Université Paris 8
**********
Institut Français de
Géopolitique
POLITIQUE, PAUVRETE ET STABILITE, LE
SENEGAL PEUT-IL SOMBRER DANS DES
VIOLENCES SOCIALES ? »
Photo de la marche de protestation contre les délestages
d'électricité Lundi 31 Août 2009 à Niary
talli (Dakar)
Présenté par Vivien
MANEL
Numéro étudiant :
254165
Sous la direction de M. Alain GASCON et Mme Barbara
LOVER
2008-2009
1
DEDICACES
Je dédie ce mémoire
- à ma Mère,
- à ma très chère épouse
Geneviève, - à mes frères et soeurs,
- à mes amis de tous les jours
REMERCIEMENTS
Mes remerciements s'adressent à :
M Alain Gascon, Mme Barbara Loyer et Mme Béatrice Giblin
pour leurs conseils avisés ;
Ma tendre épouse Geneviève pour son
indéfectible soutien tout au long de cette recherche ;
Toutes les personnes qui ont bien voulu donner de leurs temps
pour répondre à nos interrogations ;
A tous ceux qui de près ou de loin ont participé
à la confection de ce mémoire.
3
SOMMAIRE
Sigles et abreviations~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
5
Cartographie du Senegal 6
Introduction~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ 10
Première partie : manifestations et troubles
sociaux : quelles menaces pèsent sur la stabilité du
Sénégal 7 ~~~~~~~~~~~~~~. 18
A - les mouvements de protestation sociale : les pouvoirs de la
rue ? 20
A - 1 : les emeutes de la faim~~ ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
20
A - 2 : La marche des Imams de Guédiawaye dans la banlieue
de Dakar 23
A - 3 : La manifestation de Kédougou~~~~~~~~~~~~~~~~~.
27 A - 4 : Des grèves scolaires et universitaires
à répétition~~~.~~~~~ 32
B - Chômeurs et très nombreux, les jeunes
s'entassent dans les centres urbains : doit-on craindre le péril jeune ?
~~~~~~~ 38
Deuxième partie : Que peuvent engendrer les
conflits de pouvoir entre les autorités publiques et certaines
composantes de la population (armée, presse, opposition
confréries religieuses)? 48
A - Les relations tendues entre presse, médias et pouvoir
politique : des rivalités de pouvoir lourdes de conséquences ?
50
B - Luttes de pouvoir entre opposition et coalition
présidentielle, que peuvent engendrer ces conflits politiques ?
58
C - Relations entre islam confrérique et pouvoir
politique : assiste-t-on à l'emergence d'une confrerie d'Etat et quelles
pourraient en être les conséquences pour la stabilité du
pays ? 62
D - Le vote militaire : une armée partisane ?
68 Troisième partie : les méfaits de
la pauvreté et des inégalités sociales face aux
adoptées par les autorités publiques : quelles
conséquences sur la stabilité du Sénégal 7
78
A - Santé et pauvreté dans la région de
Dakar : est-ce mieux dans la capitale 7 81
B - Santé et pauvreté dans la région de
Tambacounda........................... 93
C - la déstructuration du système agricole et ses
conséquences............ 101
D - les programmes mis en oeuvre pour lutter contre la
pauvreté : une discrimination spatiale qui renforce les
inégalités sociales 7~ ~~~~ 108
D - 1 : les programmes agricoles 108
D - 1 - 1 : le plan REVA7 108
D - 1 - 2 : La Goana (grande offensive agricole pour la
nourriture et
l'abondance).....................................................................................
109
D - 2 : Programme pour l'emploi des jeunes : l'office pour
l'emploi des jeunes de la banlieue de Dakar (ofejban) ...............
112
Conclusion.......................................................................................
116
Bibliographie 125 Glossaire
Annexes
5
SIGLES ET ABREVIATIONS
AMARC : association mondiale des radios communautaires
CNUCED : conférence des nations unies sur le commerce et
le
développement
DSRP : document de stratégie de réduction de la
pauvreté
ENA : école nationale d'administration
FNUAP : fond des nations unies pour la population JICA :
coopération japonaise
OMS : organisation mondiale de la santé
RADDHO : rassemblement africain pour la défense des droits
de l'homme RGPH : recensement général de la population et de
l'habitat
RSF : reporter sans frontière
RTS : radio télévision du Sénégal
UCAD : université Cheikh Anta Diop de Dakar UED : union
des étudiants de Dakar SENELEC : société nationale
d'électricité
SGO : sabodola gold opération
WARD : west african radio democracy
7
9
INTRODUCTION
Le pacifique changement de régime et le renouvellement
des acteurs politiques survenus à la faveur de la victoire de
l'opposition lors des élections présidentielles du 19 mars 2000
avaient suscité un immense espoir pour une grande majorité du
peuple sénégalais. L'espoir de lendemains qui chantent, où
les dérives politiciennes du régime socialiste devraient
disparaître au profit de la bonne gouvernance politique et d'un mieux
être socio économique ne semblaient plus inaccessibles. D'autant
qu'après la dévaluation du 12 janvier 1994 qui fit perdre
à la monnaie régionale, franc CFA, 50% de sa valeur par rapport
au Franc français, le pays a connu une croissance économique
soutenue qui est passée de 2,9% à 5% entre 1995 et 2000. Aussi,
les Sénégalais s'attendaient à ce que, grace à une
gestion politique saine et à la répartition équitable des
dividendes de la croissance, leurs conditions de vie soient sensiblement
améliorées.
Le nouveau Président, Maître Abdoulaye Wade,
juriste, économiste et professeur d'Université qui plus est,
s'était évertué pendant les différentes campagnes
électorales auxquelles il a participé, à promettre, entre
autres, le kilogramme de riz à 60 Francs Cfa (environ 0,09 euro), le
plein-emploi à une population majoritairement jeune et une rupture
d'avec les pratiques politiques du régime socialiste, avait eu le temps,
du moins croyait-on au Sénégal, d'analyser et de comprendre
« l'homo senegalensis », pour emprunter le mot du professeur
Malick Ndiaye, ses aspirations et ses ambitions, son mal-vivre et la
précarité de sa condition sociale et économique mais aussi
son rejet de la mal gouvernance.
Mais, après un mandat de cinq ans, les résultats
atteints sont loin et semblent s'éloigner de plus en plus de l'immense
espoir et des attentes placées dans l'alternance. Tout porte à
croire que les sentiments les mieux partagés par les populations sont le
désenchantement et une grande désillusion. La pauvreté
continue de faire des ravages et la mal gouvernance reste érigée
en principe de gestion de l'Etat. De telle sorte que, certains analystes et
observateurs de la scène sociale et politique sénégalaise
comme
10
Abdoul Latif Coulibaly en soient au point de craindre que la
gestion politique du pays et la dégradation des conditions sociales
n'engendrent des troubles sociaux. Pourtant, ni la pauvreté ni la mal
gouvernance ne sont nouveaux au Sénégal.
En effet, si cet Etat apparaissait comme une oasis de
démocratie dans un Continent en proie à de multiples troubles, ce
n'était pas tant que les pratiques démocratiques y étaient
exemptes de toute critique, mais plutôt parce que ses premiers dirigeants
avaient réussi à fédérer les populations autour de
ce que Senghor appelait une « commune volonté de vivre ensemble
». Cependant dans la gestion quotidienne de l'Etat nombre de manquements
aux principes de la démocratie étaient relevés. Comme le
soutient Antoine Tine : « Léopold Sédar Senghor, qui
pourtant donnait l'image d'un homme politique modéré, humaniste
et démocrate et d'un intellectuel ouvert au dialogue, exerça le
pouvoir politique d'une façon autoritaire. Le régime senghorien
reposait sur un exécutif fort, un parti de masse
hégémonique, l'UPS, un Etat jacobin et le soutien maraboutique.
(...) on peut dire que le Sénégal vivait alors une période
autoritaire, où la politique était essentiellement à base
de clientélisme, de patronage et d'achat des allégeances. Le
système parlementaire fut remplacé par un régime
présidentialiste, fortement personnalisé, patrimonialisé
et centralisé, dans lequel l'opposition politique était soit
tolérée et cooptée soit réprimée...
»2. Senghor avait une idée bien précise du
rôle que devaient jouer les partis de l'opposition, en particulier en
cette période de construction de l'Etat et de la Nation
sénégalais. En effet, il estimait que ceux-ci « ne pouvaient
être tolérés que s'ils expriment des critiques
constructives et cherchent à atteindre le méme but que le parti
au pouvoir, c'est-à-dire empêcher que les divers groupes sociaux
ne se cristallisent en classes destinées à s'affronter... »
(Hesseling, 1985). Confrontée à la confiscation et à la
centralisation du pouvoir - Senghor voulant rester seul « maître
à bord » - l'opposition était obligée
d'évoluer dans
2- Antoine TINE dans « Léopold Senghor et Cheikh
Anta Diop face au panafricanisme : deux intellectuels, même combat mais
conflit des idéologies » in Intellectuels, nationalisme et
idéal panafricain. Perspective historique pp. 129-157. Dakar : CODESRIA,
2005.
12
la clandestinité car ne pouvant s'exprimer ni librement
ni publiquement du fait de brimades et de violences dont elle était
victime. Héritier de la pensée politique senghorienne, Abdou
Diouf a instauré officiellement le multipartisme. Toutefois, il lui a
été reproché, entre autres, pendant les vingt
années qu'il a passé à la tête du
Sénégal, des processus électoraux tronqués, des
opposants emprisonnés une gestion gabegique des deniers publiques et des
ressources de l'Etat alors que le pays était en proie à un
marasme économique grandissant.
Toutefois, l'économie du pays n'a jamais
été réellement florissante, loin s'en faut. La seule
période d'embellie économique liée à l'euphorie des
années post-indépendance et à une conjoncture favorable
pour les monocultures de rente héritées de la période
coloniale (arachides) et les phosphates, n'a été que de courte
durée. Car « l'Etat providence », comme son nom l'indique, qui
subventionnait tous les secteurs productifs, mettait en oeuvre de grands
projets d'investissement, des mesures et des facilités sociales, n'avait
pas fait illusion pendant longtemps. Dès le début des
années 1970, la dégradation des écosystèmes sous
l'effet de la sécheresse et d'une forte pression démographique
sur les ressources naturelles a entraîné une
désarticulation des systèmes agro-pastoraux, aggravant du coup
l'insuffisance de la production, la baisse drastique des quantités des
produits d'exportation et des revenus des paysans, et l'incapacité
croissante de l'Etat à satisfaire les besoins primaires.
L'essoufflement de l'« Etat providence » se
traduisit par une dégradation progressive de la trésorerie et des
finances publiques. C'est pourquoi à la fin des années 1970, ne
pouvant plus faire face aux charges publiques courantes, l'Etat avait fait
appel aux Institutions financières internationales, la Banque mondiale
(BM) et le Fond monétaire international (FMI) pour financer les
déficits de son économie. La mise en oeuvre des politiques de
stabilisation suivie des Plans d'ajustement structurels dès 1979
obligeaient l'Etat à se désengager progressivement des secteurs
productifs et à lancer leur privatisation. Mais, outre le
désengagement de l'Etat, l'inexistence d'un secteur privé capable
de se substituer à lui pour conduire
le développement socioéconomique du
Sénégal avait renforcé les contraintes financières
et aggravé la dégradation des conditions de vie des populations.
Le pays connut ainsi une longue période d'austérité,
traduite dans les faits par la suppression des subventions aux
différents secteurs productifs et l'augmentation des prix des
denrées de première nécessité. Ainsi, la
pauvreté a continué à sévir au
Sénégal comme le montre Momar Coumba Diop dans une étude
menée dans la région de Dakar et sa banlieue et publiée en
1997 « seuls 16,7 % des ménages ont accès à l'eau
courante, 23 % au réseau électrique. A Dakar, 24,7 % des
ménages ont le privilège d'un assainissement convenable, 36 %
bénéficient d'un téléviseur, 28,6 % d'un
réfrigérateur, 11,8 % d'une voiture »3.
Liées à la construction de l'Etat du
Sénégal contemporain, la pauvreté et la mal gouvernance
ont, toutefois depuis 2000, après l'accession du régime
libéral au pouvoir, pris de l'ampleur. En effet, face au
renchérissement du coût de la vie, la pauvreté et la
paupérisation des masses populaires se sont fortement exacerbées
en même temps que se sont multipliés les manquements à
l'orthodoxie démocratique et à la transparence dans la gestion
des affaires publiques. Toumany Mendy dit à ce propos :
l'«alternance semble de plus en plus perçue par la grande
majorité des Sénégalais comme un désastre total :
clientélisme politique inquiétant, politisation des institutions
judiciaires (...), scandales financiers, crises de fonctionnement des
entreprises nationales, dysfonctionnements administratifs liés aux
incessants remaniements ministériels, conflits politiques et
idéologiques (...) » (Toumany Mendy, 2006). Aussi, face à ce
que les observateurs appellent l'incapacité des nouvelles
autorités publiques à proposer une alternative au niveau social,
économique et politique et à impulser le changement pour lequel
le peuple s'était massivement mobilisé en 2000, une grande
déception et une grande désillusion semblent être à
l'origine d'un fort mécontentement social. De sorte que, le 23
décembre 2008, un collectif de partis politiques a signé une
déclaration appelant au départ du régime du
président Abdoulaye Wade, dans laquelle il invitait
4-- Momar Coumba Diop et al, « La lutte contre la
pauvreté à Dakar ; programme de gestion urbaine », Dakar,
1995.
tous les segments du peuple, les forces politiques,
citoyennes, démocratiques et sociales, pour la constitution de
Comités citoyens de résistance (CCR) dans les quartiers, les
villages, les lieux de travail, partout. On pouvait lire dans cette
déclaration: « Nous avons tous un intérêt commun
à nous souder autour de la lutte contre la vie chère, pour
l'emploi, le pouvoir d'achat, la réduction du train de vie de
l'état, l'allocation efficiente des ressources du pays au profit des
plus démunis, la défense du service public de l'éducation
et de la santé. (...) L'élaboration d'une nouvelle constitution
démocratique et l'instauration d'un authentique Etat républicain
(...) pour faire échec aux visées et manoeuvres du pouvoir,
lourdes de tous les dangers pour notre pays...»6. Autrement
dit, l'effritement généralisé des valeurs éthiques
et morales et la banalisation des institutions ajoutés au
dénuement croissant des populations qui, en dépit d'une
croissance économique soutenue, peinent à s'assurer une
alimentation équilibrée, à se loger convenablement,
à avoir un accès facile aux soins et à l'éducation,
sont autant de phénomènes qui peuvent, semble-t-il, engendrer le
chaos.
Dans tous les cas, la multiplication des manifestations
sociales et politiques qui se sont presque toutes soldées par des
affrontements avec les forces de l'ordre et les élections locales qui se
sont déroulées le 22 mars 2009 ont servi de baromètre pour
apprécier la profondeur du mécontentement social et mesurer les
risques de troubles. Le Président de la République a
été accueilli presque partout par des brassards rouges (signes du
mécontentement social), des hués et même des jets de
pierres. En outre, des cortèges ont été attaqués,
des voitures incendiées, bref comme titrait un journal de la place le
mercredi 4 mars 2009 : « Sénégal-violences
électorales : le règne de la terreur prend forme
»7. En outre, la perte des élections locales par la
coalition présidentielle a, semble-t-il, montré le rejet par les
populations du mode de gestion des affaires publiques, et la non prise en
charge par les autorités publiques des priorités du peuple qui se
résument à la paix sociale et à la
prospérité économique. Car, au niveau de la
géopolitique interne, en dehors de la dégradation continue des
conditions de
5 - Sud Quotidien du vendredi 26 Décembre 2008 6-
Nalla fall in Pressafrik, Mercredi 4 mars 2009
14
vie des Sénégalais, les fronts où les
luttes de pouvoir donnent lieu à la mise en oeuvre de stratégies
qui ne tiennent le plus souvent compte que des intérêts du moment
des différents acteurs se sont fortement multipliés. Tandis qu'au
niveau externe, les tenaces représentations qui font du
Sénégal « le modèle » de démocratie en
Afrique, empêchent de penser la réalité de
l'évolution ou plutôt de la dégradation de la
référence sociopolitique qu'il a longtemps été.
Ainsi posés, les termes de cette étude
résument sa problématique en deux principales interrogations :
1. En quoi les conflits de pouvoir et les relations tendues
entre les autorités politiques, à la tête du pays depuis
2000, et certaines composantes de la Nation (de l'opposition politique à
la jeunesse) pour le gain et le contrôle de la légitimité
populaire et territoriale constituent-elles une sérieuse menace pour la
stabilité du pays ?
En d'autres termes, en s'aliénant, la
société civile, l'opposition, la majorité des organes de
presse, la jeunesse (élèves, étudiants,
chômeurs...), les paysans et la quasi-totalité des régions
périphériques à la capitale du fait d'une gestion
solitaire et patrimoniale du pouvoir où la concertation et le dialogue
ne sont pas les bienvenus, la majorité présidentielle n'est-elle
pas en train de créer elle-même des conditions favorables à
la déstabilisation sociopolitique du Sénégal ? De plus,
vue l'importance, la richesse et les capacités de mobilisation des
confréries dans ce pays, est-ce que le fait de privilégier une
confrérie au détriment des autres, une politique mise en oeuvre
par le régime libéral n'est pas un terreau fertile d'où
peuvent surgir dissensions, querelles voire affrontements ?
2. Est-ce que l'absence d'une véritable prise en
charge de la lutte contre la pauvreté, pour le relèvement du
niveau de vie de la grande majorité des Sénégalais et la
réduction des inégalités sociales au détriment de
l'enrichissement et de la satisfaction des intérêts d'une
minorité qui gouverne et de ses soutiens peut engendrer le chaos
sociopolitique ?
16
Autrement dit, en se rendant compte de plus en plus que les
hommes politiques qu'ils ont contribué à faire élire,
croyant en leur capacité d'impulser le sopi (changement) en
particulier au niveau social, semblent plus préoccupés par leurs
intérêts personnels que par la résolution de la crise
économique que connaît le pays ou à tout le moins, la
réduction de ces méfaits, les Sénégalais sont-ils
prêts à les démettre du pouvoir de façon violente et
non démocratique ?
Il apparaît clairement que l'essentiel de ce
mémoire constituera d'une part à chercher à
élucider les différentes rivalités de pouvoir
engendrées par les agissements politiques et/ou politiciens des
autorités publiques au centre desquelles se trouve le Président
Abdoulaye Wade et les impacts de la pauvreté sur les populations et
d'autre part à déterminer les risques et les menaces qu'ils
peuvent susciter.
Vue sous cet angle, cette problématique amène
à envisager l'analyse géopolitique à deux
différentes échelles parfaitement imbriquées : nationale
et locale (régions). La première permettra d'aborder cette
étude en tenant compte de l'ensemble du territoire national et de
l'ensemble des acteurs qui y sont concernés par les rivalités et
les conflits de pouvoir cristallisés par la multiplication des
manifestations sociales susceptibles d'engendrer des troubles sociaux et/ou
politiques qui pourraient bouleverser durablement, ou pas, la stabilité
du Sénégal. En revanche l'échelle locale elle, permettra
de faire la comparaison entre le petit territoire (550 km2) de la capitale
Dakar qui a la particularité de concentrer les principaux centres
administratifs (palais présidentiel, ministères, ambassades,
organisations internationales...), les principaux pôles
économiques du pays (port, aéroport, industries...), d'avoir le
plus fort taux d'urbanisation (52,6 %) et enfin d'être la plus
peuplée de toutes les régions (2 167 793 hts, en 2007, soit une
densité de plus de 4 000 hts/km2) et la vaste région de
Tambacounda, qui couvrait jusqu'au dernier découpage administratif
(2008) qui l'a amputé d'un département, une superficie de 59 602
km2, soit 30 % du territoire national. Elle a, en dépit de
ses nombreuses potentialités (forêts luxuriantes, terre arables
étendues, or, fer, marbre...) le plus faible taux d'urbanisation du
pays (seulement 2,6 %) et abrite seulement 612 288 hts (soit
10 hts/km2). Cette comparaison qui se focalisera sur les disparités au
niveau du système sanitaire, sur la dépendance alimentaire
(agriculture) et sur les mesures mises en oeuvre par les autorités
publiques dans ces territoires. Elle permettra de cerner les
inégalités entre une région fortement urbanisée et
une autre marquée par sa ruralité. L'objectif final étant
de déterminer les menaces que peuvent engendrer les
inégalités sociales et spatiales, les conflits dans et pour les
territoires dans deux régions aux extrémités de
l'échelle sociale sur la stabilité du pays.
MANIFESTATIONS ET TROUBLES SOCIAUX :
QUELLES MENACES PESENT SUR LA
STABILITE DU SENEGAL ?
PREMIERE PARTIE :
Avant l'alternance de mars 2000, le Sénégal a
connu des élections et des grèves scolaires et universitaires qui
ont déjà dégénéré en de violentes
confrontations entre partis politiques opposés et entre
élèves ou étudiantsparfois les deux en même temps-
et forces de l'ordre. Ce fut le cas en 1988,
18
en 1993 et en 1995. Pour celles de 1987 /1998 et de 1994/1995,
la durée de la grève avait amené les autorités
à décréter respectivement une année scolaire
blanche et une année universitaire invalide dans l'enseignement public.
Par ailleurs, les troubles de 1988, avaient poussé le Président
Abdou Diouf, après un meeting de campagne à Thiès,
où il avait essuyé des jets de pierres, à traiter la
jeunesse locale de « malsaine ». La contestation qui a suivi le vote
et précédé la proclamation officielle des
résultats, avait donné lieu, à Dakar, à de
violentes manifestations. Les émeutiers se sont attaqués à
tout ce qui représentait l'Etat (bâtiment public, voitures
immatriculées service officiel, centres d'état civil) et les
auteurs de ce que la presse à nommé le « lundi noir »
s'en sont pris aux maisons et aux militants du parti au pouvoir, le parti
socialiste (PS).
Cette situation a contraint les pouvoirs publics à
décréter l'Etat d'urgence le 29 février 1988 pour
éviter que la violence urbaine n'atteignît un point de non retour
et mît en péril la stabilité de l'Etat. De méme, en
1993 la situation était devenue plus préoccupante lorsque,
quelques heures seulement après la proclamation des résultats des
présidentielles le 13 mars, des manifestants avaient saccagé
plusieurs résidences de dignitaires du parti socialiste. Toutefois, le
pire allait être atteint lorsque le 15 mars de la même
année, le Vice-président de la Cour constitutionnelle,
Maître Babacar SEYE, qui avait été mis en avant
après la démission du Président, était
assassiné. Soupçonné d'avoir été le donneur
d'ordre de ce meurtre, Abdoulaye Wade que les journalistes avaient
surnommé « le Président de la rue publique » fut
arrêté et conduit en prison. Ce rappel a pour objet de dire que le
phénomène dont je parle ici, n'est pas nouveau. Cependant, s'il
n'est pas nouveau, il a vu l'apparition de nouveaux acteurs et de nouveaux
motifs de contestation.
Aussi, s'il reste admis, encore aujourd'hui, que le
Sénégal, en dépit des violents épisodes ci-dessus
évoqués, est, en Afrique subsaharienne, considéré
comme un pays où règne la stabilité politique et
démocratique, et où les particularismes ethniques et religieux ne
semblent pas un frein à l'unité nationale, on doit se demander si
cette assertion n'est pas devenue, à
certains égards, une véritable
représentation. Car, depuis 2000, les rivalités de pouvoir qui
ont vu le jour et qui se sont multipliées sont entrain «
d'écorner », chaque jour un peu plus, l'image du modèle
sociopolitique sénégalais en faisant planer sur le pays des
menaces de déstabilisation durable de son équilibre social et
politique. Je ne serai, sans doute, pas exhaustif dans
l'énumération et l'analyse de ces rivalités et des risques
et menaces qu'ils peuvent engendrer, mais les exemples ci-après me
semblent significatifs.
A - les mouvements de protestation sociale : les
pouvoirs de la rue ?
A - 1 : Les émeutes de la faim
Tableau 1 : EVOLUTION DES PRIX DE QUELQUES
PRODUITS EN 2000, 2004 ET 2007
PRODUITS
|
PRIX (f cfa) EN 2000
|
PRIX(f cfa) EN 2004
|
PRIX (f cfa) EN 2007
|
Riz (1 kg)
|
140 (0,21 €)
|
-
|
240 (0,36 €) 310 (0,47 €) en 2008
|
Tomate concentrée (1 kg)
|
635 (0,96 €)
|
-
|
1 100 (1,67 €)
|
Tomate
concentrée (2,5 kg)
|
1 200 (1,82 €)
|
-
|
2 600 (3,96 €)
+100 %
|
Huile (litre)
|
520 (0,79 €)
|
-
|
750 (1,14 €)
|
Sucre en morceaux (1 kg)
|
450 (0,68 €)
|
600 (0,91 €)
|
650 (0,99 €)
|
Viande de mouton (1 kg)
|
1 200 (1,82 €)
|
-
|
2580 (3,93 €)
+100 %
|
Farine (1 kg)
|
175 (0,26 €)
|
300 (0,45 €)
|
350 (0,53 €)
+100 %
|
Bouteille de gaz (6 kg)
|
|
1 495 (2,27 €)
|
3 109 (4,73 €)
|
Bouteille de gaz (12 kg)
|
|
3 615 (5,51 €)
|
7 165 (10,92 €)
|
Sources : L'observateur du mercredi 16 mai 2007
Selon le Programme Alimentaire Mondial (PAM), les prix moyens
annuels des denrées produites et celles importées ont connu une
tendance à la hausse au cours du premier semestre 2008. Les prix des
céréales non transformées ont augmenté (22 %),
ainsi que le riz (60%) le boeuf (22%), le lait (39,2%), les huiles (21%), les
produits alimentaires non classées (12%) et
20
les transports (10%). Les prix des lubrifiants et des
carburants sont en hausse (15,7%). S'agissant des combustibles liquides,
l'indice des prix à la consommation a connu une augmentation 16,7%, et
de 6,2% (PAM, 2008) pour les combustibles solides. En 2007 déjà,
l'indice des prix avait connu une hausse fulgurante, passant de 1,4 en 2006
à 7, 3. Ces différentes hausses ont eu un impact important sur
les coûts du transport. Le tarif du ticket Dakar-Tambacounda, par
exemple, est passé de 7 000 à 10 800 F Cfa (de 10,67 à
16,45 €).
Le brutal renchérissement du coût des produits de
première nécessité, notamment du riz qui constitue
l'aliment de base des Sénégalais dont le prix du sac de 50
kilogrammes est passé de 9 500 à 17 000 F Cfa (de 14 à 25
euros) à Dakar alors qu'il est vendu à 20 000 F Cfa (30 euros)
dans les autres régions du pays (Tambacounda), a subitement
montré la grande faiblesse du pouvoir d'achat du
gorgorlou7. C'est une augmentation de plus de 50 %. Selon
la FAO, après une hausse de 37 % en 2006-2007, la facture des
importations des pays pauvres devraient augmenter de l'ordre de 56 %. Si on y
ajoute le fait que le Sénégal est classé depuis 2000 dans
la catégorie des pays les moins avancés (PMA), alors on mesure la
profondeur de cette crise. Face au dénuement des pouvoir publics qui
peinent à prendre des mesures qui permettraient d'atténuer, un
tant soit peu, le contrecoup de la hausse des prix des denrées de
première consommation, les populations s'organisent pour manifester leur
mécontentement.
C'est le cas le 31 mars 2008 lorsque, malgré le refus
du préfet de Dakar d'autoriser la manifestation, les populations sont
venues de tous les coins de la capitale, répondant à l'appel de
l'Association des consommateurs
7 - quelqu'un qui compte sur la débrouille quotidienne
pour trouver les moyens de satisfaire à ses besoins dont principalement
se nourrir, se vêtir
sénégalais (Ascosen). Sur les tee-shirts
arborés par les manifestants on pouvait lire : « on a faim ».
Des leaders de l'opposition comme Ousmane Tanor Dieng (PS), Talla Sylla
(Djeuf dieul) et Ali Haïdar (écologiste) ont
également profité massivement de cette tribune pour, aux
côtés des
populations, exprimer l'incapacité de l'Etat ou
même sa désinvolture face à cette crise. Car en parlant de
cette crise, le Président Wade, après avoir violement pris
à partie la FAO, l'accusant d'être à l'origine de cette
situation, avait promis aux Sénégalais près de 600 000
tonnes de riz offertes par l'Inde. Or les consommateurs n'ont jamais vu venir
de ce riz sur les marchés. Cette manifestation a été
violemment réprimée par les forces de l'ordre. Plus d'une
vingtaine de personnes, dont Momar Ndao et Jean Pierre Dieng responsable
respectifs de l'Association des consommateurs du Sénégal
(Ascosen) et de l'Union nationale des consommateurs du Sénégal
(UNCS), ont été interpellés. Considérés
comme les principaux organisateurs de la marche de protestation, ces deux
responsables ont été détenus dans les locaux de la
Divisions des investigations criminelles (DIC) où ils ont
été interrogés jusqu'à une heure tardive de la
soirée. Ils ont été ensuite convoqués à la
barre du tribunal des flagrants délits de Dakar, accusés d'avoir
défié les autorités en passant outre l'interdiction
d'organiser un rassemblement illicite et de détruire des biens publics.
