Thierry LACOMBE
Mémoire pour l'obtention du
Diplôme
Universitaire de Gérontologie
Année universitaire 2010-2011 Soutenu le 24
novembre 2011
Peut-on respecter l'identité
communautaire
de tous les résidents d'EHPAD
sans dérive communautariste ?
Directrice
Geneviève Laroque
Présidente de la Fondation Nationale de
Gérontologie
Remerciements
« L'identité sera convulsive ou ne sera pas
»
Max Ernst, Ecritures
Cette exploration d'idées, parfois un brin
impertinentes, fut un long voyage d'exploration dans des contrées
taboues, pourtant si riches, variées et dépaysantes. Un
récit de voyage que j'aurais voulu pouvoir retranscrire sans donner
prise aux extrémismes parfois très insidieux. Mais ce n'est pas
prendre un grand risque lorsque l'on a, à ses côtés, pour
guide, quelqu'un comme Madame Geneviève Laroque, Présidente de la
Fondation Nationale de Gérontologie, en tant que Directeur fort
disponible et passionnante. Je l'en remercie infiniment.
Ma reconnaissance va aussi à tous ceux qui m'ont
prêté main forte comme les centres de documentation du Conseil
général de Seine-Saint-Denis, de la Fondation Nationale de
Gérontologie et même les collègues et amis qui ont
accepté de relire et de réagir à certaines parties. Et des
réactions, il y en eu...
Il fallu un certain courage aux experts et acteurs de terrain
pour oser laisser leurs propos se figer dans l'écrit, et sans eux ce
mémoire serait dépourvu de toute substance, sertis de lieux
communs comme j'en ai tant entendus dans des propos tenus entre deux portes.
J'adresse donc toute ma gratitude au Dr Serge Reingewirtz, Mme
Thérèse Clerc, Monsieur Gérard Zribi, Mme Samira Dubreuil,
Monsieur Max Lefrère et à ma source d'inspiration et d'humanisme
: Hélène Lemery (LW) philosophe et poète.
Et bien sûr, mes remerciements au Conseil
général de Seine-Saint-Denis pour avoir contribué au
financement de ma formation.
Liste des sigles utilisés
AAH
|
Allocation aux Adultes Handicapés
|
AD-PA
|
Association des Directeurs au service des Personnes
Agées
|
AGGIR
|
Autonomie Gérontologique Groupes iso-Ressources
|
AMP
|
Aide Médico-Psychologique
|
APA
|
Aide Personnalisée à l'Autonomie
|
ARS
|
Agence Régionale de Santé
|
ASPA
|
Allocation de Solidarité aux Personnes Agées
|
BDSP
|
Banque de Données en santé Publique
|
CAFDES
|
Certificat d'Aptitude aux Fonctions de Directeur d'Etablissement
Social
|
CASF
|
Code de l'Action Sociale et des Familles
|
CIF
|
Classification Internationale des Fonctionnements
|
CIH
|
Classification Internationale des Handicaps
|
CNSA
|
Caisse Nationale de Solidarité pour l'Autonomie
|
CRAMIF
|
Caisse Régionale d'Assurance maladie
|
EHESP
|
Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique
|
EHPAD
|
Etablissement d'Hébergement pour Personnes Agées
Dépendantes
|
ESAT
|
Etablissements et Services d'Aide par le Travail (ESAT),
ex-Centres d'Aide par le Travail (CAT)
|
ESMS
|
Etablissements et Services Médico-Sociaux
|
ETP
|
Equivalent Temps Plein
|
FAM
|
Foyer d'Accueil Médicalisé
|
FNADEPA
|
Fédération Nationale des Associations de Directeurs
d'Etablissements et services pour Personnes Agées
|
FNG
|
Fondation Nationale de Gérontologie
|
GIR
|
Groupe Iso-Ressources
|
GMP
|
GIR Moyen Pondéré
|
HALDE
|
Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour
l'Egalité
|
LGBT
|
lesbiennes-gay-bi-ou-transsexuelles
|
MAS
|
Maison d'Accueil Spécialisée
|
MDPH
|
Maison Départementale des Personnes Handicapées
(remplace les Cotorep)
|
OMS
|
Organisation Mondiale de la Santé
|
PCH
|
Prestation de Compensation du Handicap
|
PHV
|
Personne Handicapée Vieillissante
|
PMP
|
Pathos Moyen Pondéré
|
RDAS
|
Règlement Départemental d'Aide Sociale
|
USLD
|
Unité de Soins de Longue Durée (USLD)
communément appelés Longs Séjours
|
Sommaire
Introduction 6
Situation clinique 9
Comptes-rendus d'entretiens avec des experts
14
Dr Serge Reingewirtz 15
Mme Thérèse Clerc 18
M. Gérard Zribi 21
Compte-rendu d'entretiens avec deux acteurs de terrain
22
Mme Samira Dubreuil 23
M. Max Lefrère 25
Interrogation d'une banque de données
bibliographiques 27
Résumé et analyse d'un article
29
Recherche et description d'un site pertinent sur ce
thème 33
Synthèse, conclusions et perspectives
37
Références bibliographiques 41
Annexes 43
Repères et définitions 43
Grille d'entretien 45
Requêtes et résultats sur la Banque de
Données en Santé Publique 47
Nombre d'occurrences par requêtes dans la Banque de
Données en Santé Publique 48
Article du « Junge Welt » traduit et publié
dans Courrier international 49
Charte diffusée auprès des
établissements Québécois (Août 2011) 51
Charte des droits et libertés de la personne
accueillie 52
Tableau des réactions défensives face aux
menaces identitaires 55
Résumé et mots clés 56
Introduction
« Dans l'équation sociale,
l'individu figure à la fois le zéro et
l'infini. »
Arthur Koestler, Le yogi et le commissaire
1. La problématique
Au cours de ma carrière de médecin, tant au
service des personnes handicapées du Conseil général de la
Seine-Saint-Denis, que des équipes d'évaluation des ex-Cotorep
(COmmission Technique d'Orientation et de Reclassement Professionnel) ou de
l'éphémère Prestation Spécifique Dépendance
(PSD), j'ai été plusieurs fois interpellé par la tension
qui semble opposer le besoin de reconnaissance de l'identité
communautaire des résidents des établissements
médico-sociaux et l'idéal d'un universalisme républicain
fondé sur une stricte application des principes d'égalité
et de laïcité.
Il n'en demeure pas moins que ce sujet semble soit trop
évident pour certains, soit suffisamment tabou et périlleux pour
d'autres, au point de me déconseiller fortement de m'y aventurer.
N'est-il pas possible d'aborder cette problématique sans remettre en
cause les principes républicains, ni flirter dangereusement avec des
notions xénophobes, antisémites, anticléricales... ?
Il est vrai que l'on pourrait légitimement s'attendre
à ce que la charte des droits et des libertés de la personne
accueillie (Article L. 311-4 du code de l'action sociale et des familles,
annexe 7) viennent balayer tous les écueils puisqu'elle constitue depuis
2002, une règle du jeu incontournable dans la relation entre les
résidents et l'institution médico-sociale. Il suffit pour s'en
convaincre de passer en revue certains titres de ses articles :
· Article 1er - Principe de
non-discrimination
· Article 2 - Droit à une prise en charge ou
à un accompagnement adapté (et individualisé)
· Article 4 - Principe du libre choix, du
consentement éclairé et de la participation de la
personne
· Article 6 - Droit au respect des liens
familiaux
· Article 11 - Droit à la pratique
religieuse
· Article 12 - Respect de la dignité de la
personne et de son intimité
Dès lors, la question ne semble-t-elle pas résolue
? Si c'est le cas, comment expliquer la création d'établissements
entièrement dédiés à un seul public (par exemple
confessionnels) ?
La loi n'autorisant pas de versement de fonds publics dans
les établissements qui ne seraient pas ouverts à tous (subvention
d'investissement, aide sociale à l'hébergement), les financeurs
publics exigent de ces structures d'ouvrir leur recrutement à d'autres
publics. Mais que penser du quotidien d'une personne âgée, ayant
sans doute perdu une partie de son entourage proche et qui se retrouve
minoritaire dans une communauté de culture qui n'est pas la sienne ?
Peut-on identifier les principes éthiques qui peuvent justifier le
financement public d'un accompagnement dans un établissement ou une
unité spécifique ?
Les débats sont vifs autour des craintes de repli
communautariste à propos de la reconversion des anciens foyers pour
travailleurs migrants alors même que ces personnes sont
sous-représentées dans la population des Etablissements pour
Personnes Agées Dépendantes (EHPAD). Et cela concerne aussi, par
exemple, un projet de structure réservée aux femmes à
Montreuil (Les Babayagas) ou les réactions parfois outrancières
qui ont suivi l'article de Courrier International au sujet de l'ouverture d'un
établissement réservé aux personnes dites LGBT
(lesbiennes-gay-bi-ou-transsexuelles) en Allemagne.
Si tous les Etablissements et Services Médico-Sociaux
(ESMS) destinés aux personnes âgées*
sont obligatoirement soumis à une autorisation (du Président
du Conseil général et du Délégué territorial
de
* Est un établissement (ou un service)
médico-social pour personnes âgées au sens de l'article L.
312.1 du Code de l'Action Sociale et des Familles, « Les
établissements et les services qui accueillent des personnes
âgées ou qui leur apportent à domicile une assistance dans
les actes quotidiens de la vie, des prestations de soins ou une aide à
l'insertion sociale » L'établissement est une personne de
droit moral public ou privé sans minimum de personnes accueillies.
l'ARS pour les EHPAD) seul l'âge y est un motif
d'inclusion ou d'exclusion. Donc toutes les personnes dites âgées
(actuellement 60 ans, sauf dérogation), en principe, quel que soit leur
état, handicapées ou non peuvent y être admises. Il n'y a
pas de conditions légales autres que l'âge...
Rien n'interdit l'ouverture d'une structure destinée
à une communauté à l'exclusion de toute autre citoyen,
dès lors qu'aucun financement public n'est sollicité, si ce n'est
ceux dont la personne aurait pu bénéficier à son domicile
(Aide Personnalisée à l'autonomie à domicile,
remboursement des prestations de soins...). A titre d'exemple, le
Président du Conseil général et le Directeur
départemental des Affaires Sanitaires et Sociales du Loir et Cher ont
autorisé, par arrêté conjoint, la création d'une
petite Unité de Vie de 12 places « Réservées au
clergé, prêtres, religieux, religieuses et personnes
consacrées »1.
2. Définitions
Dans la suite de ce travail, sera désignée par
« communautaire» l'identification en tant que membre d'un
groupe de personnes - la communauté (religieuse, culturelle, sociale...)
- partageant un ensemble d'affinités, de pratiques ou de codes culturels
à respecter.
Quant au terme de communautarisme, il convient d'en
déterminer le sens qui sera utilisé par la suite puisque les
principaux dictionnaires de la langue française divergent encore
totalement sur ce concept en 2011 :
· pour le Littré ce terme
n'appartient toujours pas à la langue française,
· pour le Petit Robert : «
Système qui développe la formation de communautés...
pouvant diviser la nation au détriment de l'intégration.
Antonymes : individualisme, universalisme »,
· pour le Larousse 2011 : «
Tendance du multiculturalisme américain qui met l'accent sur la
fonction sociale des organisations (ethniques, religieuses, sexuelles, etc.)
»
Le terme communautarisme est en effet apparu aux Etats-Unis
en 1980 pour désigner la philosophie dite « communautarienne »
qui tente de s'opposer à l'individualisme de la société
américaine accusée de laisser se dissoudre les liens sociaux et
de se perdre l'identité. L'homme serait toujours le produit d'une
culture et d'un milieu, il n'existerait pas indépendamment de ses
appartenances culturelles, ethniques, religieuses, sociales... Aussi
prône-elle la reconstruction des « Community » comme groupes
d'appartenance et de reconnaissance. En anglais le terme « Community
», recouvre un sens plus large que le terme français
communauté, et désigne toute forme de regroupement familiaux,
amicaux, locaux qui existent dans la société moderne.
Le terme est employé en France de façon plus
péjorative depuis une quinzaine d'années pour qualifier
l'attitude ou le mode de vie d'une communauté minoritaire devant
lesquels les idéaux républicains, égalitaires et
laïcs devraient s'effacer, au non d'un droit à la différence
revendiqué par ces minorités. Le terme apparaîtrait dans le
discours politique, comme propre à disqualifier et illégitimer
les revendications de certains groupes.
La conception dominante en France, repose principalement sur
la notion d'universalisme républicain, un des principes corollaires de
l'idéologie républicaine française selon lequel la
République est une valeur universelle puisqu'elle prône des
valeurs universelles, notamment les principes de liberté,
égalité, fraternité. Elles ont donc vocation à
être adoptées par tous les humains et appliquées
uniformément.
Toutefois, cette notion d'égalité des citoyens
a subi au cours du temps des aménagements législatifs successifs,
entre autres avec la notion de discrimination positive : financement
d'établissements scolaires privés religieux, quotas de
travailleurs handicapés dans les entreprises de plus de 20
salariés et recrutement possible directement sans concours, loi sur la
parité homme-femme, aumôneries financées sur le budget
hospitalier, statut particulier de certains départements comme le
Haut-Rhin où le concordat est toujours en vigueur...
De quels communautarismes parle-t-on ? De ceux fondés
sur la religion (le plus sensible en France depuis 1789), la culture, la
nationalité, le rapport aux lieux (quartier, ville...), la langue (dont
les dialectes régionaux), l'organisation et le mode de vie, le sexe,
l'orientation sexuelle, la sphère
professionnelle (artistes, travaux publics...) mais aussi les
revenus du patrimoine28. Ce dernier aspect
étant certainement le plus ancien (cercles privés, clubs, rallye,
réseaux sociaux, écoles réservées,
résidences sécurisées et même « gentrification*
»29 des grands centres urbains)
Chacun peut tour à tour être minoritaire ou
majoritaire, d'autant plus que le nombre de référents
identitaires, ce par rapport à quoi un sujet se définit, peut
être considérable.
Puisque ce terme est généralement pris dans son
acception négative dans le langage courant, nous retiendrons ici pour
« communautarisme », le fait pour une communauté
d'être plus ou moins hostile ou ségrégant par rapport aux
autres, et notamment au groupe que l'on pourrait qualifier de « dominant
», « principal » ou « majoritaire ».
3. La méthodologie
La méthodologie retenue respecte les directives
données dans le cadre du Diplôme Universitaire de
Gérontologie et sera l'occasion de visiter divers aspects communautaires
non exhaustifs :
· Etude d'une situation clinique : bien
que ne concernant pas à proprement parler une communauté, mais
une identité collective subie, l'accueil des personnes
handicapées vieillissantes sera un support pour tenter d'assoir des
critères de financements publics sur des notions moins subjectives que
celles de communauté/communautarisme ou de notion de besoins
· Entretiens avec les experts : une
communauté de culture israélite (Fondation Rothschild), une
communauté d'affinité de féministes (Les Babayagas), la
formation et l'éthique des professionnels (AFASER),
· Entretiens avec des acteurs de terrain :
deux directeurs d'EHPAD accueillant des personnes issues de l'immigration, mais
aussi des personnes sans domicile fixe.
· Interrogation d'une banque de données
bibliographiques : la Banque de Données en Santé
Publique (BDSP)
· Résumé et analyse d'un article :
de Courrier international sur l'ouverture d'un établissement
pour personnes âgées dites « LGBT »
(lesbiennes-gays-bi-transsexuelles) en Allemagne
· Recherche et description d'un site pertinent sur
ce thème : les opposants à toute forme suspectée
de communautarisme (Observatoire du communautarisme)
· Synthèse, conclusion et
perspectives
L'objectif de ce travail, n'est pas de passer en revue toutes
les spécificités de telle ou telle communauté. On pourra
sur ce thème se référer à divers ouvrages
généraux. Par exemple : sur les personnes handicapées
vieillissantes 2-3-4, sur les
migrants 5-6-7, et sur les
spécificités des principales religions
8-9-10.
Il s'agit d'envisager les raisons actuelles qui font qu'un
EHPAD ne serait pas forcément à même de répondre
à tous les besoins des usagers en matière de codes culturels,
religieux ou de prescriptions alimentaires... Et de recueillir le point de vue
des acteurs sur les limites qui peuvent se présenter, sur les
évolutions législatives ou les solutions innovantes qui leur
sembleraient importantes...
En bref, le dispositif et les moyens actuels offrent-ils la
possibilité aux EHPAD de préserver l'identité collective,
les liens et les pratiques communautaires ?
*
Gentrification : terme de sociologie, issu de
l'anglais gentry (petite noblesse), qui désigne le processus
par lequel le profil économique et social des habitants d'un quartier se
transforme au profit exclusif d'une couche sociale supérieure
(«embourgeoisement des centres urbains »).
Situation clinique
« Tout groupe humain prend sa richesse dans la
communication, l'entraide et la solidarité visant à un but commun
: l'épanouissement de chacun dans le respect des différences.
»
Françoise Dolto
Les établissements recevant des personnes
handicapées vieillissantes, sont les seules structures financées
par des fonds publics pour une population âgée dépendante
spécifique, si l'on exclue les services dédiés à la
prise en charge d'une pathologie spécifique (exemple : maladie
d'Alzheimer). Pourrait-il s'agir d'un paradigme qui permettrait une
déclinaison d'établissements dédiés à des
communautés ou peut-on en déduire des règles de
financement public ?
SITUATION
Nicole est une femme de 47 ans qui présente une
trisomie 21 avec une déficience mentale moyenne. Elle a eu un parcours
institutionnel (IM-Pro puis CAT jusqu'en 2005). Elle est actuellement en foyer
de vie. Depuis peu, son état se dégrade rapidement avec un
syndrome démentiel et une grabatisation. Aucun établissement
spécialisé pour personnes handicapées ne répond
favorablement aux demandes en invoquant le manque de places et son état
médical (elle relèverait d'une Maison d'Accueil
Spécialisée du fait de la lourdeur des soins médicaux). Le
public des établissements spécialisés pour personnes
handicapées vieillissantes est plutôt représenté par
des personnes déficientes mentales ou ayant un handicap psychique, pour
une moyenne d'âge inférieure à 70 ans. Les personnes
conservent une certaine autonomie à l'entrée permettant le
maintien d'activités.
Bien que le foyer de vie, où elle est accueillie, ne
soit pas médicalisé, celui-ci fait intervenir une auxiliaire de
vie matin, midi et soir, a loué un lève-malade et un lit
médicalisé. Ce qui ne suffit pas à empêcher la
survenue d'escarres.
Finalement, une Unité de Soins de Longue Durée
(USLD) accepte de la prendre dans une section qui accueille principalement des
personnes handicapées vieillissantes. L'établissement d'origine
met en place un transport et un accompagnement pour permettre aux
résidents qui le souhaitent de lui rendre visite.
Les personnes handicapées vieillissantes : une
identité collective subie qui ne constitue pas pour autant une
communauté
Il est possible de distinguer schématiquement divers
types d'identités.
L'identité individuelle (ou psychologique)
peut-être définie comme « la conscience qui
résulte de l'expérience propre à un sujet, lui permettant
de se sentir exister en tant qu'être singulier, différent des
autres », alors que l'identité sociale est
constituée « par l'ensemble des caractéristiques
personnelles ou comportementales, par lesquelles un individu
révèle son appartenance à un groupe
»11. Quant à l'identité
culturelle ou politique d'un groupe opprimé, elle
relèverait d'un partage social, d'un mouvement de résistance
permettant de se construire une identité collective et
individuelle positive. « Mettre en commun nos expériences nous
rend plus fort ».
A. Memmi4 rappelle que
l'identité est une construction de l'imaginaire, ce qui ne veut pas dire
dérisoire et fallacieuse, il s'agit bien d'une réalité
psychique dans le vécu de la personne. L'appartenance ellemême
à une tradition n'induit pas un mode de vie standard dans la mesure
où le sujet a une adhésion relative et limitée à ce
qu'il en connait et ce qu'il souhaite en respecter. I.
Levy9, rapporte que faute d'aborder la question des
croyances et de ses modes d'observance, des menus cashers ou halals sont
commandés systématiquement sur la seule consonance du nom ou sur
l'origine réelle ou supposée de la personne.
