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L'école géopolitique allemande

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par abderrahim kourima
université hassan II casablanca, faculté de Droit - DESA Relations Internationales 2007
  

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INTRODUCTION :

Depuis l'antiquité, les philosophes et les historiens d'alors ont cru à l'existence d'une relation très étroite entre la situation géographique d'un Etat et sa politique.

C'est ainsi qu'un Aristote (384-322 av.J.-C.) parlait déjà dans son ouvrage la politique des normes «idéales» pour la grandeur de la cité. Il parlait aussi du rôle de la position géographique et de ses implications. Il expliquait que les ports ont des positions qui leur permettent des échanges commerciaux.

De même, Strabon (60-25 av. J.-C.) dans Sa Géographie, une description détaillée en dix-sept volumes du monde tel qu'il était connu des Anciens, a fait le lien entre la géographie et la vie politique. Il expliquait que l'action humaine influence l'espace. La géographie entière se tourne vers la pratique du gouvernement. La géographie influence les chefs d'Etat.

A l'époque médiéval islamique, Ibn Khaldoun (1332-1406) dans son ouvrage d'Histoire kitab attarikh et notamment dans son introduction moquaddimah se concentre sur la taille des Etats, de l'accroissement des territoires et de ses implications. Selon lui, le but des nations est d'acquérir des territoires, et ensuite d'en prendre des autres. Il faut ensuite gérer les conquêtes, sinon le pays (ou l'empire) va sur le déclin. L'application général en est que les Empires ne durent pas éternellement.

Machiavel (1469-1527) quant à lui se demandait comment il faut se comporter face à un monde hostile, il parlait de la légitimation de la force, selon lui on est condamner à réussir. Il faut réussir l'Etat territorial pour constituer une nation, la défendre et la perpétuer.

Mais l'apport majeur en la matière fut celui du Montesquieu a travers son ouvrage « esprit des lois » et notamment sa théorie des climats.

Il s'intéresse au vécu des gens, aux impacts physiques et humains. Il faut prendre en compte le climat, organisation sociale et spatiale. Il faut prendre en compte les conditions naturelles.

Il faut dire que la rencontre entre les notions d'espace et de pouvoir est relativement récente dans la géographie contemporaine. Mais, implicitement, la question du rapport entre espace et pouvoir a été posée depuis fort longtemps. Elle l'a été encore d'avantage depuis l'émegence de l'Etat moderne, par des auteurs comme Bodin (16ème) auteur de « Les 6 livres de la Républiques » ; Botero auteur de Raisons et gouvernement d'Etat, en dix livres ; Montesquieu auteur de « L'esprit des lois » ; Vauban, auteur de « Projet d'une Dîme royale » et « Le triomphe de la méthode » pour ne citer que des auteurs qui ont touché au problème de la rencontre Espace - Pouvoir, à travers l'Etat et le territoire avant la 2ème moitié du 19ème siècle.

 Une formule célèbre, attribuée à Napoléon, résume l'objet, et les ambiguïtés, de ce rapport entre la géographie et la politique : « Tout État fait la politique de sa géographie. », mais ce n'est qu'à partir du XIXe siècle, que cette connaissance jadis éparpillée dans les différents corpus et philosophiques, et politiques, et géographiques, et historiques, prendra la forme d'une discipline scientifique et théorique en se dotant d'une méthode et d'une approche propre.

Le sens commun définit la géopolitique comme ce qui suit :

« l'étude des rapports entre les données naturelles de la géographie et la politique des Etats. »1(*)

Ainsi, à travers la lecture de différentes définitions linguistiques, une constance se dégage, c'est le rapport entre la géographie et la politique.

On peut dire sans avoir peur d'être contredit, que la géopolitique dans sa version allemande est née dans l'état adulte, et cela par souci de la part des théoriciens allemands de donner à l'allmagne, leur pays natal, l'appui théorique et scientifique pour qu'elle puisse récupérer son retard vis-à-vis d'autres puissances, et notamment européennes, un retard qui explique par les difficultés qu'a connu l'Allemagne pour s'unifier.

La géopolitique allemande, et de fait de cette naissance prématurée, et de fait de la conjoncture historique et politique de l'Allemagne d'alors, fut hantée par une obsession expansionniste, par une logique déterministe qui lui donne un aspect agressif et belliqueux.

