UNI VER SITE D 'ABOMEY CALA VI (UAC) FA CULTE DES
LETTRES, ARTS ET SCIENCES HUMAINES (FLASH)
DEPAR TEMENT DE
.SOCIOLOGIE-ANTHROPOLOGIE (DS-A) Mémoire de
Maîtrise Sujet :
LA CORRUPTION DANS LA GESTION DES DENIERS PUBLICS A
COTONOU : ANALYSE SOCIO-ANTHROPOLOGIQUE DE LA PERSISTANCE DU
PHENOMENE
Présenté par Membres de
Jury
Barnard Vinagbo AGBANGLA Président :
Hyppolite AMOUZOUVI
Professeur-Assistant
Rapporteur :
David HO UINSA
Professeur-Assistant
Examinateur :
Abou-Bakry IMOROU
Professeur-Assistant
Année Académique 200 7-2008
Sommaire
DEDICACE II
REMERCIEMENTS III
SIGLES ET ACRONYMES IV
LISTE DES TABLEAUX, GRAPHIQUES ET FIGURES V
RESUME VI
RESUME VI
INTRODUCTION 1
PREMIERE PARTIE : 3
FONDEMENTS THEORIQUES ET METHODOLOGIQUES 3
CHAPITRE I : FONDEMENTS THEORIQUES 4
1. PROBLEMATIQUE 4
2. CLARIFICATION CONCEPTUELLE 14
CHAPITRE II : APPROCHE METHODOLOGIQUE 20
1. JUSTIFICATION DU CHOIX DU CADRE D'ETUDE
20
2. NATURE DE L'ETUDE 23
3. GROUPE CIBLE ET ECHANTILLONNAGE 23
4. TECHNIQUES ET OUTILS DE COLLECTE 27
5. CHRONOGRAMME 28
6. DIFFICULTES RENCONTREES 29
DEUXIEME PARTIE : DYNAMIQUE DE LA CORRUPTION
31
CHAPITRE I : DU JEU DES ACTEURS 32
1. TYPOLOGIE DES ACTEURS DE LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION
32
3. LA CONSTRUCTION DE L'IMPUNITE 47
4. INTERPRETATION DES RESULTATS 52
CHAPITRE II : DU CERCLE VICIEUX DE LA CORRUPTION
54
1. LES CONDITIONS D'EXISTENCE ET DE TRAVAIL
54
2. ATTITUDES ET REPRESENTATIONS AUTOUR DE LA CORRUPTION.
61
3. INTERPRETATION DES DONNEES RECUEILLIES 67
CONCLUSION 69
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES 71
ANNEXES 75
DEDICACE
A ma mère Célestine AMENOUGNON : en
admiration pour ton engagement chrétien et pour ta foi
inébranlable que ni la maladie, ni la souffrance n 'ont entamée
;
A vous tous, épris de justice et
d'équité, qui refusez de céder aux sirènes
envahissantes de la corruption : l 'expression du renouvellement de mon
adhésion à votre noble cause.
REMERCIEMENTS
Que toutes les personnes dont la présence, les
conseils et les instructions ont concourus à l 'aboutissement de ce
travail trouvent ici l 'expression de notre gratitude :
· Père, mère, oncles, tantes,
frère, soeurs, cousins et cousines, merci infiniment ;
· Enseignants du primaire, du secondaire et du
supérieur, toute ma reconnaissance ;
· Frères et amis du « CLUB DE LA PERTINENCE
», mille gratitudes.
SIGLES ET ACRONYMES
ALCRER : Association de Lutte Contre le
Régionalisme, l 'Ethnocentrisme et le
Racisme
BIC : Bénéfice Industriel Commercial
BNC : Bénéfice Non Commercial
CIPE : Centre des Impôts des Petites
Entreprises
CMVP : Cellule de Moralisation de la Vie Publique
CNRP : Commission Nationale de Régulation des
Marchés Publics
CPMP : Cellule de Passation des Marchés
Publics
DNMP : Direction Nationale des Marchés
Publics
FONAC : Front des Organisations Nationales de lutte Contre
la Corruption
OLC : Observato ire de Lutte contre la Corruption
ONG : Organisation Non Gouvernementale
OSC : Organisation de la Société
Civile
PNUD : Programme des Nations Unies pour le
Développement
RFU : Registre Foncier Urbain
TFU : Taxe sur le Foncier Urbain
USAID : Agence des Etats- Unis pour le Développement
International
Liste des tableaux, graphiques et figures
Liste des tableaux
Tableau I: Typologie de la corruption 18
Tableau II: Présentation des groupes cibles et
catégories sociales 24
Tableau III: Répartition des enquêtés par
groupe cible 25
Tableau IV:Répartition des enquêtés par
catégories sociales 25
Tableau V: Chronogramme de recherche 29
Tableau VI : Ordre d'importance des difficultés
rencontrées par les acteurs non étatiques 34
Tableau VII: Indices de traitement 58
Tableau VIII : Tableau brut correspondant aux indices de
traitement 59
Tableau IX : Dépenses incompressibles 60
Tableau X: Perception sociale de la corruption 65
Liste des graphiques
Graphique 1: Répartition des enquêtés par
groupes cibles 26
Graphique 2 : Répartition des enquêtés par
catégories sociales 26
Graphique 3 : Ordre d'importance des difficultés 34
Graphique 4 : Perception sociale de la corruption 65
Liste des figures Figure 1: Carte de la
ville de Cotonou 22
Résumé
Au-delà de l'instabilité politique et de la
diversité des régimes qui se sont succédés, la
corruption est restée une caractéristique constante de
l'administration publique béninoise. Depuis 1963, la lutte contre la
corruption semble avoir été au coeur des priorités des
différents gouvernements, du moins si l'on s'en tient aux
rhétoriques politiques. Malheureusement, les actions menées dans
ce cadre ont, jusque là été peu fructueuses. Il s'impose
donc d'élucider les raisons de la persistance de ce
phénomène. Une telle préoccupation a été
l'objet de la présente étude. Deux réponses majeures se
dégagent au terme des travaux de recherche.
D'une part, la persistance de la corruption est le
résultat du jeu d'acteurs, largement favorable aux acteurs de la
corruption dont les logiques et les stratégies prennent souvent le pas
sur les dispositifs réglementaires. Les contraintes liées au
fonctionnement des acteurs engagés dans la lutte contre la corruption,
les interstices des textes réglementaires et les ressources de
l'environnement socioculturel sont exploitées à profusion pour
faire du Bénin, en dépit des mutations politiques et des effets
de la mondialisation, une société bloquée, incapable
d'impulser le changement social. D'autre part, certaines
caractéristiques de l'environnement sociopolitique favorisent
l'émergence de comportements en marge de l'idéal bureaucratique
au sein de l'administration publique. L'insuffisance du personnel, tant au
niveau des structures chargées de la lutte qu'au niveau des services
administratifs, de même que les traitements de salaires qui ne sont pas
toujours proportionnels au coût de la vie, entravent l'efficacité
de la lutte contre la corruption. De plus, si le discours collectif a tendance
à stigmatiser certains actes de corruption, les attitudes et
représentations qui prévalent restent largement favorables
à la corruption.
INTRODUCTION
Après plusieurs décennies
d'indépendance, de nombreux pays africains éprouvent toujours de
grandes difficultés à amorcer leur développement. La
corruption figure en bonne place au sein des multiples obstacles au
développement. Au Bénin comme ailleurs, elle constitue un
épineux problème de développement dont
l'éradication conditionne l'instauration de la bonne gouvernance. Les
études prospectives font de la lutte contre la corruption, l'une des
voies de réalisation de la vision ALAFIA qui fait du Bénin
à l'horizon 2025 : « un pays phare, uni et de paix, à
économie prospère et compétitive, de rayonnement culturel
et de bien être social » (MPCAG, 2001).
A l'heure actuelle la lutte contre la corruption semble
connaître un regain d'intérêt au Bénin mais un bref
examen historique débouche sur le constat qu'une telle
préoccupation n'est pas récente et que les responsables
politiques semblent s'en être toujours
préoccupés1. Pourtant et paradoxalement, le
phénomène semble avoir gagné en intensité depuis
l'indépendance du Bénin. Entre 1996 et 2006, de nombreux
scandales politico financiers ont été déplorés. A
plusieurs égards, la corruption ressemble au monstre de l'hydre de lerne
dont les têtes se multiplient au fur et à mesure qu'on les coupe
et dont personne ne semble en mesure de triompher. Dépité et
désabusé, l'on pourrait s'adonner à la fatalité et
convenir que ce pays fait partie des damnés de la terre. Il est à
souhaiter cependant, que la lutte contre la corruption soit poursuivie et que
ce phénomène soit repoussé dans ses derniers
retranchements. Les rhétoriques politiques et les actions anti
corruption qui ont cours en ce moment, pour être efficaces devraient
être fondées sur une meilleure connaissance de ses contours et de
son dynamisme. Ici comme ailleurs, la réflexion devrait
précéder et baliser le terrain pour l'action.
1 On trouvera dans le Plan stratégique national de lutte
contre la corruption un résumé historique de la lutte contre ce
phénomène.
Quelques récents travaux ont sans doute
contribué significativement à une meilleure appréhension
du phénomène mais son acuité autorise à postuler
que la lutte devrait porter sur des aspects non encore élucidés,
en l'occurrence le comportement des acteurs de la corruption et les
caractéristiques de l'environnement sociopolitique. Le présent
mémoire se situe dans une telle perspective. Ses deux principales
parties sont articulées de manières cohérentes et mettent
en relief les stratégies de contournement des mesures anticorruption et
les éléments du contexte sociopolitique qui rendent difficile
mais pas impossible la lutte contre la corruption. En effet, la première
partie pose les fondements théoriques et méthodologiques de la
recherche en cernant le problème et en identifiant les
hypothèses, les objectifs, les concepts et la démarche de
collecte des données. La deuxième partie complète
utilement la première en présentant les stratégies de
contournement des réformes anti corruption de même que les
stratégies de construction et d'entretien de l'impunité. Cette
partie met également en exergue certains facteurs sociopolitiques qui
tendent à maintenir le Bénin dans le cercle vicieux de la
corruption.
Première partie :
Fondements théoriques et
méthodologiques
Chapitre I : FONDEMENTS THEORIQUES
1. Problématique
1.1. Problème
<< La corruption a des effets
délétères et souvent ravageurs sur le fonctionnement de
l'administration ainsi que sur le développement économique et
politique >>(Banque Mondiale, 1998). Cette conclusion des experts de la
Banque mondiale lève un coin de voile sur la crise du
développement qui sévit en Afrique. Si le joug colonial et le
développement inégal1 expliquent en partie la crise du
développement, il faut reconnaître que de nombreux facteurs
internes contribuent également à la désarticulation de
l'action publique. Au lendemain des indépendances, les élites
africaines n'ont pas réussi à promouvoir une administration
publique dépersonnalisée, capable de conduire efficacement le
développement. Des nids de corruption surgiront partout,
alimentés par des dirigeants qui s'adonnent à coeur joie à
la prédation des ressources publiques(ELA, 1994).
Au Bénin, la valse des commissions d'enquêtes
n'a pas endigué le phénomène qui s'est accentué au
point de conduire à la banqueroute de l'Etat en 1989(BANEGAS, 1995). Il
prévalait à l'époque une << habile
instrumentalisation de l'économie de transit qui fournissait une
confortable rente de situation aux caciques de l'Etat-Entrepôt
>>(VITTIN, 1999). Les énormes scandales politico financiers
enregistrés à l'époque conduiront à une crise
économique sans précédent qui facilitera la chute du
régime militaire et l'instauration du Renouveau Démocratique
(BANEGAS, 1995). L'exigence de Moralisation de la Vie Publique qui s'est
imposée, à l'ère du Renouveau
1 Samir AMIN, un des tenants de la théorie de la
dépendance insiste sur le néocolonialisme qui prévaut dans
les échanges entre l'Afrique et les puissances occidentales qui pillent
systématiquement les ressources des Etats Africains. Le sous
développement de la périphérie dépendrait de
l'asservissement du centre. Cf. Le développement inégal, Paris,
Editions de minuit, 1973
Démocratique, comme une nouvelle
conditionnalité de l'aide au développement, a
entraîné la prise d'un certain nombre de mesures. Citons entre
autres, la création de la commission SOS CORRUPTION en 1995, la
création de la Cellule de Moralisation de la Vie Publique1,
l'appui à la création du Front des Organisations Nationales de
Lutte Contre la Corruption, la création de la commission AHANHANZO
GLELE. Ces mesures, renforcées par la prise d'un certain nombre de
décrets et le vote par l'Assemblée Nationale de lois visant
à doter le Bénin d'un véritable cadre juridique de lutte
contre la corruption, ne semblent pas avoir réussi à enrayer le
phénomène. Après dix années d'exercice
démocratique, un ministre des finances et de l'économie s'indigna
au sujet de la corruption : « Distorsion de marchés publics,
extorsion sur les routes, fraude en douane, racket administratif, dissimulation
fiscale, passe-dro its réglementaires... la corruption sous ses
multiples facettes ronge la société béninoise (...) cette
situation est inacceptable pour le ministre des finances que je suis
» (TCHANE, 2000). La série de mesures promues suite à
cette profession de foi n'aura pas plus de succès. Ainsi, lors d'une
rencontre entre le gouvernement et les organisations syndicales, le ministre
des finances et de l'économie a dressé un bilan alarmant des
finances publiques et a imputé cette situation à de nombreux
actes de corruption (surfacturation, détournements de deniers publics,
ordres de paiement indûment signés...).
Pourquoi la Moralisation de la Vie Publique, formule
consacrée à la lutte contre la corruption au Bénin,
n'a-t-elle pas marché ?
Qu'est ce qui explique le contraste cinglant entre les
rhétoriques politiques de lutte contre la corruption et la persistante
acuité du phénomène ?
1 Une Institution technique de la Présidence de la
République dont la vocation était non seulement de communiquer et
de sensibiliser mais aussi de concevoir des stratégies dissuasives de
lutte contre la corruption
Ces interrogations sur la persistance de la corruption qui,
loin de se réduire à la sphère politique s'est
généralisée et banalisée (De SARDAN, 1998), se
trouvent au fondement de la présente recherche. A l'évidence, la
Moralisation de la Vie Publique rencontre un certain nombre d'obstacles qui
n'en facilitent pas l'efficacité. Si la faible capacité de
régulation de l'Etat est un fait, il convient de reconnaître
qu'elle ne suffit pas à expliquer la persistance de la corruption. Tout
porte à croire que la lutte contre la corruption devrait porter sur des
aspects non encore élucidés ou du moins ignorés, en
l'occurrence les comportements des « agents de la corruption » qui,
de toute évidence ont intérêt à ce qu'elle perdure
et qui s'appuient sur un contexte socioculturel propice.
Le présent travail se propose donc de mettre en
évidence les obstacles qui se posent à la Moralisation de la Vie
Publique au sein de l'administration publique béninoise. Pour y
parvenir, la réflexion s'articulera essentiellement autour de la
question suivante : en quels termes se posent les difficultés
liées à la moralisation de la vie publique dans la gestion des
finances publiques ?
Quelques hypothèses permettront de mener la recherche
et d'exploiter la perspective ainsi envisagée.
1.2. Hypothèses et objectifs
1.2.1. Hypothèses
· La persistance de la corruption est due aux
stratégies de contournement des mesures anti-corruption que
développent certains acteurs sociaux ;
· Certains facteurs sociopolitiques facilitent la
perpétuation de la corruption.
1.2.2. Objectifs
1.2.2.1. Objectif global
Etudier les variables explicatives de la persistance de la
corruption au Bénin.
1.2.2.2. Objectifs spécifiques
· Expliciter les différentes stratégies de
contournement des actions anti-corruption ;
· Mettre en évidence les variables socio culturelles
et structurelles qui entravent le respect de l'éthique
bureaucratique.
1.3. Etat de la question
La corruption est un phénomène mondial dont les
manifestations ont varié suivant les époques et les contextes
sociopolitiques. Conscientes de l'épineux problème qu'elle
constitue pour le développement, toutes les sociétés
humaines se sont touj ours préoccupées d'y apporter une
réponse spécifique dont on peut néanmoins faire ressortir
les généralités. L'une des formes les plus connues est la
stigmatisation du phénomène sur fonds de dénonciation des
dommages causés par celui-ci. La démarche mise en exergue est de
faire référence aux valeurs morales et éthiques qui
devraient guider l'organisation de la société pour mettre en
évidence le frein au développement que constituent les actes de
corruption. Sous ce registre, la corruption est décrite comme un
fléau à éradiquer, un vice à bannir. Plusieurs
auteurs se sont inscrits dans cette perspective. Au plan continental
Axèle KABOU peut être citée comme l'un des auteurs les plus
représentatifs de cette catégorie. En effet, elle analyse, de
façon provocante, les problèmes de développement de
l'Afrique sous un angle nouveau, celui du refus en mettant à nu les
exactions et
l'étroitesse d'esprit des dirigeants africains de
même que la passivité des populations. Au nombre des comportements
décriés, la corruption et les malversations occupent une place de
choix et c'est sans complaisance que l'auteur dénonce les malversations
de nombreux dirigeants africains (KABOU, 1991). Si KABOU ne mentionne pas
nommément les malversations des dirigeants béninois, Janvier
YAHOUEDEHOU dont les ouvrages s'inscrivent dans la même perspective ne se
fera pas prier pour cela. En effet, c'est avec un discours très
engagé qu'il dévoile l'un des principaux crimes politico
financiers survenus sous le régime du Parti de la Révolution
Populaire du Bénin (PRPB): l'affaire KOVAS dans laquelle de nombreux
dirigeants de mauvaise foi auraient torpillé un homme d'affaire
français ayant au préalable financé le coup d'état
qui les porta au pouvoir (YAHOUEDEHOU, 2001). La crédibilité de
cet ouvrage réside dans le fait qu'il restitue, à la limite, le
chantage opéré par un complice désabusé en
direction de « partenaires » qui tardent à honorer leurs
engagements. Quelques années plus tard l'auteur révéla,
avec autant de véhémence, une série de scandales
financiers sur fonds d'intrigues survenus sous la révolution et à
l'ère du Renouveau Démocratique,qu'il s'agisse de l'achat d'un
vieil avion présidentiel à un prix largement supérieur
à sa valeur réelle, de l'affaire Diawara (trafic de
stupéfiant) ou de l'affaire Hamani (receleur de véhicules
volés avec de fortes complicités politiques et
administratives)(YAHOUEDEHOU, 2003).
L'ouvrage de KABOU comme ceux de YAHOUEDEHOU présentent
un intérêt évident pour la lutte contre la corruption. En
dénonç ant de nombreux scandales politico financiers et en
stigmatisant plusieurs faits de corruption tout en établissant le lien
entre ces faits et le retard de l'Afrique (et du Bénin), ils suscitent
une prise de conscience de ce que la corruption constitue un obstacle pour le
développement et invitent par conséquent à un
véritable engagement citoyen. Leurs ouvrages ont également le
mérite d'être un
témoignage historique portant sur des faits dont les
auteurs sont encore en vie et même engagés dans l'arène
politique. Il s'agit donc d'une interpellation de la conscience collective qui
pourrait jeter un regard interrogateur et même adopter une attitude
stigmatisante à leur égard : on pourrait parler de la
pédagogie de la dénonciation. Cette approche quoique fort
intéressante souffre d'une insuffisance en ce qu'elle ne porte que sur
des faits de corruption et ne renseigne aucunement sur les mécanismes
généraux de la corruption. La dénonciation sur fonds de
considérations normatives ne peut s'opérer qu'en cas de
visibilité du phénomène dont les acteurs peaufinent sans
cesse des formes subtiles et nouvelles. Seule une véritable connaissance
des processus conduisant à la corruption pourrait permettre de lutter
efficacement contre elle, non seulement en s'attaquant aux acteurs mais
également en détruisant le système.
C'est certainement cet objectif que se sont assignés un
certain nombre d'auteurs dont les travaux portent sur la réalisation et
la publication d'études portant sur la description des mécanismes
et procédures généraux de la corruption, qu'il s'agisse de
la fraude fiscale ou des détournements de deniers publics. Dans cette
optique, Daniel Dommel part d'une analyse de la corruption en France pour en
montrer les répercussions sur le développement. Il y fait,
remarquablement en effet, l'historique de la corruption et dévoile par
là même les faiblesses du système administratif qui servent
de terrain fertile au phénomène avant de préconiser des
stratégies de lutte. A l'instar de plusieurs auteurs il ne manquera pas
de mettre en évidence les préjudices que la corruption cause
à la société globale tout en appelant à un
engagement en vue de son éradication. Il ne manquera pas de battre en
brèche les arguments de justification et de résignation qui se
développent autour de la corruption (DOMMEL, 2003). Dans la même
perspective, Transparency International se propose d'étudier et
d'organiser la lutte contre la corruption à l'échelle
planétaire. En effet, cette organisation part du
constat que la corruption est partout présente dans le monde et que des
réseaux transnationaux de corruption ont tendance à
s'ériger en de puissants groupes de pression, pour poser
l'impérieuse nécessité d'une lutte mondiale contre elle. A
cette fin, elle a engagé plusieurs actions au nombre desquelles on peut
citer la réalisation d'études sur les mécanismes et
procédés habituels en matière de corruption. A titre
d'exemple, il faut citer les rapports mondiaux annuels qu'elle publie sur la
corruption depuis quelques années. Celui de 2005 portant sur le secteur
du bâtiment est riche en informations. Il indique que la reconstruction
des pays sortant de la guerre représente de gros enjeux financiers face
auxquels les multinationales et les responsables politiques n'hésitent
pas à déployer les grands moyens : pots de vins, meurtres,
intimidations.... Les dispositions internationales de lutte contre la
corruption sont donc loin d'avoir eu raison de l'avidité des
multinationales qui déploient moult efforts pour la perpétuation
du phénomène dans la passation des marchés publics
d'envergures internationales (TRANSPARENCY INTERNATIONAL, 2006). La
démarche adoptée vise à informer l'opinion publique sur
les dommages causés par la corruption tout en se basant sur les
éléments objectifs d'appréciation. Transparency
International, tout comme DOMMEL refuse donc de se contenter simplement de
stigmatiser la corruption. Ils la décrivent et la circonscrivent tout en
identifiant les différents niveaux auxquels la lutte devrait être
organisée. Les interstices de l'administration de même que la
lâcheté de la justice sont identifiés comme principaux
facilitateurs de la corruption. Il convient cependant de signaler que, si
l'arsenal juridique de lutte contre la corruption était obsolète
il y a quelques années, il s'est progressivement consolidé sous
la pression de certaines organisations (dont TI) sur les gouvernants. Dans la
préface d'un ouvrage se proposant d'inventorier et de diffuser ces lois,
DOSSOUMON, s'interroge sur les raisons de la persistance de la corruption en
dépit de toutes ces lois. La seule réponse qu'il y trouve est
que la pression du mouvement social en vue du respect de ces
lois est encore très faible (TI-Bénin, 2002). Tout porte donc
à croire que la persistance de la corruption ne s'explique pas
uniquement par la trop grande lâcheté de la justice mais que les
causes sont à rechercher au sein des groupes sociaux où elle
sévit. Il était donc important de renforcer la lutte contre la
corruption par une connaissance de ses facilitateurs socioculturels1
afin d'appréhender tous les contours du phénomène. Ce
faisant, la lutte contre la corruption gagnerait en efficacité car ::
<< avant de lancer de nouvelles croisades pour l'assainissement de l'Etat
Africain, il convient d'éclairer, aux travers de recherches comparatives
empiriquement fondées, les mécanismes concrets par lesquels il
fonctionne au quotidien et les logiques sociales qui contribuent à la
désarticulation de l'action publique » (BLUNDO,2000). La position
de OLOWU se situe dans le même ordre d'idée car ce dernier affirme
: << Une des raisons pour lesquelles la corruption au niveau du
gouvernement est devenue très répandue en Afrique de nos jours
est que beaucoup d'efforts ont été déployés pour
remédier au problème plutôt qu'à essayer de le
comprendre » (KAUFMAN, 1998).
A cet égard, la perspective de Olivier de SARDAN
s'avère éclairante en ce sens qu'elle met remarquablement
à contribution les spécificités de la démarche
socio anthropologique pour proposer une analyse objective des faits de
corruption en Afrique. En effet, il précise que la corruption n'est pas
l'apanage de l'Afrique mais que ses manifestations et ses fondements y sont
particuliers. Faisant un rapprochement du phénomène à
partir d'une comparaison entre l'occident et l'Afrique, il constate une
sectorialisation du phénomène en Europe (Bâtiment par
exemple) contrairement à ce qui se passe en Afrique où la
corruption a tendance à s'étendre à tous les secteurs
d'activité.
1 L'expression est de Jean Pierre Olivier de SARDAN qui
désigne sous ce vocable, les facteurs favorables qui facilitent la
dissolution de la frontière entre pratiques quotidiennes licites et
pratiques quotidiennes illicites et en accentuant les pressions sociales qui
incitent à ignorer cette frontière.
L'auteur précise par ailleurs que la corruption n'est
ni un fait social ni un fait culturel mais qu'elle est simplement un fait de
société qui s'est inséré dans des codes sociaux .
Autrement dit, il existe en Afrique des facilitateurs sociaux et des logiques
sociales qui servent de terreau favorable à la corruption. Au nombre de
ces logiques dont la mise en évidence est indispensable à la
formulation de stratégies efficaces de lutte, on peut citer les logiques
du << cadeautage >>, de << l'accumulation-redistributrice
>> et de l' << autorité prédatrice >>(De
SARDAN, 1998). D'autres recherches sociologiques porteront sur la corruption
avec une visée objective se gardant du moindre jugement de valeur. Une
telle orientation ne relève nullement d'une approbation du fait mais
repose plutôt sur le postulat que l'action et la lutte ne peuvent
être efficaces que si elles sont sous tendues par une réflexion
objective et des recherches approfondies permettant de cerner tous les aspects
de la question. S'inscrivant dans le même sillage, Marius VIGNIGBE publia
l'un des plus récents travaux sur la corruption. Après avoir
passé en revue les différentes approches de la lutte tout en
mettant en exergue leurs limites, il se propose de << se départir
d'une approche normative au profit d'une approche empirique pour prendre en
considération l'univers politique, culturel, mental présidant au
phénomène et le dynamisme politique dont il est porteur >>
(VIGNIGBE, 2005).
Au regard de ce qui précède et en raison de la
remarquable complémentarité existant entre les différentes
approches analytiques de la corruption il ne serait pas excessif d'estimer que
la lutte contre ce fléau devrait être chose aisée en ce
sens que tous ses contours devraient avoir été
maîtrisés. Ainsi les réformes entreprises par le
Ministère des Finances et qui ont conduit, entre autres, à la
création de la Commission Nationale des Marchés Publics, la
publication du Code d'éthique et de moralisation des marchés
publics et à la création d'une mission chargée des
relations avec les usagers semblent avoir
intégré les limites et les faiblesses de
l'administration béninoise sur lesquels s'érige la corruption.
Dans cette même perspective et pour crédibiliser sa volonté
de lutte contre la corruption, le gouvernement béninois a instruit les
ministères de la justice et de l'économie de mettre en place une
stratégie nationale de lutte contre la corruption1,
stratégie qui fut élaborée et adoptée le 30 Octobre
2001. L'approche adoptée par les experts commis à la
réalisation de ce plan part d'une analyse globale de la situation de la
corruption pour opérer des choix de stratégies devant
déboucher sur des actions concrètes. S'il est vrai que toutes les
stratégies préconisées n'ont pas été
opérationnalisées, il n'en demeure pas moins que certaines, d'une
grande importance l'ont été. Il s'agit du renforcement des
actions de la société civile à travers la mise en place du
Front des Organisations Nationales de Lutte contre la Corruption (FONAC), la
création de l'Observatoire de Lutte contre la Corruption (OLC) et le
renforcement du cadre juridique de lutte contre la corruption.
Force est cependant de constater qu'en dépit de toutes
ces actions, la corruption sévit et constitue plus que jamais un
épineux problème au processus de développement. La
recherche des raisons explicatives passe par l'examen de la mise en oeuvre des
différentes mesures de lutte, examen qui révèlera que les
causes identifiées par VIGNIGBE sont plus que jamais d'actualité
car de sérieux efforts restent à faire en ce qui concerne la
dépolitisation de l'administration, l'abolition des pouvoirs
discrétionnaires et surtout la suppression de l'impunité.
Il serait cependant fort utile d'approfondir la
réflexion et d'envisager la question sous un autre rapport en ce sens
que la corruption est le fait de certains acteurs qui ont sans doute
intérêt(ne serait-ce que dans l'immédiat) à ce
qu'elle se pérennise. En effet, l'abord de la corruption peut se faire
suivant deux perspectives. La première à laquelle on s'est jusque
là intéressé et sur
1 Cf. Compte rendu du conseil des ministres du 04 Août
1999.
laquelle repose les actions de lutte contre la corruption
consiste à l'envisager sous le rapport de la faible capacité de
régulation de l'Etat et sous celui de la « privatisation » de
l'administration publique par des acteurs qui profiteraient des interstices de
l'Etat. A contrario mais complémentairement, la question pourrait
également être envisagée sous le rapport du jeu d'acteurs
qui y trouveraient un intérêt manifeste et qui seraient jusque
là parvenus à mettre à mal le dispositif de lutte contre
la corruption. Dans cette perspective la recherche sociologique
s'intéressera à la corruption non pas sous le rapport de la
faiblesse de l'Etat mais l'envisagera en tant que pratique construite et
entretenue par certains acteurs sociaux. La passation des marchés
publics de l'Etat, les services des douanes et des impôts serviront de
cadre d'exploration et de démonstration de cette perspective.
La perspective ainsi envisagée, il s'impose
d'opérer une clarification conceptuelle qui facilitera, à
plusieurs égards, la suite de La recherche.
2. Clarification conceptuelle
L'énoncé du problème de même que la
formulation des hypothèses reposent sur des notions et concepts qui,en
raison de la richesse de la langue française, pourraient avoir d'autres
significations que celles qui leurs sont données dans ce mémoire.
Afin de lever toute équivoque, il est donc nécessaire de
définir et d'expliciter les concepts qui constituent l'ossature de notre
recherche, conformément à la prescription de DURKHEIM (DURKHEIM,
1937). Il s'agit des concepts de moralisation de la vie publique, de
corruption, d'environnement et de stratégie qui seront clarifiés
et articulés de façon à rendre explicite le cadre de la
recherche.
Ainsi, la présente étude porte sur les
difficultés liées à la moralisation de la vie
publique au Bénin. Il s'agit donc de mettre en
évidence tous les éléments du contexte social qui
constituent une entrave à la moralisation de
la
vie publique entendue au sens de la
politique globale de l'Etat en matière de la lutte contre la corruption.
La moralisation de la vie publique fut la formule consacrée à la
lutte contre la corruption au Bénin de 1996 à 2006 mais le terme
de lutte anti-corruption1 semble être en
vogue à l'heure actuelle et ceci, depuis la dissolution de la Cellule de
Moralisation de la Vie Publique (CMVP). La moralisation de la vie publique
mobilise donc un certain nombre de personnes et d'institutions qui sont les
acteurs de la lutte contre la corruption qui se définissent par
opposition aux acteurs de la corruption.
La corruption est le concept central de cette
étude en ce sens que toutes les interactions se déploient autour
de lui. Le concept de corruption renvoie à diverses connotations qui ont
toutes en commun d'être associées à une série du
mal, comme l'indique la racine latine corruptio. En raison des objectifs de la
recherche, nous nous en tiendrons à l'acception proposée par De
SARDAN qui postule que les faits de corruption en Afrique doivent être
abordés sous le rapport d'un complexe. Le complexe de
corruption se défini comme: << un ensemble de
pratiques illicites, techniquement distinctes de la corruption mais qui ont
toutes en commun d'être associées à des fonctions
étatiques, paraétatiques ou bureaucratiques, d'être en
contradiction avec l'éthique du «bien public« ou «du
service public«, de permettre des formes illégales
d'enrichissement, et d'user et d'abuser à cette effet de position de
pouvoir » (De SARDAN, 1998).
Outre l'identification des formes élémentaires
et des stratégies de la corruption, cette perspective est
intéressante en ce sens qu'elle envisage les phénomènes
sociaux de corruption et leur environnement comme un ensemble de cercles
concentriques au centre desquels se trouvent les formes
élémentaires de la corruption, insérées dans les
stratégies de corruption pour constituer les pratiques corruptives. Ces
pratiques corruptives sont à leur tour << prises » dans
1 Pour des raisons de commodité, ces deux termes seront
utilisés de façon équivoque.
le fonctionnement routinier des services publics. Il
paraît utile de s'appesantir sur les formes élémentaires de
la corruption mises en exergue par Sardan afin d'éviter toute confusion
ultérieure. Les sept formes élémentaires se
présentent ainsi qu'il suit :
- la commission est une rétribution d'un fonctionnaire
par un usager qui aurait bénéficié d'une exemption ou
d'une remise illicite quelconque grâce à l'intervention du
fonctionnaire. Par cette commission dont le montant est lié à la
nature de la transaction, le fonctionnaire perçoit sa "part" en raison
du "service d'intermédiation" ou du service illégal qu'il a
fourni.
- la gratification ex post est certes proche de la commission
en ce sens que c'est un << cadeau >> fait
délibérément par l'usager suite à un service public
rendu. Cependant la gratification paraît plus légitime aux yeux
des acteurs en ce sens qu'elle s'apparente à un cadeau ordinaire.
Toutefois, son caractère routinier fait plutôt penser qu'il s'agit
d'un pourboire.
- La rétribution indue d'un service public est une
pratique courante dans l'administration publique. Elle réside dans le
fait que les fonctionnaires fassent payer à l'usager, le service qu'il
devrait lui rendre << gratuitement >>. Les fonctionnaires vendent
donc leurs services à l'usager.
- le piston consiste en la dérogation aux
règles en faveur d'un usager qui aurait bénéficié
d'une recommandation d'un collègue, d'un parent ou d'un ami. Le piston
est tributaire du système généralisé de faveurs qui
prévaut en Afrique.
- le tribut ou péage est une extorsion faite à un
usager sans qu'aucun service ou intermédiation ne soit intervenu en sa
faveur.
- la perruque consiste en l'utilisation des locaux ou du
matériel de service à titre privé, soit pendant les heures
de service, soit en dehors des heures de service.
- le détournement quant à lui désigne
l'appropriation de matériels de service. Cette appropriation fait
disparaître l'origine publique dudit matériel.
Le tableau ci-après récapitule les
différentes formes de corruption, leurs catégories juridiques et
la nature des transactions effectuées.
Tableau I: Typologie de la corruption
Formes élémentaires de
la corruption
|
Nature de l'interaction
|
Catégories judiciaires
|
Gratification
|
Transaction spontanée
|
Corruption
|
Commission
|
Transaction négociée
|
Corruption
|
Piston, faveurs, népotisme
|
Transaction spontanée
|
Trafic d'influence
|
Paiement indu ou privatisation de la fonction
|
Transaction négociée ou extorsion
|
Concussion
|
Tribu
|
Extorsion
|
Concussion
|
Perruque
|
Appropriation
|
Détournements de biens publics, abus de biens sociaux.
|
Détournement
|
Appropriation
|
Détournement de biens publics, abus de biens sociaux.
|
Source : Jean Pierre Olivier de SARDAN, La corruption
quotidienne en Afrique de l'Ouest, in La corruption au quotidien,Politique
Afrique n°63, Paris, Karthala, 1995,p 17.
La corruption sera donc étudiée sous les
différentes formes qu'elle revêt, qu'il s'agisse de
détournement de deniers publics, d'abus de bien sociaux, du
népotisme ou du rançonnement des usagers de l'administration
publique.
Il s'agira ici de combiner l'approche durkheimienne des faits
sociaux permettant de relever les facteurs sociaux,
c'est-à-dire les élément du contexte
à l'approche stratégique qui permettra de comprendre et
d'analyser les stratégies de contournement de ladite moralisation.
Le concept de Stratégie sera
utilisé dans la perspective de De SARDAN qui emploie indistinctement les
concepts de stratégie et de logique au sujet du fait que : << Dans
tous les cas, les acteurs sociaux concernés ont, face aux ressources,
opportunités et contraintes que constituent un dispositif et ses
interactions avec son environnement, des comportements variés
contrastés, parfois contradictoires qui renvoient non seulement à
des options individuelles mais aussi à des intérêts
différents, à des normes d'évaluation différentes
à des positions << objectives >> différentes
>>(De SARDAN, 1995). Cette définition pour être bien
comprise mérite d'être mise en rapport avec la position de CROZIER
selon laquelle, les normes, règles et principes de fonctionnement d'une
organisation ne sont jamais totalement contraignants au point de démunir
les acteurs qui y appartiennent d'une marge de manoeuvre, aussi petite qu'elle
soit. Autrement dit, tous les acteurs sociaux disposent d'un minimum de pouvoir
et le pouvoir suppose une autonomie relative d'acteurs dotés de
ressources de pouvoirs inégales et déséquilibrées,
mais jamais ou presque totalement démunis, les moins favorisés
ayant au moins << la capacité, non pas théorique mais
réelle, de ne pas faire ce qu'on attend d'eux ou de le faire
différemment >>. Le concept de stratégie occupe une place
centrale dans cette étude en ce sens qu'il s'agit en fin de compte de
décrire et d'analyser les atouts et les ressources mobilisées par
les acteurs de la corruption pour "détourner" le fonctionnement de
l'administration publique de sa mission (mobilisation des ressources à
des fins de développement.) à des fins privatives, rompant ainsi
avec l'étique administrative. Ces atouts et ressources, de même
que le degré de mobilisation possible, définissent << la
capacité stratégique des acteurs >> (CROZIER, 1977). Dans
cette perspective, l'étude s'appesantira sur les interactions
entretenues par les acteurs de la corruption avec ceux de la lutte contre la
corruption ou plus précisément leur rapport avec les
règles, normes et stratégies officielles et formalisées de
lutte contre la corruption.
Le cadre théorique et conceptuel de la recherche ayant
été précisé, il s'impose de définir une
approche méthodologique susceptible d'aider objectivement à la
poursuite de la recherche.
Chapitre II : APPROCHE METHODOLOGIQUE
1. Justification du choix du cadre d'étude
La ville de Cotonou se prête remarquablement à
l'exploration des perspectives théoriques de cette recherche. En effet,
il s'agit d'observer et d'étudier la corruption dans l'administration
publique béninoise et d'analyser les difficultés qui se posent
à la lutte contre ce phénomène grâce à une
analyse minutieuse des diverses interactions. Il ne paraît pas futile de
préciser certaines caractéristiques sociodémographiques
qui font de Cotonou, un excellent cadre d'étude.
En l'intervalle de quelques décennies, la ville de
Cotonou à connu un développement rapide, tant du point de vue de
l'étendue géographique que de la taille de sa population. La
superficie de la ville est passée de 112 hectares en 1960 à 7000
hectares en 2002. La taille de la population quant à elle, est
passée de 70 000 à 740464 habitants au cours de la même
période (INSAE, 2003). Ces transformations se sont accompagnées
d'une intensification des activités économiques et commerciales
au sein de la ville. Ainsi, à l'heure actuelle, Cotonou est connue dans
toute l'Afrique de l'ouest pour son marché de 20 hectares (Dantokpa),
ses Zémidjans (taxis-motos) et sa pollution (due à l'utilisation
de l'essence frelatée appelée "Kpayo").
En outre, la ville est dotée d'un port autonome qui
commerce régulièrement avec l'Europe, l'Amérique du Nord,
l'Amérique du sud et l'Asie. 90 % des échanges commerciaux du
Bénin se font par voie maritime et donc largement par le Port Autonome
de Cotonou où s'exerce une grande activité des services de la
douane qui en tirent 70% de leurs recettes . Cotonou est ce que l'on appelle
une "ville entrepôt", permettant l'échange avec les pays africains
de l'hinterland (intérieur des terres : Mali, Burkina Faso, Niger...),
il existe même à l'intérieur du port, une zone franche
à la disposition des pays
sahéliens enclavés. La densité des
activités économiques qui s'y mènent en fait une ville
stratégique dans la politique fiscale du pays. Les principaux champs
d'investigations de cette étude sont donc plus concentrés
à Cotonou que dans n'importe quelle autre ville du Bénin.
Par ailleurs, Cotonou abrite la quasi-totalité des
institutions de la République et la majeure partie des structures
administratives, ce qui en fait le principal lieu de passation des
marchés publics de l'Etat. De plus, cette ville est le siège de
la plupart des institutions étatiques et non étatiques
engagées dans la lutte contre la corruption et offre de ce point de vue,
un excellent cadre d'observation des interactions entre acteurs de la
corruption et acteurs luttant contre celle-ci. La carte de la ville est
présentée par la figure n°1.
En dehors de ces raisons objectives, le choix de Cotonou comme
cadre d'investigation est sous tendu par la proximité entre cette ville
et notre localité de résidence (Abomey-Calavi) de même que
par la relative maîtrise que nous avons des langues qui s'y parlent le
plus (goun, fon, mina) et dont la compréhension sera utile à
l'appréhension des discours sociaux au sujet de la corruption.
L'importance du choix d'un tel cadre de recherche se percevra
mieux à travers la précision de la nature de l'étude.
Figure 1: Carte de la ville de Cotonou
NIGER
BU RKINA FAS O
Alibo ri
Atacora
430 440
N
Lac Nokoué
0 0. 6
6
LAD JI
Bo rgo u
Donga
MENO NTI N
N I G E R I A
KINDO NOU
VOSS A
T O G O
1 6 0 0 YEN AWA
2 8
0 0
HLA CO MEY
ZOG BO
706
ZOG BOHOUE
FIF ADJI
Co llines
KOUHOU NOU
GBED JROME DE
2 7
Ste RI TA
ADOGLE TA
TOW ETA
0. 8
0 8
AHOUA NSORI
0. 0
0 0
SEGBE YA
KOWEGBO
MI DEDJI
VED OKO DJI DJE 1 8 AGATA
1 5
Zou
Pla eau
KPAKP AKAME
0 5
AGL A
3 4
TCHA MK PAME
Co uff o
Mo no Atlt Ouémé
2 1
AIDJEDO
MI DOMBO
AVOT ROU
FIGN ON
2 4
AYE LAW ADJE
2 0
2. 8
2 8
AHOGBOH OUE
3 2
DANDJI
1 4
ADEGOULE
HIND E
2. 5
2 5
2 6
0 0
2 2. 6
6
AGONTIN KON
3 5
YAGBE
3 6
FIF AT IN
2 7
JERICHO
2 8
3 9
HOUE YIH O
3 0
2 4 SE NADE LOMNAV A
2 7
1. 6
1 6
Dantokp a
MI SS ES SI N
4 0
3 1
2 2
4 2
VODJE
4 0
3 3
2. 9
2 9
3 6
4.0
4.0
5 0
4 0
TOK PL EG BE
4 6
3 6 0 0
0 0
SIKECOD JI
3 0
4.0
4.0
4.0
4.0 SODJAT IME
5.0
5.0
0 0
GBED EGBE
3.0
4.0
4.0
4 4.0 4.0
0
4 4
5.0
5 2 5.0
4.0
4.0 4.0 FINA GNON 4.0
4.0
4.0
4 9
3 9
4.0
4 5
5.0
5.0
5.0
4 6
4 4
3 2
CA DJEH OUN
5.0
MA RO-MILIT AI RE
5.0
DONATIN
5.0
5 0
AIBATIN
MI SS IT E
5.0
4.0 4.0
4.0
4.0 4.0
5 3
4.0 4.0
4 5
4 2
5.0
4.0
4.0
ZON GO
GBEG AMEY
4.0
3.0 3.0
3 5 3.5
4 3 4.3
3 6
FIDJROS SE
3.0
GUIN CO ME
5.0
5 0
3.0
3.0
3.0
4.0 4 2
3.0
4 2
5.0
5.0
3.0
3.0 4.0
ENA GNON
4 7
3 8
3.0
5.0
CO COTIE R
5.0 5.0
4 5
4.0
3.0
4 4.0
0
4 9
4.0
5.0
5.0 5.0
5.0
5.0
0 5 0
4 7 7 4
5.0
5
2 9
5.0
4 4
3.0
4 2
3.0 3.0
4.0
3.0
701
701
O C E A N A T L A N T I Q U E
430
440
Route bitumée
1er arrondissement 2ème arrondissement 3ème
arrondissement 4ème arrondissement 5ème arrondissement
6ème arrondissement 7ème arrondissement
8ème arrondissement 9ème arrondissement 1
0ème arrondissement 1 1ème arrondissement 12ème
arrondissement 1 3ème arrondissement
0 1 2 3 Km
Voie payée
Rue
Chemin de fer
Plan d'eau
Source : SERHAU SA
22
Nature de l'étude
Bien que généralisée et banalisée,
la corruption revêt des formes diffuses et sa compréhension n'est
pas donnée à priori. La corruption en tant qu'objet
d'étude est donc un objet qualificatif dont l'objectivation requiert la
mise en oeuvre d'une approche qualitative. Sous ce rapport, la présente
étude s'avère être une étude qualitative,
étudiant la sémiologie populaire et les histoires de vie des
acteurs afin d'en dégager leur rapport à la corruption. Il s'agit
donc d'une << recherche qui produit et analyse les données telles
que les paroles écrites ou dites et le comportement observable des
personnes >>(ASSABA, 1998).
Remarquons néanmoins que l'orientation
résolument qualitative de la recherche n'exclut nullement la
quantification des données qualitatives dans un souci de
complémentarité et de précision. Une telle quantification
ne sera possible que grâce à la définition des groupes
cibles et à la constitution de l' échantillon
Groupe cible et échantillonnage
L'étude des actions et interactions autour de la
corruption et de la mobilisation suscitée pour la moralisation de la vie
publique ne pouvant, de toute évidence pas se faire auprès de
tous les acteurs concernés, il s'est imposé de constituer un
échantillon, une unité représentative de la
totalité des acteurs sociaux concernés. L'échantillon sera
un échantillon à choix << thématiquement >>
raisonné, composé de tous les groupes cibles concernés par
la lutte contre la corruption.
3.1. Groupes cibles
Les groupes cibles sont les différents groupes
d'acteurs dont les activités ou la position sociale sont en relation
avec la corruption, qu'il s'agisse de la perpétuer ou de la combattre.
Ces groupes cibles ont été définis par choix
raisonné, sur la base de notre imagination méthodologique(HAMEL,
1999). Le tableau II présente les différents groupes cibles et
les catégories sociales à l'intérieur de chaque groupe
cible.
Tableau II: Présentation des groupes cibles et
catégories sociales
N°
|
Groupes cibles
|
Catégories sociales
|
1
|
Agents potentiels de la
corruption ou agents corruptogènes
|
-Fonctionnaires de l'administration douanière -Agent de
l'administration fiscale
-Opérateurs économiques et contribuables
|
2
|
Acteurs de la lutte contre la corruption
|
-Membres des institutions de la République investies du
pouvoir de combattre la corruption
-Membres des organisations de la société
civile engagées dans la lutte contre la corruption -Journalistes
|
3
|
Victimes supposées de la corruption
|
-Citoyens -Contribuables
|
4
|
Proches d'acteurs potentiels de la corruption
|
-Conjoints -Enfants
-Frères
|
Source : AGBANGLA, 2007.
Le nombre d'enquêté varie suivant les groupes
cibles et même à l'intérieur de ceux-ci d'une
catégorie sociale à l'autre. L'échantillon
constitué présente des caractéristiques
précises.
3.2. Echantillon
Une fois les groupes cibles identifiés, il a fallu en
déterminer la taille, c'est-à-dire le nombre de personnes
à enquêter à l'intérieur de chaque groupe
cible. Le principe qui a prévalu à la
constitution de l'échantillon est celui de la saturation de
l'information. Autrement dit, il n'a pas été défini
dès le départ une taille précise pour
l'échantillon. Les entretiens à l'intérieur de chaque
catégorie sociale se sont poursuivis jusqu'à ce que le seuil de
saturation de l'information qui est le seuil à partir duquel les
réponses fournies à l'intérieur d'une catégorie
sociale ne varient plus (PIRES, 1997), soit atteint. Un total de 67 personnes a
été interrogé. Les tableaux III et IV présentent
les caractéristiques de l'échantillon.
Tableau III: Répartition des enquêtés
par groupe cible
Groupes cibles
|
Effectifs
|
Acteurs potentiels de la corruption
|
18
|
Acteurs de la lutte contre la corruption
|
29
|
Victimes supposées de la corruption
|
11
|
Poches des acteurs potentiels de la corruption
|
9
|
Total
|
67
|
Source : Données de l 'enquête de terrain,
septembre-novembre 2007
Tableau IV:Répartition des enquêtés
par catégories sociales
Groupes cibles
|
Catégories sociales
|
Effectifs
|
Acteurs potentiels de la corruption
|
Agents de la douane
|
5
|
Opérateurs économiques et contribuables
|
7
|
Agents du service des impôts
|
6
|
Acteurs de la lutte contre la corruption
|
Membres des institutions en charge de la lutt e
|
6
|
Membres des OSC
|
19
|
Journalistes
|
4
|
Victimes supposées de la corruption
|
Simples citoyens
|
7
|
Opérateurs économiques et contribuables
|
4
|
Proches des acteurs potentiels de la corruption
|
Frères
|
2
|
Enfants
|
3
|
Conjoints
|
4
|
Total
|
|
67
|
Source : Données de l 'enquête de terrain,
septembre-novembre 2007
Les graphiques 1 et 2 offrent une possibilité de lecture
simplifiée de ces tableaux.
Graphique 1: Répartition des enquêtés
par groupes cibles
16%
Acteurs potentiels de la corruption
Acteurs de la lutte contre la corruption Victimes
supposées de la corruption
Proches des acteurs potentiels de la corruption
13%
44%
27%
Graphique 2 : Répartition des
enquêtés par catégories sociales
20
15
10
5
0
Agents de la douane
Opérateurs économiques
Agents du service des impôts
Membres des institutions en charge de la lutte contre la
corruption Membres des OSC
Journalistes
Simples citoyens
Opérateurs économiques et contribuables
Frères
Enfants
Conjoints
Effectifs
La sur représentation des groupes cibles des acteurs de
la lutte et des acteurs potentiels de la corruption (50 sur 70) est liée
à l'orientation théorique du travail qui porte sur les
interactions autour de la corruption. De ce fait les acteurs de la corruption
et ceux qui sont engagés dans la lutte contre elle, sont
au coeur de l'étude. Les deux autres groupes cibles
sont des témoins des interactions autour de la corruption.
Il faut souligner que cet échantillonnage ne s'est
avéré utile que dans la mesure où la collecte des
données s'est faite sur la base de technique et d'outils de recherches
fiables.
4. Techniques et outils de collecte
Au regard de la nature de la recherche qui se veut être
une étude qualitative, les techniques qualitatives ont été
privilégiées. Il s'est agit essentiellement, de recourir à
la recherche et à l'analyse documentaire et de mettre à
contribution les techniques d'entretien et d'observation.
4.1. Recherche documentaire
La prise de connaissance des productions scientifiques et
littéraires existantes a aidé significativement à la
circonscription de notre recherche. Divers types d'ouvrages ont pu être
consultés dans les différents centres de documentation de la
ville de Cotonou. La bibliothèque du Centre Culturel Français a
permis d'avoir accès à d'utiles informations sur les
caractéristiques structurelles de l'Etat Africain, non seulement du
point de vue de la législation que du point de vue des pratiques qui s'y
observent. La médiathèque de ce même centre regorge de
journaux qui font état des principaux scandales politico financiers et
des moments forts de la lutte contre la corruption. La bibliothèque de
la Cour Suprême a fourni de précieuses informations sur les
aspects juridiques de la lutte contre la corruption tandis que la salle de
documentation de la FLASH a offert la possibilité de prendre
connaissance des mémoires et autres travaux rédigés sur la
question. Par ailleurs, les sites Internet du LASDEL et de la Revue Politique
Africaine se sont révélés être
une véritable mine d'information sur les travaux socio
anthropologiques expliquant les spécificités du
phénomène en Afrique et au Bénin.
En ce qui concerne les fondements théoriques et
méthodologiques, ils ont été conçus sur la base de
la consultation d'ouvrages personnels et grâce à l'accès
à la bibliothèque de particuliers.
4.2. Les techniques d'entretien et
d'observation
Deux techniques d'entretien ont servi. La première,
l'entretien libre ne nécessite pas un outil de collecte particulier. Un
simple canevas indiquant le cadre général a permis sa mise en
oeuvre comme le recommande Didier FASSIN (FASSIN, 1990). La deuxième
technique d'entretien utilisée est l'entretien semi directif individuel.
Il fut fait au moyen de guide d'entretien qui en constitue l'outil de collecte.
Le guide d'entretien a l'avantage de permettre de suivre « une certaine
linéarité, sans atteindre à la chronologie ou à la
formulation stricte des questions de l'entretien. ».
Quatre (4) guides d'entretien furent conçus pour chaque
groupe cible pour la collecte de données. Lesdits guides sont à
l'annexe II au présent document. La technique d'observation a
également été utilisée au moyen d'une grille
d'observation.
Ces techniques et outils, de même que toutes les phases
de la recherche, s'inscrivent dans la durée et ont suivi un chronogramme
qu'il sera bien de préciser.
5. Chronogramme
La programmation suivie jusque là, de même que la
projection des phases ultérieures dans le temps sont
présentées dans le tableau V.
Tableau V: Chronogramme de recherche
Phases
|
Activités
|
Lieu
|
Période
|
Choix du thème
|
Discussion avec des personnes ressources formulation et
reformulation du thème
|
Abomey- Calavi
|
Janvier 2006
|
Travaux préparatoires
|
Recherche documentaire
Dépôt du thème
Séminaire de méthodologie Elaboration du protocole
de recherche
|
AbomeyCalavi et Cotonou
|
Avril 2006- Aoùt 2007
|
Pré-enquête
|
Identification des groupes cibles
Choix des unités statistiques de l'échantillon
Test des techniques et outils de collecte
Correction des techniques et outils de collecte
|
Cotonou
|
Août- Septembre 2007
|
Enquête
|
Séries d'entretiens et d'observations
|
Cotonou
|
SeptembreNovembre 2007
|
Dépouillement
|
Elaboration de fiches de dépouillement
Lectures complémentaires
|
Cotonou
|
Décembre 2007
|
Rédaction du mémoire
|
Analyse des données Rapport
|
Cotonou
|
Décembre 2007-Mars 2008
|
Source : AGBANGLA, 2007.
Le déroulement de la recherche n'a pas été
de tout repos car il a été jalonné par de constantes
difficultés.
6. Difficultés rencontrées
Deux principales difficultés ont été
rencontrées. La première est liée à la
disponibilité des acteurs engagés dans la lutte contre la
corruption dont les agendas étaient très chargés. Il y eu
en effet de nombreux reports de rendezvous et d'excuses de dernières
minutes de la part des enquêtés de cette catégorie. En
moyenne, il a fallu attendre quatre semaines pour avoir un entretien, ce qui a
occasionné un retard considérable dans le déroulement de
l'enquête .La seconde difficulté fut celle de l'accès
à l'information auprès des acteurs potentiels de la corruption.
Durant l'enquête de terrain nous avons eu
l'impression qu'il régnait une sorte de phobie de toute
discussion sur la corruption au sein de l'administration publique. En effet, il
y eu de nombreuses dérobades et de nombreuses feintes dans les
informations fournies par certains agents publics dont le souci semblait
être de se débarrasser de << l'enquêteur gênant
commis par l'OLC >>, de sorte que plusieurs entretiens ont
été invalidés. Pour juguler cet obstacle, il s'est
imposé d'établir un climat de confiance en faisant recours
à la médiation de personnes qui avaient des rapports de confiance
avec les agents publics et qui leur garantissaient la confidentialité
des informations recueillies. Même dans ce cas les réticences ne
furent pas toujours levées. Une petite histoire vécue en
situation d'enquête édifiera : << Un ami en service
à, la recette des impôts accepta de nous accorder un entretien
à condition que ce fut chez lui. Le rendez-vous pris, nous nous
rendîmes chez lui. Après qu'il ait donné de
précieuses informations sur les pratiques de corruption au niveau des
assiettes nous lui avons suggéré d'en faire de même pour
les recettes mais, il se raidit automatiquement et déclara qu'il n'y
avait pas de corruption aux recettes et que d'ailleurs l'entretien était
arrivé à son terme >>. Ces obstacles levés, il fut
plus aisé de mener remarquablement la recherche comme en attestent les
résultats.
Deuxième partie : Dynamique de la corruption
CHAPITRE I : DU JEU DES ACTEURS
La persistance de la corruption peut s'appréhender
suivant deux axes essentiels entre lesquels se trouvent des passerelles de
complémentarité. Elle est à la fois le résultat du
jeu d'acteurs, largement favorable aux acteurs de la corruption et de certaines
contraintes structurelles nous instaurant dans le cercle vicieux de la
corruption.
1. Typologie des acteurs de la lutte contre la
corruption
Les dispositions en vigueur en République du
Bénin définissent trois niveaux de contrôle destinés
à lutter contre la corruption : les contrôles administratif,
parlementaire et judiciaire. Deux catégories d'acteurs se mobilisent
pour l'effectivité du contrôle à ces trois niveaux. Il
s'agit des acteurs non étatiques et des acteurs étatiques qui ont
leurs approches spécifiques d'intervention, leurs moyens de mise en
oeuvre et qui nouent des interactions entre elles.
1.1. Les acteurs non
étatiques
Il s'agit essentiellement des organisations non
gouvernementales qui ont explicitement pour objectif de combattre la
corruption. Il est vrai qu'une pluralité d'acteurs intervient, d'une
manière ou d'une autre dans la lutte contre la corruption mais il n'y a
que quelques ONG qui ont explicitement pour objectif de combattre la corruption
et qui y travaillent véritablement. Les données recueillies font
état d'une dizaine d'ONG qui oeuvrent effectivement à cette fin
à Cotonou. Au terme du forum national des organisations de la
société civile de lutte contre la corruption tenu en 1998
à l'initiative de la CMVP, les ONG luttant contre la corruption ont
convenu de mettre sur pied le front des organisations nationales de lutte
contre la corruption (FONAC) qui devrait être une organisation
faîtière. Si aucune des organisations fondatrices
du FONAC n'en a démissionné jusque là, il
n'en demeure pas moins que la quasi-totalité de ces ONG ont gardé
leur autonomie, définissent leurs activités et mobilisent les
ressources à cet effet. Elles s'investissent essentiellement dans la
détection et la dénonciation publique des actes de corruption
grâce à leurs militants qui sont dans l'administration et qui
leurs fournissent toutes les informations utiles à cette fin avec les
preuves y afférent. Une fois les informations recueillies, ces
organisations se rapprochent des mis en cause pour avoir leur version des
faits. Si au terme des échanges aucun reproche n'est fait au mis en
cause ou si les faits reprochés sont des faits mineurs susceptibles
d'être réparés, l'affaire est classée sans suite. Le
cas échéant, elles procèdent à la
dénonciation publique afin d'informer l'opinion publique et d'inciter
les pouvoirs publics à prendre leurs responsabilités pour que le
préjudice causé à l'Etat puisse être
réparé. Les ONG intervenant dans la lutte contre la corruption
sont confrontées, dans leur fonctionnement, à deux types de
difficultés : la mobilisation des ressources humaines (tant en ce qui
concerne les informateurs au sein de l'administration publique qu'en ce qui
concerne l'analyse des informations recueillies et des procédures
à suivre) et la mobilisation des ressources matérielles et
financières. En effet, dans la plupart des cas, le personnel permanent
des ONG se limite à une secrétaire et à un responsable aux
affaires juridiques quand il ne s'agit pas simplement d'une secrétaire
comptable. En ce qui concerne le financement, les bailleurs de fonds
étrangers, en l'occurrence l'USAID, le PNUD, les Ambassades du Danemark
et des Pays Bas de même que la Coopération technique Allemande,
restent les principaux partenaires. Chaque organisation mobilise ses ressources
financières sur la base de ses relations et de la nature des projets
qu'il entend conduire. Par ailleurs, les ressources mises à leur
disposition par les bailleurs de fonds ne sont pas des frais de fonctionnement
et ne sont pas destinées à assurer leurs investigations. En
l'absence d'une stratégie nationale de mobilisation de ressources au
profit des ONG luttant contre la corruption, ces
dernières se trouvent dans l'obligation
d'élaborer des projets qui tiennent compte de la logique des bailleurs
de fonds. Le tableau VI et le graphique n°3 rendent compte de
l'appréciation des acteurs non étatiques sur le degré
d'importance des difficultés qu'ils rencontrent.
Tableau VI : Ordre d'importance des difficultés
rencontrées par les acteurs non étatiques
Difficultés
|
Mobilisation des ressources matérielles et
financières
|
Mobilisation des ressources
humaines
|
Difficultés d'accès à l'information
|
Total
|
Pourcentage
|
50
|
20
|
30
|
100
|
Source : Données de terrain, septembre 2007.
Graphique 3 : Ordre d'importance des
difficultés
30%
Mobilisation des ressources matérielles et
financières Mobilisation des ressources humaines
Difficultés d'accès à l'information
20%
50%
Outre les ONG, les médias privés occupent une
place de choix dans la lutte contre la corruption en ce sens que c'est à
eux qu'il revient d'assurer une large diffusion aux résultats des
investigations des ONG. Les avis recueillis attribuent une position
médiane à la presse dans la lutte contre la corruption. En effet,
en tant que contre pouvoir contribuant à la construction de l'opinion
publique la presse est sujette à des tentatives de
récupération et il arrive que des indélicats en son sein
ne facilitent pas la tâche aux autres acteurs engagés dans la
lutte contre la corruption.
Les ONG et les organes de la presse privée constituent
les principaux acteurs non étatiques engagés dans la lutte. Ils
oeuvrent aux côtés des acteurs étatiques.
1.2. Les acteurs étatiques
Il s'agit des organes de contrôle établis par
l'administration publique auxquels se joint l'Assemblée Nationale dont
le rôle est de contrôler l'action gouvernementale. Au lendemain des
élections présidentielles de mars 2006 qui ont conduit à
l'avènement du Président Boni YAYI, un certain nombre de
réformes ont été entreprises en ce qui concerne les
acteurs étatiques de lutte contre la corruption. Ainsi, la CMVP qui
avait pour attribution de sensibiliser et d'investiguer en vue de dissuader a
été dissoute et remplacée par l'Inspection
Générale d'Etat (IGE) dont la mission est de détecter, en
procédant au contrôle de la régularité de la gestion
des sociétés et administrations publiques, les actes de
corruption. Les rapports de l'IGE sont étudiés en conseil des
ministres et peuvent induire des sanctions administratives et des poursuites
judiciaires. Rattachée à la Présidence de la
République, l'IGE coordonne les activités de l'Inspection
Générale des Finances et de l'Inspection Générale
des Services Administratifs qui constituent, avec elle les trois organes
à compétence nationale. Par ailleurs, les anciennes divisions de
l'Inspection et de la Vérification Interne (DIVI) ont été
remplacées par les inspections générales des
ministères qui assurent le relais des organes à compétence
nationale au sein des ministères.
Mis à part ces organes de contrôle administratif,
l'ordonnance n°96-04 du 31 janvier 1996 et le décret n°2004-18
du 27 août 2004 portant respectivement code des marchés publics et
décret d'application de l'ordonnance réglementent la passation
des marchés publics de l'Etat. Ces dispositions instituent les
commissions de passation des marchés publics au
niveau des ministères et de toutes les institutions
devant acquérir des biens ou des services pour le compte de l'Etat.
Passé le seuil de compétence des CPMP, la direction nationale des
marchés publics prend le relais. La commission nationale de
régulation des marchés publics veille à la
régularité des contrats signés. L'Observatoire de Lutte
Contre la Corruption (OLC) est une institution de la république
chargée de procéder au suivi évaluation des actions
anticorruption. L'Agence Judiciaire du Trésor, rattachée à
la Présidence de la République est chargée de la
récupération des fonds auprès des personnes
indexées par les rapports des différents organes de
contrôle.
Si les rapports de l'IGE, de l'IGF et des inspections
générales des ministères ont un caractère
administratif et sont examinés en Conseil des ministres, ceux de l'OLC
doivent être confirmés par un organe administratif de
contrôle sur demande du gouvernement ou d'un ministre. L'Assemblée
Nationale est l'organe constitutionnel de contrôle du pouvoir
exécutif. Elle est habileté à mettre en place des
commissions d'enquêtes et à interpeller le gouvernement sur tous
les sujets d'intérêt national. Son avis est requis pour la
nomination des ministres. Le vote du budget général de l'Etat et
celui de la loi de règlement constituent les outils fondamentaux du
contrôle parlementaire de l'action gouvernementale. Le vote du budget
générale autorise le gouvernement à mettre en oeuvre une
politique de mobilisation des recettes et à effectuer des
dépenses publiques dans tel ou tel sens tandis que la loi de
règlement est destinée à vérifier le taux
d'exécution du budget. La loi de règlement s'assure
également du respect des procédures et règles
d'exécution des dépenses publiques. Malheureusement, si le vote
du budget à lieu régulièrement, celui de la loi de
règlement tarde à s'insérer dans les moeurs. Depuis
l'avènement du renouveau démocratique, elle n'a pu se faire
qu'une seule fois. Une telle situation tiendrait de la non transmission des
documents de travail par l'exécutif. L'Assemblée Nationale
incarne le pouvoir législatif,
pilier de l'Etat de droit. A ce titre elle devrait être
au coeur de la lutte contre la corruption mais il n'en est pas toujours ainsi
à tel point que les avis recueillis ne la citent presque pas dans les
institutions de lutte contre la corruption.
Acteurs étatiques et acteurs non étatiques
entretiennent des relations qui ne sont pas de nature à faciliter une
synergie d'action et qui concourent à leur affaiblissement dans le jeu
des rapports avec les acteurs de la corruption.
1.3. Interactions entre les acteurs de la lutte contre la
corruption
S'il est vrai que l'ensemble des acteurs engagés dans
la moralisation de la vie publique entretiennent des relations cordiales entre
elles, force est de constater que leurs rapports, dans bien de cas se limitent
à de simples civilités et à des regroupements de
circonstances. S'il est vrai que l'existence de rapports hiérarchiques
entre les organes de contrôle administratifs permet d'observer une
certaine synergie entre elles, il n'en est pas toujours de même entre les
ONG. En effet, la création du FONAC n'a pas induit
systématiquement un cadre de concertation bien que la
quasi-totalité des ONG intervenant dans le domaine se réclament
membre du FONAC. Les forces n'ayant pas été mises en commun, il
s'ensuit que chaque ONG doit faire face isolément à ses
difficultés de mobilisation de ressources humaines et
financières. Certaines y parviennent mais d'autres n'y arrivent pas et
ralentissent considérablement de ce fait leurs activités,
laissant par conséquent le champ libre aux acteurs de la corruption. De
plus, il arrive que différentes ONG travaillent séparément
sur un même dossier sans se concerter et concentrent par là
même, l'essentiel des énergies sur un seul sujet. Par exemple pour
le dossier de la SBEE qui a défrayé la chronique, le FONAC et
ALCRER ont mené séparément leurs enquêtes. Les
difficultés d'harmonisation des activités des ONG s'inscrivent
dans la dynamique de la société civile africaine dont beaucoup
d'organisations doivent leur création à la possibilité
de
mobiliser des ressources extérieures. Dans ces
conditions, préserver son autonomie revient à préserver
ses chances de captation de la rente du développement auprès des
partenaires au développement. Cet état de choses permet de
comprendre que des organisations membres du FONAC aient pu, dans le cadre de
leurs activités de sensibilisation, mobiliser des ressources
financières auprès d'un partenaire qui finançait aussi le
FONAC pour des activités du même genre.
