de Yannick DOMBI intitulé « terreur à Lambaréné »134. Ce qui est présenté c'est les nouvelles formes de représentations du Sida. Entre autre, pour guérir du Sida il faut dépuceler une vierge, ou encore faire des prières de guérison mais encore consommer du bois sacré avec de l'urine pour guérir du Sida. Ceci montre que « toutes sortes de moyens furent mises au service de cette « propagande » (...) : affiches, bien sûr ; tracts et brochures ; campagnes de presse ; cartes postales ; expositions itinérantes ou muséales, mêlant artefacts, images et textes ; cinéma et, plus près de nous, radio télévisions135». Nous retenons de ces ouvrages que les paysages des représentations sociales qu'offre le roman et les bandes dessinées sont gabonais. Quant à la pandémie du Sida, elle est focalisée sur la maladie et ses différentes représentations. Elles stigmatisent la conscience collective afin de prendre conscience de la maladie. Elles présentent les représentations sociales du Sida. Nous pensons que ces bandes dessinées sont utiles dans le débat. Par le fait d'illustration des scènes quotidiennes où les gens revendiquent leur possession par l'imaginaire à travers métaphores, métonymies et personnifications du Sida. Nous revoyons le social caricaturé dans les bandes dessinées. Nous voyons les réalités des scènes et rien n'est exagéré dans ces bandes dessinées. C'est des transcriptions réelles des représentations sociales du Sida et en faire fi, c'est laissé passer l'occasion d'ouvrir la boîte de « Pandore ».

132 Chantal Magalie MBAZOO KASSA, Sidonie, Paris, Alpha oméga, 2001.

133 FARGAS, Yannick NDOMBI, ou le choix de vivre, Libreville, PNLS, 1991.

134 FARGAS, Yannick DOMBI, terreur à Lambaréné, Libreville, PNLS, 2010.

135 Luc BERLIVET, « Une biopolitique de l'éducation pour la santé » in Le gouvernement des corps, Paris, Editions EHESS, coll « Cas de figure », 2004,P 38.

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Nous nous sommes aussi laissé séduire par le roman d'Albert CAMUS136. Dans ce roman il décrit comment la peste est vécue par les populations. Si nous l'avons parcouru c'est parce que le titre de la peste semble évocateur car étant aussi l'une des métaphores pour décrire le Sida. Ce qui est intéressant c'est que la peste est vécue comme une attaque, une guerre. Nous retrouvons encore dans la problématique de la chasse, des métaphores militaires. Cette chronique a le mérite de nous transcrire la décontenance d'une épidémie et toutes les représentations qui s'ajustent au moment « T » de la maladie. Mais encore, nous avons l'expression de la transition entre le postcolonialisme et le postmodernisme. Pendant que le Docteur Rieux est dans une lutte qui implique la responsabilité de Soi et ensuite des autres, le Père Paneloux regarde dans un sens différent. En effet, pour le père Paneloux c'est l'autre, le Stupéfiant qui puni les hommes pour leur mécréance. Nous avons donc cette articulation entre postcolonialisme (Les autres comme origine du malheur ou de la maladie) et postmodernisme (la maladie est la responsabilité de l'individu). D'ailleurs LAPLANTINE, nous propose une analyse de ce que nous venons de décrire. Pour lui, « La Peste de Camus, et plus particulièrement l'affrontement célèbre mettant aux prises le Dr Rieux et le Père Paneloux, illustre parfaitement cette double série de représentations. Alors que pour le premier la maladie est un scandale contre lequel il faut lutter jusqu'au bout, méme si l'on sait que l'on est vaincu d'avance, pour le second, la peste qui ravage la ville d'Oran est un juste châtiment envoyé par Dieu pour demander aux hommes de se repentir137

2. Explicitation du problème de recherche

A ce stade de la recherche, la recension des travaux des prédécesseurs sont utiles car ils permettent de cumuler les différents points aveugles que nous propose les oeuvres des autres auteurs. Seulement, notre point aveugle est en fait une synthèse, sinon l'explicitation du résumé de l'agrégat des observations et contextualisations des points aveugles des autres auteurs appliquées à nos données de terrain.

Ce que les données empiriques nous proposent, c'est la présence de différentes expressions qui sont des représentations sociales de la maladie du Sida. Nous constatons que ces représentations utilisent des figures de styles littéraires en l'occurrence les métaphores et les métonymies.

A travers Pierre MANNONI, nous sommes arrivé à dire que la maladie est toujours une malchance qui est lancée par l'autre. En fait, les représentations sociales pensent la maladie du Sida comme une attaque ou un missile. Avec Pierre BOURDIEU, nous nous rendons compte que ces représentations sociales sont une forme de marché linguistique. Nous sommes dans un marché symbolique et un marché de l'imaginaire. Par marché symbolique nous entendons le lieu ou s'échange les différentes formes de représentations. Le marché de

136 Albert CAMUS, La peste, Paris, Gallimard, coll « Folio », 1947.

137François LAPLANTINE, Anthropologie de la maladie, Paris, Editions Payot, 1992, p 365.

l'imaginaire est le lieu oü ce qui est irréel devient réel, ou l'allusion et l'illusion se confondent et donne naissance à des fantasmes et des fantômes. Or, la particularité des métonymies c'est qu'elles participent à rendre indiscernable le réel de l'irréel. Avec Susan SONTAG nous retenons que les représentations sociales de la maladie sont profondément axées sur le combat. Au Gabon soigner la maladie c'est extraire, lutter, combattre le sorcier qui a envoyé la maladie. En ce sens nous sommes dans une société de guerre, de chasse. Ceci justifie l'utilisation des métaphores et les métonymies de guerre. Ceci a conduit à ce qu'avec CHAMAYOU nous regardons les producteurs de ces représentations et que nous remarquons que les pasteurs et les ngangas ( Selon Joseph TONDA) sont des chasseurs. Nous ne pouvons que retenir avec Michel FOUCAULT que les lieux de production des métaphores sont des espaces hétérotopiques ; des lieus sacré, privés ou interdit qui eux-mêmes sont des lieux de transgression, de déviance. Nous retenons aussi, que nous sommes dans une forme de chasse quand nous regardons les métaphores religieuses et les métaphores de la MHSB. Une sorte de guerre que les pasteurs et ngangas livrent à une maladie qui est la maladie du Sida dans le seul but de conquérir des « âmes ».

Nous inaugurons dans cette recherche la notion de violence du sens. Lorsque nous lisons Germain OWONO ESSONO nous rendons compte que les images, les représentations sociales du Sida sont producteurs de sens. Un sens imaginaire. Nous retenons de cette discussion avec notre auteur qu'il y a bien présence d'images, de représentations, de métaphores sur le Sida au Gabon. Et que les iconographies qui parcourent la ville sont des révélateurs de la violence de l'imaginaire et du sens dans notre société gabonaise. Ce que Perrin Herman IKOUBANGOYE , à son tour, pense c'est que l'idée du Sida comme punition divine n'est qu'une supercherie capitaliste. En fait, le capitalisme se sert des imaginaires, des représentations sociales du Sida pour se faire des profits. Pour ce faire, les MHSB ou la religion se servent de la violence du sens et de la violence de l'imaginaire pour pervertir les idées biomédicales d'une maladie à des fins capitaliste.

Les africanistes tels Florence BERNAULT et Joseph TONDA nous permettent de nous rendre compte que les représentations de la maladie du Sida, donc les métaphores et les métonymies du Sida, sont intrinsèquement liées à la notion de sorcellerie. En effet, nos données de terrain nous édifient sur ce fait. A tout le moins nous devons retenir que les métaphores et les métonymies du Sida ont un lien avéré avec la sorcellerie. C'est au sujet de cette sorcellerie que MOUKALA NDOUMOU et Joseph TONDA ont parlé de guerre, de lutte, de chasse dans les représentations sociales de la maladie. Ce qui justifie le fait que le Sida soit un Mbumba ou toutes expressions utilisées dans les MHSB et dans les églises. Car la maladie est une maladie donnée par un homme qui possède les bêtes féroces de la forêt, par un prédateur qui chasse par la maladie les individus, les proies de sa famille. Toutes les métonymies et métaphores du Sida tournent autour de cette problématique de la chasse, de la guerre. Ce qui sous-entend que les représentations sociales de la maladie (et même les représentations de la maladie) en Afrique centrale, tel qu'au Gabon, sont gouvernées par la violence de l'imaginaire selon TONDA.

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Si nous proposons ce récapitulatif des idées énoncées plus haut c'est pour permettre au débat de suivre une connexion logique. Car tous ce que l'on énonce doit faire suite à « une possession momentané par les esprits ». On pense à travers les auteurs et pas en dehors.

Notre terrain nous permet de constater que la maladie et le Sida sont représentés par des expressions ou des mots. C'est mots ou expressions ont la particularité d'être des figures de styles littéraires, en autre métaphores et métonymies. Ces figures de styles ne sont en fait que des représentations sociales qui sont produites dans des lieux ou espaces hétérotopiques. La maladie dans les sociétés de MHSB et religieuses est un fait social qui, en fait, donne à ce que chacun puisse l'interpréter à son gré. La maladie devient un diable, une attaque en sorcellerie, l'oeuvre de Dieu etc. Et il faut chercher à comprendre la présence de l'utilisation de toutes ses figures de styles. Car si les sociétés capitalistes africaines ont tendances à l'oublier, le Sida existe parce que la biomédecine lui a donné un nom. L'utilisation des métaphores et des métonymies de guerres, de chasse, de lutte ; la violence de l'imaginaire et du sens qui conditionnent et structurent le marché linguistique de la maladie du Sida soldent, en fin de compte, les métaphores du Sida d'une portée capitaliste. En fait les métaphores et les métonymies de la maladie du Sida ne sont qu'une forme accomplie de l'exploitation du social pour créer des revenus. C'est l'inventaire du procès du capitalisme dans le marché linguistique de la maladie du Sida qui est notre problème de recherche, mais aussi la lutte de l'Etat contre les imaginaires de la maladie du Sida. L'envoutement, la possession, la subjugation par le capitalisme des mots et des expressions qui représentent la maladie du Sida est la préoccupation de cette recherche.

3- Cadre théorique

Si nous nous accordons à dire avec Charles Wright MILLS que, « dans notre monde faire de la sociologie c'est faire la politique de la vérité138» sur le marché linguistique de la maladie du Sida, cette politique de la vérité doit se faire dans les règles de la méthode sociologique à savoir, inscrire ce projet dans l'espace d'une grille de lecture théorique.

Cette recherche suit un type de raisonnement qualifié d'hypothético-déductif. En ce sens qu'à travers les données d'enquête nous avons pu déceler des théories qui existent. Mais le fait que notre objet d'étude se trouve à la frontière de la sociologie de l'imaginaire, de la sociologie de la religion et de la sociologie de la santé, de la maladie et de la médecine, donc une sociologie imaginative, conduit à ce que notre cadre théorique puisse regarder dans plusieurs direction. Il est certes vrai que cela ne suffit pas à justifier l'utilisation de différents cadres théoriques. Mais nous avons opté pour lire notre objet d'étude de choisir le constructivisme de Pierre BOURDIEU, le point de vue de la sociologie compréhensive de Max WEBER et la sociologie des hétérotopies de Michel FOUCAULT. Mais à y regarder de

138 Charles Wright MILLS, L'imagination sociologique, Paris , Hatier, 1979, p 36.

plus près, la sociologie imaginative de Jean et John COMAROFF correspond mieux à réunir toutes ces théories. Ce choix fait suite à ce que nous propose nos données de terrain à savoir un marché linguistique de la maladie du Sida (BOURDIEU), la chasse aux âmes (aux clients et au charisme) des pasteurs, ngangas, rosicruciens qui produisent des mots et expressions qui donnent naissance à ce marché linguistique produit dans les espaces hétérotopiques (FOUCAULT).

4- Enonciation de l'hypothèse

Avant de présenter notre hypothèse, il semble important de dire de quoi elle résulte. En effet, cette hypothèse que nous proposons, fait suite à la question de savoir pourquoi existe-t-il autant de métaphores de la maladie du Sida dans les espaces hétérotopiques du Gabon ? L'hypothèse est qu'elles existent car elles sont le produit de lieux hétérotopiques qui structurent un marché linguistique de la maladie du Sida, et, dont la notion du charisme, entre autre, exploite la production. Mais surtout, les métaphores postcoloniales sont une forme de réinvention d'un monde « indigène ». Un monde qui cherche et recherche une identité tout en niant et déniant les acquis biomédicaux qui sont perçus, par extension, comme une idéologie coloniale qu'il faut faire disparaître.

5- Définition du concept d'espaces hétérotopiques et de métaphores du Sida

Les métaphores sont avant tout des figures de styles littéraires. Mais ce que nous nous entendons par métaphores du Sida des modes d'expressions qui sont des productrices de sens des imaginaires de la maladie du Sida au Gabon. Elles sont produites dans des espaces hétérotopiques qui sont généralement des lieux de transgressions, des espaces d'utopies et de déviances.

Construction du concept d'espaces hétérotopiques et de métaphores du Sida

CONCEPT

DIMENSIONS / ESPACES

INDICATEURS

 

Médecine traditionnelle
indigène
Mbandjas

-Mbumba

-Mwiri

-Mbumba Iyanô -Fusil nocturne -Kôhng

Métaphores postcoloniales
et hétérotopies

 

Populaire
Bars, marchés, transports en
communs

-Maladie du siècle

- Sidonie

-Grande maladie

-Les quatre lettres

-Syndrome inventé pour

décourager les amoureux -Mbolou

Religieuse
Eglises, Temples de
confréries initiatiques
modernes

-Punition divine -Karma

Musicale
Bars, scènes

-Maladie du sang -Maladie du sexe -Maladie d'amour -Maladie du siècle

6- Explicitation de la relation entre problème posé et hypothèse formulées

Lorsque nous parlons de relation cela suppose un rapport, un rapport social dans le cas présent. « Le rapport social constitue une logique d'organisation qui fait systèmes à travers l'ensemble des champs (...). En ce sens, le concept de rapport social diffère largement de la notion de relations sociales, car c'est un construit théorique qui a donc un certain degré d'abstraction et de généralité et qui met en évidence les grandes lignes de force que sont les logiques des rapports sociaux qui régissent la société139». Le problème de recherche de notre étude est l'inventaire des métaphores du Sida dans le marché linguistique des hétérotopies. Ce qui est une forme de procès du capitalisme des mots de l'imaginaire. L'envoutement, la possession, la subjugation par le capitalisme des mots et des expressions qui représentent la maladie du Sida est la préoccupation de cette recherche. Il y a des espaces hétérotopiques qui produisent ces métaphores et ce rapport crée une économie diligenté par la puissance de l'imaginaire. En fait, c'est le trop plein de représentations sociales (ou le trop de peu d'objectivité biomédicale) encrées dans les imaginaires qui est le problème de cette recherche. Elle peut toutefois se représenter aussi sous la question de savoir pourquoi existet-il autant de métaphores de la maladie du Sida ? A cette question nous proposons

139 Danièle COMBES, Anne-Marie Daune-Richard et Anne-Marie DEVREUX, « Mais a quoi sert l'épistémologie des rapports sociaux de sexe ? », in Marie-Claude Hurtio, Michèle Kail et Hélène Rouch (éds), Sexe et genre, De la hiérarchie entre les sexes, Paris, Editions du CNRS, 1991, p 63 cité par Joseph TONDA, Le Souverain moderne, Paris, Karthala, 2005, p 11.

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l'hypothèse selon laquelle les métaphores de la maladie du Sida existent car elles sont le produit des échanges des lieux hétérotopiques qui structurent un marché linguistique de la maladie du Sida, et, dont la notion du charisme, entre autre, exploite la production.

SECTION 3 : DEMARCHE METHODOLOGIQUE

1- Délimitation de l'univers d'enqurte

Il est maladroit de vouloir rédiger ce travail sans présenter notre univers d'enquête et le type de population étudiée. « Car il ne suffit pas de savoir de quels types de données devront être rassemblées. Il faut encore circonscrire les champs d'analyses empiriques dans l'espace géographique et social, et dans le temps 140 ». En effet, cette partie des préalables épistémologiques est cumulative aux travaux de licence et de master I. Mais la particularité de cette étude est que nous avons pris pour univers d'enquête la banlieue Est de Libreville dans laquelle se situe de nombreux temple de Bwity ou traditionnel, mais aussi car nous y avons le temple de confrérie initiatique moderne de l'AMORC. Nous avons élaboré un échantillon représentatif qui s'explique pour deux raisons :

o La population était très importante et il fallait récolter beaucoup de données pour chaque individu

o Il était important de recueillir une image globalement conforme à celle qui sera obtenue en questionnant l'ensemble de la population

Donc, le choix de notre échantillon s'est fait par le biais d'un choix raisonné encore appelé sondage empirique. En ce sens que « lorsqu'un échantillon est identique à la population dans laquelle il est prélevé, en ce qui concerne la distribution des variables bien choisies, il est également peu différent de la population en ce qui concerne la distribution des variables non contrôlées141». Ainsi, nous avons entretenu 29 personnes.

140 Raymond QUIVY et Luc Van CAMPENHOUDT, Manuel de recherche en sciences sociales, Paris , Dunod, 1995, p 198.

141 Madeleine GRAWITZ, Méthodes des sciences sociales, Paris, Dalloz, 2001, p 535

Tableau n°2 : Présentation de la population enquêtée

Population
enquêtée

 

Hommes

Femmes

Total

Bwitistes ou
traditionnalistes

8

2

10

Rosicruciens

3

2

5

Pasteurs

4

2

6

Commerçants,
gens ordinaires et
musicien

5

3

8

Total

20

9

29

Diagramme n°1 : Population enquêtée

Population enquêtée

Bwitistes ou traditionnalistes Rosucruciens

Pasteurs

Commerçants et gens ordinaires

2- Technique de collecte des données, choix de la technique dominante

Nous avons choisi comme technique de collecte pour recueillir les données empiriques l'entretien. Ce choix de cette technique s'est faite car généralement, les enquêtés ne m'accordaient quelques minutes et certains ne savaient ni lire ni écrire. C'était donc des entretiens de types semi-directifs que nous avons effectué. Dans l'optique de cerner les points

43

essentiels à la recherche. Il nous est arrivé de nous mettre au service de quelques travaux pour obtenir des informations. Nous avons choisi et invité dans des bars un parent très bavard qui est passionné des débats populaires. Il a l'art de titiller les autres personnes du bar pour les faire participer au débat. Pour notre part, nous nous contentions d'introduire le sujet de manière triviale. Nous avons quelques fois au marché, au moment des déballages142 des sous- vêtements féminins, lancé des débats au sujet du Sida qui créaient souvent une curieuse passion dans les réactions. Aussi, nous prenons régulièrement les transports en communs notamment SOGATRA pour être à l'écoute des débats et des opinions des gens.

A l'instar de CAMUS qui énonce que « Questions : comment faire pour ne pas perdre son temps ? Réponse : l'éprouver dans toute sa longueur. Moyens : passer des journées dans l'antichambre d'un dentiste, sur une chaise inconfortable ; vivre à son balcon le dimanche après-midi ; écouter des conférences dans une langue qu'on ne comprend pas, choisir les itinéraires des chemins de fer les plus longs et les moins commodes et voyager debout naturellement ; faire la queue au guichet des spectacles et ne pas prendre sa place, etc143», nous avons passer du temps dans les salons de coiffure homme, dans les commérages des cours communes, les queues pour les tickets d'unité de courant, les salles d'attentes des services de l'hôpital général de Libreville, les cultes les dimanches dans les église de réveil, les veillées de bwity, les débats dans les bars, les bus et le marché. Tout ceci dans le but de dresser un constat.

3- Résultats préliminaires de la pré-enquête

o Réponses des entretiens

Les entretiens que nous avons faits nous ont permis de recueillir des données empiriques avec une population souvent illettrée. Nous avons interrogé les bwitistes et certains traditionnalistes, des rosicruciens et des pasteurs. Il ressort que sur les 10 bwitistes et traditionnalistes interrogés la forte présence de métaphore du Sida fait suite à des croyances en des génies ou des forces surnaturelles. En fait les métaphores ou les métonymies du Sida à savoir le Mbumba, le Kôhng, le Mbumba Iyanô, le Mboulou et le fusil nocturne sont des pratiques qui pour eux justifient la maladie du Sida. Pour eux lorsque l'on est atteint par l'une de ces pratiques il y a des chances pour que l'on ait les symptômes de la maladie du Sida qui se présentent sur le corps. Ce qui est intéressant c'est que tous pensent de la méme manière.

Les rosicruciens interrogés, quand à eux, pensent que le Sida est un karma. En fait pour eux le Sida est une maladie contractée lorsque nos agissements dans une vie antérieure ont été mauvais. La nature pour restaurer l'équilibre va faire contracter une maladie à un individu pour qu'il répare ses fautes. Et selon le principe de réincarnation, tant que l'individu ne change pas , il va continuer de souffrir de ce genre de maladie. Le Sida est une situation karmique.

142 Moment de la journée où un commerçant ouvre un ballot de linge ou de lingerie. Ceci à la particularité d'attirer les foules féminines.

143 Albert CAMUS, La peste, Paris, Gallimard, coll « Folio », 1947, p 31.

Ce que les pasteurs pensent est que le Sida est une maladie envoyé par Dieu pour faire revenir à lui ses enfants qui se sont égarés et qu'ils comprennent que Dieu est le Salut. Pour eux, le Sida est une punition de Dieu pour punir les infidèles. Mais aussi le Diable peut poursuivre un fidèle de Dieu pour éprouver sa foi. Ce qu'il recommande c'est alors de renforcer la foi afin de guérir et de voir les miracles de Dieu.

Les gens ordinaires du marché, les commerçants ou les musiciens ont des opinions variées. En effet, les commerçants et les gens du marché sont plus dans des considérations de la maladie du Sida comme une maladie inventé ou qui n'attaque pas « n'importe qui». Ou encore que le Sida est dû aux infidélités du couple. Ce qui nous rapproche de la pensée du musicien qui pense que le Sida est la maladie de l'infidélité.

4- 9 pULIVTMIQ CIRIK SotKAMICIArTATIl

Après avoir fait un récapitulatif des réponses que nous avons reçues lors de nos entretiens il convient, pour rendre cohérente cette partie, de représenter notre hypothèse de travail. L'hypothèse est qu'elles existent car elles sont le produit de lieux hétérotopiques qui structurent un marché linguistique de la maladie du Sida, et, dont la notion du charisme, entre autre, exploite la production. Les acteurs des du marché linguistiques des métaphores et des métonymies du Sida sont, les bwitistes, les rosicruciens, les pasteurs, les commerçants, les musiciens et les gens ordinaires. Chacun donne une signification à la maladie du Sida selon son sens. On peut constater que chacun de ces acteurs du marché linguistique a un espace dans lequel il déploie son discours. Mais ce qui a lieu de retenir c'est que chacun donne une interprétation afin que leur charisme puisse être puissant afin que les fidèles les « divinisent » et leur apportent le profit (pour les pasteurs, nganga ou rosicrucien) ; ou encore chacun veut donner une raison à la maladie pour se donner de l'importance ou pour justifier une de ses actions. Car en aucun moment durant nos entretiens ils n'ont mentionné qu'une autre pratique, ou même la médecine, pouvait trouver les solutions. Lorsque nous parlons des ARV, les bwitistes disent que c'est tirés des plantes, ou que cela n'enlève pas la dette karmique pour les rosicruciens, ou encore qu'ils ne peuvent etre efficace que par la puissance des prières et de la foi pour les pasteurs, mais encore que le préservatif et les antirétroviraux sont des produits pour au contraire augmenter le Sida au Gabon. Chacun ramène toujours le débat sur son « pouvoir », ou de la pseudo- complicité de la biomédecine dans la consolidation du Sida au Gabon.

5- Conclusion de la pré-enquête

Au terme de notre pré-enquête nous remarquons que le marché linguistique du Sida est un marché non pas seulement du sens (en ce que chacun donne une définition à la maladie du Sida par le moyen de métaphores te de métonymies, mais aussi un marché du charisme) mais aussi un lieux hétérotopiques qui est par essence un lieu de transgression, de déviance,

d'utopies. Nous sommes en faite dans un marché purement capitaliste qui inaugure l'exploitation du sens de la maladie du Sida à des fins d'accumulation de fidèles, de charismes et d'argent. La présence d'autant de sens pour définir une maladie montre que le rapport à la maladie n'est plus un rapport de malade à « médecin » mais un rapport de maladie au sens, un rapport de client à marchand, un rapport de maladie au capitalisme donc un rapport social. Au regard des différentes données recueillies, nous arrivons à la conclusion que les métaphores et les métonymies du Sida sont des expressions crées pour assoir un pouvoir charismatique et un pouvoir financier avéré. Le concept de métaphores et de métonymie du Sida est en fait l'indicateur qui permet d'identifier le marché « vicieux » du capitalisme. Les acteurs du marché linguistique sont des capitalistes qui se servent des mots et de la violence du sens ou de l'abstraction pour exploiter la maladie du Sida. La société gabonaise devient ce grand espace hétérotopique, ce grand lieu des chimères et des cauchemars, un contre-espace, une contre-société, un hors-lieux.

6- I IP 1tL1rdLrl'étudL

L'une des principales limites que nous avons rencontrée est particulièrement l'indisponibilité de nos enquêtés. Ils avaient généralement peu de temps à nous accorder. Ceci nous obligeait à avoir des données parcellées. Nous étions obligé de faire plusieurs demande d'entretien afin de pouvoir arriver à avoir un corpus plus ou moins conséquent. Nous avons étais obligé de suivre des séances de prières, de recevoir des demande d'affiliation de L'AMORC, de participer à des collectes de médicaments indigènes en forét pour obtenir les informations que nous venons de traiter. Nous avons aussi était obligé de créer des techniques de collecte en créant des débats dans les marchés, les bars, les transports en commun.

Une autre limite est à présenter. C'est un contrat qui a été passé par un enquêté et moi sur la non divulgation de certains secrets concernant le fusil nocturne. En ce sens que l'intéressé m'a fait découvrir des techniques qu'il utilise pour taper le fusil nocturne. Nous respectons scrupuleusement ce contrat, car nous ne savons pas l'utilisation que les lecteurs en feront. C'est en ce sens que dans cette enquête nous avons entièrement pris conscience de ce que Montesquieu énonçait : « science sans conscience n'est que ruine de l'âme ».

Première partie : Les métaphores de la maladie du Sida dans les
espaces hétérotopiques de la médecine traditionnelle indigène et
populaire à Libreville

Introduction de la première partie

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Emile DURKHEIM avait raison. « Les idées que nous nous faisons nous tiennent à coeur, [...], et prennent ainsi une telle autorité qu'elles ne supportent pas la contradiction144». Nous sommes petit fils de traditionnaliste et les idées que nous nous faisions de la maladie étaient généralement tachées et entachées de subjectivité. Pour ce faire, nous nous sommes aliéné et « laissé posséder par les esprits » des scientifiques. Car il fallait que l'on s'affranchisse des fausses évidences qui dominent l'esprit trivial145. Pourquoi en parler à ce moment de notre propos ? Pour la raison selon laquelle le terrain que nous avons fréquenté pour collecter nos données était particulier. Particulier, car nous le connaissions et que nous y avons était socialisé. Nous avons été socialisé non loin de cet espace hétérotopique de la médecine traditionnelle indigène. Mais à notre grande surprise, certaines choses que nous pensions connaître en fait ne l'était pas ! Cette enquête nous a permis d'en savoir un peu plus sur certaines pratiques effectuées dans notre société au sujet de la maladie

Les métaphores de la maladie nous ont conduites dans divers espaces hétérotopiques de notre société. Notamment les Mbandjas, les églises les bars, les marchés. Nous étions curieux de savoir comment et quels termes utilisaient --ils pour décrire la maladie du Sida. Nous avons des termes qui se distinguent, notamment le Mwiri, le Mbumba, le Mbolou, le Mbumba Iyanô, le Nzatsi, le Kôhng, Sidonie et le syndrome inventé pour décourager les amoureux, la maladie du siècle, la grande maladie, les quatre lettres, maladie du sexe, maladie du sang. Nous nous retrouvons en face de deux grands ensembles qui sont la médecine ésotérique indigène et les métaphores populaires. En ce qui concerne les deux ensembles, nous nous apercevons que les métaphores utilisées restent quelques peu dans le domaine du trivial, du sens commun.

Les espaces hétérotopiques que nous convoquons dans notre second propos sont, les bars, les marchés, les salons de coiffure (homme et dame), les files d'attentes, les transports en commun et les scènes de spectacle. Les représentations que nous décrivons sont au fait des commérages triviaux nommés « Kongossa » ou encore CRIMADOR. Mais, quoique leur trivialité ne souffre d'aucun doute, il n'en demeure pas moins qu'ils sont doués d'une puissance symbolique et imaginative qui affectent, à tort ou à raison, les représentations de la maladie du Sida.