C'est ainsi que dans le laps de temps durant entre la première et la seconde guerre mondiale, la géopolitique allemande a connu sa naissance et son déclin, curieuse démarche est celle qui fait que ce sont les idiologies qui sécrètent leurs sociétés et non pas les sociétés qui sécrètent leurs idiologies !

Ainsi, nous allons essayer dans un premier temps, de voir la naissance spectaculaire cette science nouvelle dans sa terre d'élection, l'Allemagne, de voir le contexte historique et scientifique de cette naissance, ainsi que l'ensemble des éléments qui ont préparé la genèse d'une discipline géopolitique( I),

et cela à travers une démarche chronologique, chose qui va nous permettre de montrer l'évolution de la discipline au fil des années, en commençant par la science mère, en l'occurence, la géographie politique, pour arriver à la science géopolitique proprement dite.

Dans un deuxième temps, nous allons essayer, de montrer l'apport de la géopolitique vis-à-vis de son ancêtre la géographie politique, cela à travers l'établissement de quelque parallélismes entre les deux champs de savoir, ainsi qu'à travers l'exposé de la théorie géopolitique haushoferiènne, tout en essayant de distinguer le savoir scientifique d'avec la propagande idéologique (II).

Première partie : l'invention de la géopolitique.

A) le cadre paradigmatique du XIXème siècle.

La géopolitique est l'enfant d'une époque, celle couvrant la seconde moitié du XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle. Dans cette seconde moitié du XIXe siècle, le développement des moyens de communication (chemin de fer, bateau à vapeur) réduit les distances, rend accessible la terre entière. Les puissances, mettant à leur service ces techniques, se livrent une course féroce à l'appropriation des espaces.

Le scientisme triomphe ; l'homme, ou au moins l'Occidental, est convaincu qu'il est en mesure de tout expliquer, de dégager les lois régissant non seulement la nature mais aussi l'homme lui-même. L'économie, la démographie, la psychologie, la sociologie s'établissent comme sciences.

La géopolitique trouve ses sources philosophiques et scientifiques, dans le positivisme (a) et le darwinisme social (b), composantes clé de l'esprit du temps, les sociétés humaines seraient engagées, selon ce dernier courant dans un processus permanent de sélection semblable à celui qui existe entre les espèces animales ; ne survivraient que les plus forts.

a) le positivisme du XIXème siècle :

Littré écrit dans son Dictionnaire de la langue française (1863-1870) : « Philosophie positive : se dit d'un système philosophique émané de l'ensemble des sciences positives ; Auguste Comte en est le fondateur ; ce philosophe emploie particulièrement cette expression par opposition à philosophie théologique et à philosophie métaphysique. » Pour Comte, la méthode commune aux sciences positives détermine la doctrine positiviste, compte tenu de cette science nouvelle venue qu'est la sociologie. Celle-ci renverse les perspectives de la classification des sciences jusque-là tenues sous l'empire des mathématiques. Parties de la mesure concrète, les mathématiques demeurent la science-modèle du passage du concret à l'abstrait, ce passage étant nécessaire à toute science dans ses données spécifiques. Ce qu'apporte la sociologie, c'est le point de vue social, qui désormais, pour Comte, est incontournable, tout le réel appréhendé par l'esprit humain étant nécessairement social. Notre entendement, en effet, dépend simultanément de l'histoire naturelle et de l'histoire sociale. Ainsi, la philosophie positive obéit à l'ascendant social et, en dernier ressort, il n'y a plus qu'une seule science, humaine ou sociale, « dont notre existence constitue à la fois le principe et le but, et dans laquelle vient naturellement se fondre l'étude rationnelle du monde extérieur, au double titre d'élément nécessaire et de préambule fondamental, également indispensable quant à la méthode et quant à la doctrine » (Discours sur l'esprit positif).2(*)

b) le darwinisme social :

