LE COTON ET L'HYPOCRISIE DES PAYS RICHES
Mémoire de Politique
Macroéconomique
Oumar Fakaba SISSOKO Etudiant en Master II à
l'université de Paris X Nanterre
Economie Internationale, Politique
Macroéconomique et Conjoncture(EIPMC)
Pour beaucoup, la conférence interministérielle
de Cancún en septembre 2003 marque un tournant dans les relations
Nord/Sud. C'est à cette occasion que quatre pays africains producteurs
de coton (à savoir le Mali, le Tchad, le Benin, et le Burkina Faso)
déposent un texte devant l'OMC intitulé : "Réduction de la
pauvreté : initiative sectorielle en faveur du coton", où ils y
dénoncent les politiques agricoles des pays riches basées sur les
subventions. En effet, ce texte fait suite à la grave crise du secteur
cotonnier de 2001/02, qui a vu les cours du coton chuter à un prix
historiquement bas : 42$ la livre. Cela a eu pour effet de ruiner nombre de
petits producteurs africains qui, contrairement aux producteurs des pays
riches, ne bénéficient pas d'aides au soutien des prix. Or, c'est
là le problème que dénonce particulièrement ce
texte : les subventions octroyées par les USA et l'UE à leur
secteur cotonnier. En subventionnant leur coton, ces deux pays créent
des distorsions à l'échange : ils provoquent l'effondrement des
prix mondiaux, et ils rendent leurs producteurs compétitifs au niveau
mondial (alors que sans subventions ils ne le seraient pas). C'est pourquoi ces
pays africains ont demandé à l'OMC la réduction
progressive jusqu'à élimination des subventions du secteur
cotonnier aux USA et à l'UE.
Bien qu'à l'époque on ait pu parler de
"révolte des pays pauvres", le Brésil allant même
jusqu'à porter plainte avec l'appui des quatre pays africains, devant le
ORD (organe de règlements des différents), force est de constater
que cinq ans après, les choses n'ont en rien changé : les
subventions continuent à battre des records. Malgré les
déclarations de principes que les USA et l'UE ont formulées, on
comprend aisément que le problème n'est pas le secteur cotonnier
en soi mais l'éventuelle remise en cause des politiques agricoles des
pays développés. Abolir les subventions pour les producteurs de
coton entrainerait indiscutablement certains pays (Brésil, pays de
Cairns) à demander une abolition des subventions dans tous les produits
agricoles, or l'UE et les USA n'y sont absolument pas disposés car
l'autosuffisance alimentaire que leur assurent ces politiques est
stratégique (on le voit encore mieux aujourd'hui avec les
"émeutes de la faim"), et parce que l'agrobusiness dans ces pays est un
secteur très important de l'économie et un lobby très
puissant. On voit ici combien le problème dépasse le simple cadre
du coton, et s'inscrit bien dans le cadre du cycle de Doha et des
problèmes sur la libéralisation agricole.
L'objectif de notre mémoire est multiple. Nous voulons
y mener une étude économique sérieuse qui a pour but de
mettre en lumière un produit particulier : le coton. Toutefois, ce
produit n'est qu'un "prétexte" à l'étude des politiques
économiques qui sont menées au niveau international (même
si leur cadre d'étude reste le celui du coton). Par ailleurs, nous avons
aussi voulu montrer quels impacts ces politiques pouvaient avoir, et plus
particulièrement sur des pays peu développés qui tentent
d'amorcer leur décollage économique par l'insertion dans le
commerce international (dans notre sujet, les pays africains producteurs de
coton). Enfin, la démarche scientifique que nous avons tenté
d'adopter ne nous empêche en aucun cas de formuler des critiques, en
particulier face à l'encontre des politiques économiques
menées par les pays dominant l'économie mondiale (d'où le
titre de notre mémoire).
Notre approche se décomposera en trois parties
distinctes. Dans la première partie, nous mettrons en relief la place du
coton dans l'économie mondiale ainsi que dans l'économie des pays
d'Afrique de l'Ouest. Dans un second temps, nous allons nous intéresser
aux politiques économiques menées en faveur du coton, et plus
particulièrement dans les pays développés. Enfin, pour
terminer nous aborderons les problèmes politiques et économiques
qu'entrainent ces politiques économiques, plus particulièrement
dans les pays d'Afrique de l'Ouest.
I. LE COTON DANS L'ECONOMIE MONDIALE.
Le cotonnier (genre Gossypium, famille des Malvaceae) est un
arbuste originaire de l'Inde. Ce dernier est cultivé dans de nombreux
pays chauds pour les fibres qui entourent les graines lorsque le fruit arrive
à maturité. On dénombre une trentaine d'espèces
sauvages et quatre espèces cultivées : Gossypium arboreum,
Gossypium herbaceum (coton dit indien à fibres épaisses et
courtes), Gossypium barbadense (coton égyptien à fibres longues
et fines), Gossypium hirsutum (espèce la plus couramment cultivée
à fibres de taille moyenne).
Il faut savoir que l'origine du coton est très
ancienne, des scientifiques ont retrouvé au Pakistan des fragments de
tissus datant de 8000 ans avant J.C. Dès le VIIe siècle, les
conquêtes arabes diffusent l'usage du coton en Afrique du Nord et en
Europe. Le commerce entre l'Europe et l'Inde prend une nouvelle dimension
notamment grâce à l'ouverture de la route des Indes par Vasco de
Gama en 1497. Avec l'invention du métier à tisser de Jacquard, le
coton participe à la Révolution industrielle européenne.
La culture du coton commence aux alentours du XVIIe siècle dans le sud
des Etats-Unis. La production américaine augmente rapidement, ce qui
nécessite de plus en plus de main d'oeuvre et qui contribue donc
à l'augmentation du nombre d'esclave jusqu'à l'abolition de ce
dernier en 1865. On perfectionne alors la filature et le tissage.
Période de semis
Période de récolte
De nos jours le coton est utilisé dans des domaines
divers. Les trois principaux débouchés du coton-fibre sont :
l'habillement (la confection) pour environ 60% des utilisations totales de
coton, suivi de l'ameublement (environ le tiers) et des vêtements
professionnels pour environ 5%. En plus de ces domaines d'applications, le
coton se retrouve dans le secteur médical notamment avec la fabrication
des cotons tiges, des compresses de gaz... . Le schéma suivant montre
les différentes applications de la fibre de coton.
Le coton sert aussi à la production d'huile
alimentaire, qui est obtenue à partir des tourteaux de coton. La
consommation d'huile de coton s'est retrouvée au cinquième rang
mondial sur la période 1961-2003, avec une part de marché
d'environ 8%, ce qui équivaut à la part de marché de
l'huile d'arachide. Dans les pays d'Afrique de l'ouest (Mali, Togo, Benin,
Burkina Faso) l'huile de coton représente la première source de
matière grasse consommée. En outre, les cinq premiers producteurs
d'huile de coton sur la période 1995-2003 ont représenté,
de manière agrégée, environ 70% de la production mondiale
(quatre d'entre eux sont des pays en développement et/ou en transition :
:
-la Chine : 27%,
- les États-Unis : 12%,
-
l'Ex-URSS : 10% (dont : Turkménistan : 10% et Ouzbékistan : 72%,
Tadjikistan : 8%, Kazakhstan : 6%),
- l'Inde : 11%,
-le Pakistan : 9%.
La production mondiale de coton fibre est d'environ 26
millions de tonnes en 2005 ce qui est plus du double des années 1960.
Cette production mondiale est largement dominée par la Chine, les
Etats-Unis et l'Inde avec respectivement une part de marché de 28%, 17%
et 12%. Ces trois pays représentent environ 60% de la production
mondiale en 2005. Pris séparément, les pays d'Afrique de l'Ouest
n'ont pas une production significative par rapport aux grands producteurs que
sont la Chine et les Etats-Unis. Mais si on les réunit comme une seule
entité, les pays de l'Afrique de l'Ouest représentent 5% de la
production mondiale (environ 1 million de tonne de fibre de coton par an)
et 17% à 22% (selon les années) des exportations. Cela les place
au cinquième rang mondial en termes de production, et la
deuxième ou troisième place en termes d'exportations. Le tableau
ci-dessous nous donne les différents volumes de productions et
d'exportations pour plusieurs grands pays producteurs de coton.
