L'enquête des juridictions pénales internationales.( Télécharger le fichier original )par José Tasoki Manzele Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Docteur en droit 2011 |
Section II. Les ordonnances du Juge statuant sur les mesures provisoiresL'expression « mesures provisoires » indique, en droit interne, un ensemble de décisions prises par le juge, le plus souvent celui des référés, pour la durée d'un procès1189(*). Cette expression semble donc impropre en procédure pénale, d'autant que le juge saisi est appelé à se prononcer sur des questions liées directement à l'infraction commise et portant sur l'existence d'indices ou de preuves du fait, la responsabilité pénale du délinquant et, plus loin, le prononcé de la juste peine. L'expression devient intéressante en procédure pénale lorsqu'elle porte sur des mesures prises pour la durée du procès afin de régler momentanément une situation urgente en attendant une décision définitive1190(*). Il s'agit des mesures conservatoires dont l'intérêt, dans le cadre de la justice pénale internationale, repose sur deux éléments : l'urgence de la décision1191(*) et le caractère provisoire de celle-ci, avec comme possibilité de subir des modifications sur la preuve d'un fait nouveau1192(*). Paragraphe I. Les mesures provisoires précédent tout examen sur la compétence de la Cour ou la recevabilité de l'affaireA. Enumération et justification Il ressort de l'article 15, §4 du Statut de Rome que « (...) Si elle [la Chambre préliminaire] estime, après examen de la demande et des éléments justificatifs qui l'accompagnent, qu'il existe une base raisonnable pour ouvrir une enquête et que l'affaire semble relever de la compétence de la Cour, la Chambre préliminaire donne son autorisation, sans préjudice des décisions que la Cour prendra ultérieurement en matière de compétence et de recevabilité (...) ». La disposition de l'article 15 du Statut de Rome, qui se situe dans le chapitre II consacré à la compétence, à la recevabilité et au droit applicable, fait passer en priorité l'examen de la compétence et de recevabilité sur la décision d'ouverture d'une enquête au vu de renseignements reçus. Seule l'urgence pourrait justifier l'inversion de la procédure. La décision dans ce cas ne serait que provisoire et ce, en attendant la décision ultérieure en matière de compétence et de recevabilité. De même, l'article 18, §6 du même Statut de Rome dispose que le juge en Chambre préliminaire peut donner pouvoir au Procureur de prendre des mesures d'enquêtes nécessaires en vue de la sauvegarde et de la préservation des preuves dans le cas où l'occasion de les recueillir ne se représentera pas ou s'il y a un risque appréciable que ces preuves ne soient plus disponibles par la suite. La mesure provisoire est prise par la Chambre préliminaire à titre conservatoire1193(*). Elle consiste à anticiper, voire à devancer les manoeuvres dilatoires ou compromissoires d'un Etat qui tenterait, en se réclamant compétent pour juger un crime international, d'assurer l'impunité d'un délinquant qui se trouve sur son territoire. Cette mesure conservatoire trouve sa justification dans l'urgence dont l'appréciation revient à l'auteur de l'enquête, c'est-à-dire le Procureur. Le Juge saisi prévient à l'occasion la destruction des preuves alors que l'enquête sur le crime international est confiée momentanément, pendant un court délai de six mois, à l'Etat qui s'en réclame compétent. Il paraît donc évident que la décision provisoire du Juge, qui précède tout examen sur la compétence et la recevabilité, autorise le Procureur à ouvrir une enquête, à rassembler et/ou préserver les éléments de preuve, à recueillir la déposition ou le témoignage avant tout examen sur la compétence ou la recevabilité et à coopérer avec un Etat en vue d'empêcher la fuite d'un suspect. Au demeurant, déjà à ce stade de procès les mesures provisoires prises par le Juge assurent la validation de l'action du Procureur à laquelle elles insufflent une autorité judiciaire, non sans en permettre aussi le contrôle1194(*) par le même Juge qui dispose d'un pouvoir général de suivi des enquêtes. Le Juge contrôle les actes du Procureur et autorise au préalable l'ouverture d'une enquête à l'initiative du Procureur1195(*). L'effet générateur de ces différentes mesures provisoires demeure sans nul doute l'urgence, que le Procureur apprécie souverainement et dont il soumet l'examen à l'approbation du juge de la chambre préliminaire. B. La procédure en vue des mesures provisoires En l'absence de tout contrôle du Procureur par le Juge devant les juridictions ad hoc, il n'existe aucune procédure particulière en ce qui concerne ces juridictions. Par contre, en ce qui concerne la Cour pénale internationale, le Règlement de procédure et de preuve prévoit la procédure relative à la demande d'obtention des mesures provisoires qui autorisent le Procureur à ouvrir une enquête avant tout examen sur la compétence et la recevabilité1196(*).
