INTRODUCTION :
Depuis l'antiquité, les philosophes et les historiens
d'alors ont cru à l'existence d'une relation très étroite
entre la situation géographique d'un Etat et sa politique.
C'est ainsi qu'un Aristote (384-322 av.J.-C.) parlait
déjà dans son ouvrage la politique des normes
«idéales» pour la grandeur de la cité. Il parlait aussi
du rôle de la position géographique et de ses implications. Il
expliquait que les ports ont des positions qui leur permettent des
échanges commerciaux.
De même, Strabon (60-25 av. J.-C.) dans Sa
Géographie, une description détaillée en dix-sept
volumes du monde tel qu'il était connu des Anciens, a fait le lien entre
la géographie et la vie politique. Il expliquait que l'action humaine
influence l'espace. La géographie entière se tourne vers la
pratique du gouvernement. La géographie influence les chefs d'Etat.
A l'époque médiéval islamique, Ibn
Khaldoun (1332-1406) dans son ouvrage d'Histoire kitab attarikh et
notamment dans son introduction moquaddimah se concentre sur la
taille des Etats, de l'accroissement des territoires et de ses implications.
Selon lui, le but des nations est d'acquérir des territoires, et ensuite
d'en prendre des autres. Il faut ensuite gérer les conquêtes,
sinon le pays (ou l'empire) va sur le déclin. L'application
général en est que les Empires ne durent pas
éternellement.
Machiavel (1469-1527) quant à lui se demandait comment
il faut se comporter face à un monde hostile, il parlait de la
légitimation de la force, selon lui on est condamner à
réussir. Il faut réussir l'Etat territorial pour constituer une
nation, la défendre et la perpétuer.
Mais l'apport majeur en la matière fut celui du
Montesquieu a travers son ouvrage « esprit des lois » et
notamment sa théorie des climats.
Il s'intéresse au vécu des gens, aux impacts
physiques et humains. Il faut prendre en compte le climat, organisation sociale
et spatiale. Il faut prendre en compte les conditions naturelles.
Il faut dire que la rencontre entre les notions d'espace et de
pouvoir est relativement récente dans la géographie
contemporaine. Mais, implicitement, la question du rapport entre espace et
pouvoir a été posée depuis fort longtemps. Elle l'a
été encore d'avantage depuis l'émegence de l'Etat moderne,
par des auteurs comme Bodin (16ème) auteur de « Les
6 livres de la Républiques » ; Botero auteur de Raisons
et gouvernement d'Etat, en dix livres ; Montesquieu auteur de
« L'esprit des lois » ; Vauban, auteur de
« Projet d'une Dîme royale » et « Le
triomphe de la méthode » pour ne citer que des auteurs qui ont
touché au problème de la rencontre Espace - Pouvoir, à
travers l'Etat et le territoire avant la 2ème moitié
du 19ème siècle.
Une formule célèbre, attribuée
à Napoléon, résume l'objet, et les ambiguïtés,
de ce rapport entre la géographie et la politique : « Tout
État fait la politique de sa géographie. », mais ce
n'est qu'à partir du XIXe siècle, que cette connaissance jadis
éparpillée dans les différents corpus et philosophiques,
et politiques, et géographiques, et historiques, prendra la forme d'une
discipline scientifique et théorique en se dotant d'une méthode
et d'une approche propre.
Le sens commun définit la géopolitique comme ce
qui suit :
« l'étude des rapports entre les données
naturelles de la géographie et la politique des
Etats. »1(*)
Ainsi, à travers la lecture de différentes
définitions linguistiques, une constance se dégage, c'est le
rapport entre la géographie et la politique.
On peut dire sans avoir peur d'être contredit, que la
géopolitique dans sa version allemande est née dans l'état
adulte, et cela par souci de la part des théoriciens allemands de donner
à l'allmagne, leur pays natal, l'appui théorique et scientifique
pour qu'elle puisse récupérer son retard vis-à-vis
d'autres puissances, et notamment européennes, un retard qui explique
par les difficultés qu'a connu l'Allemagne pour s'unifier.
La géopolitique allemande, et de fait de cette
naissance prématurée, et de fait de la conjoncture historique et
politique de l'Allemagne d'alors, fut hantée par une obsession
expansionniste, par une logique déterministe qui lui donne un aspect
agressif et belliqueux.
