L'impérialisme culture occidental et devenir de la culture africaine: Défis et perspectives( Télécharger le fichier original )par Bernard ZRA DELI Grand Séminaire Saint Augustin de Maroua - Fin de cycle de Philosophie (Licence) 2008 |
I-3.2. L'IMPERIALISME CULTURELLa rencontre avec « l'autre » n'a jamais été à priori positif. Elle a souvent créé un esprit de domination. Le monde culturel n'est pas épargné de ce phénomène de domination parce que c'est l'homme qui véhicule la culture. Cependant, il n'existe pas jusqu'aujourd'hui un étalon du jugement de valeur. Toutes les cultures se valent dans la mesure où chacune d'elle répond à une des préoccupations d'un peuple donné. Avec la montée vertigineuse de la volonté de puissance de trois mondes aujourd'hui: l'Amérique, l'Europe et l'Asie, l'on ne cesse de s'interroger sur le devenir de la culture des minorités. En Afrique, l'impérialisme culturel occidental demeure l'opium du peuple28(*). Il impose ses conceptions, ses formes de vie et ses jugements. Cette ambition impérialiste est de plus en plus aiguë et fait de la culture une arme offensive et défensive masquée par l'essor des mass médias, des nouvelles technologies qui séduit de milliers de peuples aux cultures « pauvres ». L'impérialisme culturel occidental en Afrique place dans une incertitude sur l'avenir des peuples minoritaires dans le « village planétaire ». C'est une forme d'asservissement, d'assujettissement des minorités, une pieuvre à mille tentacules qui pénètre allègrement nos âmes. Ce phénomène de domination s'exprime dans l'abandon de sa propre culture pour s'approprier celle de l'autre. Dans une telle circonstance, on ne cherche plus à être soi-même. Il y a là une fuite de la réalité de soi. Être comme l'autre si on ne peut pas devenir lui, tel est l'idéal ou la pensée qui ne cesse de hanter en ce moment les esprits des minorités. Réfléchir, penser, être, parler, vivre n'est plus le fruit de ce qu'on est, mais celui de l'autre, du dominant qui reste tout de même périlleux. Les médias sensés informer et sensibiliser le peuple sur sa situation l'ont fait plutôt endormir en Afrique. Et comme le dit si bien René DUMONT, l'Africain cherche « à raisonner comme Descartes ou Bacon, se sert des biens de consommation européens. Il vivra bientôt en admiration irraisonnée, et plus que jamais depuis l'indépendance, devant ce qui vient du Royaume-Uni, en Afrique anglophone ; de Belgique, au Zaïre ; de France, en Afrique francophone. »29(*) Ce propos illustre bien notre situation d'hommes africains divisés au-dedans de nous-mêmes et surtout tournés vers l'autre. Il est vrai que la rencontre avec l'autre peut être enrichissante dans le cas où nous sachions tirer profit de ce qu'il nous présente. À cet effet, nous devons marier la nouvelle façon de faire avec les circonstances de notre milieu social. Pour preuve, le Japon nous en dit mieux à ce niveau. Car ce pays a su s'ouvrir au monde, aux nouvelles valeurs apportées par l'autre sans se nier. La rencontre avec l'autre ne doit pas non plus nous amener à nous recroqueviller sur nous-mêmes, à nous enfermer dans un ghetto culturel ancestral pour nous gaver de l'obscurantisme, de la superstition. Mais elle doit nous amener à nous ouvrir et à coopérer avec l'autre avec sagesse et discernement dans le partage d'expériences culturelles. Fasciné, ébahi et attiré de part et d'autre, divisé au plus profond de lui-même par la culture étrangère, voici l'homme africain qui embrasse sans scrupule tout ce qui se présente à lui et de nouveau sous les cieux en se reniant. Dans une telle situation inujambiste, il n'est plus question du dialogue et du pluralisme culturel, mais plutôt du génocide culturel. Marcel GONÇALVES n'en dit pas moins quand il pense que « si une culture en « digère » une autre, non seulement il y a destruction d'éléments culturels et même d'un système culturel, mais on tue jusqu'à l'âme d'un peuple, on pratique une certaine forme d'ethnocide. »30(*) L'impérialisme culturel n'est ainsi qu'une forme d'étouffement, un processus de déracinement et d'étranglement des peuples dominés. Coupé de sa source, le dominé présente un vide culturel car sa vie ne sera qu'une copie de celle de son maître qui jugera pour lui. Ce type d'homme aura une répugnance vis-à-vis de sa culture. L'expansion des cultures étrangères lui fait endormir la conscience par des nouveautés éblouissantes, fascinantes de loin, mais périlleuses. Aujourd'hui, dans un monde où les ambitions de l'homme sont de plus en plus démesurées, l'entrée en scène de l'impérialisme culturel est de taille. Démultipliée par les médias, la culture occidentale présente un impact néfaste sur l'Afrique. Et comme la culture se veut une manifestation de soi, affirmation de la différence ontologique, reconnaissance de la puissance de soi à l'étranger, la pensée des pays occidentaux est tournée vers la recherche de la puissance et non plus vers un respect mutuel, un dialogue culturel avec l'autre et la recherche de l'harmonie planétaire. Si bien que bon gré ou mal gré, l'Africain s'est trouvé pris au piège de la nouvelle face du monde. Jules ATANGANA le note si bien : « Qu'on le veuille ou non, la pensée des pays techniquement plus avancés que nous, tend à faire accepter par des manoeuvres subtiles, et par l'intermédiaire d'objets d'usage courant comme les journaux, la radio ou la télévision, des modes de vie qui, s'ils ne contribuent pas positivement à l'appauvrissement mental de nos peuples, n'en sont pas moins des instruments qui favorisent plus vite que nous le croyons, l'altération progressive de nos cultures nationales. »31(*) Le cas patent reste celui de nombre d'Africains qui ne jurent que par la culture occidentale en prenant la leur pour dépassée, superstitieuse, pour celle du bon vieux temps qui n'attend qu'à être foulée aux pieds. Nous assistons dans ce contexte, à la naissance d'un phénomène qui est celui d'un nouveau type d'homme incapable de se définir et de se fixer puisque coupé de sa racine. Ce type d'homme est celui d'un Latin, d'un Français ou Anglais renforcé, un Africain déboussolé dont fait mention Frantz FANON dans l'intitulé de son célèbre ouvrage Peau Noire, Masques Blancs32(*). La domination culturelle occidentale dont la mission est d'imposer la civilisation hellénistique à la barbarie nègre est une situation réelle et présente dont il faut chercher à résoudre le plutôt que possible. Mais cela ne peut se faire que par la remise en question de nos valeurs, de nous-mêmes. Même ne sachant sur quel pied danser aujourd'hui du fait de l'influence étrangère et de la dépendance, l'Africain a un devoir urgent de revenir en lui, de prendre conscience de sa situation pour s'élever aux valeurs universelles les plus humanistes de sa culture et en puiser la source de son être. Il est question comme montre TOWA dans Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle 33(*), de conserver l'essentiel de son être c'est-à-dire ses valeurs culturelles positives. Car pas plus qu'ailleurs, nombre de nous s'abâtardissent, se trouvent dans une situation d'ambiguïté et d'ambivalence sur leur propre culture, leur nature et se sont vidés de l'intérieur d'appartenance culturelle. Pris dans cet assaut d'aliénation, on voit l'Africain dominé « errer, flotter entre la réalité dont il est l'expression et les réalités étrangères auxquelles il voudrait appartenir. Cet effort de superposer au passé authentique, jugé sans valeur, un modèle étranger, jugé prestigieux, donnera lieu à une philosophie de l'histoire elle aussi extraordinaire et complexe, aux antipodes de celle qu'a produite l'Europe. »34(*) Ce phénomène a créé en Afrique une fuite d'identité et de responsabilité aujourd'hui s'exprimant dans un déracinement culturel. Pensons à bon nombre qui se battent nuit et jour pour se trouver en Occident. Pour beaucoup de ces déracinés, l'essentiel de leur vie est de piétiner uniquement le sol occidental, pourvu qu'ils arrivent, même s'ils doivent y mourir. Combien parmi eux se battent encore pour signer telle ou telle nationalité dans un pays occidental ? Qu'on nous comprenne bien. Nous ne sommes pas contre la diversité des peuples, contre le libre choix de déplacement, mais contre le renoncement de sa propre identité, de sa culture, de sa famille et le mépris de son être pour se livrer à certaines pratiques malheureuses et inhumaines. Certains se dénaturalisent. Il serait plus noble et plus heureux d'être ce que nous sommes. Le constat que fait Edward BLYDEN est certain : « toutes nos traditions et nos expériences sont liées à une race étrangère. Nous n'avons ni poésie ni philosophie autre que celles de nos maîtres. Les chants enregistrés par nos oreilles et qui sont souvent sur nos lèvres sont des chants que nous avons entendus chanter par ceux qui criaient de joie pendant que nous gémissions et nous lamentions. »35(*) L'auteur voudrait dire qu'il faut mettre fin à cette aliénation culturelle qui s'exprime par une telle imitation servile. Soutenu par la loi du plus fort, l'impérialisme culturel devrait être pour nous une aubaine pour une critique sans complaisance de nous-mêmes, de ce qu'apporte l'autre et de notre propre source. Le retour de l'homme africain que nous prônons est non pas un repli sur soi qui engendrera l'ethnocentrisme et le conservatisme, mais une attitude révolutionnaire de sa culture consistant à la purifier par l'emprunt des nouveaux éléments réformateurs et progressistes. Il s'agit de puiser avec raison et intelligence les ressources indispensables à son accomplissement ; car comme le dit le pape Jean-Paul II en 1979, « la route de l'homme c'est la culture. »36(*) Cette affirmation papale montre que l'homme ne peut se réaliser véritablement que par et dans sa culture et ne peut prétendre se réaliser dans celle de l'autre sans risque de s'y perdre ignorant ainsi les tenants et les aboutissants. L'homme africain doit prendre conscience de sa « duplicité » culturelle. Cet éveil de la conscience doit préoccuper autant les Africains que les Africanistes. À cet effet, Emmanuel MOUNIER constate et souhaite que : « Beaucoup d'Africains instruits se tournent vers ces sources profondes et lointaines de l'être africain, non pour se gaver du folklore et pour buter ensuite, désorienté sur le monde moderne, mais pour regarder et éprouver les racines africaines de la civilisation eurafricaine de vos enfants et dégager les valeurs permanentes de l'héritage africain, afin que l'élite africaine ne soit pas une élite de déracinés. »37(*) Ce retour doit permettre à l'Africain du 21ème siècle de retrouver son identité et sa racine culturelle qui ne doivent pas signifier pour lui contradiction, ethnocentrisme, mais saisie de sa réalité. Libéré de cette psychose dans laquelle il a longtemps vécu, debout et non plus courbé sous le poids de l'impérialisme culturel étranger ; l'homme africain contemplera librement et avec fierté sa raison de vivre. Il décidera de ce que sera fait son avenir, organisera sa propre vie en fonction de ses aspirations et sera responsable des actes qu'il posera d'une façon délibérée. C'est par-là que l'Afrique s'affirmera tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de ses frontières. Maîtresse d'elle-même et de son destin, elle forgera avec le reste du monde l'histoire de humanité et participera à la conduite de cette humanité vers sa destination. Elle parlera en son nom, prendra une part importante aux débats quotidiens que mène le monde sur la direction à donner à l'histoire de la planète et au sens à donner à l'humanité. Car, nous sommes conscients que pas plus loin qu'hier, presque tous les pays de l'Afrique ont été taxés des « indécis » dans le grand conflit du siècle (États-Unis et Irak) dans la prise des positions. D'autres ont pris les décisions et la responsabilité de parler en leur nom. Certes, le temps présent est le moment d'un appel sans précédent pour l'Africain dans le processus de son évolution. La mondialisation ne veut pas nécessairement dire progrès, mais dans la plupart des cas, elle exprime régression, dépersonnalisation, déshumanisation se manifestant par un effritement de la morale. La mondialisation reste ainsi une forme moderne d'aliénation car les cultures qu'elle livre aux jeunes africains sont des cultures de dépravation. Les nouvelles techniques d'information culturelle imposent une culture qui transforme les valeurs en vices et les qualités en défauts. Il faut que les jeunes africains sachent utiliser cet outil pour ne pas s'aliéner. Les sites pornographiques et les déviations du sens de l'amour en parlent mieux. En face d'un tel problème, une action de reconstruction des valeurs humaines de nos cultures gisant sous les décombres des ruines s'impose. Ceci permettra de palier à la grande inquiétude sur le devenir existentiel de l'homme noir. Mais avant tout, une étude critique de la situation actuelle de la culture africaine nous interpelle. * 28 JANHEINZ J., Muntu, l'homme africain et la culture néo-africaine, Paris, Seuil, 1961, pp. 173-174. * 29 Idem, L'Afrique étranglée, Paris, Seuil, 1980, p. 33. * 30 GONÇALVES M., « Angola, Métissage culturel » in Spiritus, n° 93, Paris, 1983, p. 387. * 31 ATANGANA J., Op. Cit., p.30. * 32 FANON F., Peau Noire, Masques Blancs, Maspero, Paris, 1952. * 33 TOWA M., Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle, Yaoundé, Clé, 1981. * 34 ZEA L., « Vers l'imprévisible, Amérique latine, immense mosaïque de cultures », in Unesco, Le Courrier, Août septembre, 1977, p.6. * 35 BLYDEN E., Christianity, Islam and Negro Race, Edinburgh University Press, 1967, pp. 91-92. * 36 CARRIER H., « Évangile, mission et inculturation », in Omnis Terra 406, (2004), pp. 387-402. * 37 MOUNIER E., Les oeuvres complètes, Tome II, Paris, Seuil, 1962, p. 334. |
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