2.2.3. LES ORGANISMES PUBLICS DE FINANCEMENT DU MONDE RURAL
AU CAMEROUN
1) La Banque Camerounaise de
Développement(BCD)
Dès l'indépendance, l'une des premières
actions du nouveau gouvernement camerounais fut la création de la Banque
Camerounaise de Développement (BCD) dont l'une des principales missions
était d'assurer la distribution du crédit en milieu rural pour en
stimuler le développement (Foko, 1994). Plus tard, la BCD est
remplacée par les sociétés mutuelles de
développement rural (SOMUDER) qui étaient des structures beaucoup
plus rapprochées des populations rurales et dont les actions devaient
mieux satisfaire leurs besoins. Malheureusement, malgré tous les efforts
déployés par le gouvernement, les résultats à
l'instar de ceux de la BCD, sont restés très en dessous des
prévisions. Le développement rural attendu n'a pas
été obtenu. Ce second échec a poussé le
gouvernement à créer le Fond National de Développement
Rural (FONADER)
2) Le FONADER
a) Les missions du FONADER
Le FONADER fut d'abord rattaché au ministère de
l'agriculture avant d'être érigé en organisme
étatique ayant une autonomie financière. Il avait pour missions
:
o l'administration, le stockage et la distribution des intrants
agricoles subventionnés ;
o la promotion et la distribution du crédit agricole ;
o le financement et le suivi de certains projets de
développement.
b) Le fonctionnement du FONADER
Le fonds s'était doté pour ce faire d'une
structure décentralisée au niveau des provinces et des
départements avec des bureaux périodiques installés un peu
partout dans le pays afin de se rapprocher du monde rural. Son activité
de crédit s'effectuait soit de façon directe aux individus, aux
groupes d'agriculteurs (crédit GAM) afin de réduire les
coûts de transaction et faciliter le recouvrement ;soit sous forme de
crédits d'investissements aux coopératives et aux
adhérents des coopératives(crédit adhérents) qui
permettaient de refinancer les crédits mis à la disposition des
coopératives afin de leur permettre d'atteindre les petits agriculteurs
;soit encore aux sociétés de développement avec ou sans
activité de commercialisation .
Le FONADER est représenté à l'Ouest
à partir de 1979. Son objectif est le financement du secteur agricole.
Il offre des crédits individuels aux paysans capables d'offrir des
garanties, des crédits collectifs à des "GAM", des groupements
d'agriculteurs modernes, et aux coopératives. Comme le FONADER ne
dispose pas de structures propres dans la région, il a
opéré à travers les coopératives de café
(Schaefer-Kehnert et Hans, 1988). Cette collaboration n'a pas été
très fonctionnelle: D'abord le règlement de la collaboration
coopérative FONADER n'incitait pas les coopératives à
veiller à la récupération des fonds du FONADER. En
conséquence le recouvrement des crédits est faible (Heidhues et
Weinschenk, 1986).
Les coopératives dans l'ensemble jouaient le rôle
de courroie de transmission dans la distribution de Crédit Engrais,
Crédit Fongicides et Crédit Pulvérisateurs financés
par le FONADER et aussi pouvaient distribuer des crédits directs
à leurs adhérents à partir des fonds venus de
l'étranger (Kouomou, 2006).Il est considéré comme le
véritable organisme de financement du monde rural ; c'est ainsi qu'on le
qualifiait de « banque des paysans » (Fodouop ,2003 ; Mouiche
,2005).Mais comme le note Tedga (1990), destiné dès le
départ à être rapidement transformé en
véritable banque agricole, il n'a jamais pu le devenir.
