CHAPITRE III- ANALYSE ECONOMETRIQUE DE LA RELATION
ENTRE LE CREDIT AU SECTEUR PRIVE ET LA CROISSANCE ECONOMIQUE.
Pour modéliser les relations entre le crédit au
secteur privé et la croissance économique, nous utilisons une
régression linéaire multiple. Entre autres, l'objectif
général de toute régression multiple est d'en apprendre
davantage sur la relation entre les indépendants ou plusieurs variables
prédictives et une charge variable ou un critère. En effet, nous
nous servons du logiciel E-views (version 4.1 professional) pour estimer le
modèle.
Le modèle est constitué d'une variable
endogène LPIB qui représente le logarithme du Produit
Intérieur Brut et de trois variables exogènes, LCREPRIV, le
logarithme du crédit au secteur privé, LM2 désignant le
logarithme de la masse monétaire M2 et LCREPUB indiquant le logarithme
du crédit au secteur public. Nous avons préféré de
prendre le logarithme des variables pour avoir une meilleure tendance et pour
rendre les séries plus stationnaires car les séries en niveau ne
nous ont pas donnés des résultats statistiquement significatifs
en faisant le test de Fischer. Nous avons utilisé des données
annuelles partant de 1986 à 2005 à partir du MCO
pour estimer notre modèle et pour la plupart des cas, on a pris comme
valeur moyenne annuelle, les valeurs de septembre de chaque année
(résultat de fin de période).
Spécification mathématique du modèle
L'équation générale du modèle prend
la forme suivante : LPIB = C(1) + C(2)*LM2 + C(3)*LCREPRIV + C(4)*LCREPUB +
Et
Cette forme d'équation ne s'identifie pas typiquement
à un modèle déjà construit, néanmoins, elle
réfère particulièrement au modèle théorique
de Shumpeter (1912) qui a fait du crédit privé le mobile de
détermination de la production industrielle et de l'innovation
technologique. Toutefois, le crédit privé n'était pas pris
en compte dans son modèle de base.
Spécification économétrique du modèle
:
LPIB = C(1) + C(2)*LM2 + C(3)*LCREPRIV + C(4)*LCREPUB + Ut
Test de stationnarité des variables
La notion de stationnarité est importante dans la
modélisation de séries temporelles. Dans le cas où les
variables ne sont pas stationnaires mais intégrés de même
ordre, un concept très proche, celui de cointégration, permet de
déterminer le type de modèle à utiliser. La
stationnarité joue également un rôle important dans la
prédiction de séries temporelles.
Dans notre cas, nous utilisons l'artifice de
Dickey-fuller48 simple (1981)
48 Le test de Dickey Fuller simple (1979) est un test de racine
unitaire (ou de non stationnarité)
Nous partons des hypothèses suivantes : H0 : |ñ| =
1 (â=0, non stationnaire)
H1 : |ñ| <1 (stationnaire)
Après avoir effectué le test de racine unitaire
de Dickey-fuller simple, nous avons vu que les quatre variables constituant
notre modèle à savoir LPIB, LCREPRIV, LCREPUB et LM2 ne sont pas
stationnaires en niveau donc on accepte H0. Toutefois, elles sont toutes
stationnaires en différence première. A la différence des
autres, la variable LCREPRIV garde la tendance et la constante, alors que les
trois autres sont stationnaires en différence uniquement avec constante.
Nous présentons en annexe 2 les séquences de résultats des
tests de Dickey-Fuller.
Test de normalité
La normalité de l'erreur est l'une des
hypothèses statistiques fondamentales qui doit être testée
notamment avec des séries temporelles. Nous utilisons alors, le test de
Jarque-Bera (1980) pour réaliser ce test. Sous les hypothèses
suivantes :
H0 : Ut ~ N (0, ó2u), L'erreur est normale
H1 : Ut /~ N (0, ó2u), L'erreur est non
normale
Selon les résultats de e-views (voir annexe 1), la
probabilité associée à JarqueBera est de 93,09 % donc
supérieure à 5 %, alors nous acceptons H0. Nous concluons ainsi
que l'erreur est normale.
Test de spécification :
Nous utilisons le test de Ramsey (RESET TEST, 1976).
L'équation de régression Ramsey Spécifications Erreur Test
(RESET) (Ramsey, 1969) est une spécification d'essai pour le
modèle de régression linéaire. L'intuition derrière
ce test est que, si la non-
combinaison linéaire des variables explicatives a tout
pouvoir pour expliquer la variable exogène, le modèle est mal
spécifié.
Nous formulons les hypothèses suivantes : H0 : Ut ~ IN
(0, ó2u I), bonne spécification H1 : Ut ~ IN (g,
ó2u I), 1?0, mauvaise spécification
A partir des résultats de e-views (voir annexe 1), la
probabilité associée à Fstatistic est de 34,90 %, donc
elle dépasse 5 %. Alors H0 est acceptée, pas d'erreur de
spécification.