le darwinisme social  peut être défini moins comme une doctrine particulière que comme la tendance générale à supposer et à rechercher une loi d'évolution dans la série des changements observables ou prévisibles. C'est, bien sûr, dans le domaine biologique que l'évolutionnisme a pris sa forme la plus déterminée avec les théories de Lamarck et de Darwin sur l'évolution des espèces vivantes. L'hypothèse d'une évolution régulière dans les organisations des sociétés et dans leurs productions culturelles était cependant implicitement contenue dans bien des spéculations antérieures sur le progrès des civilisations. Mais le darwinisme allait lui donner plus de consistance, lui fournir des modèles méthodologiques et l'insérer dans une conception plus vaste.    Le darwinisme social était sans doute, en un sens, plus aisé à concevoir que le darwinisme biologique, car il ne se heurtait pas à la fixité, au moins apparente, des espèces vivantes, puisque au contraire on trouve aisément, par l'observation courante, des exemples évidents de changement dans la vie des sociétés. C'est à partir de la publication par Darwin de son ouvrage sur l'évolution des espèces (1859) que se sont développées sous leur forme la plus systématique les études postulant une succession universelle d'étapes régies par un déterminisme rigoureux dans l'histoire de l'humanité. Nombreux sont les travaux qui ont illustré ce mouvement de pensée dans la sociologie et l'anthropologie. Ce sont ceux de H. Spencer et de L. H. Morgan qui ont structuré cet évolutionnisme.

 Spencer avait en effet conçu le vaste projet d'expliquer le devenir de tous les êtres et de toutes les formes de vie sociale par un principe unique, par une formule générale de l'évolution régie par les lois de la mécanique. Les individus qui composent la société étant assimilés à la matière, la loi universelle du devenir social était, d'après lui, celle du passage continu de l'homogénéité à l'hétérogénéité et celle d'une intégration de plus en plus grande des parties dans le tout. Autrement dit, l'évolution des sociétés suit une direction et des phases bien définies, avec parfois des retours en arrière. 3(*)

C'est ainsi que cette époque, voit les sciences humaines profondément marquées par la recherche de déterminismes.

La géographie physique apparaît ainsi comme étant capable de conditionner la politique étrangère des Etats et d'orienter leur développement historique.

Le discours scientiste vint fournir des arguments au nationalisme allemand dont le but était d'apporter une justification scientifique à l'extension volume par le Reich. C'est la raison pour laquelle on lit souvent que la géopolitique fut d'abord une science allemande. 4(*)

B. Freiderch Ratzel : De la géographie politique

Freiderch Ratzel (1844-1904) occupe une place centrale dans la genèse de la science géopolitique a plus d'un titre. Précurseur de la matière, il est l'un des premiers géographes à proposer les concepts fondamentaux d'une géopolitik allemande.

ses théories marquées par l'évolutionnisme, peuvent être considérées comme centrales dans l'orientation de la politique étrangère allemande, tant dans sa dimension mondiale, qu'europenne. Mais tout d'abord, et avant d'exposer les principaux points de sa théorie concernant la géographie politique, il s'avère utile de poser quelques points de lumière sur la vie de ce théoricien en le positionnant dans son siècle.

a). Ratzel, un homme dans son siècle

Pour le grand philosophe allemand Hegel, tout homme est d'abord l'enfant de son époque. Ratzel appartient à un moment de l'histoire de l'Allemagne et, au-delà, du monde.

Sa formation initiale n'est pas celle d'un géographe. IL a d'abord fait des études de pharmacie, suit en 1866 des cours de zoologie à Heidelberg, où l'influence d'Ernst Haeckel (l'inventeur du terme d'écologie) l'amènera au, darwinisme. Il publie en 1869 un livre de cette obédience, Etre et devenir du monde organique, qui atteste déjà les conceptions évolutionnistes et biologisantes reprises jusque dans les oeuvres les plus tardifs, comme Der lebensraum (1901) ou la terre et la vie( 1901-1902). Nationaliste enthousiaste, Ratzel s'engage en 1870 et racontera cette compagnie dans ses tableaux de la guerre avec la France. Il fait ensuite un certain nombre de voyages, l'Italie 1872 et surtout les Etats-Unis 1873 ; donc on peut dire que c'est en étudiant ce dernier pays qu'il devient géographe.

Ses tableaux des villes et de la civilisation nord-américaines 1874 anticipe sur les Etats-Unis du nord de l'Amérique 1878 -- 1880, premier ouvrage complet sur ce sujet. Ensuite, Ratzel sera prêt à reprendre la chaire de la géographie à l'université technique de Munich.