c) Les points forts du FONADER
Le Fonds national de développement rural au Cameroun
(FONADER) a été conçu comme une « banque du paysan
». A ce titre, il devait accorder directement des crédits aux
paysans individuels ou à des groupements engagés dans
l'agriculture ou l'élevage comme le montre le tableau suivant :
Tableau 1 : Crédits accordés par le
FONADER par filière (103 FCFA)
Exercice
|
Montant par filière
|
Montant TOTAL
|
Agriculture
|
Élevage
|
Autres
|
1973-74
|
154141
|
7000
|
-
|
161 141
|
1974-75
|
641691
|
150962
|
97148
|
889 801
|
1975-76
|
792622
|
352018
|
142243
|
1 286 883
|
1976-77
|
1349496
|
397846
|
72475
|
1 819 817
|
1977-78
|
1063118
|
691923
|
646742
|
2 401 883
|
1978-79
|
1249059
|
605041
|
614400
|
2 468 500
|
1979-80
|
1173193
|
435190
|
447809
|
2 056 192
|
1980-81
|
1387322
|
318952
|
471997
|
2 178 171
|
1981-82
|
993473
|
434700
|
522276
|
1 951 249
|
1982-83
|
998766
|
569073
|
632021
|
2 199 860
|
1983-84
|
1069028
|
587223
|
332301
|
1 998 552
|
1984-85
|
1930233
|
1697136
|
3455365
|
7 082 704
|
1985-86
|
3040598
|
1245446
|
1714617
|
6 000 861
|
1986-87
|
2819979
|
1368385
|
1321671
|
5 510 035
|
1987-88
|
7092
|
38480
|
430
|
46 102
|
Source: Stratégies de développement agricole
1980-1990 (Extrait de Ondoa Manga Tobie, 2006)
Il devait également intervenir directement dans les
coopératives et les projets agricoles pour une promotion du marketing de
leurs produits. C'est dans ce cadre qu'il a eu à financer des projets
tels que la SOCAPALM, les hauts plateaux de l'Ouest, le projet Nord-Ouest
Bénoué (NOB), la SEMRY.
A cet effet, Mouiche (2005) pense que par l'octroi des
crédits à faible taux d'intérêt aux agriculteurs et
à la simplicité des procédures, cette structure
était très active pour un monde rural très faiblement
bancarisé. Les activités menées par le FONADER dans
l'ouest au cours de l'exercice1985/1986, ont consisté à la
distribution des crédits dont les chiffres paraissent tout aussi
faramineux : crédits individuels : 463 244 785 contre 322 932 464 en
1984/1985 soit une augmentation de 43,45% ; crédits aux
coopératives : 203 000 000 FCFA.
Ngonthe pense alors que le FONADER est resté la plus
importante source des crédits agricoles jusqu'en 1987 année de
cessation de ses activités. Les prêts sont passés de 2
milliards en 1980/1981 à plus de 7 milliards en 1984/1985 pour chuter
à seulement 46 millions en 1987/1988 comme le montre le tableau ci
dessous.
Tableau 2 : Crédits accordés par le FONADER
par catégorie d'acteurs (103 FCFA)
Exercice
|
Montant par catégorie de
bénéficiaires3
|
Montant TOTAL
|
Individus
|
GAM
|
COOP
|
Sociétés de
Développement
|
1973-74
|
45590
|
41628
|
11773
|
62150
|
161 141
|
1974-75
|
418762
|
154918
|
194875
|
121246
|
889 801
|
1975-76
|
646789
|
256988
|
97200
|
285906
|
1 286 883
|
1976-77
|
711264
|
370281
|
291625
|
446647
|
1 819 817
|
1977-78
|
702543
|
410824
|
396881
|
891635
|
2 401 883
|
1978-79
|
635330
|
481854
|
425638
|
925658
|
2 468 480
|
1979-80
|
876372
|
502430
|
652390
|
25000
|
2 056 192
|
1980-81
|
876879
|
482606
|
412686
|
406000
|
2 178 171
|
1981-82
|
876000
|
460842
|
567597
|
46810
|
1 951 249
|
1982-83
|
1001919
|
154052
|
676889
|
367000
|
2 199 860
|
1983-84
|
1391755
|
245434
|
201363
|
150000
|
1 998 552
|
1984-85
|
4210448
|
234462
|
2597794
|
40000
|
7 082 704
|
1985-86
|
5069346
|
419515
|
362000
|
150000
|
6 000 861
|
1986-87
|
4194294
|
385741
|
930000
|
-
|
5 510 035
|
1987- 88
|
46102
|
-
|
-
|
-
|
46 102
|
Source: Stratégies de développement agricole
1980-1990(Extrait de Ondoa Manga Tobie, 2006)
d) Les limites du FONADER
Le FONADER a effectivement apporté un soutien financier
aux sociétés d'encadrement du monde rural, jusqu'à sa
suppression en 1987, il a failli a sa mission d'assistance matérielle et
pécuniaire aux paysans .Et pour cause : ne disposant que de sept agences
a Yaoundé, Douala, Bafoussam, Kumba et Bertoua, il n'était pas en
mesure d'assurer, une couverture complète du pays. Sur ce plan, la
distance à parcourir pour atteindre l'agence FONADER la plus proche
était si grande que les paysans des provinces de l'Adamaoua, de
l'Extrême -Nord, du Sud et des département de la Boumba-Ngoko,du
Mbam, de la Haute Sanaga et du Nkam avaient renoncé à compter sur
cet organisme. En outre, au lieu d'accorder des crédits aux paysans qui
se présentaient à ses rares agences, le FONADER
préférait satisfaire les fonctionnaires disposant d'appuis
politiques ou des protections au plus haut niveau qui le sollicitaient à
titre d'agriculteurs (Fodouop, 2003). Et comme par-dessus tout cet organisme
supportait des charges de fonctionnement élevées, il allait
connaitre des défaillances. Ainsi, au début de l'année
1982,face à l'amenuisement de ses ressources lié au non
recouvrement des prêts consentis aux fonctionnaires
déguisés en agriculteurs, aux frais de
3 GAM : Groupement
d'Agriculteurs modernes ; COOP : cooperatives.