C'est ainsi que dans le laps de temps durant entre la
première et la seconde guerre mondiale, la géopolitique allemande
a connu sa naissance et son déclin, curieuse démarche est celle
qui fait que ce sont les idiologies qui sécrètent leurs
sociétés et non pas les sociétés qui
sécrètent leurs idiologies !
Ainsi, nous allons essayer dans un premier temps, de voir la
naissance spectaculaire cette science nouvelle dans sa terre d'élection,
l'Allemagne, de voir le contexte historique et scientifique de cette naissance,
ainsi que l'ensemble des éléments qui ont préparé
la genèse d'une discipline géopolitique( I),
et cela à travers une démarche chronologique,
chose qui va nous permettre de montrer l'évolution de la discipline au
fil des années, en commençant par la science mère, en
l'occurence, la géographie politique, pour arriver à la science
géopolitique proprement dite.
Dans un deuxième temps, nous allons essayer, de montrer
l'apport de la géopolitique vis-à-vis de son ancêtre la
géographie politique, cela à travers l'établissement de
quelque parallélismes entre les deux champs de savoir, ainsi qu'à
travers l'exposé de la théorie géopolitique
haushoferiènne, tout en essayant de distinguer le savoir scientifique
d'avec la propagande idéologique (II).
Première partie : l'invention de la
géopolitique.
A) le cadre paradigmatique du XIXème
siècle.
La géopolitique est l'enfant d'une époque, celle
couvrant la seconde moitié du XIXe siècle et la
première moitié du XXe siècle. Dans cette seconde
moitié du XIXe siècle, le développement des moyens de
communication (chemin de fer, bateau à vapeur) réduit les
distances, rend accessible la terre entière. Les puissances, mettant
à leur service ces techniques, se livrent une course féroce
à l'appropriation des espaces.
Le scientisme triomphe ; l'homme, ou au moins
l'Occidental, est convaincu qu'il est en mesure de tout expliquer, de
dégager les lois régissant non seulement la nature mais aussi
l'homme lui-même. L'économie, la démographie, la
psychologie, la sociologie s'établissent comme sciences.
La géopolitique trouve ses sources philosophiques et
scientifiques, dans le positivisme (a) et le darwinisme social (b), composantes
clé de l'esprit du temps, les sociétés humaines seraient
engagées, selon ce dernier courant dans un processus permanent de
sélection semblable à celui qui existe entre les espèces
animales ; ne survivraient que les plus forts.
a) le positivisme du XIXème siècle :
Littré écrit dans son Dictionnaire de la langue
française (1863-1870) : « Philosophie positive : se
dit d'un système philosophique émané de l'ensemble des
sciences positives ; Auguste Comte en est le fondateur ; ce
philosophe emploie particulièrement cette expression par opposition
à philosophie théologique et à philosophie
métaphysique. » Pour Comte, la méthode commune aux
sciences positives détermine la doctrine positiviste, compte tenu de
cette science nouvelle venue qu'est la sociologie. Celle-ci renverse les
perspectives de la classification des sciences jusque-là tenues sous
l'empire des mathématiques. Parties de la mesure concrète, les
mathématiques demeurent la science-modèle du passage du concret
à l'abstrait, ce passage étant nécessaire à toute
science dans ses données spécifiques. Ce qu'apporte la
sociologie, c'est le point de vue social, qui désormais, pour Comte, est
incontournable, tout le réel appréhendé par l'esprit
humain étant nécessairement social. Notre entendement, en effet,
dépend simultanément de l'histoire naturelle et de l'histoire
sociale. Ainsi, la philosophie positive obéit à l'ascendant
social et, en dernier ressort, il n'y a plus qu'une seule science, humaine ou
sociale, « dont notre existence constitue à la fois le
principe et le but, et dans laquelle vient naturellement se fondre
l'étude rationnelle du monde extérieur, au double titre
d'élément nécessaire et de préambule fondamental,
également indispensable quant à la méthode et quant
à la doctrine » (Discours sur l'esprit positif).2(*)
b) le darwinisme social :
le darwinisme social peut être défini moins
comme une doctrine particulière que comme la tendance
générale à supposer et à rechercher une loi
d'évolution dans la série des changements observables ou
prévisibles. C'est, bien sûr, dans le domaine biologique que
l'évolutionnisme a pris sa forme la plus déterminée avec
les théories de Lamarck et de Darwin sur l'évolution des
espèces vivantes. L'hypothèse d'une évolution
régulière dans les organisations des sociétés et
dans leurs productions culturelles était cependant implicitement
contenue dans bien des spéculations antérieures sur le
progrès des civilisations. Mais le darwinisme allait lui donner plus de
consistance, lui fournir des modèles méthodologiques et
l'insérer dans une conception plus vaste. Le
darwinisme social était sans doute, en un sens, plus aisé
à concevoir que le darwinisme biologique, car il ne se heurtait pas
à la fixité, au moins apparente, des espèces vivantes,
puisque au contraire on trouve aisément, par l'observation courante, des
exemples évidents de changement dans la vie des sociétés.
