INTRODUCTION GÉNÉRALE
Autour de 1960, se développe une linguistique qui
s'occupe de la mise en oeuvre de la langue par des locuteurs
éventuels : l'énonciation. Cette dernière s'oppose au
structuralisme et à la grammaire générative qui
opèrent une coupure entre le langagier et le cognitif, et
séparent les énoncés de l'activité qui les a
produits. Parler ne se réduit donc pas, pour les linguistes de
l'énonciation, à transposer en langue des morceaux de
réalité. Cette réalité ne peut être
envisagée que par une subjectivité, c'est-à-dire qu'elle
est obligatoirement interprétée, appréciée,
jugée. C'est dire que l'énonciation permet l'étude des
différents indices qui révèlent la présence du
locuteur dans un discours, elle rend donc évidemment compte de la
modalisation. A cet effet, Dubois et co-auteurs (1999 :305)
définissent la modalisation comme étant la composante
du procès d'énonciation permettant d'estimer le degré
d'adhésion du locuteur à son énoncé.
Autrement dit, la modalisation définit la marque
donnée par le sujet parlant à son discours.
L'INTÉRÊT DU SUJET
La modalisation est une notion conflictuelle de la
linguistique contemporaine. Cela résulte de sa polymorphie et de son
caractère vaste et mouvant. De plus, elle peut être abordée
sous divers angles et elle est étudiée aussi bien en logique, en
linguistique qu'en sémiotique. Meunier (1974) souligne que le terme
modalité duquel dérive celui de modalisation
est en lui-même déjà complexe. De ce fait, ce dernier
(1974 : 8) écrit :
Parler de modalité, sans plus de précision,
c'est s'exposer à de graves malentendus. Le terme est en effet
saturé d'interprétations qui ressortissent explicitement ou non,
selon les linguistes qui l'utilisent, de la logique, de la sémantique,
de la psychologie, de la syntaxe, de la pragmatique ou de la théorie de
l'énonciation.
Il faut donc s'entendre sur une conception de la
modalité pour éviter les malentendus, d'autant plus qu'il existe
plusieurs approches de la notion. Il est question pour nous dans le cadre de ce
travail de construire une définition mieux adaptée à la
modalisation. Nous tenterons d'apporter notre modeste contribution à la
résolution de la complexité de cette notion tout en sachant qu'un
tel projet doit être conscient des limites auxquelles il se heurtera
nécessairement. Nous nous intéresserons, de ce fait, aux
procédés de modalisation dans l'oeuvre romanesque de Jules Verne,
notamment dans Michel Strogoff. Jules Verne est un écrivain qui
a le souci de l'exactitude dans les informations qu'il transmet. Nous voulons
montrer que, bien qu'étant un spécialiste des oeuvres
scientifiques d'aventure, Jules Verne met en exergue dans Michel
Strogoff des instances énonciatives dont les discours ne sont pas
dénués de commentaires subjectifs. Ainsi, même chez un
auteur qui se sert des faits historiques pour écrire une oeuvre, on peut
trouver des procédés de modalisation.
En ce qui concerne justement notre support d'étude, il
relate l'histoire de Michel Strogoff, courrier du czar de Russie, qui doit
traverser les steppes de Sibérie, pour aller prévenir le
frère du czar (à Irkoutsk) de la présence d'un
traître dans son entourage. Son voyage de plus de 5500 km sera compromis
par les Tartares commandés par un ancien officier impérial
révolté contre le czar, Ivan ogareff, qui envahissent la
Sibérie. Capturé, Strogoff est torturé et ses yeux
brûlés au fer rouge. Mais Michel Strogoff finit par tuer le
traître.
Nous tenons à préciser, par ailleurs, que la
notion de modalisation a déjà servi de prétexte à
plusieurs travaux. Ces derniers permettent de mesurer l'ampleur de la
complexité que revêt la notion de modalisation. On se propose donc
de revisiter les points de vue de Bally (1942, 1965), Gardies (1979, 1981) et
Charaudeau (1992). Cet exposé vise à présenter la
modalisation sous certains aspects problématiques qui ont nourri notre
réflexion et nous ont permis d'élaborer notre approche de la
notion.
L'ÉTAT DE LA QUESTION
- Bally et l'héritage de la logique
modale : le modus et le dictum
Les premières réflexions sur la modalité
ont été effectuées par la logique. C'est Aristote qui les
développe en premier à travers des questions philosophiques
soulevées dans De l'interprétation et les premiers
analytiques. Cette étude est prolongée par les analyses de
la logique modale classique, poursuivie par les philosophes et logiciens. La
logique modale limite les modalités au quaterne nécessité,
possibilité, impossibilité, contingence. De plus, elle n'envisage
la modalité que d'un point de vue formel, c'est-à-dire sans se
préoccuper du sens des mots.
Après le moyen âge, le concept de modalité
est repris en linguistique de l'énonciation par Bally. Cet auteur
propose essentiellement une approche linguistique de la modalité qu'il
associe étroitement à la phrase. Toute phrase renferme en son
sein une modalité et c'est même elle qui lui confère le
statut de phrase. Bally (1942 :3) donne de la modalité la
définition suivante : la modalité est la forme
linguistique d'un jugement intellectuel ou d'une volonté qu'un sujet
pensant énonce à propos d'une perception ou d'une
représentation de son esprit.
Une telle définition montre clairement que
pour Bally (1942), la modalité est une opération psychique que le
locuteur opère sur une représentation. Il faut donc distinguer
dans une phrase le modus et le dictum. Bally fait de cette
dichotomie la base de sa théorie de l'énonciation. Il part du
postulat que la langue est un instrument permettant la communication,
l' « énonciation » de pensées par la
parole. Et la forme la plus simplifiée de la communication d'une
pensée est la phrase. De plus, ce linguiste précise qu'une
pensée est une réaction soit par un constat, soit par une
appréciation ou un désir. La distinction entre modus et
dictum relève d'une distinction entre les aspects logique,
psychologique, linguistique qui conditionnent toute énonciation de la
pensée par la langue. A en croire Bally (1965 :36),
La phrase explicite comprend donc deux parties: l'une est
le corrélatif du procès qui constitue la représentation
(p.ex: la pluie, une guérison); nous l'appellerons, à l'exemple
des logiciens, le dictum. L'autre contient la pièce maîtresse de
la phrase, celle sans laquelle il n' y a pas de phrase, à savoir
l'expression de la modalité, corrélative à
l'opération du sujet pensant. La modalité a pour expression
logique et analytique un verbe modal (par exemple: croire, se réjouir,
souhaiter), et son sujet, le sujet modal, tous deux constituent le modus,
complémentaire du dictum.
La modalité se définit donc comme l'attitude
prise par le sujet parlant à l'égard du contenu de son
énoncé. L'analyse logique d'une phrase suppose l'existence
d'éléments corrélatifs au procès et
d'éléments qui ressortissent à l'intervention du sujet
parlant.
La conception de la modalité de Bally va
connaître des critiques notamment de la part de Ducrot (1989). Ainsi,
dans son étude sur l'énonciation et la polyphonie chez Bally,
Ducrot (1989 :186-187) fait remarquer que la distinction entre
modus et dictum suppose que toute pensée se
décompose en un élément actif ou subjectif, la
réaction, et en un élément positif ou objectif, la
représentation.
Cette distinction entre subjectif et objectif paraît
insoutenable pour Ducrot (1989) dès lors qu'il pense que des
énoncés de la langue pourraient décrire le monde tel qu'il
est sans la médiation d'un sujet parlant et d'une subjectivité,
c'est-à-dire sans passer par une instance énonciative
quelconque.
- Gardies et l'analyse syntaxique de la
modalité
Gardies (1981) estime que la logique modale réservait
à la notion de modalité une définition restreinte
puisqu'elle était limitée aux notions de nécessité,
impossibilité, possibilité, contingence. Ce dernier opte
plutôt pour une conception plus large de la modalité. Gardies
(1981 :13) parle de la modalité dans
Tous les cas où le contenu d'une proposition se
trouve transformé dans un sens quelconque, soit par adjonction d'un
verbe, soit encore par une subordination de son énoncé qui lui
confère le statut de proposition complétive.
La modalité est ainsi présentée surtout
sous un aspect syntaxique dans la mesure où c'est la façon dont
les mots sont disposés dans une phrase qui lui confère le statut
de modalité. Gardies (1979) relève, par ailleurs, que la
prépondérance des modalités aléthiques dans la
logique modale est accidentelle. Aristote les a étudiées dans le
cadre de sa philosophie, et c'est ce qui a donné un sens à cette
étude. Autrement dit, le privilège de ces modalités tient
au fait qu'Aristote en avait besoin pour exprimer son système
philosophique. Gardies (1979 :14) propose donc de dépasser ce point
de vue pour considérer sur un pied d'égalité les
modalités épistémiques, déontiques, temporelles,
aléthiques, etc.
Cependant, Picavez (2003) déplore le fait que Gardies
(1981) focalise son étude de la modalité sous un angle syntaxique
comme si c'était le seul critère susceptible de définir
cette notion.
L'on s'aperçoit que les auteurs tels que Bally (1942,
1965) et Gardies (1981) subordonnent l'étude de la modalisation à
celle de la modalité. Toutefois, certains linguistes de
l'énonciation et du discours s'efforcent de préciser la notion de
modalisation : c'est le cas de Charaudeau (1992).
- Charaudeau et l'approche énonciative de la
modalisation
Charaudeau (1992 :572) considère la modalisation
comme une partie importante de l'énonciation puisqu'
Elle en constitue le pivot dans la mesure où c'est
elle qui
permet d'expliciter ce que sont les positions du sujet
parlant par rapport à son interlocuteur (Loc
Interloc),
à lui-même (Loc Loc) et à
son propos (Loc Propos).
C'est dire que dans le processus d'appropriation de la langue,
le sujet parlant est amené à se situer par rapport à son
interlocuteur, au monde qui l'entoure et par rapport à ce qu'il dit.
Par ailleurs, à en croire Charaudeau (1992), la modalisation se
compose d'un certain nombre d'actes énonciatifs de base: ce sont les
actes locutifs. Ces derniers se divisent en trois : les actes allocutifs,
élocutifs, délocutifs. Ils ont pour sous-catégories les
différentes modalités énonciatives.
Toutefois, nous déplorons le fait que Charaudeau
(1992) privilégie surtout l'analyse des modalités
énonciatives dans son étude de la modalisation. Vion
(2001 :219), quant à lui, s'étonne que l'auteur
appréhende les modalités élocutives à partir du
schéma Loc > Loc alors même que dans sa définition, il
les associe à la relation que le locuteur entretient vis-à-vis de
son propos.
Dans cette perspective, Charaudeau (1992)
crée une confusion quant au contenu sémantique des
modalités élocutives.
A travers les différentes approches de la
modalisation que nous venons de présenter, on constate un
problème définitionnel lié à la notion d'autant
plus que la diversité d'angles sous lesquels elle est
appréhendée ne permet pas de la cerner.
PROBLÉMATIQUE ET
ORIGINALITÉ
Comme nous l'avons dit plus haut, le rapport entre
modalisation et modalité n'est pas explicité, et l'on pourrait
croire que ces deux concepts sont équivalents. C'est dans cette optique
que Vion (2001 :219-220) prend l'exemple de Le Querler (1996) qui
mentionne la notion de modalisation cinq fois sur la quatrième de
couverture de son ouvrage (Typologie des modalités) ; mais
à l'intérieur même de cet ouvrage, la modalisation n'est
pratiquement jamais évoquée et c'est plutôt le terme de
modalité qui y est fréquent. Néanmoins, les notions de
modalité et modalisation sont parfaitement distinctes. Le concept de
modalité renvoyant à une réalité statique, alors
que celui de modalisation apparaît plutôt comme un processus. C'est
pourquoi Arrivé, Gadet et Galmiche (1986: 389) considèrent que
la modalisation est le processus par lequel le sujet de
l'énonciation manifeste son attitude à l'égard de son
énoncé. Ainsi, la modalisation permet au locuteur de
manifester une attitude par rapport à ce qu'il dit. Nous partons de
l'hypothèse que la modalisation est un phénomène
occasionnel, caractérisé par un dédoublement
énonciatif avec un commentaire réflexif portant sur
l'énoncé du locuteur.
La modalisation pourrait alors être
définie comme un phénomène de double énonciation
dans lequel l'une des énonciations se présente comme un
commentaire porté sur l'autre, les deux énonciations étant
à la charge d'un même locuteur. Il s'agira donc pour nous de
montrer comment le recours à la modalisation permet à un
locuteur de se construire l'image d'un sujet distancié par rapport
à son dire, entraînant ainsi une incidence sur le
sémantisme de son énoncé. Ce faisant, nous nous posons les
questions suivantes : quels sont les phénomènes syntaxiques,
sémantiques, auxquels renvoie la modalisation ? Comment se
manifestent dans Michel Strogoff les procédés de
modalisation à travers les relations que le locuteur entretient avec
son discours ? Comment s'effectue la mise en valeur par le locuteur de son
propre énoncé ? La modalisation ne constitue t-elle pas
finalement une stratégie argumentative employée par Jules Verne
pour mieux rallier le lecteur à la cause qu'il défend dans son
oeuvre ?
On se propose de construire une grille d'approche qui
permette de développer quelques aspects des questions soulevées
et d'en esquisser des solutions.