C'est que l'identité collective peut-être libre
mais aussi subie ou imposée. Dans le cas des personnes
handicapées, celle-ci n'est aucunement libre, mais imposée du
fait de l'inadéquation des structures de droit commun. Il n'y a donc pas
là une véritable communauté, au sens où on l'entend
habituellement. Le sentiment d'appartenance ne sera pas tant celui qui lie
à l'ensemble des personnes handicapées qu'à la
communauté de lieu de vie. Dans le cas clinique présenté,
l'enjeu n'était pas celui du maintien d'une identité
communautaire « personne handicapée » mais du maintien des
liens sociaux dans un environnement adapté.
Cette remarque vaut totalement pour les personnes accueillies en
EHPAD, et atteintes de la maladie Alzheimer. On ne peut pas dire, non plus
qu'elle revendiquent leur appartenance à un groupe.
Mais il est important de noter que le sentiment
d'identité persiste tant que le sujet « peut donner un sens de
continuité à la rupture et au changement
»12. Ce qui n'est pas le cas, par exemple,
pour une personne âgée entrant en EHPAD de manière non
préparée et trop brutale13. Par la
préparation, le maintien de l'identité sociale, du sentiment
d'appartenance peut contribuer à atténuer l'effet de rupture en
constituant un élément de continuité. Pour les personnes
handicapées mentales, ce changement d'identité collective et
concomitant de celui d'identité individuelle (de personnes
handicapées à personnes âgées) nécessite une
transition douce du fait de difficultés de compréhension et
d'adaptation chez un sujet qui ne s'est jamais préalablement
identifié comme âgé.
Le concept de Personnes Handicapées
Vieillissantes ne suffit pas, à lui seul, à définir des
besoins spécifiques
Sous la pression démographique, les autorités
administratives ont multiplié les réflexions sur les solutions
à apporter à une nouvelle catégorie administrative : les
Personnes Handicapées Vieillissantes (PHV)
En effet, la courbe d'espérance de vie des personnes
handicapées dessine des profils de mortalité tendant à se
rapprocher des courbes d'espérance de vie de la population
générale, ainsi, l'espérance de vie d'une personne
Trisomique 21 était de 9 ans en 1929, alors que de nos jours, 70 %
vivront au-delà de 55 ans. Le débat a fini par retomber sur un
consensus : il faut une palette de réponses diversifiées pour
s'adapter aux différentes situations individuelles dont des Foyer
d'Accueil Médicalisé (FAM) pour personnes handicapées
vieillissantes et des Petites Unités de Vie (PUV)
14.
Mais peut-on seulement définir une «
personne handicapée », sachant que ce terme
recouvre « un mille-feuilles » de situations
différentes, en fonction du type de handicap (mental, moteur,
sensoriel...), de la sévérité de celui-ci
(déficience mentale légère ou sévère..), de
son origine (de naissance, acquis à l'âge adulte...)
Il est donc impossible de dresser un tableau cohérent
et précis, y compris sur les besoins, ce qui n'empêche pas la
multiplication d'études dressant le tableau précis de la personne
handicapée vieillissante.
Le handicap est avant tout conditionné en France par
une reconnaissance réglementaire (Maison
Départementale des Personnes Handicapées ou CRAMIF). Ne peut se
prévaloir de ce statut pour accéder à un dispositif
spécifique, une personne qui n'en aurait pas préalablement
réclamé la reconnaissance administrative avant l'âge de 60
ans. C'est à la personne qu'il incombe d'en faire la demande, qui lui
permettra une fois admise en EHPAD (au titre d'une dérogation
d'âge) de bénéficier des avantages liés à ce
statut [pas d'obligation alimentaire, conserve un « reste à vivre
» de 30% de l'AAH (218 €) contre 10% de l'Allocation de
Solidarité aux Personnes Agées (77 €), recours en succession
uniquement et à condition que l'ayant droit ne soit ni l'un des parents,
le conjoint ou la (ou les) personnes (s) ayant assuré la charge
effective et constante de la personne].
Il n'existe pas non plus de modèle de vieillissement
qui serait spécifique de celui d'une catégorie de handicap,
même si l'on peut noter des caractéristiques retrouvées
dans certains cas. Par exemple : il n'existerait de vieillissement
précoce que pour les personnes trisomiques, polyhandicapées ou
épileptiques avec état de mal. Les personnes
handicapées moteurs seraient plutôt confrontées à
une usure articulaire. Tandis que dans la plupart des autres cas où les
effets du vieillissement ne sembleraient pas suivre une évolution
normale, il s'agirait de « régression », de «
désadaptation », de « rupture d'équilibre
précaire ».
En réalité, la majorité des foyers pour
personnes handicapées accueillent des personnes présentant un
handicap mental et/ou psychique. Et c'est bien de cette catégorie de
personnes dont il est question dans l'immense majorité des
débats. En effet, les EHPAD savent prendre en charge le handicap
physique ou sensoriel, mais sont mis en difficulté, principalement, par
certains troubles du comportement.
Ce n'est qu'en octobre 2010, dans son dossier technique, que
la CNSA fait le constat qu'il n'existe pas de définition de la personne
handicapée vieillissante et en propose une qui tente de tracer les
contours d'une figure polygonale sans doute trop complexe pour espérer
la voir se diffuser largement auprès des professionnels :
« Une personne handicapée
vieillissante est une personne qui a entamé ou connu sa situation de
handicap, quelle qu'en soit la nature ou la cause, avant de connaître par
surcroît les effets du vieillissement. Ces effets consistent plus ou
moins tardivement en fonction des personnes en l'apparition
simultanée:
· d'une baisse des capacités fonctionnelles
;
· d'une augmentation du taux de survenue des maladies
liées à l'âge, maladies dégénératives
et maladies métaboliques ;
· mais aussi d'une évolution de leurs attentes
dans le cadre d'une nouvelle étape de vie.
Cette définition impose une prise en compte du
vieillissement en tant que phénomène individuel, influencé
par l'histoire et l'environnement de la personne, se traduisant en termes de
perte d'autonomie. Un consensus se forme autour de l'âge de 40 ans,
à partir duquel la vigilance s'impose. »
L'accueil des personnes handicapées mentales
vieillissantes en EHPAD se heurte à des difficultés liées
aux besoins suivants :
a. Les troubles du comportement nécessitent notamment des
ratios d'encadrement importants (1,08 ETP en FAM* et 1,21 en
MAS contre 0,59 en EHPAD)
b. Des formations adaptées aux différents types
de handicaps, des suivis et des prises en charge, spécifiques de
certains handicaps (trisomie 21 par exemple) ; des difficultés à
faire la part de ce qui relève du handicap de celui du vieillissement
normal ou pathologique. La méconnaissance des professionnels ainsi
qu'une certaine peur vis-à-vis d'un tel public
c. Une transition douce du fait de difficultés
d'adaptation qui peut-être facilitée par « l'effet de
filière » (passer progressivement d'une structure à une
autre, gérées par la même association),
d. Un besoin d'animations et d'activités
occupationnelles plus importants, lié aux différences
d'âges (les personnes handicapées rentrent avant 60 ans alors que
la moyenne d'âge dépasse les 85 ans en EHPAD) et à la
différence d'autonomie (GMP en EHPAD souvent supérieur
à 600 sur 1000 alors que les personnes handicapées mentales
accueillies ont tendance à relever d'un GIR
5-615). De plus, les EHPAD offrent rarement un
accompagnement à la vie sociale suffisant dans leurs prestations.
* Les foyers d'accueil médicalisés (FAM) sont
des établissements financés par le Conseil général
pour la partie hébergement et par l'assurance maladie pour la partie
soin. Ils peuvent correspondre aux missions de l'EHPAD. Les Maisons
d'Accueil Spécialisées (MAS) sont des établissements
médico-sociaux financés par l'assurance maladie exclusivement,
destinées aux personnes nécessitant des soins constants. Elles
sont l'équivalent des Unité de Soins de Longue Durée
(USLD) hospitalières sauf en ce qui concerne le financement.
Le GIR moyen pondéré correspond au niveau
moyen de dépendance des résidents. Un GMP supérieur
à 300 correspond à un établissement
médicalisé.
e. Les différences de parcours entre les deux publics
(les personnes handicapées mentales ont souvent un parcours
institutionnel), de liens familiaux (pas de descendance mais une fratrie qui a
« hérité » d'une gestion de mesure de protection pour
les uns et descendance pour les personnes âgées)
f. Une confrontation à la fin de vie en EHPAD qui peut
s'avérer difficile à vivre pour une personne qui aura une
durée de séjour beaucoup plus
longue16.
g. Le rejet de la part des personnes âgées du
fait des comportements parfois trop démonstratifs par la recherche de
signes d'affection, ou de l'image dépréciative que leur renvoi le
handicap. De la part des familles aussi : « je ne mettrais pas mes
parents avec des fous » 17
Pour les résumer, les personnes handicapées
cumulent ainsi des freins à l'admission de 3 types :
· Des contraintes matérielles :
une prise en charge nécessitant des compétences techniques
spécifiques (des formations adaptées à chaque
catégorie de handicap), des moyens humains et financiers
adaptés.
· Une représentation sociale encore
péjorative générant une ségrégation
de la part des publics accueillis et de leur famille, ainsi que des craintes
des professionnels.
· La nécessité d'une transition
douce dans l'environnement humain notamment par rapport au public et
aux modes de prises en charge auxquels la personne a été
astreinte toute sa vie
Ces besoins sont difficilement conciliables avec les moyens
qui sont ceux des EHPAD pour pouvoir prétendre accueillir dans de bonnes
conditions toutes les personnes handicapées mentales et/ou psychique (ou
polyhandicapées).
Les surcoûts éventuels qu'entraine la prise en
charge des personnes handicapées mentales vieillissantes, ne sont pas
liés à un choix de vie mais bien à un
désavantage social du fait de l'inadaptation de
l'environnement.
Cela n'empêche pas de plus en plus d'EHPAD de pratiquer
l'accueil des personnes de moins de 60 ans. Cette cohabitation étant
présentée comme ayant l'avantage pour les personnes
âgées d'un milieu plus stimulant, d'une aide pour l'autonomie,
voire d'un soutien pour le personnel grâce aux petits services rendus.
Les personnes handicapées mentales y trouvent parfois une relation de
tendresse et de substitut du lien perdu avec les parents qui étaient
eux-mêmes âgés (l'admission se faisant assez
fréquemment au décès des parents).
Mais dans l'ensemble, le secteur gériatrique semble
insuffisamment adapté à la prise en charge des personnes
handicapées mentales et psychiques et celui des personnes
handicapées insuffisamment formé à la gériatrie.
La non-adaptation du dispositif de droit commun aux
personnes handicapées mentales vieillissantes relève d'un
désavantage social et non d'un choix ou d'une option.
Les personnes handicapées ont longtemps pâti du
modèle médical bâti sur les déficiences
(classification de Wood), obligeant les « patients » à adopter
un récit négatif, attirant la sympathie des professionnels, une
sorte d'auto-apitoiement orchestré par la société. Depuis
l'adoption de la classification internationale des fonctionnement (CIF)
adoptée par l'OMS en 2001, a permis l'émergence d'un
modèle social qui définit le handicap comme la résultante
de conditions environnementales pouvant être compensées
politiquement ou socialement, sans nier pour autant les caractéristiques
personnelles déficitaires. Dès lors, il n'existerait pas de
véritable différence intrinsèque entre les individus, et
il appartient donc à la société de réduire le
niveau d'incapacité par des aménagements techniques, sociaux ou
politiques11.
De fait, cela implique que toute personne handicapée
peut revendiquer l'accès aux dispositifs de droit commun, et c'est
déjà le cas avec la scolarisation par défaut, des enfants
handicapés dans l'établissement scolaire dont dépend le
domicile des parents. Il faut donc en conclure qu'une personne
handicapée ne peut se voir refuser l'accès à un EHPAD, du
seul fait de son handicap.
Il en découle que le principe mis en oeuvre par les
établissements recevant spécifiquement des personnes
handicapées vieillissantes, est celui de la compensation d'un
désavantage social, mais aussi celui de constituer un terrain
d'innovations exportables pour favoriser l'intégration, faire
évoluer la connaissance et les méthodes
d'accompagnement.
On peut dès lors s'interroger sur la pertinence qu'il y
aurait à maintenir un cloisonnement entre ce que la CNSA reconnait
être « deux cultures d'accompagnement des personnes
vulnérables : l'une s'attachant au modèle biomédical via
l'influence de la gériatrie et l'autre privilégiant un
modèle fonctionnel et une dimension environnementale du handicap
» Autrement dit, entre un modèle qui serait valorisant pour tous
(usagers et professionnels), et un autre qui dans l'imaginaire collectif se
limiterait à un accompagnement de la dépendance et des mourants.
Le fait que les établissements pour personnes handicapées
vieillissantes soient majoritairement gérés par des associations
de parents*, laisse imaginer la conception qu'elles ont
elles-mêmes des EHPAD.
La création d'unité de vie
spécialisées au sein des EHPAD est certainement une voie qui
permet une moins grande dichotomie entre les deux types accompagnements, tout
en permettant des rapprochements entre les personnes handicapées
elles-mêmes voire entre celles ayant fréquenté les
mêmes structures antérieurement.
Dans tous les cas, il est indispensable de mettre en place un
projet d'accueil spécifique et que la personne handicapée puisse
choisir son lieu de vie.
Première tentative de critères de
financement public
Les critères de financement public des
établissements médico-sociaux dédiés à une
population spécifique pourraient se résumer ainsi
(indépendamment des notions de communauté, de communautarisme ou
de besoins) :
1. Le projet est conforme aux valeurs républicaines de
liberté, d'égalité et de fraternités et respecte
les droits fondamentaux. Le projet d'établissement vise à
maintenir la richesse et la diversité des liens sociaux, ainsi que
l'intégration dans la cité
2. S'il déroge au principe d'égalité
d'accès à tout citoyen, c'est pour :
a. Répondre à un droit de compensation, un souci
de discrimination positive du fait d'un désavantage social
avéré sur des éléments objectivables et
objectifs
b. Une contrainte technique à laquelle il est difficile
de répondre dans le cadre du fonctionnement habituel d'un EHPAD, ou du
fait d'un surcoût trop important.
* Les associations de parents gèrent en France, 90 % des
établissements pour personnes handicapées contre 30 % de ceux
pour personnes âgées
Comptes-rendus d'entretiens avec des experts *
« Le fardeau supporté en groupe est une plume
»
Proverbe maure
Dr Serge Reingewirtz Président de la
Société Française de Gériatrie et de
Gérontologie d'Île-de-France Médecin Chef de la Maison
de Retraite et de Gériatrie de la Fondation Rothschild (AP-HP, Paris)
Les personnes âgées de la communauté
Israélite
Il existe 8 établissements en France proposant un
accueil spécifique pour les personnes de la communauté
israélite. La population des personnes israélites de plus de 75
ans, était estimée en 2008 à 11 000 personnes dont un
tiers relèverait d'EHPAD. Les spécificités de l'offre mise
en avant concernent : le respect des fêtes religieuses, le lieu de culte,
le respect des règles alimentaires et des accompagnements
spécifiques pour les victimes de la Shoah. Suivant le
site du Fonds Social Juif Unifié : « La question de la vie
juive en EHPAD prend alors tout son sens dans une approche même
thérapeutique de la personne. »
Concernant les règles alimentaires, elles sont
multiples et complexes : espèces animales illicites (porc, lapin...),
règles liées à l'abattage, à l'extraction de
parties interdites, à l'accommodage, aux mélanges, aux jours
saints, à la préparation par des personnes de confession
juive...9
Présentation de la Maison de Retraite et de
Gériatrie :
L'EHPAD a été fondé il y a 150 ans par la
famille Rothschild pour venir en aide aux personnes les
plus démunies, dont celles issues de la communauté juive.
Cette création s'inscrivait dans un contexte oüdeux
communautés étaient déjà fortement
implantées pour secourir « leurs pauvres » (protestante et
catholique, notamment avec Les Petites soeurs des pauvres)
Depuis la fondation a été cédée pour un franc
symbolique à l'Assistance Publique Hôpitaux de Paris (APHP) afin
de devenir un établissement public au conseil d'administration plus
ouvert. L'établissement comprend 510 lits.
Signataire d'une convention tripartite depuis 2003 et
habilité à l'aide sociale, certains usages perdurent toutefois,
comme en témoigne cette présentation sur le site internet de
l'établissement : « L'établissement est ouvert à
toute personne, sans discrimination quelle que soit sa race ou sa religion.
Mais il respecte la tradition juive avec la célébration du
Shabbat et des fêtes religieuses. Une synagogue, ouverte sur
l'extérieur, permet la célébration des offices au
quotidien. La restauration respecte les règles de la cacherout et il est
interdit d'apporter et de consommer des denrées non cachères dans
les espaces communs »
De nos jours, environs 70 à 80 % des personnes accueillies
sont d'origine juive.
Entretien
Pour le Dr Reingewirtz, il n'est certainement pas facile
d'aborder un tel sujet, et pour sa part, c'est la première fois qu'il
est amené à s'exprimer sur ce point, bien que les questions
posées lui semblent particulièrement pertinentes.
La persistance d'une communauté majoritairement
israélite, est attribuable aux missions qui étaient celles
à l'origine de la fondation, mais aussi à l'image positive dans
la communauté dont jouissent les établissements hospitaliers
créés par la famille Rothschild (de la maternité à
l'EHPAD), et à la croyance fortement enracinée dans les esprits
des professionnels qu'il s'agit d'un établissement réservé
aux personnes de confession israélite.
L'une des particularités architecturales demeure la
présence d'une synagogue en fonctionnement et ouverte sur
l'extérieur. Mais malgré la possibilité d'un lien
intergénérationnel, on remarque que peu de résidents la
fréquentent véritablement.
Quant à l'alimentation cachère (notamment sans
porc, ni lapin), cela peut s'avérer un véritable
frein culturel à l'ouverture sur d'autres publics, même s'il
est possible de consommer d'autres aliments dans
* La grille d'entretien figure en annexe 2 Source :
www.prevenance.org
les espaces privés. Toutefois, la mise en garde lors
d'une visite médicale d'admission, est parfois perçue, y compris
par des travailleurs sociaux, comme une façon insidieuse
d'écarter d'autres publics. Aussi, de tels établissements
préfèrent ne pas trop mettre l'accent sur les règles
alimentaires. Tout au plus, préciset-on lors de l'admission qu'il existe
une forte communauté israélite pour limiter les réactions
antisémites. Certains l'acceptent dans un premier temps, pour le
contester une fois admis, plongeant la direction dans l'embarras.
Bien sûr, il est possible pour tout EHPAD de commander
des repas cachères, ce qui inclus les couverts pour les plus orthodoxes.
Mais dans l'état actuel des contraintes qui pèsent sur ceux-ci,
lesquels seraient véritablement prêts à s'engager dans une
telle démarche ? D'autant que cela a un coût, et l'on peut
toujours s'interroger sur le financement de ce surcoût. Est-ce à
la collectivité de prendre en charge ces dépenses
supplémentaires (ce surcoût est négligeable lorsque le type
d'alimentation est le même pour tous les résidents) ?
D'autres sujets peuvent s'avérer délicats comme
la célébration des fêtes, même si le fait de toutes
les célébrer quelque soit la religion ou la culture, pourrait
être l'occasion d'animations festives et variées tout au long de
l'année. C'est une opportunité pour renforcer les liens par une
meilleure connaissance réciproque. Ainsi, la question d'un sapin de
Noël s'est avérée délicate, alors même que la
fête de Noël s'est largement déchristianisée. Un tel
établissement à pu trouver une parade, en remplaçant le
controversé sapin par un « marché de Noël » plus
consensuel, et sans doute plus conforme à l'esprit du citoyen
consommateur. Mais le débat est rarement le fait d'un échange,
d'un partage avec l'ensemble du personnel, des résidents ou de leur
famille. Cet arbitrage est trop souvent laissé à la seule
appréciation du directeur qui examinera d'abord la situation au regard
de ses propres convictions, puis de celles de l'institution, de l'usager et
enfin des réactions possibles des familles.