Nous ne sommes donc pas sortis du registre de la discussion autour de la maladie du Sida. Nous quittons tout simplement les eaux troubles de la médecine traditionnelle indigène pour rentrer dans les méandres des métaphores populaires au sujet du Sida. Encore que, les représentations de la médecine traditionnelles sont, à notre sens, propre au fait populaire. C'est donc une zone obscure propre à la « nuit postcoloniale ». Car il s'agit de donner une interprétation de ce que le milieu populaire entend par la maladie du siècle, la grande maladie, les quatre lettres, Sidonie, Syndromes inventé pour décourager les amoureux, maladie du sexe

144 Emile DURKHEIM, Les règles de la méthode sociologique, Paris, PUF, coll « Quadrige », 2002, 11ème édition, p 32.

145 Emile DURKHEIM, Ibid, p 32.

et du sang, le mbolou. Toutes ces métaphores du Sida interviennent dans l'espace et la progression historique du Sida dans la société d'Afrique centrale postcoloniale. Elles ont muté en même temps que le Sida progressait dans le temps. Elles sont parties des plus triviaux vers les plus « raisonnables » (biomédicalement parlant).

Chapitre I : Les représentations de la médecine traditionnelle indigène du
sida à Libreville

Les lieux de productions des représentations de la médecine ésotérique indigène du Sida sont les espaces des Mband]as. Le Mband]a est un lieu oü l'on pratique des danses rituelles de réjouissances, des danses funèbres à l'occasion de l'exposition du corps d'un grand chef, d'un initié ou d'un notable. C'est aussi le lieu oü l'on initie un profane au bwity146. C'est un lieu sacré oü est diffusé le savoir initiatique du Bwity. C'est donc un lieu d'utopie. On en veut pour preuve les « délires » de l'initié pendant la consommation de l'iboga147 lors de l'initiation au bwity. C'est un hors-lieux, un autre monde, une autre société, un contre espaces, un espace hétérotopique.

Si tant est que les hétérotopies sont des contre espaces, c'est en ce sens qu'ils sont les lieux des déviances. L'initié ou mbandzi, est généralement malade ou affecté par toutes sortes d'infortune et Joseph TONDA les appelle « les affaires du corps148». D'ailleurs le message qu'il verra dans le miroir est des images de gens déformés, des ob]ets inanimés qui parlent... Bref, c'est un lieu oü l'imaginaire règne en maître absolu. Or, l'imaginaire c'est le produit d'idées préconçues déformées et donc déviant de la réalité. Ceci nous conduit alors, à présenter des productions imaginaires qui ne sont que des représentations sociales : les métaphores de la maladie du Sida dans la médecine ésotérique indigène gabonaise.

La maladie est un fait social. Et c'est parce qu'elle est considérée comme fait social qu'elle intéresse chaque strate et champ sociale. Elle devient par la suite fait social total car la société cherche en s'en approprier chaque explication et chaque mutation. De fait, tout un agrégat de significations, de sens, mais surtout de représentations populaires vont la rendre complexe à comprendre. À tel point qu'elle devient un objet que, dans le cas présent, la médecine ésotérique indigène cherche à exproprier et extirper du champ de la biomédecine. Dans le cas de l'hétérotopie populaire, c'est une indiscernabilité entre rumeur et ragot. Nous arrivons dans une situation où les représentations indigènes et populaire de la maladie possèdent les conceptions profanes de la maladie à l'instar du Mwiri, du Mbumba, du Mbolou, du Mbumba Iyanô, du Nzatsi et du Kôhng, etc.

SECTION 1 : Le Mwiri, le Mbumba Iyanô , le Mbumba et le Sida

Les cercles initiatiques indigènes sont des cercles dans lesquels la maladie est appréhendée et traduite dans des formes de représentations sociales. Ces représentations

146 André RAPONDA-WALKER et Roger SILLANS, Rites et croyances des peuples du Gabon, Libreville, Editions Raponda Walker, coll « hommes et société », 2005, p 200.

147 Plantes hallucinogènes utilisées dans le rituel d'initiation au bwity

148 « Nous entendons par « affaires du corps », toutes les situations de santé et de maladies, de fortunes et d'infortune a la chasse, dans les champs, dans les affaires, a l'école, au jeu, a l'église, au bureau de l'administration, au marché, au foyer, en politique, en amour, en famille, ect. » Joseph TONDA, La guérison divine en Afrique centrale (Congo, Gabon), Paris, Karthala, 2002, p 41

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sociales ne sont que des métaphores qui renvoient aux croyances d'un surnaturel. La caractéristique de ce surnaturel que nous venons d'énoncer est d'être un appel à la puissance d'un génie ou d'une égrégore initiatique qui puni les impies d'un acte socialement prohibé. Et, le Sida, du point de vue métaphorique et sociologique, est une forme de manifestation de la possession par un génie ou l'égrégore d'un cercle initiatique.

1) Le Mwiri

Emile DURKHEIM énoncé que « la première démarche du sociologue doit donc être de définir les choses dont il traite, afin que l'on sache et qu'il sache bien de quoi il est question149". Alors, qu'est-ce que c'est que le Mwiri ? « Le Mwiri, ou Mangogo, est essentiellement une secte d'hommes, très répandue dans la Ngounié et le Bas-Ogowè, dans laquelle peuvent être admis tous les garçons dès la puberté. D'ailleurs les jeunes garçons ont hate d'y être initié afin de pouvoir faire figure d'hommes, et aussi, pour ne pas être considérés comme des ignares et des couards150". Cette initiation « se fait par cohorte [...] Dans les nombreux villages oü le Mwiri reste un rite de passage obligatoire, c'est l'oncle maternel qui décide que le temps de l'initiation est venu pour ses neveux [...]. L'initiation, qui laisse clairement apparaître la structure canonique des rites de passages, commence par une phase de réclusion en brousse avant de se poursuivre au village, en privé au corps de garde puis en public dans la cour centrale 151 ". Mais cette définition du Mwiri n'est pas tellement intéressante pour notre étude. En ce sens que vous trouverez de nombreux texte qui en ont fait large description152.

Ce qui nous intéresse c'est que « le Mwiri est également la société initiatique masculine chargée d'assurer le contrôle de l'ordre social et de punir les transgressions. Un vol, un adultère ou même un mensonge peut en effet entraîner une sanction magique, punition infligée par le génie Mwiri sous le forme d'une maladie subite (dont le symptôme majeur est un gonflement du ventre)153». C'est donc les symptômes donnés par le Mwiri qui vont nous intéresser. En effet, les symptômes du Mwiri sont multiples et ne se limitent pas à la description simpliste que nous propose Julien BONHOMME.

En effet, la maladie dans la médecine ésotérique indigène est assimilée à la possession par une entité, d'un génie. Le Mwiri comme précédemment a effectivement des symptômes pour faire savoir que l'individu ( initié ou profane) est posséder par le Mwiri. Nous avons interrogé un acteur de la médecine ésotérique indigène M. Etienne154, et voici ce qu'il nous révéler au sujet du Mwiri.

149 Emile DURKHEIM, Les règles de la méthode sociologique, Paris, PUF, coll « Quadrige, 11ème édition, 2002, P34.

150 André RAPONDA-WALKER et Roger SILLANS, Rites et croyances des peuples du Gabon, Libreville, Editions Raponda Walker, coll « hommes et société », 2005, p 229.

151 Julien BONHOMME, Le miroir et le crâne. Parcours initiatique au Bwete missoko (Gabon), Paris , CNRS, 2006, p 162.

152 Lire les deux précédents auteurs ci-dessus dans les ouvrages cités.

153 Julien BONHOMME, Op cit, P 167.

154 M Etienne, Masculin, Niveau d'étude secondaire, retraité, Bwitiste, Ipounou/ Massango

Enoncé n°1 :

« Te parler du Mwiri c'est difficile. Les blancs sont trop curieux. Aujourd'hui je vais te parler de ça, demain tu vas mettre ça dans des livres que les femmes vont lire ?(.. ;)Si c'est pour parler des choses qui arrivent sur le corps de quelqu'un y a pas de problème. Mais tu dois déposer le Bwity155(Rire) ! Le Mwiri quand il attrape quelqu'un il a plusieurs manières. La manière que les gens connaissent beaucoup c'est lorsque le ventre se gonfle. Mais il y a aussi les diarrhées violentes qui commencent généralement au couché du soleil. Il y a aussi les fièvres comme celle que l'on a souvent quand on a le palu. Elles viennent que vers les 18H au début. Après lorsque ca duré elles restent toute la journée. Il y a aussi le corps qui maigri a un tel point que tu as la peau sur les os et tu n'arrive pas à marcher. Il y aussi des personnes qui passent leur temps à tousser jusqu'à cracher du sang. C'est le mwiri qui met de l'eau dans les poumons ou qui déchire les poumons avec ses griffes. Tu vois que ce que je viens de te dire là ressemble beaucoup à la tuberculose. (...) Ce que les gens appel le Sida c'est souvent le Mwiri. Moi quand je traite ce genre de personne j'enlève toujours le diable. Car peut être que la personne est sorti en vampire et puis elle est coincé dans une protection de terrain. Ou bien elle a violé des interdits ou tout simplement quelqu'un lui a tapé le diable156. Parfois aussi le sorcier l'a attaqué dans la nuit et puis il l'a tapé le diable pour l'atteindre (...). Bon selon les cas, comme je suis modounga157, c'est du retour de la brousse que je sais véritablement de quoi la personne souffre. Si c'est les autres ou lui-même qui connaît l'origine de sa maladie. En fonction des cas, ,je choisi le traitement. On utilise le sacrifice du mouton quand la personne est au dernier stade du Mwiri. C'est-à dire quand il est paralysé et qu'il fait tout sur place. Après il y a les médicaments pour soigner intérieurement les blessures que les griffes du Mwiri a causé».

Au regard de cet entretient il y a un fait qui amène a ce que nous énoncions que « considéré ainsi, la maladie entraine donc toujours une interrogation qui dépasse le corps individuel et le diagnostic [biomédical]158». Selon le discours que nous venons de transcrire, nous remarquons que le diagnostic se fait en forét. C'est des arbres, des plantes qui vont définir l'origine de la maladie et, surtout de son traitement. Ce qui revient à dire que le Sida selon notre enquêté est une maladie donnée par le Mwiri et que seul les bois de forêt sont susceptible de pouvoir octroyer la guérison du malade.

Nous disons aussi que la maladie du Sida comme Mwiri, n'est plus simplement une métaphore. Mais elle est bien plus car elle interactionne d'autres schèmes, d'autres variables qui font en sorte qu'elle devienne une chose réelle. C'est peut être en ce sens que HERZLICH énonce que « plus encore que métaphore, la maladie est donc un signifiant dont

155 Une somme d'argent symbolique pour avoir la bénédiction du Bwity.

156 Une autre expression pour décrire et appeler le Mwiri.

157 Grade qui correspond à celui qui parle avec le Mwiri

158 Claudine HERZLICH, « La perception quotidienne de la santé et de la maladie et leur dynamique dans le champ social », L'étude des représentations sociales, Paris, Delachaux et Niestlé, 1986, p 158

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le signifié est le rapport de l'individu à l'ordre social159». C'est aussi peut-être pour cela que cette allusion et comparaison du Mwiri au Sida ne semble plus se limiter à la métaphore. Nous pensons que le Mwiri est une métonymie du Sida. En ce sens que la métaphore reste dans le domaine de l'imaginaire. Tandis que les métonymies sont une forme de capacité qu'ont les métaphores pour franchir symboliquement cette frontière entre l'imaginaire et le réel.

Donc, le Mwiri c'est le Sida. Ou plutôt, le Sida biomédical a une représentation sociale dans une croyance indigène appelée Mwiri. Car les symptômes de la maladie du Sida sont identiques à ceux du Mwiri. Ce qui justifie, dans cette société initiatique160, que la biomédecine n'ait pas encore trouvé le remède du Sida car le Sida c'est le Mwiri. Il faut connaître ce que c'est que le Mwiri pour découvrir le remède du Sida.

Nous pouvons déduire que le Mwiri, selon la conception de M Etienne, est une maladie de l'immunodéficience acquise. Ou encore que le sort jeté ou la sortie en vampire peuvent faire contracter à une tierce personne, la maladie du Sida donc ce que la biomédecine à identifié sous le terme de Syndrome d'Immunodéficience Acquise. Car, lorsque l'on dit Sida dans la pensée de la médecine ésotérique indigène, il y a comme une forme de contingence, de mépris, de sous-estimation face à ce que décrit cet acronyme. Or, ce qui est vrai, c'est que le Sida est le Mwiri ont certainement les mémes symptômes mais de là à en faire une comparaison, une allusion comme l'une étant l'autre est quelque peu triviale.

Dans la foulée du débat nous lui avons demandé ce qu'il pensait de ce qui ont trouvé le Sida est ce que lui qui a été scolarisé en pense. Voici sa réponse :

Enoncé n°2 :

« Tu sais petit les blancs ont trouvé beaucoup de chose. Mais ce qu'il trouve existait d'une certaine manière dans nos traditions. C'est le cas du Mwiri et du Sida. Ils ont vu au microscope ce que nous nous disions lorsque nous allons demander aux arbres l'origine de la maladie. Nos arbres sont nos microscopes (rire). Je ne dis pas que l'hôpital n'est pas intéressant mais la maladie du Sida se soigne aussi chez les noirs. Seulement, il veule que se soit eux seulement qui ait la paternité du remède pour se faire de l'argent. Nous aussi nous soignons ce que eux ils appellent le Sida ».

Cet énoncé revient à dire que pour lui, il y a bien entendu un « Sida biomédical ». C'est-à-dire une maladie prouvée rationnellement par le biais d'une étiologie scientifique. Mais ce que lui il appelle Mwiri, est une forme de la maladie du Sida et que lui aussi peut à travers les soins de cette initiation soigner les symptômes du Sida. Nous disons bien les symptômes. Car faire cesser les diarrhées, les toux, les fièvres ne veut absolument pas dire que le Sida soit traité. C'est le même cas des ARV. Ils permettent de stopper ou réduire et ralentir la progression du virus du Sida, mais il ne le guérit pas.

159 Claudine HERZLICH, Op cit, p 159.

160 Plus précisément dans le lieu que nous avons enquêté c'est-à-dire dans la banlieue de Ntoum vers Ndonguila.

2) Le Mbumba Iyanô

Le Mbumba Iyanô est une initiation qui est propre à la région de la côte du Gabon. Avec les échanges interethniques, cette initiation s'est diffusée dans de nombreuses régions du Gabon. C'est donc une initiation qui à la particularité d'être pratiquée, à son origine, par l'ethnie Mwiénè plus précisément les Orungus, les Mpongwés. Mais il y a aussi une ethnie vivant vers la côte des villes de Gamba et de Mayumba les Ivilis qui pratique ce rite initiatique. La particularité de cette initiation est d'être en rapport avec un génie de race blanche. En effet, ce génie est généralement blanc ou blanche. Si nous faisons un appel à l'histoire on comprend pourquoi cette initiation est proche de l'ethnie Mpongwé. Nous ne devons pas oublier que c'est l'une des premières ethnies à avoir eu un contact avec les blancs quand il s'agit des grandes conquêtes des voyages maritimes du 18ème siècle.

Nous nous sommes rapprochés de deux femmes qui initient au Mbumba Iyanô. La première est Mpongwé et réside à Agondjé, tandis que la seconde est d'ethnie Ipounou et réside en face de la cité de la démocratie à Libreville. La première s'appelle Mme Jeannette161 et voici ce qu'elle pense du Sida :

Enoncé n°3 :

« Le Mbumba Iyanô c'est le géni qui est une sirène. Si c'est une femme qui est malade alors le Mbumba Iyanô est un homme. Si c'est l'homme qui est malade, c'est que le géni est une femme. En fait, le génie du Mbumba Iyanô c'est notre contraire. C'est notre autre sexe qui est dans nous (sic). Dieu a fait l'homme moitié moitié [c'est-à-dire un côté femme et un côté homme]. Donc l'homme doit savoir que le génie lui donne le bonheur s'il se comporte bien avec lui. C'est comme le génie, le Mbumba Iyanô choisi l'homme ou la femme qui doit être avec toi. Si il n'aime pas la personne, il fait tout pour casser le mariage. Il peut venir se mettre dans le même lit que toi et chasser la personne du lit. Parfois tu rêves que tu as des rapports avec une femme ou un homme. C'est le Mbumba Iyanô. Parfois tu rêve que tu es dans l'eau avec des blancs, c'est le Mbumba Iyanô. Les gens parlent que c'est Onyambé (fantômes) ou Onômé Yoguéra (homme de nuit). Non c'est le Mbumba Iyanô, mon fils ! Quand c'est comme ça il faut arranger le génie. Il arrive même que lorsque le géni est beaucoup fâché, il peut faire sortir les abcès, les gros boutons, ou les taches comme la dartre sur le corps. Il peut même te faire maigrir. Il faut pas que les gens te regarder. Personne ne doit te vouloir [personne ne doit te désirer]. (...) Ca ressemble au Sida mais ce n'est pas le Sida. Parfois les gens pensent que c'est le Sida alors que c'est le Mbumba qui embête la personne. Il peut même faire en sorte que les machines du blanc montrent que tu as le Sida pour que les gens fuient à côté de toi. Parce que il veut rester seul. Comme ça là, il faut se faire initié au Mbumba pour que ton géni soit arrangé. Le Mbumba Iyanô est trop fort. Il peut même bloquer les enfants [il peut empêcher de procréer]. ( ...) Le Mbumba Iyanô rend malade les gens qui ne veut pas les arranger. C'est comme quelqu'un qui est initié ne doit pas

161 Mme Jeannette, féminin, niveau d'étude primaire, traditionnaliste, technicienne de surface dans une administration, Mpongwé.

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casser les interdits sinon le Mbumba Iyanô peut même le tuer. Il peut faire en sorte que quand on te regarde on te voit comme un onyambé ; comme quelqu'un qui a la maladie là. Faut pas jouer ?! Quand tu l'arranges on peut même dire que tu as le Sida, que les trucs des blancs on vu çà [les machines qui permettent de détecter la sérologie d'un individu], tout ca là sa disparaît. Sauf si c'est la maladie de Dieu et que c'est Dieu qui a envoyé ».

La seconde s'appelle Maman Mado162 et voici ce qu'elle nous dit au sujet du Sida et de son rapport au Mbumba Iyanô.

Enoncé n°4 :

« On m'a amené une fille il y a deux ans qui s'appelait Inès M ... Elle avait beaucoup maigri. Elle avait les abcès, les boutons les petites brulures sur la peau avec des taches noires sur tout le corps comme la veste. Ses parents m'ont dit qu'elle avait la maladie qu'on appelle Sidé (Sida c'est comme ça qu'elle le prononce). Je ne dormais pas. Rien à faire. La fille là pleurait toute la nuit. C'est comme ça que quand je dormais un jour, j'ai vue une sirène qui est venue me parler que ho « si je fait souffrir la fille là c'est parce que elle ne me donne pas à manger, elle fait ( s'accouple) avec des hommes sales. Et puis elle fait ça n'importe comment. Elle est venue me prendre là où j'étais c'est pour me mettre dans la saleté ? Il faut qu'elle m'arrange sinon je la tue». C'est comme ça là qu'elle m'a montré des feuilles, et des bois pour la laver, et pour manger et boire. Elle m'a montré un endroit au cap que je n'avais jamais vu et que je ne connaissais pas. Elle m'a dit qu'elle allé me guider avec des signes qu'elle avait mis. Le jour là mon petit mari, c'était fort !!! On est arrivé sur la route y avait un gros cailloux blancs qui était là. C'était le premier signe. Elle avait dit que dès qu'on voyait ça il fallait qu'on débrousse et on faisait tout droit. On a fait ça durant une heure les hommes était fatigué. Ici là il fallait soulevé la fille, là-bas les choses.. Non c'était fort ! Moimême je doutais. Les parents parlaient déjà que ce que je fais là c'est faux. Après on a écouté un grand cri qui nous a fait mal aux oreilles. J'ai pris les crises. Je ne sais plus mes j'ai marché dans la foret les gens me suivaient jusqu'à ce que on est arrivé où il y avait le sable blanc. Y avait l'eau autour et au milieu y avait le sable blanc comme le sable de la mer mais en pleine forêt. Mais le sable là était trop blanc. Y avait aussi un arbre du Mbumba Iyanô qui était la au milieu du sable. (...) J'ai mis la fille là dans l'ifulu163. Je n'avais pas vu les mouches comme ça ! Y avait les mouches AHHH !! On dirait qu'elles suivaient quelques de chose de pourrie. Dès que j'ai mis la fille là à l'eau pour la laver avec les feuilles et les écorces qu'on m'a montré, voici la pluie en pleine saison sèche. Une forte pluie avec les tonnerres. Ca là c'est le signe du Mbumba Iyanô : la sirène. L'eau était devenue tout blanc comme si on avait mis du lait dedans. Dès que j'ai fini de la laver elle était encore dans l'eau voici que elle a vu quelque chose brillait dans l'eau. Quand elle a mis la main elle a senti comme une main qui l'a tirée. Elle est rentrée dans l'eau. On a commencé à la chercher. Une minute après elle est sortit devant (à 50 mètres du lieu). Elle tremblait, elle ne parlait pas !

162 Maman Mado, féminin, pas de niveau d'étude mais femme d'un instituteur a la retraite, traditionnaliste, sans profession, Ipounou

163 C'est une purification par fumigation et sudation. Lire a ce sujet Julien BONHOME, Le miroir et le crâne. Parcours initiatique au Bwete missoko (Gabon), Paris , CNRS, 2006, p 34.

Elle a ouvert la main elle avait des cories et une petite pierre en or. Je lui demandais que c'est comment elle ne m'a pas répondu elle n'arrivait pas à parler. Après ça la pluie s'est calmée. On est rentré ! Arrivé à la maison elle a dit qu'elle a vu deux sirènes qui lui ont remis des cories et puis l'or. Mon chéri ! Laisse. La fille en deux semaines elle était guérit. On a fait les cérémonies elle est partie en France. J'ai appris qu'elle est morte en début d'année. Elle avait épousé un blanc. »

Nous avons posé la question de savoir de quoi elle est morte. Et elle nous a répondu qu'elle est morte de l'hépatite B. Et elle a ajouté :

Enoncé n°5 :

« Je lui avais dit que faut plus qu'elle fasse les choses n'importe comment. Il faut qu'elle respecte les interdits. Faut plus qu'elle mange le [pénis, les fesses du partenaire ou de se faire sodomiser164]. Mais rien ! Ce que le génie lui a interdit c'est ce qu'elle est partie faire ». La fille de Maman Mado m'avouera autour d'un verre que la fille n'est pas morte seulement de l'hépatite B mais qu'elle avait aussi le Sida.

Ce que nous retenons de ces deux discours, parfois relevant du fantastique nous l'accordons, c'est que le Mbumba Iyanô est dans l'idéologie de la société médicale indigène très relié au Sida. Les symptômes qui sont amaigrissement, boutons envahissant toutes la surface du corps, détérioration de la peau par la présence de plaques de muqueuses, sont autant de similitudes entre la maladie du Sida et l'initiation indigène dénommé Mbumba Iyanô.

L'idéologie médicinale indigène impute au Mbumba Iyanô des phénomènes sociaux assez répandus dans la société gabonaise. Notamment, les hommes ou femmes de nuit et le problème de procréation. Mais surtout que le Sida n'est pas une maladie biomédicale, mais bien maladie des esprits, des génies. Le Sida est la conséquence de la possession par la présence de génie jaloux, un génie maniaque de la propreté, de génie frigide ou pudique. Le Sida est alors détaché de son sens de syndrome pour être rattaché à un sens purement imaginaire. Quelques correspondances suffisent pour faire un rapport entre une maladie et une superstition, une idéologie.

Ce que nous pouvons observer dans le dernier discours c'est que le malade finit par mourir d'une IST. Les soins que prodiguent les deux mères initiatrices du Mbumba Iyanô sont, certes, efficaces pour réduire la progression des symptômes de la maladie du Sida. Mais ils ne soignent pas la maladie du Sida. Et ce n'est pas les esprits qui soignent, mais bien évidemment la vertu thérapeutique des plantes, des écorces de bois. Malheureusement, elles ont refusé à chaque fois de nous donner le nom des feuilles ou des bois qu'elles utilisent pour soigner ou réduire les symptômes de la maladie.

Le Mbumba Iyanô nous permet de dresser une, des nombreuses, explication des hommes ou des femmes de nuit. Se serait donc la présence du génie qui est jaloux ou qui

164 C'est nous qui avons changé les expressions. Car les mots qu'elle a utilisé étaient trop vulgaires.

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refuse la présence d'une compagne ou d'un compagnon. Mais, il faut retenir que dans certaines idéologies initiatiques indigènes souffrir du Sida, (et surtout avoir les symptômes tels que des boutons, des muqueuses ou un amaigrissement du corps) c'est être posséder par le génie jaloux du Mbumba Iyanô. Mais quelque fois, nous nous retrouvons en plein discours commerciale. Chacun veut montrer la puissance d'un génie, la puissance d'un esprit qu'eux seul ont la capacité de voire, d'entendre. Ou tout simplement, « l'effet recherché par qui raconte son expérience est alors la fascination ou la peur : On ne parlerait pas si l'on espérait fasciner165».

3) Le Mbumba

Le Mbumba n'est pas une initiation. Nous la classons dans les différentes formes de pratiques ésotérique sorcellaires indigène. Le Mbumba est une forme de réceptacle mystique qui a des vertus de nuire à des individus. « L'attaque de sorcellerie, elle, met en forme le malheur qui se répète et qui atteint par hasard les personnes et les biens d'un ménage ensorcelé166». Mais qu'est-ce qu'il y a de plus précis que la description d'un enquêté sur la question ? Pour ce faire, nous restituons les propos de Papa Aspro167 au sujet du Mbumba.

Enoncé n°6 :

« Le Mbumba c'est beaucoup de chose mais qui se résument en une seul, la marmite nocturne. La marmite nocturne c'est ce qu'on appelle Mbumba. Dès qu'on parle de marmite nocturne on voit déjà le serpent. Dans la marmite il y a des choses qui rendent la marmite dangereuse. La marmite là est d'abord en terre cuite et elle reste généralement au plafond ou sous le lit. C'est pas comme les gens qui déterrent168 qui disent que c'est dans le sol qu'on enterre ça, c'est faux ! Il y a la tête de serpent169 et sa peau, le miroir, le crane d'un homme avec les dents170, le tibia ou l'avant bras humain, la main d'Ikanda (Potto de Bosman171), la main du gorille, une chaîne, un cadenas, une plume de perroquet. D'autres ethnies mettent à l'intérieur un petit cercueil ( les fangs). Bon tu cherches à savoir comment sa fonctionne ? Bon la marmite nocturne c'est la où on prépare les personnes que l'on a choisi pour être mangé dans la nuit. Le tibia ou l'avant bras c'est le fantôme qui frappe ou qui espionne

165 Jeanne FAVRET-SAADA, Les mots, la mort, les sorts, Paris, Gallimard, coll « Folio/ Essais », 1977, P 29.

166 Jeanne FAVRET-SAADA, Les mots, la mort, les sorts, Paris, Gallimard, coll « Folio/ Essais », 1977, P 20.

167 Papa Aspro, niveau d'étude primaire, Bwitiste, ancien militaire, Pounou / massango.

168 Il y a un débat entre les nganga qui déterrent les fétiches et ce qui ne le font pas. Certains disent que c'est de la mystification, que ce qu'il déterre c'est des choses plantées auparavant ou tout simplement un tour de passe-passe : de la prestidigitation. Car dans la sorcellerie, il y a des lieux consacrés pour mettre certains reliques surtout la marmite nocturne. Ces endroits sont : Le plafond de maison, les cuisines indigènes, sous les lits. Une marmite nocturne se met dans un lieu oü l'on peut se réunir aussi bien physiquement et invisiblement. Car il faut avoir les capacités de se dédoubler spirituellement pour se retrouver dans ces lieux pour décider des victimes à proposer.

169 Le python est généralement le plus utilisé car c'est le roi des serpents donc, il est, pour eux, le chef des serpents mystiques.