Principaux pays producteurs
Du point de vue de la consommation, la Chine, l'Asie du Sud et
l'Asie de l'Est sont les plus gros consommateurs et importateurs de coton (bien
que produisant 50% du coton mondiale). Ceci peut s'expliquer par la
spécialisation de leur production : en effet après s'être
insérés dans le commerce international, les pays asiatiques se
sont spécialisés dans le textile, ils représentent
d'ailleurs aujourd'hui plus de 50% de la production mondiale et des
exportations mondiales de textiles et d'habillement. Aussi est-il normal que
les flux de fibres textiles (le coton ne faisant pas exception) se dirigent
vers les pays d'Asie. C'est ce que nous montre la carte ci-dessous.
Principaux flux d'exportations de coton dans le
monde
Après avoir abordé la place du coton dans
l'économie mondiale, nous allons maintenant nous intéresser plus
particulièrement à une région productrice de coton,
l'Afrique de l'Ouest.
La culture du coton est très importante dans
l'économie des pays d'Afrique de l'Ouest, et plus
particulièrement au Bénin, au Mali, au Tchad, et au Burkina Faso.
Pour ces pays, le coton est l'une des principales exportations, on remarque
ainsi que selon les années, les revenus du coton représentent 40%
des revenus à l'exportation du Bénin ou du Burkina, alors qu'ils
comptent pour 30% des recettes au Mali et au Tchad. De la même
manière, le coton est essentiel dans la constitution du PIB de ces pays.
Elle varie de 5 à10%. Afin de que le lecteur puisse se faire une
idée des montants et de la part relative du coton dans les
économies africaines, nous avons décidé de
présenter le tableau suivant.
Importance macro-économique du coton en Afrique de
l'Ouest
L'Afrique de l'Ouest et du Centre compte environ 2 millions
d'agriculteurs qui produisent 2 millions de tonnes de coton graine et 1 million
de tonne de fibre de coton. On estime entre 10 et 15 millions le nombre de
personnes dépendant directement de la filière coton
(égrenage, transformation du coton graine et autres activités
annexes). Par ailleurs, le coton a été une source de
développement et de réduction de la pauvreté dans les
régions rurales où il a été introduit, et ce pour
plusieurs raisons. En premier lieu, la culture du coton ne nécessite pas
l'abandon des cultures vivrières (notamment grâce à sa
période de plantation et de récolte). Par ailleurs, sa culture a
permis aux agriculteurs de recevoir des engrais de la part de leurs
gouvernements : d'une part cela a permis de fertiliser les sols (lorsqu'ils
étaient utilisés pour la culture du coton), et d'autre part, une
partie de ces engrais a été détournée au profit des
cultures vivrières.
Dans la production de coton, l'Afrique de l'Ouest
possède un avantage comparatif voir un avantage absolu par rapport
à la Chine et aux Etats-Unis. En effet, elle possède un climat
propice à la culture du coton : le cotonnier est une plante qui se
développe sous des climats tropicaux ou subtropicaux arides, à
des températures comprises entre 11°C et 25°C. Ceci permet aux
cultures africaines d'avoir un bon rendement (près de 700 tonnes par
hectare). De plus, le mode de récolte accentue cet avantage : il y est
encore récolté à la main ce qui évite d'arracher
les capsules et donc d'avoir un coton de meilleur qualité, par ailleurs,
la récolte est effectuée dans le cadre d'une économie
familiale et domestique, ce qui permet de réduire les couts de
production.
Au Burkina Faso, traitement par un insecticide. Aux
USA, arrosage au défoliant.
Récolte à la main au Burkina Faso.
Machine à récolter le coton aux USA.
Cette
technique moderne permet
De travailler sur 7 rangs à la fois
Ils sont d'ailleurs bien inférieurs à ceux
observés chez les grands producteurs: environ 30 cents par livre contre
plus du double aux Etats-Unis, principal pays exportateur. Le taux de rendement
à l'égrenage est aussi très élevé, 40
à 43% en moyenne, alors qu'il n'est que de 34-36% par exemple en Inde.
Il faut enfin souligner qu'il n'existe pas d'autre culture d'exportation en
Afrique de l'Ouest et du Centre offrant la même
compétitivité économique et pouvant remplacer le coton.
Ceci entraine une dépendance assez forte des économies de cette
région aux prix mondiaux, et des répercussions importantes sur la
vie rurale, quand ces derniers chutent car il n'y a pas vraiment de cultures
alternatives (ce point sera détaillé dans la prochaine
section).
Dans le paragraphe suivant nous allons montrer comment se
constitue la filière coton dans les pays d'Afrique de l'Ouest.
De manière générale, l'Afrique de
l'Ouest possède un parc d'usines d'égrenage à scie de
fabrication américaine relativement modernes et de forte
capacité. Mais la filière est entravée par le manque de
valeur ajoutée des produits qu'elle exporte, et aussi par la
sous-utilisation de ses moyen de traitement du coton graine. De plus, certains
pays préfère importer des huiles que les produire nationalement,
ceci est du notamment à un manque de compétitivité dans la
production de ses huiles par rapport à certains pays comme la Chine ou
le Pakistan. Par ailleurs, l'aide alimentaire internationale (provenant des
excédants des pays développé) ne favorise pas la
production locale de ces huiles, par exemple la plupart des usines de
fabrication d'huile ne fonctionnent qu'à 25% de leurs
capacités.
Principales société de coton.
Aux Etats-Unis le nombre d'exploitations cotonnières a
baissé d'environ 98%, passant de 2 millions d'exploitations dans les
années 1930 à environ 30 000 en 2000. La plupart de ces
exploitations sont des exploitations individuelles (80%). On peut distinguer
plusieurs entreprises spécialisées dans l'achat et la revente du
coton. Toutefois ces entreprises, selon leurs nationalités, n'ont pas
vraiment la même taille. De plus le marché n'est pas vraiment
unifié au niveau mondial, car selon les pays, des compagnies
cotonnières sont encore en situation de monopole. Le marché
international du coton est donc difficile à analyser. Si l'on devait
toutefois le qualifier, il serait juste de dire qu'il se rapproche d'un
marché en situation d'oligopole avec une frange concurrentielle. Voici
quelques exemples de sociétés cotonnières:
- l'Allenberg Cotton CO, Cargill, Dunavant Entreprise Inc.,
Calcot Ltd, Plains Cotton Cooperative Association (PCCA) sont des entreprises
américaines dont les ventes annuelles excèdent 200 000 tonnes par
an.
- en Chine la commercialisation du coton était
supervisé par la Supply and Marketing Cooperatives (SMC) jusqu'en 1999.
Depuis 2000, une réforme autorise les exploitations individuelles de
pouvoir négocier directement avec les producteurs.
- au Mali, la Compagnie Malienne pour le Développement
des Textiles (CMDT) gère 95% de la production de coton. La CMDT est
détenue à 60% par l'Etat malien et à 40% par Dagris. La
CMDT gère 17 usines d'égrenage (toutes ne fonctionnant pas)
à travers tout le Mali.
II. Crise du coton et faiblesse des cours.
Dans leur initiative sectorielle, les pays africains accusent
les subventions versées par les USA et l'UE de maintenir
artificiellement bas les cours du coton, et rendre leur production
compétitive au niveau mondial alors que celle-ci est déficitaire.