La tendance actuelle, dans le médico-social, est de
mettre plutôt l'accent sur les prestations, et sur les valeurs
individuelles. Les lois de 2002 et 2005, dont la Charte des droits de la
personne accueillie, ont consacré l'usager en tant que consommateur
ayant des droits. Cet aspect est à mettre en lien avec une tendance
sociétale à la victimisation où chacun peut se sentir
spolié et exploité par « l'Etat ». Dès lors, la
minimisation des risques judiciaires est un objectif impératif pour
l'institution, ce qui ne veut pourtant pas forcément dire «
zéro risque » pour la personne âgée. On observe un
calibrage des interventions et de la gestion des établissements.
La tentation est donc grande d'écarter toutes
aspérités, de gommer les différences, les signes
distinctifs. Pourtant, lutter contre le communautarisme, c'est d'abord
accueillir la différence. Le Dr Reingewirtz a visité en
Israël, un établissement privé lucratif recevant des
financements publics qui accueillent des personnes juives, chrétiennes
et musulmanes. La structure fonctionne plutôt bien depuis des
années, sans problèmes particuliers. Toutefois, la
prévention de tout risque de confrontation entre ces publics, en
reléguant une partie de la vie et de la personnalité de ses
résidents à leurs espaces privatifs, fait perdre un peu de ce qui
constitue la vie et la dynamique d'un groupe à travers sa
diversité.
Mais que veut la personne âgée ? Et que cherchent
les personnes qui font le choix d'entrer dans un établissement ayant une
forte orientation communautaire ? C'est avant tout une culture plus qu'une
religion. Pour certains, il s'agit de « Venir chez les miens
». Certaines familles annoncent à leur parent : «Tu
verras, tu seras bien. Ici, il y a des gens du quartier » : une
façon de chercher à atténuer le sentiment de
culpabilité.
Mais qu'est-ce que « les miens » quand sont
présents, comme à la Fondation, près de 30
nationalités parlant une vingtaine de langues ? Qu'est-ce qui est commun
? Ce serait, pour le Dr Reingewirtz, cette tradition juive qui respecte l'autre
et porte en elle une valorisation de l'échange et du partage.
Une tradition qui serait donc loin de menacer les
règles inhérentes à la laïcité, aux valeurs
républicaines puisque dans le judaïsme, « la loi est avant
tout celle du pays» dès lors qu'elle ne s'attaque pas aux
croyances des individus. On pourrait même y voir une voie
d'intégration.
Mais on vient y chercher aussi, comme dans tout EHPAD, la
sécurité, la réassurance, une présence tendre,
chaleureuse et familière. Ceux qui ont une famille la réclament,
ceux qui n'en ont pas la recherche dans le personnel. Ce qui n'est pas
simple à gérer si l'on veut respecter la nécessaire
distance
que les professionnels sont tenus de maintenir dans leurs
rapports avec les usagers. Quant aux familles, leur demande serait plutôt
: « Occupez-vous en bien mais ne prenez pas ma place !»
Certes, il peut arriver que la personne vienne avec son
intolérance, mais elle va surtout tester le degré de confiance
qu'elle pourra avoir. Et ce test prend la forme d'un questionnement sous-jacent
: « Est-ce que tu sais quelque chose de moi ? » Le Dr
Reingewirtz se souvient d'une résidente qui avait gommé toute
trace de judéité jusque dans son nom et qui refusait d'être
considérée comme telle. Au bout de quelques temps, à la
faveur d'un reportage sur les victimes de la Shoa, elle choisit
spontanément de témoigner, à la grande surprise de tous.
Pendant toute sa vie, le traumatisme était resté aussi vif que
pendant les années d'occupation, et c'est dans ce cadre
sécurisant qu'elle avait pu reprendre confiance, car de tels
traumatismes sont certainement l'une des caractéristiques de cette
communauté.
Dans une optique plus large, on peut dire que c'est un sens de la
vie qui est recherché, car « quand les gens ne trouvent plus de
sens à leur vie, ils finissent par s'en aller. »
Pour qu'un établissement fonctionne harmonieusement,
plusieurs points sont importants : définir le public que l'on
reçoit, avoir « un croire », savoir rappeler
constamment les limites.
Les missions et les limites des EHPAD n'ont jamais
étaient fixées précisément, peut-être parce
que cela impliquait de mettre en face les moyens nécessaires. A qui
s'adressent les EHPAD et jusqu'où accueillir quand 90% des
établissements n'ont pas d'infirmière de nuit ? Pourtant il n'est
pas possible de construire un projet d'établissement sans définir
le public que l'on accueille. La gestion du multiculturalisme à un
coût, et même un surcoût, comme on le voit dans les pays qui
reconnaissent les communautés et acceptent de prendre ces besoins en
compte.
« Le croire », c'est affirmer ses valeurs,
avant tout dans la République et dans le service public. Ce qui
constitue en soi une véritable religion. Quant on a peu de moyens et que
l'on fait un métier peu lucratif, il est essentiel pour l'équipe
d'être sur d'autres valeurs. L'affirmation des valeurs
républicaines est souvent négligée dans les
établissements publics.
Toutefois, il incombe au Directeur de percevoir rapidement les
débordements et de continuellement rappeler les limites. Il existe des
juifs racistes anti-noirs, comme il existe des professionnels
antisémites, et il est même arrivé de retrouver des croix
gammées sur les murs intérieurs de l'établissement.
Il ne semble pas y avoir eu d'évolution dans les
demandes communautaires. La plupart des personnes accueillies sont nées
dans les années 30 et 40, donc avec des schémas mentaux sans
doute différents des générations suivantes. Les EHPAD
communautaires ne sont pas non plus une nouveauté : il y en a eu pour
les artistes, les ouvriers du bâtiment, les Russes... sans parler des
catholiques et des protestants. Au départ, ce sont sans doute les
promoteurs qui projettent leurs besoins.
La question qui se pose de plus en plus souvent pour les
gestionnaires de telles structures, est sans doute: « Est-ce que ça
a toujours un sens de maintenir un établissement communautaire
aujourd'hui ? » Mais le débat n'est pas aisé parce que
l'affichage est susceptible de remettre en cause les financements publics. La
HALDE*, elle-même, reconnaît qu'il s'agit d'un sujet
« particulièrement sensible et délicat » avec un risque
de judiciarisations important.
Le Dr Reingewirtz pense que « la force d'un tel sujet,
c'est la question et ce qu'elle renvoie », et conclut :
« La vie, c'est la cohabitation de la
diversité. La monotonie, c'est la mort »
* HALDE : Haute Autorité de Lutte contre les
Discriminations et pour l'Egalité
« Les conceptions divisent ; L'expérience
rassemble. » Rassemblement Inter-traditions, Savoie 1997
Mme Thérèse Clerc Initiatrice
de la Maison des Babayagas (Montreuil)
Thérèse Clerc est militante féministe,
fondatrice de la Maison des femmes de Montreuil (Seine Saint-Denis),
initiatrice de la Maison des Babayagas*, un projet fondé sur
4 piliers : autogestion, solidarité, citoyenneté, écologie
et réservé exclusivement aux
femmes18.
Les Babayagas, militantes actives de la cause féministe
depuis de nombreuses années, revendiquent ouvertement la parenté
de leur projet avec le mouvement chrétien des Béguines
fondé au 12ième siècle qui se répandit
dans le nord de la France, la Belgique, les Pays Bas et l'Allemagne et qui a
compté jusqu'à 1 million de femmes.
Ces femmes qui avaient choisi de vivre ensemble dans un
habitat individuel regroupé autour d'une salle commue et d'un jardin
intérieur, revendiquaient leur statut de laïques, affranchies de
toute tutelle masculine : paroissiale aussi bien que des ordres religieux.
Malgré la condamnation pour hérésie dès 1311, la
dernière béguine s'est éteinte en 1930
19.
Le projet reprend le concept d'habitats individuels,
d'autogestion (pas celui d'autosuffisance financière puisque des
financements publics sont sollicités, bien que les futures
résidentes pourront faire valoir leurs droits aux aides versées
à domicile), cooptation, fort engagement dans la vie de la
communauté: chaque personne doit désigner, dès son
arrivée, sa personne de confiance parmi les
résidentes, et cet acte sera cosigné par la Présidente de
l'association.
L'immeuble doit comprendre 25 logements de 28 à 44
m2 répartis sur 6 étages et équipés pour
être « accessibles et adaptés à des personnes
âgées » (4 seront réservés à de
« jeunes femmes »). Bien que le bâtiment appartienne
à l'OPH de Montreuil qui en est le bailleur, l'association gérera
la vie de cette structure, qualifiée par le promoteur lui-même,
d'innovante. La solidarité entre occupantes se manifestera soit sous la
forme d'un devoir d'aide dans l'accomplissement des gestes de la vie
quotidienne en direction des moins autonomes, soit sous forme financière
en cas de difficultés grâce à la mise en place d'une
tontine à laquelle contribueront mensuellement celles qui en auront la
possibilité.
Pour Mme Clerc « la construction d'une institution ad
hoc, genre MAPAD, non loin du projet des Babayagas serait fort bien venu.
» (Le Monde, 2003)
Simone Veil, séduite par le projet de la Maison des
Babayagas, a salué cette "idée portée par des femmes
qui ont envie de vieillir ensemble, de se soutenir les unes et les autres"
et qualifié cette initiative "d'importante pour la
cité".
Imaginé en 1995 et initié en 1999, ce projet a
connu de nombreux déboires notamment du fait de la difficulté de
trouver des financeurs et, pour le Conseil général,
compétent en matière d'autorisation d'établissements
médico-sociaux pour personnes âgées, de qualifier un tel
projet (logement social ? Foyer logement ? EHPAD ?)
La crise sanitaire liée à la canicule de 2003, a
remis ce projet sous les feux de la rampe médiatique et la Maison des
Babayagas a reçu l'appui des Maires successifs de la commune (Jean
Pierre Brard, Dominique Voynet), de 2 Vices présidentes (respectivement
du Conseil Régional et du Conseil général), du Directeur
de l'OPH de Montreuil, de Marie George Buffet, Edgar Morin, Michel Rocard...
C'est le 15 octobre 2011 qu'à été posée la
première pierre en présence des élus de la Ville, du
Conseil général et de la Région.
* http://lamaisondesbabayagas.fr/
La personne de confiance accompagne et aide la personne
dans ses démarches médicales, et doit être consultée
(sauf opposition préalable du patient) en cas d'empêchement de la
personne avant toute décision médicale (art. L. 1111-6 du code de
Santé Publique)
Madame Clerc, refuse le qualificatif d'EHPAD, de maison de
retraite et de foyer logement, il s'agit de logements regroupés ou selon
ses termes : « d'un habitat solidaire entre femmes de
différentes générations qui ont choisit librement de vivre
entre elles, en dehors de toute présence masculine ». L'EHPAD
reproduirait un schéma de représentation masculin du rôle
des femmes malgré la présence d'un public majoritairement
féminin, la féminisation du personnel y compris de direction :
activités occupationnelles peu gratifiantes (goûters, jeux de
société...)
C'est aussi la société elle-même qui est
mise en cause par « sa vision compassionnelle des vieux »,
sa « marchandisation des personnes âgées »,
« soumises », réduites à leurs
dépendances et leurs déficiences qu'il conviendrait de prendre en
«charge ». C'est cette attitude qui générerait
la dépendance qu'il serait possible d'éviter, ou plutôt de
refuser comme inéluctable.
L'avancée en âge serait une façon de
continuer à « restreindre insidieusement la surface sociale des
femmes », pas seulement en institution mais en cantonnant celles-ci
à s'occuper de leurs parents âgés au détriment de
leur propre vie (« Ce sont rarement les fils qui s'occupent de leur
mère dépendante »), mais aussi à des emplois
sous qualifiés et précaires.
Mme Clerc se revendique comme une utopiste souhaitant
promouvoir une vision à long terme pour un public qui doit être
ambitieux et peut se faire entendre puisqu'il représente un poids
électoral qui va croissant avec le vieillissement
démographique.
Parce que « ces vieux ne vivent plus du capitalisme
sauvage, ont du temps et un peu d'argent, ce qui les placent à
l'avant-garde »
Le discours de Mme Clerc est très fortement militant et
repose sur des constats ou des ressentis qui sont largement recevables, et ont
séduit à ce titre de nombreuses personnalités
principalement politiques.
De fait, le principe de liberté autorise
légitimement des femmes qui le souhaitent à se regrouper,
dès lors qu'elles ne constituent pas un établissement
médico-social (établissement regroupant des personnes
âgées et liant le logement à la fourniture de services).
L'utopie sociale revêt un caractère sympathique,
et l'on ne peut qu'abonder à la volonté de créer un espace
respectueux de l'environnement, et fonctionnant sur le principe de
solidarité. D'autant que Mme Clerc souhaitait un espace ouvert sur la
ville grâce à l'organisation d'une université intra muros
à laquelle auraient pu participer des hommes.
Mais c'était sans compter sur l'extrémisme des
Babayagas qui contestent cette ouverture et sur la dissension qui allait naitre
en 2011. Mme Clerc dépassée, soutient toujours le projet, tout en
ne faisant plus partie de l'association, et l'habitat sera donc la reproduction
du modèle originel, celui des béguinages. Ce qui faisait dire
à la journaliste Hannelore Cayre, sur France Info, le 1er mai
2011 que le projet serait finalement « Un serein béguinage
plutôt qu'une utopie déchainée »
Preuve que, si l'expérience rassemble, les conceptions
finissent par diviser. Tout projet même utopiste, demande à
être construit sur des besoins pour permettre aux projets individuels,
même informels, la plus large déclinaison possible des souhaits
des futurs résidents.
C'est principalement dans l'entraide pour l'exécution
des gestes de la vie quotidienne que s'exercerait la solidarité. On peut
toutefois s'interroger sur le niveau de participation qui sera demandé
aux 4 jeunes femmes qui partageront le quotidien des 21 dames
âgées : à terme, ces personnes pourraient bien avoir pour
seul revenu que le reversement de l'APA à domicile, et constituer le
personnel d'un établissement de fait.
Toutefois, on peut noter que le discours cherche à
légitimer le projet quitte à engendrer quelques contradictions.
Ainsi, le projet s'adresse à des femmes, uniquement veuves,
divorcées ou célibataires, « car ce sont les personnes
ayant souvent le moins de ressources », mais aucune condition de
ressources n'est prévue dans les statuts. Dans sa biographie officielle,
le discours de Mme Clerc est parfois plus radical : la présence d'hommes
ou de couples serait comme « un kyste dans un milieu
homogène »20 La notion même
d'innovation est surprenante pour promouvoir un modèle qui a
fonctionné pendant 900 ans, la dimension chrétienne en plus
...
Pour autant, les 2 millions de budget ont été
trouvés, en partie grâce aux financements publics. En 2009, par
exemple, le Conseil régional a voté 275 000 € au titre d'une
subvention pour structure innovante en
direction des personnes âgées* et 74
144 € pour la promotion d'un bâtiment à basse
consommation. De même le Département à
versé une subvention de 88 000 €. Quant au bailleur et aux
organismes compétents pour l'attribution de logements sociaux, ils
abandonneraient tout droit de regard sur les attributions. Malgré les
déclarations, l'OPH de Montreuil n'affiche pas ce projet sur la
cartographie des réalisations prévues sur son site Internet.
Communautariste la Maison des Babayagas ? A cette question Mme
Clerc oppose que 80 % des femmes qui se présentent à la Maison
des femmes de Montreuil arrivent dans la douleur, voilées,
excisées... Le refus de la mixité serait une façon de les
protéger de leurs familles.
S'il est du respect du droit de tous les citoyens, quelque
soit leur âge, d'organiser leur vie comme ils l'entendent, il semble que
les garants des valeurs républicaines, hommes politiques en
l'occurrence, soient saisis d'un état de sidération
médiatique. On ne trouve aucune critique officielle du projet,
même si certains professionnels pensent malgré tout qu'il ne se
fera pas. Tout au plus, l'Observatoire du communautarisme notait-il dans ses
brèves, le 31 mars 2005, que le Maire de l'époque (Jean Pierre
Brard) venait de soutenir le projet après avoir interdit un
défilé de mode musulman réservé aux femmes.
Même si le concept de foyer non mixte n'est pas nouveau,
aucun habitat individuel aussi radical dans son concept n'avait jusqu'alors
été financé. Le risque est que cette ouverture soit
perçue comme un nouveau paradigme social qui autoriserait toute
communauté à mettre en place un habitat communautariste avec des
fonds publics, c'est-à-dire excluant une partie de la population,
refusant une partie des valeurs républicaines, et remettant en cause le
fonctionnement de la société elle-même.
Pour autant, le projet ne peut se prévaloir de
discrimination positive ou de compensation en faveur d'un public
défavorisé pour lequel les solutions existantes seraient
inappropriées, comme c'est le cas pour justifier les lois sur la
parité hommes-femmes ou la lutte contre la violence faite aux femmes.
Pas plus que cette expérimentation sociale ne permet d'envisager,
à terme, une évolution dans le domaine de l'accompagnement des
personnes âgées dans la mesure où il ne s'avère pas
transposable à d'autres publics.
La pression médiatique, les enjeux
électoralistes, la tentation de la facilité des prises de
positions extrêmes, faute de vigilance citoyenne, semblent pouvoir avoir
raison des débats éthiques. Mais il serait dommage que le concept
de logements regroupés et d'habitat solidaire puissent faire les frais
d'une utopie plus revancharde que constructive.
* Délibération CP 09 - 893
Délibération CP 09 - 1222
« Il avait du bon sens, Le reste vient ensuite.
» Jean de La Fontaine, Le berger et le roi
Monsieur Gérard
ZribiDirecteur général de l'AFASER
Monsieur Zribi est directeur général de
l'AFASER, une association gestionnaire d'établissements et services pour
personnes handicapées en Région parisienne. Président de
l'Association Nationale des Directeurs et Cadres d'ESAT (ANDICAT), il est
l'auteur de plusieurs ouvrages sur les handicaps, notamment sur le
vieillissement des personnes handicapées14
parus aux Presses de l'EHESP. Docteur en psychologie, ayant
débuté sa carrière comme éducateur, il a
été chargé d'enseignement dans le cadre du CAFDES, et
siège dans plusieurs instances nationales représentatives.
Son analyse porte ici, plus sur le rôle du directeur
comme garant de la diversité culturelle, mais pose aussi un constat sur
la réflexion éthique qui pourrait sans doute être
élargi aux positionnements politiques et à celui des financeurs
si l'on se réfère au projet cité
précédemment.
Pour Monsieur Zribi, il existe des « thèmes
d'intimidation », des sujets de blocages, des questions qui
n'appellent généralement qu'une réponse extrême de
la part de l'interlocuteur : la tentation de la facilité qui consiste
à liquider le sujet. Il en va du communautarisme comme de la question de
la réanimation néonatale des grands prématurés et
de ses conséquences en matière de handicap.
Aux questions sur le communautarisme ou la
laïcité, certains proposent une réponse si égalitaire
qu'elle en gomme toutes les différences, alors que d'autres renvoient
à des solutions aussi spécifiques que ségrégatives.
Dans les deux cas, il s'agit bien, par le refus des spécificités
de chaque être humain, de nier la singularité de l'individu,
là où, dans un vrai collectif, la singularité devrait
trouver toute sa place, et même s'y trouver protégée. Car
spontanément, nous avons tendance à fabriquer de l'exclusion. Un
psychiatre faisait un jour ce commentaire plutôt cynique : «
Finalement, ils sont mieux entre eux ! »
Les formations, pourtant utiles, recréent facilement
leur propre exclusion en donnant l'illusion que désormais, la personne
formée sait ce qu'est « un juif », « un catholique »
ou « un musulman » : une nouvelle catégorisation, une
généralisation. Une formation ne dispense pas d'une approche
empathique. Car la réalité de chacun est différente.
Monsieur Zribi cite le cas d'un père maghrébin qui ne
reconnaissait pas, devant sa famille et les professionnels, les troubles du
comportement de son fils handicapé psychique ainsi que la
nécessité d'un suivi et d'un traitement. En discutant, seul
à seul avec cet homme, il s'effondra en larmes, en avouant qu'avec sa
femme, ils étaient battus tous les jours : culturellement, il ne lui
était pas possible d'en parler en groupe, mais humainement, il
était possible de décoder quelques signaux. A la suite de cela,
la famille donna son accord et un suivi psychiatrique pu être mis en
place.
