REPUBLIQUE ALGERIENNE DEMOCRATIQUE ET
POPULAIRE
MINISTERE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE LA
RECHERCHE
SCIENTIFIQUE
UNIVERSITE MENTOURI. CONSTANTINE.
FACULTE DES
LETTRES ET DES LANGUES
DEPARTEMENT DE LANGUE ET LITTERATURE
FRANÇAISES
N° d`ordre : Série :
Mémoire présenté en vue de l'obtention
du diplôme de Master en Sciences du Langage
TITRE :
Etude linguistique du slogan
révolutionnaire
égyptien
(La révolution d'Egypte du 25 janvier
2011)
Présenté par: ABDELAZIZ
Yasser
Sous la direction du Professeur: Yasmina
CHERRAD
Membres du jury :
· Président : DERRADJI Yacine MC. Univ.
de Constantine.
· Examinateur : BEN MASAOUD Rida MC. Univ. de
Constantine.
· Rapporteur : CHERRAD Yasmina MC. Univ. de
Constantine.
Année universitaire : 2011/2012
Remerciements
Nous présentons notre grand remerciement à
notre directrice de
recherche, Madame la
professeure Yasmina CHERRAD qui nous a encadré et
orientée
pendant cette
période pour mener cette recherche et
élaborer ce mémoire.
Nous remercions aussi tous
les enseignants du département de langue et
littérature
françaises notamment
ceux de notre spécialité Science de
Langage.
Dédicaces
A mes parents et toute ma famille.
A mes amis. A mes collègues les étudiants de
Master, Science de
Langage.
Sommaire
Introduction générale .
4
Chapitre I : Le slogan révolutionnaire dans le
contexte sociolinguistique égyptien.
I- La révolution égyptienne et justification de
choix ...........8
II- Les slogans révolutionnaires égyptiens 10
1. Citation des principaux slogans de la révolution
égyptienne .10
2. Une grille d`analyse sociolinguistique . 14
2.1. Le critère sociolinguistique .14
2.2. Présentation de la grille ...14
3. Analyse interprétative des données et des
résultats 16
3.1. Bilinguisme et révolution égyptienne 16
3.2. Le slogan en français « dégage !
» dans le contexte sociolinguistique égyptien 17
Chapitre II : Le slogan révolutionnaire
égyptien entre langage et discours.
I- Définition du slogan révolutionnaire et ses
caractéristiques 20
1. Essai de définition . 20
2. Supports et caractéristiques du slogan
révolutionnaire.(comparé au slogan publicitaire, politique et au
proverbe) ..23
II- Sémiotique du langage révolutionnaire 27
1. Processus révolutionnaire égyptien . 27
2. Genèse du langage révolutionnaire 29
2.1. Kinésique révolutionnaire égyptienne
30
2.2. Proxémique révolutionnaire égyptienne
....31
III- Le cadre général du slogan
révolutionnaire égyptien 33
1. Analyse contextuelle de la révolution
égyptienne ..33
2. Message d`une communication révolutionnaire. (selon le
schéma de C.Kerbrat-Orecchioni) . 37
2.1. La communication révolutionnaire égyptienne
37
2.2. Le schéma de la communication révolutionnaire
38
VI- Le slogan révolutionnaire en tant que genre de
discours 43
1. Grille d`analyse du discours révolutionnaire ..43
1.1 . Critère d`élaboration .43
1.2 . Présentation de la grille .46
2. Le discours énonciatif révolutionnaire
égyptien .51
Chapitre III : Analyse lexico-sémantique et
pragmatique des slogans révolutionnaires égyptiens.
I- Une grille d`analyse syntaxique-sémantique des slogans
révolutionnaires
égyptiens 55
1. Le slogan révolutionnaire du point de vue syntaxique
55
1.1. Présentation de la grille syntaxique .55
1.2. Description de la composante syntaxique des slogans
révolutionnaires égyptiens ...57
2. Le slogan révolutionnaire du point de vue
sémantique 58
3. Présentation de la grille d`analyse sémantique
61
4. Analyse connotative/dénotative des slogans
révolutionnaires ...65
II- Relations sémantiques entre slogans
révolutionnaires .69
1. Dégage !, Irhal !, Out ! 69
2. Le peuple veut... : la chute / le départ
.72
3. A bas... : Moubarake / le régime 74
4. Les slogans de vendredi et des autres .76
5. Relation sémantique générale. ..77
III- La fonction pragmatique du dégagisme égyptien
78
1. Présupposé et sous entendu du slogan
révolutionnaire égyptien 79
1.1. Description sémantique ...79
1.2. Présupposé et sous entendu 81
2. Le dégagisme égyptien comme un acte de langage
84
3. Actes de langage des slogans révolutionnaires
égyptiens .....85
Conclusion générale 91
Bibliographie.
Annexe.
Introduction générale:
Le printemps arabe? est considéré comme le plus
gigantesque mouvement du soulèvement populaire qui a embarrassé
le monde arabe de l`océan jusqu`aux pays du golf. C`est tout un geste
protestataire de Mohamed Bouazizi qui s`est révolté en s`immolant
par le feu, cherchant sa dignité et sa liberté d`expression et de
travail. Une action d`un jeune tunisien qui en fait n`a pas seulement
parfumé la Tunisie par l`odeur de la révolution du Jasmin?, mais
une odeur qui s`est exhalée d`un pays à un autre et qui se sent
jusqu`à aujourd`hui en certaines régions comme la Syrie.
Ce mouvement inattendu le printemps arabe? est
considérablement caractérisé par son aspect apolitique,
plus ou moins pacifique. Il a été tellement structuré,
organisé par des manifestations, des marches collectives géantes
et des grèves d`où les manifestants n`ont que la langue et leurs
voix pour arme, en attribuant une nouvelle dimension au phénomène
de la révolution. Durant ces mobilisations les protestataires se sont
basés sur le pouvoir et la puissance des mots en scandant des
énoncés très attirants, qui expriment la colère et
l`indignation de la population. Des slogans qui indiquent les
différentes revendications espérant réaliser et instaurer
le changement radical social et/ ou politique comme fondements et objectifs de
toute révolution, selon une perspective marxiste, affirme M.Rubel dans
son ouvrage : « Marx et la démocratie »1.
Une révolution entraînée essentiellement par un ensemble de
cris plus proches de ceux de la guerre mais ni publicitaires ni politiques.
C`est tout à fait un nouveau type particulier. Ces slogans
considérés comme des faits langagiers mêlés d`un
évènement social de révolution en témoignant ce
rapport exhaustif entre le langage et la société.
D`une manière générale, la
révolution a été souvent mise en question en tant qu`un
évènement en plusieurs approches scientifiques, mais pas vraiment
dans notre champ disciplinaire dit Science du Langage d`où la
créativité et l`originalité de ce travail de recherche. En
nous basant sur le rôle de la langue et du langage en
général, ce type spécifique du slogan, disons
révolutionnaire constitue une masse scientifique et un objet exemplaire
à étudier en représentant le fond et la matière
primaire de notre analyse
1 Cité par : S. Bernard-Meyer. Marx et la
question de la démocratie?. Thèse de doctorat. 2008, P : 222-
223.
linguistique concernant la révolution menée sur
plusieurs niveaux sociolinguistiques, rhétoriques, sémantiques,
pragmatiques, etc.
L`extension géographique du mouvement printemps arabe?,
nous oblige à avoir un corpus de slogans assez représentatifs et
bien précis qui se rapportent à une révolution bien
déterminée dans une mobilisation connue par une multitude de
soulèvements. Ce sont donc les slogans de la révolution
égyptienne dont le choix sera explicitement justifié ci-dessous.
A cet égard notre analyse tient sa place et son occupation disciplinaire
et méthodologique sous l`intitulé de étude linguistique
des slogans révolutionnaires égyptiens?. (La révolution
d`Egypte du 25 Janvier 2011).
Pour problématiser notre sujet, il nous convient de
percevoir les différents niveaux et les principaux axes sur lesquels
cette étude peut être élaborée, grâce à
la richesse et l`extension d`une discipline comme la science du langage. Donc,
pour qu`il soit méthodologiquement bien fondé et
profondément construit, ce travail doit être articulé
autour de quelques questions cruciales et précises.
D`abord, nous nous sommes intéressé à la
coprésence des slogans plurilingues, dont le français de
Dégage !? fait partie, dans le contexte égyptien.
Ensuite à quelques questions essentielles comme: sous quelle
entité langagière, se produit le slogan révolutionnaire
égyptien ? Quel est le rôle accordé au slogan de la
révolution dans une situation de communication exceptionnelle, et de
quelle activité discursive relève-t-il ? Enfin quelles relations
sémantiques entraînent les slogans d`une même
révolution (égyptienne) ? Quelle dimension pragmatique sous
tendent-ils ?
En fait, cet ensemble de questions aboutit à plusieurs
autres dites secondaires qui orientent notre réflexion, et organisent le
terrain de l`investigation pertinemment aux objectifs visés par ce
travail.
Donc et suivant une réflexion hypothétique, nous
admettons d`abord que le plurilinguisme de sloganisation durant la
révolution d`Egypte et la confrontation du slogan français, ne
peuvent être justifiés que par le phénomène
sociolinguistique du bilinguisme égyptien, qui intervient même
dans une situation de révolution, et par le rang réservé
à la langue française dans la situation linguistique
égyptienne.
Encore et après avoir accepté ce particularisme
du slogan à l`évènement de révolution, nous
admettons comme des identifiants et déterminants la particularité
de son
contexte d`énonciation avec ses effets
perlocutionnaires qui le distinguent de tout autre type de slogan (publicitaire
et politique). Ensuite nous présupposons que le slogan
révolutionnaire n`est qu`un aspect verbal d`une entité
générale et spécifique dite le langage
révolutionnaire, dont la mise en scene relève d`un acte de
communication représentant l`activité discursive des participants
pour engendrer un discours inhérent à la situation avec des
caractéristiques d`un discours plus ou moins énonciatif. Pour
analyser cette situation nous postulons aussi la contextualisation de ce
phénomène de révolution suivant lequel les slogans sont
mis en question.
Appartenant à un même discours
révolutionnaire, et en tant qu`énoncés et formules
polylexicales dites figées, les slogans de la révolution
égyptienne sousentendent le même sens effectif qui indique une
relation sémantique paraphrastique d`équivalence entre les
différentes séquences qui seront étudiées. Enfin en
admettant la fonction pragmatique des slogans qui se caractérisent comme
des actes de langage attribués à la révolution. Chacun
d`eux représente un acte de langage révolutionnaire sur lequel se
base le soulèvement en Egypte.
Pour le cadre méthodologique, nous nous sommes
basé sur la méthode d`étude de document qui nous permet de
collecter et de recueillir les informations dont nous avons besoin. Ce sont un
ensemble de slogans révolutionnaires scandés pendant la
révolution égyptienne, et nous nous référons aux
articles d`un journal francophone en Egypte intitulé : AL AHRAM Hebdo
(en ligne). D`une manière générale, notre analyse sera
portée sur plusieurs niveaux linguistiques déterminés et
représentées par trois principaux grands chapitres
différents.
D`abord et dirigé par les questionnements posés
et les hypotheses présupposées, le premier chapitre est
présenté avec le titre de : « Le slogan
révolutionnaire dans le contexte sociolinguistique égyptien
». Il s`agit d`une analyse d`un premier constat sur le corpus. Ce
chapitre joue le rôle d`introducteur qui prend en charge le slogan
suivant un point de vue sociolinguistique. Donc projeter une lumière
sociolinguistique sur notre objet d`étude en mettant en
considération le rapport entre le langage (le slogan comme fait
langagier) et la révolution comme un évènement social en
Egypte, et c`est le premier niveau d`analyse envisagé.
Le deuxième chapitre porte le titre de : « Le
slogan révolutionnaire égyptien entre langage et discours ».
Au sein de ce chapitre nous essayerons d`abord de donner une
définition au slogan de la révolution en explicitant ses
déterminants, ses identifiants, ses différents supports et
caractéristiques observées. Ensuite, l`étude sera
menée sur un autre niveau linguistique dit sémiotique du langage
révolutionnaire présupposé en s`intéressant
à sa genèse en analysant l`interaction entre ses divers signaux
verbaux et non verbaux (kinésiques et proxémiques), mais,
après avoir mentionné brièvement le processus
révolutionnaire dans lequel ils sont reliés. Ensuite, nous
analyserons le cadre général du slogan révolutionnaire
égyptien. Il s`agit d`une analyse contextuelle de la révolution
égyptienne : le contexte spécifique dans lequel le langage
étudié est mis en scène et est considéré
comme un ensemble de messages transmis pendant une communication
particulière, qui sera traitée suivant une perspective
proposée par C. Kerbrat-Orecchioni.
Nous étudierons ensuite l`activité discursive ou
le discours révolutionnaire égyptien en tant que discours
énonciatif pour mettre en relief notamment le rapport d`influence entre
les participants de la communication, ce qui nous permettra de comprendre
l`effet de sens partagé et commun assigné aux divers messages
portés par le slogan.
Le dernier chapitre est consacré à l`analyse
lexico-sémantique et pragmatique des slogans révolutionnaires
égyptiens. Il consiste beaucoup plus en l`étude du contenu des
slogans suivant ses deux types : nominatif d`une part, d`autre part le contenu
communicatif. Dans ce chapitre les slogans seront étudiés d`abord
d`un point de vue syntaxique. Il s`agit de rendre compte la composante
syntaxique en dégageant les différents modèles et
structures distinguées. Alors d`un point de vue sémantique, nous
analyserons le sens du contenu des slogans : nominatif et communicatif. Donc
nous essayerons dégager les relations lexico-sémantiques entre
les énoncés au niveau du sens explicite (direct et indirect),
d`une part, d`autre part au niveau du sens implicite (présupposé
et sous entendu) grâce à une analyse pragmatique du
Dégagisme égyptien comme acte de langage en
précisant celui-ci d`un slogan à un autre.
Chapitre I : Le slogan révolutionnaire dans un
contexte sociolinguistique égyptien.
D`une manière générale, ce chapitre
consiste à présenter notre corpus d`étude suivant un cadre
méthodologique mené à travers trois principaux volets.
D`abord une présentation de la révolution égyptienne, avec
une justification de ce choix et de sa mise en question parmi une multitude de
mouvements révolutionnaires représentant « le printemps
arabe ». Ensuite, nous citons l`ensemble des principaux slogans
révolutionnaires égyptiens qui forment et constituent l`objet de
notre analyse. Enfin nous étudions cet objet selon une réflexion
sociolinguistique.
I- La révolution égyptienne et
justification de choix :
La révolution égyptienne du « 25 janvier
2011 », appelée aussi la révolution du Nil et des 18 jours,
n`est en fait qu`une petite scene faisant partie d`un immense mouvement
protestataire connu sous le nom de « le printemps arabe ». Une grande
mobilisation populaire qui englobe presque la majorité des pays du monde
arabe, du golf à l`océan, qui s`est déclenchée en
Tunisie en décembre 2010, passant par l`Egypte, la Lybie, et
perpétuée jusqu`à nos jours en Syrie.
En Egypte, le mouvement s`est enflammé le jour du 25
janvier 2011, en réaction et en répondant à l`appel
à une « journée de colère », lancé par un
groupe de jeunes activistes, militants de l`opposition du « mouvement du 6
Avril » créé en 2008 (Al-Ahram Hebdo 2011. N° 856).
D`bord la révolution en Egypte a été
commencée au Caire la capitale du pays en s`amplifiant et envahissant
toutes les villes et les provinces, avec la participation des
différentes catégories et couches sociales.
D`une manière générale, cette culture et
philosophie de la révolution est connue par la rue égyptienne
depuis plusieurs années. De temps en temps des marches et des
manifestations ont été organisées avec ce nouveau
comportement d`occupation des places et des endroits sensibles et
significatifs, souvent devant les établissements et les institutions
étatiques ; avec aussi, plusieurs grèves annoncées des
l`an 2006 dans divers
secteurs administratifs et socio-économiques. En fait,
ce sont des différentes techniques représentant en
général « le processus révolutionnaire
»2 égyptien.
« Pourquoi les égyptiens ne se
soulèvent-ils pas ?! » se demande Alaa Al Aswany3.
Lorsque tous les ingrédients d`une révolte sont présents
et fort condensés dans la société, comme il a
été invoqué par ce journaliste écrivain, aussi
activiste et militant d`opposition, qui a participé à cette
révolution des18 jours.
Les égyptiens se sont révoltés contre la
dictature de Moubarak qui monopolise la chaise du pouvoir depuis plus de 30
ans. Sans contester, leur quête est effectivement législative.
C`est la démocratie. Alors, l`Egypte à cette époque est
arrivée à « une impasse politique » marquée par
les dernières législatives falsifiées, notamment avec un
projet qui se profile à l'horizon. Il s`agit d`une transmission
héréditaire du pouvoir à son fils cadet G.
Moubarak4. Ils ont fait la révolution contre l`injustice,
l`inégalité sociale, le chômage et contre la
pauvreté (40% de la population vivent en dessous du seuil de
pauvreté avec moins de deux dollars par jours) (Al-Ahram Hebdo.2011.
N° 856). Ils se sont révoltés surtout contre la torture et
l`oppression exercée par l`ordre des forces et de la police.
En fait, le peuple égyptien est inspiré par
« la révolution du jasmin ». Il sort de son mutisme en disant
son mot « Dégage ! ». Une révolution qui a
fait plus de 864 morts, et environ 6460 blessés, alors que 26 policiers
ont été tués (Al-Ahram Hebdo.2011. N°868), en
réalisant le changement et obligeant Moubarak à céder sa
place le vendredi 11 février 2011.
? Pourquoi la révolution égyptienne ?
D`abord et malgré le fait que « la
révolution du jasmin » (tunisienne) joue un rôle primordial
et inspirateur du printemps arabe, nous avons constaté que le cadre
général ou le processus révolutionnaire en question est
plus clair, plus explicite par rapport aux autres. Cette organisation est un
élément très avantageux qui est considéré
sur plusieurs niveaux : la richesse en matière de production des slogans
révolutionnaires permettant de représenter et d`élaborer
un corpus fiable et assez authentique pour notre
2 Sophie Bessis. « Pluralité des causes de la
révolution et pluralité des scénarios
(post)-révolutionnaires dans le monde arabe ». Conférence
présentée le 29 janvier 2011 au centre culturel français
à Constantine.
3 Alaa Al Aswany. Chroniques de la révolution
égyptienne, actes sud, 2011. P9.
4 Y. ElGhazli. « Une lecture de la révolution
égyptienne ». avril 2011.
travail d`une part, d`autre part au niveau d`organisation des
manifestations et des marches d`un million, ainsi le sit-in comme
phénomène de protestation dont la place Tahrir est maintenant
connue partout dans le monde. Ce sont aussi des signes de révolution,
comme un ensemble de comportements non verbaux (kinésique,
proxémique) en interaction avec le comportement ou des signes
linguistiques du langage révolutionnaire. Donc tout ceci nous permet
d`étudier et d`indiquer l`organisation et le fonctionnement de ce
langage présupposé, et la complémentarité entre ses
deux aspects : verbal ; non verbal.
Enfin, les Égyptiens sont les premiers ayant
créé cette habitude de lever et scander chaque vendredi un slogan
principal, un appel ou une nomination du jour (vendredi de la colère ;
du départ ; ...). Ils inspirent les autres pays et population arabes, et
constituer en quelque sorte un modèle suivi, alors un moteur du
mouvement «le printemps arabe ».
II- Les slogans révolutionnaires
égyptiens :
1. Citation des principaux slogans de la
révolution égyptienne :
Tout d`abord -comme nous l`avons déjà
affirmé- par le moyen de la méthodologie d`étude de
documents, la presse sur laquelle nous nous sommes basé pour le recueil
des informations du corpus est intitulée : « Al ahram hebdo (en
ligne) »5. C`est un journal égyptien,
électronique, hebdomadaire et francophone.
En fait, la révolution égyptienne est connue par
une densité remarquable de slogans révolutionnaires
scandés dans les rues. Dont chaque slogan raconte une partie ou toute
l`histoire de l`Egypte durant cette période. Il désigne en
indiquant les majeures revendications de telle ou telle tendance politique et
couche sociale qui s`est révoltée contre le régime et ses
institutions étatiques.
Alors les slogans révolutionnaires, auxquels nous nous
sommes intéressé, sont plus particulièrement
scandés, directement ou indirectement, contre le régime
régissant et, en premier degré, son représentant
l`ex-président H.Moubarak, et ceux réclamants la situation
socioéconomique du pays.
Enfin, la liste qui vient par la suite, présente en
général l`ensemble des slogans qui nous intéressent dans
notre étude. Ils sont puisés dans la presse
précitée, tels qu`ils
5 http://hebdo.ahram.org.eg/ et
http://hebdo.ahram.org.eg/Scripts/Hebdo/archive.asp
ont été évoqués dans les articles.
Quelques uns en arabes, comme nous l`avons
déjàobservé, sont transcrits
littéralement ou ont été traduits fidèlement en
français. Alors que
certains autres en français et anglais, ont
été ajoutés tels qu`ils ont été
scandés. Remarque :
Il peut y avoir plusieurs autres slogans, et non seulement
ceux que nous citons. Mais en cherchant la fiabilité,
l`authenticité et pour mieux cerner notre corpus, nous nous sommes
obligé à sélectionner ceux qui sont évoqués
par le journal référence « Al ahram hebdo » et
répondant aux trois critères de revendication que nous avons
précisés.
Des principaux slogans scandés de la
révolution Egyptienne
La presse référence : « Al Ahram-hebdo »
(en ligne).
1-«Dignité, liberté et justice sociale
». (Semaine du 29 février au 6 mars 2012, n° 911
Dossier. Semaine du 7 au 13 décembre 2011,
numéro 899 Nulle part ailleurs).
2-« Pain, liberté, justice sociale
» (Semaine du 9 au 15 mars 2011, n° 861. Semaine du 27
juillet au 2 août 2011, numéro 881).
3-«Taghyir, horriya et adala
egtemaiya», (changement, liberté et justice sociale)
Semaine du 16 au 22 mars 2011, numéro 862
4-« Moubarak, Dégage ! » (9-15
février 2011.n°857. La rubrique de : Egypte et de Semaine du 28
septembre au 4 octobre 2011, n° 890).
5-« Dégage ! ».(Semaine du 8 au
14 juin 2011, numéro 874Nulle part ailleurs. Semaine du
7 au 13 décembre 2011, numéro 899 Nulle part ailleurs).
6-« Irhal ! » (9-15 février
2011.n°857. La rubrique de : Société).
7-« Out !» (9-15 février
2011.n°857. La rubrique de : évènement).
8-« Game Over Moubarak ! », Semaine du
7 au 13 décembre 2011, numéro 899 Nulle part ailleurs.
9-« Le peuple veut ». (Semaine du 8 au
14 février 2012, n° 908. Idées)
« Al chaab youride isquat al-nizam »
(le peuple veut le renversement du régime). (2-8 février 2011.
N° 856. La rubrique de : évènement).
10-« Le peuple veut le départ du
régime ». (Al chaab youride rahil al-nizam ) (9-15
février 2011.n°857. La rubrique de : évènement).
11- « Le peuple veut la chute du régime
». (Semaine du 16 au 22 février 2011,
n°858. Monde Arabe)
12-« À bas le régime ! »
(Yasquot al-nizam) (Semaine du 9 au 15 février 2011,
numéro 857 Idées).
13-« À bas Moubarak ! »,
(yasquot Moubarak), (Semaine du 1er au 7 février 2012, numéro
907. Dossier).
14- « Sawra sawra hatta al-nasr, sawra fi kol
chawarie Masr», (révolution jusqu`àla victoire,
révolution dans toutes les rues de l`Egypte. Semaine du 16 au 22 mars
2011,
numéro 862)
15-« Al-Gueich wel chaab eid wahda »
(l`armée et le peuple, une seule main. Semaine du 8 au 14 juin 2011,
numéro 874Nulle part ailleurs).
> Des slogans de Vendredi : (entre 25
janvier-11février 2011)
16-« Vendredi de la colère ».
(2-8 février2011. N°856. La rubrique de : évènement /
Semaine du 3 au 9 août 2011, n° 882. Enquête).
17- « Vendredi du départ »
(9-15 février 2011.n°857. La rubrique de : Egypte. Et de 2-8 mars
2011. N° 860. La rubrique de : société).
18- «Vendredi du défi » (2-8
mars 2011. N° 860. La rubrique de : société).
> Quelques slogans humoristiques et de
dérision :
19-« Va-t-HQC1FICP EICEXCLUN » (9-15
février 2011.n°857. La rubrique de : Nulle part ailleurs).
20-« ' pTDTH,CATIP HIIINCSrHQGrHCXQHCGRXcKH
» (9-15 février 2011.n°857. La rubrique de : Nulle
part ailleurs).
21-« Dehors, ma fiancée me manque
» (9-15 février 2011.n°857. La rubrique de : Nulle part
ailleurs).
22-« Pardon monsieur le président, on a
tardé à te dire dégage ». (Semaine du 8 au
14 juin 2011, numéro 874.Nulle part ailleurs).
23-« Je veux voir un autre président avant de
mourir ! ». (Semaine du 7 au 13 décembre 2011,
numéro 899 Nulle part ailleurs).
24-« Game Over Moubarak ! ». (Semaine
du 7 au 13 décembre 2011, numéro 899 Nulle part ailleurs).
2- Une grille d'analyse sociolinguistique :
2.1. Le critère sociolinguistique :
Selon nos besoins et nos objectifs à travers cette
étude, nous pouvons facilement traduire la liste des slogans entre nos
mains, à des grilles d`analyses simples, explicites, pour mieux
perfectionner et systématiser notre démarche dans un cadre
méthodologique bien déterminé.
En fonction de ces finalités, nous pouvons
interpréter nos données en élaborant quelques grilles
d`analyses selon plusieurs critères précis, parmi lesquels nous
présentons d`abord le critère sociolinguistique. Il ne s`agit en
fait, qu`engendrer une sorte de classification des slogans de la
révolution suivant les différentes langues dans lesquelles ils
ont été énoncés.
En effet, dès la première observation de notre
corpus, nous avons constaté que la population égyptienne a fait
scander et réclamer ses revendications en plusieurs langues : arabe
égyptien, français et anglais. Donc, ce critère est
pertinent d`une différenciation et d`une pluralité de langue de
l`énoncé d`un même objectif, et d`une même situation
ou contexte social.
2.2. Présentation de la grille :
D`une manière générale cette grille
résume comme un simple tableau la distribution et la classification des
principaux slogans de notre corpus selon le critère sociolinguistique
indiqué.
Donc elle est présentée à travers un
tableau de trois colonnes, dont chacune est réservée pour une
langue différente. D`abord, la colonne n°1 est pour « l`arabe
égyptien ». Ensuite la colonne n°2 est pour les slogans
scandés en anglais. Et enfin, la colonne n°3 est pour ceux qui sont
en français, comme il indique le tableau-1-.
Tableau-1- :
Classification des slogans révolutionnaires
selon le critère sociolinguistique:
8
|
En Arabe Egyptien
|
En Anglais
|
En Français
|
Les
principaux slogans révolutionnaires
scandés durant
la révolution
égyptienne du
25 janvier 2011. (25
janvier- 11février2011).
|
Dignité, liberté et justice sociale
|
Out !
|
Moubara
ke,
Dégage !
|
Pain, liberté, justice sociale
|
Game Over
Moubarak !
|
Dégage !
1
|
Taghyir, horriya et adala
egtemaiya(changement, liberté et justice sociale)
|
irhal ! Dégage !
|
Al chaab youride isquat al-nizam (Le peuple veut la chute du
régime)
|
Al chaab youride rahil al-nizam
(Le peuple veut le départ du régime)
|
À bas Moubarak ! (yasquot Moubarak).
|
À bas le régime ! (yasquot al-nizam)
|
Sawra sawra hatta al-nasr, sawra fi kol chawarie
Masr(révolution jusqu'à la victoire, révolution dans
toutes les rues de l'Egypte)
|
Al-Gueich wel chaab eid
wahda(l'armée et le peuple, une seule main).
|
Vendredi de la colère
|
Vendredi du départ
|
Vendredi du défi
|
Va-t-en j'ai mal au bras
|
Dégage, j'aimerais prendre une
douche
|
Dehors, ma fiancée me manque
|
Pardon monsieur le président, on a tardé à
te
dire dégage
|
Je veux voir un autre président avant de mourir !
|
3- Analyse interprétative des données et
des résultats :
L`interprétation de ces différents constats ne
peut être réalisée qu`à travers la mise en
considération de la situation sociolinguistique de l`Egypte. En essayant
d`abord d`expliciter le phénomène du bilinguisme égyptien
caractérisant cette situation contextuelle exceptionnelle de
révolution, pour justifier la pluralité linguistique des slogans
révolutionnaires. Ensuite, il s`agit de rendre compte du statut
accordé à la langue française et sa position dans la
politique linguistique égyptienne. En d`autres termes, en essayant de
répondre à quelques questions fondamentales qui se posent de
façon systématique dès les premières observations
du corpus.
3.1. Bilinguisme et révolution égyptienne :
La présence de plusieurs langues et
variétés pour énoncer et scander les slogans
révolutionnaires étudiés, n`est en fait justifiée
que par le phénomène de bilinguisme caractérisant la
situation sociolinguistique égyptienne. Bien évident, l`Egypte
est le pays le plus peuplé dans le monde arabe avec environ 84 millions
d`habitats depuis l`an 2010, dispersés entre plus de 27 groupes
minoritaires non seulement arabophones mais tout à fait
plurilingues6. L`Egypte est un pays bilingue dans la mesure
où le bilinguisme est un phénomène mondial, et « dans
tous les pays, on trouve des personnes qui utilisent deux ou plusieurs langues
à diverses fins et dans divers contextes »7.
Dans notre cas étudié (la situation de la
révolution égyptienne), ce plurilinguisme se présente
comme un « bilinguisme de la collectivité ». Chaque
individu ou groupe d`individus protestant est libre de s`exprimer et d`exprimer
sa colère et son mécontentement, et de se révolter et
scander ses revendications dans sa propre langue, ou dans sa langue
préférée. Dans ce cas, la majorité des
égyptiens protestataires l`a fait en arabe, alors que certains autres en
français et en anglais.
Du point de vue de politique linguistique, l`Egypte a
actuellement pour langue officielle, l`arabe classique dit de jure. Le groupe
majoritaire (environ 66,7%) parle
6
http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/afrique/egypte.htm
7 M.L.Maureau. Sociolinguistique concepts de base. Mardaga.1997,
p61.
l`arabe dialectal égyptien, alors que deux autres langues
accordées d`un statut de langue étrangère, sont le
français et l`anglais8.
3.2. Le slogan en français « dégage !
» dans le contexte sociolinguistique égyptien :
Dalila MORSLY s`est aussi intéressée au mot
dégage dès son apparition en tant que slogan
révolutionnaire durant la mobilisation tunisienne (révolution du
jasmin)9, suivant une réflexion publiée par
J.L.Calvet10. Selon D. MORSLY, toute analyse de ce mot dégage
doit être menée à travers deux principaux critères :
d`une part, au niveau d`un espace d` «un territoire linguistique et
sémantique » partagé avec un français d`une norme
endogène parlé par les Tunisiens, dont le sens de dégage
ne peut être saisi qu`en nous référant à une norme
d`un français hexagonal ou standard. Dans le même niveau
d`investigation sur le terrain, D. MORSLY après une enquête
menée auprès des Tunisiens, elle a constaté que «
dégage » existe déjà dans leur dialecte avec
certaines distinctions phonétique et morphologique : digage, ydigagi
(il dégage). D`autre part, l`autre critère est d`un point de
vue contextuel et sociolinguistique dans lequel le français est en
contact, et souvent en situation conflictuelle, avec des autres
variétés linguistiques.
Au même titre que les Tunisiens, les Égyptiens
ont fait appel à ce « bon vieux mot de la langue française
pour se débarrasser d`un tyran »11. Donc et à la
lumière de cette réflexion de D. MORSLY, et d`après ce que
nous présupposons, même si le mot de dégage ne vient pas
d`un arabe dialectal égyptien comme celui tunisien ou algérien,
il parvient certainement d`un français particulier parlé en
Egypte. Une variété linguistique ayant en commun avec des autres
communautés francophones la même norme référentielle
: français standard en se caractérisant par son usage particulier
soumis à une « norme endogène » égyptienne dans
un contexte sociolinguistique plurilingue plus ou moins dominé par
l`arabe dialectal égyptien.
8
http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/afrique/egypte.htm
9 Dalila MORSLY. Dégage. Blog: langues
française (le français dans le monde). Publié par
J.L.Calvet le 05/07/2011.
http://nathan-cms.customers.artful.net/fdlm-v2/langue-francaise/?p=123
10 J.L.Calvet. Le couffin de la ménagère et les
dates branchées. Blog: langues française (le français dans
le monde). 03/10/2011.
11 Sophie Bessis, Économiste, Secrétaire
générale de la FIDH. Cité par Dalila MORSLY.
Dégage. Blog: langues française
A l`instar de l`anglais, le français en Egypte vient
aussi d`un héritage socioculturel des époques des mouvements du
colonialisme qu`a vécus l`Egypte comme tous les pays du monde arabe,
même si les expéditions de Napoléon Bonaparte demeurent des
sortes d`occupation d`un territoire étrangère.
D`ailleurs, le français existe en Egypte bien avant
l`anglais depuis
« l`expédition de Bonaparte en 1798 »
jusqu`à 1801, une période durant laquelle il existait plusieurs
écoles françaises12. Alors que vers la fin du
XIXème siècle (après cette période), le
français est considéré comme la langue de toutes les
communautés étrangères du pays. A cette époque
là, le français a été la langue de l`enseignement
et même de la communication familiale (maternelle), et de distinction
pour les classes de la bourgeoisie -les classes dominantes dans la
société-13.
Bien que la période entre 1882-1936, est dite « du
monopole du français » (D. Gerard, 1996 : 253), le français
en Egypte a vécu un stade conflictuel avec des autres langues : l`arabe
et notamment l`anglais, à cause d`une autre tendance coloniale
britannique qui a dominé le territoire (Doss Madiha.2004. p. 77).
Vers les années 60, après la révolution
de1952, le français a fait complètement changer de statut. En
fait non seulement à cause de la politique qui a été
imposée par les principes de cette révolution, mais le reflet
d`un changement entier de la communauté francophone du pays. Ce
changement a fait particulièrement élaborer tout un objet
d`étude et de mise question dans les travaux de G.Borelli et R.Ilbert
à la fin des années 70. Ces deux professeurs au
département de français à l`Université du Caire,
ont trouvé que « la clientele de la section de français de
l`université du Caire n`est plus essentiellement composée de
jeunes filles de l`ancienne bourgeoisie francophone »14.
Alors que vers les années 90, M.Francis-Saad selon son
enquête (1992), le français n`est plus maintenant
hérité de « la francophonie traditionnelle », mais est
une langue apprise par une nouvelle génération dans un milieu
scolaire et formel. Donc une
12
http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/afrique/egypte.htm
13 Doss Madiha. Le français en Egypte. Histoire et
présence actuelle. In: Cahiers de l'Association internationale des
études françaises, 2004, N°56. p. 76.
14 BORELLI Guy et Ilbert Robert, « Le recrutement des
étudiants de français (Université du Caire) signe d'une
mutation de la société égyptienne ? », 1980, p
147.
langue étrangère15. Elle était
une langue d`enseignement et enseignée dans des écoles
de
langue, pour une minorité d`étudiants d`une part, d`autre
part, elle est seconde pour le
cycle secondaire. Sans oublier enfin le niveau universitaire,
où il existe jusqu`àmaintenant 15 départements
de langue et de lettre françaises. Donc « le français est
aujourd`hui vécu comme un héritage dans le capital
des langues étrangères en Egypte » (Doss Madiha. 2004 :
83).
Donc en plus d`être inspiré par « la
révolution du jasmin », les Égyptiens ont scandé
« Dégage ! ». Un slogan français qui se relève
de la présence de la langue française dans la situation
sociolinguistique égyptienne, d`où cette langue est
accordée maintenant le statut d`une langue étrangère.
15 Doss Madiha. Le français en Egypte. Histoire et
présence actuelle. 2004. pp. 80-81.
Chapitre II : Le slogan révolutionnaire
égyptien entre langage et discours :
Au de ce chapitre nous essayons de cerner la définition
du slogan révolutionnaire, en dégageant ses déterminants
et ses identifiants qui le distinguent des autres types de slogans -
publicitaires ou politiques - d`une part, d`autre part en explicitant ses
différents supports de sloganisation et ses
caractéristiques du point de vue rhétorique. Ensuite, nous
mettons en considération la genèse du langage
révolutionnaire présupposé dont ce type de slogan
constitue son aspect verbal. Enfin, et après d`étudier le cadre
général et l`analyse contextuelle de la révolution,
après de montrer le rôle du slogan, en tant que message, dans la
communication révolutionnaire, nous traitons le discours
révolutionnaire en tant qu`énonciatif en précisant les
rapports d`influences et les différents points de vues situationnels
exprimés par les participants.