Le Procureur qui décide d'ouvrir une enquête se fonde sur des renseignements qu'il reçoit en rapport avec un crime de la compétence de la Cour. Il peut se fonder aussi sur des dépositions écrites ou orales recueillies au siège de la Cour. Dans ce cas, Il en vérifie préalablement le sérieux, en recherchant des renseignements supplémentaires auprès des Etats, Organisations intergouvernementales et non gouvernementales ou auprès de toutes sources dignes de foi. Les renseignements reçus doivent amener le Procureur à une forte conviction de l'existence d'une base raisonnable pour ouvrir une enquête, c'est-à-dire les renseignements fournis au Procureur doivent lui donner des motifs raisonnables de croire en l'existence d'un crime de la compétence de la Cour, en la forte probabilité que l'affaire sera recevable et en l'existence des raisons sérieuses que l'enquête servirait les intérêts de la justice1197(*). Fort de cette conviction, le Procureur adresse à la Chambre préliminaire une requête dans la quelle il sollicite une autorisation d'ouvrir une enquête. A l'occasion, il prend soin d'en informer les victimes qu'il connaît ou qui sont connues de la division d'aide aux victimes et témoins1198(*). Dans la requête qu'il adresse à la Chambre préliminaire, le Procureur doit motiver sa demande en présentant la pertinence de sa conviction sur le crime, la recevabilité de l'affaire et l'intérêt qu'il y a à ce que justice soit rendue par le Juge. Ce dernier peut aussi lui demander de fournir de plus amples renseignements concernant sa requête. Officiellement informées de la requête du Procureur, les victimes peuvent faire par écrit des représentations. Il se déroule donc entre le Juge, le Procureur et, éventuellement les victimes, un échange écrit d'arguments sur la possibilité d'ouvrir une enquête sans au préalable décider de la compétence et de la recevabilité. Dans une certaine mesure et s'il l'estime appropriée, le Juge peut décider de tenir une audience.
A l'issu des échanges fructueux qui ont porté sur la base raisonnable d'une enquête anticipée, la Chambre préliminaire fait connaître à la fin sa décision d'autoriser ou non l'ouverture d'une enquête selon le paragraphe 4 de l'article 15 ou selon le paragraphe 6 de l'article 18 du Statut. Cette décision, rendue à huis clos1199(*) et prononcée à la majorité des juges qui composent la Chambre préliminaire1200(*), est motivée et communiquée au Procureur et aux victimes qui ont fait des représentations1201(*). Il est important de souligner le caractère provisoire de la décision du Juge. Il s'agit en réalité d'une autorisation donnée au Procureur d'ouvrir une enquête de sa propre initiative, sans prétention de vider les questions de compétence ou de recevabilité. Elle est révélatrice d'une idée d'émancipation du Procureur qui ne peut plus être regardé comme un rouage inerte appelé à mettre l'action publique en mouvement dans les seules hypothèses de saisine de la Cour par un Etat ou le Conseil de sécurité1202(*). Ainsi, occultées par l'envie du Procureur d'engager en urgence ses enquêtes et renvoyées à plus tard par la Chambre préliminaire, les questions relatives à la compétence et à la recevabilité peuvent constituer de vraies exceptions préjudicielles que les parties intéressées1203(*) pourraient soulever avant l'ouverture ou à l'ouverture du procès devant le juge de fond. * 1189 GUINCHARD Serge et DEBARD Thierry (dir.), op. cit., p. 521.
* 1190 CORNU Gérard, op. cit., p. 514. * 1191 ASCENSIO Hervé, « L'urgence et les juridictions pénales internationales », RUIZ FABRI Hélène et SOREL Jean-Marc (dir.), Le contentieux de l'urgence et l'urgence dans le contentieux devant les juridictions internationales : regards croisés, Paris, Pedone, pp. 158 et s. * 1192 CORNU Gérard, op. cit., p. 647. * 1193 En ce qui concerne les juridictions ad hoc, toutes les mesures conservatoires de sauvegarde et de préservation des preuves sont prises d'autorité par le Procureur, sans recours préalable au Juge de la Chambre de première instance [art. 40, Règlement de procédure et de preuve ; ASCENSIO Hervé, « L'urgence et les juridictions pénales internationales », RUIZ FABRI Hélène et SOREL Jean-Marc (dir.), op. cit., p. 156].
* 1194 Rapport du Comité préparatoire pour la création d'une Cour criminelle internationale, doc. Des N.U., 51ème session, Suppl. n° 22 (A/51/22), vol. I, § 228. * 1195 WOHLFAHRT Stéphane, « Les poursuites », ASCENSIO Hervé, DECAUX Emmanuel et PELLET Alain (dir.), op. cit., p. 750. * 1196 Règle 50, Règlement de procédure et de preuve de la Cour pénale internationale. * 1197 Règle 48, Règlement de procédure et de preuve ; art. 53, § 1 (a-c), Statut de Rome. * 1198 Règle 50, § 1 et 2, Règlement de procédure et de preuve de la Cour pénale internationale. * 1199 La Règle 57 ne parle de la procédure accélérée et à huis clos qu'en ce qui concerne les mesures provisoires ou conservatoires rendues sur pied de l'article 18, §4. Il nous semble que le huis clos soit également requis quant aux mesures provisoires de l'article 15, § 4, tant il est vrai que la divulgation de la procédure pourrait mettre aussi en péril l'intégrité et l'efficacité de l'enquête ou la sécurité des victimes identifiées en vue de représentations. * 1200 Art. 57, § 2, Statut de Rome. En cas de collégialité, la Chambre préliminaire est composée de trois juges (art. 39, § 2, b, iii). Ce qui revient à dire que la décision de la Chambre préliminaire ordonnant des mesures provisoires doit être votée par deux juges au moins. * 1201 Règle 50, § 5. * 1202 BAZELAIRE Jean-Paul et CRETIN Thierry, op. cit., pp. 93-94. * 1203 Il s'agit de : 1° l'accusé ou la personne à l'encontre de laquelle a été délivré un mandat d'arrêt ou une citation à comparaître ; 2° l'Etat qui est compétent à l'égard du crime considéré du fait qu'il mène ou a mené une enquête, ou qu'il exerce ou a exercé des poursuites en l'espèce ; 3° l'Etat qui doit avoir accepté la compétence de la Cour selon l'article 12 du statut de Rome. |
|