C'est pourquoi, dans cette partie, nous allons tenter d'analyser les principaux
déterminants de la faiblesse des cours du coton. Pour cela, nous
montrerons que le coton doit faire face à la concurrence des fibres
synthétiques, mais nous insisterons surtout sur les subventions. En
effet, il est parfois difficile de comprendre leur mode d'attribution et leurs
effets (théoriques ou réels) sur les échanges, aussi,
expliquerons-nous de manière détaillée leur logique et
leurs conséquences sur le marché mondial. Enfin nous reprendrons
quelques études économétriques, notamment celle de L.
Goreux, qui tentent de modéliser l'impact des subventions sur les prix
mondiaux du coton.
En premier lieu, nous allons nous intéresser au
concurrent direct du coton : les fibres synthétiques. On peut les
qualifier de concurrents car ces fibres sont, soit des substituts, soit des
compléments directs aux fibres de coton. On remarque en effet que dans
les années soixante, la part du coton dans les fibres totales est de
plus de 70% contre 22% pour les fibres synthétiques, alors qu'en 2000
cette part est tombée à 40% et les fibres synthétiques
atteignent quant à elles les 58% (les 2% restants sont la part de la
laine). En volume cette différence est encore plus notable : en 2000 les
fibres synthétiques atteignent les 30 millions de tonnes contre
seulement 20 millions pour le coton. Toutefois les fibres synthétiques
ne sont pas homogènes et on en distingue différents types : les
polymérisations naturelles (rayonne) et les polymérisations
chimiques (polyester, nylon et acrylique). Si ces fibres ont pris une telle
importance c'est que 'industrie textile y a trouvé de nombreux avantages
par rapport aux fibres naturelles et particulièrement par rapport au
coton.
Consommation mondiale
Prix mondiaux
Le premier est la qualité. Les fibres
synthétiques sont plus résistantes que le coton ; cela a pour
conséquence la confection de vêtements plus résistants,
mais aussi une fibre qui est mieux adaptée aux méthodes de
production modernes des vêtements (les métiers à tisser
automatisés exercent une force plus importante sur les fibres
tissées). Par ailleurs, les fibres synthétiques sont plus
uniformes que les fibres de coton : cela facilite la confection des
vêtements, enfin elles ne subissent pas de transformations telles que
l'égrenage, ou le filage. Le deuxième avantage est sans aucun
doute la certitude de l'approvisionnement. Le fait que la production de la
fibre synthétique soit une production industrielle
contrôlée par l'homme et non pas une récolte agricole
dépendante d'aléa climatiques permet une meilleure
"ajustabilité" des quantités de production et un prix moins
volatil. Ainsi, on peut voir dans le graphique que lorsque l'on compare les
prix du polyester et du coton (ici il est modélisé par l'indice
A, pour indice A du Cotlook, qui est une qualité de coton) on remarque
que les bandes de fluctuations sont plus resserrées dans le cas du
polyester.
Evolution du prix relatif du polyester
Prix du baril de Brent ($)
Par rapport à l'Indice A
Enfin, on peut faire plusieurs remarques sur les fibres
synthétiques. La première est que les prix des fibres
synthétiques chimiques sont indexés sur le prix du pétrole
(cf. annexe) : en effet, elles s'obtiennent par la polymérisation du
naphte. Aussi, on peut supposer que dans un contexte de pétrole
relativement cher, le coton a des chances de redevenir plus compétitif
(bien que le pétrole rentre aussi, bien que de manière indirecte
dans la production et l'acheminement du coton). Cela peut atténuer la
concurrence directe exercé par les fibres synthétiques sur le
coton. Enfin on peut aussi remarquer que grâce à des rendements de
plus en plus élevés (on est passé de 230 kg/hectare dans
les années soixante à près de 730 kg/hectare aujourd'hui),
l'argument des aléas de production est à relativiser.
Accusées par les pays d'Afrique de l'Ouest de maintenir
les cours artificiellement bas, nous allons nous intéresser ici de
manière détaillée aux subventions. Nous montrerons dans
cette partie quels sont les pays qui subventionnent, quels sont les
différents types de subventions accordées, et quels sont les
effets théoriques que ces subventions entrainent sur le fonctionnement
économique, et plus particulièrement les distorsions à
l'échange.
Tout d'abord il parait bonde rappeler quelques chiffres. Le
montant des subventions américaines aux producteurs de coton est
passé de 858 millions de dollars en 1996 (pour une production de 4
million de tonnes) à plus de quatre milliards de dollars en 2004 (pour
une production de 4.7 millions de tonnes), soit une fois et demie le PIB d'un
pays comme le Burkina
Aides à la production de coton aux USA en
millions de dollars
L'autre chiffre assez éloquent est le montant des
subventions européennes par rapport à leur volume de production :
alors qu'ils ne représentent que 2.5% de la production mondiale les
producteurs européens se voient subventionnés à hauteurs
de un milliard de dollars (pour une vision plus globale sur les
différents pays subventionnant leur coton, cf. annexe). Si on calcule le
ratio subvention par tonne produite, on obtient pour la campagne 2001/02 :
1806$/tonne en U-E, 678$/tonne aux USA, 58$/tonne au Mali, 0$/tonne au Burkina
Faso, et une moyenne mondiale de 272$/tonne. Au regard de ces chiffres on voit
d'une part combien les subventions sont importantes dans les pays
développés, mais on voit aussi les disparités de
subventions entre les pays.
Intéressons nous tout d'abord aux différentes
subventions aux USA. Il existe un nombre conséquent de subvention aux
USA, mais qui n'ont pas toutes la même logique. Aussi, peut-on les
classer dans différentes catégories. La première serait
celles des aides découplées, c'est-à-dire des aides qui ne
sont pas calculées en fonction des prix ou des quantités
produites. On y retrouve ici les aides directes introduites par FSRI act (Farm
Security and Rural Investment) en 2002. Ce type de subvention est
calculé sur les surfaces cultivées et sur les rendements
passés : pour pouvoir bénéficier de ces aides
l'agriculteur doit avoir planté du coton sur sa parcelle ou alors tout
autre produit qui ne soit ni un légume, ni un fruit. Le calcul de la
prime est fait de la manière suivante:
Aide directe = 0.06667*0.85*surface
cultivée*rendements passés
Ici on voit que l'aide se calcule en fonction de 85% de la
surface cultivée et suivant un taux d'aide directe fixé à
0.06667$/livre de coton. Cette aide forfaitaire est plafonnée à
40 000$.
La seconde catégorie d'aides est le soutien des prix
(qui sont de manière indirecte des subventions à la production).
Elles regroupent les aides contra-cycliques, les programmes de prêts
à la commercialisation et le mécanisme du Step-2. Les aides
contra-cycliques assurent un soutien des prix aux producteurs de coton en cas
de baisse conjoncturelle des cours. Cette aide n'est pas forfaitaire, mais
dépend du prix international du coton. On doit distinguer deux prix : un
prix objectif, qui est fixé par le gouvernement fédéral et
qui est de 0.724$/livre, et un prix effectif qui est calculé sur la base
du taux d'aide directe auquel on ajoute, soit la moyenne du prix du
marché national (AMP), soit un loan rate (égal à
0.52$/livre) si l'AMP est inférieur au loan rate. Lorsque le prix
effectif est inférieur au prix objectif, l'aide contra-cyclique est
déclenchée. Elle se calcule de la manière suivante:
Aide contra-cyclique = (prix objectif - prix
effectif)*0.85*surface cultivée*rendements passés
Cette aide est plafonnée à 65 000$ par
producteur. Les prêts de commercialisation quant à eux sont un
système de "prise en pension" du coton qui garanti un prix de vente
minimum. Il se compose du Marketing Assistance Loans (MAL) et du Loan
Deficiency Payments (LDP). Contre le stockage pour neuf mois maximum d'un
certain volume de coton égrené dans les CCC (Commodity Credit
Corporation), le MAL assure un prêt de 0.52$ la livre de coton (c'est le
loan rate). A la fin des neuf mois, soit le coton est saisi par le CCC si le
producteur ne rembourse pas, soit il rembourse au loan rate, soit il rembourse
au prix mondial ajusté si celui-ci est inférieur au loan rate. On
voit ici que le prix minimum garanti pour un producteur américain est de
0.52$ la livre de coton. Le LDP fonctionne de la même façon, sauf
que le coton n'a pas besoin d'être égrené. Le montant de
ces aides ne peut dépasser 75 000$. Ci-dessous le tableau nous indique
le montant des aides pour les années 2002 à 2005.