I- Définition du slogan révolutionnaire
et ses caractéristiques :
D`un point de vue étymologique le terme slogan vient du
gaëlique « Sluagh- ghairm » qui veut dire : « cri de guerre
». Donc le slogan est en principe un phénomène
inhérent aux luttes et aux champs de batailles jusqu` à l`an
1830, où il s`est ajusté une nouvelle signification d`une
dimension publicitaire d`une part, d`autre part d`une autre valeur dite
politique vers les années 193016
Notre objectif dans ce petit segment du travail est d`essayer
de bien cerner cette notion, et de donner une définition pour le slogan
révolutionnaire qui constitue l`objet de notre étude dans un
contexte particulier de la révolution égyptienne. En cherchant au
fur et à mesure à indiquer ses traits et ses critères
identifiants et déterminants, ainsi ses caractéristiques
notamment du point de vue rhétorique.
1. Essai de définition du slogan
révolutionnaire :
D`abord, le concept de « slogan » a connu plusieurs
définitions, dont à la lumière de quelques unes
proposées, nous tentons d`élaborer une précise pour le
slogan révolutionnaire.
-Parmi les définitions les plus globalisantes et les plus
explicites est celle proposée par Q.Reboul (1975) :
16 Navarro Dominguez Femando. La rhétorique du
slogan : Cliché, Idéologie et Communication. In : Bulletin
Historique. Tome 107. N°1, 2005. P : 266.
« J`appelle un slogan une formule concise et frappante,
facilement repérable, polémique est le plus souvent anonyme,
destinée à faire agir les masses tant par son style que par
l`élément d`autojustification, passionnelle ou rationnelle,
qu`elle comporte : comme le pouvoir d`incitation du slogan excède
toujours son sens explicite, le terme est plus ou moins péjoratif
»17
-Alors que M.J.Jaubert a insisté beaucoup plus sur les
traits principaux de tout slogan, en disant : « Ce doit être une
formule courte, facile à retenir, si possible pourvue d`un rythme
interne, de rimes et d`allitérations »18
-Enfin pour B.N.Grunig, les slogans d`une manière
générale sont des formules : frappantes anonymes et jouent
beaucoup plus sur le rôle implicite de leurs significations en incitant
par une force et pouvoir persuasif un public visé à
réagir. 19
À la lumière de ces définitions, nous
pouvons simplement grâce à leur analyse, avoir accès
à déterminer et identifier les critères et les
caractéristiques du slogan révolutionnaire, dans la mesure
où ses principaux traits sont déjà évoqués
et représentés par ces définitions. Dans ce cas et
après avoir constaté, en comparant avec d`autres types de slogan
connus, nous pouvons a priori affirmer que le slogan révolutionnaire ne
peut l`être qu`en se distinguant par deux critères
déterminants et identifiants : d`une part un contexte
d'énonciation assez particulier en fonction de la
particularité d`un contexte discursif spécifique de
révolution. D`autre part, ce sont les effets perlocutoires
attendus d`atteindre par le slogan révolutionnaire en tant
qu`énoncé provenant d`une activité complexe
d`énonciation, en tant qu`acte locutionnaire doué d`une
force illocutionnaire, ayant ses effets perlocutionnaires
visés (John Lyons.1980). (cf. chapitre III. III. 2 et 3).
En premier lieu et d`une manière
générale, si les slogans publicitaires et politiques sont
caractérisés chacun d`eux par son contexte et discours, le
révolutionnaire le sera aussi. Dans un discours publicitaire le slogan
comme énoncé joue un rôle tout à fait
différent de celui des autres types. C`est un rôle commercial,
économique en mettant en scène et en évidence tel ou tel
produit ou service présenté par des compagnies et des
sociétés de commerce. Alors qu`un slogan politique en
étant utilisé dans « La
17 Q. Reboul. Le slogan. Paris PUS. 1975 P42.
18 Marie José Jaubert. Slogan, mon amour. Ed.
Bernard Barrault. 1985. P10.
19 Blanche Noëlle GRUNIG. 1990. Les mots de la
publicité. L'architecture du slogan. Paris.
propagande politique », indique telle ou telle
perspective idéologique. Précisons donc que le slogan n`est
révolutionnaire que dans son contexte particulier, et d`ailleurs il est
le cas des slogans de notre corpus en question. Ils ont été
scandés dans des circonstances représentant le cadre
général de l`activité discursive de ces
énoncés, dont l`énonciation de ces slogans en dehors de ce
cadre contextuel peut et risque d`être vouée à
l`échec en signifiant et transmettant une autre signification que celle
d`une valeur de la philosophie de révolution. Il s`agit aussi de bien
maîtriser les coordonnées de la situation spatiotemporel
d'actualisation de ces énoncés réels dits slogans
révolutionnaires. 20 Pour niveaux expliciter ce point de vue,
nous citons l`exemple du slogan « Dégage ! » ou de
« Moubarak, dégage ! ». Ces deux
énoncés, leurs actualisations, leurs actes d`énonciation
ne sont réussis que dans un cadre révolutionnaire
déterminé par les coordonnées spatiotemporelles de la
situation de révolution reconnue par la révolution
égyptienne du 25 janvier 2011. Lorsque « Moubarak » en dehors
de ce contexte peut être une autre personne de celle intentionnée,
et même « dégage » est souvent utilisé dans des
autres situations ordinaires en désignant un simple ordre donné
par n`importe quelle personne.
Un autre slogan de « Dignité, liberté
et justice sociale » : hors le contexte d`énonciation de la
révolution égyptienne, cet énoncé ou cette formule
est beaucoup plus proche de la devise d`un parti ou d`un mouvement
sociopolitique, évidemment sans un aucun sens péjoratif au
même titre que la célèbre devise de la république
française : Liberté, Egalité, Fraternité. Par
contre et dans une situation de révolution, le slogan est
révolutionnaire par son sens péjoratif en indiquant l`ensemble
des revendications et des réclamations sur les quelles s`est
fondée la mobilisation.
En second lieu, le slogan révolutionnaire en tant
qu`acte locutoire, est assigné d`un ensemble d`effets perlocutoires
spécifiques qui le distinguent de toute autre formule. Lorsque «on
désigne l`effet qu`a un énoncé sur les croyances, les
attitudes ou le comportement de l`allocutaire et, dans certains cas, ces
conséquences sur les quelques états de choses sous le
contrôle de ce dernier » (John Lyons. 1980 : 351). Donc il s`agit
d`une série d`objectifs et de finalités attendues et sous
entendues à l`intention de l`activité d`énonciation. Dans
le contexte d`énonciation mis en question dans notre travail de
recherche « révolution égyptienne », le slogan
révolutionnaire manifeste des effets
20 John Lyons. Sémantique linguistique. La
rousse, 1980. P 197-200.
perlocutionnaires différents et assez
spécifiques en fonction non seulement la particularité de la
révolution, mais aussi ses principes, ses revendications et ses
objectifs attendus.
À travers le slogan révolutionnaire le peuple
égyptien annonce les revendications et les réclamations majeures
de sa mobilisation : le départ du président et son régime
en réclamant aussi la situation socioéconomique du pays. Il
essaie par une force illocutoire de son acte d`énonciation, à
faire réagir son interlocuteur suivant quelques effets perlocutionnaires
bien déterminés. D`un côté, pousser le
président et son régime à quitter le pouvoir, de l`autre
incitant et persuadant les citoyens à se rassembler autour de la
révolution pour qu`elle soit réussie.
2. Supports et caractéristique du slogan
révolutionnaire :
2.1. Les supports du slogan révolutionnaire :
Tout slogan dans la révolution égyptienne, en
plus d`être scandé, a étéprésent
dans chaque mécanisme du processus révolutionnaire de l`Egypte,
et transmis par
le moyen de quelques supports particuliers tels que : les
banderoles, les pancartes, et même parfois par une technique artistique
comme le graffiti.
D`abord, la banderole est un grand drapeau plus ou moins
rectangulaire sur lequel est imprimé ou tissé le message (le
slogan) à transmettre durant les événements de
mobilisations et de manifestations pour, dans notre cas, se révolter.
Ensuite la pancarte comme une petite carte levée
à la main, ou une petite plaque parfois avec panneau et porte le message
transmis, en ayant enfin les mêmes fonctions qu`une banderole dans une
situation révolutionnaire.
Enfin le graffiti, dans la mesure où durant la
révolution tout « le Caire s`est transformé en musée
ouvert » par ce type « d`acte d`écriture »21
de graffiter.
Le peuple égyptien grâce à une immense
catégorie d`artistes spécialistes, a fait transmettre son message
en utilisant même les murs des rues des grandes villes (AL AHRAM.
Hebdo.2011. N°899). Dans ce contexte le graffiti comme un art de la rue
est tout à fait révolutionnaire avec des images et des dessins
qui portent non seulement les slogans de la révolution, mais plusieurs
autres reflétant diverses idéologies et tendances
21 Fraenkel Béatrice, Actes d'écriture :
quand écrire c'est faire. Langage et société, 2007.
sociopolitiques dans la société. En effet les
slogans ne se sont pas limités d`être graffités sur les
murs, mais aussi sur les chars qui ornent les rues notamment la place Tahrir au
Caire.
2.2. Les caractéristiques du slogan
révolutionnaire égyptien :
Selon les définitions du slogan,
précisément celle donnée par Q.Reboul(1975), et les
principaux slogans de notre corpus, nous pouvons facilement aboutir aux
caractéristiques de tout slogan révolutionnaire.
- La concision : Comme un trait
général, et à l`instar de tout slogan, ceux de la
révolution d`Egypte sont des formules concises parfois même
limitées et réduites à un seul mot, comme le slogan de
« Dégage ! » (Irhal !, out !).
- Rythme, rime et assonance : Le slogan
révolutionnaire égyptien est aussi une formule
caractérisée par son style d`énonciation dont la rime, le
rythme et l`assonance sont parmi ses traits essentiels. Ils relèvent de
la fonction poétique qui est assez riche en arabe notamment
égyptien. Ces éléments stylistiques sont fort explicites
surtout au niveau des slogans réclamant la situation
socioéconomique : « Taghyir, horriya et adala egtemaiya
» (Changement, liberté et justice sociale), «
dignité, liberté et justice social », «
pain, liberté, justice sociale ».
- Autonomie ou dépendance
sémantique : D`une manière générale, les
slogans de la révolution égyptienne sont nécessairement
dépendants de leur cadre et contexte d`énonciation. Dans ce cas
et d`un point de vue référentiel, leur interprétations
sont inhérentes aux facteurs et aux paramètres de leur contexte
socioculturel. A ce niveau d`attribution, il nous faut préciser en
distinguant entre un contexte général dans lequel ils sont
énoncés (une situation révolutionnaire), et un autre
spécifique qui se découle directement du premier, en
précisant donc telle ou telle révolution.
Quelques slogans révolutionnaires de notre corpus, sont
des slogans plus ou moins généralisés, tels que : «
Dégage ! », « Irhal !, Out ! ». Ils peuvent
être scandés à n`importe quelle situation de
révolution. Des autres aussi de : « Al chaab yourid isquat
(rahil) al-nizam » tell que aussi le slogan de « À
bas le régime » (yasquot al-nizam). Ce sont
généralement des slogans qui peuvent être adaptés et
scandés par toute population et société dans une
révolution ou un mouvement de protestation. Malgré la
première apparition de ces slogans était pendant la
révolution du Jasmin, ils étaient aussi présents
dans celle égyptienne. Alors que certains entre eux,
n`atteindront leur sens qu`en se référent à leur contexte
révolutionnaire spécifié. « Moubarak
dégage ! » comme slogan révolutionnaire est intimement
lié à son cadre de contextualisation de sorte que « Moubarak
» n`est qu`un élément et paramètre essentiel
intervenant pour l`interprétation. Cependant, Moubarak est le
président de la république, et est la tête du régime
contre qui à été entretenue la révolution ou a
été scandé ce slogan. Cette dépendance au contexte
d`énonciation est parmi les critères déterminants qu`un
slogan est dit révolutionnaire. Mais, elle n`empêche pas vraiment
son autonomie sémantique, en indiquant sa fonction pragmatique lorsqu`il
existe en tant qu`énoncé, il se soumet à l`usage
différent d`un usager à un autre. Certains de ces
séquences, telle que : « Dignité, liberté,
justice sociale », peut être considérée comme une
devise dans un autre cadre énonciatif. « Dégage !
» aussi, peut être un simple ordre, une demande sous une forme
impérative dans un contexte de communication ordinaire.
-l'anonymat du slogan révolutionnaire :
comme tout autre type de slogan, le révolutionnaire peut aussi
être une formule anonyme dans la mesure où ni le locuteur ni son
interlocuteur sont explicites ou précisés. Dans « pain,
liberté et justice sociale », ni le locuteur (le peuple on le
groupe protestataire) ni son interlocuteur (le pouvoir et ses institutions)
sont déclarés ou explicités. C`est l`observation qui est
signalée au niveau de nombreux autres slogans tels que ceux du vendredi.
Mais, cette caractéristique n`empêche pas de contester cette
rigueur lorsque la révolution s`inscrit dans une déclaration,
elle est basée sur la clarté et la franchise avec des messages
sans ambiguïté. Le slogan par exemple de « le peuple veut
le départ (la chute) du régime », même s`il est
plus ou moins générique et adapté à tout contexte
de révolution, les deux paramètres de la confrontation sont
indiqués. Alors que pour certains autres slogans, au moins l`un d`eux
est en présenta : «Moubarak dégage !, A bas Moubarak, A
bas le régime », dont le locuteur est reconnu implicitement
(le peuple) et son interlocuteur à qui le message est destiné,
est bien précisé (Moubarak, ou le régime).
- Le figement : le figement lexical est un
processus de fixation entre une séquence signifiante et une
signification qui aboutit au codage d`un signe polylexical, c'est-à-dire
constitué de plusieurs unités à la fois linguistiques et
graphiques22 .
De ce point de vue, nous pouvons constater que les formules
principales des slogans révolutionnaires égyptiens telles que
«Dégage ! », « le peuple veut le
départ du régime », se comportent comme des
séquences poly lexicales assignées de la même signification
en désignant la révolution de la population. Leur figement est
incarné par leur force de « sloganisation »23 . Il
s`agit de leur fréquence de répétition d`une mobilisation
à une autre dans ce mouvement « le printemps arabe ».En
s`inspirant de la révolution du Jasmin, les Égyptiens ont dit
« Dégage ! », ils ont scandé aussi «
Irhal ! » comme ils ont demandé et exigé «
le peuple veut... ». Mais, en effet le slogan de «
Dégage ! » a symbolisé tout le mouvement.
-Dimension humoristique du slogan révolutionnaire
égyptien :
Dans une situation assez paradoxale, un contexte
d`énonciation tellement révolutionnaire qui n`a pas
empêché le peuple égyptien de perdre son esprit
humoristique. Cette dimension a été manifestée et
transmise par un ensemble de quelques slogans dans des pancartes levées
durant les manifestations (ALAHRAM hebdo.2011.N°859). Certains de ces
manifestants ont scandé " Dégage, j'aimerais prendre une
douche », quelqu`un d`autre a eu mal à son bras en
réclamant " Va -t-en j'ai mal au bras » lorsqu`il levait
sa pancarte depuis longtemps. Des autres se moquaient de leur président
en lui demandant pardon, lorsqu`ils ont tardé à lui dire
dégage en disant " pardon monsieur le président, on a
tardé à te dire dégage ». Enfin, ce qui est
étonnant pour cette caractéristique, qu`elle est original et
n`est connue jusqu`à maintenant que par la révolution et le
slogan révolutionnaire égyptien.
II- La sémiotique du langage
révolutionnaire :
D`une manière générale, le slogan
révolutionnaire incarne essentiellement l`aspect verbal de notre langage
présupposé, le langage de la révolution. Ce dernier est
une entité « multiforme et hétéroclite
»24 et constitué selon Charaudeau « d`un
ensemble
22 Marie-Françoise MORTUREUX. La lexicologie
entre langue et discours. Ed. Carmand Colin, 2008. P105.
23 P. Charaudeau et D. Maingueneau. Dictionnaire
d'Analyse du Discours. Paris, Seuil. 2002. p :537. 24.F. De
Saussure. Cours de linguistique générale. P24.
structuré de signes formels »25en
représentant des codes sémiologique divers (code iconique, code
gestuel...) dans la mesure où l`homme se sert non seulement de la
parole, mais de tout « un univers de comportements [...] juxtaposé
à celui des mots »26.
Dans ce cadre sémiotique, tout signe langagier entre
dans des interactions et des relations proxémiques et
kinésique27, dont la mise en question et en
considération de ce rapport entre signaux révolutionnaires nous
permet d`indiquer et d`analyser la complémentarité, la
compatibilité des deux aspects du langage d`une part, d`autre part son
organisation et son fonctionnement dans la société.
1. Le processus révolutionnaire égyptien
:
Pour atteindre les objectifs et les finalités
visées par cette analyse sémiotique, il nous faut d`abord
comprendre et expliciter les divers mécanismes sur lesquels se fond le
processus révolutionnaire égyptien. En d`autres termes, les
différents moyens et techniques auxquelles le peuple égyptien a
fait appel pour se révolter. Ce processus, comme nous l`avons
constaté, s`est répété dans les pays du monde arabe
ayant connu des soulèvements de ce mouvement. Ces mécanismes ont
été représentés à travers des principaux
événements de protestation : les manifestations, le site -in, les
grèves et jusqu`à toute forme de violence sociale.
. Les manifestations :
C`était la technique la plus rependue durant la
révolution des 18 jours. En Égypte, le premier geste pour se
protester était la grande mobilisation de manifestations du 25 janvier
le jour du déclanchement de la révolte. Cependant, il
était une réaction et une repense massive et réussite
à un appel à « une journée de colère »
lancé par un mouvement de jeunes apolitiques du mouvement 6 avril en
collaboration avec d`autres associations et partis politiques d`opposition,
comme celui de Kifaya (ALHARAM Hebdo.2011. N°855). Bien évident ce
mouvement de manifestations a été tellement organisé en
s`amplifiant d`un jour à un autre envahissant toutes les grandes villes
et les provinces du pays. En effet ce mouvement a perpétué et
orné la rue égyptienne même
25 P.Charaudeau. Une théorie des sujets du
langage. In langage et société. N° 28. 1984
P38.
26 E.T.Hall. Le langage silencieux. Ponits, 1984.
P12.
27 Joseph Coutés. La sémiotique du
langage. Ed.A.C, 2007.P31.
après le départ du président (le 11
février) avec une nouvelle dimension et valeur de
célébration.
. Les Sit-in :
Depuis plusieurs années, avant la révolution du
25 janvier, le contestataire égyptien a connu cette nouvelle technique
ou mécanisme de protestation. Il s`agit d`organiser des sit-in notamment
devant des établissements étatiques concernés, pour
réclamer des droits et des revendications perdues. Cette même
procédure, philosophie et culture de la révolution a
été adoptée durant, et même après, la
période du soulèvement populaire.
Depuis le premier jour de la colère, les manifestants
militent pour occuper « la place Tahrir » et plusieurs autres places
sensibles et symboliques. La place qui n`a enfin été envahie
qu`au vendredi soir le 28 janvier après le retrait inattendu de la
police. Cet endroit est devenu ensuite, la place emblématique de la
révolution, la place de tous les événements (ALAHRAM
Hebdo.2011. N°856).
. Les grèves :
Les grèves ont aussi embarrassé plusieurs
secteurs socioprofessionnels durant, et même avant, la révolution.
Ces mécanismes et techniques de protestation ont fait intervenir pour
augmenter la surpression de la révolution.
Les deux principaux mouvements grévistes
signalés pendant le soulèvement sont : d`abord la grève
générale qui a été lancée le dimanche soir,
le 6eme jour de la révolution, par des dirigeants de l`opposition et des
travailleurs des grandes villes (Caire, Alexandrie, Suez...), ensuite dans les
derniers jours qui précédaient la démission du
président, dont tout le pays était en paralysé totale
à cause de désobéissance civil. Une série de
grèves levaient la pression du processus révolutionnaire,
lancées par la composante ouvrière de tous les secteurs, en
rejoignant les militants à la place Tahrir (ALAHRAM. Hebdo. 2011.
N°856).
. La violence sociale :
Comme tout autre mouvement révolutionnaire, la courbe
de la violence égyptienne a été tellement active et
contrastée entre scenes terrifiantes et parfois d`un calme prudent sur
plusieurs façades :
D`abord des scenes de violences entre manifestants et forces
de l`ordre et de la police qui ont utilisées tant de moyens pour
empêcher et réprimer les manifestations notamment durant les 3
premiers jours ( la défaite du 25 janvier), ayant fait au moins 140
morts (ALAHRAM. Hebdo.2011. N°856, N°859).
Ensuite après le retrait de la police, la violence
s`est régressée, mais s`est transformée en une autre
scène entre les manifestants, les citoyens et le phénomène
de « Baltagui » (hommes de mains et des milliers de prisonniers
s`enfuis) (ALAHRAM. Hebdo 2011. N°856). Cette scene a été
fortement accompagnée d`une vague de folie, de pillages, de vols, et
d`incendier de plusieurs sieges de polices, de gouvernorats et de PND (partie
politique du pouvoir : Parti National Démocratique). En revanche,
même l`héritage archéologique a été
menacé (ALAHRAM. Hebdo 2011. N°859).
Encore une autre scene a aussi attiré l`attention, est
la plus importante qui a mis en enjeux toute la révolution
égyptienne. Elle est connue par « La bataille des dromadaires
» du 2 février 2011. Des affrontements meurtriers à la place
Tahrir entre les anti-Moubarak et ses militants (pro-Moubarak) en faisant des
dizaines de morts et des milliers de blessés (environ 1500) (ALAHRAM.
Hebdo. 2011. N°861).
Enfin, la révolution égyptienne a
présenté un bilan assez lourd de 864 morts et de 6460
blessés dans les rangs des manifestants et 26 policiers ont
été tués (ALAHRAM. Hebdo. 2011.N°868).
2. Genèse du langage révolutionnaire :
Le langage révolutionnaire, comme tout autre, peut
être représenté à travers ses deux aspects : l`un
est verbal, l`autre est non verbal parfois même plus parlant que le
premier.
Le slogan révolutionnaire en tant qu`ensemble de signes
linguistiques caractérisant l`aspect verbal entre dans un cadre de
relation et d`interaction avec d`autres signaux provenant des autres
comportements. Nous citons notamment les comportements Kinésique et
proxémique qui sont parmi les plus importants évoqués dans
« le tableau des comportements communicatifs » d`A.E.Scheflen
(1965,1984). Donc, tenu compte l`organisation du processus
révolutionnaire égyptien et son fonctionnement, nous pouvons
mettre en question et en considération la complémentarité
et la compatibilité du langage présupposé au niveau de ses
deux aspects.
2.1. La Kinésique révolutionnaire
égyptienne :
La Kinésique, d`une manière générale,
concerne tout comportement relevant de la mimogestualité, entre autre
les mouvements gestuels et de déplacements du corps.
« La Kinésique en tant que méthodologie
traite des aspects communicatifs du comportement appris et structurés du
corps en mouvement ». (A.j.Greimas.1968 :55).
Dans le même volet théorique, l`américain
Ray Birdwhistell (1952) est le fondateur de la théorie la plus
élaborée de la Kinésique en étudiant le langage
gestuel suivant une perspective structurale au même titre qu`un langage
verbal, en essayant de trouver des résolutions aux problèmes de
sens du comportement des gestes. (A.J.GREIMAS 1968 :55-64).
Le peuple égyptien, pour se révolter, s`est
descendu dans les rues en organisant des gigantesques manifestations et des
marches d`un million pour réclamer ses droits de démocratie. Des
marches et des manifestations qui ont été violement
réprimées par une main de fer d`un régime
refusé.
En effet, le fait de descendre dans la rue pour protester
n`est qu`un vrai signe Kinésique (gestuel) de la révolution
populaire : la marche est un signe gestuel et collectif et tout autre
comportement gestuel présenté par le processus
révolutionnaire, entre autres la violence sociale, le sit-in et les
grèves. Plus précisément, cet ensemble de formes du code
révolutionnaire égyptien représente l`aspect non verbal du
langage. Même sans scander des slogans de révolution, ces
comportements gestuels sont des messages clairement transmis, facilement
reçus et compris avec ou sans parole, affirme Birdwhistell
(A.J.Greimas. 1968 :62).
Nous pouvons même aussi aller plus loin de cette
perspective proposée par Birdwhistell, dont ces formes gestuelles
notamment de manifestations, marches et de sit-in, peuvent être
considérées comme des « présentations ». C`est
le 3eme niveau supérieur des constructions Kinésiques
proposé par Scheflen (1964). Chacun de ces comportements basé sur
le déplacement complet dans l`espace : toute manifestation ou marche a
été organisée en se déplaçant d`un
départ allant vers une destination souvent bien
déterminée.
Donc, le peuple égyptien a dit « dégage
! » en descendant dans la rue, en organisant des marches et des
manifestations où il a battu comme il a été violement
battu
dans un cadre d`interaction extrêmement homogène
entre signes verbaux et non verbaux (Kinésique). Ce rapport de
compatibilité entre le verbal et le non verbal indique en quelque sorte
un fonctionnement régulier et Commun de l`organisation des
différents comportements commutatifs mis en ~uvre par la population
révolutionnaire égyptienne.
2.2. La proxémique révolutionnaire
égyptienne :
Le terme de proxémie est un néologisme «
créé pour désigner l`ensemble des observations et
théories concernant l`usage que l`homme fait de l`espace en tant que
produit culturel spécifique ». (E.t.hall. 1978 :13).
E.T.Hall dans ses travaux sur la proxémique, s`est
basé sur le principe de l`expérience commune et universelle entre
les individus. S`ils sont soumis à la même expérience, ils
retiendront les mêmes informations en les traitants de la même
manière. (hall. 1978 :14-15).
Du point de vue proxémique, nous essayons de comprendre
comment le peuple égyptien s`est servi de son environnement, de son
espace spatiotemporel et des divers éléments de sa culture
protestataire pour se révolter et transmettre son message
révolutionnaire. En d`autres termes quel langage silencieux, et quelle
dimension est cachée par la philosophie et la culture
révolutionnaire égyptienne, en rapport avec son aspect langagier
verbal ?
Les rues pendant la révolution d`Égypte
étaient les scenes de tous les évènements de ce mouvement.
Cependant, elles étaient envahies de manifestants criant «
Moubarak dégage ! ». De toute façon la population a
bien maîtrisé ce moyen de territorialité comme
système de communication primaire (hall, 1959) pour transmettre
son message à un récepteur tout à fait à
distance (hall, 1978 :60-62). Ensuite, la spécificité et la
valeur qui a été accordée à cet endroit de la place
Tahrir en organisant le plus grand sit-in protestataire de ce mouvement. Un
endroit choisi délibérément par les manifestants en
représentant un véritable signe proxémique pour se
révolter. Ils ont donné à ce territoire, en plus de sa
dimension historique, une signification de valeur politique, socioculturel et
révolutionnaire. Cependant la place a attiré l`attention de tout
le monde où campaient des milliers si non des millions de protestataires
pendant toute la période du soulèvement. Elle a été
même visitée par des hommes de diplomatie et de
politique venant partout, notamment de l`Europe, pour
constater l`endroit le plus démocratique dans le monde arabe.
D`un autre côté, si l`espace dans ce grand
mouvement de soulèvement populaire a dit son mot, le temps aussi a eu
l`occasion pour intervenir en tant qu`élément culturel, dans se
cas révolutionnaire, et un autre système de communication
primaire.
Enfin, selon la popularisation de la révolution
égyptienne, elle n`est ni politique ni religieuse. En fait, ceci ne l`a
pas empêché de manifester le chevauchement de sa culture
protestataire à une autre plus générale et si dominante
dans la société. C`est la culture religieuse musulmane. Ce
rapport est déjà déterminé et indiqué par la
séquence et la temporalité de quelques manifestations et marches
d`un million : après la prière hebdomadaire de chaque vendredi
les manifestations ont été organisées et
accompagnées d`un slogan spécifique du jour en profitant les
circonstances avantageuses pour se rassembler.
III- le cadre général du slogan
révolutionnaire égyptien :
Le slogan entant que langage révolutionnaire, sa mise
en scène à travers une situation de communication
nécessite, pour son interprétation, la compréhension et
l`explicitement de son cadre ou contexte d`énonciation comme
paramètre et critère primordial résumé à un
événement de mobilisation populaire ou de révolution.
1. Analyse contextuelle de la révolution
égyptienne :
Le contexte d`énonciation est un critère
essentiel identifiant et déterminant si telle ou telle Formule et
séquence est un slogan révolutionnaire. Il s`agit donc, qu`il est
déterminé par l`ensemble des facteurs contextuels entre autres :
les coordonnées spatiotemporelles de la situation de cet acte
d`énonciation, auprès d`autres composants postulés du
point de vue d'un plan observationnel (John Lyons, 1980 :197). Suivant
cette perspective nous pouvons tout simplement mener une lecture contextuelle
de la révolution en question.
D`abord les slogans objets d`étude ont
été énoncés et scandés durant la
révolution égyptienne du 25 janvier 2011 qui a durée 18
jours. C`est déjà l`élément spatiotemporel du
contexte. Ensuite, cette révolution n`est qu`un soulèvement
populaire contre le pouvoir, le régime dictateur et ses
différentes institutions en représentant donc
les participants concernés par ce contexte particulier.
Enfin, le slogan lui même est le constituant le plus important de son
contexte dont il est scandé en compatibilité avec d`autres
événements de proximité comme manifestation et sit-in, et
en entraînant le bouleversement total du pays sur plusieurs niveaux.
En fait, nous ne nous sommes pas intéressé
à cette notion théorique de contexte d`énonciation, mais
à la contextualisation de la révolution en général
en essayant de dégager ses divers principaux facteurs, et de comprendre
comment un fait social peut se transformer en un évènement
linguistique d`une part, d`autre part son rapport avec l`opération
sémantique (sens) du slogan révolutionnaire.
Le contexte n`est qu`un « ensemble des
éléments linguistiques qui entourent un segment quel conque
d`énoncé (mot, proposition, phrase) et conditionnent sa
compréhension »28. Donc, par rapport à
l`importance du contexte pour l`analyse sémantique des slogans il nous
faut l`expliciter et le traiter en tant que conditions de production, dont nous
nous sommes basé sur l`analyse contextuelle qu`a proposée
Scheflen29 et autres penseurs.
D`abord et selon la perspective de Scheflen et de son
classement des cadres constituants tout contexte général, nous
pouvons aussi distinguer quatre principaux cadres pour le contexte de la
révolution d`Egypte :
- Le cadre physique révolutionnaire
: les évènements de cette révolution ont
pour scene les rues, avec l`organisation de plusieurs manifestations, marches
d`un million ; et sit-in dans quelques places emblématiques pour la
révolution comme la place Tahrir. Ces lieux sociaux ont constitué
la scène révolutionnaire où les slogans ont
été fortement scandés.
- Le cadre temporel de la révolution:
la temporalité a joué un rôle important pour
déterminer et cerner le cadre général du contexte
révolutionnaire. La révolution égyptienne s`est
déclenchée après celle du jasmin en s`inspirant de ses
principes et ses fondements. Encore dans cette mobilisation, le peuple
dès le premier jour jusqu`à la dernière minute a
scandé un seul mot : « dégage ! » (IRHAR !) et
plusieurs autres slogans durant les manifestations quotidiennes, et les marches
d`un million
28 C-Baylen et P.Fabre : la se'mantique. NATHAN
.1978 P 135.
29 Cite' par Mme Gomez-Pescie' . Langage et
communication universite' Paul Vale'ry-Montpellier).paris III (2008-2009).P
:42-44
organisée chaque mardi et vendredi (où ils
étaient scandé les slogans de vendredi), et même pendant
les sit-in notamment celui de la place Tahrir.
- Le cadre social : d`un point de
vue référentiel, la révolution égyptienne n`a pas
été accaparée par tel ou tel groupe social, malgré
le fait qu`elle a été nommée la révolution des
jeunes, mais elle a sous-tendu toutes les catégories et les couches
sociales.
- Le cadre culturel : en fait, la
culture révolutionnaire en Egypte détient ses origines d`une
autre philosophie protestataire qui embarrassait le pays durant ces
dernières années. Ensuite, le cadre culturel de la
révolution est perceptible au niveau de l`interaction des trois autres
cadres qui donnent au processus révolutionnaire sa dimension culturelle.
Suivant une perspective proposée par C.Kerbrat -Orecchioni, le concept
de contexte est synonyme de situation 30 dont il
se constitue de trois composantes principales affirmées par Kerbrat en
s`inspirant du modèle Speaking de Hymes. Ce sont : les
participants, le site et les butes, dans la mesure où, ces deux
derniers forment la scène comme il est indiqué par le
schéma proposé par Brown et Fraser :
Situation
Site
Buts
En fait, en nous référant à cette analyse
contextuelle interactionnelle évoquée par C.Kerbrat Oricchioni,
nous pouvons non seulement expliciter le contexte situationnel de la
révolution égyptienne, mais de mettre aussi en évidence
une interaction révolutionnaire qui peut être imaginée avec
ses différents paramètres susceptibles d`être
analysés.
Tout d`abord, la scene révolutionnaire
égyptienne relève d`un rapport rigide entre le site de la
révolution et les participants. En d`autres termes,
l`élément spatio-
30 C. Kerbrat-Orecchioni. Les interactions verbales.
Tome I, ed A. Colin. Paris, 1998. P: 76.
temporel et la présence des participants ne sont jamais
coïncidés : c`est-à-dire que la temporalité aussi
bien que la territorialité dans cette mobilisation ont été
bien choisies en fonction des objectifs et des finalités
déterminées. Donc toute cette scène révolutionnaire
a été évidement organisée, planifiée suivant
des choix stratégiques de temps, d`endroits et de manières,
établies et réalisées toujours par la communauté ou
le groupe protestataire.
Ensuite, les participants représentent les deux
côtés du conflit : le premier est celui du group ou de la
société révolutionnaire représentée à
travers ses différentes catégories (manifestants, protestataires
anti-Moubarak, représentant aussi des diverses associations, partis et
mouvements sociaux ou politiques de l`opposition). Alors d`un autre
côté, le régime d`une manière générale
avec ses institutions principales dont le président est à la
tête ; le gouvernement ; l`assemblée nationale ou populaire ; le
parti politique du pouvoir (PND), l`ordre de force et de police.
Ce qui est nécessaire d`analyser pour expliciter le
contexte situationnel révolutionnaire, est donc la scène de la
révolution égyptienne qui constitue l'environnement verbal et
extralinguistique, et qui est mise en question au niveau de son site et de
ses buts visés. Bien évident, les objectifs et les
finalités de chaque participant sont clairement exprimés par les
actions et les réactions systémiques et stratégiques de
chaque côté : le peuple qui veut la révolution, le
changement radical politique et social, d`une part, d`autre part, le
régime d`une dictature qui cherche à s`enraciner encore et mettre
un terme au soulèvement.
En effet, c`est en fonction de ces buts que fonctionnent et
s`interprètent les actions et les réactions des participants par
rapport à une mise en place des choix stratégiques du site ou du
cadre spatio-temporel de la révolution. Dans un premier espace
distingué d`une interaction révolutionnaire, les rues et les
places symboliques jouent un rôle primordial où la population
comme participant a fait déclarer, énoncer et scander son slogan
de « dégage ! »Par le biais d`un processus
révolutionnaire très organisé, alors que l`autre
participant (le pouvoir) a fait réagir par toute force pour
réprimer la révolte. En dehors de la rue, la scène de
lutte a été transformée à une discussion en
changeant l`espace ou l`élément spatio-temporel. Cependant les
interactions sont au niveau
supérieur politique et diplomatique entre les
représentants de chaque participant dans le but de trouver une
solution.
Donc, la révolution comme un événement
social assez exceptionnel inattendu, n`est en fait qu`un contexte socioculturel
représenté à travers plusieurs niveaux et cadres
contextuels. C`est un élément aussi important pour aborder une
analyse sémantique des formules séquentielles dites les slogans
révolutionnaires pertinents de ce type de contexte d`énonciation
exprimé par un cadre général de révolution.
2. Le message d'une communication
révolutionnaire :
Par le moyen de son activité discursive, le peuple
égyptien vise à transmettre son message en scandant le slogan
révolutionnaire, il s`agit d`une mise en scene de son langage de
révolution à l`intérieur d`un contexte situationnel d`une
communication particulière entre population-pouvoir. « Car c`est
dans l`acte de communication, dans l`évènement communication, que
le signifié retrouve le signifiant »31 et que les
slogans prennent leur signification.
2.1. La communication révolutionnaire
égyptienne :
D`un point de vue linguistique, la communication est
définie comme étant « un échange verbal entre un
sujet parlant, qui produit un énoncé destiné à un
autre sujet parlant, un interlocuteur dont il sollicite l`écoute et /ou
une réponse explicite ou implicite (selon le type de
l`énoncé). Sur le plan psychologique, c`est le processus au cours
duquel la signification qu`un locuteur associe à ces même sons
»32.Donc et à la lumière de cette
définition, toute communication présente dans son
déroulement les trois principaux critères suivants : les
participants, la situation de communication, et le statut de la communication,
dont ces trois derniers sont aussi présents et évidents dans
l`échange révolutionnaire conflictuel entre population et pouvoir
en Égypte.
En nous référant à un principe
d`échange et de transmission des messages, ceux de la révolution
en Egypte sont transmis par plusieurs moyens et supports verbaux et non verbaux
dont le slogan est essentiel.
31 A.J.Greimas. Sémantique structurale.
PUF.1986. p : 30.
32 Jean Dubois, Dictionnaire de linguistique,
Larousse, bordas 2002 p 94.
