I
Dédicace
Oh vie pleine d'incertitudes !
Nous ne savons pas de quoi demain sera fait
Tu te réveilles un matin sans savoir vers où
Dieu te conduit
Dans sa providence te voilà arriver au soir
Et, tu t'endors dans l'espoir de pouvoir voir le jour
Etrange paradoxe de l'affirmation de l'instant
présent
Qui nous aide à vivre de manière
participative.
La nature t'a arrachée à la fleur de l'âge
à notre affection
Pendant que notre amour était encore fervent pour
toi
Quoi te dire quand l'on sait qu'on ne se reverra plus
Qu'on ne pourra plus être à tes
côtés et profiter de ta sagesse
Oui, « dire la vérité pour vivre
longtemps » était ton principe
Tu as été pour nous une femme extrêmement
généreuse
C'est cela même qui t'a valu la mort
Ne dit-on pas que l'homme de bien ne dure pas ?
Non, ce n'est pas fini pour nous
Tu vivras éternellement non seulement à travers
nous
Mais également à travers tes empreintes dont tu
as marqué l'histoire
Nous nous réjouissons de t'avoir eue pour tante
Et maintenant que tu es auprès du Père,
Sois notre avocate auprès de lui
Afin que notre pèlerinage sur cette terre ait un sens
Et qu'au dernier soir de notre nuit Dieu nous soit propice
A toi ma tante Madeleine, je dédie ce travail.
REMERCIEMENTS
Ce travail marque le couronnement d'un long processus de
formation intellectuelle durant lequel nous avons consentis plusieurs
sacrifices et privations. C'est ainsi que nous ne pouvons ne pas rendre gloire
à Dieu, car sa bonté et son amour sont sans limite pour nous.
Au terme de ces trois années de formation à la
faculté de Philosophie Saint Pierre Canisius, qu'il nous soit permis
d'exprimer notre sincère gratitude envers toutes les personnes qui nous
ont aidé aussi bien moralement que matériellement durant notre
parcours. Nous tenons à remercier le père Jules KIPUPU qui a bien
voulu diriger ce travail de fin d'étude. Nous exprimons notre profonde
gratitude aux pères Cyprien BWANGILA et Willy MOKA pour le
précieux soutien qu'ils nous ont apporté.
Nos remerciements s'adressent également à tous
les professeurs de la Faculté pour l'enseignement de qualité
qu'ils n'ont cessé de nous dispenser pendant toutes ces trois
années de notre formation en philosophie. Ils ont pu apporter chacun, sa
contribution à la constitution de notre bagage intellectuel.
Nos remerciements vont aussi à nos parents
Alphonse BATUHOLA et Jacqueline KUZAYISA qui m'ont inculqué la
quête permanente de l'excellence.
Il nous serait ingrat de passer sous silence nos
condisciples, ami(e)s et camarades de classe. Nous pensons surtout à
MOYO KABEYA Pierre, Bernard ENGBWANG, VUDISA LEMA Judith et tous les autres
compagnons jésuites.
Que tous ceux qui d'une manière ou d'une autre ont
contribué à la réalisation de ce travail trouvent ici
l'expression de notre profonde gratitude
INTRODUCTION GENERALE
Il s'agit pour nous de cerner l'art de gouverner dans Le
prince de Machiavel. Notre réflexion se veut une
compréhension du concept de force que cet auteur subordonne à la
notion de loi. En d'autres termes, nous voulons comprendre le pouvoir politique
tel que Machiavel l'articule autour de la force. C'est dans cette perspective
que nous désirons reprendre à nouveaux frais le problème
crucial du rapport entre morale et politique.
En effet, dans Le Prince, Machiavel fonde sa
théorie politique sur ce que l'on nomme « la
vérité effective des choses », c'est-à-dire sur
l'aspect réel de la politique plutôt que sur l'aspect imaginaire
comme l'ont fait ces prédécesseurs. Notre auteur le souligne en
ces termes : « mais étant mon intention d'écrire des
choses profitables à ceux qui les entendront, il m'a semblé plus
convenable de suivre la vérité effective de la chose que son
imagination ».1(*)
Cette politique que l'on pourrait qualifier de réaliste est
dictée par le désir d'agir avec efficacité. Le dirigeant
qui n'est pas efficace ne peut pas se maintenir au pouvoir. En effet, son
autorité sera vaincue par différents pouvoirs antagonistes.
Ainsi, Machiavel appréhende la question de l'action
politique à travers le jeu de la fortune et de la
virtù. La fortune, pour le penseur florentin, ce sont des
conditions objectives de l'action tant du côté des circonstances
indépendantes de notre action ou des ressources accumulées dans
tel ou tel camp. La virtù renvoie à l'habileté,
à la capacité subjective de faire fructifier la fortune, à
saisir l'occasion, à prendre appui sur les circonstances favorables ou
à contrer les circonstances défavorables : « car
le temps chasse tout devant soi et peut apporter avec soi le bien comme le mal,
et le mal comme le bien ».2(*) C'est la rencontre entre les deux qui expliquent le
cours de l'action et la production de l'histoire. On a là une
dialectique de l'objectif et du subjectif. C'est dans ces circonstances qu'il
faut faire son choix. Il y a ainsi des marges de manoeuvres pour l'action
humaine : « La fin justifie les moyens ».
Machiavel bouscule ainsi une certaine continuité morale entre les moyens
et l'action à laquelle nous ont habitué Platon et Aristote.
De fait, pour Machiavel, ce qui motive l'action du prince
c'est l'instauration d'un Etat nouveau et l'élaboration de bonnes lois
pour la multitude, le prince étant lui-même au-dessus de la morale
et ne pouvant être jugé que sur la base des résultats de
son action : « les grands hommes appellent honte le fait de
perdre et non celui de tromper pour gagner ».3(*) Car, peu importe ici les moyens
employés, c'est le succès ou la finalité qui compte.
Selon Machiavel, la dualité absolue entre le bien et le
mal n'existe pas en politique. Ainsi, pour notre auteur, l'art politique
enseigne au prince à bien user du mal « car, tout bien
considéré, il trouvera quelque chose qui semble être vertu,
et en la suivant ce serait sa ruine ; et quelque autre qui semble
être vice, mais en la suivant, il obtient aise et
sécurité».4(*) Comment admettre sans répulsion que le mal
puisse parfois être à l'origine du bien ?
Il convient de préciser que Machiavel ne fait pas
abstraction de la morale. Il soutient seulement que pour la sauvegarde et le
maintien de l'Etat, le prince peut être amené à recourir
à tous les moyens possibles pour atteindre ses fins :
« ne pas s'écarter du bien s'il le peut mais savoir entrer
dans le mal s'il le faut ». Dès lors, si le recours à
la force paraît légitime au cas où l'on poursuivrait un
idéal politique, alors il faut en déduire qu'elle est d'une
très grande importance pour la survie d'un Etat. En effet, dans ses
actions, l'autorité légitime peut recourir, si cela
s'avère nécessaire, à la force pour préserver
l'intégrité territoriale du pouvoir.
C'est pourquoi dans la liste des qualités et des
défauts du Prince, Machiavel demande à ce que le prince
possède à la fois « la ruse du renard », pour se jouer
de la méchanceté humaine, et la « force du lion », pour
être « plus sûr d'être craint que d'être
aimé ». Tout en s'accordant sur le fait que l'emploi de ces
qualités ne doit pas servir l'intérêt particulier du Prince
mais bien l'intérêt général, cette
légitimation de l'action de l'homme d'État en fonction de la
seule nécessité, n'engendre t-il pas cependant un prince
calculateur et méfiant ?
Il faut dire que, pour Machiavel, les vulgaires (le peuple)
apprécient ce qu'ils voient Seule la minorité
réfléchit. En ce sens, tous les moyens employés dans le
but de conquérir et de maintenir le pouvoir seront jugés bons. Le
prince doit user à bon escient de
l'« apparaître » afin de pouvoir gagner l'estime de
son peuple ; c'est-à-dire paraître sous la forme d'une
autorité forte et vertueuse. Tout en nous situant dans la perspective de
Machiavel, à savoir la recherche de l'unité de l'Italie, nous ne
pouvons souscrire à une telle théorie politique. La
conquête et le maintien du pouvoir ne peuvent-ils pas emprunter d'autres
voies respectueuses de l'homme et de la quête de sa perfection ?
Aussi, notre objectif sera-t-il de répondre à
toutes ces questions. C'est ainsi que dans cette réflexion, à la
fois analytique et critique, nous nous proposons d'organiser notre étude
en trois chapitres. Dans un premier temps, nous essayerons d'abord de cerner
la nouveauté qu'introduit Machiavel dans la politique et qui, par le
fait même, le met en rupture avec l'ancienne conception politique. Aussi,
nous centrerons notre attention sur la question sécuritaire. Nous y
décrirons les meilleures armes qui permettent au prince d'asseoir son
pouvoir. C'est pourquoi nous montrerons de monter comment l'application des
lois est tributaire de la force. En un deuxième temps, nous exposerons
le caractère paradoxal de l'action politique. Nous tenterons
d'élucider le fait que le pouvoir politique peut, dans
l'intérêt commun, utiliser des moyens que la morale
réprouve dans le but d'atteindre l'idéal politique. Enfin, dans
un troisième temps, nous adresserons une critique à Machiavel. Il
s'agit d'une critique qui tend à concilier politique et éthique.
CHAP. I : LA NOUVEAUTE DE LA
CONCEPTION POLITIQUE CHEZ MACHIAVEL
I.0. Introduction
Dans son livre, Le prince, Machiavel présente
les réalités politiques dans leur
« nudité », c'est-à-dire, telles qu'elles se
manifestent dans la vie concrète. Il nous montre les manoeuvres
politiques et leur logique qui, parfois, ne correspond pas aux aspirations de
bien des contemporains. Contrairement aux théories platoniciennes et
aristotéliciennes, où la politique est décrite en lien
avec la morale, Machiavel, privilégie plutôt l'aspect
réaliste de la politique. Sa réflexion porte sur la façon
dont s'acquiert, s'exerce et se conserve le pouvoir. Elle est en effet le fruit
de tout ce qu'il sait et de tout ce qu'il a appris « des choses
du monde et par une longue pratique et par une lecture
assidue ».5(*) Son intention est aussi que, d'une part, nous
prenions connaissance du mal spécifique de l'action politique pour nous
aider à sortir de l'idée d'une politique idéale,
c'est-à-dire d'une politique qui serait de l'ordre du « devoir
être » et que, d'autre part, connaissant mieux ce
mécanisme, nous sachions comment nous comporter face aux actions de
certains acteurs politiques et puissions réfléchir sur nos
débats politiques.
Dans ce premier chapitre, nous essayerons de faire ressortir
premièrement la nouveauté qu'apporte Machiavel, laquelle le met
en rupture avec l'ancienne conception de la politique. A la suite de Machiavel,
nous y décrivons le caractère réaliste et pragmatique de
la politique ; caractère qui pousse le prince à user des
moyens les mieux appropriés pour pouvoir agir effectivement et
efficacement en politique. Deuxièmement, nous mettrons l'accent sur les
différentes principautés existantes à l'époque de
Machiavel, sur leur mode d'acquisition et de conservation du pouvoir. Nous
montrerons comment, pour Machiavel, la conquête est un désir
naturel de l'homme. Troisièmement, nous traiterons de la
« virtù et de la fortune ».
Quatrièmement, nous fixerons notre attention sur les deux humeurs qui
caractérisent le peuple dans une cité. Cinquièmement, nous
réfléchirons d'abord sur la meilleure armée pouvant
asseoir le pouvoir du prince. Ensuite, il sera question de l'exercice de la
guerre. En d'autres termes, le prince ne doit pas oublier l'art de la guerre.
C'est pour cette même raison que nous y ferons une critique de
l'idée du repos, c'est-à-dire, d'une paix oisive qui
enlève toute idée de guerre au prince. Enfin, nous montrerons
l'importance des armes dans l'application des lois d'un Etat. Le plus important
dans ce chapitre est que nous percevions comment les nouveaux princes ont
réussi à imposer leurs nouveaux ordres grâce à
l'usage de la force.
I.1. Le réalisme
politique
Comme nous l'avons mentionné plus haut, Machiavel
décrit dans le Prince, les réalités politiques
telles qu'elles se donnent à voir dans la vie concrète. Il ne
veut nullement donner des directives sur ce que devrait être la
politique. Son intention est au contraire de montrer ce qui se fait
déjà. C'est ainsi que son oeuvre apparaît comme une
nouveauté par rapport à la pensée politique traditionnelle
qu'il juge utopique ou idéaliste.
Machiavel fonde en effet sa conception de la politique sur ce
que l'on nomme « la vérité effective des
choses », c'est-à-dire sur l'aspect réel de la
politique plutôt que sur l'aspect imaginaire comme l'ont fait ces
prédécesseurs. Cette politique que l'on pourrait qualifier de
réaliste est dictée par le désir d'agir avec
efficacité. Un dirigeant qui n'est pas efficace ne peut pas se maintenir
au pouvoir. Son autorité sera vaincue par de différents pouvoirs
antagonistes. A ce sujet Machiavel affirme :
« Mais étant mon intention d'écrire
des choses profitables à ceux qui les entendront, il m'a semblé
plus convenable de suivre la vérité effective de la chose que son
imagination. Plusieurs se sont imaginés des républiques et des
principautés qui ne furent jamais vues ni connues pour vraies. Mais il y
a si loin de la sorte qu'on vit à celle selon laquelle on devrait
vivre, que celui qui laissera ce qui se fait pour cela qui se devrait faire, il
apprend plutôt à se perdre qu'à se conserver ; car qui
veut faire entièrement profession d'homme de bien, il ne peut
éviter sa perte parmi tant d'autres qui ne sont pas
bons ».6(*)
Conscient de l'inefficacité d'une politique
idéale, Machiavel refuse de suivre la voie de ses
prédécesseurs. Il s'engage sur une voie que personne jusque
là n'a encore empruntée : « J'ai
décidé », écrit-il, « de m'engager
sur une route sur laquelle personne n'a encore marché ». Car,
il existe un grand écart entre les idées et les faits en
politique. Le but de notre auteur est d'éduquer les
générations futures, non seulement au réalisme politique,
mais surtout à l'appréhension de la politique comme institution
purement humaine, ne fonctionnant pas forcément selon les principes
éthiques. En d'autres termes, le mécanisme du pouvoir tient au
réalisme de celui-ci qui ne s'accommode pas toujours à la
conception moralisante de la "res publica".
Machiavel démystifie la conception du pouvoir selon
laquelle toute autorité vient de Dieu. Pour notre auteur, il n'y a pas
de monarchie de droit divin. Le prince ne se maintient au pouvoir que s'il est
puissant et habile. Dès lors, on comprend pourquoi les
spécialistes des sciences politiques considèrent Machiavel comme
le « fondateur de la science politique ».7(*) Pour Machiavel, le prince doit
être réaliste. Pour ce faire, il doit user des moyens les mieux
appropriés pour se maintenir au pouvoir. Il en donne la raison :
« La politique est action et l'action tend à
la réussite. Si la réussite exige l'emploi des moyens moralement
répréhensibles, le Prince doit-il renoncer au
succès ? Se salir les mains ? Sacrifier le salut de son
âme au salut de la cité ? Ou s'arrêtera t-il sur la
voie qu'il ne peut pas ne pas emprunter ? Quel mensonge refusera- t-il
s'il précipitait sa perte en avouant la
vérité ?».8(*)
C'est dire que Le Prince contient « la
réalité, la vérité et la
possibilité » du pouvoir. Machiavel, son auteur, rompt, en
quelque sorte, avec « le préjugé, ou l'opinion
aristocratique inséparable du point de vue traditionnel ou classique sur
les choses politiques et morales ; il rompt solennellement et abruptement
avec les historiens, les philosophes et les orateurs de
l'Antiquité ». 9(*)
En fait, Machiavel ne partage pas totalement l'opinion selon
laquelle les affaires du monde sont gouvernées par Dieu et que les
hommes n'y peuvent rien malgré toute leur intelligence, et que par
conséquent, il serait insensé de s'efforcer de les
maîtriser, de juger l'évolution des choses. Selon cette opinion,
l'homme doit subir son sort au lieu de donner tort aux choses. Machiavel le
souligne par ailleurs en ces termes : « Je sais qu'aucuns furent
et sont en opinion que les affaires de ce monde soient en sorte
gouvernées de Dieu et de la fortune, que les hommes avec leurs sagesses
ne les puissent redresser, et n'y aient même aucun remède ;
par ainsi ils pourraient estimer bien vain de suer à les
maîtriser, au lieu de se laisser gouverner par le
sort ».10(*)
Pour notre auteur, la fortune dirige une partie des affaires
et elle nous laisse diriger l'autre moitié. Si telle est la vision
machiavélienne des affaires du monde, cela ne contraste t-il pas avec la
conception providentielle de la politique ? Les congolais moyens
n'attendent-ils pas que Dieu agisse à leur place ? L'on se rappelle
de l'expression lingala « Nzambe akosala »,
c'est-à-dire « Dieu pourvoira ». Laquelle
est souvent utilisée quand face aux déboires sociaux, la personne
ne semble plus entrevoir le bout du tunnel.
