La loi de la force en politique:l'art de gouverner dans Le Prince de Machiavel( Télécharger le fichier original )par Alexandre BATUHOLA MUNKANU Institut Saint Pierre Canisius/Kimwenza en RDC - G3-PHILOSOPHIE 2008 |
I.1.4. La meilleure armée pour asseoir le pouvoir du princeEn tant qu'être social, l'homme est appelé à vivre avec autrui. Mais, cette co-existence dégénère parfois en conflits d'hégémonie et d'intérêts. Dans ce contexte, la passion querelleuse peut se porter aux extrêmes : combat, violence, mort, etc. Pour faire face à cela, le pouvoir doit donc assurer la cohésion de ses membres. Car, la finalité d'un Etat est de faire régner l'ordre, la sécurité et la justice. Quel est le rôle du Prince dans l'établissement et le maintien de l'ordre social ? Autrement dit, sur quelles armes doit-il compter s'il ne veut pas sa propre perte ni celle de son Etat ? a) Clarification conceptuelleChez Machiavel, le concept « armes » ne renvoie nullement aux armes matérielles mais plutôt à l'armée ou aux soldats. L'armée, entendue comme forces militaires d'un pays, rassemblées, entraînées, structurées et équipées de façon à pouvoir entreprendre des manoeuvres guerrières à caractère offensif (conquête de territoire ennemi) ou défensif. Le terme « arme » peut désigner l'institution tout entière regroupant tous les militaires du pays, ou un ensemble plus restreint composé d'hommes placés sous la direction d'un commandant militaire. b) Types d'armesSelon Machiavel, « les armes par lesquelles un prince défend son pays, ou sont les siennes propres, ou sont mercenaires, ou auxiliaires, ou mêlées des unes et des autres ».36(*) Qu'est-ce que pour Machiavel les armes propres, mercenaires ou auxiliaires ? Et quelles sont les armes préconisées par notre auteur pour la défense du pays ? Notre auteur fait l'éloge des armes propres. Il pense que les armes mercenaires et auxiliaires ne valent rien et sont fort dangereuses. En outre, celui qui compte sur cette forme d'armes ne pourra jamais vaincre pour la simple raison qu'elles sont en discorde entre elles. De surcroit, elles ne restent au camp que quand leurs intérêts sont garantis. Par conséquent, ils ne peuvent sacrifier leur vie pour le prince. Bien au contraire, dès qu'il y a guerre ces formes armes ont tendance à prendre la fuite37(*) : « Désunies, ambitieuses, sans discipline, déloyales, braves chez les amis, lâches devant l'ennemi ; elles n'ont point crainte de Dieu ni de foi avec les hommes, et ne diffèrent ta ruine qu'autant que tu diffères l'assaut ; en temps de paix tu seras pillé d'eux, en temps de guerre des ennemis [...] ils n'ont autre amour ni autre occasion qui les tienne au camp qu'un peu de gages, ce qui n'est pas suffisant à faire qu'ils veuillent mourir pour toi. Ils veulent bien être avec toi pendant que tu ne fais point la guerre, mais aussitôt que la guerre est venue, ne désirent que fuir ou s'en aller ».38(*) D'après notre auteur, la ruine de l'Italie pouvait être justifiée par le fait qu'elle ait utilisé des armes mercenaires. Dès lors, le prince devra se méfier des soldats mercenaires pour deux raisons. D'abord, s'ils sont d'excellents hommes de guerre, ils se font grands eux-mêmes en ruinant « le maître » ou en détruisant d'autres contre sa volonté ; ensuite, si le capitaine est brave, il sera par cette qualité la cause de la perte du prince. Selon Machiavel, les armes mercenaires ne font jamais du bien. Elles causent plus de mal que de bien au prince ou à l'Etat. Les armes auxiliaires sont une autre forme d'armes inutiles. En effet, elles sont bonnes pour elles-mêmes. Mais, pour celui qui les utilise, elles le rendent dépendant et il devient « ipso facto » leur prisonnier : « Cette sorte d'arme peut bien être bonne et profitable pour elle-même, mais à ceux qui y font appel, elle est presque toujours dommageable. Car si on perd, on reste battu, et si on gagne, on demeure leur prisonnier ».39(*) Pour Machiavel, les armes auxiliaires sont plus dangereuses que les mercenaires. Parce qu'elles sont toutes unies et sont habituées à obéir à un autre qu'au prince lui-même. D'où la perte du prince : « Celui donc, qui veut ne pouvoir vaincre, qu'il s'aide de ces armes, qui sont beaucoup plus dangereuses que les mercenaires, car en elles sa perte est toute prête, elles sont toutes unies et toutes accoutumées d'obéir à un autre qu'à toi ».40(*) Les armes mixtes, quant à elles, sont supérieures aux armes mercenaires et aux armes auxiliaires. Mais elles sont inférieures à celles qui sont propres au prince : « Les armes françaises sont mixtes, partie mercenaires, partie gens du pays ; et ces armes sont beaucoup supérieures aux pures auxiliaires ou aux pures mercenaires, mais de beaucoup inférieures à celles qui sont de propres sujets et gens du pays même ».41(*)Que faut-il entendre par armes propres ? Pour Machiavel, « les forces propres sont celles qui sont composées de sujets ou de citoyens ou d'autres gens que le prince aura fait : toutes autres espèces sont mercenaires ou auxiliaires ».42(*)Il s'agit de l'armée qui doit être celle du prince. Et, tout prince sage doit compter sur sa propre armée (nationale) et éviter à tout prix les armes auxiliaires et mixtes. Parce qu'estime Machiavel, en gagnant avec les armes étrangères ou d'autrui l'on devienne leur prisonnier. * 36 Machiavel, Le Prince, p. 86 * 37 Dans le contexte de l'Afrique, on conviendra sans ambage que les armes étrangères (militaires), qui viennent en Afrique sous prétexte d'aider, ne se présentent pas nécessairement pour assurer la sécurité des peuples africains. Au contraire, nombreuses sont celles qui viennent pour l'appauvrir davantage et favoriser leurs propres intérêts. * 38 Machiavel, Le prince, p.86 * 39Ibid., p. 95 * 40 Ibid., p. 96 * 41 Ibid., p. 100 * 42 Machiavel, Le prince, p.100 |
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