I.2. Problématique spécifique
La Guinée à sa sortie de la colonisation
française en 1958, s'est placée dans une logique
particulière de développement pour améliorer les
conditions de vie des citoyens. Le jeune Etat, manquait de moyens pour
construire des infrastructures de base, de stratégies politiques et
d'institutions adéquates qui peuvent répondre efficacement aux
besoins de la population qualitativement et quantitativement. Celles
héritées de la colonisation ne pouvaient s'adapter durablement
aux conditions changeantes du nouvel Etat indépendant. La Guinée
opta alors, pour un régime socialiste révolutionnaire, où
l'essentiel des forces économiques étaient basées sur la
production collective des biens et services. La politique de
développement en général, et celui local en particulier,
était dictée par l'administration centrale au sommet pour
être exécutée à la base.
Dans sa politique de développement
socio-économique, le PDG a accordé une place prioritaire à
l'agriculture qui a été considérée comme la pierre
angulaire de la croissance. C'est ainsi qu'une place centrale a
été accordée aux organisations paysannes. Ce faisant en
1975, furent créées les fermes agropastorales d'arrondissement
(FAPA). Il est vrai qu'il existait des organisations paysannes mais les FAPA
constituaient une innovation qui faisait d'elles des entreprises agricoles
devant absorber la masse d'étudiants formés dans les
facultés d'agronomie ouvertes dans toutes les préfectures. En
effet, l'administration était devenue pléthorique et avait du mal
à absorber les nouveaux diplômés. Les FAPA constituaient
alors un cadre d'absorption de ces diplômés qui devaient en
rapport avec les populations rurales, assurer le développement agricole
en vue de l'autosuffisance alimentaire. L'Etat a alors mis à la
disposition des FAPA les moyens matériels et humains pour
l'accomplissement de leurs objectifs. Malheureusement, les résultats
tant souhaités par l'Etat ne furent pas atteints. Les FAPA
s'acheminèrent vers un échec.
Cette situation était due, contrairement à ce
que certains perçoivent comme un manque de patriotisme des acteurs
impliqués, au fait que le projet a été conçu par le
gouvernement alors que les populations à la base n'avaient pas
été associées. C'est ce que les sociologues appellent
« participation-acceptation » ce qui veut dire que le
projet est conçu là-haut et on demande de l'exécuter en
bas. Il y a alors acceptation mais ce n'est pas une véritable
participation (DIOUBATE, 2011).
La contribution de la population pour le développement
se limitait à la CDL (contribution au développement local) et la
norme de décapitation. Toutefois, la population à la base
était associée à la gestion du territoire à travers
les pouvoirs locaux : les PRL (pouvoir révolutionnaire local) et
les arrondissements. Mais contrairement à ce que les mots font entendre,
ces pouvoirs, ne disposant pas d'autonomie de gestion, constituaient des moyens
voire des outils à la disposition du pouvoir central pour
l'exécution des décisions prises au sommet de l'Etat.
Après l'avènement du 3 Avril 1984, les nouvelles autorités
se sont lancées dans un programme de développement
général avec un nouveau régime libéral. Mais dans
un contexte international qui a caractérisé les années
1980 de l'histoire africaine, où selon BAJEDDI, (2002) « les
avancés de la démocratie et la généralisation dans
tous les pays en voie de développement de politiques de stabilisation
macro-économique et d'ajustement structurel, ont mis à l'ordre du
jour un retrait massif de l'Etat, qui prend trois formes principales:
privatisation, dérégulation et
décentralisation ».
La Guinée, à l'instar des autres pays africains,
s'est pliée aux exigences des institutions de Brettons Woods et a mis en
place des reformes dont le Plan d'Ajustement Structurel (PAS), qui transforme
la politique économique par la privatisation des entreprise de l'Etat et
la réduction des dépenses publiques, notamment par la
réduction des effectifs de la fonction publique. Parmi ces programmes,
celui qui concerne directement le milieu rural est la décentralisation,
qui consiste à partager les pouvoirs entre le niveau central (l'Etat) et
les niveaux territoriaux de base : les collectivités territoriales
décentralisées à savoir les communes urbaines et les
communautés rurales de développement qui seront dotées de
personnalité morale et de l'autonomie financière. Ce processus a
commencé en 1986 et s'est consolidé en 1992 avec la mise en place
de toutes les collectivités décentralisées ou locales.
Soit trente et huit CU (communes urbaines) et trois cents quatre CRD
(communautés rurales de développement (devenues aujourd'hui
communes rurales), 270 quartiers et 1700 districts (SOUARE et al, 2010) dont
celle de Koumban et ses 5 districts.
Cette politique a pour objectif de faire participer les
populations à la base à la prise des décisions, la
conception et l'exécution des programmes de développement de
leurs localités. C'est le principe du développement local
participatif ou communautaire qui est selon PASQUERO, cité par (SOUARE
et al, 2010), un processus par lequel les membres d'une communauté
locale prennent progressivement, la responsabilité de la croissance et
du devenir de leur communauté et entreprennent, de façon
planifiée et concertée, diverses activités facilitant
l'atteinte de leurs objectifs.
L'Etat guinéen a initié des programmes comme le
PACV pour assister les communautés villageoises dans leur
stratégie de développement. Depuis 2000 (date de sa
création), le PACV appuie les communes rurales dans la prise en charge
de leur développement local en améliorant la compréhension
des textes législatifs et réglementaires sur la
décentralisation, ensuite en fournissant des outils
méthodologiques facilitant l'action des communautés
décentralisées et enfin, en procurant des fonds pour le
financement des microréalisations des CR ciblées. Au cours de la
première phase d'intervention (2000-2007), un peu plus de 1000 micros
projets, majoritairement dans le secteur de la santé, de
l'approvisionnement en eau et de l'éducation, ont été
réalisés par les 159 CR impliquées dans le programme
(PACV, 2009).
La Phase II du PACV se veut maintenant un moyen
d'accroître la couverture géographique du programme sur toute
l'étendue du territoire national, et d'améliorer les
opportunités de financement dont les CR peuvent
bénéficier. Dans ce cadre, le Fonds pour l'Environnement Mondial
- FEM [Global Enviroment Facility - GEM], a conçu deux projets, le
Projet de Gestion Côtière et Maritime de la Biodiversité
(PGCMB) et le Projet de Gestion Communautaire des Terres (PGCT), qui visent
à soutenir les actions des CR en matière de conservation de la
biodiversité et des écosystèmes. Au cours des prochaines
années, ces deux programmes seront donc exécutés à
titre expérimental (phase pilote) dans un certain nombre de CR
visées. (PACV, 2011).
Cependant, après plus deux décennies
d'expérience, la politique guinéenne de décentralisation
pour un développement participatif semble être confrontée
à un certain nombre de problèmes au rang desquels, nous avons la
faible participation des populations au processus de développement
local. Cette faible participation est observable chez les jeunes tout comme
chez les femmes. Elle est remarquable notamment dans la prise de
décisions et la gestion des affaires locales. La contribution des
communautés au processus du développement en Guinée est
limitée en raison d'une diversité d'obstacles sociaux,
économiques, culturels, juridiques.... Par exemple, il est maintenant
admis que le fait d'avoir négligé le rôle de la femme dans
le secteur agricole est en partie, à l'origine des difficultés de
production alimentaire en Guinée'' (DIOUBATE, 2003).
De ce fait, malgré les résultats positifs
enregistrés, force est de constater que la politique guinéenne de
décentralisation et de participation des populations au
développement est loin d'atteindre les objectifs assignés surtout
en matière de développement local. Cet état de fait
maintient encore le pays dans une situation de pauvreté.
La Haute et la Moyenne Guinée en sont les régions les
plus affectées, aussi bien en terme monétaire qu'en termes
d'indice de développement humain (IDH). Les conditions
économiques, sociales et sanitaires y sont des plus préoccupantes
(Banque Mondiale, 1997). Et cette pauvreté est en grande partie un
phénomène rural.
Le profil de la pauvreté dressé à l'issu
de l'EIBC avait classé la Haute Guinée, constituée de la
région administrative de Kankan et des préfectures de Faranah,
Dabola et Dinguiraye, comme la plus pauvre du pays, avec 62% des populations
vivant en dessous du seuil de pauvreté absolue et près de 23%
dans l'extrême pauvreté. 21% de la population rurale de la
région se trouvent dans le quintile des plus pauvres, contre 27%
à Faranah et 14% à Mamou. L'état de la pauvreté
dans la région est surtout marqué par l'étendue et la
persistance des problèmes alimentaires. Plus de 40% des ménages
ont souvent, sinon toujours, des difficultés à satisfaire leurs
besoins alimentaires. A cela il faut ajouter que 85% sont dans des conditions
d'urbanisation et d'habitat dérisoires, à l'image même de
la ville de Kankan, chef-lieu de la région administrative. (MEFP,
2006).
Située au coeur de la région de la Haute
Guinée, la préfecture de Kankan compte douze Communes rurales
dont celle de Koumban, une localité proche du centre ville à
environ 36 Km. Cette CR regorge d'importantes potentialités humaines et
naturelles de par sa position géographique et stratégique,
favorables pour une communauté épanouie et un
développement réussi. Cependant, après plus de deux
décennies d'expériences dans la politique de
décentralisation, la CR de Koumban reste confrontée aux
problèmes de développement bien que disposant d'un potentiel
important de ressources naturelles et d'une population exerçant diverses
activités socio-économiques. En dépit de la
présence de projets et d'ONG de développement opérant dans
la localité, Koumban reste l'une des plus pauvres de la région
administrative de Kankan.
Le manque de transparence et le phénomène
d'exclusion dans la gestion des affaires administratives plus
précisément la gestion des ressources financières,
l'analphabétisme qui frappe une frange importante de la population,
l'insuffisance des appuis techniques aux structures
décentralisées et le manque d'informations sont autant de
facettes du problème de développement de la CR .
Ainsi, si on parle dans les discours politiques de la faible
participation des populations au développement local, il faut
reconnaître qu'aucune étude systématique n'a
été menée pour diagnostiquer cette situation. Les
données qualitatives et quantitatives manquent sur les perceptions, les
représentations et le niveau de participation des différentes
catégories sociales (hommes, femmes et jeunes) dans l'élaboration
des plans de développement, leur mise en oeuvre et le
suivi-évaluation.
C'est pour combler ce vide et comprendre le processus du
développement que nous entendons mener cette étude. C'est ce qui
nous amène à nous poser la question de recherche suivante :
Quelle est la participation de la population de la CR de Koumban à
son développement local ?
Pour répondre à cette question, la
théorie de la décentralisation et celle du développement
local participatif nous ont servi de sources d'inspiration. La théorie
de la décentralisation part du principe que pour amorcer un
développement local participatif, il faut accorder un certain pouvoir
aux collectivités locales reconnues par la constitution ou par la loi
(DIENG, cité par Camara 2007). Dans la même trajectoire, la
théorie du développement local participatif insiste sur
l'importance de la participation et de la responsabilisation effective des
populations dans toutes les actions de développement.
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