Sa thèse sur l'Emigration chinoise 1876 aborde la question longtemps avant Spengler et développe déjà la thématique des invasions déguisées ou délibérées. L'ajustement, l'anthropogéographie, qui paraît en 1882 à Stuttgart, pose le problème des migrations sur la planète, du rapport entre démographique et civilisation, de toutes les formes cartographiables de déplacement humain. En 1886, Ratzel se voit confier la chaire de géographie de l'université de Leipzig. Il est déjà membre fondateur de comité colonial et de diverses sociétés qui luttent : contre les zélateurs du Reich (1884) ; la première année du fameux congrès de Berlin (partage l'Afrique), le géographe exhorte les dirigeants de parti national libéral, où il est actif, à soutenir un effort de colonisation « scientifique ». Cet intérêt pour l'outre mer se traduit encore par une ethnologie (1885-1888) et Ratzel propose l'esquisse d'une nouvelle carte de l'Afrique avec quelques remarques générales sur les principes de la géographie politique (1885). suivent études des espaces politiques 1895, Etat et sol (1896) et surtout la géographie politique, titre devenu célèbre, de 1897, qui se veut une géographie des Etats, du Commerce et de la guerre, comme l'indique le sous-titre de la deuxième édition, en 1902. Par la suite, il publie Deutschland, introduction à une science du pays natal vint plus ouvrage qui connut de nombreuses rééditions jusqu'à la fin de la seconde guerre mondiale et marque profondément l'opinion allemande 1898. Avec la mer, source de puissance des peuples (1900), qui reprenaient pour l'essentiel un chapitre de la géographie politique,Ratzel, chaud partisan d'une grande flotte allemande, fait écho à la marine. Dans la terre et la vie (1901 - 1902), une monumentale synthèse, le géographe, dans la dernière période n'est pas sans accuser un certain mysticisme, associera de nouveau biogéographie et géographie humaine.

Mais, c'est avec sa conception de la géographie politique que le mérite théorique de Ratzel prend toute son importance, avec la géographie politique, Ratzel va répondre aux préoccupations des dirigeants de l'appareil de l'Etat prussien, déçus par les géographes universitaires. Il leur propose une solution ou science et politique ne s'excluraient pas mutuellement et veut jeter les bases d'une technologie spatiale du pouvoir d'Etat. 5(*)

b). Les principes ratzéliens d'«une science géopolitique»

Les thèmes directeurs de la géographie politique de Ratzel, tournent autour de trois postulats, le premier est celui qui assimile l'Etat à une forme organique (1), deuxième celui qui croit en l'existence d'un lien étroit entre l'Etat et le sol (2), le troisième est celui de la croissance spatiale des Etats (3).

1. « L'Etat comme forme de vie » :

La formation scientifique et l'influence des thèses darwiniennes et biologisantes, attestée par la publication en 1869 de être et devenir du monde organique, poussèrent le géographe allemand Ratzel a analysé de manière organique et théorique le phénomène étatique. Son souci de l'organicité fit élaborer à Ratzel le géopolitique souvent qualifiée de déterministe, et qui tendait vers la légitimation des politiques de puissance d'expansion.

Pour Ratzel, tout Etat obéit à une dynamique organique, et qui vise à « s'assurer une vie indépendante », à avoir la maîtrise des ressources (matières premières, technique...) Dont il a besoin pour se maintenir. De même, tout Etat peut à tout moment perdre ou être privé des éléments de cette totalité organique et être « réduit à l'état d'organe ».

2. L'Etat et le sol :

Le sol terrestre est l'incarnation ultime de Etat, oeuvre majeure de l'homme sur terre, son existence est inconcevable en dehors d'un cadre spatial.

Pour exister, l'Etat doit s'enraciner, se développait dans l'espace. Mais les rapports entre territoires peuples et Etat sont complexes. Il incombe à la géographie politique de dégager ces rapports et les lois qui les gouvernent.

Dont son ouvrage essentiel, le géographie politique, le géographe allemand élabore une véritable théorie de l'Etat qu'il définit comme un organisme rassemblant une fraction d'humanité sur une fraction de sol, et dont les propriétés proviennent de celles du peuple et du sol. Le peuple est défini par Ratzel comme étant un ensemble politique de groupes et d'individus qui n'ont besoin d'être liés ni par la race, ni par la langue, mais dans l'espace, par un sol commun ; c'est cette logique non raciale qui fait contester à Ratzel la politique des nationalités, retour selon lui vers une politique non territoriale, en ce qu'elle pose la communauté linguistique comme principe de l'Etat sont faire référence au sol.

Selon Ratzel, tout espace à sa valeur politique, valorisation qui ne cesse de changer au cours de l'histoire, et qui doit nous pousser à observer à l'ordre objectif et immuable des très grandes propriétés politico-géographiques, à savoir dans l'ordre décroissant de leur importance, la situation, l'étendue et les frontières.6(*)

3. les lois de la croissance spatiale des Etats :

Lorsque l'Etat fut assimilé à une forme organique, il résulte qu'il se développera au détriment des autres Etats voisins, jusqu'à ce qu'il atteint son « espace vital »7(*), c'est ainsi que Ratzel pose des lois universelles concernant la croissance spatiale de l'Etat, il disait « il est dans la nature des Etats de se développer en compétition avec les Etats voisins, l'enjeu consistant la plupart du temps en territoires. »

Cette logique expansionniste va être consacrer dans un ouvrage paru en 1901, et qui traite des lois de la croissance spatiale des Etats, et dans lequel Ratzel énoncera sept lois universelles :

§ la croissance spatiale des Etats va de pair avec le développement de leur culture ;

§ l'étendue des états s'accroît parallèlement au renforcement des diverses autres manifestations de leur développement, comme la puissance économique commerciale ou l'idéologie ;

§ les états s'étendent en incorporant ou en assimilant les entités politiques de plus petite importance ;

§ la frontière est un organe vivant dans l'emplacement matérialise le dynamisme, la force et les changements territoriaux de l'État ;

§ une logique géographique prévaut dans tout processus d'expansion spatiale, puisque l'Etat s'efforce d'absorber les régions importantes pour conforter la viabilité de son territoire : littoral, bassins fluviaux, plaines et, plus généralement, territoires les plus richement dotés ;

§ l'Etat se trouve naturellement porté à s'étendre par la présence à sa périphérie d'une civilisation inférieure à la sienne ;

§ la tendance générale à l'assimilation ou à l'absorption des nations les plus faibles invite à multiplier les appropriations de territoires dans un mouvement en quelque sorte auto- alimenté.8(*)

C. le baptême d'une science en gestation : Rudolf kjellen et le néologisme « Géopolitik »

Le juriste suédois Rudolf kjellen (1846-1922), un germanophile, professeur de science Politique et d'histoire, fut à l'origine du mot géopolitique qu'a vu sa naissance en 1900.

Influencé par les travaux de Friedrich Ratzel, kjellen va donnée une définition de la « géopolitique », dans son ouvrage, L'Etat comme forme de vie (1916), et qui s'inscrit dans la lignée des travaux de Ratzel et annonce ceux de Karl Haushofer : «  la science de l'Etat en tant qu'organisme géographique, tel qu'il se manifeste dans l'espace »9(*).

Deuxième partie : une géopolitique pour une nation allemande, entre la scientificité et la propagande.

A. De la géopolitique allemande

a) Karl Haushofer (1869-1946), un savant dans la tourmente

Ø Avant 1933

Le milieu familial de Karl Haushofer, est celui de la bourgeoisie intellectuelle allemande. Il entama sa carrière militaire en tant qu'officier en 1887.

Houshofer épousa Martha Mayer-Doss, qui lui était d'un grand soutien et familial, et intellectuel.

De 1908 à 1910, Houshofer fut en mission diplomatique en Extrême-Orient, et notamment au Japon et en Mandchourie qui constituèrent une matière inépuisable pour ses travaux. C'est ainsi qu'il écrira son premier livre  sur le Japon : Dai Nihon ; en 1919, il traita dans sa thèse des orientations fondamentales dans le développement géographique de l'empire japonais, 1854 -- 1919.

Durant la Grande guerre de 1914- 1918, il s'est distingué durant cette expérience sanguinaire, par son courage, et son sens fraternel, comme fut le cas pour de nombreux officiers allemands.

C'est dans cette période difficile, que le projet intellectuel de Haushofer prend forme. Il lit l'ouvrage de Rudolf kjellen, l'Etat comme forme de vie 1916, et qu'il fut pour lui un point de départ intellectuel marqué par une grande appréciation de cette science nouvelle, géopolitique.

Outragé par la défaite de son pays natal, Haushofer mis à la tête de ses priorités intellectuelles, une science qui permettra à l'Allemagne de devenir une grande puissance mondiale. Dès lors, il multiplia les activités : professeur d'enseignement supérieur en géographie ; créateurs et animateurs de la revue du géopolitique, Zeitschrift fur Geopolitik ; conférencier, notamment au service de la politique du volkstum, c'est-à-dire de la communauté allemande dans son ensemble, au-delà des frontières de l'Etat allemand. Omniprésent sur la scène intellectuelle allemande par une production dense et multiforme (articles, comptes rendus...), Haushofer est désormais une autorité intellectuelle sans contestation.

Ø De 1933 à 1946 :

le 30 janvier 1933, Hitler est nommé chancelier de Reich. Rudolf Hess l'un des très proches de Hitler, entretient une relation très étroite avec Haushofer, qui l'a introduit à Hitler, ainsi Haushofer rencontre une dizaine de fois semble-t-il Hitler en 1922 et 1938, il ne reste aucune trace de conversation entre celui que Hess appelle déjà «mon Führer » et le fondateur de la géopolitique allemande.

Haushofer apparaît comme en marge de l'Allemagne hitlérienne. Il ne sera jamais membre du parti nazi. Dans les premières années de troisième Reich 1933-1936, Haushofer occupe des responsabilités majeures dont les actions visant les allemands de souche. Il appartient le nationalisme conservateur, périmé par l'hitlérisme, une situation qui sera accrue avec les lois raciales, sa femme est juive. De même, la censure atteint son travail intellectuel, en particulier, son ouvrage Les frontières 1939 qui soulevait la question de la population allemande du Tyrol du Sud, région rattachée en 1919 à l'Italie principale alliée de l'Allemagne hitlérienne. De plus l'un des fils de Haushofer, Albrecht, se trouve impliqué dans les tractations secrètes pour parvenir à une paix entre Allemagne et l'Angleterre, fut exécuté par la Gestapo en avril 1945.

Avec la capitulation de l'Allemagne hitlérienne, Haushofer est arrêté par les forces américaines qui subit l'interrogatoire a subi ceux suspectés d'être nazies.

Au cours de l'automne 1945, Haushofer est entendu comme témoin au procès de Nuremberg.

Le 10 mars 1946, Karl Haushofer et sa femme Martha sont retrouvés morts, les deux époux se sont suicidés.10(*)

b) la conception haushoferienne de la géopolitique

«  Tout en n'étant pas le créateur de terme technique de géopolitique, je passe à bon droit pour le principal représentant de sa forme allemande. »11(*) C'est ainsi qu'atteste Karl Haushofer d'être le géopoliticien le plus célèbre de l'école allemande. à ce stade, y a-t-il une continuité entre la géographie politique de Ratzel et la géopolitique de Haushofer, ou atteste-t-on à une rupture épistémologique totale ? Et quel est l'apport de la conception géopolitique haushoferienne ?

1. parallélismes entre Haushofer et Ratzel

La pensée géopolitique de Ratzel et de Haushofer, puise de même source, et adopte les mêmes postulats, c'est ainsi qu'on peut en dégager plusieurs parallélismes, qu'on évoquera ici brièvement :

n La Conception post - malthusienne, qui part de la question du rapport entre la population et les ressources où le problème de l'allocation de l'espace, en tant que ressource première, est la préoccupation primordiale, constamment présente dans la cartographie haushoferienne et dans la revue « Zeitschrift fûr Geopolitik »...

n La conception de Hegel concernant l'Esprit - Etat comme moteur de l'histoire.

n La conception positiviste assujettissant les phénomènes humains à des lois naturelles invariables

n La conception darwiniste sociale (principalement Haeckel et Spencer) reposant sur l'idée de lutte de l'espèce pour l'espace, le peuple étant l'espèce primordiale.

n Les conceptions d'Arthur Gobineau et surtout de Houston Stewart, Chamberlain, propulsant sur le devant de la scène historique l'Esprit - race, la race marquant définitivement le potentiel d'un peuple et son cheminement historique.

n La conception de la tendance à l'équilibre politique mondial à travers la tendance à l'égalisation des individus géographiques par la force (Ratzel).

n La conception kjellennienne impérialiste et romantique de l'Etat faisant de son expansion un principe viril majeur.

n La conception capitaliste, industrielle et moderniste qui fait de la notion de mouvement une obsession dominante, le mouvement devenant un instrument de maîtrise de l'espace.

2. l'apport théorique de Haushofer

2.1. Théorie de « l'espace vital » :

La notion de l'espace vital, est au coeur de la géopolitique allemande, elle est présente dans les réflexions de Ratzel, mais théoriser dans la pensée de Haushofer, son objectif est de raffermir le sentiment d'appartenance des allemands font à une communauté de civilisation-le Deutschtum-, et de favoriser la création d'un espace où il pourrait déployer librement leurs virtualités-le Lebensraum ; l'espace culturel allemand doit retrouver son unité, son aire d'expansion naturelle étant l'Europe centrale.

Les changements politiques intervenus en 1933 vont permettre la mise en oeuvre de cet objectif, en remettant en question les frontières de l'Etat existant.

Tandis que l'idée de grande Allemagne soutenue par Haushofer s'insère en fait dans le cadre plus général d'une pensée favorable, comme le fut d'ailleurs celle de Ratzel, à la création de grands ensembles politiques à la dimension des continents.12(*)

2.2 Théorie des «  Pan-ideen » :

L'originalité de la pensée géopolitique de Haushofer, est dû essentiellement à sa notion des « pan -idées », lesquelles soulignent la centralité de la dimension spatiale dans la réflexion géopolitique du savant allemand.

Une pan-idée a pour objet l'unité géographique, ethnique ou civilisationnelle d'une communauté humaine ; par exemple : pangermanisme, panaméricanisme...etc.

Selon Haushofer, le monde peut être subdivisé en quatre grandes zones selon un axe nord-sud, chaque zone étant dominée par une puissance dominante :

· la zone paneuropéenne incluant l'Afrique destinée à être dominée par l'Allemagne.

· la zone panaméricaine destinée à être dominé par les Etats-Unis ;

· la zone panrusse incluant l'Asie centrale et le sous-continent indien ;

· le Japon étant destiné à dominer la zone pan-asiatique.

Ces « pan-idées » nous permettraient de comprendre les grands chocs que géopolitique de la planète.13(*)

2.3 La puissance maritime et la puissance continentale.

Inspirait par Mackinder, et notamment sa notion de Heartland, définit comme « le pivot géographique de l'histoire », Haushofer préconise l'alliance de l'Allemagne puissance terrestre avec le Japon, puissance navale. Ainsi le pacte anti-komintern de 1937, qui réalisera le plus pire des cauchemars du géopoliticien anglais, Mackinder, l'exclusion des puissances maritimes de l'île du monde.

Haushofer écrivait : « l'idée du pacte anti-komintern est à l'origine d'une des constrictions les plus audacieuses de la politique mondiale. Ayant pris naissance sous la forme d'un échafaudage d'acier qui recouvrait tout l'ancien monde entre l'Allemagne et le Japon, le pacte anti-komintern n'est devenu une réalité géopolitique que par l'entrée de l'Italie et par la fusion intime des deux puissances de l'axe en Europe ».

Deux ans plus tard, avec le pacte germano-soviétique, l'Allemagne trace l'ébauche d'une grande unification eurasiatique. 14(*)

C. la géopolitik au service d'une idéologie nazie.

La mauvaise réputation qu'a stigmatisé la géopolitique à l'issue de la seconde guerre mondiale, fut justifiée par le fait qu'elle s'agit d'une science nazie, perçue comme un instrument du propagande hitlérienne, ayant servi à justifier les ambitions hitlériennes. Quelle est la part de vérité dans toutes ces affirmations ? Peut-on réduire la géopolitique allemande et notamment celle de Haushofer à une simple composante idéologique de l'appareil nazi ?

Certes, la pensée géopolitique de Ratzel et puis celle de Haushofer ont constitué une composante importante du climat intellectuel et moral de l'Allemagne des années 1890-1945. Nombreux sont les jeunes gens liés au nazisme et qui sont fascinés, enthousiasmés par les livres et les articles de Haushofer en l'occurrence Rudolf Hess et même Adolphe Hitler, mais cela peut-il suffire pour détruire tout un édifice théorique scientifique ?

La géopolitique dans sa pureté scientifique n'est qu'une science comme les autres, elle veut s'identifier comme tel, peu importe les utilisations idéologiques qu'on a fait d'elle, peu importe les discours pseudo- géopolitiques des chefs nazis, qui cachaient leurs intentions dominatrices subjectives derrière les lois d'un savoir qui se veut objectif, on ne doit pas céder a la facilité intellectuelle en excommuniant une science, un savoir sous prétexte de souillure idéologique.

Dans un article intitulé De la géopolitique, Haushofer écrivait et affirmait ces remarques : « en tout état de cause une connaissance réelle et scientifique de la géopolitique doit nécessairement échapper à toute considération partisane et doit être également vrai pour l'extrême gauche comme pour l'extrême droite » il ajoute « c'est peut-être la partie la plus difficile de la réponse à la si bonne et si facile question : qu'est-ce que la géopolitique ? que de faire comprendre à des hommes aux opinions politiques arrêtées que la géopolitique doit rester libre de toute affirmation est considération partisanes et qu'il convient d'en écarter la politique, tâche tout aussi difficile. »15(*)

Conclusion :

Malgré tous les reproches qu'on a fait à la géopolitique allemande, nul ne peut nier l'apport théorique scientifique des géographes et des géopoliticiens allemands tels un Ratzel ou un Houshofer, car ces théoriciens imprégnés par esprit de leur temps celui de XIXe siècle et le début du XXe siècle, caractérisé par la confiance de l'être humain en la science et ses lumières, une confiance parfois aveugle mais structurante, qu'a laissé voir le monde à leurs yeux comme un grand laboratoire, ou l'être humain est la matière se trouvent confondu, le déterminisme social n'est qu'une réaction face à l'imprévisibilité de l'homme qui par sa nature fut toujours une source d'opacité cognitive, une réaction radicale qui vise à unifier l'être humain avec son milieu. L'école géopolitique allemande, même si la fortune a voulu qu'elle fasse sa naissance dans une conjoncture intempestive, une conjoncture marquée par la prééminence de l'idiologie sur le savoir scientifique, constituait la pierre angulaire d'un futur savoir géopolitique,qui continua son développement secret dans les labos de ceux qui l'interdisent,et qui aura désormais une importance scientifique et politique majeure.

* 1 Cf. dictionnaire le Robert (1965).

* 2 Cf. l'article Positivisme de Angèle KREMER-MARIETTI in Encyclopædia Universalis 2004.

* 3 Cf. l'article l'évolutionnisme social et culturel de Jean CAZENEUVE in Encyclopædia Universalis 2004.

* 4 Cf. Géopolitique : constantes et changements dans l'Histoire. Aymeric Chauprade, ellipses Editions, 2001.

* 5 Cf. la préface de l'ouvrage de F.Ratzel la géographie politique par Michel Korinman.

* 6 Cf. Géopolitique : constantes et changements dans l'Histoire. Aymeric Chauprade, ellipses Editions, 2001.

* 7«  L'Espace vital » est d'ailleurs le titre d'un ouvrage de Ratzel paru en 1901 en allemand « Der lebensraum ».

* 8 Cf. Géopolitique : constantes et changements dans l'Histoire. Aymeric Chauprade, ellipses Editions, 2001.

* 9 Cf. R.KJELLEN , l'Etat comme forme de vie, 1916

* 10 cf. Introduction à la géopolitique, Philippe Moreau Defarges. Editions du seuil, 1994

* 11 cf. Apologie de la « géopolitique » allemande, Karl Haushofer in De la géopolitique, Fayard, 1986.

* 12 Cf. Géopolitique : constantes et changements dans l'Histoire. Aymeric Chauprade, ellipses Editions, 2001. p36

* 13 cf. Idem.

* 14 cf. Idem p 37.

* 15 Cf. art. De la Géopolitique, Karl Haushofer in De La Géopolitique Fayard, 1986 pp 101-102.






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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault