4. L'équation : Crise ouverte +
Défections de cadres = Défaite
Donc le départ de plusieurs de ses responsables
nationaux et régionaux, qui ont suivi Djibo KA en 1998, puis Moustapha
Niasse en 1999, avait montré l'étendue des divisions au sein
d'une formation que l'on savait déchirée par des querelles de
« tendances ».
Seul le maintien d'une position électorale dominante
avait permis jusqu'ici de garder un semblant de consensus. En fait, depuis au
moins la fin des années 1980, la mission essentielle du parti
était, essentiellement, de constituer un relais électoral au
profit d'un leader, lui-même doté des pleins pouvoirs pour faire
et défaire ses équipes dirigeantes.
Le PS avait déjà connu des remous et des
désillusions avant les élections présidentielles de 2000.
Comme nous l'avons vu, dès 1988, après des élections
marquées par l'affermissement de l'opposition derrière Abdoulaye
Wade, et l'irruption d'une contestation urbaine de plus en plus difficile
à circonscrire, le parti socialiste avait dû passer par une
série de remises en question. Elles étaient illustrées par
la difficulté grandissante à tenir les congrès successifs
du PS sans étaler au grand jour les divergences de stratégies. On
peut penser cependant que le plus grand ébranlement pour le PS est venu
de l'expérience des gouvernements de majorité élargie qui,
à partir de 1991, a permis d'associer plusieurs partis d'opposition
à la gestion des affaires.
Habitués à la fusion des pouvoirs entre le parti
et l'Etat, les socialistes sénégalais ont eu du mal à
digérer cet amoindrissement, surtout symbolique, de leur position. Mais
les reculs électoraux successifs ont montré toute la
validité de leurs inquiétudes. La volonté de Diouf,
dès ces années-là, de « prendre de la
hauteur » et de s'écarter de la gestion du parti, a accru la
déstabilisation d'un parti qui supportait dès lors de moins en
moins de se voir considérer comme une simple machine à faire
voter, où un centralisme pesant tuait toute velléité de
débat. Le choix formulé dès 1995 de transmettre les
clés du parti à l'homme de confiance du Président, Ousmane
Tanor Dieng, a cependant été fatal.
Les autres prétendants à la succession, aussi
bien que les « barons » du PS n'ont pas supporté
d'être marginalisés par la faute d'un homme dont la
ténacité et le manque de diplomatie leur semblaient être
les principales caractéristiques. La suite est connue :
tentés de faire apparaître leur différence tout en restant
dans la maison, les chefs de file des courants
« légitimistes » ou
« rénovateurs » étaient
désavoués.
En initiant son
« renouveau démocratique », surtout
dirigé contre les nouvelles instances dirigeantes mises en place par
Tanor Dieng, Djibo Leyti KA s'est vu montré la porte de sortie. Il
entraîna avec lui quelques cadres, et emportait aussitôt un franc
succès aux élections législatives de 1998. La
défection de Moustapha Niasse était encore plus retentissante,
s'agissant d'un des hommes politiques du PS les plus chevronnés,
à la tête de vastes réseaux d'amitié et
d'intérêts au sein du pays.
Nombreux avaient été auparavant les socialistes
à s'inquiéter des conditions dans lesquelles Abdou Diouf avait
procédé, en 1998, à une refonte constitutionnelle qui
l'autorisait à se représenter pour un troisième mandat,
en l'an 2000. Conjugué avec l'adoubement d'Ousmane Tanor Dieng comme
successeur désigné, la décision a paru dangereuse et
inique car Diouf qui se posait lui-même en candidat de transition,
ne laissait dans le même temps aucune chance à la
compétition loyale entre prétendants socialistes. Les
dénonciations devenues criantes, du « centralisme
démocratique », y compris parmi les fidèles de Diouf,
ont montré quel était l'état d'esprit dominant.
Au sortir des élections, les socialistes ne savaient
plus à quoi se raccrocher. « Ils espèrent que la
déroute des présidentielles sera sanctionnée par le
départ de Ousmane Tanor Dieng » (Alioune Fall, du quotidien
Wal Fadri).
Conclusion
Au Sénégal, plus qu'ailleurs, on a le souci de
la convenance institutionnelle, et on a su, bien mieux qu'ailleurs, tirer tous
les fruits diplomatiques d'une excellente image de marque du pays. Une image
qui paraît excessive car Senghor n'a certainement pas inventé le
multipartisme en Afrique. Mais, il a su diffuser, avec élégance,
une belle image doté d'un vrai contenu : le Sénégal
était réputé pour sa culture, pour son enseignement
supérieur, pour sa justice et son administration. Cependant, les
étudiants révoltés de mai 68 à Dakar, aujourd'hui
au pouvoir, le savent bien, il en était tout autrement pour son
libéralisme politique.
Abdou Diouf a créé en 1981 la démocratie
sénégalaise, ou plutôt une forme adaptée de
socio-libéralisme, en instaurant le multipartisme intégral. Mais
le climat libéral ne fut jamais dans les années Diouf le synonyme
d'un jeu démocratique régulier.
Les élections de 1988 (comme nous l'avons
souligné à plusieurs reprises) se sont tenues dans la violence
pour se prolonger dans l'arbitraire avec l'arrestation des leaders
d'opposition. Elles ont surtout permit à Abdou Diouf d'affermir ses
positions au sein du « Parti-Etat » socialiste.
Les « gouvernements de majorité
élargie », ont abusivement été qualifiés
de « gouvernements d'union nationale ». Ils ont surtout
servi au maintien du statu quo, en brouillant aux yeux de l'opinion
les possibilités d'une alternance. Les élections de 1993 ?
Elles sont manifestement « entachées de fraude »
(selon nos interviewés), et donnèrent comme les scrutins suivants
l'exemple d'une faible maîtrise logistique des opérations
électorales. La modification constitutionnelle de 1998 ? Elle parut
« scandaleuse, et ne fut qu'une manipulation institutionnelle aux
seules fins d'ajouter un ultime mandat de sept ans à deux
décennies de règne sans partage de Diouf » (Demba
N'Diaye, rédacteur en chef du journal, Sud Quotidien). A quoi
on ajoutera une tradition de violences pré et post-électorales
endémiques, et surtout cet immobilisme tragique d'un système
socialiste vieux d'un demi-siècle, avec son lot de corruption
régulée et de clientélisme parasitaire, le déclin
économique fournissant une illustration dangereuse de ce blindage
politique. Pendant ce temps, et les intellectuels sénégalais
n'ont cessé de dire, relayés par une presse dont le
professionnalisme est à souligner (nous y reviendrons), que l'Afrique
changeait, quand le Sénégal se banalisait.
Les présidentielles de 2000, même si le recul
manque encore, sont exemplaires et dans la lignée des
législatives de 1998. Elles sont beaucoup plus satisfaisantes que les
précédents exercices.
Pour la première fois un observatoire (l'ONEL) a joui
d'une réelle indépendance. Pour la première fois, un
effort louable de « nettoyage » du fichier électoral
a été entrepris par un ministre de l'Intérieur, dans une
rare transparence (soulignons que le fichier était accessible sur
Internet) malgré la polémique des cartes d'électeurs.
Surtout, pour la première fois, le Parti Socialiste trouvait sur sa
route certains de ses anciens dirigeants, parfaitement conscients des
méthodes et ficelles du passé en matière de manipulation
électorale. Aussi, la fraude a paru spécialement limitée,
malgré quelques accrocs, au moment où la société
civile et les partis politiques montraient un remarquable savoir-faire dans le
quadrillage et le contrôle des procédures de vote sur tout le
territoire.
Tout ceci constitue beaucoup de points positifs. A quoi on
ajoutera le geste de Diouf, saluant la victoire de son adversaire avant la
proclamation officielle des résultats. Un beau geste (politique). Abdou
Diouf désarmait ainsi l'acrimonie et les envies de revanche de ses
ennemis d'hier et coupait court à toutes les velléités de
résistance extra-électorale de son camp. Il se donnait une figure
de digne démocrate au moment du retrait. Les sénégalais
ont fait leurs délices de cet acte politique, en oubliant que d'autres
ont pu l'accomplir, il y a déjà longtemps, en d'autres
circonstances. En 1990, Aristides Pereira, Président du Cap-Vert,
adressait par anticipation ses félicitations à son challenger.
Pour comprendre cet enthousiasme, il faut voir ce que
représente ces élections pour les sénégalais et
surtout, après les cadres politico-institutionnels, les conditions
sociales de cette alternance.
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