CADRE THÉORIQUE
La stylistique de l'expression
La stylistique est à la fois une discipline et une
méthode qui a pour objet le style. Elle étudie entre autres, les
modes de composition utilisés par un auteur dans ses oeuvres, les
techniques du style, les traits expressifs d'une langue. Ce dernier aspect fait
partie de la stylistique de l'expression puisqu'elle s'intéresse
à l'isolement et à l'identification des faits d'expression
entendus dans leur caractère affectif afin de les
analyser. La stylistique de l'expression encore appelée stylistique de
la langue naît du désir de Bally (1951) de donner à la
stylistique un caractère scientifique et descriptif et non plus
normatif. Ainsi, pour le linguiste genevois (1951 :16),
La stylistique étudie donc les faits d'expression
du langage organisé au point de vue de leur contenu affectif,
c'est-à-dire l'expression des faits de la sensibilité par le
langage et l'action des faits de langage sur la sensibilité.
Cette caractérisation prend en compte non seulement
l'expression linguistique des sentiments, mais aussi la réception du
message, comme le montre bien l'intérêt porté à ce
que Bally appelle ici l'action des faits de langage sur la
sensibilité, ce qui prouve bien l'importance que l'auteur
accorde à l'interaction dans l'analyse de la communication. Car, avec la
stylistique de l'expression, précise Stolz (1999 :6),
chaque procédé d'expression est censé produire
un effet sur le récepteur, d'où une seconde dénomination
attachée à cette méthode, celle de stylistique des
effets. Il est donc question d'étudier non seulement les
procédés d'expression, mais aussi leurs effets sur le
récepteur.
En bon disciple de Saussure, Bally (1951) conçoit la
stylistique comme une extension de la linguistique saussurienne
appliquée au domaine des faits expressifs. Il précise que ces
faits constituent un système empruntant ainsi
à Saussure (1974) une notion que ce dernier avait introduite pour rendre
compte du fonctionnement des langues. Le père de la linguistique moderne
(1974 :159) pense en effet que, la langue est un système dont
les termes sont solidaires et où la valeur de l'un ne résulte que
de la présence simultanée des autres.
Bally (1951) reprend cette notion
de système pour l'appliquer à l'analyse
stylistique telle qu'il l'a définie. Les moyens d'expression sont entre
eux dans un état de relativité ; ils ne forment pas un
ensemble par leur nombre, mais un système par leur groupement et leur
pénétration réciproque. Les symboles linguistiques n'ont
de signification et ne comportent d'effet qu'en vertu d'une réaction
générale et simultanée des faits de langage, qui se
limitent et se définissent les uns par rapport aux autres. Ainsi, une
oeuvre littéraire forme un système cohérent
intrinsèque, de telle sorte qu'en décrire le style revient dans
la pratique à inventorier les faits de langue qu'elle actualise, et
à montrer comment ceux-ci s'articulent les uns avec les autres pour
produire un effet de style.
Dans ces conditions, l'objectif de Bally (1951) consiste
à dépasser le cadre de l'abstraction pour passer à celui
de la langue parlée à savoir le langage affectif. C'est à
ce dernier niveau qu'il faut placer l'oeuvre littérature qui n'est,
selon le linguiste genevois, qu'une parole individuelle. Ce faisant, la
stylistique de l'expression semble être le cadre conceptuel
opératoire capable d'apporter des réponses aux problèmes
soulevés par les procédés de modalisation dans Michel
Strogoff. En effet, la stylistique de l'expression analyse les
procédés, les caractères affectifs des faits d'expression,
les moyens mis en oeuvre par la langue pour les produire. Cette stylistique
s'intéresse aussi aux relations existant entre ces faits et enfin
à l'ensemble du système expressif dont ils sont les
éléments. Ce concept opératoire nous permet ainsi
d'envisager un plan en trois parties.
La première partie intitulée approche
théorique de la modalisation comporte deux chapitres. Dans le
premier, il sera question de lever un pan de voile sur les termes et concepts
employés dans les travaux de modalisation. Au deuxième chapitre,
nous essayerons de voir si les modalités énonciatives doivent
être considérées comme des procédés de
modalisation ou des marques de la communication intersubjective. En fait, ces
modalités sont au centre d'une vive controverse, c'est pourquoi nous
tenterons de voir si elles méritent d'être étudiées
dans notre corpus en tant que procédés de modalisation.
Dans la deuxième partie, nous étudierons les
jugements de fait et de valeur dans Michel Strogoff. Le
chapitre troisième nous permettra de nous intéresser aux
modalités d'énoncé, à leur fonctionnement, à
leur impact en tant que faits d'expression. Le chapitre quatrième, quant
à lui, portera sur la modalisation axiologique des
référents humains dans notre corpus. On verra de ce fait que la
description des personnages dans notre support d'étude n'est pas un fait
du hasard et que son étude revêt une grande importance dans la
compréhension de l'oeuvre.
La troisième partie portera sur l'analyse de la
modalisation comme une stratégie de mise en valeur et d'argumentation.
Au cinquième chapitre, nous étudierons comment les marquages
typographiques et les commentaires métalinguistiques permettent de
mettre en exergue des éléments apparemment sans valeur, mais qui
sont très significatifs et expressifs. Le sixième chapitre
s'intéressera aux différentes stratégies argumentatives
que Jules Verne emploie pour gagner le lecteur à sa cause.
PREMIÈRE PARTIE :
APPROCHE THÉORIQUE DE LA MODALISATION
Il est question, dans cette partie, de présenter notre
approche de la modalisation. Cela se fera en deux temps: étant
donné la diversité d'angles sous lesquels la modalisation est
étudiée, nous tenterons d'apporter au chapitre premier des
précisions terminologiques sur les concepts employés dans les
travaux la concernant. Au chapitre deuxième, nous essayerons de voir si
les modalités énonciatives peuvent être
considérées comme des procédés de modalisation et
si elles présentent des similitudes avec les modalités
d'énoncé.
CHAPITRE PREMIER :
PRÉCISIONS TERMINOLOGIQUES
L'une des causes de la complexité de la modalisation
provient de la difficulté qu'éprouvent la plupart des auteurs
à circonscrire la diversité des phénomènes auxquels
cette notion renvoie. Picavez (2003 :43) donne un aperçu du flou
sémantique qui entoure les notions liées à la modalisation
lorsqu'il rappelle :
O. Galatanu, dans sa définition [par
exemple] de la modalité parle de prise en charge du sujet parlant ou
sujet communicant. N. Le Querler évoque quant à elle la prise en
charge du locuteur ou du sujet énonciateur. On rencontre aussi dans
divers travaux les concepts de sujet d'énoncé, ou de sujet
d'énonciation.
A la lecture du point de vue de Picavez (2003), on se rend
compte que pour une même entité, plusieurs concepts sont
employés. Ce faisant, ce chapitre constitue une mise au point sur les
différents concepts et éléments linguistiques qui sont
employés pour référer à la modalisation.
I- LA CLASSIFICATION DES PROCÉDÉS DE
MODALISATION
Notre objectif dans ce paragraphe est d'exposer un
aperçu des différents procédés de modalisation
selon quelques auteurs avant de présenter la typologie qui sera mise en
contribution pour l'analyse de Michel Strogoff. Cependant nous allons,
avant toute chose, nous intéresser à la distinction
modus/dictum puisqu'elle est à la base de la théorie
générale de l'énonciation chez Bally (1965).
I.1- La distinction modus/dictum
Pour Bally, tout énoncé combine la
représentation d'un procès ou d'un état (dictum), avec une
modalité affectant ce dictum corrélative à l'intervention
du sujet parlant (modus). La modalité se définit donc comme une
attitude réactive du sujet parlant vis-à-vis d'un contenu. De
plus, la modalité se présente comme l'âme de la phrase.
C'est pourquoi Bally (1965 :35) affirme :
de même que la pensée, elle [la
modalité] est constituée essentiellement par
l'opération active du sujet parlant. On ne peut donc pas attribuer la
valeur de phrase à une énonciation tant qu'on n'y a pas
découvert l'expression quelle qu'elle soit de la
modalité.
Dans ces conditions, toute phrase contient obligatoirement une
modalité qui permet au locuteur de juger qu'une chose est ou n'est pas,
d'estimer qu'elle est désirable ou indésirable, ou de vouloir
qu'elle soit ou ne soit pas. Le modus et le dictum apparaissent, de ce fait,
comme deux notions consubstantielles, nécessaires à la
réalisation d'un énoncé. Un sujet énonciateur ne
réagit que parce qu'il y a une représentation. A propos justement
de la complémentarité qui existe entre le modus et le dictum,
Bally (1965 :38) déclare :
En portant maintenant notre attention sur le sujet du
modus, nous découvrons un autre rapport de
complémentarité. Ce sujet nous apparaît comme le
siège, le « lieu » de la représentation
exprimée par le dictum, et celle-ci est reliée au sujet par le
verbe porteur de la modalité, il a la forme d'un verbe transitif dont le
dictum est le complément d'objet. C'est donc, plus exactement une
copule, qui crée entre les deux termes qu'elle associe un rapport de
conditionnement réciproque ; car il n'y a pas de
représentation pensée sans un sujet pensant, et tout sujet
pensant pense à quelque chose.
Ainsi, comme dans toute dichotomie, la définition de
l'un des termes ne réside pas seulement dans les précisions
apportées quant à son contenu, mais dépend
également du terme opposé et de la définition qui en est
donnée. En l'occurrence, la question de la réaction du sujet
énonciateur est subordonnée à la définition de la
représentation. Aussi des rapports très étroits
unissent-ils les termes d'une phrase logiquement constituée (sujet
modal, verbe modal, dictum). Pour Bally (1965), un énoncé tel que
je crois que cet accusé est innocent présente un sujet
pensant (moi), opérant un acte de pensée
(croire), sur une représentation (l'innocence d'un
accusé).
Tout énoncé serait donc constitué d'un
sujet modal (x, l'être qui réagit), d'un verbe modal (le type de
réaction), et d'un dictum (la représentation, objet de la
réaction). Au regard de ces éléments qui composeraient un
énoncé, il y a lieu de se demander si la modalité ne se
manifeste que sous la forme d'un verbe quand on sait qu'une pléthore
d'éléments syntaxiques, grammaticaux peuvent également
exprimer une modalité.
Sur un tout autre plan, on constate que modalité et
subjectivité semblent se confondre chez Bally (1965) puisque, pour lui,
tout énoncé suppose la réaction subjective d'un sujet face
à un contenu objectif. Or, il assimile la présence d'un sujet
énonciateur dans un énoncé à celle de la
modalité. Dans cette perspective, la modalisation pourrait se confondre
avec la totalité des phénomènes énonciatifs
attestant de la présence du sujet dans ses productions. C'est dans ce
sens que Ducrot (1993 :128) souligne : ce qu'on appelle
idée, dictum, contenu propositionnel n'est constitué par rien
d'autre, selon moi, que par une ou plusieurs prises de positions.
Ducrot (1993) plaide à travers ces propos pour une
autre conception du dictum, de la représentation, qui
devrait permettre de mieux appréhender la notion de modalisation. Ce
linguiste admet donc que le niveau du dictum implique la
présence d'un sujet parlant qui organise ses énoncés dans
la plus parfaite subjectivité. C'est, par ailleurs, sur une telle
conception que s'appuie Culioli (1984) pour établir une typologie des
modalités.
I.2- La typologie de Culioli
Selon Culioli (1984), les phénomènes de
modalisation sont réductibles à quatre grands types de
modalités numérotés de un à quatre :
-La modalité de type 1 : elle comprend l'assertion
(positive ou négative), l'interrogation, l'injonction (ou
« impératif ») et l'assertion fictive (ou
« hypothétique »). La modalité de type 1
renvoie à ce qu'on appelle couramment les modalités de phrase. Il
s'agit d'une prise de position pas nécessairement consciente du sujet
quant au mode de verbalisation de la relation prédicative.
-La modalité de type 2 : elle est essentiellement
constituée de la modalité épistémique (certain,
probable, possible, nécessaire, etc.). Douay (2003 :4) indique que
cette modalité établit une relation entre
l'énonciateur et le contenu propositionnel de son énoncé.
Elle s'exprime principalement à travers certains auxiliaires modaux
et certains adverbes. Il est question d'évaluer quantitativement les
chances de validation de la relation.
-La modalité de type 3 : elle renvoie à la
modalité appréciative ou affective centrée sur le jugement
énonciateur qui marque un jugement qualitatif à l'égard de
son discours. A l'aide de cette modalité, l'instance énonciative
peut construire des évaluations, des non-prises en charge
vis-à-vis des propos émis. Vignaux (1988 :110) souligne, du
reste, que par l'intermédiaire de la modalité de type 3,
pourront se construire toutes les distances, les évaluations,
les non-prises en charge par le sujet de tel ou tel type d'assertion voire,
réciproquement des jugements
« autocentrés ».
Plus simplement, la modalité de type 3 permet au
locuteur de donner son avis par rapport au contenu de l'énoncé
qu'il profère.
-La modalité de type 4 : elle réfère
à la modalité intersubjective à travers laquelle
l'énonciateur essaye d'exercer une influence sur autrui. Cette
modalité trouve sa principale illustration dans la valeur dite
déontique des auxiliaires modaux.
A travers la présentation de la typologie
culiolienne, nous constatons que chaque expression de la modalité (quel
que soit le type dont elle relève) privilégie soit la relation
énonciateur-énoncé, soit la relation
énonciateur-co-énonciateur, sans que l'une des deux relations
soit complètement absente. En outre, Bouscaren et Chuquet
(1987 :36) notent un degré d'engagement de
l'énonciateur vis-à-vis de la relation prédicative de plus
en plus marqué. En effet, si les modalités de type 1
témoignent d'une certaine neutralité de l'énonciateur
quant à la validation, sa présence est de plus en plus
marquée lorsqu'on passe aux modalités de type 2 ainsi de suite.
