A - 4 : Des grèves scolaires et universitaires
à répétition
L'école sénégalaise connaît des
grèves cycliques depuis les années 1980 avec la mise en oeuvre
des plans d'ajustement structurels. Chaque année, élèves
et étudiants continuent de descendre dans la rue pour les mêmes
revendications récurrentes qui tournent autour de l'amélioration
des infrastructures (augmentation des établissements scolaires, des
salles de classes et des tables-bancs, des logements des étudiants,
etc.), des supports pédagogiques (livres, manuels etc.), l'augmentation
des effectifs des enseignants et des professeurs, le paiement des bourses et
aides. En 2006 par exemple, les élèves du lycée Mame
Cheikh Mbaye de Tambacounda ont fait une grève de plusieurs jours
pendant lesquels ils ont saccagé les locaux du Conseil régional,
bloqué la circulation en brûlant des pneus sur la chaussée
et affronté à coup de pierres les forces de l'ordre. Ils
revendiquaient essentiellement le renouvellement des livres de la
bibliothèque et de l'équipement d'une salle informatique.
Mais, depuis 2006, ce sont les enseignants du moyen et du
secondaire réunis autour du Cadre unitaire des syndicats de
l'enseignement moyen et
secondaire (CUSEMS) et les instituteurs du primaire et du
préscolaire quiont entamé un conflit avec l'Etat pour
la satisfaction de leurs revendications.
Pour les premiers, les points de discorde tournent autour de la
question de « la réforme du statut des volontaires, vacataires
et contractuels ; de la
rationalisation de la carte scolaire et universitaire ; de
l'amélioration des conditions d'apprentissage et d'enseignement ; de la
promotion de l'habitat social et du payement des indemnités de
déplacement ». Et face aux lenteurs administratives qu'ils
reprochent au gouvernement, les enseignants ont progressivement
radicalisé leur mouvement de protestation au point où on
s'interroge encore sur la validité et la crédibilité du
baccalauréat de 2006, vus les nombreux dysfonctionnements dans
l'organisation des examens. Car, outre ces défectuosités, ces
derniers ont, face au mutisme du gouvernement, procédé à
la rétention des notes et au boycott des conseils de classe. Depuis
lors, les années scolaires se suivent et se ressemblent, prolongeant le
malaise du système éducatif. Entre octobre 2007 et mars 2008 les
enseignants en étaient déjà à prés de deux
mois de grève et donc autant d'heures de cours en moins pour les
élèves. Celle de 2008-2009 connaît aussi de nombreuses
perturbations, au total près de cinq mois d'arrêt des cours dans
le public.
Les seconds, quant à eux, réclament à
l'Etat une indemnité de recherche documentaire (Ird) de 60 000 F Cfa
(environ 91€) et pour obtenir la satisfaction de leurs revendications, ils
ont tout bonnement arrêté de dispenser les cours. De sorte que du
préscolaire au secondaire c'est tout le système qui est
bloqué. On est toutefois en droit de s'interroger sur les
véritables motivations de ces instituteurs. Car après avoir,
pendant plus de trois ans, campé sur leurs positions, estimant que
l'indemnité de recherche documentaire ne pouvait être
inférieure à 91 euros, ils viennent de signer un accord avec le
gouvernement, le mardi 26 mai 2009, pour la fixer à seulement 15 000 f
cfa (22,86 euros) et à l'horizon 2011 à 25 000 f cfa (38,11
euros). En fait, il me semble que les enseignants et les instituteurs se sont
sentis victimes d'injustice de la part des pouvoirs publics. En effet, alors
qu'en 2006, les magistrats ont vu leur indemnité de judicature passer de
150 000 à 300 000 f cfa (de 228 à 457 euros) avant de
s'établir à 450 000 f cfa (686 euros) en 2008 ; les gouverneurs
de régions voyaient la même année leur salaire passer de
300 000 à 800 000 f cfa (de 457 à 1219 euros) et
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récemment, en 2008, les sortant de l'ENA se sont vus
octroyer une indemnité qui s'élève à 250 000 f cfa
(381 euros)14.
Toutefois, pendant que les enseignants et les instituteurs
continuaient leur confrontation avec les autorités publiques, ce sont
les élèves du primaire au secondaire qui descendaient dans les
rues pour dénoncer les grèves incessantes des enseignants et
instituteurs. Ainsi, le mercredi 23 avril 2008, avec des ardoises en main
où on pouvait lire« nous voulons étudier », les
élèves (âgés de 6 à 12 ans) des écoles
élémentaires des quartiers voisins de Camp Navétane et
Gouye situés dans la commune de Tambacounda, ont sillonné les
principales artères de la ville : une mobilisation inédite au
Sénégal. Car descendre dans la rue à cet âge, certes
pour des motivations louables, est tout de même inquiétant. Mais,
cette mobilisation a le mérite de montrer qu'aucune composante du
système éducatif ne semble épargnée par les
difficultés du secteur. En effet, n'est-ce pas déjà
entraîner de futurs grévistes et perturbateurs du système
éducatif ? Il n'est dès lors pas étonnant de voir
qu'à leur tour, les élèves des lycées Galandou
Diouf, Seydou Nourou Tall, Kennedy de Dakar, ceux du lycée moderne de
Rufisque (Dakar), ceux du lycée de Mame Cheikh Mbaye de Tambacounda,
ceux du lycée de Sédhiou et de bien d'autres
établissements, envahirent à plusieurs reprises entre 2008 et
2009 les artères de ces villes pour exprimer leur écoeurement
face à cette situation. Ils soutenaient cependant les revendications des
enseignants comme le dit Joseph Diouf du lycée Blaise Diagne de Dakar :
<<On fait la grève pour que le gouvernement paye les professeurs.
Ils sont fatigués, ils se sacrifient pour nous. Le gouvernement s'en
fiche des professeurs qui réclament leurs indemnités. La
situation dure depuis des années, et nous ne pouvons plus la
tolérer. Nous ne voulons pas être des otages
»15.
Si pour le moment, les élèves des écoles
et collèges du public, ont manifesté leur courroux par des
marches de protestation qui se terminent le plus souvent par des affrontements
avec les forces de l'ordre (quatre bus
14 - Source : Ministère des finances
15 - Ndéye Maty Diagne dans Nettali du Jeudi 19
Mars 2009
d'une société de transport de Dakar ont
été saccagés), rien n'indique qu'il en sera toujours
ainsi. En effet, pendant que le Président de la République
continue à clamer partout, à cor et à cri, qu'il est le
seul à consacrer 40 % du budget de l'Etat à l'éducation,
le système éducatif continue d'être en proie à une
multitude de problèmes qui hypothèquent véritablement
l'avenir de la
Sources : APS du 17 février 2009 et
Nettali du 19 mars 2009 photos de grèves d'étudiants et
d'élèves à Dakar
jeunesse sénégalaise. Est-ce que les jeunes vont
continuer à assister - impuissants ?- à cette lente et
progressive déstructuration du système éducatif ? Vont-ils
se contenter d'attendre sagement que le bras de fer entre le gouvernement et le
corps enseignant connaisse un épilogue heureux ? Car si l'accord qui
vient d'être signé entre les instituteurs et le gouvernement (le 7
juin 2009) met pour le moment un terme à la grève dans les
écoles primaires, les problèmes des enseignants du moyen et
secondaire ne sont pas encore résolus. D'autant que la poursuite de ce
conflit est de plus en plus assimilée, autant par les
élèves eux-mêmes que par les enseignants, l'opposition et
les observateurs, comme un manque de volonté de la part de l'Etat. Ce
qui fait dire à Mamadou Diop Castro de l'Union démocratique des
enseignants du Sénégal (Uden) dans le quotidien
Walfadjri du 5 Mars 2008 : « c'est le gouvernement qui affiche le
mépris et manoeuvre pour sortir de la situation »16 et
à Marième Dansokho du Sypros : « C'est inconscient et
irresponsable. Même si un seul établissement est en grève,
le gouvernement ne doit pas attendre pour régler la situation à
plus forte raison pour des milliers d'enseignants»17.
16 - Walfadjri du 5 mars 2008 / 17 - Idem
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L'enseignement supérieur sénégalais
souffre à la fois d'un accès limité et d'une très
faible couverture du territoire national : seules quatre régions (Dakar,
Saint-Louis, Thiès et Ziguinchor) sur quatorze concentrent la
totalité des établissements d'enseignement supérieur. Les
régions comme Tambacounda qui enregistrent des taux de réussite
au baccalauréat supérieurs à la moyenne nationale sont
hélas dépourvues d'établissements d'enseignement
supérieur public. En 2008 il était de 60,1 % à Tambacounda
contre 42,9 % au niveau national. La progression continue des effectifs de
bacheliers issus de l'enseignement secondaire au niveau national n'a pas
été suivie d'une hausse de l'offre de l'accès au
supérieur. Ce qui crée un véritable engorgement au niveau
de la principale université du pays, l'Université Cheikh Anta
Diop (UCAD), dont les effectifs avoisinaient, en 2003/2004, les 40 000
étudiants pour un établissement qui à sa création
était destiné à en n'accueillir que 25 000. En 2008 ils
étaient 27 000 pour la seule faculté de lettres alors qu'on y
trouve de nombreuses facultés comme celle de médecine, de
pharmacie, des sciences juridiques, des sciences humaines..
Comme pour les élèves, les manifestations des
étudiants se soldent la plupart du temps par des affrontements avec les
forces de l'ordre. C'était le cas par exemple le 21 février 2006
à Dakar lorsqu'après avoir trouvé des vers dans leur
dîner et découvert les mauvaises conditions de stockage des
aliments, les étudiants s'en étaient violement pris au Centre des
oeuvres universitaires. Véhicules, restaurants, magasins de stockage,
guichets entre autres ont été saccagés ou calcinés.
De plus l'entrée des forces de l'ordre dans le campus à la
poursuite des étudiants, obligeant l'un d'eux à sauter d'un
immeuble et violant par là les « franchises universitaires »,
à participé à envenimer la situation puisque ceux-ci ont
exigé, avant tout retour au calme, le retrait de ce qu'ils appellent
« les forces du désordre». C'est ce que soutient un des
responsables de l'Union des étudiants de Dakar (UED) lorsque le
gouvernement, par la voie du ministre de l'Education a affirmé sa
disponibilité à résoudre les problèmes par le
dialogue : «tant que l'université sera occupée par 'les
forces du désordre', nous ne négocions pas alors que
notre espace est transformé en camp de policiers
))18. Pour apporter leur soutien à leurs camarades de Dakar,
les étudiants de saint Louis ont voulu marcher vers la gouvernance sur
une distance de douze kilomètres pour déposer une lettre de
protestation. Ils ont été bloqués par la gendarmerie sous
prétexte que la marche n'était pas autorisée. Les
affrontements ont fait plusieurs blessés dont un étudiant ayant
reçu des éclats de grenades lacrymogènes.
Absent du pays au moment des faits, le Président Wade a
affirmé à propos de ces grèves : « C'est une main
étrangère qui, avec l'opposition, sont derrière la
grève. Elle a reçu des financements pour déstabiliser le
pays. J'étais dans l'opposition. Je connais certains d'entre eux, ils
n'ont pas le courage de descendre dans la rue. C'est facile de manipuler des
étudiants et d'aller se mettre dans un lieu où tout le monde te
voit et tu dis que t'as rien fait. Les étudiants doivent refuser de se
faire manipuler ou si les opposants demandent de marcher qu'ils imposent aux
opposants de se mettre au devant ))19. Sans prendre le temps de
comprendre leurs motivations et les raisons qui les poussent à s'en
prendre violement aux infrastructures universitaires et à affronter la
police et la gendarmerie, les autorités choisissent la voie de la
politisation du mouvement. Pourtant, même s'ils ont
considéré les propos du président comme une provocation,
les étudiants continuent de clamer que ce qu'ils veulent c'est seulement
l'amélioration de leurs conditions d'étude. Aussi
déplorent-ils l'attitude des autorités qui à leur avis ne
sont disponibles pour des négociations que lorsqu'il y a des
échauffourées et des affrontements entre eux et les forces de
l'ordre.
Dans tous les cas, que ce soit une main
étrangère ou l'opposition comme le prétend le chef de
l'Etat, ou tout simplement les étudiants qui déterminent
eux-mêmes leurs plateformes revendicatives et mettent en oeuvre des
stratégies pour leur satisfaction, il me semble que tout retard dans la
résolution de la crise du système éducatif ne fera que
cristalliser et radicaliser les positions.
18 - Coumba Sylla, Nettali, le 21 février 2006
19- Nettali du 21 février 2006
En plus des grèves d'élèves,
d'étudiants et d'enseignants, le front social sénégalais
enregistre depuis quelques temps des manifestations inédites.
Après les émeutes de la faim, la marche des Imams de
Guédiawaye, celle des populations de Fatick et celle des habitants de
Kédougou pour ne citer que celles là, les manifestations de
colère sont devenues récurrentes au Sénégal. Fait
nouveau, c'est qu'elles sont presque toutes réprimées dans la
violence. Pourtant la Constitution du Sénégal garantit le droit
de manifester pacifiquement. Toutefois, si les manifestations sociales se
multiplient et se radicalisent elles ne sont pas pour autant les seules menaces
qui pèsent sur la stabilité du pays. Avant 2000, le
président Wade a su galvaniser et mobiliser une jeunesse qui appelait le
changement de tous ses voeux. Neuf ans après son élection, il
convient d'examiner les relations qu'il entretient avec celle-ci et en quoi
elle pourrait constituer une menace pour le pays.
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