170 Dans les pratiques sorcellaires le crâne qui a des dents est un crâne funeste qui n'a qu'un seul appétit mangé, tué.

171 Potto de Bosman du nom scientifique Perodictitus potto.

l'individu choisi172. Le serpent c'est celui qui enlasse la proie, qui la capture et fait en sorte que où qu'il soit l'individu est tracé. Généralement mystiquement la marmite nocturne est entourée par le python. Le miroir c'est pour observer et voir tout les mouvements des personnes qui sont choisis pour être préparer mystiquement173 . Le crâne est celui qui possède174 et qui doit manger pour donner ensuite le bonheur à ceux qui font partie de la tontine mystique175. La main d'Ikanda176, est mise pour tenir la personne que l'on a choisi afin qu'elle ne s'échappe pas. La main du gorille à la même fonction que celle de l'Ikanda. En fait si on n'a pas une on prend l'autre, ou bien les deux. La chaîne représente le corps du serpent et ce qui va attacher l'individu mystiquement. Le cadenas sert pour bloquer, attacher toute sorte de projet pour se faire délivrer ou toute sorte de chose qui va à l'encontre des paroles ou des idées de la confrérie177. La plume de perroquet représente la langue du serpent, le venin. C'est lui qui fait vivre la marmite. Sans lui rien ne peut se faire. C'est le coeur de la marmite.»

Nous avons complété ces données par l'entretien d'un autre Bwitiste nommé Papa Maboule178. Et voici le contenu de son exposé.

Enoncé n°7 :

« Tu connais le Pitsia Ngondet ?! C'est le monde de la nuit, le monde du vampire, le pitsia ngondet. Dans ce monde là, petit, tout est possible Mangongo179! Tu vois pour tuer un homme les sorciers ont mis en place de nombreuse techniques. Mais il faut que tu saches que toutes ses techniques ont une seul base : la marmite nocturne. Bon les spécialistes de cette technique se sont les mwiénès et les akèlès. (...) Chaque ethnie à sa spécialité. Les pounou c'est le ditingou (fantôme), les massangos, les simba, les tsogos, les pouvis c'est les makouangous du mwiri. Les Mvoungou c'est le fusil nocturne et les fang c'est les makagha et le kôhng Les mwiénès utilisent le boa tandis que les akèlès utilisent le caïman (ngando). Dans la marmite celui qui avale et envoute la personne c'est le serpent ou le boa. Le boa

172 Généralement les maladies tels que l'hypertension ou l'AVC sont les nouvelles maladies mystiques que les sorciers ont trouvé pour atteindre un individu selon les propos de Papa Aspro. Le sorcier envoi par l'entremise du tibia le fantôme (donc la personne a qui appartenait le tibia ou l'avant bras) pour frapper la personne choisi. Il le frappe généralement derrière la nuque. Voilà pourquoi certaines personnes qui meurent de l'AVC déclarent généralement qu'il ressente comme un coup reçu et une douleur vive a cet endroit précis de la tête.

173 Voilà pourquoi selon Papa Aspro, le sorcier voit tout ce que nous faisons. Il a un espèce d'écran qui est comme une télévision mystique. Et cette télévision dans la réamlité est un miroir. Bon dans une autre dimension, c'est l'eau du cadavre mélangée avec certains organes humains et certaines plantes qu'ils utilisent pour voir chaque mouvement des individus. Ils gardent cette décoction dans une cuvette blanche.

174 C'est généralement le crâne d'un ancien membre de la confrérie sorcellaire qui est sollicité pour être introduit dans la marmite.

175 La tontine mystique est un terme importé par les camerounais pour décrire le fiat que les sacrifices sont rotatifs.

176 L'Ikanda est une bête qui a la faculté d'avoir une saisie ferme sur les objets.

177 Le cadenas en question est représenté selon Aspro par la présence du noeud que l'on fait sur le malade lors de la coupure de corde.

178 Papa Maboule, masculin, niveau d'étude primaire, Bwitiste, sans, Massango

179 Expression des initiés du mwiri. Pour assermenter les propos. Il frappe avec vigueur sur ses scarifications aux bras gauche.

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paralyse la personne alors que le caïman le fait pourrir ou gonfler. Pour atteindre la personne on utilise son corps. Ces cheveux, ses ongles, sa photo, ses bijoux, ses habits, ses slips, ses empruntes, son ombre, le placenta, les ombrils, les serviettes hygiéniques, le prépuce, les cahiers, les bics. A partir de ça mon petit, il tamise et tripote180 les articles181et la personne et dedans (rire) !Mais tout cela c'est le mbumba. Car nous quand on consulte on voit le serpent. Le serpent n'est jamais seul il est toujours accompagné du fantôme ( tibia, avant-bras et le crane). L'autre nom du Mbumba c'est la marmite nocturne. C'est le serpent qui chasse et qui tue ! Tu as compris (rire) ! (...) Bon quand la personne est atteinte par le serpent de la marmite nocturne, elle maigri, jusqu'à avoir la peau sur les os. Le serpent lui suce le sang. Elle s'étouffe très souvent, des vertiges, des diarhées, des boutons qui sortent sur le corps. Elle n'arrive plus à marcher. Elle voit les fantômes, les revenants (la personne dont le crâne est dans la marmite). C'est comme le Sida. C'est un Sida du Pitsia ngondet. Le monde de la nuit, tout est possible, Le noir est fort Mangongo !!! »

C'est long propos nous renseigne sur de nombreux points. Le premier nous renseigne sur la composition du Mbumba. Tandis que le second nous donne plus ou moins une idée sur le rapport entre le Mbumba, le serpent mystique est le Sida. Au préalable, il est utile de présenter déjà différents symptômes que décrit Julie BONHOMME dans le cas du Mbumba. « Fatigue, perte d'appétit, maux de reins, sensation d'étouffement, palpitations, tension, grossesses difficiles ou faiblesse sexuelle, sont les symptômes manifestes du nungu (chez les mitsogo) ou Mbumba (dans le groupe mèryè)182 ». Mais ce qui suit est tout aussi une description utile car il nous donne une autre signification du Mbumba. « Serpent invisible associé à l'arc-en-ciel qui étouffe et avale progressivement sa victime tout en lui suçant le sang jusqu'à la mort. Ce serpent constricteur, souvent désigné par le terme figure de « corde », est l'allié invisible d'un sorcier qui s'empare par son intermédiaire de la force vitale de sa victime (...). Cette thématique sorcellaire du ligotage et de l'étouffement constitue une métaphore pertinente pour ces nombreux patients qui se sentent perpétuellement entravés et enfermés dans une vie malheureuse183». Donc le Mbumba est aussi un arc-en-ciel, un serpent, une marmite nocturne. Ce qui veut dire comme il le précise que c'est ici différentes expressions sont considérées comme différentes formes d'infortune. Nous ne sommes pas loin de ce que Luc de HEUSCH a décrit. « Mbumba est donc en cause dans tout les cas d'infortune oü la prospérité est menacée184».

Nous retenons essentiellement que le Sida est une infortune. En cela, « ce que nous appelons « maladie » n'a d'existence que par rapport au patient et à sa culture185». Le Sida se conçoit comme une attaque en sorcellerie. Et la proximité des symptômes du Sida et ce du

180 Il passe a l'expérience

181 C'est tout ce qui est en rapport avec la marmite nocturne, c'est-à-dire crâne, tibia, serpent, etc.

182 Julien BONHOMME, Le miroir et le crâne. Parcours initiatique au Bwete missoko (Gabon), Paris , CNRS, 2006, p 98.

183 Julien BONHOMME, Op cit, p 99.

184 Luc de HEUSCH, «Considérations sur le symbolisme des religions bantoues », L'homme, Paris, EHESS, n°184, 2007, P 180.

185 Jacques RUFFIE et Jean-Charles SOURNIA, Les épidémies dans l'histoire de l'homme. De la peste au Sida, Paris, Flammarion, 1995, P 15.

Mbumba met la comparaison entre une maladie étiologique biomédicale (Sida) et des maladies coptées par les représentations indigènes imaginaires. Le Mbumba est une forme de « virus traditionnel » qui donne plusieurs maladies dont le Sida est l'une des dernières formes la plus récente. Il y a une appropriation du Sida biomédical par la médecine ésotérique indigène. Nous retenons également que le Sida Mbumba se transmet mystiquement par la puissance des objets mortifères qui se retrouvent dans la marmite nocturne ou l'arc-en-ciel. Le Pitsia ngondet est ce lieu hétérotopique où tout est possible même contracter le virus du Sida. Le Mbumba est un serpent du Pitsia ngondet qui est là pour tuer par des maladies biomédicales. La transmission du Sida est coptée et travestie dans l'imaginaire par la morsure du serpent, du Mbumba ou de l'arc-en-ciel. Et en cela le venin du Mbumba peut être assimilé au virus du Sida du point de vue symbolique.

SECTION 2 : , le Nzatsi, le Kôhng

A l'instar du Mwiri, du Mbumba Iyanô et du Mbumba, la section que nous introduisons est au fait des questions de la relation entre une maladie biomédicale (le Sida) et les représentations sociales de la médecine ésotérique indigène. Ces représentations ne sont que des métaphores qui décrivent, en même temps, des pratiques initiatiques et/ou sorcellaires et la maladie du Sida. Nous ouvrons cette section afin de présenter comment les pratiques de la médecine ésotérique indigène se représentent une maladie biomédicale. La maladie est un fait social et culturel.

1) Le Nzatsi ou le fusil nocturne

Le Nzatsi est une expression vernaculaire de l'ethnie Pouvé. Lors de notre enquête nous avons discuté avec un bwitiste qui se nomme M Nicolas186. Il nous a dit que le Nzatsi peut donner le Sida ou pour être plus précis, que le Sida est une forme de Nzatsi. Voici l'extrait d'une partie de ces propos :

Enoncé n°9 :

« Est-ce que tu sais que par le nzatsi une personne peut avoir le Sida ? Le fusil nocturne peut donner le Sida. Quand la personne qui tape le nzatsi tamise les articles, les supports qu'il utilise peuvent donner le Sida. Parmi les articles du fusil nocturne il y a des éléments du corps de l'homme qu'il faut mettre. Bon généralement on prend le tibia,ou l'avant bras pour que sa touche l'avant bras, le tibia ou le pied de la personne à qui on veut damer ça. Bon maintenant si l'os qu'on utilise appartenait à quelqu'un qui avait la maladie, il peut attraper çà. L'autre chose c'est que lorsque on tape le nzatsi, il y a plusieurs sortes de nzatsi : y a le nzatsi simple qu'on nomme le 25, il y a celui qu'on appelle le 220 volts et y a celui qu'on appelle le 10 000 volts ou la foudre. Bon y a celui qu'on appelle « debout, assis,

186 M. Nicolas, masculin, niveau d'étude secondaire, bwitiste, élève, Pounou.

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couché » c'est-à-dire que tu passe 5 à 10 minutes debout, 5 à 10 minutes assis et 5 à 10 minutes couché. Y en a beaucoup, je ne peux pas tout te citer. Mais les spécialistes de ce domaine se sont les Mvoungou. Eux ils ne jouent pas avec ça. Quand quelqu'un te dit qu'il est Mvoungou faut te méfier ils sont dangereux. Bon, quand je dis que le Sida c'est le nzatsi c'est parce que il y a des fusils nocturnes simples. C'est-à dire ce qui sont frappés simplement sans des tournures pour compliquer celui qui va traiter le malade. Il y a le fusil nocturne qu'on te frappe avec le fantôme et celui qu'on frappe avec le fantôme et le serpent (mbumba). C'est celui là qui donne le Sida. Car non seulement le pied ou le bras va pourrir, mais il aura le corps qui va maigrir ou s'enfler, la peau qui va pourrir, l'apparition de boutons, la paralysie les vomissements, les diarrhées, les fièvres. Quand le poison du nzatsi arrive au niveau du coeur c'est la mort. Les gens disent que c'est le diabète qui fait en sorte qu'on coupe le pied à quelqu'un alors que c'est Nzatsi. C'est comme quand quelqu'un est malade du Sida et qu'il a une blessure au pied, il faut vérifier : c'est le fusil nocturne. »

Une description plus adapté pour décrire le nzatsi nous a été proposé par Julien BONHOMME. « Le fusil nocturne (bota-a-pitsi, littéralement « fusil nocturne ») est un mal physique bien localisé : il se manifeste par une intense douleur qui commence dans le pied, remonte dans la jambe et peut aller jusqu'à la nécrose et la paralysie. Cette affliction est la conséquence d'un coup de fusil invisible tiré par un sorcier, ou bien d'un piège de chasse invisible que la victime a déclenché à son insu. Les ngangas disent d'ailleurs souvent trouver dans les plaies cheveux, ongles ou tessons, preuve du caractère sorcellaire du mal187». Une autre définition peut-être retenu. « On appelle fusil nocturne une arme mystique, donc « invisible », dont les effets se manifestent par une affection soudaine et une mort brutale de la victime dans des circonstances inexpliquées. Au Gabon, le fusil nocturne est fait d'un os de tibia humain peint d'un côté en rouge et de l'autre en blanc. Selon l'usage que l'on veut en faire, il sert comme arme offensive ou défensive188.» Mais une contextualisation du fusil nocturne a été proposé par joseph TONDA. Pour lui, « le fusil nocturne, qui se dit tel quel en français au Gabon, est la réponse à l'énigme humaine de la violence de la traite et par la suite, de la colonisation et de l'ère postcoloniale. Le fusil nocturne dit l'inhumanité de la civilisation, sa part trop nocturne, justement, celle-là qui a fait que des hommes jeunes, forts, vigoureux aient été nuitamment enlevés par des inconnus, ou pistés, rattrapés, fusillés pour l'exemple, parce qu'ils étaient fondamentalement rétifs à la nuit qui tombait sur leur vie et que le bruit de tonnerre du fusil de traite accomplissait. Plus tard, les vaincus de ces fusils, leur fils ou arrières petit-fils ont actualisé le vocabulaire de la violence nocturne des fusils : les missiles, les avions, les camions nocturnes sont venus enrichir ce monde des ténèbres né de la rencontre et qui appartient à l'univers des sorciers189».

La présente métaphore du nzatsi est une introduction au registre de la chasse. « Dans ce sens, le champ des médecines hors secteur biomédical apparaît comme un champ dominé

187 Julien BONHOMME, Le miroir et le crâne. Parcours initiatique au Bwete missoko (Gabon), Paris , CNRS, 2006, p 100.

188 Joseph TONDA, La guérison divine en Afrique centrale (Congo, Gabon), Paris, Karthala, 2002, p 36.

189 Joseph TONDA, « mots-objets, mots-sujets, mots-esprits », Les mots passants, Paris, Riveneuve éditions, 2009, p 139.

par la violence de l'imaginaire, qui est toujours une violence matérielle, physique. Un champ où des histoires de vie racontent des expériences de corps ravagés, en permanence, par le conflit, par la guerre contre laquelle on se blinde pour renvoyer le missile à qui vous l'a envoyé à votre insu, pour renvoyer le cpt à qui vous l'a envoyé190». A des fins purement mystiques et sorcellaires, le fusil nocturne devient le fusil pour donner le Sida. Le sida devient le piège, le filet, le guet-apens lancé par un fusil nocturne afin de tuer à des fins cannibales mystiques. A chaque fois, le rapport à la maladie du Sida et aux métaphores, dans la médecine ésotérique indigène, est conditionné par la présence de la sorcellerie.

2) Le Kôhng

Le kôhng est une pratique sorcellaire propre à la région du Nord du Gabon. C'est une technique de sorcellerie qui a migré des pays frontaliers à cette région notamment le Cameroun et la Guinée équatoriale. A la différence des autres métaphores, nous n'avons pas eu d'enquêté qui nous ont parlé du Kôhng. Mais nous avons eu la possibilité de lire le mémoire de maîtrise de Max Alexandre NGOUA191 qui traite largement de ce thème. Et c'est à la lecture de ce mémoire que nous avons trouvé une similitude entre le Kôhng et la métaphore du Sida.

Le Kôhng est une boîte ou un petit cercueil dans lequel il y a des miroirs sur les quatre côté et dans laquelle on retrouve des mains de gorille, des morceaux de chair (humaine), des morceaux de crâne, une chaîne, des stylos et généralement une liste des personnes à atteindre mystiquement192. Ce qui est intéressant c'est que sur cette liste à côté des noms il y a la manière dont les personnes citées doivent mourir. Et c'est ici que nous avons trouvé matière a réflexion. Il est mentionné la notion de Sida. Ce qui revient à dire que le Kong peut donner mystiquement le Sida. Joseph TONDA193 décrit que dans le journal194 « c'est la réalité plus que tangible de deux Kôhng et de leurs fonctions : le kôhng reliquaire et le kôhng nylon. Ce dernier, par exemple, est destiné « uniquement à faire du mal sans apporter un quelconque profit particulier à son utilisateur ». Et les « détenteurs de ce type de sorcellerie peuvent mystiquement prendre le sang d'un séropositif pour l'inoculer à un homme sain, dans le dessein de nuire à ce dernier.195» Donc dans l'imaginaire sorcellaire Gabonais, le Kong peut

190 Joseph TONDA, « La santé en Afrique ou l'esprit contre le corps », l'Homme et la maladie, Libreville, Editions Raponda Walker, coll « palabres actuelles », n°2-Vol A, 2008, P 76.

191 Max Alexandre NGOUA, La sorcellerie du Kong à Bitam : une manifestation symbolique de l'économie capitaliste, Libreville, Mémoire de maîtrise, UOB, Faculté de Lettres et sciences Humaines, département de sociologie, septembre 2004.

192 Nous tenons cette informations du journal télévisé de la RTG 1 produit le lundi 24 octobre 2008 à 13heures 27 minutes

193 Joseph TONDA, « Limites du social et déficits d'institutionnalisation du culturel en Afrique : le spectre du social et les esprits du culturel », Etre en société. Le lien social a l'épreuve des cultures. Sous la dir. André PETITAT, Laval, Les Presses de l'Université Laval, 2010, p 124

194 L'Union Plus du mardi 11 novembre 2008,p1O, et l'Union du Lundi 3 novembre 2008.

195 Joseph TONDA, « Limites du social et déficits d'institutionnalisation en Afrique... », Op cit, p 124.

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donner le Sida à un individu sain. NGOUA nous donne la méthode par laquelle on livre une personne au Kong. « Le candidat au Kong, prélèvera auprès de son parent sa « saleté » (vétement, mèche de cheveux, ongles... etc) ou sa photo. A défaut de sa photo, il écrira le nom de son parent sur une liste. Puis ces éléments seront introduits dans la boîte.196»

Nous constatons une grande similitude entre le Mbumba, la marmite nocturne, l'arcen-ciel avec le Kong. En effet, les techniques utilisées sont les mêmes. A savoir, les objets du prélèvement du corps de la personne à envouter ou à tuer. Ce qui est à retenir c'est que la boîte, la marmite ou le petit cercueil sont tous des endroits spectrale, des tombes réceptacles de la mort et manifestations du pouvoir mortifère de l'économie capitaliste. En ce sens , le Sida dans les représentations indigènes est un Sida assurément sorcier. Car le mal et la mort que donne le Sida ne peuvent être comparés qu'à un équivalent de cette puissance mortifère au Gabon ; c'est-à-dire le Mbumba, le fusil nocturne, l'arc-en-ciel, le Kong ou la marmite nocturne qui ne sont que les objets de rituels par lequel le sorcier donne la mort.

196 Propos recueillies par Max Alexandre NGOUA, La sorcellerie du Kong à Bitam : une manifestation symbolique de l'économie capitaliste, Libreville, Mémoire de maîtrise, UOB, Faculté de Lettres et sciences Humaines, département de sociologie, septembre 2004, p90.

Chapitre II : Les représentations du Sida dans l'espace populaire à
Libreville

Pour collecter les données de cette enquête il nous a fallu tendre l'oreille vers les ragots, le « kongossa ». Nous n'imaginions aucunement être troublé par des métaphores. Nous avons été heurté par l'ignorance des protagonistes qui produisent ces métaphores. Mieux encore, nous avons été perturbé par la violence de l'imaginaire qui gravitent autour de ces discours. La particularité des espaces hétérotopiques dans lesquels nous avons collecté nos donnés c'est qu'ils sont des lieux de passage quelques fois « obligatoire ». En effet, nous allons tous au marché, dans les bars, les files d'attentes, ou nous prenons les transports en commun. Les métaphores que nous allons décrire ont été rencontrées dans ces lieux populaires. Dans ces lieux nous n'avons pas rencontré des personnes qui prenaient pour recours, pour expliquer le Sida, la sorcellerie. Du moins à ce moment précis ils n'ont pas posé le problème sous le terme de sorcellerie. C'est plutôt sous des formes ironiques et très souvent euphémisées que les personnes décrivent la maladie du Sida. Certaines de ces formes ironiques et tragiques ont été utilisées dans des bandes dessinées197.

Quand les locuteurs autorisés métaphorisent, c'est dans le désire de ne pas citer la maladie. Comme si en la prononçant cela suffit pour être contaminé. On pourrait penser qu'il s'agit aussi de faire preuve de discrétion car en utilisant ces métaphores elles restent du domaine des « initiés ». Elles exclues, de fait, toutes les personnes non autorisées, les profanes. Les personnes qui ne comprennent pas le déchiffrage des métaphores représentent les personnes non autorisées. Mais rare sont les individus qui ignore la signification de Sidonie, syndrome inventé pour décourager les amoureux, maladie du siècle, la grande maladie ou les quatre lettres. S'il en existe encore, à travers cette section, ils y trouveront leur initiation.

SECTION 1 : Le Mbolou, Sidonie et le syndrome inventé pour décourager les amoureux :
les heures difficiles de la prévention à Libreville

La maladie du Sida, comme bien d'autres, est pensée et représentée par analogie à quelque chose. Le Sida c'est être porteur de Sidonie ou d'être atteint par le syndrome inventé pour décourager les amoureux. La production des métaphores de la maladie par les espaces hétérotopiques doit, pour être comprise, être située dans un contexte historique. L'histoire d'une pandémie est un instituant méthodologique pour révéler et comprendre les rapports de la maladie à la société. Il ne faut donc pas, balayer d'un revers toutes les frénésies théoriques de l'aube de la maladie du Sida en Afrique centrale, et au Gabon, dans la fin des années 1980. Bien plus qu'on ne le pense, ces dispersions à savoir Sidonie ou le syndrome inventé pour décourager les amoureux, les quatre lettres, la grande maladie ou maladie du siècle, le

197 Fargas, Yannick NDOMBI, ou le choix de vivre, Libreville, PNLS, 1991 ou Yannick DOMBI, terreur à Lambaréné, Libreville, PNLS, 2010.

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mbolou, se révèlent plus précises, et probablement on peut y trouver de l'actuelité, pour comprendre les métaphores du Sida au Gabon. Notre intuition est donc de chercher à comprendre la production populaire des métaphores du Sida. Nous regardons dans la direction du kongossa pour interroger la raison de ces métaphores sur la maladie.

1) Le Mbolou

Le Mbolou contrairement à tout ce que nous avons vu est une maladie des tubercules. Nous avons pris l'habitude d'avoir des entretiens qui tournent autour de la sorcellerie. Mais cette fois il s'agit de la description de la maladie des tubercules de manioc. Nous sommes arrivés à la découverte de cette maladie dans un débat avec un étudiant Kota dénommé M Serge198.

Enoncé n°8 :

« Mbolou est une expression kota qui représente la maladie des tubercules de manioc. En fait dans le tubercule donne l'impression de bonne qualité à première vue. Seulement, lorsqu'on le touche il s'écrase et s'aplatie. De plus il y a comme une forme de liquide noir qui en sort. De la pourriture en liquide noire qui sort de ce tubercule. Et nos parents au village l'identifient au Sida car comme le malade du Sida, le corps de la personne donne l'impression d'être en bonne santé alors qu'à l'intérieur il n'y a que de la pourriture, le virus Sida. »

A la différence des précédentes représentations de la médecine ésotérique indigène présentées plus haut, le Mbolou ne fait appel à aucune représentation qui s'appuie sur le mysticisme ou la sorcellerie. Si nous fions au donné de terrain, le Mbolou est une simple description de la maladie des tubercules de manioc. Il n'y a pas utilisation de métaphores mystiques, dérivant de techniques et méthodes sorcellaires. Nous nous retrouvons dans une comparaison étiologique. Nous comparons le Sida à une maladie de tubercule. C'est deux maladies qui sont comparées.

Le corps du tubercule malade est comparé au corps du malade du Sida. Il s'agit de faire la liaison entre la pourriture de la maladie du tubercule et la pourriture du virus du Sida. Le corps est le lieu de la comparaison, l'espace de la guerre oü siège la pathologie du « tubercule » et du Sida. Nous ne sommes pas dans un rapport d'esprit contre le corps que décrit Joseph TONDA199. C'est-à-dire « une guerre qui, contrairement à ce qu'on pourrait croire, coalise contre les corps les dispositifs épistémologiques scientifiques et les forces non scientifiques, figures de l'imaginaire200». C'est donc des métaphores de « corps à corps » dont nous parlons dans la description du Mbolou. Le Mbolou est une maladie qui est ostensible. Elle ne convoque aucun référent de l'esprit non scientifique. Nous sommes dans le cas

198 M Serge, masculin, niveau d'étude supérieur, chrétien, étudiant, Kota

199 Joseph TONDA, « La santé en Afrique ou l'esprit contre le corps », l'Homme et la maladie, Libreville, Editions Raponda Walker, coll « palabres actuelles », n°2-Vol A, 2008, P68.

200 Joseph TONDA, Ibid, p 68.

spécifique que nous décrit Susan SONTAG lorsqu'elle parle de la maladie comme métaphore201. Elle pense que « dans un premier temps, les terreurs les plus profondément enfouies (corruption, pourriture, pollution, anomie, débilité) sont identifiées à la maladie. Celle-ci devient alors métaphore. Puis au nom de cette maladie (...), l'horreur est à son tour greffée sur des éléments étrangers. La maladie devient adjectif. On l'emploiera comme épithète pour parler de quelque chose de répugnant ou de laid202». C'est dans ce cas nous prenons le Mbolou comme une description identique à ceux que vient de nous présenter SONTAG. La maladie des tubercules de manioc est prise comme métaphore de la maladie du Sida.

2) Sidonie et les débuts du PNLS dans les années 1990

Les métaphores du Sida viennent au jour dès qu'on officialise l'arrivée d'une nouvelle maladie dite incurable : le Sida. Comme on peut s'en douter, le propos qui suivra va caricaturer une métaphore, une personnification, c'est-à-dire une analogie d'un mal au nom d'une personne Sidonie. Dans les débuts des années 1990, le Programme National de Lutte contre le Sida va mettre en place des campagnes de sensibilisation contre la maladie du Sida. Ces campagnes ont pour propre de présenter les modes de contamination de la maladie mais aussi, et surtout, par des témoignages de personnes vivants avec le virus du Sida. C'est ainsi que dans le début des années 1990, le PNLS procéda à cette campagne, notamment, par le témoignage d'une dénommée Sidonie SIAKA. Le récit de vie de Sidonie passait en boucle sur les ondes aussi bien de radio que de télévision. Voici ce que nous révéla Hugues203 à ce sujet.

Enoncé n°14 :

« Cette affaire de Sidonie a été une expérience difficile pour le PNLS. Tu sais on ne pensait pas que les gens ferait une telle récupération. D'abord, la pauvre Sidonie, à été stigmatisée. Elle a été reniée par ses parents et certains de ses amis. Elle a perdu son travail. Mais bien plus encore, les gens la regardaient avec une telle horreur qu'elle pensait que rien que son regard pouvait donner le Sida. Là où les agents de l'ancien service du marketing pensaient créer une conscientisation ils ont créé une stigmatisation des personnes vivants avec le Sida et Sidonie était la première à en payer les frais. Il y a eu une récupération de cette campagne pour dénigrer les porteurs du VIH Sida. Même les enfants à la route avaient pris la fameuse expression : il souffre de Sidonie. Vous avez lu sûrement MBAZOO KASSA Chantal dans Sidonie. Et bien ce n'est pas seulement un roman ou une description de comment ce jeune cadre a attrapé le Sida, c'est une stigmatisation. C'est d'une certaine

201 Susan SONTAG, La maladie et ses métaphores, le sida et ses métaphores, Paris, Christian Bourgeois éditeur, coll « titre 101 », 1993.