Cependant, nous n'avons pas choisi la typologie de Culioli (1984) pour traiter
des procédés de modalisation dans Michel Strogoff pour
plusieurs raisons :
La modalité épistémique, d'après
Culioli (1984), permet d'évaluer quantitativement les chances de
validation de la relation prédicative. Il nous a semblé que cela
correspondait plutôt à la modalité aléthique.
D'autant plus que comme le dit Pottier (1992 :216),
l'épistémique est le domaine du croire, du
connaître, du souvenir, mettant en oeuvre le
cognitif. De ce fait, la modalité épistémique
donne la possibilité au locuteur de situer son énoncé par
rapport à la connaissance et la croyance.
Une autre raison pour laquelle nous n'avons pas choisi
la typologie de Culioli (1984) réside dans le fait qu'elle
considère que toute phrase comporte obligatoirement un
procédé de modalisation, or la modalisation est un
phénomène occasionnel. Dans ces conditions, Culioli s'oppose
à Le Querler (1996) qui estime que certains énoncés
peuvent ne pas être modalisés.
I.3- La typologie de Le Querler
La modalité, selon Le Querler
(1996 :61), peut être perçue comme une expression
de l'attitude du locuteur par rapport au contenu propositionnel de son
énoncé. Cette définition exclut l'assertion simple
qui ne contient aucun marqueur de l'attitude du locuteur. L'assertion simple
est constative ou informative sans aucun marqueur explicite de modalisation.
Après avoir défini la modalité, Le Querler (1996) propose
un classement des modalités qui s'organise autour du sujet
énonciateur.
-La modalité subjective : elle est l'expression du
rapport entre le sujet énonciateur et le contenu propositionnel, et
correspond aux modalités épistémique et
appréciative. Plus concrètement, Laurendeau (2004 :4) parle
de modalité subjective lorsqu'il est question d'une
fluctuation du savoir ou de la prise de parti du sujet
énonciateur. En d'autres termes, la modalité subjective
est présente dans un énoncé si le locuteur y exprime un
savoir ou une prise de position.
-La modalité intersubjective : elle renvoie au
rapport établi entre le sujet énonciateur et un autre sujet
à propos du contenu propositionnel. Autrement dit, c'est l'ensemble des
attitudes susceptibles de mettre en relation un locuteur et son allocutaire
à propos d'un énoncé.
-La modalité objective : Le Querler
(1996 :64) pense que cette modalité n'intervient que si
le sujet énonciateur subordonne le contenu propositionnel
à une autre proposition. Il s'agit d'une modalité qui ne
dépend ni du jugement de l'instance énonciative, ni de son
appréciation, ni de sa volonté.
Au regard de cette sous-catégorisation de Le Querler
(1996), Vion (2001 :218), estime qu'au niveau de la modalité
objective, il paraît inacceptable de présenter les
rapports entre propositions comme des phénomènes objectifs
indépendants d'un sujet parlant.
Il n'est donc pas évident d'admettre qu'il
puisse exister des énoncés qui soient purement constatifs. Aucun
énoncé ne saurait se limiter à décrire une
réalité si l'on prend en compte que, le simple fait de nommer
passe par les filtres de la perception, de l'interprétation, de la
catégorisation. C'est pourquoi, pour classifier les
procédés de modalisation, des linguistes tels que Galatanu (2002)
se limitent au recensement des phénomènes linguistiques
témoignant d'un jugement ou d'un commentaire du locuteur sur son
discours.
I.4- La typologie de Galatanu
Galatanu (2002) regroupe les domaines modaux en quatre
classes :
-Les valeurs ontologiques : elles sont incluses
dans ce que Galatanu nomme la zone modale des valeurs existentielles. Cette
linguiste (2002 :22) soutient que ces valeurs sont relatives
à la perception de l'existence du monde naturel et de la
société tels qu'ils sont représentés dans et par le
discours. Les valeurs ontologiques sont composées des
domaines aléthique et déontique. Galatanu (ibid.) insiste sur le
fait que les valeurs aléthiques
concernent l'appréhension du fonctionnement des lois
naturelles. En mots plus simples, l'aléthique permet d'indiquer si
un fait est nécessaire, possible, impossible ou aléatoire.
-Les valeurs de jugement de
vérité : elles sont constituées de
l'épistémique qui relève du savoir et des valeurs
doxologiques qui relèvent du croire.
-Le jugement axiologique, quant à lui, comme
l'affirme Picavez (2003 :54), est un jugement de valeur
organisé selon une logique binaire, chaque jugement comportant deux
pôles, positif et négatif. Le jugement axiologique comprend
quatre domaines : l'esthétique (beau et laid), le pragmatique
(utile et inutile), l'intellectuel (intéressant et
inintéressant), l'affectif (heureux et malheureux).
-Le domaine des valeurs finalisantes est
constitué du désidératif et du volitif.
La classification de Galatanu (2002) organise les
valeurs modales en un système cohérent et fini. Néanmoins,
on se demande pourquoi cet auteur considère la modalité
déontique comme une valeur ontologique dans la mesure où cette
modalité renvoie surtout aux notions d'obligation et de permis et non de
l'être. Par ailleurs, Galatanu n'explique pas pourquoi le
désidératif et le volitif sont considérés comme des
valeurs finalisantes.
Jusqu'ici, les différentes typologies de
procédés de modalisation présentées nous ont paru
parfois contradictoires et pas très compréhensibles, c'est
pourquoi nous avons également analysé la classification de
Gardes-Tamine et Pelliza (1998).
I.5- La typologie de Gardes-Tamine et Pelliza
Gardes-Tamine et Pelliza (1998) pensent que la modalisation
peut être exprimée à travers trois types
d'appréciation :
-Les premières confèrent au contenu du
dictum un certain degré de réalité et de
consistance : ce sont les modalités dites logiques encore
appelées modalités d'énoncé, elles se divisent en
trois catégories.
Les modalités aléthiques, d'après
Gardes-Tamine et Pelliza (1998 :93), concernent la valeur de
réalité de la proposition (nécessaire, impossible,
possible, contingent). En fait, les modalités aléthiques
permettent d'évaluer les chances de réalisation du contenu d'un
énoncé.
Les modalités épistémiques marquent le
savoir de l'énonciateur (certain, plausible, douteux, contestable).
Les modalités déontiques expriment le devoir ou
le droit (permis, obligatoire).
-Les deuxièmes types d'appréciation
dénotent un engagement psychologique : ce sont les modalités
affectives qui renvoient au domaine de l'axiologie. Gardes-Tamine et Pelliza
(ibid.), estiment qu'elles n'affectent pas le contenu de la proposition,
mais indiquent simplement la façon dont le locuteur le considère
comme souhaitable, regrettable, redoutable...
-Les troisièmes types renvoient aux
modalités métalinguistiques. Nous préférons
cependant la dénomination modalisation autonymique
d'Authier-Revuz. Ce terme désigne les commentaires du locuteur sur son
énoncé et concerne non pas le contenu de cet
énoncé, mais l'adéquation du dictum au monde, aux
intentions du locuteur.
Nous avons choisi la typologie de Gardes-Tamine et Pelliza
(1998) parce qu'elle nous paraît mieux structurée. C'est pourquoi
nous avons dépouillé notre corpus suivant ce classement et nous
avons d'ailleurs regroupé les occurrences dans le tableau suivant:
Tableau des statistiques
Procédés de modalisation
|
Occurrences
|
Pourcentages
|
Modalité aléthique
|
480
|
32,65%
|
Modalité épistémique
|
373
|
25,37%
|
Modalité déontique
|
95
|
6,46%
|
Modalisation axiologique
|
450
|
30,61%
|
Modalisation autonymique
|
175
|
11,90%
|
Total des occurrences des procédés de
modalisation : 1573
|
Ce tableau présente les différents
procédés de modalisation que nous avons relevés dans
Michel Strogoff. Nous constatons de ce fait que la modalité
aléthique est la plus récurrente, suivie de la modalisation
axiologique. La modalisation épistémique, quant à elle, a
une fréquence moyenne. La modalisation autonymique et la modalité
déontique ont peu d'occurrences. Nous allons voir l'usage concret de ces
procédés à partir de la deuxième partie de notre
travail.
Après avoir effectué une analyse de quelques
typologies des procédés de modalisation, l'on est en droit de
s'interroger sur le nom qu'il faut attribuer à celui qui est à
l'origine de ces différents procédés.
II- LA SOURCE DE LA MODALISATION
Nous entendons par source de la modalisation, l'entité
qui exprime son attitude (ou dont on exprime l'attitude), qui émet un
jugement, qui est responsable de la modalisation. La question qui se pose est
de savoir quel nom attribuer à la personne qui est à la base de
la modalisation dans Michel Strogoff. Est-ce le sujet modal ou le
support modal ? Nous allons au préalable essayer de clarifier les
notions de sujet parlant, locuteur et énonciateur.
II.1- Le sujet parlant, le locuteur et
l'énonciateur
Les termes sujet parlant, locuteur et énonciateur
prêtent très souvent à confusion. L'on est presque toujours
tenté de les considérer comme des synonymes. Cela paraît
être le cas de Mounin (1974 :206) qui fait remarquer que le locuteur
est la personne qui produit un énoncé. Par la
suite, Mounin (1974) donne comme synonymes de locuteur, sujet parlant et
énonciateur. Nous voulons montrer que ces notions renvoient plutôt
à des instances différentes qui se superposent dans un texte.
Elles sont d'ailleurs au centre des travaux sur la polyphonie menés par
Ducrot (1984). Pour mieux faire comprendre comment les trois instances qu'il a
introduites se repartissent les tâches dans le discours, Ducrot (1984) se
tourne vers la théorie littéraire et établit un
parallèle avec la triade responsable de la narration dans la
théorie (auteur, narrateur, personnage).
II.1.1- Le sujet parlant
Le sujet parlant est le producteur effectif de
l'énoncé, un être physique qui n'est pas
réalisé dans l'énoncé lui-même. C'est ce qui
ressort des propos de Maingueneau (1993 :76) lorsqu'il soutient que le
sujet parlant, joue le rôle de producteur de
l'énoncé, de l'individu (ou des individus) dont le travail
physique et mental a permis de produire cet énoncé.
Ce sujet se définit alors comme l'individu dans le
monde qui prononce l'énoncé. C'est dans le même sens que
Larcher (1998 :219-220) souligne : le sujet parlant est un
être empirique, auteur du discours, mais extérieur
à lui. Aussi le sujet parlant appartient-il au monde
extralinguistique. L'on peut dire, de ce fait, que pour ce qui est de notre
corpus, le sujet parlant est Jules Verne. En fait, c'est lui qui a produit,
rédigé Michel Strogoff même si ce n'est pas
à lui qu'on doit attribuer la responsabilité des
énoncés qui y sont proférés, mais au locuteur.
II.1.2- Le locuteur
Il représente la personne à qui on doit imputer
la responsabilité d'un énoncé. Plus exactement, le
locuteur profère un énoncé (dans ses dimensions
phonétique et phatique ou scripturale) selon un repérage
déictique ou indépendant. Ducrot (1984 :190) indique, en
outre, que le locuteur est désigné par les marques de
la première personne (celui qui est le support des procès
exprimés par un verbe dont le sujet est je, le propriétaire des
objets qualifiés de miens, celui qui se trouve à l'endroit
appelé ici).
Ducrot (1984) traduit ainsi le fait que le locuteur est
appréhendé comme l'origine des repérages utiles pour
l'étude des mécanismes. C'est dans le même ordre
d'idées que Meunier (1990 :384) estime que le locuteur est un
être de discours, ayant la compétence d'un code et
à partir duquel se construisent les valeurs
référentielles, et les repères de la déixis.
La présence du locuteur est perceptible à travers des
éléments grammaticaux tels que les pronoms personnels à la
première personne. C'est le cas dans Michel Strogoff lorsque le
personnage passe du statut de non-personne à celui de locuteur, le
discours direct ayant la capacité d'introduire dans la narration les
énonciations des autres sujets comme dans les exemples suivants:
(1) Je sais tout cela Altesse, et je sais
aussi qu'Ivan Ogareff a juré de se venger personnellement du
frère du czar. (p.323)
(2) Je crois même qu'il y a un vers
célèbre à ce sujet, mais du diable ! (p.301)
(3) Je ne peux plus aller. (p.283)
Dans ces énoncés, les locuteurs (Ivan
Ogareff, Alcide Jolivet, Nadia) sont bien présents et se manifestent par
l'emploi du pronom personnel je. Ils assument la portée de
leurs propos et c'est leur voix qui modalise leurs énoncés
respectifs. Par contre, il arrive souvent que le locuteur soit absent notamment
dans les énoncés historiques qui ont toutefois un
énonciateur. Le locuteur est alors réduit à un metteur en
scène répartissant la parole entre différents personnages.
Selon Rabatel (2005 :11),
cette conception de la mise en scène
énonciative fait du locuteur, sinon une instance vide, du moins
l'organisateur abstrait et quasi fantasmagorique des relations avec les
énonciateurs qui traversent son discours, sans que le locuteur soit
aisément saisissable.
D'une façon significative, le locuteur est
présent dans l'énoncé, mais ne se manifeste pas et prend
même souvent ses distances. Il est partout, à travers sa mise en
scène des énonciateurs, et nulle part, pour son propre compte,
tellement la relation du locuteur à l'énonciateur est floue au
regard des mécanismes de prise en charge. A en croire Vion
(1998 :71), il en résulte que le locuteur choisit de parler
à travers des simulacres, des fluctuations permettant au sujet
de jouer à cache-cache avec des opinions, de les camper, de
disparaître, de jouer une position en mineur ou en contrepoint, puis de
se réapproprier plus ou moins violemment une place énonciative
dominante.