2.2. Le schéma de la communication
révolutionnaire :
La révolution égyptienne en tant que situation
de communication, peut être facilement encadrée et
schématisée selon une perspective proposée par C.Kerbrat
Orecchioni qui a remis en question le schéma de la communication de
Jakobson sur plusieurs niveaux. Elle a élaboré un autre plus
évolué en indiquant les différents paramètres
intervenants et constituants « l`acte de communication ». Dans son
schéma, elle a dépassé le critère de
l`idéalisation en insistant sur le rôle de la compétence
communicative des participants. Donc elle insiste essentiellement sur la
complexité de tout acte de communication et d`interaction
linguistique33.
A la lumière de ce schéma, nous pouvons
élaborer tout un autre qui résume notre situation de
communication révolutionnaire étudiée : la
révolution égyptienne. Comme il peut être
représentant de toute révolution dans le mouvement du printemps
arabe :
· L'émetteur du message
révolutionnaire : en désignant le je communiquant
dans cet acte de communication, des milliers ou plus, des millions de personnes
de toutes catégories et couches sociales ont envahi de façon
régulière les rues d`Egypte, et scander clairement plusieurs
slogans révolutionnaires, parfois contre le président en
précisant leur destinataire, ou contre le régime d`une
manière générale ou réclamant certaines autres
revendications sociales.
· Le récepteur :
à qui le message a été émis, est le
régime et ses différentes institutions symbolisées dans la
personne du président Moubarak. C`est le tu interprétant à
qui s`est adressée la population ou le groupe révolutionnaire
égyptien, et contre qui cette révolution a été
déclenchée. Par exemple quand les manifestants ont scandé
« Dégage Moubarak ! », explicitement, le message
révolutionnaire est émis au président, mais en fait, il
est aussi adressé à toute une organisation institutionnelle et
politique qui dirige le pays sous le règne de Moubarak, du gouvernement
jusqu`à l`assemblée nationale, jusqu`à même le parti
politique du pouvoir PND.
· Le message révolutionnaire :
est le composant le plus important qui détermine et
identifie ce type particulier de communication. D`une manière
générale, le sens du
33 C.Kerbrat-Orecchioni. L'énonciation de la
subjectivité dans le langage. Ed A. Colin/VUEF, paris, 2002.
message révolutionnaire est, comme celui de tout autre
message, le résultat d`une combinaison d`éléments
linguistiques du slogan révolutionnaire qui a été
scandé en plusieurs langues. Donc, même en se servant de plusieurs
codes linguistiques, le sens est toujours commun entre les participants : des
divers signifiants en langues différentes ayant enfin la même
signification ou désignant le même signifié des slogans
révolutionnaires voulus. (cf. chapitre III).
· Le référent :
d`un point de vue référentiel, tout message ou slogan
révolutionnaire dans notre corpus désigne une révolution.
En fait, chaque slogan se renvoie - textuellement ou extratextuellement
- à la révolution égyptienne par l`entourage ou
l`environnement verbal, donc par le biais de son contexte situationnel dans ce
cadre communicationnel.
· Le canal : est en quelque
sorte l`ensemble des supports matériaux qui permettent la transmission
du message et slogan de la révolution dont nous avons distingué
trois moyens constatés : les banderoles, les pancartes aussi l`art du
graffiti.
Il faut aussi préciser que le message
révolutionnaire entant que slogan, a été transmis par voix
orale, directement scandé durant les manifestations, comme si
l`émetteur s`adresse à un récepteur présent devant
lui en représentant une situation de communication de face à
face.
Enfin, le langage reste certainement le moyen efficace et le
plus important pour transmettre le message. Un langage spécifique et
particulier à la révolution - langage révolutionnaire
-.
· Les compétences de la communication
: sont l`ensemble de compétences linguistiques et
paralinguistiques constituantes le « stockage » partagé entre
les participants. En plus de ces deux types de compétences, C.Kerbrat
Orecchioni évoque des compétences idéologiques et
culturelles ou encyclopédiques. « c`est l`ensemble des savoirs
implicites qu`ils possèdent sur le monde » (C.K-Orecchioni.2002
:20), alors que celles idéologiques sont « des systèmes
d`interprétation et d`évolution de l`univers
référentiel »34.
D`abord les compétences linguistiques et
paralinguistiques sont certainement partagées entre les participants de
la communication révolutionnaire, de sorte qu`ils
34 Idem.p20.
appartiennent à la même communauté
linguistique et confrontent les même codes et variétés en
contact dans le même contexte sociolinguistique Egyptien.
Encore, le pays connait depuis quelques années une
dynamique sociale protestataire remarquable qui enrichit le processus de la
révolution par des mécanismes comme : manifestations, marches,
sit-in. En plus et en voyant les Égyptiens avec leur insistances, ils se
manifestent croyants d`un jour à l`autre à la
légitimité de leurs demandes et de leur situation comme
révolution. C`est tout un univers de compétences de culture et
d`idéologie d`opposition et de mouvement d`une révolution qui
sont certainement en rapport avec celles linguistiques et extralinguistiques.
Elles sont partagées de façon délibérée
entre tous les militants révolutionnaire (émetteurs) et connues
par le régime et ses hommes du pouvoir (récepteurs).
Enfin, toutes ces compétences jouent un rôle
primordial dans tout acte de communication de transmission de n`importe quel
message (slogan) révolutionnaire à l`intérieur de ce
contexte situationnel de révolution en Egypte.
· Les déterminations «
psychologiques et psychanalytiques » : doivent être
nécessairement explicites, par rapport à leur importance pour
toute opération d`encodage et de décodage d`un message transmis
dans une situation conflictuelle aussi violente comme celle de la
révolution égyptienne.
· Les contraintes de l'univers de discours
révolutionnaire en Egypte : sont un ensemble de
contraintes discursives auxquelles se soumet toute opération d`encodage
et de décodage, et qui orientent en quelque sorte tout acte de
communication. Ce sont les différents facteurs restrictifs qui
contrôlent en aboutissant à l`échec ou à la
réussite de la communication. Selon Kerbrat Orecchioni, les contraintes
sont des « filtres » pour toute activité de production ou
d`interprétation. Elles se manifestent au niveau des données et
des conditions concretes situationnelles d`une part, d`autre par au niveau des
caractères « thématico-rhétoriques » du discours
qui permettent la compatibilité entre le contenu et le genre
discursif.
Par conséquent de la situation révolutionnaire
si conflictuelle, les contraintes de son discours jouent un rôle
important pour toute production et interprétation du slogan
révolutionnaire.
Chaque slogan ou message dans la révolution
égyptienne a conditionné, en tant que thème de cette
situation, son aspect rhétorique spécifique. Lorsque le peuple
égyptien s`est révolté en énonçant et en
exprimant sa colère, son mécontentement, son refus d`un
régime dictateur et d`un président tyran, il a fait appel
à tout un processus révolutionnaire bien organisé. De
toute façon « on ne parle pas de n'importe quoi n'importe
comment ».
Ensuite et d`un point de vue des données et des
conditions situationnelles, ce sont les représentations et les images
réservées par chaque participant -de lui-même, de la
situation et de son partenaire-, qui d`érigent toute l`activité
communicative et discussive durant la révolution. Les Egyptiens se sont,
et se considèrent comme, des révolutionnaires et non pas des
simples protestataires, ils n`ont pas trouvé qu`un seul moyen pour se
révolter : le discours révolutionnaire pour s`adresser au
pouvoir.
Enfin et en analysant la situation du point de vue de
communication, l`ensemble de ces contraintes ont fortement orienté cette
activité entre population et pouvoir. Elles ont joué un
rôle de frein pour un autre acte de communication normal et
ordinaire entre les participants, voué à l`échec, mais en
le filtrant et le renforçant vers un autre niveau de situation de
communication spécifique, révolutionnaire, et réussite.
· Encodage et décodage du message
révolutionnaire égyptien : relèvent des
modèles de production et d`interprétation des participants, ainsi
de l`interaction des différentes compétences communicatives avec
l`intervention des contraintes de cet univers de discours d`où le sens
du message, du slogan révolutionnaire est parfaitement partagé
entre émetteur et récepteur.
Référent
Révolution Egyptienne (slogan de la révolution)
Compétences linguistiques et paralinguistiques
Compétences linguistiques et paralinguistiques
Récepteur (le régime
Emetteur (manifestants
politique et ses
protestataires,
Révolutionnaires)
encodage Message décodage institutions,
le
président Moubarak)
Compétences idéologiques et culturelles
|
Déterminations
Psy
|
(Propos énoncé du
slogan
révolutionnaire)
Canal
(Supports
du
langage
révolutionnaire)
Compétences idéologiques et culturelles
|
Déterminations
Psy
|
Contraintes de l`univers de
discours
|
Modèle de
production
Contraintes de l`univers de
discours
|
Modèle d`interprétation
|
IV- Le slogan révolutionnaire en tant que genre
de discours :
Lorsque chaque discours vise généralement
à : énoncer, décrire, raconter et à argumenter,
P.Charraudeau a fait distinguer quatre types ou modes d`organisation du
discours : le discours énonciatif, descriptif, narratif et le discours
argumentatif35.
A travers cette analyse discursive, nous essayons de mettre en
question et en évidence les slogans constituants notre corpus en tant
que genre de discours énonciatif, d`où les locuteurs
(manifestants et protestataires), en plus d`énoncer leur
révolution, visent à établir un rapport d`influence avec
leurs interlocuteurs, en relevant ainsi leurs points de vue situationnel. Ce
sont en fait les fonctions les plus importantes de tout discours
énonciatif en plus de témoigner de la parole des interlocuteurs.
Pour mieux comprendre notre analyse discursive, il faut d`abord expliciter les
critères sur lesquels elle est fondée, les traits et les
principes du mode d`organisation d`un discours énonciatif
proposés par Charaudeau, et suivant les quels aussi nous nous
référons pour élaborer la grille qui sera mise en
question.
1. grille d'analyse du discours révolutionnaire
:
1.1. crit~res d'élaboration :
Il faut d`abord préciser que, en élaborant notre
grille d`analyse, nous nous sommes inspiré par une autre qui a
été Proposée par P.Charraudeau concernant le discours
énonciatif et ses d'différentes fonctions, en explicitant les
relations énonciatives possibles avec leurs diverses
spécifications et les catégories de langue auxquelles ces
dernières sont sous jacentes.
D`abord, pour le rapport d`influence entre locuteur et
interlocuteur, le premier (l`annonceur), en s`adressant, prend l`un des deux
« rôles langagiers » soit de « supériorité
» indiquant un rapport de force, soit « d`infériorité
» pour un rapport de demande. Donc quel rapport est indiqué ou
exprimé par quelles catégories de langue dans chaque slogan
révolutionnaire égyptien ?
Ensuit le propos énoncé de tout discours
énonciatif relève de certains points de vue dits
situationnels
et spécifiés des participants, qui sont présentés
de leur part aussi par un
35 P.Charaudeau. Grammaire du sens et de
l'expression. Hachette Paris, 1992.P :633.
autre ensemble de catégories de langue
identifiées et déterminées par la grille
élaborée par Charaudeau. Alors, dans le discours
révolutionnaire égyptien, quels sont les points de vue
relevés des slogans ? Et par quelles catégories de langue sont
exprimés de façon explicite ou tacite ? Dont il est
distingué, toujours selon Charaudeau, entre cinq points de vue
différents:
- point de vue du mode de savoir : comme constat sur le savoir
et l`ignorance du propos de l`annonceur, et la façon dont il a eu
connaissance (Précise la connaissance d'un propos).
- Point de vue d`évaluation : qui concerne beaucoup
plus la cible ou l`interlocuteur et sa façon dont il évalue et
juge en donnant son opinion d`appréciation ou non les propos
énoncés.
- Point de vue de motivation : c`est le but et la raison de
l`énoncé.
- Point de vue d`engagement : concernant le degré
d`adhésion de l`interlocuteur au propos énoncé.
- Point de vue de décision : que prend l`annonceur et
cherche à réaléser d`où il détermine son
statut (Précise le statut du locuteur et l'effet du propos).
Les composantes de la construction énonciative :
proposés par Charaudeau (1992 :651) :
Relations énonciatives
La relation à
l'interlocuteur.
La relation au dit
(point de vue
situationnel)
La relation à l'autre tiers
|
Spécifications énonciatives
|
Rapport de force (locuteur/interlocuteur)
|
Rapport de demande (locuteur/interlocuteur)
Mode de savoir
Evaluation
Décision
Comment s'impose le monde
|
Catégories de langue
Interpellation
Injonction
Autorisation
Suggestion
Proposition avertissement.
Interrogation requête
Constat savoir/ ignorance
Opinion appréciation
|
Obligation Possibilité Vouloir
|
Promesse
Acceptation/ refus Accord/Désaccord
Déclaration
|
Proclamation
Assertion
(témoignage sur le
monde).
|
Comment parie l'autre
|
Discours rapporté.
|
Les composantes de la construction énonciative :
(Charaudeau. Op.cit., p.651)
1.2. présentation de la grille d'analyse :
En nous basant sur l`ensemble des critères
expliqués, avec la grille des composantes de la construction
énonciative de Charaudeau, nous nous sommes censé à
élaborer une grille d`analyse d`un mode d`organisation d`un discours
révolutionnaire en tant qu`énonciatif en tenant en compte ses
deux premier fonction à accomplir, du rapport d`influence entre les
participants et les différents points de vue relevés d`un slogan
à un autre.
Donc notre grille sera présentée par un simple
tableau de trois colonnes principales :
- Colonne n? 1 : contient l`ensemble
des slogans révolutionnaires constituants notre corpus et l`objet de la
recherche, environ 16slogans à étudier (les principaux
slogans).
- Colonne n? 2 : pour le rapport
d`influence qui prend deux types possibles entre locuteur /interlocuteur :
rapport de force ou de demande. Donc cette colonne n? 2 sous tend deux autres
secondaires dont l`une est réservée pour indiquer quel type de
rapport dans chaque slogan, alors que l`autre concerne la catégorie de
langue exprimant chaque rapport de chaque slogan de façon explicite ou
implicite et possible de l`exprimer à travers ce même
énoncé par rapport à d`autres contextes
d`énonciation.
- Colonne n? 3: concerne les différents points de vue
relevés des propos des slogans. Elle contient aussi deux autres colonnes
secondaires, l`une indique les points de vue situationnels sur les quels sont
basés ou exprimés les propos (slogans) énoncés, et
l`autre pour déterminer les catégories de langue explicites ou
implicites qui expriment tel ou tel point de vue par les mêmes propos.
- Grille pour analyser le discours
révolutionnaire égyptien (analyse discursive des slogans
révolutionnaires):
Propos énoncés (les slogans de la
Révolution)
|
Rapports d`influence entre les participants
|
Points de vue situationnels
|
types
|
Catégories de langue
|
types
|
Catégories de
langue
|
Dégage !
|
Rapport de force
|
Injonction
|
Mode de
savoir
|
savoir
|
Evaluation
|
Opinion
|
Motivation
|
Obligation
|
Engagement
|
Refus, Désaccord
|
Décision
|
Proclamation
|
Moubarake, Dégage !
|
Rapport de force
|
Injonction
|
Mode de
savoir
|
savoir
|
Evaluation
|
Opinion
|
Motivation
|
Obligation
|
Engagement
|
Refus, Désaccord
|
Décision
|
Proclamation
|
Irhal ! (Dégage !)
|
Rapport de force
|
Injonction
|
Mode de
savoir
|
savoir
|
Evaluation
|
Opinion
|
Motivation
|
Obligation
|
Engagement
|
Refus, Désaccord
|
Décision
|
Proclamation
|
Out ! (Dégage !)
|
Rapport de force
|
Injonction
|
Mode de
savoir
|
savoir
|
Evaluation
|
Opinion
|
Motivation
|
Obligation
|
Engagement
|
Refus, Désaccord
|
Décision
|
Proclamation
|
Al chaab youride
isquat al-nizam (Le peuple veut la chute du régime)
|
Rapport de
demande
|
requête
|
Mode de
savoir
|
savoir
|
Evaluation
|
Opinion
|
Motivation
|
Vouloir
|
Engagement
|
Refus, Désaccord
|
Décision
|
Proclamation
|
Al chaab youride rahil al-nizam (Le peuple veut le
départ du régime)
|
Rapport de
demande
|
requête
|
Mode de
savoir
|
savoir
|
Evaluation
|
Opinion
|
Motivation
|
Vouloir
|
Engagement
|
Refus, Désaccord
|
Décision
|
Proclamation
|
A bas Moubarak !
(yasquot Moubarak).
|
Rapport de force
|
Propositio n
|
Mode de
savoir
|
savoir
|
Evaluation
|
Opinion
|
Rapport de
demande
|
requête
|
Motivation
|
Possibilité
|
Engagement
|
Refus, Désaccord
|
Décision
|
Proclamation
|
A bas le régime !
(yasquot al-nizam)
|
Rapport de force
|
Propositio n
|
Mode de
savoir
|
savoir
|
Evaluation
|
Opinion
|
Rapport de
demande
|
requête
|
Motivation
|
Possibilité
|
Engagement
|
Refus, Désaccord
|
Décision
|
Proclamation
|
Vendredi de la colère
|
Rapport de force
|
Suggestion
|
Mode de
savoir
|
savoir
|
Evaluation
|
Opinion
|
|
Rapport de
demande
|
requête
|
Motivation
|
Possibilité
|
Engagement
|
Refus, Désaccord
|
Décision
|
Proclamation
|
Vendredi du départ
|
Rapport de force
|
Suggestion
|
Mode de
savoir
|
savoir
|
Evaluation
|
Opinion
|
Rapport de
demande
|
requête
|
Motivation
|
Possibilité
|
Engagement
|
Refus, Désaccord
|
Décision
|
Proclamation
|
Vendredi du défi
|
Rapport de force
|
Avertissem ent
|
Mode de
savoir
|
savoir
|
Evaluation
|
Opinion
|
Rapport de
demande
|
requête
|
Motivation
|
Obligation
|
Engagement
|
Refus, Désaccord
|
Décision
|
Proclamation
|
Dignité, liberté et
justice sociale
|
Rapport de
demande
|
requête
|
Mode de
savoir
|
savoir
|
Evaluation
|
Opinion
|
Motivation
|
Vouloir
|
Engagement
|
Refus, Désaccord
|
Décision
|
Proclamation
|
Pain, liberté, justice
sociale
|
Rapport de
demande
|
requête
|
Mode de
savoir
|
Savoir
|
Evaluation
|
Opinion
|
Motivation
|
Vouloir
|
Engagement
|
Refus, Désaccord
|
Décision
|
Proclamation
|
Taghyir, horriya et
adala egtemaiya(changement, liberté et justice sociale)
|
Rapport de
demande
|
requête
|
Mode de
savoir
|
savoir
|
Evaluation
|
Vouloir
|
Motivation
|
Obligation
|
Engagement
|
Refus, Désaccord
|
Décision
|
Proclamation
|
Sawra sawra hatta al- nasr, sawra fi kol chawarie
Masr(révolution jusqu`à la victoire, révolution dans
toutes les rues de l`Egypte)
|
Rapport de force
|
Avertissem ent
|
Mode de
savoir
|
savoir
|
Evaluation
|
Opinion
|
Rapport de
demande
|
requête
|
Motivation
|
Obligation
|
Engagement
|
Refus, Désaccord
|
Décision
|
Proclamation
|
Al-Gueich wel chaab eid wahda(l`armée et le peuple, une
seule main).
|
Rapport de force
|
Avertissem
ent Suggestion
|
Mode de
savoir
|
savoir
|
Evaluation
|
Opinion
|
Rapport de
demande
|
requête
|
Motivation
|
Possibilité
|
Engagement
|
Refus, Désaccord
|
Décision
|
Proclamation
|
En mettant cette grille sous observation nous trouvons que
chaque propos énoncé (slogan révolutionnaire) manifeste un
rapport d`influence entre l`annonceur (locuteur : population égyptienne
révolutionnaire) et ses interlocuteurs (les cibles). En exprimant ainsi
des différents points de vue par des diverses catégories de
langue de la part des deux participants dans l`acte de communication
révolutionnaire.
2. Le discours énonciatif révolutionnaire
égyptien :
Par le biais d`une lecture analytique de la grille d`analyse
élaborée ci-dessus nous parvenons à expliciter et à
indiquer le mode d`organisation du discours révolutionnaire en tant que
énonciatif.
D`abord, dans cette situation de communication
spécifique, le peuple égyptien ou les manifestants protestataires
ont scandé et annoncé plusieurs slogans dont les propos
énoncés ont pris des diverses formes et en premier lieu la forme
impérative plurilingue en disant : Dégage !, ou Moubarak
Dégage !, Irhal ! et out !, d`où les annonceurs
jouent un rôle énonciatif en entraînant un rapport de force
et de supériorité en ordonnant leur interlocuteur (la tête
du régime le président Moubarak) à céder le pouvoir
(par injonction).
Mais, au niveau des autres formes, le rapport d`influence
indiqué est tout à fait différent comme celui dans des
propos énoncées de type ou de forme « le peuple veut la
chute du régime », « le peuple veut le départ du
régime », d`où le peuple expose et exprime sa requête
en la demandant explicitement, donc est un rapport de demande. Dans ce cas
l`annonceur joue un rôle langagier, énonciatif plus ou moins
inférieur par rapport au premier. Ce même rapport a
été aussi indiqué par l`acte d`énonciation des
autres slogans de formes diverses comme: « Dignité, liberté
et justice sociale », « pain, liberté et justice social
», « changement, liberté et justice sociale ». À
travers ces énoncés, le peuple demande à son interlocuteur
(le régime) un ensemble de revendications sur lesquels est basée
la révolution. Alors que dans certains autres propos
énoncés, nous percevons une sorte de contraste des deux types de
rapports pour chacun d`eux, lorsque en scandant « A bas Moubarak
» ou « A bas le régime », en plus de
requêtes par ce rapport de demande, le peuple annonce des propositions
pour résoudre la situation résumées dans le départ
et la démission du président et son régime en incitant,
par son acte d`énonciation, les révolutionnaires à faire
tomber ces derniers. Dans les slogans de
type de « vendredi de la colère »,
« du départ » et « du défi
», toujours la requête et la demande du départ,
même si implicitement dans le premier propos, sont présentes, en
indiquant ce rapport de demande. L`autre rapport est aussi exprimé par
une catégorie de langue de suggestion dans les deux premiers où
le peuple suggère et insiste sur sa requête, mais par beaucoup
plus d`un avertissement dans le dernier, « vendredi du défi
», en levant ce défi face au pouvoir. Cette même
contraste de rapport d`influence est aussi perçue au niveau des deux
derniers slogans de la grille : (révolution jusqu`à la victoire,
révolution dans toutes les rues de l`Egypte, l`armée est le
peuple une seule main) : le rapport de force est exprimé dans le premier
par une sorte d`avertissement adressée au régime que la
révolution et la mobilisation perpétuera jusqu`à son
départ, mais en plus d`avertissement il ya aussi une suggestion dans
l`autre slogan pour inciter en se positionnant dans une situation
supérieur par rapport au pouvoir. Encore le rapport de demande est
toujours exprimé par une requête et une telle demande
adressée aux citoyens et aux membres de la société dans le
premier slogan, en leur incitant et persuadant à protéger la
révolution et à la renforcer. C`était en fait les
mêmes traits du rapport de demande évoqués dans le dernier
slogan (propos énoncé) mais cette fois-ci en s`adressant aux
forces de l`armée.
Dans un autre niveau d`analyse, en accomplissant cet acte
d`énonciation, l`annonceur s`est basé sur quelques points de vue
situationnels et spécifiques exprimés de manière explicite
ou implicite possibles par ses slogans en tant que propos
énoncés.
D`abord et d`un point de vue du mode de savoir, le peuple
égyptien comme annonceur précise la connaissance de ses propos
annoncés dans chaque slogan révolutionnaire. Par le biais de
cette connaissance et de celle de sa réalité, et des traits de sa
situation, il a scandé ses slogans en ayant toute conscience de ses
demandes et revendications, il veut les transmettre à ses interlocuteurs
pour leur faire savoir que ce sont des propos révolutionnaires, que
cette mobilisation est une révolution. Par les slogans de «
dégage ! » les protestataires veillent aussi faire savoir
qu`il faut faire dégager le président et son régime, et
qu`ils ne veuillent plus Moubarak comme président. C`est ce qui à
été exprimé clairement par d`autres slogans et compris
tacitement dans certains autres même si le slogan réclame des
revendications socio-
économiques comme ceux de : « dignité,
liberté et justice sociale » et « pains, liberté et
justice sociale ».
Ensuite et d`un point de vue d`évaluation, de la part
de l`interlocuteur, la révolution n`est qu`un résultat d`une
évaluation et d`un jugement fondé sur une situation conflictuelle
d`opinions. Tout au long de la période du soulèvement, le
régime et ses institutions refusent de répondre aux
revendications légitimes de la population.
Alors et d`un point de vue de motivation, les buts les raisons
pour lesquelles les propos ont été énoncés,
semblent figurativement nuancés d`un slogan à un autre, entre les
différents catégories de langues proposées : obligation,
possibilité et vouloir, mais ne se coulent en fait que dans un seul
cadre, celui de l`obligation et de l`exigence indiquée par la force du
contexte situationnel de révolution. Avec le slogan de «
dégage ! » et d`autres qui le ressemblent, le peuple vise
à obliger le président et son régime à céder
le pouvoir. C`est la revendication majeure de toute la révolution.
Par les slogans de « le peuple veut le départ
(la chute) du régime », il exprime tout simplement son vouloir
donc ces objectifs voulus, mais une sorte d`obligation par conséquent de
la force de la situation (révolution). Comme il est constaté, la
motivation peut être aussi nuancée entre divers buts
d`énonciation en quelque propos. Si les finalités sont de
possibilité dans le slogan de « A bas Moubarak, le
régime », d`où le peuple propose ces demandes comme
revendications et solutions, dans certains autres slogans les buts sont
contrastés entre possibilité, vouloir et obligation. Dans les
slogans de vendredi, les buts suggérés qui sont
déjà voulus, sont possiblement réalisés mais dans
le dernier, « vendredi du défi », par l`avertissement dominant
dans le rapport d`influence, le but énonciatif devenu obligation.
Alors que dans les derniers slogans, le but et la raison du
propos de « dignité, liberté et justice sociale » et de
ceux qui le ressemblent, est d`un ensemble de vouloirs attendus, tendis que
celle de révolution jusqu`à la victoire, révolution dans
toutes les rues de l`Egypte, est dite d`obligation en conséquence d`un
avertissement sous tendu par le rapport d`influence. Mais indiquant une raison
de possibilité lorsqu`il suggère en incitant les force
d`armée à accompagner la révolution dans le slogan de
« l`armée et le peuple, une seule main ».
En fait, il faut toujours insister sur l`idée que
toutes les raisons d`énonciation sont dites d`obligation même si
elles sont de vouloir ou de possibilité. C`est en conséquent de
la force obligatoire du contexte situationnel ou de la situation
révolutionnaire, tout ce que demande la révolution est une
obligation.
Ensuite et d`un point de vue d`engagement, la cible ou
l`interlocuteur (le régime, le pouvoir, ses institutions entre autres le
président) est fortement et parfois explicitement visé dans
chaque propos énoncé des slogans révolutionnaires, par une
position de désaccord et de refus entier des propos et de son
locuteur.
Enfin et d`un point de décision, la
société égyptienne a proclamé directement sa
décision de révolution à travers ses propos
énoncés (slogans) aboutissants et réalisant son
soulèvement, en se considérant comme société
révolutionnaire, donc l`effet est toujours une révolution.
En guise de conclusion, le slogan de la révolution
égyptienne, n`est qu`un discours d`un mode d`organisation
énonciatif, d`où le langage est mis en scene dans une situation
de communication spécifique (révolution). En transmettant leur
message révolutionnaire, l`annonceur exerce un rapport d`influence de
force en accomplissant son acte de sloganisation et en se
référant en même temps aux certains points de vue
situationnels spécifiques.
Chapitre III: Analyse Lexico-Sémantique et
Pragmatique des slogans révolutionnaires égyptiens :
Dans cette partie du travail, l`étude des slogans
révolutionnaires est menée sur trois principaux axes
linguistiques. D`abord, au niveau syntaxique en essayant de mettre en
considération la composante syntaxique des slogans comme une
réflexion d`introduction pour l`analyse sur un autre niveau dit
lexico-sémantique qui consiste à étudier la composante
sémantique des slogans et les différentes relations
entraînées entre eux et le rôle de la dimension pragmatique
sous-tendue par le slogan révolutionnaire pratiqué comme un acte
de langage.
I- 8 CHAXIBBADCCOVIIV QaxBo-sémantique des
slogans révolutionnaires
égyptiens :
Avant d`aborder l`analyse et l`élaboration d`une grille
syntaxico- sémantique, il nous faut d`abord mettre l`accent sur les
slogans révolutionnaires du point de vue de leurs composantes
syntaxiques. Selon se critère, nous pouvons élaborer une autre
grille d`analyse qui nous sert à dégager une sorte de
classification des divers modeles et structures syntaxiques selon lesquelles
sont formulés les slogans.
1. Les slogans révolutionnaires du point de vue
syntaxique :
1.1. Présentation de la grille syntaxique :
Cette grille n`est qu`un simple tableau indiquant et
présentant la classification des slogans par rapport à leurs
structures et modèles syntaxiques distingués. Un tableau
constitué de deux colonnes principales dont la première est
consacrée à présenter les modeles syntaxiques qui sont
énumérés jusqu`à cinq (5) structures, alors que la
deuxième colonne indique la distribution des slogans d`un modèle
à un autre.
. Classification des slogans révolutionnaires
selon les modèles syntaxiques:
modèles syntaxiques
|
|
Slogans révolutionnaires
|
Mot d'ordre ou impératif
|
Dégage !
Moubarake, Dégage ! irhal !
(Dégage !)
Out ! (Dégage !)
|
déclaratif et
affirmatif de type : le peuple
veut...
|
Al chaab youride isquat al-nizam (Le peuple veut la chute du
régime)
Al chaab youride rahil al-nizam (Le peuple veut le départ
du régime)
|
Phrase nominale de type : A bas...
|
À bas Moubarak ! (yasquot Moubarak). À bas le
régime ! (yasquot al-nizam)
|
Phrase nominale de type : vendredi
de...
|
Vendredi de la colère Vendredi du départ Vendredi
du défi
|
déclaratif structure diverse
|
de
|
Dignité, liberté et justice sociale
Pain, liberté, justice sociale
Taghyir, horriya et adala egtemaiya(changement, liberté et
justice sociale)
Sawra sawra hatta al-nasr, sawra fi kol chawarie
Masr(révolution jusqu`à la victoire,
révolution dans toutes les rues de l`Egypte)
Al-Gueich wel chaab eid wahda(l`armée et le peuple, une
seule main).
|
1.2. Description de la composante syntaxique des slogans
révolutionnaires :
A partir d`une lecture de la grille d`analyse syntaxique nous
essayons de comprendre comment les révolutionnaires égyptiens se
sont servis non seulement de l`arabe égyptien, mais des autres langues
pour construire et formuler des slogans et produire des effets réels de
sens d`un énoncé de révolution. Enfin, nous avons fait la
distinction entre cinq principaux modèles possibles :
- Le mot d'ordre ou impératif : par le
biais de ce modèle le peuple égyptien a scandé presque le
même slogan en différentes langues. C`est le slogan de
Dégage! ?, en arabe égyptien : IRHAL !? et en
anglais : Out ! ?. Cette simple structure d`un mot d`ordre a pris en
fait une position primordiale non seulement dans la révolution du Jasmin
et celle d`Egypte, mais dans toutes les mobilisations du mouvement « le
printemps arabe ». Ce modèle syntaxique n`est qu`une phrase simple
exprimée sous une forme impérative. Généralement ce
mode est souvent utilisé pour exprimer l`ordre, la
défense ou une conseille. Par ce type de slogan, le
peuple ou les manifestants en Egypte se sont adressés à Moubarak
en lui donnant un simple ordre à la façon des conversations
ordinaires en disant : Dégage !?.
- Le modèle de «Le peuple veut
...» : deux principaux slogans sont distingués
suivants ce modèle : Le peuple veut la chute du régime ?
et Le peuple veut le départ du régime?. Ce sont presque
le même slogan, le même énoncé qui est scandé
en réalité en arabe égyptien : Al chaab yourid isquat
al- nizam? et Al chaab yourid rahil
al- nizam?. Ce modèle est aussi une phrase
simple d`un type déclaratif et affirmatif d`oüla population
égyptienne, en plus d`annoncer ses déclarations, elle exige en
précisant ses
quêtes résumées par le départ et la
chute du régime. Cette structure et ce modèle était le
plus répondu dans ce mouvement, dont il s`inspire sa force et sa
symbolisation de sa sloganisation restée à être
entendu même après le mouvement.
- Le modèle de «-1 lTh... !»
: sous cette structure syntaxique nous avons distingué deux
slogans qui sont fortement scandés durant la révolution
égyptienne : A bas Moubarak? et A bas le
régime?. Des phrases aussi simples introduites par une
préposition à? suivie par l`adverbe de bas?. Sans même se
distinguer comme slogan révolutionnaire, cette construction est
utilisée en principe pour exprimer des sentiments
d`hostilité et d`opposition, en désignant l`action
de guerre qui a été déclarée dans ce contexte
d`énonciation de révolution contre le régime, et Moubarak
le président.
- Le modèle syntaxique de vendredi :
les slogans de ce modèle sont des énoncées connus comme
des nominations des jours de vendredi dont nous avons distingué trois
slogans des trois principaux jours de vendredi vécus durant cette
période du soulèvement : Vendredi de la colère?
qui convient au premier vendredi dans cette révolution (28/ 01/ 2011),
vendredi du départ? pour le deuxième (04/ 02/ 2011) ,et
pour le dernier était :Vendredi du défi? (11/ 02/ 2011).
Cette technique ou structure a continué d`être mise en ~uvre
même après la révolution en inspirant les autres pays au
même titre que le slogan de Dégage ! ?. Le slogan de
vendredi est particulièrement approprié par la révolution
d`Egypte. Ces énoncés sont tellement signifiants, ils
résument et racontent en général la chronologie et
l`histoire des évènements.
- Le dernier modèle est, en fait, un
ensemble de phrases de structures diverses qui sont en effet proche d`un autre
type que le slogan, dit la devise. Des phrases aussi simples nominales
indiquant des revendications essentielles d`un critère
socioéconomique, comme : pain, liberté, et justice
sociale?, dignité, liberté, et justice sociale ?.
Une autre structure aussi spécifique à un slogan en arabe qui est
caractérisée par une valeur et dimension très
poétique douée d`un rythme sonore et d`une rime assonante comme
« Sawra sawra hatta al-nasr, sawra fi kol chawarie Masr »
(révolution jusqu`à la victoire, révolution dans
toutes les rues de l`Egypte) et une autre structure unique du dernier slogan
arabe : Al- Gheich wel chaab eid wahda?.
2. Le slogan révolutionnaire du point de vue
sémantique :
A ce niveau d`analyse sur l`axe sémantique, nous nous
sommes intéressé à comprendre les significations des
différentes modèles syntaxiques distingués, avec les
diverses relations qu`ils peuvent entraîner entre eux essentiellement par
rapport à leur contexte d`énonciation, en rappelant aussi les
principaux critères selon lesquels les slogans ont été
choisis. Il s`agit d`un ensemble de slogans scandés soit contre le
régime, soit contre le président, ou ceux réclamant des
revendications socioéconomiques. Ces formules figées sont des
séquences polylexicales utilisées en discours énonciatif
révolutionnaire pour désigner un référent unique
selon leur valeur dénominative ?. Ce sont des slogans qui se
réfèrent à la révolution égyptienne. Bien
évident, le sens des
slogans étudiés est souvent global comme toute
autre séquence figée mais de façon paradoxale, certains
entre eux se comportent autant que des syntagmes réguliers dont
le sens est compositionnel, c`est-à-dire dégagé du sens
des lexèmes qui le composent (M.F.MORTUREUX. 2008 : 105).
Pour cerner cette analyse sémantique et atteindre les
objectifs visés, il nous faut nous réfugier à
élaborer une grille répondante à ces besoins et
systématiser notre traitement suivant un cadre méthodologique
bien déterminé. Dans ce but, nous nous sommes revenu par le temps
à une époque de la sémantique structurale? d`où
s`inscrit l`analyse sémique de B. Pottier (1963, 1974) et son grille
d`analyse de laquelle nous nous sommes inspiré, et les principes sur
lesquels elle est fondée.
Dans ce cadre de la linguistique structurale, l`analyse
sémique vient d`examiner l`une des deux theses du fondement de cette
théorie. Un postulat de L`autonomie du langage? dont le signe
linguistique reliant non une expression à un référent
(objet) mais un signifiant à un signifié. Dans sa grille
d`analyse, Pottier résume la répartition d`un ensemble de
sèmes qui composent les sémèmes dont le rapport exprime la
signification des unités lexicales dites lexèmes appartenant
à un même champ lexical des sièges (M.F.MORTUREUX.2008
:78). Le but de son analyse est de dégager et d`expliciter les liens
existant entre « le système sémique et la manifestation
lexématique » en se servant des concepts opératoires
spécifiques de sème, sémème, et lexème. Ce
travail sémique consiste à classer les sèmes entre :
sème commun et générique déterminant le champ
notionnel des sièges, et des sèmes spécifiques, dont les
sèmes générique représentent le
classème, et les spécifiques pour le
sémantème des unités lexicales ou des mots
(A.J.Greimas.1986 : 34, et par A.Hénault .1979: 52-55).
