CONCLUSION GENERALE ET RECOMMANDATIONS
Arrivés au terme de notre travail de recherche
« essai d'analyse du fonctionnement du secteur informel au
Burundi », il nous revient de résumer les faits saillants
ainsi que les principaux résultats auxquels notre étude a
abouti.
Comme nous l'avions mentionné dans les premiers
chapitres, le Burundi s'est engagé depuis quelques années dans
l'adoption des programmes et stratégies économiques à
haute intensité de main d'oeuvre, en l'occurrence les stratégies
de croissance économique et de lutte contre la pauvreté (CSLP)
ainsi que les Objectifs du Millénaire pour le Développement
(OMD). Ces stratégies favorisent pour la plupart la création
d'activités génératrices de revenus, avec l'assistance des
institutions financières nationales et internationales :
réseaux microfinance, Banque mondiale, Bureau International du Travail,
...
L'implication de ces derniers intervenants se fonde notamment
sur l'idée qu'ailleurs dans les pays en voie de développement, le
secteur informel, appelé également « secteur non
structuré » participe de façon significative à
la lutte contre la pauvreté de manière générale.
Les exemples du Kenya, de la Colombie, de la Corée du Sud, du Chili, ...
ont été évoqués en guise d'illustration. Dans les
différents pays, il permet notamment aux populations laissées
pour compte par le système de fonctionnariat et de
sécurité sociale du secteur public ou par les pôles
performants du secteur privé, de ne pas subir les effets néfastes
de l'exclusion et de la marginalisation.
Au Burundi, le secteur informel existe et demeure même
prépondérant étant donné les structures et les
lourdes tendances démographiques et, en particulier, le fort
degré d'inadéquation « Formation - Emplois »
dans le secteur structuré. De là, nous nous sommes posés
la question de savoir si le secteur informel, tout en demeurant
méconnu voire même combattu, jouerait un rôle
considérable au Burundi, du moins sur le plan microéconomique
comme cela a été observé dans d'autres pays
ayant connu des situations similaires : sous-développement,
rareté du facteur « capital », situations de guerre,
pauvreté de masse, une intensification du chômage, etc.
Certes, au niveau macro, le secteur informel contribue
l'économie nationale (PIB) à concurrence de 77%, selon les
statistiques de l'ISTEEBU 2006 mai 2008. Par hypothèse, cette
contribution si considérable, mais « souterraine »
se traduit par la création d'emplois ou d'absorption de la main d'oeuvre
abondante, et par l'accroissement de suppléments de revenus aux
ménages et ce, de manière chaque fois résurgente. Toujours
par hypothèse, nous avons stipulé que cette persistance des
activités informelles tient au fait qu'elles s'inscrivent dans les
réalités quotidiennes de la vie des populations.
Afin de vérifier ces hypothèses, le travail de
collecte et d'analyse des informations a débuté par la
détermination et la délimitation spatio-temporelle de notre champ
d'observation. Dans le premier temps, la phase exploratoire nous a conduit
à la consultation plus ou moins étendue des documents, des
revues, des ouvrages, des thèses et mémoires se rapportant
à l'étude du secteur informel. Dans le même ordre, la
lecture des rapports du BIT, de la Banque Mondiale, des visites
répétées sur des sites internet,... nous auront permis de
connaître quelques réalités sur le fonctionnement des
secteurs informels d'ailleurs (1 & 2ème chapitre).
Les informations issues de ce travail documentaire nous
auront, quant à elles, permis non seulement de faire une comparaison
desdites réalités, dans le temps et dans l'espace, mais aussi de
repérer le cadre théorique susceptible d'appuyer le processus de
vérification de nos hypothèses, en particulier la seconde. Dans
ce sens, nous nous sommes servis dune grille d'analyse interdisciplinaire que
nous avons exploitée dans une perspective historico-systémique
(3ème chapitre). Concrètement, nous avons
emprunté à K. Polanyi, les éléments d'analyse des
processus de développement en longue période. Nous avons en plus
adopté l'approche en termes d'économie populaire pour la lecture
des activités économiques informelles entreprises par les
différents individus ou ménages. Cette approche a consisté
à cerner ce que les individus font pour survivre et comment ils
réinventent les stratégies par rapport à la dynamique
sociale.
De ses analyses, nous retenons que toutes les
sociétés ont créé des règles pour
contrôler et réglementer les marchés. C'est ce que K.
Polanyi appelle le marché encastré dans le lien social.
Le processus de vérification des hypothèses nous
a également suggéré de choisir des unités
d'observation en fonction des variables à prendre en ligne de compte. Le
choix des échantillons s'est opéré sur la base du principe
de représentativité des unités informelles de production,
de service et du commerce qui ont été notre champ de
l'investigation. Nous nous sommes donc focalisés sur 92 unités
informelles, avec 21 unités de production, 27 unités de service
et 44 de commerces informelles supposés créer de l'emploi,
existantes entre Décembre 2009 et Mars 2010 dont 35 unités se
trouvant à Buyenzi, 34 à Rohero et 23 à Bwiza.
Quant aux méthodes d'observation proprement dite, nous
avons privilégié la méthode du questionnaire et dans une
moindre mesure, l'observation directe ou l'interview de face à face. Les
différentes informations recueillies auprès des répondants
ont été traitées à l'aide des méthodes
statistiques simples, en l'occurrence la méthode des proportions
(4ème chapitre).
A l'issue de nos analyses, il s'est
dégagé les principaux résultats suivants :
- La création de l'emploi au sein du secteur informel
est incontestable. Indéniablement, elle s'observe au niveau de petites
unités de production et d'échanges de biens et services dans
certains quartiers de la mairie de Bujumbura. Mais, dans une large mesure,
cette création reste conditionnée par le niveau de demande des
produits qui en sont issus. En effet, les calculs effectués sur notre
petit échantillon laissent voir que 34,4% des opérateurs
observés déclarent avoir augmenté le nombre de
travailleurs engagés durant la période indiquée. Plus, la
majorité des opérateurs propriétaires de
différentes unités informelles ; soit 42,3% déclarent
avoir offert temporairement ou occasionnellement du travail ; en fonction
de la demande de leurs produits. Autrement dit, plus il y a des commandes de
biens et services, adressée au S.I., plus l'emploi augmente ou le
chômage diminue.
- Par rapport au niveau de revenus, la pluriactivité
est fréquente. 70% des fonctionnaires du public ou du privé
exerçants la pluriactivité déclarent que ces
activités informelles sont profitables car elles pallient à
l'insuffisance du revenu formel.
- Bon nombres d'activités nouvelles survivent d'une
période à l'autre en dépit de multiples tentatives
tantôt d'interdiction, tantôt d'éviction, etc. par le
secteur structuré en général et par l'autorité
publique en particulier. Dès lors, il y a lieu d'affirmer qu'elles
réussissent à faire admettre dans leur environnement le registre
qu'elles proposent soit par arrangements, négociation, corruption,
travail dans la clandestinité, métamorphose, etc. Le tableau
n°15 du quatrième chapitre en a clairement montré les formes
de leur reproduction ou de leur résurgence dans le temps. Pareils
résultats corroborent entièrement nos hypothèses de
travail. Et c'est là l'une de mérites de notre étude.
Quand bien même nous aurons réussi à
cadrer notre recherche, et à vérifier nos hypothèses,
notre démarche présente néanmoins des limites tant sur le
plan méthodologique que théorique. La première, la
principale concerne l'impossibilité de procéder à une
généralisation statistique à partir des informations
obtenues sur notre échantillon. Les raisons majeures ont
été évoquées au long du chapitre sur la
démarche empirique.
Au niveau de l'implication théorique, certains de nos
résultats soulèvent des questionnements qui mettent en
évidence autant les forces que les faiblesses de notre étude sur
le fonctionnement du secteur informel. En effet, si le rôle
socioéconomique du secteur en question est reconnu tant au niveau macro
qu'à celui micro, il y a cependant lieu de s'interroger sur le sens de
l'interprétation suivante : plus il y a de commandes de
biens et services auprès du S.I.; plus il y a création davantage
d'emplois.
Que signifierait finalement le fait de sauver l'emploi en
augmentant les commandes « informelles » au moment
où les politiques budgétaires du moment visent justement
l'augmentation significative des recettes fiscales et du PIB via
l'accroissement des TVA par l'OBR, la transparence dans la gestion commerciale,
la convergence des critères d'évaluation de la performance
économique au sein de l'East African Community? Autrement dit,
faudrait-il développer le SI en tant que tel ou alors le transformer
progressivement en secteur structurés ?
Cette interrogation pousse in fine à
reconsidérer les modes d'action respectifs et les rapports entre les
différents intervenants dans la lutte contre la pauvreté de
masse, contre l'intensification du chômage. En nous appuyant sur les
appréciations des répondants à nos questions, il nous
revient de formuler les recommandations ci-après :
- Aux opérateurs économiques du secteur
informel : user davantage du flair afin de capter et de canaliser
les demandes en provenance des ménages ordinaires ou/et des
ménages collectifs (centres de santé, écoles,
établissements carcéraux, administrations publiques, etc.).
L'avantage comparatif possédé par le S.I réside dans le
fait que, sans considérer les aspects de normalisation de la
qualité des produits, il offre ces derniers à des niveaux de prix
relativement moins élevés que les opérateurs du secteur
structuré, et ce dans des délais relativement plus
raccourcis ;
- Aux structures de microfinances : permettre
l'accès au crédit à ceux qui voudraient s'installer pour
leur propre compte ; alors même qu'ils ne disposent que d'un faible
capital investi quasi quotidiennement et dont le renouvellement dépend
des affaires du jour. Donner les facilités de financement pour la
construction du «grenier alimentaire» du
Burundi en vue de récupérer les commerçants ambulants (de
fruits ou autres) serait un des cas d'illustration ;
- A la Mairie de Bujumbura :
adopter une politique de concertation, de dialogue et de communication non
violente avec les opérateurs économiques du secteur informel. En
effet, semble-t-il que l'usage immodéré de la contrainte ou de la
force crée plus de problèmes qu'il n'en résout. C'est
à travers ce climat de dialogue et de communication que les questions de
réaménagement du milieu urbain et, en général,
d'accès à l'espace public pourraient être repensées
au profit des catégories sociales les plus démunies.
- Au Gouvernement, et à travers lui,
l'ISTEEBU : accroître les efforts visant à
connaître les caractéristiques du SI au Burundi dans la
perspective de mieux maîtriser les enjeux économiques liés
à l'appartenance à l'espace économique
sous-régional et en particulier à l'intégration au
marché commun de l'EAC. Les chercheurs individuels ou en association,
privés ou commandités, pourraient être encouragés
à y prendre part.
Comme toute oeuvre humaine, le présent travail renferme
certainement de lacunes, surtout au niveau des méthodes de collecte et
d'analyse des informations. Néanmoins, celles restent susceptibles
d'être comblées par des recherches ultérieures, plus
outillées et plus soutenues financièrement. Nous restons ouverts
à toute analyse critique constructive pour autant qu'elle nous aide
à perfectionner la rédaction et la présentation des
résultats de nos investigations sur le secteur informel au Burundi.
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