Par ailleurs, à la disparité entre les moyens
matériels et humains, s'ajoutent d'autres clivages imputables aux textes
et lois, qui ne sont pas de nature à consolider la collaboration entre
les ONG et les organes administratifs. En effet, les inspections
générales fonctionnent suivant un chronogramme
préalablement défini et ne peuvent entreprendre des
investigations que sur ordre d'un ministre ou du gouvernement. De ce fait,
elles ne sont habilitées à entrer en collaboration avec les ONG
que dans le cadre d'enquêtes commanditées. Etant donné que
les rapports des ONG n'ont aucun caractère administratif et qu'elles ne
sont juridiquement pas fondées à saisir directement les organes
de contrôle pour valider leur rapport, ces dernières ont le choix
entre le fait de s'en remettre à l'autorité gouvernementale ou de
porter l'affaire sur la scène publique en espérant mettre la
pression sur les autorités. Cette dernière option semble
être la préférence des ONG, faisant de la presse leur
partenaire privilégié. Malheureusement, les organes de presse, en
plus de leur mission d'information, ont une vocation commerciale. De ce fait,
les ONG sont le plus souvent amenées à délier leur bourse
pour faire passer leur message. Certes, quelques organes de presse (et pas des
moindres) accordent des facilités à ces ONG surtout lorsque les
révélations dont elles sont détentrices sont susceptibles
de faire sensation. Ces facilités se sont accentuées avec
l'avènement au pouvoir de l'actuel Président de la
République qui a publiquement déclaré son intention de
lutter contre la
corruption et l'on a pu observer une forte activité
médiatique du FONAC et de l'OLC. Mais les avis recueillis sont unanimes
sur le fait que les médias n'ouvrent pas touj ours spontanément
leurs portes.
2. Les stratégies de contournement
Les relations autour de la corruption nous plongent dans
l'univers des rapports de pouvoirs1. En effet, l'administration
publique est assimilable à une organisation dont le fonctionnement et
les rapports avec l'environnement extérieur sont régis par des
textes et lois. Une telle régulation vise à rendre
prévisible le comportement des agents publics et des usagers afin de
contenir toute tentative de détournement de l'administration de sa
fonction première, celle de la définition de buts collectifs et
de mobilisation de ressources à cet effet. De ce fait, la mission des
organes de contrôle et des ONG revient à veiller au respect et
à l'application de ces textes aussi bien par les agents publics que par
les usagers. Les propos d'un responsable d'une des institutions de la
République en charge de la lutte l'atteste : « Nous sommes dans
un régime de séparation des pouvoirs. Une fois que le travail de
détection a été fait et que le dossier a été
transmis à la justice, ni le gouvernement ni le FONAC n 'ont plus rien
à dire. Nous devons tourner nos regards vers la justice car force doit
rester à la loi »2.
Toutefois, les règles juridiques et administratives
n'ont pas anéanti la marge de manoeuvre des agents publics et des
usagers qui détiennent toujours une capacité stratégique,
c'est-à-dire, qu'il leur est possible de ne pas faire ce qu'on attend
d'eux ou de le faire différemment. Dans la pratique, les acteurs de la
corruption savent se montrer respectueux de la loi tout en la vidant de son
1 La notion de pouvoir diffère de celle de
l'autorité qui est une forme de pouvoir instituée par la loi. Le
pouvoir renvoie à la possibilité pour un acteur de faire en sorte
que le résultat de sa relation avec autrui lui soi moins contraignant.
Cf. Michel CROZIER, L'acteur et le système, Paris, SEUIL, 1977.
2 Jean Baptiste ELIAS, Président de l'Observatoire de
lutte contre la corruption, Deuxième édition de la journée
nationale de lutte contre la corruption, Cotonou, 10 décembre 2007.
contenu quand ils ne la foulent pas impunément aux
pieds. Les stratégies récurrentes de contournement des
réformes et actes anticorruption dans la passation des marchés
publics (en ce qui concerne les dépenses publiques) et dans le secteur
de la douane et des impôts (en ce qui concerne la mobilisation des
ressources) se construisent et se déconstruisent autour de cette
relation de pouvoir.
2.1 Le contournement des règles dans la passation
des marchés publics
Les marchés publics concentrent une grande partie des
dépenses de l'Etat. Si au lendemain des indépendances, la
réglementation dans la passation et l'exécution des
marchés publics était obsolète, elle s'est progressivement
enrichie au lendemain de la Conférence des Forces Vives de la Nation.
Ainsi, l'ordonnance n° 96-04 et le décret n° 2004-565 rendent
obligatoire la passation de marchés publics au-delà des seuils
suivant :
· Trente millions (30000000) de francs CFA pour les
marchés de travaux ;
· Dix millions (10000000) de francs CFA pour les
marchés de service ;
· Dix millions (10000000) de francs CFA pour les
marchés de fourniture.
Trois modes de passation des marchés publics sont
retenus par ces dispositions : le gré à gré,
l'adjudication publique et l'appel d'offres. Il s'agissait d'assurer
l'égalité et l'équité d'accès aux
marchés publics aux entrepreneurs et de garantir une utilisation
optimale des ressources de l'Etat. Dès lors, les acteurs sociaux qui
s'adonnaient aux pratiques de corruption ont dû peaufiner d'autres
stratégies pour contourner cette réforme. Les acteurs
concernés ont su exploiter les interstices de l'Etat. Ainsi, on
dénote de nombreux cas de fragmentation des marchés publics pour
échapper à la passation de marché et attribuer le
marché à un entrepreneur dont on se serait
assuré de la disponibilité à
concéder une commission (de l'ordre de 10 à 20%) sur le
marché. La disposition réglementaire exigeant en la
matière que trois candidats au moins soient consultés est
aisément contournée comme en témoigne les propos de
l'enquêté A., président d'ONG : « Il y a une
société de la place qui passe des commandes à un
entrepreneur ayant 10 entreprises différentes
régulièrement enregistrées. Ce dernier fourni à lui
seul différentes factures et rafle les marchés avec la
complicité du maître d'ouvrage ». A cette stratégie
élémentaire de contournement de la loi s'ajoute des
stratégies plus subtiles lorsqu'il s'agit de passation de marchés
publics. Deux des trois modes définis par la loi sont d'usages
fréquents : le gré à gré et l'appel d'offre. La
corruption dans le cas des marchés de gré à gré
constitue une violation des textes en vigueur sur laquelle l'analyse se
penchera ultérieurement.
L'appel d'offres, à l'instar des autres modes de
passation est exécuté, suivant les seuils de compétences
définis par la loi par la cellule de passation des marchés
publics (organe de passation à la base c'est-à-dire au niveau du
maître d'ouvrage) et par la direction nationale des marchés
publics. Si les procédures dont les principales étapes sont
l'appel public à concurrence, le dépouillement public des offres
et leur jugement suivant des indicateurs précis sont de plus en plus
respectés, le principe de l'équité d'accès aux
marchés publics par les entrepreneurs et l'utilisation optimale des
recettes de l'Etat peine encore à avoir voix au chapitre. En effet, les
données collectées s'accordent sur le fait que plusieurs
entrepreneurs sont prêts à faire des concessions pour
exécuter les marchés publics. Ils se mettent donc en quête
d'alliés au niveau des organes de passation des marchés et y
parviennent, dans certains cas. La stratégie récurrente dans le
cas d'espèce est de renseigner l'entrepreneur sur les items à
prendre en compte lors du dépouillement et sur le montant que l'offre
financière ne saurait excéder. De même, de telles alliances
permettent d'évincer, en cas d'égalité, un autre
entrepreneur qui n'aurait pas
« assuré ses arrières ». Le
témoignage de cet entrepreneur illustre fort bien cet état de
choses : « Il ne m 'a pas été facile de décrocher
ce marché. J'ai dû me faire parrainer par quelqu 'un qui m 'a
recommandé à un membre de l 'organe de passation. Après
que nous ayons discuté, ce dernier m 'a donné des instructions
à suivre pour que mon dossier puisse passer. Il s 'est également
chargé de trouver du soutien pour que le verdict de l 'organe me soit
favorable. Je lui ai donné une commission mais cela ne m 'a pas
gêné dans les travaux », (T. entrepreneur à
Cotonou).
Certes, les entrepreneurs qui avouent s'adonner à de
telles pratiques soutiennent que les commissions versées ne les
empêchent pas d'exécuter les marchés. Mais les nombreux cas
d'abandons de chantiers de construction de bâtiments et les
défauts de qualité dénoncés rendent plausible
l'hypothèse d'un lien de causalité entre la mauvaise
qualité de certains travaux publics et ces commissions
versées.
D'autres stratégies de contournement sont mises en
oeuvre dans le domaine de la mobilisation des ressources de l'Etat à
travers la douane et les impôts. Elles concourent également
à la pérennisation de la corruption au Bénin.
2.2 La douane et les impôts
Leviers importants de la mobilisation des recettes de l'Etat,
le service de la douane et celui des impôts reposent respectivement sur
l'application du code de la douane et du code général des
impôts.
Le port autonome de Cotonou est le principal lieu
d'application du code de la douane dans la ville de Cotonou. La douane de
Cotonou -port est un important lieu de transactions financières.
L'écor est une opération qui consiste à évaluer la
nature, le nombre, le poids des marchandises et à déterminer
le
montant des droits à percevoir sur elles. Si de
nombreuses pratiques corruptives qui s'y observent relèvent de
l'extorsion à travers les faux frais, il convient de signaler que la
minoration des valeurs y est également une stratégie dominante.
Une telle minoration s'effectue sur les marchandises de grandes entreprises
pour lesquelles elle revêt un double intérêt. Non seulement
elle leur permet de payer des taxes douanières nettement
inférieures aux valeurs de leurs marchandises mais aussi, elle leur
permet de mieux organiser la fraude fiscale en faisant un bilan comptable
biaisé. Ce type de corruption se fait sous fonds d'interférences
politiques et implique les responsables aux plus haut niveau de la
douane1.
En ce qui concerne le service des impôts, on assiste
également à des formes de stratégies de contournement. Le
service des impôts est subdivisé en deux secteurs que sont
l'assiette et la recette.
- Le service des assiettes
Le service des assiettes est chargé d'asseoir
l'impôt c'est-à-dire de déterminer la matière
imposable, de liquider l'impôt en appliquant les taux d'impôts et
d'émettre des avis d'imposition qui sont acheminés à la
recette. Pour effectuer sa mission, le service des assiettes effectue des
enquêtes de recensement sur le terrain. C'est à cette occasion que
de nombreuses tractations concourant à l'amenuisement des recettes
fiscales se mènent. La stratégie récurrente, pour les
contribuables consiste à faire une déclaration à la baisse
de la valeur des biens à imposer afin que l'impôt ne soit pas
élevé. Dans cette quête, les agents du service des
assiettes chargés de recenser les biens deviennent leurs alliés
stratégiques. Il faut également préciser qu'il arrive que,
pour faire face à l'immensité du travail, les assiettes fassent
appel à des
1 Sous réserve des décisions de justice, c'est
ce type de corruption qui a été révélé par
l'enquête de l'inspection générale d'Etat et qui a conduuit
à la suspension de Charles ADEKAMBI et de Marcellin ZANNOU qui
étaient respectivement, Directeur Général de la douane et
Chef de la Brigade des douanes de Cotonou-port.
personnes qui ne sont pas du secteur. Ce fut le cas par
exemple, lors du recensement foncier urbain de 2006. Ces agents occasionnels
commis à la réalisation des enquêtes de recensement, sont
des véritables alliés stratégiques pour certains
contribuables. Il leur est d'autant plus facile d'opérer qu'aucune
sanction administrative ne pèse sur eux puisqu'ils ne sont pas, le plus
souvent des fonctionnaires. Les propos de l'enquêté S.,
enquêteur lors du RFU de 2006 sont évocateurs : « En tant
qu 'enquêteur je devrais recenser les immeubles du quartier. Je suis
entré dans une maison et avant que je n 'écrive quoique ce so it,
le propriétaire m 'a demandé de venir pour qu 'on parle. Il m 'a
expliqué qu 'il s 'était toujours entendu avec les
enquêteurs et m 'a fait une enveloppe de 50. 000F. J'ai fait les
déclarations comme il me l 'a demandé ».
En outre, le caractère déclaratif de
l'impôt au Bénin offre un terrain favorable à
l'évasion fiscale. En effet, c'est aux comptables des entreprises qu'il
revient de faire une déclaration du résultat comptable
(c'est-à-dire le bénéfice net) et d'appliquer le taux
d'impôt en vigueur pour définir le montant de l'impôt. Cela
fait, il l'achemine au service des assiettes et il revient à
l'inspecteur de procéder au contrôle sur place et sur pièce
pour valider ce montant. Il s'ensuit que beaucoup d'entreprises font des
déclarations à la baisse qui puisse échapper à
l'inspecteur qui n'a pas toujours le temps et les ressources nécessaires
pour effectuer le contrôle. Cependant, dans leur quête
d'alliés stratégiques, les contribuables savent appâter
l'agent public pour qu'il oublie de bien faire son travail. Cela lui est
d'autant plus facile qu'il y a un problème réel d'insuffisance de
personnel dans l'administration. Les organes de contrôle, notamment
l'inspection générale des services de l'impôt n'y voit que
du feu en raison de ses faibles capacités en ressources
matérielles et humaines qui ne lui permettent pas de procéder
directement à des vérifications sur le terrain, et s'en tiennent
pour l'essentiel à la conformité des taux imposés avec les
textes. Quant aux ONG, elles avouent qu'elles ne s'intéressent pas
trop à ce pan de la question. Elles se concentrent le
plus souvent sur les détournements des deniers publics et sur les
marchés publics, au grand bonheur de certains contribuables et de
certains agents publics. Ces derniers, pour éviter d'être
dénoncés par leurs collègues, mettent en place des
stratégies de cooptation et d'intimidation. La répartition du
butin impose la loi du silence. Les contribuables, quant à eux,
déploient moult stratégies de mobilisation de leurs alliés
stratégiques et utilisent divers registres de persuasion : appartenance
à la même lignée familiale, alliance dans le mariage,
appartenance au même groupe religieux...
L'appât du gain n'intervient donc pas directement dans
les négociations. On sollicite une faveur de l'agent public en
mobilisant divers réseaux de solidarité ou en jouant sur son
côté affectif et l'argent qu'on lui donne s'accompagne de
remerciement pour « le service rendu ». De cette façon, la loi
est respectée car les avis d'imposition sont émis et les
impôts recouvrés, quoique l'Etat subisse un préjudice.
Il convient de notifier que cette stratégie corruptrice
n'est utilisée que pour les impôts directs, ceux dont le
contribuable va lui-même s'acquitter. Les impôts directs courants
sont les impôts sur le bénéfice industriel et commercial
(BIC), le bénéfice non commercial (BNC) et la taxe sur le foncier
urbain (TFU). La stratégie de minoration des valeurs à
déclarer n'est pas efficace en ce qui concerne les impôts
indirects car ils sont directement relevés par le prestataire (tenant de
boutique, de bar, gérant de station d'essence...) et reversés
à l'Etat.
- Le service des recettes
Une fois les avis d'imposition émis, le service des
assiettes les achemine à la recette qui prend en charge les
rôles1 et les distribue au contribuable. La date de
réception de l'avis par le contribuable est la date de mise en
recouvrement. Passé le délai de mise en recouvrement, le receveur
délivre une sommation sans frais c'est-à-dire qu'il applique une
pénalité de 10% puis retrace la dette du contribuable et lui
envoie un acte qui ne vaut aucun frais. A l'expiration du délai de
l'acte de sommation sans frais, le receveur adresse un acte de commandement
c'est-à-dire un acte qui retrace la dette du contribuable( impôt +
majoration ) + pénalité de 5%. Si aucune réaction n'est
notée, il est alors émis un avis à tiers détenteur
(ATD), c'est-à-dire que les banques sont saisies et priées de
bloquer les avoirs en banque des intéressés s'ils en avaient et
de mettre le montant dû à la disposition du trésor public.
Si cette procédure demeure infructueuse, on procède à la
saisie des biens meubles et immeubles du contribuable.
Il ne serait pas excessif, à la lumière de ce
qui précède, de dire que la loi n'offre aucune possibilité
d'évasion fiscale une fois l'avis d'imposition émis. Les propos
suivants, émis par l'enquêté B., receveur des
impôts, en témoignent : « Une fois l 'acte de
commandement émis, l 'impôt assorti des pénalités,
devient imprescriptible ».
Toutefois, les réalités de terrain
révèlent l'existence de formes subtiles de contournement de la
loi qui dénotent de l'irréductibilité du social à
la loi. La difficulté première des receveurs est de faire
parvenir l'avis d'imposition au contribuable en raison de leurs faibles
ressources humaines et matérielles. Pour y parvenir, ils font recours
aux élus locaux. Etant donné que la mise en recouvrement ne
débute qu'à partir de la réception de l'avis d'imposition,
les
1 Un rôle est un ensemble de cinquante avis
d'imposition.
poursuites ultérieures sont inopérantes tant que
l'avis d'imposition n'est pas distribué. La non distribution des avis
d'imposition est donc mobilisée comme stratégie pour
échapper aux impôts. Par ailleurs, la loi offre la
possibilité au contribuable de demander un moratoire et
d'échelonner le paiement de ses impôts. Il revient au receveur
ayant cédé à cette requête de veiller au respect de
l'accord établi. A cette occasion, les contribuables «
négocient « le moratoire grâce à l'appât
financier. Si l'omission du recouvrement des impôts auprès d'un
contribuable est une faute professionnelle, l'agent public qui la commet n'est
pas toujours sanctionné et bénéficie souvent de
circonstances atténuantes. Les services de contrôle lui donnent
des conseils et il est procédé au redressement fiscal, c'est-
à dire que les poursuites sont engagées vis- à vis du
contribuable. Il s'agit donc d'un risque moindre pour le receveur sur lequel le
contribuable peut compter, le temps que survienne la prescription de
l'impôt.
3. La construction de l'impunité
Si à l'unanimité, les acteurs interrogés
admettent que les cas de violations flagrantes des dispositions légales
sont beaucoup moins utilisées et que les acteurs de la corruption ont de
plus en plus tendance à peaufiner les stratégies de
contournements, il n'en demeure pas moins que l'impunité fait partie des
stratégies corruptrices. L'impunité est construite et entretenue
à deux principaux niveaux que sont l'exploitation des faiblesses
structurelles de l'Etat, le chantage et la cooptation des acteurs intervenants
dans la lutte.
3.1. L 'exploitation des faiblesses de l'Etat
La loi n°2004-18 du 27 août 2004, définit
une série de conditions précises en dehors desquelles les
marchés gré à gré ne sauraient être
passés. Ces mêmes dispositions prescrivent que l'avis
motivé du ministre en charge des finances est un préalable
à la passation de marché de gré à gré car ce
dernier doit veiller à ce que le volume de tels marchés ne
dépasse les 10% du
total des marchés passés. Dans la pratique,
l'alinéa 5 de l'article 44 de cette loi qui autorise le gré
à gré en cas d'urgence de réalisation des travaux dus
à des circonstances imprévisibles, est utilisé pour faire
avaler des situations de fait au ministre des finances. Cet acte contraire aux
dispositions en vigueur ne souffre d'aucune contestation lorsque les structures
de vérification, notamment la commission nationale de régulation
des marchés publics et les ONG, qui sont le plus souvent
débordées, ne s'appesantissent pas sur la question. En outre, la
détection de tels procédés n'a qu'un caractère
suspensif lorsque le marché est en cours d'exécution mais
n'induit pas systématiquement des sanctions judiciaires contre les mis
en cause. La stratégie mise en oeuvre est fondée sur la faible
capacité de travail des organes de contrôle en manque de personnel
pour répondre à l'immensité des tâches qui leur sont
assignées (par exemple l'IGF ne compte que 21 agents tandis que
l'inspection générale du ministère des mines ne compte que
deux agents. Il en va de même de la justice au niveau de laquelle la
reprise de l'enquête menée par les organes de contrôle
s'impose pour des raisons d'équité et de respect des
procédures. Cette enquête de vérification s'avère
parfois fastidieuse en raison du déficit en personnel judiciaire. Dans
bien de cas, le juge d'instruction ressent le besoin d'effectuer des voyages
à l'étranger pour vérifier s'il y a eu des mouvements
bancaires et pour rassembler toutes les preuves, ce qui n'est pas facile
à faire. On assiste alors à l'acquittement de l'accusé
« au bénéfice du doute ». L'exploitation des faiblesses
structurelles de l'Etat fonde également le maquillage des preuves. En
effet, l'accès à l'information et l'administration de la preuve
des malversations commises apparaît comme le principal obstacle à
la moralisation de la vie publique. L'enquêté A.
président d'ONG et ancien président d'une commission
d'enquête, en témoigne: « L 'administration publique est
un véritable mûr de silence que l'on ne peut
pénétrer qu 'à condition d'y avoir des complices. Les
dossiers de malversations révélés par la commission d
'enquête que j 'ai dirigée n 'étaient que la partie visible
de l 'iceberg. Dans bien de cas,
les faits de corruption n 'ont pu être
établis quoique nous eussions de fortes présomptions ».
Les auteurs de la corruption en font une stratégie de
prédilection en ce sens que la condamnation d'un présumé
acte de corruption par la justice requiert la réunion de trois
éléments que sont l'élément matériel (la
preuve), l'élément légal (la disposition
réglementaire condamnant l'acte et l'élément moral
(l'intention affichée de nuire). En l'absence de lois condamnant
l'enrichissement illicite et assurant la protection des dénonciateurs
d'actes de corruption dont elles auraient été témoin, le
maquillage assure la tranquillité aux corrompus et corrupteurs qui n'ont
même pas à se soucier de << blanchir xi leurs gains.
Par ailleurs, il se développe, au sein de certaines
structures une solidarité de corps qui permet aux agents publics de
profiter de leur position stratégique pour la réalisation des
objectifs de l'administration pour prendre en otage cette même
administration. C'est le cas de la douane du port autonome de Cotonou où
les faux frais sont érigés en norme, au vu et au su de tous.
L'Etat semble être incapable d'inverser la tendance car toutes les
structures installées au port pour contrer le phénomène
ont été assimilées par le système (BAKO
ARIFARI,2000). Cette société de port a démontré
toute sa capacité stratégique quand tous les douaniers sont
entrés en grève pour protester contre les méthodes de la
Cellule de Moralisation de la Vie Publique, occasionnant de lourdes pertes
à l'Etat1.
3.2 Menaces et cooptation
<< L 'Etat est une puissante machine à
broyer. Or, la corruption est au coeur de l 'Etat et c 'est de là que
vient la difficulté à l 'enrayer xi, (J., journaliste).
Les ramifications du phénomène et les différentes
stratégies
1 Pour 25 millions de francs cfa saisis par la commission, la
grève des douaniers fait perdre 2 milliards de francs cfa à
l'Etat uniquement à la recette de la douane de
Cotonou-port. cf. La nation n°
2361 du 8 novembre 1999.
déployées pour le pérenniser tiennent de
la structuration du champ politique béninois. En effet, l'instauration
de la démocratie a conduit à « une inversion symbolique des
rapports de forces entre les citoyens et les hommes politiques »(BANEGAS,
1995). Le clientélisme politique deviendra très tôt le
principal mode de fonctionnement du champ politique dont les acteurs ont
permanemment à coeur, la mobilisation des ressources nécessaires
à leur campagne politique. En l'absence d'une stratégie de
financement des partis politiques par l'Etat, les postes de
responsabilités et les sociétés d'Etat à forte
opportunité de transactions financières sont l'objet d'intenses
luttes politiques. A défaut de s'y faire nommer, les hommes politiques y
font nommer leurs hommes de confiance dont la mission est, en plus de leur
fonction officielle, de renflouer les caisses du parti. La cooptation et les
menaces de tous ordres sont les principales ressources mobilisées par
les acteurs de la corruption pour contenir les acteurs de la lutte.
Les récents évènements survenus sur la
scène publique ont fait des ONG des acteurs stratégiques de la
lutte contre la corruption en ce sens que la plupart des enquêtes
diligentées par les pouvoirs publics ont fait suite à leurs
révélations. Les acteurs de la corruption ont donc
intérêt à ce qu'ils ne se fassent par entendre ou qu'ils
soient discrédités. L'enquêté B., Vice
Président d'ONG, déplore le fait : « Toutes les fois oil
nous faisons une déclaration, il y a un branle bas médiatique.
Les personnes indexées réagissent et gagnent la sympathie de
certains organes de presse qui n 'y vont pas du dos de la cuillère
». La presse en tant qu'acteur clé de la communication
contribue à la révélation des scandales politico
financiers, mais elle est également un allié stratégique
pour les acteurs de la corruption. Les acteurs des ONG avouent à
l'unanimité que les plus durs coups portés à leur moral
l'ont été par le biais de la presse. Chaque responsable d'ONG a
des coupures de presse retraçant les propos durs des journalistes
à leur endroit. « M. frigoriste souffle du« chaud
«.
Et si M. se taisait enfin ? ». ((Pour une fois E. a
menti «. E. devrait féliciter le ministre A. qui a fait gagner 5
milliards à l'Etat au lieu de le critiquer ». Ces quelques
titres de journaux compilés par les acteurs d'ONG révèlent
leur sensibilité à ce fait. La sympathie des médias est un
enjeu permanent de la lutte entre divers groupes stratégiques. Si dans
certains cas les ONG prennent le dessus, dans bien de cas le coût de la
communication ne leur simplifie pas la tâche.
Outre le discrédit, l'intimidation des acteurs de la
lutte est utilisée. Diverses menaces sont brandies et mises en oeuvre.
Ces menaces sont de trois ordres : occulte, physique ou administrative. En
milieu fon, le b?, le tchakatou, le so hwihwé
et le azé sont des formes récurrentes d'expression
de la violence occulte (APOVO, 2003). En effet, en dépit des programmes
d'alphabétisation et de colonisation, le Bénin, dans les faits
est demeuré une société de l'oralité, à
technologie peu développée. De ce fait, la violence y est non
militaire, occulte et procède de la sorcellerie (ASSABA, 1998). Les
expériences personnelles de tous les acteurs sociaux rencontrés
suscitent en eux la croyance en l'existence de forces occultes. Les menaces
occultes sont donc prises au sérieux et le combat contre la corruption
prend l'allure d'un combat spirituel dans lequel on ne s'aventure pas
imprudemment. Seuls ceux qui se sentent aguerris en prennent le risque comme en
atteste l'enquêté A., Président d'ONG : (( Moi je suis
dans de nombreux cercles initiatiques et je jouirai toujours d 'une protection
spirituelle tant que je serai dans la droiture. Les gens essaient de m
'envoûter mais ils perdent leur temps ». Aux menaces occultes
se joignent les menaces administratives. La corruption dans l'administration
est un fait banalisé dont les acteurs jouissent parfois de grandes
protections. Ainsi au sein d'une administration, il est périlleux pour
un agent public de dénoncer ouvertement ses collègues, encore
moins sa hiérarchie. Les sympathisants des ONG qui livrent les
informations le font
dans la plus grande discrétion. En cas de
découverte de leur «trahison«, ils risquent d'être
placés en quarantaine et de descendre au purgatoire administratif,
c'est- à dire d'être affecté aux plus basses fonctions. Il
s'agit là du problème fondamental des organes de contrôle
dont les membres sont des agents publics ayant une carrière à
sauvegarder compte tenu des ramifications politiques des actes de corruption,
ils opèrent avec prudence, s'assurant avant tout du soutien de
l'autorité politique.
La persistance de la corruption pose donc le problème
de la dynamique sociopolitique du Bénin dont certaines
caractéristiques offrent un terreau favorable à la
perpétuation du phénomène.
4. Interprétation des résultats
La corruption, au-delà des considérations
normatives, pose un véritable problème de développement au
Bénin. Son appréhension devrait, aux côtés d'autres
recherches empiriquement fondées sur d'autres thèmes, contribuer
à l'ébauche d'une théorie du changement social au
Bénin. Les données recueillies révèlent que la
persistance du phénomène est le résultat du jeu d'acteurs,
largement favorable aux acteurs de la corruption dont les logiques et les
stratégies prennent souvent le pas sur les dispositifs
réglementaires. La première hypothèse de travail qui
impute le peu de succès de la moralisation de la vie publique aux
stratégies de contournement des actions anti corruption, se trouve ainsi
corroborée. Les contraintes liées au fonctionnement des acteurs
engagés dans la moralisation de la vie publique, les interstices des
textes réglementaires et les ressources de l'environnement socio
culturel sont exploitées à profusion pour faire du Bénin,
en dépit de la dynamique politique et des effets de la mondialisation,
une société bloquée1, incapable d'impulser le
changement social.
1 Cette expression est empruntée à Michel CROZIER
qui l'utilise pour expliquer les dificultés du changement social en
France. cf Michel CROZIER, La société bloquée, Paris,
SEUIL, 1994,p7.
La stratégie dominante mise en exergue par les acteurs
de la corruption, consiste à se montrer respectueux, ne serait-ce qu'en
apparence, des textes et lois qui régissent le fonctionnement de
l'administration. Une telle stratégie, observée aussi bien au
niveau des services de la douane et des impôts que dans la passation des
marchés publics est pratiquée par l'ensemble des acteurs de la
corruption, qu'il s'agisse des simples agents subalternes ou des responsables
de services administratifs.
Toutefois, il importe de remarquer que les agents de la
corruption développent également un autre type de
stratégie qui leur permet de violer impunément, les textes qui
régissent le fonctionnement de l'administration publique. La
construction de l'impunité est certes, moins dominante que le
contournement des règles mais il s'agit également d'une
stratégie récurrente. Une telle stratégie est
généralement utilisée, lorsque les pratiques de corruption
portent sur de grosses transactions. L'attitude adoptée par les acteurs
de la corruption, dans le cas d'espèce, s'apparente à la «
politique du bâton et de la carotte ». Cela revient à coopter
les personnes en charge de l'application des dispositions réglementaires
ou de les mettre hors d'état de nuire. La première
hypothèse qui ne porte explicitement que sur les stratégies de
contournement des actions anti corruption, se trouve ainsi enrichie par ce type
de comportement. La perpétuation des pratiques relevant de la corruption
s'explique donc à la fois par le développement de
stratégies de contournement des actions anti corruption et par la mise
en place de stratégies de construction de l'impunité. Ces
résultats éclairent, de manière troublante, la
problématique de la corruption au Bénin dans la mesure où
toutes les catégorie sociales semblent avoir un rapport à la
corruption. L'exploration de l'environnement sociopolitique permettra de savoir
si la persistance de la corruption doit se comprendre comme un refus de toute
moralisation de la vie publique ou si elle est plutôt facilitée
par des déterminants sociopolitiques.
CHAPITRE II : Du cercle vicieux de la corruption
1. Les conditions d'existence et de travail
La corruption, sous ses multiples facettes induit deux types
de coûts pour l'Etat. Les coûts indirects sont liés aux faux
frais en douane et aux extorsions des usagers qui concourent à la faible
compétitivité des entreprises et du port autonome de Cotonou. Ce
type de coût n'est pas mesurable. En revanche les coûts directs qui
constituent des manques à gagner pour l'Etat du fait des
détournements, des surfacturations et abus de biens sociaux sont
mesurables. A l'heure actuelle il n'existe aucune étude exhaustive
faisant état du coût exact de ce type de corruption. Toutefois
certains indicateurs permettent d'affirmer sans grand risque de se tromper que
la corruption amenuise considérablement les recettes de
l'Etat1 et affaiblit ainsi sa marge de manoeuvre et sa
capacité à veiller au respect de l'éthique bureaucratique.
Deux caractéristiques fondamentales de l 'administration publique
béninoise entravant l'efficacité de la lutte contre la corruption
peuvent être imputées aux coûts directs de la corruption :
l'insuffisance du personnel et les traitements de salaires.
L'insuffisance de personnel se fait ressentir tant au niveau
des organes de contrôle qu'au niveau des autres unités
administratives. Ainsi les trois organes à compétences nationales
chargés de veiller à, la régularité et au respect
des procédures sont débordés de travail, de sorte qu'ils
n'arrivent pas assumer pleinement leur mission même si leurs membres
déclarent qu'ils donnent le meilleur d'eux même. L'aveu de
l'Inspecteur Général est fort illustratif : « nous ne
faisons pas de chasse aux sorcières. Le chef de l 'Etat
a
1 En 2006, le ministre des finances et de l'économie
estimait à 201 milliards de francs cfa, les pertes subies par l'Etat du
fait de ma surfacturation dans les marchés publics et des ordres de
paiement indûment signés. En 2006, une mission d'investigation des
marchandises sous douane conduite par l'inspection générale des
finances dans les départements du Borgou, de la Donga, du Mono et du
Couffo à rapporté à l'Etat la somme de 197796780fcfa sur
des marchandises pour lesquelles les droits initialement calculés et
payés étaient de 34927407 fcfa.
déjà donné les instructions mais nous
sommes obligés d 'aller pro gressivement car nous sommes
débordés » (KOUSSE, 2007). L'inspection
générale des finances ne comporte que 21 agents quand bien
même il s'agirait d'un organe capital dans le contrôle de la
gestion financière des sociétés et entreprises d'Etat. Le
contrôle administratif n'est donc pas systématique, ce qui n'est
pas de nature à dissuader les agents publics s'adonnant aux pratiques de
corruption1. La même situation prévaut du
côté de la justice où les juges spécialisés
en finances publiques et corruption constituent une denrée rare. De ce
fait les juges compétents en la matière sont
débordés de travail et il n'est objectivement pas possible
d'exiger un meilleur rendement de leur part.
La même situation prévaut à la douane du
port autonome de Cotonou où le nombre d'agent est passé de 130 en
1985 à 35 en 1995 pour stagner jusqu'en 2000. A l'heure actuelle, le
nombre d'agents en service à la douane du port est de 62 agents.
Paradoxalement, le nombre d'usager fréquentant le port s'est
considérablement accru, de sorte qu'il a atteint les limites de ses
capacités d'accueil. Il y a donc une surenchère de l'offre par
rapport à la demande pour le << grand bonheur >> de ceux qui
sont investis de cette partie de la puissance publique. Il leur revient de
traiter normalement les dossiers ou de le faire avec
célérité suivant que le client se montre disposé ou
non à leur payer le travail << supplémentaire >>
qu'implique la célérité. Tout retard en transit
étant perçu comme un manque de compétence du transitaire,
il se crée une sorte d'accord tacite entre transitaire, passeurs en
douanes et douaniers pour que le travail supplémentaire du douanier lui
soit payé au détriment du contribuable. En outre, les douaniers
se font aider par des agents supplétifs appelés «
klébés >>. Si officiellement et légalement, ces
derniers ne sont pas en droit d'exercer dans le secteur de la douane, ils sont
devenus presque incontournables dans la
1 Il est vrai qu'on assiste en ce moment à ne
recrudescence du contrôle administratif mais la plupart de ces
contrôles ont été dépêchés à la
suite des dénonciations du FONAC. Il faudra faire une observation dans
le temps pour conclure ou non à la systématisation du
contrôle administratif.
pratique, du fait de l'incapacité des douaniers
à abattre le gigantesque travail qui leur incombe. La présence
des << klébés >> est consacrée par le
versement systématique de 10% des amendes qui auraient été
perçues grâce à leur travail d'indicateurs. En quête
de célérité, les transitaires et autres usagers du port
trouvent en la personne des douaniers, de véritables alliés
stratégiques.
Le manque de personnel se fait également ressentir avec
acuité au niveau des unités administratives des services des
impôts. L'enquêté T., contrôleur général
des impôts, en témoigne : << Le man que de personnel est
le véritable problème du service des recettes. C 'est un
problème auxquels sont confrontés tous les démembrements
des services des impôts » . Les services de recette des centres
des impôts des petites entreprises comptent environ trois agents que sont
le receveur, le fondé de pouvoir et l'agent des collectivités
locales. Il en est de même au niveau des assiettes. Dans ces conditions,
respecter et faire respecter la règle revient, pour les agents publics,
à faire << un pari impossible >>. Un mécanisme
d'autorégulation se dégage de la relation entre les services des
impôts et les contribuables. Après le travail des enquêteurs
pour le recensement foncier urbain par exemple, il revient à un seul
inspecteur d'étudier la pile de données collectées et
d'émettre les avis d'imposition. Il ne dispose que de très peu de
temps pour le faire, ce qui ne lui permet pas d'effectuer le contrôle de
vérification sur le terrain, la priorité pour lui, étant
d'émettre les avis d'imposition,sous peine de se voir
blâmé. La fraude fiscale s'en trouve facilitée en ce sens
que les corps de contrôle vivant eux même le problème de
l'insuffisance du personnel se montrent plus compréhensif à
l'endroit des agents d'applications objectivement incapables de s'acquitter
convenablement de leur devoir. Dans ces conditions, l'Etat s'accommode fort
bien d'un quota fixé par le ministère des finances et que les
services des impôts ont la charge de recouvrer.
Cette caractéristique de l'administration publique
sert, dans bien de cas de paravent à la cupidité de certains
agents publics. Toutefois, il convient de souligner que les traitements de
salaires ne sont pas de nature à favoriser le respect de
l'éthique bureaucratique.
En règle générale, les salaires des
agents d'application sont d'un bas niveau. Les « mauvais »
traitements de salaire servent de référence aux discours de
légitimation des pratiques de corruption. La série d'affirmations
suivante en atteste : (( Mon père n 'est qu 'un petit fonctionnaire
d'Etat, comment aurait-il pu nous inscrire mes frères et moi, dans un
collège privé et nous assurer une bonne éducation s 'il n
'avait pas des à côtés ?(...) les à
côtés sont différents du vol mais ils aident beaucoup de
familles », confesse D., fils d 'un agent des impôts,
élève en classe de seconde ; (( La lutte contre la corruption
dans l 'administration publique doit commencer par l 'augmentation du salaire
des fonctionnaires. Si rien n 'est fait dans ce sens, la lutte contre la petite
corruption sera une injustice », déclare l 'enquêté
G., receveur des impôts. Les préoccupations d'un important
réseau d'ONG béninoises engagées dans la
réalisation des OMD s'inscrivent dans la même logique. A la
question de savoir quel type de lutte contre la corruption il faut pour le
pays, il répond : (( Rendre à César ce qui est
à César (...) bien payer nos policiers, douaniers et inspecteurs
des finances publiques et puis, tous ceux qui travaillent à la
mobilisation des ressources matérielles et humaines
»1.Les indicateurs de traitement de même que les
salaires bruts correspondants aux indices de traitement et à la nouvelle
valeur indiciaire permettent d'apprécier le niveau des salaires.
1 Huguette AKPLOGAN DOSSA, coordonnatrice de SOCIAL WATCH
Bénin, Quelle sorte de lutte contre la corruption dans mon pays ! !!,
SOCIAL WATCH BENIN Info, n°5, Oct-nov 2007.
VII: Indices de traitement
Echelons
|
Catégorie A
|
Catégorie B
|
Catégorie C
|
Catégorie D
|
Catégorie E
|
|
Agent de conception Diplômé de l'université
ou équivalentes
|
Agent d'application,
diplômé ou attestation de fin d'étude
de 1ère, 2ème ou 3ème
année
de l'université ou qualifications équivalentes
|
Agent d'encadrement diplômé
de fin d'études de 1ère,2ème
et
3ème année du collège polytechnique 2 ou
qualifications équivalentes
|
Agent d'exécution diplômé de fin
d'études de 1ère,
2ème et 3ème année du
collège polytechnique1
ou qualifications équivalentes
|
Emploi à initiation Préalable
|
|
Echelles
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
1
|
2
|
3
|
1
|
2
|
3
|
1
|
2
|
3
|
1
|
2
|
3
|
1
|
1
|
425
|
375
|
340
|
300
|
280
|
250
|
220
|
200
|
180
|
160
|
140
|
120
|
100
|
2
|
490
|
425
|
380
|
335
|
310
|
270
|
240
|
215
|
200
|
170
|
150
|
130
|
105
|
3
|
555
|
475
|
420
|
370
|
340
|
290
|
260
|
230
|
215
|
180
|
160
|
140
|
110
|
4
|
620
|
525
|
460
|
405
|
370
|
310
|
280
|
245
|
230
|
190
|
170
|
150
|
120
|
Promotion5
|
730
|
625
|
520
|
490
|
420
|
360
|
320
|
280
|
250
|
210
|
190
|
170
|
1140
|
6
|
815
|
675
|
560
|
525
|
450
|
380
|
340
|
295
|
265
|
220
|
200
|
180
|
150
|
7
|
880
|
725
|
600
|
560
|
480
|
400
|
360
|
310
|
280
|
230
|
210
|
190
|
160
|
8
|
1020
|
850
|
675
|
645
|
530
|
460
|
400
|
345
|
310
|
255
|
230
|
210
|
180
|
9
|
1090
|
900
|
725
|
680
|
560
|
480
|
420
|
365
|
325
|
265
|
240
|
220
|
190
|
10
|
1165
|
950
|
775
|
715
|
590
|
500
|
440
|
380
|
340
|
275
|
250
|
230
|
200
|
Promotion11
|
1250
|
1000
|
850
|
750
|
640
|
520
|
460
|
400
|
360
|
300
|
265
|
245
|
210
|
Promotion12
|
1300
|
1100
|
925
|
825
|
725
|
590
|
510
|
460
|
400
|
340
|
300
|
275
|
235
|
Source : Ministère de la fonction publique et de la
réforme administrative, Echelonnement indiciaire des corps des
personnels administratifs et établissements publics de l 'Etat.
Tableau VIII : Tableau brut correspondant aux indices de
traitement1
Echelons
|
Catégorie A
|
Catégorie B
|
Catégorie C
|
Catégorie D
|
Catégorie E
|
|
Echelles
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
1
|
2
|
3
|
1
|
2
|
3
|
1
|
2
|
3
|
1
|
2
|
3
|
1
|
1
|
90206
|
79594
|
72165
|
63675
|
59430
|
53063
|
46695
|
42450
|
38205
|
33960
|
29715
|
25470
|
21225
|
2
|
104003
|
90206
|
80655
|
71104
|
65798
|
57388
|
50940
|
45634
|
42450
|
36083
|
31838
|
27593
|
22286
|
3
|
117799
|
100819
|
89145
|
78533
|
72165
|
61553
|
55185
|
48818
|
45634
|
38225
|
33960
|
29715
|
23348
|
4
|
131595
|
111431
|
97635
|
85961
|
78533
|
65798
|
59435
|
52001
|
48818
|
40328
|
36083
|
31838
|
25470
|
Promotion5
|
154943
|
132656
|
110370
|
104003
|
89145
|
76410
|
67920
|
59430
|
53063
|
44573
|
40328
|
36083
|
29715
|
6
|
172984
|
143269
|
118860
|
111431
|
95513
|
80655
|
72165
|
62614
|
56246
|
46695
|
42450
|
38205
|
31838
|
7
|
186780
|
153881
|
127350
|
118860
|
101880
|
84900
|
76410
|
65798
|
59430
|
48818
|
44573
|
40328
|
33960
|
8
|
216495
|
150443
|
143269
|
136901
|
112493
|
97635
|
84900
|
73220
|
65798
|
54124
|
48818
|
44573
|
38205
|
9
|
231353
|
191025
|
153881
|
144330
|
118860
|
101880
|
89145
|
77471
|
68981
|
56246
|
50940
|
46695
|
40328
|
10
|
247274
|
201638
|
164494
|
151759
|
125228
|
106125
|
93390
|
80655
|
72165
|
58369
|
53063
|
48818
|
42450
|
Promotion11
|
265313
|
212250
|
180413
|
159888
|
135840
|
110370
|
97635
|
84900
|
76410
|
63675
|
56246
|
52001
|
44573
|
Promotion12
|
275925
|
233475
|
196334
|
175106
|
153881
|
125228
|
108248
|
97635
|
84900
|
72165
|
63675
|
58365
|
49879
|
Source : Ministère de la fonction publique et de la
réforme administrative, Echelonnement indiciaire des corps des
personnels administratifs et établissements publics de l 'Etat.
1 Les promesses de relèvement du point indiciaire n'ont
pas encore connu un début d'application.
Le faible niveau des salaires touche tous les agents publics
mais il se fait surtout ressentir au niveau des agents d'application,
d'exécution et d'emploi à initiation préalable. D'un
secteur à l'autre, ce faible niveau des salaires implique des
conséquences diverses.
Un receveur des impôts, recruté sur la base du
BEPC, intègre la fonction publique en tant qu' agent de la
catégorie C3. Après 18 mois de formation et de service, il passe
dans la catégorie C1. Son salaire brut est alors de 46695 FCFA.
Après 12 ans de services, il passe au cinquième grade de cette
même catégorie et son salaire brut est de 69720 FCFA. Ce salaire
brut subira divers types de prélèvement qui seront
compensés par les primes et les indemnités. Son revenu net
n'excède pas 80000 FCFA s'il n'occupe aucun poste de
responsabilité. Sur cette base, l'agent public est amené à
faire des dépenses incompressibles qui se présentent dans le
tableau IX ci-après.
Tableau IX : Dépenses incompressibles
Type de dépense
|
Loyer
|
Déplacement
|
Restauration
|
Coût minimal en F CFA
|
15000
|
15000
|
30000
|
Total des dépenses minimales
|
60000
|
Source : Données de terrain, novembre 2007.
Des dépenses importantes liées à
l'accès à l'électricité et à l'eau de
même que les frais de communication s'ajoutent aux dépenses
incompressibles, de sorte que le revenu salarial est vite épuisé.
La plupart des agents publics sont des hommes dont les femmes, dans leur
majorité, ne travaillent pas. Ces derniers vivent donc en permanence une
situation de précarité et sont perpétuellement en
quête d'occasion pour « arrondir » leur salaire. Les
problèmes liés à la prise en charge sanitaire par l'Etat
viennent compliquer la situation car tout problème de santé
entraîne des dépenses
considérables. Dans ces conditions, tout agent public
se doit de faire face à deux impératifs : assurer les
dépenses incompressibles et les dépenses de grande utilité
tout en réalisant des économies en prévision des jours
difficiles. De nombreuses pratiques de petites de corruption peuvent s'analyser
comme relevant d'une stratégie de survie des agents publics comme en
témoigne l'enquêté M., receveur des impôts : «
Si je ne fais pas des concessions aux gens, non seulement j 'aurai des
problèmes avec mon entourage mais en plus je ne pourrai pas vivre comme
il faut avec ma femme et mes enfants. C 'est vrai que nous devons travailler
pour faire vivre l 'Etat mais nous avons besoin aussi d'être en vie
».
S'il est vrai que la corruption peut s'appréhender
comme la revanche d'agents objectivement privés d'avenir, il n'en
demeure pas moins que la cupidité y occupe également une grande
part. Une fois les besoins élémentaires satisfaits, les hommes
sont portés vers la satisfaction de besoins plus grands, se donnent de
nouvelles ambitions et se comportent comme de véritables entrepreneurs
au sein de l'Etat. C'est le cas de la corruption à la douane du port
autonome de Cotonou où la mise en place de mécanismes d'octroi de
primes sur la base des faux frais n'a pas pour autant suffi à calmer les
appétits de certains agents.
2. Attitudes et représentations autour de la
corruption.
La généralisation et la banalisation de la
corruption n'ont pas pour autant induit une totale acceptation du fait par les
acteurs sociaux. En effet, la sémiologie populaire fait ressortir deux
types de corruption autour desquelles s'articulent différentes sortes de
réaction.
2.1. Le paradoxe de la dénonciation
Les actes de corruption commis par les responsables politiques et
les hauts fonctionnaires d'Etat font l'objet d'une vive condamnation au sein
de
l'opinion publique. Les détournements de deniers
publics et tous les actes de corruption qui se répercutent de
manière significative sur la trésorerie nationale sont vivement
réprouvés. C'est d'ailleurs la lutte contre ce type de corruption
qui mobilise l'attention des organes de lutte, en particulier celle des
Organisations de la société civile (OSC). La sémiologie
populaire regorge de termes retraçant la dureté du discours
populaire au sujet des acteurs de ce type de corruption : << é
dou tó bi >> (ils ont bouffé tout le pays) ; <<
é bló jonicus >> (ils ont organisé la
magouille), sont les expressions usuelles servant à stigmatiser ces
pratiques. Il est curieux de constater que même les acteurs s'adonnant
à des pratiques de corruption réprouvent et dénoncent la
grande corruption. C'est le cas des contribuables et des agents des services
des impôts qui s'allient pour organiser la fraude fiscale : <<
la lutte contre la corruption doit se mener contre ceux qui bouffent des
millions. Nous, on se bat pour faire entrer de l 'argent dans les caisses de l
'Etat même si on ne paye pas tout ce qu 'on doit mais eux ils ne font
rien et se servent royalement >> (v., contribuable). Ce constat
appelle à une relecture d'une des thèses de De SARDAN selon
laquelle la logique de l'autorité prédatrice serait
communément admise. Dans cette perspective, l'imaginaire collectif
admettrait que les hommes politiques se << servent >> dans la
caisse de l'Etat (De SARDAN, 1998). S'il fut une époque où cela
pouvait être admis, les vives récriminations des responsables
d'Organisations de la société civile (OSC) et de nombreux
citoyens à la faveur des émissions interactives animées
par les médias autorisent à rouvrir le débat sur la
question1. Si autrefois les récriminations contre les actes
de détournements semblaient être l'apanage des Organisations de la
société civile (OSC) et de certains partis de l'opposition, les
récents évènements survenus sur la scène politique
lui ont donné une autre
1 Ceci ne veut absolument pas dire que la dénonciation
de la grande corruption implique une perte systématique de
légitimité pour les hommes politiques indexés. Par
exemple, monsieur Séfou FAGBOHOUN sur lequel pesait des soupçons
de corruption et qui étaient sous mandat de dépôt n'eut pas
trop de mal à se faire élire comme député lors des
législatives de 2007. Une étude sur les déterminants du
comportement électoral des citoyens béninois permettrait sans
doute de circonscrire le débat.
ampleur. Ainsi, la prise officielle de distance
vis-à-vis de la corruption semble être devenue un mode d'action
politique. Ceci peut paraître paradoxal en ce sens que le
clientélisme politique est demeuré une variante fondamentale du
jeu politique et un élément déterminant dans les
stratégies de conquête du pouvoir au Bénin. Il s'agit
là du dilemme de l'homme politique béninois devant prendre ses
distances vis-à-vis de la corruption pour avoir la sympathie du Chef de
l'Etat mais se retrouvant dans un environnement politique hautement
concurrentiel où la redistribution des prébendes semble
être la stratégie gagnante. S'il est vrai que la victoire aux
élections est le résultat de la combinaison de plusieurs
facteurs, il n'en demeure pas moins que l'argent y occupe une grande
place1. En l'absence d'une politique nationale de financement des
partis politiques, la mobilisation des frais de campagne est la
préoccupation fondamentale des responsables politiques et les
opportunités structurelles de corruption qu'offre l'Etat apparaît
comme la panacée. Deux alternatives se présente aux hommes
politiques : mobiliser, sur fond de corruption, les ressources
financières2 à investir dans la campagne en
espérant gagner et avoir davantage de pouvoir ou alors ne pas en
mobiliser et nourrir le risque de perdre les élections, faute de moyens.
La deuxième option paraît suicidaire et de nombreux hommes
politiques semblent préférer le risque de la première
option3.
1 Au lendemain des élections législatives de
mars 2003, Antoine Idji KOLAWOLE élu président de
l'assemblée nationale par ses collègues de la mouvance attira,
dans son discours inaugural, l'attention de tous les hommes politiques sur le
poids considérablement inquiétant de l'argent dans les campagnes
électorales. Il en fera de même dans sa dernière allocution
en tant que président, aux lendemains des législatives de
2007.
2 Les hommes politiques n'ayant pas de positions de pouvoir et
ne pouvant de ce fait pas puiser directement dans les caisses de l'Etat,
contractent des dettes qu'ils espèrent rembourser, d'une manière
ou d'une autre, une fois au pouvoir.
3 Il est vrai qu'en attendant le verdict de la justice, les
récents rapports de l'inspection générale d'Etat doivent
être pris avec prudence mais le fait qu'ils aient indexés des
proches du Président de la République qui venaient d'être
élus à L'Assemblée Nationale(rendent plausible cette
hypothèse. En effet, Marcellin ZANNOU, Célestine ADJADOHOUN et
Luc da Mata SANTANA, avant d'être élus sur la liste FCBE
étaient respectivement responsables à la douane du port autonome
de Cotonou et à la société béninoise
d'énergie électrique SBEE.
2.2. La normalisation de la corruption
L'unanimité avec laquelle la totalité des
acteurs condamnent les actes de détournements de deniers publics,
cède le pas à une diversité de réactions lorsqu'il
s'agit des actes de corruption opérés par les agents publics. Si
les acteurs de la lutte contre la corruption et, plus particulièrement
les acteurs de la société civile réprouvent toutes les
pratiques qui ne correspondent pas à l'éthique bureaucratique,
les autres acteurs émettent des avis différents suivant le type
de corruption. Exiger de l'argent avant de rendre un service dont
l'accomplissement n'implique aucune transgression des règles
établies est considéré par tous comme un
rançonnement, une extorsion. Par contre, lorsque la transgression de la
règle revêt un certain intérêt pour l'usager, l'agent
public est perçu comme un bienfaiteur. Dans ce cas, la commission qui
lui est versée apparaît comme la manifestation de la gratitude de
l'usager à l'égard d'un bienfaiteur. Les données
recueillies révèlent que la perception de la corruption n'est pas
toujours en phase avec la définition opératoire qui lui a
été donnée : << ensemble de pratiques concourant
à des formes illicites d'enrichissement et relevant d'agents investis de
pouvoir public. Le douanier, l'inspecteur des finances seront << bons
>> ou << mauvais >> en fonction de leur <<
humanité >>, c'est-à-dire selon qu'ils soient en mesure de
donner satisfaction à de << pauvres >>usagers dont les
préoccupations sont éloignées des normes et
procédures << complexes et encombrantes >> de l'Etat. Il
s'ensuit que les agents publics vivent en permanence une pression sociale les
incitant à déroger à la règle. La perception
sociale définie donc un seuil de normalité des pratiques
corruptrices. Le tableau X et le graphique n°4 rendent compte de la
perception de la corruption.
Tableau X: Perception sociale de la
corruption
Type de corruption
|
Détournement de deniers publics ;
Surfacturation ;
|
Rançonnements
|
Népotisme ;
Favoritisme
|
Clientélisme politique
|
Arrangements
|
Pourcentage
|
60
|
15
|
10
|
10
|
5
|
Source: Données de l'enquête de terrain, septembre
2007. Graphique 4 : Perception sociale de la corruption
10% 5%
10%
15%
Détournement de denier public Rançonnements
Népotisme
Clientélisme politique Arrangements
60%
Mieux, cette perception, dans ses rapports à
l'administration publique a conduit à l'instauration de normes pratiques
en remplacement des normes officielles. Toutes les pratiques relevant de la
corruption normalisée tendent à devenir des faits sociaux. Divers
éléments du contexte socio culturel servent à en
définir le caractère coercitif, qu'il s'agisse des réseaux
sociaux ou de la menace sorcelaire1. La substitution des normes
pratiques aux normes officielles devient, dans ces conditions, le mode de
fonctionnement par excellence de l'administration publique béninoise.
Les propos de l'enquêté M., receveur des impôts, sont
récurrents : « nous devons nous montrer compréhensif
avec les contribuables, discuter de leurs problèmes avec eux et
1 Cela ne veut aucunement dire que l'initiative de la
corruption incombe toujours au contribuable et que les agents publics n'y ont
aucune responsabilité. Nous tenons simplement à souligner que
certains aspects de la corruption ne constituent pas, aux yeux de certains
citoyens, un obstacle au développement.
envisager les solutions qui les arrange et qui ne portent
pas préjudice à l'Etat ».
La normalisation de la corruption, si elle est le fait
d'acteurs « d'en bas »1 qui y trouvent une
façon efficace de s'adapter à un Etat contraignant qui ne ferait
qu'exiger sans rien offrir en retour, sert de support à la grande
corruption et contribue ainsi à reproduire le cercle vicieux. La
thèse de CROZIER sur le management des organisations (CROZIER, 1977)
s'applique bien à propos. En effet, il établit que, dans
l'exercice de ses prérogatives, tout responsable s'appuie sur
l'application des règles en vigueur au sein de l'organisation. Bien
souvent, l'efficacité de l'organisation nécessite que certaines
règles qui arrangeraient les subordonnés ne soient pas
appliquées (par exemple l'interdiction de travail supplémentaire
au-dessus d'un certain seuil). Pour être en mesure de violer ces
règles, le responsable se trouve contraint de laisser les
subordonnés en violer eux-mêmes quelques unes. Ce faisant, il se
donne un moyen efficace de chantage en menaçant désormais
d'appliquer toutes les règles si les subordonnés ne se montraient
pas coopératifs. Appliquée au contexte béninois, cette
théorie permet de comprendre les mécanismes de reproduction de
l'entreprise de la corruption. En permettant aux agents publics « d'en
bas » de s'adonner à des pratiques corruptrices dont ils ont
connaissance, les hauts fonctionnaires d'Etat et les responsables politiques se
donneraient ainsi un moyen de les rendre « coopératifs ». En
effet, dans bien de cas, les opérations de surfacturations et les
différents mécanismes de détournements ne peuvent se faire
qu'avec la complicité active ou passive de certains agents publics.
L'exécution des dépenses publiques étant régi par
le principe de la séparation des pouvoirs de l'ordonnateur et du
comptable, il s'ensuit que le ministre et le directeur de société
n'ont pas directement accès
1 Cette terminologie se situe dans la perspective de Jean
François BAYART qui désigne par là tous les acteurs qui
n'ont pas accès aux instances de décision et qui subissent, d'une
manière ou d'une autre, les décisions prises. Ce terme
intègre aussi bien les citoyens que les agents publics qui ont la charge
d'exécuter les ordres des pouvoirs publics.
aux comptes. Il leur faut pour cela, le soutien et la
collaboration de leurs subordonnés. Cette même analyse pourrait
être rapportée au fonctionnement général de l'Etat.
Incapable de payer les fonctionnaires à l'indice réel, l'Etat ne
les laisserait-ils pas s'adonner à des pratiques leur permettant de
recouvrer la partie impayée de leur salaire ? Le fait qu'aucune mesure
d'éradication de la corruption dans la douane dont tous s'accordent
à reconnaître l'existence et l'acuité, n'est-il pas
imputable à un accord tacite entre l'Etat et les douaniers cela ? Le
ralentissement de l'élan de la CMVP suite à la grève de
dénonciation de ses méthodes organisée par les douaniers
en 1999 et qui coûta plusieurs centaines de millions à
l'Etat1 rend plausible une telle hypothèse. D'ailleurs, force
est de constater qu'aucune mesure véritable n'a été prise
depuis lors pour lutter contre la corruption dans ce secteur et les faux frais
continuent d'avoir droit de cité au port autonome de cotonou.
3. Interprétation des données
recueillies
La mise en exergue des stratégies de contournement des
actions anti corruption constitue certes, une éclairante contribution
à l'explication de la persistance du phénomène mais elle
ne suffit pas à en rendre compte totalement. Les conclusions de la
présente étude auraient certainement été partielles
si certaines caractéristiques de l'environnement sociopolitique qui
favorisent l'émergence de comportements en marge de l'idéal
bureaucratique(CHABAL et DALOZ,1999), au sein de l'administration publique
n'avaient pas été étudiées. Les données
recueillies au cours de la recherche rendent plausible la deuxième
hypothèse de travail qui postule l'existence de facteurs sociopolitiques
facilitant la perpétuation des pratiques de corruption. En effet, les
conditions d'existence et de travail au sein de l'administration publique
déterminent considérablement les pratiques de
1 Pour 25 Millions de francs CFA
récupérés par la Commission, la grève des douaniers
a fait perdre à l'Etat 2 milliards de francs CFA uniquement à la
recette de la douane de Cotonou Port. la Nation, n°2361, 8
Novembre 1999
corruption. Les données de l'enquête
révèlent qu'il est objectivement difficile à certains
agents publics, de vivre décemment en s'en tenant uniquement à
leurs salaires. Les pratiques de petite corruption de certains agents publics,
par agrégation, amenuisent considérablement les recettes
publiques et affectent ainsi la capacité de l'Etat à assurer des
conditions décentes d'existence et de travail à ces mêmes
agents. De ce fait, la corruption participe à la reproduction de la
corruption. L'hypothèse de l'existence de facteurs sociopolitiques
facilitant la persistance de la corruption se trouve également
confortée par une autre catégorie de faits. Le champ politique
béninois est fortement marqué par le clientélisme
politique dont la conséquence immédiate est le pillage des
ressources et le bradage du patrimoine de l'Etat par les dirigeants et leurs
partis politiques. Les données de l'enquête révèlent
que le clientélisme politique est un facteur structurant du champ
politique béninois. S'il n'est pas possible d'affirmer avec certitude
que les hommes politiques s'adonnent au clientélisme par pure
cupidité, l'on peut soutenir en revanche, que ce serait un pari
risqué pour ces derniers que de s'en passer. L'existence de facteurs qui
contribuent à la production et à la reproduction de la corruption
rend donc entièrement plausible l'hypothèse de l'existence de
facteurs sociopolitiques déterminant une attitude favorable à la
corruption.
CONCLUSION
La corruption est un phénomène mondial et
multiséculaire dont aucune forme de gouvernement ni aucun régime
n'a su se débarrasser de façon définitive même si
par endroit, on arrive à la maîtriser. Au Bénin, les
manifestations de la corruption sont multiples et le phénomène
suit sa dynamique propre. L'univers de la corruption est marqué par ses
logiques et ses stratégies dominantes. De même, les acteurs de la
corruption suivent avec attention la dynamique de la lutte contre la corruption
et peaufinent leurs stratégies en conséquence. Des
solidarités de corps se nouent au sein de l'administration publique dont
de nombreux agents se comportent comme de véritables entrepreneurs,
faisant leurs affaires sur le dos de l'Etat. Sans aller jusqu'à remettre
en cause la bonne foi des acteurs engagés dans la lutte contre la
corruption et la sincérité des rhétoriques politiques ,
l'on est bien obligé d'admettre que les réformes et les mesures
de lutte n'ont jusque là pas tenu compte de certaines
caractéristiques sociopolitiques du Bénin. Les données
recueillies lors de ce travail de recherche, corroborent entièrement les
deux hypothèses de travail qui postulaient que la persistance de la
corruption est à mettre en relation avec les stratégies de
contournement des actions anti corruption que développent les acteurs de
la corruption et avec certains facteurs sociopolitiques qui prévalent au
Bénin.
L'efficacité des réformes actuelles et
ultérieures tiendra de leur capacité à intégrer
trois éléments d'une grande importance. En premier lieu, il
faudra effectuer une refonte du système politico électoral de
manière à définir et à contrôler les
mécanismes de financement des partis politiques afin de réduire
le clientélisme politique. Ensuite, il faudra entreprendre une
réforme de l'administration dans le sens de sa dépolitisation
grâce à l'établissement de profil de compétence pour
les postes de responsabilités et à la réduction de la
marge d'arbitraire des responsables politiques. Une telle
réforme mettra un point d'honneur à relever le traitement
indiciaire des agents publics. Enfin, il s'avère impérieux de
réduire la distance culturelle qui sépare les citoyens de
l'administration afin d'induire une mobilisation citoyenne pour le respect de
l' éthique bureaucratique.
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38. Transparency International, Rapport Mondial sur la
corruption en 2005, Paris, Economica, 2006, 386p.
39. VIGNIGBE M., Corruption et impunité : Les
détournements de deniers publics au Bénin : de 1990à 2002,
Cotonou, Ecb, 2005, 194p.
40. VITTIN T., Esquisse de la formation et de l
'évolution des élites modernes au Bénin, Bordeaux,
1999, 92p.
41 . KLITGAARD R., Combattre la corruption,
Régional Service Center, édition française, manille,
Nouveaux Horizons, 1997, 342p.
42. YAHOUEDEHOU J., Crépuscules d'un dictateur,
Cotonou, Planète Communications, 2003, 239p.
43. YAHOUEDEHOU J., Les vraies couleurs du
caméléon, Cotonou, Planète Communications, 2002,
227p.
Annexes
Annexe I : GUIDES D'ENTRETIEN PAR GROUPE CIBLE
I- Groupe-cible des acteurs de la lutte contre la
corruption
+ Niveau de connaissance des manifestations de la corruption.
+ Expérience en matière de lutte contre la
corruption.
+ Relation avec les acteurs de la corruption.
+ Appréciation du niveau de mobilisation sociale pour la
lutte contre la corruption.
+ Appréciation de l'état de la lutte contre la
corruption au Bénin : atouts et faiblesses.
II- Groupe-cible des acteurs potentiels de la
corruption
+ Différentes manifestations de la corruption dans le
secteur d'activité.
+ Historique des actions de lutte contre la corruption
menée dans le secteur d'activité.
+ Relations personnelles avec les acteurs de la lutte contre la
corruption.
+ Relation entre le corps de métier et les acteurs de
lutte contre la corruption.
+ Appréciation de l'attitude des citoyens
vis-à-vis de la corruption.
+ Description des conditions d'existence et de travail.
+ Défis à relever par la lutte contre la
corruption.
III- Groupe-cible des victimes supposées de la
corruption
+ Description des diverses formes de corruption.
+ Appréciation de la lutte contre la corruption
+ Degré d'implication dans la lutte contre la
corruption.
- Description des changements d'attitudes des acteurs potentiels
de la
corruption suite à la prise de mesures de lutte.
- Histoires de vie sur le rapport à la corruption.
- Défi à relever par la corruption.
IV- Groupe-cible des proches des acteurs potentiels de
la corruption
+ Perception du phénomène de la corruption.
+ Connaissance de l'implication du parent dans les pratiques de
corruption.
+ Raisons de la persistance de la corruption.
+ Histoires de vie sur la corruption du parent ou d'autres
personnes.
+ Histoires de vie sur l'implication personnelle dans les
pratiques de
corruption
Table des matières
DEDICACE II
REMERCIEMENTS III
SIGLES ET ACRONYMES IV
LISTE DES TABLEAUX, GRAPHIQUES ET FIGURES V
RESUME VI
INTRODUCTION 1
PREMIERE PARTIE : FONDEMENTS THEORIQUES ET
METHODOLOGIQUES 3
CHAPITRE I : FONDEMENTS THEORIQUES 4
1. PROBLEMATIQUE 4
1.1. PROBLEME 4
1.2. HYPOTHESES ET OBJECTIFS 6
1.2.1. HYPOTHESES 6
1.2.2. OBJECTIFS 7
1.2.2.1. OBJECTIF GLOBAL 7
1.2.2.2. OBJECTIFS SPECIFIQUES 7
1.3. ETAT DE LA QUESTION 7
2. CLARIFICATION CONCEPTUELLE 14
CHAPITRE II : APPROCHE METHODOLOGIQUE 20
1. JUSTIFICATION DU CHOIX DU CADRE D'ETUDE
20
2. NATURE DE L'ETUDE 23
3. GROUPE CIBLE ET ECHANTILLONNAGE 23
3.1. GROUPES CIBLES 24
3.2. ECHANTILLON 24
4. TECHNIQUES ET OUTILS DE COLLECTE 27
4.1. RECHERCHE DOCUMENTAIRE 27
4.2. LES TECHNIQUES D'ENTRETIEN ET D'OBSERVATION
28
5. CHRONOGRAMME 28
6. DIFFICULTES RENCONTREES 29
DEUXIEME PARTIE : DYNAMIQUE DE LA CORRUPTION
31
CHAPITRE I : DU JEU DES ACTEURS 32
1. TYPOLOGIE DES ACTEURS DE LA LUTTE CONTRE LA
CORRUPTION 32
1.1. LES ACTEURS NON ETATIQUES 32
1.2. LES ACTEURS ETATIQUES 35
1.3. INTERACTIONS ENTRE LES ACTEURS DE LA LUTTE CONTRE LA
CORRUPTION 37
2. LES STRATEGIES DE CONTOURNEMENT 39
2.1 LE CONTO URNEMENT DES REGLES DANS LA PASSA TION DES
MARCHES PUBLICS 40
2.2 LA DOUANE ET LES IMPOTS 42
3. LA CONSTRUCTION DE L'IMPUNITE 47
3.1. L 'EXPLOITATION DES FAIBLESSES DE L 'ETAT 47
3.2 MENACES ET COOPTATION 49
4. INTERPRETATION DES RESULTATS 52
CHAPITRE II :DU CERCLE VICIEUX DE LA CORRUPTION
54
1. LES CONDITIONS D'EXISTENCE ET DE TRAVAIL
54
2. ATTITUDES ET REPRESENTATIONS AUTOUR DE LA CORRUPTION
61
2.1. LE PARADOXE DE LA DENONCIATION 61
2.2. LA NORMALISATION DE LA CORRUPTION 64
3. INTERPRETATION DES DONNEES RECUEILLIES 67
CONCLUSION 69
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES 71
ANNEXES 75
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