C'est dire que le locuteur se pose comme le maître
dans l'organisation du discours. Il y a une sur-valorisation du locuteur,
considéré comme un grand metteur en scène difficilement
saisissable, auquel il est difficile d'assigner un point de vue qui le
caractérise en propre. Analysons, à cet effet, les
énoncés ci-dessous :
(4) Il ne pouvait hésiter et se mit à
l'oeuvre. (p.172)
(5) Leur ancien compagnon de voyage, pris avec eux au
poste télégraphique, savait qu'ils étaient parqués
comme lui dans cet enclos que surveillaient de nombreuses sentinelles, mais
il n'avait point cherché à se rapprocher d'eux.
(p.193)
(6) Mais Nadia comprit que son compagnon ne lui
disait pas tout, et qu'il ne pouvait pas tout lui dire. (p.282)
(4), (5) et (6) représentent des
énoncés où le locuteur n'est pas présent. Le
discours se déroule à la troisième personne (il,
ancien compagnon, Nadia). Le locuteur (narrateur) donne existence à
des énonciateurs dont il organise les attitudes et exprime les points de
vue. Il se présente comme le porte parole des personnages dont il
structe les pensées qu'il dévoile par la suite au lecteur. Le
locuteur tient une place primordiale dans notre support d'étude dans la
mesure où les jugements qui y sont énoncés émanent
explicitement ou implicitement de lui. De plus, même quand les
énonciateurs s'expriment directement, c'est le narrateur qui oriente
l'angle sous lequel doivent être perçus leurs propos ; les
idées véhiculées dans Michel Strogoff sont
liées à l'idéologie que défend le narrateur. Cela
étant, à quoi consiste au juste le rôle de
l'énonciateur dans un énoncé ?
II.1.3- L'énonciateur
C'est l'instance qui accomplit l'acte illocutoire,
c'est-à-dire qui prend la responsabilité de l'intention
exprimée par cet acte. Ducrot (1984 :204) donne une
définition plus précise du rôle des énonciateurs
lorsqu'il déclare que ce sont des
êtres qui sont censés s'exprimer
à travers l'énonciation, sans que pour autant on leur attribue
des mots précis ; s'ils « parlent », c'est
seulement en ce sens que l'énonciation est vue comme exprimant leur
point de vue, leur position, leur attitude, mais non pas, au sens
matériel du terme leurs paroles.
Ducrot (1984) définit donc solidairement
l'énonciateur et le point de vue. Néanmoins, il convient de
préciser que ces deux termes ne sont pas consubstantiels, ils ne
fonctionnent pas au même niveau. La notion de point de vue n'étant
pas aussi fondamentale que le concept d'énonciateur, mais jouant
plutôt un rôle secondaire dans la définition de
l'énonciateur. A cet effet, les points de vue ne sont pas des
réactions à propos des faits, mais des façons de voir les
faits. Sur un tout autre plan, Charaudeau et Maingueneau (2002 :226)
relèvent le fait que tout énonciateur n'est pas
nécessairement locuteur : ainsi des points de vue
véhiculés dans un énoncé doxique, ou un point de
vue narratif dans un récit
hétérodiégétique.
C'est dire que lorsque le locuteur présente dans un
énoncé un point de vue qui n'est pas à sa charge, l'on
note obligatoirement la présence d'un énonciateur.
Néanmoins, si le locuteur assume le contenu propositionnel d'un
énoncé, cela signifie que ce locuteur en est également
l'énonciateur. Dans Michel Strogoff, l'énonciateur est
surtout considéré, selon Rabatel (2005 :1), comme
l'instance à la source d'un point de vue exprimé dans
un contenu propositionnel. Cela du fait que les évènements
passent rarement par le regard d'un personnage, mais très souvent par
celui du narrateur. Les énoncés suivants sont assez
éloquents à ce sujet :
(7) Alcide Jolivet, optimiste par nature, semblait
d'ailleurs, trouver que tout se passait convenablement. (p.63)
(8) Nadia ne pouvait plus se traîner, mais
elle pouvait voir pour lui. (p.287)
(9) Michel Strogoff ne le savait et ne pouvait rien
décider sans être fixé à cet égard.
(p.164)
Les personnages Alcide Jolivet, Nadia, Michel Strogoff
cités ci-dessus sont énonciateurs sans être
locuteurs ; la voix du narrateur accueille dans un récit,
l'expression d'une subjectivité qui n'est pas celle des locuteurs
premiers. Plus concrètement, ce sont les attitudes et les comportements
des différents énonciateurs qui permettent de modaliser les
énoncés même si c'est grâce à la voix du
narrateur que le locuteur a accès à ces points de vue. Dès
lors, les énonciateurs sont réduits à des porteurs de
contenus propositionnels dont les attitudes sont reparties selon la
volonté, selon le gré du locuteur.
On s'aperçoit donc qu'il y a une nette distinction
entre le sujet parlant, le locuteur et l'énonciateur, même si on a
souvent l'impression que cette distinction n'est pas perceptible. Le sujet
parlant, être empirique, produit effectivement l'énoncé. Le
locuteur, quant à lui, parle dans le même sens que le narrateur
raconte ; mais il ne présente pas toujours les
événements, les attitudes de son point de vue à lui, il a
souvent recours à l'énonciateur dont il présente le point
de vue. Toutes ces instances se superposent et expriment soit le sujet modal,
soit le support modal.
II.2- Le sujet modal et le support modal
Il est question dans ce paragraphe d'établir la
distinction entre le sujet modal et le support modal et de voir laquelle de ces
deux notions exprime l'entité qui est à la base de la
modalisation.
II.2.1- Le sujet modal
De prime abord, l'on remarque que la notion de sujet modal
renferme le terme sujet. D'après Wagner et Pinchon
(1991 :24), ce mot dénote la fonction assumée par le
terme ou le membre qui confère à un verbe ses catégories
de personne, de nombre et éventuellement de genre.
Cette définition essentiellement grammaticale
laisse penser que le sujet modal n'est autre que le sujet du verbe modal. A cet
effet, Bally (1965 :39) prend le cas de je qui est sujet modal
dans je crois que tu mens. Le verbe modal est croire et
le dictum tu mens. Dans cette perspective, nous pouvons analyser le
sujet modal dans les exemples suivants :
(10) Je serai très satisfait de faire avec
vous une partie de mon voyage, mais je dois vous prévenir que
je suis extrêmement pressé d'arriver à Omsk.
(p.122)
(11) Je crains bien que la foire de Nijni-Novgorod ne
finisse pas aussi brillamment qu'elle a commencé ! répondit
le second interlocuteur, en secouant la tête. (p.46)
(12) Tu ne peux même plus te traîner, ma
pauvre Nadia ! (p.284)
Le sujet modal est respectivement
représenté en (10), (11) et (12) par les pronoms personnels
sujets je (dois), je (crains) et tu (peux). Meunier
(1974) estime, toutefois, qu'il faut prendre garde à cette façon
de penser puisque le sujet modal peut ne pas être exprimé.
Cet auteur (1974 :20) précise, de ce fait, que les
phrases à modalité logique : il est possible, il faut
que... ne présentent pas de sujet modal. Celui qui émet un
jugement de possibilité ou de nécessité est à la
fois sujet d'énonciation et sujet modal.
Les propos de Meunier (1974) semblent
contradictoires dans la mesure où il dit que le sujet modal peut
être à la fois absent ("ne présentent pas de sujet
modal") et présent ("à la fois sujet
d'énonciation et sujet modal"). S'il est de nature syntaxique, le
sujet modal non réalisé est tout simplement absent de
l'énoncé. Par contre, un élément de nature
sémantique peut être présent de façon implicite.
C'est en tout cas ce que semble suggérer Meunier (1974) à travers
ses propos. Par ailleurs, cet auteur prend un exemple de modalité
exprimée non par un verbe, mais par un adjectif opérateur (il est
possible). Ainsi, le sujet modal ne concernerait pas uniquement les verbes,
mais aussi les autres expressions lexicales de la modalité.
On constate qu'il demeure un certain flou autour du
sujet modal. Nous préférons donc nous joindre à Picavez
(2003 :46) pour ne parler de l'expression sujet modal que pour
désigner le sujet grammatical du verbe modal. Cela veut dire
que la notion de sujet modal ne renvoie pas à celui qui est à
l'origine de la modalisation. On se propose alors de faire plutôt appel
à l'expression support modal.
II.2.2- Le support modal
Le support modal renvoie à la personne
à qui peut être attribuée l'attitude modale. C'est dans
cette optique que Meunier (1990 :385) soutient que le support modal est
la source des opérations de modalisation,
responsable des jugements épistémiques et déontiques, des
évaluations (sujet axiologique). [...] il exprime (ou on exprime
à sa place) un point de vue sans qu'il y ait nécessairement
parole de sa part.
C'est dire que le support modal peut être présent
ou absent de l'énoncé qu'il modalise. Meunier (1990 :375)
parle aussi de source du jugement modal pour référer au
support modal. Nous allons tenter de mieux saisir la signification du concept
de support modal à l'aide des exemples suivants:
(13) Voilà des gens suspects, et auxquels
l'arrêté du gouverneur me paraît, cependant, devoir
être plus utile que nuisible ! (p.68)
(14) Je ne doute pas de ton courage Nadia, mais il
est des fatigues physiques qu'une femme ne peut supporter. (p.93)
(15) Ils durent croire que leur malheureux compagnon
avait été broyé dans cette chute ! (p.276)
Le support modal coïncide avec le locuteur, ainsi
qu'avec le sujet modal en (13) et (14). En effet, ceux qui prennent la parole
dans ces énoncés sont également ceux qui les modalisent
comme l'attestent les pronoms personnels à la première personne
(me en (13) et je en (14)). Les supports modaux ne passent
donc pas par la voix d'une autre personne pour exprimer leur jugement. Par
contre, en (15) le support modal est totalement absent dans la mesure où
la source de la modalisation renvoie à l'ensemble de ceux qui durent
croire. C'est pourquoi on note l'emploi d'un pronom personnel à la
troisième personne (ils). Comme le dit Picavez (2003 :47),
le sujet parlant attribue à un tiers des propos ou des
pensées qui ne sont pas les siens. Il interprète les paroles ou
le comportement de x, et c'est à partir de cette interprétation
qu'il attribue une attitude à x.
D'une façon significative,
l'énoncé apparaît comme un compte rendu de ce qu'a
exprimé le support modal. Le sujet parlant peut dans ce cas ajouter
subtilement son jugement étant donné que personne ne
connaît véritablement les propos ou les intentions du support
modal.
Au terme de ce chapitre consacré aux
précisions terminologiques autour de la notion de modalisation, nous
nous sommes aperçue de la diversité des mots, des concepts qui
entrent en compte lorsqu'on évoque les phénomènes de
modalisation. Ce faisant, nous avons choisi la classification des
procédés de modalisation selon Gardes-Tamine et Pelliza
(1998) ; nous avons également vu que le terme support modal semble
être la dénomination adéquate pour désigner celui
qui est à l'origine des opérations de modalisation dans
Michel Strogoff. Toutefois, à la lecture des travaux de
certains linguistes, il demeure un certain flou sur l'appartenance ou non de
plusieurs éléments linguistiques au rang des
procédés de modalisation : c'est le cas des modalités
énonciatives.
CHAPITRE DEUXIÈME :
LES MODALITÉS ÉNONCIATIVES :
PROCÉDÉS DE MODALISATION OU MARQUES DE LA COMMUNICATION
INTERSUBJECTIVE ?
Les modalités énonciatives peuvent être
entendues comme l'interrelation établie par l'énonciation entre
locuteur et allocutaire. Ces modalités sont au centre d'une vive
controverse parmi les linguistes. En effet, certains (Mercier-Leca 1998, Vion
2001...) soutiennent que les modalités énonciatives n'ont pour
rôle que de spécifier le type de communication qui s'instaure
entre le locuteur et son auditeur. D'autres linguistes au rang desquels
Charaudeau (1992) affirment que les modalités énonciatives sont
bel et bien des procédés de modalisation. S'agissant justement de
Charaudeau (1992), il pense que parler de modalités énonciatives
revient à parler de modalisation. Voici, du reste, ce qu'il écrit
(1992 :574) à propos de la modalisation :
la modalisation se compose d'un certain nombre
d'actes énonciatifs de base qui correspondent à une position
particulière -et donc à un comportement particulier- du locuteur
dans son acte de locution. Ces actes de base seront appelés : Actes
locutifs, et les spécifications de ces actes
(sous-catégories) : Modalités
énonciatives.
Selon Charaudeau (1992), les modalités
énonciatives seraient donc des actes énonciatifs permettant
à un locuteur de porter un jugement sur son propre énoncé.
Face à cette diversité d'opinions, on se demande quel est en fait
le fonctionnement, la valeur des modalités énonciatives ;
ces modalités peuvent-elles être analysées dans
Michel Strogoff en tant que procédés de
modalisation ? Y a-t-il une confusion possible entre les modalités
énonciatives et les modalités d'énoncé dans la
mesure où ces deux types de modalités sont souvent pris l'un pour
l'autre? La tentative de réponse à ces questions sera
menée en deux étapes. Il s'agira tout d'abord de présenter
les critères formels permettant de distinguer les modalités
énonciatives les unes des autres. Nous établirons ensuite les
similarités et les dissemblances qui existent entre les modalités
énonciatives et les modalités d'énoncé.