Calcul des loan deficiency payment
Le mécanisme du Step-2 est, lui aussi, une subvention
destinée à garantir des prix aux producteurs américains,
supérieurs aux prix de concurrence internationale, sans pour autant
pénaliser les consommateurs de coton. C'est une aide qui
bénéficie tant aux producteurs qu'aux consommateurs finaux de
coton. Le mécanisme d'aide est déclenché lorsque le prix
CAF du coton en Europe est supérieur, pendant 4 semaines
consécutives, de 1.25cts/livre au prix FAB, sans toutefois que le prix
soit supérieur à 0.70$/livre (soit 134% du loan rate). Le montant
de ces aides est fonction des quantités consommées et
exportées.
Une dernière catégorie de subventions pourrait
être intitulée "divers". Elle regroupe, les aides à
l'assurance des parcelles cultivées (cette aide se monte en moyenne
à 47$/hectare cultivé), la promotion des exportations (qui
consiste à octroyer des crédits garantis en dollars aux taux
américains, à des pays ou des entreprises
étrangères, afin que ces derniers soit incités à
acheter du coton américain), ou encore des programmes d'accès au
marché (qui sont des remboursements forfaitaires des dépenses
engagées par les producteurs dans le domaine du marketing).
Récapitulatif des aides américaines.
Campagne 2003/04
Dans le cas de l'UE, le système d'aides est moins
complexe. Ce sont des aides découplées assorties de quotas de
production à ne pas dépasser. Les subventions européennes
visent à garantir un niveau de revenus minimum aux producteurs. Pour
attribuer des aides, la Commission Européenne établit deux prix
sur le coton non égrené : un prix de référence
égal à 1.063€/kg et un prix plancher égal à
1.0099€/kg. Elle définit aussi un quota de production pour les pays
de l'UE 782 000 tonnes pour la Grèce, 249 000 tonnes pour l'Espagne, et
1500 tonnes pour tous les autres membres. Lorsque le prix mondial de
référence du coton est inférieur au prix objectif, alors
le système d'aides se déclenche dans la mesure des quotas en
vigueur. Si les quotas sont dépassés, alors les aides sont
réduites au pro rata de la quantité dépassée. Par
ailleurs d'autres aides viennent se rajouter notamment pour favoriser les
groupements de petits producteurs. Toutefois, contrairement aux USA, l'UE n'a
pas vocation à exporter son coton. Celui-ci ne sert qu'à
satisfaire une partie de sa demande interne, l'UE étant importatrice
nette de coton.
Par ailleurs, nous savons aussi que la Chine, qui est le plus
grand producteur mondial de coton, subventionne aussi son coton, le
problème est que les modes d'attributions, et les montants exacts ne
sont pas connus (on suppose que les subventions chinoises
s'élèvent à 1,2 milliards de dollars sans pour autant en
être sur). Il est donc très difficile de déterminer
l'impact que ces subventions peuvent avoir sur le marché mondial.
Montant total des aides aux USA et en UE
Aide par kilo de fibre produit aux USA et en
UE
Ici tout le problème est de savoir si ces subventions
ont un effet sur les prix au niveau mondial, chose que soutiennent les Pays
Africains producteurs de coton, mais aussi des pays comme le Brésil.
Pour tenter de répondre à cette question nous allons voire quels
sont les effets des différents types de subventions et comment elles
sont considérées par l'OMC.
Selon les USA et l'UE, et aussi selon l'OMC, les aides
découplées n'auraient qu'un effet très faible de
distorsions sur les échanges internationaux, en effet le problème
de ces subventions, qui rentrent dans le cadre de la boite bleue (à
savoir les aides tolérées par l'OMC), ne serait pas tant de
fausser le prix et les quantités produites plus que d'un problème
de répartition interne entre détenteurs du capital et
travailleurs.
Dans un cas classique, on a : F(K,L) = rK + wL avec
F'K(K,L) = r et F'L(K,L) = w
avec K le capital, L le travail et F(.) une fonction
homogène de degré 1.
Si on introduit maintenant S qui modélise une
subvention forfaitaire on a :
F(K,L) = rK + wL + S comment S va-t-il se répartir
plus en faveur de travail plus en faveur du capital ou alors de manière
équitable?
Les aides couplées, c'est-à-dire les
subventions calculées sur la production ou sur les prix introduisent
quant à elles de réelles distorsions. En effet le fait que les
USA soit le premier exportateur mondial de coton avec une part de marché
de plus de 44%, les place dans une situation où ils sont faiseurs de
prix. Les subventions à la production ou la garantie d'un prix minimal
font jouir les producteurs américains d'une situation de rente. Cela les
incite à produire toujours plus, même s'ils ne sont pas
compétitifs, car ils savent qu'ils seront subventionnés par le
gouvernement fédéral, et qu'ils ne réaliseront donc aucune
perte. La demande n'étant que faiblement élastique au niveau
mondial, l'incitation à produire provoquée par les subventions va
entrainer une surproduction relative, qui aura pour effet de faire baisser les
cours du coton. Ainsi l'étude de L. Goreux avance le chiffre d'un
préjudice de 920 millions de dollars pour les pays africains producteurs
de coton sur la seule campagne de 2001/02.
Par ailleurs, on peut même s'interroger sur les l'effet
des subventions forfaitaires. En effet, en faisant baisser artificiellement les
coûts marginaux des producteurs dans les pays du Nord, on peut se
demander si l'arrêt de ces subventions n'aurait pas un effet sur les
quantités produites par ces producteurs. L'offre étant assez
lente, à réagir (il faudrait mettre en place de nouvelles
cultures dans les pays présentant un avantage comparatif dans le coton,
et cela prendrait selon les spécialistes deux à trois ans),
l'arrêt ou la baisse de la production dans les pays du Nord provoquerait
une hausse significative des cours de coton pendant une période
déterminée, augmentant les revenus des producteurs du Sud, et les
autorisant à lancer de nouveaux investissements (meilleur semences,
"animalisation" voire mécanisation de leur agriculture), ce qui
augmenteraient leurs rendements et les rendraient encore plus
compétitifs par la suite. Au bout de cette période de transition,
les producteurs du Sud compenseraient la baisse des cours du coton par le
volume de production qu'ils pourraient réaliser et écouler. Par
ailleurs, il faut noter que beaucoup d'économistes du
développement considèrent que la base du décollage
économique est le développement d'un secteur économique
très compétitif qui par des effets d'entrainement (notamment la
naissance d'une industrie rattachée à la filière du coton,
comme par exemple des usines d'égrenage ou de transformation de la
graine de coton), conduira le pays dans la voie de la croissance et du
développement. N'oublions pas que la Révolution Industrielle et
l'industrialisation qui l'a accompagné a débuté au Royaume
Uni par le développement du coton, de son égrenage et de son
tissage.
Marché Américain
Marché Mondial
Marché Américain avec
Subventions
Marché Mondial avec Subventions
Exportations
Demande
Quantités
Prix
Prix
Quantités
Quantités
Quantités
Prix
Prix
Exportations 1
Exportations 2
Demande
Demande
Demande
Offre
Offre 2
Offre 1
S
Q exportés en plus
Baisse
Du prix
P0
P1
P0
P1
Dans ce dernier point nous allons nous intéresser aux
différentes études qui ont été menée sur les
subventions dans le domaine cotonnier. Ce qui apparait tout de suite est que
leurs conclusions sont toutes différentes : certaines conduisent
à de très forts impacts sur les prix, d'autre à des
impacts quasiment inexistants. Cela peut s'expliquer en grande partie par les
hypothèses retenues, et les modèles de résolution
économétrique choisis. C'est pourquoi nous présenterons
plus loin sous forme d'un tableau les différentes études qui ont
été menées et les résultats qu'elles ont obtenus
(ici nous reprendrons un tableau récapitulatif qui a été
fait par une commission d'expert pour le ministère de l'agriculture).
Nous avons toutefois décidé de présenter en détail
deux études: celle de L. Goreux (2003) et celle de B. Shepherd
(2004).
L'étude de L. Goreux a comme cadre d'analyse un
marché international où l'offre, la demande, et les prix
d'équilibres ne sont pas déterminés simultanément,
mais de manière séquentielle. Tout d'abord, on commence par
calculer quel serait le niveau de production dans les pays qui pratiquent les
subventions justement en l'absence de ces subventions. Ensuite on
détermine l'équilibre mondial sans subvention, et on en
déduit le nouveau prix mondial sans subventions. Enfin pour terminer, on
recalcule le niveau de production correspondant au nouveau prix
d'équilibre dans les pays africains producteurs de coton. Les
subventions considérées sont celles de la Chine pour
19.4cts/livre, celles des USA pour 34cts/livre, 62cts/livre pour la
Grèce, et enfin, 32cts/livre en Espagne. Selon les
élasticités de la demande retenues, l'impact de l'abandon des
subventions sur les prix auraient un impact compris entre 2.9 et 13.4%. Avec
une élasticité de 0.5 (hypothèse assez réaliste
compte tenu de la substituabilité limitée entre les fibres
synthétiques et le coton du fait du prix élevé du
pétrole), on obtiendrait un impact de 12%, c'est-à-dire que
l'abandon des subventions entraînerait une hausse des cours du coton de
12%. C'est sur cette étude que se sont basés les quatre pays
Africains pour demander l'abandon des subventions.
L'étude de B. Shepherd conduit à des
résultats complètements opposés. Le cadre de son analyse
est une modèle vectoriel autorégressif standard (VAR) dans lequel
les variables retenues sont les prix mondiaux du coton, les stocks mondiaux de
coton, les subventions américaines (et uniquement elles), la production
mondiale et la consommation mondiale de coton. Le résultat de ses
régressions va a l'encontre de ce que l'analyse de L. Goreux montrait :
les subventions agissent plus sur la production mondiale que sur les prix. De
plus en décomposant la variance, B. Shepherd montre que les variations
de prix sont plus dues à la variation de la demande, plutôt qu'a
un quelconque effet des subventions. La conclusion de L. Shepherd est que
l'abandon des subventions aurait un impact quasi nul sur les prix. Pour F.
Traoré, ces résultats sont dus à la méthode
même qu'a choisie L. Shepherd : le modèle vectoriel
autorégressif standard présente des résultats de
simulations incertains, car les intervalles d'erreurs sont très grands.
De plus, bien que se modèle présente l'avantage de simplifier la
spécification des estimations, il manque de fondements théoriques
testables, c'est pourquoi dans un article intitulé : "L'impact des
subventions américaines sur le prix mondial du coton : une approche par
les modèles vectoriels autorégressifs Bayésiens", il
préconise une l'utilisation de modèles autorégressifs de
Bayes.
III) Les problèmes politiques et
économiques soulevés par les subventions au coton.
Dans cette dernière partie nous allons aborder
différents problèmes, mais qui tous ont une relation avec notre
sujet. Ces différents problèmes sont les suivants : en premier
lieu, nous allons voir quelle ont été les réponses
apportées par l'UE et les USA aux problèmes soulevés par
les quatre pays africains producteurs de coton. Ainsi nous montrerons en quoi
leurs positions et leurs propositions sont hypocrites. Dans un second temps,
nous aborderons les problèmes que les subventions engendrent sur le
développement des pays africains, en nous intéressant
particulièrement aux effets des gains dynamiques à
l'échange.
La première remarque que l'on peut formuler est que ce
sont en premier lieu les pays développés (et surtout les USA et
L'UE) subventionnant fortement leurs agricultures qui sont visés par
cette initiative sectorielle.
Dans les années 80 avec le "consensus de Washington",
une nouvelle doctrine du développement apparait. Elle préconise
la libéralisation dans les pays les moins avancés de presque tous
les secteurs économiques. Cette libéralisation est censée
amener ces pays dans le chemin du développement par les bienfaits du
marché (concurrence, rationalisation, libre-échange). Toutefois,
le résultat de ces politiques a été catastrophique. A tel
point que beaucoup disent que ce consensus n'a eu d'autre but que de trouver
aux pays riches de nouvelles sources de profits, au détriment de toute
considération économique et sociale. Même le FMI, qui a
pourtant été l'institution internationale qui a mis en oeuvre
cette politique aux travers des plans d'ajustement structurel, reconnait
elle-même que ses politiques n'étaient pas toujours
"adaptées".
Toujours est-il que certains pays ont réussi à
tirer leur épingle du jeu, comme certains pays d'Afrique de l'Ouest (en
particulier les pays producteurs de coton). Bien que ces pays demeurent
très pauvres, nous avons vu en première partie que la culture et
l'exportation du coton fait vivre pas moins de dix millions de personnes. Or,
les subventions qu'attribuent les pays développés à leur
agriculture viennent s'opposer aux principes de libre-échange qu'ils
défendent. Dans le texte que les quatre pays africains ont
déposé, ils ne demandent pas des mesures de traitement
différencier ou de nouvelles aides, ils ne demandent que l'application
des règles de libre-échange qui leur ont parfois
été imposées.
C'est cela qui pose problème aux Américains et
aux Européens. Alors qu'auparavant c'étaient des pays
plutôt riches subventionnant leur agriculture (de manière beaucoup
moins forte, certes) qui dénonçaient les subventions agricoles
européennes et américaines (en particulier les pays de Cairns,
à savoir : Argentine, Australie, Nouvelle-Zélande, et Canada), ce
sont aujourd'hui des pays pauvres, dont les seules ressources d'exportations
sont les produits agricoles qui dénoncent ces subventions. Les USA et
l'UE avaient mis en place des politiques de préférence envers les
pays les moins avancés afin que leurs subventions ne pénalisent
pas trop ces pays. Ainsi l'UE, en signant les accords de Cotonou (2001) a mis
en place le programme "Tout sauf les armes" qui accorde des
préférences tarifaires sur certains produits en provenance des
pays de l'ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), ainsi qu'un meilleur
accès au marché européen. Dans la même logique, les
USA ont instauré un programme similaire : l'AGOA (Africa Growth
Opportunity Act). Par ailleurs, Europe et Etats-Unis sont venus en aide aux
producteurs agricoles du Sud lorsque les prix agricoles étaient trop bas
par un mécanisme de stabilisation des prix : le Stabex. Lorsque les prix
descendaient en dessous d'un certain prix planché, ces deux puissances
accordaient des aides aux producteurs du Sud en difficultés. Toutefois,
la logique de l'initiative coton dépasse cette logique d'assistanat des
pays pauvres. En dénonçant les subventions au le coton, les pays
d'Afrique de l'Ouest ne demandent pas des mesures exceptionnelles en leur
faveur, mais seulement l'application de leurs droits.
Le coton étant un secteur stratégique pour ces
pays en développement, les USA et L'UE n'ont pu se contenter
d'éluder le problème. Pour autant, ils ne l'ont pas
réglé non plus. En effet, le non respect des règles de
libre-échange de la part des pays développés n'est pas le
seul problème que soulève le texte qui a été
déposé. En demandant l'arrêt des subventions dans le
secteur cotonnier et la compensation des préjudices subis, le Mali, le
Burkina Faso, le Tchad et le Bénin ouvrent une brèche dans
laquelle les USA et l'UE ne veulent surtout pas s'engouffrer : la remise en
cause partielle de leur politique agricole pourrait faire "jurisprudence" et
être un "modèle" pour la contestation de toute leur politique
agricole. C'est pourquoi les mesures que se sont engagées à
prendre les USA et l'UE sont dérisoires et hypocrites : en guise de
solution, l'UE s'est engagé à découpler ses aides (60%
seront versées sous forme d'un montant unique, et 40% resteront
indexées sur les superficies cultivées avec une surface maximale
déterminée) et à préciser que celles-ci
n'étaient pas la cause de la baisse des prix, car n'étant pas des
subventions à l'exportation elles n'introduisaient qu'une très
faible distorsion. Les USA quant à eux ont proposé de remettre en
cause tout les accords du secteur textile, et pas seulement les subventions au
coton. S'il est vrai que les quotas textiles (accords multi fibres, AMF, et les
accords textiles vêtements, ATV), ont un effet dépressif sur la
demande de coton, cette proposition est surtout stratégique : elle
permet, par la révision de ces accords, aux USA de gagner du temps et de
ne pas résoudre le problème.
Par ailleurs, nous voudrions souligner une recommandation
faite à la fois par l'UE et par les USA aux pays producteurs de coton se
trouvant dans le texte ci-après, qui est le draft d'une
déclaration ministérielle faite pendant Cancún :
« Nous reconnaissons l'importance du coton pour le
développement d'un certain nombre de pays en développement et
comprenons la nécessité d'une action urgente pour traiter les
distorsions des échanges sur ces marchés. En conséquence,
nous donnons pour instruction au Président du Comité des
négociations commerciales de tenir des consultations avec les
Présidents des Groupes de négociation sur l'agriculture, sur
l'accès aux marchés pour les produits non agricoles et sur les
règles pour traiter l'incidence de distorsions qui existent dans le
commerce du coton, des fibres synthétiques et artificielles, des
textiles et des vêtements afin d'assurer un examen global de l'ensemble
du secteur. Il est donné pour instruction au Directeur
général de tenir des consultations avec les organisations
internationales pertinentes, y compris les institutions de Bretton Woods,
l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture et le Centre du commerce
international, pour orienter effectivement les programmes et les ressources
existants vers la diversification des économies dans lesquelles le coton
représente la majeure partie du PIB. Les Membres s'engagent à
s'abstenir d'utiliser leur pouvoir discrétionnaire dans le cadre du
paragraphe 1 de l'Annexe A afin d'éviter de procéder à des
réductions du soutien interne pour le coton. »
Ce texte est peut-être l'une des meilleures
illustrations de l'hypocrisie de l'UE et des USA. Pour faire face à la
crise qui sévit dans le coton, les pays ne pouvant accorder des
subventions à leurs producteurs doivent impérativement ...
diversifier leur production.
Dans cette seconde partie, nous allons aborder plus
spécifiquement les problèmes de développement que posent
les subventions octroyées par les pays riches à leurs producteurs
de coton. Pour cela, nous allons nous baser non pas sur les gains statiques,
mais sur les gains dynamiques qu'il peut y avoir à l'échange. Le
problème majeur qui va se poser ici, est que ces gains sont très
difficiles à appréhender, et il n'existe pas vraiment
d'études ou de recherches qui ont réussi à calculer ces
gains dynamiques. Aussi notre démonstration se basera t'elle plus sur
des notions théoriques que sur des études
économétriques (contrairement à ce qui a pu être le
cas dans la partie précédente).
En premier lieu, nous allons définir ce que sont les
gains dynamiques issus de l'échange et quels sont leurs effets sur
l'économie. Comme leur nom l'indique, les gains dynamiques sont les
gains à l'échange qui apparaissent lorsque l'on prend en compte
le temps. En d'autres termes, ce sont les effets à long terme de
l'ouverture des économies (alors que les gains statiques seraient les
effets à courts terme). On peut distinguer plusieurs sortes de gains
dynamiques parmi lesquels :
- les économies d'échelle. En s'ouvrant au
commerce, un pays ne fera plus seulement face à une demande nationale
dans le produit pour lequel il présente un avantage comparatif, mais il
va faire face à une demande internationale. Pour pouvoir faire face
à cette demande, le pays va devoir restructurer son appareil productif,
et cela peut passer par la constitution d'entreprises plus grandes :
l'idée est qu'en produisant sur des quantités plus grandes, on
arrive à baisser les couts de production (jusqu'à un certain
volume de production les entreprises bénéficient de rendements
d'échelle croissants). Les entreprises nationales sont donc plus grandes
et plus efficaces, elles sont donc plus compétitives sur le
marché mondial.
- les effets d'apprentissage liés à la
spécialisation. Cette idée recoupe quelque peu l'argument
précédent : en s'ouvrant au commerce, le pays va se
spécialiser dans une production donnée. Les salariés
seront plus productifs et les entreprises plus compétitives car ils ne
seront plus concentré qu'à faire un type de production. C'est un
peut l'idée qu'on retrouve chez A. Smith lorsqu'il évoque la
division du travail : en ayant qu'une tâche précise à
faire, un employé sera plus productif car il aura l'habitude
d'exécuter cette tâche.
- la pression de la concurrence internationale. Cette
concurrence aura deux effets. Le premier sera de la rationalisation des
coûts : tous les "gaspillages" seront traqués sous l'effet de la
concurrence, cela aura pour effet de diminuer l'X-inefficience et donc de
rendre les entreprises plus compétitives. Le second sera l'innovation et
le progrès technique. Afin de pouvoir garder des parts de marché
ou d'en conquérir, les entreprises seront amenées à
innover tant dans les procédés (pour pouvoir être plus
productives, et donc plus compétitives), que dans les produits (afin de
différencier leurs produits de ceux des concurrents).
- les spillovers technologiques. Grace au commerce
international, les pays qui s'ouvrent aux échanges peuvent
bénéficier de transferts de connaissances, notamment en
consacrant une partie de leurs revenus (et de fait cette partie sera plus
importantes s'ils dégagent des recettes d'exportations importantes)
à l'achat de technologies qu'ils ne maitrisent pas, ou en
bénéficiant de la formation de leur population (notamment par des
accords bilatéraux, comme par exemple, lorsqu'une entreprise
étrangère doit former les travailleurs locaux à ses
technologie lorsqu'elle remporte un contrat sur le marché local).
Selon la littérature économique, ces gains
seraient beaucoup plus importants que la simple baisse des prix
engendrés par l'ouverture au commerce, notamment pour les pays en voie
de développement (R. Wacziarg).
Le gain statique de l'échange
L'ajout de gains dynamiques
Dans le cas des pays africains producteurs de coton, beaucoup
de faits empiriques poussent à valider cette théorie. Mais ils
poussent aussi à souligner que les aides demandées pour
atténuer les effets des subventions ne compensent que très
partiellement les pertes subies. Les aides promises (leurs modalités
d'attribution, ne sont, rappelons-le, à ce jour pas encore
définies) ne viennent qu'atténuer "l'effet prix" des subventions
: elles permettront aux producteurs des pays d'Afrique de recevoir un revenu
qui compensera les pertes subies par la vente du coton à un prix
artificiellement bas. En aucun cas ces aides ne sauraient contrebalancer
"l'effet quantité", et encore moins gommer les pertes dues aux gains
dynamiques. "L'effet quantité" peut se définir comme une
restriction de la production. Les subventions octroyées ont deux effets
: celui de baisser les prix, or l'agriculture est un secteur à
rendements décroissants : en dessous d'un certain prix, les surfaces qui
pourraient être mises en cultures ne sont plus rentables (D. Ricardo
avait déjà formulé cette idée dans son explication
de la rente), et celui d'inciter à la production pour les producteurs
qui ces subventions ; les surfaces non rentables sans subventionnement au Nord
pourraient être remplacées par la mise en culture de nouvelles
parcelles, notamment dans les pays d'Afrique de l'Ouest.