I.1.1. Types de
principautés, mode d'acquisition et conservation du pouvoir
a) Conquérir est un
désir naturel de l'homme
Le point précédent nous a montré le
caractère strictement réaliste de la conception politique de
Machiavel. Dans ce point, en parlant de différentes principautés,
de leur mode d'acquisition et de conservation, nous voulons montrer comment le
recours à la force vise des fins moralement bonnes, à savoir
l'unité de l'Etat, le maintient du pouvoir et le bien être du
peuple.
En effet, le réalisme politique que soutient Machiavel
tient à l'usage des moyens particuliers pour se maintenir au pouvoir. Si
en recourant à des moyens que la morale reprouve, le prince
réussit à établir l'ordre et à maintenir le
pouvoir, on dira par conséquent que l'usage de la force par
l'autorité légitime peut concourir à des fins moralement
bonnes. S'impose ainsi la question du rapport entre les moyens employés
et les fins à atteindre. Nous y reviendrons.
Notons d'abord que, pour Machiavel, conquérir est un
désir naturel de l'homme. Et quiconque se lance dans une telle
entreprise ne sera pas blâmé. C'est pourquoi il souligne que
« c'est chose certes fort ordinaire et selon nature que le
désir de conquérir ; et toutes et quantes fois le feront les
hommes qui le peuvent, ils en seront loués, ou pour le moins ils n'en
seront pas blâmés ».11(*)Ceci ne veut nullement signifier que tout le monde est
capable de faire une conquête. Parce que, cette dernière demande
une force et des techniques qui ne sont pas toujours à la portée
de tous. Comme nous le montrerons dans le paint suivant, seuls les gens pleins
de virtù et de force peuvent changer le cours du monde. C'est
pour cette raison que notre auteur pense que « quand ils ne peuvent
et veulent le faire à toute force, là est la faute et le
blâme ».12(*)
b) Types de principautés et
leur conservation
Machiavel distingue deux types de principautés. Pour
lui, elles sont soit héréditaires soit nouvelles :
« Tous les Etats, toutes les seigneuries qui eurent et ont
commandement sur les hommes, furent et sont ou républiques ou
principautés. Et des principautés, d'aucunes sont
héréditaires, desquelles la race du seigneur a tenue longtemps la
domination, les autres sont nouvelles ».13(*) Les différentes
principautés étant relevées, il nous reste à cerner
l'essence de chacune d'elles, leur mode d'acquisition et de conservation. La
question que l'on se pose est celle de savoir quelle différence y a-t-il
entre les principautés dites héréditaires de celles que
Machiavel qualifie des nouvelles ?
1. Les principautés
héréditaires
Pour Machiavel, les principautés
héréditaires sont celles que l'on acquiert par le fait
d'appartenir à la famille royale. Elles sont plus faciles à
maintenir. C'est la raison pour laquelle notre auteur s'intéresse moins
à cette première forme. Pour la conserver, soutient Machiavel, il
suffit de respecter la tradition ancestrale et de faire preuve d'un savoir
faire dans la réglementation des différences qui pourront
advenir. Notre auteur le résume en ces termes :
« Je dis donc dans les Etats
héréditaires et accoutumés à la race de leur
prince, la difficulté à les conserver est beaucoup moindre que
dans les nouveaux, car il y suffit de ne pas transgresser ni enfreindre l'ordre
des ancêtres et, pour le reste, de temporiser selon les cas qui
surviendront ; de sorte que si un tel prince est d'habileté
ordinaire, il se maintiendra toujours en son Etat s'il n'en est chassé
par force extraordinaire et excessive ».14(*)
Il ressort de cette citation que ne devient prince de la sorte
que celui qui est né de la famille du roi. L'autorité trouve son
fondement dans l'exaltation de l'origine divine du
pouvoir : « tout pouvoir vient de Dieu ». C'est
avec cette affirmation que le prince tient ses sujets sous « la
domination »15(*) et ceux-ci lui obéissent. Le danger que court
un tel pouvoir, c'est l'accès au pouvoir d'un prince sans
compétence. Dans ce cas, on en arrive à des révolutions
comme ce qui s'est passé en France.
2. Les principautés
nouvelles
S'agissant des nouvelles principautés, Machiavel pense
qu'elles sont des Etats qui sont instaurés par les armes d'autrui ou par
ses propres armes par la faveur de la fortune, ou par la virtù.
Elles sont les plus difficiles à conserver, car, soutient Machiavel,
« les hommes changent volontiers de maître, pensant
rencontrer mieux ».16(*) C'est ainsi que les méthodes qu'il propose
vont au delà de tout entendement humain. Toutes ces techniques que
préconise Machiavel sont inscrites dans une visée de maintien du
pouvoir et d'une «justice sociale». C'est pour cette raison que ces
méthodes, quoique dangereuses, nous intéressent pour leur usage
et leur finalité. Car, grâce à elles, le prince parvient
à instaurer l'ordre et la paix sociale.
Néanmoins, dans les nouvelles principautés, il y
a celles qui sont entièrement nouvelles et celles qui sont
ajoutées. Par principautés entièrement nouvelles, l'auteur
entend des Etats que l' « on gagne sur une nation
différente de langue, de coutumes et de
gouvernement ».17(*)En revanche, les principautés ajoutées
sont « des Etats et provinces incorporés par conquête
à une seigneurie plus ancienne la conquise ou sont de la même
nation et langue, ou elles n'en sont pas ».18(*) Pour leur conservation, le
prince doit distinguer les Etats ayant même nation et même langue
de ceux qui sont de langues, de coutumes et de gouvernement différents.
Car pour les premiers, il est facile de les conserver surtout quand leurs
habitants ne sont pas familiarisés avec la liberté. Pour ce
faire, le prince doit prendre garde à deux
choses : « L'une que l'ancienne race de leur prince soit
éteinte, l'autre de n'innover en rien en leurs lois et impôts, de
sorte qu'en peu de temps ces Etats nouveaux ne fassent avec les anciens qu'un
seul et même corps ».19(*)
Pour les seconds, notre auteur estime qu'il faut avoir, dans
ce cas, la faveur de la fortune et montrer une grande habileté.
Voilà pourquoi il propose trois solutions. La première solution
consiste à détruire la loi et la liberté de ce peuple. La
seconde réside dans l'obligation du prince d'aller vivre dans ses Etats
conquis pour lui permettre, non seulement de bien voir ce qui se passe sur
place, c'est-à-dire d'anticiper sur certains problèmes pour
éviter le pire, mais également par sa présence,
d'empêcher toute invasion extérieure. La troisième solution
serait d'envoyer des colonies en une place ou deux qui soient comme les
« compedes » de la province20(*) ; c'est-à-dire
établir un nouveau gouvernement de peu de gens dans les territoires
occupés par le prince tout en laissant le peuple vivre sous leurs lois,
mais en y imposant la paie de l'impôt au peuple. A ce propos Machiavel
écrit :
« Quand les pays qui s'acquièrent sont
accoutumés de vivre sous leurs lois et en liberté, il y a trois
manières de s'y maintenir. La première est de les
détruire ; l'autre d'y demeurer en personne ; la
troisième est de les laisser vivre selon leurs lois, en tirant un
tribut, après y avoir établi un gouvernement de peu de gens qui
les conserve en amitié. Parce qu'étant ce peu de gens
élevés en cet état par le prince, ils savent bien qu'ils
ne peuvent durer sans sa puissance et sa bonne grâce et qu'ils doivent
faire tout leur effort pour le maintenir ».21(*)
Cependant, il arrive que ce soient des hommes de guerre que
détient le prince. Dans ce cas, affirme Machiavel, il en coûte
beaucoup au prince. Car, le prince sera obligé de dépenser les
revenus du pays pour nourrir ces soldats et cela va lui créer des
ennemis dans le peuple qui peut nuire à sa quiétude. Ainsi, pour
notre auteur, les colonies sont les moins coûteuses au prince, parce que
de par leurs productions, elles contribuent au développement de l'Etat.
En revanche, les hommes de guerre favorisent l'appauvrissement de celui-ci. Si
le prince occupe une province dans une nation différente de ses anciens
Etats, il devra se présenter comme celui qui apporte protection aux plus
faibles, « s'ingénier à affaiblir ceux qui sont les
plus grands et se bien garder que par aucun remède y entre un
étranger plus puissant que lui ».22(*) Sinon, plus vite ils se
rallieront au puissant pour lui faire subir sa puissance.
Aussi, faut-il que le prince demeure le seul arbitre dans son
pays. Il doit en tout temps avoir un regard non seulement sur les
désordres présents mais également sur ceux qui
adviendront. A cet effet, il doit mettre tous les moyens en oeuvre pour les
éviter. Car « le temps chasse tout devant soi et peut apporter
avec soi le bien comme le mal, et le mal comme le bien ».23(*)
En outre, Machiavel distingue deux types de gouvernement. Il
s'agit des gouvernements à régime monarchique et aristocratique.
Le régime monarchique est celui dans lequel le prince seul
détient le pouvoir. Tous les autres sont esclaves et travaillent pour
lui comme ses serviteurs, ses ministres ou ses fonctionnaires sont sans
autorité réelle. Le pays à régime monarchique est
difficile à conquérir. Car le pouvoir est centralisé et
par le fait même forme une unité. Il est facile de le conserver
du fait que les sujets sont habitués à vivre dans la soumission.
Quant à l'aristocratie, elle est un régime dans
lequel le pouvoir est partagé entre un groupe de personnes nobles et
distinguées. Pour Machiavel, c'est le régime pour lequel le
pouvoir est partagé entre le chef et les barons. Les pays qui vivent
sous ce genre de régime sont faciles à conquérir à
cause de la décentralisation du pouvoir. Ils sont aussi très
difficiles à conserver :
« Toutes les principautés desquelles la
mémoire dure se trouvent avoir été gouvernées en
deux diverses manières : ou par un prince avec d'autres qui sont
tous ses esclaves, lesquels, par sa grâce et permission, l'aident, comme
ministres, à régir le royaume ; ou par un prince et des
barons, lesquels, non par la grâce du prince, mais par ancienneté
de leur rang, tiennent ce rang ».24(*)
Le prince apparaît comme la seule figure dominante de
la conception moniste de Machiavel. Que pouvons-nous comprendre par monisme
politique ?
Par conception moniste, il nous faut comprendre la conception
selon laquelle le prince est conçu en termes « d'individu
capable d'assurer, d'orienter le destin d'une multitude, d'une manière
non seulement exceptionnelle, mais aussi héroïque et
fructueuse ».25(*) Cette conception est à distinguer de
l'individualisme qui renvoie plutôt à l'égoïsme.
Elle a été au centre de toute la pensée
politique de Machiavel. La caractéristique de cette vision est que
« la viabilité et la prospérité d'une
société donnée reposent essentiellement sur un individu,
capable de promouvoir le bien commun ».26(*) Machiavel est le
défenseur par excellence de cette conception moniste du prince. Pour
lui, seul le prince doté de la
« virtù », serait capable de libérer
Florence de l'occupation étrangère et de reconstruire Florence.
I.1.2. La
« virtù » et la fortune
En quoi consiste la virtù chez
Machiavel ? Avant toute analyse, il convient de noter que la
virtù dont il est question ici n'est pas à confondre
avec la vertu au sens moral du terme. Chez Machiavel, la virtù
renvoie à la force de la volonté humaine en tant qu'elle tente de
s'imposer et de s'adapter au caractère imprévisible et changeant
des événements extérieurs, le hasard constituant la
fortune.
En effet, chez Machiavel, la virtù et la
fortune vont toujours ensemble. Elles sont comme « la matière
et la forme ». Généralement définie comme
l'énergie dans la conception et la rapidité dans
l'exécution, le refus du bon sens abandonné à
soi-même et du bénéfice du temps, la fortune se
présente suivant les cas, comme contingence aveugle ou comme occasion
propice à l'initiative courageuse.27(*) Quant à la virtù, elle
est cette volonté habile d'agir sur la fortune. Elle
représente la capacité humaine de transformer la fortune en
opportunité. Elle s'oppose à la passivité et au
renoncement. La virtù est aussi le juste milieu entre le
fatalisme et le volontarisme politique, entre le renoncement et l'imprudence.
Machiavel évoque l'exemple de Moïse, de Cyrus, de Romulus et de
Thésée comme étant ceux qui, par leur virtu et
profitant des occasions qui se sont présentées, ont changé
le cours du monde et sont devenus de grandes personnalités.
« Et en examinant bien leurs oeuvres et vies, on ne
trouve point qu'ils aient rien eu de la fortune que l'occasion, laquelle leur
donna la matière où ils pussent introduire la forme qui leur
plaisait ; sans cette occasion, les talents de leur esprit se seraient
présentés en vain [...] Donc ces occasions ont fait l'heureuse
réussite de ces personnages et l'excellence de leur virtù a fait
connaître l'occasion d'où leur pays fut ennobli et est devenu
très heureux ».28(*)
Pour Machiavel, il n'y a pas en politique des innovations
"ex nihilo", ni de victoire sans bataille. Les hommes gouvernent par
imitation. De même qu'on ne peut parler de justice sans l'injustice, de
même il nous est difficile de parler de la qualité que nous
appelons « virtu » sans les vices. Ainsi, la
virtù du prince s'accompagne de certains vices. Mais selon quel
critère pouvons-nous distinguer la virtù de
vices ?
En réponse à cette question, essayons de voir
dans la liste de qualités et de vices du prince que nous propose
Machiavel; qualités et vices qui aboutissent parfois au renversement des
valeurs. Il s'agit pour le prince d'être ladre plutôt que
d'être libéral, d'être cruel plutôt que d'être
pitoyable, d'être courageux plutôt que d'être pusillanime,
d'être orgueilleux plutôt que d'être humain ;
d'être rusé plutôt que d'être entier ;
d'être craint plutôt que d'être aimé, etc. Pour
Machiavel, il est souhaitable que le prince ait les qualités que l'on
considère comme bonnes ; et pour lesquelles on est estimé
homme de bien. Mais, considérant l'imperfection de la nature humaine,
notre auteur reconnait qu'il est impossible au prince d'avoir toutes ces
qualités. Il doit cependant faire semblant de les avoir :
« Je sais bien que chacun confessera que ce serait
chose très louable qu'un prince se trouvât ayant de toutes les
susdites qualités celles qui sont tenues pour bonnes ; mais, comme
elles ne se peuvent toutes avoir , ni entièrement observer, à
cause que la condition humaine ne le permet pas, il lui est nécessaire
d'être assez sage pour qu'il sache éviter l'infamie de ces vices
qui lui feraient perdre ses Etats, et de ceux qui ne les lui feraient point
perdre ses Etats qu'il s'en garde, s'il lui est possible ; mais s'il ne
lui est pas possible, il peut avec moindre souci les laisser aller
».29(*)
Machiavel classe ainsi les vices en trois catégories.
D'abord, les vices qui peuvent faire perdre le pouvoir ; ensuite, les
vices qui ne font pas perdre le pouvoir et enfin ceux qui sont indispensables
au prince. A présent, essayons d'illustrer certains de vices selon
qu'ils contribuent à la perte du pouvoir ou au maintien de celui-ci.
Dans la première catégorie, nous avons : la haine et le
mépris du prince par le peuple, le fait d'être
efféminé, l'usage de la mauvaise cruauté, le pillage de
bien des ses sujets, etc. La cruauté bien employée, le mensonge,
la manipulation, sont des vices de la deuxième catégorie. La
politique du « paraître »ou la ruse, etc.
sont des vices de la troisième catégorie. La question que l'on se
pose est celle de savoir pourquoi Machiavel classe t-il la
virtù ou la fortuna, la politique du
« paraître » comme faisant partie des vices qui
sont indispensables au prince ?
Nous avons souligné le fait que conquérir est un
désir naturel de l'homme. Mais que cette conquête n'est pas
toujours facile parce qu'elle requiert une énergie, une habileté
politique que Machiavel appelle la virtù et une armée
nationale. La fortune, comprise comme ensemble de circonstances complexes et
changeantes qui peuvent paralyser le prince s'il n'utilise pas au bon moment
les moyens appropriés pour maintenir le pouvoir, est l'occasion propice
qui peut changer le cours du monde.
En outre, pour Machiavel, la « ruse»
est une stratégie utilisée par le prince pour amener les hommes
à atteindre non pas l'intérêt particulier du Prince mais
bien l'intérêt général. Cette ruse est
nécessaire à la bonne marche d'un Etat ou d'une victoire. Mais
seulement, une telle victoire est de courte durée.
I.1.3. Le pouvoir est tributaire
du peuple et des riches
Généralement, l'approche de Machiavel donne
l'impression qu'il n'accorde pas une place importante au peuple. En
réalité, comparer à ses prédécesseurs
(Platon et Aristote), notre auteur fait du peuple
un « acteur » important et non pas un simple
« spectateur » du pouvoir. Pour Machiavel, le prince est en
effet triplement dépendant : il dépend d'abord de la
force ; ensuite de la loi et enfin du peuple.
Pour notre auteur, il y a deux manières de devenir
prince. Soit par la faveur de la population (populaire) soit par celle des
grands. Mais avant d'entrer au coeur même de la problématique,
essayons d'abord d'épingler ce qu'est devenir prince par la faveur du
peuple ou des grands.
Il existe, en effet, dans chaque cité, deux humeurs,
d'un côté, les petits et de l'autre, les grands. Les premiers
veulent être libres alors que les seconds cherchent à opprimer les
faibles (les petits). A ce propos Machiavel déclare :
« On devient prince de cette sorte ou par la faveur du populaire ou
celle des grands. Car en toute cité on trouve ces deux humeurs
différentes, desquelles la source est que le populaire n'aime point
à être commandé ni opprimé des plus gros. Et les
gros ont envie de commander et opprimer le peuple ».30(*)
Il s'en suit que deux volontés opposées
caractérisent le peuple : de la part des grands, il y a le
désir de dominer; et de la part des petits, celui de ne pas être
dominés ou opprimés. De fait, si les hommes naissent et demeurent
libres et égaux en droit, comment fonder en raison qu'une classe soit
supérieure et opprime les autres ? Machiavel a-t-il raison
d'affirmer que le désir du peuple est « plus
honnête » que celui des grands. Mais, de quelle manière
les petits ou les grands confèrent ils le pouvoir au prince ?
Le plus souvent, les riches ne pouvant résister au
peuple, soutiennent l'un d'entre eux et font de lui leur prince, de sorte que,
sous sa couverture, ils puissent bien satisfaire leurs appétits
égoïstes. De l'autre, le peuple, animé du désir de
vivre en liberté, donne réputation à un seul qu'il
élit prince pour être son défenseur contre les grands. Car,
le peuple lui-même est incapable de faire face aux grands. Par contre,
« celui qui devient prince par l'aide des riches se maintient avec
une plus grande difficulté que celui qui le devient par la faveur du
peuple »,31(*)pour la simple raison que le premier se voit comme un
riche parmi tant d'autres et par le fait même est incapable de les
commander ou de les façonner à sa guise. Par contre, celui qui
devient prince par la faveur du peuple est seul et n'a personne ou très
peu autour de lui qui ne lui obéissent.
Pour ce faire, Machiavel pense que tout prince, peu importe sa
provenance, doit en toutes choses vivre en bons termes avec ses sujets. Il doit
à tout prix se faire aimer de son peuple. Parce que le peuple change
facilement de moral en pensant rencontrer mieux. On voit pourquoi, le prince
devra à tout prix gagner l'estime de son peuple. C'est cela qui ressort
clairement dans ces propos de Machiavel:
« Quiconque devient prince par l'aide du peuple,
se doit toujours maintenir en amitié, ce qui lui sera bien facile
à faire, le peuple ne demandant autre chose sinon qu'à
n'être point opprimé. Mais celui qui contre le peuple, par la
faveur des grands devient prince, il doit sur toutes choses chercher à
gagner à soi le peuple, ce qu'il fait bien aisément quand il le
prend sous sa protection.».32(*)
C'est pourquoi le prince doit fuir comme un écueil
amer tout ce qui peut le faire tomber en haine et mépris par rapport au
peuple. Il s'agit par exemple de piller les biens et de prendre par force les
femmes de ses sujets. Parce que quand on n'arrache ni biens ni honneurs aux
hommes, ils vivent en bons citoyens. Et pour le prince, il ne restera
qu'à combattre simplement l'ambition de peu de gens.
Par ailleurs, le prince doit éviter de paraître
« variable, léger, efféminé, de peu de courage
et sans résolution ».33(*) Car, tous ces vices relèvent des vices qui
font perdre le pouvoir. C'est ainsi qu'il s'efforcera qu'en « ses
actions, on retrouve une certaine grandeur, magnanimité, gravité,
force et envers les intrigues privées de ses sujets, vouloir sa sentence
être irrévocable et qu'il fasse régner de lui opinion telle
que personne ne songe à le tromper ni circonvenir ».34(*) Celui qui se donne cette
réputation s'acquiert une grande estime des autres. Pour ce genre de
prince, on ne recourt pas facilement à une conjuration. Il n'est pas
attaqué facilement. Au contraire, il est respecté des siens.
En outre, le prince devra avoir peur aussi bien des ses sujets
que de son entourage: « L'un au-dedans à cause de ses sujets,
l'autre dehors à cause des potentats étrangers. De ceux-ci il se
défend par force d'armes et ses bons amis ; et toujours, s'il est
puissant en armes, il aura bons amis ; et toujours les affaires du dedans
seront assurées quand celles de dehors le seront, à moins
d'être par aventure troublées par une
conjuration ».35(*)
C'est dans ce contexte que l'auteur du
« Prince » prévoit l'emploi de la force
dans une certaine mesure. La force entendue comme cette
« animalité » que détiennent
certains dirigeants et qui les rend plus aptes à gouverner que
d'autres. Le prince est l'incarnation parfaite de l'homme efficace et
courageux. C'est la seule manière de bien mener un Etat et de
réussir en politique. En ce sens, le maintien du pouvoir a quelque
chose à voir avec les forces de l'ordre dans un Etat légitime. A
présent, abordons la question sécuritaire d'un Etat en
évoquant les meilleures armes sur lesquelles un prince devrait fonder
son pouvoir.
I.1.4. La meilleure armée
pour asseoir le pouvoir du prince
En tant qu'être social, l'homme est appelé
à vivre avec autrui. Mais, cette co-existence
dégénère parfois en conflits d'hégémonie et
d'intérêts. Dans ce contexte, la passion querelleuse peut se
porter aux extrêmes : combat, violence, mort, etc. Pour faire face
à cela, le pouvoir doit donc assurer la cohésion de ses membres.
Car, la finalité d'un Etat est de faire régner l'ordre, la
sécurité et la justice. Quel est le rôle du
Prince dans l'établissement et le maintien de l'ordre social ?
Autrement dit, sur quelles armes doit-il compter s'il ne veut pas sa propre
perte ni celle de son Etat ?
a) Clarification
conceptuelle
Chez Machiavel, le concept « armes » ne
renvoie nullement aux armes matérielles mais plutôt à
l'armée ou aux soldats.
L'armée, entendue comme
forces militaires d'un pays, rassemblées,
entraînées, structurées et équipées de
façon à pouvoir entreprendre des manoeuvres guerrières
à caractère offensif (conquête de territoire ennemi) ou
défensif. Le terme « arme » peut
désigner l'institution tout entière regroupant tous les
militaires du pays, ou un ensemble plus restreint composé d'hommes
placés sous la direction d'un commandant militaire.
b) Types d'armes
Selon Machiavel, « les armes par lesquelles un
prince défend son pays, ou sont les siennes propres, ou sont
mercenaires, ou auxiliaires, ou mêlées des unes et des
autres ».36(*) Qu'est-ce que pour Machiavel les armes propres,
mercenaires ou auxiliaires ? Et quelles sont les armes
préconisées par notre auteur pour la défense du
pays ?
Notre auteur fait l'éloge des armes propres. Il pense
que les armes mercenaires et auxiliaires ne valent rien et sont fort
dangereuses. En outre, celui qui compte sur cette forme d'armes ne pourra
jamais vaincre pour la simple raison qu'elles sont en discorde entre elles. De
surcroit, elles ne restent au camp que quand leurs intérêts sont
garantis. Par conséquent, ils ne peuvent sacrifier leur vie pour le
prince. Bien au contraire, dès qu'il y a guerre ces formes armes ont
tendance à prendre la fuite37(*) :
« Désunies, ambitieuses, sans discipline,
déloyales, braves chez les amis, lâches devant l'ennemi ;
elles n'ont point crainte de Dieu ni de foi avec les hommes, et ne
diffèrent ta ruine qu'autant que tu diffères l'assaut ; en
temps de paix tu seras pillé d'eux, en temps de guerre des
ennemis [...] ils n'ont autre amour ni autre occasion qui les tienne au
camp qu'un peu de gages, ce qui n'est pas suffisant à faire qu'ils
veuillent mourir pour toi. Ils veulent bien être avec toi pendant que tu
ne fais point la guerre, mais aussitôt que la guerre est venue, ne
désirent que fuir ou s'en aller ».38(*)
D'après notre auteur, la ruine de l'Italie pouvait
être justifiée par le fait qu'elle ait utilisé des armes
mercenaires. Dès lors, le prince devra se méfier des soldats
mercenaires pour deux raisons. D'abord, s'ils sont d'excellents hommes de
guerre, ils se font grands eux-mêmes en ruinant « le
maître » ou en détruisant d'autres contre sa
volonté ; ensuite, si le capitaine est brave, il sera par cette
qualité la cause de la perte du prince. Selon Machiavel, les armes
mercenaires ne font jamais du bien. Elles causent plus de mal que de bien au
prince ou à l'Etat.
Les armes auxiliaires sont une autre forme d'armes inutiles.
En effet, elles sont bonnes pour elles-mêmes. Mais, pour celui qui les
utilise, elles le rendent dépendant et il devient « ipso
facto » leur prisonnier : « Cette sorte d'arme peut
bien être bonne et profitable pour elle-même, mais à ceux
qui y font appel, elle est presque toujours dommageable. Car si on perd, on
reste battu, et si on gagne, on demeure leur prisonnier ».39(*)
Pour Machiavel, les armes auxiliaires sont plus dangereuses
que les mercenaires. Parce qu'elles sont toutes unies et sont habituées
à obéir à un autre qu'au prince lui-même.
D'où la perte du prince : « Celui donc, qui veut ne pouvoir
vaincre, qu'il s'aide de ces armes, qui sont beaucoup plus dangereuses que les
mercenaires, car en elles sa perte est toute prête, elles sont toutes
unies et toutes accoutumées d'obéir à un autre qu'à
toi ».40(*)
Les armes mixtes, quant à elles, sont
supérieures aux armes mercenaires et aux armes auxiliaires. Mais elles
sont inférieures à celles qui sont propres au prince :
« Les armes françaises sont mixtes, partie mercenaires, partie
gens du pays ; et ces armes sont beaucoup supérieures aux pures
auxiliaires ou aux pures mercenaires, mais de beaucoup inférieures
à celles qui sont de propres sujets et gens du pays
même ».41(*)Que faut-il entendre par armes propres ?
Pour Machiavel, « les forces propres sont
celles qui sont composées de sujets ou de citoyens ou d'autres gens que
le prince aura fait : toutes autres espèces sont mercenaires ou
auxiliaires ».42(*)Il s'agit de l'armée qui doit être celle
du prince. Et, tout prince sage doit compter sur sa propre armée
(nationale) et éviter à tout prix les armes auxiliaires et
mixtes. Parce qu'estime Machiavel, en gagnant avec les armes
étrangères ou d'autrui l'on devienne leur prisonnier.
I.1.5. L'art de la guerre :
vertu principale du prince
Dans l'univers de Machiavel, le prince doit se connaître
dans l'art de la guerre et doit pouvoir s'entourer des hommes de métier
comme conseillers. Parce que pour Machiavel, en temps de guerre, le prince
doit aller lui-même jusqu'au front combattre, jouer le rôle du bon
capitaine : « Le prince doit y aller lui-même en personne
et faire le devoir de bon capitaine ».43(*)
C'est ainsi qu'il est indispensable que le prince se
prépare de manière à faire face en temps
d'adversité. De fait, l'apprentissage de l'art de la guerre, de
l'organisation et de la discipline militaire, doivent être une
préoccupation permanente du prince pour trois raisons. D'abord, c'est la
vertu principale de tous ceux qui sont princes. Ensuite, le prince qui
maîtrise bien l'art de la guerre et qui a une armée forte, non
seulement n'est pas facilement attaqué par tous ceux qui convoitent ses
Etats, mais également, réussit à établir l'ordre
social. Et, selon notre auteur, l'expérience montre que les princes qui
s'adonnent au plaisir de sens qu'à l'art de la guerre perdent leur
pouvoir :
« Un prince donc ne doit avoir autre objet ni autre
pensée, ni prendre autre matière à coeur que le fait de la
guerre et l'organisation et discipline militaires ; car c'est le seul art
qui appartienne à ceux qui commandent, ayant si grande puissance que non
seulement il maintient ceux qui de race sont princes, mais bien souvent fait
monter à ce degré les hommes de simple condition ; en
revanche on voit que quand les princes se sont plus ordonnés aux
voluptés qu'aux armes, ils ont perdu leurs Etats ».44(*)
Le prince ne doit pas oublier l'art (métier) de la
guerre parce que « de l'homme armé à un qui ne
l'est point, il n'y a nulle comparaison »45(*). Le prince peut apprendre
l'art de la guerre de deux manières : « l'une par les
oeuvres, l'autre par l'esprit ».46(*) Qu'est ce que cela peut bien signifier?
Par les oeuvres, il faut entendre le fait que le prince, d'une
part, arrive à discipliner son peuple, de l'autre, à endurer la
souffrance et à bien connaître la situation géographique de
son Etat, c'est-à-dire, à être capable de situer les
limites de son Etat.
Pour Machiavel, cette attitude permet d'abord au prince de
bien connaître son pays, afin que, le connaissant mieux, il sache le
défendre en cas d'éventuelle guerre. Ensuite, il comprendra
à partir de là la situation de tout autre lieu, de sorte qu'en
cas de guerre, il sache où placer ses troupes et comment prendre de
l'avance sur l'adversaire.
A l'opposé, le prince qui ne s'y connaît pas dans
l'art de la guerre, n'a pas la première et principale vertu que doit
avoir un prince avisé. Parce que, c'est cette connaissance qui permet au
prince non seulement de localiser l'ennemi et de pouvoir bien positionner son
armée mais aussi de conquérir un nouvel Etat:
« Pour les oeuvres, outre qu'il doit tenir ses gens
en bonne discipline, il convient qu'il hante la chasse, et par ce moyen
aguerrisse son corps et l'endurcisse à la peine, et en même temps
apprenne la nature des lieux, et à connaître comme
s'élèvent les montagnes, comme débouchent les
vallées, comme les plaines s'étalent, et à savoir la
nature des rivières et des marécages, et en cela mettre un
très grand soin. Ce qui est profitable en deux manières :
premièrement, il apprend à connaître son pays et il peut
mieux savoir comme il faut le défendre ; ensuite, ayant bien la
connaissance et la pratique de ce paysage, il comprendra facilement la
situation de tout autre lieu qu'il lui puisse être besoin de
considérer [...]. Le prince qui n'est point expert en cette partie, il
n'a pas la première et principale vertu que doit avoir un bon
capitaine ; car c'est elle qui enseigne à trouver l'ennemi,
établir les cantonnements, conduire une armée, la mettre en ordre
de bataille, prendre l'avantage au siège d'une
ville ».47(*)
A ce niveau, la question que l'on se pose, est celle de savoir
pourquoi Machiavel est-il en quelque sorte préoccupé par la
guerre ? Nous trouvons la réponse à cette question dans
l'histoire même de l'Italie assiégée par les barbares. Ce
qui explique que pour notre auteur, la maîtrise de « l'art de
la guerre » est un facteur important dans l'acquisition et le
maintien de l'Etat. Parce que c'est elle qui pousse à acquérir ou
à perdre un Etat, ou encore à le conserver.
En ce qui concerne l'exercice de l'esprit, Machiavel souligne
le fait que le prince doit avoir une bonne culture des faits historiques. Il
doit en effet considérer les actions des excellents personnages,
c'est-à-dire voir comment ils ont gouverné, et être
capable de déchiffrer aussi bien les causes de leur victoire que celles
de leur défaite. Ainsi, il sera en mesure de fuir telle cause
plutôt que telle autre. Il est à noter aussi que les hommes se
gouvernent par imitation. C'est-ce que firent Alexandre le grand, César,
Scipion, Cyrus, etc.
C'est dans cette perspective que Machiavel propose au prince
de lire l'histoire des Anciens pour imiter leurs bons exemples. Il s'agit de
considérer les actions fortes des excellents personnages de
l'Antiquité, c'est-à-dire, voir comment « ils se
sont gouverner en temps de guerre, examiner les causes de leur victoire ou
défaite, pour fuir celles-ci et suivre
celles-là »48(*) Pour Machiavel, la négligence de l'histoire
du passé a conduit les Etats chrétiens au manque d'une
connaissance véritable de l'histoire, de laquelle on retirerait des
leçons du passé pour pouvoir goûter la saveur qu'elle
contient :
« Et cependant, pour fonder une République,
maintenir des Etats ; pour gouverner un royaume, organiser une
armée, conduire une guerre, dispenser la justice, accroitre son empire,
on ne trouve ni prince, ni république, ni capitaine, ni citoyen, qui ait
recours aux exemples de l'Antiquité. Cette négligence est moins
due à l'état de faiblesse où nous ont réduits les
vices de notre éducation actuelle, qu'aux maux causés par cette
paresse orgueilleuse qui règne dans la plupart des Etats
chrétiens, qu'au défaut d'une véritable connaissance de
l'histoire, de la lecture de laquelle on ne sait plus retirer le fruit ni
goûter la saveur qu'elle contient ».49(*)
Par ailleurs, Machiavel soutient qu'en temps de paix, le
prince sage doit fuir l'oisiveté, c'est-à- dire une paix qui
enlève l'idée de la guerre au prince et qui le rend plus passif.
Le prince devra ainsi « mettre son soin à amasser un capital
duquel il se puisse aider en l'adversité, afin que quand la fortune
tournera le dos, elle le trouve prêt à résister à sa
furie ».50(*)
En outre, le prince doit se montrer très rigoureux
quand il s'agit de conduire une armée, de gouverner plusieurs soldats.
Il ne doit pas se soucier du surnom de « cruel »
sans lequel une armée n'est pas prête à obéir et
à faire une quelconque opération. Ainsi, selon Machiavel,
« quand un prince conduit une armée, gouvernant une multitude
de soldats, c'est alors qu'il ne faut nullement se soucier du nom de cruel, car
sans ce nom une armée n'est jamais unie ni prête à aucune
opération ».51(*)
I.1.6. La loi et la
force pour un même but
Pour Machiavel, les armes sont la condition primordiale
pour l'existence de bonnes lois. En effet, elles facilitent l'application des
lois. Ainsi, après avoir discouru longuement sur le gouvernement par la
force, nous voulons réfléchir maintenant sur la force de la loi
dans la perspective de Machiavel.
En remontant à l'origine des lois, estime Machiavel, on
se rend compte que les hommes ont fait les lois pour prévenir toute
exaction et pouvoir établir une certaine justice sociale. Parce que,
selon Machiavel, au commencement, « on vit un homme nuire à
son bienfaiteur. Pour prévenir de pareils maux, les hommes se
déterminèrent à faire des lois, et à ordonner des
punitions pour qui y contreviendrait. Telle fut l'origine de la
justice ».52(*)
Pour éviter ces déviations, il faut des lois qui
coordonnent les activités et les comportements des hommes dans la
société. La loi a donc pour but d'éradiquer toute
injustice et tout ce qui aliène l'homme. Mais, peut-elle agir
efficacement sans la présence à ses côtés de la
force de l'ordre ? Cette question constitue maintenant l'objet de notre
réflexion.
Sans la force de l'ordre, soutient Machiavel, il n'y a pas de
bonnes lois: « Les principaux fondements qu'aient tous les Etats,
aussi bien les nouveaux que les anciens et les mixtes, sont les bonnes lois et
les bonnes armes. Et comme il n'est pas possible d'avoir de bonnes lois
là où les forces ne valent rien, et que si les armes sont bonnes,
il est aussi bien raisonnable que les lois y soient
bonnes ».53(*)
Dans cette perspective, si on admet que les forces sont auxiliatrices de la loi
d'un Etat, on ne peut faire abstraction du fait que la réussite de la
sécurité favorise le développement d'un pays sur
plusieurs plans (politique, économique, etc.).
Dès lors, une armée mal payée et mal
équipée ne constitue-t-elle pas un danger et une menace pour la
sécurité de l'Etat ? Un militaire voué à la
débrouillardise, faute de salaire, ne peut qu'abuser de sa force et
vivre de son arme. La loi n'a de force que si elle est soutenue par la force
qui se présente alors comme son auxiliaire. Ainsi, dans nos pays
d'Afrique, les choses ne peuvent pas fonctionner tant que la police et
l'armée ne sont pas au service de la loi et de la nation. Il est
impérieux que la question de la sécurité des citoyens soit
la première préoccupation de l'autorité politique ou du
prince :
« Car, de l'homme armé à un qui
ne l'est point, il n'y a nulle comparaison, et la raison ne veut pas qu'un bien
armé obéisse volontiers à celui qui est
désarmé, ni qu'un homme désarmé puisse être
en sûreté entre ses serviteurs armés ; parce que
régnant chez les uns le mépris, chez l'autre la crainte, il n'est
pas possible qu'ils s'accordent ensemble ».54(*)
Pour défendre et maintenir son pouvoir, le prince doit
être capable de créer une armée disciplinée. Parce
que, seule une armée disciplinée et bien aguerrie peut vivre de
long mois dans le camp adverse pour conquérir un Etat. Dès lors,
améliorer le sort même des militaires et les conditions dans
lesquelles ils travaillent fait partie de la prudence du prince.
En
somme, la loi renvoie au respect des normes dont les forces de l'ordre
(l'armée, la police, etc.) sont censées faciliter l'application
et le respect. De fait, sans la force de l'ordre, la loi ne serait pas
respectée. C'est pourquoi Machiavel estime que la force armée est
l'un des meilleurs moyens capables d'instaurer la loi.
CHAP. II : LA
DIALECTIQUE DE L'ACTION POLITIQUE
Par dialectique de l'action politique, nous entendons le
caractère paradoxal de l'agir politique qui se manifeste dans
« la rationalité et dans les possibilités de
perversion ».55(*) En effet, en politique, on distingue deux
éléments : « une rationalité politique
spécifique et un mal politique. La rationalité est le sens du
politique en tant qu'organisation humaine au service de l'homme et de la
société qui doit être pensée comme orientée
vers un bien auquel participe le bien individuel ».56(*) C'est en quelque sorte le
politique tel que pensé par les Anciens, en particulier par Aristote
dans son livre « Le politique ». Il y a
aussi la politique qui est en quelque sorte la concrétisation de cet
idéal politique. C'est dans les moyens utilisés qu'intervient le
pouvoir, en particulier la violence pour pousser les gens à
réaliser cet idéal.
C'est ici qu'apparaît le mal politique. Ce mal consiste
dans l'utilisation des moyens les mieux appropriés pour se maintenir au
pouvoir et assurer l'ordre social. L'action politique s'inscrit en effet dans
le déchiffrement des événements dans l'avenir. La
politique nous fait prendre conscience du fait qu'elle se meut sur un terrain
où peut apparaitre une opposition entre la politique et les valeurs
morales. Elle nous apparaît comme le lieu où parfois l'homme peut
se salir les mains avec tout ce que cela comporte de violent, d'immoral et
d'injuste.
Notre deuxième chapitre s'articule autour de trois
axes. D'abord, il sera question du recours à des méthodes
reprouvées par la morale mais qui, si on les suit, apportent aise et
sécurité au prince. Ensuite, nous focaliserons notre attention
sur ce que l'on appelle habituellement la « politique de
l'apparaître ». Enfin, on traitera de la sagesse du prince. Il
s'agirait d'une sagesse caractérisée par la combinaison des vices
et des qualités pour l'exercice et le maintien du pouvoir.
II.1. Le mal politique chez
Machiavel
En proposant les moyens pour le maintien du pouvoir, Machiavel
ne se préoccupe pas des questions d'ordre moral. Ce qui
l'intéresse, c'est la description de la manière dont s'acquiert,
s'exerce et se conserve le pouvoir. Voilà pourquoi plusieurs hommes
politiques trouvent dans Le Prince, les stratagèmes
pour maintenir à tout prix leur pouvoir. D'autres, l'ayant mal
interprété, l'utilisent pour asseoir leurs dictatures et
tyrannies.
Pour Machiavel, le mal est mal. En ce sens, il sait ce que
signifie la cruauté, l'avarice, etc. Ce sont des vices même s'ils
peuvent concourir à établir le pouvoir. Machiavel ne nous
enseigne pas le mal, il nous apprend simplement qu', il y a possibilité
d'utiliser le mal par l'autorité légitime pour conserver
l'intégrité territoriale et le bien être social ;
tout en s'opposant à une cruauté féroce, aveugle qui
d'ailleurs cause la ruine du prince. En ce sens, l'exhortation à entrer
dans le mal quand c'est nécessaire, est à comprendre dans le but
de la conservation ou du maintien du pouvoir. Cet appel de notre auteur se
situe dans le contexte de l'Italie de son époque. C'est ainsi
qu'après avoir décrit le visage du prince, Machiavel
achève son ouvrage par une exhortation au prince Laurent de
Médicis :
« On ne doit pas, donc, laisser
perdre cette occasion, afin qu'après une si longue attente, l'Italie
puisse voir apparaitre un rédempteur. Je ne saurais pas suffisamment
déclarer avec quelle grande affection il serait reçu en tous ces
pays, qui en ont enduré par ces descentes d'étrangers en Italie,
avec quelque soif de vengeance, avec quelle foi opiniâtre, quelle
piété, quelles larmes. Quelles portes lui fermerait-on ?
Quel peuple lui refuserait obéissance ? Quelle envie s'opposerait
à lui ? Quel italien lui refuserait hommage ? Cette barbare
tyrannie pue à tout le monde ici. Que votre illustre maison donc assume
ce parti, avec le même coeur, avec le même espoir qu'on assume des
justes guerres, que sous son étendard, votre patrie soit ennoblie dit de
Pétrarque ».57(*)
Ici se trouve donné le contexte dans lequel Machiavel
publie son ouvrage. Il s'agit d'une situation de crise où tous les
moyens sont bons pourvu qu'on soit libéré de la tyrannie.
Machiavel est préoccupé par la situation dramatique de l'Italie
focalisée sur trois centres avec les Etats pontificaux (Milan, Venise et
Florence). A cotés des ces Etats existent encore d'autres petits Etats
qui naissent. Machiavel milite donc pour l'unification de l'Italie. La
faiblesse de l'Italie vient en effet de la lutte des factions, de
l'incapacité des italiens à s'unir devant l'étranger. En
ce sens, nous l'avons déjà souligné, seul le prince
doué de « virtù » pouvait sauver
l'Italie.
Pour inspirer la crainte, le prince doit recourir à la
cruauté « bien employée ». Qu'est-ce qu'une
« cruauté bien employée » ?
Selon notre auteur, la cruauté bien employée est celle qui se
produit une fois pour toutes et se transforme rapidement en
bénéfice pour le peuple. C'est pourquoi Machiavel fait
l'éloge de César Borgia qui, utilisant une cruauté bonne,
réussit en peu de temps à rétablir l'ordre en Romagne et
à unifier son peuple.
« On peut appeler bonne cette cruauté (...)
qui s'exerce seulement une fois, par nécessité de
sûreté, et puis ne se continue point, mais bien se convertit en
profit des sujets le plus qu'on peut. La mauvaise est celle qui du
commencement, encore qu'elle soit bien petite, croit avec le temps plutôt
qu'elle ne s'abaisse. Ceux qui useront de la première sorte de
cruauté peuvent avec l'aide de Dieu et des hommes trouver quelque
remède favorable».58(*)
Aussi, propose t-il au prince « d'être plus
craint qu'aimé ». Parce que l'amour crée une obligation
qui, par le fait même, ôte au prince sa liberté. Mais la
peur du châtiment engendre plutôt révérence et
respect. Par conséquent, il est souhaitable que le prince soit plus
craint qu'aimé, parce que celui qui cherche à être
aimé se met sous la dépendance de ceux dont il cherche à
être aimé. Mais celui qui est craint reste indépendant de
ceux qui le redoutent et les place au contraire sous sa
dépendance :
« Il est beaucoup plus sûr de se faire
craindre qu'aimer, s'il faut qu'il y ait seulement l'un des deux. Car on peut
dire généralement une chose de tous les hommes : qu'ils sont
ingrats, changeants, dissimulés, ennemis du danger, avides de gagner,
tant que tu leur fais du bien, ils sont tout à toi, ils t'offrent leur
sang, leurs biens, leur vie et leurs enfants [...] quand le besoin est
futur ; mais quand il approche, ils se
dérobent ».59(*)
Cette citation pose le problème de la conception
anthropologique de Machiavel. Une telle affirmation ne contrarie t-elle pas la
perception de l'homme d'un plus grand nombre ? De fait, l'opposition
introduite par Machiavel entre les moyens et les fins de l'action est
renforcée par un pessimisme sur l'homme (l'homme est méchant
affirme t-il). C'est dans cette perspective que s'inscrit aussi Thomas Hobbes.
La question que l'on se pose est celle de savoir, si d'un méchant
peut-il sortir quelque chose de bon ?
En effet, dans son ouvrage, Le Léviathan,
traitant de la matière, de la forme et du pouvoir ecclésiastique
et civil, Hobbes nous propose aussi une anthropologie pessimiste. Dans cet
ouvrage, il distingue deux états, à savoir : l'état
de nature et un état politique. Le premier état (de nature) est
celui dans lequel « l'homme est un loup pour l'homme ».
C'est « la guerre de chacun contre chacun ».60(*) Cette situation de l'homme
trouve son origine dans certains traits de la « nature
humaine » en l'occurrence « la rivalité, la
méfiance et la fierté ».61(*) C'est pour cette même
raison qu'il écrit : «nous pouvons trouver dans la nature
humaine trois causes principales de la querelle : premièrement, la
rivalité ; deuxièmement, la méfiance ;
troisièmement, la fierté ».62(*) Toutes ces trois dimensions
ont pour conséquence « un désir perpétuel
et sans trêve d'acquérir pouvoir après
pouvoir ».63(*)
Dans l'état de nature, il n'y a pas des lois. Seule la
République émet des lois pour le vivre ensemble des citoyens.
Pour échapper à « la crainte et le risque continuels
d'une mort violente»64(*)
qui guettait les individus isolés dans l'« état
de nature », les gens doivent s'associer pour conférer le
pouvoir à un seul : « le Léviathan », et
ainsi, pour permettre l'organisation de l'Etat, sinon ils restent dans
l'anarchie. C'est ainsi que ceux-ci se résolurent à s'imposer
des lois fondées sur le contrat social.
Selon Hobbes, afin de garantir la sécurité des
personnes et des biens (vocation première de l'État), les
citoyens doivent se soumettre au même type de contrat social qui a permis
d'instaurer la société civile : ils doivent renoncer
à leur pouvoir politique et économique en faveur du prince, qui,
bien qu'il ne soit pas infaillible, est le seul à pouvoir
épargner à ses sujets les conflits sociaux auxquels les portent
leurs inclinations naturelles65(*).
Ainsi, le bon prince est celui qui prend au sérieux la
condition humaine, caractérisée par l'ambiguïté du
bien et du mal. Et, celui qui veut devenir prince doit connaître cette
versatilité des hommes. Un prince qui ignore cette nature de l'homme
s'expose à plus d'un risque. En effet, les hommes sont cupides, violents
et pleins d'ambitions.
C'est dans cette perspective que Machiavel affirme qu'il n'est
pas bon d'être toujours vertueux, mais seulement le
paraître. Sinon, ce serait préjudiciable à
la politique. Cette affirmation de Machiavel est à comprendre dans le
sens où le peuple ignore son bien ; que le prince qui du moins est
considéré comme guide, peut dans l'intérêt
général du peuple, tromper l'ennemi, violer la parole
donnée, etc. En d'autres mots, il peut utiliser certains vices qui
concourent à la conservation du pouvoir.
Par ailleurs, dit-il, l'Etat est parfois le siège des
conflits et non seulement une assemblée de paisibles citoyens qui
acceptent d'être facilement gouvernés par un sage :
« Tous les écrivains qui se sont occupés de politique
(l'histoire est remplie d'exemples qui les appuient) s'accordent à dire
que quiconque veut fonder un Etat et lui donner des lois doit supposer d'avance
les hommes méchants, et toujours prêts à montrer leur
méchanceté toutes les fois qu'ils en trouveront
l'occasion ».66(*)
On voit donc, aussi bien Machiavel que Hobbes ont la
même idée de l'homme et, par voie de conséquence, du vivre
« ensemble ». C'est ainsi que le prince avisé doit
tenir compte de la lutte autour du pouvoir lui -même. La politique se
détermine en fonction du rapport de force que le prince doit
gérer. Machiavel nous prévient en affirmant que c'est dans le
moment de crise que l'on voit réapparaître la nature bestiale de
l'homme, qui est dissimulée en temps ordinaire, enrobée sous le
couvert de la politesse, de la flatterie et de la ruse.
En ce sens, le prince doit opposer la société
civile, lieu où s'affrontent les passions humaines à l'Etat, lieu
où tous ces antagonismes doivent se dissoudre sous la domination de la
force supérieure que possède le prince. Faudrait- il encore que
le prince sache que la politique ne se fait pas avec de bons sentiments, mais
essentiellement avec des actes efficaces. Et une fois la fin définie, il
ne lui restera qu'à déterminer les moyens pouvant lui permettre
d'atteindre cette fin qu'il s'est assignée. Pour Machiavel, en politique
la fin justifie les moyens. En d'autres termes, tous les moyens sont bons du
moment où ils concourent à la réalisation de
l'intérêt supérieur de l'Etat. Néanmoins, nous
savons que ce sont plutôt les moyens employés qui permettent de
juger la fin.
Au demeurant, la valeur accordée au résultat
obtenu dépend du caractère incontestable des moyens
employés. Mais, la conception défendue par Machiavel a des
conséquences graves sur le plan moral. Ce qui compte ici, c'est
l'intérêt qu'il soit personnel ou collectif. Toutefois, pour
dissimuler le caractère immoral des moyens, Machiavel met en lien les
moyens avec la nécessité ; c'est-à-dire l'usage des
moyens est dicté par la contrainte. C'est dans cette optique que nous
devons comprendre cette affirmation : « Un prince donc se
propose pour son but de vaincre, et de maintenir l'Etat : les moyens
seront toujours estimés honorables et loués de chacun, car le
vulgaire ne juge que de ce qu'il voit et de ce qui advient ; or, en ce
monde, il n'y a que le vulgaire ; et le petit nombre ne compte point,
quand le grand nombre a de quoi s'appuyer ».67(*)
Nous pouvons déduire de ce qui précède
qu'il est permis au prince de recourir en cas de nécessité,
à tous les moyens, même ceux réprouvés par la
morale, dans le but d'atteindre l'idéal politique. De fait, pour notre
auteur, la vision morale ne s'accommode pas toujours avec la vision politique.
En effet, le souci d'agir efficacement pousse parfois le prince à agir
à l'encontre de certains principes moraux. Dans cette perspective, nous
pouvons affirmer que la visée morale est pour Machiavel
différente de la visée politique.
Tous les moyens employés par la raison d'Etat, qu'ils
soient bons ou mauvais, sont d'office légitimes, à telle enseigne
que le pouvoir peut corrompre, tromper, tuer, etc dans le but de maintenir
l'unité de l'Etat et l'ordre social. Pour illustrer sa pensée,
Machiavel cite le cas de César Borgia qui est parvenu à faire
l'unité de la Romagne en utilisant une « bonne
cruauté », c'est-à-dire celle qui se pratique une fois
et qui vise un intérêt général. Cette manière
de procéder ne veut toutefois pas signifier que Machiavel incite les
gens à la violence.
Il apparaît plutôt que, pour Machiavel, la force
du prince doit être mesurée. Elle ne doit pas être
utilisée sans cause juste. Cette force est à distinguer d'une
cruauté féroce et aveugle qui cause la ruine du tyran :
« Quand il serait forcé de procéder contre le sang de
quelqu'un, il ne doit point le faire sans justification convenable ni cause
manifeste; mais sur toutes choses s'abstenir du bien
d'autrui ».68(*) On voit que le prince de Machiavel n'est
pas aussi cynique que d'aucuns le croient. Pour notre auteur, le prince doit
être un modèle ; c'est-à-dire qu'il y a un certain
nombre de choses qu'il peut faire et d'autres qu'il ne peut pas faire. En ce
sens, il devrait à tout prix et surtout éviter celles qui peuvent
lui apporter haine et mépris, entre autres, piller les biens de ses
sujets, devenir un tyran, prendre les femmes de ses sujets par force, etc.
Toutefois, nous vivons dans un monde marqué par des
guerres, des divisions ; un monde où les intérêts
individuels l'emportent sur les intérêts communs. C'est aussi un
monde déchiré par la lutte des appétits du pouvoir, des
grandes ambitions et le manque de transparence. Ainsi, pour conserver le
pouvoir, le prince doit paraître puissant. C'est à ce prix qu'il
peut établir la paix et la concorde entre les peuples. Il ne peut le
faire que par l'action et dans l'action en pesant les décisions qu'il
prend et en prévoyant leurs conséquences.
C'est pourquoi le prince doit toujours agir en fonction des
fins poursuivies par l'Etat, lesquelles fins sont moralement bonnes
(l'unité de l'Etat, la paix sociale, etc.). En effet, pour notre auteur,
le prince doit savoir qu'il y a d'un côté les principes moraux
qu'il préconise énergiquement, et de l'autre côté,
les exigences politiques qui ne marchent pas toujours dans le sillage de la
morale.
C'est ainsi que chez Machiavel, la vertu principale du prince
ne relève pas nécessairement de la morale mais d'abord de la
politique. C'est par sa capacité d'user de la force ou de la loi que le
prince parvient à instaurer l'ordre et l'unité de la cité.
On comprend pourquoi il conseille au prince justement l'usage judicieux et
vigoureux, aussi bien de la vertu que du vice, selon que l'exigent les
circonstances.
II.1.1. La politique de l'apparaître
Machiavel suggère au prince d'user, selon les
circonstances, de la loi ou de la force, de la cruauté ou de la
séduction, de la vérité ou du mensonge. Toujours est-il
que le prince doit apparaître devant le peuple sous la forme d'une
autorité forte, capable d'imposer sa force, et par là
d'être craint sans pour autant être méprisé et
haï. Il devra toujours agir en fonction de l'instance supérieure
qu'est l'Etat. Il doit par tous les moyens conserver l'intégrité
de l'Etat et faire en sorte qu'aucune force, aussi bien
étrangère que nationale, ne vienne perturber l'ordre social.
En effet, dans des situations difficiles, le prince doit agir
de façon réaliste. Il doit apprendre à être cruel
comme le sont ses adversaires. C'est ainsi que, pour ne pas précipiter
sa perte et celle de son Etat, il doit apprendre à ne pas être
toujours bon et à ne pas s'écarter non plus du bien quand il le
peut. Pourvu qu'il paraisse bon aux yeux du peuple. Pour ce faire, il suffit
qu'il se montre généreux, bon, pieux, attaché aux
traditions et aux valeurs, puissant, etc:
« Il n'est donc pas nécessaire à un
prince d'avoir toutes les qualités ci-dessus nommées, mais bien
il faut qu'il paraisse les avoir. Et même, j'oserai bien dire que, s'il
les a et qu'il les observe toujours, elles lui portent dommage ; mais
faisant beau semblant de les avoir, alors elles sont profitables ; comme
de sembler être pitoyable, fidèle, humain, intègre,
religieux ; et de l'être, mais arrêtant alors ton esprit
à cela que, s'il faut ne l'être point, tu puisses et saches user
du contraire».69(*)
Il est donc indispensable que le prince ait une bonne image
auprès du peuple, cherchant toujours à contenter ses
désirs. Ce faisant, le peuple, qui s'identifie spontanément au
prince porteur des valeurs auxquelles tout le monde croit, se reconnaîtra
en lui. Dès lors, pour gagner l'estime et le soutien du peuple, le
prince est tenu de respecter, au moins en apparence, tout ce que le peuple
considère comme des valeurs morales et auxquelles il croit de tout son
coeur. Mais, en privé, le prince peut mépriser ces règles,
et agir parfois à l'encontre de la morale, comme par exemple dans le non
respect de la parole donnée. Car, seuls importent la stabilité
de l'Etat et le maintien du pouvoir.
D'après Machiavel, le peuple ne fait pas de distinction
entre le paraître et l'être. Il est plus sensible aux apparences
que le prince adoptera à bon escient : « Les hommes en
général, jugent plutôt aux yeux qu'aux mains, car chacun
peut voir facilement, mais sentir, bien peu. Tout le monde voit bien ce que tu
sembles, mais bien peu ont le sentiment de ce que tu es. ».70(*)
Nous voyons ici l'idée selon laquelle la foule est sans
visage. En d'autres mots, enfoui dans la foule, l'homme se laisse emporter, non
pas par la raison mais plutôt par l'opinion du groupe ou les
sentiments. Le prince doit tenir compte de cette faiblesse de sa population. En
ce sens, le prince peut participer aux cérémonies que le peuple
apprécie, encourager certaines initiatives qui concourent au
développement de l'Etat, en distribuant certaines récompenses
à ceux qui sont meilleurs en chaque art mais pas beaucoup :
« Outre ces choses, un prince doit montrer qu'il
aime la virtu, et doit porter honneur à ceux qui sont
excellents en chaque art. Après il doit donner courage à ses
citoyens de pouvoir paisiblement exercer leurs métiers, tant dans la
marchandise qu'au labourage et dans toute autre occupation humaine, afin que le
laboureur ne laisse ses terres en friche de peur qu'on ne les lui ôte et
le marchand ne veuille pas commencer nouveau trafic par crainte des
impositions. Le prince donnera récompense à ceux qui veulent
faire ces choses et à quiconque pense en quelque autre manière
que ce soit à enrichir sa ville ou son pays».71(*)
Au regard de la crise que connaît aujourd'hui la RDC,
sans toutefois nier la part du peuple lui-même, il nous semble que nos
politiciens portent la plus grande part de responsabilité dans la
mauvaise gestion du pays. Par manque d'encouragement et faute d'une bonne
rémunération, plusieurs secteurs de l'Etat ne fonctionnent pas
normalement. Certains ont abandonné leurs métiers pour devenir
soit commerçants, soit hommes d'affaires. Dans cette citation, Machiavel
apparait comme un agent de développement. Sa vision peut être mise
en lien avec la conception moderne qui lie politique et économie ;
parce que le prince doit compter non seulement sur sa propre armée, mais
aussi sur son propre argent et or.
Par ailleurs, il importe de noter que la pratique de la
politique suppose une certaine discrétion. On ne devient pas un bon
politicien en faisant de grands discours. C'est sur base de son action que l'on
juge l'efficacité d'un prince. Parce que pour «les actions de tous
les hommes et spécialement des princes (car là on n'en peut
appeler à autre juge), on regarde quel a été le
succès ».72(*) C'est ainsi que le prince doit se servir du
pouvoir, l'exercer selon les circonstances qui se présentent,
c'est-à-dire profiter de certaines occasions pour renforcer son
autorité. Parce que dans l'art de gouverner, l'autorité doit
composer avec les circonstances pour les gérer de façon habile et
maintenir son pouvoir ainsi que l'ordre de l'Etat :
« En certains temps de l'année, elle laisse
son peuple ébattre et se détendre en fêtes et jeux. Et
comme chaque ville est divisée en métiers ou en tribus, le prince
doit faire cas de ces groupements, être quelquefois dans leurs
assemblées, donner de soi un exemple d'humanité et
magnificence : néanmoins qu'il ne déroge point à la
majesté de son rang, car elle ne lui doit jamais faillir
».73(*)
Il ressort que la pratique de l'exercice du pouvoir est un
art. Elle requiert une certaine sagesse et une certaine habileté. Le
prince doit d'une manière ou d'une autre satisfaire les besoins de son
peuple. Il devra faire preuve d'une certaine impartialité dans tout ce
qu'il pose comme actes et dans ses décisions.
II.1.2. La sagesse du prince dans
ses relations avec ses sujets et amis
Nous venons de voir que, selon Machiavel, la dualité
absolue entre le bien et le mal n'existe pas dans le domaine politique. En
effet, pour Machiavel, le prince sage est celui qui sait alterner l'usage aussi
bien des vertus que des vices. Mais, par quels moyens pouvons-nous juger une
chose comme bonne si derrière elle se cache le mal ?
Disons d'abord que chez Machiavel, la sagesse est à
saisir en lien avec la conservation et l'accroissement du pouvoir du prince.
C'est pourquoi la sagesse est à comprendre comme cette habileté,
ce savoir militaire, cette aptitude à se faire obéir et craindre,
cet usage de la ruse, etc. La sagesse du prince consiste à
connaître la nature des inconvénients et à choisir le
moindre mal : « l'ordre des choses humaines est tel que jamais
on ne peut fuir un inconvénient sinon pour encourir un autre. Toutefois
la sagesse du prince consiste à connaître la qualité des
inconvénients et choisir le moindre pour bon ».74(*)
C'est ainsi, parlant de sa
relation avec ses sujets, Machiavel souligne que le prince doit éviter
d'être « haï et méprisé ».
Ce propos se trouve déjà développé dans la
Politique d'Aristote : « Il y a deux causes principales
pour lesquelles on se révolte contre les tyrannies, la haine et le
mépris ».75(*)Machiavel reprend cette affirmation d'Aristote, pour
renchérir sa thèse de la conservation du pouvoir par le
prince.
Le prince devra en toute chose, affirme notre auteur,
rechercher l'estime et l'affection du peuple : « la meilleure
citadelle qui soit, c'est de n'être point haï du peuple : car
encore que tu tiennes les forts, quand le peuple te porte haine, ils ne te
sauveront pas, à raison qu'après que les sujets ont pris les
armes, ils n'auront jamais faute d'étrangers à venir à
leur aide ».76(*) On ne peut pas combattre un prince qui a la
confiance de son peuple. De même que le prince est dépendant des
armes, de même il est dépendant du peuple. C'est pour cette
même raison que le prince devra avoir de bons rapports avec son peuple.
Le rejet du prince par le peuple entraînerait d'office sa chute parce que
le jour où un ennemi se présente, le peuple se rallie à
lui pour renverser le pouvoir. En ce sens, nous pouvons donc souligner le fait
que le maintien du pouvoir est aussi tributaire de la population.
Par ailleurs, Machiavel affirme que « gouverner
c'est mettre vos sujets hors d'état de vous nuire et même d'y
penser ; ce qui s'obtient soit en leur ôtant les moyens de le faire,
soit en leur donnant un tel bien-être qu'ils ne souhaitent pas un autre
sort ».77(*)En ce
sens, le prince doit bien discerner le comportement à adopter et le
choix de ses proches. C'est pourquoi « le prince doit avoir peur de
deux côtés : l'un au-dedans à cause de ses sujets,
l'autre dehors à cause des potentats
étrangers ».78(*) Pour ce qui concerne les affaires extérieures,
Machiavel pense que le prince doit se défendre par « force
d'armes et de ses bons amis »79(*). Parce que, selon lui, du moment où les affaires du
dehors sont assurées, celles du dedans le seront aussi.80(*)
En rapport avec ses proches, le prince doit bien choisir ses
collaborateurs. Parce que le bon choix des collaborateurs témoigne de
la sagesse du prince. Et la première erreur que puisse commettre un
prince, c'est de faire un mauvais choix de ses ministres. La question que
nous nous posons est celle de savoir comment un prince peut-il connaître
si son ministre est bon ou mauvais ?
En réponse à cette question, voyons les
critères que nous propose Machiavel pour le choix des ministres. Pour
notre auteur, quand un ministre pense plus à lui-même qu'au
prince, ce dernier doit se dire que ce ministre est mauvais. Le prince ne doit
pas lui faire confiance. Mais quand, le ministre pense plus au prince
qu'à lui-même, il est un bon ministre. Le prince doit lui faire
confiance en lui donnant « honneurs et finances, le faisant son
obligé, et lui communiquant honneurs et charges, de telle façon
qu'il ne peut demeurer sans lui, et que les grands honneurs et richesses qu'il
lui donnera ne lui en fassent point désirer de plus grands, tandis que
les hautes charges qu'il exercera lui feront craindre les
nouveautés ».81(*)
En outre, les relations entre les hommes sont
conflictuelles et par conséquent, le prince doit régler les
conflits en employant les moyens les plus efficaces, notamment, la crainte
qu'il inspire, le déploiement de sa puissance, etc. Il doit aussi punir
publiquement ceux qui contestent son autorité, afin de maintenir l'ordre
social. A ce titre, les moyens employés peuvent revêtir une
certaine dimension sociale. C'est pour cette raison que le prince doit savoir
bien user de la « bête et de l'homme ». L'image de la
bête renvoie à la force et l'image de l'homme renvoie à la
loi.
En guise de conclusion, nous retenons que Machiavel ne traite
nullement de l'usage du pouvoir d'un point de vue moral. Il nous montre
simplement comment conquérir, exercer et conserver le pouvoir. Dans
cette perspective, la politique doit s'exercer en rapport avec les
réalités concrètes de la vie. Machiavel décrit les
ruses et les secrets du pouvoir sans pour autant les légitimer. Il a
le mérite de nous inciter à nous confronter au problème le
plus crucial qui est celui des rapports entre la morale et la politique. Il
reste que, parce qu'être raisonnable, nous ne pouvons pas admettre que
l'homme soit considéré comme une chose que l'on puisse utiliser
à sa guise. C'est pourquoi, il nous semble que l'exercice du pouvoir
doit respecter la dignité humaine, c'est-à-dire respecter l'homme
à qui l'action politique devrait bénéficier. Voilà
ce qui justifie que nous voulions dans le chapitre suivant, nous pencher sur le
rapport entre l'éthique et la politique.
CHAP. III : APPROCHE CRITIQUE
DE LA PENSEE
POLITIQUE DE MACHIAVEL
Comme nous venons de le mentionner dans le chapitre
précédent, la pensée de Machiavel se fonde sur l'aspect
purement pratique. Ce qui le conduit à la séparation de la
politique de l'Ethique. En effet, pour nous, la politique doit être
fondée sur la morale. Etant donné que l'Etat ayant pour
finalité le bonheur de tous les citoyens, il serait inacceptable, ou
mieux contradictoire, qu'un gouvernement ait recours à des moyens
immoraux pour conquérir, exercer et se maintenir au pouvoir. Dès
lors, tout en nous situant dans la perspective de Machiavel, à savoir la
recherche de l'unité de l'Italie, nous ne pouvons pas souscrire à
une telle théorie politique. La conquête et le maintien du pouvoir
peuvent emprunter d'autres voies respectueuses de l'homme et de la quête
de sa perfection. Ainsi, la pensée de Machiavel peut être
dangereuse. En tant que telle, elle doit être critiquée. Notre
critique consistera à confronter la pensée de Machiavel avec
celles de certains auteurs (Paul Ricoeur, Hobbes, etc.)
Ce chapitre comprend quatre points. Dans le premier point,
nous tenterons de concilier la politique et l'éthique. Dans le second,
nous ferons une critique de différentes voies d'accès au pouvoir
que Machiavel nous a proposé et que nous avons développé
dans le premier chapitre de ce travail. Pour montrer que ces modes
d'accès au pouvoir ne sont pas viables, nous y ajouterons le mode
démocratique où seul le peuple peut conférer le pouvoir
à quelqu'un d'une manière non violente. Dans le troisième
et le quatrième point, nous démontrerons respectivement comment
l'exercice du pouvoir renvoie au service et à la
responsabilité.
III. 1. Rapport entre éthique et politique
Dans un article intitulé
« éthique et politique », publié
dans la revue Esprit, Paul Ricoeur réfléchissait sur le rapport
entre éthique et politique. Pour lui, on ne saurait parler de rapport
entre éthique et politique ; on devrait parler « en
termes d'intersection plutôt que de subordination du rapport de
l'éthique à la politique ».82(*) En effet, l'intersection se
définit comme un ensemble d'éléments communs à deux
ensembles. Dans ce sens, parler d'intersection, c'est d'abord exclure tout
rapport d'inclusion et d'égalité entre deux ensembles. C'est
également reconnaître que chaque ensemble possède des
éléments qui lui appartiennent en propre.
En ce qui nous concerne, notre problématique s'inscrit
dans la même perspective que celle qui privilégie l'intersection
plutôt que le dualisme entre ces deux pôles de l'action humaine. En
d'autres termes, gardant son autonomie, la politique entretient une relation
étroite avec l'éthique. Ainsi, nous essayerons d'établir
un rapport entre la politique et l'éthique.
a) La recherche du bonheur collectif et l'autonomie de la
politique
Les grecs développaient une pensée politique
qui était essentiellement fondée sur le modèle
éthique. La politique est présentée comme une
« doctrine enseignant la vie selon le bien et la
justice ».83(*)
Et, c'est en cela que la politique continuait l'éthique.
Déjà au Vème siècle
avant Jésus Christ, naquit le concept grec
« eudaimonia », c'est-à-dire le bonheur des
hommes, le but suprême d'un Etat. Partant de cette expression, il
était impensable pour les Grecs que la politique soit
séparée de la recherche de la vie bonne, c'est-à-dire
conforme à la loi assurant un équilibre où se
reflète étroitement l'ordre de l'univers et le cosmos. La
cité grecque, la polis, devait être
formée par un ensemble de citoyens égaux entre eux. C'est ainsi
que dans la République et dans les lois, Platon dresse
un tableau de la cité idéale, telle qu'il la conçoit. Son
oeuvre servira de référence à toutes les utopies qui, au
cours de l'histoire, ont tenté de formuler les conditions d'une
société idéale.
Ce sont les modernes qui ont établi une nette
différence entre la politique et la morale dans la mesure où la
finalité, la visée ultime de la politique n'était plus la
réalisation de la vertu civique, mais l'organisation d'un cadre de vie
qui donne à chacun la possibilité de vaquer à ses
occupations dans la paix sociale. On pourrait faire remonter à Machiavel
un tel détachement de la politique par rapport à
l'éthique. L'ancien fondement de l'éthique est alors
remplacé par la catégorie moderne de l'intérêt.
Par cette autonomie de la politique par rapport à la
morale, Machiavel marque définitivement la naissance de la philosophie
politique moderne et par conséquent de l'Etat par rapport au pouvoir de
l'Eglise.
Par ailleurs, devenue autonome, la sphère politique est
confrontée à de nouvelles interrogations ou défis. En
effet, « par son caractère autonome, la politique
développe des maux spécifiques, qui sont
précisément des maux politiques, maux du pouvoir politique ;
ces maux ne sont pas réductibles à d'autres, en particulier
à l'aliénation économique ».84(*) La sphère politique
prend un double sens, à savoir « la rationalité
spécifique et le mal spécifique ». C'est cela qui fait
son originalité, sa spécificité. Ainsi, la tâche de
la philosophie politique sera d'expliciter ce paradoxe qui est
caractéristique de la politique ; parce que « le mal
politique ne peut pousser que sur la rationalité spécifique du
politique ».85(*)
En effet, la politique n'a de sens que dans la mesure
où son action concourt au bien et au bonheur du peuple. C'est dans ce
sens que, dans La Politique, Aristote considère que
Toute cité est une sorte de communauté,
et que toute communauté est constituée en vue d'un certain bien
(car c'est en vue d'obtenir ce qui leur apparaît comme un bien que tous
les hommes accomplissent toujours leurs actes) : il en résulte
clairement que si toutes communautés visent un bien
déterminé, celle qui est la plus haute de toutes et englobe
toutes autres vise aussi, plus que les autres, un bien qui est le plus haut de
tous. Cette communauté est celle qui est appelée cité,
c'est la communauté politique.86(*)
Dès lors, l'homme ne peut atteindre son bien
qu'à travers la cité, c'est-à-dire il ne devient plus
humain que dans cette totale ouverture à
« l'universalité des citoyens », renonçant
ainsi à l'individualisme. Car, « le seuil de
l'humanité, c'est le seuil de la citoyenneté, et le citoyen n'est
citoyen que par la cité ».87(*) Dans cette optique, celui qui enfermerait la
politique dans son seul aspect de force ou de violence aboutirait à des
conclusions machiavéliques.
Ainsi, comme nous pouvons le percevoir à travers
les doctrines du contrat social (Thomas Hobbes et John Locke),
le pouvoir vient d'un « contrat», qui lie non pas une personne
à une autre, mais une personne à tous par un consentement libre
de chacun des membres qui contractent ce lien.88(*) Voilà pourquoi celui qui devient prince par la
force n'est qu'un usurpateur du pouvoir et ne dure que pour autant que sa force
l'emporte sur celle de ceux qui lui obéissent.
Par contre, le pouvoir qui vient du contrat ou du consentement
des peuples suppose nécessairement des conditions qui en rendent l'usage
légitime et utile à la société ; avantageux
à la République. Dès lors, il est évident que le
pouvoir, même quand il appartient en propre à un chef ne peut
servir à n'importe quelle fin. Sous peine de nier son autorité,
le prince doit viser l'intérêt général de l'Etat.
Le chef tient de ses sujets l'autorité ; mais une
autorité qui est circonscrite par des lois de la nature et de l'Etat.
C'est seulement sous ces conditions que ses sujets sont soumis, ou sont
censés se soumettre à son gouvernement. L'une des contraintes est
que n'ayant de pouvoir et d'autorité sur eux que par leur choix et par
leur consentement, il ne peut jamais employer cette autorité pour casser
l'acte ou le contrat par lequel elle lui a été
conféré.
Aussi, il ne pourrait agir contre lui-même parce que son
autorité ne peut subsister que par le titre qui l'a établie. Aux
sujets, la raison impose de respecter eux-mêmes les conditions du contrat
qu'ils ont signé, de ne jamais perdre de vue la nature de leur
gouvernement ; et rien ne les dispensera de l'obéissance au
chef. C'est sur ce fond que les peuples et ceux qui les gouvernent ont
établi leur bonheur réciproque.
En outre, la politique, dans son extension, est
« l'ensemble des activités qui ont pour objet l'exercice du
pouvoir, la conquête et la conservation du pouvoir ; de proche en
proche, sera politique toute activité qui aura pour but ou même
simplement pour effet d'influencer la répartition du
pouvoir ».89(*)
La politique aussi définie en lien avec le pouvoir pose le
problème du « mal politique ». Et, c'est ce mal
politique que reconnaissait Machiavel dans Le Prince. C'est pourquoi
Ricoeur affirme qu'on a dit beaucoup de mal de Machiavel; pourtant si on
prend au sérieux Le Prince de Machiavel, on se rend compte
qu'on « n'élude pas aisément son problème qui
est proprement l'instauration d'un nouveau pouvoir, d'un nouvel
Etat ».90(*) Le prince est pour nous la logique d'une action
politique efficace. Machiavel est donc celui qui nous a dévoilé
la relation de la politique et de la force ; c'est là
« sa probité, sa véracité ».
b) Le point de rencontre entre
éthique et politique
Pour nous, l'éthique (du politique) permet de minimiser
la malice intrinsèque de la politique en lui donnant une sphère
d'exercice. Elle prolonge en quelque sorte l'exigence constitutive de
l'intention éthique, l'exigence de la reconnaissance mutuelle ;
cette exigence qui nous donne d'accepter la liberté de l'autre comme
étant égale à la nôtre. Or, l'éthique du
politique vise à créer des espaces de libertés. Et comme
organisation de la communauté, l'Etat donne forme juridique à ce
qui nous parait constituer « le tiers-neutre » dans
l'intention éthique à savoir, la règle. En ce sens,
l'Etat de droit est la réalisation de l'intention éthique dans la
sphère politique, c'est-à-dire une reconnaissance de
l'égalité de droit de chacun devant la loi.
En effet, « la base éthique d'une
communauté politique se borne aux valeurs sur lesquelles existe un
certain consensus ».91(*) De fait, la morale se divise en deux : d'une
part une morale de conviction que Paul Ricoeur définit par l'excellence
du préférable, et d'autre part, une morale de
responsabilité qu'il définit par la réalisation dans un
contexte historique donné de l'usage modéré de la
force.92(*) Pour Ricoeur,
« c'est parce que la morale de conviction et la morale de
responsabilité ne peuvent pas fusionner que l'éthique et la
politique constituent deux sphères distinctes, même si elles sont
en intersection ».93(*) En ce sens, la force apparait dans la reconnaissance
de l'abime qui sépare l'idéalisme moral du réalisme
politique. Parce que même l'Etat le plus démocratique et le plus
respectueux des droits humain aujourd'hui, doit utiliser la force, pour mettre
les malfaiteurs en prison, réprimer certaines manifestations et faire
respecter la loi pour permettre aux hommes de vivre dans une harmonie sociale
entre eux. Cette force est à distinguer de la violence ou de la
« cruauté bonne ou mauvaise » dont nous avons
parlé chez Machiavel.
Dès lors, la politique doit avoir un rapport
d'intersection avec la morale. Une politique qui ne se baserait que sur le seul
aspect pratique ou pragmatique conduirait à l'établissement du
mal. Elle justifierait les gouvernements dictatoriaux et oppressifs. C'est ce
à quoi a conduit une certaine compréhension de la pensée
de Machiavel. Comment peut-on opter pour l'usage de la cruauté, du
mensonge, de la ruse, etc. dans certaines circonstances comme si l'on avait
plus d'autres moyens ou possibilités plus humaines ?
La finalité de l'Etat n'est-elle pas le bonheur des
citoyens ? Machiavel considère la politique du point de vue de
l'efficacité du prince. Il se pose la question du fondement de l'Etat
à sa manière. Pour lui, un Etat doit être fort pour
survivre. L'histoire montre qu'aucun Etat ne peut survivre sans le recours
à la force. Pourtant, nous savons que l'Etat n'est pas une fin en soi,
mais le « résultat d'un contrat social » ayant pour
finalité de veiller au bien-être de tous ses membres. C'est ainsi
qu'on écarte à tout prix l'usage de la cruauté et le
règne d'un seul prince qui détiendrait à lui seul le
monopole du pouvoir.
Pour sa part, Nicolas Tenzer, pense qu' « il n'y a
pas de séparation absolue entre la morale et la politique, car il
n'existe pas de coupure entre la vie intérieure de l'individu et son
existence au sein d'une collectivité. La conscience ne se divise pas
suivant une ligne de partage simple en fonction de l'activité à
laquelle elle s'applique ».94(*) C'est ainsi que la politique moderne est
fondée sur le sujet. Dans cette perspective, « la sauvegarde
d'une zone de conscience libre où s'expriment des choix moraux est la
condition de son existence ».95(*)
Selon Kant, le règne de la moralité serait une
des fins ultimes de la politique. Il illustre cela en prenant l'exemple de la
publicité. Pour lui, les seuls principes qui peuvent faire l'objet d'une
publicité et ne sont perçus en contradiction, sont les principes
moraux. En ce sens, l'intersection dont nous avons parlé devient
possible lorsque le prince adopte la maxime suivante : «agis de telle
sorte que tu puisses vouloir que ta maxime devienne une loi
générale (quelque soit d'ailleurs le but de ton
action) ».96(*)
Ainsi, Kant concevait la politique en accord objectif avec la
morale. Il n'admettait d'autres principes politiques que ceux que la morale
peut avouer, et qui requiert nécessairement une publicité.
Cependant, il n'est pas resté là. Il pousse sa réflexion
plus loin, mais cette fois avec la notion du droit. Pour lui, il estime qu'en
droit
« La morale est un modèle qui doit diriger le
droit. Il ne peut contredire la morale. S'il est faux de prétendre que
le droit réconcilie la morale et la politique, l'idée de droit,
tout entière gouvernée par un objectif moral, permettrait
à la politique de se rapprocher des réquisitions de la
morale ».97(*)
Toutefois, il est vrai que les objectifs poursuivis par la
morale et la politique sont dissemblables, mais la morale est
« absolue et non transgressable ». Les principes moraux
sont obligatoires et ne peuvent faire l'objet d'une discussion. C'est pourquoi
Tenzer affirme que « la morale pour celui qui la pense, est
irréfragable et ne tolère aucun compromis. On est ou on n'est pas
moral ; on n'est pas un peu moral mais on l'est complètement ou pas
du tout (...). Dans ce contexte, la morale ne peut être
fondée sur l'intérêt ».98(*)Par contre, la politique est le
règne de l'utilité. Les propos essentiel de la politique est la
conservation du pouvoir.99(*) C'est ainsi que l'absence de la cité politique
chez Hobbes se traduit en guerre de chacun contre chacun.
III.1.1. La démocratique comme meilleure voie
d'accès au pouvoir
Dans le premier chapitre de notre travail, nous avons
analysé certaines voies d'accès au pouvoir ; entre autre,
les voies naturelle, accidentelle, intentionnelle, etc. Certes, il est possible
de trouver de grandes qualités dans un prince parvenu au pouvoir par ces
voies que nous propose Machiavel. Cependant, aujourd'hui, tout en reconnaissant
les faiblesses100(*) de
la démocratie, l'accès au pouvoir est lié à cette
dernière voie. Mais, qu'est-ce-que la démocratie ?
Etymologiquement, on peut définir la démocratie
comme le pouvoir (cratos) du peuple (démos). En d'autres termes
comme « le gouvernement du peuple par et pour le
peuple ».101(*) La démocratie est donc le régime de la
souveraineté inaliénable du peuple. Ce dernier participe à
l'exercice du pouvoir. Et cet idéal démocratique a pour
corollaire le refus de l'autoritarisme et du totalitarisme. De fait, au fil de
temps, la démocratie a subi plusieurs influences depuis
l'Antiquité jusqu'à nos jours. Mais, aujourd'hui, on distingue
deux types de démocratie : la démocratie
représentative et de démocratie directe. Le premier modèle
se rencontre aux Etats -unies avec le système des grands
électeurs que nous avons aux Etats Unies. Dans ce système, le
peuple élit les responsables qui vont élire le président.
Le second modèle renvoie à l'élection directe du
président par le peuple.
En rapport avec l'Afrique, l'accès au pouvoir se fait
parfois par la vision machiavélique des coups d'Etat militaires. En
effet, plusieurs Etats africains n'ont pas encore adopté la culture
démocratique. Pourtant, le pouvoir par la violence conduit
inévitablement aux assassinats des dirigeants politiques et à la
destruction de tout le système administratif d'un pays. Machiavel parle
en termes d'éliminer la classe régnante pour mieux gouverner en
les faisant assassiné ou en les exilant. Dès lors, le prince qui
vient de la violence tue et est immoral. Voilà pourquoi, celui qui
parvient au pouvoir par la violence (crime, cruauté,
virtù) est humainement inacceptable. Il est aussi incapable
d'assurer un développement durable à sa nation et à chacun
de ses citoyens.
De fait, comme nous l'avons analysé, chez Machiavel,
on trouve parfois une certaine considération du peuple. Mais, dans la
théorie politique de Machiavel, seul le prince est souverain dans la
mesure où tous les autres sont ses serviteurs ministres sans
autorité réelle. En effet, le prince de Machiavel se sert du
peuple non pas pour garantir « la liberté et
l'égalité »deux principes de la démocratie mais
plutôt pour asseoir son pouvoir.
En ce sens, l'appel qu'adresse notre auteur au prince, en lui
demandant de prendre appui sur le peuple, doit être saisi dans la
perspective du maintien et de la conservation du pouvoir. Etant donné
que le peuple est le meilleur appui qui soit au monde pour bien conserver le
pouvoir. A ce propos, Machiavel écrit : « Le prince
naturel n'a pas tant de causes ni de nécessité d'offenser ses
sujets, d'où doit suivre qu'il soit plus aimé. Et si des vices
trop exorbitants ne le font haïr, la raison veut que le peuple incline en
sa faveur ».102(*)
D'ailleurs, affirme t-il, le peuple ne demande pas grand
chose au prince. Tout ce qu'il veut, c'est de ne pas être opprimé
et de vivre sous la loi pourvu que le prince lui garantisse la protection de
ses biens et le respect de son honneur : « Aussi quiconque
devient prince par l'aide du peuple, il se le doit toujours maintenir en
amitié ; ce qui lui sera très facile à faire, le
peuple ne demande autre chose sinon qu'à n'être point
opprimé ».103(*)
En outre, on conviendrait sans doute qu'en Afrique, la
pratique du pouvoir politique tend vers la corruption, car ceux qui
détiennent un quelconque pouvoir, s'en servent moins pour le bien de
tous que pour satisfaire leurs intérêts personnels. Ainsi, au fil
du temps, surtout dans nos démocraties modernes où les
autorités sont choisies sur base de la quantité d'argent
qu'elles ont dépensé pour leur élection, l'autorité
rationnelle fondée sur la compétence a cédé la
place à l'autorité du statut social, mieux, du statut
économique.
C'est cela qui conduit l'homme politique à ce que nous
appelons la « vaine gloire » qui implique deux
tentations : « ne défendre aucune cause et n'avoir pas de
sentiment de sa responsabilité ». Par conséquent, nous
avons « d'un côté, la recherche de l'apparence ou de
l'éclat du pouvoir au lieu du pouvoir réel ; et de l'autre,
à ne jouir du pouvoir que pour lui-même, sans aucun but
positif ».104(*) Dans la vie concrète, nombreux sont les
politiciens qui détiennent ce symbole d'autorité et qui
étouffent toute pensée qui élève l'homme.
III.1.2. L'exercice du pouvoir comme service rendu à
la société
La politique implique le pouvoir, nous dit Max Weber, et nous
avons deux façons de faire de la politique : « ou bien on vit pour
la politique, ou bien de la politique ».105(*) Qu'est-ce que cela signifie?
Pour Max Weber, celui qui vit de la politique fait de cet exercice le but de sa
vie pour le simple fait qu'il fait de cette entreprise un moyen de jouissance
dans la possession du pouvoir. Pour lui, l'exercice du pouvoir, est non pas un
lieu de service, mais plutôt celui de se servir. Celui qui vit pour la
politique, par contre, considère cette activité comme celle qui
lui confère le plus de valeurs et lui permet de défendre une
juste cause qui donne un sens à sa vie.106(*)
Comme nous l'avons déjà dit, l'autorité
s'enracine dans une visée de la réalisation du bien le plus
universel de la société. C'est sur ce fond que devrait s'inscrire
toute activité mobilisatrice de l'autorité. C'est en fonction de
ce projet ainsi que des intérêts supérieurs de la Nation,
que l'autorité amène les autres à oeuvrer ensemble pour la
réussite d'une entreprise commune.
Aussi, toute autorité devrait-elle s'inscrit dans une
logique de conciliation du particulier et de l'universel : la promotion du
bien le plus universel ne devrait pas sacrifier le bien -être de
l'individu. Si l'autorité, consciente des défis vrais que lui
lance la société de son temps, est dirigée par le projet
de la réalisation de quelque chose de grand pour son peuple, alors elle
est essentiellement service. Une telle compréhension de l'exercice du
pouvoir ne contraste t-elle pas avec la vision machiavélique qui suppose
que les hommes sont méchants pour quiconque veut créer un Etat et
lui doter des lois ? Cette attitude du nouveau prince n'engendre t-il pas
méfiance et mépris de son peuple ?
Dès lors, prendre le pouvoir dans le but de satisfaire
ses intérêts égoïstes comme c'est le cas pour beaucoup
de chefs d'Etats africains, serait un manque de respect pour les autres. Pour
Machiavel, le but de l'Etat est de garantir la sécurité et la
liberté des citoyens. Ainsi, le pouvoir est à considérer
comme un service rendu à la société, organisé par
celle-ci en vue du bien être social. Dans cette perspective, comment
maintenant épargner l'homme politique africain de ce piège ?
Selon Max weber, tout dépend de la situation
économique. C'est-à-dire que celui qui n'a pas d'autres sources
de revenu fera de cet exercice du pouvoir une source permanente de revenus.
C'est pourquoi, Weber propose que l'homme politique soit celui qui a une
fortune ou qui occupe une position sociale qui lui permet d'avoir des revenus
suffisants.107(*)
III.1.3. L'exercice du pouvoir comme responsabilité de
l'autorité politique
Définie généralement comme une
obligation de répondre des conséquences de ses actes, la
responsabilité reste ancrée au coeur même de toute action
humaine. C'est pourquoi, avant toute chose, il serait utile de distinguer la
responsabilité juridique, qui n'est rien d'autre que le fait de
répondre de ses actes devant les hommes, de la responsabilité
morale qui renvoie à la conscience. La responsabilité à
laquelle nous faisons allusion ici, est celle qui renvoie à la
conscience pour tout agir humain. Car, l'autorité devrait être
assumée par un homme de valeur et de beaucoup de qualités
(intelligence, promptitude, facilité de parole, originalité, un
sens de jugement, etc.). Il devrait être efficace et devrait faire preuve
de responsabilité (homme sérieux, créatif, dynamique,
etc.).
Dès lors, si l'on s'accorde sur le fait que prendre
parti, lutter, être courageux sont les caractéristiques de l'homme
politique, et surtout du chef politique, l'activité de ce dernier est
subordonnée à un principe de responsabilité totalement
étranger, voire opposée à celui du
fonctionnaire.108(*)
Car, selon Max Weber, « l'honneur du fonctionnaire consiste dans
l'habileté à exécuter consciemment un ordre sous la
responsabilité de l'autorité supérieure, même si -
au mépris de son propre avis- il s'obstine à suivre une fausse
voie. Par contre, l'honneur du chef politique est celui de la
responsabilité personnelle ».109(*)
Voilà pourquoi, ne défendre aucune cause ou
n'avoir aucun sentiment de responsabilité, relève des tentations
auxquelles le politicien devra faire face dans notre pays. En effet,
l'irresponsabilité du politicien conduit, non seulement à
rechercher le pouvoir pour le pouvoir mais également à ne jouir
du pouvoir que pour lui même sans tenir compte des autres qui sont
« ses compagnons de route ».
Par ailleurs, la responsabilité de l'autorité
implique confiance et contrôle. De fait, s'il n'est pas permis au chef de
l'Etat d'imposer ses vues aux autres au risque de devenir une dictature,
l'autorité politique doit par contre fournir toutes les informations
nécessaires pour faciliter la prise des décisions collectives et
demander à chacun de rendre compte de son travail. Cela lui permet de
s'assurer qu'effectivement, chacun fait bien sa tâche et de cette
manière rendre possible une certaine transparence.
En guise de conclusion, dans la mesure où la
finalité de l'Etat est le bonheur de tous les citoyens, il serait
difficile de soutenir avec Machiavel la légitimité de l'emploi de
la violence pour parvenir au pouvoir. On a rarement vu un tyran devenir un bon
dirigeant une fois arrivé au pouvoir. Pour illustrer cela, nous avons
fait recours aux dirigeants Africains et aux acteurs politiques dont la
visée machiavélique d'enrichissement personnel et d'exploitation
de l'autre caractérise l'action politique.
Parvenu au pouvoir par des moyens de la violence, les
dirigeants africains refusent de quitter le pouvoir. Il crée
plutôt des mécanismes qui leur permettent de demeurer le plus
longtemps possible au pouvoir. C'est la voie ouverte à la dictature et
à l'irresponsabilité dont nous avons parlé.
CONCLUSION GENERALE
Au terme de cette investigation, nous retenons que la
pensée politique de Machiavel est de toute évidence une
nouveauté par rapport à la pensée politique de son temps.
C'est cette nouveauté que nous avons tenté de cerner tout au long
de notre analyse. Au moins, pour la première fois, un penseur refuse de
suivre les conceptions politiques traditionnelles qui étaient
jugées incontournables à cette époque. Machiavel ne
construit pas une république idéale. Il ne cherche pas non plus
à proposer les conditions du bonheur. Il ne se pose même pas des
questions sur le rapport entre la cité de Dieu et la cité
terrestre, mais il décrit lucidement les mécanismes par lesquels
le pouvoir s'acquiert et se conserve. C'est dans ce sens qu'il est
considéré comme le fondateur de la science politique. Le
réalisme politique dont parle Machiavel dans Le Prince,
nous a conduit à apprécier l'agir politique des hommes politiques
en Afrique, plus particulièrement ceux de notre pays.
Dans le premier chapitre, Machiavel nous montre qu'il est
nécessaire qu'un Etat soit fort, c'est à dire capable de
défendre son peuple contre toute autre puissance qui peut l'assujettir.
C'est ainsi que notre auteur oriente sa théorie politique, d'un point de
vue concret (réaliste), contrairement à Platon et Aristote qui
l'ont traité d'un point de vue idéal (imaginaire). Pour notre
auteur, la politique est un art par lequel le maintien et la perte du pouvoir
dépend de celui qui gouverne. C'est pourquoi il est nécessaire
que le prince se dote des moyens appropriés s'il ne veut sa perte et
celle de son Etat.
Dans cette analyse des moyens, Machiavel pousse sa
réflexion très loin. Il faut par exemple faire usage de la force
en cas de nécessité ; paraitre devant le peuple sous la
forme d'une autorité incontestable capable d'imposer la force, et
être craint, sans pour autant être détesté. La
virtù est une des manières de manifester cette force.
Une virtù qui doit devenir violence pour organiser l'Etat.
C'est pourquoi Machiavel pose la force armée (l'armée nationale)
comme la meilleure force militaire sur laquelle le prince devrait s'appuyer
pour un bon gouvernement d'un Etat. Etant donné que toutes les autres
forces sont dangereuses, le prince qui veut bien gouverner devrait compter sur
l'armée nationale seule.
En rapport avec la loi d'une Etat, nous avons traité du
rapport entre la force et la loi. Cette loi est édictée par le
prince pour bien asseoir son pouvoir. Mais, une loi sans la force de l'ordre
n'est-elle pas sans valeur ? Dès la loi doit être
accompagnée par la force de l'ordre qui lui sert d'auxiliaire, vue que
c'est grâce à elle que son application est rendue effective.
Aussi, certaines considérations sur la question du mal
politique, mieux de la dialectique entre le mal et le bien ont fait l'objet de
notre réflexion dans le second chapitre de notre travail. En effet, nous
retenons que pour Machiavel, le mal est mal. Et, il sait ce que signifient la
cruauté et l'avarice. Ce sont des vices, même s'ils peuvent
faciliter la conquête et le maintien au pouvoir. Dans cette optique,
Machiavel ne nous enseigne pas le mal pour le mal, il nous montre simplement
comment utiliser le mal tout en s'opposant à une cruauté
féroce, aveugle qui d'ailleurs cause la ruine du prince.
Par ailleurs, dans le troisième chapitre, nous avons
essayé de concilier la politique et l'éthique. L'analyse nous a
montré que le jugement politique ne s'oppose pas au jugement moral.
Contrairement, à la conception de Machiavel qui pose une nette
séparation entre la politique et l'éthique. Pour nous, la
politique doit tenir compte de la morale pour être légitime. En ce
sens, nous pensons qu'il n'est pas permis d'utiliser tous les moyens en vue du
bien commun. C'est ainsi, tout en nous situant dans la perspective de
Machiavel, à savoir la quête de l'unité de l'Italie, nous
ne pouvons pas souscrire à une telle théorie politique. La
conquête et le maintien du pouvoir peuvent emprunter d'autres voies
respectueuses de l'homme et de la quête de sa perfection.
En outre, s'il est vrai que la pensée politique de
Machiavel inspire encore de nombreux hommes politiques, surtout en Afrique,
elle est cependant une pensée dangereuse. En tant que telle, elle doit
être critiquée. L'intérêt d'une telle pensée,
c'est de nous avoir révélé la dure réalité
de la pratique politique qui appelle notre engagement et notre prudence dans
tout commerce avec les hommes politiques. Toutefois, au-delà de toute
considération, la politique n'est pas à diaboliser parce qu'elle
est essentielle à la vie des hommes, mais elle n'est pas à
regarder avec naïveté. Pour l'aborder, nous devons avoir
réalisme et lucidité.
BIBLIOGRAPHIE
I. LIVRES
1. MACHIAVEL, N., « Le Prince »
(De Principatibus), traduction de Jacques
GOHORY, prieur de MARCILLY,
présenté par RAYMOND
ARON, Librairie
Générale Française, Paris, 1962
--------------------, discours de la
première décade de Tite-Live, in Machiavel,
OEuvres
complètes, Gallimard, Paris, 1952.
--------------------, Le politique, presses
universitaires de France, Paris, 1968.
2. DUMORTIER, F., KLEIN, J. et GUY LAFON, P., La
politique peut elle être morale ? , les cahiers
d'Alèthe, Paris, 1992.
3. WEBER, M., le savant et le politique, Plon, Paris,
1959.
4. HOBBES, T., Le Léviathan, Ed. Dalloz,
Paris, 1999
5. FESSARD, G., Autorité et bien commun,
Paris, 1944.
6. Hannah Arendt, La crise de la culture,
Gallimard, 1972
7. TENZER, N., Philosophie politique, (2 ème
édition), Presses Universitaires de
France, Paris, 1998
8. ARISTOTE, La Politique, traduction de J. TRIGOT,
Librairie philosophique
J.Vrin, Paris,
1995
II. ARTICLES
1. Dictionnaire de philosophie politique, Presses
universitaires de France, Paris, 1996,
pp.369-373
2. MONCINI V., « Machiavel
(1469-1521) », in Encyclopédia universalis,
corpus 14,
Paris, 1992, pp.173-176
3. MENSSIER T., « prophétie politique et
action selon Machiavel », in études
philosophiques,
juillet - septembre 2003
4. Lang André, « La dialectique de la
fortune et de la « virtu » chez
Machiavel », in
archives de la philosophie,
Hiver 2003, pp 648-662.
5. Paul Ricoeur, « Ethique et
politique », in Esprit, n°5 /Mai 1985, p.1-11
6. Paul Ricoeur, « paradoxe politique»,
in Esprit, 1957, p.721-745
7. Actes de IX èmes journées Philosophiques de
la faculté de philosophie Saint Pierre
Canisius/ Kimwenza, du 05 au 08 Avril
2006
TABLE DES MATIERES
Dédicace I
Remerciements
----------------------------------------------------------------------------------------II
INTRODUCTION GENERALE
3
CHAP. I : LA NOUVEAUTE DE LA
CONCEPTION POLITIQUE CHEZ MACHIAVEL
6
I.0. Introduction
6
I.1. Le réalisme politique
7
I.1.1. Types de principautés, mode
d'acquisition et conservation du pouvoir
9
a) Conquérir est un désir naturel de
l'homme
9
b) Types de principautés et leur
conservation
10
1. Les principautés
héréditaires
10
2. Les principautés nouvelles
11
I.1.2. La « virtù » et
la fortune
14
I.1.3. Le pouvoir est tributaire du peuple et des
riches
16
I.1.4. La meilleure armée pour asseoir le
pouvoir du prince
18
a) Clarification conceptuelle
19
b) Types d'armes
19
I.1.5. L'art de la guerre : vertu principale
du prince
21
I.1.6. La loi et la force pour un même
but
24
CHAP. II : LA
DIALECTIQUE DE L'ACTION POLITIQUE
26
II.1. Le mal politique chez Machiavel
27
II.1.1. La politique de l'apparaître
32
II.1.2. La sagesse du prince dans ses relations
avec ses sujets et amis
35
CHAP. III :
APPROCHE CRITIQUE DE LA PENSEE
POLITIQUE DE MACHIAVEL
38
III. 1. Rapport entre éthique et
politique
38
a) La recherche du bonheur collectif et
l'autonomie de la politique
39
b) Le point de rencontre entre éthique et
politique
42
III.1.1. La démocratie comme meilleure voie
d'accès au pouvoir
44
III.1.2. L'exercice du pouvoir comme service rendu
à la société
47
III.1.3. L'exercice du pouvoir comme
responsabilité de l'autorité politique
48
CONCLUSION GENERALE
50
BIBLIOGRAPHIE
52
TABLE DES MATIERES
53
* 1 Machiavel., Le Prince,
p.109-110
* 2 Ibid., p .27
* 3 Machiavel, Le
politique, p.71
* 4 Id., Le
prince, p.111
* 5 Machiavel, discours de
la première décade de Tite-Live, p. 375
* 6 Machiavel, Le Prince,
p.109-110
* 7 Machiavel, Le Prince,
p.7
* 8 Ibid., p.11
* 9 Dictionnaire de philosophie
politique, p.370
* 10 Machiavel., Le prince,
p.171
* 11Machiavel, Le
Prince, p.29
* 12 Machiavel, Le Prince,
p.29
* 13 Ibid.,
pp.17-18.
* 14 Ibid., p.18
* 15 Machiavel, Le
Prince, p.15
* 16 Ibid. p.19
* 17 Ibid., p. 22
* 18 Ibid.
* 19 Ibid., pp.
21-22
* 20 Machiavel, Le
Prince, p. 23
* 21 Ibid., p. 39
* 22 Ibid., p. 24
* 23 Machiavel, Le
Prince., p. 27
* 24 Ibid., pp.
33-34
* 25 Paulin MANWELO,
« la conception moniste du leadership », p. 10
* 26 Paulin MANWELO,
« la conception moniste du leadership », p. 10
* 27 V. MONCINI,
« Machiavel (1469-1521), p.174
* 28 Machiavel, Le
prince, p. 45
* 29Machiavel, Le
prince, p. 110
* 30 Machiavel, Le
Prince, p. 69
* 31 Machiavel, Le
prince, p. 70
* 32 Ibid., p.72
* 33 Machiavel, Le
prince, p.129.
* 34 Ibid., p.130
* 35Ibid., p.130
* 36 Machiavel, Le
Prince, p. 86
* 37 Dans le contexte de
l'Afrique, on conviendra sans ambage que les armes
étrangères (militaires), qui viennent en Afrique sous
prétexte d'aider, ne se présentent pas nécessairement pour
assurer la sécurité des peuples africains. Au contraire,
nombreuses sont celles qui viennent pour l'appauvrir davantage et favoriser
leurs propres intérêts.
* 38 Machiavel, Le
prince, p.86
* 39Ibid., p. 95
* 40 Ibid., p. 96
* 41 Ibid., p. 100
* 42 Machiavel, Le
prince, p.100
* 43 Ibid., p. 87
* 44Ibid., p.103
* 45 Machiavel, Le
prince, p.104
* 46 Ibid.
* 47 Ibid.,
p.104-105
* 48 Machiavel, Le
prince, p.106
* 49 Ib., discours
de la première décade de Tite-Live, p. 378
* 50 Ib., Le
prince, p. 107
* 51 Machiavel, Le
prince, p.120
* 52 Id., discours
de la première décade de Tite-Live, p .385
* 53Id., Le
Prince, p. 85-86
* 54Machiavel, Le
prince, p.104
* 55 Paul Ricoeur,
« Le paradoxe politique », p. 722
* 56 Ibid., p.723
* 57 Machiavel, Le
Prince, p.182-183
* 58 Machiavel, Le
Prince, p.66
* 59 Ibid.,
p.118-119
* 60 Thomas Hobbes, Le
Léviathan, p.124
* 61 Ibid., p.123
* 62 Ibid.
* 63 Ibid., p.96
* 64 Ibid.,
p.124-125
* 65 Ibid., p.177
* 66 Machiavel, discours de
la première décade de Tite-Live, pp. 338-339
* 67 Machiavel, Le
prince, pp.126-127
* 68 Ibid., p.119
* 69 Machiavel, Le
Prince, p.125-126
* 70Ibid., p.126
* 71 Machiavel, Le
Prince, p.158
* 72 Ibid., p.126
* 73 Ibid.,p.158
* 74 Machiavel, Le
Prince, p.157- 8
* 75 Aristote, La
Politique, 1312 b
* 76 Machiavel, Le
Prince, p.151
* 77 Machiavel, Le
Prince, p.133
* 78 Ibid., p.130
* 79Ibid., 130
* 80 Ibid.
* 81 Ibid., p.161
* 82 P.
Ricoeur, « Ethique et politique », p.1
* 83 J. M. Ferry,
« histoire politique », p.5
* 84 P.
Ricoeur, « paradoxe politique », Op.cit.,
p.722
* 85 Ibid., p.723
* 86 Aristote, La
Politique, 1252a1-7
* 87 P.
Ricoeur, « Paradoxe politique », p.723
* 88 Thomas Hobbes, Le
Léviathan, p.177
* 89 Paul Ricoeur,
« Le paradoxe politique », p.730
* 90 Paul Ricoeur,
« Le paradoxe politique », p.732
* 91 P.
Ricoeur, « Ethique et politique », p.10
* 92 Ibid., p.11
* 93 Ibid., p.11
* 94 N. TENZER, Philosophie
politique, p.85
* 95 Ibid., p.86
* 96 E.KANT, Cité par N.
TENZER, p.87
* 97 N. TENZER, La
philosophie politique, p.87
* 98 Ibid., p.94
* 99 Ibid.
* 100 L'attitude
réservée de certains auteurs à l'égard de la
démocratie se fonde d'abord sur une critique des ses
prémisses : « la liberté et
l'égalité ». La liberté démocratique
engendre l'anarchie et détruit la communauté politique dans
la mesure où l'homme démocratique ne supporte ni ordre ni
contrainte dans sa vie. C'est ainsi que, dans sa quête
effrénée d'une vie de plaisir, ce dernier est
« condamné à tomber d'un excès de liberté
dans un excès de servitude ». (Cfr. Jean François
KERVEGAN, « Démocratie », Dict. de philosophie
politique, p.128-129).Quant à l'égalité, la
démocratie en vient à oublier qu'elle ne vaut que pour les
égaux, et substitue une égalité arithmétique
à l'égalité géométrique ou proportionnelle,
principe d'une justice authentique. (Ibid., p.129) C'est pourquoi,
Platon, dans La République, estime que la démocratie
est un régime condamnable pour trois raisons : Premièrement,
la démocratie est une mauvaise forme de gouvernement parce qu'elle ne
teint pas compte de différentes catégories sociales dans
l'exercice des affaires publiques et elle se fonde aussi sur le tirage au sort
pour distribuer certaines fonctions. Le grand danger qui guette un tel choix
réside dans le fait de confier le pouvoir à des
incompétents et à des corrompus. Deuxièmement, la
démocratie repose très souvent sur la lutte entre les pauvres et
les riches. Pourtant, le plus important, c'est le maintien de l'unité de
la société pour garantir la paix et la sécurité des
tous les citoyens. Enfin, la démocratie serait le régime qui
privilégie l'incompétence.
Aussi, pense Platon, la démocratie est plus
dominée par la majorité. Cette majorité introduit une
certaine discrimination par rapport à la minorité. En effet,
seuls les intérêts de la majorité doivent être
préférés à ceux de a minorité. Une autre
difficulté qui découle de la démocratie serait dans
l'appréhension de la liberté et de l'égalité.
L'avis de la majorité devient la norme à laquelle tout le monde
doit se soumettre. Dans ces conditions, la minorité ne peut en aucun cas
remettre en question l'opinion de la majorité. Tout ce qu'elle a
à faire, c'est de s'inscrire dans la perspective de la majorité.
Cela a des conséquences graves car d'après Platon, il y a risque
qu'une loi injuste soit votée par les pauvres. Selon Aristote, la
démocratie populaire, celle du gouvernement par les masses populaires
est très dangereuse dans la mesure où, pour des raisons
d'intérêts, elle a occasionnée une plus grande
participation des pauvres aux assemblées. Parce que, « c'est
la masse des pauvres, et non les lois, qui détient l'autorité
souveraine de l'Etat ».
* 101 Cfr. Grand dictionnaire
de la philosophie politique, p. 255.
* 102 Machiavel, Le
Prince, p.18
* 103 Ibid., p.72
* 104 M. WEBER, le savant
et le politique, p.164
* 105 M. WEBER, le savant
et le politique, p.111.
* 106 Ibid.
* 107 M. WEBER, Le savant
et le politique, p.111.
* 108 Ibid.,
p.128-9
* 109 Ibid..,
p.129
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