202 Susan SONTAG, Op cit, P80.

203 M. Hugues, masculin, niveau d'étude supérieur, chrétien, infirmier, massango

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manière nos premières erreurs ou plutôt les premiers pas difficiles de la prévention que nous cherchons très rapidement à oublier. Aujourd'hui, quelques vingt années plus tard, je souris quand tu me rappelle cette histoire de Sidonie. Mais je t'assure il n'y avait rein de risible quand je repense à ces moments où les porteurs du virus venaient en larmes raconter au psychologue ce qu'on leur faisait vivre dans les familles ; les injures publics, les humiliations, les lynchages... Petit il n'y avait rien de marrant. On pensait qu'en montrant des témoignages les gens comprendraient, mais le noir est terrible ! Bien au contraire les taux augmentaient chaque trimestre et on ne pouvait rien faire. Les gens au lieu de se marrer devaient être plus responsables. C'est pas que nous avons résolu tout à fait ce problème de représentations. Mais, Sidonie, c'est quelque chose à oublier. C'est des moments noirs de la prévention au Gabon. Je t'assure, tu n'imagines pas combien de personnes ont souffert à cause de cette expression de Sidonie. J'ai tellement de souvenirs, d'anecdotes (soupir)... N'en parlons plus ! »

La métaphore de Sidonie prêtée au Sida est une des nombreuses métaphores que l'on assigne à la maladie. Les années fin des années 1980 et début des années 1990, sont au regard du propos précédent, des moments difficiles de la prévention contre le Sida au Gabon. En fait, les messages de prévention ne sont pas accueillis comme cela se doit. « C'est exactement ce à quoi travaillent les concepteurs des messages de prévention diffusés par les acteurs de santé publique occidentaux. A partir de ce qu'ils identifient comme les causes sociales du phénomène jugé indésirable, ils vont rechercher des prises symboliques dans les représentations qui sous-tendent les pratiques à risque, pour tenter d'en renverser la valence et, ce faisant, promouvoir un style de vie plus sain204.» Les messages de prévention, plus particulièrement celui de Sidonie, n'ont pas reçu les échos favorables que les concepteurs de ce programme ont souhaité. La récupération de Sidonie peut être considérée comme des effets pervers des campagnes de prévention. La situation émotionnelle décrite par Hugues au sujet de Sidonie est probablement ce que pense Susan SONTAG quand elle dit que « de même que la maladie est le plus grand malheur, de même le plus grand malheur de la maladie est la solitude ; lorsque l'infection de la maladie dissuade de venir ceux qui devraient être au chevet du malade ; jusqu'au médecin se fait rare (...) le patient devient un hors-la-loi, un excommunié.205 » En réalité, lorsque l'on est étiqueté par le terme « péjoratif » (car en réalité le terme Sidonie n'est aucunement pris dans un sens positif, car lorsqu'on voit Sidonie on fait référence au mal qui tue, à une maladie dénigrante qu'elle porte) de Sidonie, l'effet à pour impact d'être qualifié d'hors- la loi. Et, de fait, nous sommes plus ou moins réfractaire à ce que dit LAPLANTINE quand il énonce que la maladie « n'engage pas vraiment le sujet dans son intégralité, et encore moins le sujet dans son rapport au groupe, mais seulement son corps, ou le plus souvent même une partie de son corps. 206» Dans les sociétés de l'obscurité imaginaire, la maladie, et plus particulièrement la maladie du Sida, est un engagement total du

204 Luc BERLIVET, « Une biopolitique de l'éducation pour la santé. La fabrique des campagnes de prévention », Le gouvernement des corps, Paris, EHESS, 2004, p 45.

205 Susan SONTAG, la maladie comme métaphore, le sida et ses métaphores, Paris, Christian Bourgois éditeur, 1993, p 157.

206 François LAPLANTINE, Anthropologie de la maladie, Paris, Editions Payot, 1992, p 280.

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corps et même un engagement d'un « sur-corps » qui n'est autre que les représentations sociales donc la société.

Dans le début des années 1990, le terme de Sidonie pour décrire la maladie est un terme qui, vraisemblablement, est récupéré par la population pour décrire la maladie. En fait, lorsque le PNLS pense se servir d'une personne vivant avec le Sida (en l'occurrence Sidonie SIAKA) pour que les acteurs sexuels prennent conscience des dangers de la maladie du Sida, il ne s'est pas rendu compte de la puissance de récupération et de la force ironiquement néfaste des productions imaginaires de la société gabonaise. En ce sens que, premièrement, la prévention est une donnée propre aux pays développés, c'est-à-dire des pays oü l'évolution de la biomédecine a déjà achevée la« rupture " entre les préjugées et les faits biomédicaux. Deuxièmement, le PNLS n'a pas effectué cet effort de contextualisation qui consiste à se demander si les méthodes occidentales en matière de prévention sont aussi applicables aux terrains de l'Afrique centrale. Car s'il avait fait cet effort, il se serait rendu compte que le gabonais, croyant à la puissance des génies de la terre bénie des dieux, ne croyait pas que le Sida existait et que ceux que cette maladie affectaient, étaient tout simplement des impies, des fornicateurs, des sorciers qui n'avaient que ceux qu'ils méritaient.

Sidonie est donc un prénom féminin qui a été attribué au Sida pour la proximité syllabique des trois premières lettres. Ensuite, l'on constate une allitération en «Sid " qui renvoie dans le vocabulaire à l'acide qui est un produit corrosif toxique dangereux. Mais aussi, en l'allusion au sexe féminin introduit la notion que le Sida est une `'maladie des femmes» transmises par les femmes aux hommes car la femme c'est le diable. Elle est le symbole de la déchéance et de la trahison du monde depuis le jardin d'Eden. Le Sida, à ce titre, serait une fois encore comparable au poison de la pomme de l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Le PNLS aurait fait ce rapprochement, certes pas évident, entre la violence du symbole en la personne de Sidonie SIAKA et la violence de l'imaginaire entre autre la métaphore du Sida Sidonie. Certes l'évènement ne pouvait être prévu, mais les coûts émotionnels seraient amoindris.

Si cette métaphore de Sidonie semble désuète et obsolète aujourd'hui, c'est pour la raison selon laquelle le Sida a éprouvé les dieux de la terre bénite. La maladie du Sida a fait ses preuves biomédicales au détriment de nombreux morts. Certes, il est prétentieux de dire que la rupture biomédicale est accomplie au sujet du Sida au Gabon. Car le propre des sociétés postcoloniales est d'être récluses et concaténées dans des pratiques sociales qui ne sont, ni plus ni moins, qu'une forme traditionnelle d'une revendication identitaire, une nuit idéologique. C'est cette identité, cette obscurité imaginaire qui est en lutte avec la biomédecine. Car la prévention symboliquement est une notion étrangère tout comme la médecine en est une. Sidonie qui est une personnification du Sida n'est rien d'autre qu'un archétype de la puissance de la violence de l'imaginaire dans les sociétés postcoloniales. C'est aussi un stéréotype de la pensée des sociétés de l'Afrique centrale au sujet de la maladie. Dans la société postcoloniale du Gabon, la maladie devient le lieu de rencontre où se confronte toutes les structures de causalités du Souverain moderne. La maladie est cet « espace hétérotopique » oü s'enchevêtre et se concatène les différentes pratiques sociales, qui sous

autres formes sont des schèmes aigües des représentations identitaires. L'espace dans lequel sévit le Sida est un lieu de crise identitaire, une grande nuit, un espace de mort, de mort symbolique et imaginaire. Lorsque nous parlons de représentation identitaire, nous mettons en scène cette particularité des familles de rechercher dans une maladie biomédicale, une autre cause que celle de l'étiologie. Le regard inquisiteur, dans le cas de la maladie du Sida, se tournent vers un bouc-émissaire. C'est la quête d'une identité de la maladie qui est toujours référé à l'autre. Sidonie SIAKA est cet autre qui s'est livré à la grande inquisition du sens commun.

3) Le syndrome inventé pour décourager les amoureux : le Sida dans les années1990

Le syndrome inventé pour décourager les amoureux est une métaphore de la maladie du Sida qui est née dans le début des années 1990. Cette figure de style est un euphémisme aussi bien qu'une ironie. Nous avons trouvé cette représentation dans une bande dessinée intitulée Yannick Ndombi ou le choix de vivre 207 . Dans cette bande dessinée, l'auteur présente les différentes représentations qui sont attribuées au Sida dans le début des années 1990. Cette période est propre au moment ou l'itinéraire du Sida est à son stade exponentiel. C'est la période oü le Sida est entrain de prendre de l'autorité dans les consciences collectives et individuelles comme agent mortifère. C'est la période oü « chaque époque, chaque société est littéralement hantée par un certain type de maladie (...) et développe une certaine conception de l'étiologie208». Curieusement, les débuts de la prévention du Sida au Gabon sont des moments difficiles, qui ne sont rendu complexe que par la seule puissance des corollaires des représentations sociales que nous identifions dans ce propos, entre autre, comme les métaphores du Sida.

La prévention du Sida au Gabon s'est heurtée à cette grande nuit dans laquelle sommeille toutes les sociétés postcoloniales. Une nuit idéologique. Un sommeil qui s'effectue par la violence de l'imaginaire et du symbole. Dans le cas spécifique de la maladie du sida, les métaphores, et d'une certaine manière toutes les représentations sociales, sont cette grande nuit idéologique dans laquelle la maladie biomédicale est plongée au Gabon. Alors, le syndrome inventé pour décourager les amoureux, un euphémisme patent et notoire, est une ombre qui vise à dissimuler non plus seulement l'ignorance mais surtout la peur. Car, lorsque les génies de la « terre bénite » ont abandonné leurs enfants, la peur s'empare des consciences individuelles jusqu'à créer des fictions qui ont pour intention de rassurer par la force de l'euphémisme qui n'est autre qu'une violence de l'imaginaire. Plus simplement, l'expression syndrome inventé pour décourager les amoureux est un euphémisme qui vise à atténuer la peur que les populations ont vis-à-vis de la maladie du Sida. En ce sens que, l'Etat (et la biomédecine) n'a trouvé aucun remède contre le Sida et que le seul moyen qu'il préconise c'est des recommandations par le moyen de la prévention.

207 FARGAS, Yannick NDOMBI, ou le choix de vivre, Libreville, PNLS, 1991.

208 Francois LAPLANTINE, Anthropologie de la maladie, Paris, Editions Payot, 1992, p 117.

Dans la société de la grande nuit, où les espaces hétérotopiques sont les pourvoyeurs magistraux des représentations sociales de la maladie du Sida, le syndrome inventé pour décourager les amoureux est une expression qui vient illustrer le fait selon lequel la maladie « appréhendée comme hasard ou comme nécessité, comme innée ou accidentelle, (...) est toujours extérieure à l'individu lui-même.209" Le Sida est une devenu une ombre de la grande nuit. Cependant, cette maladie est biomédicalement réelle, donc est une maladie du « jour ", de la réalité. Dès que le sens est corrompu par les mots, les représentations sociales c'est-àdire les métaphores, la nuit s'installe et pervertie les faits réels en faits irréels ; des faits de la grande nuit dans lesquelles la peur créer ces ombres du spectre qui ne sont que les métaphores de la maladie du Sida.

Lorsque nous diligentons les figures de styles de la maladie vers l'analogie, vers la métaphore, l'euphémisation de la maladie du Sida, il va se créer des mots ou expressions qui peuvent se décrire sous les termes, maladie du siècle, la grande maladie ou les quatre lettres. En ces termes nous pensons que, « la pratique médicale était étroitement lié à la culture et à l'époque dans laquelle elle s'inscrivait, [et] n'arrive jamais à s'affranchir soit de la superstition religieuse, soit de la superstition philosophique [ et populaire]210."

4) La maladie du siècle et la grande maladie

Lorsque nous présentons le Sida comme maladie du siècle ou représentations sociales, c'est bien sûr en première intention en référence aux grandes maladies qui ont parcouru les époques des sociétés. Nous prenons référence sur « la lèpre médiévale, la syphilis de la renaissance ou la tuberculose du début de la civilisation des machines211." Ainsi énoncé, « le Sida est la Peste du 20ème siècle212". Elle est la maladie du siècle, la grande maladie qui sévit sur notre ère de la postcolonie. C'est la maladie qui défraie les chroniques depuis plus de 20ans, qui mobilise toute la communauté scientifique et politique. C'est la maladie à « la mode ». C'est la maladie qui crée des revenus énorme pour les organismes internationaux aussi bien que pour les firmes pharmaceutiques213. C'est la maladie de la peur, de toutes les attentions, l'ennemi mondial214, la maladie du siècle, la grande maladie.

En seconde intention, la maladie du siècle et la grande maladie est une donnée recueillie in-situ. Nous étions debout (inconfortablement) dans un transport en commun (SOGATRA) et la circulation avait été arrêtée, durant une demie heure, pour laisser passer le cortège présidentiel. Nous avons reconnu le véhicule présidentiel, mais aussi le véhicule du ministre

209 François LAPLANTINE, Anthropologie de la maladie, Paris, Editions Payot, 1992, p 280.

210 François LAPLANTINE, Op cit, p 116.

211 Mirko D . GRMEK, Histoire du Sida, Paris , Payot et Rivages, 1995, p 21.

212 Maroun TARABAY, Les stigmates de la maladie. Représentations sociales de l'épidémie du Sida, Paris, Editions Payot Lausanne, coll « Hic et Nunc », 2000, p 53.

213 Lire à ce sujet Yannick ALEKA ILOUGOU, Le marché symbolique du préservatif et du Sida à Libreville, Libreville, FLSH, Département de sociologie, mémoire de maîtrise, 2010.

214 Maroun TARABAY, Op cit, p 54.

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des sports René NDEMEZO OBIANG. Les dames et certains hommes, visiblement impatients et énervés suite à la chaleur caniculaire, se mirent à discuter en traitant les personnalités qui passaient de « GAGUI215» et de personnes ayant la maladie du Siècle et la grande maladie216. Ainsi prononcé et contextualisé, le terme de maladie du siècle est proche d'une injure. Tout corps portant le virus est un corps injurieux à l'ordre social. Car être malade du sida c'est porter un germe nuisible, un germe de la déchéance et des péchés sexuelles de la perversion. Le sida est une maladie de la perversion et, de fait, quiconque est porteur de ce virus est immédiatement taxé, étiqueté, stigmatisé et marginalisé. Être malade du Sida est une forme d'injure, et la maladie du siècle est cette injure dans ce cas précis, Nous sommes ici dans une forme avérée de stigmatisation-marginalisation des personnes vivants avec la maladie du Sida. Dans ce cas, la métaphore est une forme de marginalisation, une expression déshumanisante.

Outre cet aspect de discrédit lancé sur les porteurs de la maladie du Sida, nous avons fait une analyse des personnes autorisés qui produisent ce discours comme le dit BOURDIEU. Dans ce bus de transport en commun de SOGATRA, nous avons pu remarquer que les personnes qui ont produit ces métaphores de grande maladie et de maladie du siècle sont des personnes instruites. En effet, bien avant qu'ils prononcent le discours sur « GAGUI » et « la grande maladie et la maladie du siècle », la discussion tournait autour des travaux « dit de l'émergence ou de l'énervance217 ». Nous avons remarqué que c'était des débats de lettrés avec tous les préjugés que le sens commun puisse produire. Donc, ces métaphores de maladie du siècle et de la grande maladie sont des métaphores prononcées par des lettrés. Ce n'est donc pas seulement les « illettrés » qui ont les conceptions les plus triviales sur la maladie du Sida. Car dans ce bus, nous avons constaté que les lettrés sont eux aussi producteurs de représentations sociales qui pervertissent la maladie du Sida.

5) Les quatre lettres

Les quatre lettres sont une autre représentation de la maladie du Sida. Pour comprendre cette autre métaphore du Sida, il nous faut transcrire une discussion que nous avons eu avec deux dames au marché Mont-Bouet. Nous remarquons bien entendu que certaine de nos données d'enquête ont été obtenues sous forme d'enquête informel afin de mieux intégrer le groupe. En fait, c'est plus ou moins la logique de l'espace hétérotopique du marché. Il faut crée une sorte de familiarité avec le milieu. C'est-à-dire choisir un style vestimentaire qui

215 Nom de la mascotte de la Coupe d'Afrique des nations de football 2012 dérivant du clan Essangui chez les fangs. Dans le milieu populaire ce nom est attribué au Président Ali BONGO ONDIMBA. Ce nom dans le milieu populaire a été substitué à IBUBU ( qui veut dire gorille en langue vernaculaire Ipounou) donné au président par la population lors de sa tournée présidentielle à Mouila. durant la campagne électorale de 2009 Vu que la mascotte de la CAN est un gorille le Kongossa à préféré GAGUI

216 Il s'agit bien entendu du ministre René NDEMEZO OBIANG.

217 Propos des personnes qui parlaient dans le bus.

n'attire pas l'attention. De fait, toutes sortes d'artifices propres au milieu professionnel218 sont prohibées car il fallait être conforme à l'espace. C'est d'une certaine manière ce qu'énonce Placide ONDO quand il dit que « de fait, la participation au songo comme affirmation d'une identité culturelle ou ethnique s'accommode mal de la correction vestimentaire fortement occidentalisée en vigueur dans les activités officielles. Il s'agit donc de dissimuler la distance sociale par le biais d'une pratique culturelle commune et d'une simplicité vestimentaire. Ainsi, fondu dans le groupe ethnique, on peut en tirer un profit symbolique : la reconnaissance comme membre de ce groupe 219 .» Nous avons discuté avec Aude 220 et Linda 221 simultanément222.

Enoncé n°15 :

Aude- Je ne portais pas les strings il y a deux ans. Mais un jour j'ai surpris dans le téléphone de mon gars, la photo d'une de ses « pétasses » qui était en sous-vêtements. Elle avait un string avec une corde. On s'est battu ce jour avec mon gars et j'ai pris la décision de m'habiller sexy comme ses pétasses comme ça il n'aura plus de raisons d'aller chercher dehors.

Linda- Toi c'est même petit, moi je l'ai surpris au motel avec une voisine. On s'est battu avec la fille. Jai déchiré ses habits et en dessous elle avait un string rouge. J'avoue qu'elle était bien avec. Mais avec la colère et la jalousie, j'étais obligé de lui dire que c'est à cause du string qu'il va me ramener les quatre lettres à la maison. Quand je suis rentré on s'est encore bien battu avec mon gars, après on a bien fait (rire) !

Aude- Comme c'est les strings qu'il veut là !? J'ai tout une valise de strings, de toutes les couleurs. Comme ça il va pas me ramener le Sida. C'est bête mais parfois c'est parce que on s'habille comme des vieilles que nos hommes là vont dehors, avec des filles peut être qui ont les quatre lettres (Elle se retourne et fait mine de postillonner comme pour conjurer la mauvaise parole qu'elle vient de faire sortir, ensuite elle essuie sa bouche), pardon (soupir).

Linda- En tout cas, c'est string là qu'il mange tous les jours sauf quand je suis dans la planète des femmes. Je le fatigue bien ! Comme ça y a pas de reste pour les autres, pas de maladie, pas de quatre lettres. Oui ho ! Dès qu'il voit le string là il est debout !

218 Les vestes, les cravates, les chemises, les mallettes ou porte-documents sont interprétés dans l'espace hétérotopique du marché et des bars, comme attitude de personnes venant espionner. Du coup, tous propos est interprété de manière suspecte et, de fait, la discussion devient stérile. Nous avons dû nous vêtir de manière simple afin de n'éveiller aucun soupçon et nous fondre dans la masse (car nous étions conforme a l'identité des lieux) et accéder au discours.

219 Placide ONDO, « Le Kongossa politique ou la passion de la rumeur à Libreville », Fin de règne au Gabon, Paris, Karthala, Coll « Politique africaine », n°115, octobre 2009, p 91.

220 Mlle Aude, féminin, niveau d'étude secondaire, catholique, sans profession, Fang.

221 Mlle, Linda, féminin, niveau d'étude supérieure, catholique, Assistance en communication des entreprises, Mwiénè.

222 Cette discussion a eu lieu devant un déballage de lingerie féminin. Le commerçant criait « Votre mari cherche les strings dehors, il cherche le Sida dehors, madame faut porté le string à la maison »

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Ce qu'on peut extraire de ce discours, c'est entre autre que les quatre lettres sont une représentation et une métaphore du Sida qui est utilisée par, plus ou moins, des personnes instruites. Bien que le débat fût assez trivial, probablement suite au lieu dans lequel le débat a eu lieu, les intervenantes étaient des personnes instruites. En ce sens que nous voyons que cette métaphore prend en compte la connaissance de l'alphabétisation et du nombre. Il faut connaître l'alphabet et connaître compter pour prétendre faire une telle analogie du sida à ces lettres et leur nombre.

6) Le Kongossa et les métaphores de la maladie du Sida : ragot ou rumeur ?

Le Kongossa est un terme populaire au Gabon qui renvoi à la rumeur. La rumeur ou le Kongossa, puisque c'est de cela dont il s'agit, est l'expression du discours du trottoir. C'est aussi ce qu'on appel radio trottoir. C'est un baromètre symbolique qui identifie et montre l'ossature de la puissance de la matrice imaginaire, et féconde, des espaces hétérotopiques. Le Kongossa, ou la rumeur a pour objet ou champ préféré le discours et les évènements sociaux inédits. De la mort d'un politicien vers la possession d'une cuvette de sang et d'un crane gardé dans une chambre « noire ", en passant par les meurtres, les viols, les avortements de la voisine, l'arc-en-ciel de Untel, des fraudes, de l'adultère de sa soeur, de l'inceste du père avec sa fille, de la mauvaise cuisine de la voisine, de l'impuissance de x et de la stérilité de y, du diabète avancé d'Ali Ben et de sa blessure inguérissable, des quatre lettres de BONGO ou de NDEMEZO...Tout est objet à débat, de rumeur, de Kongossa. Et le Kongossa a cette forte inclinaison de ramener toujours le discours autour des « affaires du corps ", les « choses du corps " dont la maladie du Sida est un de ces archétypes.

Mais, le propre du Kongossa est d'être le discours « officiel " des espaces hétérotopiques populaire en l'occurrence : les bars (dépôt de vin de palme et de mussungu223), les bus en commun, les marchés. C'est des espaces éloignés des lieux du pouvoir de la richesse tel que la Sablière ou le « Bord de mer ». C'est des espaces hétérotopiques qui se superposent ou se juxtaposent aux « désordres ou [aux] difformités d'une urbanisation de camps, avec ses baraquements, ses rues et pistes encombrées d'ordures, sans égouts, dans une proximité banalisée avec les rats, les cafards, les chiens errants, les mouches, les moustiques, voire les serpents.224» C'est donc dans ces espaces hétérotopiques et leurs bidonvilles, c'est lieux d'obscurité - de grande nuit où les « choses du corps " sont relatives à la possession sorcellaire ou messianique - dans lesquels la maladie du Sida va être métamorphosée symboliquement en une maladie de la sorcellerie, une maladie dont le Kongossa c'est fait le chroniqueur.

Au regard de cette section de l'espace hétérotopique populaire, à savoir les bars, les transport en commun ou encore les marchés, nous devons dire que dans cet espace, le

223 Lieu hétérotopique aussi appelé de manière populaire à Libreville « réunion des parents d'élève ».

224 Joseph TONDA, Ibid, p 161.

Kongossa est celui qui véhicule la maladie du Sida comme une maladie qui est syndrome inventé pour décourager les amoureux, Sidonie, une maladie du siècle ou cette grande maladie dont ces quatre lettres sont des lettres de la mort. C'est par la puissance de la rumeur que les préjugées circulent ci et là dans la société gabonaise. C'est dans ce sens qu' « il faut prendre les choses pour en extraire les visibilités. Et la visibilité à une époque, c'est le régime de lumière, et les scintillements, les miroitements, les éclairs qui se produisent au contact de la lumière et des choses225.» En fait, c'est dans le Kongossa que l'imaginaire scintille et se miroite. Le Kongossa est le corps -symboliquement- qui transporte l'imaginaire qui en est l'âme. L'imaginaire à Libreville est toujours soit une rumeur qui est une fiction, une légende, un mythe ou soit un ragot, une médisance. Le CRIMADOR226 est une déformation, une métamorphose, une perversion du réel. C'est, en quelque sorte, un autre nom de l'imaginaire au Gabon. Dans un certains sens, le ragot est un cran au-dessus de la rumeur. La rumeur est une nouvelle vague et incertaine de quelque chose. Le ragot est plus de la médisance sur quelqu'un que l'on va chercher à diaboliser. En fait, la rumeur du Kongossa rend le réel irréel, tandis que le ragot rend l'irréel réel. C'est lui qui transpose une maladie du Sida qui est réelle, en une maladie de l'autre (Sidonie) ou une invention c'est-à-dire une fiction, l'irréelle. Les métaphores du sida sont des passagers imaginaires du Kongossa. Mais bien plus encore, le Kongossa, siège des métaphores du Sida, est un dans sens la violence de l'imaginaire. À travers le kongossa et le ragot nous avons une icône de ce que nous entendons par la violence de l'imaginaire dans la capitale d'une postcolonie d'Afrique centrale, Libreville. Entre autre, une puissance qui réifie, travestit la réalité et son sens, et qui conduit à la rendre indiscernable de son être et finit par la faire disparaître en tant que réalité. Car, le Kongossa tout comme le ragot n'est jamais que quelque chose d'irréel que l'on veut intégrer avec force et subtilité dans la réalité. Et, de fait, les commérages en rapport avec la fiction cherchent à légitimer le pouvoir d'une chose par la puissance du symbole et la force des images et imaginaires. Le Kongossa, c'est la violence de l'imaginaire dans son stade le plus brut.

SECTION 2: Les représentations musicales du Sida dans les espaces

hétérotopiques à Libreville

Il est bien connu que la musique adoucit les moeurs. Mais il est n'est as commun de dire que la musique est un soporifique pour faire dormir les moeurs. En les adoucissants, en les subjuguants, les moeurs se transforment et se métamorphosent, ou plutôt, se métaphorisent en un discours généralement proche du discours du trottoir, le Kongossa. Lorsque le Sida prend « possession » du Gabon, le PNLS va se servir de la musique comme ustensile et méthode pour faire passer le message de prévention. Toutes sortes de message vont alors transiter par le canal de la musique et pas seulement pour un type de population précis. Les styles de musique, du Makossa au Soukouss en passant par le Zouk, la Biguine et le rap se disputent se nouvel « Eldorado » pour un tube qui sera la clé d'un succès. Dans le cas du

225 Gilles DELEUZE, Pourparlers, Paris, Les éditions de minuit, coll « Reprise », 2003, p 132.

226 Lire à ce sujet Joseph TONDA, Le Souverain moderne, Op cit, p 161.

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Gabon, Maman Dédé227 est la première à ouvrir les hostilités. Malheureusement, le taux d'audience est infime et se morceau intitulé « Sida " passe dans les coulisses. Cela est peut être dû au fait que la maladie n'est pas encore connu ou très peu alors. Dans les années 1991 et 1992, les tubes se succèdent sur ce nouveau thème, mais, cette fois, gagne une popularité. Cela est peut être le fait de la notoriété des artistes qui chantent à son sujet, notamment Mack'joss et Hilarion NGUEMA. En 1998, le mouvement prend la possession des jeunes avec le rap. Il y a alors un premier album « Bantu Mix " produit par Georges KANGUA du studio Cage intitulé « Le VIH est là ! ". Dans cette chanson nous retrouvons tous les artistes du hit parade gabonais. En 2001, le groupe de rap Raboon sous la direction de Franck BAPOUNGA, sort un titre intitulé « Ne me dis pas ça ". Arnold DJOUD en 2006 chante aussi sur le Sida.

Contrairement à ce qu'on pourrait penser, les textes de ces chansons sont des propos conscientisant. Ces textes pour la plupart gravitent autour du thème le Sida maladie du sexe, du sang d'amour et d'infidélité. C'est à ce titre que nous renvoyons ces thèmes vers les métaphores musicales de la maladie du Sida au Gabon. En ce sens qu'ils sont une forme de représentations sociales de la maladie à un moment donnée de l'histoire. C'est donc, les métaphores de la scène musicale. Les métaphores de la société de spectacle au sujet de la maladie du Sida sont le centre de préoccupation de ce chapitre. Doit-on penser que ces métaphores sont des représentations en dichotomie ouverte avec celle des espaces hétérotopiques religieux et populaires ? Est-ce que ces métaphores sont implicitement le discours de l'Etat contre les maux des mots populaires qui se représentent faussement le Sida ? Sommes-nous en face d'une forme de biopolitique ?

1) Le Sida, maladie du sexe dans la postcolonie : la violence de l'imaginaire

Le sida est une maladie sexuellement transmissible. Il n'en fait aucun doute. Tout comme il ne fait aucun doute qu'elle est également une maladie qui se transmet par les voies sanguines. Cela revient à dire que l'évidence qu'elle soit une maladie du sexe et du sang ne souffre, à notre sens, biomédicalement d'aucune contestation. Les métaphores que nous décrivons semblent plus de métaphores biomédicales que musicales. Et lorsque l'on observe l'évolution de la prévention au Gabon on peut comprendre la présence de ces métaphores dans le milieu musicales. La scène devient le lieu ou l'espace hétérotopique sur lequel l'Etat s'exprime par le moyen de la musique et des artistes. C'est dans cet espace que nous retrouvons le discours plus ou moins équivalent à celui du PLIST.