Résultats et interprétation des résultats de
l'estimation
Après l'avoir estimé par le MCO, on a eu la forme
particulière suivante: LPIB = 4.639 + 2.144*LM2 - 0.823*LCREPRIV -
0.958*LCREPUB
(6.223) (6.125) (-3.309) (-6.048)
(...) t student
Pour tester la significativité de chacune des
variables, le test de Student a donné des résultats
satisfaisants. Donc toutes les quatre variables considérées dans
le modèle sont statistiquement significatives (voir annexe 3).
Globalement, nous avons eu un une probabilité associée à
Fischer atteignant 47,61 %, ce qui est largement significatif toujours sous le
seuil d'erreur de 5 %. Egalement, nous avons enregistré un R2
suffisamment élevé de 89,92 % et une somme carré de
l'erreur (Sum square resid) très faible (0,2832), qui sont tous des
signaux positifs de la significativité et de l'acceptabilité du
modèle.
Parallèlement, les résultats de l'estimation ont
donné une valeur de Durbinwatson49 soit DW=1,97 (voir annexe
3). Sous un seuil de 5 % et avec 3 variables explicatives, dl et du prennent
respectivement les valeurs de 1 et de 1,68. Donc la valeur de DW (1,97) est
située dans l'intervalle entre du (1,68) et 4-du (2,32), une zone dans
laquelle H0 est vérifiée, c'est-à-dire que les
résidus sont non autocorrélés sous les hypothèses
suivantes:
H0: ñ =0 (Les résidus sont
non-autocorrélés)
H1: ñ ? 0 (ñ <0 ou ñ >0, les
résidus sont autocorrélés)
Aussi nous avons utilisé le test de White (1980), qui
est un cas particulier du test de Breusch-Godfrey-Pagan pour tester
l'hétéroscedasticité du modèle; en d'autres termes,
pour voir si la variance de l'erreur est constante ou non. Nous avons les
hypothèses suivantes:
H0: a2 = a3 = ... = ap (L'erreur est homoscedastique)
H1: (ai ? 0), i= 2, 3, ..., p. (L'erreur est
hétéroscedastique)
Les résultats de E-views ont donné une
probabilité associée à White qui est de 5,7 % (voir annexe
3), qui dépasse le seuil de 5 %, donc H0 est acceptée, l'erreur
est homoscedastique.
Enfin, nous avons effectué le test de
multicolinéarité entre les variables exogènes du
modèle. Car nous savons que l'existence de
multicolinéarité gonfle les écarts des estimations de
paramètres. La multicolinéarité peut également
aboutir à des signes
49 Cette statistique venant du nom de James Geoffrey Durbin et
Watson est utilisée pour détecter la présence
d'autocorrelation des
inattendus et par conséquent, à des conclusions
erronées sur les relations entre variables indépendantes et
dépendante. Pour réaliser le test de
multicolinéarité, nous avons utilisé le test de
Farrah-Glauber. Sous les hypothèses suivantes:
H0: |R|=1 (les variables sont orthogonales)
H1: |R|<1 (les variables s sont fortement
corrélées)
La probabilité associée à Farrah-Glauber,
calculée à partir du déterminant D a donné -6,59 %
(voir annexe 4), une valeur négative, qui est inférieure à
la valeur lue dans la table de chi-deux pour n=20 et pour un seuil d'erreur de
5 % soit une probabilité de 7,8 15 %. Alors nous acceptons Ho, donc il
n'y a pas de multicolinéarité, en d'autres termes, les variables
explicatives sont orthogonales.
Techniquement, en analysant les signes des coefficients des
différentes variables exogènes, nous devons comprendre que les
deux variables LCREPRIV et LCREPUB entretiennent des relations négatives
avec la variable endogène (LPIB). En terme économique,
d'après ce modèle, toute augmentation de 1% du crédit au
secteur privé et toute augmentation de 1 % du crédit au secteur
public doit faire baisser le PIB respectivement de 0,823 % et de 0,958 %.
Parallèlement, la masse monétaire M2 influence positivement le
PIB, ainsi, selon cette équation, une hausse de 1 % de M2 fera
progresser le PIB de 2,144 %.
Théoriquement, beaucoup de thèses soutiennent
une relation négative entre le crédit au secteur public et la
croissance économique dont celle de Varoukadis (1 996)50 dans
le sens que les crédits au secteur public tendent à
évincer le crédit au secteur privé et donc réduire
l'investissement domestique; ce qui s'accorde parfaitement avec les
résultats de notre estimation. Toutefois, dans la majorité des
cas, les auteurs défendent une relation positive entre le crédit
au secteur privé et la croissance du PIB (c'est le cas
50 Aristomène Varoudakis, Regimes non démocratiques
et croissance: théorie et estimation, pp. 831-840
de Schumpeter). Car, pensent/ils, le crédit au secteur
privé peut mobiliser suffisamment de capitaux à l'investissement
et à la création de richesse pouvant stimuler l'activité
économique. En ce qui concerne la relation entre la masse
monétaire M2 et la croissance du PIB, elle répond aux
avancées théoriques qui soutiennent l'idée qu'une plus
grande disponibilité monétaire soit en terme de monnaie en
circulation ou dans les comptes d'épargne constitue un terrain propice
à l'investissement, et par la suite pour la bonne marche des
activités économiques.