Six mois de prison avec sursis ont été requis contre eux. On leur
a finalement infligé, le 16 avril, une peine d'un mois de prison avec
sursis.
Pourtant, une fois la manifestation dispersée, des
agents de la DIC ont fait irruption dans les locaux d'une chaîne de
télévision privée laquelle diffusait, pour la
première fois au Sénégal, des images de la manifestation
en direct, pour d'abord exiger l'arrêt de la diffusion et ensuite pour
saisir toutes les cassettes et les copies de ces images. Ce qui a
été fait malgré les protestations des journalistes qui
arguaient de la liberté de la presse et du besoin d'informer les
populations. Cette attitude des autorités laisse penser qu'elles ne
voulaient pas de traces de cette marche ou encore qu'elles voulaient traiter
l'information à leur façon.
Mais quelles qu'aient été leurs intentions, les
pouvoirs publics ont montré leurs difficultés à affronter
de façon sereine les manifestations de mécontentement ou de
protestation des populations. Car, après avoir fait violement
réprimer la manifestation par la police, et accuser, encore une fois,
22
l'opposition d'être derrière ces mouvements et de
tromper les Sénégalais sur la hausse des prix, qui n'est pas
spécifique au Sénégal, le gouvernement
Source : SudQuotidien du 3 et du 10 avril 2008,
photos de la manifestation du 31 mars 2008 contre le renchérissement des
prix des denrées de première consommation
semble privilégier la voie de la répression et
de la confrontation à celle de l'apaisement et du dialogue. Pour Momar
Ndao, il aurait été très avisé d'appeler les
différents responsables des associations de consommateurs à des
négociations pour au moins mettre en oeuvre une stratégie de
communication qui permette d'informer les populations sur les hausses des
prix.
Au total, même, les pouvoirs publics sont conscients que
cette situation qui touche plusieurs pays en Afrique et au-delà n'est
pas propre au Sénégal. Mais qu'elle procède d'une
conjoncture mondiale et révèle la dépendance alimentaire
dont souffre le pays. Aussi, ils ne sont pas prêts à laisser la
mobilisation des populations se muer en une quelconque forme de contestation et
de manifestations de rue. Les autorités tiennent à montrer que
malgré les difficultés que connaissent les populations pour
subvenir convenablement à leurs besoins élémentaires,
elles seules détiennent le pouvoir et à ce titre, toute
défiance sera sévèrement réprimée. C'est
dans ce sens qu'il faut comprendre autant l'interdiction de la marche que la
répression qui l'a dispersée.
Si la rue a servi aux populations comme espace pour exprimer
leurs difficultés face au renchérissement des coûts des
produits de première nécessité (riz, huile sucre...), elle
l'a d'autant été lorsqu'elles s'estiment victimes d'une injustice
à grande échelle sur la distribution et les tarifications de
l'électricité. Mais la nouveauté, se sont les acteurs qui
ont préparé et mené cette protestation.
A - 2 : La marche des imams de Guédiawaye dans la
banlieue de Dakar
Chronologiquement, les Imams (dignitaire religieux musulman,
qui dans une mosquée dirige les prières) de Guédiawaye
dans la banlieue de Dakar, ont été les premiers à
organiser une marche de protestation contre la vie chère, mais aussi et
surtout contre les factures d'électricité trop
élevées. En fait, confrontée à une pénurie
de combustible pour alimenter ses centrales et partant fournir
régulièrement de l'électricité à tous les
abonnés, la Société nationale d'électricité
(SENELEC), en était réduite à multiplier les coupures et
les délestages. Ce système lui permettait d'alimenter tour
à tour les différentes parties de la ville hormis certaines zones
jugées sensibles comme le palais présidentiel et ses abords. Le
problème à l'origine de cette manifestation c'est qu'en plus
d'une distribution très erratique pour ne pas dire trop rare, la SENELEC
a non seulement augmenté le tarif de l'électricité de 17 %
mais elle a procédé, en plus, à une double facturation qui
consiste à envoyer aux consommateurs deux fois la même facture
pour la même période. A cela s'ajoute le fait que les multiples
coupures d'électricité endommagent les appareils
électroménagers des familles. Pour exprimer leur
exaspération face à cette situation et au mutisme des pouvoirs
publics, des imams ont donc pris, à Guédiawaye dans la banlieue
de Dakar, la tête d'une forte mobilisation. Ils ont été
soutenus par des centaines de personnes qui vivent les mêmes
difficultés. Dans le mémorandum écrit à cet effet,
le collectif des imams et chefs de quartiers estiment qu'en agissant de la
sorte, la SENELEC fait montre d'une « volonté
délibérée et cynique de résorber son déficit
de trésorerie chronique sur le dos des ménages déjà
durement éprouvés par l'effritement implacable, et chaque jour
plus affirmé, de leur pouvoir d'achat »8. Au cours de
cette marche de protestation, les populations
24
se sont directement adressées au chef de l'Etat
lui-même par le biais de banderoles et de slogans comme : «
Gorgui (le vieux, surnom donné à Wade) faut pas
déconner sinon on va déconner )), « we are tired help
please )) ou encore « surfacturation des factures : ça suffit
)). Certains manifestants ont tout simplement apporté avec eux des
bougies et des lampes à pétrole pour rappeler qu'à cause
des délestages, ils en étaient réduits à
s'éclairer avec ces moyens qu'ils croyaient appartenir au
passé.
Une marée humaine dont l'effectif n'a été
communiqué ni par la police ni par les organisateurs eux-mêmes, a
ainsi emprunté les principales artères de la ville de
Guédiawaye pour se retrouver à la préfecture où les
dirigeants de la manifestation (imams et chefs de quartiers) ont
été reçu par les autorités. Ils en ont
profité pour exiger le « remboursement par la SENELEC des sommes
indûment perçues depuis le 1er août 2008, la fourniture
permanente de l'électricité sur toute l'étendue du
territoire national et la fin des délestages, le dédommagement
conséquent et diligent des ménages victimes de
détériorations d'appareils ménagers et autres )). Ils ont
également lancé un appel en direction des pouvoirs publics pour
qu'ils prétent une attention particulière « sur la gestion
de ce dossier très sensible qui peut être une source potentielle
de troubles à l'ordre public ))9. Invité à
cette manifestation Momar Ndao dira : « Cette marche est un message
d'alerte très fort lancé aux autorités, nous leur
demandons de se réveiller. Sinon le réveil des populations peut
faire mal ))10.
A propos de cette marche, un quotidien
sénégalais (Sud Quotidien) titrait à sa Une le
lendemain « Sénégal-Marche des populations de
Guédiawaye contre la vie chère : Une marée humaine
assoiffée de révolte )). Que les populations aient
été sur le point de déclencher une révolte est
8 - Astou Winnie BEYE dans Le Qotidien du 11
décembre 2008
9 - Idem
10 - Idem
difficile à dire. Toujours est-il qu'elles ont
affirmé qu'elles ne paieraient les factures du mois d'octobre que si
la SENELEC revenait à un mode de facturation normal, le ministre de
l'Energie, Samuel Sarr ayant reconnu lui-
même que sur un total de 720 000 factures, 159 000 soit
environ 22 % comportaient des anomalies.
Sources : Pressafrik et Le Matin Vendredi 19
Décembre 2008 photos de la marche des imams à Guédiawaye
dans la région de Dakar
Cette marche dirigée par des imams a, bien entendu,
suscité beaucoup de commentaires. Certains estimaient que les imams
étant des consommateurs comme toutes les autres composantes de la
population, avaient, eux aussi, le droit d'exprimer leur mécontentement
par des moyens pacifiques. D'autres par contre - plus à cheval sur les
dogmes religieux ? - estimaient qu'en tant que guide religieux, l'imam ne
devait pas s'immiscer, de cette façon, dans le débat social. Qui
a tort, qui a raison ? Je ne saurai sans doute pas trancher ce débat,
mais les manifestant ont sans doute pensé qu'ils avaient raison.
Toujours est-il que des imams ont dirigé une marche de protestation et
ce fait est, en soi, un événement inédit au
Sénégal. Le fait que des « vieux » retraités
pour la plupart et de surcroît des guides religieux choisis le plus
souvent pour leur probité morale, leur érudition dans le domaine
de l'islam et l'exemplarité de conduite sociale, aient
décidé de faire fi des risques de répression (qui depuis
2000se sont multipliés) pour organiser et mener une marche de
protestation est pour le moins assez singulier. Et à ce titre, il permet
de mesurer la profondeur du mécontentement social et surtout de montrer
que les imams comptent bien se servir des pouvoirs que leur confèrent
leur position sociale et leurs responsabilités religieuses pour
dénoncer la dégradation des conditions de vie des populations et
peut être en exiger la prise en charge par les autorités
publiques.
26
Dans tous les cas, la marche de protestation des imams qui, il
est important de le préciser, a donné lieu à une forte
mobilisation de la population n'a connu aucun débordement, surement
grace à l'appel au calme qu'ils ont lancé, malgré la
présence des forces de l'ordre, pose plusieurs interrogations :
sommes-nous entrain d'assister à la radicalisation de toutes les franges
de la population, même de celles dont personne n'entend qu'elles
expriment leur courroux par des marches de protestation ? Pourquoi cette marche
n'a pas été dispersée par les forces de l'ordre comme
c'est le cas pour beaucoup d'autres ? Faut-il croire que les pouvoirs publics
craignent la réaction des populations s'ils s'en prenaient à ces
notables ? Pourquoi est-ce que se sont des imams de la banlieue et non ceux des
quartiers huppés de Dakar comme le Point E et les Almadies ? Faut-il
croire qu'il y a des entités socio spatiales qui vivent les coupures
d'électricité et la vie chère de manière
différente ? Une chose est sure, c'est que si les habitants des
quartiers riches de Dakar ont les moyens de se payer des groupes
électrogènes pour pallier toute défaillance dans la
distribution de l'électricité, on ne les a pas entendu se
plaindre de quelque surfacturation ou erreur de facturation que se soit. Est-ce
une manifestation de l'approfondissement des inégalités sociales
? En tout état de cause cette réaction des imams face aux
pratiques de la SENELEC, au renchérissement du coût de la vie et
de la baisse du pouvoir d'achat des ménages, montre l'effritement de
certaines valeurs comme le massla (wolof) (propension a toujours
cherché le compromis quelque soit le problème et l'enjeu pour ne
heurter la sensibilité d'aucune des parties concernées),
fondatrices de la stabilité du pays.
Cependant, si les imams ont manifesté leur courroux
dans le calme, ce n'est pas le cas d'autres manifestations comme celle qui
s'est déroulée à Kédougou en décembre 2008.
Voyons ce qu'il en est.
A - 3 : La manifestation de Kédougou
Le fait que la région de Kédougou, ancien
département de la région de Tambacounda, considéré
comme tel dans cette étude, située dans le Sud-est
du pays à 750 km de la capitale, recèle
d'importants minerais (or, fer, marbre) avait conduit les autorités
à y implanter un lycée technique industriel et minier pour
inciter les jeunes de la région et, au-delà, à
intégrer ces filières. Cet établissement, malgré de
nombreuses difficultés, a réussi à former des dizaines de
jeunes. Aussi lorsqu'après l'alternance, le Président de la
République s'est engagé à valoriser le potentiel minier de
la région et à faire de Kédougou le pôle de
développement minier du pays, ces derniers dont la plupart peinait
à trouver du travail, ont cru voir la fin de leurs difficultés
d'insertion. Mais, alors que l'usine, Sabodala Gold Opérations (SGO),
une filiale de l'australienne Mineral Deposit Limited détentrice de la
concession minière, devait officiellement ouvrir ses portes le 15 mars
2009 après avoir fini l'installation de la cité minière
entièrement équipée, les jeunes de la région,
encore dans l'attente de se faire embaucher, ont commencé à
s'interroger. Ils sont nombreux les jeunes bacheliers sortis du lycée
technique de Kédougou (en 2004 ils étaient 84) qui, faute de
moyens n'ont pu continuer leurs études et qui pensent que l'entreprise
pouvait les enrôler et appuyer leur formation avec la stratégie du
« Learning By Doing » (apprendre en travaillant).
Car si grace à l'ouverture de cette usine, le
Sénégal allait entrer dans l'ère de la production
industrielle de l'or avec une capacité de 5 tonnes d'or par an, il est
certain que cette extraction minière entraînera également
une dégradation de l'environnement et une forte pollution. Les
populations de Kédougou en sont conscientes puisqu'elles ont
adressé une lettre ouverte au Président Wade à cet effet.
Elles y affirment : « l'extraction industrielle de l'or par les
multinationales cause pollution, intoxication au cyanure, déplacement
massif de populations, ravage de l'environnement, développement de
maladies comme la tuberculose, le VIH SIDA. Que deviendront les terres fertiles
de la Falémé quand finiront les activités des compagnies
et, que gagneront les populations locales après que tout cela soit
terminé ; en vérité la somme des dégradations
écologiques et des atteintes à la santé provoquées
par l'exploitation des mines d'or et de fer va ruiner la
28
nouvelle région pour des générations
à venir et, nous ne croyons pas que les multinationales payeront
l'ardoise » 11.
C'est dans ce contexte que les jeunes ont envahi les rues de
la ville pour rappeler qu'ils ne se contenteraient pas seulement des
réalisations du programme social minier signé entre l'Etat et
l'entreprise minière comme la réhabilitation des infrastructures
routières sur les axes MandankoligKhossanto-Sabodala et
Sabodala-Bransan-Khossanto pour désenclaver la région. Ces
jeunes, autant que les autres franges de la population de la région de
Tambacounda, exigent de pouvoir bénéficier des retombées
de l'exploitation et de la commercialisation du minerais contenu dans leur sous
sol. Dans la même lettre on peut lire : « ~ les investisseurs du
secteur qui nous envahissent ont trop d'avantages à notre
détriment et ceci, malgré le Programme Social Minier qui nous est
tant vanté par vos Ministres, et qui, à notre avis pose
problème dans sa mise en oeuvre, parce que géré par une
Unité logée au sein du ministère des Mines et de la
Géologie ; comme si nous étions encore immatures et incapables
pour décider de nous-mêmes »12.
La marche pacifique de décembre 2008 avait pour but de
mobiliser toutes les populations de Kédougou, pour dénoncer la
spéculation foncière, la cherté de la vie et pour que les
jeunes soient embauchés dans la société minière qui
y exploite l'or, le marbre et le fer. Ce mouvement de protestation
organisé par les étudiants de la région s'est mué
en affrontements avec les forces de l'ordre renforcées par
l'armée. On déplore la mort d'un jeune agé de 25 ans,
tué par balle selon certaines sources, trois morts pour d'autres et
plusieurs autres blessés.
11 - le document qui explique la révolte des jeunes de
Kédougou adressé à Maître Wade, dans Ferloo
du lundi 29 décembre 2008
12 - Idem
Sources : L'Office du Samedi 27 Décembre 2008,
Le Matin du Vendredi 26 Décembre 2008 et
www.tambacounda.info photos de la manifestation de Kédougou en
décembre 2008
Ce qui surprend dans cette affaire, c'est, outre la
célérité avec laquelle vingt et une des personnes
arrêtées ont été jugées et condamnées
à cinq, sept et dix ans d'emprisonnement ferme, verdict qui pour Me
Sidiki Kaba, avocat des prévenus, «n'est pas de nature à
oeuvrer dans le sens de l'apaisement », c'est la réaction des
autorités. Après avoir, dans un premier temps, accusés des
mercenaires venus de la Guinée Conakry, du Mali, de la Gambie et du
Ghana, d'avoir «combattu » auprès des populations locales, le
ministre de l'Intérieur, Cheikh Tidiane Sy, s'est déplacé
à Kédougou pour disait-il : « simplement présenter
les condoléances et constater les dégâts et pas pour autre
chose ». Cette réponse était servie aux représentants
des populations locales venus négocier la libération des jeunes
arrêtés. Il faut dire qu'aujourd'hui, tous les jeunes qui avaient
écopé de peine de prison, sont libres du fait de la grâce
présidentielle. Les violentes réactions qui ont été
notées sur la manière dont cette manifestation a
été réprimée se
30
résumaient toutes à dénoncer l'injustice
dont sont victimes les habitants de Kédougou. Car, à leur avis
des faits plus graves se sont déroulés dans d'autres
localités sans que les pouvoirs publics ne réagissent de la
sorte. L'exemple qui est le plus revenu, c'est celui de ceux qui, à
Kébemer petite ville natale du chef de l'Etat dans la région de
Louga, ont, pour réclamer un portefeuille ministériel,
brûlé le drapeau national.
Mais quelles que soient les réactions des uns et des
autres, il me semble important de revenir sur celle des autorités. En
parlant de mercenaires étrangers qui auraient combattu aux
côtés des populations, participant en cela à rendre
violente une manifestation qui se voulait pacifique, les pouvoirs publics
semblent verser dans la recherche effrénée de boucs
émissaires. Si ce n'est pas l'opposition qui instrumentalise les
manifestations et les manifestants, c'est une infiltration de forces
étrangères ou de mercenaires qui en justifie la violence. Ils
donnent ainsi l'impression de croire les populations locales incapables de fait
de violence. Ce qui me semble une inquiétante méprise. Car ce
faisant, ils minimisent la profondeur du mécontentement social et
privilégient la répression de ces manifestations. C'est ce qui
s'est d'ailleurs passé à Kédougou (Tambacounda) en
décembre dernier comme c'était déjà le cas à
Dakar. S'il n'est pas prouvé à ce jour que des mercenaires
étrangers ont participé à cette marche de protestation,
les premiers lingots d'or issus du sous sol de Kédougou et
présentés au chef de l'Etat le 3 juin 2009 vont forcément
rendre la région plus attractive à cause des possibilités
d'offre d'emploi liées à l'extraction et la commercialisation de
ce minerai.
Dès lors, qu'il y ait des manifestations sociales et/ou
politiques ou pas, on peut s'attendre à ce que les migrations vers
Kédougou croissent. D'ailleurs il n'est pas sür que se soient
seulement des étrangers qui vont affluer vers cette région pour
essayer de profiter des retombées de l'exploitation de l'or. Et, si les
pouvoirs publics ne mettent pas en oeuvre des politiques d'accompagnement par
le biais de la réalisation du désenclavement de la région,
de la construction d'infrastructures sanitaires, éducationnelles. .,
pour relancer le développement de la région, comme le
demandent les populations locales, l'on peut s'attendre
à ce qu'elles se sentent exclues du partage des dividendes de la
commercialisation de l'or. Dans leur lettre adressée au
Président, on peut y lire : a les populations de Kédougou sont
dans la psychose, stressent et chaque jour doutent ; pas une route
bitumée pour au moins faciliter les évacuations sanitaires et le
déplacement des populations, Kédougou est toujours sombre la
nuit, aucune stratégie sérieuse pour rendre les localités
plus amènes au développement humain » (Ferloo
décembre 2008). En outre, sachant que le cours du lingot d'or
était le 2 juin 2009 à 22 000 euros (14 431 032 F
Cfa)13, l'on peut s'attendre à ce que les populations,
appuyées ou non par des mercenaires venus des pays limitrophes ou
autres, cherchent à réclamer leur part du a gâteau ».
c'est ce qu'elles disent toujours dans cette lettre : a Monsieur le
Président de la République : Ceux sont ces frustrés, ces
laissés pour compte qui se sont organisés dans ce mouvement fort
pour réclamer leur droit au développement , et porter leur cri
à votre écoute pour vous permettre de prendre les
décisions adéquates aux problèmes soulevés et dont
souffrent les couches défavorisées au rang desquelles la jeunesse
de la nouvelle région de Kédougou» (Ferloo
décembre 2008).
Il est donc clair que les émeutes de Kédougou ne
sont pas à prendre à la légère. Elles
préfigurent, comme ci-dessus évoqué, la conduite que les
populations, les jeunes singulièrement, sont prêtes à
adopter si elles se sentent, un tant soit peu flouées par les
autorités dans le cadre de l'exploitation des mines d'or, de fer et de
marbre de la région. Et face à la répression dont elles
ont été victimes, on peut craindre que pour toute autre
manifestation ayant les mémes causes et visant les mémes buts,
qu'elles soient mieux préparées à affronter les forces de
l'ordre. Du coup, si l'Etat continue de privilégier la confrontation au
détriment de la négociation et du dialogue, la violence franchira
certainement un palier supplémentaire et pourrait avoir entre autres
pour conséquence d'installer dans la région, et ce
13 : Source :
www.banque-de-france.fr
32
de façon durable, l'insécurité. Dans ce
contexte, la tentative de l'Etat d'expliquer la survenue de certains conflits
sociaux par l'immixtion de forces étrangères peut s'avérer
pour le moins insidieuse car il n'est pas dit que cette violence
épisodique ne peut pas se généraliser. S'il est
aisé de savoir d'où part une vague de violence, il est toujours
plus difficile d'en cerner les contours et partant d'en déterminer le
terme. D'autant que les manifestations violentes ne sont pas seulement le fait
des jeunes de Kédougou. En effet, le milieu scolaire reste un foyer
où les tensions récurrentes sont en hausse constante autant au
niveau de la fréquence des grèves que de leur violence.
A - 4 : Des grèves scolaires et universitaires
à répétition
L'école sénégalaise connaît des
grèves cycliques depuis les années 1980 avec la mise en oeuvre
des plans d'ajustement structurels. Chaque année, élèves
et étudiants continuent de descendre dans la rue pour les mêmes
revendications récurrentes qui tournent autour de l'amélioration
des infrastructures (augmentation des établissements scolaires, des
salles de classes et des tables-bancs, des logements des étudiants,
etc.), des supports pédagogiques (livres, manuels etc.), l'augmentation
des effectifs des enseignants et des professeurs, le paiement des bourses et
aides. En 2006 par exemple, les élèves du lycée Mame
Cheikh Mbaye de Tambacounda ont fait une grève de plusieurs jours
pendant lesquels ils ont saccagé les locaux du Conseil régional,
bloqué la circulation en brûlant des pneus sur la chaussée
et affronté à coup de pierres les forces de l'ordre. Ils
revendiquaient essentiellement le renouvellement des livres de la
bibliothèque et de l'équipement d'une salle informatique.
Mais, depuis 2006, ce sont les enseignants du moyen et du
secondaire réunis autour du Cadre unitaire des syndicats de
l'enseignement moyen et
secondaire (CUSEMS) et les instituteurs du primaire et du
préscolaire quiont entamé un conflit avec l'Etat pour
la satisfaction de leurs revendications.
Pour les premiers, les points de discorde tournent autour de la
question de « la réforme du statut des volontaires, vacataires
et contractuels ; de la
rationalisation de la carte scolaire et universitaire ; de
l'amélioration des conditions d'apprentissage et d'enseignement ; de la
promotion de l'habitat social et du payement des indemnités de
déplacement ». Et face aux lenteurs administratives qu'ils
reprochent au gouvernement, les enseignants ont progressivement
radicalisé leur mouvement de protestation au point où on
s'interroge encore sur la validité et la crédibilité du
baccalauréat de 2006, vus les nombreux dysfonctionnements dans
l'organisation des examens. Car, outre ces défectuosités, ces
derniers ont, face au mutisme du gouvernement, procédé à
la rétention des notes et au boycott des conseils de classe. Depuis
lors, les années scolaires se suivent et se ressemblent, prolongeant le
malaise du système éducatif. Entre octobre 2007 et mars 2008 les
enseignants en étaient déjà à prés de deux
mois de grève et donc autant d'heures de cours en moins pour les
élèves. Celle de 2008-2009 connaît aussi de nombreuses
perturbations, au total près de cinq mois d'arrêt des cours dans
le public.
Les seconds, quant à eux, réclament à
l'Etat une indemnité de recherche documentaire (Ird) de 60 000 F Cfa
(environ 91€) et pour obtenir la satisfaction de leurs revendications, ils
ont tout bonnement arrêté de dispenser les cours. De sorte que du
préscolaire au secondaire c'est tout le système qui est
bloqué. On est toutefois en droit de s'interroger sur les
véritables motivations de ces instituteurs. Car après avoir,
pendant plus de trois ans, campé sur leurs positions, estimant que
l'indemnité de recherche documentaire ne pouvait être
inférieure à 91 euros, ils viennent de signer un accord avec le
gouvernement, le mardi 26 mai 2009, pour la fixer à seulement 15 000 f
cfa (22,86 euros) et à l'horizon 2011 à 25 000 f cfa (38,11
euros). En fait, il me semble que les enseignants et les instituteurs se sont
sentis victimes d'injustice de la part des pouvoirs publics. En effet, alors
qu'en 2006, les magistrats ont vu leur indemnité de judicature passer de
150 000 à 300 000 f cfa (de 228 à 457 euros) avant de
s'établir à 450 000 f cfa (686 euros) en 2008 ; les gouverneurs
de régions voyaient la même année leur salaire passer de
300 000 à 800 000 f cfa (de 457 à 1219 euros) et
34
récemment, en 2008, les sortant de l'ENA se sont vus
octroyer une indemnité qui s'élève à 250 000 f cfa
(381 euros)14.
Toutefois, pendant que les enseignants et les instituteurs
continuaient leur confrontation avec les autorités publiques, ce sont
les élèves du primaire au secondaire qui descendaient dans les
rues pour dénoncer les grèves incessantes des enseignants et
instituteurs. Ainsi, le mercredi 23 avril 2008, avec des ardoises en main
où on pouvait lire« nous voulons étudier », les
élèves (âgés de 6 à 12 ans) des écoles
élémentaires des quartiers voisins de Camp Navétane et
Gouye situés dans la commune de Tambacounda, ont sillonné les
principales artères de la ville : une mobilisation inédite au
Sénégal. Car descendre dans la rue à cet âge, certes
pour des motivations louables, est tout de même inquiétant. Mais,
cette mobilisation a le mérite de montrer qu'aucune composante du
système éducatif ne semble épargnée par les
difficultés du secteur. En effet, n'est-ce pas déjà
entraîner de futurs grévistes et perturbateurs du système
éducatif ? Il n'est dès lors pas étonnant de voir
qu'à leur tour, les élèves des lycées Galandou
Diouf, Seydou Nourou Tall, Kennedy de Dakar, ceux du lycée moderne de
Rufisque (Dakar), ceux du lycée de Mame Cheikh Mbaye de Tambacounda,
ceux du lycée de Sédhiou et de bien d'autres
établissements, envahirent à plusieurs reprises entre 2008 et
2009 les artères de ces villes pour exprimer leur écoeurement
face à cette situation. Ils soutenaient cependant les revendications des
enseignants comme le dit Joseph Diouf du lycée Blaise Diagne de Dakar :
<<On fait la grève pour que le gouvernement paye les professeurs.
Ils sont fatigués, ils se sacrifient pour nous. Le gouvernement s'en
fiche des professeurs qui réclament leurs indemnités. La
situation dure depuis des années, et nous ne pouvons plus la
tolérer. Nous ne voulons pas être des otages
»15.
Si pour le moment, les élèves des écoles
et collèges du public, ont manifesté leur courroux par des
marches de protestation qui se terminent le plus souvent par des affrontements
avec les forces de l'ordre (quatre bus
14 - Source : Ministère des finances
15 - Ndéye Maty Diagne dans Nettali du Jeudi 19
Mars 2009
d'une société de transport de Dakar ont
été saccagés), rien n'indique qu'il en sera toujours
ainsi. En effet, pendant que le Président de la République
continue à clamer partout, à cor et à cri, qu'il est le
seul à consacrer 40 % du budget de l'Etat à l'éducation,
le système éducatif continue d'être en proie à une
multitude de problèmes qui hypothèquent véritablement
l'avenir de la
Sources : APS du 17 février 2009 et
Nettali du 19 mars 2009 photos de grèves d'étudiants et
d'élèves à Dakar
jeunesse sénégalaise. Est-ce que les jeunes vont
continuer à assister - impuissants ?- à cette lente et
progressive déstructuration du système éducatif ? Vont-ils
se contenter d'attendre sagement que le bras de fer entre le gouvernement et le
corps enseignant connaisse un épilogue heureux ? Car si l'accord qui
vient d'être signé entre les instituteurs et le gouvernement (le 7
juin 2009) met pour le moment un terme à la grève dans les
écoles primaires, les problèmes des enseignants du moyen et
secondaire ne sont pas encore résolus. D'autant que la poursuite de ce
conflit est de plus en plus assimilée, autant par les
élèves eux-mêmes que par les enseignants, l'opposition et
les observateurs, comme un manque de volonté de la part de l'Etat. Ce
qui fait dire à Mamadou Diop Castro de l'Union démocratique des
enseignants du Sénégal (Uden) dans le quotidien
Walfadjri du 5 Mars 2008 : « c'est le gouvernement qui affiche le
mépris et manoeuvre pour sortir de la situation »16 et
à Marième Dansokho du Sypros : « C'est inconscient et
irresponsable. Même si un seul établissement est en grève,
le gouvernement ne doit pas attendre pour régler la situation à
plus forte raison pour des milliers d'enseignants»17.