C'est à partir de la publication par Darwin de son ouvrage sur
l'évolution des espèces (1859) que se sont
développées sous leur forme la plus systématique les
études postulant une succession universelle d'étapes
régies par un déterminisme rigoureux dans l'histoire de
l'humanité. Nombreux sont les travaux qui ont illustré ce
mouvement de pensée dans la sociologie et l'anthropologie. Ce sont ceux
de H. Spencer et de L. H. Morgan qui ont structuré cet
évolutionnisme.
Spencer avait en effet conçu le vaste projet
d'expliquer le devenir de tous les êtres et de toutes les formes de vie
sociale par un principe unique, par une formule générale de
l'évolution régie par les lois de la mécanique. Les
individus qui composent la société étant assimilés
à la matière, la loi universelle du devenir social était,
d'après lui, celle du passage continu de
l'homogénéité à
l'hétérogénéité et celle d'une
intégration de plus en plus grande des parties dans le tout. Autrement
dit, l'évolution des sociétés suit une direction et des
phases bien définies, avec parfois des retours en arrière.
3(*)
C'est ainsi que cette époque, voit les sciences
humaines profondément marquées par la recherche de
déterminismes.
La géographie physique apparaît ainsi comme
étant capable de conditionner la politique étrangère des
Etats et d'orienter leur développement historique.
Le discours scientiste vint fournir des arguments au
nationalisme allemand dont le but était d'apporter une justification
scientifique à l'extension volume par le Reich. C'est la raison pour
laquelle on lit souvent que la géopolitique fut d'abord une science
allemande. 4(*)
B. Freiderch Ratzel : De la géographie
politique
Freiderch Ratzel (1844-1904) occupe une place centrale dans la
genèse de la science géopolitique a plus d'un titre.
Précurseur de la matière, il est l'un des premiers
géographes à proposer les concepts fondamentaux d'une
géopolitik allemande.
ses théories marquées par
l'évolutionnisme, peuvent être considérées comme
centrales dans l'orientation de la politique étrangère allemande,
tant dans sa dimension mondiale, qu'europenne. Mais tout d'abord, et avant
d'exposer les principaux points de sa théorie concernant la
géographie politique, il s'avère utile de poser quelques points
de lumière sur la vie de ce théoricien en le positionnant dans
son siècle.
a). Ratzel, un homme dans son siècle
Pour le grand philosophe allemand Hegel, tout homme est
d'abord l'enfant de son époque. Ratzel appartient à un moment de
l'histoire de l'Allemagne et, au-delà, du monde.
Sa formation initiale n'est pas celle d'un géographe.
IL a d'abord fait des études de pharmacie, suit en 1866 des cours de
zoologie à Heidelberg, où l'influence d'Ernst Haeckel
(l'inventeur du terme d'écologie) l'amènera au, darwinisme. Il
publie en 1869 un livre de cette obédience, Etre et devenir du monde
organique, qui atteste déjà les conceptions
évolutionnistes et biologisantes reprises jusque dans les oeuvres les
plus tardifs, comme Der lebensraum (1901) ou la terre et la vie( 1901-1902).
Nationaliste enthousiaste, Ratzel s'engage en 1870 et racontera cette compagnie
dans ses tableaux de la guerre avec la France. Il fait ensuite un certain
nombre de voyages, l'Italie 1872 et surtout les Etats-Unis 1873 ; donc on peut
dire que c'est en étudiant ce dernier pays qu'il devient
géographe.
Ses tableaux des villes et de la civilisation
nord-américaines 1874 anticipe sur les Etats-Unis du nord de
l'Amérique 1878 -- 1880, premier ouvrage complet sur ce sujet. Ensuite,
Ratzel sera prêt à reprendre la chaire de la géographie
à l'université technique de Munich.