I- LA STRUCTURE ET LE FONCTIONNEMENT DES
MODALITÉS ÉNONCIATIVES
D'un point de vue énonciatif, la structure d'une
phrase donnée est associée à l'un des trois actes de
langage suivants : constater (asserter), questionner, ordonner. On
distingue alors trois types de phrases fondamentaux : les types assertif
(déclaratif), interrogatif, injonctif. A ces derniers types, certains
auteurs, à l'instar de Maingueneau (1999), ajoutent un
quatrième : le type exclamatif. Cependant, la phrase exclamative ne
comporte pas de caractéristiques syntaxiques et morphologiques
permettant de la distinguer nettement des trois autres types. C'est pourquoi
nous estimons comme Tomassone (1996 :123) que l'exclamation ne
constitue pas [...] un acte de langage, qui implique une relation
particulière entre le locuteur et le destinataire.
Ce faisant, c'est à l'aide des modalités
assertive, interrogative et injonctive que nous tenterons de voir si les
modalités énonciatives constituent des procédés de
modalisation ou des marques de la communication intersubjective. Nous avons,
à cet effet, relevé les occurrences des différents types
de phrase dans notre corpus.
Modalités énonciatives
|
Occurrences
|
Pourcentages
|
Assertion
|
212
|
26,93%
|
Interrogation
|
450
|
57,17%
|
Injonction
|
125
|
15,88%
|
Total des occurrences des modalités
énonciatives: 787
|
Ce tableau donne un aperçu des
modalités énonciatives employées dans notre corpus.
L'interrogation est la modalité la plus usitée. L'assertion et
l'injonction n'ont qu'une fréquence moyenne. Voyons à
présent comment ces modalités sont concrètement
utilisées dans Michel Strogoff.
I.1- L'assertion
L'assertion implique un jugement sur la valeur de
vérité du contenu de l'énoncé. Soutet
(1989 :76) ajoute que ce contenu est donné comme vrai par
son énonciateur, c'est-à-dire adéquat au
référent qu'elle [la phrase assertive] vise à
décrire. Le locuteur donne alors une information, formule un
jugement sur quelqu'un ou sur quelque chose en les présentant comme
certain. Cette information est soumise à l'appréciation du
récepteur qui peut la juger vraie, fausse ou ni vraie ni fausse.
L'assertion s'exprime à l'aide de la phrase de type déclaratif
qui peut être affirmative ou négative. L'énoncé
assertif dépend, par ailleurs, de deux principaux facteurs : le
mode verbal et l'ordre des constituants de la phrase.
I.1.1- Le mode verbal
Le mode (c'est-à-dire la « manière
d'être ») concerne l'existence du procès, et
répond à la question de savoir si le procès s'inscrit dans
la réalité ou bien dans la pensée seulement. Guillaume
(1946-47), à l'aide de la psychomécanique explique bien le
fonctionnement du mode verbal en français. D'après cet auteur, il
faut à la pensée du temps si peu que se soit pour agir en
elle-même et sur elle-même. La langue étant un
système, Guillaume estime qu'on devra distinguer le temps qui a servi
à sa construction, temps historique, et un autre temps qui est le temps
nécessaire à une opération de pensée, temps
réel pendant lequel la pensée reconstruit en elle l'image
temps : c'est le temps opératif. Celui-ci peut être
représenté par un axe longitudinal qui porte une
opération : la chronogenèse. Elle est un vecteur permettant
de schématiser le système verbo-temporel et sur lequel seront
portées des coupes que la pensée a effectuées dans la
chronogenèse. Ces coupes sont appelées chronothèses et
correspondent chacune à un mode différent. Guillaume
(1946-47 :21) définit à cet effet le mode de la façon
suivante : une forme qui sert à dater les chronothèses
dans la chronogenèse. Chaque chronothèse porte dans la langue sa
date en chronogenèse et cette date c'est le mode auquel appartient la
forme verbale.
C'est dire que chez Guillaume (1946-47), la chronothèse
est une systématisation du temps et elle est d'autant plus
achevée que la chronogenèse sera plus tardivement obtenue. Ainsi,
en français, la chronothèse initiale est exprimée par le
mode quasi-nominal (infinitif et participe), la chronothèse
médiale correspond au mode in fieri (subjonctif) et la
chronothèse finale est exprimée par le mode in esse (indicatif).
Puisqu'il permet au locuteur de s'engager en présentant comme certain ce
qu'il dit, l'indicatif apparaît comme le mode par excellence du jugement,
de l'assertion (affirmative ou négative). A ce propos, Wagner et Pinchon
(1991 :362) soutiennent que l'indicatif
est apte en conséquence, à actualiser
un procès et à le situer dans une époque distincte. Cette
propriété qui manque aux autres modes a fait dire justement
à certains grammairiens que l'indicatif est le mode au moyen duquel on
pose le procès.
Autrement dit, l'indicatif est le mode exclusif de l'assertion
puisqu'il présente le procès comme réel et certain. A cet
effet, toutes les occurrences de la modalité assertive relevées
dans notre corpus sont à l'indicatif, voici du reste quelques
exemples :
(16) Oui, sire, nos dépêches leur
parviennent, et nous avons la certitude, à l'heure
qu'il est que les Tartares ne se sont pas
avancés au-delà de l'Irtyche et de L'Obi. (p.16)
(17) Rien n'est plus vrai, monsieur Blount, ces
mesures m'étaient également connues, et croyez bien que
mon aimable cousine en saura dès demain quelque chose.
(p.21)
(18) Nous le démasquerons, grâce
à toi, qui le connais, et je le ferai mourir sous le
knout. (p.324)
Tous ces énoncés sont à
l'indicatif et expriment une idée ou un fait pleinement
actualisés. L'impression de vérité qui se dégage de
ces énoncés est renforcée en (16) et (17) par l'emploi des
groupes de mots avons la certitude et rien n'est plus vrai
qui dénotent la véracité des propos des locuteurs. Il
convient de souligner que l'indicatif n'exprime véritablement la
modalité assertive que si les constituants de l'énoncé
sont soumis à un ordre particulier.
I.1.2 L'ordre des constituants de la phrase
L'énoncé assertif présente
normalement l'ordre syntagme nominal (SN) sujet (ou son substitut) + syntagme
verbal (SV) (verbe et éventuellement un SN régime). Les
énoncés assertifs suivants sont construits selon cet
ordre :
(19) Les télégrammes ne passent plus Tomsk,
sire. (p.22)
SN SV
(20) Cette lettre sera remise à son Altesse le
grand-duc. (p.40)
SN SV
(21) J'irai à Irkoutsk. (p.39)
SN SV
L'ordre canonique (SN + SV) observé
ci-dessus n'est pas pleinement pertinent si on ne lui associe une intonation
descendante. Il arrive, par ailleurs, que le sujet soit postposé dans
Michel Strogoff. A en croire Le Goffic (1993 :97), cette
postposition constitue une simple variante de l'ordre normal qui
n'altère pas la modalité de phrase. Elle se rencontre
surtout dans des phrases commençant par des adverbes ou des
compléments circonstanciels ainsi que le montrent les occurrences
ci-après :
(22) Sous ses yeux, baignée par les rayons
lunaires, s'arrondissait une enceinte fortifiée.
(p.23)
(23) Peut-être elle-même ignore-t-elle
ce qui se passe. (p.57)
L'antéposition du complément
circonstanciel sous ses yeux et de l'adverbe modal peut-être
ne modifie pas la modalité des énoncés
sus-cités. En (22), cette antéposition semble être une mise
en relief qui découle seulement d'un choix délibéré
des locuteurs. C'est également ce que pense Grevisse (1980 :193)
quand il soutient que
ce sont souvent certaines raisons de style (mise en
relief, harmonie et équilibre de la phrase) ou la suite naturelle des
idées qui assignent au complément circonstanciel la place qui lui
convient relativement au verbe et aux compléments.
Ainsi, le locuteur a débuté sa
phrase par sous ses yeux parce qu'il voudrait sans doute
attirer l'attention du lecteur. En (23), l'antéposition de l'adverbe
modal peut-être entraîne également la postposition
du sujet (elle). Ce phénomène est une réminiscence de
l'ancien français dont une des règles syntaxiques majeures
était l'inversion obligatoire du sujet dans toute phrase affirmative
introduite par un régime (adverbial, prépositionnel, etc.).
Wagner et Pinchon (1991 :558) expliquent de ce fait : au
début de l'époque classique la postposition du terme sujet
était encore presque obligatoire quand la phrase commençait par
un adverbe de sens modal. Nous ajoutons à la suite de Wagner
et Pinchon (op. cit.) que cet ordre est encore suivi comme le montre l'exemple
(23).
On se rend compte que la modalité assertive
ne révèle pas tant les relations entre locuteur et destinataire
que le constat fait par le locuteur sur quelqu'un ou sur quelque chose, en les
présentant comme vrai. Cependant, il nous semble que l'acte assertif ne
saurait être un procédé de modalisation dans la mesure
où il permet surtout à un locuteur de fournir une information
qu'il tient pour vrai et à amener l'interlocuteur à y
adhérer. C'est sans doute ce qui fait dire à Le Goffic
(1993 :93) qu'avec l'assertion, je veux te convaincre de la
vérité de P ; je veux que tu reconnaisses mon intention de
te convaincre.
Ainsi, avec l'assertion, le locuteur sait et tient
pour vrai ce qu'il avance. Lorsque le locuteur remet en question la
validité d'une assertion et qu'il sollicite le point de vue de
l'interlocuteur, la modalité devient interrogative.
I.2- L'interrogation
L'interrogation se rencontre dans une situation
d'interlocution. Elle renvoie à un acte de langage
déterminé : questionner, et se caractérise parfois
par un point d'interrogation. Culioli (1990 :171) fait observer
qu'interroger, c'est parcourir, de façon abstraite, les valeurs
imaginables sans pouvoir en distinguer une qui soit valide. Le recours
(réel ou fictif) à autrui fournit la représentation d'une
issue à ce parcours.
L'interrogation suppose donc une incertitude qui
nécessite un appel d'information. C'est la réponse de
l'interlocuteur qui permet de déterminer la portée de la question
posée.
I.2.1- Sa portée
L'interrogation peut être totale ou
partielle.
I.2.1.1- L'interrogation totale
L'interrogation est totale quand elle porte sur
l'ensemble de l'énoncé. Dans cette perspective, Tomassone
(1996 :126) déclare que l'information que le locuteur
veut obtenir est un fait dont il ignore s'il est vrai ou faux, une
réalité dont il veut savoir si elle peut être
affirmée ou niée.
Dans ce cas, la réponse attendue ne peut
être que oui, non, peut-être ou
si dans le cas de l'interronégation, voici du reste quelques
exemples :
(24) Connais-tu cet homme qui a pris mes chevaux ?
(p.135)
(25) Tu n'as reçu aucune nouvelle de ta mère
depuis le début de l'invasion ? lui demanda-t-elle. (p.138)
(26) Dors-tu soeur ? lui demanda-t-il. (p.105)
La réponse à toutes ces questions ne
nécessite que l'emploi des mots-phrases puisqu'elles ne portent pas sur
un constituant de l'énoncé.
Pour ce qui est de l'ordre des mots,
l'interrogation totale se distingue souvent de l'assertion par le point
d'interrogation, l'ordre des mots de la phrase restant inchangé. Par
ailleurs, cet ordre des mots est susceptible de varier selon la nature du
sujet. Si le sujet est un pronom, on a une postposition simple du sujet. Sinon,
l'on peut avoir recours à la locution est-ce que si l'on veut
éviter la postposition du sujet. Lorsque le sujet est un nom,
Mercier-Leca (1998 :179) soutient qu'il demeure avant le verbe
mais il est repris après par un pronom anaphorique sujet (il, ils, elle,
elles). On parle ici de postposition complexe. Il y a postposition
complexe parce que le pronom qui vient après le verbe reprend en fait le
sujet nominal. Soit les énoncés suivants :
(27) Féofar-khan se trouvait-il de sa personne
dans le gouvernement de l'Yeniseisk ? (p.164)
(28) L'heure approche-t-elle où tu forceras la
vieille femme à parler ? (p.200)
(29) Ce renégat pensait-il donc à
exploiter cette circonstance ? (p.326)
On observe que dans toutes ces questions, il y a
postposition complexe des pronoms qui anaphorisent ainsi les sujets
nominaux.
I.2.1.2- L'interrogation partielle
Comme son nom l'indique, l'interrogation partielle
ne concerne pas l'ensemble de la phrase, mais l'un de ses termes. Soutet
(1989 :79) le déclare quand il écrit :
l'interrogation partielle porte sur l'un des
constituants de la phrase : du point de vue morphologique, elle requiert
l'utilisation d'un pronom -qui, que, quoi, lequel et son paradigme-, d'un
déterminant -quel et son paradigme- ou d'un adverbe -comment, où,
pourquoi, combien.
C'est dire que pour Soutet (1989), dans l'interrogation
partielle, l'élément sur lequel on s'informe est
représenté par un mot interrogatif. Cela est illustré par
les exemples suivants :
(31) Jusqu'où ses soldats étaient-ils
parvenus à l'heure où la nouvelle de l'invasion arrivait à
Moscou ? (p.33)
(32) Qu'est-ce que tu fais là ? lui
demanda d'une voix rude un homme de haute taille qu'il n'avait pas vu venir.
(p.57)
Pour ce qui est de l'ordre des mots dans
l'interrogation partielle, plusieurs possibilités sont
offertes :
- Si la question porte sur le sujet, l'ordre des mots est le
même que dans la phrase assertive.
(33) Qui donc sait mon départ et qui donc a
intérêt à le savoir ? (p.82)
(34) Qui donc le retenait d'en finir ? (p.338)
- On trouve également dans notre corpus une
postposition simple avec que, qui en fonction d'attribut, quel,
lequel ou avec un sujet pronom personnel.
(35) Que veux-tu dire ? (p.321)
(36) Quel sera-t-il ? (p.316)
De ce qui précède, l'on comprend que
l'élément sur lequel porte la demande d'information joue un
rôle primordial dans la mise en place des constituants de
l'énoncé, ainsi que dans le choix du mot interrogatif quelle que
soit la nature de la question posée.
.
I.2.2- Sa nature
L'interrogation peut être directe, indirecte,
indirecte libre.
I.2.2.1- L'interrogation directe
Une interrogation est dite directe quand la
question posée constitue une phrase indépendante. De plus,
Mercier-Leca (1998 :180) explique que dans l'interrogation
directe, une seule phrase exprime à la fois l'attitude mentale de
l'énonciateur et le fait mis en question. Avec
l'interrogation directe, les propos du locuteur sont reproduits tels quels. Les
occurrences suivantes du corpus sont assez significatives à ce
sujet :
(37) - Craignez-vous donc que ce voyageur ne cherche
à vous disputer les chevaux du relais ? (p.130)
(38) - Et vous avez des raisons sérieuses de
penser que le colonel Ogareff est en Sibérie ? (p.116)
(39) Ils se contentèrent donc de le saluer et se
retirèrent, Alcide Jolivet disant à Harry Blount :
« Je n'aurais pas cru cela d'un homme qui découd si
proprement les ours de l'Oural, serait-il donc vrai que le courage a ses heures
et ses formes ?... » (p.133)
Les deux premières interrogations interviennent au
cours d'un dialogue, c'est ce qui explique la présence des tirets au
début de celles-ci. En (39), c'est plutôt le participe
présent disant et les guillemets qui introduisent
l'interrogation directe. Toutes ces interrogations constituent des phrases
indépendantes et ne sont pas subordonnées à un terme
principal leur servant d'appui comme c'est le cas avec les interrogatives
indirectes.
I.2.2.2- L'interrogation indirecte
Elle se présente sous la forme d'une subordonnée
enchâssée à une principale exprimant l'idée
d'incertitude. Maingueneau (1999 :51) précise que les
interrogatives indirectes sont des subordonnées compléments
de certains verbes (demander, savoir, regarder...). Dans
tous les cas, l'interrogation indirecte est possible après les verbes
transitifs qui posent une question, explicitement ou non, ou même parfois
après un verbe tel que dire, expliquer,
déterminer... Selon qu'elle est totale ou partielle,
l'interrogation est introduite par si ou par un morphème
interrogatif. Des exemples illustratifs nous sont fournis par les occurrences
ci-après :
(40) Quant à Nadia, elle se demandait ce
qu'elle pourrait faire pour les sauver l'un et l'autre, comment
venir en aide au fils et à la mère ? (p.223)
(41) Le grand-duc et ses officiers se demandaient
s'ils n'avaient pas été induits en erreur, s'il
entrait réellement dans le plan des Tartares d'essayer de surprendre la
ville. (p.332)
La principale met en exergue, dans ces
énoncés, l'attitude mentale des locuteurs (au moyen du verbe
demander), tandis que la subordonnée exprime le fait mis en question. Il
faut préciser cependant que les interrogatives indirectes ne constituent
pas à proprement parler des modalités de phrase dans la mesure
où c'est surtout sémantiquement qu'elles traduisent une
idée d'ignorance, une demande d'information.
Outre les interrogations directes et indirectes, l'on
rencontre aussi les interrogatives libres dans notre corpus.
I.2.2.3- L'interrogation indirecte libre
Elle participe du style indirect pour autant qu'elle subit
les transpositions de temps et de personnes. Cependant, elle s'en écarte
pour deux raisons :
- N'étant pas subordonnée grammaticalement
à un terme principal, l'interrogation indirecte libre, comme le font
observer Wagner et Pinchon (1991 :569), constitue une phrase
indépendante qui, comme dans l'interrogation directe comporte un ton
montant ;
- D'une façon générale, l'ordre relatif
du sujet et du verbe y est le même que dans les questions posées
au style direct. Des exemples d'interrogations indirectes libres
prononcées par le narrateur sont présentés
ci-dessous :
(42) Comment, par quelle voie, grâce à quel
entregent, ces deux simples
mortels savaient-ils ce que tant d'autres personnages et des
plus
considérables, soupçonnaient à
peine ? (p.17)
(43) Si, en outre et selon toute probabilité, elle
n'avait à sa disposition que les ressources nécessaires à
un voyage entrepris pour des circonstances ordinaires, comment
parviendrait-elle à l'accomplir dans les conditions que les
événements allaient rendre non seulement périlleuses, mais
coûteuses ? (p.68)
Ces interrogations permettent au narrateur de mêler les
pensées, les questionnements de certains personnages à son propre
discours. Les paroles sont bien celles des personnages quant à leur
contenu, mais elles sont racontées par le narrateur et à la
troisième personne.
L'interrogation, nous l'avons vu, est une modalité qui
accorde beaucoup d'importance à l'interlocuteur en ce sens que le
locuteur dans sa quête d'information a besoin de l'autre. C'est donc
à juste titre que Meunier (1974 :13) déclare que
l'interrogation est l'une des formes de la communication
entre Locuteur et Auditeur. La
modalité interrogative s'apparente sur ce point à l'injonction
dont l'emploi suppose généralement la présence d'au moins
deux interlocuteurs.
I.3- L'injonction
La modalité injonctive est employée lorsqu'un
locuteur veut que quelqu'un fasse ou ne fasse pas quelque chose. C'est pourquoi
l'injonction peut être positive (ordre) ou négative
(défense). La situation de discours qui lui correspond normalement est
celle qui met en présence au moins deux interlocuteurs. Tomassone
(1996 :135) ajoute que le locuteur attend du destinataire un acte et
non une réplique : les seules répliques possibles sont
l'acquiescement, le refus ou le mépris.
La modalité injonctive implique donc
l'accomplissement d'un acte et possède par ailleurs plusieurs formes qui
méritent d'être étudiées.
I.3.1- La phrase impérative
Elle est la forme de l'injonction la plus récurrente
dans notre corpus avec 91 occurrences. Cela n'est guère étonnant
puisque, d'après Frontier (1997 :571), l'impératif
est le mode spécifique de l'injonction : l'employer c'est tenter de
modifier le comportement de son interlocuteur. A cet effet, la phrase de
type impératif est caractérisée par la forme du verbe
à l'impératif, l'absence du sujet qui est parfois mis en
apostrophe. Ce sujet représente le destinataire de l'injonction, celui
qui est censé accomplir l'acte indiqué par l'impératif.
Tout cela est illustré par les occurrences suivantes :
(44) Ne crains rien Nadia, dit-il en se
plaçant entre elle et Ivan Ogareff. (p.336)
(45) Approche donc qu'on te voie ! dit l'homme.
(p.58)
(46) Jure moi que rien ne pourra te faire avouer ni
qui tu es ni où tu vas ! (p.339)
Le locuteur dans les énoncés ci-dessus tente
d'agir d'une manière ou d'une autre sur l'allocutaire ; cependant,
celui à qui s'adresse l'injonction n'est pas présent dans ces
énoncés sauf en (44) où il est interpellé. C'est
dans cette optique que Le Goffic (1993 :126) affirme qu'avec la phrase
impérative, le locuteur
court-circuite en quelque sorte la
présentation normalisée d'une relation prédicative :
la phrase impérative procède d'un mouvement affectif et/ou d'une
volonté d'action, elle est en prise directe sur la situation
d'énonciation.
Ainsi, l'impératif est toujours porteur d'une
énergie qui oriente le discours vers l'interlocuteur.
Par ailleurs, le mode impératif dont se sert
très souvent l'injonction possède deux tiroirs verbaux :
l'impératif présent et l'impératif passé. Quant aux
personnes, l'impératif n'en possède que trois : la
deuxième personne du singulier et du pluriel, et la première
personne du pluriel. Les phrases suivantes du corpus explicitent nos propos
à l'aide des verbes conjugués fais, perdez, passons.
(47) D'heure en heure, général, fais
passer un télégramme à Tomsk. (p.13)
(48) Soit, repris Michel Strogoff, mais ne perdez pas
un instant. (p.123)
(49) Passons d'abord, et nous saurons bien trouver la
route d'Irkoutsk au-delà du fleuve. (p.262)
La modalité injonctive dans notre support
d'étude emprunte ses formes à l'impératif, mais aussi au
subjonctif.
I.3.2- La conjonction que et le subjonctif
La langue recourt au subjonctif présent soutenu par le
morphème que lorsque l'injonction s'adresse à quelqu'un
extérieur à l'échange. Dans cette perspective, Soutet
(1989 :78) souligne que
s'il est vrai que "que" dans cet emploi, est
doté d'une forte valeur positivante, on peut considérer que,
support du subjonctif, il tend à réduire la virtualité
inhérente à ce mode, excessive pour l'expression de l'ordre, qui,
par nature, vise l'actualisation du procès qu'il
décrit.
Dans ces conditions, lorsque le subjonctif est employé
pour exprimer l'injonction, on assiste à l'actualisation d'un fait. Soit
les exemples suivants :
(50) Qu'il vienne dit le czar. (p.34)
(51) Qu'on attelle rapidement. (p.99)
(52) Que cette femme reste ! (p.234)
Le subjonctif dans ces occurrences dénote la
volonté des locuteurs de provoquer une action. Il déroge ainsi
à la règle qui veut que le subjonctif, comme l'estiment Wagner et
Pinchon (1991 :343), soit employé toutes les fois que
dans un énoncé la prise en considération d'un fait,
l'interprétation d'un fait l'emportent sur l'actualisation de ce
fait. Le subjonctif aurait donc plusieurs valeurs qui ne seraient
interprétables qu'en fonction du contexte d'emploi. Par ailleurs, les
locuteurs n'ont pas toujours recours à un temps verbal particulier pour
donner des ordres, il ne suffit parfois que d'utiliser des mots-phrases.
I.3.3- Les mots-phrases
Les locuteurs dans Michel Strogoff n'ont souvent
besoin que de quelques mots pour donner des ordres à leurs
interlocuteurs. Pour ce faire, ils s'expriment à l'aide de mots ou
termes qui sont assez significatifs et renvoient à l'injonction. Cela
est démontré par les exemples suivants :
(53) Ah, messieurs en avant ! s'écria
Michel Strogoff. (p.117)
(54) Les chevaux, et à l'instant ! dit
alors celui-ci. (p.113)
(55) Silence, se hâta de répondre Michel
Strogoff, en mettant un doigt sur ses lèvres. (p.148)
Les groupes de mots en avant, à l'instant,
silence, traduisent sans doute une grande volonté des locuteurs de
faire réagir les interlocuteurs.
Après l'étude de l'acte injonctif, on constate,
d'une façon générale, qu'il ne peut s'accomplir sans la
présence d'au moins deux interlocuteurs puisqu'il vise surtout à
faire réagir celui à qui est destiné l'ordre.
On s'aperçoit que les modalités
énonciatives spécifient le type de communication qui s'instaure
entre un locuteur et son interlocuteur. L'acte interrogatif est une
interpellation en direction d'un interlocuteur dont on sollicite le point de
vue. L'injonction correspond à une demande de faire. L'acte assertif,
quant à lui, est certes un moyen pour le locuteur de présenter
comme vrai une information, toutefois il vise surtout à convaincre
l'autre de la véracité de ce qu'on affirme. Il semble donc
difficile au regard du fonctionnement des modalités énonciatives
de les considérer comme des procédés de modalisation car
leur emploi indique surtout une relation entre deux sujets. Cela étant,
peut-on dire, qu'elles jouent presque le même rôle que les
modalités d'énoncé?
II- L'OPPOSITION MODALITÉS
D'ÉNONCIATION/MODALITÉS D'ÉNONCÉ
Il y a généralement une confusion entre les
modalités d'énonciation et les modalités
d'énoncé. C'est pourquoi il importe de présenter les
signes caractéristiques de ces deux types de modalités afin de
voir s'ils sont vraiment semblables.
II.1- Définition
Il est question dans ce point de voir ce que recouvrent
exactement les notions de modalités d'énonciation et de
modalités d'énoncé. A cet effet, pour Le Querler
(1996 :63), les modalités d'énonciation sont la marque du
rapport entre le sujet énonciateur et un autre
sujet. A travers ces modalités, le locuteur ordonne,
conseille, suggère, demande... à quelqu'un d'autre de faire
quelque chose. L'emploi des modalités énonciatives laisse
transparaître la présence d'une communication intersubjective
entre des sujets.
En ce qui concerne les modalités
d'énoncé, Nølke (1993 :143) pense que ce sont les
regards que le locuteur pose sur le contenu de ce qu'il dit. Se servant de ces
éléments, il peut en effet apporter des évaluations
diverses quant aux valeurs de vérité, argumentative, etc. de son
énoncé.
A en croire Nølke (1993), les
modalités d'énoncé expriment le regard porté par le
locuteur sur le contenu de son message. Au regard des définitions
sus-citées, on constate que les modalités d'énonciation et
les modalités d'énoncé s'opposent sur plusieurs plans.
II.2- Deux types d'attitudes distincts
Parler de modalités d'énonciation et
modalités d'énoncé revient à évoquer, d'une
part l'attitude du locuteur dans sa relation interpersonnelle avec le
destinataire de son discours, et d'autre part l'attitude du locuteur face
à son énoncé. Dans le même ordre d'idées,
Riegel et co-auteurs (1994 :580) affirment que
les modalités d'énonciation renvoient
au sujet de l'énonciation en marquant l'attitude énonciative de
celui-ci dans sa relation à son allocutaire, [tandis que
les modalités d'énoncé renvoient au locuteur] en
marquant son attitude vis-à-vis du contenu de
l'énoncé.
C'est dire que les modalités d'énoncé
établissent un lien entre le locuteur et son discours alors que les
modalités énonciatives mettent en relation le locuteur avec son
allocutaire. Les phrases suivantes du corpus nous permettront de mieux
expliquer cette différence faite entre les deux types de
modalités :
(56) Allons, mon ami Korpanoff, reste
tranquille ! (p.85)
(57) En es-tu sûre, ma fille ? (p.210)
(58) Le ciel, sans doute, ne voulut pas le soumettre
à cette épreuve. (p.289)
(59) La jeune fille dut craindre un instant que ce ne
fût un détachement tartare. (p.289)
Les deux premiers énoncés constituent
respectivement des énoncés injonctif et interrogatif et sont
orientés vers le destinataire, l'interpellent. Par contre, les deux
derniers énoncés où l'on décèle la
présence de la modalité aléthique expriment l'attitude du
locuteur face à son énoncé. A l'aide de l'adverbe sans
doute et du semi-auxiliaire modal conjugué dut, les
locuteurs émettent des jugements sur leur propre
énoncé.
Un autre fait marquant la distinction entre les
modalités d'énonciation et les modalités
d'énoncé est qu'une phrase ne peut recevoir qu'une seule
modalité d'énonciation alors qu'elle peut présenter
plusieurs modalités d'énoncé. C'est pourquoi Meunier
(1974 :13) fait remarquer que la modalité d'énonciation
intervient obligatoirement et donne une fois pour toutes à une phrase
sa forme déclarative, interrogative, impérative.
Aussi un énoncé comporte-t-il toujours
une et une seule modalité énonciative. On se demande ainsi si les
modalités énonciatives sont des procédés de
modalisation quand on sait que la modalisation n'est pas un fait linguistique
que l'on rencontre absolument dans tout énoncé.
Les modalités d'énoncé, quant à
elles, d'après Maingueneau (1976 :112),
caractérisent la manière dont le locuteur
situe l'énoncé par rapport à la vérité, la
fausseté, la probabilité, la certitude, la vraisemblance, etc.
(modalités logiques) ou par rapport à des jugements
appréciatifs (l'Heureux, le triste, l'utile, etc., modalités
appréciatives.)
En fait, les modalités d'énoncé
regroupent tous les moyens linguistiques par lesquels le locuteur manifeste une
attitude, exprime ses émotions, ses sentiments par rapport à ce
qu'il dit. Plusieurs éléments linguistiques
référant aux différentes modalités
d'énoncé peuvent se retrouver dans un même
énoncé. Observons les exemples ci-dessous pour mieux cerner
les signes de démarcation entre les modalités
d'énoncé et les modalités d'énonciation :
(60) Eh bien, monsieur Jolivet, que pensez-vous du colonel
Ogareff, général en chef des troupes tartares ? demanda
Harry Blount. (p.205)
(61) Mes yeux seront tes yeux désormais, et c'est moi
qui te conduirai à Irkoutsk. (p.243)
(62) Ils causèrent à voix basse, et l'aveugle,
complétant ce qu'il savait déjà par ce qu'ils
apprirent, put se faire une idée exacte de l'état des
choses. (p.297)
Les deux premiers énoncés ne renferment pas de
modalité d'énoncé, mais constituent respectivement une
interrogation et une assertion. Le troisième exemple, quant à
lui, est une assertion dans laquelle on note la présence de la
modalité épistémique (savait) et de la
modalité aléthique (put). On voit ainsi qu'au sein d'un
même énoncé, deux types de modalités
d'énoncé sont employés par le support modal.
Il était question de l'étude des
modalités énonciatives dans ce chapitre. Plus exactement, il
s'agissait pour nous de voir si ces modalités peuvent être
considérées comme des procédés de modalisation ou
des marques de la communication intersubjective. Ce faisant, à travers
leurs différents fonctionnements dans Michel Strogoff, nous
nous sommes aperçue que les modalités énonciatives ne
sauraient être des procédés de modalisation. Ainsi,
l'assertion vise surtout à convaincre l'autre de la
véracité de ce que l'on affirme. L'interrogation et l'injonction
constituent respectivement des demandes de dire et de faire. Par ailleurs, nous
avons constaté que même si les modalités
d'énonciation et les modalités d'énoncé semblent se
confondre quelques fois, elles sont distinctes les unes des autres. Les
premières privilégient la relation interpersonnelle entre le
locuteur et son allocutaire, alors que les secondes expriment les jugements
qu'un locuteur émet sur son propre énoncé.
Cette partie consacrée à une mise au point
théorique sur la modalisation nous a permis de présenter notre
approche de la notion. A cet effet, nous avons apporté des
précisions terminologiques au niveau des concepts employés dans
les travaux de modalisation. Parmi les typologies de procédés de
modalisation étudiées, nous avons opté pour celle
présentée par Gardes-Tamine et Pelliza (1998) parce qu'elle nous
a semblé plus cohérente et mieux structurée. En ce qui
concerne l'entité à l'origine de la modalisation, nous avons vu
qu'elle porte le nom de support modal. Par ailleurs, nous avons
également étudié les modalités énonciatives
dans le but de voir si elles peuvent être considérées comme
des procédés de modalisation. Nous avons constaté, de ce
fait, que ces modalités s'apparentent plutôt à des marques
de la communication intersubjective car elles impliquent une relation avec un
allocutaire. Les modalités énonciatives ne sauraient donc se
confondre aux modalités d'énoncé puisque celles-ci
expriment plutôt les jugements qu'un locuteur émet sur son propre
énoncé. C'est pourquoi ce sont les modalités
d'énoncé qui seront analysées dans notre travail.
DEUXIÈME PARTIE :
LES JUGEMENTS DE FAIT ET DE VALEUR
Emettre un jugement consiste à apprécier une
chose, une situation, une personne. Dans certains cas, le jugement peut laisser
transparaître un point de vue subjectif: on parle de jugement de valeur.
Ce type de jugement fait appel à des évaluations
péjoratives et mélioratives. Le jugement de fait, quant à
lui, permet au locuteur d'apprécier un fait sur les plans de la
nécessité, de la possibilité, de l'obligation, du savoir.
On l'aura compris, il est question dans cette partie de l'étude des
modalités d'énoncé et de la modalisation axiologique. Nous
montrerons comment les locuteurs et énonciateurs de Michel Strogoff
se servent de ces différents procédés de modalisation
comme faits d'expression.
CHAPITRE TROISIÈME :
LES MODALITÉS D'ÉNONCÉ
Les modalités d'énoncé
caractérisent la manière dont le locuteur situe la proposition de
base de son discours par rapport à la vérité, la
nécessité, l'obligation, au savoir, au possible, au permis et
à leurs contraires. On distingue trois types de modalités
d'énoncé : l'aléthique, l'épistémique
et le déontique. Il est question dans ce chapitre de voir comment ces
modalités d'énoncé permettent aux supports modaux de
porter des jugements de fait dans Michel Strogoff. De plus, il serait
important d'étudier l'impact que produisent ces modalités dans
notre support d'étude en tant que faits d'expression. Cela étant,
nous allons tour à tour analyser les modalités aléthique,
épistémique et déontique.
I- L'ALËTHIQUE
Le mot aléthique vient de
aléthéia qui signifie vérité. La
modalité aléthique porte sur la valeur de vérité
d'un énoncé sur les plans du possible, de l'impossible, du
nécessaire et du contingent. C'est dans ce sens que Cresti
(2002 :2) explique : une situation est évaluée sur
la base qu'elle est nécessairement ou probablement vraie selon
l'opposition nécessaire vs contingent. Plus concrètement, la
modalité aléthique permet d'évaluer les chances de
réalisation d'un énoncé. Les différentes valeurs de
l'aléthique sont : la probabilité, la possibilité,
l'impossibilité et la nécessité. Les occurrences de ces
différentes valeurs de l'aléthique dans Michel
Strogoff ont été répertoriées et
classées dans le tableau ci-après :
Les valeurs de l'aléthique
|
Occurrences
|
Pourcentages
|
Probabilité
|
155
|
32,29%
|
Possibilité
|
118
|
24,58%
|
Sporadicité
|
55
|
11,45%
|
Impossibilité
|
100
|
20,83%
|
Nécessité
|
52
|
10,83%
|
Total des occurrences de l'aléthique :
480
|
D'après ce tableau, il y a cinq valeurs de
l'aléthique dans notre corpus. On s'aperçoit que la
probabilité connaît un emploi récurrent, suivie de la
possibilité et de l'impossibilité. Par contre, la
sporadicité et la nécessité ont une fréquence
limitée. Examinons à présent l'usage concret de ces
valeurs dans le texte.
I.1- La probabilité
Elle concerne les chances de réalisation
d'un fait, d'un évènement et se subdivise en
éventualité et en sporadicité.
I.1.1- L'éventualité
L'éventualité caractérise un
fait dont les chances de réalisation sont incertaines. D'après Le
Querler (1996 :37), elle exprime ce qui peut être, mais qui peut
aussi ne pas être. Dans Michel Strogoff, les outils
langagiers dont se sert le locuteur pour exprimer l'éventualité
sont multiples et variés.
I.1.1.1- Les semi-auxiliaires modaux
Pouvoir, devoir, paraître et
sembler sont les semi-auxiliaires modaux auxquels recourent les
locuteurs dans notre corpus afin de montrer que certains
phénomènes et événements sont susceptibles de se
réaliser ou pas. Ces semi-auxiliaires, selon Leeman-Bouix
(2002 :128),
indiquent alors une disposition de la personne
sujet ; Guillaume les appelle pour cela « verbes
puissanciels » ; notionnellement, ils préexistent
à tous les autres verbes car ils en sont les
présupposés ; pour être ou faire quelque chose, il
faut en ressentir la nécessité.
D'après Leeman-Bouix (2002), les
semi-auxiliaires modaux permettent au locuteur de déterminer au
préalable l'intention pour laquelle il accomplit un procès. Soit
les énoncés ci-après :
(63) Ce n'était ni un tarentass, ni une
télègue, mais une berline de poste, toute poudreuse, et qui
devait avoir fait un long voyage. (p.129)
(64) Sa présence peut ne pas m'être
utile et servirait à déjouer tout soupçon à mon
égard. (p.69)
(65) Les voix semblaient venir d'un groupe de
passagers, enveloppés de châles et de couvertures. (p.81)
(66) Il me paraît prudent de les tenir à
distance. (p.79)
En (63), le verbe devoir est
utilisé pour marquer le caractère éventuel que revêt
la réalisation du procès évoqué. Dendale
(1993 :169) indique que le marqueur devoir signale que l'information a
été obtenue par inférence à partir de certains
indices.
Autrement dit, c'est à partir de
l'observation d'un fait (l'aspect poudreux de la berline de poste) que le
locuteur de l'énoncé (63) a proféré une assertion
dont la valeur de vérité est hypothétique. La forme
verbale peut en (64) permet au locuteur de présenter le fait
dont il parle comme envisageable. Pour Culioli (1990 :163), c'est toujours
le cas lorsqu'un locuteur se sert du prédicat
"pouvoir `' pour déterminer la validabilité d'une
relation prédicative dans un domaine.
En d'autres termes, le verbe pouvoir dans
son emploi modal signale parfois l'attitude d'indécision du locuteur
face à ce qu'il dit car le fait décrit est susceptible de se
produire ou pas. En (65) et (66), les verbes semblaient et
paraît marquent la source de l'information transmise dans ces
énoncés comme la conclusion d'un raisonnement interne, conclusion
qui est fondée sur des indices plus ou moins inconscients. A ce propos,
Sellevold (2002 :745) pose que les marqueurs semblaient et
paraît permettent plus précisément au locuteur
de se distancier ou de suspendre ses responsabilités par rapport au
point de vue du contenu [de son énoncé].
De ce fait, le locuteur ne prend pas en charge le
point de vue exprimé par l'énoncé puisqu'il est une
supposition. La réalisation hypothétique d'un procès ne se
manifeste pas dans Michel Strogoff seulement à travers des
semi-auxiliaires modaux, elle est aussi exprimée à l'aide des
temps verbaux tels le conditionnel.
I.1.1.2- Le conditionnel
Le conditionnel, grâce à sa valeur
d'hypothèse évoque très souvent, dans notre corpus, un
procès conçu comme envisageable. Selon Guillaume (1964), cette
valeur d'hypothèse s'explique au regard du mécanisme de ce temps
verbal. A cet effet, ce dernier (1964:219) écrit: le futur en
incidence sur décadence engagée, acceptée, c'est celui que
la grammaire traditionnelle dénomme conditionnel, et que nous nommons:
futur hypothétique.
Ainsi, le conditionnel, encore appelé
futur hypothétique en psychomécanique, indique le futur
à partir d'un point de repère passé. Il signale que le
procès présenté est une éventualité. C'est
dire que le conditionnel est apte à traduire dans certaines situations
le caractère probable d'un énoncé. Cela s'observe dans les
énoncés suivants :
(67) Mais un physionomiste, en regardant d'un peu près
ces deux étrangers, aurait nettement
déterminé le contraste physiologique. (p.18)
(68) Puis, après cette assourdissante période,
l'immense brouhaha s'éteindrait comme par enchantement, la
ville haute reprendrait son caractère officiel, la ville basse
retomberait dans sa monotonie ordinaire, et, de cette énorme
affluence de marchands appartenant à toutes les contrées de
l'Europe et de l'Asie centrale, il ne resterait ni un seul vendeur qui
eût quoi que ce soit à vendre encore, ni un seul acheteur qui
eût encore quoi que ce soit à acheter. (p.62-63)
L'emploi du conditionnel dans les exemples
ci-dessus signifie que le procès n'appartient pas au monde de ce qui est
tenu pour vrai par le locuteur ; le procès est plutôt
conçu comme éventuel, il fait partie de l'univers des possibles.