16 - Walfadjri du 5 mars 2008 / 17 - Idem
36
L'enseignement supérieur sénégalais
souffre à la fois d'un accès limité et d'une très
faible couverture du territoire national : seules quatre régions (Dakar,
Saint-Louis, Thiès et Ziguinchor) sur quatorze concentrent la
totalité des établissements d'enseignement supérieur. Les
régions comme Tambacounda qui enregistrent des taux de réussite
au baccalauréat supérieurs à la moyenne nationale sont
hélas dépourvues d'établissements d'enseignement
supérieur public. En 2008 il était de 60,1 % à Tambacounda
contre 42,9 % au niveau national. La progression continue des effectifs de
bacheliers issus de l'enseignement secondaire au niveau national n'a pas
été suivie d'une hausse de l'offre de l'accès au
supérieur. Ce qui crée un véritable engorgement au niveau
de la principale université du pays, l'Université Cheikh Anta
Diop (UCAD), dont les effectifs avoisinaient, en 2003/2004, les 40 000
étudiants pour un établissement qui à sa création
était destiné à en n'accueillir que 25 000. En 2008 ils
étaient 27 000 pour la seule faculté de lettres alors qu'on y
trouve de nombreuses facultés comme celle de médecine, de
pharmacie, des sciences juridiques, des sciences humaines..
Comme pour les élèves, les manifestations des
étudiants se soldent la plupart du temps par des affrontements avec les
forces de l'ordre. C'était le cas par exemple le 21 février 2006
à Dakar lorsqu'après avoir trouvé des vers dans leur
dîner et découvert les mauvaises conditions de stockage des
aliments, les étudiants s'en étaient violement pris au Centre des
oeuvres universitaires. Véhicules, restaurants, magasins de stockage,
guichets entre autres ont été saccagés ou calcinés.
De plus l'entrée des forces de l'ordre dans le campus à la
poursuite des étudiants, obligeant l'un d'eux à sauter d'un
immeuble et violant par là les « franchises universitaires »,
à participé à envenimer la situation puisque ceux-ci ont
exigé, avant tout retour au calme, le retrait de ce qu'ils appellent
« les forces du désordre». C'est ce que soutient un des
responsables de l'Union des étudiants de Dakar (UED) lorsque le
gouvernement, par la voie du ministre de l'Education a affirmé sa
disponibilité à résoudre les problèmes par le
dialogue : «tant que l'université sera occupée par 'les
forces du désordre', nous ne négocions pas alors que
notre espace est transformé en camp de policiers
))18. Pour apporter leur soutien à leurs camarades de Dakar,
les étudiants de saint Louis ont voulu marcher vers la gouvernance sur
une distance de douze kilomètres pour déposer une lettre de
protestation. Ils ont été bloqués par la gendarmerie sous
prétexte que la marche n'était pas autorisée. Les
affrontements ont fait plusieurs blessés dont un étudiant ayant
reçu des éclats de grenades lacrymogènes.
Absent du pays au moment des faits, le Président Wade a
affirmé à propos de ces grèves : « C'est une main
étrangère qui, avec l'opposition, sont derrière la
grève. Elle a reçu des financements pour déstabiliser le
pays. J'étais dans l'opposition. Je connais certains d'entre eux, ils
n'ont pas le courage de descendre dans la rue. C'est facile de manipuler des
étudiants et d'aller se mettre dans un lieu où tout le monde te
voit et tu dis que t'as rien fait. Les étudiants doivent refuser de se
faire manipuler ou si les opposants demandent de marcher qu'ils imposent aux
opposants de se mettre au devant ))19. Sans prendre le temps de
comprendre leurs motivations et les raisons qui les poussent à s'en
prendre violement aux infrastructures universitaires et à affronter la
police et la gendarmerie, les autorités choisissent la voie de la
politisation du mouvement. Pourtant, même s'ils ont
considéré les propos du président comme une provocation,
les étudiants continuent de clamer que ce qu'ils veulent c'est seulement
l'amélioration de leurs conditions d'étude. Aussi
déplorent-ils l'attitude des autorités qui à leur avis ne
sont disponibles pour des négociations que lorsqu'il y a des
échauffourées et des affrontements entre eux et les forces de
l'ordre.
Dans tous les cas, que ce soit une main
étrangère ou l'opposition comme le prétend le chef de
l'Etat, ou tout simplement les étudiants qui déterminent
eux-mêmes leurs plateformes revendicatives et mettent en oeuvre des
stratégies pour leur satisfaction, il me semble que tout retard dans la
résolution de la crise du système éducatif ne fera que
cristalliser et radicaliser les positions.
18 - Coumba Sylla, Nettali, le 21 février 2006
19- Nettali du 21 février 2006
En plus des grèves d'élèves,
d'étudiants et d'enseignants, le front social sénégalais
enregistre depuis quelques temps des manifestations inédites.
Après les émeutes de la faim, la marche des Imams de
Guédiawaye, celle des populations de Fatick et celle des habitants de
Kédougou pour ne citer que celles là, les manifestations de
colère sont devenues récurrentes au Sénégal. Fait
nouveau, c'est qu'elles sont presque toutes réprimées dans la
violence. Pourtant la Constitution du Sénégal garantit le droit
de manifester pacifiquement. Toutefois, si les manifestations sociales se
multiplient et se radicalisent elles ne sont pas pour autant les seules menaces
qui pèsent sur la stabilité du pays. Avant 2000, le
président Wade a su galvaniser et mobiliser une jeunesse qui appelait le
changement de tous ses voeux. Neuf ans après son élection, il
convient d'examiner les relations qu'il entretient avec celle-ci et en quoi
elle pourrait constituer une menace pour le pays.
B - Chômeurs et très nombreux, les jeunes
s'entassent dans les centres urbains : doit-on craindre le péril jeune
?
Des estimations faites sur la base des projections
démographiques officielles, donnent chaque année une idée
sur l'évolution de la population du Sénégal. Ainsi, la
population totale serait passée de 9 858 482 hts en 2002 à 1 1519
226 hts en 2007, le taux d'accroissement étant de 2,7 %20.
Néanmoins, pour avoir des détails sur sa structuration et sa
répartition selon divers critères, il faut se reporter sur les
statistiques du dernier recensement général de la population et
de l'habitat (RGPH) du Sénégal. Publiées en 2002, par
l'agence nationale de statistique et de la démographie, ces
statistiques, sont, encore aujourd`hui, les chiffres officiels à partir
desquels se fondent les analyses sur la population. Elles montrent que 54,9% de
la population est âgée de moins de vingt ans soit un peu plus de
la moitié, alors que la tranche d'age qui va de quarante à
soixante neuf ans ne représente que 15 % et la proportion des cinq ans
à trente cinq ans représente environ 63,2 % (calcul
effectué par l'auteur).
20 - Agence Nationale de la Statistique et de la
Démographie (ANSD) dans : « Situation Economique et Sociale du
Sénégal en 2007 », Octobre 2008.
38
REPARTITION DE LA POPULATION DU SENEGAL PAR AGE EN
2002
3000000
2500000
2000000
1500000
1000000
500000
0
2904741
0 - 9 10 19 20 - 29 30 - 39 40 - 49 50 -59 60 - 69 70 -79 80 - 89
90 et +
2500075
1664387
1080665
728232
448611
291578
168550
50736
17757
Sources : Troisième Recensement général de
la Population et de l'Habitat, ANSD 2002
Un des enseignements qu'on peut tirer de ces statistiques,
c'est le rapport de dépendance qu'elle induit. En effet, selon les
chiffres de l'ANSD, le coefficient de dépendance était en 2002 de
86,5 personnes inactives pour 100 actives et devrait s'établir en 2008
autour de 84 inactifs pour 100 actifs. En d'autres termes, une personne active
avec un faible revenu, dans la plupart des cas, le salaire moyen mensuel
oscillant, dans le secteur public, entre 50 000 F cfa (environ 76,22 euros) et
75 000 F cfa (environ 114,33 €), doit prendre en charge la famille
composée de plusieurs personnes. Elle cherchera à prendre sur
elle tous les besoins de celles-ci, depuis les plus élémentaires
comme se nourrir, boire, se vêtir et se loger entre autres. Si pendant
longtemps, les subventions faites par l'Etat pour soutenir les produits de
première nécessité ont permis de maintenir leurs prix
à des niveaux acceptables pour que les faibles revenus puissent y
accéder, cela est de moins en moins le cas aujourd'hui. Le
renchérissement du coût de la vie, qui affecte tous les pays
à travers le monde, frappe plus durement ceux d'Afrique subsaharienne
(dont le Sénégal), qui importent massivement des produits
alimentaires, céréaliers principalement du fait de la faiblesse
de leurs productions agricoles et de leurs revenus.
40
42
44
La baisse du pouvoir d'achat qui lui est consécutive,
en plus d'affecter les personnes actives, détériore de
façon profonde les conditions de vie de tous ceux qui étaient
pris en charge d'une façon ou d'une autre. C'est le cas pour des
millions de jeunes.
La situation des jeunes, au Sénégal, se
précarise de plus en plus. Cela s'explique par plusieurs facteurs. La
baisse du pouvoir d'achat des parents ou tuteurs est pour beaucoup de jeunes le
début du « calvaire » ou tout au moins celui d'un long
cheminement individuel qui peut, pour les plus tenaces et les plus chanceux,
déboucher sur la prospérité. En effet, livrés
à eux-mêmes parce que les parents ne peuvent plus, ou parviennent
difficilement à satisfaire leurs besoins, la plupart des jeunes se
retrouvent dans l'obligation de s'inventer des stratégies pour se
prendre en charge. Pour ceux qui étaient scolarisés, cette
situation sonne le glas de leur cursus ou la fin de leur formation. Au cours de
l'année académique 2006/2007, le Sénégal comptait
seulement 78 274 étudiants sur une population cumulée de jeunes
âgés de vingt à trente ans de 2 278 806 en 2002. Ces
statistiques montrent l'ampleur de la déperdition scolaire puisque le
taux brut de scolarité au primaire était de 35,9% en 2007.
Jacques Morisset, économiste en chef du bureau de la Banque mondiale au
Sénégal, abonde dans le même sens quand il affirme, lors de
la présentation du rapport sur l'emploi en 2007, que : « seulement
5 % des actifs sénégalais ont fait des études
supérieures »21.
Cet état de fait peut, en grande partie être
imputable à l'insuffisance des infrastructures scolaires et
universitaires, à un système d'éducation en proie depuis
plusieurs années maintenant à des problèmes
récurrents comme le manque de professeurs et d'enseignants, des
grèves interminables et à des formations souvent
inadaptées aux besoins des entreprises. D'ailleurs l'obtention d'un
diplôme est loin d'être une garantie pour un travail. Les propos
qui suivent sont édifiants «Au Sénégal tu as beau
étudier
21 - Jacques Morisset, économiste en chef du bureau de la
Banque mondiale au Sénégal, cité par le Quotidien le
Soleil, du lundi 15 octobre 2007
et avoir des diplômes, si tu n'as pas les moyens, tu ne
pourras pas t'en sortir. Maintenant les entreprises ne recrutent plus, elles
préfèrent prendre des stagiaires.».
Toutefois, pour beaucoup de jeunes, le système scolaire
et universitaire, malgré ses insuffisances, n'est pour rien dans leur
manque de formation. Le rapport sur l'emploi au Sénégal estime
que plus de la moitié des travailleurs du secteur informel n'ont jamais
été à l'école. Si l'on considère, toujours
selon ce rapport, que le secteur informel est le plus grand pourvoyeur d'emploi
au Sénégal car absorbant près de 97 % des créations
d'emplois chaque année « Cent mille actifs trouvent un emploi
chaque année, dont 97.000 dans le secteur informel »22,
alors on comprend aisément que, formés ou pas,
diplômés ou non, beaucoup de jeunes parviennent à trouver
du travail. Ils s'insèrent dans l'économie informelle, accumulant
les petits boulots comme vendeurs à la sauvette, laveurs de voitures,
coxeur23 etc. Il faut cependant préciser
qu'accéder à un emploi dans le secteur informel ne signifie pas
systématiquement s'extirper de la pauvreté et résoudre
toutes ses difficultés liées à la satisfaction des besoins
primaires comme se nourrir, se vêtir, se loger décemment, se
soigner etc. En effet, la faiblesse des revenus (salaire médian
estimé à 23 000 f Cfa soit 35 euros) 24 dans ce secteur est telle
que ces travailleurs ont juste de quoi survivre.
Par ailleurs, il faut préciser que l'économie
informelle n'est développée que dans et autour des grandes
villes. Dakar étant celle où sont concentrées les
principales activités économiques et industrielles du
Sénégal absorbe ainsi la presque totalité de ceux et
celles qui dans les autres villes ou les zones rurales, peinent à s'en
sortir. En effet, le déséquilibre structurel entre Dakar et le
reste du pays - autres villes et zones rurales - est tel qu'elle reste la seule
qui dispose de l'essentiel des possibilités d'offres d'emploi.
D'ailleurs les pouvoir publics ne font rien pour inverser cette situation. Car,
alors que la détérioration des conditions climatiques, la
raréfaction des pluies et des
22- idem -
23 - coxeur : ce terme désigne des individus
qui sur les arrêts de cars ou dans les gares routières se chargent
d'interpeller, de rechercher et de négocier les prix avec les voyageurs
moyennant une petite ristourne. Il y en a qui en ont fait leur métier
à temps plein.
24- Source : le secteur informel à Dakar, enquête
réalisée par l'ANDS, 2003
politiques mal adaptées obèrent les
résultats des activités agricoles, exacerbant les difficiles
conditions de vie de millions d'individus, majoritairement jeunes, l'Etat
cherche à mettre en oeuvre un « projet emploi des jeunes de la
banlieue » de Dakar.
Si cette initiative peut être salutaire pour les
millions de jeunes qui se trouvent déjà dans la banlieue et qui
sont au chômage, elle est en revanche un appel lancé implicitement
aux jeunes des autres localités à se ruer vers la capitale et sa
banlieue. Au Sénégal, 60 % (Morisset, 2007) des chômeurs
ont moins de trente cinq ans. Ce sont ainsi des centaines de milliers de jeunes
voire des millions qui atterrissent sur le marché du travail de la
capitale, sans qualification aucune et sans moyens pour s'en procurer.
Livrés à euxmêmes et n'espérant aucun soutien de
l'Etat, car en dépit des multiples initiatives promues par celui-ci pour
lutter contre le chômage des jeunes, le problème reste entier. Il
est important de préciser qu'au Sénégal il n'existe ni
Agence nationale pour l'emploi (ANPE ou Pôle emploi), ni allocation
chômage. Ce sont donc les jeunes eux-mêmes qui, pour satisfaire
leurs besoins, sont contraints de s'inventer des stratégies de survie.
Aussi, pendant que certains choisissent d'intégrer l'économie
informelle, si tant est qu'ils y parviennent, d'autres par contre se laissent
happer par la délinquance et le banditisme. Une troisième
catégorie, quant à elle, choisit de braver les dangers de la
traversée de l'océan pour rejoindre « l'eldorado
européen ». J'ai rencontré un jeune homme qui a
déjà tenté six fois la traversé sans y parvenir et
qui reste déterminés à réessayer. La seule
explication qu'il donne quand je lui demande pourquoi, c'est « Deuk bi
da méti té dama bugga tekki » (wolof,
littéralement : « la vie est difficile ici alors que je veux
devenir quelqu'un d'important»). Autrement dit, il veut se sentir utile,
important, ne pas rester insignifiant, dépendant et sans ressources.
De plus en plus de jeunes, pour fuir la misère, en
arrivent à ce choix extrême malgré les difficiles images de
morts et de noyés qui nous sont servis sur ce phénomène,
malgré les multiples dispositions prises par les pays de départ
et d'arrivée des migrants, malgré le risque de se faire traquer,
arrêter et expulser à tout moment. La tentation est d'autant plus
grande
lorsque, de retour d'un séjour en France, en Espagne ou
dans quelques autres pays d'Europe ou des Etats-Unis, ces jeunes immigrants
semblent avoir fait fortune. En 2006, près de 31 000 immigrants
clandestins dont la moitié serait originaire du Sénégal
sont partis des côtes africaines.
Pour ceux des deux autres catégories susnommées,
ils s'attachent à essayer de s'extirper quotidiennement des
difficultés qui les assaillent en usant de moyens légaux et
parfois illégaux. Il vient dès lors plusieurs interrogations.
Jusqu'à quand ces milliers de jeunes vont-ils continuer à
accepter que leur situation sociale et économique n'évolue pas ?
Jusqu'où sont-ils prêts à admettre que la misère et
la pauvreté qui gangrènent leurs conditions de vie ne soient,
autre chose qu'une fatalité ? Jusqu'à quand continueront-ils
à accepter voir à tolérer que, certains en soient à
construire des villas de grand standing, à convoler en noce une, deux ou
trois fois, à rouler en 4X4 rutilantes, juste parce qu'ils profitent du
népotisme ou parce qu'ils sont des thuriféraires des tenants du
nouveau régime ?
Moustapha Niasse, ancien premier ministre de Wade,
passé dans l'opposition depuis mars 2001, disait à propos de la
situation socio économique du Sénégal : « Les
Sénégalais sont coincés entre les deux mâchoires
d'un saurien prêt à les engloutir avec d'une part, le poids de la
misère quotidienne, et d'autre part la corruption ambiante
»25. Les Sénégalais, les jeunes
singulièrement, vont-ils attendre tranquillement d'être
happés par les « mâchoires du saurien » ?
S'il est difficile à ce jour de donner une
réponse, qu'elle soit affirmative ou pas, à ces interrogations,
la multiplication de faits divers de plus en plus violents donne à
penser que le risque de radicalisation de la jeunesse existe bel et bien.
Depuis quelques années, le visage du banditisme sénégalais
a évolué. En pire. Au début des années 2000 la
« bande à Ino et Alex », du nom de ces célèbres
voyous auteurs de vingt huit agressions et quatre viols dont celui d'une
religieuse, avait ému et surpris le peuple sénégalais par
la violence de leurs actes et les armes utilisées (kalachnikov
entre autres). Mais
25 - Moustapha Niasse, cité par Thiendella Fall dans
Walfadjri du 24 Avril 2009
aujourd'hui, des bandes de cambrioleurs, d'agresseurs, de
coupeurs de route... dotées toutes d'armes à feu, de
matériel informatique et méme, parfois de permis internationaux,
essaiment à travers le pays et montrent bien que l'époque du
coupe-coupe et de la machette est depassee au Senegal. Chaque jour des faits
divers, les uns plus violents que les autres, sont relatés dans la
presse. Aucune région n'est épargnée, toutefois celle de
Dakar reste de loin la plus touchee. Les 2/3 des agressions relatees par la
presse ont lieu dans cette region et sa banlieue. Le Senegal serait même
devenu, à l'instar de bien d'autres pays de l'Afrique de l'Ouest comme
les deux Guinees et le Nigeria, une des plaques tournantes de la drogue en
provenance d'Amérique du Sud et à destination de l'Europe. Les
saisies, de cocaïne notamment, seraient passees, selon Le rapport annuel
de l'Organe International de Contrôle des Stupefiants (OICS) publie en
fevrier 2008, de 2,8 tonnes en 2006, à 5,7 tonnes en 2007.
Par ailleurs, à la faveur de la crise
financière, les pays europeens se barricadent, durcissent les lois
contre l'immigration clandestine et multiplient les reconduites aux
frontières. L'exemple de l'Italie qui est un des principaux pays
d'immigration et qui vient de voter une loi qui cree « le delit
d'immigration et de séjour clandestins » est edifiant. Silvio
Berlusconi a declare recemment : « Nous fermons les portes et nous ne les
entrouvrons que pour ceux qui viennent pour travailler et
s'intégrer»26. Dès lors, si l'on admet que,
quoiqu'on en pense, l'émigration clandestine a permis à des
milliers de jeunes Senegalais de changer de situation socioeconomique, il est
clair que, cette situation va engendrer de nouveaux comportements. En effet,
les mesures draconiennes prises par les pays de destination, impliquent
necessairement pour de nombreux jeunes de se trouver de nouvelles pistes
d'insertion en restant dans leur pays d'origine. Le Sénégal est
particulièrement concerne car il reste un des principaux passages vers
l'Europe et les Etats-Unis d'Amérique. Et étant donné que
le secteur informel reste le principal pourvoyeur d'emploi (97 %), il me
semble, que les risques et
26 - Nadjia Bouaricha dans El Watan l'info. au quotidien,
le 17 mai 2009
46
les menaces de déstabilisation de la scène
sociale qui pourraient être le fait des jeunes, viendront plus de
l'incapacité du régime en place de tenir ses promesses de
plein-emploi et son souhait de réguler ce secteur. Par exemple, en 2007,
après que les autorités publiques aient décidé de
faire déguerpir tous les marchands ambulants qui occupaient les
trottoirs des principales artères (Ponty, Colobane...) de la capitale
(Dakar), une violente manifestation avait été organisée
par ces derniers. Ils reprochaient à l'Etat de chercher à les
priver de leur gagne-pain en ne leur proposant aucune solution de rechange.
Etant donné que le secteur informel reste pour la plupart d'entre eux la
seule et unique voix pour une insertion économique, ces jeunes
étaient prêts à user de tous les moyens qui étaient
en leur possession pour parvenir à leurs fins comme le soutient un de
leur représentant cité par LeQuotidien « le pouvoir
ne peut à la fois « judiciariser » l'immigration clandestine,
traquer les vendeurs à la sauvette (...) et espérer gouverner
dans la tranquillité ». Au lendemain de cette violente
protestation, les autorités sont revenues sur leur décision et
ont permis aux marchands ambulants de continuer à travailler sur ces
trottoirs. A la une de plusieurs journaux du pays on pouvait lire : «
l'Etat recule devant les marchands ambulants ».
Source : le Quotidien du 22 novembre 2007, photos de
la manifestation des marchands ambulants à Dakar
On voit donc, comme pour les cas précédents
(imams, élèves, étudiants...) que la rue est devenue un
véritable territoire où s'expriment toutes les rivalités
de pouvoir qui chaque fois mettent une frange de la population face aux
pouvoirs publics. Mais cette « victoire » des jeunes
marchands ambulants, en plus d'être inédite,
participe à leur conférer une place de choix sur
l'échiquier politique et social. L'on peut également supposer
qu'elle constitue un avertissement en direction des pouvoirs publics comme pour
leur dire qu'il faudra éviter autant la mobilisation des jeunes que leur
colère.
Le risque que l'on peut encourir ici c'est de voir surgir un
leader charismatique dont le discours tranche d'avec celui de ceux qu'on entend
aujourd'hui sur la scène politique et sociale. Un leader qui sache
cristalliser le mécontentement et la déception des jeunes en une
force revendicative qui serait prête à user de moyens pacifiques
mais surtout brutaux pour se faire entendre. Un leader qui, à l'image de
Wade quand il était opposant particulièrement en 1988 et en 1993
a réussi, grâce aux jeunes et à la violence dont ils ont
fait preuve dans les rues de Dakar et d'autres régions, à amener
les pouvoir publics à instaurer un couvre-feu, saurait mobiliser et
galvaniser des foules de jeunes. Bref quelqu'un qui propose une alternative
à l'alternance, un renouveau du changement et des perspectives plus
optimistes pour des centaines de milliers de jeunes qui, comme
déjà évoqué, cherchent par tous les moyens à
se sortir de la misère sociale, certains au péril de leur vie.
Autant Wade avait réussi à mobiliser la jeunesse
en 2000, autant il avait su s'allier avec la presse et les médias
privés qui avaient beaucoup participé à la
régularité du scrutin. Il convient de voir ce que sont devenues
ces relations et les risques qui pourraient en émaner.
LES CONFLITS DE POUVOIR ENTRE LES
AUTORITES PUBLIQUES ET CERTAINES
COMPOSANTES DE LA POPULATION (armée,
presse, opposition, confréries religieuses)
DEUXIEME PARTIE :
48
50
A - Les relations tendues entre presse, médias
et pouvoir politique : des rivalités de pouvoir lourdes de
conséquences ?
A travers un communiqué du ministre de la Justice paru
le vendredi 24 avril 2009 on pouvait lire : « Monsieur le Président
de la République, une fois encore, vient d'accorder sa grace à
treize jeunes Sénégalais, dont un journaliste,
momentanément en conflits avec la loi et détenus dans les
établissements pénitentiaires. (...) Cette mesure exprime
l'engagement résolu du Chef de l'Etat à rassembler les
Sénégalais autour d'un idéal républicain de justice
et de paix, fondé sur le respect de nos valeurs communes
incarnées par les lois et règlements »27. Cette
mesure de clémence n'a rien d'extraordinaire car elle relève du
pouvoir discrétionnaire du Chef de l'Etat d'accorder la grace
présidentielle à qui il veut d'autant qu'on retrouve dans ce lot
un journaliste.
En revanche, elle devient sujette à caution lorsqu'elle
concerne des malfrats qui après avoir interjeté appel de leur
condamnation à des peines de 5 et 6 ans de prison par le tribunal des
flagrants délits, avaient vu, dans la matinée méme, la
Cour d'appel de Dakar confirmer la sentence, en ramenant leurs peines à
trois années de prison ferme. Ils étaient jugés et
condamnés pour avoir mis à sac, dans la nuit du 17 août
2008, les sièges des journaux L'As et 24 heures chrono.
L'agression dont les sièges des deux organes de presse ont fait l'objet
vient s'ajouter à une série d'attaques contre la presse
privée au Sénégal depuis le 21 juin 2008, lorsque deux
journalistes, Boubacar Kambel Dieng de la Radio privée (RFM) et Karamoko
Thioune de la "West African Radio Democracy" (WARD) ont été
passés à tabac par des éléments de la Police.
Ces actes posés par le président de la
République et son gouvernement sont diversement
interprétés selon qu'on soit d'un côté ou de l'autre
du pouvoir ou que l'on soit membre de la presse. Alors que les partisans du
Président et ses partisans voient en ce geste un acte suprême de
clémence, les journalistes et autres analystes de la scène
politique et sociale prennent
27 - Abdoulaye Wade, cité par l'Agence de Presse
Sénégalaise (APS), le jeudi 6 novembre 2008
52
peur et s'interrogent. « Nous sommes
préoccupés par les attaques intempestives contre la
liberté d'expression et la résistance du gouvernement
Sénégalais à adopter des législations conformes aux
standards internationaux sur la liberté d'expression » s'insurge
Agnès Callamard, Directrice Exécutive de ARTICLE 19. Si cette
grâce constitue un véritable désaveu pour la justice dont
l'indépendance est de plus remise en cause, elle est surtout pour les
journalistes et leur profession une sérieuse menace. Alioune
Diéry Niane déclare à ce propos : (( La justice est
diligente quand c'est l'honorabilité du Chef de l'Etat qui est
froissée et indifférente quand la dignité d'une
corporation est bafouée ))28.
Pourtant, les relations entre le régime issu de
l'alternance du 19 mars 2000 et la presse n'ont pas été toujours
aussi tendues. Abdoulaye Wade luiméme, continue à clamer partout
que c'est, en grande partie, grace au travail accompli par les journalistes
durant cette élection qu'il a remporté le scrutin. Avant 2000,
l'opposant Wade entretenait des rapports privilégiés avec ceux
qu'ils clouent aujourd'hui au pilori. Pour Mame Ali Konté : ((
l'opposant Wade était un homme courtois, aimable à l'endroit des
journalistes dont certains souhaitaient même le voir accéder
très rapidement au pouvoir, pour réparer une sorte d'injustice
))29. Une fois au pouvoir, il n'a pas hésité à
faire passer le budget de l'aide allouée à la presse et aux
médias d'abord de cent à cent cinquante millions de francs CFA
(environ 228 670 euro) avant de la doubler en 2001, la faisant passer à
trois cents millions de francs CFA (environ 457 347 euros). Il justifie le
doublement du budget de l'aide à la presse par le fait que sa conviction
(( a toujours été que l'information est une dimension de la
démocratie en Afrique ))30. Il faut, néanmoins
préciser que cette aide connaît de grands retards dans sa mise
à la disposition des organes de presse. Pour exemple, le reliquat de
2007 n'est toujours pas versé aux bénéficiaires. Comment
en est-on donc arrivé à cette situation où les
28 - Alioune Diéry NIANE dans (( 2008 année
trouble pour la presse sénégalaise )), dans Le
Matin du 31 décembre 2008
29 - Mame Ali Konté dans (( Presse et pouvoir,
opération dragon )) dans Sud Quotidien du 5 mai 2008
30 - Maître Abdoulaye Wade Président de
République du Sénégal dans (( une vie pour l'Afrique,
entretien avec Jean-Marc Kalflèche et Gilles Delafon )),
Février 2008, Michel Lafon
relations entre le régime en place et la presse sont
devenues si tendues ? Les médias, la presse et les autorités
publiques sont-ils dans une logique de lutte d'influence et de conflits de
pouvoir ? Quels sont les stratégies et les discours des
différents acteurs pour occuper et renforcer leur présence dans
les territoires, à Dakar, à Tambacounda comme dans les autres
régions ?
De prime abord, la facilité voudrait que la presse
privée soit catégorisée comme indépendante alors
que les médias d'Etat seraient aux ordres du pouvoir. Mais, le clivage
public/privé ne rend pas totalement compte de la réalité
de la presse, du moins au Sénégal. Certes, théoriquement
le fait de ne pas dépendre du pouvoir et d'avoir la latitude de
définir librement sa ligne éditoriale confère à la
presse privée son indépendance. Mais, vu uniquement sous ce
prisme, l'analyse reste totalement réductrice. En effet, au-delà
du clivage public/privé, il y a la question des moyens et de
l'indépendance financière et économique. Il y a aussi le
choix de la qualité et de la rigueur du contenu de l'information
diffusée. Dans tous les cas, pour certains chercheurs, en Afrique,
« la configuration de l'espace médiatique est inséparable de
celle de l'espace politique. Que les régimes soient fermement
autoritaires ou apparemment plus libéraux, la presse reste
dépendante des conflits sociopolitiques » (Gérard et
Proteau, 2002, p. 12).
Dans ce contexte l'on est en droit de se demander si oui ou
non les médias et la presse sénégalais ont
contracté ce qu'on appelle en Côte d'ivoire le virus « I3P
» c'est-à-dire « Information partielle, partiale et partisane
». Et si parallèlement à leur rôle premier
d'information et parfois de contre-pouvoir quand ils ne sont pas
confisqués par les pouvoirs publics, ils s'activent plus dans
l'exacerbation des tensions et des inégalités sociales
économiques et politiques que dans le souci de prévenir et
d'apaiser les risques, crises et tensions qui pourraient déclencher des
conflits sociaux ? Car si la situation sociale et politique au
Sénégal n'a pas dégénéré comme c'est
le cas en Côte d'ivoire, au Rwanda, il est clair que les médias et
la presse ont parfois soutenu des guerres, justifié des génocides
et des purifications ethniques. L'exemple de la Radio Télévision
libres des Mille Collines (RTLM) dont les
appels, à la haine raciale contre les Tutsis et les
Hutus modérés pendant le génocide rwandais de 1994, qui a
fait presque 1 million de morts en 100, jours reste un exemple bien
réel.
La Radio Télévision du Sénégal
consacre presqu'exclusivement ses programmes à rendre visible le travail
du chef de l'Etat et de son gouvernement. Le Président, son gouvernement
et ses partisans font l'objet de tellement de reportages et de pages
spéciales que de plus en plus de citoyens sénégalais en
viennent à ne plus la regarder. Ils sont nombreux à penser, en
parlant de la RTS, comme Jacques Habib Sy que : (( le (( Spécial JT
» est surtout un carrosse d'or offert au chef de l'Etat pour se livrer
à une campagne télévisuelle quasi-permanente. Aucune
occasion n'est négligée, aucun déplacement
boycotté. Toute l'action présidentielle est le point de mire de
l'équipe du JT. L'activité ministérielle arrive
aussitôt après celle du Chef de l'Etat »31. Les
médias publics s'attellent ainsi à véhiculer l'image d'un
chef de l'Etat travailleur infatigable qui parcourt le monde à la
recherche d'investisseurs et de partenaires au développement capables de
faire du Sénégal (( un pays émergent », à le
présenter comme un des leaders de l'Afrique qui, sur le plan de la
démocratie et de l'impulsion d'un renouveau économique du
continent, sont incontournables. En outre, il y apparaît comme un des
meilleurs sinon le meilleur président que l'Afrique ait jamais connu.
L'on entend même certains journalistes le présenter comme (( le
président le plus diplômé d'Afrique ». Par ailleurs,
des quotidiens proches du pouvoir ont été créés au
lendemain de l'alternance et ont pour ligne éditoriale de brocarder les
opposants et de présenter le chef de l'Etat sous ses meilleurs aspects :
(( Monsieur le Président, c'est vous que les Sénégalais
ont élu et réélu. Vous êtes entré dans
l'Histoire par la Grande porte ~ Cher ami, cher compagnon des années
difficiles, que Dieu vous illumine, guide vos pas et vous élève
vers la félicité pour l'honneur de notre grande nation.
»32.
31 - Jacques Habib SY Professeur en communication et Directeur
de l'organisation régionale africaine Aide Transparence dans (( la
crise de l'audiovisuel au Sénégal »
32 - Ndiogou Wack SECK dans IL est Midi, Lundi 25 Juin
2007
54
L'information partielle et partisane que livrent les
médias publics est largement relayée par des antennes relais et
des stations régionales (Dakar, Saint Louis, Ziguinchor, Kaolack et
Tambacounda) qui couvrent une bonne partie du territoire national et
au-delà. La RTS dispose de deux canaux : RTS canal 1 : station
internationale qui émet en arabe, anglais, français et portugais
et RTS canal 2 : station nationale qui émet dans les langues locales et
en arabe. Ainsi, outre le wolof parlé et/ou compris par près de
90% de la population, le pulaar, le sérère, le djola, le
mandinka, et le soninké qui sont, par ailleurs, les principales langues
d'alphabétisation ont été les premiers principaux moyens
de diffusion. Il faut préciser qu'aujourd'hui, toutes les langues
locales codifiées ont des émissions sur les antennes des radios
publiques.
Mais si la RTS, seule sur les ondes pendant plusieurs
années, a été pionnière dans ce domaine, elle a
été vite rejointe par les médias privés. Si la
course à l'implantation dans les territoires entre médias
privés et publics est en passe d'être gagnée par les
premiers, la radio Sud Fm disposant par exemple de sept stations
régionales (Dakar, Thiès, Saint Louis, Diourbel, Kaolack, Louga
et Ziguinchor), a vu l'apparition d'un nouvel acteur à savoir les radios
communautaires. Elles ont pour philosophie, selon la définition qu'en
donne l'Association mondiale radios communautaires (Amarc) de permettre aux
« sans voix » de s'exprimer. Elles permettent d'offrir une tribune
aux laissés-pour-compte d'un univers médiatique marqué par
une implacable logique de rentabilité. Elles servent de porte parole aux
opprimés (qu'il s'agisse d'une oppression de race, de sexe, de religion
de classe sociale) et, s'activent enfin comme un outil au service du
développement local. Le Sénégal en compte aujourd'hui 26,
dont deux à Tambacounda et six à Dakar et sa banlieue. Elles
privilégient toutes les communications en langues locales
spécifiques à la région d'implantation. Par exemple, la
radio Kolda Fm, du nom d'une région du Sud frontalière
à Tambacounda, diffuse ses émissions selon la répartition
suivante : 50% en pulaar, 24% en mandinka, 7% en balante, 6% en diola, 4% en
mankagne, 3,5% en wolof et 1% en français. L'information occupe pour
chaque langue 60 % du temps
d'antenne, alors que les 40 %33 restants sont
consacrés à des émissions interactives.
Tandis que les médias publics (radio,
télévision presse écrite) s'attellent à la
visibilité des oeuvres du Président, bafouant par le fait
méme, le principe d'égalité de traitement de tous les
citoyens, quelque que soit leur appartenance politique, vis-à-vis des
médias publics, certains organes de presse privés vont
au-delà. Ils permettent ainsi aux citoyens de juger librement les actes
posés par les autorités publiques. Ils donnent
l'opportunité aux différentes composantes de la population de
s'exprimer, souvent dans leur propre langue, pour dire leurs souffrances et
exprimer leur écoeurement face à une situation
socioéconomique qui empire, mais aussi montrer leur lassitude face
à une scène politique où les intrigues politiciennes se
multiplient. Ils leur permettent également de dénoncer, dans
certaines localités, leur abandon par les pouvoirs publics. Ce faisant,
certains médias privés semblent se positionner comme de
véritables contrepouvoirs. En effet, l'occurrence de voix «
discordantes », d'opinions critiques, non favorables au gouvernement et
à sa politique sur une multitude de thèmes, relayées
largement à travers le territoire national et au-delà, n'est,
sans doute, pas très bien apprécié par les pouvoirs
publics.
Par ailleurs, certains journalistes comme Pape Alé
Niang qui a pendant plusieurs années animé la revue de presse
à la radio Sud Fm, dont les émissions sont à 60 %
en wolof et 40 % en français, parlait du président Wade en disant
en wolof « sama mame » ou encore « bour Sine
» (respectivement « mon grand père » et « le roi du
Sine ». Ce qui lui avait d'ailleurs valu des menaces, certains proches du
président comme le ministre de la justice Cheikh Tidiane Sy estimant le
22 novembre 2006 qu'il était nécessaire de lui « administrer
une correction » pour sa revue de presse jugée «
irrévérencieuse »34 à l'endroit
d'Abdoulaye Wade. Si ces deux expressions peuvent servir à
désigner le chef de l'Etat sans le nommer, elles attirent, en revanche,
l'attention sur son age (83 ans en 2009) et sur
33 - Source : Kolda FM
34 - Reporter sans frontière
56
certaines de ses pratiques considérées comme des
dérives autoritaires comme les répressions de plus en plus
fréquentes des manifestions sociales, les condamnations de journalistes
pour « offense au chef de l'Etat » etc.
Dans ce contexte, les journalistes sont assimilés
à des opposants et des fauteurs de trouble et traités comme tels,
parfois même plus sévèrement comme on l'a
déjà montré. Cette situation, dans laquelle aux pouvoirs
des médias privés s'opposent ceux de l'Etat (brimades,
arrestations, emprisonnement, suspension d'autorisation d'émettre...),
constitue un terreau fertile pour une surenchère verbale et
comportementale mais aussi pour l'émergence de tensions et
peut-être d'affrontements.
Dans tous les cas, la situation est telle que pour Reporter
sans frontières (RSF) le Sénégal est passé, en
matière de liberté de la presse, de la 47e place en
2002 à la 86e en 2008 en passant par la 66e en
2003. On peut dès lors se demander si la stratégie des pouvoirs
publics, si tant est qu'elle en soit une, n'est pas tout simplement grosse de
nombreux dangers ? Une stratégie, qui plus est, ne peut avoir pour
résultat, que de cristalliser et de stigmatiser les différences
et les divergences, d'exacerber, d'envenimer et de radicaliser les positions,
bref d'être un frein au dialogue et à la concertation. Car, cette
situation déjà délétère où presse et
pouvoir s'affrontent au cours de diatribes, les unes plus virulentes que les
autres, nourrit le risque de confrontations. En effet, quand les tenants de la
force légitime (police entre autres) usent de leurs pouvoirs pour
réprimer dans la violence les auteurs et les diffuseurs d'opinions et de
visions contraires aux leurs, et que les victimes s'inventent des
stratégies soit pour se défendre ou pour se venger, là se
trouve la ligne rouge dont le franchissement n'augure rien de paisible.
Aujourd'hui, au Sénégal, on n'en est plus, hélas,
très loin. Il vient Dès lors plusieurs hypothèses dont
celles-ci :
1 - Certains médias privés et certains
journalistes pourraient-ils s'allier à une certaine frange de
l'opposition qui se voudrait radicale ? En effet, injuriés,
menacés, traqués, emprisonnés et leurs biens
saccagés, ceux-ci pourraient mettre en oeuvre des stratégies soit
pour se protéger ou pire pour
contre attaquer. Une telle situation pourrait conduire
à ce que ces médias et journalistes ne se contentent de traiter
que la face cachée de l'action du chef de l'Etat et de son gouvernement,
participant ainsi à une diabolisation des pouvoirs publics et à
l'exacerbation d'un sentiment de rejet. Du coup, l'alliance avec certains
partis politiques de l'opposition pourrait facilement se muer en une force
politico-médiatique dont les ambitions seraient inexorablement
liées au renversement du régime en place.
2 - Des populations, jeunes et moins jeunes pourraient se
ranger du côté de certains médias privés et de
certains journalistes. Au vu des tracasseries, des brimades et des violences
dont ils sont victimes, ceux-ci pourraient bénéficier d'un
important capital de sympathie d'une bonne partie de la population qui a pu
et/ou continue de profiter de leurs colonnes, micros ou caméras pour
exprimer leur pauvreté et la dégradation croissante de leurs
conditions de vie. Par le biais d'une mobilisation sans
précédent, surtout que les jeunes se savent capables de faire
reculer les pouvoirs publics, ils pourraient dans un élan de synergie
constructive demander, voire exiger que cessent toute violence et toute
tentative de musèlement de la presse. La question serait alors de savoir
quelle forme pourrait prendre cette réclamation.
Sources : APS, marche de protestation des journalistes le 23
août 2008 à Dakar
58
Au-delà des rivalités de pouvoir qui depuis 2000
opposent différentes et nombreuses composantes de la
société aux autorités politiques issues de l'alternance,
il me semble important de pas occulter le nouveau type de rapport
qu'entretiennent ces autorités avec la confrérie mouride. En
effet, ses membres, comme nous allons essayer de le montrer, pourraient
être à l'origine de divergences au sein d'une communauté
musulmane déjà fortement divisée par l'appartenance
à différentes confréries.
B - Luttes de pouvoir entre opposition et coalition
présidentielle, que peuvent engendrer ces conflits politiques ?
Les partis d'opposition ont fait le constat selon lequel :
« Tout le monde sait que le Sénégal traverse une
période difficile de son histoire. Aux contentieux politiques d'ordre
institutionnel ou électoral viennent s'ajouter les difficultés
croissantes de la vie quotidienne, dominées par une misère et un
chômage endémiques, une inflation galopante et des pénuries
de toutes sortes. (...) Face à cette crise multidimensionnelle
(éthique, politique, économique, sociale et culturelle) aux
conséquences imprévisibles, l'inquiétude et le
désarroi se répandent, tandis que chacun s'interroge avec
perplexité sur l'avenir. (...)». Ce constat fait, ils se donnent
pour mission : « Tous, ensemble, nous devons nous poser la question de
savoir : où va le Sénégal ? Notre opinion est que le pays
se trouve dans une impasse et notre choix est de lui éviter des
convulsions douloureuses ; de tenter de l'en sortir par le dialogue, de trouver
une solution consensuelle globale, efficace et durable à la grave crise
qui sévit dans le pays »35.
Pour atteindre leurs objectifs, ils ont organisé des
assises nationales le 1er juin 2008 à Dakar. Au-delà des acteurs
politiques membres de l'opposition, ces assises ont vu la participation de
guides religieux, d'anciens généraux à la retraite, de
nombreux intellectuels et de personnalités comme Amadou Makhtar Mbow
ancien directeur général de l'Unesco. En outre, pour les
organisateurs, les assises nationales sont ouvertes à tous les citoyens
du Sénégal, elles en regroupent toutes les catégories et
vont se dérouler
35 - tiré des Termes de référence des
assises nationales disponibles sur leur site
www.assises-senegal.info
60
61
62
dans chaque département et de manière
participative, afin de recueillir l'avis de tous. C'est ainsi qu'après
la première mobilisation, des comités ont essaimé à
travers toutes les régions du Sénégal, dans certains pays
d'Afrique, d'Europe et méme aux Etats-Unis d'Amérique.
La nécessité du lancement des Assises nationales
est liée au fait qu'au niveau politique, les relations entre pouvoir et
opposition sont dans une impasse. Depuis les élections
présidentielles de février 2007, le dialogue politique est
interrompu. Une situation qui nourrit de vives tensions quant au contrôle
des pouvoirs et à la gestion des territoires. Car alors que les
autorités publiques ne voient dans cette initiative qu'une machination
ourdie par l'opposition pour déstabiliser le pays et faire un «
coup d'Etat constitutionnel », l'opposition, de concert avec la
société civile, entend faire un diagnostic en profondeur de la
situation socioéconomique du pays et surtout lui éviter
d'éventuels troubles. De plus, forte de sa nouvelle
légitimité et de sa popularité acquises lors des
élections locales et régionales de mars 2009 (les communes
gagnées par l'opposition rassemblent près de 70% de la population
nationale), l'opposition qui, du fait de son boycott des législatives de
2007 est absente des institutions parlementaires, semblent vouloir monnayer, du
moins fructifier, sa représentativité. Toutefois, pour l'heure,
le débat politique se résume en quelques échanges
épistolaires dans lesquels les deux camps dressent des listes de griefs
et de manquements imputables aux uns ou aux autres. Du coup, les contentieux
politiques se multiplient et les tensions persistent. Aussi, ce que l'on peut
craindre, c'est qu'au-delà du landerneau politique où les
querelles de pouvoir opposent les coalitions de l'opposition à la
majorité présidentielle, qu'on assiste à une
territorialisation de ces tensions et contentieux. Les dernières
élections locales ont divisé le pays en deux grands blocs,
l'ouest et le nord-ouest où on retrouve des régions comme Dakar,
Thiès saint Louis ~ avec plus de 70 % de la population entre les mains
de l'opposition face au Sud et au Sud-est gagnés par la coalition
présidentielle avec seulement 30 % de la population dans les
régions comme Tambacounda, Ziguinchor.... Les problèmes que
pourrait engendrer une confrontation entre les partisans des deux camps
pourrait
être lourde de conséquence pour la
stabilité et la paix sociale au Sénégal. En effet,
l'absence du dialogue politique pourrait être interprété
comme un refus de la part des autorités publiques de prendre en charge
les difficultés des populations qui lors des dernières
élections ont accordé leur suffrage à l'opposition faisant
du méme coup de ces acteurs politiques leur porteparole.
Pourtant, l'histoire récente du Sénégal
est riche d'expériences qui ont montré que le dialogue politique
et social est indispensable à la bonne marche de la
société, à la paix civile, à la stabilité du
pays et au bon fonctionnement de la démocratie. Des épisodes qui
avaient permis à l'Etat et aux acteurs politiques et sociaux de trouver
des solutions, aux problèmes difficiles qui se posaient à des
moments donnés, ou aux contentieux qui les opposaient. C'était le
cas en 1988 et en 1993 lorsqu'après de violentes manifestations
postélectorales, le pouvoir nouvellement élu et les opposants
(dont l'actuel président de la république) qui s'étaient
sentis volés avaient réussi à trouver des solutions
consensuelles qui avaient permis, par le biais d'un gouvernement dit d'union
nationale, d'éviter l'escalade de la violence.
Dans tous les cas, la situation est tellement tendue que des
membres de la société civile comme Lamine Diack, président
de la Fédération internationale d'athlétisme (IAAF) ont
récemment déclaré : « Quand on se parle au
Sénégal, on est capable de trouver des solutions à tous
les problèmes. Mais quand on ne se parle plus, c'est grave (...) Nous de
la société civile nous devons nous mobiliser et mettre
l'épée dans les reins des politiques pour les faires avancer. Il
faut qu'ils avancent. Sinon on les bousculera »36. De plus,
certaines voix se lèvent pour inviter les différents acteurs
politiques à faire appel à des médiateurs dans la sous
région (Blaise Compaoré par exemple, président du Burkina,
qui a réussi à ce que les parties en conflit en Côte
d'Ivoire créent un dialogue positif) pour aider dans un premier temps
à dépassionner les positions et ensuite à les amener
à discuter et à trouver de concert des solutions pour une
meilleure
36 - Birahim NDIAYE
xibar.net :
Mardi 11 Août 2009
gouvernance politique et pour la prise en charge des
problèmes socioéconomiques du pays.
En somme, malgré l'attitude des autorités
publiques qui semblent pour le moins disposées à répondre
positivement à l'invitation à la concertation de l'opposition,
celle-ci continue de croire que par le biais du dialogue, bien des menaces
pourraient être écartées. Mais pour combien de temps encore
? D'autant que dans beaucoup de pays d'Afrique subsaharienne notamment
(Guinéee,Guinée Bissau Côte Ivoire...), les antagonismes
socio politiques se soldent souvent par des bains de sang.
Outre les vives tensions et les luttes de pouvoir entre
opposition et coalition présidentielle, les nouveaux types de rapport
entre pouvoirs publics et certaines confréries religieuses peuvent-elles
être lourdes de conséquences pour la stabilité du pays ?
C - Relations entre islam confrérique et pouvoir
politique : assiste-t-on à l'émergence d'une confrérie
d'Etat et quelles pourraient en étre les conséquences pour la
stabilité du pays ?
La population du Sénégal est composée
à 94% de musulmans répartis essentiellement dans quatre grandes
confréries : 15 % d'adeptes de la khadriyya, 36 % de disciples
de la Mouridiyya, 54 % appartiennent à la confrérie
Tidjaniyya. Il existe d'autres confréries moins influentes
comme la Layéniyya, les moustarshidinn. Environ 5% des
sénégalais sont chrétiens (principalement des catholiques
mais aussi des protestants, des Témoins de Jéhovah...) et 1%
d'animistes et d'adeptes de religions traditionnelles localisés pour la
plupart au Sud-Est de la région de Tambacounda, et/ou d'athées.
Dans cette configuration, il aurait été aisé de craindre
que les fortes minorités soient victimes de discriminations ou de toutes
autres formes de tracasseries liées à leur appartenance
religieuse. En fait, il n'en n'est rien. Si de telles pratiques ont cours dans
certains pays d'Afrique (Nigéria), au Sénégal ce n'est pas
le cas, loin s'en faut. En effet, dans ce pays les différentes
composantes vivent dans une symbiose quasi parfaite. Pour
preuve, à Joal ville native de l'ancien
président de la République Léopold Sédar Senghor
existe un cimetière, où sont enterrés catholiques et
musulmans.
En outre le dialogue islamo-chrétien n'est pas qu'un
concept vide de sens. Bien au contraire, les représentants des
différentes confessions religieuses se retrouvent souvent pour
échanger sur ce qui les rapproche et discuter de ce qui pourrait
constituer des différences et voir comment les aplanir. Chrétiens
comme musulmans, au Sénégal restent préoccupés par
la préservation de la paix sociale. L'actuel archevêque de Dakar,
le cardinal Théodore Adrien Sarr, a invité le 24 Décembre
dernier tous les acteurs sociaux à la concertation. Il disait : «
Nous invitons tous les acteurs à un dialogue social vrai pour conjuguer
les visions, les efforts et les forces afin de réduire les souffrances
et la pauvreté. Là où la force domine, que nous tentions
la paix du dialogue (...) C'est la seule voie pour apaiser les tensions et
préserver la paix sociale »37.
Par ailleurs, le mariage interreligieux, méme s'il
connaît encore dans certaines localités des réticences, est
très fréquent et participe, à sa façon, à la
construction et à la pérennisation de la paix sociale et de la
stabilité du pays. Il n'est pas rare de voir dans une méme
famille, des frères, soeurs, oncles, tantes et cousins, pratiquer des
religions différentes et vivre en parfaite harmonie.
Mais, quoiqu'on en dise, les confréries religieuses au
Sénégal restent rivales. Qu'elle soit latente ou « sourde
» comme d'aucun le prétendent, la rivalité n'en est pas
moins réelle. En effet, c'est à qui réussira le magal,
le siaara, le gamou, bref le pèlerinage (en wolof) le mieux
organisé, le plus médiatique et qui aura mobilisé le plus
de foules. De même, elles ne se privent pas de faire étalage de
leurs richesses et de leurs prestiges, étant entendu que les guides
religieux ou marabouts sont considérés comme les
dépositaires de l'avoir, du pouvoir et du savoir. Dans les villes
(Dakar, Thiès et Diourbel) qui abritent leurs sièges
-appelée villes saintes- ce sont de
37- Agence de Presse Sénégalaise, Mercredi 24
décembre 2008
64
somptueuses mosquées qui y sont construites.
Malgré les particularités qui les distinguent, elles partagent,
en revanche, un ensemble de pratiques cultuelles basées sur le coran et
la suna.
Mais, si les guides religieux, chrétiens comme
musulmans, ont toujours été préoccupés par la
préservation de la paix sociale, qu'est-ce qui explique la recrudescence
de leurs appels à la concorde nationale ces dernières
années ? Pendant les nombreuses années (1960-2000) au cours
desquelles ils ont dirigés le Sénégal, Léopold S.
Senghor et Abdou Diouf ont su se tenir à équidistance des milieux
religieux. Et même si certains marabouts ont, à un moment ou
à un autre, donné des consignes de vote en leur faveur, jamais
ils n'ont lancé autant d'appels à cultiver la paix sociale depuis
2000. Une chose est sure, les relations entre le régime actuel et
certains milieux religieux sont différentes de ce qu'elles
étaient. En effet, dès 2001, le sociologue Malick Ndiaye
écrivait : « ~le nouveau pouvoir est à l'origine d'une
réorganisation religieuse du Sénégal dans le sens de
l'émergence d'une confrérie d'Etat avec ses conséquences
immédiates, notamment l'intolérance confrérique, y compris
dans le domaine politique, par l'exigence proclamée par Ousseynou Fall
qu'il soit mis un terme au principe de l'admission de tous à toutes les
fonctions sans égard aux croyances religieuses »38.
En réalité Abdoulaye Wade se dit fervent
talibé (disciple) mouride. A ce titre, il a fait, à
l'instar de tous les talibés, allégeance à son
marabout. Mais là où cette relation à son guide spirituel
pose problème c'est dans son comportement en tant que chef d'Etat
vis-à-vis de son marabout. Mais depuis son élection Wade fait
fréquemment le voyage vers Touba, et en utilisant les moyens de l'Etat,
ceux-là dont il peut profiter du fait de son statut. Il se rend dans
cette ville non pas seulement en tant que disciple, mais aussi et surtout en
tant que Président de la République du Sénégal.
Président de la République, une institution respectable et
respectée.
38 - les deux composantes de la fracture sociale, dans
Walfadjri du 16 juillet 2001, cité par Almamy Wane dans «
Le Sénégal entre deux naufrages ? Le Joola et
l'alternance »
Dans ce contexte, le fait de se présenter devant le
marabout, et de s'asseoir par terre alors que des fauteuils lui sont
proposés, pose problème. Surtout que le Sénégal
compte plusieurs confréries auxquelles le président Wade ne rend
pas de visite méme à l'occasion de grandes
cérémonies commémoratives de chacune d'elles, que ce soit
à Dakar, à Tambacounda ou dans toute autre région du pays.
Si l'expression et les manifestations de son attachement voire de sa soumission
vis-à-vis de son marabout, peuvent servir ses visées et ses vues
politiques, elles peuvent, en revanche, être lourdes de
conséquences pour la nation. En effet, elle pose les jalons d'un
favoritisme confrérique et donc de l'exclusion de certaines d'entre
elles. En abandonnant ainsi sa posture de vigie de la nation, pour se
vêtir de sa simple tunique de talibé, Wade crée
une nouvelle forme de relations entre pouvoir et guide religieux.
D'ailleurs, l'on peut légitimement se demander si cette
collision entre les politiques et les religieux ne pourrait pas
déboucher sur le désir de ces derniers d'avoir plus d'influence
sur la scène politique, sociale et économique. En fait, forts du
soutien indéfectible du chef de l'Etat et de son souhait
déjà affirmé de vouloir supprimer de la Constitution le
terme de laïcité, les mourides pourraient se prendre à
réver d'une islamisation des institutions sénégalaises.
Une situation qui ne manquera pas de susciter de très fortes
convoitises. Car si, comme c'est le cas à Thiès par exemple, il
est possible que deux mosquées soient construites face à face
à cause de rivalités confrériques (mouride et tidjane)
dans un quartier populaire, il est aisé d'imaginer quelle sera la nature
des conflits et querelles que le contrôle d'une République
islamique ne manqueront pas de susciter. Et, si en plus les minorités
chrétiennes et autres réclament leur appartenance à la
nation et donc au territoire sénégalais, il est certain que les
crispations que cette situation risque d'engendrer pourraient influer
négativement sur la stabilité du pays. En effet, si la
tolérance, la cohabitation et la convivialité ethniques et
religieuses ont forgé le modèle sociopolitique
sénégalais, rien n'indique que la «
ségrégation » confrérique qui prend de plus en plus
d'ampleur ne puisse le remettre durablement en cause.
66
68
En outre, la dégradation croissante des conditions de
vie des masses populaires pourrait être un terreau fertile pour le
développement d'un fondamentalisme islamique. Si le verrou
constitutionnel de la laïcité venait à sauter, l'influence
des marabouts qui, le plus souvent disposent de moyens financiers très
importants, pourrait peut-être trouver un réceptacle très
favorable à un discours qui aurait pour thème le rejet de la
différence religieuse auprès de populations qui leur sont
totalement dévouées. Aussi, la tentative d'inscrire le marabout
de Touba, Serigne Saliou Mbacké, sur les listes de son parti politique
lors des élections locales de 2003 montre clairement jusqu'où est
allée la collusion entre le religieux et le temporel sous le
magistère de Wade et quelle interprétation pourrait en être
faite de la part des disciples de la mouridiyya.
La connivence entre Wade et la confrérie mouride peut
être, si l'on n'y prend garde, source de chaos social pour le
Sénégal. Car, si elle est en soi un calcul politique qui peut lui
être bénéfique, elle peut, en revanche, créer les
prémices d'affrontements entre confréries et peut-être
entre différentes confessions religieuses.
En méme temps que l'on craint l'émergence d'une
confrérie étatique et donc une discrimination entre celles-ci, un
autre foyer de probables tensions susceptibles de constituer une menace pour la
stabilité du pays s'est fait jour. Il s'agit de l'implication des
militaires et paramilitaires dans la compétition politique. Voyons en
quoi elle le serait.
D - Le vote militaire : une armée partisane
?
«J'ai toujours pensé que le rôle de
l'Armée, dans les pays africains comme ailleurs, n'est pas de remplacer
un pouvoir civil. Il est de garantir la sécurité du pays. La
prise du pouvoir par l'Armée est toujours la marque d'un échec,
le signe d'une régression.»39. Ces propos sont du
général Lamine Cissé, ancien ministre
sénégalais de l'Intérieur et auteur de : «
Carnets secrets d'une alternance. Un soldat au coeur de la
démocratie ». Avec le
39 - Cité par Abraham EHEMBA dans : «le vote des
militaires sénégalais : Jeu et enjeu des pouvoirs politiques
» Le Quotidien du 07 juin 2006
70
72
général Mamadou Niang, ils étaient en
charge de l'organisation et de la supervision des élections
présidentielles de l'an 2000. Des élections dont le
déroulement - une organisation presque parfaite et une transparence
à toute épreuve - a été salué par la
totalité de la classe politique sénégalaise et par
l'ensemble des observateurs, qu'ils soient africains ou représentants de
pays européens ou d'organismes internationaux (OIF, Transparency
internationale, jeune Afrique, RADDHO, presse locale...).
Si l'organisation des élections a été
confiée à l'armée, c'est parce qu'à cette
époque, sa neutralité et son absence d'implication dans le
débat politique et politicien, lui conférait naturellement le
rôle d'arbitre dans les joutes électorales. En effet, après
les violentes contestations qui ont suivi les élections
présidentielles de 1988 et de 1993, les acteurs politiques ne se
faisaient plus confiance. Il fallait donc pour assurer la viabilité du
scrutin, une décision courageuse du régime socialiste de laisser
l'organisation du processus électoral entre les mains de l'armée.
C'est ainsi qu'en 1997 et 1998 Abdou Diouf nomma respectivement le
général Mamadou Niang comme responsable de l'Observatoire
nationale des élections (ONEL) et le général Lamine
Cissé comme ministre de l'Intérieur.
La particularité de l'armée
sénégalaise réside dans le fait qu'elle est, en Afrique de
l'Ouest, la seule à ne pas avoir pris, au moins une fois, le pouvoir.
Au-delà de l'Afrique de l'Ouest, elle fait partie des exceptions. Mais,
si cette assertion cache mal le fait qu'il y ait eu des tentatives de coups
d'Etat (dans les années soixante) qui ont toutes échoué
bien entendu, elle permet, au moins de supposer que l'armée a toujours
été préoccupée par sa mission première
c'est-à-dire défendre la patrie contre toute agression
extérieure. Le fait d'arme qui conforte cette analyse c'est ce qui s'est
passé en 1968 lorsque, menacé par la mobilisation estudiantine et
toutes les contestations qui s'en sont enjointes, le Président Senghor
demanda à l'armée de « tirer à vue et sans sommation
»40 sur la foule. Chef d'Etat-major de l'Armée, à
l'époque, Jean-Alfred Diallo refusa d'exécuter les ordres mettant
en avant son devoir de servir et de protéger le peuple plutôt que
son obligation
40 - Idem
d'obéissance envers le Président de la
République qui est considéré, encore aujourd'hui, comme le
chef supreme des Armées. On raconte d'ailleurs que, lors d'une
réunion du conseil national de sécurité, Senghor, en
réponse à une question qui lui était posée, fit
cette réponse : ((Mon général, prenez le pouvoir, si vous
le voulez »41 offre déclinée, bien entendu par le
général. Que cet épisode soit vrai ou qu'il soit à
mettre dans le compartiment des faits divers infondés ou de la
légende, il laisse penser que l'armée n'a jamais
réellement été intéressé ni par l'exercice
du pouvoir ni par le débat politique.
Aussi, lorsqu'à l'issue du Conseil des ministres du 4
mai 2006, la décision fut prise de soumettre à l'Assemblée
nationale un projet de loi levant l'interdiction du vote des militaires et
paramilitaires, le pouvoir en place prit de cours toute la classe politique. La
Loi n° 2006-37 du 15 novembre 2006 modifiant l'article 33 de la
Constitution fut votée par le parlement et adoptée. L'article 33
stipule : (( Le scrutin a lieu un dimanche. Toutefois, pour les membres des
corps militaires et paramilitaires, le vote peut se dérouler sur un ou
plusieurs jours fixés par décret ». Avant cette
modification, l'article 33 dans la Loi n° 2001-03 du 22 janvier 2001
stipulait ce qui suit : (( Le scrutin a lieu un dimanche. Nul n'est élu
au premier tour s'il n'a obtenu la majorité absolue des suffrages
exprimés représentant au moins le quart des électeurs
inscrits. Si aucun candidat n'a obtenu la majorité requise, il est
procédé à un second tour de scrutin le deuxième
dimanche suivant la décision du Conseil constitutionnel. Sont admis
à se présenter à ce second tour, les deux candidats
arrivés en tête au premier tour. En cas de contestation, le second
tour a lieu le deuxième dimanche suivant le jour du prononcé de
la décision du Conseil constitutionnel. Au second tour, la
majorité relative suffit pour être élu. »
Les (( hommes de tenue », comme on les appelle
affectueusement au Sénégal n'en revenaient pas eux-mêmes
puisqu'ils apprirent, pour la plupart, la nouvelle par les médias. S'il
est vrai que la loi n'en était qu'à l'étape de projet,
l'on savait d'avance que l'Assemblée nationale
sénégalaise,
41 - Idem
dans sa configuration actuelle, où le président
dispose d'une majorité confortable, l'opposition ayant boycotté
les dernières élections législatives, est devenue plus une
chambre d'enregistrement que de représentation de la voix du peuple.
Elle vote toutes les lois qui lui sont soumises par le président
où qui émanent de sa volonté. Les débats à
l'Assemblée ont tourné essentiellement autour de la justification
de la loi. Pour la plupart des députés, le Sénégal
parachevait ainsi la maturité de sa démocratie. Car il est
resté un des derniers pays en Afrique et au-delà à ne pas
avoir autorisé le vote des militaires et paramilitaires. C'était
donc faire justice et permettre à de (( braves hommes » de
participer enfin à l'accomplissement de la démocratie. Le
professeur de Droit constitutionnel El Hadji Mbodj dit à ce propos de
l'assemblée nationale et des parlementaires du Sénégal :
(( il y a un dérèglement du système politique.» et il
ajoute : (( le député dans notre démocratie est de plus en
plus le député du parti et de moins en moins le
député du peuple »42.
Toujours est-il qu'en prenant sur lui la décision
d'introduire cette proposition de loi, sans consultation aucune ni avec les
acteurs politiques encore moins avec les militaires et paramilitaires qui,
somme toute, sont concernés au premier chef, le président Wade
entendait sans doute, montrer qu'il détenait le pouvoir sur la
scène politique sénégalaise. Mais, si la façon de
faire cette proposition de loi n'est en soi qu'une demi-surprise, car depuis
2000, les Sénégalais ont pris l'habitude des décisions
unilatérales du chef de l'Etat, c'est plutôt le moment choisi qui
pose problème. C'est après avoir prorogé les délais
d'inscriptions sur les listes électorales qui devaient s'étaler
sur une période de 6 mois (du 6 septembre 2005 au 28 février
2006) de onze mois, que la loi autorisant le vote des militaires a
été soumise au Parlement pour adoption.
Il convient de préciser que, pendant cette longue
période des inscriptions, plusieurs séances de concertation entre
le gouvernement, et les partis politiques de l'opposition ont été
organisées. La surprise et les vives
42 - Professeur El hadji Mbodj cité par Dialigué
Faye dans le (( Populaire » N° 1073 du lundi 19 juin 2005
réactions des opposants et des citoyens dans leur
ensemble après l'introduction de cette loi laissent croire que cette
question n'a jamais été abordée au cours de ces
discussions. Pour El Hadj Mbodj « il fallait un consensus d'abord au
niveau des intéressés, ensuite un consensus entre les acteurs
politiques pour que ces derniers prennent leurs responsabilités de lever
l'interdiction de vote concernant les militaires. Mais lorsqu'en matière
électorale, on agit de manière tout à fait
discrétionnaire, je crois que là c'est fausser les règles
du jeu ))43.
Au-delà des péripéties de son
introduction au parlement et de son adoption, l'application de cette loi pose
une question toute simple : pourquoi ? Pourquoi le président Wade a-t-il
choisi d'impliquer les militaires et paramilitaires dans le processus
électoral ? Est-ce pour s'attirer leurs faveurs et compter pour lui les
milliers de voix qu'ils représentent ? Est-ce dans le méme ordre
d'idées que les militaires, dont le salaire moyen va de 80 000 F Cfa
(122 euros) pour les militaires du rang, à 250 000 F Cfa (375€)
pour les sous-officiers en fin de carrière, font partie des
fonctionnaires les mieux payés du Sénégal ?
Répondre par l'affirmative à cette interrogation serait
prétentieux de ma part car, à ce jour, aucune étude
sérieuse ne permet de dire pour qui les militaires ont voté ou
votent. Toujours est-il qu'en remportant, au premier tour et avec une avance
confortable, les élections présidentielles de 2007, Maître
Wade semble avoir peut-être profité des voix des militaires.
Toutefois, si on s'accorde sur le fait que l'implication des
« hommes de tenue )) dans la compétition politique ne se
résume pas seulement à passer par l'isoloir et à
introduire un bulletin de vote dans une urne, on peut dès lors
s'interroger sur toutes les étapes qui précèdent ces
actes. En effet, autoriser le vote militaire, c'est incontestablement
introduire le débat politique dans les casernes. C'est aussi et surtout
amener militaires et paramilitaires à matérialiser leur choix par
un bulletin de vote, et même si on peut supposer que, par le bulletin
blanc, le votant n'accorde de crédit à
43 - Idem
aucun des candidats en lice, n'est-ce pas comme dit l'autre
« ne pas choisir, c'est choisir de ne pas choisir » ? C'est aussi,
prendre le risque de voir des désaccords surgir dans les rangs de
l'armée selon qu'on soutienne tel ou tel candidat ou que l'on soit pour
tel ou tel parti. Lors de la dernière campagne pour les élections
locales, la violence dont sont capables les partisans des différents
partis politiques dans la conquête ou la défense de leurs mandats
électifs qui, si elle n'est pas nouvelle, a pris de l'ampleur comme le
montrent les quelques exemples cités dans le tableau ci-dessous, permet
d'avancer qu'on n'est peut-être pas à l'abri de confrontations
nées des divergences de choix au sein de l'armée.
Tableau 2 : QUELQUES EXEMPLES DE SCENES DE
VIOLENCES PENDANT LA CAMPAGNE ELECTORALE DE MARS 2009
DATE
|
LOCALITE
|
COMMENTAIRES
|
09 mars 2009
|
Vélingara (Kolda)
|
Des affrontements ont opposé des militants du maire
libéral Amadou Woury Diallo, candidat sortant, à ceux de la
Coalition And Liggey Senegaal, conduite par le parti Rewmi de Idrissa
Seck. 7 blessés et une voiture brûlée.
|
16 mars 2009
|
Niakhar (Fatick)
|
En plus des brassards et foulards rouges, la
délégation du Chef de l'Etat a essuyé des
jets de pierres qui ont fait des dégâts matériels (2
véhicules du cortège) et plusieurs blessés dont un
officier de la Division des Investigations Criminelles (DIC)
|
19 mars 2009
|
Linguère (Louga)
|
Des affrontements armés ont supplanté les
échanges verbaux par meetings interposés entre les deux listes,
Coalition Sopi 2009 et Benno Siggil Sénégal
à Linguère. Des coups de feu, des armes blanches et des matraques
électriques ont constitué l'essentiel des armes utilisées.
De nombreux blessés graves ont été acheminés dans
les centres hospitaliers de la région
|
19 mars 2009
|
Ouakam (Dakar)
|
une bataille rangée entre militants de la Coalition
Sopi 2009 et ceux de Convergence citoyenne a failli tourner au pire.
Armés de gourdins, de machettes, de pistolets entre autres armes, les
partisans du maire libéral sortant Samba Bathily et ceux de moussa
Diouf, l'opposant et candidat de Convergence citoyenne
|
16 avril 2009
|
Kolda
|
A l'annonce des résultats du vote pour
l'élection du président du Conseil régional de Kolda qui
donnent vainqueur Fabouly Gaye, des affrontements se sont produits entre le
camp de ce dernier et celui d'un de ses adversaires malheureux, le
député Alpha Koïta. Les militants des deux camps ont
usé de machettes, de gourdins ou encore de pierres pour s'affronter.
|
Sources : Walfadjri, SudQuotidien, nettali, Le Quotidien, Le
Soleil Mars 2009
74
Il faut, cependant, préciser, que les partis politiques
ne sont pas autorisés à faire campagne dans les casernes. Cette
interdiction traduit-elle, de la part des autorités publiques, la
crainte de voir le débat politique et politicien transformer les
casernes en zones d'affrontement entre partisans de différents camps ?
Constituera-t-elle un frein à une forte implication des militaires et
paramilitaires dans la compétition politique ? Dans tous les cas, l'on
est en droit de se demander si cette interdiction doit nous amener à
occulter les risques de dissensions, de désaccords voire d'affrontements
que le droit de vote octroyé aux militaires pourrait induire ? En effet,
le problème que pose cette situation, c'est le risque de voir une
armée républicaine, connue et louée pour sa
neutralité, devenir tout simplement une armée partisane,
méme s'il n'est pas certain que tous les militaires votent de la
méme façon. D'ailleurs pourquoi le feraient-ils ? Mais si on ne
peut pas affirmer de but en blanc que celle-ci, pourrait user de moyens
illégaux pour faire gagner un candidat déterminé, imitant
en cela les militaires togolais qui, lors des élections
présidentielles du 24 avril 2005, avaient bourré volontairement
les urnes au profit du régime en place, on peut en revanche craindre
plusieurs choses.
D'abord, que les divergences des choix et des soutiens
électoraux au sein des corps militaires et paramilitaires ne divisent
les troupes, élevant les uns contre les autres. Ensuite, qu'en perdant
des élections comme c'est le cas lors du dernier scrutin local, les
rapports entre l'armée et les pouvoirs en place ne soient plus aussi
simples dès lors que ces derniers les considèrent comme des
opposants au régime. Des signes prémonitoires de la
détérioration de ces rapports ont déjà
commencé à poindre, car lorsque, pour les élections
législatives de 2007, les militaires à l'image de la plupart des
autres Sénégalais, ont massivement boycotté le scrutin (27
% pour les militaires et 34,75 % pour les civils) 44, un militant du
parti démocratique sénégalais (PDS) a manifesté sa
désapprobation. Il a écrit dans un blog : « Dans un pays qui
se respecte, l'armée vote pour le parti au pouvoir que diable ! (...)
L'armée n'aurait-elle pas été insidieusement minée
par la
44 - Source : Ministre de l'intérieur Me Ousmane Ngom,
Agence de presse sénégalaise (APS) et RADDHO
perverse idée de boycotte prônée par une
opposition aussi antidémocratique qu'antinationale (...) ?
»45. Enfin, en impliquant l'armée dans les processus
électoraux, on ne dispose plus, au Sénégal, d'acteurs
neutres capables d'organiser des élections libres et transparentes sans
parti pris. Bien entendu, il ne m'appartient pas de prétendre que les
élections qui sont organisées par le régime en place ne le
sont pas car je ne suis en possession d'aucun élément me
permettant d'avancer une telle assertion.
Toujours est-il que, mises les unes dans les autres, ces
craintes constituent de réelles menaces pour la stabilité du
pays. Si la menace est insidieuse, elle n'en est pas moins réelle. En
effet, le Sénégal reste, pour le moment, un îlot de
tranquillité dans une Afrique occidentale où presque tous les
pays, du Nigéria à la Mauritanie en passant par la Côte
d'Ivoire, la Sierra Léone, les deux Guinées (Bissau et Conakry),
la Gambie, le Burkina Faso, le Mali..., ont connu des régimes militaires
qui dans certains cas ont été tout bonnement dictatoriaux, cela
étant dû le plus souvent par le fait que les militaires
étaient impliqués dans le jeu politique.
En somme, il me semble que cette décision de redonner
aux « hommes de tenue » le droit de vote après plus de
quarante ans de privation, sans que ceux-ci en fassent la demande, et sans que
des objectifs autres que politiciens en soient la raison, n'aurait pas due
être prise de façon aussi unilatérale. D'ailleurs, les
débats qui ont précédé l'adoption de la loi par le
parlement, comme ci-dessus évoqué, n'ont pas permis de lever le
voile sur les véritables raisons qui la sous-tendent. Une question d'une
telle sensibilité interpelle toute la classe politique et au-delà
toute la nation dans ces différentes composantes. Elle pose plus de
questions qu'elle n'apporte de réponses. Les militaires
sénégalais, contrairement à d'autres en Afrique, ont
toujours été au service du pouvoir politique, alors pourquoi les
obliger à choisir entre les multiples forces politiques en
compétition ? Madior Diouf professeur à l'Université
Cheikh Anta Diop et leader du Rassemblement National Démocratique
s'interroge à ce sujet : « Que gagnerait-on à avoir couru le
risque de cette situation ? Devant les désordres qu'engendrent les
45 - Naomed, le lundi 28 mai 2007, dans le site
www.blogs-afrique.info/senegal-politique
76
passions partisanes et leurs dérives, la force de
recours, déjà impliquée dans la compétition
politique, par son vote qu'elle tient normalement à faire respecter,
va-t-elle s'arrêter à imposer la fin de la
récréation et sous quelle forme ? »46. L'on peut
toutefois supposer qu'en agissant de la sorte, le pouvoir libéral
cherche peut-être à affaiblir le pouvoir qu'une armée unie
derrière ses principaux chefs pourrait avoir.
Par ailleurs depuis l'alternance, on assiste à ce que
certains journalistes comme Madior Fall appelle une (( inflation
d'étoilés » au sein de l'armée nationale. En effet,
en l'espace d'un mandat, Abdoulaye Wade a dépassé le nombre de
nomination de généraux de ses prédécesseurs. Il en
a promu plus que Senghor et Abdou Diouf qui a eux deux, ont gouverné le
Sénégal pendant quarante années. Si ce dernier, en vingt
ans n'a élevé au grade de général des armées
et de la gendarmerie que 19 officiers supérieurs, atteignant à
peine un général par an en moyenne. Entre 2000 et 2008, 12
officiers supérieurs de l'armée nationale et de la gendarmerie
ont été élevés au grade de général,
occasionnant ainsi une moyenne annuelle de près de deux
généraux par an. Il s'agit de Babacar Gaye, Pape Khalil Fall,
Abdoulaye Dieng, Abdoulaye Fall, El Hadj Alioune Samba, Ibrahima Gabar Diop, El
hadji Mohamed Kandji, Antou Pierre Ndiaye, Abdel Kader Guèye,
Madické Seck, Pape Abdoulaye Diagne et Bakary Seck. Quatre vingt onze
candidats au grade de général sont répertoriés en
2009. Le Président va-t-il accéder à leur requête.
Le cas échéant, le Sénégal, proportionnellement
à sa population et à l'effectif de son armée et des corps
paramilitaires serait sans doute un des pays où on compte le plus de
généraux. Cette (( inflation d'étoilés » peut
être considérée comme un calcul politique de la part du
Président. Car en (( caressant » l'armée, les militaires et
les paramilitaires dans le sens du poil, il espère sans doute entrer
dans leur bonne grace et s'attirer leurs faveurs. Toutefois, cette situation
n'est-elle pas à double tranchants ? N'y a-t-il aucun risque de
dissensions au sein de l'armée qu'elle ne puisse induire ? En fait il me
semble qu'en multipliant et en égalisant les niveaux de décision
au sommet, il favorise la création de groupuscules sous-tendus d'une
part,
46 - Madior Diouf, dans Le Quotidien du 16 Mai 2006
par les affinités qui ne manqueront pas de se
créer ou qui existent, d'autre part par les jalousies. Au total, en
voulant s'attirer les faveurs de ceux-ci, Abdoulaye Wade semble avoir
créé, en même temps, un nouveau foyer de probable
prolifération de tensions susceptibles de menacer la stabilité du
pays.
78
TROISIEME PARTIE :
PAUVRETE ET INEGALITES SOCIALES FACE
AUX POLITIQUES ADOPTEES PAR LES
AUTORITES PUBLIQUES : QUELLES
CONSEQUENCES SUR LA STABILITE DU
SENEGAL?
80
Définir et mesurer la pauvreté reste une
tâche plutôt délicate. Car si de prime abord elle
désigne la faiblesse, l'absence, le manque de moyen, d'argent, bref le
dénuement, elle n'en demeure pas moins une réalité bien
plus complexe. Mais dans le cas qui nous concerne, ici, l'objet n'est pas
d'étudier la pauvreté au travers de toutes les dimensions
utilisées pour en expliquer la complexité. Bien entendu, elles
pourraient être utilisées seules ou combinée pour
décrire et illustrer des situations bien déterminées. La
question qui me préoccupe, c'est plutôt de savoir comment la
pauvreté vécue par les populations dans un territoire
donné, Dakar et Tambacounda pour ce qui nous concerne, peut-elle
influer, positivement ou négativement, sur les comportements qu'elles
sont amenées à adopter. En d'autres termes, estce que
l'état de pauvreté actuel, dans ces deux régions, peut
être à l'origine de troubles sociaux, de soulèvement
populaire, d'émeutes... ? Avant de répondre à cette
interrogation, il me semble indispensable de faire l'état des lieux de
ce phénomène. Car, s'il est établi que le
Sénégal est un pays où la majorité de la population
est très pauvre, il fait partie, depuis 2000, des cinquante pays les
moins avancés du monde d'après un classement établi par la
CNUCED, il reste que les manifestations de la pauvreté sont
inégalement ressenties selon les régions. C'est pourquoi, les
régions de Dakar et de Tambacounda serviront de support territorial pour
mieux cerner, et partant, faire des comparaisons quant aux mesures et
stratégies mises en oeuvre pour endiguer ce phénomène, ou
tout au moins en réduire les manifestations. Ceci à travers
l'exemple de la santé et de l'agriculture par le biais, plus
précisément, de la dépendance alimentaire.
Malgré une croissance économique affichant, par
exemple, une progression annuelle de l'ordre de 5 % entre 1994 et 2002 avant
d'atteindre les 6 % en 2005 après une légère baisse, et
quelle qu'ait été la pertinence des mesures sociales mises en
oeuvre, la majorité de la population reste affectée par une
importante perte de son pouvoir d'achat. Une situation qui conduit selon le
Document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP)
à un creusement des inégalités sociales, les 20 % de la
population les plus riches réalisant plus de 41% des dépenses
annuelles totales contre 8,1% pour les
20%47 les plus pauvres. Autant que
l'inégalité des revenus entre les pauvres et les riches, le
déséquilibre structurel entre la capitale et les autres
régions du Sénégal s'est fortement accru du fait de
l'incapacité des différents régimes qui se sont
succédés à la tête de l'Etat à ne pas
concentrer les investissements uniquement à Dakar. Voyons à
travers la relation entre santé et pauvreté dans les deux
régions, comment se traduisent ces inégalités et ce
déséquilibre.
A - Santé et pauvreté dans la
région de Dakar : est-ce mieux dans la capitale ?
Malgré la progression de la part du budget
allouée aux dépenses de santé (9,5 % en 2003 et 12 % en
2007), les dépenses de fonctionnement restent plus importantes que
celles consacrées à l'investissement. Elles sont respectivement
de 7 % et de 5 %. En 2006, le budget, consacré à la santé
était, au niveau national, de 82 637 309 034 F Cfa (environ 126 millions
d'euros). La région de Dakar avec 17 717 435 00048 F CFA
(environ 27 millions d'euros) concentrait à elle seule 20 % de toutes
les dépenses de santé. Elle paraît de prime abord bien
dotée en infrastructure et personnel de santé.
La région de Dakar, qui occupe 0,3 % du territoire
national et abrite 25 % de la population, est subdivisée en huit
districts de santé et concentre : tous les établissements publics
sanitaires de niveau 3 (EPS 3), 90 % des cabinets de spécialistes, 61 %
des cabinets de médecins généralistes, 60 % des cliniques
privées, 39 % des Postes de Santé (PS) privés sans
maternité, 25 % des postes de santé complets privés, 84 %
des médecins privés, 75 % des médecins
généralistes, 92 % des spécialistes, 59% des pharmacies
privées, 35 % des consultants, 30 % des accouchements des centres de
santé, 35 % des accouchements des postes de santé, 25 % des
consultations prénatales 1, 29 % des consultations prénatales
3.
47 - Source : Document de stratégie de réduction de
la pauvreté (DSRP 2)
48 - Source : Situation économique et sociale de la
région de Dakar, 2006, SRSD Dakar 2007
82
84
86
POURCENTAGE DE LA DISPONIBILITE DE L'OFFRE DE SANTE A
DAKAR PAR RAPPORT AU NIVEAU NATIONAL (PERSONNEL HAUTEMENT QUALIFIE ET
STRUCTURES DE PREMIER ORDRE)
100
40
90
80
70
60
50
30
20
10
0
Dakar Sénégal
Sources : Situation économique et sociale de la
région de Dakar en 2006, octobre 2007
La région de Dakar concentre ainsi, le meilleur en
termes d'offre de personnel structures sanitaires et d'équipement en
technologie de dernière génération. S'il reste vrai que la
concentration de près du quart de la
population sur un très étroit territoire (0,3 %),
peut justifier la nécessitéd'une couverture sanitaire
appropriée et de qualité, il n'en demeure pas
moins que le déséquilibre avec les autres
régions, Tambacounda notamment comme nous le verrons, est très
important. Ce sont donc des taux de morbidité très inégaux
que l'on constate entre la capitale et les autres régions.
Pourtant, malgré cette disponibilité de
personnel et d'infrastructures de qualité, la région de Dakar
connaît d'énormes problèmes sanitaires. Ils sont
liés principalement à l'insalubrité, à la
promiscuité et au dénuement de
certaines franges de la population qui, pour se loger à
moindres frais, sont obligées d'habiter des zones inondables. Ce qui
crée une situation favorable à la prolifération de
pathologie comme le paludisme et le choléra.
Sources : SudQuotidien, PressAfrik, le Matin, photos des
inondations à Pikine et Guédiawaye (banlieue de Dakar) en 2007
Le paludisme constitue le premier problème de
santé publique au Sénégal. Il est la première cause
de morbidité et de mortalité générale, surtout chez
les enfants de moins de 5 ans. Plus de 50% de la demande des services de
santé au niveau du pays tout au long de l'année, est lié
au paludisme. En 2008 un total de 722 décès liés au
paludisme a été noté au Sénégal. La
région de Dakar comme le montre la carte ci-dessous est la plus
affectée malgré qu'elle reste de loin la plus dotée en
infrastructure et personnel de santé. Les fortes densités, la
multiplication des zones inondables en saison de pluie particulièrement,
l'inexistence d'un réseau adéquat d'évacuation des eaux
usées et de pluie qui facilite la formation de flaques d'eau favorables
à la prolifération des moustiques (anophèles) sont sans
doute les raisons qui justifient ces statistiques.
88
90
Quant au choléra, la carte ci-dessous montre combien la
région de Dakar a été particulièrement
touchée, après que l'épidémie soit partie de
Diourbel. 9755 cas ont été relevés par les
autorités sanitaires dans l'ensemble du pays. Causée par le
manque d'hygiène, cette maladie peut survenir dans des endroits
où les règles élémentaires d'hygiène ne sont
pas respectées. Mais, en septembre 2005 et 2006, une nouvelle vague
avait frappé durement les quartiers pauvres de la banlieue où les
inondations sont devenues un problème récurrent. 23 325 cas, dont
303 mortels, avaient été alors signalés. La
négligence des populations plus préoccupées par des
questions de survie, cumulée à l'incapacité des
autorités étatiques à endiguer cette pandémie
constitue encore des terreaux fertiles à la survenue de cette
pathologie.
Cas cumulés de choléra notifiés au
Sénégal d'octobre 2004 au 12 avril 2005
Sources : ministère de la Santé et de la
Prévention, Sénégal et Institut Pasteur Dakar
Au total, il ne suffit pas seulement que les infrastructures
et le personnel sanitaire soient en nombre et en qualité suffisants,
encore faut-il que le fonctionnement soit approprié et que les
populations puissent avoir
les moyens financiers de se payer les soins dont elles ont
besoin. En effet, si les nantis peuvent se rendre dans des cabinets et
cliniques privés où le prix de la consultation
s'élève, en moyenne, à 16 000 F Cfa (environ 25 €) et
celui d'une échographie par exemple à 39 000 F Cfa (environ 60
€), la grande majorité de la population dont ces sommes
représentent le total des gains en un mois, se bouscule dans les
établissements publics. L'accès aux soins est ainsi
freiné, pour la grande majorité de la population, par les
difficultés économiques auxquelles elles sont
confrontées.
Les établissements publics, du fait de la faiblesse de
leurs budgets, se heurtent à de nombreuses contraintes tant au niveau de
la gestion des établissements (infrastructures et personnel) que de la
qualité des soins délivrés. C'est le cas de
l'hôpital Abass Ndao à Dakar. Selon le Docteur Amadou Ndiaye, chef
de service du laboratoire « Le seul problème qui gangrène
Abass Ndao est le manque de moyens : nous ne disposons que de 650 millions (990
920 €) de subvention de l'Etat. Les charges du personnel (salaires et
avantages compris) s'élèvent à 1 milliard 210 millions de
F Cfa (environ 1 844 635 €), alors que la subvention associée aux
recettes (600 millions F Cfa, [914 695 €] l'année) nous donne un
total de 1 milliard 250 millions [1 905 615 €] ». Et il ajoute :
« Nous sommes souvent obligés d'agir par ordre de priorité :
soit nous payons le personnel et sacrifions les fournisseurs, soit nous faisons
le contraire »49. Dans les deux cas, les populations
déjà très affectées par leurs propres
difficultés économiques, se retrouvent en position de victimes.
Car si les fournisseurs ne sont pas payés, le matériel dont ne
peut se passer l'hôpital dans son fonctionnement n'est pas livré,
et si le personnel n'est pas payé, les grèves se multiplient et
là on ne parle plus de qualité de soins mais d'inexistence de
soins. Par ailleurs, vue la faiblesse des rémunérations dans le
secteur public (entre 122 et 366 euros/mois), le personnel de santé
n'hésite pas, dans sa grande majorité, à travailler
parallèlement dans les structures privées pour des revenus
additionnels. L'expression utilisée en wolof pour désigner ce
genre de pratique au Sénégal c'est : « xar matt
» (littéralement, fendre du bois).
49 - tiré d'un dossier réalisé par
Dié BA intitulé : « avoir des soins médicaux
à Dakar : les coûts et les coûts du système ! »,
le 13 avril 2009, dans
www.Ferloo.com
On comprend ainsi pourquoi, comme le montre l'Annuaire de la
santé (MSP 2008) plus de 50 % de la population se tourne d'abord vers
les guérisseurs et la médecine traditionnelle pour se soigner. En
effet, en dépit du nombre des infrastructures de santé dans la
région de Dakar, les problèmes que connaît le
système sanitaire et les coûts prohibitifs rendent l'accès
aux soins de qualité très difficile pour les nombreux
démunis de la région qui restent le plus souvent livrés
à eux-mêmes.
En outre, étant donné que seuls 15 % de la
population (les fonctionnaires principalement) bénéficient de
dispositifs formels de protection et de couverture médicale,
l'inexistence de système de sécurité sociale et de
système de gestion et de prévention de risques pour les
populations les plus pauvres participe, d'une part à créer de
nouveaux pauvres, d'autre part à maintenir ceux qui l'étaient
déjà dans une situation encore plus précaire face à
la maladie. En effet, même si des stratégies sont mises en oeuvre
pour essayer d'organiser paysans et acteurs du secteur informel principalement,
dans des mutuelles de santé où les cotisations mensuelles
s'élèvent entre 100 et 200 F Cfa (0,15 et 0,30 €), le
problème n'est pas réglé pour autant. Car, s'il y en a qui
rechigne à verser ces cotisations, d'autres part contre n'en disposent
tout simplement pas. Par ailleurs, il faut reconnaître que l'Etat a mis
en place la gratuité des soins pour les personnes du troisième
âge qui constituent 3 % de la population nationale et pour les femmes
enceintes qui doivent par exemple subir des césariennes. Mais
l'application de ces mesures reste difficile surtout lorsque les
hôpitaux, centres et postes de santé sont souvent
confrontés à des problèmes de matériels
médicaux, à des coupures d'électricité et des
grèves du personnel ou encore aux absences répétitives du
personnel.
Par ailleurs, l'accès à l'eau potable et
à un système adéquat d'assainissement joue un rôle
déterminant dans l'état de santé de la population.
Méme si les pouvoirs publics ont consenti beaucoup d'effort dans la mise
à disposition auprès des populations d'une eau de qualité
et en quantité suffisante, une analyse récente (MSP 2004) ayant
montré qu'en milieu urbain, le taux d'accès à l'eau
potable a connu des progrès sensibles,
92
passant de 78% en 2000 à 90%, il subsiste encore de
sérieuses disparités d'accès selon les usagers et les
régions. D'une part, un fort écart de taux de branchements
particuliers subsiste entre la région de Dakar (75,7% en 2004) et les
autres centres urbains (57,1% en 2004). D'autre part, 20% des ménages
urbains et périurbains, les plus modestes, dépendent des bornes
fontaines et payent l'eau au litre (environ 0,03 € les 5 litres) alors que
les ménages disposant d'un branchement domiciliaire la payent au
mètre cube (0,56 €). La consommation spécifique dans les
quartiers pauvres de Dakar ne dépasse pas 30 l/j/pers., soit la
moitié de la consommation spécifique moyenne de Dakar. En outre
les populations de la banlieue se plaignent de sa qualité et de sa
disponibilité : «L'eau qu'on boit ici est vraiment spéciale.
Parfois, elle ne sort même pas du robinet ou quand elle apparaît,
c'est avec une couleur rouge et une saveur vraiment pas agréable, mais
on fait avec » (Adigbli, 2009), du coup beaucoup d'entre elles se tournent
vers les puits malgré ce qu'elles en pensent : «Je sais que l'eau
de puits est impropre à la consommation sans un traitement
préalable, mais on n'y peut rien, puisqu'on ne dispose même pas de
robinet » (Adigbli, 2009).
Il est important, pour rester dans la comparaison et pour
faire ressortir le déséquilibre entre Dakar et Tambacounda, de
nous pencher d'abord sur la relation entre santé et pauvreté dans
cette dernière région.
B - Santé et pauvreté dans la
région de Tambacounda
Tambacounda
Dakar
DIFFERENCES EN PERSONNEL DE SANTE ENTRE DAKAR ET
TAMBACOUNDA
1200
1000
400
800
600
200
0
Médecins
551
45
Infirmiers
1187
121
Sages femmes
208
61
Source : Annuaire de la santé, Ministère de la
santé et de la prévention
A la faiblesse de la couverture médicale en
infrastructures idoines (1 hôpital, 310 cases de santé dont
seulement 201 fonctionnelles...), s'ajoute celle des effectifs en personnel de
santé qualifié comme le montre le graphique ci-dessus surtout en
comparaison avec ceux de la région de Dakar. De plus, la
prépondérance des assistants de santé communautaire
(environ 180) et des matrones (150) qui, après une brève
formation, ne disposent que de connaissances rudimentaires, ne permet pas de
satisfaire les besoins de santé des 688 702 soit 5,5 % de population
nationale (en 2006). Les conditions climatiques (une très forte chaleur
de mars à juillet), ainsi que l'enclavement et l'éloignement de
la région par rapport aux grandes villes comme Dakar, Thiès ...
sont souvent évoquées comme raison par le personnel de
santé pour ne pas rester dans la zone. Selon les enseignements de
l'opération "Identification physique et géographique",
lancée en juillet 2007 par le ministère de la Santé et de
la prévention médicale, concernant son personnel sur l'ensemble
du territoire, l'une des pratiques récurrentes
94
96
dans cette administration est le cumul d'emploi. Dans les
zones reculées du sud du pays comme Tambacounda (540 km et 6 à 8
h de trajet depuis Dakar), on a découvert des centaines de
médecins qui ont quitté leur service à la suite d'une
permission. Ils n'y sont plus jamais retournés, mais continuent de
percevoir leur salaire, alors qu'ils travaillent dans des cliniques
privées de la capitale.
Du coup, il n'est pas rare par exemple de voir des femmes
enceintes qui, pendant toute la durée de leur grossesse, n'ont
rencontré aucun personnel de santé qu'il soit médecins,
assistants communautaires de santé et/ou matrones formés sur le
tas. Le taux d'accouchements assistés n'était en 2005 que de 28 %
selon la région médicale de Tambacounda alors que la moyenne
nationale est de 48 %, d'où une forte mortalité maternelle qui
s'évalue selon la même source à 1200 décès
pour cent mille naissances vivantes. De même, la santé de l'enfant
reste marquée par des taux de mortalité supérieure aux
moyennes nationales. Nous avons :
+ mortalité infantile : 75 %o (moyenne nationale de
61%%o)
+ mortalité infanto juvénile : 164 %o (moyenne
nationale de 121%o)
Par ailleurs, fortement arrosée pendant la saison des
pluies et face à la faiblesse du réseau d'évacuation
d'eau, ce qui permet la formation de nombreuses flaques d'eau favorables
à la prolifération des moustiques, la région de
Tambacounda reste très touchée par le paludisme. Une maladie qui
continue d'être l'une des principales causes de morbidité, en
milieu rural principalement.
98
Tableau 3 : PRINCIPAUX MOTIFS DE CONSULTATION PAR
DEPARTEMENT
Maladies diagnostiquées
|
Bakel
|
Kédougou
|
Tambacounda
|
Nombre
|
%
|
Nombre
|
%
|
Nombre
|
%
|
Accès palustre simple
|
15403
|
42,2
|
8106
|
25.7
|
38685
|
31.2
|
Accès palustre grave
|
1554
|
4.3
|
1137
|
3.6
|
2372
|
1.9
|
Infections Respiratoires Aigues
|
3700
|
10.1
|
2229
|
7.1
|
8418
|
6.8
|
Maladies de peau
|
2522
|
6.9
|
1508
|
4.8
|
9639
|
7.8
|
Maladie Diarrhéiques
|
1285
|
3.5
|
1494
|
4.7
|
3581
|
2.9
|
Parasitoses intestinales
|
1033
|
2.8
|
902
|
2.9
|
4015
|
3.2
|
Syndrome dysentérique
|
540
|
1.5
|
995
|
3.1
|
2370
|
1.9
|
Source : Région médicale de Tambacounda, 2006
Malgré sa situation de région carrefour, le taux
de prévalence du sida fait partie des plus faibles du pays. Il
était en 2004 respectivement de 0,5 % et 0,3 % pour les hommes et les
femmes.
Vu l'étendue de la région et son enclavement
endémique, l'accès aux soins de santé pour la plupart des
populations reste extrêmement compliquée, notamment en cas
d'urgence. Ainsi, faute de ne pouvoir se déplacer dans les centres
hospitaliers mieux équipés des autres régions, celles-ci
se tournent massivement vers l'automédication et la médecine
traditionnelle. Il faut de surcroît noter que toutes ces statistiques,
bien qu'elles soient alarmantes, ne prennent pas en compte les cas de maladies
non déclarées, ce qui laisse penser que la situation sanitaire de
la région est beaucoup plus grave qu'elle ne paraît. Elle l'aurait
été encore plus si, les pouvoirs publics n'avaient
sollicité l'appui d'une multitude d'ONG comme l'Unicef, le Fnuap, la
Jica, l'OMS ~ pour intervenir dans la région. Celles-ci
aident principalement à la construction et à
l'équipement de postes, cases de santé et centres de
santé, à la distribution de moustiquaires
imprégnées et à la sensibilisation des populations.
Mais, méme si les pouvoirs publics ont consenti
beaucoup d'effort dans la mise à disposition auprès des
populations d'une eau de qualité et en quantité suffisante, il
reste que dans une région fortement rurale comme Tambacounda où
la population est très dispersée, ces mesures n'ont pas
véritablement d'impact. Selon le DSRP, En milieu rural, le taux
d'accès à l'eau potable a connu une progression passant de 56% en
2000 à 64% en 2004. Les usagers des bornes-fontaines qui
représentent 35% des ménages ruraux consomment à peine 20
l/j/pers. La production annuelle d'eau se chiffre à 1 705 179 m3 dans la
région de Tambacounda soit 2,5 m3/p/an. En matière
d'assainissement, le taux d'accès en milieu urbain a connu une
progression limitée sur la période 2000-2004, passant de 56 %
à 57%. En milieu rural, 28% des ménages ne disposent d'aucun
système d'évacuation des excréta, alors que la plupart des
ménages sont équipés de latrines traditionnelles qui ne
répondent pas aux normes internationales.
Au total, les difficultés de la majorité des
populations de Dakar et de sa banlieue ainsi que celle de la région de
Tambacounda à accéder à des soins de qualité,
à des logements salubres, à l'eau potable et à un
système d'assainissement adéquat, mettent en lumière la
très forte dépendance entre santé et pauvreté. Mais
elles font aussi de ces territoires des espaces particuliers. En effet pour
sortir de leurs difficiles conditions ou tout au moins pour
bénéficier d'une amélioration quelle qu'elle soit, les
populations, sans être crédules, semblent plus réceptives
aux promesses qui leur sont faites. Du coup, cette banlieue à forte
densité de population et partant à fort potentiel
électoral devient l'enjeu ou le théâtre de l'expression des
rivalités de pouvoir entre différents acteurs, les forces
politiques en particulier. C'est ce que confirme Astou Diagne, une habitante de
Diamaguene dans la banlieue de Pikine : « Lors des campagnes
électorales, les politiciens sont venus dans notre localité avec
des promesses bien ficelées, surtout celles liées à
l'accès de l'eau potable, mais nous n'avons toujours pas de branchement
d'eau bien
100
que nous ayons fait des demandes à la SDE
(Société des eaux). Nous souffrons trop pour l'eau ici »
(Adigbli, 2009). L'attractivité de la banlieue dakaroise se traduit
également par le fait que lors des dernières élections
locales par exemple, alors qu'il n'a fallut que deux jours à la
majorité des partis politiques pour traverser la vaste région de
Tambacounda, il a fallu en moyenne six « meeting » en six jours pour
parcourir un territoire de 550 km2.
Toutefois, autant ces territoires peuvent servir les ambitions
d'hommes politiques et faciliter leur ascension sur ce landerneau, autant ils
peuvent servir de baromètre pour mesurer le rejet ou non des populations
face aux autorités qui les gouvernent. Comme nous l'indique la carte des
résultats électoraux (mars 2009) pour les communes, la partie
Quest du Sénégal, où se concentre plus de 70% de la
population et plus de 60% des communes les plus peuplées (Dakar (Pikine,
Guédiawaye), Diourbel, Kaolack, Fatick, Louga, Saint-Louis,
Thiès...), a été gagnée par l'opposition. En
revanche, la région de Tambacounda, malgré la déprise dont
elle semble faire l'objet, a été gagnée par la
majorité présidentielle.
Mais au-delà des aspects purement politiques et
électoralistes, la région de Dakar, sa banlieue en particulier et
celle de Tambacounda (Kédougou) qui cristallisent toute la
pauvreté voire la misère de la majorité des
Sénégalais, ont été dernièrement, l'espace
d'expression de manifestations inédites du mécontentement social
avec l'exemple de la marche des imams. Autrement dit, si ces populations se
servent de moyens légaux et démocratiques (le vote) pour
cautionner ou rejeter des politiques gouvernementales, elles sont
également capables de se mobiliser, de sortir dans les rues pour
exprimer leurs souffrances de façon pacifique mais aussi très
violente. Ceci d'autant qu'à la faveur de la tenue du sommet de
l'Organisation de la Conférence Islamique (OCI) en 2008, malgré
le brusque renchérissement des coüts des produits de grande
consommation, l'Etat avait continué à investir massivement (800
milliards de F Cfa (1,2milliards €) selon la presse privée) dans
l'érection d'infrastructures routières et hôtelières
et dans l'embellissement de certaines artères de Dakar. De plus, du fait
de la
très forte urbanisation de la région (96 % de la
population), les espaces consacrés à l'agriculture sont quasi
inexistants dans la région tandis qu'à Tambacounda, du fait de la
faible densité et de l'étendue de son territoire, un important
potentiel agricole est disponible. Il convient dès lors de voir la
situation agricole (agriculture vivrière) dans ces deux régions
et au-delà les politiques mises en oeuvre par les pouvoirs publics.
C - la déstructuration du système
agricole et ses conséquences
Les émeutes de la faim de mars 2008 (voir
première partie) ont mis à nu les carences et les insuffisances
des systèmes de productions agricoles, mais aussi et surtout son
incapacité à satisfaire les besoins alimentaires des populations
au Sénégal, alors que près de 70 % de la population vit de
l'agriculture qui, selon le ministère de l'agriculture, a
contribué, en 2007, à hauteur de 12,5% au PIB correspondant, en
francs Cfa, à un total de 669 milliards F Cfa (environ 1 019 885 480
€). La hausse subite des cours des produits céréaliers,
à travers le monde, a montré combien le pays était
dépendant de ses importations de riz principalement. Le
renchérissement du coüt de la vie qui s'est traduit par une hausse
généralisée de tous les prix des produits de grande
consommation (voir tableau première partie) a été
très difficile à subir pour une grande partie de la
population.
-2 0 2 4 6 8
2007
2006
2005
2004
2003
EVOLUTION DE L'INDICE DES PRIX DE 2003 A 2007 AU
SENEGAL
0,8
-0,6
1,4
3,9
indice des prix
7,3
Sources : Programme Alimentaire Mondial dans « rapport
d'analyse de marché, Sénégal : commerce du riz »,
Août 2008
102
Pourtant, l'agriculture au Sénégal a pendant
longtemps eu pour principal objectif de remplir une fonction
nourricière. Les exploitations traditionnelles, occupées
essentiellement par les cultures vivrières, étaient le plus
souvent calibrées en fonction de la taille de la famille et de ses
besoins en nourriture, singulièrement en céréales. Le riz,
le mil, le sorgho, le maïs, le fonio... étaient plus ou moins
consommés en fonction des régions, des sols et de la fluctuation
de la pluviométrie. L'agriculture traditionnelle avait pour fonction de
nourrir autant les populations des centres urbains que celles des zones
rurales. Mais l'introduction de l'arachide pendant la période coloniale,
a fait du Sénégal l'un des principaux producteurs de cette
spéculation en Afrique et dans le monde. Toutefois, la séduisante
idée de monnayer les récoltes d'arachide a brisé
progressivement le dynamique équilibre entre agriculture et alimentation
qui prédominait jusque là. En effet, alors que
prospéraient les cultures de rente, celles vivrières
connaissaient un net recul en termes de superficies emblavées et de
tonnage produit. Une situation qui a conduit progressivement la capitale qui
dépendait déjà des productions agricoles des
régions rurales (Tambacounda), à se tourner vers des importations
massives de céréales, du riz principalement. En outre, du fait de
la baisse de la pluviométrie, de la vétusté du
matériel des paysans, bref de la déstructuration du
système agricole, les zones rurales comme Tambacounda ont
été progressivement confronté à la faiblesse de la
productivité devenant ainsi aussi vulnérables que la capitale en
terme de dépendance alimentaire. En 2005 1 181 497 de tonnes de
céréales (riz, blé, méteils, maïs...) avaient
été importées soit 73 % du total de toutes les
importations de produits alimentaires au niveau national.
104
Tableau 4 : PRODUCTIONS AGRICOLES DANS LA REGION
DE DAKAR
Spéculations
|
2004 / 2005
|
2005 / 2006
|
Superficie (ha)
|
Production (T)
|
Superficie (ha)
|
Production (T)
|
MAÏS
|
250
|
500
|
600
|
780
|
MIL
|
37
|
9
|
10
|
5
|
SORGHO
|
198
|
59
|
68
|
41
|
REGION
|
485
|
568
|
678
|
826
|
Source : Situation économie et sociale de la région
de Dakar, ANDS 2006
Tableau 5 : PRODUCTIONS AGRICOLES DANS LA REGION
DE
TAMBACONDA (2005/2006)
Spéculations
|
Mil
|
Sorgho
|
Maïs
|
Sup (ha)
|
Prod (T)
|
Sup (ha)
|
Prod (T)
|
Sup (ha)
|
Prod (T)
|
Bakel
|
6 762
|
6 377
|
5 705
|
5 300
|
6 056
|
5 408
|
Kédougou
|
-
|
-
|
1 922
|
1 409
|
4 388
|
7 407
|
Tambacounda
|
38 120
|
39 111
|
30 242
|
22 682
|
16 886
|
16 886
|
Région
|
44 882
|
45 488
|
37 869
|
29 390
|
27 330
|
29 701
|
Source : Situation économie et sociale de la région
de Tambacounda, ANDS 2007
Pendant la campagne agricole 2006/07 à Tambacounda
où près de 80% de la population vit de l'agriculture, pour une
superficie de 113 383 ha cultivés, seules 110 230 tonnes de
céréales ont été récoltées.
D'où une très faible productivité qui justifie la
nécessité de recourir à l'importation de
céréales et qui du même coup aggrave la dépendance
alimentaire de cette région agricole.
106
Tableau 6 : IMPORTATION DE CEREALES AU SENEGAL (EN
TONNE)
Produits
|
Décembre 2005
|
Janvier
2006
|
Février
2006
|
Mars 2006
|
Total
|
Riz
|
50 500
|
11 979
|
27 098,3
|
4 516,6
|
94 093,9
|
Blé
|
35 642,6
|
13 000,3
|
30 157,8
|
30124,6
|
108 925,3
|
Semoule de blé
|
1 380,8
|
2 564,7
|
1 084
|
404
|
5 433,5
|
Farine de blé
|
|
|
241
|
466,9
|
707,9
|
Maïs
|
|
|
13 733
|
13 524
|
27 257
|
Total
|
87 523,4
|
27 523,4
|
72 314,1
|
49 036,2
|
236 417,6
|
Sources : Bureau direction de la protection de
végétaux Avril 2006
Les autres sous secteurs de l'Agriculture au sens large du
terme que sont l'élevage et la péche connaissent également
beaucoup de difficultés structurelles. La région de Tambacounda,
malgré ces vastes pâturages (16 % du territoire national) reste
confrontée à la récurrence de certaines maladies et de
nombreuses difficultés dans la vaccination du bétail. Une
situation qui fait que l'évolution du cheptel suit une courbe
très erratique. Pour les bovins par exemple les effectifs sont
passés de 703 300 à 699 622 têtes entre 2000 et 2004
après avoir connu une hausse de plus de 20 000 têtes entre 1998 et
1999. Aussi, malgré des campagnes d'insémination artificielle, la
demande en produits laitiers, par exemple, reste largement satisfaite par
l'importation de lait en poudre principalement. En 2007, 35 000
tonnes50 de produits laitiers pour une valeur globale d'environ 55
milliards F Cfa (environ 83 millions €) ont été
importées au Sénégal. Au plan économique et social,
le secteur de la péche joue un rôle important dans
l'économie du Sénégal. Il contribue en effet pour environ
2% du PIB national. La valeur commerciale des produits a atteint 185 milliards
de Francs Cfa en 2007. Il génère environ 600 000 emplois directs
et induits, et 1 600 000 à 2 000 000 personnes sont dépendants de
la pêche maritime. Soumbedioune dans la région de Dakar
est l'un des principaux débarcadères du pays. Mais la
filière péche reste confrontée, depuis plusieurs
années, au problème de la surexploitation, de la
raréfaction de la ressource halieutique, mais aussi et surtout de la
vétusté des équipements.
50 - Source : UBIFRANCE et les missions économique,
l'agriculture au Sénégal, fiche de synthèse,
janvier 2009
Face à cette situation, les autorités publiques
ont, pour oeuvrer dans le sens de retrouver une autosuffisance alimentaire (en
céréale particulièrement), améliorer et diversifier
les récoltes et les variétés cultivées et lutter
contre la pauvreté, lancé des programmes agricoles, et
multiplié les subventions sur les denrées de grande consommation.
Elles promettaient ainsi de promouvoir une agriculture dont la
productivité améliorée pourrait permettre au
Sénégal de devenir un pays exportateur de céréales
et autres produits agricoles. D'abord Le plan REVA ou retour vers l'agriculture
où les Sénégalais de la diaspora qui en ont les moyens
sont conviés à revenir pour investir massivement dans
l'agriculture. Ensuite la GOANA (grande offensive agricole pour la nourriture
et l'abondance), qui a été lancée le 18 avril 2008 en
réaction à la hausse des prix et aux émeutes de la faim de
mars 2008 à Dakar. Pour ce qui est plus spécifiquement de la
jeunesse, l'Office pour l'emploi des jeunes de la banlieue de Dakar (Ofejban) a
été créé.
D - les programmes mis en oeuvre pour lutter contre la
pauvreté : une discrimination spatiale qui renforce les
inégalités sociales ?
D - 1 : les programmes agricoles
D - 1 - 1 : le plan REVA
Ce plan a pour objectif, d'après les textes
publiés par le ministère de l'agriculture, de l'hydraulique
rurale et de la sécurité alimentaire, « de fixer les
populations notamment les jeunes et les femmes dans leurs terroirs en
particulier les émigrés ou rapatriés, d'augmenter
significativement la production agricole notamment celle horticole et de
répondre aux objectifs de lutte contre la pauvreté, (...)
à réduire puis à éradiquer la pauvreté et
les inégalités en particulier dans les zones rurales ».
108
Tableau 7 : POLES DU PLAN REVA DANS LA REGION DE
TAMBACOUNDA
Type
|
Pôle d'excellenc e
|
Ferme villageois e
moderne
|
Agropastoral e
|
Agro- piscicol e
|
Biocarburan t
|
Département
|
Tambacound a
|
2
|
12
|
4
|
11
|
5
|
Bakel
|
1
|
12
|
5
|
8
|
2
|
Kédougou
|
1
|
11
|
4
|
10
|
6
|
Région
|
4
|
35
|
13
|
29
|
13
|
Source : Situation sociale et économique de la
région de Tambacounda ANDS 2006
Toutefois, les écueils constatés dans sa conception
et sa mise en oeuvre constituent de véritables facteurs limitant quant
à sa portée. Iis'agissait de créer des fermes
agricoles dans différents départements du
pays. La région Tambacounda bénéficie de
plusieurs fermes (94) alors qu'elle reste confrontée à
d'énormes problèmes d'accès à l'eau dus à la
profondeur de la nappe (au moins 70 mètres) et à la faiblesse des
moyens d'exhaure. Certes il est vrai que dans un premier temps la mise en
oeuvre de ce programme a permis à des jeunes et à des femmes de
la région jusque là désoeuvrés ou ne comptant que
sur le récoltes hivernales pour subvenir à leurs besoins, de
trouver une activité génératrice de revenus en dehors des
trois mois de la saison des pluies. Mais, les produits sur lesquels ces fermes
mettent l'accent (le melon et les pastèques), méme s'ils sont
prisés par la population, restent des produits à très
faible valeur ajoutée (pastèque entre 0,03 et 1,5
€/pièce) dont l'exportation est très fortement
limitée par des critères d'exigences de qualité auxquels
ses petits producteurs ne peuvent répondre et qui sont très loin
dans la hiérarchie des priorités alimentaires. Du coup
l'engouement suscité par la mise en oeuvre de ce programme s'est
très vite confronté à la réalité de la
faiblesse des revenus obtenus. Au total, le plan Reva ne participe pour l'heure
ni à l'atteinte de l'objectif de l'autosuffisance alimentaire ni
à celui de permettre aux populations de trouver des revenus additionnels
susceptibles de les aider à faire face aux méfaits de la
pauvreté.
Tableau 8 : PAUVRETE REGIONALE ET STRUCTURE DE REVENUS
DES
MENAGES
Région
|
Part des revenus agricoles
|
Part
des salaires
|
Part des transferts
|
Part des autres revenus
|
Taux de pauvreté global
|
Taux de pauvreté urbaine
|
Taux de pauvreté rurale
|
Dakar
|
0,92
|
30,86
|
35,26
|
32,96
|
20,12
|
19,20
|
58,30
|
Tambacounda
|
27,82
|
3,37
|
32,21
|
36,60
|
69,18
|
36,90
|
71,80
|
Sources : Profil de pauvreté au Sénégal :
une approche monétaire, Fatou Cissé, Août 2003
D - 1 - 2 : La Goana (grande offensive agricole pour la
nourriture et l'abondance)
Le Président de la République du
Sénégal, Maître Abdoulaye Wade, a lancé le 18 Avril
2008, soit moins d'un mois après les émeutes de la faim, la GOANA
ou « Grande offensive agricole pour la nourriture et l'abondance ».
Elle vise à pallier les insuffisances du plan Reva et à atteindre
enfin l'autosuffisance alimentaire à très court terme
c'est-à-dire dès l'hivernage 2008/09. Il fixe ainsi des objectifs
quantitatifs de production de 500 000 tonnes de riz, 2 000 000 de tonnes de
maïs, 3 000 000 de tonnes de manioc, 2 000 000 de tonnes pour les autres
céréales, 400 millions de litres de lait et 43 500 tonnes de
viande51 sur toute l'étendue du territoire national. Pour le
Président Wade, le succès de ce programme réside pour
l'essentiel dans les pluies artificielles et sur une mobilisation
exceptionnelle de tous les acteurs de la filière. Le coût de la
GOANA a été estimé autour de 344 milliards de francs Cfa
(environ 524 425 418 €) pour la seule campagne agricole 2008\2009 dont
seuls 32 milliards (48 183 759 €) soit moins de 10 % seraient disponibles
sur le budget consolidé d'investissement. Ces coüts ne prennent pas
en compte la production de lait et de viande, ni les coûts des pluies
artificielles et aucune piste claire, n'est dégagée pour combler
le gap de 314 milliards.
Les populations des régions rurales comme Tambacounda
espéraient cette fois le renouvellement de leurs matériels
agricoles et la mise en place d'un encadrement approprié qui permettrait
de produire plus mais surtout
51 - Sources : Ouestafnews, Conseil National de Concertation
et de Coopération des Ruraux,
110
d'améliorer la compétitivité de leurs
produits et ainsi prétendre à l'exportation. Ce qui devrait
contribuer fortement à l'amélioration de leurs revenus et donc
à la lutte contre la pauvreté. Mais ce qui s'est
réellement passé c'est que les autorités publiques ont
choisi de distribuer des milliers d'hectares de terre à ceux que les
paysans réunis autour du Cadre national de concertation des ruraux
(CNCR) appellent « les paysans du dimanche » et à des
investisseurs étrangers. Ainsi, dans la région de Matam
située au nord de celle de Tambacounda, plus de 1000 hectares ont
été octroyés à l'ancien Premier ministre Hadjibou
Soumaré et au ministre Adama Sall. Cent Hectares ont été
attribués à la députée Aida Mbodj. A
Kédougou, ancien département de Tambacounda la situation est
encore plus grave. En effet, huit mille hectares dont une grande partie
appartient aux terres de la réserve naturelle du Parc du Niokolo Koba
ont été attribués à un homme d'affaires espagnol.
De même, à Dakar, dans la communauté rurale de Sangalcam,
plusieurs hommes politiques appartenant à la coalition
présidentielle se sont vus accorder des terres.
En définitive, la Goana qui avait pour ambition
d'offrir aux paysans en particulier des moyens de lutter efficacement contre la
pauvreté, s'est muée progressivement en un conflit foncier entre
ces derniers et les autorités publiques. En effet, les ressortissants
des différents territoires où des terres ont été
attribuées à des dignitaires et soutiens du régime en
place s'opposent à ce qu'ils appellent une campagne de spoliation des
pauvres et se disent « prêts à tout afin de préserver
le legs de leurs aïeux ». Les responsables de la communauté
rurale de Mbane (Matam) où plus de 200 000 hectares ont
été distribués sont allés plus loin. Dans un
communiqué ils déclarent être prêts à opposer
: « une désobéissance civile sans précédent
dans l'histoire de notre pays, jusqu'à l'avènement d'un nouveau
régime, en l'occurrence : refus de payer les taxes dans les
loumas (marchés hebdomadaires), refus de payer les
impôts, (...), interdiction de tenue de réunions dans la Maison
communautaire de Mbane, Refus de travailler avec le nouveau sous-préfet,
etc.. »
Face à cette situation, de plus en plus de voix
s'élèvent pour mettre en garde contre les dérives que peut
engendrer ce que la presse nomme (( la boulimie foncière du
régime wadien ». Pour certains, la Goana peut-être le fertile
terreau de nouvelles révoltes qui peuvent aboutir à une guerre
civile comme en Côte d'Ivoire, tandis que pour d'autres comme Omar Faye
de Leeral Askan wi (éclairer le peuple en wolof) cette forme de
privatisation du territoire national risque de développer partout le
((syndrome de la Casamance» où l'octroi de terres à des
migrants venus du centre et du nord du Sénégal est à
l'origine d'un sanglant conflit qui dure depuis près de trente ans et
qui mettra les générations à venir dans un
perpétuel environnement de conflit.
Ainsi, malgré les grandes ambitions des
autorités publiques, le Sénégal continue non seulement
d'importer massivement des céréales, du riz et du blé en
particulier, mais aussi et surtout, de rester très sensible à la
moindre fluctuation des cours de ces produits sur les marchés
internationaux. Une situation qui a sans doute conduit les autorités
à adopter d'autres types de programmes pour aider les populations
à faire face à leurs difficiles conditions de vie
D - 2 : Programme pour l'emploi des jeunes : l'office pour
l'emploi des jeunes de la banlieue de Dakar (ofejban)
Dans un entretien accordé au journal LeQuotidien
le 06 juillet 2009, le Directeur général de l'Ofejban,
Boubacar Ba, a déclaré que dans le ((cadre de la politique de
création massive d'emplois, l'Office pour l'emploi des jeunes de la
banlieue de Dakar (Ofejban) a lancé un vaste programme de recensement
des jeunes de la banlieue. Les jeunes, qui sont, soit demandeurs d'emplois,
soit porteurs de projets ou à la recherche d'une formation sont
invités à se présenter aux équipes de l'Ofejban.
Après avoir donné des informations sur leur niveau
d'études, leur filière, leur profession et l'emploi
souhaité, ils vont être enregistrés dans une banque de
données, qui va servir par la suite de tribune entre les demandeurs et
les employeurs ». Il ajoute : ((Les jeunes ont besoin de travail. Nous
leur
112
lançons le message suivant : On vous ouvre les portes,
soyez les bienvenus!»52.
L'objectif de ce programme pour les autorités est,
à travers l'emploi des jeunes, d'extirper la pauvreté dans les
quartiers périphériques de la capitale sénégalaise.
Dakar, comme déjà évoqué, regroupe sur 550 Km2 plus
du 1/4 de la population du Sénégal avec un effectif important de
jeunes qui croît chaque année du fait de l'exode rural. Du coup,
avec la crise économique et les nouvelles mesures pour réduire
voire freiner les flux de l'immigration clandestine en partance des côtes
dakaroises, ce programme pour l'insertion des jeunes semble répondre
à une très forte demande.
Mais, même si les jeunes de la banlieue (Pikine) restent
partagés entre espoir et scepticisme « Je suis venu comme ça
m'inscrire car on ne sait jamais, mais a vrai dire, je ne suis pas trop
confiant car l'Etat a l'habitude de faire des promesses qui ne sont jamais
respectées »53, cette initiative induit, entre autre,
une discrimination territoriale qui pourrait renforcer le sentiment d'exclusion
des jeunes des régions rurales comme Tambacounda. En effet, si dans
l'imaginaire commun, tout semble les opposer, dans la réalité de
nombreuses similitudes apparaissent entre les jeunes de la banlieue dakaroise
et ceux des autres régions du pays en particulier celles rurales.
Exclusion géographique, réseaux de transport en commun moins
développés, offres d'emploi moins nombreuses, éloignement
des services publics..., les jeunes de ces deux types de territoires ont
beaucoup de points communs dans leur quotidien. Qu'ils habitent à
Tambacounda ou à Dakar, ils doivent faire face aux mémes
difficultés liées à l'échec scolaire, ainsi que les
problèmes de pauvreté extrême et de discrimination, et aux
mêmes problèmes d'accès à l'emploi. La seule
différence entre les jeunes de ces deux territoires c'est que les
problèmes n'y sont pas ressentis de la méme façon. A
Tambacounda, le territoire est plus vaste, aussi les problèmes existent
de manière aussi importante, parfois plus, mais de façon beaucoup
plus diffuse
52 - LeQuotidien du 06 juillet 2009
53 - un étudiant en management sous le couvert de
l'anonymat cité par Safi Amadou Bâ dans SunuNews du 04
août 2009
et bien moins concentrée.
Dans le contexte où la crise économique mondiale
exacerbe les conditions de vie des populations les plus vulnérables,
lancer un programme qui n'aurait pour cible que les jeunes de la banlieue de
Dakar pourrait engendrer de nombreux problèmes. D'une part, les jeunes
des autres régions du Sénégal (Tambacounda, Ziguinchor...)
pourraient, par le phénomène des migrations internes en
particulier de l'exode rural, affluer massivement vers la banlieue dakaroise
pour bénéficier des opportunités qu'offre ce nouveau
programme. Ainsi, en plus de vider les campagnes, renforçant du coup
leur pauvreté et leur dépendance par rapport à la
capitale, cet exode participera à faire croître les
densités déjà très fortes de la banlieue
(Guédiawaye : 22 569 ht/km2). Ce mouvement de population renforcera
aussi et surtout les problèmes de la banlieue déjà
marquée par une précarité sociale très forte, une
faiblesse des infrastructures (sanitaires, scolaires, culturelle etc.). Une
banlieue où en plus des jeunes, l'essentiel de la population est au
chômage, ce qui l'oblige ou plutôt explique le développement
d'activités informelles souvent en marge de la légalité.
Cette misère ambiante doublée d'une promiscuité
très forte a favorisé le développement de la
délinquance juvénile de plus en plus violente prenant la forme de
vols à la tire souvent en bande, d'agressions parfois très
sanglantes, de la prostitution clandestine et récemment de la
création de comités de vigilance qui s'érige de fait en
une police informelle pour essayer d'assurer la sécurité des
populations locales et ainsi pallier l'absence de la police. Des comités
de surveillance qui, si l'on n'y prend garde, pourraient très vite se
muer en milices. Une situation lourde de nombreuses menaces et de
dérives liées notamment à la paix sociale dans ces
zones.
D'autre part, le lancement de ce programme pourrait être
considéré par les jeunes des autres régions comme la
concrétisation du manque de considération des autorités
publiques face aux difficultés qu'ils rencontrent quotidiennement dans
la recherche de l'amélioration de leurs conditions de vie. En effet,
s'il reste vrai que les jeunes sont nombreux dans la banlieue dakaroise et
pourraient l'être encore plus grace à la mise en oeuvre de ce
114
116
programme, il n'en demeure pas moins que dans les autres
régions du Sénégal, à Tambacounda
singulièrement, les jeunes de 15 à 34 représentent 32,4 %
de la population contre 15,8 % pour les 35 - 59 ans et seulement 4,4 % pour les
60 ans et plus54. Une situation démographique qui montre la
nécessité pour les jeunes de s'insérer très vite
dans le marché du travail pour pouvoir prendre en charge ou tout au
moins aider leurs parents dans la lutte contre la pauvreté familiale. De
plus si on considère que dans la région de Tambacounda, le
secteur informel reste très peu développé et qu'en dehors
de la Sodefitex qui appuie de petits producteurs de coton et de maïs et de
la nouvelle société d'exploitation minière, il n'existe
aucune autre unité industrielle ou agro- industrielle, l'on constate que
les opportunités d'offres d'emploi y sont extrémement faibles.
Une situation qui renforce le sentiment d'inégalité de traitement
et d'exclusion selon le territoire.
Au total, ce que les autorités semblent avoir perdu de
vue c'est que, comme le soutient Mamadou NDAO, les jeunes de la banlieue n'ont
pas attendu le lancement de ce programme pour « travailler, produire de la
richesse, et que ce qui leur manque le plus, ce sont des
débouchés, des opportunités pour valoriser leurs
exploitations avec des prix rémunérateurs »55.
Ainsi, parler d'emploi pour la banlieue aujourd'hui, c'est
accélérer la vague migratoire vers les zones ciblées et
l'installation sauvage sur des sites non viabilisés, bref reproduire
à l'identique un phénomène dont on cherche à
juguler les méfaits après la survenance récurrente des
inondations. Par ailleurs, si la banlieue cristallise tous les maux de la
jeunesse, celle-ci n'en est pas moins nationale. Aussi proposer des solutions
jugées par beaucoup d'observateurs comme non globale, résiduelles
et surtout sectaires, est une approche qui peut être pernicieuse et plus
insidieuse qu'elle ne paraît. Pour Mamadou NDAO la lointaine, moyenne et
proche banlieue ne se limite pas seulement aux départements de Pikine,
Guédiawaye et Rufisque. En fait la plupart des régions du
Sénégal (Tambacounda, Matam, Kolda...) pourraient être
assimilées à la banlieue de
54 : Source : Recensement Général de la Population
et de l'Habitat du Sénégal, ANDS, 2002
55 - Mamadou Ndao dans : « Quand Wade se trompe de banlieue
» dans LeQuotidien du 25 Novembre 2008
Dakar en termes faiblesses d'équipement et
d'infrastructures sanitaires, scolaires, ou autres. A ce titre toute mesure qui
concerne les populations des trois départements ci-dessus cités
devrait aussi concerner ces régions car « tous les citoyens
sénégalais sont admissibles aux emplois publics sans autres
distinctions que celles de leurs vertus, de leurs talents »56
et de leurs compétences.
56 - Idem
Conclusion
Quelque soit la part de réalité, de
représentations voire de surestimation de l'exemplarité et de la
maturité du modèle sociopolitique sénégalais le
postulat qui fait de l'Etat du Sénégal l'exemple de
démocratie en Afrique est de plus en plus contesté. Abraham
Ehemba dit à ce sujet : « On exagère franchement le niveau
de notre démocratie. Nous avons cette propension à nous croire le
nombril de l'Afrique (...) Et pourtant... il suffit de nous débarrasser
un peu des enflures d'un « sénégalo-centrisme » pour
regarder de près nos fragilités économiques, nos
déficits et déficiences démocratiques ; nos anomies
politico-démocratiques sont encore réelles, à certains
endroits, béantes » (Ehemba, 2006). En effet, on peut affirmer au
terme de cette recherche que, depuis 2000 et malgré les apparences et
des représentations très ancrées, les principes de bonne
gouvernance et de transparence dans la gestion des affaires publiques, qui sont
l'apanage de tout Etat démocratique, sont foulés au pied les uns
après les autres au point que la stabilité du pays ne tienne plus
qu'à une étincelle qui mettrait le feu aux poudres. D'autant plus
que si pendant longtemps, les jeunes ont été
considérés comme la seule sinon la principale menace, les foyers
de tensions se sont multipliés ces dernières années. La
personnalisation du pouvoir avec toutes les dérives et les conflits
qu'elle engendre, ainsi que la pauvreté qui, à la faveur de la
récente crise économique va grandissant et concerne des effectifs
de population de plus en plus croissants, constituent aujourd'hui de grandes
menaces sur la stabilité du pays.
Comme nous l'avons signalé, la contestation sociale
n'est plus seulement l'affaire de l'opposition, des élèves, des
étudiants et des syndicats. Le mécontentement social, politique
et économique auquel toutes les franges de la population du
Sénégal sont confrontées a bel et bien engendré de
nouveaux comportements. La détermination avec laquelle les populations,
à la faveur de la crise économique et de ses avatars organisent,
mènent les mouvements de protestation et occupent les rues qui depuis
semblent être leur principal espace d'expression, tranche d'avec ce
qu'elle était avant 2000. Si avant cette échéance
électorale l'opposition par la capacité de mobilisation
de Wade, avec les étudiants, était à
l'origine de presque toutes les violentes manifestations politiques et
sociales, aujourd'hui celles-ci sont le fait de multiples et divers acteurs
sociaux, politiques et même religieux. En effet, même interdites
pour motif de troubles à l'ordre public par les autorités (ce qui
est d'ailleurs de plus en plus souvent le cas), les marches de protestations,
rassemblent des centaines de personnes issues des différents coins des
centres villes prétes à affronter les forces de l'ordre. Et
même si l'attitude des autorités publiques consiste à
chercher à justifier les violences sociales et politiques par
l'intervention de pays étrangers malveillants et/ou de mercenaires
à la solde de l'opposition, de nouveaux acteurs et de nouveaux
territoires se sont joints aux manifestations sociales qu'elles soient
pacifiques ou non. Des zones rurales aux centres urbains, des sphères
laïques aux milieux religieux (imams de Dakar), des jeunes aux vieux, le
mécontentement social va grandissant et les formes de protestation et
d'expression du mal vivre des populations se sont radicalisées. C'est
dans ce sens qu'il faut comprendre les émeutes de Kédougou ancien
département de la région de Tambacounda et la marche de
protestation des imams et chefs de quartiers de la banlieue de Dakar entre
autres. « Président, faut pas déconner sinon on va
déconner » telle était entre autres les mises en garde
adressées au chef de l'Etat dans l'une de ces manifestations.
Si les mises en garde sont adressées directement au
chef de l'Etat, c'est surtout parce que les populations ont le sentiment que
c'est lui qui décide de tout et qui est le plus à même de
trouver des solutions à leurs problèmes. Aussi, à la
faveur de la crise économique et du renchérissement du coût
de la vie qui ont fortement affecté et affaibli le pouvoir d'achat des
populations aggravant du même coup leur pauvreté, celles-ci se
sont tournées vers celui par qui elles espéraient
l'avènement du changement dans tous les domaines. Pour ce faire,
plusieurs programmes ont été mis en oeuvre pour pallier les
insuffisances de l'agriculture, réduire la très forte
dépendance des centres urbains (Dakar en particulier) aux importations
de riz et de blé et enfin, par la promotion de l'emploi des jeunes de la
banlieue dakaroise, de juguler ou tout au moins d'atténuer les effets de
la pauvreté et
118
de la paupérisation croissante. Mais pour l'heure, ces
différents programmes posent plus de problèmes qu'ils
prétendent en résoudre. Tandis que les paysans dénoncent
une vague de spoliation de leurs terres suite à ce que la presse nomme
la « boulimie foncière du régime wadien », les jeunes
des autres régions du Sénégal hormis Dakar s'estiment
victimes d'exclusion et de discrimination socio spatiale.
En fait les interrogations que se posent les populations c'est
entre autres : comment l'Etat peut-il prétendre résoudre les
problèmes de l'agriculture et de la dépendance alimentaire sans
les paysans ? Et comment les autorités publiques pensent-elles juguler
le chômage des jeunes en ne ciblant que ceux de la banlieue de Dakar
alors que dans les autres régions, Tambacounda par exemple, du fait de
l'inexistence d'un tissu industriel et de la faiblesse du secteur informel, les
jeunes y sont souvent plus exposés aux problèmes de la
pauvreté ? L'exemple de la violente manifestation de Kédougou qui
avait servi aux jeunes de cette localité de tribune pour interpeller les
autorités publiques sur le chômage endémique qui y
sévit. Aussi, confrontées à une situation de
pauvreté qui s'aggrave de jour en jour et ayant en face d'elles un
régime qui de par les politiques et les programmes qu'il met en oeuvre,
ne semble pas en mesure de faire face à une crise multiforme et à
ces retombées.
Si pendant quelques années l'émigration en
direction de l'Europe et des Etats-Unis d'Amérique a été
pour nombre de nombreux jeunes le seul moyen de s'extirper de la
dégradation de leurs conditions de vie et de l'absence de perspectives
d'avenir, la crise économique mondiale a amené ces pays à
renforcer les mesures pour endiguer les flux migratoires. Ce faisant, les
jeunes sont de plus en plus contraints de rester au pays et de faire face au
chômage, à la pauvreté, aux inégalités
sociales et à la non prise en charge par les pouvoirs publics des
problèmes auxquels la jeunesse est confrontée d'autant que le
secteur informel, malgré sa capacité de création
d'emplois, ne parvient pas à influer positivement sur
l'amélioration de leurs conditions de vie. La recrudescence de la
violence (40 meurtres entre décembre 2008 et mai 2009) dans les grands
centres urbains comme Dakar
est, pour de nombreux observateurs imputables à cet
état de fait. Une situation qui, avec la paupérisation des
campagnes où les systèmes agricoles sont complètement
déstructurés, favorise l'exode rural des jeunes, ne peut que
prendre des proportions de plus en plus inquiétantes.
Du coup le mécontentement social prend de l'ampleur et
de plus en plus de voix s'élèvent pour tirer la sonnette d'alarme
sur les risques de conflits et de troubles sociaux que les frustrations des
populations face à l'incapacité et aux agissements des pouvoirs
publics pourraient engendrer. Alors que certains parlent de nouvelle Casamance
dans les zones où la spoliation foncière se pose avec plus
d'acuité, d'autres n'hésitent tout simplement pas à parler
de risque de guerre civile en comparant la situation du pays à celle de
la Côte d'Ivoire avant la crise qui y sévit depuis plusieurs
années. Si la comparaison peut paraître quelque peu
exagérée, elle laisse entrevoir néanmoins l'ampleur des
conflits de pouvoirs et des inégalités sociales dans les
différentes régions du pays en particulier à Dakar et
à Tambacounda et entre elles.
En effet, entre 2000 et 2009, la majorité
présidentielle a multiplié les actes politiques et les calculs
politiciens qui ont favorisé le clientélisme politique, à
instaurer le népotisme étatique, l'exercice quasi monarchique du
pouvoir, le piétement de l'éthique politique et
démocratique, des luttes de pouvoirs avec les médias
privés et l'opposition et une collusion entre pouvoir et
confrérie religieuse au détriment d'une lutte véritable
contre la pauvreté et ses effets.
La très grande proximité du chef de l'Etat avec
le siège et les responsables de la confrérie mouride, si elle est
politiquement intéressée et « machiavéliquement
exploitée par le PDS »57 a engendré des
frustrations au niveau des autres confréries et confessions religieuses
autant qu'elle accroît les pouvoirs et l'influence de Touba et de son
marabout. Ce dernier use de plus en plus de son influente protection pour
intervenir en faveur de certains hommes politiques que Cissé kane Ndao
appelle des « transhumants
57 : Cissé Kane Ndao Walfadjri du 20 mai 2005
120
confrériques » pour l'obtention d'un poste de
responsabilité ou pour sa conservation. Cette immixtion du religieux sur
la scène politique et sur la gestion des affaires publiques
ajoutée à la puissance économique de la mouridiya favorise
l'émergence de voix qui s'élèvent pour réclamer une
plus grande islamisation de la société sénégalaise,
de ses institutions et de ses codes en particulier celui de la famille,
inspiré du modèle français, qui à leur avis,
devrait être plus conforme aux préceptes du coran. Une situation
qui sonne le glas d'une pacifique cohabitation interreligieuse et
inter-confrérique en méme temps qu'elle crée les
fondements d'une défiance dont on ne saurait prévoir la violence
des luttes d'influence et des conflits pour le contrôle du pouvoir d'une
probable République islamique. D'autant que l'extension des
réseaux religieux radicaux qui, par leur prosélytisme, leur
puissance financière et leur forte capacité de mobilisation
semblent chercher à pallier le « déclin de l'Etat comme
acteur central »58 surtout en Afrique subsaharienne.
La collusion entre le religieux et le temporel, la mal
gouvernance, la situation de la démocratie et les difficultés
socio économiques rencontrées par les populations qu'elles soient
de Dakar, de Tambacounda où de toute autre région du
Sénégal sont fortement médiatisées par les organes
de presse privés du fait de l'accaparement des médias publics
dont les programmes (partiaux, partisans et partiels) ont essentiellement pour
objectif de véhiculer une image aussi luisante que possible du chef de
l'Etat et du Sénégal. Mais, en ayant favorisé
l'émergence d'une presse privée qui est moins enclin à se
faire son chantre et qui cherche plutôt à privilégier la
diffusion d'une information « juste » qu'elle soit favorable ou non
aux pouvoirs publics et à son image, le président Wade,
considérant que celle-ci l'avait trahi, a instaurer un climat de fortes
tensions entre les deux entités. En effet, les relations entre les
médias privés et le régime de Wade sont si tendues qu'on
s'est imaginé que ces derniers pourraient, du fait des brimades et de la
violence dont ils sont victimes, bénéficier de la sympathie
58 - Rawane Mbaye cité par Bakary Sambe dans « Cheikh
El Hadji Malick Sy et l'islamisation du Sénégal (partie 2/2)
» novembre 2007
de la population qui par un soulèvement populaire
chercherait à les défendre, ou bien d'une alliance avec des
forces d'une opposition quelque peu radicaliste pour mettre un terme à
toutes ces tracasseries. Le fait est que, autant les populations que
l'opposition ont profité et continuent de profiter du foisonnement de
médias privés (presse écrite, radio,
télévision) pour avoir les moyens d'exprimer librement leur
colère, leur mécontentement leur mal vivre et le rejet du
régime en place. Aussi, il est aisé de supposer qu'elles ne
resteront pas spectatrices de la remise en cause de la liberté et de
l'embrigadement de la presse, de la liberté d'expression, mais aussi et
surtout de la liberté après l'expression. Dans tous les cas, les
luttes de pouvoir entre presse et autorités publiques se sont
multipliées depuis 2000 et la défiance entre les
différents acteurs qui s'accroît de jour en jour fait peser
beaucoup d'incertitudes sur la stabilité du pays.
Sur le plan politique, alors que l'opposition continue de
convier la coalition présidentielle à un dialogue où, de
concert, un diagnostic sera fait sur les problèmes sociaux, politiques
et économiques du pays, cette dernière se contente pour l'heure
de « déterrer les cadavres » du régime socialiste (voir
en annexe quelques extraits de la lettre réponse de Wade). Mais, en
ayant remporté les dernières élections locales et
régionales dans la partie Nord et Quest du pays (dont Dakar en
particulier) qui concentre plus de 70 % de la population, l'opposition n'entend
pas rester aphone. Bien au contraire. A la faveur des assises nationales qui
lui ont permis de faire un profond diagnostic du mal vivre des populations et
de la mal gouvernance érigée en principe de gestion, celle-ci
entend profiter de sa nouvelle légitimité pour continuer à
dénoncer les « dérives » du régime en place.
Aussi, ce que l'on craint, c'est que, du fait de l'absence de dialogue et de
concertation entre les différents responsables politiques, la
radicalisation des positions et les luttes de pouvoir entre les deux camps ne
se muent progressivement en confrontation et pire en affrontement partisan. Une
situation qui pourrait participer à une déstabilisation durable
du pays.
Par ailleurs, outre la personnalisation du pouvoir
dénoncée vigoureusement par la presse privée, on
prête de plus en plus au président
122
Wade des intentions de sa dévolution monarchique. Il se
susurre qu'il veut se faire succéder par son fils Karim d'où les
responsabilités croissantes qui lui sont confiées depuis 2000.
Apparu sur la scène publique et politique à la faveur de
l'élection de son père, Karim Wade a rapidement gravi les
échelons passant de conseiller à la présidence à
ministre en passant par la direction de l'ANOCI. Différentes
responsabilités qui selon les observateurs permettent à Karim
d'être initier à la gestion des affaires publiques pour
peut-être un jour lui succéder à la tête de l'Etat.
C'est dans ce sens, semble-t-il, qu'il faut interpréter sa
récente inscription sur les listes des candidats du PDS lors des
dernières élections locales municipales et régionales
alors que celui-ci avait créé un mouvement politique
parallèle au parti de son père et nommé «
génération du concret ». Toutefois, la cuisante
défaite de la majorité présidentielle lors des
élections de mars 2009 a semblé sonné, pour le
président Wade comme un désaveux ou tout au moins une mise en
garde quant à cette intention de « monarchiser » la gestion du
pouvoir en foulant au pied les principes de la démocratie qui veulent
que le peuple décident de qui doit le gouverner. Mais, même si le
président sénégalais Abdoulaye Wade, 82 ans, se
défend de promouvoir son fils Karim pour lui succéder, il a
relancé les spéculations et controverses en lui confiant un
ministère de premier plan. En devenant ministre d'Etat chargé de
la Coopération internationale, de l'aménagement du territoire,
des transports aériens et des infrastructures, Karim Wade, 40 ans, est
devenu le premier fils d'un président de la République à
faire partie d'un gouvernement au Sénégal.
En définitive, l'on peut affirmer que dans son histoire
récente, le Sénégal n'a jamais été aussi
proche de l'implosion sociale. Car comme nous l'avons évoqué et
montré, alors que les foyers de tensions sociales se multiplient, que
les populations envahissent les rues pour exprimer leur mal vivre et leurs
souffrances, les pouvoirs publics se claquemurent dans une logique où la
satisfaction des besoins des populations occupe la portion congrue. D'autant
que Wade et son gouvernement avaient été considérés
comme capables de prendre en charge l'amélioration des conditions de
vie
des sénégalais quelque soit leur appartenance
politique, sociale, religieuse et leur région de provenance.
Cependant, s'il reste vrai que la situation sociale est
tendue, s'il reste vrai que les manifestations et les violences sociales se
multiplient, il me semble qu'il existe encore au Sénégal un
certains nombre de « freins » socioculturels qui font que la
contestation sociale ne va pas au-delà des marches de protestation. Il
s'agit entre autres du métissage interethnique et interreligieux. En
effet, les crispations ethniques et les divergences religieuses, méme si
elles existent, on peut tout de méme affirmer qu'elles sont encore
fortement inhibées et occultées par une intégration
sociospatiale qui interdit toute forme d'embrasement social. La région
de Dakar qui semble la plus exposée est celle où quelque soit
leur appartenance ethnique et religieuse, les individus se sentent uniquement
sénégalais. Par ailleurs, même si, ils ont tendance
à disparaître, le fatalisme et la propension des
Sénégalais à toujours chercher le compromis (massla en
wolof) sont également, à mon avis, des valeurs qui
permettent, pour le moment, d'endiguer les risques et les menaces qui
pèsent sur la stabilité du pays. En outre, il me semble qu'il
manque aux sénégalais ce potentiel révolutionnaire qui
transforme tout mécontentement social en une vague de violence
déstabilisatrice de toute forme de stabilité sociale. Mais pour
combien de temps encore ?
D'autant que le président Wade affirme souvent qu'il
n'a pas encore trouvé, au Sénégal, quelqu'un capable de
lui succéder comme s'il lui appartenait de s'occuper, comme on le ferait
d'un héritage, de qui devrait diriger le pays après lui. Ludwig
von Mises écrit : « A la base de toutes les doctrines totalitaires
se trouve la croyance que les gouvernants sont plus sages et d'un esprit plus
élevé que leurs sujets, qu'ils savent donc mieux qu'eux ce qui
leur est profitable ». Considéré par ses proches comme celui
sans qui le Sénégal ne saurait se construire un avenir
florissant, Wade se sentirai-il irremplaçable ? Et le cas
échéant, et malgré leur pacifisme et leur fatalisme les
sénégalais se laisseront-ils faire ? Une chose est sure c'est
qu'en Afrique, la plupart des vagues de violences sont consécutives
à un
124
processus électoral comme cela était le cas
récemment au Kenya, en Ethiopie, en Côte d'Ivoire, au Madagascar.
Les élections présidentielles de 2012 au Sénégal
pourraient peut-être permettre d'en voir plus clair surtout si Wade
insiste dans son désir de se faire succéder par son fils.
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édition du Jaguar, 2000
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128
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www.critik.com
www.sudoline.sn
www.Lequotidien.sn
www.nouvelhorizon-senegal.com
www.continentpremier.com
www.seneweb.com
www.xibar.net
www.ferloo.com
www.walf.sn
www.worldbank.org
www.satistique-mondiale.com
www.CIAWorldfactbook
www.Senegal-statistique-mondiale.com
129
GLOSSAIRE
(Mot en wolof dans le texte)
Dieuf dieul : tirer profit de son labeur, son travail
Bour sine : roi du sine
Gamou : pélérinage confrérique
Goorgoorlou : littéralement faire l'homme, vivre de la
débrouille
Gorgui : le vieux
Leeral askan wi: éclairer le people, la population, la
nation
Louma : marché hebdomadaire
Massla : propension à toujours chercher le compromis
et à éviter l'escalade Sama mame : mon grand père
Siaara : visite rendue au marabout ou pèlerinage au
siège d'une confrérie Talibé : disciple ou
mendiant
Xar matt: littéralement, fendre du bois, dans le
texte, avoir des activités
parallèles
ANNEXES LE SENEGAL EN QUELQUES CHIFFRES
Superficie : 196 190 km2
********************
Population (estimation 2009) : 13 711 597 habitants
Densité de population (2009) : 69,8 hab/km2
Proportion de la population âgée de moins de 15 ans
(2008) : 41,9 % Proportion de la population âgée de plus de 64 ans
(2008) : 3,0 % Espérance de vie (2009) : 59 ans
Proportion de la population urbaine (2008) : 42,3 %
Taux de fécondité (2009) : 4,95
Taux de natalité (2009) : 36,84 %0
Taux de mortalité (2008 : 10,72 %0
Taux d'accroissement naturel (2008) : 2,58 %
Taux de mortalité infantile (2008) : 58,93 %o
Taux de mortalité des moins de 5 ans : 116 %o
********************
PIB en millions de dollars US courants (2007) : 10.151
PIB en dollars US courants valeur PPA (2007) : 1700 par habitant
PNB en dollars US courants (2008): 20, 6 milliards
Taux de croissance annuelle (2006) : 3,3 %
Source: CIA World Factbook (Version du
16 Mai 2008) et Sénégal-statistiques-mondiales.com10 - Sources :
Agence Nationale de Statistique du Sénégal ; encyclopédie
Universalis ; Encarta 2007 ; CIA's World Fact Book 2002 ; Institut de Recherche
pour le Développement (IRD) ; Sénégal-online
131
Part dans les importations mondiales (2006) : 0,03 % Par dans les
exportations mondiales (2006) : 0,01 % Dépenses militaires en % du PIB
(2008) : 1,9 %
Dépenses en éducation en pourcentage du PIB
(2006) : 5 % Consommation d'électricité en kwh /habitant (2004) :
176 Population ayant accès à l'électricité (2000) :
32 %
*******************
Pourcentage de la population sous alimentée (2004) : 20
%
Taux de chômage (2007) : 48 %
Taux d'alphabétisation 15 ans et plus (2007) : 42,6 %
Nombre de lignes de téléphones fixes pour 1000
habitants (2006) : 23 Nombre de lignes de téléphones mobiles pour
1000 habitants (2007) : 320 Utilisateurs d'internet pour 1000 habitants (2006)
: 54
Nombre de postes de télévision pour 1000 habitants
(2001) : 77
Chronique de Souleymane Jules Diop ancien conseiller en
communication de l'ancien premier ministre de Wade,
Idrissa Seck
Les ennemis du président
Souleymane Jules Diop Jeudi 13 Aoû 2009
« Voici venir le crépuscule. L'heure grave où
l'on rend les comptes »
Michaïl BOULGAKOV
Il arrive à ce pays une étrangeté dont il
ne faudrait pas se réjouir, encore moins se féliciter. La
nomination de ministres pendant les vacances gouvernementales, les menaces
contre des marabouts, les injures infâmes adressées à
l'opposition forcent à une seule et même chose. Si Abdoulaye Wade
fait toujours la preuve qu'il entend jouir de tous ses pouvoirs, il n'en est
pas de même pour ce qui est de ses facultés mentales. Quelle
qu'effroyable qu'elle puisse être, nous devons nous soumettre à
cette conclusion et assumer qu'à la tête de ce pays jadis
distingué par l'intelligence de ses hommes, se trouve désormais
un vieillard gâteux. Un homme d'Etat qui s'attribue les biens de son
pays, lui impose une hypothèque sur 1200 ans n'est déjà
plus un homme. Je me suis soumis à cette évidence en voyant le
président de la République fermement debout dans son boubou pour
sacrer le monument sensé immortaliser sa propre bêtise et en faire
témoignage aux générations futures. L'homme drapé
contre les vents et les marées -je parle de l'autre-, la poitrine bien
sortie et les abdominaux saillants, le rendait fier de sa copie. Mais
regardez-le bien. Il n'a pas de tête. Je me suis demandé si les
Coréens, sarcastiques à souhait, ne lui ont pas enlevé
cette extrémité précieuse pour dire au Descartes de
Kébémer, le père du « je prends, donc je suis »,
propriétaire intellectuel de cette doublure honteuse : « monsieur,
regardez-vous bien, vous n'avez pas toute votre tête ».
La semaine dernière, il a pris son
téléphone pour exiger de son ministre de la Communication,
l'engagement de tous les moyens de l'Etat dans la bataille contre une photo
représentant sa statue sur Internet. Le président Abdoulaye Wade
a lui-même pourchassé la photo avec son équipe
d'informaticiens, jusqu'à la localiser dans un coin de la planète
virtuelle. Il reproche à cette statue refaite une trop grande
ressemblance, ce qui nous a valu un communiqué du gouvernement et un
mandat d'arrêt de diffusion international. Voilà à quoi est
réduit le Sénégal, à traquer des images virtuelles,
après avoir établi la censure systématique, comme l'ont si
bien souligné mes amis de Sud quotidien. Quand il n'est pas en guerre
contre les images virtuelles, Abdoulaye Wade
133
consacre l'essentiel de son effort à son combat contre
ses ennemis virtuels. Jacques Diouf est pressenti pour se présenter en
2012, il lui consacre une longue campagne de calomnies à
l'échelle internationale ; Amadou Moctar Mbow est présenté
comme le potentiel candidat à une transition démocratique, il
invite tous les cadres de son parti à lui réserver la
totalité de leurs injures ; Ousmane Tanor Dieng est
déclaré candidat, il sort tous les cadavres que lui avait
laissés le Parti socialiste et ceux qu'il a lui-même placés
dans les tiroirs. L'ADM finance les municipalités, il adresse une lettre
aux responsables de la Banque mondiale pour les accuser de financer ses «
ennemis ». Une véritable industrie de la guerre s'est
développée autour de cet idéal autocratique. Elle fait
vivre des centaines de mercenaires qui débusquent tous les jours les
« ennemis du président » pour les mater sans pitié.
Cette comédie pitoyable n'est pas le signe d'une
nervosité mal contenue. C'est le signe que le mégalomane est pris
de folie et n'a honte de rien. On se disait que le passage de Hillary Clinton
tout près de chez nous, au Cap-Vert, assoupirait au moins les
velléités guerrières d'Abdoulaye Wade. C'est le moment
qu'il a choisi pour pondre cette lettre scandaleuse qui ferait tomber n'importe
quel chef d'Etat de son fauteuil.
Tout cela se fait sur fond de décisions
irréfléchies. Il relève un ministre de ses fonctions, mais
c'est pour s'empresser de le renommer le lendemain. Il relève le
ministre de la Culture de ses fonctions, le nomme une semaine plus tard
ministre d'Etat chargé d'un festival. Il prend une direction à un
ministre, la lui rend le lendemain avec des excuses officielles. Le remaniement
d'il y a six mois se poursuit encore, avec la nomination d'Innocence Ntap,
redevenue ministre d'Etat au bout de 20 minutes d'audience. Pour couronner le
tout, il sort du dernier Conseil des ministres avec cette décision
étonnante de s'octroyer un mois de vacances quand ses ministres sont
limités à une semaine. Le génie infatigable a-t-il enfin
abandonné ses prétentions surhumaines ?
Nous n'assistons pas à une ambiance de fin de
règne. Pire encore, nous assistons à une ambiance de fin de vie,
sans que nous osions nous poser la question qui s'imposera à nous comme
une réalité : qu'adviendra-t-il de nous tous ? Vont-ils, comme
s'y préparent déjà les libéraux, se diviser en
milices rivales et se combattre rageusement, avec des chefs de guerre de la
trempe de Clédor Sène ; vont-ils laisser un ancien poissonnier et
repris de Justice devenir notre président de la République par
intérim ; ou alors, au nom des intérêts du clan, vont-ils
tenir Pape Diop en respect et imposer Karim Wade à la tête du pays
?
Il semble que Viviane Wade soit la seule à avoir
vraiment pris la mesure de la situation. Elle s'est arrogée une bonne
partie des prérogatives présidentielles et ne rend compte
qu'à sa propre personne. Quand Abdoulaye Wade nomme
au gouvernement, elle nomme. Quand il nomme dans le parti,
elle nomme. Au point qu'il y a au palais de la République un
gouvernement de ministres conseillers et de ministres d'Etat de la méme
taille que celui de Souleymane Ndéné Ndiaye, prêts à
agir. Les plumitifs engagés par le palais de la République
promettent de s'y mettre, de sorte qu'au retour des vacances gouvernementales,
il ne reste de ce « Jules »que sa mairie de Guinguineo. « On
l'avait pris pour un roseau, c'est un chéne. Il ne plie pas »,
confient ceux qui assistent aux misères que lui cause le camp de Viviane
Wade, déterminée à imposer son fils. Quel que soit le bout
par lequel on la prend, la situation est assez grave pour nous obliger à
l'action. Le président Lamine Diack l'a exprimé mieux que moi, en
des termes qui inspirent le respect. Il nous faut agir ou périr.
Auteur: Souleymane Jules Diop
135
Sen24heures.com
: Vendredi 31 Juillet 2009
Dialogue politique : Wade crache le feu sur
l'opposition
Dans sa réponse à la lettre de
l'opposition, le Chef de l'Etat n'a pas fait dans la dentelle. Il fait le
procès de l'opposition en des termes peu diplomatiques. Le ton et le
contenu de sa missive vont-ils consacrer l'enterrement de première
classe d'un dialogue politique qui a du mal à démarrer ou
s'agit-il juste de la surenchère ?
Le Président Abdoulaye Wade a trempé sa plume
dans du vitriol pour répondre à la lettre de Benno siggil
Sénégal sur le dialogue politique. Dans sa lettre réponse
datée du 29 juillet dernier, le Chef de l'Etat déterre des
cadavres et fait le procès du régime socialiste et de certains
qui avaient réalisé avec lui l'alternance, avant de le quitter,
et qui traîneraient des casseroles.
D'emblée il souligne : « J'accuse réception
de votre lettre n° 002/888 du 27 juillet 2009 et m'empresse de vous dire
que je ne vois aucune objection à soumettre les questions que vous
évoquez à une structure appropriée, désignée
d'un commun accord, à la seule condition du respect de la loi ; le
contraire ne pouvant être demandé au Président de la
République dont la mission principale est de respecter et de faire
respecter les lois, conformément à son serment. » Il
précise : « A la même instance, sera soumis l'examen de la
liste des faits survenus sous le régime socialiste ou commis par l'un ou
l'autre des vôtres pendant l'alternance alors qu'il exerçait des
fonctions ministérielles.
L'exercice auquel vous nous conviez ayant manifestement pour
but de faire le procès du régime de l'alternance, la logique de
la chronologie des faits et du parallélisme des formes exige qu'on
fasse, sur la méme lancée, celui du régime socialiste.
8ans tenir compte, dans un cas comme dans l'autre, de la notion de prescription
et en commençant logiquement par les faits les plus anciens. » Pour
étayer son propos Abdoulaye wade cite quelques exemples :
1. La mort du Commissaire Sadibou Ndiaye jeté du haut de
la mamelle du phare alors qu'il sortait de la Présidence de la
République,
2. Affaire Babacar Sèye : faudrait-il vous le
rappeler, cette affaire a été instruite et jugée
définitivement par le régime socialiste avant l'alternance. Y
aurait-il une complicité du régime socialiste qui aurait
caché certains éléments à la Justice ?
Avant de rejuger des citoyens qui ont été
jugés contradictoirement et mis hors de cause, il serait plus logique de
juger ceux qui, bien que mis en cause dans l'enquête et l'instruction
n'ont jamais été convoqués devant la justice à
cause de la protection dont ils jouissaient à l'époque.
Après seulement, si ce nouvel examen de l'affaire ne conduit pas aux
commanditaires, on parlerait
136
de "rejuger", c'est-à-dire remettre en cause des
décisions de justice passées en force de chose jugée pour
des faits frappés par la loi d'amnistie,
3. Sacrifices humains pour le pouvoir, consistant à
capturer deux jeunes filles Albinos et à les enterrer vivantes,
4. Encaissement de chèques dans des comptes personnels
à l'occasion de la construction de l'Hôtel Méridien
Président,
5. Détournements de fonds au niveau du Secrétariat
de la Présidence, à l'occasion de l'organisation de l'QGI en
1991,
6. Encaissement d'argent dans des comptes personnels à
l'occasion du Premier Festival Mondial des Arts Nègres à
Dakar,
7. Vente de permis d'amodiation après attribution de
milliers, d'hectares dans le Goudiry/Kidira à un camarade chargé
de les monnayer,
8. Encaissement d'espèces versées pour l'obtention
de permis de coupe par ceux-là même qui étaient
chargés de protéger l'environnement,
9. Ventes illicites de terrains à l'aéroport par
un Ministre,
10. Transferts à l'étranger de fonds par des
ministres pour des montants sans rapport avec leurs revenus
réguliers,
11. Transfert de 30 milliards de francs CFA à
l'étranger selon des journaux de la Place, sans démenti,
dénoncé à l'époque par la Banque Mondiale,
12. Détournement de billets de banques adirés,
retirés de la circulation et prétendument
incinérés,
13. Ventes illicites de licences de pêche (navires
russes) pour des sommes encaissées dans des comptes personnels ouverts
dans une banque de la place,
14. Détournement de drogue saisie et destinée
à l'incinération qui fut simplement simulée,
15. Vente et trafic de passeports diplomatiques,
16. Affaires des bateaux Swift-Seagal et Adel Korban,
17. Accaparement et détournement de villas appartenant
à l'Etat à Dakar-Plateau et Fann-Résidence,
18. Bradage et spoliation d'une bonne partie du Foncier
Sénégalais avant 2000,
19.
Encaissement d'un chèque de 680 millions CFA par le
Secrétaire Général de la Présidence alors que le
pouvoir avait changé de main, dans les heures qui ont suivi la
proclamation des résultats de l'élection présidentielle de
2000 et avant la passation de service,
20. Morts non élucidés par refus d'enquête
par le pouvoir de l'époque, ce qui les rend non prescrits pendant toute
la durée du régime.
Pour élucider tout cela, le Président Abdoulaye
Wade pose des préalables :
Vous nous remettrez un document signé personnellement
par les leaders de votre groupe et tous nos homologues du régime
socialiste que nous avons remplacés déclarant que votre
initiative les engage et ce, en raison des responsabilités individuelles
que pourrait entraîner votre initiative, engagement de renoncer à
toute forme de prescription des faits évoqués, Nous vous laissons
le choix de l'instance qui va prendre connaissance de tous les faits et
apprécier car, de toute évidence, vous ne pouvez pas être
juge et partie. Dès que vous le voudrez, nous commencerons l'examen des
questions articulées dans l'ordre chronologique. Nous devrons
décider d'un commun accord de ce qu'il faudra faire des résultats
de l'enquête.
Toutes les autres questions que vous évoquez
relèvent de la gestion gouvernementale dont nous répondons
régulièrement devant le Peuple ou ses Représentants
à l'occasion d'échéances électorales et de
débats parlementaires libres. Toutefois, nous sommes prêts,
parallèlement à l'examen des faits articulés d'un
côté et de l'autre, à participer avec vous, à un
débat public contradictoire.
Nous avons toujours pensé que nos échanges
devraient s'inscrire dans le cadre du fonctionnement normal de la
démocratie avec un pouvoir qui exerce les responsabilités qui lui
ont été confiées par le Peuple Sénégalais et
une opposition qui s'oppose tout en aspirant au pouvoir. Ce souci a
inspiré les dispositions que nous avons fait insérer dans la
Constitution, consacrant l'opposition comme l'alter ego du Gouvernement et
instituant le Chef de l'Opposition.
Mon action politique a toujours été
irriguée par le souci de préserver l'interaction entre ces deux
rouages de la démocratie, pouvoir et opposition, sans qu'il puisse y
avoir une confusion dans les deux rôles. Je constate malheureusement que
trop souvent vous avez la déplorable propension à vouloir dicter
au Gouvernement ce qu'il a à faire au lieu de vous borner à faire
des critiques comme vous l'autorisent la Constitution et les Lois. » Selon
nos informations, le Chef de l'Etat semble particulièrement
irrité par le passage de la lettre de l'opposition rappelant
l'assassinat de Me Babacar Sèye.
Le dialogue politique est-il mort né ? Auteur:
www.sen24heures.com
138
TENTATIVE de musellement: Wade perd son combat contre la
presse - Wade, un casseur d'entreprises
- L'acharnement fiscal, une arme
libérale
- Corruption, brimades et prisons pour museler la
presse
XIBAR.NET (Dakar, 25 Aout 2009)
Dès la fin de la période sabbatique, qui a suivi son
élection à la présidence de la République,
Abdoulaye Wade s'en prendra aux journalistes, qu'il considère comme ses
vrais opposants ou les bras armés de ses adversaires politiques ; voire
leurs porte-voix. Lui, qui opposant avait ses journaux, brisera des groupes de
presse, donnera des leçons aux journalistes. Il les rabrouera et
laissera emprisonner. Mais, la presse et debout plus que jamais. Elle exploite
un nouveau créneau, qui pose déjà problème aux
« général » libéral.
Me Wade, un casseur d'entreprises
Dans son combat contre la presse privée, qui refusait
de lui servir d'instrument de propagande, Me Wade commencera par s'attaquer
contre le groupe du trio gagnant : le Groupe Com 7, qui éditait trois
quotidiens (Le Populaire, 7 Infos, Frasques) un hebdomadaire (Week-End) et qui
avait une imprimerie rotative. Il passera par le maillon le plus faible de la
chaîne, Bara Tall, pour disloquer le groupe. Entrepreneur, ce
polytechnicien s'était trop approché des grâces du pouvoir.
Il se plaisait à assumer son amitié avec le fils du
président, Karim. Le président le mettra en relation avec son
ami, Pierre Aïm. Les deux affronteront l'un des trois actionnaires et
fondateurs du groupe Com 7, qui avait opté de n'enfiler un autre habit
que celui d'opérateur économique. Leur troisième
associé, le musicien Youssou Ndour, découragé par la
tournure que prenait les évènements, préfèrera
concentrer son attention et son énergie pour le succès de son
propre groupe de presse : « Futurs médias ». Cependant, c'est
comme si Me Wade avait coupé la tête d'une hydre : d'autres
têtes ont germé et en plus grand nombre suite à ce
«hold-up médiatique : L'Obervateur, L'Office, L'As, Station One et
récemment L'Essentiel, « le magazine politique qui effraie le plus
le régime », comme on le décrit et qui a été
interdit de parution par arrêté ministériel, ont jailli des
cendres du Groupe Com 7 ; sans compter la radio Futurs médias, etc.
Acte 2 :
Me Wade marchera sur le Groupe Sud, qui a sa radio (Sud Fm) et
son journal (Sud Quotidien). Il commence par une opération de charme, en
nommant l'une des chevilles ouvrières du groupe, Chérif El Valid
Sèye, son conseiller en communication. Les nouvelles autorités
chercheront, par le biais de La Poste à ferrer l'un des dirigeants du
groupe, Abdou Latif Coulibaly, en affectant un marché à son
épouse. Mais, l'ouvrage qu'il publiera par la suite, « Wade, un
opposant au pouvoir : l'alternance piègée » viendra
gâter les noces. En guise de représailles, M.Sèye sera
révoqué de son poste. Le Groupe sera
dépossédé du titre foncier qui lui avait été
attribué et sur la base duquel il négociait des prêts
auprès des banques de la place. Le groupe que dirige Babacar
Touré est depuis lors à genoux. Suite à la diffusion d'une
interview qu'un des responsables du mouvement rebelle de la région de
Casamance avait accordée à un journaliste de la radio Sud Fm, la
station-mère sera occupée par les policiers, les employés
trouvés sur place acheminés au commissariat central et les
émissions de Suf Fm suspendues. Mais la mobilisation contre cette
injustice poussera le régime libéral à revenir en fin de
journée sur sa décision.
L'acharnement fiscal, une arme
libérale
Le groupe « Wal Fadjri » a eu aussi ses
démêlées avec le régime. Pour mâter ce groupe
qui appartient à Sidy Lamine Niasse, on tentera de brûler, de
nuit, ses locaux. Puis, suivront des contraintes fiscales. Le signal de la
télévision qui devait compléter la radio et le quotidien
de Wal Fadjri tardera à être accordé à M. Niasse.
Les insultes qu'il profèrera, par la suite contre le secrétaire
général de l'Alliance des forces de progrès, Moustapha
Niasse, ont-ils été le prix à payer pour que le «
mollah » Sidy Lamine soit moins inquiété ? En tout cas, tout
heureux, il s'est livré dernièrement, avec caméras et
micros, au fils du président de la République, le ministre d'Etat
Karim Wade, qui était passé lui rendre visite. Utilisera-t-il les
mêmes canaux pour ne pas verser les taxes que lui réclame le
Bureau sénégalais du droit d'auteur (Bsda) ?
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Corruption, brimades et prisons pour museler la
presse
Le greffier de formation, Madiambal Diagne, devenu patron de
presse, après des articles publiés sous la plume du pseudonyme
Moussa Sarr dans les colonnes de Walf Quotidien, se taillera une place dans
l'espace médiatique ; grace à des moyens costauds derrière
lesquels d'aucuns voient la main de l'ancien Premier ministre Idrissa Seck.
Après « Le Quotidien », il lancera l'hebdomadaire «
Week-end », puis une radio proclamée « Première Fm
», qui a sombré. Elle fut sevrée de publicité,
après une passe d'armes entre Madiambal Diagne et le ministre
Thiérno LO suite à des millions que ce dernier avait obtenus de
la présidence pour le compte du premier nommé. Madiambal sera
accusé de tentatives de troubles à l'ordre public. Il
connaîtra la prison, tout comme le Directeur de « L'Office »,
Moustapha Sow, dont le « crime » était d'avoir
étalé au grand jour les agissements et « surfacturations
» dans les « chantiers de Thiès ». Mais, en dépit
de son « amitié » avec Karim et de ses entrées d'antan
au palais de la République, Bara Tall prendra la relève de
Moustapha Sow à la Maison d'arrêt et de correction de Rebeuss. Le
journaliste et directeur de 24 H Chrono, El Malick Seck, sera également
condamné et emprisonné avant d'être gracié par le
chef de l'Etat. Les locaux de son journal et celui de L'As seront
saccagés par des nervis à la solde d'un ancien ministre du
régime libéral, Farba Senghor.
Aujourd'hui, l'Etat refuse, toujours, de délivrer
à Yossou Ndour le signal pour sa télévision ; prête
à diffuser depuis près d'un an. Ce qui est injuste. Pour des
intérêts particuliers des libéraux, doit-on bloquer un
projet porteur d'emplois et orienté vers l'information et
l'éducation des populations ? La démocratie rime avec la
diversité. Mais, Me Wade qui prOne cette valeur et cette exigence
républicaines semble l'avoir oublié. Il essaie d'arrêter la
mer avec ses bras. Combat vain d'autant que s'il peut faire des embuscades
contre les journaux, radios et télévisions, il ne pourra que se
résigner devant les journaux en ligne. Pour preuve, l'entretien que le
journaliste et écrivain Abdou Latif Coulibaly avait accordé au
confrère Pape Alé Niang, suite à la parution du dernier
livre de celui-ci, « Contes et mécomptes de l'Anoci » est
depuis sur la toile; malgré la décision de censure prise par son
patron à 2S Tv, Elhadj Ndiaye. Parallèlement, la presse
écrite continue à se développer au Sénégal,
tout comme les sites et blogs. C'est dire que Me Wade n'a pas tort de
prédire que c'est la presse qui fera sa perte. Il n'a pas si tort, parce
que la presse relayant objectivement les faits et actes des gouvernants, les
dirigeants qui s'écartent de la bonne gouvernance, de la transparence et
de la justice ne peuvent que trembler. Qui se sent morveux, se mouche.
La Rédaction Mardi 25 Août 2009
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