Sa thèse sur l'Emigration chinoise 1876 aborde la
question longtemps avant Spengler et développe déjà la
thématique des invasions déguisées ou
délibérées. L'ajustement, l'anthropogéographie, qui
paraît en 1882 à Stuttgart, pose le problème des migrations
sur la planète, du rapport entre démographique et civilisation,
de toutes les formes cartographiables de déplacement humain. En 1886,
Ratzel se voit confier la chaire de géographie de l'université de
Leipzig. Il est déjà membre fondateur de comité colonial
et de diverses sociétés qui luttent : contre les zélateurs
du Reich (1884) ; la première année du fameux congrès de
Berlin (partage l'Afrique), le géographe exhorte les dirigeants de parti
national libéral, où il est actif, à soutenir un effort de
colonisation « scientifique ». Cet intérêt
pour l'outre mer se traduit encore par une ethnologie (1885-1888) et Ratzel
propose l'esquisse d'une nouvelle carte de l'Afrique avec quelques remarques
générales sur les principes de la géographie politique
(1885). suivent études des espaces politiques 1895, Etat et sol (1896)
et surtout la géographie politique, titre devenu célèbre,
de 1897, qui se veut une géographie des Etats, du Commerce et de la
guerre, comme l'indique le sous-titre de la deuxième édition, en
1902. Par la suite, il publie Deutschland, introduction à une science du
pays natal vint plus ouvrage qui connut de nombreuses rééditions
jusqu'à la fin de la seconde guerre mondiale et marque
profondément l'opinion allemande 1898. Avec la mer, source de puissance
des peuples (1900), qui reprenaient pour l'essentiel un chapitre de la
géographie politique,Ratzel, chaud partisan d'une grande flotte
allemande, fait écho à la marine. Dans la terre et la vie (1901 -
1902), une monumentale synthèse, le géographe, dans la
dernière période n'est pas sans accuser un certain mysticisme,
associera de nouveau biogéographie et géographie humaine.
Mais, c'est avec sa conception de la géographie
politique que le mérite théorique de Ratzel prend toute son
importance, avec la géographie politique, Ratzel va répondre aux
préoccupations des dirigeants de l'appareil de l'Etat prussien,
déçus par les géographes universitaires. Il leur propose
une solution ou science et politique ne s'excluraient pas mutuellement et veut
jeter les bases d'une technologie spatiale du pouvoir d'Etat. 5(*)
b). Les principes ratzéliens d'«une science
géopolitique»
Les thèmes directeurs de la géographie politique
de Ratzel, tournent autour de trois postulats, le premier est celui qui
assimile l'Etat à une forme organique (1), deuxième celui qui
croit en l'existence d'un lien étroit entre l'Etat et le sol (2), le
troisième est celui de la croissance spatiale des Etats (3).
1. « L'Etat comme forme de
vie » :
La formation scientifique et l'influence des thèses
darwiniennes et biologisantes, attestée par la publication en 1869 de
être et devenir du monde organique, poussèrent le géographe
allemand Ratzel a analysé de manière organique et
théorique le phénomène étatique. Son souci de
l'organicité fit élaborer à Ratzel le géopolitique
souvent qualifiée de déterministe, et qui tendait vers la
légitimation des politiques de puissance d'expansion.
Pour Ratzel, tout Etat obéit à une dynamique
organique, et qui vise à « s'assurer une vie
indépendante », à avoir la maîtrise des
ressources (matières premières, technique...) Dont il a besoin
pour se maintenir. De même, tout Etat peut à tout moment perdre
ou être privé des éléments de cette totalité
organique et être « réduit à l'état
d'organe ».
2. L'Etat et le sol :
Le sol terrestre est l'incarnation ultime de Etat, oeuvre
majeure de l'homme sur terre, son existence est inconcevable en dehors d'un
cadre spatial.
Pour exister, l'Etat doit s'enraciner, se développait
dans l'espace. Mais les rapports entre territoires peuples et Etat sont
complexes. Il incombe à la géographie politique de dégager
ces rapports et les lois qui les gouvernent.
Dont son ouvrage essentiel, le géographie politique, le
géographe allemand élabore une véritable théorie de
l'Etat qu'il définit comme un organisme rassemblant une fraction
d'humanité sur une fraction de sol, et dont les propriétés
proviennent de celles du peuple et du sol. Le peuple est défini par
Ratzel comme étant un ensemble politique de groupes et d'individus qui
n'ont besoin d'être liés ni par la race, ni par la langue, mais
dans l'espace, par un sol commun ; c'est cette logique non raciale qui fait
contester à Ratzel la politique des nationalités, retour selon
lui vers une politique non territoriale, en ce qu'elle pose la
communauté linguistique comme principe de l'Etat sont faire
référence au sol.
Selon Ratzel, tout espace à sa valeur politique,
valorisation qui ne cesse de changer au cours de l'histoire, et qui doit nous
pousser à observer à l'ordre objectif et immuable des très
grandes propriétés politico-géographiques, à savoir
dans l'ordre décroissant de leur importance, la situation,
l'étendue et les frontières.6(*)
3. les lois de la croissance spatiale des
Etats :
Lorsque l'Etat fut assimilé à une forme
organique, il résulte qu'il se développera au détriment
des autres Etats voisins, jusqu'à ce qu'il atteint son
« espace vital »7(*), c'est ainsi que Ratzel pose des lois universelles
concernant la croissance spatiale de l'Etat, il disait « il est dans la
nature des Etats de se développer en compétition avec les Etats
voisins, l'enjeu consistant la plupart du temps en territoires. »
Cette logique expansionniste va être consacrer dans un
ouvrage paru en 1901, et qui traite des lois de la croissance spatiale des
Etats, et dans lequel Ratzel énoncera sept lois universelles :
§ la croissance spatiale des Etats va de pair avec le
développement de leur culture ;
§ l'étendue des états s'accroît
parallèlement au renforcement des diverses autres manifestations de leur
développement, comme la puissance économique commerciale ou
l'idéologie ;
§ les états s'étendent en incorporant ou en
assimilant les entités politiques de plus petite importance ;
§ la frontière est un organe vivant dans
l'emplacement matérialise le dynamisme, la force et les changements
territoriaux de l'État ;
§ une logique géographique prévaut dans
tout processus d'expansion spatiale, puisque l'Etat s'efforce d'absorber les
régions importantes pour conforter la viabilité de son
territoire : littoral, bassins fluviaux, plaines et, plus
généralement, territoires les plus richement
dotés ;
§ l'Etat se trouve naturellement porté à
s'étendre par la présence à sa périphérie
d'une civilisation inférieure à la sienne ;
§ la tendance générale à
l'assimilation ou à l'absorption des nations les plus faibles invite
à multiplier les appropriations de territoires dans un mouvement en
quelque sorte auto- alimenté.8(*)
C. le baptême d'une science en gestation :
Rudolf kjellen et le néologisme
« Géopolitik »
Le juriste suédois Rudolf kjellen (1846-1922), un
germanophile, professeur de science Politique et d'histoire, fut à
l'origine du mot géopolitique qu'a vu sa naissance en 1900.
Influencé par les travaux de Friedrich Ratzel, kjellen
va donnée une définition de la
« géopolitique », dans son ouvrage, L'Etat comme
forme de vie (1916), et qui s'inscrit dans la lignée des travaux de
Ratzel et annonce ceux de Karl Haushofer : « la science de
l'Etat en tant qu'organisme géographique, tel qu'il se manifeste dans
l'espace »9(*).
Deuxième partie : une géopolitique pour
une nation allemande, entre la scientificité et la propagande.
A. De la géopolitique allemande
a) Karl Haushofer (1869-1946), un savant dans la tourmente
Ø Avant 1933
Le milieu familial de Karl Haushofer, est celui de la
bourgeoisie intellectuelle allemande. Il entama sa carrière militaire en
tant qu'officier en 1887.
Houshofer épousa Martha Mayer-Doss, qui lui
était d'un grand soutien et familial, et intellectuel.
De 1908 à 1910, Houshofer fut en mission diplomatique
en Extrême-Orient, et notamment au Japon et en Mandchourie qui
constituèrent une matière inépuisable pour ses travaux.
C'est ainsi qu'il écrira son premier livre sur le Japon : Dai
Nihon ; en 1919, il traita dans sa thèse des orientations
fondamentales dans le développement géographique de l'empire
japonais, 1854 -- 1919.
Durant la Grande guerre de 1914- 1918, il s'est
distingué durant cette expérience sanguinaire, par son courage,
et son sens fraternel, comme fut le cas pour de nombreux officiers
allemands.