Pour l`élaboration de notre grille d`analyse, en
imitant celle proposée par B. Pottier, nous nous sommes trouvé
face à une difficulté de choix décisifs, précis et
opérationnels des différents sèmes qui sont
distribués entre les formules des slogans constituants le corpus,
suivant les niveaux des sens déterminés. Dans ce cas nous avons
la nécessité de recourir à la définition qui peut
être déduite et réservée pour chaque slogan en tant
qu`énoncé mais toujours par rapport à son contexte
d`énonciation -la révolution égyptienne -, tenus compte
les critères et les bases selon lesquelles les slogans ont
été choisis.
Dans chaque définition du slogan comme
syntagme, et du point de vue de son « organisation logique »
(M.F.MORTUREUX.2008 :84), les éléments et les informations
sémantiques (sèmes) s`avèrent distinctifs entre concluants
et spécifiant : les sèmes génériques des concluants
représentent ce que R. Martin évoque par le concept
archisémème (pour une logique du sens.1983), et les
sèmes spécifiques pour des autres syntagmes syntaxiques dits
spécifiants. L`incluant d`abord consiste à attribuer et à
intégrer la classe des référents du propos
énoncé de chaque slogan en une autre classe plus vaste celle du
slogan révolutionnaire égyptien. Alors que les spécifiants
expriment les spécificités distinctives d`un propos
énoncés à un autre dans cette classe globalisante de
slogans révolutionnaires égyptiens.
En nous basant sur ces différents traits et fondements
syntaxico-sémantique, nous pouvons tracer le syntagme
définitoire possible pour le slogan de la révolution par
rapport à son contexte situationnel mis en question dans ce travail.
Chaque propos énoncé mis en considération dans le corpus,
peut être défini comme étant : un slogan
révolutionnaire égyptien qui est scandé contre le
président ; contre le régime politique régissant; ou
réclamant des revendications socioéconomiques perdues sous le
règne de ce régime du président Moubarak.
Cette définition nous sert, comme des données de
bases à dégager les informations sémantiques ou les
concluants et les spécifiants des slogans, comme il est indiqué
par le petit tableau suivant qui exprime l'organisation logique de ces
propos énoncés par les slogans étudiés :
Acceptions
|
Incluant
|
Sèmes spécifiques
|
Propos énoncés des divers slogans
|
- un slogan
révolutionnaire égyptien.
|
- scandé contre le président Moubarak. -
scandé contre le régime.
- réclamant des revendications socio-
économique.
|
Notre grille d`analyse lexico-sémantique consiste
à prendre en charge, suivant une analyse qualitative comparative, la
répartition des différents éléments et traits
sémantiques explicités par le tableau ci- dessus, entre les
slogans ou les propos énoncés d`un slogan à un autre dans
le corpus, essentiellement sur deux niveaux de sens explicite direct et
indirect du contenu nominatif des slogans : le sens dénoté et le
sens connoté à l`intérieur de chaque slogan.
3. 3 rOAeCAtaYCIUIlaIgraODIMCDSAeIAOP aCtarue :
C`est un tableau simple qui contient six (6) colonnes principales
:
- La colonne n°1 : consiste à présenter les
principaux slogans étudiés classés selon les
modèles et les structures syntaxiques distinguées.
- La colonne n°2 : détermine les niveaux du sens :
dénoté et connoté à l`intérieur de chaque
slogan, en permettant de faire la distribution et la comparaison
sémique.
- - La colonne n°3 : présente le
sème générique commun à tous les propos en
constituant leur incluant : slogan révolutionnaire égyptien? : S
1.
- - La colonne n°4 : pour le premier
sème spécifique constaté du spécifiant :
scandé contre le président Moubarak? : S 2.
- La colonne n°5 : pour le deuxième sème
spécifique du spécifiant : scandé contre le régime
régissant? : S 3.
- La colonne n°6 : réservée pour le dernier
sème spécifique du spécifiant : réclamant des
revendications socioéconomiques, ou scandé contre la situation
socio- économique vécue? : S 4.
Dans le but de déterminer et d`indiquer le
signifié identique et commun partagé entre les slogans en tant
que formules, séquences et structures syntaxiques signifiantes, la
procédure effective de cette grille consiste à analyser et
à comparer la répartition et la distribution des sèmes
présupposés entre sens dénoté et sens
connoté d`un slogan à un autre. Il s`agit donc d`une étude
qualitative comparative aux niveaux sémantiques dénotatifs et
connotatifs des slogans révolutionnaire égyptiens.
. Grille d'analyse sémantique :
Modèles
syntaxiques des slogans
|
Sens
|
Slogan révolution-
naire égyptien
(S1)
|
Contre le président (S2)
|
Contre le régime (S3)
|
Contre la
situation socio-
économique
(S4)
|
Dégage !
|
dénoté
|
+
|
|
|
|
connoté
|
|
+
|
+
|
+
|
Moubarake, Dégage !
|
dénoté
|
+
|
+
|
|
|
connoté
|
|
|
+
|
+
|
Irhal ! (Dégage !)
|
dénoté
|
+
|
|
|
|
connoté
|
|
+
|
+
|
+
|
Out ! (Dégage !)
|
dénoté
|
+
|
|
|
|
connoté
|
|
+
|
+
|
+
|
Al chaab
youride isquat alnizam (Le peuple veut la chute du
régime)
|
dénoté
|
+
|
|
+
|
|
connoté
|
|
+
|
|
+
|
Al chaab
youride rahil al-
nizam (Le peuple veut le départ du
|
dénoté
|
+
|
|
+
|
|
connoté
|
|
+
|
|
+
|
régime)
|
|
|
|
|
|
A bas Moubarak ! (yasquot Moubarak).
|
dénoté
|
+
|
+
|
|
|
connoté
|
|
|
+
|
+
|
A bas le régime ! (yasquot alnizam)
|
dénoté
|
+
|
|
+
|
|
connoté
|
|
+
|
|
+
|
Vendredi de la colère
|
dénoté
|
+
|
|
|
|
connoté
|
|
+
|
+
|
+
|
Vendredi du
départ
|
dénoté
|
+
|
|
|
|
connoté
|
|
+
|
+
|
+
|
Vendredi du
défi
|
dénoté
|
+
|
|
|
|
connoté
|
|
+
|
+
|
+
|
Dignité, liberté
et justice sociale
|
dénoté
|
+
|
|
|
+
|
connoté
|
|
+
|
+
|
|
Pain, liberté,
justice sociale
|
dénoté
|
+
|
|
|
+
|
connoté
|
|
+
|
+
|
|
Taghyir, horriya
|
dénoté
|
+
|
|
|
+
|
et adala
egtemaiya(change
ment, liberté et justice sociale)
|
connoté
|
|
+
|
+
|
|
Sawra sawra
hatta al-nasr, sawra fi kol chawarie Masr(révolution
jusqu`à la victoire,
révolution dans toutes les rues de l`Egypte)
|
dénoté
|
+
|
|
|
|
connoté
|
|
+
|
+
|
+
|
Al-Gueich wel
chaab eid wahda (l`armée et le peuple, une seule
main).
|
dénoté
|
+
|
|
|
|
connoté
|
|
+
|
+
|
+
|
4. Analyse dénotative/ connotative des slogans
révolutionnaires :
Avant d`analyser, il faut préciser que, au même
titre que les mots des sieges qui ont été traités en
analyse sémique de Pottier, les différentes formules et les
séquences (propos énoncés) mises en question par notre
grille d`analyse relèvent du même champ notionnel?. Ils s`agissent
qu`elles entraînent entre elles des relations sémantiques sous
prétexte qu`elles représentent la même
réalité ou le même réfèrent (slogans de la
révolution égyptienne). (M.F.MORTUREUX, 2008 :78).
Pour justifier les choix opérationnels des traits
perspectifs présupposés et par lesquels nous nous sommes
orienté, nous nous sommes trouvé face à un rapport
tellement étroit reliant les concepts opératoires de :
référence, sens, et dénotation?. Pour cette raison, nous
nous soumettons à certaines perspectives évoquées par des
approches précises en fonction les besoins et les objectifs visés
par cette analyse.
En principe la dénotation, comme le sens, est une
relation qui au contraire s`applique aux lexèmes et reste valable en
dehors des contextes d`énonciation ?. (MORTUREUX. 2008 :169).
Il s`agit donc qu`elle est stable de la signification?, alors
que les connotations sont « subjectives et variables selon les contextes
de cette même signification »36. A cet égard, en
distinguant le référent d`un lexème et sa
dénotation n`élimine jamais le lien entre eux dans la mesure
où tout référent est généralement inclus
dans le sens dénoté d`un ou de plusieurs lexèmes dans une
même langue.
La dénotation, selon Martinet, est « le contenu
qui engage toute la communauté linguistique : ce qui dans la valeur d`un
terme est commun à l`ensemble des locuteurs de la langue » (C.
Baylon a P.Fabre. 1989 : 115). Et d`un autre côté, les
connotations sont des associations individuelles : « tout ce que ce terme
peut évoquer, suggérer, exciter, impliquer de façon nette
ou vague, chez chacun des usagers individuellement ».
Donc, nous tenons compte l`aspect évolutif du sens des
mots dans la communauté, le sens dénoté est aussi
déterminé par le rôle et la fonction des lexèmes et
de la langue en général dans la société qui la
utilise. Tout au long de cette période de
36 C. Baylon a P. Fabre. La sémantique. Nathan.
1989. P 115.
révolution, l`ensemble de ces formules et propos
énoncés sont connues comme des slogans révolutionnaires
égyptiens. Il s`agit d`un sens dénoté d`où leur
référent est inclus en tant que messages d`un acte de
communication particulière. Ce sont donc des slogans d`une
révolution. Cette dénotation est désignée ou
résumée par le premier sème (S1) représentant le
concluant ou le sème générique commun à touts les
propos en question.
A l`instar du sème générique (S1), les
autres constituants les spécifiants (sèmes spécifiques)
seront soumis au même traitement dont ils sont distribués entre
les énoncés suivant les deux niveaux de sens proposés
(dénoté et connoté), précisant que les diverses
connotations sont conclues et comprises selon leur contexte
d`énonciation révolutionnaire, leurs spécifiants et
l`organisation logique analysée ci-dessus.
D`abord le slogan du premier modèle syntaxique
impératif ou du mot d`ordre, son analyse componentielle a
révélé le même modèle de distribution des
éléments et des informations sémiques, qui est
présenté par la formule ou la séquence réduite au
lexème de Dégage?. Par conséquent de ce grand
mouvement du printemps arabe, dégage? (dégage Moubarak),
Irhal?, ainsi out?, sont des slogans révolutionnaires
pour tous les membres de la société arabe, et sont
spécifiquement égyptiens par la particularité du contexte
de la révolution en question. C`est le premier sème d`un
rôle de classème? saisi, compris des sens dénotés,
et d`ailleurs de celui aussi de tous les autres slogans des divers
modèles distingués. Encore, ce ne sont en fait que des mots
d`ordres, des verbes ou un seul verbe exprimé en différentes
langues, conjuguée au mode de l`impératif, destiné
à un seul interlocuteur qui est le président Moubarak. Donc un
slogan révolutionnaire égyptien scandé contre le
président. C`est le deuxième sème mais plus au moins
spécifique à ce modèle, dégagé du sens
dénoté de Dégage Moubarak !?, et des sens
connotés des autres. Ensuite, le fait d`entretenir une révolution
contre le président, elle est en principe contre le régime
politique entier représenté par l`organisation de ses
institutions dont Moubarak n`est qu`en tête de la liste. C`est le
troisième sème comme spécifique ou indiquant le
spécifiant des slogans en question, et qui rapporte de leurs sens
connotés. Enfin, en se révoltant contre n`importe quel
régime et son président, ce n`est qu`en raison d`un ensemble de
caractéristiques de l`air socioéconomique du pays ou de la
société, lorsque toute révolution est souvent
caractérisée de ses deux dimensions, non seulement politique,
mais socioéconomique, aux niveaux desquelles le peuple
égyptien
espère réaliser la restauration et le changement
radical. Donc un autre sème spécifique compris des sens
connotés des propos énoncés à l`intérieur de
ce contexte d`énonciation.
Au niveau du deuxième modèle syntaxique, en
suivant la même procédure analytique, la formule de Le peuple
veut...? est devenue parmi les moules essentiels de sloganisation
oppositionnelle. Elle constitue un slogan principal pour toute
révolution dont il est égyptien par rapport à son contexte
d`énonciation dans notre corpus étudié, donc le
sème générique est aussi présent et exprimé
par ce modèle. Ensuite, il est scandé contre le régime
entier dont Moubarak fait partie, il s`agit que le (S3) est explicitement ou
dénotationnellement exprimé contrairement au (S2), alors
que le dernier sème spécifique (S4), confronte aussi la
même situation détaillée dans l`analyse du premier
modèle syntaxique. Logiquement, scander contre Moubarak et son
régime, ça veut dire réclamer la situation ou les
revendications socioéconomiques qui sont les raisons et les bases
fondatrices du mouvement en caractérisant l`aspect général
de la société pendant le règne d`un régime
refusé. Alors, c`est un autre sème (S4) spécifique
connotationnellement signifié.
Par la suite un autre modèle a été aussi
distingué d`une structure de type : À bas...?, qui peut
être traité de la même façon de celui
précédent. Le peuple a scandé A bas
Moubarak? et A bas le régime? dont il veut explicitement
et directement faire tomber tant tôt le président (S1) dans l`un,
tant tôt le régime (S2) dans l`autre alors que réclamer les
autres revendications (S4) est encore connoté, sans oublier de
démontrer que le sème générique (S1) est toujours
exprimé au niveau du sens dénoté. Ces deux propos sont
aussi des slogans de la révolution d`Egypte.
Un autre type ou modèle de structure syntaxique est
celui des slogans de nomination des jours de Vendredi ayant été
vécus pendant cette période de révolution. Ce
modèle a considérablement caractérisé le
soulèvement égyptien par rapport aux autres arables en les
inspirant de l`adopter massivement. Trois propos énoncés
correspondants aux jours précis, et connus comme des slogans principaux
de la révolution. Il s`agit qu`à travers les trois
énoncés le sème générique (S1) de «
slogan de la révolution égyptienne » est aussi
remarqué au niveau de leurs sens dénotés. Alors que par
sens connoté, les divers sèmes spécifiques sont
convoqués et marqués par la même répartition entre
les slogans. Quand scander « vendredi de la colère »,
le peuple égyptien exprime sa colère, son
mécontentement contre le président, contre le
régime et même la situation dans laquelle se trouve et vie la
population. Quant au « vendredi du départ », en
s`agissant le départ de qui?. De Moubarak ou de régime peut
import celui de l`un exige celui de l`autre en réclamant non seulement
la situation politique mais également celle socio-économique.
Encore suivant le même volet perspectif, face à qui le défi
a été levé dans « vendredi du défi
» ? Un défi quelconque contre quel qu`il soit le président
ou le régime, l`un implique l`autre avec réclamation fondamentale
concernant la situation et les conditions de vie intolérables. Dans ce
cas les différents sèmes spécifiques sont
péjorativement les mêmes pour les trois slogans de ce
modèle : c`est-à-dire qu`ils partagent le même
spécifiant.
Le dernier modèle de slogan est de structures diverses
qui ne se laissent classées à n`importe quel parmi les
précédents. Les trois premieres structures de ce modèle
sont beaucoup plus proches de la devise, et d`une valeur notamment sociale
identifiée par la nature et le critère des requêtes et
demandes réclamées. En scandant « Dignité (pain,
changement), Liberté, et justice sociale » indique d`abord
leur perception et timbre sémantique délibéré entre
les égyptiens en tant que slogans de révolution, par la force de
leur contexte d`énonciation. C`est le même constat remarqué
pour les deux derniers slogans ou propos énoncés de
révolution jusqu'à la victoire, révolution dans toutes
les rues de l'Egypte?, l'armée et le peuple, une seule
main?. En insistant donc, la premiere information sémique (S1) d`un
slogan révolutionnaire égyptien est encore détectée
au niveau de la dénotation accordée à tous les propos
énoncés constituants notre corpus du travail. Si le peuple
égyptien a demandé dignité, liberté, et justice,
sont essentiellement de requêtes sociales. S`il a aussi scandé
pain? ça reflète l`impression économique et les conditions
accablantes de vie que confronte l`Égyptien. Cet ensemble de
revendications socio-économique réclamées
représentant le sème spécifique (S4) dénoté
de chaque slogan concerné, en connotant en même temps le rejet du
président et de son régime (S2 et S3).
Pour celui de « révolution jusqu'à la
victoire, ... », est une autre sorte d`avertissement et de
déclaration de son défi contre le président et le
régime entier. Un défi levé en cherchant la réforme
et le changement radical. Donc l`ensemble des sèmes spécifiques
proposés, même s`ils sont connotés (S2, S3, S4), ils seront
quand même possiblement invoqués. Finalement le peuple a aussi
scandé « l'armée et le peuple, une seule main »
en
reflétant et explicitant cette relation d`accord
entreprise entre l`armée et la population en éliminant le
président et son régime. Une élimination qui n`est qu`une
expression d`un rejet et d`une situation précise réclamée.
Encore le même spécifiant (S2, S3, S4) est toujours
évoqué au niveau des sens connotés.
Donc et d`une manière générale, toutes
ces séquences polylexicales de différentes structures syntaxiques
d`un modèle à un autre sont connotationnellement comme
dénotationnellement équivalentes dans la mesure
où elles expriment plus au moins la même dénotation en se
partageant au moins un seul sème générique du concluant
proposé et présupposé par le moyen du syntagme
définitoire des slogans révolutionnaires, en partageant
presque le même spécifiant. Donc cet ensemble de propos
énoncés étudiés sont des séquences
signifiantes ayant le même signifié représenté par
le biais d`un même syntagme définitoire. Ce sont des slogans
révolutionnaires égyptiens scandés contre le
président et son régime politique en réclamant la
situation socioéconomique du pays.
II- Relations sémantiques entre slogans
révolutionnaires :
D`une manière générale, les slogans
étudiés se considèrent comme des séquences
polylexicales figées dont leur sens peut être global. Il s`agit en
fait d`attribuer une seule signification effective à plusieurs
unités signifiantes, tel qu`il est indiqué par l`analyse
précédente suivant une échelle sémique. Cette
relation sémantique entre slogans n`empêche pas d`étudier
et de révéler une autre relevant d`une échelle
lexico-sémantique, et qui se manifeste au niveau de la relation
sémantique entre les différentes unités lexicales
(lexèmes) construisant les divers propos énoncés.
1. Dégage !, Irhal !, Out ! :
Tenu compte leur contexte d`énonciation, chacun de ces
slogans de la révolution de ce modèle se présente par une
seule unité lexicale, autant qu`il se comporte. Ce sont le même
slogan scandé par les Egyptiens en différentes langues par un
principe d`équivalence sémantique, d`où certainement ce
contexte d`énonciation joue un rôle principale pour
contrôler et orienter le processus de traduction mis en ~uvre. Donc cette
sorte de concordance et d`équivalence sémantique entre les
lexèmes est essentiellement connotative incarnée au niveau d`un
même concluant partagé et d`un spécifiant commun.
En effet, ce sont des verbes conjugués au même
mode et temps dans toutes les langues concernées avec le même
pronom personnel, en s`adressant au président (avec le deuxième
pronom personnel du singulier : tu) avec un mot d`ordre, un verbe
conjugué à l`impératif présent en français
en disant : dégage?, en arabe égyptien :
IRHAL?, alors qu`on anglais : out? qui est en principe : go
out?.
En nous référant à cet usage et pratique
langagière particulière des égyptiens à
l`intérieur d`une situation communicationnelle d`un contexte
révolutionnaire, l`analyse du sens des trois lexèmes
évoqués est sous jacente de celui du lexème en
français dégage? dont sa mise en question sémantique ne
peut être réaliser, selon Dalila Morsly (Dégage.
2011), qu`en référence à une norme de français dite
hexagonale, unique et partagée dans tout le territoire de la
communauté francophone.
Ce mot dégage, est inspiré de la
révolution du Jasmin de la Tunisie en étant traduit en plusieurs
langues et variétés constituantes le paysage
sociolinguistique du pays (arabe égyptien, anglais, etc). C`est un
mot qui a fortement voyagé d`une région à une autre
pendant ce mouvement protestataire du printemps arabe en bouleversant toutes
les sociétés. Un mot qui est choisi et couronné comme le
mot de l`année 2011 pendant le festival du mot (Nièvre) qui a eu
lieu entre 1er et le 5 Juin et présidé par le
linguiste Alain Rey. Selon ce dernier, « Dégage ! signifie à
la fois partir, s`en aller, libérer ce qui est coincé, retenu ou
encore déblayer, désherber, désencombrer » (le point,
le 01/ 06/ 2011).
Selon le dictionnaire des mots contemporains, Robert, le verbe
d`où il vient ce slogan est employé surtout à
l`impératif (1989 : 147), et se représente par plusieurs
acceptions : (Le petit Larousse, 1975 : 259).
- Retirer ce qui avait été donné en gage :
dégager sa vaisselle, ses bijoux. - Débarrasser de ce qui
encombre : dégager un passage.
- Délivrer, libérer : dégager son doigt d`un
engrenage.
- Rendre plus libre, en parlant d`un vêtement : encolure
qui dégage la tête. - Produire une émanation, exhaler :
fleur qui dégage un parfum délicieux. - Détacher son arme
de celle de son adversaire.
- Soustraire à une obligation : dégager quelqu`un
de sa promesse.
- Tirer d`un ensemble, mettre en évidence :
dégager l`idée essentielle, dont cette dernière acception
est présentée en tant que sens figuré dans le dictionnaire
de la langue française (éd. De la connaissance 1995 : 135).
En comparant, aucune parmi ces acceptions, reflète la
réalité sémantique que présente le mot :
dégage à cette époque révolutionnaire d`où
il détient sa nouvelle signification en tant que slogan de
révolution. Donc une nouvelle acception est ajoutée et
assignée au mot, d`une dimension et d`une valeur politique puis
révolutionnaire jusqu`à devenir symbole de la protestation. A
l`instar des Tunisiens, les Egyptiens n`ont pas trouvé d`autre
expression trop restreinte, extra-rhétorique plus signifiante
que celle du mot dégage?, traduit aux autres langues, pour «se
débarrasser d`un tyran ».
Si à un moment donné de l`histoire et de
l`évolution morpho-lexicale de la langue, la lexie de
dégagement dérivée de ce verbe dégager,
aujourd`hui le mot dégagisme est un autre néologisme
massivement utilisé. D`abord, dégagement désigne «un
ensemble de mesure que prend un Etat pour se libérer de certains
contractés envers d`autres», dont ce mot a fait sa
première apparition dans le domaine politique entre les
lignes d`une conférence de presse du
général de gaulle en confirmant «la volonté du
chef
de l`Etat de sortir au plus vite d`une situation qui
empêche la France d`assumer ses autres missions » (Robert.
Dictionnaire des mots contemporains. 1989 : 146- 147).
Le dégagisme comme néologisme, peut
être classé sur les deux types des lexies néologiques :
c`est-à-dire un néologisme de langue de façon qu`il est
social en vue la socialité du phénomène de la
révolution d`une part, d`autre part est un néologisme de discours
quand il est produit dans une situation communicationnelle spécifique
d`un
discours révolutionnaire particulier. «C`est dans
le discours que naissent les
néologismes », affirme MORTUREUX37.
Le mot dégagisme est une unité lexicale
néologique formée par la néologie de processus de
création, des règles de construction d`affixation : dont le verbe
dégager, son radical, ajoute un nouveau suffixe de isme? pour former un
autre mot appartient à son champ lexical. Le dégagisme
est considéré comme une nouvelle tendance, doctrine ou
37 M. F. MORTUREUX. La lexicologie entre langue et discours.
Sedes, 1997, P : 105.
catégorie sociopolitique, «pas pour remplacer un chef
par un autre, mais pour que le
peuple, à travers des instances représentatives,
s`invente un avenir ». Encore et à l`instar des Tunisiens, les
Egyptiens ont cherché à réaliser leur dégagement
contre Moubarak, à construire et former leur propre dégagisme en
criant : dégage, Moubarak !? dès le 25 Janvier 2011 et
pendant 18 jours du soulèvement. Il s`agit que le peuple se mobilise, se
proteste pas pour la prise du pouvoir, mais pour l`ôter de celui qui
l`accapare, et déloger le dictateur. C`est le trait essentiel qui marque
la distinction entre le dégagement d`un dégagisme et la
révolution réussite, d`où le révolutionnaire
cherche à s`installer au pouvoir après le vider, le
dégagisme est donc « la politique de la chaise
vidée »38. Les Egyptien dégagistes visent, par
leur dégagisme, à obliger le président Moubarak et tous
les autres leaders de son régime à se débarrasser,
à céder le pouvoir et se démissionner.
2. «Le peuple veut...» : (La chute et le
départ).
Par le moyen de ce deuxième modèle de slogan, le
peuple égyptien a explicitement exprimer ses vouloirs et ses
revendications principales, parfois la chute et ensuite le départ du
régime régnant la scène politique depuis 30 ans. Deux
formules différentes distinguées au niveau de deux unités
lexicales de la chute? et le départ?, mais aboutissants à une
signification identique. Il s`agit de deux signifiants distincts
assignés d`un même signifié.
D`abord, le mot de chute? est doté de plusieurs
acceptions sémantiques. Selon le dictionnaire le : Petit Larousse (1975
: 182), ce substantif féminin exprime l`action de tomber ; une partie
où une chose se termine et plusieurs autres informations
sémantiques parmi lesquelles celle qui nous intéresse est
concernant le sens figuré. C`est une action de s`écrouler, ruine,
effondrement : la chute d`un empire?. Alors que le mot de départ?
exprime une action de partir ; encore le point du départ et du
commencement ; ou aussi, faire le départ de deux choses, les
séparer et les distinguer (Dic. P. Larousse : 266), mais sans un aucun
sens figuré qui a été doté. Apparemment ces deux
unités de chute? et départ? ne disposent aucune relation
sémantique d`équivalence possible. Mais cette dernière est
dépendante de l`usage et de la pratique que se disposent
38 Collectif Manifestement. Manifeste du DEGAGISME. Ed :
Maelstrom. 2011. P 9- 10.
les participants, et de l`effet de sens commun partagé
au moment de cet acte de communication révolutionnaire. Cette relation
sémantique d`équivalence est aussi dépendante du
rôle que joue la combinaison syntaxique qu`engendrent ces mots aux autres
des énoncés étudiés lorsque les mots ne prennent
leur sens qu`en discours. En fait, elle n`est perçue qu`au niveau du
sens figuré comme une acception ou un sème spécifique
commun partagé entre les deux unités.
Le sens figuré selon M. F. MORTUREUX (2008 : 100),
n`est qu`une acceptation seconde dérivée du sens propre en jouant
sur le rôle polysémique du mot et basée sur une relation
des traits référentiels de différentes
réalités (concret à moins concret) ou une autre
relation dite métaphorique entre les catégories d`emplois. Le
premier type de relation indique un sens figuré dit lexicalisé
qui concerne l`actualisation de la signification des mots, alors que le second,
relève d`une originalité particulière de
l`énonciateur et de son intention pendant la situation de communication
et donc de son activité discursive.
Pour se débarrasser d`un régime dictateur avec un
tyran à sa tête, le peuple
égyptien a scandé : «le peuple veut la
chute du régime ». En d`autres termes, le peuple
veut faire s`écrouler le régime, il veut aussi
ruiner et l`effondrement du régime politique au même titre qu`un
empire (exprimé par l`exemple du sens figuré dans le
dictionnaire) dans la mesure où ces deux derniers signifiants ont le
même signifié par rapport à ce contexte situationnel
d`énonciation. Donc, c`est un sens figuré dit lexicalisé
plus ou moins évoqué par le dictionnaire.
Par le moyen d`un exercice de commutation, en substituant le
substantif de chute? par départ?, nous passons à exprimer un
autre type de sens figuré mais non lexicalisé. C`est un sens
figuré métaphorique.
D`abord, ce mot départ? a fait aussi son apparition
dans le dictionnaire des mots contemporains (Robert. 1989 : 154- 155), comme
substitut de commencement, de début, d`origine, dont il est souvent
pertinent du domaine du sport. Alors par le biais de la technique
métaphorique le peuple égyptien veut faire le départ du
régime et ses institutions. Cette image métaphorique exprime et
aboutie à la même signification de la chute du régime, et
donc l`objectif de la réalisation du dégagement de ce
dégagisme égyptien.
3. A bas...!: (Moubarak/ le régime) :
En plus de dégage !? et le peuple veut...
!?, les manifestants pendant cette révolution ont appelé
à mener à bas le régime aussi bien son représentant
le président Moubarak en scandant : A bas le régime !, A bas
Moubarak ! Deux autres signifiants différents ayant la même
signification ou signifié en reflétant la même
réalité. Ce sont des slogans révolutionnaires
particulièrement égyptiens par leur contexte
d`énonciation.
Cette relation d`équivalence plus au moins
explicitée peut être relevée des autres relations
sémantiques au niveau du lexique des propos énoncés, non
seulement de celui relevé de ce modèle syntaxique
distingué, mais comparé à celui des autres.
A bas ! : est déjà parmi plusieurs
acceptions proposées par le dictionnaire pour le substantif bas?. Cette
expression désigne un cri d`hostilité et de sentiment
d`opposition et de guerre, d`où les manifestants réclament et
veulent dévaloriser le régime et son président. Alors que
le mot de chute? par rapport toujours à son contexte
d`énonciation, en plus de désigner l`action de faire tomber le
régime, il exprime l`infériorité à laquelle il soit
tombé ou ramené qui est représentée par le
lexème bas?. D`un point de vue sémique, nous pouvons
préciser la relation sémantique entre bas? et chute? par rapport
à ce contexte situationnel de la façon suivante : le sens du
lexème bas? est inclus dans celui de chute? en représentant une
relation de type dit d`inclusion extensionnelle, dans la mesure où le
rapport paradigmatique du sens entre ces deux
lexèmes est d`hyponymie. C`est un rapport qui «lie
un lexème plus spécifique, ou
subordonné, à un lexème plus
générale, ou superordonné » (J. Lyons. 1978 :236).
Tout simplement bas? est un terme spécifique et hyponyme par rapport au
terme chute? qui est superordonné ou hyperonyme, son sens incluant celui
du premier. Dans notre contexte d`énonciation en question, «A
bas le régime» veut dire la chute du régime, et de le
faire tomber à une spécificité inférieure. Donc
cette inclusion extensionnelle relève d`un point de vue
référentiel, alors que d`un autre point de vue dit
sémantique, la relation est certes intentionnelle, lorsque le sens de
chute? est inclus dans celui de son hyponyme bas?.
D`un autre côté, ce même modèle
syntaxique de slogans manifeste une autre relation sémantique qui
mérite d`être mise en considération, qui est entre deux
autres lexèmes de Moubarak et régime.
L`Egypte en tant que république, son régime est
une structure politique représentée à travers quelques
institution énumérées et précises, entre autres ces
institutions le poste du président dont Moubarak a été
nommé depuis 30 ans. (Auprès le gouvernement, l`assemblée
populaire et le parlement, sans oublier le parti politique du pouvoir : le
PND).
Le rapport syntagmatique du sens entre Moubarak?
(président) et régime? peut être représenté
comme une relation d`hyponymie ou d`inclusion hiérarchique ; mais il est
beaucoup plus proche d`un autre type de relation dont le fil de distinction est
tellement fin pour le percevoir. C`est une relation dite de partie- tout.
Moubarak ne fait qu`une sorte du régime politique mais,
se comporte au même titre qu'un bras dans le corps, c`est
l`exemple le plus explicite pour faire et rendre évidente la relation de
partie- tout. Moubarak n`est qu`une partie d`un régime politique
régissant le pays. Une relation d`un « type particulier de
solidarité, fondé sur la nécessité, unit deux
termes tels que le référent de l`un est une partie de celui de
l`autre » (M. F. MORTUREUX. 2008 : 97) dont le président Moubarak
est dit l`unité méronyme d`une autre plus générale
dite holonyme qui est le régime.
4. Les slogans de vendredi :
Depuis le début de la révolution, jusqu`au
11février date de la démission de Moubarak, la journée du
vendredi contrôle l`actualité du mouvement « le printemps
arabe ». En Egypte les jours cruciaux de la révolution
étaient du vendredi, où il a été organisé
les rassemblements les plus grands et les plus importants d`insurrection.
Vendredi est un jour très pratique dans le mouvement protestataire, un
jour consacré pour la prière collective dans tout le monde
musulman. Il marque le début du week-end où tous les citoyens
sont libres de tout engagement, ce qui renforce et assure la réussite de
n`importe quelle manifestation. Alors en profitant les
spécificités et les importances qui ont été
accordées a cette journée emblématique, la
révolution égyptienne a connu trois principaux vendredi dont
chacun d`eux porte son propre nom, appellation ou slogan révolutionnaire
: vendredi de la colère, vendredi du départ et
enfin vendredi du défi.
D`abord, ce propos énoncé de « vendredi
de la colère » a la même signification des autres
énoncés des slogans. Pour n`importe quel égyptien, c`est
un slogan révolutionnaire au même titre que dégage
Moubarak ! Les manifestants par le
biais de ce slogan, expriment leur colère et
mécontentement contre le régime entier dont Moubarak fait partie,
contre aussi la situation dans laquelle ils vivent sur plusieurs niveaux,
notamment social et économique. Donc un autre signifiant, comme aussi
vendredi du départ et du défi, ayant le
même signifié des autres slogans. Ils sont assignés cette
signification par le moyen d`un principe de figement et souvent de sens
figuré et péjoratif
Le slogan « vendredi du départ »
contient déjà une unité lexicale commune avec un
autre de « le peuple veut le départ du régime »,
ce qui indique et explicite en renforçant la même
signification.
Encore le slogan de « vendredi du défi »,
le sens de son dernier lexème =`défi« est aussi
exprimé précisément dans une autre formule de «
révolution jusqu'à la victoire, révolution dans toutes
les rues de l'Egypte », dont il est saisi péjorativement.
C`est un défi levé contre le pouvoir que la révolution ne
cesse pas, que le processus révolutionnaire est encore
perpétué jusqu`au départ et changement de
régime.
Le rejet du régime et plus particulièrement du
Moubarak a été exprimé par le slogan «
l'armée et le peuple une seule main ».
Péjorativement aussi, le président est éliminé de
ce rapport entre le peuple et une autre institution étatique qui a
gardé sa neutralité dans cette lutte entre pouvoir et population.
C`est une autre déclaration implicite et appel au changement, au
départ du président et son régime.
5. Relation sémantique générale :
D`une manière générale, les slogans
révolutionnaires étudiés sont des formules de
séquences différentes et polylexicales qui relèvent d`un
même champ notionnel ou domaine d`une même réalité et
d`un référent identique. Des diverses structures signifiantes
ayant la même signification et signifié connu comme un effet de
sens conventionnel partagé entre les participants d`une situation d`un
acte communicationnel révolutionnaire. Dans ce sens elle se
caractérise la globalité au niveau de laquelle se stabilise cette
relation sémantique entre divers slogans en tant que propos
énoncés figés. Par le moyen de cet acte de communication,
à travers une activité discursive qui consiste à mettre en
scène des slogans comme langage révolutionnaire, les locuteurs
font usage des signes concernés pour désigner le même
référent, en tenant en compte sa valeur
dénominative.
En effet, cette valeur dénominative n`est pas
reliée à une seul unité lexicale (comme les slogans
composés d`un seul lexème), mais à un syntagme
constitué de plusieurs unités lexicales dépourvues chacune
d`elle de sa propre valeur dénominative. Pour cette raison, le sens de
la plupart des slogans, lorsqu`ils sont figés, est saisi et compris de
façon globale mais non compositionnelle.
Il faut, dans ce cas, souligné que le figement des
slogans de la révolution égyptienne , ou la
conventionalité du sens assignée aux propos
énoncés, est assurée par le moyen d`une relation
sémantique particulière dite paraphrastique (la paraphrase) dont
elle est indiquée ou exprimée par le même sens - presque -
figuré ou péjoratif d`un slogan à un autre .
Donc pour préciser, le fond de cette analyse
sémantique est de dégager la relation sur laquelle les slogans de
la révolution égyptienne sont basés pendant leurs actes
d`énonciation. C`est la paraphrase. Elle est considérée
parmi les relations les plus importantes auprès l`inférence
logique et les rapports intérieurs à un même texte tels que
l`anaphore et la coordination sémantique (C.Baylon et P.Fabre .1989
:189). « La paraphrase est une équivalence sémantique. Elle
est fonction du contexte et de la situation [...]. elle est utilisée en
didactique des langues :quand on comprend une langue, on peut traduire chaque
énoncé dans la même langue où il est formulé
[...] le réemploi d`éléments déjà
maitrisés et la recherche d`équivalences à
l`intérieur de la langue, si bien que la paraphrase apparait comme un
outil important pour l`explication et la construction du sens en langue seconde
».( C.Baylon et P.Fabre. 1989 :190)
Les slogans révolutionnaires sont des formules
différentes mais équivalentes du point de vue sémantique
par rapport à un contexte d`énonciation déterminant et
commun, et une situation de communication identique. Tout au long du
soulèvement, les manifestants cherchent à se débarrasser
du président et son régime, réclamant d`autres
revendications essentielles en scandant et énonçant des divers
propos ayant ou qui se portent sur la même signification de
=`dégage« en plusieurs langues. Ils se sont adressés
à leurs interlocuteurs d`une manière directe ou indirecte par le
moyen du mot d`ordre (impératif) en disant « IRHAL ! »
ou des différentes autres structures paraphrastiques en exprimant
leurs demandes et quêtes.