Ici, "l'effet quantité" peut être
considéré comme une perte de gains dynamiques. En effet, les
quantités produites par les pays africains sont en quelque sorte
bornées par les subventions des pays développés, et cela a
pour effet de minorer les économies d'échelle ainsi que les
effets d'apprentissage. C'est pourquoi, on remarque que les récoltes
augmentent jusqu'au milieu des années 90 en Afrique puis, avec la chute
des cours du coton, la production et les rendements ralentissent. Par ailleurs,
d'autres effets sur les gains dynamiques sont visibles : au niveau de
"l'animalisation" de la production, on remarque que ce sont les régions
dans lesquelles le coton est produit où l'utilisation des animaux de
traits est la plus élevée. Enfin, on remarque que les effets
d'entrainements, notamment l'industrialisation des pays africains a
été stoppée, en partie par les pertes de gains dynamiques.
Ainsi, alors que l'on comptait 41 unités de production industrielle dans
la zone UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest Africaine), on en
compte aujourd'hui à peine une vingtaine.
Traction animale et zones cotonnières en Afrique de
l'Ouest
Recensement des unités industrielles liées
à la filière cotonnière en Afrique de l'Ouest
Tous ces faits nous montrent combien les subventions peuvent
être mauvaises pour le développement de ces pays africains. Ainsi,
A. Subramanian et N. Tamirisa (économistes du FMI) montrent dans un de
leurs articles, "Afica's trade revisited", combien un secteur
compétitif et intégré au marché mondial est
important pour le développement. Un secteur aussi compétitif que
le coton permettrait aux pays d'Afrique de l'Ouest de bénéficier
d'effets d'entrainement dans d'autres secteurs. D'autant plus que la culture du
coton, bien qu'elle soit une culture d'exportation, ne vient pas concurrencer
les cultures vivrières. En effet, les dates de plantation et de
récolte permettent de pratiquer la polyculture sur les parcelles,
assurant une production vivrière conséquente, atout non
négligeable lorsque l'on sait que l'autosuffisance alimentaire est
aujourd'hui un enjeu majeur pour beaucoup de pays, en particulier des pays en
développement. Or, les subventions viennent casser les effets positifs
de l'ouverture et ce, à l'intérieur même de la
filière du coton puisque l'on remarque qu'une
désindustrialisation dans le secteur textile s'est amorcée
à partir des années 90, surtout au Mali. Les pays d'Afrique
subsaharienne possèdent peut de secteur compétitifs sur lesquels
ils pourraient baser leur développement. Si à cela viennent
s'ajouter des effets négatifs des politiques des pays
développés dans des secteurs qui sont pourtant
compétitifs, le problème du sous développement et de la
pauvreté risque de rester un thème majeur de l'Afrique en
général, et de l'Afrique de l'Ouest en particulier.
En conclusion, on remarque que les subventions sont un
obstacle majeur, quoiqu'en disent les représentants des USA et de l'UE
à l'OMC, au développement dans les pays pauvres. C'est
particulièrement vrai pour les produits agricoles, le coton ne faisant
pas exception. Pour autant, la proposition déposée par les pays
africains n'a pas vraiment été suivie d'effets. Bien que ces
derniers aient pu obtenir une promesse d'aides, celles-ci sont mal
définies, et ont été arrachées au prix de longues
tractations. De plus elles ne compensent pas les pertes que les pays
producteurs de coton ont du subir du fait des subventions. Le seul
évènement majeur qui est peut-être ressorti de la
conférence ministérielle de Cancún est sans doute le
début d'un nouveau rapport de force entre les pays qui composent l'OMC.
Alors que les pays industrialisés s'affrontaient entre eux, mais
gardaient la main mise sur l'organisation et imposaient leurs volontés
aux pays en développement, on assiste avec l'émergence de
nouvelles puissances, telles que le Brésil, l'Inde, et la Chine (qui a
adhéré à l'OMC en 2001), à l'établissement
d'un nouveau rapport de force. Par leur potentiel futur, ces pays commencent
à peser sur les politiques économiques des anciens pays
industrialisés. L'attrait des pays riches pour ces marchés en
pleine expansion en sont la preuve. Toutefois l'émergence de ces pays
posent aussi de nouveaux problèmes tant en terme de géopolitique
qu'en terme de politiques économiques. Le plus grand défi qui se
pose aux pays riches, est surement de savoir comment ils vont pouvoir continuer
à garder leurs anciennes politiques commerciales,
particulièrement leurs politiques agricoles sans déclencher de
"guerre économique" avec ces pays alors que ceux-ci, par la taille de
leur population et par leur croissance économique, représentent
les grands marchés de demain.
Bibliographie :
Articles :
"Measuring the dynamics gains from trade" by R. Wacziarg in
World bank economic revue, vol. 15 n°3, October 2001. Article disponible
en ligne sur le site de Stanford.
"Africa's trade revisited" by A. Subramanian and N.
Tamirisa.
"Quel avenir pour l'initiative sectorielle en faveur du coton
après l'échec de Cancún ?" par S. Miroudot, GEM, Sciences
Po, mars 2004.
"Impact des aides américaines et européennes sur le
marché international du coton" par C. Bonjean, S. Calipel, F.
Traoré, étude réalisée à la demande des
ministères de l'Agriculture et des Affaires Etrangères.
"L'impact des subventions américaines sur le prix
mondial du coton : une approche par les modèles vectoriels
autorégressifs Bayésiens" par F. Traoré (CERDI).
" Coton africain et marché mondial : une distorsion
peut en cacher une autre plus importante" par M. Fok disponible sur le site
internet "John Libbey Eurotext"
" Le marché mondial du coton :
évolution et perspectives" par G. Estur dans les "Cahiers
d'études et de recherches francophones" volume 15 janvier/février
2006
" Atlas de l'intégration Régionale en Afrique
de l'ouest série économique le Coton " par Christophe Perret
pour la CEDEAO, le CSAO et l'OCDE ; disponible sur le site de l'OCDE.
www.ocde.com
information de marché dans les secteurs des produits de
base :
http://r0.unctad.org/infocomm/francais/indexfr.htm
société Dagris :
www.dagris.fr
international cotton advisory committee ( ICAC):
www.icac.org
Centre de coopération internationale en recherche
agronomique pour le développement (CIRAD) :
www.cirad.fr
OMC le sous comité du coton:
http://www.wto.org/french/tratop_f/agric_f/cotton_subcommittee_f.htm
ANNEXE
Principaux acteurs du marché mondial du coton
(fibre) et niveau des subventions en 2001/2002
Relation de long terme entre le prix du polyester et le
prix du pétrole (1970/2001)
Relation de court terme entre le prix du
synthétique et le prix du pétrole (MCE)
Sur l'initiative des pays d'Afrique de l'Ouest et du
Centre en faveur du coton Au Comité de négociations commerciales
de l'Organisation Mondiale du Commerce.
GENEVE, le 10 juin 2003
« Monsieur le Directeur Général de l'OMC,
Président du Comité des négociations
Commerciales,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Excellences Mesdames
et Messieurs les Ambassadeurs,
Messieurs les Directeurs
Généraux Adjoints de l'OMC,
Mesdames et
Messieurs,
Honorables Représentants,
Les travaux du Comité des Négociations Commerciales
de ce jour, 10 juin 2003, me donnent l'agréable occasion de m'adresser
à votre auguste instance, pour évoquer les préoccupations
des Etats de l'Afrique de l'Ouest et du Centre, relatives aux
négociations commerciales du cycle de Doha, afin de solliciter plus de
justice et d'équité pour des millions de producteurs et de
productrices de nos pays.
Les règles du système commercial
multilatéral, dont vous êtes les arbitres, ont été
édictées en application des principes fondamentaux que sont la
transparence dans les transactions commerciales, l'égalité de
traitement entre les pays membres, et partant la non discrimination dans les
relations commerciales.
Ces principes, faut-il le rappeler, ont été
renforcés par le consensus de Washington dont les axes fondamentaux
incluent, en plus des privatisations et de la libéralisation du
marché des capitaux, des prix régulés uniquement par le
marché et le libre-échange pour toutes les marchandises.
La mise en oeuvre du mécanisme d'examen des politiques
commerciales au sein de l'OMC a conduit nombre de pays membres à adapter
leurs politiques commerciales aux exigences des règles du système
commercial multilatéral, et à renforcer leurs performances
liées au commerce.
Nos pays, aux économies encore très fragiles, ont
entrepris des ajustements pour être plus compétitifs et relever le
niveau de leurs participations aux échanges commerciaux. Ces
réformes, conduites dans le cadre des programmes d'ajustement
structurel, ont permis l'assainissement des cadres macroéconomiques et
financiers, et créé des conditions internes favorables au
développement des filières de production porteuses de croissance
durable.
C'est dans ce sens que les Etats de l'Afrique de l'Ouest et du
Centre ont progressivement supprimé les mesures de soutien à
leurs secteurs agricoles. Mais l'impact de ces réformes sur le
développement de nos pays a jusqu'ici pratiquement été
anéanti par le maintien dans certains pays membres de l'OMC de mesures
de soutien multiformes à leur agriculture, ceci en contradiction totale
avec les objectifs fondamentaux de l'OMC.
Ainsi, dans le cadre de leurs politiques agricoles et pour la
seule année 2001, les pays riches ont accordé six fois plus de
subventions à leurs agriculteurs qu'ils n'ont octroyé d'aide au
développement, soit respectivement 311 et 55 milliards de dollars.
Mesdames et Messieurs,
Il va sans dire que de telles pratiques
donnent aux secteurs agricoles des pays nantis un avantage concurrentiel
déloyal par rapport aux pays en développement comme les
nôtres. Nos agriculteurs qui produisent le kilogramme de coton 50 % moins
cher que leurs concurrents des pays développés, ce qui les place
parmi les plus compétitifs au monde, subissent de plein fouet l'impact
négatif des subventions au coton.
Ces subventions ont provoqué des chocs économiques
et sociaux négatifs sur les pays producteurs africains. Par ce fait, le
Burkina a perdu en 2001 1 % de son PIB et 12 % de ses recettes d'exportation,
le Mali 1,7 et 8 %, le Bénin 1,4 et 9 %. Les niveaux très
élevés de soutien octroyés aux producteurs de coton de
certains pays membres de l'OMC sont l'une des causes directes et majeures des
problèmes rencontrés par l'activité cotonnière
mondiale. Ces soutiens gonflent artificiellement l'offre sur les marchés
internationaux et dépriment les prix à l'exportation.
Mesdames et Messieurs,
En 2001, la production de coton
représentait au Bénin, au Burkina, au Mali et au Tchad, 5
à 10 % du produit intérieur brut et près de 30 % des
recettes d'exportation totales.
Plus de dix millions de personnes des pays de l'Afrique de
l'Ouest et du Centre dépendent directement de la production
cotonnière, et plusieurs autres millions de personnes sont
affectées de manière indirecte par les distorsions sur les prix
du marché mondial du fait des subventions à la production et
à l'exportation de ce produit agricole. Le coton occupe
incontestablement une position stratégique dans les politiques de
développement et programmes de réduction de la pauvreté de
nos pays. Alors que la production du coton ne représente qu'une part
minime de l'activité économique des pays industrialisés,
elle est pour l'ensemble de nos Etats, un élément
déterminant des politiques de réduction de la pauvreté et
un facteur primordial de stabilité politique et sociale. La production
cotonnière est un maillon essentiel du développement de nos pays
par les effets induits sur la promotion des infrastructures, de
l'éducation et des services de santé de base.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les
Ministres,
Excellences Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Notre décision de soumettre conjointement à l'OMC
le 30 avril 2003 une initiative sectorielle en faveur du coton est juste et se
fonde sur les principes de l'OMC qui sont entre autres, d'établir un
système commercial équitable et axé sur le marché.
Je lance, du haut de cette tribune, un vibrant appel au nom de plusieurs
millions de femmes et d'hommes qui vivent dans les pays les moins
avancés, et dont le coton constitue la principale ressource de
subsistance. En leur nom, au nom des pays signataires de l'initiative sur le
coton et au nom de tous ceux qui y adhèrent, je demande à l'OMC
et aux Etats membres de faire en sorte que ces populations victimes de l'impact
négatif des subventions ne soient pas exclues du commerce mondial.
L'OMC, arbitre et garante des règles du commerce international est
l'enceinte multilatérale la plus appropriée pour traiter
globalement du problème des subventions qui faussent la concurrence. Les
négociations en cours sur le renouvellement de l'Accord sur
l'agriculture, dans le cadre de l'Agenda de développement de Doha,
devront impérativement aborder la question de la distorsion dans les
échanges liés au secteur coton.
Mesdames et Messieurs, L'exemple du coton africain constitue une
illustration éclatante des rares cas où la libéralisation
des échanges et le respect des règles multilatérales
édictées par l'OMC, conduirait à des avantages commerciaux
substantiels et immédiats pour les pays africains qui sont parmi les
plus pauvres du monde. Les raisons pour établir des modalités
sectorielles pour le coton sont claires : nos pays ne demandent pas la
charité, ni un traitement préférentiel ou des aides
additionnelles. Nous demandons seulement le respect de la loi du marché,
conformément aux principes fondamentaux de l'OMC. Nos producteurs sont
prêts à affronter la concurrence sur le marché mondial du
coton, pour peu que celle-ci ne soit faussée par les subventions. Les
pays producteurs de coton d'Afrique de l'Ouest et du Centre souhaitent vivement
que les objectifs de l'Agenda de développement de Doha, à savoir
un commerce équitable et axé sur le marché soit
appliqué. Ils invitent plus particulièrement nos partenaires du
Nord à une plus grande cohérence dans leurs politiques de
coopération au développement pour ne pas détruire ce
qu'ils ont eux-mêmes contribué à construire.
A titre d'exemple, la vingtaine de milliards de francs CFA dont
bénéficie le Burkina Faso au titre de l'initiative PPTE est ainsi
annihilée par l'impact des subventions sur le coton. Les pays
producteurs de coton d'Afrique de l'Ouest et du Centre recommandent que pour
eux, le caractère stratégique du coton pour le
développement et la lutte contre la pauvreté soit pleinement
reconnu. Ils proposent, lors de la Conférence Ministérielle de
l'OMC prévue du 10 au 14 septembre 2003 à Cancun au Mexique, la
mise en place d'un système de réduction du soutien à la
production cotonnière en vue de son élimination totale. Ils
préconisent enfin l'adoption d'un mécanisme d'indemnisation
assurant aux pays producteurs de coton lésés une juste
compensation pour le préjudice subi.
Mesdames et Messieurs, Les pays africains considèrent que
la résolution du problème lié au coton démontrera
le sérieux des engagements pris à Doha, et constitue un
élément incontournable du nouveau cycle de négociation.
C'est le lieu pour moi de remercier tous les acteurs qui soutiennent notre
lutte pour plus d'équité et de justice dans le commerce
international : il s'agit des organisations et associations
professionnelles agricoles, des organisations non gouvernementales, des
institutions de coopération bilatérale et multilatérale et
des autorités politiques des pays nantis favorables à notre
cause. J'adresse également mes remerciements aux autorités de
l'OMC, pour l'accueil chaleureux qui m'a été
réservé, ainsi qu'à la délégation qui
m'accompagne.
Je félicite et j'encourage les Ambassadeurs des pays
membres de la CEDEAO accrédités auprès de l'OMC pour leur
soutien et les engage à défendre ce dossier auprès des
instances compétentes de l'Organisation.
Sur ce, je souhaite plein succès à vos travaux et
vous remercie de votre attention. »