C'est dans cette période difficile, que le projet
intellectuel de Haushofer prend forme. Il lit l'ouvrage de Rudolf kjellen,
l'Etat comme forme de vie 1916, et qu'il fut pour lui un point de départ
intellectuel marqué par une grande appréciation de cette science
nouvelle, géopolitique.
Outragé par la défaite de son pays natal,
Haushofer mis à la tête de ses priorités intellectuelles,
une science qui permettra à l'Allemagne de devenir une grande puissance
mondiale. Dès lors, il multiplia les activités : professeur
d'enseignement supérieur en géographie ; créateurs et
animateurs de la revue du géopolitique, Zeitschrift fur Geopolitik ;
conférencier, notamment au service de la politique du volkstum,
c'est-à-dire de la communauté allemande dans son ensemble,
au-delà des frontières de l'Etat allemand. Omniprésent sur
la scène intellectuelle allemande par une production dense et multiforme
(articles, comptes rendus...), Haushofer est désormais une
autorité intellectuelle sans contestation.
Ø De 1933 à 1946 :
le 30 janvier 1933, Hitler est nommé chancelier de
Reich. Rudolf Hess l'un des très proches de Hitler, entretient une
relation très étroite avec Haushofer, qui l'a introduit à
Hitler, ainsi Haushofer rencontre une dizaine de fois semble-t-il Hitler en
1922 et 1938, il ne reste aucune trace de conversation entre celui que Hess
appelle déjà «mon Führer » et le fondateur de
la géopolitique allemande.
Haushofer apparaît comme en marge de l'Allemagne
hitlérienne. Il ne sera jamais membre du parti nazi. Dans les
premières années de troisième Reich 1933-1936, Haushofer
occupe des responsabilités majeures dont les actions visant les
allemands de souche. Il appartient le nationalisme conservateur,
périmé par l'hitlérisme, une situation qui sera accrue
avec les lois raciales, sa femme est juive. De même, la censure atteint
son travail intellectuel, en particulier, son ouvrage Les frontières
1939 qui soulevait la question de la population allemande du Tyrol du Sud,
région rattachée en 1919 à l'Italie principale
alliée de l'Allemagne hitlérienne. De plus l'un des fils de
Haushofer, Albrecht, se trouve impliqué dans les tractations
secrètes pour parvenir à une paix entre Allemagne et
l'Angleterre, fut exécuté par la Gestapo en avril 1945.
Avec la capitulation de l'Allemagne hitlérienne,
Haushofer est arrêté par les forces américaines qui subit
l'interrogatoire a subi ceux suspectés d'être nazies.
Au cours de l'automne 1945, Haushofer est entendu comme
témoin au procès de Nuremberg.
Le 10 mars 1946, Karl Haushofer et sa femme Martha sont
retrouvés morts, les deux époux se sont suicidés.10(*)
b) la conception haushoferienne de la géopolitique
« Tout en n'étant pas le créateur de
terme technique de géopolitique, je passe à bon droit pour le
principal représentant de sa forme allemande. »11(*) C'est ainsi qu'atteste Karl
Haushofer d'être le géopoliticien le plus célèbre de
l'école allemande. à ce stade, y a-t-il une continuité
entre la géographie politique de Ratzel et la géopolitique de
Haushofer, ou atteste-t-on à une rupture épistémologique
totale ? Et quel est l'apport de la conception géopolitique
haushoferienne ?
1. parallélismes entre Haushofer et Ratzel
La pensée géopolitique de Ratzel et de
Haushofer, puise de même source, et adopte les mêmes postulats,
c'est ainsi qu'on peut en dégager plusieurs parallélismes, qu'on
évoquera ici brièvement :
n La Conception post - malthusienne, qui part de la question
du rapport entre la population et les ressources où le problème
de l'allocation de l'espace, en tant que ressource première, est la
préoccupation primordiale, constamment présente dans la
cartographie haushoferienne et dans la revue « Zeitschrift
fûr Geopolitik »...
n La conception de Hegel concernant l'Esprit - Etat comme
moteur de l'histoire.
n La conception positiviste assujettissant les
phénomènes humains à des lois naturelles invariables
n La conception darwiniste sociale (principalement Haeckel et
Spencer) reposant sur l'idée de lutte de l'espèce pour l'espace,
le peuple étant l'espèce primordiale.
n Les conceptions d'Arthur Gobineau et surtout de Houston
Stewart, Chamberlain, propulsant sur le devant de la scène historique
l'Esprit - race, la race marquant définitivement le potentiel d'un
peuple et son cheminement historique.
n La conception de la tendance à l'équilibre
politique mondial à travers la tendance à l'égalisation
des individus géographiques par la force (Ratzel).
n La conception kjellennienne impérialiste et
romantique de l'Etat faisant de son expansion un principe viril majeur.
n La conception capitaliste, industrielle et moderniste qui
fait de la notion de mouvement une obsession dominante, le mouvement devenant
un instrument de maîtrise de l'espace.
2. l'apport théorique de Haushofer
2.1. Théorie de « l'espace
vital » :
La notion de l'espace vital, est au coeur de la
géopolitique allemande, elle est présente dans les
réflexions de Ratzel, mais théoriser dans la pensée de
Haushofer, son objectif est de raffermir le sentiment d'appartenance des
allemands font à une communauté de civilisation-le Deutschtum-,
et de favoriser la création d'un espace où il pourrait
déployer librement leurs virtualités-le Lebensraum ;
l'espace culturel allemand doit retrouver son unité, son aire
d'expansion naturelle étant l'Europe centrale.
Les changements politiques intervenus en 1933 vont permettre
la mise en oeuvre de cet objectif, en remettant en question les
frontières de l'Etat existant.
Tandis que l'idée de grande Allemagne soutenue par
Haushofer s'insère en fait dans le cadre plus général
d'une pensée favorable, comme le fut d'ailleurs celle de Ratzel,
à la création de grands ensembles politiques à la
dimension des continents.12(*)
2.2 Théorie des «
Pan-ideen » :
L'originalité de la pensée géopolitique
de Haushofer, est dû essentiellement à sa notion des
« pan -idées », lesquelles soulignent la
centralité de la dimension spatiale dans la réflexion
géopolitique du savant allemand.
Une pan-idée a pour objet l'unité
géographique, ethnique ou civilisationnelle d'une communauté
humaine ; par exemple : pangermanisme, panaméricanisme...etc.
Selon Haushofer, le monde peut être subdivisé en
quatre grandes zones selon un axe nord-sud, chaque zone étant
dominée par une puissance dominante :
· la zone paneuropéenne incluant l'Afrique
destinée à être dominée par l'Allemagne.
· la zone panaméricaine destinée à
être dominé par les Etats-Unis ;
· la zone panrusse incluant l'Asie centrale et le
sous-continent indien ;
· le Japon étant destiné à dominer
la zone pan-asiatique.
Ces « pan-idées » nous
permettraient de comprendre les grands chocs que géopolitique de la
planète.13(*)
2.3 La puissance maritime et la puissance continentale.
Inspirait par Mackinder, et notamment sa notion de
Heartland, définit comme « le pivot géographique de
l'histoire », Haushofer préconise l'alliance de l'Allemagne
puissance terrestre avec le Japon, puissance navale. Ainsi le pacte
anti-komintern de 1937, qui réalisera le plus pire des cauchemars du
géopoliticien anglais, Mackinder, l'exclusion des puissances maritimes
de l'île du monde.
Haushofer écrivait : « l'idée du pacte
anti-komintern est à l'origine d'une des constrictions les plus
audacieuses de la politique mondiale. Ayant pris naissance sous la forme d'un
échafaudage d'acier qui recouvrait tout l'ancien monde entre l'Allemagne
et le Japon, le pacte anti-komintern n'est devenu une réalité
géopolitique que par l'entrée de l'Italie et par la fusion intime
des deux puissances de l'axe en Europe ».
Deux ans plus tard, avec le pacte germano-soviétique,
l'Allemagne trace l'ébauche d'une grande unification eurasiatique.
14(*)
C. la géopolitik au service d'une idéologie
nazie.
La mauvaise réputation qu'a stigmatisé la
géopolitique à l'issue de la seconde guerre mondiale, fut
justifiée par le fait qu'elle s'agit d'une science nazie, perçue
comme un instrument du propagande hitlérienne, ayant servi à
justifier les ambitions hitlériennes. Quelle est la part de
vérité dans toutes ces affirmations ? Peut-on réduire
la géopolitique allemande et notamment celle de Haushofer à une
simple composante idéologique de l'appareil nazi ?
Certes, la pensée géopolitique de Ratzel et puis
celle de Haushofer ont constitué une composante importante du climat
intellectuel et moral de l'Allemagne des années 1890-1945. Nombreux sont
les jeunes gens liés au nazisme et qui sont fascinés,
enthousiasmés par les livres et les articles de Haushofer en
l'occurrence Rudolf Hess et même Adolphe Hitler, mais cela peut-il
suffire pour détruire tout un édifice théorique
scientifique ?
La géopolitique dans sa pureté scientifique
n'est qu'une science comme les autres, elle veut s'identifier comme tel, peu
importe les utilisations idéologiques qu'on a fait d'elle, peu importe
les discours pseudo- géopolitiques des chefs nazis, qui cachaient leurs
intentions dominatrices subjectives derrière les lois d'un savoir qui se
veut objectif, on ne doit pas céder a la facilité intellectuelle
en excommuniant une science, un savoir sous prétexte de souillure
idéologique.
Dans un article intitulé De la
géopolitique, Haushofer écrivait et affirmait ces remarques
: « en tout état de cause une connaissance réelle et
scientifique de la géopolitique doit nécessairement
échapper à toute considération partisane et doit
être également vrai pour l'extrême gauche comme pour
l'extrême droite » il ajoute « c'est peut-être la partie
la plus difficile de la réponse à la si bonne et si facile
question : qu'est-ce que la géopolitique ? que de faire comprendre
à des hommes aux opinions politiques arrêtées que la
géopolitique doit rester libre de toute affirmation est
considération partisanes et qu'il convient d'en écarter la
politique, tâche tout aussi difficile. »15(*)
Conclusion :
Malgré tous les reproches qu'on a fait à la
géopolitique allemande, nul ne peut nier l'apport théorique
scientifique des géographes et des géopoliticiens allemands tels
un Ratzel ou un Houshofer, car ces théoriciens imprégnés
par esprit de leur temps celui de XIXe siècle et le début du XXe
siècle, caractérisé par la confiance de l'être
humain en la science et ses lumières, une confiance parfois aveugle mais
structurante, qu'a laissé voir le monde à leurs yeux comme un
grand laboratoire, ou l'être humain est la matière se trouvent
confondu, le déterminisme social n'est qu'une réaction face
à l'imprévisibilité de l'homme qui par sa nature fut
toujours une source d'opacité cognitive, une réaction radicale
qui vise à unifier l'être humain avec son milieu. L'école
géopolitique allemande, même si la fortune a voulu qu'elle fasse
sa naissance dans une conjoncture intempestive, une conjoncture marquée
par la prééminence de l'idiologie sur le savoir scientifique,
constituait la pierre angulaire d'un futur savoir géopolitique,qui
continua son développement secret dans les labos de ceux qui
l'interdisent,et qui aura désormais une importance scientifique et
politique majeure.
* 1 Cf. dictionnaire le Robert
(1965).
* 2 Cf. l'article
Positivisme de Angèle KREMER-MARIETTI in Encyclopædia
Universalis 2004.
* 3 Cf. l'article
l'évolutionnisme social et culturel de Jean CAZENEUVE in
Encyclopædia Universalis 2004.
* 4 Cf.
Géopolitique : constantes et changements dans l'Histoire. Aymeric
Chauprade, ellipses Editions, 2001.
* 5 Cf. la préface de
l'ouvrage de F.Ratzel la géographie politique par Michel Korinman.
* 6 Cf.
Géopolitique : constantes et changements dans l'Histoire. Aymeric
Chauprade, ellipses Editions, 2001.
* 7« L'Espace
vital » est d'ailleurs le titre d'un ouvrage de Ratzel paru en
1901 en allemand « Der lebensraum ».
* 8 Cf.
Géopolitique : constantes et changements dans l'Histoire. Aymeric
Chauprade, ellipses Editions, 2001.
* 9 Cf. R.KJELLEN , l'Etat
comme forme de vie, 1916
* 10 cf. Introduction à
la géopolitique, Philippe Moreau Defarges. Editions du seuil, 1994
* 11 cf. Apologie de la
« géopolitique » allemande, Karl Haushofer in De la
géopolitique, Fayard, 1986.
* 12 Cf.
Géopolitique : constantes et changements dans l'Histoire. Aymeric
Chauprade, ellipses Editions, 2001. p36
* 13 cf. Idem.
* 14 cf. Idem p 37.
* 15 Cf. art. De la
Géopolitique, Karl Haushofer in De La Géopolitique Fayard, 1986
pp 101-102.
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