III- La fonction pragmatique du dégagisme
égyptien :
Après la chute de Moubarak, la révolution
égyptienne a indiqué la performance et la capacité du
langage de changer et de se débarrasser d`un régime dictateur
d`un tyran dominant depuis plus de trois décennies. Pendant toute la
période du soulèvement le peuple oblige le départ du
régime symbolisé dans la personne du président en disant
et de même en faisant la révolution. Un grand
événement sociopolitique fondé sur un simple fait
langagier de dire en représentant la dimension et la fonction
pragmatique que sous tend le langage révolutionnaire. Plus
particulièrement, cette partie du travail consiste à
étudier et mettre en question, d`un point de vue pragmatique, le contenu
communicatif des énoncées (slogans). Il s`agit de projeter la
lumière sur les rapports implicites au niveau des présuppositions
et sous-entendus des slogans révolutionnaires et enfin leurs actes de
langage rétablis.
1. Présupposé et sous entendu du slogan
révolutionnaire égyptien :
D`une manière générale tous les messages
de la révolution d`Egypte expriment en plus de leurs contenus nominatifs
(le dit ou l`explicite), des autres contenus implicites ou communicatifs non
dit plus ou moins saisis en fonction du contexte et la situation de
communication déterminée. A cet égard, avant
d`étudier l`implicite des slogans, il nous convient nécessaire de
mettre en évidence leur description sémantique.
1.1. La description sémantique :
Le slogan révolutionnaire en tant
qu`énoncé se dispose de plusieurs occurrences possibles en se
référant à une diversité de circonstances et de
contextes situationnels des actes de communication. Cependant les
interlocuteurs vont y attribuer une seule signification à partir d`une
description sémantique qui se repose sur une
hypothèse nécessaire pour le faire.
D`abord ce que nous pouvons entendre par la description
sémantique linguistique « un ensemble de connaissances qui
permettent de prévoir, si un énoncé A de L a
été prononcé à des circonstances X, le sens que
cette occurrence de A a pris dans ce contexte »39.
39 O. Ducrot. le dire et le dit. Minuit, 1989. P
14.
Situation
révolutionnaire
Enoncé d`un slogan
Composant linguistique : ensemble des présuppositions
et des informations que se disposent les interlocuteurs pendant l`acte de
l`énonciation.
Description et signification de l`énoncé
Composant rhétorique : rapport entre la signification
et les circonstances du contexte.
Sens ou signification effective de l`énoncé dans la
situation de révolution
Description
sémantique
Donc, dans ce même cadre de description
sémantique, l`encodage ou l`interprétation des propos
énoncés des slogans, se repose sur l`ensemble des
présuppositions que propose chacun d`eux d`une part, d`autre part sur
une série de connaissances et d`informations que se disposent les
interlocuteurs pendant l`acte d`énonciation. Ces deux ensembles
assignent à tout propos énoncé du slogan sa signification
primaire indépendante de tout contexte situationnel, et constituent le
premier composant de la description sémantique, « le composant
linguistique ». Alors que le deuxième constituant est le «
composant rhétorique » assignant à l`énoncé
son sens en tenant compte les différentes circonstances situationnelles
(le contexte) particulières de son acte de parole (Ducrot. 1989 :15),
comme il est résumé par le schéma suivant :
Donc l`hypothèse inscrite dans ce schéma indique
que les circonstances contextuelles de la situation révolutionnaire
s`impliquent pour expliciter le sens effectif et réel d`une occurrence
particulière pour chaque énoncé de slogan, après
une signification attribuée et indépendante de tout contexte. Ces
deux niveaux sémantiques des deux composants (linguistiques et
rhétorique) nous incitent à mettre en considération les
deux types différents de sens pertinents de chaque composant. Ce sont
les présupposés et le sous-entendu des slogans.
1.2. Présupposé et sous-entendu :
N`importe quel énoncé est doué en plus
d`un sens explicite nominatif, un autre implicite dit communicatif
présupposé et sous entendu dont la présupposition «
relève de la composante linguistique : assigne à
l`énoncé A, indépendamment de toute énonciation,
une signification A`, mais par rapport au rôle qu`elle peut jouer dans
l`énonciation » ; alors que le sens sous-entendu «
relève de la composante rhétorique : prévision de sens
effectif de A dans la situation X, et calcul des sous-entendus à partir
du contexte » (C.Baylon & P.Fabre. 1989 :96).
Pour Ducrot (1968) la présupposition est « un mode
d`affirmation particulier » dont celle-ci est aussi un acte
d`énonciation possible au même titre que l`ordre, l`interrogation,
etc. en essayant de « décrire l`acte de présupposer comme un
jeu de langage particulier qui a ses règles et institue entre les
interlocuteurs un certain type de rapport »40.
Un autre élément entre en interaction avec la
présupposition et le sous-entendu, dit le posé. C`est l`objet de
l`affirmation et de l`échange qu`entraîne le locuteur pendant son
acte de communication. C`est l`information sur laquelle se porte
l`interrogation et la négation et toute autre indication qui rend
explicite les informations présupposées au sein de
l`énoncé.
? Les présuppositions des slogans :
D`abord en analysant le premier modèle syntaxique du
slogan révolutionnaire égyptien, celui le plus important est le
mot d`ordre ou l`impératif : Dégage !
40 O. Ducrot.la description sémantique des
énoncés français et la notion de présupposition.In
L'Homme 8,1968, p.52.
En matière de composante linguistique, cet
énoncé n`est qu`un verbe conjugué au présent de
l`impératif avec le deuxième pronom personnel du singulier (tu).
La présupposition relevée de cette composante linguistique tourne
évidemment autour de ce verbe (dégager) conjugué, dont
sans poser des questions ou former la négation l`information est
plausiblement saisie de l`usage ordinaire régulier aussi bien
délibéré du verbe dégager dans ce qu`il
présuppose. Le peuple égyptien exige et oblige le départ
du président. Il veut de toute sa puissance de se libérer et de
se débarrasser de lui en s`adressant suivant d`un rapport d`influence de
force et de supériorité à Moubarak et son régime.
Ce qui présuppose donc que le peuple de l`Egypte ne veut plus et
n`accepte plus ce dernier comme président.
Alors qu`au niveau du deuxième modèle de «
le peuple veut... », les informations présupposées
sont pertinentes de quelques mots précis constituants chaque
énoncé, mais essentiellement du verbe ou du noyau de ces propos
étudiés. C`est le verbe vouloir, conjugué au
présent de l`indicatif, et de son complément. Parfois le peuple a
scandé « le peuple veut le départ du régime
» et ensuite « le peuple veut la chute du régime
». Donc l`information présupposée dominante est
relevée par une question portée sur le complément :
qu`est-ce que le peuple veut ? alors « le peuple veut »
changer le régime et ses différentes institutions politiques.
Encore et au même titre que ce modèle, dans un
autre type de « A bas... », la présupposition est
aussi dégagée de sa composante sémantique. Elle se
considère comme évidente par la présence de l`expression
« à bas » qui est le fond des deux slogans : «
À bas le régime » et « À bas
Moubarak ». Le peuple ou les manifestants veulent dévaloriser
le régime et Moubarak. Donc ce que présupposent ces
énoncés que le peuple veut se débarrasser d`un
régime et d`un président refusés.
Pour les slogans de vendredi leurs présupposés
ne peuvent être saisis qu`en tenant compte le mot complément du
vendredi, d`où il nous faut poser la question de quoi ? Vendredi de
la colère, vendredi du départ et vendredi du
défi. Chacun d`eux est implicite et sous tend sa propre
présupposition. Au sein du premier énoncé «
vendredi de la colère » la présupposition porte sur
le refus et le désaccord rétabli entre la population et le
pouvoir. Elle ne veut aussi ni le régime ni Moubarak président.
Alors qu`au niveau de l`énoncé « vendredi du
départ », ce qui est présupposé aussi est un
vendredi pour le
départ et la démission du président
imposée par la pression exercée sur le régime. Enfin le
dernier énoncé du vendredi durant la révolution : «
vendredi du défi » qui présuppose que la
révolution se continue, se perpétue et ne cesse jamais tant que
Moubarak et son régime ne quitte pas encore le pouvoir, tant aussi que
les revendications du soulèvement ne sont pas encore
répondues.
Ensuite des autres slogans de diverses structures comme ceux
de : « Pain, liberté et justice sociale », «
Dignité, liberté et justice sociale »,
etc. la présupposition relève
aussi de ce que veut le peuple comme certaines revendications
précisées : il veut du pain, donc une vie précieuse ; la
dignité ; plus de liberté et de justice dans la
société.
Par l`énoncé « révolution
jusqu'à la victoire, révolution dans toutes les rues de
l'Egypte », la présupposition est une autre fois l`affirmation
de la continuité et de la généralité de la
mobilisation protestataire, une autre affirmation d`un défi contre le
président et son régime. Alors que par « l'armée
et le peuple une seule main », l`énoncé
présuppose que l`armée, malgré une institution
étatique, assure la sécurité de la population et de la
révolution en croyant à la légitimité de ses
revendications.
Enfin, chaque propos énoncé des slogans
révolutionnaires étudiés représente plus ou mois
son propre présupposé sémantique, bien que ceci
n`empêche pas de remarquer que certains entre eux partagent la même
présupposition notamment ceux qui sont dirigés sous un même
modèle syntaxique.
? Le sous-entendu
Le non dit dans les slogans révolutionnaires
relève en effet de l`ensemble des différents paramètres
intervenants pendant l`accomplissement de tout acte d`énonciation, en
parlant des compétences et de l`intelligence des participants jusqu`aux
circonstances contextuelles de la situation révolutionnaire.
Malgré la nuance sémantique
présentée par les présupposés des
énoncés, ils sous entendent le même sens effectif sous
l`ombre d`un contexte d`énonciation commun aussi bien les mêmes
effets perlocutoires attendus. D`un point de vue contextuel, les slogans ont
été scandés dans la même dimension spatio-temporelle
des le début jusqu`à la fin de la révolution, alors que
les effets de leurs actes d`énonciation sont réalisés et
incarnés dans l`interprétation de l`interlocuteur ainsi comprise
et résumée à l`ensemble des évènements
d`actualité sociopolitique.
En espérant calmer et dépresser la mobilisation,
le régime s`engageait dans certains faits de réformes
commençant par l`aspect socioéconomique du pays dont ont
été réclamées quelques revendications par des
slogans tels que « Pain, liberté et justice sociale
». En passant à des réformes politiques comme la
résiliation de l`assemblée populaire ; du bureau du PND ; vers
des changements gouvernementaux jusqu`à enfin répondre à
la demande populaire essentielle de la révolution : la démission
du président le 11 février 2011.
Donc tous les propos énoncés des slogans de la
révolution d`Egypte sous tendent le même sous entendu
caractérisant le sens effectif de leur contenu communicatif transmis
pendant la situation de communication, dans la mesure où tout slogan
étudié du corpus, en plus de ce qu`il exprime explicitement, sous
entend implicitement les informations sémantiques d`un slogan
révolutionnaire égyptien qui réclame le départ du
président, du régime en général avec ses cadres et
institutions, aussi des réformes socioéconomiques.
2. Le dégagisme égyptien comme acte de
langage :
Le dégagisme égyptien est
considéré comme un événement sociopolitique
important dans l`histoire du pays. Il a conduit au dégagement du
président, en jouant sur le pouvoir des mots, du langage
révolutionnaire particulier en se manifestant et en se
considérant comme un fait langagier exceptionnel à
étudier.
Après plus de 30 ans sous le règne d`un
régime dictateur, les Egyptiens se sont révoltés pour se
débarrasser de lui avec une seule arme : le langage, en disant leurs
mots de « dégage, irhal, out » et plusieurs autres
slogans simples, plus signifiants et pragmatiques. Donc la révolution
d`une manière générale et en tant qu`immense
évènement et fait social, est une déclaration et une
activité d`énonciation avant d`être une action
sociopolitique. Il s`agit qu`elle est basée sur un acte de langage assez
spécifique au niveau des slogans du soulèvement. C`est un acte de
langage révolutionnaire. Cette notion -acte de langage- est fondamentale
pour la théorie d`Austin41 et de la pragmatique. Cette
théorie nous permet de confirmer que le langage révolutionnaire
postulé dont le slogan constitue l`aspect verbal, ne se sert pas de
décrire une réalité sociopolitique qu`est
41 J.L.Austin. Quand dire c'est faire. Seuil.1991.
la révolution d`Egypte, mais d`accomplir des actes et
d`agir et de réagir sur autrui. En d`autres termes la révolution
n`est qu`une action sociale basée sur une déclaration
articulée, sur un simple acte d`énonciation. En disant
dégage !, toute la société s`est descendue dans les rues
pour faire réaliser son dégagisme. Elle a organisé des
immenses manifestations et des marches d`un million ; elle a organisé le
plus gigantesque sit-in protestataire sur la place qui porte le nom de
libération (Tahrir) ; et en revanche elle a battu comme elle a
été violement battue par le pouvoir, pour obliger enfin le
président et son régime à céder leur place. Donc
« quand dire, c`est faire révolution ».
La réussite de cet acte révolutionnaire se
soumet, comme tout acte, aux « diverses conditions de succès »
soulignées par Austin et rappelées après par
Searle,42 sont : les conditions préliminaires ; les
conditions de sincérité ; et les conditions essentielles.
D`abord préliminairement le peuple égyptien
comme toutes les populations du monde entier a le droit de se révolter
et de choisir ses représentants, en réalisant et accomplissant
cet acte particulier de révolution. Il a le droit de la
démocratie et de massacrer la dictature, ce qui justifie la
légitimité de l`acte de langage révolutionnaire.
Ensuite les égyptiens sont tellement conscients de leur
situation de révolution dont l`obstination et la
persévérance qu`ont présentées témoignent la
sincérité de leur action pendant 18 jours de mobilisation.
Enfin dès le premier jour où les Egyptiens ont
pris leur engagement de révolution, ils se sont restés
fidèles à leur intention de communication, et c`est la condition
nécessaire pour que l`acte de langage soit réussi.
3. Actes de langage des slogans révolutionnaires
:
Comme il a été indiqué par
F.Béatrice (Fraenkel. 2007 :102,103), les slogans
révolutionnaires sont au même titre que des slogans de
manifestations qui ont été jugés par Austin comme des
actes de langage. Il s`agit que ce type de slogan n`est ni simple ni seulement
un énoncé, il représente une action (Austin. 1962
:273).
Pour le premier modèle syntaxique, les slogans sont des
énoncés à l`impératif. Des mots d`ordres
exprimés en plusieurs langues : dégage ! Irhal ! (go) out
! et celui de
42 J.R.Searle. Speech Acts, Londres et new York:
Cambridge University Press. 1969. PP:5761. (trad. Fr . les actes de langage.
Paris, Hermann.1972).
dégage Moubarak ! Ce sont en effet des
énoncés dits performatifs primaires ou implicites, dont Austin
classe l`ordre parmi les performatifs. Dans ce cas n`importe quel protestataire
manifestant peut s`adresser à Moubarak et lui ordonne directement en
disant : « je vous ordonne de vous dégager ».
En suivant toujours une perspective Austinienne, cet acte de
langage révolutionnaire est un acte locutionnaire lorsqu`il se
relève d`un acte de dire ou d`articulation d`un énoncé
doué d`une signification. Il peut être aussi
considéré comme un acte illocutionnaire de sorte qu`en disant
dégage !, les manifestants accomplissent leur acte de
révolution ou de dégagisme en entraînant des rapports
d`influence et de force avec leurs interlocuteurs, ils se distinguent comme
révolutionnistes contre le régime. C`est un acte aussi
conventionnel, il ne se réalise que par le moyen d`un ensemble de
façons et de manières sociales partagées (mécanisme
d`un processus révolutionnaire) qui lui assignent sa valeur d`action,
d`où il s`inscrit cette compatibilité entre le verbal et le non
verbal du langage présupposé.
Enfin, l`acte perlocutionnaire est aussi accompli dans la
mesure où les manifestants cherchent à obliger comme faire
persuader Moubarak à céder le pouvoir et se
démissionner.
Par son énoncé, le peuple égyptien ou les
manifestants ont réussi à exercer leur acte d`énonciation
en comptant sur sa force illocutionnaire pour aboutir enfin à
réaliser ses effets perlocutoires. Donc en scandant dégage
!, les révolutionnaires se basent sur la force d`un
énoncé d`une valeur d`ordre directe ou de requête
accompagnée de ses spécificités phonologiques,
paralinguistiques. Ils ont réussi finalement à faire
réagir son interlocuteur et réalisant les effets
perlocutionnaires désirés ou réels, résumés
dans la réponse aux différentes réclamations
scandées. Ces effets perlocutionnaires déterminent et identifient
déjà le slogan révolutionnaire en le distinguant des
autres types lorsque « on ne peut pas non plus employer n`importe quelle
sorte de phrases pour accomplir n`importe quel acte illocutoire » (Lyons.
1987 :353). C`est cette compatibilité de correspondance entre la
structure de l`énoncé et sa force illocutoire qui contrôle
et implique la signification commune entre manifestants et les
représentants du régime. Il s`agit d`une compréhension, de
la part de ces derniers, de l`intention de la
communication visée par l`énoncé
dégage !, que c`est un slogan révolutionnaire que c`est une
révolution.
Il est nécessaire de préciser que cet acte de
langage d`une valeur performative impérative, un mot d`ordre, est parmi
les types de mandes (Lyons. 1987 :365) au même titre que les
requêtes, les exigences, les prières, etc. C`est un
énoncé directif, un acte illocutoire dit exercitif de sorte que
les manifestants ordonnent le président en lui imposant et proposant
« quelque ligne de conduite ou modèle de comportement
précisé dont le seul moyen convenable est celui d`un
énoncé de mode impératif d`une phrase dite
jussive (Lyons. 1987 :367) utilisée pour transmettre les
mandes.
Ensuite un autre modèle de structure a
été distingué dont les manifestants ont scandé
« Al chaab yourid isquat al-nizam », « Al chaab youride
rahil al-nizam » (le peuple veut le départ / la chute du
régime). Get énoncé « le peuple veut »
est inspiré d`un vers poétique d`un célèbre
poète Tunisien Aboulkacem Echebbi, quand il a dit : « Si un jour le
peuple veut vivre, le destin se doit de répondre ». Cet acte
d`énonciation caractérise sa valeur d`un énoncé
performatif « car il prolonge ce vers : si le peuple veut..., en assumant
son principe existentialiste » (J.Nabiha. 2011 :47). En fait,
c`était le slogan le plus répondu dans ce mouvement le printemps
arabe. C`est grace à ce slogan qui est devenu plus ou moins universel,
que la langue arabe s`est mondialisée en stabilisant une
nouvelle dimension politique assignée au peuple comme leader de la
révolution, affirme Nabiha (J.Nabiha. 2011 :47).
Ges deux énoncés des slogans se
caractérisent par une valeur performative explicite contrairement
à ceux du mot d`ordre. Ce type de slogans se distingue comme des «
exigences », un autre mode de mande grâce à la force de la
présence du verbe vouloir, un verbe d`exigence malgré le fait que
son énoncé est beaucoup plus proche de la requête. Encore
par le moyen de cette phrase jussive le peuple explicite son exigence suivant
le modèle « je veux / j`exige (avec insistance) le départ et
la chute du régime ».
Par le fait d`être prononcé, d`être
articulé, ce slogan d`un modèle « le peuple veut...
» se manifeste comme un acte de dire donc un acte locutoire. Un acte
aussi illocutoire accompli au même titre que celui de dégage dont
les locuteurs ou les manifestants installent un rapport d`influence, de force
qui se relève d`une supériorité entre actants. Il est
aussi accompli en prétendant d`atteindre ses effets perlocutoires
d`oü
il détient cette force de la façon et de la
manière dont il est conventionnellement articulé et
réalisé, ainsi de la force de son insistance, pour se manifester
comme un acte exercitif et ,selon Searle, directif. Selon ses conditions et ses
effets perlocutoires réalisés, cet acte est aussi réussi
comme celui de « dégage ! » et les autres en faisant
réagir leurs interlocuteurs.
En plus, les manifestants ont scandé « A bas
le régime » et « A bas Moubarak » avec des
énoncés toujours performatifs plus ou moins implicites qui
peuvent être traités en tant que déclarations à
part, d`autre part des énoncés impératifs qualifiés
à : «faites tomber à bas le régime »,
«faites tomber à bas Moubarak», ou « j`ordonne de faire
tomber à bas le régime (Moubarak) ».
Le peuple égyptien ou les manifestants déclarent
leur sentiment d`opposition contre le régime et son premier
représentant, le président Moubarak. A cet égard l`acte
illocutoire ne peut qu`être déclaratif. Alors que pour
l`impératif, l`acte est exercitif, directif.
Ensuite, chaque slogan de ce modèle est un acte de dire
qui veut dire locutoire aussi bien doté d`une force illocutoire ayant
les mêmes effets perlocutionnaires. Il est aussi réussi en se
soumettant aux mêmes conditions des autres précédemment
analysés.
Pour ce qui concerne les slogans de vendredi, ils sont des
énoncés simples qui peuvent être, par leur contexte
d`énonciation, dotés et assignés d`une valeur performative
implicite et caractérisés comme des actes locutionnaires
accomplis.
« Vendredi de la colère », comme un
acte illocutoire, peut être équivalent à un performatif
d`avertissement par l`énoncé : « je vous avertis, ce
vendredi je suis en colère, ou ce vendredi est de la colère
». Donc un acte promissif partageant les effets perlocutoires avec
dégage !
«Vendredi du départ » : un autre
acte locutoire par un énoncé implicitement performatif. C`est un
mande d`une valeur d`exigence équivalent à un autre
énoncé possible que chaque révolutionnaire peut
réaliser en disant « j`exige le départ ce vendredi ».
Donc est un acte illocutoire exercitif et directif aboutissant par sa force
à des effets identiques dont le même acte perlocutionnaire a
été encore accompli.
Il en va de même pour «Vendredi du défi
», est un énoncé implicitement performatif qui se porte
sur l`avertissement d`une part, d`autre part sur le défi
lui-même,
et équivalent à des énoncés tels
que « je vous défie ce vendredi ; je vous avertis du défi de
ce vendredi ». Par ces deux différentes valeurs exprimées,
l`énoncé laisse se classer parmi les actes illocutoires promissif
avec les mêmes effets perlocutoires.
Pour le dernier modèle des slogans de structures
diverses, une de ces dernières est proche de la devise comme : «
pain, liberté, et justice sociale », «
dignité, liberté, et justice sociale », «
changement, liberté et justice sociale ». Ce sont des slogans
implicitement impératifs équivalents à la demande : «
je demande dignité, liberté, et justice sociale ». Donc un
acte en plus locutoire, il est exercitif directif ayant presque les mêmes
effets perlocutoires.
Les manifestants ont scandé aussi «
révolution jusqu'à la victoire, révolution dans toutes les
rues de l'Egypte ». Un autre acte illocutoire d`une valeur
impérative implicite d`un avertissement et d`un défi
énoncés (je vous défie, je vous avertis que la
révolution ne s`arrête pas jusqu`à la victoire, dans toute
l`Egypte) en indiquant un acte promissif.
Un autre slogan aussi particulier, celui de «
l'armée et le peuple, une seule main » par lequel les
manifestants affirment que l`institution importante de l`Etat (l`armée)
garde sa neutralité en assurant la protection des manifestants et de la
révolution. C`est un acte illocutoire expositif, et représentatif
pour Searle.
Donc en concluant, tous les propos énoncés des
slogans révolutionnaires se disposent de leur valeur performative
explicite ou implicite exprimée notamment par l`impératif
(l`ordre), l`exigence, l`avertissement, le défi et même
l`affirmation, ce qui limite l`acte de langage de la révolution entre
exercitif, promissif et parfois expositif quand il s`agit d`affirmation.
Conclusion générale :
En guise de conclusion, la révolution n`est qu`un
phénomène parmi plusieurs autres socioculturels qui interviennent
pour tout acte de production et d`interprétation des faits langagiers.
La révolution donc relève d`un rapport aussi constant entre le
langage et la société, et qui constitue l`objet de recherche de
plusieurs disciplines entre autres la scène du langage en
corrélation et en collaboration avec plusieurs approches
disciplinaires.
La révolution, en plus d`un fait sociopolitique, se
considère comme un évènement langagier et se dispose de
son propre moyen d`expression qui est le langage révolutionnaire. Il se
caractérise de ses deux aspects dont l`un est non verbal et l`autre
verbal incarné essentiellement par un type particulier de slogan
scandé durant l`évènement. Le slogan
révolutionnaire qui constitue l`objet de notre étude est
caractérisé par deux principaux critères
déterminants et identifiants sont le contexte particulier de
l`énonciation et ses effets perlocutionnaires en tant qu`acte de
langage. Alors, au sein d`une même révolution, comme il est le cas
étudié dans notre travail concernant le corpus du
soulèvement populaire égyptien, les slogans peuvent être
scandés en plusieurs langues et variétés.
L`activité de sloganisation, lorsque langagière, est
profondément inhérente à la situation sociolinguistique,
au phénomène du bilinguisme à l`intérieur de la
société concernée dans la mesure où elle est
multilingue. Chaque groupe révolutionnaire se révolte et
s`exprime à sa propre manière en se servant de sa propre langue
et variété linguistique.
D`un point de vue sémantique, le signe linguistique du
langage évoqué entre dans un cadre de relation avec plusieurs
autres signaux notamment proxémiques et kinésiques en indiquant
la genèse du langage, la complémentarité et la
compatibilité de ses deux aspects verbal et non verbal. Tout slogan
révolutionnaire est toujours scandé et énoncé dans
un environnement polaire et collectif doué de ses dimensions
spécifiques, celles pertinentes de tout contexte situationnel de
révolution, dont généralement sont des
évènements représentants les mécanismes de leur
processus de mobilisation tels que manifestations et marches, sit-in et des
grèves.
En effet tout slogan de la révolution n`est qu`un
message transmis dans une situation de communication révolutionnaire
entre population et pouvoir. Ces deux
participants prétendent à attribuer un effet de
sens commun et partagé pour le message et l`énoncé
communiqué. Cette situation de communication relève d`une mise en
scene du langage révolutionnaire et donc d`une activité
discursive basée sur les fondements et les critères de tout
discours énonciatif.
D`un point de vue sémantique, les slogans
révolutionnaires en tant que formules et des séquences
polylexicales, se considèrent comme des expressions figées
assignées d`une même signification effective. Les slogans de notre
corpus ont en commun le même sens, le même contenu sous-entendu
communiqué. Ce rapport et cette relation sémantique est
représentée au niveau notamment de leurs sens péjoratifs
et parfois figurés de l`ensemble du lexique qui les construit ;
représentée aussi par le moyen de la paraphrase entre eux au
même titre que des phrases équivalentes.
Enfin notre analyse a tellement enraciné la perspective
des actions, ou la théorie de la pragmatique proposée par Austin.
Quand dire, c`est faire révolution?, un acte de langage aussi
révolutionnaire incarné au niveau de tout slogan de la
révolution.
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présentée le 29 janvier 2011 au centre culturel français
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- Y. ElGhazli. " Une lecture de la révolution
égyptienne ». avril 2011.
Annexe
Corpus : les articles de
presse.
« Al Ahram Hebdo (en ligne) »
http://hebdo.ahram.org.eg/ et
http://hebdo.ahram.org.eg/Scripts/Hebdo/archive.asp
Semaine du 7 au 13 décembre 2011, numéro 899
Nulle part ailleurs
Art De La Rue . Depuis le 25 janvier, les murs du Caire se
couvrent de graffitis. Ils varient au gré des événements
et des artistes : du simple tag aux fresques complexes, du religieux à
l`anti-Conseil militaire. Pourtant, beaucoup de dessins sont effacés par
un coup de peinture blanche. Visite guidée.
Des murs pour s`exprimer
|
«le caire s`est transformé en musée ouvert
», lance Ganzir, un artiste. Comme tous les protestataires, ce dernier
préfère ne pas dévoiler son vrai nom. Il dit que
dès le déclenchement de la révolution le 25 janvier, la
ville s`est transformée en salle d`exposition géante.
|
« Tous les murs sont couverts de graffitis politiques qui
racontent ou résument les événements des mois
passés. Je préfère appeler cela l`art de la rue
plutôt que graffiti. Pour nous, cet art est une révolution
parallèle qui évolue sur les murs », explique Ganzir. La
révolution avec tous ses détails, ses étapes, ses hauts et
ses bas est racontée sur les murs du Caire.
Dès les premiers jours de la révolution, les
murs ont servi à transmettre des messages au président, lui
demandant de quitter le pouvoir et dénonçant son régime
répressif. Ils l`informent que personne ne quittera la place Tahrir
avant que l`objectif ne soit réalisé. Des slogans mais aussi des
dessins très explicites sont dessinés sur les murs et sur les
banderoles que brandissent les révolutionnaires. Des banderoles qui
recouvrent bientôt
les véhicules de l`armée et tapissent la place
Tahrir.
Ces mêmes slogans ont été
transposés ailleurs pour couvrir d`inscriptions tous les murs de la
ville. Des murs dont on se sert comme d`une feuille de papier pour raconter
chaque événement et dénoncer la violence et l`injustice.
Le phénomène s`est propagé pour couvrir désormais
les murs de tous les quartiers. Des transcriptions pleines d`espoir et d`autres
plus amères, sortant des tripes, exprimant la douleur d`un peuple qui a
vécu sous l`oppression. Des messages transformés en graffitis et
qui veulent dire : « Nous sommes là et nous ne partirons pas
».
On peut apercevoir le portrait de Khaled Saïd, l`un des
symboles de la révolution, et des slogans comme « Game Over
Moubarak ! », « Dégage ! », « Je veux voir un autre
président avant de mourir ! ». Les aspirations à la
liberté ont été les premières à être
griffonnées ...
Variations au gré des événements
Après le 11 février, date du départ de
Moubarak, les slogans ont changé, suivant l`évolution des
événements. Les portraits et les noms des martyrs sont peints sur
les murs soulignés par des phrases qui rendent hommage à ces
héros morts pour la patrie, tout en demandant à ce que les
criminels
soient châtiés. Côte à côte, il
y a d`autres portraits, mais cette fois de ceux que l`on
appelle les traîtres de la révolution, des
comédiens, mais aussi des ministres, à l`exemple
de Habib Al-Adely ou de Adel Imam.
On demande justice mais aussi un avenir meilleur. Des messages
pleins d`espoir comme ce dessin des pyramides et d`une jeune fille portant les
couleurs du drapeau national et sur lequel on peut lire « Dignité,
liberté et justice sociale ». Des mots qui ont
déclenché la révolution ... Ou encore « A
présent, le pays nous appartient, on ne doit plus jeter d`ordures dans
la rue ». En parcourant les murs, on se fait une idée claire de
la
situation.
Les slogans islamiques ont, eux aussi, trouvé leur
place. Les graffitis sont devenus une arme utilisée entre les courants
libéraux et religieux. Les premiers rêvent d`un pays
démocratique, le second veut appliquer la charia. Des espaces
accaparés par l`un ou par l`autre courant politique selon les
quartiers.
Les dates des manifestations sont mentionnées pour
qu`on ne les oublie pas. Chaque courant politique ou religieux cherche à
occuper le plus d`espace et c`est le quartier qui donne la priorité
à l`un ou à l`autre. Des qu`un conflit ethnique éclate, le
graffiti de la croix et du croissant, unis d`une main, va remplacer les autres
qui passent en arrière-plan. Des slogans qui rappellent que nous sommes
un seul peuple et que l`intolérance religieuse est inacceptable
émergent alors de toutes parts. Des portraits de martyrs comme celui de
Mina Daniel figurent parmi les autres.
Comme la période est critique et que les
événements se succèdent, le graffiti change de contenu. Le
Conseil militaire, décrit par les citoyens comme étant le
protecteur et le sauveur du pays, est considéré aujourd`hui comme
un adversaire. « Le peuple exige le départ du mouchir
(maréchal) », tel est le slogan du moment.
Un autre point de vue, même s`il se fait rare, est celui
des pro-Moubarak, qui griffonnent les murs pour demander des excuses à
l`ex-président ou proférer des insultes à l`égard
des révolutionnaires. La réaction est immédiate : le
lendemain du second discours télévisé de
l`ex-président, juste avant la chute du régime, les murs
illustraient le portrait du président sous les mentions « Moubarak
est un symbole, il ne faut pas l`humilier » ou « Nous demandons
pardon à notre président ».
Mais les révolutionnaires n`ont pas tardé
à répliquer en rayant tous ces graffitis en faveur du
président déchu : « Ce régime a duré trente
ans, c`est assez, il faut le changer ». Un graffiti peut en cacher un
autre ...
Les instruments se développent
Si ces graffitis changent à chaque fois de contenu, il
en est de même pour les outils. Au début, les jeunes
révolutionnaires et les artistes utilisaient seulement des bombes
aérosols mais, avec l`expérience, ils sont devenus des
professionnels en la matière. « Au début, on n`avait besoin
que de
transmettre un message à l`aide d`une bombe
aérosol que l`on peut glisser facilement
dans une poche. On peut s`enfuir à toutes jambes
à tout moment au cas où la police
arriverait », explique Ossama Abdel-Moneim, artiste et
membre de l`Union des
révolutionnaires.
Avec le temps, les jeunes sont devenus plus habiles sur le
terrain. Le graffiti a pris d`autres formes avec des techniques et un sens
artistique plus développés. Les jeunes des beaux-arts y
participent en grand nombre, la peinture et les pinceaux ont remplacé
les bombes aérosol. Les murs d`une école de Ghamra ont
été dessinés par les élèves qui ont
relaté tous les événements de la révolution. Les
mêmes histoires sont portées sur les murs des tunnels à
Héliopolis, à Zamalek, des niches pour l`alimentation
d`électricité sont recouvertes de portraits et d`hommages
à la mémoire des martyrs.
A Doqqi, les graffitis sont les plus expressifs. Outre le mur
qui cerne la faculté de l`agriculture et qui illustre la scene complete
de la révolution, il est impossible de passer par la rue Tahrir sans
porter son regard sur un long mur entièrement peint. « Ya sawra
doqqi » (révolution ... sonne). C`est le slogan de la campagne
organisée par un groupe d`artistes ayant décidé de
recouvrir les murs de Doqqi par des graffitis racontant leurs
expériences personnelles.
Comme l`affirme l`artiste Ossama Abdel-Moneim, membre du
groupe, ils ont l`intention de généraliser l`idée à
tous les quartiers du Caire, y compris les plus populaires. « Le graffiti
de la révolution aura certainement un effet positif sur les habitants de
ces quartiers cernés par des murs sales, autour desquels les citoyens
balancent leurs ordures. Ils ont participé à la révolution
et donc il faut leur rappeler que
c`est une conduite incivique que de jeter les ordures n`importe
où », indique-t-il.
D`après Abdel-Moneim, c`est exactement l`objectif de
cet art : choquer les gens en décrivant la réalité. Et si
jadis les pharaons avaient pour coutume de relater leur histoire sur les murs,
aujourd`hui cela se fait toujours mais de façon plus moderne.
Avant la révolution, personne n`osait s`exprimer de
cette façon sur les murs. On s`en servait pour afficher des annonces
pour la location d`appartements ou la vente de voitures. Avec le
déclenchement de la révolution, cet art qui était
condamné par la loi s`est répandu dans les rues du Caire, voire
dans tous les gouvernorats d`Egypte. On se sert du graffiti comme d`une arme
pour dénoncer un régime oppressant, exprimer ses moments de
malheur ou de bonheur, envoyer des messages ou fixer un rendez-vous.
Effacés !
Mais de plus en plus, les passants remarquent sans comprendre
que beaucoup de graffitis disparaissent. « On est surpris de voir que des
portraits de martyrs ont été couverts de peinture blanche, les
messages qui demandaient à Moubarak de quitter le pouvoir ont
été remplacés par d`autres graffitis qui
illustrent la nostalgie d`un régime tombé »,
dit Abdel-Moneim. Par endroits, des pans de
murs entiers qui ont nécessité des
journées de travail à des étudiants en beaux-arts ont
été
tout simplement effacés par une peinture blanche
étalée à la va-vite.
Abdel-Moneim et tous ceux qui s`intéressent à ce
phénomène se posent des questions. Est-ce que ce sont les membres
du PND et les hommes de l`ancien régime évincés de la vie
politique qui veulent faire disparaître les stigmates d`une
révolution qui a bouleversé leur vie ? Est-ce que le Conseil
militaire ne veut pas humilier l`ex-président, même s`il ne le dit
pas ouvertement ? Est-ce que ce sont les islamistes qui interdisent les dessins
et les portraits ? Beaucoup de questions sans réponse ... Mais le peuple
qui s`est soulevé le 25 janvier a appris à lutter pour obtenir et
faire ce qu`il veut. Les internautes commencent
cependant à jouer le rôle de gardiens des
graffitis. Les initiatives se succèdent pour collecter toutes les photos
et les rassembler sur plusieurs sites Internet. « La situation en Egypte
n`est pas encore stable. Les manifestations et les revendications
éclatent de nouveau. Alors les gens vont trouver d`autres supports pour
s`exprimer et transmettre leurs messages », conclut Abdel-Moneim. Mais
pour lui, la rue égyptienne ne sera plus jamais comme avant.
Hanaa Al-Mekkawi
Semaine du 29 février au 6 mars 2012, numéro 911
Dossier
Développement . Un éminent membre des
Frères musulmans dit être d`accord avec le rapport du PNUD, mais
dans ces propos, la dimension sociale du rôle de l`Etat n`est pas
très présente.
Un rapport conforme aux idées des Frères
« La vision du développement dans le rapport,
comme un moyen de satisfaire les aspirations socio-économiques des
révolutions du Printemps arabe, correspond à la vision du Parti
Liberté et Justice (PLJ) »,a dit Hassan Malek, homme d`affaires et
membre éminent du PLJ, le bras politique des Frères musulmans,
lors du lancement du rapport sur les défis du développement arabe
2011, du Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD). Malek
n`a cependant pas beaucoup insisté sur les
réformes de nature sociale ni les mécanismes de
distribution de revenus dont se soucie le
rapport.
« Les révolutionnaires criaient : Dignité,
liberté et justice sociale, non Pain, liberté et justice sociale
», a dit Malek au début de sa prise de parole, suite à
l`introduction faite par l`animateur de la session, Ayman Al-Sayed, directeur
en chef du magazine Weghat nazar (point de vue). Celui-ci avait commencé
par rappeler le premier slogan de la révolution « Pain,
liberté et justice sociale » en montrant des vidéos de
protestations ouvrières qui avaient précédé la
révolution du 25 janvier. « Al-Bouaziz en Tunisie, par exemple,
s`est immolé par le feu parce que sa dignité a été
offensée », insiste Malek en donnant moins d`importance à
l`influence du « pain » dans les révolutions arabes. Malek a
aussi exclu les possibilités d`une « révolution de la faim
» en commentaire aux prévisions de certains observateurs au cas
où la justice sociale ne serait pas rapidement mise en place. Il a
estimé que cela était trop pessimiste, disant que «
l`éthique, les croyances culturelles et religieuses » permettraient
d`éviter un tel résultat.
Une clé de la réforme
Pour Malek, l`indépendance de la magistrature est une
clé de la réforme. Il a également souligné
l`importance du rôle du secteur privé dans le processus de
développement. Allant de pair avec la vision libérale de son
parti, Malek n`a pas mentionné l`application d`impôts progressifs,
d`un salaire minimum ou l`élargissement et l`approfondissement du
réseau d`assurance sociale, des points-clés du point de vue des
auteurs du rapport.
En revanche, il a insisté sur le rôle que
l`éthique et les murs peuvent jouer sur le plan socio-économique.
Il estime donc que la solidarité sociale entre les personnes, qui,
dit-il, était un facteur-clé pour la survie des pauvres en
Egypte, devrait contribuer à redresser la situation. Les propos de
Hassan Malek ont provoqué beaucoup de questions dans l`assistance,
notamment sur le rôle de l`Etat en faveur des classes les plus
démunies. Des questions auxquelles Malek, pressé, n`a pas
donné des réponses précises. « On peut être
tous d`accord sur le contexte général, mais l`organisation des
priorités peut faire une différence. L`éthique est une
question très importante mais c`est la hausse du niveau de vie qui va
mener à une meilleure éthique et pas le contraire », a
commenté Galal Amine, professeur d`économie à
l`Université du Caire, également présent à la
conférence. Malek s`est satisfait d`approuver ces paroles en opinant du
chef.
Il a par ailleurs fait une synthèse du programme
économique de son parti détenant 45 % des sièges au
Parlement. « L`Egypte souffre d`un déficit de la balance des
paiements, d`un déficit budgétaire, et d`autres problèmes
macroéconomiques -- ceux-ci doivent être résolus à
court terme, soit dans deux ans », a-t-il dit. « Nous devons
également compléter le processus politique pour être en
mesure de forger une nouvelle Constitution. Après la réalisation
de ces objectifs, nous devons nous concentrer sur l`amélioration de
l`éducation et d`autres réformes qui devraient être
réalisées au cours des cinq prochaines années », a
ajouté Malek. Et de conclure : « Notre objectif primordial est la
renaissance de l`Egypte à plusieurs niveaux, et cela pourrait prendre
entre 20 et 30 ans » .
Dossier réalisé par Marwa Hussein
Semaine du 27 juillet au 2 août 2011, numéro 881
Egypte
Nouveau gouvernement . Les manifestants de la place Tahrir
poursuivent leur mouvement, jugeant insuffisant le remaniement
ministériel annoncé en fin de semaine dernière,
après plusieurs jours de tractations.
Peut mieux faire, dit Tahrir
Pour la 2e fois en moins de six mois, le gouvernement du
premier ministre Essam Charaf a subi, jeudi dernier, un nouveau remaniement.
Touchant plus de la moitié des portefeuilles, cet important remaniement
ministériel est considéré comme le résultat direct
de la pression des manifestants, qui campent depuis le 7 juillet sur la place
Tahrir, pour réclamer, entre autres, le départ des
personnalités liées à l`ancien régime. Bien que le
remaniement soit l`une des demandes des manifestants depuis le 7 juillet, une
partie des manifestants reste toutefois insatisfaite de la composition du
nouveau cabinet.
En faisant le tour de la place Tahrir vendredi dernier pour
connaître les avis des manifestants, il semblerait que le fait que le
nouveau cabinet soit dominé par des libéraux partisans de
l`économie de marché ne semble pas inquiéter outre mesure
les protestataires. Ces derniers sont complètement focalisés
autour d`une même et seule obsession, voir disparaître tout ce qui
risque d`évoquer, de près ou de loin, l`ère Moubarak, que
l`on veut révolue. La place Tahrir ne désemplit pas après
ce remaniement, considéré par beaucoup en-deçà de
leurs attentes. « Aucun nom proposé par les différents
mouvements et formations politiques n`a été pris en compte par le
premier ministre. La plupart des nouveaux ministres sont inconnus pour nous
», affirme Mahmoud Al-Noubi, jeune manifestant. Celui-ci a marqué
sur son t-shirt « Je suis baltagui », pour se moquer de certaines
voix dans les médias gouvernementaux qui affirment que ceux qui sont
à Tahrir ne sont autres que des baltaguis (hommes de main). Même
humour chez ses amis qui campent avec lui sous une tente où il est
inscrit
« Le parti des baltaguis ». Al-Noubi explique qu`il
espérait que Charaf choisirait des ministres « à l`esprit
révolutionnaire. Le conseiller Hicham Al-Bastawissi, l`un des
honnêtes hommes de justice et candidat à la présidentielle,
s`est entretenu avec nous avant le remaniement et nous a affirmé qu`il
était prêt à accepter le poste de ministre de la Justice,
mais personne ne l`a appelé ».
Les manifestants critiquent le fait que des
personnalités « proches du régime Moubarak » conservent
leur poste, en particulier le ministre de la Justice, Abdel-Aziz Al-Guindi,
à qui est reprochée sa lenteur à traduire en justice les
responsables de la mort de manifestants pendant la révolution du 25
janvier, ainsi que le clan Moubarak et les caciques de l`ancien régime,
et dans une moindre mesure, celui de l`Intérieur, Mansour Essawi,
à l`égard duquel l`opinion populaire demeure partagée
après la purge de l`appareil policier qu`il a récemment
décrétée. « Pourquoi les deux ministères les
plus importants en cette période n`ont pas subi de changements,
malgré les fortes critiques qui les visent ? », se demande Aymane
Abdel-Hay, du mouvement du 6 Avril, en expliquant que la lenteur judiciaire
constatée était suffisante pour justifier un changement du
ministre de la Justice. Quant à Essawi, Abdel-Hay pense qu`il n`a pas de
personnalité assez forte et qu`il n`a pas réussi à
réinstaurer la sécurité dans les rues égyptiennes.
C`est pourquoi il aurait fallu également le limoger, selon lui.
Réformes au compte-goutte
D`autres manifestants disent leur ras-le-bol de ces
réformes au compte-goutte. Ils estiment qu`aujourd`hui, le changement de
personnes n`est plus l`essentiel. « Ce que nous voulons, c`est un
changement des politiques et des stratégies. Nous voulons un
gouvernement qui mette en place un calendrier précis pour les
réformes à adopter. Sinon, même un remaniement
ministériel hebdomadaire ne servirait à rien », explique
Ahmad Mohamad, ingénieur d`une trentaine d`années,
déplorant que le slogan de la révolution « Pain,
liberté et justice sociale » n`ait pas encore été
concrétisé. « Le remaniement n`est pas notre premiere
demande. C`est le procès immédiat des membres du régime
Moubarak et de tous les responsables du massacre des manifestants durant la
révolution du 25 janvier qui est notre revendication essentielle »,
indique Ahmad Ali,
jeune comptable, qui a décidé de poursuivre son
sit-in, seul moyen, selon lui, pour obtenir ce qu`il demande. «
L`expérience nous montre que nos demandes ne sont satisfaites que sous
la pression des manifestations », constate-t-il. Camper à Tahrir
est aussi, pour certains, un moyen pour soutenir le gouvernement face au
Conseil suprême des forces armées. « Nous sommes conscients
que le premier ministre n`a pas carte blanche pour choisir son équipe
comme il l`entend, et qu`il doit composer avec le Conseil militaire. Je pense
que nous devrions patienter un peu avant d`émettre des jugements sur le
nouveau cabinet », affirme Ali.
Dans son premier discours télévisé
après le remaniement, M. Charaf a expliqué avoir chargé
son gouvernement de préparer un plan d`action, avec comme « but
premier la réalisation des objectifs de la révolution et la
préservation de ses acquis », promettant de « répondre
» aux exigences des manifestants. Il a précisé que sa
priorité était de faire juger les responsables de l`ancien
régime soupçonnés de corruption et d`exactions. Le
gouvernement de transition est censé rester en place jusqu`à
l`organisation d`élections législatives, prévues à
l`automne. Qu`ils acceptent ou non le nouveau remaniement, une bonne partie des
mouvements et forces politiques sont d`accord pour accorder une dernière
occasion au gouvernement, afin qu`il prouve sa bonne volonté.
Sabah Sabet Nicolas Devreese
Semaine du 9 au 15 mars 2011, numéro 861
Opinion
L`économie au menu
Dr Hicham Mourad
« Pain, liberté, justice sociale »,
réclamait la foule en colère sur la place Tahrir, lors des
manifestations qui ont abouti au renversement du président Hosni
Moubarak. C`est dire que les questions économiques occupaient une place
centrale dans les revendications de la population.
Or, les 18 jours du soulèvement populaire ont, sur le
court
terme, fait fuir quelque 18 milliards de dollars de capitaux
étrangers. La perte totale de l`économie
égyptienne est évaluée à
plus de 30 milliards de dollars, notamment dans le secteur du
tourisme, qui représente 13 % du PIB et 10 % des emplois (plus de 2,5
millions d`Egyptiens). Conséquence : le taux de croissance du PIB en
2011, qui devait s`établir entre 5 et 6 %, ne devrait pas
dépasser les 1-2 %.
La tâche est donc énorme pour l`actuel
gouvernement intérimaire et celui qui le succédera après
les élections législatives et présidentielle,
prévues cette année. Car il ne s`agit pas seulement de
remédier aux conséquences graves des récents
événements, qui se poursuivent sous forme de grèves,
sit-in etc., mais aussi et surtout de répondre aux aspirations d`ordre
économique exprimées par le soulèvement populaire et par
divers groupes socioprofessionnels : amélioration des conditions de vie,
lutte contre le chômage, la corruption et l`inégalité
sociale.
Le gouvernement a à son actif plusieurs
réalisations accomplies sous l`ère Moubarak, mais qui
méritaient rectifications et corrections. La croissance
égyptienne, comprise entre 6 et 8 %, était soutenue ces
dernières années, faisant quadrupler le PIB. Mais les fruits de
cette croissance étaient très inégalement répartis
entre les couches de la population, bénéficiant à une
minorité d`hommes d`affaires et de caciques du régime,
laissant quelque 40 % de la population en dessous du seuil de
pauvreté, avec moins de 2 dollars par jour, dont la moitié dans
l`agriculture. Le taux de ceux qui souffraient d`une extrême
pauvreté (moins d`un dollar par jour) est passé de 17 % en 2000
à 20 % en 2005.
Certes, la corruption était pour beaucoup dans cette
injustice sociale. Mais des mesures à moyen et long termes doivent
être entreprises pour la corriger. Il s`agit notamment de relever le
salaire minimum, revoir les règles de taxation, renforcer les mesures
contre l`évasion fiscale et reconsidérer le système des
subventions afin de s`assurer que seuls les ayants-droit en
bénéficieront.
Le chômage est sans doute un défi majeur que doit
relever le gouvernement. Avec un taux de chômage de 15 % de la force de
travail, dont plus de 90 % sont des jeunes de moins de 30 ans, la question
exige des mesures radicales. L`économie égyptienne souffre dans
ce domaine de faiblesses structurelles, notamment le déséquilibre
créé ces dernières années au profit du secteur
tertiaire et aux dépens de l`agriculture et de l`industrie, plus
à même de générer davantage d`emplois. La part de
ces dernières dans l`emploi est tombée respectivement de 40 %
à 30 % et de 14 % à 11 % entre 1990 et 2003. En revanche, la part
du secteur des services est passée de 22 % à 27 % durant la
même période.
Pour y remédier, le gouvernement doit notamment
s`intéresser aux projets intensifs en main-d`~uvre, comme ceux des
infrastructures et de l`éducation, mais aussi à lier le
système éducatif aux besoins du marché du travail.
Semaine du 9 au 15 février 2011, numéro 857
Nulle part ailleurs
Place Tahrir . Des milliers de manifestants, de toutes les
couches sociales, ont transformé les lieux en une oasis de
liberté. Une radio locale, des vendeurs ambulants, et surtout de vraies
discussions sur l`avenir du pays. Reportage.
La nouvelle « République de la liberté
»
« Vous êtes les bienvenus dans l`endroit le
plus honnête et le plus sécurisé d`Egypte
».
C`est par ces mots que les jeunes de la place
Tahrir accueillent tous les participants ou
visiteurs. Après un contrôle minutieux
effectué par les jeunes devant les nombreux
accès à partir des différentes rues de
Ramsès,
de Talaat Harb, de Bab Al-Louq ou de Qasr Al-Aïni, ils
accueillent les gens le sourire aux lèvres. L`ambiance est euphorique,
digne d`une Egypte qui a brisé son silence à jamais et a
entamé une période de changement, comme l`affirment les jeunes du
25 Janvier. Des chants patriotiques fusent de la radio locale
créée par le peuple de la « République
indépendante de Tahrir », comme ils la surnomment. Des chansons qui
rappellent des moments glorieux d`une Egypte qui a toujours été
la soupape de sécurité pour le monde arabe et le Moyen-Orient.
Des chants, des appels à des citoyens disparus, des discours de jeunes
diffusant des nouvelles de la place et de l`extérieur, et des conseils
pour démentir les rumeurs qui déforment l`image des manifestants
ainsi que ce mouvement de révolution. Des jeunes s`occupent du
nettoyage, ne laissant aucun papier par terre, d`autres vendent des drapeaux.
Des médecins et des pharmaciens montent sur pied des hôpitaux pour
traiter les blessés et les malades. Des vendeurs ambulants ont
trouvé dans ce monde exceptionnel leur gagne-pain, perdu dans leurs
quartiers. C`est une patrie idéale que les manifestants ont
créée avec ses codes, ses propres mesures de
sécurité, ses disciplines, ses médias et aussi ses moyens
de vivre. C`est l`Egypte à laquelle ils rêvent. Tous les gens sont
là, riches et pauvres, jeunes et âgés, musulmans et
chrétiens, des gauchistes et des Frères
musulmans et beaucoup d`autres qui n`appartiennent pas à des partis
politiques. Des milliers et parfois des millions réclament plus de
liberté, d`égalité, de dignité et de
démocratie même s`ils sont divisés encore sur les moyens
d`application. Après deux semaines de la révolution du 25
Janvier, des banderoles portant des slogans très humoristiques sont
hissées : « Va t`en, j`ai mal au bras », « Dégage,
j`aimerais prendre une douche », « Dehors, ma fiancée me
manque », des slogans qui demandent au président Moubarak de
quitter le pouvoir. Chaque jour, la place, devenue épicentre des
événements, témoigne des scènes exceptionnelles :
un nouveau couple vient y célébrer son mariage, des familles
ordinaires accompagnent leurs enfants pour qu`ils soient témoins de
scenes importantes de l`histoire de l`Egypte. Une messe du dimanche rassemble
des chrétiens protégés par des musulmans en
présence de cheikhs, des prières de l`absent pour
commémorer les martyrs de la révolution en présence de
leurs familles. Des martyrs que les membres de la révolution à
Tahrir considèrent négligés par le président de la
République qui ne les a cités dans aucun de ses discours. «
Nous n`avons pas confiance en un président qui a passé sous
silence la mort de nos enfants », dit un homme âgé à
Tahrir.
Réclamer mon droit à la vie
Et les histoires qui ont mené ces
manifestants
à la place n`en finissent pas,
chacun tient à raconter la
sienne. Mohamad
Abdel-Aziz, chauffeur, raconte : « Je
n`arrivais ni
à travailler ni à vivre à cause des
pots-de-vin que je
devais payer chaque jour
aux agents de police pour me laisser
travailler.
Je suis venu ici pour réclamer mon droit à la vie ». Ahmad
Chams, plombier,
poursuit : « J`ai essayé plusieurs fois d`avoir
un crédit du Fonds social pour le
développement, mais ils me
demandaient toujours beaucoup de garanties, tandis que le
régime
laisse les grands s`enfuir avec des sommes énormes ». Amir, jeune
comptable, 32
ans, se plaint : « Je n`arrive pas à me marier
à cause du régime de Moubarak. Nous
voulons avoir notre part
dans les revenus du Canal de Suez, du tourisme et du gaz naturel
». Ossama Abdel-Moneim, avocat, affirme : « J`ai
essayé de me présenter comme candidat dans les élections
législatives en 2005 devant le ministre du Logement Ibrahim Solimane. Je
détenais des documents prouvant sa corruption. J`ai été
menacé et les résultats ont été falsifiés.
J`ai fait un appel à la Cour de cassation qui n`a pas donné son
verdict jusqu`à nos jours ». « Je suis l`imam d`une
mosquée au Caire dépendant du ministère des Waqfs, et en
même temps, je suis obligé de vendre du foul pour arrondir les
fins de mois et subvenir aux besoins de ma famille », dit Amr de sa
part.
Des droits au travail, au mariage, à une bonne
éducation, à un traitement médical ... à une vie
plus humaine, comme le répète tout le monde.
Khaled, Mohab, Amr et Tareq, de jeunes étudiants dans
des écoles et des universités américaines et britanniques
au Caire, expliquent qu`ils sont là afin de participer à la
révolution bien qu`ils soient issus des classes qui profitent de la
présence du régime. « Nous sommes riches. Je n`ai jamais mis
les pieds dans un commissariat ou une administration. Je suis venu pour
revendiquer la justice sociale, la liberté et la démocratie
à tous les Egyptiens », dit le jeune, qui n`a jamais
participé à la vie politique, une activité soumise
à la loi de l`argent, des intérêts, du pouvoir et des
baltaguis (hommes de main) dont ils refusent de faire part. « La
dignité est beaucoup plus importante que la nourriture », dit
Réda Moussa, homme d`affaires qui, malgré sa vie aisée,
exprime sa ranc~ur et sa colère à l`égard du régime
de Moubarak comme il le dit. « Nous avons passé deux semaines sans
enregistrer un seul cas d`harcèlement ou d`attaque contre une
église, ce qui prouve que c`est le régime qui créait ces
genres de problèmes », assure-t-il.
Avoir de vrais changements
Des manifestants qui sont déterminés à
rester à Tahrir jusqu`à ce que leurs revendications soient
réalisées. Certains pensent qu`il faut que le président
s`en aille, d`autres pensent qu`il faut avoir de vrais changements, pas
seulement des visages qui changent. « Il n`a pas annulé la loi
d`urgence,
n`a pas dissout le Parlement », dit Walid, comptable le
matin et vendeur de kochari le
112
soir. Il ajoute que le président pense que la population
va se lasser avec le temps, mais ce
n`est pas le cas. « Nous sommes ici
en permanence, et chaque jour, nous gagnons plus de
Semaine du 9 au 15 février 2011, numéro 857
Société
Enfants . Ils sont sur tous les fronts. Qu`ils soient parmi
les manifestants à la place Tahrir, membres des comités
populaires pour défendre leurs quartiers, ou tout simplement
braqués devant les écrans de télés, ces petits
vivent les événements à leur manière. Tour
d`horizon.
Ces bouts de choux font la révolution !
« Le peuple veut faire tomber le régime »,
scande Khaled, un jeune protestataire âgé de six ans, tout en
tenant une pancarte à la main et placé sur les épaules de
son père présent ici à la place Tahrir. Comme des
centaines de milliers d`Egyptiens se rassemblant depuis une dizaine de jours au
centre-ville, Khaled manifeste avec son père, Yasser, et réclame
comme lui plus de justice, d`égalité sociale et de
démocratie. Bien qu`il ne sache pas vraiment ce que signifie ces mots,
Khaled ne cesse de scander des slogans réclamant le départ du
président, tels que « Irhal, irhal (dégage, dégage)
» et « Celui qui aime l`Egypte ne détruit pas l`Egypte »,
des
slogans qui sont répétés ces derniers
jours par les enfants comme par les adultes. Dès le premier jour,
nombreux sont les parents présents à la place Tahrir qui ont tenu
à emmener leurs gosses sur scène et ce pour contribuer et surtout
pour être témoins de cet événement historique et le
raconter par suite à leurs enfants. Une vraie alliance des
générations est visible dans la rue égyptienne. « Ce
n`est pas un simple mouvement de protestation, mais une révolution
populaire. Nous avons été passifs pendant des années. Il
est temps de dire non. Nous en avons assez », lance Yasser, un
fonctionnaire qui tient à expliquer les détails de ce mouvement
populaire à ses enfants. « Si nos jeunes ont réussi à
changer l`histoire du pays, ce sont nos enfants qui dessineront les traits
de
l`avenir de cette nouvelle Egypte », ajoute Yasser.
Hassan, un élève en sixième primaire, a campé
pendant toute une semaine avec sa mère et son père à la
place Tahrir. Ses parents appartenant à la classe
défavorisée partagent les souffrances de milliers d`Egyptiens.
Hassan comprend qu`il s`agit d`une colère populaire, mais il ne
connaît pas les raisons. Ici, il manifeste et est sur la même
longueur d`onde avec les jeunes. « Tant que ma maison est en danger et que
mes parents n`arrivent pas à boucler les fins de mois, je ne quitterai
pas les lieux », lance cet élève d`un ton ferme et
déterminé.
En effet, le déclenchement de cette révolte
populaire a coïncidé avec les vacances de mi-année dans les
écoles. Emprisonnés chez eux à cause du couvre-feu, tous
les enfants suivent ce qui se passe sur les écrans. Mêmes
scènes, mêmes images et mêmes slogans. Les foyers
égyptiens vivent aujourd`hui dans une ambiance électrique. Du
matin au soir, la famille vit le même rythme, les enfants aussi. Dans les
foyers, les enfants vivent difficilement cet état d`urgence. Dans de
telles conditions, il est souvent difficile de les rassurer. Car les images
diffusées et le bruit des tirs de balles qui retentit le soir dans leurs
quartiers sont capables de les effrayer. Et le fait de leur parler de
sécurité n`arrive pas à les persuader ni à les
calmer. Un sentiment de terreur accentué par la présence de ces
chars de l`armée à l`entrée de leur quartier et ces
hélicoptères qui ne cessent de faire le tour au-dessus de leurs
immeubles. « Nous étions habitués à voir ces
scènes au panorama du 6 Octobre ou à la télé
lorsqu`on nous parlait de la guerre de 1973. On pensait que ces scenes ne se
déroulent qu`en Iraq ou en Palestine. Jamais je ne pensais que j`allais
voir de telles scenes de guerre en Egypte », dit Dalia, 12 ans, demandant
à sa mère si on était en train de vivre un
véritable état de guerre.
« Est-ce que je serai emprisonné chez moi encore
pour longtemps ? Ce couvre-feu va-t-il durer ? J`ai envie de reprendre ma
liberté et mon rythme de vie normal. Cela fait presque deux semaines que
je n`ai pas vu mes amis, ni assisté à mes entraînements de
football. C`est une situation difficile. La journée est longue et je
m`ennuie beaucoup. Tout est interdit. Ma mère ne me laisse pas regarder
la télé parce qu`elle suit les nouvelles », se plaint Fadia,
une fille de six ans.
Déjà politisés
Nasma, sa sur aînée, a un autre regard des
choses. Elle suit de près les événements et a sa propre
analyse politique. « Je suis triste pour les morts et j`étais
encore plus triste quand j`ai entendu qu`ils ont utilisé des gaz
lacrymogène et des balles pour les disperser », confie-t-elle. La
panique de Nasma s`est accentuée lorsque son père avait
décidé de joindre les rangs des manifestants. Elle apprend par
cur les noms des jours décisifs qui ont marqué cette
révolte populaire.
« Le vendredi de la colère », « le
vendredi du départ », « le dimanche du silence ». Dans sa
maison située dans le quartier de Maadi, Fadia ressent la panique et
l`angoisse de sa mère même si cette dernière fait tout pour
dissimuler ses sentiments. « Ma mère ne cesse d`invoquer Dieu et de
réciter des versets du Coran pour que tout se passe calmement et que ces
longs jours d`attente se terminent bientôt », confie Nasma.
Angoisse, dépression, troubles du sommeil, vomissement
et rétention d`urine, tel est l`état de Dalia, 8 ans. Cette fille
tient à passer les quelques heures de sommeil sur le même lit,
entourée de sa mere et ses deux surs. Et avant d`aller au lit, elle
demande à sa mère quelques conseils pratiques pour ne pas faire
de cauchemars. « Faut-il que je récite les quelques versets de
Coran que j`apprends par cur ? Puis-je penser un peu aux derniers films
comiques que j`ai regardés à la télé ? »,
demande Dalia.
Une inquiétude que partage Karim (11 ans) qui vit un
quotidien chamboulé depuis le début de cette crise. « Les
premiers jours ont été les plus forts. J`avais un fort sentiment
que ces prisonniers qui ont fui vont venir nous agresser et attaquer nos
maisons », dit-il. Aujourd`hui, ce qui le préoccupe le plus c`est
de s`assurer que sa maison est bien protégée. Chaque nuit, il ne
va au lit qu`après avoir vérifié que les portes et
fenêtres sont bien fermées.
Jour après jour, il s`adapte de plus en plus et
s`intéresse plus aux nouvelles politiques. « J`ai suivi avec
beaucoup d`intérêt le nouveau gouvernement. Mais, ce qui
m`intéresse le plus c`est de savoir qui sera le prochain ministre de
l`Education ? Pourquoi ne l`ont-ils pas nommé jusqu`à
présent ? Les vacances vont bientôt se terminer. Allons-nous
retourner aux écoles sans ministre de l`Education », s`interroge
Karim. Dina est mère de deux enfants : Mohamad et Nour,
âgés de 9 et 11 ans. Elle est fière de constater que ses
deux enfants sont très politisés en ce moment. Leurs yeux sont
braqués sur les écrans et suivent les nouvelles diffusées
dans les chaînes satellites. Ils connaissent les noms du
vice-président récemment nommé, ainsi que le premier
ministre et sont curieux d`apprendre leurs CV. « Ces derniers
événements semblent les stimuler et les introduire dans le monde
des grands. Ils étaient habitués à entendre leurs parents
discuter de politique. Aujourd`hui, ils ont des dizaines de questions à
poser », dit Dina, la mère. Ses enfants lui demandent : « Qui
est ElBaradei, est-ce qu`il sera un jour notre futur président ? Est-ce
que nous pourrions choisir notre président parmi de nombreux candidats ?
».
Chez Dina, quelques enfants de l`immeuble se rassemblent pour
jouer, se divertir et oublier le traumatisme et les scènes de violence
qui se déroulent à la télé. Une façon de
passer ces heures de couvre-feu dont la durée change d`un jour à
l`autre. « J`ai emmené mes enfants hier pour faire quelques
courses. C`était leur premiere sortie depuis le déclenchement des
manifestations et l`application du couvre-feu. Ils étaient
choqués de voir comment est devenu notre quartier qui ressemble à
un champ de guerre », raconte Heba, femme au foyer et mere de trois
enfants. « Ce n`était plus notre quartier, magasins
complètement pillés et voitures cassées. L`armée
est déployée dans les rues et il n`y a plus de police »,
confie Chéhab, 14 ans. Même les jeux d`enfants s`inspirent de la
situation. Doudou, 5 ans, dit à sa sur : « On va jouer à la
guerre : moi, proMoubarak et toi contre ».
Dans le rôle de miliciens
Une fois le couvre-feu instauré, le rythme de la ville
tombe d`un coup et là, c`est le cortège de barrières et de
contrôles dirigés par les civils. Ces derniers dans les quartiers
sont organisés en patrouille portant des brassards blancs et font
siège toute la nuit dans les différents quartiers dans un climat
bienveillant et permettent aux personnes de mieux se connaître. Tenant un
bâton en bois en main, Akram, un enfant de 9 ans, passe la nuit debout
devant son immeuble avec son père. Il fait partie de ces comités
populaires créés pour protéger les foyers, les familles et
les biens publics. Il est 4h du
matin, Akram fait tout pour rester éveillé et se
rappelle des paroles de sa mere qui l`a mobilisé. « Tu dois
descendre dans la rue pour nous défendre, moi et ta sur. Si tu laisses
les cambrioleurs, ils pilleront notre maison et menaceront notre
sécurité », lui at-elle dit. Des instructions qui ont
renforcé chez le jeune Akram ce sentiment de responsabilité et de
devoir envers sa patrie. « Si nous ne réussirons pas à
défendre notre quartier et nos voisins, nous ne serons pas des hommes
dignes de ce pays et nous ne mériterons pas de porter le titre Egyptiens
», confie ce jeune garçon.
Vivre sa vie
Si le sentiment de patriotisme pèse chez le jeune Akram
et dirige ses actes, son frère de cinq ans n`a qu`un seul rêve :
reprendre son train de vie normal. « J`aspire à aller au club pour
jouer et j`attends avec impatience que les restaurants de fast-food rouvrent
leurs portes pour faire une commande ».
Les événements continuent et la scène
politique change assez vite. Et les enfants ne sont qu`un élément
de cette scene. Chose évidente : ils rêvent tous que ces jours de
tension se terminent et qu`ils puissent de nouveau s`amuser et jouer « en
sécurité ». Un terme dont la vraie valeur a
été assimilée, ces derniers jours, par enfants et adultes
à la fois.
Chahinaz Gheith
Semaine du 9 au 15 février 2011, numéro 857
Egypte
Frères Musulmans . Ils exploitent les manifestations en
cours pour occuper le devant de la scène politique, niant toutes
aspirations à accéder au pouvoir. Des affirmations qui laissent
dubitatif. Décryptage.
Sincérité ou calculs politiques ?
Après avoir observé avec prudence la
première manifestation contre le régime Moubarak, les
Frères musulmans ont pris part de manière plus active au
mouvement de protestation. Ils sont maintenant aux premières loges des
manifestations, se mêlent à des opposants laïcs, des
gauchistes et de jeunes adeptes des réseaux sociaux sur Internet.
En fait, si les Frères musulmans ont été
toujours présents sur la scène politique, ils ne l`ont jamais
été avec une telle force. Ils sont désormais moins
réservés qu`ils ne l`étaient au début de la
contestation. « Moubarak dégage », ne cessent de scander
depuis « le vendredi du départ » plus d`un million de
manifestants.
Et pourquoi pas alors que pour la première fois, le
régime leur tend la main ? Le nouveau vice-président Omar Soliman
a ouvertement appelé cette semaine la confrérie des Frères
musulmans à participer au dialogue entamé entre le régime
et les forces d`opposition. Une concession sans précédent envers
un mouvement islamiste que le régime a interdit en 1954. Depuis sa
création en 1928, par Hassan Al-Banna, la relation de cette
confrérie avec le régime a toujours vacillé entre
intransigeance et tolérance (une tolérance qui n`est jamais
allée jusqu`à sa reconnaissance officielle en tant que force
politique). « Cette reconnaissance ne rajoute rien aux Frères
musulmans qui ont toujours tiré leur légitimité de la rue
et non pas d`un régime corrompu », estime AbdelMoneim Aboul-Fotouh,
responsable à la confrérie. Selon lui, il faut remettre la
révolution des jeunes dans son contexte. « Il
s`agit de manifestations patriotiques contre un régime autoritaire. Les
Frères musulmans, en tant que force politique organisée et
capable de mobiliser, prennent part à ce mouvement comme le font les
autres forces d`opposition », s`exprime Aboul-Fotouh. Il rejette
également toutes les accusations de vouloir s`emparer de la victoire des
jeunes. « Nous étions présents dès le 25 janvier mais
si maintenant notre présence est plus accentuée sur la scene,
c`est pour soutenir ces jeunes et faire face à l`obstination du
régime qui veut défigurer leur sainte révolution et
contourner leurs revendications légitimes », poursuit Aboul-Fotouh
qui pense que le régime n`a répondu jusqu`à présent
qu`au minimum de leurs demandes. « Le limogeage du gouvernement ou le
changement de figures à la tête du PND ne concernent pas les
jeunes qui les considèrent comme des manuvres. Si le régime
était sérieux pour une véritable réforme, pourquoi
n`a-t-il pas évoqué des questions comme la dissolution du
Parlement, la suppression de l`état d`urgence, la liberté de
créer des partis et une nouvelle Constitution ? », s`insurge
Aboul-Fotouh qui assure que les Frères soutiendront cette
révolution jusqu`au bout.
Mais alors quels sont les fruits que pourrait récolter
la confrérie dans un scénario d`après-Moubarak ? Cette
question préoccupe les Egyptiens, elle est aussi redoutée par les
Occidentaux et Israël.
Leurs grandes ambitions
Selon les observateurs, c`est la révolution des jeunes
internautes secouant l`Egypte depuis plus de dix jours qui offrent maintenant
aux Frères musulmans une chance d`atteindre l`une de leurs grandes
ambitions : avoir ouvertement un rôle reconnu dans la politique du pays.
Même si le but ultime et discret non révélé des
Frères musulmans reste l`instauration d`un Etat islamique, pour l`heure,
les dirigeants ménagent leur fragile alliance avec les activistes
laïques.
« Nous sommes très clairs : nous sommes là,
mais uniquement pour répondre aux besoins de la nation, pour
protéger et soutenir la révolution des jeunes. Notre but commun
est de renverser le régime corrompu et despotique de Moubarak »,
souligne
Mahdi Akef, ex-guide suprême de la Confrérie. Ne
niant pas le fait que ce mouvement soit le mieux implanté et
organisé, des analystes pensent que la confrérie pourrait jouer
un rôle politique majeur dans l`Egypte d`après-Moubarak. Surtout
qu`ils sont très présents dans de nombreuses institutions
caritatives ou syndicales. Des services sociaux qui pallient
l`inefficacité de ceux du gouvernement. Mais toujours discret, Mahdi
Akef refuse d`évoquer pour le moment l`agenda politique du groupe.
« Tous les efforts sont actuellement consacrés à ce but
saint. Il n`est pas question de parler d`aspirations ou d`intérêts
partisans », indique Akef.
Ils jurent tous ne souhaiter qu`une seule chose : un
système politique juste garantissant des élections libres.
Mohamed Al-Beltagui, membre du bureau politique de la confrérie, a
assuré que les Frères musulmans n`ont pas l`intention de briguer
la présidence lors des élections prévues en septembre
prochain. Ils ne participeront pas à un gouvernement de coalition
prochain. « Le régime veut donner un caractère islamique
à cette révolution afin de la réprimer davantage »,
ajoute-t-il. Pour Ammar Ali Hassan, politologue, les Frères musulmans
ont un ancrage dans la société. Il ne redoute pas qu`ils soient
la force majeure de la scene politique pluraliste et démocratique de
l`aprèsMoubarak vu leur potentiel politique et social. Toutefois, selon
lui, les pressions étrangères ainsi que les tentatives du
gouvernement de promouvoir l`idée d`une islamisation de l`Egypte les
obligent à remettre leurs ambitions politiques. Ainsi, la
confrérie se contente pour l`instant d`être à
l`arrière-plan. « La confrérie sait que cette perspective
inquiète à la fois les autres pays arabes et occidentaux, en
particulier le voisin israélien. En choisissant de se ranger derriere
l`Association nationale pour le changement, fondée par Mohamed
ElBaradei, elle veut envoyer un message rassurant au monde entier »,
explique Hassan.
En fait, l`arrivée des islamistes au pouvoir n`est pas
exclue, même si elle reste lointaine. Mais le plus important est de
savoir si la structure idéologique et politique de la confrérie
est capable d`assimiler la notion civile et laïque de l`Etat. « Tout
le monde est d`accord pour un Etat de droit et démocratique. Nous ne
voulons pas l`instauration d`un Etat islamique mais un Etat qui se base sur la
charia. Il n`y a aucune contradiction dans ce que nous avançons. L`islam
est pour la diversité, la démocratie, le respect et la
protection de la liberté de culte »,
réitère Abdel-Moneim Aboul-Fotouh. Il rappelle que le mouvement a
formellement renoncé à la violence dans les années 1950 et
s`efforce depuis lors d`obtenir une représentation politique par la voie
des urnes.
