Chap. I. LA POLITIQUE DE RECONCILIATION AU RWANDA
1.1 Aperçu général et orientation
théorique du travail
1.1.1 Problématique
Le processus d'unité et de réconciliation au
Rwanda est un chemin où chaque pas compte. Il s'agit d'unifier les
Rwandais et leur donner la chance de revivre ensemble en toute paix et de faire
du Rwanda une nation paisible, unie et prospère, où toutes et
tous ont les mêmes droits et peuvent participer ensemble au
développement du pays. Ceci correspond à la vision de la
CNUR9.
Certes, le génocide des Tutsi ne doit pas être
perçu comme un incident de parcours mais comme l'aboutissement d'un plan
conçu par les autorités politiques rwandaises, qui a
remarquablement atteint son objectif en 1994 en emportant plus d'un million de
vies, des Tutsi pour la plupart.
Par ailleurs, le Rwanda est un pays au passé douloureux
qui, jusqu'à présent, n'est pas partagé ni compris de la
même façon par tous les Rwandais. L'idéologie
génocidaire qui a tiré sa substance dans la politique coloniale
au Rwanda n'est pas encore, malheureusement,
éradiquée10. Des milliers d'orphelins, des centaines
de veuves ont encore des plaies qui saignent, des milliers de prisonniers sont
encore détenus malgré la clémence des juridictions Gacaca
qui en ont déjà libéré de dizaines de milliers.
Selon la CNUR11, le processus de réconciliation
doit être soutenu par les piliers incontournables que sont la
vérité, la justice, ou encore le pardon.
9 IJR, The impact assessment of the National Unity
and Reconciliation Commission, Kigali, November 2007, p.3-4
10 Parlement rwandais, L'état de
l'idéologie de génocide dans le milieu éducatif,
Kigali, 2007, p. 33-41
11 CNUR, Rapport du 2eme Sommet national,
Kigali, 2002, p.26
Une justice qui doit être rendue à la
lumière de la vérité dévoilée, le pardon
découlant de l'amour qui dépasse les barrières de la haine
et qui inclut même l'adversaire, en vue de développer une
mémoire différente capable de gérer le présent pour
un lendemain radieux.
Selon GOUTEUX, le génocide de 1994, par la
radicalisation des perceptions identitaires, a rendu complexe et
compliquée la notion d'unité et réconciliation des
Rwandais12. Ainsi, le gouvernement national installé en
juillet 1994 a placé l'unité et la réconciliation des
Rwandais au coeur de sa mission.
Dès la création de la CNUR en 1999, les
divergences et les réticences quant à sa mission ont
provoqué des discussions au sein de la société rwandaise.
Pour certains, il fallait se limiter à l'unité puisqu'il
était encore trop tôt pour parler de réconciliation. Pour
d'autres, il semblait plus correct de parler d'unité et de cohabitation
puisque la notion de réconciliation leur paraissait trop ambitieuse ;
enfin, pour d'autres encore, il fallait rendre justice et la
réconciliation viendrait de soi par après13.
Toutes ces différences de perception font
apparaître une question controversée consistant à savoir
qui se réconcilie avec qui ? S'agit-il de réconcilier le Hutu
avec le Tutsi, les bourreaux avec les victimes ou les nouveaux dirigeants et
leurs opposants?
Le génocide n'est pas un accident. Il est une
conséquence des idéologies ethnicistes d'exclusion et de
discrimination institutionnalisées par les pouvoirs successifs. Pour la
CNUR, le concept d'unité et réconciliation doit cibler non
seulement le contexte du génocide, mais aussi toutes les causes du mal
rwandais en tenant compte du cadre historique et idéologique.
12 Jean Paul GOUTEUX., Un genocide secret dEtat.
La France et le Rwanda 1990-1997, Paris, Ed Sociales, 1998, p.196,
13 Anastase SHYAKA., Le conflit rwandais,
Butare, UNR, 2004, p.53-54
Il s'agit donc d'un processus visant à redonner valeur
à l'identité nationale et recréer un esprit de patriotisme
chez les Rwandais.
Parlant de l'histoire, Léonidas RUSATIRA, dans son
ouvrage Rwanda, le droit à l'espoir, dit que la
vérité historique ne sera authentique que si elle n'est
monopolisée par qui que ce soit, mais partagée en tant que
patrimoine commun et non la création de l'imagination
politique14. L'histoire étant un sujet inépuisable, au
Rwanda, on ne fait que l'effleurer tandis que le fond s'entête à
rester inaccessible, faute d'explorateurs avisés.
Dans la vie quotidienne, la réconciliation se fait
entre l'opprimé et l'oppresseur avec ou sans médiation. De toutes
les façons, la reconnaissance du tort et l'expression du regret par
celui qui l'a commis et la demande de pardon constituent des ingrédients
à la réconciliation et à l'établissement d'une
nouvelle relation.
Le cas rwandais est tel qu'aucun de ces préalables
n'existe. Et c'est bien là un des obstacles majeurs à ce
processus. Comment réconcilier les Rwandais quand le poids de la haine
est encore perceptible, les blessures du génocide non encore
cicatrisées ? Peut-on les réconcilier lorsque la justice
internationale et même nationale n'a pas fini de rendre les jugements et
que loin de demander pardon, certains criminels sont encore en liberté
et continuent leur plan de génocide? Le Rwanda devrait-t-il attendre que
ces obstacles soient levés pour commencer l'étape de la
réconciliation ? Devrait-t-il attendre la cicatrisation des blessures du
génocide pour entamer le processus de la réconciliation nationale
? Le Rwanda était-il capable de gérer seul ce lourd travail de
réconcilier un peuple déchiré par un conflit de longue
durée ? Les interventions extérieures étaientelles les
bienvenues dès l'instant où la Communauté Internationale
(CI) avait abandonné les Rwandais au moment le plus difficile ?
14 Leonard RUSATIRA., Rwanda, le droit d
l'espoir, Paris, L'Harmattan, 2005, p.152-157
Toutes ces questions constituent le pilier des arguments de
ceux qui estiment que l'intervention de l'UE et ses initiatives stimulent la
création des conditions favorables à la réconciliation de
la nation rwandaise.
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