Pourtant, les questions communautaires constituent bien un
sujet de réflexion d'éthique et mérite de repenser les
pratiques professionnelles. Chaque directeur d'EHPAD (ou de toute structure
médicosociale) devrait être formé à ce type de
réflexions et aborder un minimum de sciences humaines. Malheureusement,
cette dimension n'existe pas dans la formation du CAFDES qui prépare
essentiellement des gestionnaires, plus que des créatifs, en donnant la
primauté aux questions de comptabilité.
Plus valorisé par un discours de gestion
financière que par celui des sciences humaines, le directeur est
désarmé, par exemple, pour affronter les questions de
sexualité en établissement. Plutôt que de former à
des techniques ou à des recettes, il s'agit d'acquérir un minimum
de méthodologie pour construire ses propres références
éthiques, se les approprier et savoir les remettre
régulièrement en question. Car il n'y a jamais de solution
définitive. Et là, existe un vrai problème : une
pénurie de bons candidats pour prendre la direction des
établissements.
Plus largement, c'est le secteur médico-social tout
entier qui est entré dans la culture des référentiels, des
normes-iso, des bonnes pratiques, qui incite à cocher des items pour
s'exonérer d'une démarche personnelle et individualisée,
forcément plus complexe.
Le droit de vivre ensemble ne devrait pas se voir opposer des
conditions préalables à un accueil, comme : avoir un projet
d'établissement spécifique, avoir travaillé le sujet et
formé ses équipes. L'occasion d'un nouvel accueil fournit au
contraire une opportunité de travailler un accompagnement
individualisé en temps réel, en situation, de manière
concrète, pratique et personnalisée.
Pour Monsieur Zribi, il n'est pas non plus indispensable de se
relier préalablement pour pouvoir vivre ensemble.
Le projet d'établissement doit définir les
valeurs qui fondent toute intervention et permettre la déclinaison de
projets individualisés et singuliers, tout en excluant les
manifestations de racisme et de rejet de l'autre. Car il y a le « vivre
ensemble », mais aussi l'interdit, et il est de la responsabilité
du directeur d'être particulièrement vigilant et d'arrêter
immédiatement tout franchissement des limites, tout écart verbal,
ou plaisanterie douteuse.
Bien sûr, la diversité, et pas seulement religieuse,
peut être une occasion d'animations. Même la différence des
couleurs de peau peut-être une opportunité de festivités
Il existe des limites, mais qui viennent le plus souvent des
résistances du personnel que des résidents eux-mêmes. Dans
de rares cas, ce sont des signes religieux ostentatoires. Mais inversement, une
conception trop étroite de la laïcité conduit certains
professionnels à refuser d'accompagner une personne non autonome dans sa
pratique religieuse.
Monsieur Zribi cite le cas d'un éducateur qui
après avoir accepté d'accompagner une personne handicapée
psychique à la messe, se trouvait extrêmement gêné de
ce que le résident ait pu interrompre l'office en levant le doigt pour
poser une question sur la masturbation. Finalement, une discussion entre la
personne handicapée, l'usager et le prêtre suffisamment
compréhensif, aboutit à un modus vivendi : après chaque
office, la personne handicapée avait droit à quelques minutes
pour poser, en a parte, toute les questions souhaitées.
Il convient de distinguer ce qui relève de
l'accompagnement à la pratique religieuse (travail de l'accompagnant),
de ce qui est du domaine de l'éducation religieuse.
Pour mettre en oeuvre un projet qui permette à chacun de
trouver sa place, il n'y a pas de solution toute faite, mais la démarche
repose sur plusieurs points :
1. Définir ses valeurs
2. Etablir des garde-fous, des limites
3. Se donner les moyens
4. Travailler les formations
5. Rappeler les questions d'éthique et rester vigilant
face aux dérives possibles
Mais cela sous-entend aussi une volonté et une
détermination de la part du directeur ou du porteur de projet. A titre
d'exemple, le prix des repas plus élevé, demandé par les
prestataires, dans le cas d'une alimentation cachère ou halal, serait un
faux problème. Il y a toujours moyen de négocier, surtout avec
quelqu'un qui n'a pas intérêt à laisser passer un
marché de 100 ou 200 couverts quotidiens. Là, tout devient
possible. C'est la détermination de celui qui conduit le projet qui fait
la différence.
Quant à ceux qui ont une observance si stricte et
orthodoxe qu'elle en devient impossible à respecter, elle n'est souvent
que la manifestation extérieure de la volonté de la personne de
s'exclure elle-même. Dans ce cas, on ne peut rien faire, et il n'y a pas
à intervenir. C'est du domaine privé, mais pas du champ des
financements publics.
Au final, ce qui doit prévaloir, c'est le bon sens, le
simple bon sens, dans le respect des choix de la personne.
Compte-rendu d'entretiens avec deux acteurs de
terrain
« Je suis nécessairement homme et ... je ne suis
français que par hasardi
Montesquieu, Pensées, no 350
Il semblait intéressant de confronter les points de vue de
deux acteurs de terrain, oeuvrant sur le même territoire (la
Seine-Saint-Denis), dans des EHPAD accueillants des personnes migrantes.
En effet, bien que les deux projets aient été
portés initialement par des associations ayant une expérience
dans les foyers pour migrants (AFTAM d'une part, et Sonacotra devenue Adoma
d'autre part), dans le premier cas il s'agit d'un établissement non
spécifique, alors que dans le second cas, le projet
d'établissement s'adressait aux travailleurs migrants résidants
en foyer.
La France est le plus ancien pays d'immigration d'Europe et
connaît les populations les plus importantes d'origine maghrébine
(Algérie principalement) ou de la communauté
musulmane21. Ce qui explique que la plupart des
ouvrages consacrés aux migrants vieillissants finissent par
réduire les problématiques à une seule catégorie,
celle des Algériens musulmans, dans laquelle, il n'est pas sûr que
se reconnaisse un asiatique notamment.
En 2003, le Conseil de l'Europe formulait les
recommandations* suivantes en faveur du droit des migrants : faire
évoluer les structures pour personnes âgées pour qu'elles
soient « culturellement adaptées » aux besoins des
migrants âgés, notamment par des formations des professionnels ;
favoriser le recrutement de personnels qualifiés d'origine
immigrée ; encourager les migrants âgés à entretenir
des liens avec leur pays d'origine.
En Seine-Saint-Denis, la problématique des travailleurs
migrants vieillissants revêt un caractère particulièrement
important puisqu'un habitant sur 5 est issu de l'immigration.
Mme Samira Dubreuil Directrice de l'EHPAD
Résidence du Parc à Aulnay-sous-Bois (93)
La résidence du Parc, à Aulnay-Sous-Bois, est un
EHPAD de 75 lits, géré par l'AFTAM et ouvert en 1995. La
résidence accueille des personnes relativement âgées (85
ans en moyenne) et fortement dépendantes (GMP 788) L'association
gère sur la même ville, un foyer pour personnes en
difficulté de 360 places, un foyer d'hébergement pour personnes
handicapées de 38 places ainsi qu'un foyer d'accueil
médicalisé pour personnes handicapées vieillissantes de 39
places. De ce fait l'établissement n'est que très rarement
sollicité pour accueillir des personnes handicapées
vieillissantes. La seule personne qui devait être admise a refusé
du fait de l'âge élevé des autres résidents.
Selon Mme Dubreuil, l'accueil de personnes appartenant
à des communautés culturelles étrangères reste
relativement marginal. En tout est pour tout, la résidence n'a accueilli
qu'un africain, une asiatique, un maghrébin, un tamoul et plusieurs
polonais. Contrairement à ce que l'on observe dans les foyers pour
migrants, quasiment tous ont une famille présente. Seule une personne
tamoule est venue d'un foyer de l'AFTAM. Mais dans la quasi-totalité,
c'est la nécessité et non la volonté de la personne qui a
motivé l'accueil. C'est aussi le choix des familles. Dès lors, on
peut s'attendre à ce que ce type d'accueil augmente du fait de
l'acquisition de nouveaux standards de représentation par la seconde
génération, celle des enfants.
Il n'en demeure pas moins qu'il faut un minimum de bonne
volonté pour que cela se passe bien. L'établissement n'a pas mis
en place de projet spécifique, ni de formation sur les codes culturels
ou religieux..., mais fait appel aux compétences et à la
diversité culturelle du personnel, qui elle, est bien à l'image
de celle de la population du département. Faute de
bénévoles, ce sont des professionnels de la
* Recommandation 1619 (2003)
structure qui vont servir tantôt d'interprète,
tantôt de médiateur avec le reste de l'équipe, les
résidents et leurs familles. La présence d'un membre du personnel
de la même origine culturelle rassurerait et atténuerait la
culpabilité de la famille.
Là comme ailleurs, les fêtes religieuses sont une
occasion d'animations et d'échanges : les familles participant à
la confection de gâteaux par exemple. Des soirées à
thème avec des échanges et la projection d'un film favorisent la
reconnaissance mutuelle.
Dans l'ensemble, aucune difficulté majeure ni aucune
demande particulière ne sont notée, même si parfois, les
familles qui apportent des plats cuisinés à leur parent, peuvent
avoir tendance à dépasser les quantités acceptables
compte-tenu des règles d'hygiène.
L'établissement ne dispose pas d'accès internet ni
aux chaînes de télévisions étrangères.
Des arrangements sont trouvés au cas par cas : un aide
soignant de nuit peut s'occuper de la toilette d'hommes maghrébins ou
africains.
Toutefois, les personnes d'origine étrangère,
sont souvent confrontées à des réactions de racisme de la
part des autres usagers, notamment s'ils ont des difficultés à
s'exprimer en français, ce qui survient d'autant plus facilement qu'avec
le vieillissement peut apparaître une régression des langages
acquis.
Parfois, cela peut venir du personnel lui-même, ou d'une
projection de ses propres standards : ainsi, le personnel musulman peut avoir
des réticences à donner du vin à un résident de la
même confession qui le réclame, ou une femme maghrébine
à faire la toilette d'un homme de même origine. Le rôle du
directeur est de replacer les limites. Mais pour Mme Dubreuil, il n'y a rien
là de différent de ce qui se passe tout autour dans la
cité, du quotidien qui a été le leur, et qui continue
d'être leur réalité de tous les jours.
Ici aussi, les personnes ont tendance à
s'agréger en fonction des affinités et des opportunités
comme les joueurs de cartes, par exemple. Mais les grands perdants sont
toujours les personnes présentant des troubles cognitifs qui sont
systématiquement mises à l'écart par les autres
résidents.
Finalement, même s'il y a des éléments
facilitateurs, c'est la tolérance et l'ouverture d'esprit qui doivent
guider l'action.
De la diversité naît une richesse des relations
aussi bien pour les résidents que pour le personnel.
« Il n'y a pas pire épreuve à subir que
celle du déracinement identitaire, et celui-ci en est un parce qu'il
a été souvent exigé des immigrés comme gage de
leur bonne volonté et parfaite intégration à leur pays
d'accueil » Omar Samaoli21
Monsieur Max Lefrère Directeur de
l'EHPAD Hector Berlioz à Bobigny (93)
L'EHPAD Hector Berlioz fait partie des deux projets innovants
d'Ile-de-France, ciblant prioritairement un public de migrants vieillissants,
portés par les principaux gestionnaires de foyers.
Alors que l'EHPAD de Colombes (association AFTAM) qui doit
ouvrir prochainement, vise à introduire des lits
médicalisés au sein d'un foyer, l'EHPAD Hector Berlioz ouvert en
juin 2011 par l'association SOS Habitat et soins, (qui a repris le projet
initial d'Adoma, ex-Sonacotra) comprend un bâtiment neuf clairement
distinct mais à proximité immédiate du foyer.
Bien qu'ayant reçu un avis favorable du Comité
Régional d'Organisation Sociale et Médico-Sociale (CROSMS) pour
ne recevoir que des anciens travailleurs migrants, la gestion du projet a
été reprise depuis par l'association SOS habitat et soins qui n'a
pas souhaité conserver cette orientation jugée restreinte et
stigmatisante.
L'EHPAD comprend donc 85 places à destination de «
personnes âgées dépendantes démunies, avec une
priorité pour les travailleurs migrants » dont 5
d'hébergement temporaire, 10 d'accueil de jour, et 24 lits pour patients
Alzheimer
Dans le cadre d'une montée en charge progressive jusqu'en
décembre 2011, 40 places sont actuellement ouvertes dont seulement 3
sont occupées par d'anciens résidents de foyers pour travailleurs
migrants.
Le bilan s'avère d'autant plus décevant qu'en
dehors d'une personne présentant des troubles cognitifs beaucoup trop
évolués pour recueillir son avis, les deux autres personnes ne
peuvent se résoudre à accepter la réduction de leurs
ressources qui ne leur permettent plus de virements à leur famille
restée dans leur pays d'origine : « On casse ce pourquoi ils
ont migré ». Eux dont le travail était aussi une «
légitimation » de leur présence en France, sont
devenus doublement étrangers, prenant des habitudes en France et voyant
se relâcher les liens familiaux avec les personnes restées au
pays.
Pour la plupart, le contexte social, économique et
politique dans leur pays d'origine, leur laisse peu d'espoir pour un retour qui
consacrerait, de toute façon, l'échec du projet de
réussite sociale ayant motivé leur départ. De plus, seules
les retraites « contributives » sont « exportables », pas
les ressources d'aide sociale non contributives or, ces travailleurs ont
souvent des retraites contributives faibles, inférieures au minimum.
Selon Monsieur Lefrère, l'écart entre les
représentations de la vieillesse, les ressources laissées par le
prix de journée et les soins du corps par un personnel majoritairement
féminin expliquent la quasi absence de demandes d'admissions.
En pratique, dans les foyers pour travailleurs migrants, ils
deviennent les « fauteurs de troubles ». En cause, des troubles du
comportement qui génèrent des conflits avec les autres
résidents, les accidents et décompensations qui entrainent un
passage aux urgences, d'autant que si la personne est marginalisée, le
gestionnaire ne le voit que rarement. Sans compter les conflits entre
générations, les personnes âgées étant
demandeuses de calme. Dans tous les cas, la personne préfère
continuer dans ce qui est une véritable situation de maltraitance
institutionnelle que de renoncer à son statut de « travailleur
» même sans emploi.
Par ailleurs, les gestionnaires de foyers sont actuellement
évalués uniquement sur le taux de présences et celui
d'impayés, ce qui les encourage à mener une « politique
de l'autruche » plus qu'à consacrer une partie de leur temps
au développement des partenariats. Un travail reste à faire pour
rassurer les Services de Soins Infirmiers à Domicile (SSIAD) et les
services d'aide à domicile qui continuent à avoir une
vision très craintive des interventions en milieu
exclusivement masculin, même si officiellement ils prétendent tous
intervenir*.
Au total ce sont des personnes « ingérables
» car ne demandant rien mais au centre de perturbations dans la vie du
foyer, parfois même souffre-douleur de la part des plus jeunes.
Malgré cela, il est possible pour l'EHPAD de travailler
la sortie des services hospitaliers grâce, notamment, à
l'accueil temporaire. Car le besoin est réel. Le nombre de personnes
pouvant relever d'EHPAD en foyer est sans doute encore assez limité
en France pour expliquer en partie une sous
représentation dans les EHPAD, mais pas dans le contexte
qui est celui de la Seine-Saint-Denis, oüAdoma a
identifié environ 100 personnes sur ses foyers qui pourraient
légitimement en relever.
L'EHPAD Hector Berlioz revendique donc son caractère
innovant et à ce titre, a souhaité, avec l'accord des financeurs,
différer la finalisation de l'écriture de son projet
d'établissement pour tenir compte de l'expérience.
Quand aux adaptations de l'EHPAD aux
spécificités culturelles des futurs résidents, elles
consistent principalement en un recrutement du personnel habitant à
proximité et reflétant la diversité culturelle, une salle
de cultes quasiment jamais utilisée, du thé à la menthe et
des pâtisseries orientales qui agrémentent les goûters, une
cuisine de type méditerranéen.
Mais, selon Monsieur Lefrère, les gestionnaires de
l'établissement risquent de se trouver dans une situation
délicate en cas de demande de plats halals, ce qui n'est pas encore le
cas. En effet, le passage à
une cuisine entièrement halal entrainerait un
surcoût de 1 € par repas, et jusqu'à 3 € dans le cas
oüseulement une partie des repas serait concernée. C'est
du moins l'estimation du prestataire extérieur
actuel. De plus, dans le cas d'une alimentation exclusivement
halal, il y aurait éventuellement lieu de revoir la composition du
personnel dédié à la cuisine en fonction des
compétences spécifiques qui pourraient s'avérer
nécessaires.
Pour l'instant, une salle informatique et des chaines
câblées étrangères sont encore au stade de projet,
et un animateur a été embauché, avec pour consignes de
mettre en place des animations « atypiques », et de faire rentrer
l'art dans l'établissement. Il est vrai qu'ici la population est
relativement plus jeune (70 ans en moyenne) et plus autonome (GMP 700). Il
s'agit là d'un frein supplémentaire à une admission en
EHPAD quand des résidents de foyer, tout juste à la retraite, se
retrouvent confrontés à une population essentiellement
féminine et catholique dont la moyenne d'âge est de 80 ans.
Les fêtes religieuses sont, ici aussi, une occasion
d'animations. Quant aux pratiques religieuses, elles ne posent aucun
problème « dès lors qu'elles ne nuisent pas au bien
collectif ». Toute la difficulté pouvant éventuellement
être de convaincre le personnel d'accompagner la personne
dépendante dans sa pratique.
Contrairement à Mme Dubreuil, Monsieur Lefrère
pose une limite d'intervention pour le personnel : un résident ne peut
pas choisir le sexe du soignant ; un membre du personnel de la même
ethnie n'a pas vocation à être le référent
systématiquement attribué à la personne âgée.
C'est aussi une façon de protéger l'intervenant d'un «
phagocytage par la famille », et de lui permettre de raisonner
plus dans l'intérêt de la personne que « dans
l'effervescence de la situation et sous la pression des familles
».
Mais en élargissant son public aux personnes
démunies, c'est une autre communauté qui a fait son entrée
et s'avère plus nombreuse puisqu'elle regroupe déjà 10
résidents : les personnes en errance depuis de nombreuses années,
parfois 30 ou 40 ans.
Pour la plupart, ces personnes se sont déjà
rencontrées au hasard d'un accueil d'urgence et se connaissent souvent.
Le mode relationnel est de l'ordre de la proximité (tutoiement,
familiarité) et nécessite d'assouplir l'application du
règlement (addictions notamment) et des standards d'hygiène. De
plus, « On ne materne pas quelqu'un qui vient d'une halte santé
si on ne veut pas le voir péter les plombs ! »
* Comment aussi « masculiniser » les services d'aides
et de soins ? (note de Mme Laroque)
Si pour l'accueil des migrants, le personnel peut
bénéficier de l'expérience de l'association ou d'Adoma,
aucune formation n'est prévue pour les personnes en errance depuis de
nombreuses années. Le personnel est informé et sensibilisé
au moment de l'embauche, et de nombreux rappels sont nécessaires pour
que le personnel n'impose pas de façon trop autoritaire les normes de sa
culture professionnelle. Car il s'agirait bien là d'une
communauté de culture avec ses propres codes sociaux et son langage.
Quant à l'évolution dans le temps, et au
communautarisme, c'est plutôt le personnel qui confronte
l'établissement à cette problématique, notamment par le
port du voile par certaines candidates à l'embauche. Il est pourtant
demandé au personnel d'éviter tout signe religieux
ostentatoire.
Monsieur Lefrère considère par ailleurs que la
demande pour les anciens travailleurs migrants devrait augmenter sur 15
à 20 ans, avec la génération des enfants ayant acquis des
représentations plus proches des standards occidentaux, pour redescendre
ensuite, du fait du tarissement des grands flux migratoires.
Envers de la communication auprès des travailleurs
sociaux : 3 mois après son ouverture, l'établissement est
identifié, voire involontairement stigmatisé, comme celui «
des pauvres », qui répond préférentiellement à
la misère sociale. La rançon est qu'il devient extrêmement
délicat de préserver, même ici, une certaine mixité
sociale.
Pour Monsieur Lefrère, « accueillir la
diversité communautaire ou non, oblige à retraduire et conjuguer
le mot tolérance, et si l'on y parvient, il y a lieu d'en être
satisfait ».
Pour se faire, le Directeur encourage les Aides
Médico-Psychologiques et les Aides Soignants à utiliser le
principal outil de pilotage au quotidien, à savoir le « GBS :
le Gros Bon Sens ». Car ce sont ces professionnels qui sont en
première ligne et doivent gérer tout ses aspects qui donnent
quotidiennement lieu à des frictions.
En conclusion de ces deux entretiens, l'impression qui
prévaut reste encore celle d'un « bricolage », d'une approche
plus pragmatique et empirique que d'une réflexion partagée sur la
façon d'approcher les questions éthiques.
L'absence d'expression de besoins, de la part des usagers,
peut facilement servir à s'exonérer d'une remise en cause de son
propre mode de fonctionnement. La responsabilité n'en revient pas tant
aux responsables d'établissements, qui gèrent le quotidien de
résidents très singuliers, mais au manque d'espaces d'expression
et de formation pour ces professionnels.
Pour Bartkowiak3, l'altérité n'est prise
en compte que si elle pose un problème : et l'immigré est
justement celui qui n'est reconnu comme tel que s'il en pose un.
Chacun, de son côté, est pourtant intimement
convaincu de la nécessité de préserver l'expression des
singularités qui fait la richesse de la vie en EHPAD, et qu'il convient
que cette communauté de vie, trouve elle-même sa place dans la
diversité de la cité.
Interrogation d'une banque de données
bibliographiques
La démocratie, ce n'est pas la loi de la
majorité, mais la protection de la minorité. Albert
Camus
La Banque de Données en Santé Publique
(BDSP)
La Banque de Données en Santé Publique (BDSP), a
été créée en 1993 à l'initiative de la
Direction Générale de la Santé (DGS) et constitue une
source d'informations en ligne dans le domaine de la santé publique
à destination des professionnels des secteurs sanitaire, social et
médico-social. La BDSP est en fait un réseau de
coopération d'une soixantaine d'organismes (FNG, CRISP, HP-HP IFSI,
CNAMTS, HAS, INVs...) qui alimentent quotidiennement cette base de
référence nationale. La coordination, les développements
informatiques et l'administration du site sont assurés à l'Ecole
des Hautes Etudes en Santé Publique (EHSP).
Le site de la BDSP est en accès libre* et
dispose d'une interface de maniement aisé et intuitif. L'interrogation
par concepts se fait par défaut sur les champs Titre, Texte, Mots
clés et Auteurs grâce aux opérateurs booléens aussi
bien français (ET, OU, SAUF) qu'anglais (AND, OR, NOT) mais aussi avec
les signes de troncature ( ? pour remplacer un caractère, * pour une
chaine de caractères...)
Le site propose une base documentaire dont certains documents
en texte intégral, des bibliographies, un annuaire critique des sites,
une base de colloques, un thésaurus, un glossaire multilingue ainsi
qu'une base d'offres d'emplois.
Les documents disponibles (ouvrages, revues, thèses et
mémoires...) couvrent la période de 1983 à nos jours, sont
en français ou en anglais mais un résumé est toujours
disponible.
La consultation de la base s'est faite, durant la première
quinzaine de juillet 2011.
Interrogation de la base
Le thésaurus comprend 12825 termes, regroupés en
7 144 descripteurs ou mots-clés. Le domaine établissement social
comprend un sous-domaine « EHPAD » qui est aussi le mot-clé
(associé à 697 notices), et un sous domaine « Maison de
retraite » qui constitue un mot-clé renvoyant à 2869
notices. Il sera donc nécessaire d'utiliser les deux descripteurs pour
interroger la base. Le descripteur « Personne âgée » (33
543 notices) est associé à des termes qui s'avèrent peu
contributifs pour la recherche en cours: accès équipement
collectif, âgisme, alarme médicosociale, autonomie, centre jour,
CLEIRPA, dépendance, logement adapté, politique vieillesse,
réseau ville handicap.
L'index a permis de mettre en évidence que la racine
« communaut* » renvoi à pas moins de 22 mots clés
associés dans des domaines très différents dont :
santé communautaire, appartement communautaire, communauté
européenne, communauté religieuse, communauté
d'établissements... On est donc ici dans des domaines qui peuvent
être sujet à quiproquo. Par exemple, le concept de médecine
communautaire conçoit le soignant-le sujet et sa communauté qui
peut être la population d'une institution, d'une ville ou un groupe
culturel..., n'est pas une notion tout à fait étrangère au
sujet étudié. Certains y voient d'ailleurs un risque de
dérive communautariste ou de stigmatisation d'une population, bien que
le terme anglais face plus référence à une médecine
de proximité.
Autre point intéressant, le site permet de consulter le
« nuage de tags » qui correspond à la liste des mots
clés trouvés dans les références et qui
apparaissent dans une taille de caractères proportionnelles au nombre
d'occurrences. Comme le montre le tableau récapitulatif des
requêtes et de leurs résultats qui figure en annexes 3 et 4,
l'expression « Maison de retraite » s'avère plus fructueuse.
En effet, le terme EHPAD n'est apparu qu'en 1998 et ne permets donc aucune
référence avant cette année là. Mais il est
à noter qu'un glissement sémantique tend aujourd'hui à
utiliser le terme maison de retraite, dans le langage courant pour y inclure
des établissements de type foyers logements.
* http://www.bdsp.ehesp.fr/
Les descripteurs retenus sont donc les mots clés du
thésaurus (personne âgée, EHPAD, Maison retraite, migrant,
femme, laïcité, religion, islam, judaïsme, personne
handicapée, homosexualité) complétés de termes ou
expressions recherchées sur tous les champs pour optimiser la recherche
compte-tenu du peu de littérature spécifique (communautarisme,
confession*, congrég*, casher*, kasher*, cacherout)
L'interrogation s'est donc faite en associant successivement les
mots clés EHPAD, Maison retraite et Personne âgée à
chacun des autres descripteurs.
Les résultats sont obtenus en quelques millisecondes,
même si le comptage ne donne dans un premier temps qu'un nombre
approximatif des références pour réduire le délai
de réponses.
Le premier constat a été que la littérature
est relativement restreinte sur le seul aspect institutionnel, sauf en ce qui
concerne les termes femmes (70) et handicap (94)
Certains sujets ont la faveur des publications : les femmes
(1893), le handicap et les personnes handicapées vieillissantes (1187
références pour handicap*), la religion (266)
Toutefois ces résultats doivent être
tempérés :
· Le terme handicap est fréquemment
utilisé pour désigner la perte d'autonomie de la personne
âgée, et non un statut social acquis avant l'âge de 60 ans.
Mais il est intéressant de noter que seul le handicap mental
apparaît comme type de handicap dans le nuage de tags, ce qui confirme
bien que c'est pour les personnes présentant ce type de handicap qu'il
existe une véritable problématique spécifique.
· Pour les femmes, le nuage de tags renvoi en
établissement à une vision pour le moins restrictive et
négative sure la vie d'une femme âgée : Alzheimer,
alcoolisme, incontinence urinaire et statistiques.
· La proportion de texte en français varie
largement, et renseigne sur les préoccupations hexagonales, avec par
ordre décroissant : communautarisme (100%), Laïcité (100 %),
Personne Handicapée (94%), Islam (83 %), Migrants (81%),
homosexualité (59%), Religion (57 %), judaïsme (53%) et... Femme
pour seulement 47 %.
· Les termes « casher », « kasher »
« cacherout », saisis seuls, ne ramènent aucune
référence, et 3 références non pertinentes pour
« halal » dont 2 en anglais. Les nuages de tags sont aussi
surprenants puisqu'il semble que cet aspect chez la personne âgée
soit essentiellement du domaine de la psychopathologie :
o pour religion et personne âgée : fugue, refus de
soins, hospitalisation d'office, réglementation antitabac,
maltraitance,
o pour judaïsme : génocide, survie, traumatisme,
victime, psychopathologie, guerre
La recherche documentaire a permis en elle-même de
faire émerger un aspect qui n'avait pas été
envisagé dans le travail préliminaire sur l'utilisation
d'internet au service de la communauté ou du
communautarisme 22
En conclusion, les publications sont peu
nombreuses sur un sujet qui semble d'un domaine tabou en France beaucoup plus
que dans les pays anglo-saxons, notamment par rapport aux questions relatives
aux pratiques et convictions religieuses.
Tous les documents qui semblaient pertinents ont pu
être récupérés (39) : par
téléchargement en texte intégral (9), par le prêt du
centre de documentation du Conseil général de Seine-Saint-Denis
(5), par consultation à la Fondation Nationale de Gérontologie
(16), téléchargement ou commande de l'article sur le site des
revues (4), ou sur les sites d'achats en ligne (Amazon.fr et
Priceminister.com) pour les
ouvrages neufs (1) ou d'occasion (5). Au total, trois documents ne se sont pas
avérés contributifs.
Résumé et analyse d'un article
Un homme séparé d'un seul homme est exclu de
toute la communauté
Marc Aurèle, Pensées XI, 8
« Difficile de vieillir homosexuel
»
Le quotidien allemand « Junge Welt » a
publié le 18 février 2011 sous la plume de Markus Bernhardt, un
article consacré à l'ouverture, début 2012, du «
premier projet européen destiné aux gays et lesbiennes
âgés »annexe
5.
Situé dans le quartier de Charlottenburg à
Berlin, le bâtiment comprendra 24 chambres simples ou doubles de 33
à 100 m2 pouvant accueillir des couples, une bibliothèque un
café, et 5 appartements destinés à de jeunes homosexuels
afin de favoriser les liens intergénérationnels. L'objectif peut
paraître ambitieux : casser le phénomène d'exclusion qui
frappe surtout les retraités dans un milieu où, selon une
étude menée par les chercheurs Martin Dannecker et Reimut Reiche,
le cap de la vieillesse serait franchi à 35 ans.
Ce ne sont donc pas les seules difficultés
légales ou la discrimination sociale qui ont convaincu 180 personnes
à s'être inscrites sur liste d'attente. La marginalisation au sein
même de leur communauté semble constituer une autre motivation.
Déjà en 2006, 8 lits sur 28 avaient
été réservés dans la maison de retraite berlinoise
(Asta-Nielsen) assurant des soins liés à la dépendance
grâce à un personnel qualifié « d'homo » ou
« gay-friendly ».
Il est vrai que l'Allemagne a connu une longue période
de persécution pour les gays et lesbiennes, fondée sur le
paragraphe 175 du code pénal datant de 1871 et renforcée par le
régime nazi jusqu'à la déportation. Dans cette forme, le
paragraphe est resté en vigueur jusqu'en 1969 en RFA, supprimé en
RDA en 1988 et définitivement abrogé en 1994 sous l'Allemagne
réunifiée. C'est dire que le traumatisme est encore
présent dans cette génération. Pour mémoire en
France, l'homosexualité a été
dépénalisée en 1982 sur proposition de Robert Badinter. De
fait, une partie de la communauté redoute de devoir céder
à la pression sociale pour renoncer à une identité
homosexuelle chèrement acquise.
Alors que la pyramide des âges montre un vieillissement
important des allemands et que 10 % se déclareraient ouvertement gays ou
lesbiennes, ceux-ci craignent en entrant en institution, d'être
rejetés par les autres résidents ou les pensionnaires en cas
d'affichage de leurs préférences sexuelles.
Et l'auteur de l'article de conclure : «
Espérons en tout cas que dans cette pension berlinoise, le maximum
de gays et lesbiennes parviendront à échapper aux discriminations
sociales, sexuelles ou liées à la maladie et vivront sous le
même toit, toutes générations confondues. Cette forme de
vie en collectivité réduit au moins le risque de passer une
soirée dans la solitude, le dénuement et l'exclusion.
»
Paru originellement dans un quotidien, situé à
l'extrême gauche qui fut l'un des plus importants de l'exRDA mais qui
actuellement ne tire plus qu'à 50 000 exemplaires, l'article a
été traduit et diffusé dans Courrier International le 15
mai 2011 à 250 000 exemplaires en France (mais aussi en Belgique et au
Portugal), pour finalement être reproduit dans le quotidien gratuit
Direct Matin tiré à 1 millions d'exemplaires dans les grandes
métropoles de France*.
C'est dire que le sujet recouvre tout à la fois un
tabou sur lequel existe peu de littérature mais qui est « porteur
» pour la presse grand public, sans doute en jouant tout à la fois
sur les craintes vis-à-vis du communautarisme et sur le voyeurisme d'un
public pour les questions touchant à la sexualité. De fait, ce
sujet ne manque pas de déchainer les passions puisque le 4 janvier 2011,
le site du quotidien 20 minutes avait dû fermer le blog consacré
à un article intitulé : « Les gays français
à la recherche d'une première maison de retraite amie
», suite à un « trop grand nombre de commentaires
homophobes »
* Source :
www.wikipédia.org
Le sociologue D. Martucelli23
écrit, à propos de toutes les revendications de reconnaissance
qui concernent selon lui des personnes blessées depuis longtemps et qui
sortent de leur « sagesse résignée » dans
laquelle « on s'était habitués à les voir
» : « Bien des revendications de reconnaissance sont ainsi
tortueuses subjectivement, maladroite socialement, excessive politiquement. A
terme souvent incompréhensibles et agaçantes. Ce qui en retour,
augmente et l'incompréhension et l'agacement mutuel. Combien de fois
alors, la surprise se transforme-t-elle en gêne, avant de donner lieu
à une hostilité plus ou moins larvée... C'est que cet
appel à la reconnaissance est d'autant plus amer que l'individu a subi
pendant des années, non pas un rejet manifeste et ouvert, mais la
malveillance hypocrite du non-regard, ce seuil si parfaitement exact
d'indifférence, où, tout en déniant l'autre très
pratiquement, on peut toujours, en cas de récrimination, en rejeter
toute intentionnalité, voire toute réalité...
»
Il n'en reste pas moins que cette ouverture
présentée comme une innovation en Europe ne l'est pas vraiment
puisque de tels établissements existent déjà
officiellement aux Pays-Bas, en Belgique, en Suisse et en Espagne.
Mais ce qui surprend dans ce cas, c'est que la pression
revendicative ne viendrait pas tant « de la communauté »
elle-même que d'une « réaction au rejet de la
communauté elle-même», moins tenue par les modèles
familiaux, plus encline à se tourner vers des valeurs de
consumérisme, de jeunisme, de mode et qui repousserait à
l'extrême marginalité tout ce qui contrarierait cette vision d'un
monde aussi idyllique qu'éphémère.
D'après André Saindon, promoteur du concept de
« Maisons urbaines » à Montréal qui s'adresse aux
seniors homosexuels, « Lorsqu'on est gay, on ne décide pas de
s'en aller dans une résidence sur un coup de tête. C'est souvent
parce que le conjoint ou le colocataire est décédé ou
parti... Il y a de l'insécurité à rester seul... les
homosexuels séniors peuvent ne pas avoir envie d'être
confrontés à leur solitude »
Il est vrai que, fréquemment sans enfant, moins
souvent en couple et parfois en rupture avec leur famille, la notion de
communauté qui rassemble des personnes aux parcours de vies aussi
disparates socialement, repose en grande partie sur l'isolement et le rejet.
Comme le déclare un autre promoteur, américain (RainbowVision),
sur son site pour vanter des villages dédiés aux gays
séniors les plus fortunés: « We are a place where your
neighbors are your family and everyone belongs » (« Nous
sommes un lieu où vos voisins sont votre famille et où chacun en
fait partie ») Ce qui rappelle une attente déjà
exprimée par l'un des experts au sujet des personnes âgées
n'ayant pas de famille.
Dans une communauté où l'on serait
qualifié d'âgé dès 35 ans, les solutions à
mettre en place pour maintenir les liens sociaux, ne relèvent pas
spécifiquement des dispositifs liés au grand âge ou
à la perte d'autonomie.
Pour autant, il n'est pas certain que les changements induits
par le développement du PACS sur la stabilité des couples ne
réduisent pas cette composante à long terme.
« La génération qui arrive à la
retraite est la première qui a pu vivre, durant sa vie active, son
homosexualité de façon ouverte et elle n'entend pas changer
d'attitude en arrêtant de travailler », déclare Philippe
Coupé, Président de l'association l'Autre Cercle qui regroupe des
cadres gays. Difficile d'évoquer certains de ses souvenirs devant les
autres résidents. D'autant que la population actuelle des EHPAD
correspond essentiellement aux générations antérieures aux
années 40.
De plus, ayant connu les débuts de
l'épidémie de SIDA, cette génération a pu
être témoin du retour des familles au moment ou à
l'approche du décès d'un ami et de l'exclusion de son entourage,
des spoliations et de la réécriture de l'histoire d'une vie. De
ce fait, les aspects liés au respect de la fin de vie et à la
continuité d'une identité génèrent sans aucun doute
des appréhensions.
Pour autant, est-ce à dire que les gays souhaiteraient
majoritairement entrer dans ce type d'institutions ? On pourrait le penser au
premier abord en voyant les résultats d'un sondage mené par le
site
GayClic.com le 25 janvier 2008 : sur
3592 votants, 52,6 % répondent vouloir « une maison de retraite gay
pour leurs vieux jours », contre 35,4 % qui y sont opposés et 12 %
qui ne se prononcent pas.
Il convient de tempérer les résultats d'un tel
sondage : les usagers de ce site sont jeunes et ont sans doute des
représentations de la vieillesse assez floues et lointaines. Ils ont par
ailleurs intériorisé, comme allant de soi, un mode de vie
excluant les plus âgés. Il en irait tout autrement si l'on en
croit l'Association des Gays Retraités qui affirmait en septembre 2010
sur le site
yagg.com que la majorité de ses
adhérents étaient opposée à rentrer dans un tel
établissement, même si ceux-ci craignent « la violence
des vieux entre eux » qualifiée de sujet tabou.
Le besoin d'une mixité homme-femmes était mis en
avant par l'association, alors que l'expérience canadienne montre
qu'hommes et femmes souhaitent rester
séparés24. Mais l'association
reconnaissait n'avoir aucun adhérent en maison de retraite.
Cassidy24 note ainsi que beaucoup d'homosexuels
trouvant l'entrée en EHPAD trop inadmissible préféreraient
vivre seul à domicile. Il cite un auteur dont les propos sonnent comme
un constat cynique : « Les homosexuels sont mieux
préparés à leur vieillissement... vous ne vous êtes
jamais attendu à ce qu'une personne prenne soin de vous, vous vous
êtes éloigné de votre père, de votre mère, et
vous n'avez pas d'enfants à vous occuper, alors vous avez
intérêt à prendre soin de vous-même. »
Dès lors on peut s'interroger sur la capacité
d'un individu isolé à exprimer une différence
stigmatisante, ou tout au moins une identité
dépréciée, lorsque celui-ci est déjà
tiraillé entre une identité sociale virtuelle (ce qu'il est
supposé être) et une identité sociale réelle, dans
la mesure où il est « largement illégitime d'avouer
ouvertement le rejet du stigmate ».23
En réalité, cette demande ne relève pas
d'un nombre si important de personnes du fait de la stigmatisation qu'elle
sous-entend et du caractère extrêmement réducteur du point
de vue de l'identité à celle d'une orientation sexuelle peu
compatible avec la représentation asexuée de la personne
âgée qui prédomine dans l'inconscient collectif. De fait,
s'identifier à sa sexualité est un phénomène
récent qui n'est apparu progressivement qu'après la
révolution française et s'officialise en 1869 avec l'apparition
du terme même d'homosexualité. Le terme «
hétérosexuel » ne fut créer que quelques
années plus tard par commodité de langage car rares sont les
sujets qui ont besoin de se construire une identité
hétérosexuelle.
Ces résultats ne représentent pas plus la
position des associations dites LGBT (Lesbiennes, gays, bi et transsexuelles),
notamment l'Autre cercle, même si elles n'y sont pas opposées.
Celles-ci ont démarché les deux principales associations de
directeurs d'EHPAD (AD-PA et FNADEPA), en vain, pour connaître leur
position mais aussi en revendiquant la formation et la sensibilisation des
personnels pour aboutir à la création d'établissements
auto-déclarés « gay-friendly » comme on le
voit déjà pour certains hôtels notamment.
Dans le cadre d'un programme national « Pour que
vieillir soit gai », porté par la Fondation Emergence*, une
charte de bientraitance en faveur des personnes aînées
homosexuelles et transsexuelles financée par le Québec vient
d'être publiée en août 2011. La charte, à laquelle
l'adhésion est volontaire, doit permettre aux intervenants d'être
sensibilisés aux réalités de cette clientèle
spécifique. Elle comprend des « valeurs et principes
susceptibles de favoriser l'inclusion des personnes homosexuelles dans les
milieux de vie des aînés » annexe
6.
Cette solution permet de prévenir l'homophobie
d'anticipation décrite par Brotman25 qui
correspondrait non pas à des faits extérieurs mais à une
lecture orientée des comportements des intervenants du fait de la
confrontation antérieure à de réelles manifestations
d'homophobie. Ce point peut se retrouver aussi bien pour les personnes
d'origine juive, qu'issue de l'immigration, et pose tout l'intérêt
d'une approche fondée sur la notion d'accueil, bien avant l'accueil
physique.
De plus, il y aurait sans doute un avantage à
éviter de formaliser par écrit dans le projet de vie des notions
aussi sensibles que l'orientation sexuelle ou d'avoir à poser la
question si la personne ne souhaite pas faire part de données aussi
personnelles.
Cet affichage élargi à d'autres domaines,
permettrait de rassurer certains types de populations, sans les stigmatiser,
tout en valorisant les démarches de formation, de sensibilisation et les
compétences du personnel. Ainsi, l'hôpital Avicenne a
été désigné en 2003 hôpital-pilote pour
représenter la France dans un programme européen
d'amélioration de la prise en charge des migrants ("Migrant Friendly
Hospital")
5.
* http://www.fondationemergence.org/
Une remarque s'impose toutefois pour interpréter les
propos des différents protagonistes, le terme « maison de retraite
» est devenu totalement ambigu dans son utilisation et
génère une confusion: certains l'utilisant pour désigner
un EHPAD et d'autre pour ce qui s'apparenterait plus à un foyer logement
ou à des résidences services. Ce qui rajoute à la
confusion, c'est que l'EHPAD ne se définit pas par son public et sa
dépendance (GMP), mais par la signature d'une convention tripartite.
Il semble bien, à l'instar de ce qui se passe aux
Etats-Unis où existent des foyers logements, des résidences et
même des villages entiers (Palms of Manassotta en Floride), que ce
marché apparaisse comme une niche juteuse pour les promoteurs
privés lucratifs qui mettent en avant la sécurité, les
installations sportives et le luxe. De fait, avec un coût d'acquisition
d'un appartement entre 100 000 et 300 000 dollars auxquels s'ajoutent 5 500
dollars par mois pour l'aide à la vie quotidienne qui ne
bénéficient d'aucune prise en charge par les systèmes
d'assurances (Médicare, Medicaid...), le tri par l'argent devient
manifeste.
Enfin, le souhait qui pourrait être exprimé par
certains en faveur d'établissements pour personnes âgées
homosexuelles, présentent les spécificités de relever d'un
sentiment de double exclusion : par la société mais aussi par
leur propre groupe qui ne se comporte pas comme une communauté de
culture ou d'affinités. Les craintes de stigmatisation sous-jacentes, le
caractère extrêmement réducteur d'une identité
limitée à sa seule orientation sexuelle, sont certainement des
freins à de tels projets dont aucun n'a abouti en France, et sont
principalement motivés par un enjeu commercial. Mais la crainte de la
solitude et de l'isolement social, du rejet par les autres résidents et
par le personnel, restent très prégnants pour
générer un sentiment ambivalent chez la plupart des personnes.
Les mentalités doivent évoluer pour prendre en
compte, par la communauté gay elle-même, la nécessaire
solidarité envers les personnes âgées comme se fut le cas
pour les malades dans les « années Sida » avant la
généralisation des antirétroviraux (1981- 2000). Dans une
étude sur l'accès aux soins, menée en 2003 au Canada,
Brotman26 montre que l'accompagnement par un autre
gay (même bénévole) s'avère une médiation
efficace dans les relations soignant-soigné.
L'enjeu est important puisque, d'après une estimation
de l'Inter-LGBT (regroupement de 60 associations), avec un taux estimé
entre 5 et 10 % de la population, il y aurait 1,5 millions d'homosexuels
retraités d'ici 2021.
Recherche et description d'un site pertinent sur ce
thème
La culture... ce qui a fait de l'homme autre chose qu'un
accident de l'univers André Malraux
Observatoire du communautarisme*
Fondé par 3 anciens chevènementistes (Julien
Landfried, Fréderic Beck et François Devoucoux du Buysson) peu
après l'élection présidentielle de 2002, en juillet 2003,
ce site de presse se présente comme : « un observatoire
indépendant (notamment des groupes politiques) d'information et de
réflexion sur le communautarisme, la laïcité, les
discriminations et le racisme » L'ambition étant de «
mettre à disposition de citoyens les faits portant atteinte à
l'universalisme républicain »
De part les moyens dont il dispose (10 animateurs du site), la
qualité des travaux d'une soixantaine de chercheurs mis en ligne, le
référencement qui le fait apparaître en tête de liste
dans les moteurs de recherches, ainsi sans doute que de son goût
prononcé pour la polémique, l'Observatoire connait un franc
succès avec une moyenne de 40 000 connections par mois. Certaines
anecdotes peuvent prêter à sourire mais illustre la
méconnaissance du fait religieux et la tyrannie de la crainte de la
confrontation. Ainsi, un établissement scolaire anglais avait-il
décidé de remplacer les 3 petits cochons dans un spectacle par 3
petits chiens pour ne pas heurter les parents musulmans, à la grande
stupéfaction de ceux-ci puisque l'interdit est uniquement
alimentaire.
La position radicale de son fondateur-directeur, Julien
Landfried, est pourtant loin d'être consensuelle et moins encore de
favoriser les échanges dans un climat d'échanges serein
même si le site ménage une place pour la contradiction. Pour lui,
toutes les communautés seraient des systèmes de croyances
à l'appartenance non-choisie. Pourtant balayées par la
Révolution française, elles auraient été
réactivées par « la nouvelle droite et la gauche multi
culturaliste », pour entrer finalement dans un processus de
généralisation menaçant les valeurs
républicaines.
Quant au communautarisme, les critères en sont larges et
reprennent ceux du sociologue Pierre-André Targuieff :
· auto-organisation d'un groupe social fondé sur une
«parenté ethnique» plus ou moins fictive,
· vision essentialiste des groupes humains,
· politique en faveur des identités de groupe,
· usage politique d'un mythe identitaire fondé sur
l'absolutisation d'une identité collective. Ces critères de choix
permettent d'inclure largement toutes les formes de revendications sociales de
groupes, à une forme de communautarisme. Et de fait, les articles
dénoncent avec virulence, tour à tour tous les «
extrémismes » : religieux (musulmans, juifs, catholiques),
ethniques (noirs), sionistes, féministes, régionalistes (Bretons,
Basques, Corses), homosexuels...
Dans ce contexte, il était inévitable que des
dérapages viennent grever le crédit de l'observatoire. Ainsi en
2005, une brève intitulée : « Les violences conjugales :
une priorité gouvernementale ? », donnait l'occasion aux
rédacteurs de qualifier de marginal le phénomène des
violences conjugales, estimé à 0,00026 % des femmes et
résultat d'un lobbying féministe qui n'aurait pour seule
finalité que de détourner l'attention des problèmes
économiques.
Son Directeur écrit dans une tribune le 3
février 2011 : « on assiste ainsi, dans les vieilles
démocraties libérales, à un rétrécissement
stupéfiant de la liberté d'expression, pourchassée jusque
devant les tribunaux par des associations groupusculaires. L'
«envie du pénal »... est la passion dominante de la nouvelle
ploutocratie du monde associatif et militant, intégrée à
la société du spectacle dans ce qu'elle a de plus
méprisable et médiocre, usant de la « reductio ad hitlerum
» comme d'autres en leur temps, de l'accusation de « fascisme
» »
* http://www.communautarisme.net/
Seules les personnes handicapées, ou
âgées ne sont pas concernées par le sujet, même si
l'on aurait pu s'interroger sur les quotas de travailleurs handicapés
dans les entreprises de plus de 20 salariés. Tout au plus, trouve-t-on
une critique de la discrimination positive qui n'est évoquée que
pour les femmes.
Charles Conte réagissait en mars 2006 dans le mensuel
de la Ligue d'enseignement en écrivant : « le communautarisme
ne commence que lorsque le libre choix d'appartenir ou de ne pas appartenir
à une communauté disparaît. Il n'y a communautarisme que
lorsqu'il y a contrainte. »
L'analyse de ce site confirme les propos de Monsieur Zribi,
sur les « thèmes bloquants », les réactions
extrêmes. Il existe donc un véritable écueil à
vouloir traiter le sujet des identités communautaires sous l'angle du
communautarisme. Dès lors, il existe un risque de voir les
éléments pertinents discrédités par des propos trop
virulents, exacerbant encore plus les susceptibilités.
En soi, l'anti communautarisme est lui-même une forme
de communautarisme puisqu'il a son système de règles et de
valeurs qu'il prétend imposer, et qu'une élite bien pensante en
agrée ses membres ou les exclut. Même si certains revendiquent une
liberté de parole et un ton volontairement provocateur, il semble que
les personnes âgées ou handicapées soient exclues d'un tel
débat, alors même que certains partis extrêmes ont compris
l'intérêt politique de courtiser la population
âgée.
Faute de prendre en compte l'identité culturelle,
celle-ci peut se transformer en culte de l'identité avec ce que suppose
de malsain le culte des origines27.
Mais quels sont les risquent mis en avant pour justifier
une menace communautariste ?
Les revendications communautaires, qualifiées ici de
communautaristes, constitueraient une menace pour les valeurs universelles sur
lesquelles est fondée la République (Liberté,
Egalité, Fraternité), et envers la cohésion nationale par
la remise en cause d'une langue commune (le français). En effet, les
droits des individus peuvent évoluer différemment (par exemple
dans la discrimination positive, en faveur des femmes ou par la reconnaissance
d'un délit spécifique d'homophobie par exemples...) et, au final,
remettre en cause le principe d'égalité des citoyens au regard de
la loi.
D'autre part, toute identification à un groupe
s'avérerait stigmatisante et susceptible de renforcer les
réactions de rejet, de racisme ou tout autre forme de haine. Cette
notion de communauté enfermerait l'individu dans un espace restreint,
limitant la diversité des contacts sociaux, qualifiés ici de
richesse.
L'adhésion à une communauté est
susceptible d'entrainer une limitation de la réversibilité des
choix, et donc la liberté de l'individu, sans nécessairement
s'accompagner d'un sentiment d'appartenance. A titre d'exemple, le site
rappelle l'orientation toujours valide du Conseil Français du Culte
Musulman qui dénie à tout pratiquant le droit de renier l'Islam,
et évite d'aborder cet aspect dans sa charte nationale pour un Islam de
France, afin de ne pas heurter les susceptibilités.
Plus généralement, la sur-institutionnalisation
des différences contribuerait à réifier les
différences entre les groupes, et par là-même à
étouffer l'individu.
Pour les partisans d'une plus large prise en compte des
communautés et de leurs spécificités,
l'anticommunautarisme, en niant les différences, contribuerait à
développer des réponses standards, uniformisées, ne
répondant pas à des personnes mais à un modèle
théorique mais économiquement viable.
Cette négation autoritaire de la diversité
culturelle contribuerait aussi à renforcer l'exclusion de certaines
catégories de personnes en refusant le principe de discrimination
positive (« Donner plus à ceux qui ont moins
»17).
Le citoyen dans l'histoire de la société
française
La vision empruntée ici à quelques auteurs est
sans doute contestable mais offre une perspective séduisante pour situer
les notions d'individualisme et d'identité collective dans la culture
française.
Pour T. Collin30, nous sommes
passés d'une société des anciens, basée sur un
contrat social que décrit Rousseau : l'homme répond avant tout
spontanément aux forces naturelles pour assouvir son amour personnel. Il
appartient au « législateur » de dompter ces forces, en
s'appuyant sur la qualité de perfectibilité, pour le seul bien
commun. (« Il faut en un mot qu'il ôte à l'homme ses
forces propres pour
lui en donner qui lui soient étrangères, et
dont il ne puisse faire usage sans le recours d'autrui. Plus ses forces
naturelles sont mortes et anéantis, plus les acquises sont grandes et
durables, plus aussi l'institution est solide et parfaite », le
Contrat social) Dès lors l'individu peut s'identifier dans de nouveaux
symboles collectifs comme l'armée, le drapeau, l'école...
Chaque système culturel est à l'image d'une
langue : il doit être appris, possède ses propres règles,
sa propre sémantique qui propose un découpage et une
compréhension de l'univers. Sa perception du monde se trame avec des
éléments aussi divers que sa cuisine, son rapport au temps, ses
rites de passages, ses modes de pensées, sa vision politique et
religieuse...
Un sentiment d'appartenance caractérisait les
sociétés primitives et serait le stigmate de la relation
symbiotique entre la mère et l'enfant. Mais ce sentiment d'appartenance
correspond aussi à des sentiments d'identité, d'unité, de
cohérence, de valeur, d'autonomie et de confiance, organisés
autour d'une volonté d'existence et de
permamence12.
Si la Révolution française de 1789, est venue
apporter son idéal de liberté, d'égalité et de
fraternité, elle n'en générera pas moins une crainte
persistante de voir ce rêve menacé par le retour des
privilèges et n'aura de cesse de combattre les particularismes notamment
régionaux.
La promotion des droits de l'homme, alliée au principe
d'égalité, portaient déjà en eux, à la fois
une contestation de l'autorité (contestation Nietzschéenne), et
une victimisation du citoyen face à la puissance publique. C'est
certainement Mai 68 qui réalise la prédiction du philosophe
Tocqueville, en extériorisant bruyamment la contestation de
l'autorité gouvernant/gouverné (« la grandeur gaullienne
»), enseignant/enseigné (et plus généralement la
« discipline napoléonienne »). Mais aussi, le rapport
homme/femme (féminisme)... Face à la machine étatique, on
verra dès lors apparaitre des phénomènes de
judiciarisations et de repentances.
Paradoxalement, le système libéral, loin de
rejeter cette philosophie libertaire, saura l'intégrer en le mettant au
service de l'entreprise : désormais l'individu devient un potentiel, qui
au travers d'un parcours personnel peut espérer un accomplissement
autonome. L'esprit de compétition va désormais remplacer
progressivement l'esprit de coopération : l'autre n'est plus la source
de mon accomplissement, comme l'affirmait le christianisme qui avait eu le tort
de justifier une organisation sociale jugée désormais injuste.
Ce passage d'une société de citoyens à
celle d'individus consommateurs-porteurs-de-droits, n'a
bénéficié que tardivement aux personnes vulnérables
avec les lois rénovant l'action sociale de 2002, et celles de
2005*, notamment avec la publication de la charte des droits de la
personne accueillie. Martucelli 23 note que la
nouvelle législation a entrainé un changement dans les relations
entre professionnels et usagers, mais que persiste une double demande :
à la fois de prestations individualisées, mais aussi
standardisées donc impersonnelles. Désormais, la plainte des
usagers des dispositifs sociaux et médico-sociaux, n'est plus tant
d'être victime d'une injustice, puisque ses droits sont garantis, mais
d'une humiliation.
L'individualisme, occupe désormais la place du sentiment
d'appartenance qui permettait à l'individu de se constituer sans avoir
à se situer ni à se choisir.
Mais les mécanismes qui permettent de se situer par
rapport à l'autre, et par là même de se situer
soimême, n'ont pas été bouleversés. L'identification
d'autrui se fait d'abord sur deux critères (connu/inconnu, bon-mauvais)
Dès lors, le groupe offre au sujet un répertoire de
catégories culturellement signifiantes et de représentations qui
lui permet de construire son identité et de réguler ses rapports
aux autres.
L'identité est donc une dynamique sociale et
culturelle. « Il n'y a rien de plus collectif que
l'identité »31.
Cette identité que le sujet construit est donc porteuse
de deux valeurs : celle que le sujet s'attribue (valeur ontologique), et les
valeurs qu'il projette sur son monde (valeurs pragmatiques)
* Loi n°2002-2 du 2 janvier 2002
rénovant l'action sociale et médico-sociale, loi no
2005-102 du 11 février 2005 « pour l'égalité des
droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes
handicapées»
Toute menace envers l'une de ses valeurs devient une menace
identitaire et se traduit par un jeu de réactions variées
possibles annexe 8.
C'est ce qui fait dire à
Beji27, que l'appartenance étant une machine
de survie qui utilise le passé et le futur pour conforter le
présent, le dialogue des cultures serait en soi un leurre puisqu'il ne
pourrait aboutir qu'à la sensation de menace identitaire, avec pour
conséquence la confrontation. Pour preuve : l'inassimilable est toujours
le dernier arrivé (immigré maghrébin plus qu'italien par
exemple) et celui qui fait peur, pas forcément le plus structuré
mais celui qui sait s'inviter dans le débat public (la communauté
asiatique est la mieux structurée et la moins bien assimilée,
alors que nombre de maghrébins ont adopté des aspects du mode de
vie occidental ce qui ne les empêchent pas d'être
régulièrement la cible des propos populistes)
29
De nos jours, l'appartenance est choisie, l'individualisme
pousse le sujet à se singulariser. Il faut bien constater simplement que
si la vision du monde telle qu'elle existait auparavant, sans en faire ni la
critique ni l'éloge, s'est désacralisée, on ne
resacralisera pas ce qui a été désacralisé.
Individualisme et communautarisme renvoient à un même mal : «
la crise du lien humain »30.
C'est pourquoi on voit apparaître un éloge de la
diversité. Désormais s'affirme une conception de la
société qui n'est plus conçue sur le modèle du
« melting-pot » mais sur celui du «
salad-bowl », où les différences se
combinent sans pour autant s'effacer.
Il n'y aurait donc pas une montée du communautarisme,
d'une « fièvre identitaire », mais une recherche de
ce sentiment d'appartenance. Cette recherche se manifeste par des aspects moins
stigmatisés et plus consensuels : la revalorisation, voire la
réinvention des traditions locales, des fêtes et patrimoines
locaux32... Il est possible d'y voir aussi, un
niveau de confiance, et une faculté d'appartenance des français
plus élevés pour l'échelon local et la proximité,
plus que pour l'Etat et plus encore l'Europe32.
Dans cette perspective, « vieillir au pays »,
c'est-à-dire en intégrant plutôt une structure locale,
pourrait sembler la meilleure solution. Pourtant, S.
Olivier33, montre dans une étude
auprès de professionnels et d'usagers d'EHPAD ruraux, qu'il n'en est
rien. Bien au contraire, du fait d'une part d'une attente trop importante des
résidents, et d'autre part de la sous-estimation de la rupture par les
professionnels. Les usagers ne se sentent pas plus en sécurité,
pas moins isolés et même sensiblement moins bien. De leur
côté, les professionnels se montrent plus en difficulté en
ce qui concerne les soins au corps de personnes connues antérieurement,
et sans nécessairement avoir un effet apaisant sur les personnes
agitées. D'autres facteurs peuvent certes être identifiables comme
des niveaux de formations moins élevés dans les petites
structures locales.
Les propos d'A. Memmi27 situent la
sagesse dans une appartenance multiple et relativement
détachée:
« La sagesse réside vraisemblablement dans un
attachement et un détachement modérés, à une
certaine distance un peu ironique envers le groupe et ses valeurs, envers la
culture dans ce qu'elle comporte de fictionnel... l'imaginaire est un
indispensable recours pour respirer, lorsque l'air se fait rare... quelque soit
les avantages du resserrement des membres d'un groupe qui les
réchauffent l'un par l'autre, il vaut mieux compléter cette
solidarité organique et psychique par des dépendances à
d'autres groupes et à d'autres systèmes, qui permettent à
chacun de sauvegarder une déjà trop difficile liberté
»
Synthèse, conclusions et perspectives
« L'individu s'oppose à la
société, mais il s'en nourrit. Et l'important est bien moins
de savoir à quoi il s'oppose que ce dont il se nourrit
» André Malraux, Le temps du mépris
Le respect du sentiment d'appartenance communautaire
contribue à une impression de continuité identitaire lors de la
rupture brutale que constitue l'entrée en établissement. Cette
continuité peut jouer un rôle important dans la survie d'un
individu âgé ayant perdu de ses facultés d'adaptation.
Le respect de cette identité communautaire revêt un
caractère d'autant plus essentiel que l'avancée en âge peut
s'accompagner dans certains cas et à des degrés
différents 34:
· De la régression lexicale et syntaxique des
langages acquis (langues, dialectes régionaux), mais aussi des
difficultés d'adapter son mode de pensée et ses
représentations
· De la perte de la capacité d'acquérir ou de
s'adapter à de nouveaux standards gustatifs ou olfactifs (cuisine)
· Du besoin accentué de repères dans le
temps (horaires des repas, respect des tolérances culturelles aux
retards lors des rendez-vous, structuration de la journée par des
rituels notamment religieux...) et dans l'espace (moins bonne
représentation spatiale et tendance à réduire son
environnement à l'institution)
· De la difficulté pour de nouveaux apprentissages
(nouveaux codes culturels, relations de pouvoir...)
· D'une tendance au repli passéiste en fonction des
personnalités
· De la confrontation à la fin de vie et au respect
des rites de passage
Le sujet s'avère complexe puisqu'il est aux confluents de
la psychologie, de la sociologie, de l'ethnologie, de la philosophie, du
médical dont l'ethno-gériatrie, du social et du politique...
L'une des manières de traiter ce thème aurait
pu être de proclamer systématiquement et de façon
incantatoire les valeurs républicaines face à chaque demande
communautaire, la reléguant à la sphère strictement
privée, tout au moins pour ce qui est du domaine des institutions
médico-sociales publiques. Même si cette position s'avère
intenable et contreproductive. Il n'en demeure pas moins que cette question
semble particulièrement tabou en France au regard des publications
hexagonales, comparées à celles des pays anglophones. Alors
même que les grandes réflexions éthiques sur des sujets
aussi bloquants, que la religion ou la sexualité, font
particulièrement défaut dans une culture professionnelle qui tend
chaque jour un peu plus vers l'application de « normes iso » et de
référentiels.
A l'opposée, l'approche frontale, utilisant la notion de
communautarisme, s'avère peu propice au dialogue et certainement moins
constructive par les réactions extrêmes qu'elle suscite.
La démarche choisie a donc privilégié
l'écoute des revendications communautaires, les réticences
spécifiques, pour comprendre leurs motivations et qu'elles seraient les
difficultés des EHPAD pour y répondre.
L'essentiel n'étant pas ici d'affirmer une
vérité mais de trouver une approche constructive et
appropriée au sujet qui puisse constituer une base de réflexion,
même si elle repose sur des concepts et une modélisation de
l'évolution des mentalités du citoyen, certainement trop
simplistes et arbitraires.
Les établissements recevant un public âgé
et dépendant spécifique à l'exclusion de tout autre
population, officiellement financés avec des fonds publics pour les
soins, la dépendance ou l'hébergement, ne le sont pas pour des
communautés (d'affinités, culturelles...) mais pour :
· des personnes présentant une pathologie
spécifique (de type Alzheimer...)
· des personnes handicapées (essentiellement
mentales ou psychiques même s'il existe quelques établissements
pour personnes déficientes visuelles, polyhandicapées ou
porteuses d'une myopathie).
Il semblait donc intéressant, dans un premier temps,
de savoir si ces exceptions au caractère universaliste de l'EHPAD,
constituaient un paradigme sur lequel pouvait s'appuyer des revendications
à caractère communautaire.
De fait, tout citoyen, y compris handicapé peut
prétendre à être accueilli dans le dispositif de droit
commun que constitue un EHPAD en fonction du seul critère d'âge.
Les personnes handicapées cumulent pourtant des freins à
l'admission de 3 types :
· Des contraintes matérielles ; une prise en charge
nécessitant des compétences techniques spécifiques, des
moyens humains et financiers adaptés.
· Une représentation sociale encore
péjorative générant une ségrégation de la
part des publics accueillis et de leur famille, ainsi que des craintes des
professionnels.
· Le souhait possible de garder un lien avec une
communauté de vie à laquelle la personne a été
contrainte toute sa vie du fait de l'absence d'alternative à
l'institutionnalisation.
Dans le cas des personnes handicapées mentales,
psychiques ou polyhandicapées, ces besoins sont difficilement
conciliables avec les moyens qui sont ceux des EHPAD pour pouvoir
prétendre les accueillir dans de bonnes conditions. Le principe mis en
oeuvre par ce type d'établissement spécialisé, est donc
essentiellement celui de la compensation d'un désavantage
social. Il s'agit de constituer un terrain
d'innovations exportables pour favoriser
l'intégration, faire évoluer la connaissance et
les méthodes d'accompagnement.
Les surcoûts éventuels qu'entraine la prise en
charge des personnes handicapées mentales vieillissantes, ne sont pas
liés à un choix de vie mais bien à ce désavantage
social objectif et objectivable. Ce n'est pas le cas pour les
communautés d'affinités ou de culture, avec une nuance tout de
même, pour le respect de certaines règles alimentaires
(Cachère par exemple) qui s'avère très délicat pour
des situations ponctuelles dans les conditions habituelles de fonctionnement
d'un EHPAD.
La dichotomie entre les deux cultures professionnelles que
sont celle du handicap et celle de la gériatrie, rend judicieux la
création d'unités de vie au sein des EHPAD. Toutefois, les
caractères stigmatisant, ségrégatif et le risque accru de
repli communautaire qu'entraine la création d'unités de vie pour
d'autres publics que les personnes handicapées, n'incite pas à
privilégier ce mode de réponse.
Des critères de financements publics
proposés, ne reposant pas sur des notions trop subjectives de besoins ou
de communautarisme, pourraient se résumer ainsi :
1. Le projet est conforme aux valeurs républicaines de
liberté, d'égalité et de fraternités et respectent
les droits fondamentaux de la personne
2. Le projet d'établissement vise à maintenir la
richesse et la diversité des liens sociaux, ainsi que
l'intégration dans la cité
3. S'il déroge au principe d'égalité
d'accès à tout citoyen en fonction du seul critère
d`âge, c'est pour :
a. Répondre à un droit de compensation, un souci
de discrimination positive du fait d'un désavantage social
avéré sur des éléments objectivables et
objectifs
b. Une contrainte technique à laquelle il est
difficile de répondre dans le cadre du fonctionnement habituel d'un
EHPAD, ou du fait d'un surcoût important non négociable
En ce qui concerne la demande des usagers, elle pourrait
être déclinée de deux façons :
· Retrouver sa maison et une famille :
même si les réflexions en ce sens demeurent intéressantes,
il n'en reste pas moins qu'une institution ne sera jamais un véritable
« chez-soi » de par le nécessaire « vivre ensemble »
et le respect des règles de sécurités de plus en plus
draconiennes. De plus, la distanciation imposée aux professionnels,
n'autorise pas un lien de type familial même s'il se doit d'être
chaleureux et empathique.
· Se sentir attendu, connu et reconnu dans tous
les aspects de son identité, conserver ses repères qui
lui permettent une lecture du monde qui l'entoure, avec ses mots et son mode de
pensée, et autant que possible une richesse de ses liens sociaux. A
minima cela sous-entend : 1) que ses choix soient respectés et pouvoir
continuer à les mettre en application tout en conservant ses liens avec
sa (ou ses) communauté(s), 2) conserver la richesse de ses relations
sociales (y compris en dehors de sa communauté)
Pour autant, il serait illusoire de croire qu'un EHPAD puisse
répondre à l'infinité des approches communautaires et
à leurs déclinaisons (la communauté comme groupe
homogène est elle-même une utopie), d'autant que l'appartenance
déclarée ne présage en rien du mode de vie du sujet (il
n'en respecte que ce qu'il en connait, ce qu'il a choisi d'en respecter...)
C'est pourquoi, l'approche communautaire ne dispense en rien
d'un projet de vie totalement individualisé et d'une approche
empathique.
Une attention particulière devrait-être
portée sur l'accueil qui ne débute pas au moment de la
première visite mais peut-être anticipé par un affichage et
une valorisation des ressources de la structure. Le véritable enjeu se
trouve bien en amont, lorsque l'on est confronté à des publics
réticents. L'entrée en EHPAD ne constitue pas un objectif, mais
lorsqu'elle est inévitable, mieux vaudrait qu'elle soit vécue
à la lumière de représentations plus positives, et non
comme le renoncement à toute identité.
Les chartes, les labels (même
auto-délivrés) peuvent s'avérer utiles pour manifester
l'ouverture d'esprit des professionnels par rapport à un public qui
éprouve des réticences, témoigner des compétences
(sensibilisation, formations), de la possible présence d'autres
personnes partageant les mêmes centres d'intérêts ou
d'affinité, des liens possibles avec les communautés (animateurs
extérieurs, possibilité de tiers médiateur, regroupements
pour des sorties...), du mode de fonctionnement (cuisine adaptée aux
prescriptions religieuses ou simplement aux choix de vie de la personne comme
le végétarisme, fonctionnement ou non en unités de
vie...), des moyens matériels (accès Internet, chaines
câblées...)
Il s'agit là d'une démarche qui permet à
un public habitué au manifestations de rejets, de dépasser les
craintes, qui les poussent par anticipation à faire une lecture
orientée, interprétative et partiale des comportements des
professionnels.
De plus, cette option permet aussi de respecter le choix du
sujet qui ne souhaiterait pas voir aborder cet aspect de son intimité,
ce que ne permet pas la check-list intrusive. L'espace peut même devenir
un lieu thérapeutique, par exemple dans le cas de personnes ayant
souffert de la Shoa.
Pour l'EHPAD, la démarche préalable passe par
la définition précise des valeurs qui sous-tendent l'action,
voire des publics que l'on accueille même si toute personne doit pouvoir
avoir accès à l'institution en fonction du seul critère
d'âge.
Les missions du Directeur, pour prendre soin de cette
écologie sociale, sont multiples mais il se doit avant tout d'être
le garant :
· du multiculturalisme et favoriser la multi
appartenance pour éviter la ghettoïsation ou le sentiment
d'isolement de sujets se retrouvant minoritaires au sein d'une culture
dominante, de diluer les tensions et favoriser des appartenances relativement
distanciées
· du rappel rigoureux des limites du « vivre
ensemble », du respect dû à l'Autre
· du respect des valeurs républicaines de
liberté, d'égalité et de fraternité. La
reconnaissance de la différence ne signifie pas adhésion aux
valeurs d'autrui ni acceptation de moeurs inégalitaires, notamment
d'infériorisation des femmes.
· du partage des réflexions avec les usagers, les
familles et les professionnels,
· de la réversibilité des choix de vie de la
personne qui témoigne d'un aspect de sa liberté,
· de la richesse et de la diversité des liens
sociaux autant que faire se peut,
· de l'expression de la diversité dans le respect du
bien commun plutôt que de la réduction au petit
dénominateur commun.
· de l'accompagnement de la personne dans l'expression
de ses souhaits. Une non-demande, dans un contexte de sentiment de perte de
contrôle de son existence ou d'interdits culturels, n'implique pas
l'absence de désirs personnels mais peut témoigner d'une
autocensure plus ou moins consciente et préjudiciable.
· et surtout, de bon sens et de détermination
pour mettre en oeuvre ce projet commun
La dominance d'un groupe n'est pas chose illicite, mais la
notion de mixité (diversification par une ouverture
à toutes les catégories de la population) ne doit pas être
confondue avec celle de mixage qui consisterait à
forcer le recrutement de certaines catégories de personnes, y compris de
personnes n'appartenant pas à la communauté majoritaire dans le
seul but d'obtenir des financements publics.
Encourager la multi-appartenance à des groupes
d'affinités, peut s'avérer plus aisé dans un
établissement de taille moyenne (20 à 50 personnes)
La diversité est l'occasion d'une diversité
d'animations et d'entretenir la curiosité, de rompre la monotonie, sans
pour cela s'attacher à réformer des modes de pensées
enracinés depuis des décennies chez un sujet fragilisé.
La personne âgée a un avenir, aussi limité
puisse-t-il être, et la population des EHPAD aussi : il n'est pas certain
que l'évolution des publics accueillis ne se fasse pas vers une demande
en apparence contradictoire, déchirée entre individualisme et
besoin d'appartenance communautaire, témoin de la crise du lien
social.
Dans tous les cas, la parole du résident prime autant
que faire se peut pour qu'il soit acteur de sa vie jusqu'au bout. Et la somme
des singularités n'implique ni la division, ni la remise en cause des
valeurs universelles, mais peuvent être un facteur d'unité dans la
diversité pour peu que chacun se sente reconnu dans ce à quoi il
s'identifie et puisse offrir sa propre continuité aux autres comme une
rupture de la monotonie.
L'humanité consiste dans le fait qu'aucun homme
n'est sacrifié à un objectif
Albert Schweitzer
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pages
Annexe 1
Repères et définitions
Personne handicapée : depuis
la loi du 11 février 2005, constitue légalement un handicap,
toute limitation d'activité ou restriction de participation à la
vie en société subie dans son environnement par une personne en
raison d'une altération substantielle, durable ou définitive
d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou
psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant. En
pratique, pour ce qui concerne l'admission potentielle en établissement,
la réalité est un peu différente :
· Pour un foyer d'accueil médicalisé
destiné aux personnes handicapées vieillissantes, deux conditions
sont ajoutées pour se prévaloir du statut de personne
handicapée vieillissante : avoir été légalement et
officiellement reconnu « handicapé » avant l'âge de 60
ans (soit un taux de 80 % d'invalidité attribué par la Commission
des Droits et de l'Autonomie (CDA), soit une invalidité
sécurité sociale deuxième catégorie) et être
orienté par la CDA vers ce type d'établissement.
· Pour un EHPAD : seule la condition d'invalidité
reconnue avant 60 ans est retenue, mais de nombreux Département exigent
l'avis de leur médecin conseil ou d'un médecin de l'équipe
pluridisciplinaire de la Maison Départementale des Personnes
Handicapées pour « déroger » à la condition
d'âge. Les CDA sont incompétentes pour statuer sur les demandes
d'orientations vers les établissements pour personnes
âgées.
Personne handicapée vieilissante
(PHV): Il est possible de retenir la définition proposée
par la Caisse Nationale e Solidarité pour l'Autonomie, dans son dossier
technique d'octobre 2010 sur l'aide à l'adaptation et à la
planification de l'offre médico-sociale en faveur des personnes
handicapées vieillissantes (11). « Une
personne handicapée vieillissante est une personne qui a entamé
ou connu sa situation de handicap, quelle qu'en soit la nature ou la cause,
avant de connaître par surcroît les effets du vieillissement. Ces
effets consistent plus ou moins tardivement en fonction des personnes en
l'apparition simultanée :
· d'une baisse des capacités fonctionnelles
;
· d'une augmentation du taux de survenue des maladies
liées à l'âge, maladies dégénératives
et maladies métaboliques ;
· mais aussi d'une évolution de leurs attentes
dans le cadre d'une nouvelle étape de vie.
Cette définition impose une prise en compte du
vieillissement en tant que phénomène individuel, influencé
par l'histoire et l'environnement de la personne, se traduisant en termes de
perte d'autonomie. Un consensus se forme autour de l'âge de 40 ans,
à partir duquel la vigilance s'impose. »
Personne âgée : il
n'existe pas de définition d'une personne âgée. Une
personne de 30 ans peut paraître âgée à un enfant de
10 ans et au cours des siècles, l'âge auquel un adulte devient
âgé, a sensiblement évolué. Les études
utilisent les tranches d'âges supérieures à 75 ans, et
même désormais 80 ou 85 ans. Toutefois ici, on considérera
l'âge de 65 ans puisque c'est celui auquel une personne peut
prétendre être prise en charge au titre de l'aide sociale dans un
établissement pour personnes âgées.
La communauté : est un
état de ce qui est commun à plusieurs personnes ; similitudes ;
groupe constituant une société ; mise en commun de biens entre
époux, les biens de cette communauté. Au sens étymologique
: « cum » groupe de personne qui partage quelque chose « munus
». L'utilisation de ce terme sous-entend pour les groupes humains, le
partage de valeurs contrairement au terme de minorité qui insiste sur la
notion de nombre.
Un groupe humain est une communauté et non une
équipe si :
· Les membres ont rejoint le groupe parce qu'ils partagent
des points d'intérêts communs (ils peuvent se connaître ou
non, et l'adhésion peut-être ouverte ou fermée)
· La durée de la communauté est
indéterminée et non visant à porter un projet à
terme,
· Les membres en sont considérés comme
égaux même si un groupe doit créer la communauté
· Les membres ont une attente de ce groupe et
décident comment, quand et en quoi ils contribueront.
On distingue des communautés particulières :
· Communauté sociologique
· Intentionnelle
· De connaissance
· Emmaüs
· Historique
· Linguistique
· Religieuse
· Internationale
· Administrative
· Scientifique
· Virtuelle
· Ecologique
Le concept de communauté s'oppose à plusieurs
autres formes d'associations : société, association,
clientèle, Etat et le terme communauté possède un sens
positif (notion de bien commun).
Communautarisme présente une
connotation négative souvent utilisée pour critiquer la
communauté, censée représenter un danger pour l'ordre
officiel.
Communautarisme : est un terme créé aux
Etats-Unis dans les années 1980 pour désigner une philosophie
dite « communautariennne » qui affirme que « l'individu n'existe
pas indépendamment de ses appartenances, soient-elles culturelles,
ethniques, religieuses ou sociales. »35
Le terme est utilisé de façon polémique
en France depuis une quinzaine d`années pour qualifier l'attitude ou le
mode de vie d'une communauté minoritaire devant lesquels les
idéaux républicains, égalitaires et laïcs devraient
s'effacer au non d'un droit à la différence revendiqué par
ces minorités. Le terme agirait comme « un moteur
d'illégitimation » des revendications.
L'universalisme républicain est un
des principes corollaires de l'idéologie républicaine
française selon lequel la République est une valeur universelle
puisqu'elle prône des valeurs universelles, dont les principes de
liberté, égalité, fraternité. Elles ont donc
vocation à être adoptées par tous les humains et
appliquées uniformément.
Toutefois, cette notion d'égalité des citoyens a
subit au cours du temps des aménagements :
· Financement d'établissements scolaires
privés religieux
· Quotas de travailleurs handicapés dans les
entreprises de plus de 20 salariés, et modes de recrutement dans la
fonction publique
· Loi sur la parité homme-femme
· Aumôneries financées sur le budget de
l'hôpital
Et sans doute faut-il considéré un facteur non pris
en compte qui est celui des ressources qui ne permettent pas à tous les
citoyens d'accéder égalitairement à tous les
dispositifs...
Annexe 2
Grille d'entretien
Certaines personnes s'identifient ou sont
identifiés comme membre d'une communauté (religieuse, sociale,
culturelle...), avec parfois un ensemble de pratiques ou de codes culturels
à respecter. Le présent questionnaire concerne la prise en compte
de cette dimension dans l'accompagnement des personnes âgées
admises dans un établissement pour personnes âgées
dépendantes / (ou en foyer d'accueil médicalisé pour
personne handicapées vieillissantes)
On entend ici par communauté un
groupe d'affinités et par communautarisme un groupe
d'affinités se percevant comme plus ou moins hostile ou
ségrégant par rapport aux autres et notamment au groupe que l'on
pourrait qualifier de « dominant », « principal » ou «
majoritaire ».
Selon vous et d'après votre expérience dans le
domaine qui est le vôtre :
1. Pensez-vous que ce soit un sujet qui peut-être
facilement et librement abordé, et qui a déjà fait l'objet
d'un débat suffisant ?
2. Dans votre domaine, qu'est-ce qui relève ou non
de la notion de communauté ou de communautarisme ? Vous sentez-vous
concerné par ce sujet ? Y avez-vous été confronté ?
Pensez-vous qu'il y ait eu une évolution des demandes des
résidents ou de leur famille au cours des dernières années
?
3. Est-ce que les résidents vous semblent
plutôt bien exprimer leurs besoins spécifiques liés
à leur appartenance à une communauté (sous réserve
de capacités suffisantes sur le plan intellectuel ou de l'expression
notamment pour les personnes aphasiques) ? Et comment vous situez-vous par
rapport aux demandes des familles non exprimées par la personne
âgée ?
4. Comment définir idéalement mais aussi
concrètement, les missions d'un EHPAD : doit-il préserver cette
identité et à quel prix ? Doit-il chercher à
réduire l'expression d'un repli communautaire (cultures, croyances) ou
communautariste (plus ou moins hostile) déjà installé ?
Dans quelle mesure cet aspect intime de la personne relève-t-il du
projet d'établissement ?
5. Quels intérêts y-a-t-il pour la personne
âgée à préserver les éléments de cette
identité ou à favoriser son adaptation à un groupe de
résidents multiculturel ?
Dans quelles mesures les deux vous semblent conciliables
?
6. Concrètement, est-il possible pour un EHPAD de
préserver l'intégralité des liens communautaires des
résidents et de respecter l'ensemble des codes culturels qui y sont
liés ? Les EHPAD vous semblent-ils aujourd'hui offrir dans l'ensemble
une réponse plutôt bien adaptée aux particularismes
religieux, culturels, philosophiques, linguistiques ou de choix de vie des
résidents ? Quelle place et quels moyens doivent être
consacrés à la « culture de l'autre » et de ses
différences ?
7. Qu'est-ce qui peut justifier un projet
d'accompagnement spécifique différent de ce qui est
proposé aux autres résidents, une adaptation du fonctionnement de
l'EHPAD, ou un projet d'établissement totalement ou partiellement
dédié à une population particulière ?
Pouvez-vous préciser quels projets particuliers
(nourriture, rythmes de vie, rites funéraires avant et après
décès etc....)
8. Quels sont les principes qui peuvent guider l'action et
quelles solutions vous semblent possibles ou à explorer ?
9. Quels sont les limites que vous envisagez par rapport
: aux valeurs actuelles de la société, à la
réglementation et aux financements publics ou privés, aux
résidents eux-mêmes et notamment par rapport aux autres usagers
(majoritaires ou non par rapport au groupe communautaire) ?
10. Quel serait votre mot de conclusion ?
Annexe 3
Requêtes et résultats sur la Banque de
Données en Santé Publique (en gras les mots
clés lorsqu'ils existent dans le thésaurus de la base)
Mot-clé ou expression*
|
Occurrences
|
Pertinents
|
Tags notables
|
Communautarisme
|
14
|
4
|
Discrimination, intégration sociale, communauté,
culture, philosophie, migrants, sociétés, relations sociales
|
Migrant
|
EHPAD
|
7
|
2
|
|
M.R.
|
13
|
3
|
|
P.A.
|
407
|
|
|
Femme
|
EHPAD
|
6
|
|
Alzheimer, alcoolisme, incontinence urinaire, statistiques
|
M.R.
|
64
|
2
|
|
P.A.
|
1823
|
|
|
Laïcité
|
EHPAD
|
1
|
1
|
|
M.R.
|
2
|
1 (idem)
|
|
P.A.
|
5 (en institutions)
|
|
|
Religion
|
EHPAD
|
3
|
2
|
|
M.R.
|
18
|
5
|
|
P.A.
|
245
Dont 139 en français
|
|
Fugue, refus de soins, hospitalisation d'office,
réglementation antitabac, maltraitance
|
Confession*
|
EHPAD
|
1
|
|
|
M.R.
|
1 (idem)
|
|
|
P.A.
|
4
|
|
|
Congrég*
|
EHPAD
|
3
|
2
|
|
M.R.
|
3 (idem)
|
2 (idem)
|
|
P.A.
|
4
|
2 (idem)
|
|
Islam
|
EHPAD
|
|
|
|
M.R.
|
1
|
|
|
P.A.
|
12
|
3
|
|
Judaïsme
|
EHPAD
|
|
|
|
M.R.
|
|
|
|
P.A.
|
17
|
3
|
Génocide, survie, traumatisme, victime, psychopathologie,
guerre
|
Casher* Kasher* Cacherout
|
EHPAD
|
|
|
|
M.R.
|
|
|
|
P.A.
|
|
|
|
Personne handicapée
|
EHPAD
|
34
|
|
Parmi les tags non spécifiques, un seul handicap
apparaît, c'est le handicap mental.
|
M.R.
|
60
|
|
|
P.A.
|
1093
|
|
|
Homosexualité
|
EHPAD
|
|
|
|
M.R.
|
1
|
|
|
P.A.
|
34
|
3
|
|
* M.R. : « Maison retraite » ; P.A. : « Personne
âgée »
0 10 20 30 400
Communautarisme Migrant Femme Laïcité Religion Confession* Congrég* Islam Judaisme Casher* Personne
handicapée Homosexualité
500 1000 1500
Annexe 4 Nombre d'occurrences par requêtes dans
la Banque de Données en Santé Publique (juillet 2011)
Annexe 5
ALLEMAGNE · Un abri pour les homosexuels
âgés (article)
Passé un certain âge, les gays et lesbiennes se
trouvent de plus en plus marginalisés. Berlin veut casser ce
phénomène d'exclusion qui frappe surtout les retraités.
18.02.2011 | Markus Bernhardt | Junge Welt
(c) Dessin d'Emilie Seron, La Libre Belgique, Bruxelles
A l'instar d'autres pays industrialisés, la pyramide
des âges a changé en Allemagne au point que la classe des seniors
y est désormais la mieux représentée. D'après les
chiffres officiels, près de 10 % des Allemands se déclarent gay
ou lesbienne, pourtant les offres de service manquent pour ces populations qui
vieillissent aussi.
Début 2012, Berlin devrait accueillir le premier projet
européen destiné aux gays et lesbiennes âgés. Les
travaux actuellement en cours dans une maison de la Niebuhrstrasse,
dans le quartier de Charlottenburg, permettront de leur offrir
24 chambres, simples ou doubles, allant de 33 à 100 m2, ainsi qu'une
bibliothèque et un café - le Wilde Oscar [jeu de mots se
référant à l'écrivain britannique et au mot
allemand wild, «sauvage"] - comme lieu de rencontre au
rez-de-chaussée. D'autre part, cinq appartements devraient être
loués à de jeunes homosexuels afin de rapprocher
différentes générations. Ce projet uniquesuscite un
énorme intérêt et plus de 180 personnes sont
déjà sur liste d'attente pour y participer. En raison des
nombreux problèmes de discrimination liés à leur
orientation sexuelle, le débat public a rarement porté sur les
soins réservés à ces catégories sociales ces
dernières années.
Outre les difficultés légales et la discrimination
sociale, qui influent sur la façon dont sont traités les
homosexuels âgés, ces personnes se voient
également marginalisées au sein même de leur
communauté, oül'on préfère nettement la
jeunesse, la consommation et la mode. Dans leur étude sur
«l'homosexuel moyen»,
les chercheurs Martin Dannecker et Reimut Reiche se sont
demandé jusqu'à quel âge «les homosexuels [pouvaient]
se dire jeunes». D'après les normes en vigueur dans la
communauté, on peut se dire jeune jusqu'à 30 ans. S'ensuit alors
une courte période transitoire avant la «vieillesse», un cap
franchi en général à 35 ans.
Ce sont surtout les vrais vieux homosexuels, ceux qui sont
âgés, qui en font les frais. Les bars et les lieux de rencontre
comme les parcs, les cinémas pornos et les aires d'autoroute leur
assurent l'anonymat. Alors que les hétérosexuels peuvent trouver
des partenaires dans presque toutes les circonstances, il n'en va pas de
même pour les homosexuels. En dépit d'une plus grande
tolérance de la société, ils ne peuvent considérer
leur interlocuteur comme un partenaire potentiel ou partageant les mêmes
idées qu'eux. «Les homos ont autant de mal à éviter
cette tendance que les hétéros le mariage. Ils peuvent à
peine survivre sans un soutien et une protection», explique le sociologue
Michael Bochow dans son livre Ich bin doch schwul und will das immer
bleiben [Je suis gay et je veux toujours le rester, inédit en
français], paru en 2005.
Dès lors, on comprend mieux pourquoi les gays et les
lesbiennes âgés voudraient passer leurs soirées avec des
gens partageant leurs conceptions. Michael Bochow souligne également la
peur que ressentent ces personnes lorsqu'elles doivent être
placées dans des institutions où elles craignent souvent
d'être rejetées par les autres pensionnaires ou le personnel
soignant si elles affichent leurs préférences sexuelles. Elles
redoutent de céder à la pression sociale et de devoir renoncer
à une identité homosexuelle chèrement acquise.
Espérons en tout cas que, dans cette pension berlinoise, le maximum de
gays et de lesbiennes parviendront à échapper aux discriminations
sociales, sexuelles ou liées à la maladie et vivront sous le
même toit, toutes générations confondues. Cette forme de
vie en collectivité réduit au moins le risque de passer une
soirée dans la solitude, le dénuement et l'exclusion.
|
|
DROIT L'homosexualité en Allemagne
La persécution des gays et lesbiennes en Allemagne
s'est fondée sur le paragraphe 175 du Code pénal, instauré
en 1871 en Prusse, qui criminalise les rapports homosexuels. Le régime
nazi a durci les peines encourues et les personnes homosexuelles ont
été arrêtées et déportées dans des
camps de concentration. Le paragraphe 175 est demeuré jusqu'en 1969 en
RFA sous sa forme adoptée par l'Allemagne nazie. Après 1945 en
RFA, comme dans beaucoup d'autres pays, les gays et lesbiennes ont
été exposés à la persécution, l'oppression
et la discrimination. Près de 140 000 personnes ont été
victimes de ce paragraphe, qui fut supprimé en RDA en 1988 et
définitivement abrogé en 1994 sous l'Allemagne
réunifiée.
Annexe 6 Charte diffusée auprès des
établissements Québécois (Août 2011)
Annexe 7
Charte des droits et libertés de la personne
accueillie
Article L. 311-4 du code de l'action sociale et des familles
(Loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 art. 4 I, II, art. 8 Journal
Officiel du 3 janvier 2002)
Afin de garantir l'exercice effectif des droits
mentionnés à l'article L. 311-3 et notamment de prévenir
tout risque de maltraitance, lors de son accueil dans un établissement
ou dans un service social ou médico-social, il est remis à la
personne ou à son représentant légal un livret d'accueil
auquel sont annexés :
a) Une charte des droits et libertés de la personne
accueillie, arrêtée par les ministres compétents
après consultation de la section sociale du Comité national de
l'organisation sanitaire et sociale mentionné à l'article L.
6121-9 du code de la santé publique ;
b) Le règlement de fonctionnement défini
à l'article L. 311-7.
Un contrat de séjour est conclu ou un document
individuel de prise en charge est élaboré avec la participation
de la personne accueillie ou de son représentant légal. Ce
contrat ou document définit les objectifs et la nature de la prise en
charge ou de l'accompagnement dans le respect des principes
déontologiques et éthiques, des recommandations de bonnes
pratiques professionnelles et du projet d'établissement. Il
détaille la liste et la nature des prestations offertes ainsi que leur
coût prévisionnel.
Le contenu minimal du contrat de séjour ou du document
individuel de prise en charge est fixé par voie réglementaire
selon les catégories d'établissements et de personnes
accueillies.
Article 1er - Principe de non-discrimination
Dans le respect des conditions particulières de prise
en charge et d'accompagnement, prévues par la loi, nul ne peut faire
l'objet d'une discrimination à raison de son origine, notamment ethnique
ou sociale, de son apparence physique, de ses caractéristiques
génétiques, de son orientation sexuelle, de son handicap, de son
âge, de ses opinions et convictions, notamment politiques ou religieuses,
lors d'une prise en charge ou d'un accompagnement, social ou
médico-social.
Article 2 - Droit à une prise en charge ou
à un accompagnement adapté
La personne doit se voir proposer une prise en charge ou un
accompagnement, individualisé et le plus adapté possible à
ses besoins, dans la continuité des interventions.
Article 3 - Droit à l'information
La personne bénéficiaire de prestations ou de
services a droit à une information claire, compréhensible et
adaptée sur la prise en charge et l'accompagnement demandés ou
dont elle bénéficie ainsi que sur ses droits et sur
l'organisation et le fonctionnement de l'établissement, du service ou de
la forme de prise en charge ou d'accompagnement.
La personne doit également être informée sur
les associations d'usagers oeuvrant dans le même domaine.
La personne a accès aux informations la concernant dans
les conditions prévues par la loi ou la réglementation.
La communication de ces informations ou documents par les
personnes habilitées à les communiquer en vertu de la loi
s'effectue avec un accompagnement adapté de nature psychologique,
médicale, thérapeutique ou socio-éducative.
Article 4 - Principe du libre choix, du consentement
éclairé et de la participation de la personne
Dans le respect des dispositions légales, des
décisions de justice ou des mesures de protection judiciaire ainsi que
des décisions d'orientation :
1. La personne dispose du libre choix entre les prestations
adaptées qui lui sont offertes soit dans le cadre d'un service à
son domicile, soit dans le cadre de son admission dans un établissement
ou service, soit dans le cadre de tout mode d'accompagnement ou de prise en
charge ;
2. Le consentement éclairé de la personne doit
être recherché en l'informant, par tous les moyens adaptés
à sa situation, des conditions et conséquences de la prise en
charge et de l'accompagnement et en veillant à sa
compréhension.
3. Le droit à la participation directe,
ou avec l'aide de son représentant légal, à la
conception et à la mise en oeuvre du projet d'accueil et
d'accompagnement qui la concerne lui est garanti. Lorsque l'expression par la
personne d'un choix ou d'un consentement éclairé n'est pas
possible en raison de son jeune âge, ce choix ou ce consentement est
exercé par la famille ou le représentant légal
auprès de l'établissement, du service ou dans le cadre des autres
formes de prise en charge et d'accompagnement. Ce choix ou ce consentement est
également effectué par le représentant légal
lorsque l'état de la personne ne lui permet pas de l'exercer
directement. Pour ce qui concerne les prestations de soins
délivrées par les établissements ou services
médico-sociaux, la personne bénéficie des conditions
d'expression et de représentation qui figurent au code de la
santé publique.
La personne peut être accompagnée de la personne de
son choix lors des démarches nécessitées par la prise en
charge ou l'accompagnement.
Article 5 - Droit à la renonciation
La personne peut à tout moment renoncer par
écrit aux prestations dont elle bénéficie ou en demander
le changement dans les conditions de capacités, d'écoute et
d'expression ainsi que de communication prévues par la présente
charte, dans le respect des décisions de justice ou mesures de
protection judiciaire, des décisions d'orientation et des
procédures de révision existantes en ces domaines.
Article 6 - Droit au respect des liens
familiaux
La prise en charge ou l'accompagnement doit favoriser le
maintien des liens familiaux et tendre à éviter la
séparation des familles ou des fratries prises en charge, dans le
respect des souhaits de la personne, de la nature de la prestation dont elle
bénéficie et des décisions de justice. En particulier, les
établissements et les services assurant l'accueil et la prise en charge
ou l'accompagnement des mineurs, des jeunes majeurs ou des personnes et
familles en difficultés ou en situation de détresse prennent, en
relation avec les autorités publiques compétentes et les autres
intervenants, toute mesure utile à cette fin.
Dans le respect du projet d'accueil et d'accompagnement
individualisé et du souhait de la personne, la participation de la
famille aux activités de la vie quotidienne est favorisée.
Article 7 - Droit à la protection
Il est garanti à la personne comme à ses
représentants légaux et à sa famille, par l'ensemble des
personnels ou personnes réalisant une prise en charge ou un
accompagnement, le respect de la confidentialité des informations la
concernant dans le cadre des lois existantes.
Il lui est également garanti le droit à la
protection, le droit à la sécurité, y compris sanitaire et
alimentaire, le droit à la santé et aux soins, le droit à
un suivi médical adapté.
Article 8 - Droit à l'autonomie
Dans les limites définies dans le cadre de la
réalisation de sa prise en charge ou de son accompagnement et sous
réserve des décisions de justice, des obligations contractuelles
ou liées à la prestation dont elle bénéficie et des
mesures de tutelle ou de curatelle renforcée, il est garanti à la
personne la possibilité de circuler librement. A cet égard, les
relations avec la société, les visites dans l'institution,
à l'extérieur de celle-ci, sont favorisées. Dans les
mêmes limites et sous les mêmes réserves, la personne
résidente peut, pendant la durée de son séjour, conserver
des biens, effets et objets personnels et, lorsqu'elle est majeure, disposer de
son patrimoine et de ses revenus.
Article 9 - Principe de prévention et de
soutien
Les conséquences affectives et sociales qui peuvent
résulter de la prise en charge ou de l'accompagnement doivent être
prises en considération. Il doit en être tenu compte dans les
objectifs individuels de prise en charge et d'accompagnement.
Le rôle des familles, des représentants
légaux ou des proches qui entourent de leurs soins la personne
accueillie doit être facilité avec son accord par l'institution,
dans le respect du projet d'accueil et d'accompagnement individualisé et
des décisions de justice.
Les moments de fin de vie doivent faire l'objet de soins,
d'assistance et de soutien adaptés dans le respect des pratiques
religieuses ou confessionnelles et convictions tant de la personne que de ses
proches ou représentants.
Article 10 - Droit à l'exercice des droits
civiques attribués à la personne accueillie
L'exercice effectif de la totalité des droits civiques
attribués aux personnes accueillies et des libertés individuelles
est facilité par l'institution, qui prend à cet effet toutes
mesures utiles dans le respect, si nécessaire, des décisions de
justice.
Article 11 - Droit à la pratique
religieuse
Les conditions de la pratique religieuse, y compris la visite
de représentants des différentes confessions, doivent être
facilitées, sans que celles-ci puissent faire obstacle aux missions des
établissements ou services. Les personnels et les
bénéficiaires s'obligent à un respect mutuel des
croyances, convictions et opinions. Ce droit à la pratique religieuse
s'exerce dans le respect de la liberté d'autrui et sous réserve
que son exercice ne trouble pas le fonctionnement normal des
établissements et services.
Article 12 - Respect de la dignité de la personne
et de son intimité
Le respect de la dignité et de l'intégrité
de la personne est garanti. Hors la nécessité exclusive et
objective de la réalisation de la prise en charge ou de
l'accompagnement, le droit à l'intimité doit être
préservé.
Annexe 8
Résumé
Le respect du sentiment d'appartenance communautaire est un
fil rouge entre le domicile et l'EHPAD, parfois essentiel pour la survie d'une
personne âgée qui a perdu une partie de ses facultés
d'adaptation. Il s'agit d'un sujet tabou en France qui entraine des
réponses extrêmes : entre le radicalisme d'un universalisme
républicain et les revendications communautaristes. L'EHPAD a un
caractère universaliste (condition d'âge uniquement), toutefois,
un EHPAD ne peut anticiper l'ensemble des identités communautaires.
Celles-ci ne présageant pas de ce qu'en connait ou respecte la personne,
l'élaboration des projets de vie doit être individualisé,
construit en situation, dans une démarche empathique reposant sur le bon
sens.
L'utilisation de chartes peut-être un moyen d'anticiper
l'accueil de certains publics réticents sans avoir le caractère
intrusif d'une check-list : chacun aspirant à se sentir connu et reconnu
dans tous les aspects de sa vie sans nécessairement voir sa
personnalité réduite à cet aspect.
Les financements publics ne devraient concerner que les
établissements dont le projet respecte les valeurs républicaines
de liberté, d'égalité et de fraternité, tout en
maintenant la richesse et la diversité des liens sociaux ainsi que
l'intégration dans la cité. Si la structure est
réservée à un public spécifique, les financements
publics ne devraient intervenir que pour ceux qui répondent à un
désavantage social avéré sur des éléments
objectifs et objectivables, ou à une contrainte technique entrainant
notamment un surcoût qui revient à la charge de la
Société.
Mots clés
Personnes âgées, Etablissements
d'Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes, EHPAD,
maison de retraite, communauté, communautaire, communautarisme,
identité sociale, laïcité, immigration, femmes, personnes
handicapées, religion, judaïsme, islam, minorités,
congrégations, confessionnel, homosexuel ,
|