La participation des diasporas camerounaises de France et de Grande-Bretagne à la vie politique nationale: émergence et consolidation de la citoyenneté à distance( Télécharger le fichier original )par Ruth Mireille Manga Edimo Université Yaoundé II - DEA en science politique 2008 |
INTRODUCTION GENERALEA. CONTEXTE ET INTERET DE L'ETUDEEvoquant en premier lieu l'expérience fragmentée et singulière du peuple juif : « persécution, destruction, exode, refuge, exil, survie, retour, reconstruction, mémoire, fidélité, résistance à la destruction, continuité dans l'adversité »2(*), le terme « diaspora » s'utilise aujourd'hui au pluriel pour désigner les migrations des hommes ayant quitté leur pays d'origine. La crise économique et sociale qui sévit au Cameroun à partir des années 1980 a entraîné une accélération des flux migratoires camerounais vers l'Europe, et de plus en plus vers l'Amérique du Nord (Etats-Unis, Canada), en raison notamment du durcissement des procédures d'entrées légales en France3(*). Mais le phénomène d'immigration des Camerounais à l'étranger est très ancien. En effet, des Camerounais se sont installés depuis plusieurs générations dans les pays du Nord, notamment, en France et en Grande-Bretagne. Selon Françoise Bahoken, on peut aujourd'hui distinguer trois groupes de migrants camerounais présents dans les pays du Nord. Le premier groupe concerne les Camerounais dont le départ calculé visait à pallier le dysfonctionnement du système éducatif, principalement secondaire et supérieur. Celui-ci a conduit les familles aisées -généralement issues de la première vague de migration- à se séparer de leurs enfants, en les envoyant se former dans les pays occidentaux. L'objectif était très souvent de leur permettre de poursuivre leurs études dans les écoles et les universités dispensant un enseignement de qualité. A l'issue de leur formation, ces populations retournaient généralement dans leur pays d'origine. Mais, avec la dégradation des conditions de vie et en l'absence des débouchés professionnels, une partie importante des étudiants camerounais formés dans les pays du Nord a préféré y rester. Ce groupe a constitué la première phase d'une « fuite des cerveaux ». L'accélération de ce phénomène est perceptible depuis les années 1980. Elle est favorisée, d'une part, par des réseaux visant à récupérer localement le retour sur investissement de l'envoi d'un proche en Europe se former, et d'autre part, par un désengagement des autorités camerounaises pour l'avenir de ses ressortissants partis se former à l'étranger. Le second groupe concerne des populations plus démunies, dont le départ tient plus à la survie qu'à l'acquisition d'une formation supérieure de qualité. Il est constitué davantage des adultes ''qui partent se chercher devant'' ; ceux qui font tout pour émigrer dans un pays du Nord, parfois au risque de leur vie, même si c'est avec le sentiment de sauver celle-ci. Désespérés, les migrants du second groupe quittent un contexte spécifique de débrouille locale, avec, d'une part, l'idée que l'ailleurs leur sera favorable et, d'autre part, la volonté de ''voir Paris et mourir''. C'est ainsi qu'ils se placent dans un contexte inattendu et insoupçonné de survie à l'étranger - qui présente des réalités différentes - même s'ils conservent malgré tout, l'idée qu'ils sont mieux qu'au pays. Le troisième groupe, dont une partie se confond avec les membres du second groupe, est plus délicat à cerner. C'est celui des feymen qui émerge dans les années 1990. Il caractérise plus ou moins le groupe de ceux qui, ne s'en sortant pas d'un point de vue légal, basculent dans le système d'activités informelles en vogue appelé feymania. Les trajets des migrants camerounais suivaient donc d'abord les routes de l'éducation, puis, celles de la prospérité économique et de la sécurité politique. Dans cette perspective, Sophie Bouly de Lesdain met en exergue la dégradation des conditions économiques du pays et ses répercussions sur l'enseignement comme cause principale et cause de l'accélération des flux humains camerounais vers les pays du Nord4(*). Au cours de leurs déplacements, les migrants camerounais ont gardé des liens (tribaux, nationaux, etc.) avec leur pays et leurs familles. Ils n'ont pas manqué de former des ''colonies camerounaises'' et autres « associations de solidarité des ressortissants camerounais », qui sont, au sens de Zaki Laïdi : « des lieux d'expression d'une identité collective, singulière à des fins de différenciation identitaire, de pesée politique... »5(*). Nombreux sont ceux qui ont pu, peuvent ou pourraient se reconnaître dans la définition d'une diaspora, car, ils dégagent dans ces territoires, un ''nous'' construit autour de significations nationales communes. Ils utilisent aujourd'hui ce terme, pour décrire leurs expériences politiques, culturelles ou sociales en terre étrangère et pour revendiquer leurs droits. Pour Chantal Bordes-Benayoun et Dominique Schnapper : « être une diaspora est même devenu un combat, une force, un slogan politique »6(*). L'affirmation d'un « soi collectif distinctif » mobilisant le lien national et communautaire d'origine constitue en quelque sorte l'essentiel de la logique de pénétration des immigrés camerounais dans les espaces sociaux français et anglais. C'est l'hypothèse de l'insertion sociale différentielle des Camerounais dans les sociétés d'accueil européennes. Il s'agit d'une insertion qui combine un processus d'identification en tant qu'auto-intégration des acteurs camerounais dans un ensemble plus vaste dans lequel ils ont tendance à se fondre, et un processus d'identisation en tant que travail de différenciation, de séparation du ''soi collectif distinctif'' des sociétés d'accueil que sont la France et la Grande -Bretagne. Les dynamiques d'insertion sociale des immigrés camerounais ne s'inscrivent nullement dans des stratégies de dilution pure et simple dans les sociétés d'accueil. Elles se dédoublent plutôt d'une action parallèle d'affirmation de la part de ceux-ci, du « droit d'être étranger », c'est-à-dire d'être différent et se prévaloir d'une représentation d'un ''soi collectif distinctif'' digne de considération et de respect7(*). Le Recensement général de la population (RGP) en France, réalisé en mars 1999, a dénombré 32 541 personnes de nationalité ou d'origine camerounaise, soit presque 1% d'étrangers installés en France, qui représentent 3 263 186 individus, soit 8% du total de la population française. Elle est marquée par une forte présence des femmes dès 1960 représentant ainsi la troisième population en provenance d'Afrique francophone (INSEE 1990)8(*). En 2005, on comptait environ 45 000 Camerounais vivant en France de manière régulière (hormis les doubles nationaux). On estimait à 150 000 le nombre de Camerounais en situation irrégulière9(*). Les Camerounais résidant en France essayent de s'organiser à travers les groupes culturels et sportifs tels que : le Cercle culturel de Loire- Atlantique (CCBLA) ; la Solidarité des filles Babimbi de France ; l'Association sportive et culturelle des étudiants camerounais de Rennes ; l'Amicale des Camerounais de France ; l'Association des amis du village de Gbalebouo (AAGBA) ; l'Association Bafoussam Plémet Amitié Solidarité (BPAS) ; l'Association culturelle des Bamboutos de France (ACBF) ; etc. Ces différentes associations des Camerounais de France ont généralement pour but de favoriser l'union, la fraternité, la solidarité, l'animation, la communication, la sauvegarde du patrimoine culturel et les échanges culturels entres leurs membres. Le sentiment d'appartenance au Cameroun s'exprime également dans des lieux inédits comme celui de la coiffure ou restauration. S'agissant de ce dernier cas, le restaurant le Kamukera à Paris est devenu depuis quelques années maintenant, un lieu de rencontre et de rassemblement des Camerounais de France. L'existence de ces associations et lieux de rencontre montre que les immigrés camerounais, une fois dans les sociétés d'accueil s'affirment comme des communautés diasporiques qui, bien que résidant à l'extérieur, ont une partie d'elles-mêmes ailleurs ; un ailleurs qui renvoie au ''chez eux''. Cependant, la réunion des Camerounais présents en France et en Grande-Bretagne ne se fait pas que sur des bases ethno-culturelles, mais elle se fonde également sur des bases politiques. C'est le cas des partis politiques camerounais nés à l'intérieur et qui s'exportent à l'étranger et des mouvements et associations politiques des nationaux qui se déploient en terres d'accueil française et anglaise. Tableau 1-Quelques associations politiques de Camerounais en France et en Grande-Bretagne 2006
Source : réalisé à partir des différentes données tirées des sites Web. A l'ère de la mondialisation, le ``modèle de diaspora'' apparaît comme une référence politique qui franchit les frontières et permet de faire entendre certaines revendications dans l'opinion publique internationale. La vulgarisation du terme s'explique sans doute par les valeurs de solidarité qu'il « proclame et l'alternative qu'il prétend offrir à l'affirmation des identités collectives, passant outre les barrières nationales »10(*). Plus qu'une expérience sociale, les diasporas sont devenues un enjeu politique. Au-delà des migrants, des expatriés et des voyageurs de toutes sortes, sportifs, diplômés, artistes, militants internationaux par exemple, ont pu, ici ou là, être qualifiés de diasporas. En effet, par le jeu de références multiples, on peut s'identifier à telle ou telle diaspora en valorisant tel ou tel de ces critères. Si les rapprochements réels ou virtuels entre les hommes sont plus aisés et les réseaux de relations plus denses, s'ils ont pu confronter l'identification à un destin commun d'exilés, ils n'ont pas aboli pour autant, comme le disent les auteurs précités, « les fractures et les différends », d'où, le caractère pluriel de la diaspora camerounaise de France et de Grande-Bretagne. Leurs identifications se cherchent entre le local, le national et l'international, se recoupent, se croisent et se font écho, mais aussi se mesurent les unes aux autres, rivalisent et parfois même s'affrontent. Désormais, le pont qui unit les hommes est préféré à la porte qui les sépare. Le développement des recherches sur les groupes ethniques et l'engouement pour le multiculturalisme à partir des années 1970, et 1980, ont mis à l'ordre du jour la thématique des diasporas. L'intérêt des recherches pour l'« excentrique, le différent, l'entre-deux, le marginal, le périphérique, le souterrain, le minoritaire, le non-officiel, le mêlé, le métis »11(*) et la bienveillance avec laquelle on considère désormais ces nouvelles formes de métissage ou de marginalité ont contribué à l'extension de la notion. Catégorie des situations intermédiaires par excellence, la diaspora permettrait de renouveler la recherche : les outils de la sociologie politique traditionnelle aurait eu une grande tendance à traiter des processus sociaux, notamment politiques, dans le cadre exclusivement national ; la diaspora est censée, comme le pensent Chantal Bordes et Dominique Schnapper, permettre de comprendre tout à la fois les mouvements migratoires décuplés par la mondialisation des échanges, les identités incertaines et fluides, la mobilité incessante des hommes12(*). De plus, là où l'ethnique durcissait les traits de l'Autre, le ''diasporique'' éclaircirait les contours d'une altérité changeante et diffuse. L'attrait des diasporas a grandi avec les interrogations nées de la mondialisation. Au-delà des réalités de plus en plus nombreuses qu'elles sont chargées de désigner, la faveur dont elles font l'objet manifeste aussi l'esprit et les manifestations de notre temps. La répartition géographique de la population camerounaise vivant en France montre une forte concentration de celle-ci en région parisienne. En 1999 par exemple, 60% des ressortissants camerounais résidaient à Paris, soit un effectif total de 19 819 personnes. C'est le département de Seine-Saint Denis qui en comptait le plus, avec 4 476 personnes (14% de l'effectif régional) dont 68% ayant conservé leur nationalité (3 057 personnes) ; suivi de Paris (13% de l'effectif régional) avec 2 849 personnes, parmi lesquelles 68% ont conservé leur nationalité. La forte majorité de la conservation de la nationalité peut être perçue comme la preuve d'un attachement à la mère-patrie Cameroun. Carte 1- La présence camerounaise en France en 1999 La diaspora africaine basée au Royaume-Uni s'est tout aussi considérablement diversifiée au cours de ces dernières années. Elle est concentrée à Londres, une des grandes métropoles mondiales. Cette diaspora africaine au Royaume-Uni est structurée sur des bases identitaires (l'ethnie, la terre d'origine, la région). Mais, ces organisations apparemment particularistes, recèlent des connaissances très étendues et constituent des réseaux dynamiques de connaissances13(*). Loin d'être un examen des conséquences sociales du phénomène migratoire camerounais (fuite des cerveaux, transferts de fonds, gains en expertise, investissements, etc.), notre étude ne vise pas non plus directement l'analyse des implications socio-politiques de l'émigration des Camerounais vers les pays du Nord. Elle consiste à un dépassement des frontières, du territoire national, comme ''cadres exclusifs'' d'analyse du déroulement du jeu politique national. Notre travail se consacre à l'étude des allégeances citoyennes au-delà du territoire national, d'où, notre intitulé : « La participation des diasporas camerounaises de France et de Grande-Bretagne à la vie politique nationale : émergence et consolidation de la citoyenneté à distance. » La longue période retenue (1950 à nos jours) se justifie dans la mesure où, c'est à partir de 1950 que des Camerounais de l'Occident en général, de France et de Grande-Bretagne en particulier, majoritairement constitués d'étudiants, commencent à s'organiser par rapport à la vie politique de leur pays. Aujourd'hui, la diaspora camerounaise s'est considérablement diversifiée et son nombre a considérablement augmenté. Cette longue durée (1950-2006) nous a permis de mieux appréhender la question de la participation des Camerounais de l'étranger qui est au coeur de notre problématique. Le cadre de cette étude est l'Occident en général, la France et la Grande-Bretagne en particulier. Nous devons ce choix à la fois aux liens historiques du Cameroun avec ces deux pays et à la configuration franco-anglophone de notre pays. Cependant, les données ayant été plus accessibles en France qu'en Grande-Bretagne, l'étude lui est largement consacrée dans l'espoir que nous aurons l'occasion d'approfondir la recherche plutard, dans un autre cadre si l'occasion nous est offerte. Par ailleurs, avant toute entreprise scientifique, il importe de préciser nos concepts opératoires. * 2 Chantal Bordes-Benayoun et Dominique Schnapper (2006), Diasporas et Nations, Paris, Odile Jacob, P.7 * 3F. Bahoken, « De la présence camerounaise en France à ``l'option diaspora'' », in Enjeux, n°24 (Juillet-Septembre 2005), PP. 9-10 * 4 Sophie Bouly de Lesdain (1999), Femmes camerounaises en région parisienne. Trajectoires migratoires et réseaux d'approvisionnement, Paris, L'Harmattan, P. 16 * 5 Zaki Laïdi (1998 : 9), cité par A. Chouala, « L'installation des Camerounais au Gabon et Guinée-Equatoriale », in Luc Sindjoun (2004) (dir.), Etat, individus et réseaux dans les migrations africaines, Paris, Karthala, P.105 * 6 Chantal Bordes-Benayoun et Dominique Schnapper, op.cit., P.8 * 7 A. Chouala (2004, a), « L'installation des Camerounais au Gabon et en Guinée-Equatoriale : les dynamiques originales d'exportation de l'Etat d'origine », in Luc Sindjoun, Etat, individus et réseaux dans les migrations africaines, Paris, Karthala, P. 114 * 8 Sophie Bouly de Lesdain, op.cit., P. 12 * 9 fr.wikipedia.org ./wiki/cmr. * 10 Chantal Bordes-Benayoun et Dominique Schnapper, op.cit., P. 9 * 11Ibid., P.13 * 12 Ibid. * 13 Chukwu-Emeka Chikezie, « La diaspora africaine : panafricanisme ou solidarité villageoise ? », document présenté au troisième forum pour le développement de l'Afrique (ADFIII),''définir les priorités de l'intégration régionale'' Addis-Abeba : 3-8 mars 2002. |
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