Dans le cas haïtien, plusieurs choses peuvent expliquer
cette inadéquation entre le crédit au secteur privé et la
croissance du PIB. D'abord, on considère le point de vue politique.
L'étude part de 1986, et nous savons que 1986 dans l'histoire politique,
sociale et économique nationale a été un point
déclencheur de toute une série de mouvements
d'instabilité. De la chute de Jean/Claude Duvalier en passant par le
coup d'Etat de 1991 pour aboutir au renversement de Jean/Bertrand Aristide en
février 2004, les tensions politiques de toutes sortes ont assombri le
climat d'investissement au détriment de la croissance économique
et de l'emploi.
Mis à part les crises politiques
répétées, la période de grande ouverture
économique qui a marqué l'après Duvalier à travers
le Plan Américain a donné un coup dur à l'économie.
Dans ce contexte, les entreprises nationales qui bénéficiaient du
crédit ne pouvaient pas efficacement et de manière optimale
produire, car talonnées par la forte concurrence des produits
étrangers. Et parallèlement, les compagnies
étrangères s'adonnaient presque entièrement à la
commercialisation au lieu de venir d'investir en Haïti dans des oeuvres
à haute intensité d'emploi et de création de richesse.
Donc, il serait difficile de croire que dans une situation aussi
particulière, le faible niveau de crédit accordé au
secteur privé particulièrement par les banques aurait pu avoir
des impacts positifs sur la croissance du PIB. Deux autres problèmes
peuvent être soulevés pour expliquer cette relation
négative. On a mentionné plus haut, qu'il existe plusieurs types
de crédit notamment le crédit à la consommation, et le
crédit à la production (ou à l'investissement). La
première catégorie, à part qu'elle stimule la demande
globale par
une augmentation de la consommation, n'a pas un impact
significatif sur les activités économiques, tandis qu'elle
représente une part assez considérable dans le portefeuille de
crédit des banques haïtiennes51.
La deuxième catégorie qui est consacrée
à la production peut diviser en production agricole, commerciale,
industrielle ou de service. C'est un type de crédit qui
généralement, est très favorable à la croissance
notamment pour le secteur industriel et des services. Puisque, nous savons que
dans le contexte économique actuel, les productions industrielles et de
services offrent une plus grande valeur ajoutée et des avantages
comparatifs face à la détérioration des termes de
l'échange des produits agricoles et de la forte inflation que subissent
les produits commerciaux. Néanmoins, dans cette même
catégorie de crédit à la production, les prêts sont
en majorité destinés à des activités
commerciales52, qui sont d'ailleurs réputées faibles
en valeur ajoutée et en création d'emploi.
Un autre problème qui a été
soulevé plus haut c'est la trop forte concentration du crédit.
Donc, par le fait que le crédit n'est pas suffisamment ouvert et
distribué dans les différents secteurs et régions du
pays53, il va inciter de moins en moins de concurrence; alors une
augmentation relative de son volume n'arrivera pas à inciter une
croissance économique soutenue, menacée par tant d'autres
facteurs économiques et politiques. A part de la concentration du
crédit, il faut considérer aussi les termes des prêts
bancaires. Comment s'attendre à des retombées positives du
crédit si les banques commerciales haïtiennes offrent pour la
majeure partie du temps des prêts à court terme. Ces derniers
n'auront pas suffisamment de temps pour donner le rendement souhaité
(pour les banques
51 Fritz Deshommes, «Politique économique en
Haïti. Rétrospectives et perspectives», p.87
52 Près de deux tiers des prêts du système
bancaire, soit 62.8%, sont accordés dans le cadre des activités
commerciales (source: Document de synthèse de C.N.C / P.N.U.P / B.I.T /
H.A.I 95 / 014: «Analyse des Institutions Bancaires »
53 Plus de 90% des prêts sont concentrés dans la
zone métropolitaine particulièrement à Port/au/Prince
(voir le document de synthèse pré/cité)
commerciales haïtiennes, 8 1% des crédits en moyenne
se font à court terme selon le même document de synthèse
cité plus haut).
Le dernier argument qui pourrait expliquer cette influence
négative du crédit au secteur privé sur la croissance du
PIB est la non prise en compte du crédit des institutions
financières non bancaires dans la régression, étant
donné une non disponibilité des données qui y sont
relatives. Néanmoins, on sait que la tendance ne serait pas trop
différente vu la dominance bancaire face à une famille des IFNB
minoritaires.
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