Mais pour Ammar Ali Hassan, il est difficile de prédire
quelle voie la confrérie pourrait emprunter si elle était
à nouveau légalisée et autorisée à
présenter des candidats sous sa propre bannière. Gharia ou pas ?
Quel sera le statut des chrétiens? Quels seront les droits des femmes ?
Quelles seront les relations avec Israël? Des questions fondamentales que
les responsables des Frères préfèrent éluder selon
Ammar.
« A titre d`exemple, les Frères musulmans
s`opposent au traité de paix avec Israël et revendiquent le droit
à la résistance armée contre l`Etat hébreu mais ils
affirment qu`ils ne reviendront pas sur le traité. Ils veulent imposer
la charia mais assurent qu`ils n`obligeront pas les femmes à porter le
voile en public », conclut Hassan.
May Al-Maghrabi
Semaine du 28 septembre au 4 octobre 2011, numéro 890
Dossier
Expositions . Les murs de Townhouse sont pour quelque temps
dédiés aux graffeurs, libres de s`approprier l`espace.
L`idée n`est pas nouvelle mais aura en Egypte des conséquences
importantes sur les autres formes d`art et leur public.
Le graffiti : désinhibiteur de l`art traditionnel
Ils sont présents partout et possèdent un
message éminemment politique. Sous les ponts, sur des murs ou des
bâtiments, les couleurs arrivent, les images apparaissent. En quelques
mois, le graffiti a acquis une maturité de plusieurs années. Le
responsable de cette envolée significative ? La révolution,
seulement la révolution.
Les débuts furent cependant difficiles et un certain
nombre de tags ou de graffs furent effacés par des citoyens aux «
bonnes intentions » douteuses. Trouver un « Moubarak, dégage
» écrit sur un mur qui entoure Tahrir relève
désormais de l`impossible. Seules les inscriptions peu en vue
subsistent. C`est dommage, l`Histoire mériterait d`en conserver
quelques-uns. Mais la nature du tag ou du graffiti n`est-elle pas d`être
éphémère ? D`autres apparaissent sur les façades
fraîchement repeintes de blanc et le cycle continue.
La galerie Townhouse, toujours en quête de nouvelles
formes d`expression, a cette fois réussi son pari : donner un cadre
à la hauteur de la qualité des graffitis. Car résumer
cette forme de création en un simple « art de rue » provenant
de jeunes sans éducation artistique serait se situer bien loin du
phénomène. Banksy, célèbre graffeur anglo-saxon
connu notamment pour ses dessins sur le mur qui sépare Israël de la
Palestine, a prouvé que le graffiti pouvait rivaliser sans honte avec
les formes d`art plus traditionnelles.
En Egypte, un dénommé Keiser est
désormais un artiste en vogue connu pour ses pandas qui rappellent
l`attitude de l`ancien président. Présent à Townhouse, il
réussit une fois de plus à fondre son dessin dans le contexte.
C`est toute la force du graffiti : s`adapter à la disposition des lieux,
en l`occurrence une usine désaffectée.
Keiser n`est qu`un exemple parmi d`autres et les graffs ont de
belles chances de devenir une des formes d`art les plus populaires du pays.
Faciles à comprendre, souvent ludiques, moqueurs ou cyniques, ils
interpellent le regard par leur présence inattendue d`une rue à
l`autre. Aux Etats-Unis, les graffs ont rapidement été
intégrés à d`autres formes d`art et sont rentrés
avec force dans les galeries. L`Egypte suivra-t-elle le même chemin ? En
proposant au regard du plus grand nombre des expressions de qualité, le
graff ne peut avoir qu`un impact positif sur l`intérêt du public
pour des formes plus classiques comme la peinture ou la sculpture. Il est une
porte d`entrée pour ceux qui n`osent pas franchir les pas qui les
séparent du monde de l`art.
En brisant les frontières et en rentrant dans les
galeries, le graff deviendra une forme d`inspiration privilégiée
pour les peintres des dernières générations. Alors que les
nouvelles formes d`expression comme les vidéo-montages ou les
installations ne parviennent pas à se bâtir une
personnalité affirmée en Egypte, le graff, plus récent
encore, a déjà fait ses preuves. Un détour par Townhouse
s`impose à ceux qui veulent savoir ce que sera l`art en Egypte lors des
années à venir.
Alban de Ménonville
Semaine du 8 au 14 février 2012, numéro 908
Idées
Edition . Al-Nouri Ebeid, président de l`Union des
éditeurs tunisiens, préside la délégation
tunisienne au Salon international du livre du Caire. Il livre son point de vue
sur cette 43e édition. Entretien.
« Après les révolutions arabes
vient le printemps du livre »
Al-Ahram Hebdo : Comment évaluezvous la 43e
édition du Salon international du livre du Caire dont la clôture
est prévue le 10 février et dont votre pays est l`invité
d`honneur ?
Al-Nouri Ebeid : En dépit de tout le
désordre dans la rue égyptienne,
j`apprécie
l`organisation de cette manifestation culturelle. Le Salon a
maintenu la diversité des livres cette année malgré la
difficulté de la situation en Egypte. Cela fait vingt ans que je
participe au Salon du livre du Caire. En tant qu`observateur, je peux affirmer
qu`il n`y a eu aucune interdiction de livre durant cette édition par
rapport aux années passées. Des homologues et collègues de
quelques pays arabes et étrangers n`ont pas pu venir cette année
à cause de la confusion et du changement des dates d`ouverture. Nul
doute qu`il y a eu beaucoup d`efforts déployés pour tenir un
Salon pareil, notamment pour ce qui est des pavillons. L`inauguration
était beaucoup plus simple que lors des éditions
précédentes. Il n`y a pas eu cette présence intensive des
forces de l`ordre. Je pense que l`inauguration cette année avait une
bonne influence sur tous les participants. En fait, cette édition en
janvier m`a permis de participer à l`anniversaire de la
révolution du 25 janvier.
-- Vous-êtes vous rendus à Tahrir le 25 janvier,
puisque le Salon a fermé ses portes ce jour-là ?
-- Le Salon international du livre du Caire cette année
était une bonne occasion pour moi parce que j`ai participé
à la manifestation qui est partie du quartier de Doqqi vers Tahrir.
J`étais avec les gens dans cette manifestation qui visait à ne
pas oublier les victimes et les martyrs de tous les incidents depuis le 25
janvier 2011. La manifestation a commencé à Doqqi avec des
cercueils représentant les martyrs, traversant la rue Tahrir et
l`Opéra pour finir à la place Tahrir. J`étais très
content de voir la participation des gens et des jeunes. Même les
personnes âgées qui n`ont pas pu descendre ont participé
à partir de leurs balcons. Je remercie les circonstances qui m`ont
permis de venir en Egypte pour le Salon du livre et l`anniversaire de la
révolution égyptienne.
-- Pensez-vous que la participation de la Tunisie au Salon cette
année ait reflété la diversité des maisons
d`édition tunisiennes ?
-- La Tunisie cette année, en tant qu`invitée
d`honneur, était soucieuse d`avoir une présence
particulière, notamment après la révolution dans ce pays.
Nous avons organisé des colloques sur les nouvelles publications, le
cinéma et le théâtre. 35 maisons d`édition ont
participé à cette 43e édition. Elles ont
présenté au public égyptien des publications sur la
révolution tunisienne. Nous parlons de 200 titres ou presque. Le slogan
de notre pays était « Le livre porte les révolutions arabes
». Les intellectuels tunisiens ont essayé de jeter la
lumière sur la révolution de leur pays dans leurs publications et
le rôle de l`intellectuel tunisien depuis le XIXe siècle. Le
slogan de cette révolution était « Le peuple veut » qui
est inspiré d`un vers du grand poète tunisien Aboul-Qassem El
Chebbi. 40 personnalités parmi les poètes, les
spécialistes du cinéma et de la musique ont assisté
à cette édition. Nous avons visé la coopération
culturelle entre les deux pays.
-- Dans le contexte de la coopération culturelle, deux
protocoles ont été signés entre l`Egypte et la Tunisie.
Quels sont les points essentiels de ces protocoles ?
-- Nous avons réussi durant cette édition du
Salon international du livre du Caire à signer deux protocoles. Le
premier est professionnel entre les deux Unions des éditeurs tunisiens
et égyptiens. Il s`agit de faciliter la circulation du livre entre les
deux pays, d`intensifier l`action entre les éditeurs, d`encourager les
bourses d`études et l`échange entre les étudiants des
universités des deux pays dans les facultés de journalisme,
notamment en édition et en impression, ainsi que les instituts des
beaux-arts. Selon ce protocole, les éditeurs dans les deux pays
prendront en charge la formation des étudiants. Le second protocole est
signé avec le GEBO (l`Organisme général égyptien du
livre). Il s`agit de surmonter toutes les difficultés concernant la
diffusion du livre dans les deux pays et de soutenir la diffusion du livre dans
les expositions locales et internationales.
-- Quel est, selon vous, l`avenir de l`édition
numérique pour les maisons d`édition arabes ?
-- Pour ce qui est de l`édition numérique, il
existe jusqu`aujourd`hui des difficultés techniques qu`il faudra
surmonter, sinon les éditeurs et les écrivains arabes vont se
retrouver à l`extérieur de ce système d`ici cinq ans. Il
est temps, après le Printemps des révolutions arabes, qu`il y ait
un printemps du livre.
Propos recueillis par Rasha Hanafy
Semaine du 1er au 7 février 2012, numéro 907
Dossier
Révolution .Le bâtiment de la
Radiotélévision, Maspero, est la cible de manifestations depuis
le 25 janvier. Les slogans demandent l`épuration des médias
gouvernementaux, accusés de faire de la propagande pro-armée.
La censure continue
« Voici les menteurs ! Ils sont là ! ». Des
cris de colère qui ont fait vibrer les vitres du
bâtiment de la Radiotélévision. Devant
cet
immense bâtiment, appelé Maspero, plus de
5 000 manifestants se sont rassemblés et
l`ont encerclé depuis le 25 janvier,
brandissant une même revendication : la
purification des médias égyptiens. Là
aussi,
comme sur la place Tahrir, c`est le Conseil
militaire qui est critiqué. Si, depuis quelques
mois, les révolutionnaires et l`armée ne cessent
de s`affronter, cette fois-ci, la bataille s`est déplacée sur le
terrain de l`information dirigée par l`armée. Des appels et des
slogans qui ont provoqué les sentiments d`un bon nombre de personnes qui
travaillent au sein du bâtiment et qui ont décidé de
rejoindre la manifestation pour revendiquer eux aussi des changements. «
C`est l`armée qui contrôle tout notre travail. Tout comme le
faisait le régime de Moubarak », criaient-ils.
Il y a de quoi se révolter. Il suffisait de suivre les
chaînes publiques durant la journée du 25 janvier dernier, ou
encore celle du vendredi de « la dignité » pour ressentir le
grand écart qui existe toujours entre la couverture de ces chaînes
publiques et la réalité. Les présentateurs, comme pendant
l`ère Moubarak, évitent de critiquer le Conseil des forces
armées. Bien au contraire, la télévision égyptienne
est un instrument de propagande favorable aux militaires.
Une couverture partiale
En effet, sur les différentes chaînes publiques,
les présentateurs insistaient dès le début de la
journée sur la notion de « fête », alors que sur la
place Tahrir, les manifestants criaient fort : « Ce n`est pas une
célébration, c`est une révolution ». Des slogans
auxquels les chaînes publiques ne semblaient pas vouloir prêter
attention. En plus des animateurs, au fil de la journée, n`ont pas
cessé de souhaiter une bonne fête à tous les Egyptiens. En
outre, ils n`ont pas hésité en fin de journée à
diffuser une soirée de célébration qui a lieu à
l`Opéra pour fêter le 25 janvier.
La propagande pro-armée n`en finissait pas : des films
documentaires sur la révolution du 25 janvier qui montrent le
maréchal Tantawi entre les manifestants, des
chars sur lesquels sont inscrits « A bas Moubarak ! »,
et d`autres sur lesquels aient rassemblés des dizaines de manifestants
en faisant le signe de la victoire.
Les informations qui passaient tout le temps en boucle
affirmaient : « A l`occasion des festivités du 25 janvier, le
maréchal Tantawi a décidé de lever l`état d`urgence
; le maréchal Tantawi a décidé de libérer plus de 3
000 détenus », ou encore : « Le maréchal Tantawi
rappelle qu`il a l`intention de transmettre le pouvoir vers la fin du mois de
juin ». Une panoplie d`informations qui ne visent qu`à rassurer non
pas les manifestants, mais les Egyptiens restés chez eux.
Pour Ahmad Moustapha, réalisateur à la 2e
chaîne publique, il ne faut pas toujours voir les choses d`un ~il
négatif : « Quelques présentateurs à la
télévision tentent non pas de soutenir le Conseil militaire, mais
voudraient plutôt ne pas être provocateurs pour ne pas aggraver les
choses ».
Que ce soit vrai ou pas, les résultats sont les
mêmes. On peut bien le dire : pour ces chaînes de
télévision publique, critiquer l`armée reste toujours la
ligne à ne pas franchir. S`agit-il d`une instruction militaire ? Est-ce
que l`armée impose ces limites ? Ou ce sont simplement ces
présentateurs qui ont besoin d`évoluer ?
Ahmad Moustapha insiste sur le fait que les journalistes
responsables des journaux télévisés ont besoin de longs
mois de formation pour que les mentalités changent et qu`ils comprennent
le vrai sens du service public. « Ces personnes ont été
formées selon des principes dont ils ne pourront pas se départir
en un jour et une nuit. Même s`ils ne reçoivent pas d`ordres
directs de la part de l`armée, ils se sont habitués à
s`imposer des lignes rouges à ne pas franchir », explique-t-il.
N`empêche que le Conseil militaire impose un monopole
exclusif de l`information, car elle reste un enjeu-clé du pouvoir en
Egypte. La preuve : le Conseil suprême des forces armées a
récemment créé un comité des médias,
composé de 11 généraux, sorte d`attachés de presse,
chargés de fournir des informations aux médias pour éviter
les couvertures, selon eux, « fallacieuses ».
C`est ce qui explique aussi le fait que les vidéos de
violences perpétrées par l`armée, largement
relayées sur le Web, restent absentes des écrans de la
télévision gouvernementale, notamment la fameuse vidéo de
la fille torturée par les soldats. Pendant la manifestation de vendredi
dernier, l`activiste Alaa Abdel-Fattah, accusé d`attaques contre les
militaires, est invité sur une chaîne publique. Une
première. Lorsque la présentatrice évoque l`affaire de
cette fille torturée, il l`interrompt : « Vous êtes en train
de parler d`une affaire que vous avez carrément occultée. Comment
voulez-vous en parler maintenant ? ». Le lendemain de cette
émission, des vidéos des « militaires sont des menteurs
», montrant les violations commises par l`armée, sont reprises en
partie sur cette chaîne. Une percée inimaginable jusque-là.
Cela dit, il est encore trop tôt pour parler d`une réelle et
concrète évolution des chaînes publiques, même si
quelques journalistes tentent eux-mêmes de prouver le contraire l.
Chaïmaa Abdel-Hamid
Semaine du 9 au 15 février 2011, numéro 857
Evénement
Révolte Populaire . Les manifestations se poursuivent
à la place Tahrir face à un gouvernement qui fait des concessions
sans parvenir à convaincre. Etat des lieux.
La résistance a la vie dure
« Le peuple veut le départ du régime
». En plein centre de place Tahrir, le slogan scandé par les
manifestants est désormais peint en grandes lettres blanches sur
l`asphalte de cette « terre libérée ».
Les manifestants appelant au départ du chef de l`Etat
ne lâchent pas du lest en entamant leur 3e semaine de protestation.
La semaine dernière a commencé par une
scène digne du Moyen Age. Montés sur des chevaux et des
dromadaires, des partisans du président Moubarak, armés de
fouets, de bâtons, de pierres et de cocktails Molotov, ont attaqué
les anti-Moubarak. Une semaine qui s`est achevée sur un chant religieux.
Une messe et une prière musulmane sur la place de la Libération
à la mémoire des martyrs tombés lors de cette
révolution populaire.
Depuis deux jours, la pluie défie les campeurs sur la
place autant que le régime qui a entamé un dit « dialogue
» avec l'opposition pour pousser les jeunes à évacuer la
place et permettre un retour à la normale dans la capitale.
Le nouveau vice-président Omar Soliman s`est ainsi
entretenu avec une partie de l'opposition, dont pour la première fois
les Frères musulmans. Aucune avancée palpable d`ailleurs. Le
régime a une nouvelle fois redit que Moubarak ne démissionnerait
pas, qu`il ne déléguera pas non plus ses fonctions à son
vice-président comme le propose un « groupe de sages ».
C`est le débat aujourd`hui. Plusieurs politiciens et
juristes proposent, comme compromis, que le président
délègue ses pouvoirs à Soliman en fonction de l`article
139 de la Constitution. Moubarak, lui, serait un président honoraire
mais ira au terme de son mandat. Soliman dirigera de facto le pays et pourrait
ainsi entamer une révision de la Constitution pour permettre de
nouvelles élections présidentielles, libres surtout, au
début de l`automne. Une « transition immédiate » qui
permet un respect de la Constitution et évite le scénario du
chaos que fait propager le régime.
Des propos rassurants
Ce dernier multiplie les déclarations pacificatrices et
les promesses de réformes, mais sans véritable action concrete.
La machine de la manipulation de l`opinion est déjà
en marche. Les mêmes vieilles politiques, mais avec de
nouveaux visages, tel est le jeu politique.
Une inflexion du discours officiel se dessine. La
télévision publique a commencé à montrer pour la
première fois des images de la place et la presse gouvernementale parle
de plusieurs centaines de milliers alors qu`ils n`étaient que 5 000 la
semaine dernière aux yeux des journalistes de l`Etat. Mais
parallèlement, plusieurs journalistes égyptiens et
étrangers ont été agressés par les « baltaguis
», les hommes de main du régime, ou arrêtés par la
police en civil ou par l`armée. Certains ont trouvé la mort. Des
locaux de télévision satellitaire ont été mis
à sac et des matériels confisqués des hôtels
où sont logés les journalistes autour de la place Tahrir. Des
journaux indépendants ont même reçu des « remarques
» pour faire « baisser le ton » anti-Moubarak.
Symbole du changement de forme, Moubarak, en tant que chef du
Parti National Démocrate, a limogé le comité
exécutif du parti, dont son fils Gamal Moubarak et le secrétaire
général du parti, le redouté Safouat Al-Chérif. Ils
restent pourtant membres du parti et parmi leurs successeurs dans le bureau
influent deux hommes très proches de Moubarak fils et fervents d`une
succession dynastique. Le président reste toujours à la
tête du parti, malgré des rumeurs de démission
démenties par la suite.
Un premier ministre au calme éloquent
Le nouveau premier ministre lui aussi est resté au
niveau des promesses. Il promet d`ouvrir une enquête sur le retrait
bizarre des policiers le 28 janvier, et une enquête similaire sur la
« conquête des chameaux » sur la place Tahrir. Mais il reste
là. Aucune démarche n`est entreprise, aucune personne n`est
interpellée dans le cadre de cette promesse. Même le ministre de
l`Intérieur, pointé du doigt dans ce chaos sécuritaire,
est soumis à une investigation du Parquet dans le cadre d`une autre
affaire : sa présumée implication dans l`attentat de
l`église des Deux saints à Alexandrie au début de
l`année.
Des changements progressifs de façon à faire
croire qu`il continue à céder pour apaiser les manifestants et
absorber la colère de la rue, mais aussi pour pousser ces Egyptiens
campant chez eux à se retourner contre les manifestants. « Le
gouvernement a tout fait », croit-on.
Les propos des sages
Des penseurs et politiciens demandent ainsi aux forces
armées d`être le garant de ces promesses, surtout de la non
représentation de Moubarak aux prochaines présidentielles ni
celle de son fils. Ils ont tendance à croire que si les manifestants
rentrent chez eux, Moubarak finira par faire marche arrière en
organisant des manifestations de soutien en sa faveur pour qu`il reste au
pouvoir. Une hypothèse pessimiste mais qui n`est pas à
écarter complètement, surtout que les Occidentaux, avec en
tête Washington, commencent à lâcher leur pression sur le
régime.
Moubarak a réussi à convaincre l`Occident que la
seule alternative à son départ est la confrérie des
Frères musulmans. Obama, les yeux fermés, le croit et omet que
ceux qui
sont rassemblés sur la place ne sont pas en
majorité des islamistes.
L`écrivain Mohamad Hassanein Heykal, ex-conseiller
politique du président Nasser, estime que le régime ressemble
à un blessé et aspire à la vengeance plus qu`il ne se
soucie d'une grande dislocation du pays.
« Nous sommes confrontés à un régime
qui ne veut pas partir et ses restes, à l`instar des mafias, manipulent
en coupant uniquement leur queues ». Il suggère un départ de
la scene du président Moubarak et le début d`une phase
transitoire « pour un dialogue sérieux », laquelle serait
dirigée par un gouvernement d`union et un conseil juridique
jusqu`à l`élaboration d`une nouvelle Constitution. « Pour
tous ceux qui veulent voir, entendre et comprendre, qu`ils sachent que les
revendications du peuple ont été entendues, dont la
première demande est la destitution du président Moubarak »,
ajoute Heykal.
Au palais Al-Orouba, et plus de deux semaines après la
révolte, la voix de la rue est loin d`arriver en dépit de ces
jeunes reçus par le vice-président. Celui-ci ne manque pas de les
décrire comme des jeunes idéalistes manipulés par «
une main étrangère ». Le chef de la diplomatie accuse, sans
les nommer, des diplomates étrangers d'avoir tenté de faire
entrer des armes et des appareils de télécommunications dans des
valises diplomatiques. Dans le même temps, une nouvelle bribe est
jetée aux Egyptiens. Le gouvernement annonce une prime salariale de 15
%.
Samar Al-Gamal
Semaine du 2 au 8 février 2011, numéro 856
Evénement
Manifestations . Vendredi 28 janvier, des milliers de
manifestants ont envahi le centre-ville, venus de tous les coins du Caire pour
exprimer leur contestation du régime. Une vraie bataille rangée
entre policiers et citoyens qui ont accueilli avec soulagement l`armée.
Mais ils restent décidés à réaliser leurs
objectifs.
La colère gronde place Tahrir
L`appel de la prière de midi du vendredi était
le signe du rassemblement de tous les manifestants qui ne se reconnaissent pas
d`avance, d`ailleurs, dans les mosquées d`Egypte. Dans une
mosquée située dans la ruelle intitulée « le prince
Qadadar dans le quartier Bab Al-Louq, la situation était calme à
tel point que les policiers qui se trouvaient sur place sont allés pour
prier eux aussi en laissant leurs prononcé dans les micros «
Al-Salmou alikom wa rahmet Allah », signe de la fin de la prière,
des centaines de citoyens ont surgi, donnant l`impression d`être venus de
nulle part, paraissent dans quatre les coins de la rue en criant « Ah
» (signe de douleur). Il a suffi de deux cris de ce genre, et avant le
troisième ils se sont tous arrêtés. Ce qui n`a pas
empêché la foule des manifestants d`affluer et de lancer à
plusieurs reprises le principal slogan de cette vague de protestation, voire de
révolution « Al-Chaab youride isqat al-nezam (le peuple veut le
renversement du régime) », criait même Doha, une jeune fille
de 12 ans accompagnée par sa famille et qui serrait dans de ses bras le
drapeau égyptien tandis que l`autre main, elle portait une bouteille de
Coca. Des dizaines, voire des centaines de milliers de manifestants arrivaient
chaque minute en passant par de nouvelles rues. Tous avaient le même but,
arriver à la place Tahrir, lieu de rassemblement de tous les
manifestants. Mais c`était impossible de dépasser les
barrières humaines formées par la police antiémeutes dont
le chef essayait d`encourager ces gendarmes en criant : « Allez les hommes
pour réaliser la victoire », comme si c`était une guerre
entre Egyptiens et Israéliens.
Le temps passe et le nombre de manifestants augmente. Ils sont
tous encerclés et bloqués par la police qui faisait tout son
possible pour les empêcher d`arriver à la place Tahrir mais sans
pouvoir les décourager. Soudain, et vers 14h, un bon nombre de bombes
lacrymogènes commencent à tomber sur les têtes des gens.
Brûlures aux yeux, des larmes involontaires et difficultés de
respiration. Certains lancent des cris. « Tenez du coca et versez-le sur
les yeux », lance Amina, qui paraît une femme aisée selon sa
tenue et explique à haut voix qu`il ne faut jamais mettre de l`eau sur
les yeux. « Ce sont des précautions, c`est nos frères de
Tunisie qui nous les ont envoyées, sur facebook, comme mesures de
protection contre ces bombes ». Elle fait sortir aussi de son sac de
l`oignon et du citron en les distribuant aux gens qui ont des problèmes
de respiration pour les sentir. Des moyens simples mais qui ont aidé
beaucoup les gens à continuer
leurs manifs. Un chaos pour quelques minutes, tout le monde
s`occupe de soigner les manifestants atteints. Ils sont vraiment la main dans
la main, les femmes du haut des balcons jettent des bouteilles d`eau et des
boissons, la seule pharmacie ouverte distribue des masques, Am Moustapha,
propriétaire d`un kiosque, encourage les jeunes et distribue des
boissons gratuites en criant : « Allez les jeunes, les Egyptiens sont
capables de réaliser le changement comme nous l`avons déjà
réalisé pendant la Révolution de 1952 », des paroles
qui ont enflammé ces révolutionnaires. Des milliers ont couru
courageusement vers les barrières humaines policières, un assaut
quasiment révolutionnaire qui oblige les policiers à reculer. Les
manifestants avancent mais le scénario se répète, des
bombes de plus en plus bruyantes et étouffantes qui ont cette fois
blessé un policier et cinq gendarmes responsables de sécuriser
une église.
L`Etat chahuté
Mais à cause de la haine et de l`antagonisme qui
existent entre citoyens et policiers, personne n`a eu pitié d`eux et en
plus, les manifestants ont essayé de les frapper. Mais certains, plus
raisonnables, ont essayé de les faire échapper des mains des
jeunes qui étaient au comble de la colère. Le seul endroit
sûr pour cacher et sauver ces policiers était le siege de l`agence
de presse nationale MENA. Mais même les journalistes et les
fonctionnaires de cette agence officielle n`ont pas pu fuir des insultes, les
manifestants les considérant comme des partisans du régime. Des
querelles, des insultes et des moqueries envers cette fondation afin de faire
sortir les policiers, mais ces derniers étaient en un état
très grave. Car ils étaient de faction dès le début
de la journée et ils ont aspiré une grande quantité de gaz
lacrymogènes. « Je ne sais pas pourquoi toute cette violence ; les
manifestants ne portent pas d`armes, pourquoi on tire contre eux ? », se
demande Naguib, un gendarme qui vient de la Haute-Egypte en pleurant. Il se
demande « Pourquoi les gens voulaient nous attaquer ? Je suis debout
depuis 5h du matin pour protéger l`église, qu`est-ce que j`ai
commis comme faute contre ces gens ? Mon travail est de les protéger,
est-ce que c`est normal ? Les gens savent que je reçois des ordres que
je dois exécuter ». Enfin, il crie à haute voix,
enlève sa veste et jette son arme par terre et crie : je suis
libéré et je vais participer avec ces manifestants, et il sort en
criant : Tahia Masr, Tahia Masr (vive l`Egypte).
L`armée arrive
C`est ce cri qu`ont lancé les manifestants
avec
d`autres slogans lorsqu`ils ont pu finalement
investir la place
Tahrir. Et là, ce fut un brai forum
politique marqué de
chants. Des intellectuels et des
membres des mouvements de la
société civile
étaient là. On relevait aussi une
présence très
marquée, dont de très jeunes
filles. Voilées et non
voilées se côtoyaient. Les jeunes
liaient
connaissance. Etudiants, jeunes fonctionnaires au
revenu
limité et des universitaires occupant des
emplois subalternes, un
licencié ès lettres françaises est vendeur dans un
magasin. Les
cris vont avec l`idée qu`il faut résister
jusqu`au bout. La police s`est retirée, laissant la place à un
plus grand nombre de manifestations. C`était une sorte
d`intermède absurde. Dans les ruelles, on voyait les policiers à
la recherche de sandwiches et de thé. Un répit qui n`a pas trop
duré et la brigade anti-émeutes a lancé sa campagne ;
bombes lacrymogènes, balles caoutchoutées, sons assourdissants.
Les cris s`élèvent ici et là. C`est un vrai champ de
bataille. Les manifestants résistent et semblent
déterminés à rester sur place.
A mesure que le temps passe, la violence augmente. Des gens
affirment qu`il y a eu des tirs à balles réelles. Et puis on a vu
la police reculer. Une annonce diffusée par la radio fait état
d`une prise en charge de la situation par l`armée. Une premiere en
quelque sorte. Les forces de sécurité tentent de se venger,
ressentant de la ranc~ur pour cette prise en charge de l`armée. Une
sorte d`affrontement a eu lieu entre les deux et l`armée est venue avec
ses chars, acclamée par la foule, distribution des cartons de nourriture
et des bouteilles d`eau. Et les échanges se poursuivirent jusqu`à
la dernière minute et en présence de l`armée, la police a
continué à tirer. L`armée a manifesté du
sang-froid. Entre-temps, dans la mosquée rue Qadadar, les blessés
qui y ont été évacués étaient
soignés. Au micro, le cheikh lançait un appel pour que les
médecins arrivent. Les choses se calment et les manifestants reprennent
souffle, ils maintiennent leur position. Ils veulent un changement de
régime et ils resteront jusqu`au bout sur la place.
Chérine Abdel-Azim Ahmed Loutfi
Semaine du 2 au 8 février 2011, numéro 856
Evénement
Manifestations . Les manifestations contre le régime ont
été marquées par des scènes de pillage
Le désordre
Tout au long des manifestations, un état d`angoisse
régnait sur tous les gouvernorats d`Egypte depuis le « Vendredi de
la colère ». Ce vendredi qui a secoué non seulement les
piliers du régime mais aussi la sécurité des Egyptiens. La
crainte des pillages et des crimes était lisible sur tous les
visages.
C`est vendredi, à minuit, suite à une
journée sanglante qui a vu s`affronter police et manifestants, que les
habitants du quartier de Helmiya, au sud du Caire, ont entendu des coups de
feux, des cris et ils voyaient, sans vraiment comprendre, des jeunes courir
dans tous les sens.
« Qu`est-ce qui se passe ? Le couvre-feu est-il en place
? », se demandent les habitants qui ne peuvent trouver le sommeil. Une
demi-heure après, les tirs s`intensifient et le bruit monte. Mais ce
n`est qu`avec la premiere lueur de l`aube que les choses commencent à
s`éclaircir. Sur terrain, la scene est chaotique : 9 voitures
incendiées, une odeur de fumée omniprésente et des foules
d`habitants qui se précipitent pour découvrir les faits. Les gens
parlent de ce qui s`est passé le soir. « J`étais ici lorsque
le commissaire et ses policiers sont sortis, menaçant une centaine de
manifestants rassemblés devant la station de police. Face à leur
refus de se disperser, la police a ouvert aveuglement le feux sur eux, faisant
quatre morts », raconte Tareq, un jeune ouvrier. Son ami intervient en
affirmant que, sous l`étonnement de la foule, en quelques minutes, les
gens ont répondu à la violence par la violence en jetant des
pierres et des cocktails Molotov sur la station. « Ces policiers ont fuit
face à la colère des gens et le feu s`est étendu à
la rue à côté, brülant une dizaine de voitures »,
racontet-il.
Au bout de la rue, les pompiers sont présents devant la
station de police d`Al-Darb Al-Ahmar, qui est partie en fumée. Des
dizaines de jeunes hommes et femmes se tapent les mains pour déplorer ce
qui s`est passé. « Ce n`est pas possible, qu`est-ce qui se passe ?
C`est dans l`intérêt de qui ? », se demande une femme sur un
ton de stupéfaction mêlé de colère. Les pompiers ont
déjà terminé leur mission, et des gamins envahissent le
bâtiment saboté pour finir de le piller. Des chaises, des
ventilateurs, des tiroirs mais aussi des dossiers, des registres et des vestes
de policiers sont dérobés. « Arrêtez, c`est notre
Egypte, au nom de Dieu, il ne faut pas la voler ou lui nuire ! », crie
un
134
homme d`environ 40 ans. Mais en vain : ils prennent tout
ce
qui leur tombe sous la main. Furieux, un homme
agrippe par le bras un de ces
gamins qui se servent sur les décombres. Ce dernier lui
Semaine du 3 au 9 août 2011, numéro 882
Enquête
Blessés de la révolution . Plus de 6 mois
après les violents affrontements qui ont fait chuter Moubarak, ils
souffrent encore de l`indifférence des autorités
égyptiennes pour se faire soigner. Et se contentent des belles promesses
sans lendemain. Enquête.
L`autre révolte pour la dignité
Moustapha Ahmad Hassan est le dernier martyr de la
révolution du 25 janvier. Il a passé plus de six mois dans le
coma à l`hôpital Qasr Al-Aïni du Caire après avoir
reçu une balle en pleine tête, lors du « vendredi de la
colère », le 28 janvier dernier. Complètement
paralysé, il était dans le coma depuis un mois. Pendant six mois,
sa famille a frappé à la porte de tous les responsables, les
suppliant d`envoyer leur fils à l`étranger. C`était,
d`après les
médecins, la seule chance qui lui restait pour survivre
à ses blessures. Mais face à une indifférence devenue
générale, Moustapha vient de mourir. En silence. « Je viens
d`enterrer Moustapha à Alexandrie. Mais je ne resterai pas les bras
croisés et n`attendrai pas que nous subissions le même sort
», confie Rabie, son ami proche et l`un des autres blessés de la
révolution.
Quelques heures après les funérailles, Rabie a
organisé un sit-in devant le siège du Conseil des ministres.
Déçu par leur silence, il s`est adressé à la place
Tahrir et ne compte pas en partir avant d`obtenir les droits des
blessés. « Ces héros comme Moustapha ne méritent pas
d`être traités ainsi. Moustapha n`a pas obtenu son droit le plus
élémentaire, celui d`être soigné. Nous sommes
là et continuerons à revendiquer les droits de tous les
blessés avant de mourir comme lui », martèle-t-il.
Il y a quelques semaines, le 27 juin, il y a Mahmoud Khaled
Qotb, protestataire de 24 ans, qui est décédé des suites
de ses blessures causées le 28 janvier. Il est resté dans le coma
5 mois après avoir reçu une balle dans l`il tirée par la
police, puis avoir été écrasé par une voiture du
corps diplomatique près de la place Tahrir lors des manifestations du
« vendredi de la colère ». Pendant cinq mois, la famille de
Qotb avait adressé au Conseil des ministres des demandes pour le faire
transférer de l`hôpital Qasr Al-Aïni à un autre
hôpital privé et mieux équipé. En vain. « Nous
avons mené une noble révolution dont tout le monde parle. Nous
avons sacrifié nos fils pour le mieux de notre patrie. Pourtant,
personne ne semble s`en rendre compte. A ce jour, nous n`avons pas eu droit aux
soins médicaux gratuits », confie Gaballah, lui aussi
blessé. Il est resté 18 jours sur la place Tahrir, a reçu
une balle dans l`il. Et depuis, il est dans un état critique. A
l`hôpital où il a été traité, les
médecins l`ont obligé à céder sa place à
d`autres blessés. Aujourd`hui, Gaballah commence à
désespérer. D`un bureau à l`autre,
il ne croit plus en ces belles promesses non tenues du
gouvernement. « C`est soi-disant le gouvernement de la révolution
», ironise-t-il. Avant de poursuivre : « Ils ont
déclaré cette semaine que l`hôpital de Agouza sera
consacré au traitement des blessés de la révolution. Je
m`y suis rendu ce matin. Personne n`est au courant de cette décision.
Ils prétendent que la nomination d`un nouveau ministre de la
Santé est la raison de ce retard ». Pour ajouter au sarcasme,
Gaballah a décidé d`écrire une lettre à
l`ex-président Moubarak et de la publier sur Facebook. « Monsieur
le président déchu ... J`ai besoin de votre aide ... Je commence
à douter de la chute de l`ancien régime. Si vous êtes
toujours président de l`Egypte, je vous supplie de donner des ordres
pour que les blessés de la révolution du 25 janvier puissent
être traités aux frais de l`Etat. Les médecins sont au
courant de notre situation, mais n`ont pas remué le petit doigt pour
nous aider. Les hôpitaux ne veulent pas nous accueillir et nous demandent
de présenter des documents qui prouvent que nous avons été
blessés lors de la révolution ... ». Il a intitulé
cette lettre : « Appel à une aide urgente pour sauver la vie des
blessés de la révolution ».
Procédures compliquées
Car, en effet, les blessés de la révolution
partagent tous ce sentiment de frustration. La lenteur des jugements et les
procédures compliquées ont en fait accentué chez ces
héros le sentiment d`être marginalisés. Pour sa part, le
premier ministre, Essam Charaf, a désigné une personne de son
cabinet pour présider le fonds des blessés, créé il
y a plus d`un mois. Sa mission sera de faire un « recensement complet
» des personnes tuées ou blessées durant la
révolution, et de leur consacrer les indemnités ou le traitement
nécessaires.