L'introduction de ce propos ci-dessus met en évidence le fait ou la raison de la métaphorisation du Sida comme maladie du sexe. L'évidence biomédicale et étiologique des modes de contamination de la maladie du Sida présente cette maladie comme, nous l'avons mentionné plus haut, une maladie sexuellement transmissible. Le discours musical au sujet

227 Première artiste Gabonaise a avoir chanté sur le Sida 1990. In formation obtenue par le biais d'un artiste nommé Mack' Joss

du Sida n'est pas étranger à cette idée. Nous dirons qu'il restitue textuellement le sens de cette évidence biomédicale. Nous l'avons retrouvé dans un texte d'Hilarion NGUEMA. Le corpus de ce chant révèle que le sida, selon l'artiste est « une maladie du siècle, maladie du sexe, maladie du sang, maladie d'amour ». En fait, pour comprendre ce texte il faut le situer d'abord dans son contexte historique. En effet, les années 1990 sont les années les plus difficiles sur le plan de la prévention. C'est l'année que nous qualifions d' « année de l'ombre ». Une année de l'ombre en ce sens que le Sida, dans cette période, n'est pas cette maladie biomédicale qui suit en effet une logique étiologique. Bien au contraire. C'est une maladie des autres, des blancs, qui ne peut atteindre que les individus qui vivent en dehors des prescriptions théologiques ou traditionnelles. Cela dit, le propos implique le fait selon lequel la maladie du Sida est une maladie d'impies et de personnes qui oublient qu'ils sont d'abord et avant tout africains. C'est-à-dire, des personnes liées à leur culture, à leur tradition, à une idéologie identitaire oü la maladie est la résultante d'une attaque, une chasse. Être africain c'est croire au fétiche, à la sorcellerie, au vampire, à l'obscurité. C'est donc croire que la maladie du Sida est contracté parce qu'on ne possède pas les « vaccins228» qui blindent contre les Nzatsi, les fusils nocturnes, les attaques sorcellaires d'un parent ou d'un groupe de parents. Le constat est donc que, dans cette époque, la maladie du Sida n'est pas connue ou est déniée pour être une maladie sexuellement transmissible.

Chanter que le Sida est une maladie du sexe dans une société de la « grande nuit », c'est démystifier les ombres, les Mbumba, les Nzasti, les Kôhng, le Dieu pentecôtiste. Nous sommes donc dans une forme de lutte contre l'obscurité de la grande nuit africaine. Cette nuit imaginaire qui plonge la maladie dans le monde des méandres des préjugés où les sorciers ont le pouvoir de « vamper » pour aller chasser et tuer à coup de Sida mystique. C'est, « sans doute notre temps (...) [qui] réfère l'image à la chose, la copie à l'original, la représentation à la réalité, l'apparence à l'être.229» Mais encore, dès que dans cette période l'évidence de la transmission sexuelle du Sida s'impose au grand jour dans la « grande nuit », il devient un Sida politique. La pensée de la « grande nuit » ouvre une autre brèche. Dans cette brèche, l'imaginaire s'y insère afin de pervertir et corrompre le sens de cette évidence de la réalité. En effet, sous les auspices de la violence de l'imaginaire, la maladie est un Sida que les grands hommes politiques ou hommes d'affaires donnent en déflorant des jeunes fillettes ingénues pour être guéris. Le phallus « hors norme » du Souverain moderne déflore et abîme230 dans la « grande nuit » le sexe féminin dans un délire pervers et obsessionnel, symbolique et imaginaire d'une repentance. « La sexualité de l'autocrate fonctionne à partir du principe de dévoration et d'avalement des femmes, à commencer par les vierges qu'il déflore allègrement231.» Car comme Achille MBEMBE le dit « la verge du potentat est un furieux

228 Scarifications qui ont pour vertus de blinder contre les attaques de serpents, de sorciers, et de fusil nocturne ou de poison

229 Feuerbach préface a la deuxième édition de l'Essence du christianisme cité par Guy DEBORD, La société du spectacle, Paris, Gallimard, coll « Folio », 1992, p 13.

230 Lire à ce sujet Placide ONDO, « Le Kongossa politique ou la passion de la rumeur à Libreville », Fin de règne au Gabon, Paris Karthala, coll « Politique africaine », n° 115, octobre 2009, p 79.

231 Achille MBEMBE, Sortir de la grande nuit. Essais sur l'Afrique décolonisée, Paris, la découverte, 2010, p 217.

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organe, nerveux, facilement excitable et porté vers la boulimie232.» C'est-à-dire que la maladie du sexe, qui est le Sida, dans les sociétés de l'obscurité ne peut être guérit quand captant et capturant, comme le fait un chasseur de la « grande nuit », par le sexe la guérison. Symboliquement, le pouvoir postcolonial est la jouissance sous toutes ses formes : voitures de grand luxe, château de marbre, compte en banque à douze zéro, une collection fétichiste de « bombe sexuelle », etc. Pour MBEMBE « le pouvoir postcolonial, en particulier, s'imagine littéralement comme une machine à jouir. Ici, être souverain, c'est pouvoir jouir absolument, sans retenue ni entrave. La gamme des plaisirs est étendue233.» C'est par le sexe que la maladie est insérée, et c'est par le sexe vierge, détruit par un puissant phallus Souverain, qui manque toujours de les étrangler lorsqu'il le leur enfonce au fond de la gorge234, que la maladie sera éradiquée. Le Sida maladie du sexe ressemble fort, à la suite de ce propos, a une forme d'asphyxie qui est infligée à la population par un potentat, un souverain. Une violence de l'imaginaire s'impose car le rapport à la maladie est corrompu par l'imaginaire, cette irréalité qui gouverne les esprits et les corps des populations des sociétés postcoloniales.

L'ambivalence entre un projet biomédical, et dirons-nous biopolitique, et une récupération imaginaire de ce projet fait suite à une déficience accrue, de la société indigène de la grande nuit, à une reconnaissance de la biomédecine à saisir son objet. Dès lors, l'évidence biomédicale de la transmission sexuelle du Sida va être contextualisée et se heurter sur des rapports culturels, pourtant imaginaire, dans lesquels le phallus est symbole de prospérité, de puissance et de pouvoir. Accepter et tolérer le Sida comme maladie biomédicale et comme maladie du sexe, c'est pratiquement interdire le sexe dans la pensée indigène. « Le Sida sert d'argument à un nouvel interdit sexuel, non plus moral, mais fonctionnel. C'est la circulation libre du sexe qui est visée. On interrompt le contact, on stoppe les flux. Or, (...) le sexe, l'argent, l'information doivent circuler librement.235 » Le Sida, maladie du sexe de la chanson d'Hilarion NGUEMA a alors plus à dire que nous le pensions. Il est un rapport de force, un rapport hégémonique entre le Souverain qui déflore ou sodomise, à tout va, les jeunes gens parce qu'il est détenteur du pouvoir et de l'argent. Et, du méme coup, le Sida postcolonial se mélange à toutes sortes de représentations imaginaires qui font de lui un agent mortifère. C'est donc, une forme de violence du pouvoir qui allie dans la maladie du Sida sexe et mort236. Nous sommes dans un cocktail Molotov qui se compose des termes Sida, Sexe, argent et mort. En d'autres termes, nous sommes face un terme qui met en relation un virus, un phallus richissime, un utérus ou rectum assoiffés d'argent, et des imaginaires qui en définitif conduisent à la mort. C'est encore ce que nous pouvons appeler la violence de l'imaginaire.

232 Achille MBEMBE, Op cit, p 218.

233 Achille MBEMBE, Op cit, p 217.

234 Achille MBEMBE, Ibid, p 218

235 Jean BEAUDRILLARD, La transparence du mal. Essais sur les phénomènes extrêmes, Paris, Galilée, 1990, p 72

236 Achille MBEMBE, Op cit, p 221.

2) Le Sida maladie du sang

Lorsque Hilarion NGUEMA dit dans sa chanson que le Docteur lui a dit que le Sida est une maladie du sexe, du siècle et du sang, il met à jour la pensée biomédicale qui est en lutte pour démystifier les rumeurs sur les modes de contamination. Cette chanson dévoile les intentions avérées des ONG pour lutter contre les représentations sociales du Sida. Cette chanson met à jour tous les préjugés qui gravitent autour de la maladie du Sida. C'est donc, la lutte contre le discours trivial populaire à laquelle cette chanson s'attaque. Car, en effet, le Sida est ici dans un dédoublement. Il y a exactement deux Sida maladie du sang. Il y a le Sida biomédical qui présente l'idée que le Sida est un virus qui s'attaque aux défenses immunitaires du corps humain par le moyen du sang, puis il y a le Sida populaire qui est aussi un Sida du sang. Mais ce Sida populaire est un Sida qui utilise le sang de façon mystique. Il y a prélèvement mystique du sang d'une personne affectée par le Sida pour l'inoculer à un autre individu dans l'objectif de nuire. Le virus dans cette conception symbolique est introduite par la morsure et le venin du vampire qui, au préalable, comme un moustique, à ingéré le sang d'un sidéen pour ensuite l'insérer dans le corps de sa proie.

C'est un dédoublement du Sida. Il y a un Sida qui est un virus du sang biomédical et il y a un Sida qui est une morsure mystique du vampire. C'est donc une opposition ouverte dans la chanson de Hilarion NGUEMA entre la biomédecine et le milieu populaire. Une lutte idéologique de la revendication d'une maladie qui est, malheureusement une maladie biomédicale et rien d'autre. Le Sida est une maladie du sang parce que c'est un virus qui détruit les défenses immunitaire du corps de l'homme. Ce n'est pas une maladie du sorcier, du « vampireux », qui vient sucer ou inoculer du sang à une tierce personne. Cette chanson est une représentation de la santé biomédicalement parlant. C'est une représentation sociale et biomédicale du Sida qui, entre autre, exclu les ombres de la nuit et la puissance des « vampires ». Tout se passe comme si à travers les chansons nous inaugurons symboliquement une « guerre froide » des mots du Sida. La chanson devient le lieu de conscientisation, de prévention, de lutte contre les apories et préjugés populaires qui affectent le Sida. La scène du spectacle musicale du Sida est un lieu d'éducation, mais aussi un lieu de lutte contre les non-sens et l'irréel. Pour corroborer ce propos nous allons transcrire quelques phrases que nous a proposées Franck BAPOUNGA237 au sujet de la chanson du Sida.

Énoncé n°16 :

« La scène est un lieu d'éducation. Bon d'accord dans certains de nos textes c'est foutre (mettre) l'ambiance qui compte. Mais quand il s'agit de sujet sérieux, comme le Sida, le rappeur doit montrer l'exemple. Il doit être conscient car il doit faire passer un message sérieux et toute sa technique à faire passer ce message fera de lui un rappeur respecté. Le ring et la scène c'est la même chose quand on monte on doit être sérieux. Alors quand le sujet est sérieux, le message doit être sérieux. Le Sida il faut le faire connaître dans sa réalité aux petits frères. Et c'est ce que j'ai fait quand j'ai écrit « ne me dit pas ça ! » J'éduque du mieux que je peux.»

237 Franck BAPOUNGA, masculin, niveau d'étude secondaire, catholique , Massango

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Ce propos présente que dans le cadre de la prévention les rappeurs ou musiciens deviennent des éducateurs et se doivent de faire passer un message authentique et le plus proche de la réalité possible. La réalité c'est la vérité biomédicale de la maladie du Sida. C'est les mots de prévention, les mots scientifiques que les populations on travestit. C'est redire dans un rythme populaire ce qui à été dit dans les émissions de télévision ou de radio. L'objectif est d'intégrer et infiltrer la conscience populaire afin de la démystifier, la sortir du spectacle des ombres de l'imaginaires qui réifient la chose en objet spectrale. C'est encore intégrer les espaces hétérotopiques qui sont, dans les sociétés postcoloniales, envoûter et sous l'emprise de la puissance de la grande nuit, la violence de l'imaginaire.

Dans la grande nuit idéologique dans laquelle la société postcoloniale gabonaise se meut, le sexe et le sang sont des objets de puissance, de pouvoir. C'est toujours des « affaires du corps », les « choses du corps ». C'est toujours celui qui a « le bon sang » qui réussit ; réussir ici, c'est occuper un poste ministériel, réussir dans le sport, à l'école, dans le milieu professionnel etc. Du coup avoir le Sida ce n'est plus seulement avoir la maladie du sang, c'est-à-dire un virus, c'est avoir le sang souillé, avoir un « mauvais sang », avoir la malchance. Alors quand on entend maladie du sang dans la nuit noire de la postcolonie, c'est avoir la malchance, la poisse, le « Nzobu 238 ». La population a fait de cette expression de maladie du sang une expression pour décrire un évènement des plus dramatiques de la société. La maladie du sang équivaut à avoir un mauvais sang aussi biomédicalement que mystiquement.

238 Expression Ipounou qui est le nom de l'animal appelé la civette qui a la caractéristique d'être une bête portant malheur à cause de ses excréments dont l'odeur est violement putride et insupportable.

CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE

Conclure cette première partie, c'est retenir l'essentielle de deux chapitres qui l'ont structuré. Ainsi, ce que nous pouvons retenir des représentations de la médecine ésotérique indigène c'est tout d'abord cette diversité de variété d'expressions pour décrie de façon analogique la maladie du Sida. Cette diversité peut se comprendre par le fait qu'« au Gabon, comme ailleurs, il y a une appréciation polysémique de la maladie. Ainsi, le nombre élevé de groupe ethno-linguistiques ou d'environnements socio-culturels ne permet pas d'avoir une représentations univoque des pathologies239». Car, chaque ethnie et chaque rite initiatique ou pratique sociale donne une définition de la maladie du Sida. Bien plus encore, ce qui émerge brutalement c'est cette convocation compulsive et quelque fois frénétique à la sorcellerie. Tout a une origine sorcellaire en Afrique centrale. Chaque individu voit en l'autre un éventuel jeteur de sort, de nzatsi, de Mbumba, de Kôhng ; un agent sorcier qu'il faut éradiquer à coup de protection, ou à travers le terme de «taper le diable 240». Cette société indigène est finalement une société qui souffre de la sorcellopathie. Nous entendons par sorcellopathie cette tendance dépressive et compulsive à voir en chaque infortune, et par extension à chaque maladie, une attaque mystique diligentée par un ou des individus qui sont jaloux d'une quelconque forme de réussite propre à un individu.

Les considérations des métaphores du Sida dans le milieu musical au Gabon relèvent, au terme de notre itinéraire, des considérations biomédicales. Ce sont des considérations qui prennent en compte les notions de prévention. La scène musicale est une forme de plate forme du discours biomédical qui veut se réapproprier, devant l'esprit pervers de l'imaginaire gabonais, cette maladie du Sida. Car, les précédentes métaphores du Sida nous ont montré la dimension puissante des imaginaires qui réifient le Sida en maladie de la sorcellerie. Les artistes sont conscient du message qu'ils doivent faire circuler dans l'espace hétérotopique des bars, des scènes, des boîtes nuit. La musique qui adoucit les moeurs va aussi remodeler le message perverti par les églises, les temples de bwity, les initiations indigènes, les marchés, les transports en commun, de la maladie du Sida. Les métaphores du Sida dans le milieu musicale sont une forme du discours de l'État contre les incohérences et les fausses représentations que les populations, aussi bien religieuses que traditionnelles ou encore populaires, ont sur la maladie du Sida. C'est donc un discours, comme nous l'avons dit avant, qui est scrupuleusement fidèle au propos de la biomédecine par le moyen de la prévention. Nous sommes ici dans un discours que nous qualifions de biopolitique. C'est-à-dire un discours qui prône la vie et laisse mourir quand la science et la biomédecine ne peuvent plus rien241. C'est donc un effort de l'État, qui s'est muté en État biopolitique, de démystifier et démythifier le Sida indigèno-religieux en sida biomédical. Cet État qui a mis au centre de la société le Sujet. Le discours de l'État à travers la biopolitique, les métaphores musicales de

239 MOUKALA NDOUMOU, « Pathologies, superstitions et santé publique au Gabon », L'homme et la maladie, Libreville, Editions Raponda Walker, coll « palabres actuelles », n°2-Vol A, 2008, p 130.

240 Action qui consiste à aller voir les initiés du mwiri afin de jeter un sort à une ou un groupe de personnes qui ont attaqués un individu mystiquement

241 Michel FOUCAULT, Il faut défendre la société. Cours au collège de France 1976, Paris, Hautes Etudes, Gallimard, Le Seuil, 1997

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prévention contre la maladie du Sida, est une forme d'exhortation à une conscientisation du Sida comme maladie de la biomédecine, une maladie de la responsabilité individuelle du Sujet. C'est un refus de l'imaginaire comme explication de la maladie. Nous sommes là dans une forme encore de démagification du monde gabonais au sujet de la maladie. Le discours de la prévention est une exhortation à sortir de la grande nuit idéologique qui embrigade et concatène la société gabonaise. Cette nuit imaginaire de l'imaginaire, une nuit oü les esprits ont colonisé le réel ou de tout ce qui est réel.

Les métaphores populaires du Sida sont enclin à une forte manie obsessionnelle de tout dédramatiser, minimiser qu'il devient un danger pour la population elle-même. Le discours populaire sur le Sida reste toujours fidèle à son esprit de « trivialité » qui ramène tout au bas ventre, au sexe. Pourtant, le Sida n'est pas qu'une affaire de sexe. Il est bien aussi une maladie qui peut se contaminer de manière sanguine. Ce pan de la contamination semble être absorbé par le regard et le caractère sexuel de la maladie du Sida. Probablement du fait que la maladie du Sida circule dans les espaces hétérotopiques, au-delà des frontières, par le sexe, et en ce sens, est le stéréotype et l'archétype méme d'une maladie émergente, une maladie postcoloniale. C'est-à-dire une maladie qui ne connaît pas les contraintes des passeports et de manière générale de l'identité. Une maladie qui est au-delà des considérations des replis identitaires qui l'ont inaugurée dans les années 1980 et début 1990242.

Les espaces hétérotopiques des Médecines Hors Secteurs Biomédical, sont des lieux de production de la violence de l'imaginaire et de la violence du Sens. Les Mbandja, les temples, les bars produisent des métaphores de la maladie du Sida qui ne sont que des formes stéréotypées de la violence de l'imaginaire. De la sorcellopathie au charisme du souverain, de la chanson à un balbutiement d'une biopolitique, le marché linguistique, symbolique et imaginaire de la maladie du Sida trouve son ossature sur la notion du kongossa, des ragots, de la sorcellerie : la violence de l'imaginaire.

242 C'est dans cette période que l'on a attribué au Sida comme lieu d'origine l'Afrique. Lire a cet effet, Jean-Pierre DOZON et Didier FASSIN« Raison épidémiologique et raisons d'Etat. Les enjeux socio-politiques du Sida en Afrique », Sciences sociales et santé, Paris, Vol. VII, n°1, février 1989.

Deuxième partie : Les métaphores de la maladie du Sida dans les
espaces hétérotopiques pentecôtiste et des confréries initiatiques
modernes à Libreville

Introduction de la deuxième partie

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Le second propos de notre thème considère une réflexion quelque opposée au premier. Quand nous disons à l'opposé, nous sous-entendons un propos distant des considérations sorcellaires et populaires que nous venons de côtoyer dans le précédent propos. Nous rentrons simplement dans un autre registre du discours qui inaugure la présence de démons et de Dieu. En ce sens que les lieux dans lesquels nous avons collecté nos donnés sont des espaces hétérotopiques qui sont des lieux « sacrés». Les discours sont différents, car l'instituant de ces discours est la bible (église) et les monographies (A.M.O.R.C).

Cette partie propose une lecture à la fois historique et sociologique des métaphores de la maladie du Sida dans le milieu pentecôtiste et des confréries initiatiques modernes gabonais. Il nous faut « revenir aux textes [au discours], aux lieux de constructions de l'imaginaire, afin de localiser les lieux, formes et modes d'expression de cette tension.243 ». Le marché linguistique du Sida reste le concept le mieux approprié pour lire les discours métaphorique des acteurs de ce marché. En ce sens que l'action coordonné entre un locuteur autorisé et un interlocuteur autorisé montre mieux le rapport de force qui existe dans l'élaboration du discours métaphorique du Sida dans une période postcoloniale. Seulement, toute cette démarche n'est rendu possible que par la puissance des représentations imaginatives, ainsi que par la force du sens du mot. C'est donc, la violence symbolique de Pierre BOURDIEU et cette sociologie imaginative des COMAROFF qui semblent plus approprié pour lire la métaphore de la maladie du Sida dans l'espace hétérotopique populaire de la postcolonie gabonaise.

C'est trois ensembles ont un mode de représentations de la maladie, et de la maladie du sida en particulier, qui se distingue par une forte prégnance à l'utilisation de la notion de charisme. Le charisme dans le sens commun est un don particulier conféré par une grâce divine pour le bien commun. C'est plus une qualité qui permet à son possesseur d'exercer un ascendant sur un groupe. Sociologiquement, « le charisme peut être défini comme une relation de pouvoir fortement asymétrique entre un guide inspiré et une cohorte de suiveurs qui reconnaissent en lui et en son message la promesse et la réalisation anticipée d'un ordre nouveau auquel ils adhèrent avec une conviction plus ou moins intense244». Seulement, le mode d'expression utilisé pour faire assoir ce pouvoir charismatique et l'usage quasi intense et obsessionnel des métaphores. « Mais les métaphores charismatiques ne sont pas le produit d'une imagination débridée. Elles sont régies par une rhétorique plus ou moins conventionnelle, par laquelle le personnage charismatique cherche à se donner des garants

243 Lydie MOUDILENO, Littérature postcoloniale

244 Raymond BOUDON et Francois BOURRICAUD, Dictionnaire critique de la sociologie, Paris, PUF, 1990, 3ème édition, p 78.

pour alimenter la foi de ses fidèles. Dans le processus d'attestation qui consacre le personnage charismatique, l'imaginaire social est un recours non pas unique, mais parfois décisif245».

Pour introduire, nous devons dire que les représentations sociales de la maladie, et de la maladie du Sida, dans les espaces hétérotopiques religieux au Gabon sont caractérisées par une présence des métaphores de la maladie. Ces métaphores sont utilisées par des « leader » dans le but de faire assoir un pouvoir que nous qualifions d'économique. Ce pouvoir économique passe par légitimation par les fidèles ou les « fraters246» du charisme du pasteur, du nganga ou du maître.

245 Raymond BOUDON et Francois BOURRICAUD, Ibid, p 78.

246 Terme utilisé pour décrire un frère dans l'A.M.O .R.C

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Chapitre III : Les représentations pentecôtistes et des confréries initiatiques
modernes du Sida à Libreville

Nous avons désespérément osé penser que les représentations de la maladie du Sida auraient évoluées depuis les années 1990 dans le milieu ésotérique pentecôtiste en Afrique centrale. À ces déviances représentatives et disparates de la maladie du Sida, se sont ajoutées les représentations des cercles de confréries initiatiques modernes. Nous connaissons les analogies du milieu pentecôtiste sur le Sida le comparant à une punition divine ou à une maladie du Diable. Mais, nous connaissons moins l'idée qui circule dans le milieu des cercles de confréries initiatiques modernes qui représente la maladie du Sida comme un Karma. Ici encore, les espaces hétérotopiques sont les lieux des discours déformés, perverties, qui illustrent assez bien le fait que ces lieux sont des lieux de déviances et de transgression. Pourtant, ces espaces sont des lieux du sacré, des lieux de la morale. Nous pensons alors que le capitalisme aliène la morale par la puissance du charisme. Il y a une économie des mots, qui est véhiculées par la violence symbolique et par la violence de l'imaginaire. Toutes ces imaginations font de cette maladie une maladie du karma, une maladie du Diable ou de Dieu, une punition divine. La guérison divine devient la propriété des leaders charismatiques des espaces hétérotopiques des églises, et temples initiatiques. Puisque nous ne devons pas omettre de dire que le Sida dans ces espaces est une maladie qui est hors du secteur biomédical. Seul l'imaginaire, l'imagination peut alors délivrer et extirper le mal. « La maladie existe parce que le péché est entré dans le monde. Elle est toujours le signe que nous vivons dans un monde révolté contre Dieu, le rappel de la puissance satanique (...) L'homme malade ne peut vivre sa maladie que dans la repentance247

SECTION 1 : Le pentecôtisme et le Sida : la punition divine

Comme nous avons énoncé ci-dessus, nous pensions que depuis les années 1990, les idées que l'ont se faisait du Sida aurait évolués. Mais, bien au contraire, elles persistent et se transposent dans un terme qui exclu la proposition de la maladie du Sida comme une maladie du Diable. Aujourd'hui, les discours pastoraux, au sujet de la maladie du Sida, se sont mutés en utilisant l'expression de punition divine. Il s'agit dans cette section de penser les refondations de cette pensée de la maladie du Sida comme punition divine.

1) L'évidence biomédicale du Sida et l'obstination charismatique pentecôtiste

Il faut, dès le départ, préciser que nous parlons dans cette partie de la métaphore de la maladie du Sida dans le milieu religieux pentecôtiste. Cette métaphore est la punition divine. Mais bien avant, nous devons présenter les autres représentations pentecôtistes de la maladie

247Maurice Jeanneret, « Jésus-Christ et la maladie », Les cahiers protestants, s.l, s.e, 1966, n°4-5, pp 21-22.

du Sida. Le Sida était une maladie du diable, mais aussi de la sorcellerie. Le Sida était une maladie que le diable a envoyée par les moyens de perversion et de luxure pour éprouver le peuple de Dieu. De fait la sorcellerie est le bastion des suppôts de Satan, et l'objectif de la sorcellerie est le même que celui du diable car la sorcellerie est gérée par le diable. Donc, le Sida, ou être malade du Sida, était être atteint par la maladie du diable ou de la sorcellerie. Pour cela il fallait faire une prière de délivrance pour extraire le diable et le mal sorcellaire248.

Jusqu'en 2006, la distribution des antirétroviraux (ARV), n'avait pas encore pris une telle ampleur. Et c'est vers la fin de l'année 2007 que la distribution des antirétroviraux devient effective. Lorsque nous parlons d'effectivité c'est parce que la distribution des antirétroviraux à commencé à être gratuite. Puis, cette distribution est toujours à la bourse des plus démunis. Mais plus encore, le service des statistiques du PLIST a observé une augmentation des tests de dépistage du Vih/Sida de 32%249. Mais encore, toujours selon le service des statistiques du PLIST250, il y a encore 20 ans les gens ne savaient ce que c'était le Sida. Aujourd'hui méme un enfant du primaire peut dire le mode de contamination du Sida ainsi que ce que c'est que la Sida. Ceci inclut que les modes de contamination sont connus et ne se laisse plus facilement préter à n'importe qu'elle interprétation.

Ce que nous voulons décrire ici, c'est le fait selon lequel dans le début des années 1990, la début de la maladie du Sida était méconnue et laissait place à toutes sortes d'interprétations. C'est ainsi qu'« à l'instar d'un être qui, devant une réalité objective qui le « dépasse », qu'il dit « ne pas comprendre », qui n' « est pas vraie » ou qu'il « ne réalise pas " comme on dit, la société a recours à la puissance instituante de l'imaginaire pour « réaliser " en produisant des significations sociales qui donnent sens à l'évènement251." Cependant, 20 ans plutard, la connaissance du Sida biomédical s'est construite une évidence étiologique. Quoique aux abonnés absents certaines représentations tendent à subsister, le fait est que le Sida ait affirmé sa présence étiologique dans le milieu religieux. Mais, ce n'est plus le Sida sorcier qui prend la place après les différentes tentatives de délivrances qui généralement n'ont pas échouées. C'est plutôt la présence d'une volonté divine de faire souffrir un individu. Car la punition divine est une forme de châtiment que Dieu inflige à ses fidèles les plus récalcitrants. Sur le terrain de notre étude nous avons suivie un cas de Mlle Micheline252 qui souffrait du Sida dans une église 253 . Après les différentes prières de délivrance et de désenvoutement, Micheline continuait à se sentir de plus en plus mal. Elle perdait du poids. Après avoir accusé le manque de foi de Micheline, le pasteur de l'église lui recommandait des jeûnes de plusieurs jours sans alimentation. Tout ceci contribuait à affaiblir un peu plus Micheline. Dans les dernières semaines de vie de la malade, le discours du pasteur avait changé. Il ne s'agissait

248Joseph TONDA, « Le Sida, maladie de Dieu, du Diable et de la sorcellerie », Sciences sociales et santé, Vol 25,n°4, Paris, Décembre, 2007

249 Donnée recueillie au PLIST en janvier 2010.

250 Il a refusé de décliner son identité car c'est dans une discussion hors de son lieu de travail que nous avons eu certaines informations classées confidentielles.

251 Joseph TONDA, La guérison divine en Afrique centrale (Congo, Gabon), Paris, Karthala, p 47.

252 Mlle Micheline, niveau d'étude sixième, chrétienne, ancienne caissière, mwiènè (morte le 13 septembre 2011)

253 Assemblée de Dieu du Gabon, église d'Owendo :Ad Bananier.

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plus d'une maladie du Diable mais une maladie de Dieu, une punition divine. Car aucun démon ne peut résister à aux prières et aux différents jeûnes auxquels il avait soumis Micheline. Dans ce cas, c'est la maladie de Dieu. Une maladie pour punir le fidèle d'une vie de débauche et d'infidélité à Dieu : une punition divine.

Donc, la punition divine que propose le milieu pentecôtiste comme métaphore du Sida est en fait une sorte d'obstination perverse. En fait, le terme de punition divine est un terme qui est un dernier recourt lorsque la puissance charismatique du pasteur est confrontée à l'échec. Pour éviter de mentionner le terme échec, un terme plus approprié est utilisé qui n'est autre que celui de punition divine. Ainsi, le pasteur concède sa défaite, son impuissance face à la maladie du Sida non pas à l'évidence étiologique et biomédicale, mais à la volonté supreme d'un Dieu qui décide de faire souffrir ses fidèles.

2)Le charisme et la punition divine

Il faut au préalable définir ce que nous entendons par charisme. Pour Max WEBER, le charisme est « la qualité extraordinaire (à l'origine déterminée de façon magique, autant chez les prophètes et les sages, thérapeutes et juristes, que chez les chefs des peuples chasseurs et héros guerriers) d'un personnage, qui est, pour ainsi dire, doué de force ou de caractères surnaturels ou surhumain ou tout ou moins en dehors de la vie quotidienne, inaccessible au commun des mortels ou encore qui est considéré comme envoyé par Dieu ou comme exemple, en conséquence considéré comme un chef254.» La punition divine est un terme pentecôtiste qui est utilisé, dans le cas de la maladie du Sida, pour décrire que le mal est originairement de Dieu. Le rapport que nous établissons dans cette partie est que le charisme, donc ce pouvoir surnaturel conféré à un individu, est en rapport avec la construction idéologique du terme de punition divine. Lorsque nous regardons ce que nous propose notre terrain avec la malade Micheline, nous lisons le rapport entre charisme et punition divine comme une forme de refus de la maladie biomédical. Lorsque le pasteur se rend compte que toutes les prières, les jeûnes, les exorcismes, les choses sur lesquelles se reposent tout la puissance de son charisme, ne sont d'aucune efficacité, il y a un recours au terme de punition divine. Ce terme n'est en fait qu'un mode de reconnaissance d'impuissance face à la maladie du Sida. Ce que nous avons vécu in situ avec Micheline, nous révèle, que ce que le pasteur entend par punition divine n'est autre qu'une manière encore plus radicale de culpabiliser un malade souffrant du Sida. C'est une mode qui permet au malade de se rendre compte que le pasteur ne peut rien pour le sauver et que sa guérison n'est plus dans la main des hommes mais bien dans la main de Dieu. La seule chose reste un espoir famélique et fatal, accroché à une hypothétique foi fragilisé et amenuisé par le découragement, les prières interminables, les jeûnes, etc.

254 Max WEBER,, Economie et société, Paris, Plon, Tome 1, 1971, p 241

Le Sida comme maladie de la punition divine est en fait un déni de la puissance biomédicale. Au sujet de Micheline, nous avons discuté avec son aîné M Georges255qui nous a dit ce qu'il pensait durant le décès de sa soeur.

Enoncé n°10 :

« Tu sais, Mimi256 a voulu mourir comme ça. Je lui avais dit que ces jeûnes étaient inutiles. La seule réponse c'était que j'étais un démon. Tu te rends compte ? Une personne qui est malade on l'a met sous un jeline. Au lieu d'aller au PLIST pour se faire enregistrer, et de fait profiter des ARV, rien ! Dieu ici, Dieu là ! Aujourd'hui voilà ! (...) [ Au même moment le pasteur prêchait de repentance, de délivrance de Micheline] Tu vois, on ne parlais pas de repentance ou je sais pas quoi quand il venait crier ici toutes les nuits. C'était satan sort de ce corps, démon du ndjembè sort etc. Regarde comment ils sont envoutés on dirait des moutons ! Nous sommes nous même responsable de nos vies mais on oublie que nous sommes trop souvent prisonniers de nos représentations. » Le terme punition divine dans cette optique n'est autre qu'un transfert d'une improductive puissance compulsive charismatique (qui d'ailleurs n'est que factice) vers un imaginaire ordonnancement (Dieu). Tout ceci est une forme d'évidence de l'étiologie de la maladie du Sida, est dans le cas présent une forme de déni de l'étiologique et de la biomédecine.

SECTION 2 : Les représentations sociales dans les confréries initiatiques modernes

Cette section vient inaugurer une représentation de la maladie du Sida qui n'est pas très répandue dans la société gabonaise. Nous voulons parler du karma comme forme et représentation de la maladie. Le karma, par extension, est identifiable au fait de contracter la maladie du Sida. Dans cette section, il s'agit de faire état des idées de ces instances ésotériques qui prônent le fait que la maladie du Sida soit une forme de karma. Qu'est-ce que c'est que le karma ?

1) I EOEOERE& : le karma et la maladie du Sida

Dans cette section nous avons interrogé deux individus dont chacun est adepte de la Rose-Croix A.M.O.R.C. L'A.M.O.R.C est un mouvement ésotérique ou encore une confrérie initiatique moderne qui dispense des enseignements ésotérique qui ont pour effets d'améliorer et réveiller les facultés spirituelles latentes qui sommeillent dans chaque individu. Nous

255 M. Georges, niveau d'étude supérieur, franc-maçon, directeur des ressources humaines à la retraite, Mwiénè.

256 Petit surnom de Micheline

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avons interrogé le maître Louis Paul ELIWATCHANGO257 au sujet de ce rapport entre la maladie du Sida et le karma.

Enoncé n°11 :

« Le karma est la loi de causalité. C'est un mot sanscrit qui signifie loi de cause à effet. On peut répertorier trois formes de karma. Nous avons le karma lié à l'environnement biologique. Ce karma est un karma qui met en cause les liens génétiques et les maladies que l'on peut contracter biomédicalement. Nous avons en second, le karma lié à l'environnement psycho-affectif.il s'agit des situations où certaines personnes se trouvent opposés à des paroles pervers que l'on peut appelés conditionnement pervers ou encore empoisonnement mental. Nous avons enfin le troisième karma qui est lié à l'environnement spirituel. Il s'agit des principes plus subtils ou les croyances sont comme des portes ouvertes aux attaques positives ou négatives par exemple la peur. Dans ces trois grandes répartitions nous devons retenir qu'il n'y a en définitive que deux formes de karma : individuel et collectif. Le karma individuel est un karma que les entités supérieures envoient à un individu suite à des actions irréfléchies. Parfois même, il se peut que les entités, afin qu'il s'intéresse aux réalités spirituelles et qu'il prenne en main la mission qui lui est assigné sur terre, peuvent lui faire avoir une maladie pour se conscientiser (la conscience de l'humanisme). Le karma collectif est un karma qu'une population peut avoir à cause des mauvaise pensées ou pratiques occasionnés dans une vie précédente (regarde les juifs et les palestiniens pourquoi crois-tu que les juifs ont été décimés par les allemands ou encore qu'ils ne vivent que de guerres et attentats avec les palestiniens ? La réponse, le tort causé à un grand maître qui était Jésus. N'oublie pas que lorsqu'il montait sur la montagne Golgotha avec sa croix, il dit aux femmes qui se lamentaient ne pleuraient pas pour moi mais pleuraient pour vos enfants (rire)) C'est une conséquence des actions produites et générées par tous les hommes de cette planète. Nous sommes responsables de ce qui arrive sur terre. Pour revenir à notre sujet, effectivement on peut tomber malade suite à un karma individuel ou collectif (la peste, Ebola,). Et le Sida est une maladie karmique. Elle est soit individuelle et/ou collective. Maintenant on peut éviter un Sida karmique individuel. Car du point de vue de la prévention on peut faire un effort de s'abstenir ou de porter des préservatifs, ou encore de stériliser des objets communs. Mais le Sida karmique collectif, c'est difficile de l'éviter. Car nous sommes d'une certaine manière tributaire des erreurs de nos descendants. Encore faut-il faire la différence entre une maladie karmique collective et une maladie karmique individuelle (rire) ! Il n'y a que des maîtres qui peuvent vous la faire »

Nous nous retrouvons ici face un individu qui cumule un savoir ésotérique et un savoir biomédical. Nous nous retrouvons dans une forme de syndrome du prophète que décrit TONDA. Il écrit que « produit par excellence des logiques individualistes propres à la situation de crise d'identité à laquelle il prétend mettre fin, le prophète tente de reconstituer la fonction totalisante des pratiques du champ thérapeutique et religieux (...) en recomposant les

257 Maître Louis Paul ELIWATCHANGO, masculin, niveau d'étude supérieur, rosicrucien, médecin généraliste homéopathe au Sénat, Mpongwè

fonctions de prétre et du médecin séparées par la biomédecine et l'Eglise [ou la loge]258». C'est le fait qu'il y ait une sorte de brassage dans le discours de ce médecin qui nous a conduit à discuter avec un autre rosicrucien qui ne cumule pas et ne contracte pas le syndrome du prophète. Nous avons discuté avec Landry259.

Enoncé n°12 :

« Le Sida est une maladie due au karma. Le karma c'est la loi du choc en retour. Quand tu poses des actes sur terre ces actes tôt ou tard finissent par te rattraper. Bon il y a un type de Sida qui est un Sida qui est donné à un individu pour qu'il puisse changé ses agissements. Pour qu'il prenne conscience qu'il y a un monde spirituel qui dirige tout sur terre. Il y a ensuite un Sida qui est un Sida normal qui fait suite aux dépravations d'un individu. Il y a des grands débauchés qui ont de nombreux rapports sexuels à risques depuis des années mais qui n'attrapent pas le Sida. Ces personnes sont en fait tributaires de bonnes actions accomplies dans une vie antérieur, et aujourd'hui profite de cette largesse des entités karmique : les 24 vieillards. Mais si à cause de sa vie de débauche dans cette vie actuelle le même individu fait du mal aux autres, dans sa prochaine incarnation il est certains qu'on lui donnera une maladie sexuellement transmissible comme le Sida. Sinon comment justifier le fait qu'un innocent comme un nouveau né puisse naître avec cette maladie ? D'accord, il y a les principes de la contamination, mais pourquoi lui, et pourquoi à ce moment ? Tu vois, lorsqu'une personne qui a contracté le VIH prend conscience de son comportement dépravé, qu'il fait appel à l'indulgence des 24 vieillards, il peut être sauvé. Car c'est le but souhaité par les entités karmiques. Il faut que l'homme prenne conscience qu' il y a, au-dessus de lui, des forces supérieures qui président à la destinée. Il y a des prières pour diminuer la dette karmique. Et lorsque cette dette est allégée, même une personne qui a le Sida en phase terminale peut être guérie miraculeusement !»

Nous sommes en présence d'un tout autre discours. Il est certes commun du point de vue de la notion de karma mais, il y a le fait que, à la différence du maître médecin, Landry pense que le Sida peut être guéri de façon karmique. C'est-à-dire que, avec des prières précises on peut alléger une dette qui peut se manifester par une maladie telle que le Sida. Donc, il y a soit premièrement, une opposition du discours entre deux personnes de la même obédience suite au capital scolaire. Entre autre la compréhension des valeurs biomédicales est ostracisée par un trop plein de croyances imaginaires. Le médecin rosicrucien arrive à faire la différence entre l'imaginaire et la réalité, tandis que le second suite à son quotient intellectuel peut élevé, ne fait aucune différence car pour lui l'un et l'autre ne sont que la méme chose. Deuxièmement, il y a possibilité d'une rétention de l'information par le maître qui était, pensons-nous, pris entre deux feux celui de maître spirituel et de docteur en médecine. En fait, il avait devant lui un étudiant et s'est, sans doute senti, de cadrer le débat dans un mode scientifique, pour d'une certaine manière faire reconnaître sa valeur intellectuelle. Il fallait faire un discours autorisé au sens ou BOURDIEU l'entend. C'est-à-dire un discours qui en prend en compte deux interlocuteurs autorisés qui échangent des mots sur des domaines

258 Joseph TONDA, La guérison divine en Afrique centrale (Congo, Gabon), Paris, Karthala, 2002, p107.

259 M. Landry, masculin, niveau d'étude secondaire, rosicrucien, coursier, Nkomi/Mpongwè

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communs. Il n'a peut être pas senti l'utilité de décrire des enseignements de l'A.M.O.R.C qui peuvent guérir ou encore il était pris par le traditionnel serment du secret.

A tout le moins, après avoir entretenu ces deux adeptes de l'Ancien Mystique Ordre de la Rose-Croix, nous retenons que pour la Rose-Croix A.M.O.R.C, le Sida est une forme de maladie karmique. Nous entendons par maladie karmique une maladie qui trouve son origine non plus dans les germes bactériologiques ou virusales étiologique et biomédicale, mais dans le comportement social de l'individu. La maladie du Sida est une maladie du rapport social du point de vue rosicrucien. Qui dit rapport social dit rapport sexuel mais aussi, comportement vis-à-vis d'autrui. Le Sida est plus un problème de comportement plutôt qu'un problème sexuel.

2) Le bouddhisme et la maladie du Sida

Le bouddhisme est une religion qui prend ses sources dans la région de l'Asie et plus précisément au Tibet. Pour faire cette discussion nous avons interrogé Hubert260un adepte de cet enseignement. Ce qui a amené que je puisse m'intéresser à lui c'est le fait que dans nos discussions préalables il m'avoua qu'il était séropositif. Voici le résumé des idées d'Hubert sur la question du Sida et du Karma.

Enoncé n°13 :

« Le karma est une force de la nature qui équilibre les rapports entre les hommes. Et la mort est une de ses armes tout comme la maladie ou l'infortune des hommes. Le bouddhisme à pour objectif de remettre d'abord l'homme en harmonie avec lui et autrui, et ensuite de le mettre en harmonie avec la nature. La mort, la maladie ou les infortunes que les hommes croisent sur le chemin dans la vie est une forme d'équilibre qui met l'homme sur le sentier de l'harmonie avec la nature. Lorsque nous vivons de manière désordonnés (débauches sexuelles, l'alcool, l'ambiance, la calomnie, etc) nous arrivons tout ou tard à contracter des maux, des infortunes qui peuvent nous suivre des générations. En fait, la terre ou la vie est une salle de classe. Quand l'élève à compris les cours il évolue dans la hiérarchie céleste au moment de l'examen c'est-à-dire la mort. Quand il n'a rien compris, la nature le remet dans les mêmes conditions ou même dans des conditions plus difficiles et ceci jusqu'à ce qu'il comprenne. Cela peut prendre des générations, mais il finit toujours par comprendre que les autres sont plus importants que lui et qu'il y a un être supérieur qui préside au devenir. Tu sais que je suis séropositif. Pourtant je n'étais pas volage mais tu vois quand tu pratique le bouddhisme tu dois être capable de transformer tout évènement négatif, donc d'une certaine manière toute faiblesse en force. J'ai 35ans aujourd'hui et la chose que j'ai appris c'est que les entités supérieures mon envoyé une épreuve, je dois la traversée avec dignité et foi. De fait, mon Sida n'est pas le Sida des autres ou celui de mon oncles qui est un grand franc-maçon comme ma mère se vertu à le croire. C'est un enseignement qui doit me

260 M. Hubert, masculin, niveau d'étude supérieur, bouddhiste, enseignant d'Espagnol, camerounais

permettre de savoir ce que c'est être malade. Donc, je prends mes préoccupations pour éviter de contaminer mes frères et, aujourd'hui, les gens sont plus respectueux des séropositifs. C'est que mes prières vers Bouddha sont entrain de porter leur fruit. Je suis séropositif parce que la maladie est un enseignement ésotérique. Tu vois ma mission est de continuer de croire en l'humanité, en être supérieur, et non pas à m'affaler sur mon sort ou à culpabiliser les autres. Bien au contraire en les aimants je me sens mieux chaque jour. Vous me donnez la force chaque jour de tenir plus longtemps, car chaque jour est enseignement. Et tu vois, il faut bien mourir de quelque chose, du coup que se soit le Sida, un accident ou autres chose on doit tout passer l'examen de fin vie terrestre afin de savoir si on grandira ou pas ! En fait vivre avec le Sida comme un karma, c'est vivre et accepter sa séropositivité : c'est une manière d'apprendre à bien mourir! »

Nous devons avouer que l'entretien avec Hubert a été très différent des autres. Le Sida du point de vue bouddhiste est un Sida karmique. En fait, toutes les affaires du corps cher à TONDA sont, dans cette conception bouddhique, une forme de karma. La maladie et de manière globale, toutes les infortunes que vivent les hommes sont dus au karma. Hubert pratiquant du bouddhisme assume son Sida suite au fait que c'est enseignement d'humanisme. C'est dire que la maladie chez les bouddhistes n'est pas un rapport avec les autres. Ce n'est pas un rapport avec la sorcellerie mais plutôt une volonté supérieure qui régie la destinée de chaque individu. Le Sida dans le Bouddhisme n'est pas une infortune mais un mal nécessaire à l'évolution de l'homme et de l'humanité. C'est un mal nécessaire que les hommes doivent affronter avec dignité.

C'est en cela que nous disions, au départ, que cette conception de maladie est totalement différente de ce que nous avons entendu depuis le début de notre enquête. Il n'y a aucun rapport avec les autres si ce n'est dans un but de se surpasser. Il n'y a aucun recours au monde de la sorcellerie qui souhaite anéantir un individu en lui donnant la maladie. Toutefois, il y a toujours un recours à l'imaginaire. Il y a la présence d'un rapport entre un ciel qui donne la maladie à la terre. Si dans cette pensée le rapport à la maladie n'est plus celle des hommes aux hommes, mais transfigurée à celui de homme à la nature ou aux êtres supérieurs, nous nous retrouvons dans ce recours d'une fabrication d'un charisme individuel. Car le but finale est toujours l'exploitation de la maladie du Sida dans l'objectif d'atteindre des facultés extraquotidiennes que Max WEBER a nommées : le charisme.

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Chapitre IV: Les représentations du Sida dans la postcolonie de Libreville

Le propre des maladies épidémiques est qu'à un certain moment, il y a une forte propension à les considérées comme des états passionnels. Susan SONTAG pense en effet que « la ressemblance extrêmement frappante qui se dégage des mythes attachés à la tuberculose et au cancer [mais aussi au Sida] tient au fait que ces (...) maladies sont, ou étaient considérées comme des états passionnels.261» Nous pouvons comprendre cette logique lorsqu'on renvoi à une métaphore du Sida qui s'énonce comme syndrome inventé pour décourager les amoureux. C'est un mal qui stresse les rapports sociaux et bien entendu les rapports sexuels. Or, en postcolonie, les états passionnels, plus précisément les états sexuels, sont le propre de l'activité sociale. Nous l'illustreront dans ce propos par le propos de Joseph TONDA dans le Souverain moderne au sujet du corps-sexe. Dans les sociétés postcoloniales, le corps, et par extension l'amour, souffre d'une exploitation aussi bien économique que symbolique ou imaginaire. Le corps est socialement construit. Et sociologiquement « la définition méme de ce qu'est le corps et de ce qu'il représente est un enjeu dans les rapports sociaux262.» Lorsque la société de la scène et du spectacle présente une métaphore du Sida comme maladie d'amour ou d'infidélité, comment pouvons-nous lui adresser un regard du point de vue de la théorie de la postcolonialité ? Mais encore comment peut - on contextualiser les métaphores du sida de la médecine traditionnelle indigène dans l'analyse des sociétés postcoloniales ?

SECTION 1 : Le sida, le sexe, le sang, la sorcellerie et Dieu : l'imaginaire de la postcolonie

Le premier axe de cette étude retient quatre expressions qui peuvent permettre une approche sociologique des métaphores du Sida dans la postcolonie. Le sexe, le sang, la sorcellerie et Dieu sont les métaphores constantes qui analogiquement renvoi à la maladie du sida. C'est en identifiant ce groupe de métaphores que nous parvenons à construire un postulat de trois piliers des métaphores de la maladie du sida dans les sociétés postcoloniales. Dans le cas de la ville de Libreville , les métaphores identifiées permettent de dresser un cadre « conceptuel » qui peut orienter les raisons de l'utilisation compulsive des métaphores du Sida.

1) Le Sida maladie d'amour et maladie d'infidélité dans la postcolonie

Ce que nous présente le corpus de notre recherche c'est que le Sida est une métaphore qui intègre l'espace hétérotopique de la musique. Dans cet espace, la maladie du sida est une maladie d'amour et une maladie de l'infidélité. En effet, Hilarion NGUEMA dans sa chanson

261 Susan SONTAG, La maladie comme métaphore, le Sida et ses métaphores, Paris, Christian Bourgois éditeur, coll « Titre 101 », 1993, p 33.

262 Didier FASSIN et Dominique MEMMI, « Le gouvernement de la vie, mode d'emploi », Le gouvernement des corps, Paris, EHESS, coll « Cas de figure », 2004, p 17.

sur le Sida, dit que le médecin lui a dit que < le sida est une maladie du sexe, maladie du sang, maladie du siècle, maladie d'amour ». L'artiste Mackjo's regarde quand à lui dans une autre direction pour lui le Sida est une maladie de l'infidélité. Nous avons eu un entretien avec lui dont voici le contenu.

Énoncé n°17 :

« Quand j'écrivais ce texte j'ai pris la peine de chercher les différents modes de contamination du Sida. Mais il fallait rendre original ce texte pour le changer de ce que maman Dédé avait dit. Puis un jour, j'ai écouté la conversation d'une de mes belle-soeur avec sa copine. Elle disait que son mari avait changé de comportement depuis qu'il avait vu son ami avec qui il faisait les coups fourrés mourir du Sida. Il rentrait tôt à la maison, il avait repris à faire la cuisine les week-ends et il lui faisait l'amour convenablement. Elle disait que toutes ces choses ne lui était pas arrivées depuis longtemps. A' partir de là, j'ai eu mon inspiration et j'ai ajouté la touche personnel. Ce que je chante n'est donc pas une idée venue comme ça. J'ai écouté et j'ai amélioré avec le message du PNLS et ca fait un tube. »

Au regard de ce corpus que nous avons transcrit, nous voyons apparaître les métaphores de l'amour et de l'infidélité. Le sida dans ces corpus est une maladie des passions. <Le symptôme de la maladie était une activité amoureuse (...) et toute maladie était de l'amour métamorphosé263» comme le dit SONTAG. Dans les propos des artistes, nous retrouvons in extenso le discours de la prévention du Sida au Gabon. Les auteurs n'hésitent pas à dire clairement que leur source et leurs textes sont des propos de préventions. Ces textes sont des discours < biomédicaux ». Et si certains ont le chic d'être quelques fois hilarants, il n'en demeure pas moins que les textes restent inspirés de la biomédecine.

Le Sida est une maladie d'amour car effectivement elle est une maladie du libéralisme. C'est-à-dire qu'elle est cette maladie de l'échange ; lequel échange se fait comme les produits à la seul différence qu'il s'agit du sexe. C'est par le sexe, les sentiments, l'amour que le Sida se diffuse dans le monde. Métaphoriquement, le premier symptôme du Sida c'est l'amour. Car c'est par l'amour ou par le fait qu'on se sente attiré sexuellement, ou peut-être sentimentalement qu'on va se faire contaminer par le virus du Sida. Nous ne mettons pas en exergue le préservatif car les partenaires peuvent aussi contracter la maladie malgré le préservatif. C'est dire que même le sang est aussi un moyen de contamination et que l'amour n'est pas la seule voie par laquelle on peut contracter le virus du Sida. Donc, c'est par le fait que le Sida soit une maladie du libéralisme parce que le sexe s'échange comme l'information, que nous arrivons, parfois, impuissant, vers une conséquence logique : l'infidélité. L'infidélité ou la polygamie permet d'une certaine manière à ce que le Sida respecte cette notion du libéralisme. La multiplicité des partenaires est une forme d'échange sexuel, un échange (on peut dire aussi économique) qui respecte les lois de la société capitaliste postcoloniale. C'est-à-dire des sociétés oü le sexe, l'information et l'argent s'échangent. En Afrique centrale le corps est un corps sexuel. Le corps renvoi à la notion de sexe. Car < le

263 Susan SONTAG, Op cit, P34

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sexe de l'homme et celui de la femme sont nommés, dans certaines d'Afrique centrale, par le mot de corps264

Être malade du Sida en Afrique centrale, c'est avoir le mauvais sang, le mauvais corps, le corps malade. C'est donc avoir ce corps-sexe, ce corps sexuel malade. D'ailleurs jusque dans les années 1998, la population gabonaise pensait que le Sida ne s'attrapait que par voie sexuelle. Nous avons eu cette confirmation quand nous étions allé rendre visite à une amie qui venait d'accouchait. Elle cohabitait avec une fille qui avait le Sida et qui, elle aussi, venait d'accoucher. Mon amie me confia que cette dernière disait que ses parents pensent qu'elle a eu le Sida à cause des rapports sexuels non-protégés, cependant le père de l'enfant est séronégatif. Ceci confirme une idée que le Sida ne se contracte pas que par le sexe, l'amour. En outre, les sociétés postcoloniales africaines sont des sociétés du « bas ventre ». On cherche à avoir de l'argent car c'est le pouvoir. C'est le pouvoir car on peut acheter tout ce que le sexe féminin, « le corps de la femme » désire. La pensée populaire transcrit ce propos en disant que plus on a de l'argent plus on a de femmes. Et plus on a de femmes plus on a de la considération, du pouvoir. C'est par amour qu'on consomme le corps-sexe de la femme. Et c'est par ce méme amour qu'on s'échange infidèlement la « chose du pouvoir » : le sexe. Et c'est cet amour-sexe avec son corollaire d'infidélité qui affecte le corps-sexe, qui est, ce que nos enquêtés entendent par maladie d'amour, maladie d'infidélité.

2) Les trois piliers des métaphores du Sida dans la postcolonie

Les mots ou les choses, les discours ou les récits sont producteurs de sens. C'est quelque fois dans les espaces hétérotopiques, dans les lieux populaires où siègent la viscosité du kongossa, dans les chemins de traverse de l'inédit et de l'insolite qui se représentent symboliquement par la grande nuit idéologique de la postcolonie, que la société gabonaise trouve son sens et son expression. C'est dans les contradictions, les apories, les kongossa, les imaginaires du Sida que nous sommes arrivé vers un constat. Les métaphores du Sida reposent son ossature sur trois piliers. Nous les avons identifiés comme la sorcellerie, dieu (ou la religion) et le sexe. Ce n'est pas une métaphore du Sida que nous proposons ici du moins ce n'est pas notre intention. Ceci est une construction théorique des piliers qui soutiennent les métaphores du Sida au Gabon. Le corpus de notre enquête nous permet de constater un fait social qui est les métaphores du Sida. À la lumière de la théorie de la postcolonie, de la sociologie imaginative des COMAROFF, de la sociologie de la guérison divine, nous arrivons vers l'identification des piliers qui sont les raisons des métaphores du Sida.

a) La sorcellerie

Le premier pilier des métaphores du Sida est la sorcellerie. Lorsque nous établissons notre corpus nous remarquons que les premières considérations et représentations du Sida dans le

264 Joseph TONDA, Le souverain moderne, Op cit, p 208.

milieu indigène gravitent autour de la notion de sorcellerie. Être malade est une affaire dans les sociétés postcoloniales indigène de malchance, d'infortune, d'anthropophagie. C'est des sociétés où « la colonisation s'est imposée à des sociétés que certains ethnologues ont dit, disent encore, soumises à la souveraineté du mythe 265 ." Mais encore après cette décolonisation, les sociétés de la postcolonie ou de la grande nuit idéologique sont toujours sous le joug du mythe. En ce sens que le mythe dans la société orale indigène est synonyme de savoir, de culture, d'histoire. C'est dans ce sens que « le mythe devient la source de tout savoir, le modèle auquel les générations successives se réfèrent pour maintenir l'ordre des choses : un certain état des rapports sociaux, un certain agencement des thèmes culturels266." À partir de cette réflexion sur le mythe dans les sociétés postcoloniales nous pensons, aussi, que le mythe est la raison de cette contextualisation de la maladie comme une infortune, une malchance, une forme d'anthropophagie. Cette malchance ou ces infortunes conceptualisées par TONDA comme des « affaires du corps " ou encore « chose du corps " ont pour leitmotiv la sorcellerie. Cette sorcellerie qui d'une certaine manière est une attaque mystique perfectionné par une imagination néfaste et mortifère d'un ou des individus du lignage. La maladie du Sida, tout comme la maladie de façon générale, devient le champ et le lieu d'une chasse, d'une guerre nocturne et invisible mais aussi une agape ou banquet de vampire. Le sorcier, le vampire, devient un chasseur de la nuit, un prédateur nocturne à l'image de la chauve-souris ou plus précisément de la chouette. D'ailleurs dans la société gabonaise de la postcolonie, la chouette est un oiseau du malheur qui n'est qu'une métamorphose d'un homme sorcier267. Donc, pour tuer sa proie le prédateur indigène mystique de la postcolonie va se parer de toutes sortes de techniques et d'artifices qui passent par l'inoculation du Sida mystiquement et le cannibalisme imaginaire ou fictif. Nous disons imaginaire car les récits de personnes qui déclarent avoir mangé « la chair humaine peut avoir l'aspect du poisson ou de la viande de boeuf, le sang celui de l'eau ou du vin.268 " A cet effet, toutes les marmites nocturnes, arc-en-ciel, Nzatsi, Kôhng vont servir à capturer, empoisonner et consommer la proie du prédateur indigène de la postcolonie. Ce qui est intéressant c'est le rapport entre la sorcellerie et la nuit. Le sorcier est tout puissant dans la nuit, dans l'obscurité, l'ombre qui est le lieu du trouble, de l'aveuglement, de l'indistinction. La sorcellerie est ce lieu oü le discernement manque. C'est alors le siège de l'imaginaire, le monde de l'irréel qui gouverne les activités et les comportements sociaux des gabonais face à la maladie. C'est une société de la nuit, une société oü l'idéologie est commandée par la violence symbolique, la violence de l'abstraction comme le nomme Jean et John COMAROFF, et que Gilles DELEUZE entend sous le nom de violence de l'imaginaire, et que nous entendons sous le terme de la violence du sens. C'est en ce sens que cette société est une société de la postcolonie, une société sorcellopathe qui considère une maladie de la réalité biomédicale comme une maladie de la

265 Georges BALANDIER, Sens et puissance, Paris, PUF, coll « Quadrige », 1986, p 202.

266 Georges BALANDIER, Ibid, p 202.

267 Dans les années 1992 à Port-Gentil, il y avait un homme qui se transformait en panthère dans la nuit dans le quartier « derrière le centre social » et s'attaquait aux poulaillers, aux moutons et chèvres des concessions voisines.

268 Marc AUGE, « Les métamorphoses du vampire. D'une société de consommation a l'autre », La construction du monde, Paris, Maspero, 1974, p 115.

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nuit, une maladie de la sorcellerie. Une société qui transfigure et réifie tous rapports sociaux à une chose vers un imaginaire, vers un cauchemar qui, pourtant irréel, est réel.

b) Le sexe ou les corps et cordes du string

Le discours romanesque gabonais est illustratif de la contamination au Sida par le sexe. En effet, dans Sidonie de Chantal Magalie MBAZOO KASSA, c'est au détour d'un bar durant une mission qu'un jeune fonctionnaire va être contaminé par une serveuse aux corps exotique : une « bombe sexuelle ". Le récit proposé par cet auteur nous permet d'entrevoir une analyse sociologique de cette contamination. Autrement dit, c'est dans un détour, dans un espace hétérotopique, un lieu de toutes les transgressions, que le fonctionnaire va être contaminé par une serveuse « bombe sexuelle ", un « oiseau prédateur " de la nuit. Le propre d'une « bombe sexuelle " c'est qu'elle stimule et réveille les fantasmes les plus inédits et triviaux qui sont refoulés et enfouies dans le code morale de chaque individu. C'est par besoin de découvrir l'exotisme sexuel, c'est ailleurs sexuel, cette infidélité, ce corps-sexe fantasmatique d'un soir, par lequel le jeune fonctionnaire va contracter la maladie du Sida.

Lorsque nous recensons le corpus au sujet de l'expression du Sida comme maladie des quatre lettres, nous retenons que c'est cette notion de « bombe sexuelle " qui est une notion apparaissant masquée dans les discours. Lorsque nous avons retranscrit les propos d'Aude et Linda, nous retenons que ce sont les strings (avec les cordes), les stretchs qui poussent les hommes à l'infidélité. Ce sont donc les sous vêtements sexy, les sous-vêtements qui attirent, excitent. Ce sont les strings avec les cordes, les stretchs, d'une manière les vétements qui mettent en valeur les formes, les beaux corps, le corps des bombes. Ces strings sont des sousvétements portés à l'origine par les danseuses stripteaseuses de bar, d'espaces hétérotopiques afin d'illuminer la « fleur de pique ". Ce sont des outils pour mettre en valeur le corps, le corps-sexe, le sexe de la « bombe " afin d'atteindre un seul but avoué : la subjugation. Selon Aude et Linda, le string est le vêtement porté par ses « pétasses " qui volent les maris. Ce sont des vêtements que les maris infidèles vont trouver sur les corps sexy, les corps-sexes, sur les bombes sexuelles et dont il faut désormais s'accaparer et en faire des apparats afin de reconquérir cet homme en quête d'exotisme et de fantasme sexuelle. Le port du string, pourtant sous-vêtements des femmes peut fréquentable, brise les tabous et la morale. Chacune se veut « stringueuse " ou adepte de la lettre « T269 " pour retenir le concubin dans le lit nuptiale. Chacun transgresse le code moral pour intégrer une norme sexuelle qui réifie les rapports sociaux conjugaux. Aujourd'hui, il est rare de trouver des femmes de 14 à 40ans qui ne compte pas dans leur garde robe une collection de string270. Chacune veut avoir un string en corde comme un attribut, une possession d'une partie du corps des « bombes sexuelles ".

C'est retenir alors, que l'infidélité est une affaire de fantasme, une affaire de strings et de bombe sexuelle, une affaire de sexe. Le Sida est une maladie qui transite dans la société

269 Autre nom que certains jeunes donnent au string comme allusion à sa forme en T.

270 Il y a une quinzaine d'années le string était tabou au Gabon car référant a la prostitué.

gabonaise par l'infidélité sexuelle, par le fantasme des bombes sexuelles, de leurs corps et cordes du string. Tout ceci pour dire que, les métaphores du Sida prennent pour piliers représentatifs l'infidélité car elle est le siège de tous les fantasmes sexuels, qui sont malheureusement représentés dans notre étude par les strings portés par les corps des bombes sexuelles voleuses de maris.

c) Dieu ou le stupéfiant

Le Sida dans la société gabonaise est une maladie que Dieu décide de donner à qui il veut. Le Sida est une maladie qui fait suite à une volonté divine. Le troisième pilier des métaphores du Sida au Gabon est un rejet ou encore une forme de déni biomédical de la maladie du Sida. Dans les sociétés postcoloniales indigènes, les acteurs ont tendance à déférer leurs droits mais aussi leurs erreurs, sur un ordonnancement qui dicte leur destin. La maladie du Sida est d'abord une maladie individuelle, bien que dans le milieu religieux elle soit reléguée au second plan car étant une maladie de Dieu ou du Diable. En ce sens que, dès que le statut de séropositif est connu, il est directement attribué, délégué à une cause extérieur qui est généralement une puissance supérieure à son entendement. Entre autre, une puissance qui dirige la volonté est dicte le destin. C'est-à-dire que ce qui doit arriver, arrive car l' « Être Suprême » aurait décidé de ce qui arrive. Et c'est sous des variables linguistiques telles que punition divine et de karma, qu'elle s'exprime au Gabon. Nous nous retrouvons dans une vision que nous décrit Michel FOUCAULT, plus précisément quand il énonce la théorie du pouvoir Souverain. Le Souverain est dans un royaume sur lequel il a droit de vie et de mort. La terre, selon les pentecôtistes, est d'une certaine manière le royaume de Dieu sur lequel il a autorité de vie et de mort. Dieu décide de qui doit vivre et de qui doit mourir sur terre. Et il choisit, bien entendue, la façon dont ses sujets doivent mourir. Dieu, nous avons compris, est le Souverain. Celui qui puni à coup de Sida ou de karma.

Nous remarquons alors que ce Dieu auquel ils ont excessivement recourt, est toujours un être invisible, inconnu, que personne ne connaît, un construit idéologique que Karl MARX a décrit comme l'opium du peuple : un «stupéfiant ». C'est donc une omniprésence de l'imaginaire qui s'installe et s'impose dans chaque rapport social et chaque rapport social face à la maladie. Le Sida dans la tradition religieuse (et selon notre enquête) est un mal, une main divine invisible qui vient réguler l'ordre dans les rapports sociaux, les rapports sexuels dépravés. Ainsi dans une forme de régulation, le « Sida divin » est une correction afin que les hommes s'améliorent. Le rapport à la maladie du Sida dans la religion est un rapport entre sujet et Souverain qui décide de vie ou de mort.

Alors, le Sida méme s'il est, en dernier recours, une maladie biomédicale envoyé par le Dieu Souverain, il est d'abord dans cette expérience, une explication théologique, un refus biomédical de la maladie. Cette métaphore de punition divine ou de karma est un déni expressif de la maladie du Sida biomédical. Dieu, le stupéfiant, est un outil pour voyager (tout comme le fait la foi) dans un monde imaginaire, le monde de la grande nuit de la postcolonie. Si au Gabon l'opium n'est pas donné, le cannabis est alors métaphoriquement plus proche de

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nous. Ainsi, dès qu'on a consommé sa dose de « cannabis " injectée par la bible, la société prend une autre forme où tout est idyllique, où tout est clair, c'est-à-dire obscur. Dans les nuages de fumée de stupéfiant, dans ce monde des ombres et de la nuit postcoloniale, le Sida devient une volonté du stupéfiant, du Souverain, de Dieu. Le propre de cette pensée est que cette consommation de stupéfiant se fait dans l'espace hétérotopique des églises qui, encore ici, est symboliquement un lieu de la transgression comme le dit Michel FOUCAULT. Alors, nous comparons le pentecôtisme ou la religion qui prône le karma comme des associations de drogués qui suite à une overdose de stupéfiant, de foi en Dieu, meurt d'une maladie du monde réel qui est le Sida. Ce qui revient à dire que désintoxiquer ces lieux hétérotopiques religieux revient à les faire « sortir de la grande nuit ", des nuages de fumée de l'ombre du cannabis, de la foi de Dieu, c'est-à-dire tout simplement les extirper de l'imaginaire.

SECTION 2 : Les métaphores du Sida, de la décolonisation au postcolonialisme

Cette section ouvre la réflexion sur le fait d'une forte imagination à se représenter la maladie autrement que biomédicalement dans les sociétés postcoloniales. Nous soupçonnons à cet effet, que la décolonisation joue un rôle important dans la construction des métaphores du Sida. En fait ces représentations métaphoriques du sida sont une revendication, ou, plutôt une revendication identitaire. C'est un refus du colonialisme, une quête personnelle d'une nouvelle identité extirpée des notions coloniales.

1) Les métaphores du Sida : stéréotype du discours de la décolonisation

Nous voulons commencer ce propos avec une condition sine qua none pour expliquer ce rapport entre les métaphores du Sida et la décolonisation ou encore la postcolonie. Cette condition est la puissance de production de l'imaginaire des lieux ou des espaces hétérotopiques. Michel FOUCAULT les conçoit comme des lieux de transgression, des lieux de la déviance. Les métaphores en Afrique postcoloniale par leur nature analogique, comparent et déforment la réalité. C'est certainement parce que « le bidonville est devenu le lieu névralgique de ces nouvelles formes de sécessions sans révolution, d'affrontements souvent sans tête apparente, de type moléculaire et cellulaire, et qui combinent des éléments de la lutte des classes, de la lutte des races, de la lutte ethnique, des millénarismes religieux et des luttes en sorcellerie.271» C'est du fait que ces lieux sont des lieux des bidonvilles qui sont le bastion des rumeurs, de la déformation. Mais peut-être que Eugénia VILELA trouve mieux les mots pour décrire ce que nous venons de dire. Pour elle, « l'ordre politique et économique a créé l'espace sans lieu. Un espace qui, renversant le sens d'un lieu, le définit comme un endroit presque mystique dans sa plus absolue facticité, un espace de déracinés.272 " C'est donc un lieu qui « a pour fonction de tisser un lien funèbre entre la vie et la terreur. En prenant la mort pour la vie et en maintenant les deux termes dans un rapport d'échange aussi

271 Achille MBEMBE, Op cit, p 25.

272 Eugénia VILELA, « Sur l'exil. Le corps des ombres « , in La tentation du corps,, Paris, EHESS, coll « cas de figure », n°9, 2009, p 11

infernal que quasi permanent, il peut ainsi renouveler, presque à volonté, des cycles prédatoires dont chacun enfonce chaque fois davantage l'Afrique dans le midi dionysiaque273». Les métaphores du Sida ont la faculté de dépiécer ou de pervertir par la puissance de l'image et par la puissance de l'imaginaire la réalité. Les espaces hétérotopiques dans lesquels nous nous mouvons sont des espaces qui nous font vivre ou transcrivent, l'espace imaginaire dans lequel nous nous exprimons. C'est des espaces de réalités qui sont en fait des lieux vidés du réel. Et c'est exactement ce que font les métaphores du Sida. Elles vident la réalité postcoloniale de son réel. Elle déracine le mot de son sens.

Cela dit, le discours de la décolonisation ou le discours postcolonial est un refus de la colonisation. Le discours postcolonial est le lieu ou s'exprime l'identité. Une identité africaine qui jubile son autorité au soleil des indépendances. A l'époque de la colonisation il y avait cette interdiction de parler sa propre langue vernaculaire. Car elle était une forme de repli identitaire devant la langue européenne qui était la seule identité ; la seule langue qui avait le propre d'être la langue universelle. Joseph TONDA disait entre autre à ce sujet que « l'infraction, c'était le patois. De manière tout à fait pratique, vécue, le symbole signifia pour nous l'Interdit, la Loi. La langue indigène, le patois étaient ainsi métonymiquement associés à la puanteur du Symbole, et c'est la Loi qu'incarnait la langue française qui autorisait, c'est-àdire imposait cette stigmatisation.274» C'est ainsi que les indépendances sont venues imposer une nouvelle norme qui réifia les considérations au sujet du patois. « Chacun peut s'exprimer en sa propre langue, et les destinataires de ces propos peuvent les recevoir dans la leur275.» Or, le langage et la multiplicité des langues vernaculaires parlées au Gabon posent le problème de l'identité et la crise du repli propre à la société postcoloniale. Nous voyons cette idée dans la production symbolique des métaphores du Sida. Chaque ethnie la ramène à son sens et non à celui de la biomédecine. La multiplicité des métaphores vernaculaires du Sida sont une forme de (re)quête de l'identité.

Les métaphores du Sida, nous l'avons vu, ont cette forte propension à dénier le discours biomédical. Mais, ce dénie est parce que les métaphores se transcrivent dans les langues vernaculaires qui sont elles mêmes radicalement, au sortir de la colonisation, hostiles aux langues du colonisateur. Nous sommes bien loin de ce que pense Tahar Ben JELLOUN quand il dit « ma langue maternelle cultive l'hospitalité et entretient la cohabitation avec intelligence et humour.276» Peut-être avec intelligence et humour, certes. Mais quand à l'hospitalité nous émettons des réserves. Car, à notre sens, il n'y a aucune hospitalité dans les métaphores indigènes sauf la présence avérée d'un ressentiment et de réminiscences sombres aux douleurs des martyres des plantations de café, de tabac, de canne à sucre et des guerres pour les indépendances. « On a, pendant quelque temps, prétendu que la réticence de

273 Achille MBEMBE, Ibid, p 25

274 Joseph TONDA, « Mots-objets, mots-sujets, mots-esprits », Les mots passants, Paris, Riveneuve éditions, 2009, p 133.

275 Achille MBEMBE, Op cit, p 16.

276 Tahar Ben JELLOUN, << On ne parle pas le francophone >>, Le monde diplomatique, Paris, n° 638, mai 2007, p 20.

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l'autochtone à se confier au médecin européen trouvait dans l'attachement de l'indigène à ses techniques médicales traditionnelles ou dans sa fixation aux sorciers ou aux guérisseurs de son groupe.277 » De fait, au même moment que ce développe cette hostilité pour la langue du colonisateur et à l'endroit du colonisateur, réciproquement, il y a une opposition entre le discours biomédical et le discours trivial des espaces hétérotopiques, assiégé par les spectres imagés et imaginaires qui hantent les représentations sociales indigènes de la maladie. Cette opposition est la cause des réminiscences de la médecine coloniale interprétée ( à l'époque de la lutte pour les indépendances) comme une médecine pour tuer les rebelles à la colonisation. Dès lors, « c'est à travers les mythes terrifiants, si prolifiques dans les sociétés sousdéveloppées, que le colonisé va puiser des inhibitions à son agressivité :génies malfaisants qui interviennent chaque fois que l'on bouge de travers, hommes-léopards, hommes-serpents, chiens à six pattes, zombies, toute une gamme inépuisable d'animalcules ou de géants dispose autour du colonisé un monde de prohibitions, de barrages, d'inhibitions beaucoup plus terrifiant que le monde colonialiste.278» Les métaphores du Sida donnent « l'illusion de comprendre le monde, de le sonder, de le connaître et même de le dominer.279» Du coup, les représentations sociales de la maladie ou encore les métaphores du Sida sont, sous un certain angle, ce refus de la colonisation. Un refus de la chose du blanc qui est la biomédecine, un refus de la chose du blanc qui est la langue française et tout ce qui s'y rapporte telle que la médecine. Cette médecine coloniale qui n'a pas hésité à tuer, décimer les rebelles à la colonisation. Les métaphores à l'ère de la postcolonie gabonaise sont un stéréotype du discours de la décolonisation. Un discours dans sa forme la plus triviale et la plus proche du discours de la décolonisation, le repli identitaire. Les métaphores du Sida au Gabon sont la forme première du discours de la décolonisation. Là oü l'Autre ne se concevait que dans l'expression du dominant, c'est-à-dire un nègre « primitif » et dérobé de toute humanité. Comme le dit Frantz FANON un « objet au milieu d'autres objets.280»

Le besoin de vouloir tout expliquer dans sa langue, dans ces termes, même au détriment du discours officiel de la biomédecine, est plus une contre attaque contre la criminalisation des pratiques thérapeutiques indigènes qu'une une forme de « nihilisme » de l'autre. « Les mots ne correspondent jamais à ce qu'ils s'efforcent d'exprimer.281» Encore que la notion d'officiel reste, elle-même, profondément suspecte. Car le fait est de savoir si ce discours n'est pas une fois de plus l'intention du dominant colonisateur. Toutefois, l'obsession des sociétés indigènes de l'Afrique centrale, et plus précisément du Gabon, à vouloir tout réifier, tout tailler à sa mesure idéologique est une forme de concaténation et des stigmates indélébiles de la colonisation. La pensée des métaphores du Sida est cloîtrée dans un repli identitaire du sens qui est aussi une lutte contre le discours colonial. Lorsque nous disons repli identitaire du sens , nous entendons une réflexion qui veut tout expliquer par sa vision du

277 Frantz FANON, L' an V de la révolution algérienne, Paris, La découverte, 2010, p 359.

278 Frantz FANON, Les damnés de la terre, Paris, La Découverte, 2010, p 465.

279 Tahar Ben JELLOUN, Ibid, p 20

280 Frantz FANON, Peau noire, masques blancs, Paris, Seuil, 1952. Extrait parut dans Le Point, Hors-série, numéro 22, Avril- mai 2OO9, p 89.

281 Tahar Ben JELLOUN, Ibid, p 20.

monde et qui exclu les apports théoriques des autres. Get Autre qui a longtemps condamné le patois et la liberté à coup de fouet et de torture. Il doit être, à son tour, exclu du discours formel de la scène sociale indigène. Et même si la puissance de la biomédecine reste avérée, elle doit être d'abord éprouvée par la puissance des spectres de la nuit indigène qui sortent de la forét et de l'eau. Il faut que les Mbumba, les Nzatsi, les arc-en-ciel, les Kôhng, les Mbumba Iyanô, les Mwiri aient montré leurs limites pour que la biomédecine, sortie de l'ombre de la nuit du repli identitaire, prenne sa place tout comme les indépendances ont redonné sa place humaine à la race noire. « Loin de n'être que des complexes politico-économiques, les différents régimes coloniaux furent aussi des complexes de l'inconscient et, souvent, c'est à ce titre qu'ils laissèrent d'indélébiles traces dans l'imaginaire des colonisés.282» C'est donc, lorsque l'impuissance des esprits de la nuit indigène (une nuit idéologique que nous qualifions de « nuit de la prestidigitation postcoloniale »), ces esprits qui viennent souverainement envahir et coloniser le jour et les réalités des villes de l'Afrique centrale est constatée, que la conquête biomédicale prend son autorité à contre poids sur la pensée indigène. Par le fait que les métaphores du Sida soit une pensée qui est un stéréotype de la pensée de la décolonisation (avec tous ce repli identitaire et ce « nihilisme » de la biomédecine), nous avons ici un pléonasme. Nous parlons de pléonasme parce que si la société indigène a été décolonisée, il n'en demeure pas moins que la pensée, et donc son idéologie profonde, reste elle-même une pensée qui doit être décolonisée. C'est-à-dire que la pensée de l'idéologie du Librevillois a été colonisée par les esprits de la nuit. Ges esprits qui étaient une forme de contestation du joug colonial283, mais qui en définitive, après leur départ continuent de les posséder, de les garder dans une transe symbolique et imaginaire. Les esprits indigènes, la pensée indigène est une forme de transe qui habite la société moderne de l'Afrique centrale. Ce qui conduit à ce que nous énoncions que la pensée indigène, la société gabonaise doit être décolonisée du joug des esprits de la nuit afin qu'elle entre véritablement dans l'antre des sociétés modernes. Voilà où nous voulions arriver. Nous voulons que les lecteurs regardent les métaphores du Sida comme le stéréotype de la décolonisation. Non pas seulement comme le discours qui est en lutte contre le discours colonial et, par extension, contre la biomédecine. Mais aussi ce discours indigène, cette idéologie qui est profondément corrompue, envahie, colonisée par le sens trivial des esprits de la forét, de l'eau et de la grande nuit, qui doit être décolonisée. De façon plus simple, les métaphores du Sida sont un discours du pléonasme de la décolonisation. Elles le sont en ce sens qu'elles sont l'expression d'un repli identitaire propre à la décolonisation, mais aussi l'antre du cauchemar colonial qui les hantent par le recours excessif à une violence symbolique et une violence de l'imaginaire. Les métaphores du Sida sont la présence évidente des stigmates de la colonisation qui édifient le fait que la société et la pensée gabonaise n'est pas encore sortie de la nuit du combat idéologique.

282 Achille MBEMBE, Op cit, p 91.

283 Au sujet de cette contestation du joug colonial par le sens des métaphores nous pouvons trouver un complément de réponse avec Achille MBEMBE. Pour lui la colonisation est une « tentative d'invention de nouvelles coutumes [qui] fut a l'origine de nouvelles contraintes, elle libéra également de nouvelles ressources et obligea les sujets coloniaux soit à chercher à en tirer profit, soit à les contester ou les déformer, soit à faire tout cela sinon simultanément, du moins parallèlement. », Op cit, p 88.

2) Les métaphores du Sida à Libreville 1d1-1l'1-x11411-K4 I1-4s le Soi : discussion autour de la postcolonialité et de la modernité

Entreprendre une discussion sur l'extérieur et le Soi dans les métaphores du Sida, c'est ouvrir une discussion autour de deux notions qui sont le postcolonialisme et le modernisme dans la société gabonaise. En effet, nous pensons que les métaphores du Sida s'articulent , du point de vue historique de la notion de prévention, sur deux axes historique que nous résumons sous les termes de postcolonialité et de modernité.

Nous disions qu'il y a deux moments qui structurent la réflexion des métaphores du Sida. Le premier moment est cette période de la postcolonie. Dans cette période, les métaphores du Sida sont la manifestation de cette incurie de l'État sur la maladie du Sida. En effet, à travers les discours de membres du gouvernement, à l'instar du Docteur OKIASS, qui énonce que le gabonais est naturellement immunisé contre le Sida, nous avons une lecture de la puissance de l'imaginaire. Le gabonais pense que vivant sur la « terre bénie de Dieu » aucun malheur ne peut, même pas le Sida, les affecter car étant protéger par une puissance invisible, les esprits des ancetres, les génies de l'eau et de la forest. C'est la croyance en ces esprits qui ouvre la spécificité de la pensée postcoloniale dans ce propos. Dans cette période, le Gabon, « pays des dieux », est cloîtré dans un repli identitaire qui cherche à exprimer la maladie du Sida. C'est ainsi que, le Mbumba ou l'arc-en-ciel représentation symbolique d'un serpent mystique sorcier propre aux ethnies de l'Estuaire, du Moyen-Ogooué, de l'Ogooué-Maritime et la Nyanga est une explication du Sida. Ou encore, le Nzatsi (répandue dans toutes les provinces du pays et dans chaque ethnie), le Kôhng (propre à la région du Woleu-Ntem et de l'ethnie fang), le Mbolou (ethnie kota) qui sont aussi cette représentation de la maladie du Sida. Cela dit, la maladie du Sida est dans un repli identitaire. Ce repli s'explique par le fait que chaque ethnie du Gabon cherche à donner une explication au Sida. Mais ces représentations de la maladie du Sida sont profondément, comme nous l'avons montré dans les chapitres précédents, des pensées où le malheur, la maladie du Sida font suite a une attaque en sorcellerie. C'est dire que la maladie du Sida dans cette période de la pensée postcoloniale au Gabon est tournée vers l'extérieur. C'est toujours l'autre qui est à l'origine de la maladie. La maladie du Sida est alors une maladie de l'extérieur, de l'extériorité, du repli identitaire. Ces métaphores sont exprimées dans des espaces hétérotopiques qui prônent la puissance de l'imaginaire. C'est pour ainsi dire des lieux de l'obscurité, de l'ombre, de la grande nuit imaginaire où règnent l'imaginaire et le non-être, la mort. La maladie est en rapport avec ces choses, ce mauvais corps ou ce mauvais sang qui a été inoculé par un agent extérieur, un membre propre ou extérieur au lignage consanguin.

Le second moment est une période où la notion de prévention prend une autorité scientifique au Gabon. C'est-à-dire que le discours sur le Sida, même dans les espaces hétérotopiques propre au sens du populaire, a « radicalement » muté. Les métaphores du Sida n'ont plus rien avoir avec ce discours du sens trivial qui avait pour ossature un besoin d'identification aux puissances imaginaire régnant dans les forêts indigènes de chaque ethnie du Gabon. Nous nous retrouvons dans des métaphores où le Sida est une maladie du sang, une maladie d'amour, une maladie du sexe. C'est dire, au premier abord, que nous avons tourné la

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page d'une extériorité de la maladie vers une individualisation de la maladie. Car le sang, l'amour ou le sexe sont plus proche de la notion de l'engagement de chaque individu face à cette maladie. C'est soit par le sang ou le sexe que nous l'obtenons. Non plus par une quelconque présence extérieure mortifère284. C'est parce que nous ne nous protégeons pas que nous contractons le Sida, l'individu est mis devant sa propre dérive. Il y a une exclusion du bouc émissaire pour accéder à la notion d'individualisme que, d'une certaine manière, la notion de Karma cherche à « révolutionner » dans la religion. Nous entrons dans une société qui sort de l'obscurité du repli identitaire de la maladie du Sida. Une société gabonaise qui démystifie et démythifie les puissances de la nuit comme agent privilégier de la contamination du Sida. Nous accédons à cette société où le Sujet reprend toute sa place dans la société afin de prendre sa responsabilité face à la maladie du Sida longtemps attribué au mauvais regard du chasseur de la nuit imaginaire. Nous accédons, petit à petit, à une société moderne oü l'être reprend le pouvoir et le contrôle de la réalité. Une modernité qui est selon Fidèle-Pierre NZE NGUEMA « l'expression d'un ensemble de circonstance gratuites (...) qui aboutissent au XXème siècle au développement exponentiel des sciences et des techniques.285»

Toutefois, cette réflexion sur ces « tares » à métaphoriser les objets, les choses et les mots en figures de spectres de la nuit de la prestidigitation postcoloniale peuvent, in fine, se comprendre. Il peuvent se comprendre du fait que ces figures font partie intrinsèque de nousmémes. C'est probablement nos fantasmes qui sont imagés au grand jour du réel par les métaphores et les représentations sociales. Et, en ce sens, nous nous accordons avec FOUCAULT quand il dit que « nous ne vivons pas dans un espace homogène et vide, mais au contraire, dans un espace qui est tout chargé de qualités, un espace qui est peut-être aussi hanté de fantasmes ; l'espace de notre perception première, celui de nos rêveries, celui de nos passions détiennent en eux-mêmes des qualités qui sont comme intrinsèques.286»

284 Confère les annexes.

285 Fidèle -Pierre NZE-NGUEMA, Modernité, tiers-mythe et bouc-hémisphère, Paris, Publisud, 1990, p 31.

286 Michel FOUCAULT, Dits et écrits IV, Paris, Gallimard, 1994, p 754.

CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE

Dans le milieu religieux, nous ne sommes pas loin de cette conception populaire qui indique que la maladie du sida peut être donnée par le moyen de la sorcellerie. Sauf que dans le cas du Sida, au fil du temps de la déconstruction biomédicale des révélations illusoires des pasteurs, de moins en moins déclarent guérir le Sida. Mais ils n'ont pas, nécessairement, abdiqué pour autant. Le rapport à changer car ce n'est plus une maladie du Diable mais une punition divine que les séropositifs ne peuvent extraire de leur corps que par la puissance charismatique du pasteur et de ses prières de délivrances. Quant au mouvement ésotérique des confréries initiatiques, le rapport à la maladie oscille entre l'homme et les esprits supérieurs. Être malade du Sida c'est être tributaire d'un karma individuel ou collectif. Apprendre à vivre avec sa maladie, l'assumer c'est alléger son karma et peut être guérir divinement du Sida. L'autre dans cette conception cesse d'être diabolisé mais est plutôt vu comme moyen de repentance. A tout le moins, il existe ce principe que Michel FOUCAULT énonce comme pouvoir de vie et de mort sur les sujets287. Dans cet univers religieux, il y a toujours un être qui à droit de vie et de mort sur les hommes, Dieu ou le Souverain moderne, et la maladie est une de ses armes.

Mais quelque chose d'essentielle semble utile à retenir de cette deuxième partie. L'essentiel est de retenir que dans les villes postcoloniales, la forte prégnance à tout se représenter suit un mode de raisonnement qui se conceptualise sous trois piliers qui sont : la sorcellerie, le sexe et Dieu ou la religion. Ce n'est jamais loin des frontières de la sorcellerie, du sexe ou de Dieu que la maladie de manière générale, et la maladie du sida en particulier, se représente. C'est toujours soit en rapport avec l'autre ou en rapport avec une puissance imaginaire telle que Dieu, qui est à l'origine du sida. C'est donc toujours les idées qui gravitent autour des choses du corps, des affaires du corps qui soutiennent les piliers des métaphores du sida à Libreville. Nous ne quittons pratiquement pas le domaine de l'imaginatif.

Cependant, il faut éviter d'omettre de parler du phénomène de la décolonisation. En effet, comme nous l'avons présenté la décolonisation a participé pour beaucoup dans l'édification des métaphores et, de manière générale, des représentations sociales déformées de la maladie du sida. Car elles étaient le lieu de la revendication identitaire d'une race, d'une langue, d'une culture noire. Ainsi, la médecine s'est heurtée aux représentations sociales qui s'étaient établies en l'absence ou lors du déficit biomédical pour lutter contre la maladie du sida. À cet effet, les métaphores sont un front ou un lieu de conflit entre un discours biomédical colonial européen et un discours traditionnel indigène qui dénie le sida. C'est le lieu de la revendication identitaire d'un langage. Un marché économique et politique se dégage de cette lutte du sens.

Mais encore, deux grands moments se distinguent dans la description de notre objet d'étude. Le premier c'est cette forte inclinaison à renvoyer tout vers une attaque extérieur.

287 Michel FOUCAULT, Il faut défendre la société. Cours au collège de France 1976, Paris, Hautes Etudes, Gallimard, Le Seuil, 1997

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Une recherche du bouc-émissaire est propre au sida dans la société postcoloniale. C'est toujours l'autre que l'on peut métaphoriser en autre invisible, un autre qui est sans être. « Dans ces espaces, le pouvoir crée un Autre absolument nommé, dit par des mots ultimes qui le totalisent en tant qu'Autre.288» Le second moment, c'est cette réappropriation du sida par la biomédecine. Le sujet, le citoyen cesse de prendre pour référence cet Autre imaginaire pour réintégrer la notion de responsabilité. La modernité fait flamber les imaginaires afin de faire repousser la notion du Soi. Le soi, devient le centre des conceptions du sida. L'Autre fautif, envoyeur de fusil nocturne, qui inocule mystiquement le sida, ou qui décide de comment je vais mourir tend à disparaît afin de laisser place à la notion moderne de responsabilité.

A travers cette partie nous comprenons qu'en fait, « les métaphores ou les mots qui servent à parler du Sida, sous prétextes d'imposer le réel du Sida contre l'irréel des métaphores ou des mots, institut ces derniers au même niveau de réalités que le réel du Sida. Cela signifie que l'irréel devient aussi réel que le réel et c'est cela la violence de l'imaginaire. C'est une violence qui transforme les figures de l'imaginaire en figures aussi réelles, sinon, plus réelles que les réalités289. » Mais ces métaphores ont plus une utilité politique. En ce sens qu'elles sont assimilables à des dispositifs, des manières de penser. Car le dispositif c'est «tout ce qui a, d'une manière ou d'une autre, la capacité de capturer, d'orienter, de déterminer, d'intercepter, de modeler, de contrôler et d'assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants.290» Les métaphores sont des dispositifs qui visent à endoctriner mais aussi à modeler les esprits des acteurs des espaces hétérotopiques des villes postcoloniales.

288 Eugénia VILELA, op cit, p 12.

289 Joseph TONDA, Entretien a l'UOB, le 27 septembre 2011.

290 Giorgio AGAMBEN, Qu'est-ce qu'un dispositif ?, Paris, Editions Payot et rivages, 2007, p 31.

CONCLUSION GENERALE

Pour conclure, il nous faut mentionner que la société que nous étudions est la société moderne et postcoloniale. Même les espaces hétérotopiques indigènes, pourtant traditionnels, sont traversés par ce courant de la modernité qui s'est exprimé par la souveraineté de la loi capitaliste, de l'esprit de l'individualisme et le repli identitaire. La société gabonaise dans laquelle nous venons d'achever notre enquête est une société moderne et une société sur laquelle l'imaginaire à jeter son dévolu. Nous sommes dans une forme d'immense accumulation de spectacles.291 La société gabonaise postcoloniale est donc une société du spectacle. Nous devons comprendre ce terme dans son sens premier. C'est-à-dire, une société où le quotidien est une masse de scènes ironiques, érotiques, tragiques, dramatiques et parfois inédites. C'est ce que Gilles DELEUZE dit quand il énonce que l'intentionnalité fait place à tout un théâtre, une série de jeux du visible et de l'énonçable.292 C'est donc le spectacle qui « n'est pas [seulement] un ensemble d'images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images [et des choses].293 » Ce spectacle n'est qu'une forme de l'imaginaire ou « il est le coeur de l'irréalisme de la société réelle294.» Contrairement à ce que l'on pourrait penser, cette société que nous décrivons, cette société avec ses scènes aussi inédites les unes que les autres, est en fait un lieu où la réalité est transcrite ; une réalité possédée et enchevêtrée par le spectre de l'imaginaire. C'est peut être comme le dit DEBORD parce que la réalité apparaît dans le spectacle, et le spectacle est réel. C'est-à-dire que l'imaginaire prend une autorité réelle sur la scène du spectacle, l'apparence. Ainsi dit, nous pouvons considérer que l'ensemble de la configuration des représentations qui viennent d'être décrites est constitué par la transformation du capital économique295.

Les métaphores postcoloniales du Sida, les mots du Sida à Libreville sont issus de la réappropriation de l'économie libérale par les sociétés du spectacle de la postcolonie. C'est une économie des mots. Une économie qui met en rapport des mots et une maladie, des mots et une marchandise qui est le Sida ; les mots et la fiction imaginative du sens. Nous sommes dans une forme de réification d'un marché symbolique et imaginaire. C'est les choses et affaires du corps, cette sorcellopathie, ces strings des bombes sexuelles, ce stupéfiant qui viennent, tous et chacun à la fois, expliquer la viscosité du sens de la maladie du Sida au Gabon. Une viscosité cherchant avant tout le sens des choses du fait d'une urgence logique et sociale.296 Ils viennent expliquer une chose réelle avec des concepts aussi irréels les uns que les autres. Pourtant, ces concepts irréels s'échangent bien dans cette société du spectacle, cette société de la « grande nuit postcoloniale » que décrit Achille MBEMBE297. Nous nous accordons alors avec TONDA quand il dit que « tous les imaginaires que nous avons décrits et qui convertissent en capital sorcier le capital économique, le capital scolaire, le capital

291 Guy DEBORD, La société du spectacle, Paris, Gallimard, coll « Folio », 1992, p 15.

292 Gilles DELEUZE, Pourparlers 1972-1990, Paris, Éditions de minuit, 2003, p 146.

293 Guy DEBORD, Op cit, p16.

294 Guy DEBORD, Op cit, p 17

295 Joseph TONDA, « Capital sorcier et travail de Dieu », Pouvoirs sorciers, Paris, Karthala, coll « Politique

africaine », n°79 -octobre 2000, p 58.

296 Marc AUGE, Maladies, Paris, Encyclopédies Universalis, corpus 14, 2002, p 194

297 Achille MBEMBE, Sortir de la grande nuit. Essais sur l'Afrique décolonisée, Paris, La découverte, 2010, p 16.

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politique, le capital religieux et chrétien sont la preuve de ce que Dieu et le génie sorcier [mais aussi la rumeur] sont partie prenante des mêmes structures de causalité du malheur en Afrique298». Nous accordons du crédit à ce propos en ce sens que c'est le rapport à l'imaginaire social qui perverti, transfigure, métamorphose et métaphorise la chose réelle en produit irréel. Le Sida de ce fait n'est plus un syndrome d'immuno déficience acquise, mais quelque chose qui se rattache à toutes les sordidités imaginaires du discours trivial et du mythe indigène. C'est-à-dire, tout sauf un discours rationnel qui est conforme aux normes étiologiques de la pensée biomédicale. Il faut s'attendre à ce qu'une analyse selon laquelle, « toute maladie ou infortune requiert une interprétation, et celle-ci est un avatar des relations sociales et des représentations propres à une société299», devienne un argument d'autorité dans l'explication du rapport des représentations sociales de la maladie du Sida à la réalité. La société postcoloniale de Libreville est une société qui est dans une crise de la question de la représentation. Ce qui conduit indubitablement vers une crise étiologique. Mais encore, « tout se passe par conséquent comme si la transmission hétérosexuelle était la seule réalité épidémiologique tangible et exemplifiait à elle seule, sous forme de comportements spécifiques, le sous-développement et les misères de l'Afrique.300»

Implicitement, les acteurs de la société postcoloniale gabonaise sont en perpétuelle contradiction avec eux-mémes et leur propre sens. Ceci nous l'illustrons avec SINDZINGRE quand il dit qu' « être le sujet d'une infortune est un évènement fondamentalement injuste pour quiconque, qui implique la nécessité de trouver un sens, de l'insérer dans une chaîne de causes et effets301.» Nous y voyons une contradiction car les acteurs de la postcolonie croient en ce Dieu stupéfiant, en ces esprits de la forét et de la grande nuit de l'agape sorcellaire. Ce sont ces représentations qui les protègent, et qu'ils divinisent, qui sont encore, curieusement à l'origine du mal. C'est-à-dire qu'ils sont, symboliquement, pris de passion et d'admiration, d'adoration pour les structures de causalité du malheur : leur propre imagination. Ce qui nous permet de dire que les acteurs de la postcolonie participent aux structures de causalité du malheur en Afrique centrale car ils en font partis. Ils s'empoisonnent de leur propre poison imaginaire. Ils sont en fait une sorte de paradoxe. Ils stigmatisent le mal qui leur est donné par celui ou ceux qu'ils ont crées, mais ils sont pris d'adoration pour leur bourreau, leur Souverain, leur imagination. En fait nous sommes dans une forme de théorie du miroir. Mieux encore, nous sommes en face de la théorie du syndrome de Stockholm. Syndrome par lequel l'otage finit par tomber amoureux de son bourreau. Les sujets postcoloniaux sont effrayés par le reflet du miroir en oubliant que ce qu'ils les effraient n'est autre que la projection imaginaire de leurs phobies ; en un mot ils ont peur d'eux-mêmes. C'est une forme de

298 Joseph TONDA, Op cit, p 65.

299 N. SINDZINGRE, « La nécessité du sens : l'explication de l'infortune chez les SUNFO », Le sens du mal, Paris, éditions des archives contemporaines, coll « Ordres sociaux », 1994, p 96.

300 Jean-Pierre DOZON, « Le sida et l'Afrique ou la causalité culturelle en question », in Critique de la santé publique, Paris, Balland, 2001, p 224.

301 N. SINDZINGRE, Ibid, p 96.

masochisme ou encore une forme de possession302, de transe. Mais peut-être que Yves BARREL trouve mieux les mots pour exprimer ce que nous pensons quand il dit qu' « en prenant son temps pour se contredire, la pensée humaine évite de s'affoler303.» C'est donc cela à quoi nous avons affaire dans cette étude, un affolement. C'est l'affolement qui conduit à ce que la maladie soit égarée dans les chemins de traverses des imaginaires. La maladie n'est plus seulement ce qui affecte les organes humains, mais aussi cette chose psychosomatique qui affecte l'esprit et ensuite le corps. C'est l'esprit de Dieu ou les esprits de la forêt, le non-être, qui donne le mal. Il n'y a plus rien avoir avec les bactéries, les parasites ou les virus, la maladie dans la postcolonie a été extraite de son champ. « Ainsi, que la maladie soit appréhendée comme hasard ou comme nécessité, comme innée ou accidentelle, elle est toujours extérieure à l'individu lui-même.304» Nous en viendrons à penser qu' à l'intérieur du corps humain, il y a un taux de bactéries ou de parasites, d'une certaine façon un taux de désordre autorisé. Tout comme la société à son taux d'hérésie, d'inepties « autorisées » dont les guerres, les épidémies meurtrières, les représentations sociales imaginaires en sont le stéréotype. Et la maladie sociale la plus répandue à l'heure actuelle dans les sociétés de la postcolonie africaine est la violence de l'imaginaire, la violence du sens.

Cette maladie de l'imaginaire est une maladie qui surgit suite à une entreprise de reconstruction, ou encore de réidentification. Lorsque baisse la flamme du joug colonial, l'africain est exposé a des réalités qui sont la construction d'un monde selon son idéologie. Mais ce monde est le lieu de déficit. Car ce que les colons laissent derrière eux ce ne sont que des structures primaires instaurées pour la petite communauté européenne. Ces structures qui prenaient en charge la part de ce qu'ils appelaient « l'Afrique utile ». Ce n'est donc rien que les « travailleurs nègres » qui en avaient accès. Du coup, le déficit sanitaire éclate avec une spontanéité cruelle au grand jour des indépendances. Alors, face à ce déficit de structures, l'imaginaire va réinventer et réifier un monde. Un monde où la médecine indigène avec toutes ses représentations prend une autorité « biomédical » en attendant l'arrivée de la biomédecine, le retour du « colon blanc ». Les métaphores du Sida sont une caractéristique de ce que nous venons d'énoncer. Les métaphores de la maladie est un manque de quelque chose. Cette capacité de la société à créer des significations imaginaires à partir desquelles se conçoit la possibilité méme de distinguer le rationnel et l'irrationnel, le naturel et le surnaturel, implique pour une formation sociale confrontée à des déficits historiquement produits, de s'inventer ou de s'instituer à partir du magma composé par les combinaisons, mélanges, associations, fusions de significations imaginaires sociales indigènes et exogènes305 comme le dit Joseph TONDA. C'est donc d'une certaine manière pour éviter de s'affoler que la société use des métaphores du Sida qui ont de l'autorité dans l'État biopoliticien du Gabon. L'imaginaire

302 Lire à ce sujet Charles BAUDELAIRE qui dans un poème présente métaphoriquement cette grande nuit idéologique dans lequel un individu rend hommage à son oppresseur. « Le possédé », Les fleurs du mal, Paris, La librairie Générale Française, coll « Livre de Poche classique », 1999, p 85.

303 Yves BAREL, Le paradoxe et le système, Grenoble, PUG, 1979, p 258 cité par André MARY dans la préface de La guérison divine, Paris, Karthala, 2002, p 10

304 François LAPLANTINE, Anthropologie de la maladie, Paris, Editions Payot, 1992, p 280.

305 Joseph TONDA, La guérison divine en Afrique centrale (Congo, Gabon), Paris, Karthala, 2002, p 229.

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prend le relais dès que la biomédecine ou la biopolitique devient déficiente. C'est à cet effet, que nous pensons que les métaphores postcoloniales sont en fait des dispositifs. Car, par elles, il y a une orientation, un formatage, une formation et reformation, une réformation du modèle de penser. La maladie s'égare dans les méandres de l'imaginaire car elle permet de distraire la conscience collective en attendant la fin du déficit médicale.

Il nous faut aussi retenir, que le Stupéfiant, les Esprits de la forét et de l'eau sont tous l'unique représentation du Souverain. C'est l'être imaginaire qui a pouvoir de vie et de mort sur les sujets qui l'ont créés. Mais ce Souverain est un imaginaire. C'est quelque chose que l'on n'a jamais vu mais qui agit par une puissance « magique » sur les corps, sur les choses par les mots. C'est un être irréel qui vient commander les choses, le réel. Le réel est assiégé par l'irréel, qui, par extension, arrive à le réifier, l'aliéner à tel point qu'une indiscernabilité s'installe entre le réel et l'irréel. Alors, « la leçon de la sociologie de la guérison divine en Afrique centrale, est celle du caractère fondamentalement magique du Souverain moderne 306 .» Nous pouvons ironiquement penser que la violence de l'imaginaire est fondamentalement une « pensée de la magie ». C'est-à-dire une pensée qui pervertie et rend indiscernable les choses de leur non être, c'est ce que nous appelons de la prestidigitation sociale. Nous pensons que la biomédecine est une médecine démagifiante, méme si l'on reconnaît que son pouvoir technique se double d'un « pouvoir charismatique qui se nourrit de la foi dans les possibilités de la médecine à vaincre la maladie et la mort307

Cependant, dès que la biomédecine arrive dans les lieux de la pensée indigène, tout ne se passe pas comme s'il fallait, pour la médecine ésotérique indigène, léguer ou restituer ces droits à la biomédecine. Mais bien au contraire, une lutte entre les deux s'opère sur le champ de la maladie ; une lutte pour s'approprier le sens de la maladie et parfois plus encore. Les métaphores de la maladie du Sida sont un exemple de ce conflit entre la biomédecine et la médecine ésotérique indigène. Nous parlons plus ici de déficit, mais de refus de restituer le droit à la réalité. Cette lutte est un conflit ouvert qui expose la dualité entre l'imaginaire et la réalité, entre l'irréel et le réel, entre l'être et le non-être. C'est alors tout simplement une lutte de sens.

À la question de savoir pourquoi existe-t-il autant de métaphores de la maladie du Sida dans les espaces hétérotopiques du Gabon, nous pensons que la floraison névralgique des espaces hétérotopiques à Libreville, qui sont les lieux producteurs du sens commun, ont pris le dessus sur la biomédecine par l'incurie avérée de l'État au début de la pandémie du Sida. Mais nous devons comprendre que cet État postcolonial s'est lui-même infecté par ce besoin

d' « affolement » créé par le satrape dans l'objectif de rendre la réalité indiscernable. Car dans cette obscurité, la manipulation des hommes de la société gabonaise devient plus facile car cette population est elle-même cette chose qui sort de la forêt et qui croit en ces choses de la nuit et du non-être. Cet État postcolonial de la fin des années 80 et des années 90 tend à entrer dans un modernisme. Ceci inclut que le repli identitaire qui plane sur le besoin de

306 Joseph TONDA, Op cit, p 230

307 Jean-Claude GUYOT, Quelle médecine pour quelle société, Paris, Privat, 1982, p 291 cité par Joseph TONDA, La guérison divine en Afrique en Centrale, Op cit, p231.

donner une explication, un sens imaginaire de la maladie du Sida propre à chaque ethnie, est ostracisé par la puissance d'une représentation « univoque " de la maladie du Sida comme maladie biomédicale. Nous entrevoyons une lecture « moderniste " des métaphores du Sida à Libreville. En ce sens que les métaphores du Sida sont caractérisées par deux grands moments. Le premier moment est cette période postcoloniale oü le Sida c'est le Mbumba, le Nzatsi, le Kôhng, en quelque sorte le sida est un évènement qui est attribué à la puissance d'un pouvoir mortifère sorcellaire invisible. C'est-à-dire que dans la postcolonie la maladie est une entité extérieure à l'être. C'est un mal donné par les autres. Le second moment c'est la deuxième période de la fin des années 90 qui s'inaugure par des métaphores musicales qui démystifient, démythifient le sida des autres, le Sida invisible sorcellaire, pour intégrer cette dimension du soi et de sa propre responsabilité. C'est donc un Sida qui ne prend en compte que le soi et non plus les autres cette extériorité que l'on cherche à condamner de son mal. C'est deux moments s'opposent par le fait que l'un est tourné vers l'extérieur et cherche la causalité de la maladie en dehors de soi, tandis que l'autre regarde à l'intérieur de Soi comme une critique de la responsabilité. Alors, parmi les structures de causalités du Souverain moderne nous pouvons ajouter les métaphores et leur sens, la violence du sens. Mais encore, les structures de causalité de la maladie du Sida ne sont plus essentiellement les Nzatsi, les Mbumba, les Mwiri, les Kôhng, mais aussi, les actes qui impliquent sa propre responsabilité (comme le refus du port du préservatif). Ce n'est plus l'autre mais moi qui suit responsable de ma maladie.

Seulement, nous réaffirmons avec force que les métaphores postcoloniales sont une forme de réinvention d'un monde « indigène ". Un monde qui cherche et recherche une identité tout en niant et déniant les acquis biomédicaux qui sont perçus, par extension, comme une idéologie coloniale qu'il faut faire disparaître.

En définitive, la peste, que nous décrivons comme métaphore du Sida ou comme grande épidémie selon CAMUS, est la métaphore des représentations sociales de la maladie du Sida. Ce sont ces représentations du Sida qui nous déciment en grand nombres depuis les années 1990 comme l'a fait la peste. Ces représentations sociales, ces métaphores du Sida, qui la rendent plus puissante et plus meurtrière en Afrique Centrale. C'est donc ces métaphores qu'il nous faut extirper de la nuit de la prestidigitation postcoloniale, la nuit de l'imaginaire pour enfin vivre la réalité de la maladie du sida au grand jour du réel. Nous devons passer à autre chose, entre autre à la reddition de la frénésie des représentations imaginaires à vouloir s'accaparer le réel. Mais nous ne devons pas oublier que si ces métaphores sont la peste « on peut lire dans les livres, que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu'il peut rester pendant des dizaines d'années endormi dans les meubles et le linge, qu'il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses, et que peut-être, le jour viendrait oü, pour le malheur et l'enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse308." Les métaphores du Sida ou la violence de l'imaginaire dans la société postcoloniale gabonaise sont l'épidémie qui corrompt le sens de la maladie.

308 Albert CAMUS, La peste, Paris, Gallimard, coll « Folio », 1947, p 279.

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OUVRAGES LITTERAIRES

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CONFERENCES

FOUCAULT Michel, l'art de penser, Conférence audio MP3, 1966.

INANGA Godel, journal télévisé de la RTG 1 produit le lundi 10 novembre 2008 à 13heures 27 minutes

TONDA Joseph, Entretien à l'UOB, le 27 septembre 2011

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SOURCES ORALES

M Etienne, masculin, Niveau d'étude secondaire, Bwitiste, retraité, Ipounou/ Massango (décédé en Juin 2011)

M Serge, masculin, niveau d'étude supérieur, chrétien, étudiant, Kota

M. Franck BAPOUNGA, masculin, niveau d'étude secondaire, catholique , Massango

117

M. Georges, niveau d'étude supérieur, franc-maçon, directeur des ressources humaines à la retraite, Nkomi / Mpongwè.

M. Hubert, masculin, niveau d'étude supérieur, bouddhiste, enseignant d'Espagnol, camerounais

M. Hugues, masculin, niveau d'étude supérieur, chrétien, infirmier, massango

M. Landry, masculin, niveau d'étude secondaire, rosicrucien, coursier, Nkomi/Mpongwè M. Mackjo's, masculin, niveau d'étude secondaire, catholique, Pounou

M. Nicolas, masculin, niveau d'étude secondaire, bwitiste, élève, Pounou.

M. x, niveau d'étude supérieur, catholique, statisticien, Fang.

Maître Louis Paul ELIWATCHANGO, masculin, niveau d'étude supérieur, rosicrucien (grand conseiller de l'ordre de la Rose-croix A.M.O.R.C au Gabon), médecin généraliste homéopathe au Sénat, Mpongwè

Maman Mado, féminin, pas de niveau d'étude mais femme d'un instituteur à la retraite, traditionnaliste, sans profession, Ipounou

Mlle Aude, féminin, niveau d'étude secondaire, catholique, sans profession, Fang.

Mlle Micheline, niveau d'étude sixième, pentecôtiste, ancienne caissière, Mwiénè (morte le 13 septembre 2011 à Libreville)

Mlle, Linda, féminin, niveau d'étude supérieure, catholique, Assistance en communication des entreprises, Mwiénè

Mme Jeannette, féminin, niveau d'étude primaire, traditionnaliste, technicienne de surface dans une administration, Mpongwé.

Papa Aspro, niveau d'étude primaire, Bwitiste, ancien militaire, Pounou / massango.

Papa Maboule, masculin, niveau d'étude primaire, Bwitiste, sans, Massango (décédé en décembre 2010)

TABLE DES MATIERES

Dédicace

Remerciements

Listedes sigles................................................................................................. ..

Listes des tableaux et diagramme.........................................................................

Introduction 1

Préalables épistémologiques 7

Première partie : Les métaphores de la maladie du Sida dans les espaces hétérotopiques de
la médecine traditionnelle indigène et populaire à Libreville
44

Introduction de la première partie 45

Chapitre I : Les représentations de la médecine ésotérique indigène du sida à Libreville

47

Section n°1 : Le Mwiri, le Mbumba Iyanô , le Mbumba et le Sida 47

1) Le Mwiri 48

2) Le Mbumba Iyanô 51

3) Le Mbumba 54

Section n°2 : Le Nzatsi, le Kôhng 57

2) Le Nzatsi 57

3) Le Kôhng 59

Chapitre II : Les représentations du sida dans l'espace populaire à Libreville 61

Section n°1 : Le Mbolou, Sidonie, Le syndrome inventé pour décourager les amoureux, la maladie du siècle, les quatre lettres et le kongossa 61

1) Le Mbolou 62

2) Sidonie et les débuts du PNLS dans les années 1990 63

3) Le syndrome inventé pour décourager les amoureux : le sida dans les années 1990.....66

4) La maladie du siècle et la grande maladie 67

5) Les quatre lettres .68

6) Le Kongossa et les métaphores de la maladie du Sida : ragot ou rumeur 70

119

Section n°2 : Les représentations musicales du sida dans les espaces hétérotopiques à
Libreville 71

1) Le sida maladie du sexe dans la postcolonie : la violence de l'imaginaire 72

2) Le sida maladie du sang 74

Conclusion de la première partie 77

Deuxième partie : Les métaphores de la maladie du Sida dans les espaces hétérotopiques pentecôtiste et des confréries initiatiques modernes à Libreville 79

Introduction de la deuxième partie 80

Chapitre III : Les représentations pentecôtistes et des confréries initiatiques modernes
du sida à Libreville
82

Section n°1 : Le pentecôtisme et le sida : la punition divine 82

1) L'évidence biomédicale du sida et l'obstination charismatique pentecôtiste 82

2) Le charisme et la punition divine 84

Section n°2: Les représentations sociales dans les confréries initiatiques modernes 85

1) L'A.M.O.R.C : le karma et la maladie du sida 85

2) Le bouddhisme et la maladie du Sida 88
Chapitre IV : Les représentations du sida dans la postcolonie de Libreville : NIQtDtINHOiDSSUFEHAoFIRIoTiIXI . 90

Section n°1: Le Sida, le sexe, le sang, la sorcellerie et Dieu I liI' DTiQDRIEGMD
postcolonie 90

1) / I AidDI' DODdIII4iD' oXOW' DlDdIHOilQjICOMO dDQA OD SIANFIOQiI . 90

2) Les trois piliers des métaphores du sida dans la postcolonie Librevilloise 92

Section n°2: Les métaphores du sida, de la décolonisation au

postcolonialisme........................................................................ « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « 96

1) Les métaphores du sida : stéréotype du discours de la décolonisation 96

2) Les métaphores du sida à Libreville, de l'extérieur vers le soi : discussion autour de la postcolonialité et de la modernité 99

Conclusion de la deuxième partie 102

Conclusion générale 104

Bibliographie 109

121






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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote