à‰thique et pratiques communicationnelles de l' Eglise catholique pour la pacification de l'espace public au Burkina Faso( Télécharger le fichier original )par Anicet Laurent QUENUM Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Maà®trise en sciences de l'information et de la communication 2003 |
CHAPITRE 3LE DEFI D'UNE CULTURE DE PAIX AU BURKINA FASO 3.1 La paix, produit d'une volonté politique................................................... 82 3.2 La culture de la paix : nul ne sera de trop !............................................. 84 3.3 Internet comme opportunité d'éducation à la paix ?............................. 84 3.3.1 Internet pour retisser large en faveur de la paix........................................ .84 3.3.2 Internet et les risques de déshumanisation................................................. .86 CONCLUSION GENERALE................................................................................... 89ANNEXES.............................................................................................................. 94BIBLIOGRAPHIE GENERALE.................................................................................. 102REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES.................................................................. .105 LEXIQUE......... .................................................................................................... 108 « Rien n'est voilé qui ne sera dévoilé, rien n'est secret qui ne sera connu. Ce que je vous dis dans l'ombre, dites-le au grand jour ; Ce que vous entendez dans le creux de l'oreille, proclamez-le sur les terrasses » (Mt 10.26-27 INTRODUCTION GENERALE Silence, on pacifie ! Voilà un cri de guerre (pardon, un cri de paix) qui illustre bien l'état d'esprit du peuple burkinabè (gouvernants et gouvernés confondus) au sortir d'une longue crise politique ponctuée de crimes de sang et deux ans après la journée nationale du pardon, érigée depuis peu en journée annuelle du souvenir, de la promotion des droits humains et de la démocratie au Burkina Faso. Mais, que vient y faire l'Eglise catholique ? Que vient-elle chercher dans cette galère ? Des questions qui, du reste, ne résistent pas longtemps à la réflexion pour peu que l'on interroge l'écriture sainte qui enseigne depuis des lustres qu' « au commencement était le verbe... » (Jn 1,1) : une formule reconnue comme étant l'une des plus belles et des plus célèbres de l'Evangile. Et que ne ferait- on donc pas avec le verbe ! Il est dans la vocation naturelle de l'Eglise de communiquer et cela au sens plénier du terme. De tout le temps d'ailleurs, l'Eglise a communiqué et ce ne serait que rendre hommage à l'évangile que de rappeler qu'il n'y a pas plus grand communicateur que le Christ lui-même1(*) Impossible d'imaginer, non plus, l'homme en dehors de la communication, qui donne un sens à sa condition d'auteur social. Mais au-delà de ces aspects devenus classiques, il sied dorénavant de s'interroger sur les enjeux politiques de la communication pour l'Eglise. Par ailleurs, comment et avec quelles armes s'intègre-t-elle dans la dynamique de la paix enclenchée au pays des hommes intègres depuis ces cinq dernières années ? L'Eglise n'est pas une entreprise selon l'entendement habituel ; mais tout en étant une institution divine, elle constitue une communauté humaine où se déploie un vaste réseau de communication aussi bien de l'intérieur que de l'extérieur. Pour évangéliser, il faut communiquer. Il n'y a pas d'évangélisation sans communication. Mieux, pour donner un réel ancrage à son plaidoyer en faveur de la paix, l'Eglise devra développer une communication publique voire citoyenne qui assurerait à son message de paix, une audience et une portée au-delà des cathédrales et son univers chrétien. Sa pastorale est appelée à prendre les accents d'une éducation citoyenne. D'un double point de vue social et éthique, l'Eglise a un devoir de parole auquel elle pourra de moins en moins se dérober dans un contexte de liberté où l'on cherche plutôt à l'écouter, à la consulter sur ce qu'il y a de plus délicat dans la conduite des affaires publiques et dans la gestion des hommes. Elle a des atouts pour... Ce que ne manque pas d'exalter Bernard Gendrin2(*) lorsqu'il souligne que : « la communication ecclésiale fait appel à tous les ressorts de la sensibilité et d'âme humaine ». Et pour apporter de l'eau à son moulin, les évêques congolais (ex-Zaïre) soutiennent dans l'un de leurs mémorandums au début des années 90, que « l'Evangile est capable de tirer les sociétés humaines des crises dans lesquelles elles s'embourbent »3(*) Ainsi, les multiples conflits humains et toutes les misères sociales, toutes les injustices économiques, toutes les négations du droit à la vie, toutes les conspirations flagrantes ou non contre la liberté et la démocratie, toutes les tentatives d'exclusion des minorités, tous les extrémismes... qui se perpétuent, sont pour l'Eglise autant d'interpellations du monde moderne qui l'obligent à aller au devant des faits. Certes, l'Eglise a fait du chemin, et avec elle, les pratiques aussi. Mais, le temps faisant son oeuvre, a érodé les principes d'hier qui enseignaient qu'il fallait se préoccuper d'être plutôt que de paraître. L'essentiel, c'était de sauvegarder les valeurs évangéliques de justice, de paix et d'amour. Cette vision des choses va souvent à l'encontre de la tendance du monde moderne où le succès de toute entreprise réside dans sa capacité à se faire entendre, à se faire valoir et à s'impose. L'Evangile nous apprend à ce sujet que « quand on alluma une lampe, ce n'est pas pour la mettre sous le boisseau, mais sur son support et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison » (Mt 5.15). Dans la mentalité moderne, la meilleure façon d'être connu, c'est d'être vu ou entendu, car dans XXIème si grandiloquent, envahi et colonisé par le diktat de l'image, celui qui n'est pas vu n'existe pas. Cette vision quelque peu maximaliste de la communication trouve pourtant sa justification dans les propos de ce journaliste qui affirmait au congrès national des communications sociales à Strasbourg en 1995 que « tant que l'Eglise aura peur du star system, les communications sociales seront bloquées pou l'évangélisation ». Or, ce qui est bloqué pour l'évangélisation risque de l'être aussi pour la paix. Plus nuancé, Bertrand Ouellet, directeur, général de communications et société » (Canada) soutient pour sa part, dans l'un de ses articles, que « pour l'Eglise catholique, -institution mondiale s'il en est une-, il n'est peut être pas d'enjeu plus vital que la communication. Elle se conçoit et se présente elle-même, en effet, comme porteuse d'un message. Elle l'a reçu de celui qu'elle confesse comme verbe de Dieu, c'est-à-dire par qui Dieu se communique »3(*) La communication comme enjeu vital pour l'Eglise passe aujourd'hui pour un truisme. Ce qui paraît en revanche moins évident, est la recherche de nouvelles modalités pour un usage efficace de cette communication dans le champ politique et dans une perspective d'amélioration de la qualité de la vie démocratique. Immanquablement, l'Eglise a de ce point de vue une éthique de la communication à proposer au monde. Nous nous intéressons aux valeurs humaines et démocratiques dont est porteuse cette éthique chrétienne de la communication et dans quelle mesure elle a pu éclairer la démarche de pacification sociale et politique (« justice, vérité et réconciliation ») au Burkina Faso. La présente étude se propose d'alimenter la réflexion sur un débat face auquel chacun aurait tort de faire la sourde oreille, car, cela n'arrive pas qu'aux autres ! Elle s'inscrit dès lors, dans les limites d'une contribution à l'étude des enjeux de la communication pour une vocation citoyenne de l'Eglise en tant qu'institution mais une institution assez spécifique à certains égards, La démarche empruntée repose sur un trépied dont les trois supports nous amènent à interroger de prime abord les approches, à faire ensuite un état des lieux panoramique de la communication au sein de l'archidiocèse de Bobo-Dioulasso et d'évaluer enfin l'impact des interventions de l'Eglise catholique en faveur de la pacification de l'espace public au Burkina Faso. Autrement dit, quelles leçons tirer de l'expérience de sapeur-pompier de l'Eglise ? Et surtout comment capitaliser au profit d'une démocratie apaisée et d'une culture de la paix au Faso, une telle force de sagesse, son autorité morale et son poids social incontestables ? Justification du sujet L'actualité et la récurrence du débat autour de la paix a monopolisé la vie publique au Burkina Faso depuis la mort tragique du journaliste Norbert Zongo le 13 décembre 1998. La masse de temps, l'inflation du discours et les immenses énergies englouties dans la reconquête de ce bien précieux ont marqué notre attention tout autant que le risque de paralysie qui menaçait le pays du fait de la colère quasi inconsolable de la classe politique et des forces sociales, entre 1999 et 2001. A à la limite, il n'est pas d'enjeu aussi majeur pour la démocratie burkinabè que la paix et la réconciliation nationale. Le pardon comme thérapie politique : une curiosité ! Cinq ans plus tard, en 2003, le Burkina Faso, sans être totalement sorti d'auberge, a tout de même réussi quelque chose d'admirable en initiant un véritable culte de la réconciliation arrimée elle-même à une thérapie du pardon à l'échelle de la vie publique nationale. Au-delà de la cérémonie du 30 mars 2001, et pour consolider l'esprit de pardon, cette date marque désormais l'institutionnalisation d'une journée annuelle du souvenir et des droits humains au Burkina Faso. A en croire l'opinion publique dans toute sa pluralité, il semble bien qu'à ce jour, le peuple burkinabè dans sa grande majorité a rallié la cause du pardon comme meilleure piste de salut politique pour sauver le bien commun. La reconquête du débat démocratique par l'Eglise catholique a été un fait déterminant dans cette quête de la paix. L'Eglise catholique en tant que force morale et de sagesse s'est découvert une vocation de médiation dont elle n'a pu s'acquitter efficacement que par la force d'une éthique et d'une pratique communicationnelles mises au service de la cité. Plus que jamais, l'Eglise a pris de l'assurance dans le champ de la communication de crise et les faits semblent favorables au maintien d'une telle tendance. Dès lors, il était intéressant de voir comment l'Eglise catholique burkinabè, à son tour, a réussi à confirmer une certaine image de « sapeur pompier » déjà révélé à diverses occasions, sur le front de la gestion des transitions démocratiques sur le continent. La réconciliation, alternative de communication Il nous apparu à la fois curieux, insolite et assez génial de constater comment le triptyque « vérité, justice et réconciliation » pouvait servir d'alternative de communication dans un processus de pacification de l'espace public. Si la réconciliation apparaît comme le parachèvement du processus de pacification, il reste cependant qu'elle n'est pas accessible en dehors d'une certaine éthique de la communication. Et celle de l'Eglise catholique s'est spécifiquement révélée être porteuse de paix et de valeurs démocratiques . De la pacification de l'espace à l'enracinement d'une culture de la paix Après la sainte alliance autour du pardon, c'est maintenant sur le terrain de la culture de la paix qu'est attendu le Burkina Faso. En fait, cela tient lieu de défi pour l'ensemble des acteurs de la vie publique burkinabè (l'Eglise catholique compris) qui doivent s'employer à transformer en acquis structurels ou en consensus durable, les compromis conjoncturels consentis au profit de la paix. Saura-t-il s'en donner les moyens ? Car, là réside aussi l'intérêt de ce sujet. Objectifs de l'étude - Contribuer à mettre en lumière les capacités d'arbitrage et de médiation de l'Eglise catholique burkinabè en situation de crise politique ; - Démontrer et confirmer que la communication est un acte moral ; - Analyser l'apport de éthique chrétienne de la communication à la pacification de l'espace public au Burkina Faso ; - Etablir une relation entre la qualité de la vie démocratique et l'éthique communicationnelle des acteurs politiques burkinabè. Clarification des concepts Ethique En raison de l'usage abondant que nous faisons de ce terme tout au long de ce travail, il nous paraît nécessaire de préciser le sens que nous lui donnons dans le contexte de la communication de l'Eglise catholique. Cet effort de précision s'est d'autant plus imposé à nous que l'éthique est une notion qui, dans l'usage courant, se confond avec celle de la morale. Entre les deux concepts, la frontière semble très mince. Si qu'un auteur, Jean-Claude Barreau a pu écrire à ce sujet qu' « il n'ya aucune différence entre morale et éthique. L'origine du premier mot est latine, celle du second est grecque. Actuellement, morale a mauvaise presse, éthique fait plus chic. Les cuistres préfèrent parler donc d'éthique ».4(*) Quant à André FROSSARD de l'Académie française, il considère que les deux concepts conservent néanmoins leur spécificité en ce sens que la morale, selon lui vient de Dieu ou d'une sagesse traditionnelle définie par la loi : « quand elle est de source divine, la morale a pour fin, la conquête de la vie éternelle ; quand elle est d'origine humaine, elle tend à réaliser une société parfaite qui soit pour le citoyen ce que le royaume de Dieu est pour le croyant ». A propos de l'éthique en revanche, il l'a définit comme « la libre circulation de l'esprit cherchant à établir dans une situation donnée, ce qui peut être bon pour l'homme et pour la société, ou nuisible à l'un ou à l'autre ». La ligne de démarcation ne nous paraît pas suffisamment tranchée pour justifier une opposition entre les deux concepts qui ne s'excluent point. Par conséquent, dans le cadre de ce mémoire, nous faisons l'option de pendre l'un pour l'autre en privilégiant le principe suivant lequel « l'éthique et la morale désignent, en grec ou en latin, l'ensemble des règles de conduite propres à assurer la paix des consciences et l'harmonie des sociétés ». Par ailleurs, l'usage que nous faisons de l'éthique n'est pas exclusif à l'Eglise catholique que nous percevons ici comme un membre de la grande famille chrétienne. Raison pour laquelle, nous parlerons tout au long de ce document en termes d'éthique chrétienne de la communication et non en termes d'éthique catholique de la communication. Autrement dit, sur le fond, tous les chrétiens partagent une approche commune de l'éthique comme ils le feraient vis-à-vis de la notion du Bien. Autant le laïc et le religieux ne discutent pas la Déclaration universelle des droits de l'homme, autant le juif et le chrétien ne s'affrontent pas sur les dix commandements. Espace public Suivant un premier niveau de compréhension, l'espace public est entendu ici dans son antique sens romain de forum où étaient « conduites la vie politique et les affaires, où étaient remplis les devoirs religieux, où se déroulait la plupart de la vie sociale et où exposé ce qu'il y a de meilleur et de pire dans la nature humaines »5(*). De façon spécifique, l'espace public désigne dans le contexte de ce travail, la sphère publique burkinabé au sein de laquelle l'Eglise catholique évolue en tant qu'acteur et interlocuteur majeur du débat démocratique. Nous prenons comme référent l'approche habermassienne6(*) de l'espace public et de l'éthique de la discussion fondée sur quatre principes essentiels que sont « la participation de toutes les personnes concernées, l'égalité de droit des participants, la recherche sans contrainte de la vérité par l'unique procédé de l'argument meilleur, la bonne foi quant aux thèmes et aux contributions proposées, le caractère révisable des résultats... ». Les domaines intéressés par les discussions vont des questions générales aux préoccupations politiques comme c'est le cas en ce qui concerne l'objet du mémoire. Cadre de l'étude L'archidiocèse de Bobo-Dioulasso désigne dans l'esprit de cette oeuvre, le siège de la province ecclésiastique de l'Ouest du Burkina Faso qui comprend l'archidiocèse de Bobo-Dioulasso et les diocèses de Banfora, Dédougou, Diébougou, et Nouna. Le cadre physique ou géographique de cette étude couvre rigoureusement le territoire de l'archidiocèse de Bobo- Dioulasso. Il en découle que l'archevêque de Bobo-Dioulasso, ainsi que nous le désignons tout au long de ce document, est l'évêque métropolitain de la province ecclésiastique de Bobo-Dioulasso. Toutefois, dans le domaine précis des pratiques communicationnelles pour la pacification de l'espace public national, il est bon de noter que l'archidiocèse de Bobo-Dioulasso ne se conçoit pas comme une entité indépendante de l'ensemble de l'Eglise catholique burkinabè. Il n'agit ni isolement ni concurremment avec l'ensemble du clergé catholique et ne revendique donc pas la paternité de ses actions de médiation et de son engagement citoyen en faveur de la paix. En termes simples, disons que la partie agit pour le tout et le tout se reconnaît dans la partie. PROBLEMATIQUE Question centrale De quelle manière l'éthique chrétienne de la communication a pu influencer (ou éclairer) la démarche de réconciliation politique au Burkina Faso, 1998 à 2003 ? Hypothèses ü L'éthique chrétienne de la communication repose sur des valeurs humaines spécifiques ; ü Une réelle convergence se dessine entre les valeurs spécifiques de l'éthique chrétienne de la communication et les objectifs de paix du Burkina Faso ; ü En matière d'éthique de la communication, l'Eglise a un modèle à proposer ; ü L'éthique chrétienne de la communication embrasse un certain nombre d'ingrédients porteurs de valeurs démocratiques et de paix pour le Burkina Faso ; ü La qualité de la vie démocratique est fonction de l'observance par les acteurs de l'espace public, de l'éthique de la communication.
* 1 Voir infra Section II p .54 * 2 B. GENDRIN, Eglise et société, communication impossible, Des clés de Brouwer,1995 3 M.KA, Théologie africaine pour temps de crise, Christianisme et reconstruction de l'Afrique, éditions Khartala, 1993, p.105 (Mémorandum des évêques du Zaïre) * 3 Www. Officecom.qc.ca * 4 J.C.BARREAU, quelle morale pour aujourd'hui ...,Plon,1994, p.9 * 5 ZENT (Agence d'information catholique). www.zent. Org/french/cadeau.html.message de Jean Paul II pour la journée des communications sociales 2002 * 6 Né en 1929 près de Cologne, HABERMAS (Jürgen) est philosophe, théoricien par excellence de l'espace et de l'agir communicationnel. Penseur central de la seconde école de Francfort, il est admiré par la communauté philosophe pour ses idées courageuses et sa détermination même si plusieurs de ses propositions sont jugées idéalistes par les intellectuels et politiciens de son temps. |
|