En effet, la décision de créer un tel fonds est
venue suite à une vague de protestations de la part des familles des
martyrs et des blessés qui se sont plaintes de la négligence des
responsables à leur égard. Deux semaines plus tard, le Conseil
suprême des forces armées a consacré une somme de 100
millions de L.E. à ce fonds. « Personne n`a expliqué aux
blessés quels sont les règles de versement des indemnités
ou les dossiers et documents nécessaires, ni même le lieu
où ils peuvent retirer les formulaires à remplir », explique
Khaled Aly, activiste au Centre égyptien pour les droits
économiques et sociaux. Ce n`est pas tout, puisqu`en
réalité, prouver que ces blessures proviennent de la
révolution et de la cruauté de la police est une mission quasi
impossible. « On m`a demandé un tas de papiers pour pouvoir
être traité et toucher les indemnités. Mais comment prouver
que je suis un blessé de la révolution ? Aucun hôpital n`a
accepté de nous donner un certificat médical. Peut-être
fallait-il que je demande aux manifestants de me prendre en photo quand la
police tirait contre nous ! », s`exclame-t-il amèrement.
Aujourd`hui, ce citoyen commence à se dire qu`il a tout sacrifié
pour rien. « Nous avons voulu chasser le dictateur. Nous étions des
révolutionnaires pacifiques qui ne réclamaient qu`une vie humaine
et digne. Nous avons scandé le slogan : Pain, liberté et
dignité pour tout Egyptien. Méritons-nous d`être punis
après tous ces sacrifices ? », s`indigne-t-il.
Mahmoud Al-Sayed a, lui, reçu des balles en caoutchouc aux
bras et aux jambes. Il
devait subir plusieurs interventions chirurgicales. Mais rien
n`a été fait. « C`est une honte et un vrai scandale que les
blessés de la révolution soient traités de la sorte. Au
même moment, l`ex-président est en train de recevoir les meilleurs
soins dans une chambre climatisée de l`hôpital de Charm Al-Gheikh
et toute une équipe est à sa disposition », avance-t-il en
colère. Ges laissés-pour-compte ne peuvent s`empêcher de
faire cette comparaison qui est pour eux synonyme d`une injustice flagrante.
D`après le Dr Mohamad Charaf, professeur à l`Université
américaine et président d`une ONG qui s`occupe de la
revendication des droits des blessés, « un hôpital comme
l`Institut Nasser demandait à chaque blessé une caution de 10 000
à 20 000 L.E. alors que la majorité des blessés sont des
gens modestes ». D`après un recensement officiel effectué en
avril dernier, le nombre des blessés est estimé à plus de
16 000, sans compter les officiers et agents de police. Mais les associations
des droits de l`homme considèrent ce nombre bien plus
élevé.
Remplir un formulaire
Face au siège du fonds récemment
créé pour venir en aide aux blessés, Mohamad Abdel-Aal
attend son tour. Il vient d`apprendre qu`il n`était obligé ni de
se déplacer, ni de faire le trajet de sa ville de Damanhour jusqu`au
Caire. Il suffit de remplir un formulaire publié sur le site Internet du
fonds pour s`enregistrer et présenter ses doléances. Une nouvelle
qui ne semble pas consoler ce simple villageois qui ne connaît rien au
monde d`Internet. Abdel-Aal a souffert d`une hémorragie à l`il
gauche et d`un décollement de la rétine. « Le cas de
Abdel-Aal est très délicat et ne peut pas être
traité en Egypte, faute d`équipement. Il risque d`être
aveugle d`un ~il et doit partir le plus vite possible en Allemagne pour se
faire opérer », explique l`ophtalmologue Samir AlBahaa qui suit son
cas. Pourtant, ce fonds est la seule lueur d`espoir qui lui reste.
Medhat est un autre blessé, mais plus chanceux. Get
originaire de la ville de Suez a reçu l`offre d`une Egyptienne qui
réside en Arabie saoudite : elle propose de prendre en charge les frais
de son traitement à l`hôpital Saint-Louis, à Paris
(France). Il doit en effet subir une transplantation de la cornée. Gette
femme a appris le cas de Medhat sur la page Facebook « Mossabi sawret
yanayer » (le forum des blessés de la révolution de
janvier), qui publie les nouvelles des blessés et leurs numéros
de portable pour ceux qui voudraient entrer en contact avec eux.
Il y a aussi des associations étrangères qui se
penchent sur le dossier des blessés de la révolution, comme la
très active ADFE (Association Démocratique des Français
à l`Etranger), en collaboration avec l`Association égyptienne
Masreyoun madelioun, qui ont assuré à ce jour plus de 70 cas
médicaux. « Une goutte d`eau par rapport aux besoins »,
disent-elles. D`après un bilan de l`ADFE en date du 24 juin, 15 jeunes
patients blessés aux yeux étaient en mesure de partir
bientôt en Suède, pris en charge par le gouvernement
suédois. L`Association des médecins égyptiens d`Allemagne
envisage aussi de financer un centre de physiothérapie pour les
paralysés de la révolution. L`ADFE attendait de même les
missions échelonnées de 40 chirurgiens volontaires allemands de
toutes spécialités. Sans compter que le ministre français
des Affaires étrangères a accepté, lors de sa visite sur
la place Tahrir le 6 mars dernier,
d`embarquer dans son avion plusieurs blessés graves vers
Paris.
Mais il n`en reste pas moins que « le traitement des
blessés est la responsabilité du gouvernement égyptien et
non des donateurs étrangers ou des ONG. On est obligé de mendier
pour être traité ! », lâche Magdi, gravement
brûlé au visage et aux bras par un cocktail molotov. Ce chauffeur
venu de Suez a appris par la radio que des experts russes et allemands se
rendront en Egypte pour consulter et traiter gratuitement les blessés de
la révolution. Il s`est alors précipité à
l`hôpital Qasr Al-Aïni pour rencontrer ces experts. Là, 24
autres blessés attendaient leur tour. « A 22h30, un jeune
médecin égyptien nous a demandé de dormir de bonne heure
pour l`opération du lendemain par les médecins de la
délégation russe. Mais nous avons attendu jusqu`à 16h et
en fin de journée, les responsables de l`hôpital nous ont dit que
les Russes étaient partis et que c`était une simple visite
d`échange d`expérience », se rappelle Magdi.
Mais tout récemment, le premier ministre, Essam Charaf,
a tenu la première réunion avec le conseil représentant
les blessés de la révolution, qui visait à recenser leurs
problèmes et tenter de les régler. Peut-être enfin une
première étape pour les blessés, avant qu`ils
n`accèdent enfin à leurs droits .
Manar Attiya
Semaine du 2 au 8 mars 2011, numéro 860
Société
Recherches . Depuis le 25 janvier, institutions et individus
prennent en charge la responsabilité de rassembler la documentation
disponible sur la révolution. Les sources sont variées et
nombreuses, mais certains points resteront dans l`ombre pour de nombreuses
années.
Une révolution, différents récits
Les facettes de la révolution du 25
janvier sont innombrables. A commencer
par les slogans scandés sur la place Tahrir,
en passant par les réactions arabes et
internationales, jusqu`au rôle joué par les
médias ou les syndicats, la vie quotidienne
pendant les troubles, l`impact sur
l`économie, la réaction de l`Eglise ou d`Al-
Azhar, le rôle des différents ministères,
particulièrement celui de l`Intérieur, et de
l`armée, ou l`absence de participation des
partis politiques. Les sujets sur lesquels se penche
actuellement le Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS)
d`Al-Ahram sont pour le moins variés. Une équipe tente
actuellement de collecter tout article, document ou information concernant la
révolution de 25 janvier. Une trentaine de chercheurs travaillent sur le
sujet, se répartissant des thèmes différents afin de
constituer une documentation de cet événement historique. «
18 jours : c`est la durée du soulèvement populaire et des
manifestations, jusqu`à l`annonce de la chute du régime le 11
février. Une période assez courte, mais qui comprend un
enchaînement d`événements et de détails qui
méritent d`être signalés. Ces événements ont
bouleversé l`histoire du pays et marqueront son avenir. Il fallait
commencer rapidement à enregistrer tous les détails et les faits
», explique Hani Al-Aassar. Chercheur au centre d`Al-Ahram, il est
responsable du dossier des partis politiques : leur rôle et leurs
réactions avant, pendant et après la révolution. Le
résultat de ces recherches sera publié dans quelques jours
à travers un livre, déjà considéré comme
l`une des premieres publications sur la révolution égyptienne.
L`équipe du centre a décidé de se lancer au plus tôt
dans cette initiative afin que les mémoires restent fraîches.
D`autres institutions ont aussi décidé de se
lancer dans des initiatives similaires. Le projet « La mémoire de
l`Egypte moderne », de la Bibliothèque d`Alexandrie, a aussi
commencé à regrouper de la documentation sur la
révolution. Mahmoud Ezzat, responsable de l`unité des recherches
à la bibliothèque, a lancé un appel aux citoyens leur
demandant de lui remettre tout document pouvant aider à la
compréhension des faits qui se sont déroulés depuis le 25.
« On travaille sur tous les gouvernorats et on enregistre tous les noms
des martyrs dans les provinces en se basant sur les témoignages des amis
des victimes, du voisinage et des journaux », explique Ezzat.
S`il est vrai que les grandes lignes ont déjà
été déchiffrées, les détails locaux ou de
seconde importance sont loin d`avoir tous été
dévoilés. L`ensemble de ces données est pourtant capital
pour une compréhension globale des événements.
Une révolution à l`ère numérique
Dès le mardi 25 janvier, jour de la fête de la
police, quelques manifestants présents dans la rue prennent l`initiative
de filmer avec leurs caméras ou téléphones chaque
détail de l`événement. De nombreux artistes, acteurs ou
metteurs en scene présents sur la place Tahrir ont aussi souhaité
immortaliser l`événement. Certains réalisateurs filmaient
d`ailleurs les scenes avec l`intention de pouvoir en faire, un jour, un
documentaire. De plus, le 25 est l`une des rares révolutions qui a
autant profité de la technologie et des chaînes satellites qui
diffusaient les images au monde entier à la minute même.
Depuis le déclenchement des manifestations -- et
jusqu`au jour où la Télévision a annoncé le
départ de Moubarak --, une mise à jour était
effectuée sur Internet ne laissant passer aucun détail (comme les
tirs en l`air à l`arme réelle ou les cartes d`identité des
policiers impliqués dans les scenes de violence).
Après le 11 février, plusieurs organismes ont
décidé de collecter toutes les informations qui ont
été publiées dans le but de les analyser et de commencer
à constituer une documentation approfondie de la révolution.
Les slogans, les caricatures, les vidéos, les photos,
les rapports médicaux des hôpitaux, les certificats de
décès des martyrs, les témoignages et même les
chansons et les programmes télévisés ... bref, tout ce qui
a trait à l`événement est répertorié.
D`après Abir Saadi, responsable d`une commission d`investigation au
syndicat des Journalistes, un centre de presse a été
créé par le syndicat sur la place Tahrir dès le premier
jour, pour servir de point de départ à cette documentation.
« Nous avons collecté tous les articles de presse
et les témoignages des journalistes qui ont participé aux
manifestations. Nous avons signalé tous les actes et violences à
leur égard -- y compris les kidnappings. Nous faisons également
notre enquête à propos du décès d`un homme qui, de
son balcon, voulait filmer la manifestation qui avait lieu devant le
ministère de l`Intérieur », confie Saadi. Elle sait que
cette mission prendra du temps et réclamera un nombre impressionnant
d`enquêtes. « Il faut avoir de la patience car, avec le temps,
certains secrets vont être dévoilés »,
ajoute-t-elle.
Des ONG, qui travaillent dans le domaine des droits de
l`homme, et des groupes d`amis ont pris la décision de rassembler la
documentation nécessaire sur l`événement en restant dix
jours d`affilée sur la place Tahrir. Le mercredi noir, le vendredi de la
haine, le vendredi du défi ou du départ, suivi par le vendredi de
la liberté ..., autant de noms donnés aux jours décisifs
des manifestations sur lesquelles la documentation repose.
Une pièce de théâtre, réalisée
par le metteur en scène Magdi Al-Hawwari, raconte les
jours marquants de cette révolution. Le poète
Abdel-Rahman Al-Abnoudi écrit un poème qui sera chanté par
Mohamad Mounir, considéré par les manifestants comme le «
chanteur de la révolution ».
Amr Kamal est étudiant à la faculté des
lettres et bénévole dans un projet lancé par Dar Al-Kotob.
« La documentation se fait avec l`aide de fonctionnaires et de
bénévoles qui réunissent toute information utile pour
permettre aux prochaines générations de tout savoir sur cet
événement exceptionnel », estime-t-il. Celui-ci pense que
son rôle ne doit pas s`arrêter au fait de participer aux
manifestations mais doit aussi contribuer à recueillir chaque
détail d`importance.
Un fait mais différents points de vue
Les sources sont peut-être les mêmes et les
événements connus par tout le monde, mais chaque institution
possède sa propre manière de voir les choses. « Cette
variété va permettre d`avoir des points de vue différents
et à chacun d`aborder certains themes de façon plus approfondie
que d`autres groupes. Ainsi, nous aurons différents points de vue
indépendants sur l`événement », affirme Al-Aassar.
« Un site Internet sera aussi créé sur la
première révolution déclenchée par des jeunes qui
n`appartiennent à aucun parti ni idéologie », annonce le
groupe du 25 Janvier. Ils attendent encore recevoir des vidéos ou des
articles pouvant les éclairer davantage sur le déroulement
précis des événements. « Il est logique de concevoir
un tel site sur Internet puisque la révolution est partie du Facebook
», affirme Ahmad Gamal, l`un des responsables du site.
Ces jeunes, comme tant d`autres, tentent de collecter toutes
les données possibles concernant la révolution. Mais
l`élément qui les intéresse le plus ce sont les
informations et documents rassemblés par les artistes. Gamal a en effet
été choqué par la position de certains artistes qui ont
retourné leur veste du jour au lendemain.
Aujourd`hui, il reste encore beaucoup de points
d`interrogation et de mystères sur certains faits délicats comme
le rôle de la police ou les actes de violence. L`ex-ministre de
l`Intérieur a-t-il donné l`ordre à la police de tirer sur
les manifestants ? L`exprésident est-il impliqué dans cette
affaire ? Qui est responsable de l`ouverture des prisons, de la fuite des
prisonniers, des actes de pillage et de violence et du retrait inexplicable de
la police ? Des questions qui demeurent sans réponse et que chaque
citoyen tente d`élucider.
Par ailleurs, certaines rumeurs circulent affirmant que des
documents importants ont été brûlés ou
détruits au siège du Parti national ou dans les tribunaux.
Hani Al-Aassar est un jeune chercheur. Il est clair, pour lui,
que des organismes comme la police, l`armée ou les services secrets ne
sont jamais les premiers à divulguer les informations qu`ils
possèdent. Un jour viendra pourtant où ces documents
apparaîtront. Ahmad Yehia Abdel-Hamid, sociologue, considère qu`il
est encore trop tôt pour construire la documentation de la
révolution. Jusqu`à présent, la documentation
de la guerre du 6 Octobre n`est pas terminée et on est
encore en train de voir des gens recherchant des documents sur la
Révolution de 1952. Tous les jours, de nouvelles choses sont
découvertes.
« Ce qui se passe en ce moment c`est ce qu`on appelle une
documentation primaire de la révolution, une première
étape. Pour que la documentation soit crédible, il faut la
remettre dans le contexte des conditions politiques, économiques et
sociales du moment. Il faut étudier le pouvoir des forces de pression --
telles que l`armée -- qui ont fait bouger les choses. Des facteurs qui
peuvent durer des années avant de s`éclaircir
véritablement. Ce n`est que petit à petit que l`Histoire sera
écrite », conclut Abdel-Hamid.
Hanaa Al-Mékkawi
Semaine du 8 au 14 juin 2011, numéro 874
Nulle part ailleurs
Société . De la place Tahrir à la place
Moustapha Mahmoud en passant par Maspero. Depuis la révolution du 25
janvier, les Egyptiens choisissent leurs lieux de manifestation en fonction de
leurs revendications. C`est une véritable carte des lieux de
protestation qui prend forme. Tel endroit ...
Tel endroit ... Telle manifestion
« Notre regard sur certains endroits a changé tout
comme bien de choses ont changé depuis le 25 janvier », dit Nadia,
une jeune révolutionnaire présente à toutes les
manifestations dont les slogans conviennent à ses convictions politiques
ou religieuses. Depuis le 11 février, date de la chute du régime
de Moubarak, cette dernière, comme beaucoup de milliers de citoyens
égyptiens, se dirige selon l`actualité vers un endroit connu
pour manifester. Le lieu change d`une manifestation à
une autre et chacun est libre de choisir l`endroit où il veut se rendre.
En fait, une carte des lieux de manifestation a été
élaborée durant les premiers mois de la révolution et que
tout le monde respecte jusqu`à maintenant. Il suffit de prononcer le nom
de l`endroit pour connaître le slogan de la manif et c`est aux
contestataires de se diriger vers le lieu qui convient à leurs
revendications.
La place Tahrir est devenue le haut lieu de la
résistance, l`esplanade la plus fameuse et dont la réputation a
dépassé les frontières durant la révolution. C`est
là où les manifestants ont passé 18 jours à
exprimer à haute voix leurs revendications jusqu`à les voir se
réaliser devant leurs yeux avec la chute du régime de Moubarak.
Depuis, la place Tahrir continue de connaître chaque vendredi une
nouvelle manifestation. Vendredi de la colère, vendredi du
départ, de la fête de la victoire, de la loyauté, chaque
rassemblement porte une appellation différente mais le message est le
même puisqu`il sort de Tahrir. C`est l`endroit qui reflète tout ce
qui est en opposition avec l`ancien régime et ses hommes. Ce fut d`abord
l`appel à Moubarak de quitter le pouvoir ; par la suite, c`était
la fête de la victoire, et depuis, chaque semaine c`est selon
l`actualité que se précise le but de la manifestation. Mais la
place continue à porter les mêmes slogans : contre le
gouvernement, le Conseil militaire ou la police, bref, contre tout ce qui
représente le pouvoir. « Les manifestations à la place
Tahrir font partie intégrante de ma vie », commente Fares,
étudiant de 21 ans. Et d`ajouter : « Avant d`y prendre part, je
dois connaître le but de la manifestation et ses organisateurs. Par
exemple, la seule fois où j`étais absent, c`est quand j`ai senti
que les Frères musulmans allaient voler la vedette aux
révolutionnaires et j`avais raison car ils avaient
détourné le slogan en faveur de la cause palestinienne ».
Fares, tout comme beaucoup d`autres, est devenu un habitué de la place
Tahrir. Il refuse de quitter le lieu tant que le but n`est pas atteint.
Au fil des vendredis, si la scene paraît la même,
quelques détails different d`une manifestation à l`autre, de par
les slogans, les tables rondes et parfois les débats. Les premiers
jours, on voyait des volontaires arrivés avec des couvertures, des
médicaments et de la nourriture aux contestataires. Connaissant la date
de chaque manifestation, des marchands ambulants viennent écouler leurs
marchandises. Ils arrivent avant la foule pour s`installer dans des coins
stratégiques et vendre du pois chiche, des galettes de pain, des
boissons et même des drapeaux et autres pacotilles portant les photos des
martyrs. Les voleurs aussi se sont infiltrés parmi la foule. Là,
on diffuse les chansons patriotiques les plus anciennes, celles de Abdel-Halim
et de Mohamad Abdou, et on voit des artistes qui viennent exposer leurs arts.
C`est réellement tout un Etat, comme on l`a surnommé «
l`Etat de la place Tahrir ».
« Nous sommes sortis de nos maisons pour mourir ici
», « Nos poitrines sont prêtes à recevoir les balles
jusqu`à ce que justice soit faite », et d`autres slogans
révolutionnaires parfois forts et parfois pleins de dérision
comme celui de « Pardon monsieur le président, on a tardé
à te dire dégage ».
Devant la mosquée Moustapha Mahmoud
située au quartier de Mohandessine à Guiza,
les manifestants ne portent pas les mêmes
slogans. Cet édifice, qui porte le nom d`un
grand savant qui l`a construit en 1979, a été
l`un des endroits stratégiques de
rassemblement le 25 janvier. Après le 11
février, cette mosquée a été le
point de
rencontre de ceux qui ont voulu rendre
hommage à l`ex-président et tous ceux qui
s`opposent aux revendications de la place Tahrir. Ces manifestants arrivent par
petits nombres, réclamant la dignité pour Moubarak, n`acceptent
pas son départ et rejettent toutes les accusations dont il est victime
et font tout pour qu`il ne soit pas jugé. Ces manifs n`entraînent
pas des foules. « Ce sont les hommes du Parti national (celui de
l`exprésident) et quelques individus payés par les hommes
d`affaires à qui profitait l`ancien régime », commente Ali
qui vit à Mohandessine et fait ses prières à la
mosquée de Moustapha Mahmoud, mais qui préfère aller
à la place Tahrir pour manifester.
« Tu es avec ceux de Tahrir ou de Moustapha Mahmoud ?
», une question qui revient souvent sur la bouche des gens et qui
résume la tendance de chacun selon l`endroit où il va
manifester.
Devant cette même mosquée, les Libyens
résidant en Egypte et soutenant le régime de Kadhafi se
rassemblent aussi. « Il paraît que ce lieu est devenu l`endroit de
rencontre de ceux qui soutiennent des dictateurs et sont contre les
révolutions menées par les peuples », confie Chadi, un
manifestant de la place Tahrir.
Au lieu de répéter des slogans
révolutionnaires pour qu`on accélère les procès de
ceux qui sont impliqués dans des affaires de corruption ou demander
à modifier des lois, il
suffit de dire « Al-Tahrir ».
Et lorsqu`on veut parler de compassion à l`égard
de l`ancien régime, il suffit de prononcer « Moustapha Mahmoud
». Deux endroits qui représentent deux mondes tout à fait
contradictoires. Une situation qui n`a pas empêché certains de
changer de veste.
C`est le cas de Chérine, poussée par son amour
pour Moubarak et qui était présente à toutes les
manifestations qui ont eu lieu devant la mosquée Moustapha Mahmoud.
« A mes yeux, il était comme un père et je n`ai jamais cru
qu`il pouvait être responsable de tous ces problèmes que
connaît l`Egypte », dit Chérine en se rappelant le jour de
son départ. D`ailleurs, elle a même versé des larmes pour
ce père déchu de ses fonctions de président. Mais cette
même personne a changé d`avis en lisant la suite des
enquêtes qui ont dévoilé l`importance de la corruption
durant son régime, et même si elle ne parvient pas à le
détester, elle a décidé dernièrement de participer
aux manifestations de la place Tahrir pour réclamer un vrai
changement.
Un autre endroit star, c`est Maspero, et c`est là
où les coptes ont choisi de se rendre pour se faire entendre et
protester. En fait, quelques semaines après la chute du régime,
plusieurs incidents ont eu lieu entre musulmans et coptes. Ces derniers, qui
ont senti une certaine lenteur face aux procédures d`enquête, ont
décidé de protester.
Beaucoup participent aussi aux manifestations qui ont lieu
à la place Tahrir étant donné que l`objectif est le
même, seulement Tahrir c`est pour les revendications politiques et
Maspero pour tout ce qui concerne la religion. « Je participe aux manifs
devant Maspero pour réclamer plus de justice pour les coptes, mais le
vendredi, je me dirige vers Tahrir car c`est là où on revendique
nos droits politiques en tant que citoyens », explique Chahir.
« Al-Gueich wel chaab eid wahda » (l`armée et
le peuple, une seule main) est le slogan porté par les manifestants
rassemblés devant Al-Manassa, dans le quartier de Madinet Nasr. Tous les
messages adressés au Conseil militaire sont véhiculés
à partir de cet endroit où se retrouvent des citoyens que l`on
rencontre aussi à la place Tahrir, Maspero et parfois à Moustapha
Mahmoud selon le message à transmettre. Que les militaires
accèdent au pouvoir ou pas, que l`on demande à reporter la date
des élections parlementaires ou à faire pression sur les
médias pour ne pas divulguer certaines informations, tous les regards
suivent attentivement ce qui se passe dans ces quatre points
stratégiques du Caire. Il ne faut pas oublier un autre endroit, loin du
Caire et précisément à Charm Al-Cheikh. C`est là
où l`ex-président est hospitalisé. Rares sont les jours
où le terrain qui cerne l`établissement hospitalier connaît
le calme. Des commerçants, des fonctionnaires ou des citoyens y arrivent
des quatre coins de l`Egypte pour manifester, et dernièrement
même, les bédouins se sont lancés dans ce genre de
protestation même s`ils sont en petit nombre. « Dégage »
est le slogan porté haut et fort par les habitants de Charm Al-Cheikh
qui ne veulent plus que Moubarak séjourne dans cet hôpital. Ils
demandent à ce qu`il aille en prison tout comme n`importe quel citoyen
condamné pour des fautes graves. En fait, si tous ces endroits sont des
points vers lesquels se dirigent les manifestants depuis le 25 janvier, il y en
a d`autres dans tous les gouvernorats et qui sont
devenus des points de rassemblement : la mosquée
d`Al-Qaïd Ibrahim à Alexandrie, Midane Al-Arbéine à
Suez, les bâtiments du gouvernorat à Mansoura et Gharbiya, la rue
Talatini à Ismaïliya et la place Port-Saïd à Kafr
Al-Cheikh.
En fait, personne ne sait quelle est la raison du choix de ces
endroits. Pour la place Tahrir, il est normal de voir des gens s`y rendre, cela
ne semble pas nouveau. Cette place, fondée par le khédive
Ismaïl sous le nom de Ismaïliya, a connu au fil des années les
plus importants soulèvements populaires. L`événement le
plus fameux, c`est la révolution de 1919, c`est à partir de ce
moment-là que la place a porté son nom actuel et qui veut dire
« libération ». Alors, ce n`est pas bizarre de voir des
millions d`Egyptiens y venir pour déclencher leur révolution en
2011. Et probablement le choix d`Al-Manassa est dû à la relation
qu`a l`armée avec cet endroit où se trouve le tombeau du soldat
inconnu et où a eu lieu l`assassinat de Sadate. Quant à Maspero,
c`est un choix intelligent comme affirme Chahir, car c`est un point très
sensible de la capitale devant le bâtiment de la
Radiotélévision et sur la corniche. Les manifestants
là-bas savent qu`ils vont attirer l`attention des médias. Et ce
n`est pas tout, chaque jour, selon l`actualité on voit de nouveaux
endroits s`ajouter aux précédents. La mosquée d`Al-Hussein
au quartier d`AlAzhar a connu pour la première fois une manifestation la
semaine dernière organisée par les Frères musulmans qui
voulaient exprimer leur refus quant à la manifestation organisée
à Tahrir le même jour. Et chaque vendredi les gens se sont
habitués à suivre le flot de manifestants, ce qu`ils vont dire de
nouveau et à quel endroit.
Hanaa Al-Mekkawi
Semaine du 16 au 22 février 2011, numéro 858
Monde Arabe
Soulèvements . Les répliques de la
révolte en Egypte sont attendues partout dans le monde arabe. Au
Yémen comme en Algérie, les turbulences se font
déjà sentir. Même Bahreïn, petit pays du Golfe, sent
le chaud venir.
Quelle direction prendra le vent ?
Avec les révoltes tunisienne et égyptienne, le
président yéménite, confronté à une
contestation croissante, a annoncé le 2 février le gel des
amendements
constitutionnels qui lui auraient permis de se présenter
à nouveau à l`expiration de son mandat en 2013. Il a aussi
annoncé le report des élections législatives
prévues pour le 27 avril et dont la tenue, en l`absence de
réforme politique, était contestée par
l`opposition. Mais celle-ci a quand même réuni des
dizaines de milliers de personnes pour réclamer un changement de
régime.
Il s`agissait du plus grand rassemblement jamais connu contre
le régime du président Saleh, dont le pays est l`un des Etats
arabes les plus pauvres. Plusieurs milliers de manifestants, dont des
députés de l`opposition et des militants des droits de l`Homme,
avaient déjà manifesté vendredi 11 février le soir
à Sanaa pour célébrer le départ du président
Moubarak et réclamer la chute du régime du président
Saleh. Mais quelques milliers de partisans du Congrès populaire
général (CGP) avaient fini par les déloger de la place,
sans violence.
Le 12 février, des milliers d`autres ont
manifesté pour le départ du président Ali Abdallah Saleh.
La manifestation a été dispersée par des partisans du
parti au pouvoir, le CGP, armés de bâtons et de gourdins mais
aussi d`armes blanches.
« Après Moubarak, c`est le tour de Ali », ont
scandé quelque 4 000 protestataires, pour la majorité des
étudiants, en réclamant le départ du président au
pouvoir depuis 32 ans. Aux cris de « Dégage Ali ! », ou encore
« La révolution yéménite après celle de
l`Egypte », les manifestants ont défilé de
l`Université de Sanaa vers le centre de la capitale. Ils sont parvenus
jusqu`à la place Tahrir (la libération), où les partisans
du parti au pouvoir ont réussi à les disperser. Une nouvelle
manifestation le 14 février, tout comme celles qui se sont tenues au
cours des jours précédents, a été organisée
à l`initiative d`étudiants et de composantes de la
société civile. L`opposition parlementaire n`y était pas
associée. « Le peuple veut la chute du régime »,
répétaient les manifestants, reprenant le principal slogan du
soulèvement en Egypte. Raison pour laquelle le président
yéménite, Ali Abdallah Saleh, a reporté une visite aux
Etats-Unis prévue fin février.
Après une série de consultations, l`opposition
parlementaire yéménite a annoncé qu`elle acceptait de
reprendre le dialogue avec le pouvoir, suspendu fin 2010, après les
promesses de réformes annoncées par le chef de l`Etat. De sa
part, le Forum commun, une alliance de l`opposition parlementaire, s`est
déclaré prêt à signer cette semaine un accord-cadre
sur la reprise du dialogue national à tel point qu`il s`était
arrêté le 31 octobre dans le cadre du comité du dialogue et
à accepter les réformes annoncées récemment par le
président Ali Abdallah Saleh. En gage de bonne foi, le Forum demande au
président de limoger tous les membres de sa famille et ses proches
parents des postes de responsabilité qu`ils occupent dans
l`armée, la police, le gouvernement ou dans les conseils
régionaux.
Formidable dispositif de sécurité
De leur côté, les Algériens semblent
renouer avec leur tradition révolutionnaire. Une marche pour un
changement du système politique, organisée par l`opposition,
s`est cependant heurtée samedi à un formidable dispositif de
sécurité. Hasard de l`Histoire, cette manifestation
annoncée le 21 janvier lors de la création d`un large mouvement
d`opposition, la Coordination Nationale pour le Changement et la
Démocratie (CNCD), s`est tenue au lendemain de la chute du
président égyptien Hosni Moubarak. les manifestants ont
bravé les forces de l`ordre pour défier le pouvoir dans le centre
d`Alger et ils ne cachaient par leur fierté. « Nous avons
brisé le mur de la peur », a assuré Fodil Boumala, l`un des
fondateurs de la CNCD. « Ce n`est qu`un début ». Et si le
mouvement d`Alger, le plus important du pays, n`a rassemblé que quelques
centaines de manifestants, il n`en a pas moins été historique, a
relevé la presse. « C`est parti pour le changement », titrait
le quotidien libéral Liberté.
En Algérie, les contestataires insistent plus sur le
changement du système que sur le départ du président
Bouteflika, au pouvoir depuis 12 ans. Les lycéens réfutent un
programme scolaire trop chargé, les universitaires un enseignement
inadapté à l`évolution technologique, des milliers de
familles crient leur mal-logement, les jeunes réclament du travail car,
diplômés ou non, plus de 20 % d`entre eux sont chômeurs,
tandis que les employés veulent des augmentations pour faire face
à la flambée des prix.
L`Algérie est gouvernée depuis
l`indépendance en 1962 par un régime largement soutenu par les
militaires malgré de timides ouvertures à une
démocratisation. Et les Algériens restent par-dessus tout
traumatisés par plus de dix ans de violences islamiques qui ont fait
plus de 150 000 morts.
Toutefois les monarchies du Golfe semblent plus
rassurées par le vent de changement en cours, étant donné
la spécificité de leurs sociétés, beaucoup plus
conservatrices que l`Egypte et la Tunisie. Mais Bahreïn, un petit pays du
Golfe à majorité chiite et dirigé par une dynastie
sunnite, a été secoué dans les années 1990 par une
vague de troubles initiés par l`opposition chiite et qui a conduit en
2001 au rétablissement du Parlement élu, dissous en 1975, et
à l`instauration d`une monarchie constitutionnelle. Plusieurs dizaines
de manifestants se sont rassemblés à Nouidrat, un
village à l`est de Bahreïn, où un
rassemblement était prévu le 14 février dans
l`aprèsmidi à l`initiative d`internautes. La police
bahreïnie les a dispersés en faisant usage de gaz
lacrymogènes. « C`est votre chance d`ouvrir la voie à des
réformes politiques et sociales, notamment dans la ligne des changements
en cours au Moyen-Orient. Nous allons scander tous ensemble le 14
février : le peuple veut une réforme du régime »,
selon un texte mis en ligne sur le réseau social Facebook.
Inès Eissa
Semaine du 16 au 22 mars 2011, numéro 862
Arts
Musique . Utopia est le nouveau projet du groupe The Choir (la
chorale). Inspiré de la place Tahrir, ce projet est né pour
chanter les slogans de la révolution du 25 janvier.
La révolution en ch~ur
Ce n`est ni la République de Platon ni l`Eldorado de
Candide. Utopia, ce terme philosophique qui dénote un réel
idéal, inadmissible, voire inaccessible, acquiert un nouveau sens.
« Avant la révolution, le groupe The Choir (la chorale) avait
l`habitude de se réunir pour discuter de la situation du pays. On
imaginait une Egypte où tout est idéal et harmonieux. On parlait
alors d`utopie. Et la surprise fut que cette utopie dont on rêvait, on
l`a vraiment
trouvée à la place Tahrir durant la
révolution. Notre projet a donc bien démarré »,
explique Salam Yousri, fondateur du groupe, ainsi que la troupe
théâtrale Al-Tamye (la boue).
L`idée du projet émane d`une volonté
d`enregistrer les faits et d`une tentative de préserver
l`atmosphère de la place Tahrir, telle qu`elle a été
vécue par les membres du groupe. Ce, à travers les slogans que
l`on répétait sur place. « Nous avons choisi des slogans qui
expliquent pourquoi le peuple est sorti à Tahrir, et comment il
répétait des slogans vénérant les martyrs d`une
part et affirmant leur confiance en l`armée d`autre part. Cela, tout en
respectant l`ordre chronologique de leur apparition, car cet ordre souligne
sincèrement le cheminement des événements »,
explique-t-il. Ainsi, des slogans à l`instar de Taghyir, horriya et
adala egtemaiya (changement, liberté et justice sociale) ou Sawra sawra
hatta al-nasr, sawra fi kol chawarie Masr (révolution jusqu`à la
victoire, révolution dans toutes les rues de l`Egypte) sont
interprétés par la chorale avec une mélodie qui s`inspire
du maître de la chanson égyptienne Sayed Darwich. Le recours
à l`A cappella, en outre, enrichit la mélodie, très simple
et surtout très égyptienne, et rajoute de l`énergie et de
la vivacité à l`interprétation qui se transforme en
révolution. Une vraie.
« Nous avons écarté tout slogan empreint
d`hostilité à l`égard de personnalités bien
précises : la révolution ne s`est pas déclenchée
contre une personne donnée, mais plutôt contre un régime
établi depuis près de 30 ans et dont souffrait le peuple »,
souligne Salam Yousri.
En effet, Utopia est l`un des projets du groupe The Choir, qui
a vu le jour en mai 2010, en commençant par un projet intitulé
The Cairo complaints choir (la chorale des plaintes). Une initiative
internationale à l`origine et dont le point de départ
était en
Finlande, à travers deux personnes cherchant à
appliquer un proverbe finlandais qui veut dire : Au lieu de se plaindre, mieux
vaut chanter. Ensuite, c`est The proverbs choir (la chorale des proverbes) qui
prend la relève et qui s`est mise à dresser une chronique
à travers les proverbes égyptiens à connotation politique
ou sociale.
Vient ensuite le projet Utopia, qui est mis en marche à
l`issue d`un atelier qui s`est déroulé durant une semaine de
composition et d`improvisation collective, avec une vingtaine de personnes en
février dernier (juste après la révolution). Deux chansons
ont été créées : Utopia, qui décrit une
Egypte désirée et attendue après la révolution, et
Hayat al-midan (la vie sur la place) qui reflète, via les slogans,
l`atmosphère de la révolution et les revendications du peuple.
« C`est une invitation à ce que les gens se partagent les
rêves, les sentiments, mais aussi les idées », selon Yousri,
qui s`est produit récemment en groupe au Caire (au centre Rawabet).
Ce qui distingue Utopia des autres projets, c`est
l`état d`âme que partagent les membres de la chorale. N`est-ce pas
une opportunité permettant à toute une génération
de s`exprimer ? Il s`agit notamment d`une génération qui a connu
le sens de la révolution à travers les livres. Ce sens prend
corps grâce à une initiative artistique. On exprime
désormais la révolution comme on l`a connue et vécue.
Lamiaa Al-Sadaty