fonctionnement élevés et à une gestion
approximative, il ne pouvait plus fournir un soutien financier aux
sociétés d'encadrement rural, ni accorder de nouveaux
crédits.
A cause des difficultés rencontrées au niveau du
recouvrement des crédits individuels, cette forme d'intervention a
beaucoup plus touché les grands agriculteurs et les salariés car
ces derniers représentaient selon le fonds des risques moindres du fait
qu'ils pouvaient garantir les prêts avec leur salaire. Aussi, au niveau
des crédits GAM (Groupement d'Agriculteurs Moderne), la
difficulté a été la qualité des groupes qui ont
présenté des imperfections. Ces groupes étaient pour la
plupart des groupes désorganisés, fictifs et parfois crées
dans le seul but d'obtenir un crédit, ce qui a durement entamé
l'impact du fonds. Pour mieux appuyer ces insuffisances, Tedga (1990) mentionne
que sur les 50 627milliards de FCFA de budget, le FONADER n'a pas
disposé de plus de 15% pour le crédit aux paysans. Aussi, il est
resté posé l'eternel problème de gestion des
crédits alloués aux agriculteurs, et qui ne sont pas totalement
recouvrés. Dans le même ordre d'idées, Foko (1994) pense
que comme ses prédécesseurs, le FONADER a rencontré de
nombreux problèmes dans l'accomplissement de sa mission. C'est pourquoi
ses réalisations sont restées en dessous des objectifs qui lui
avaient été assignés, comme l'indique le tableau 3
Tableau 3: Prévisions et réalisations de
crédit du FONADER entre 1979/80 et 1983/84 (en millions de
FCFA)
Années
|
Prévisions
|
Réalisations
|
Taux réalisé
|
1979/80
|
2 350
|
2 056
|
87 ,5%
|
1980/81
|
2 379
|
2 178
|
91,5%
|
1981/82
|
4 701
|
1 950
|
41,4%
|
1982/83
|
4 642
|
2 199
|
47,3%
|
1983/84
|
5 300
|
1 988
|
37,5%
|
Total
|
19 372
|
19 371
|
53,5%
|
Source : Archives du FONADER cité par
Foko, 1994.
Il est important de noter comme le démontre Foko (1994)
que, un programme de crédit efficace doit pouvoir
récupérer tous les fonds distribués pour pouvoir les
réinjecter dans le circuit. Or le FONADER a eu beaucoup de
problèmes dans le recouvrement des fonds distribués dans la
région de l'Ouest. Les taux d'impayés enregistrés ont
été très élevés comme l'illustre le tableau
4
Tableau 4 : Evolution des impayés entre 1983 et
1985 à l'Agence FONADER de
l'OUEST (FCFA)
Années
|
Sommes dues
|
|
Sommes recouvrées
|
Taux de recouvrement
|
1982/83
|
204
|
846
|
841
|
|
60 859 835
|
27,7%
|
1983/84
|
256
|
441
|
442
|
|
38 266 990
|
14,9%
|
1984/85
|
376
|
653
|
458
|
|
143 806
|
38,1%
|
|
|
|
|
|
785
|
|
Total
|
837
|
941
|
741
|
242
|
933 610
|
29,1%
|
Source : Agence du FONADER à
Bafoussam.
Le fonds faisant face à un taux important
d'impayés va être confronté au processus de restructuration
des années 1989/1992 qui entrainera donc sa liquidation et son
remplacement par le Crédit Agricole du Cameroun(CAC).
|