Dans ce cas, Dendale (1993 :166) précise que le locuteur
signale que l'information en question n'est ni vraie-pour-lui ni
fausse-pour-lui. Il présente l'information comme
indécise-pour-lui.
De cette manière, la réalisation du
procès n'est pas certaine. Imbs (1968 :71) parle alors de
conditionnel de l'information hypothétique. C'est pourquoi le
locuteur (le narrateur) des énoncés ci-dessus ne prend pas en
charge le contenu des énoncés qu'il a proférés. On
constate que le narrateur dans Michel Strogoff révèle
très souvent certains aspects des personnages, des
événements, qui ne sont pas connus du lecteur. Néanmoins,
il recourt quelques fois au conditionnel pour ne pas donner un caractère
péremptoire à ses affirmations. Il arrive parfois cependant qu'un
adverbe à lui seul puisse présenter un procès comme
éventuel.
I.1.1.3- Les adverbes modalisateurs
Plusieurs adverbes dans Michel Strogoff
expriment une opinion nuancée et traduisent ainsi un doute, une
hésitation. Il y a certains qui sont intrinsèquement modaux de
par leur signification (probablement, sans doute, peut-être...), tandis
que d'autres ne sont modaux qu'en fonction du contexte d'emploi. C'est le cas
de comme qui s'apparente dans certains énoncés à
un adverbe de modalité. Soit les énoncés
suivants :
(69) La riche voûte, avec ses dorures, adoucies
déjà sous la platine du temps, était comme
étoilée de points lumineux. (p.14)
(70) La sclérotique en était
légèrement plissée et comme racornie. (p.245)
Le marqueur aléthique comme permet
aux supports modaux des énoncés (69) et (70) de donner juste une
impression de ce qu'ils veulent dire. C'est pourquoi ce marqueur ne peut
traduire qu'une attitude d'indécision des supports modaux.
Examinons à présent le fonctionnement
des adverbes intrinsèquement modaux à l'aide des exemples
ci-après :
(71) Et, sans doute, elle suffit à lui faire
reconnaître le conducteur de la kibitka, car son front se
rasséréna aussitôt. (p.249)
(72) Alcide Jolivet, lui, voyant cette colère, riait
à se tordre et comme il n'avait jamais ri peut-être.
(p.120)
(73) Voici des curieux et des indiscrets que je rencontrerai
probablement sur ma route. (p79)
(74) Son rival, qui l'avait vraisemblablement apprise
de quelque habitant de Kazan, l'avait aussitôt transmise à Paris.
(p.87)
Tous les adverbes modaux présents ci-dessus
(sans doute, peut-être, probablement,
vraisemblablement) présentent certes comme probable la
réalisation des procès dans lesquels ils sont employés,
toutefois ils ont chacun une valeur stylistique particulière. Pour ce
qui est de l'adverbe sans doute, dans son sens premier, il signifie
l'absence totale d'incertitude ; néanmoins, il est employé
pour marquer la contingence d'un fait. Schott-Bourget (2003 :89) tente
d'expliquer ce phénomène lorsqu'elle fait observer qu'en ce qui
concerne les adverbes de la catégorie de sans doute,
de thétiques (posant la vérité
de l'énoncé), ils sont devenus hypothétiques (supposant la
vérité de l'énoncé). Ce glissement
sémantique qui, bizarrement, n'est pas toujours mentionné dans
les dictionnaires, peut s'expliquer de deux façons : à trop
être utilisés, ces adverbes ont connu une érosion
sémantique ou alors éprouver le besoin de les employer -et donc
de renforcer son discours- est signe de faille.
Ainsi, employer sans doute comme en (71) pourrait
dénoter un manque d'assurance à propos de la vérité
du fait énoncé.
Par contre, l'adverbe peut-être qui
signifie littéralement ce qui peut ou non être, traduit souvent
une volonté de donner plus de crédibilité à ce que
l'on dit. De ce fait, aussi paradoxal que cela puisse paraître,
Fromilhague et Sancier (1991 :89) estiment qu'un adverbe comme
« peut-être » produit « un effet de
vérité » plus grand qu'une phrase
assertive.
A cet égard, montrer ses hésitations
peut s'avérer être une ruse ; tel est le cas en (72)
où le locuteur, à l'aide du marqueur peut-être,
semble feindre une indécision pour mieux amener l'allocutaire à
partager son point de vue. On constate que peut-être dans ces
conditions a une valeur pragmatique. Cet adverbe se distingue ainsi de certains
modalisateurs tels que les adjectifs qualificatifs et les tours impersonnels
puisqu'il a très souvent un sens implicite.
I.1.1.4- Les adjectifs qualificatifs et les
tours impersonnels
Qu'ils soient utilisés de façon
autonome ou associés à un tour impersonnel, les adjectifs
probable et vraisemblable soulignent la contingence du
procès exprimé, c'est le cas en (75), (76) et (77).
(75) Donc il est probable que, sans ce resserrement
des rives, le barrage ne se fût pas fermé, et que le radeau aurait
pu continuer à descendre le courant. (p.307)
(76) Ceux-ci passeraient-ils sans les inquiéter ?
c'était peu probable. (p.142)
(77) Il n'était pas vraisemblable, non plus,
que les assiégeants eussent barré les fleuves en amont
d'Irkoutsk. (p.298-299)
Le tour impersonnel il est probable et les
marqueurs probable, vraisemblable donnent la possibilité aux
locuteurs d'émettre des suppositions, des hypothèses pouvant
s'avérer fausses ou pas. Car comme l'explique Pottier (1992 :213),
« faire une hypothèse », c'est accorder un
certain degré d'existence à un être ou à un
événement.
Néanmoins, on note dans notre corpus des
situations où l'éventualité se concrétise dans
certains cas au moins : on parle de sporadicité.
I.1.2- La sporadicité
La sporadicité marque une probabilité
réelle (réelle parce qu'elle est manifestement
réalisée dans certains cas). Plus concrètement, VOLD
(2006 :6) pense que la sporadicité réfère, comme
le terme l'indique, à ce qui est sporadique, c'est-à-dire
à ce qui se produit de temps en temps, d'une manière
irrégulière.
A cet égard, un fait est sporadique
lorsqu'il s'est déjà produit au moins une fois et qu'il se
produit parfois. Le Querler (2001 :19-20) remarque, par ailleurs, que la
sporadicité peut être référentielle ou temporelle.
Elle est référentielle quand le fait décrit s'applique
à un référent ; elle est temporelle lorsque le
phénomène dont on parle se produit à certains moments, en
voici du reste quelques exemples :
(78) Là, sur un espace de trois cent verstes, les
difficultés naturelles pouvaient être extrêmement
grandes. (p.155)
(79) De là, des chocs, des chutes même qui
pouvaient être extrêmement funestes. (p.276)
(80) Cela est possible et confirmerait cette opinion que
certains pays froids ne peuvent être appréciés que
dans la saison froide. (p.226)
Les faits présentés ci-dessus se
réalisent parfois, tandis que lorsqu'un énoncé est
perçu comme probable, il peut se produire, mais il peut également
ne jamais se produire. Les deux premiers exemples dénotent une
sporadicité temporelle. En effet, les difficultés naturelles et
les chutes dont parle le narrateur sont susceptibles d'être mortelles
à certaines occasions. Par contre, en (80), la sporadicité est
référentielle, cela du fait que la probabilité se rapporte
à un référent : certains pays froids qui peuvent
être appréciés en saison froide.
Les valeurs que nous venons d'étudier
(éventualité et sporadicité) expriment toutes deux la
probabilité. Toutefois, si l'éventualité indique surtout
que le procès peut ou non se réaliser, la sporadicité,
signale, elle, que le fait décrit se produit parfois, même si ce
n'est pas toujours certain. Par ailleurs, il est important de noter que outre
la probabilité, la possibilité permet d'exprimer la
réalisation éventuelle d'un procès. Cependant, les notions
de probabilité et de possibilité diffèrent puisque non
seulement elles n'expriment pas l'éventualité de la même
manière, mais en plus la possibilité est une notion
polysémique.
I.2- La possibilité
La possibilité réfère aussi
bien à la contingence qu'au pouvoir de faire du locuteur. C'est pourquoi
seul le contexte permet de déterminer la valeur à attribuer
à la possibilité.
I.2.1- La contingence
Lorsqu'il exprime la contingence, le possible
indique que le locuteur ne sait pas si le procès a existé, existe
ou existera, mais que ce procès a des possibilités d'exister. Les
propos suivants de Lisan (2005) vont dans ce sens : dire de quelque
chose que « c'est possible », c'est rester ouvert à
sa réalisation, mais c'est, en tout état de cause,
préférer l'indétermination à la
détermination.
La possibilité dans ce cas relève du
douteux, de l'incertitude ; elle exprime donc l'éventualité
tout comme le probable. Cependant, il y a une différence entre ces deux
notions. Tandis que la probabilité indique que la réalisation du
procès exprimé tend vers le certain, la possibilité, quant
à elle, met surtout en exergue le fait que la réalisation du
procès s'approche de l'incertain. Les différentes valeurs de la
possibilité sont bien expliquées par Guillaume (1968) dans sa
conception du système verbo-temporel en français. Selon ce
linguiste, l'expression de la possibilité dépend de la structure
de la phrase. Ainsi, lorsque la tournure impersonnelle il est
possible introduit une subordonnée, le verbe de cette
subordonnée se met au subjonctif, rendant de ce fait hypothétique
la réalisation du procès exprimé. Ce qu'on nomme
subjonctif, correspond en psychomécanique au mode in fieri dans lequel,
selon Guillaume (1968 :10), la chronogenèse a plus ou
moins opéré, [...] l'image-temps saisie en telle position se
présente en cours de formation dans l'esprit.
C'est dire que le subjonctif présente le temps en cours
d'accomplissement. Les phrases suivantes illustrent la théorie de
Guillaume sur le fonctionnement du subjonctif.
(81) Il est possible, d'ailleurs, que nous nous
retrouvions dans quelques jours à Omsk, ajouta Harry Blount.
(p.131)
(82) Il était possible que des inspecteurs de
police, chargés de surveiller les passagers, fussent
secrètement embarqués à bord du Caucase.
(p.77)
Dans ces exemples, on note la présence d'un
sémantème verbal (il est possible) qui empêche la
visée (prédicat verbal) d'atteindre l'actualité,
d'où l'emploi du subjonctif. Le subjonctif, comme le soutiennent Wagner
et Pinchon (1991 :344), se révèle ainsi propre
à exprimer que le procès est présenté comme l'objet
d'un jugement, d'un sentiment, d'une volonté et non comme un fait que
l'on pose en l'actualisant.
Dans cette perspective, avec le subjonctif, le
procès n'est pas posé, mais envisagé. Outre la
contingence, la possibilité subsume également les valeurs
particulières que sont la capacité, la permission, la
possibilité matérielle.
I.2.2- La capacité
Elle correspond à l'habileté qu'a un
locuteur à faire quelque chose ou à accomplir une action.
Charaudeau (1992) parle plutôt de possibilité interne pour
référer à la capacité. A ce propos, cet auteur
(1992 :609) estime que la possibilité interne
révèle une aptitude (ou disposition) naturelle (physique ou
intellectuelle) du locuteur à réaliser l'action
posée.
A en croire Charaudeau (1992), la capacité
serait une aptitude qui ne dépendrait uniquement que du locuteur.
Analysons, à cet effet les exemples ci-dessous :
(83) Cette vie lui profita, et arrivé à
l'âge de l'homme fait, il était capable de tout
supporter, le froid, le chaud, la faim, la soif, la fatigue. (p.37)
(84) Un courrier seul pouvait remplacer le courant
interrompu. (p.33)
(85) Le moins que je peux, et seulement pour ma
consommation particulière, répondit celui-ci en clignant de
l'oeil. (p.45)
L'adjectif capable et les verbes
pouvait, peux traduisent tous une disponibilité naturelle des
êtres humains évoqués ci-dessus.
Outre la capacité, la permission est
également l'une des valeurs de la possibilité que l'on retrouve
dans notre corpus.
I.2.3- La permission
Avec la permission, le pouvoir de faire du locuteur
est assujetti à la volonté d'un autre que le locuteur
lui-même. Dans ce cas, Charaudeau (1992) soutient que la
possibilité du locuteur est externe. Ce linguiste (1992 :609)
affirme ainsi que la permission implique que le locuteur a reçu
l'autorisation d'accomplir l'action. Analysons les énoncés
suivants :
(86) Les lignes de l'Ichim et de l'Irtyche sont maintenant en
notre pouvoir, et les cavaliers turcomans peuvent baigner leurs
chevaux dans leurs eaux devenues tartares. (p.202)
(87) Tu peux donc pousser tes colonnes aussi bien
vers l'orient où le soleil se lève, que vers l'occident où
il se couche. (p.202)
En (86) et (87), le semi-auxiliaire
pouvoir indique que c'est parce que les personnages
évoqués ont reçu une autorisation qu'ils ont la
possibilité d'accomplir leur désir. Il arrive cependant que la
possibilité ressortisse à certaines circonstances favorables.
I.2.4- La possibilité
matérielle
La possibilité matérielle est la
capacité que le locuteur a, à l'aide de certains moyens
d'accomplir une action. Picavez (2003 :59) explique que dans ce cas,
les raisons de la possibilité ne tiennent pas à la
capacité du sujet, mais à un ensemble de circonstances
favorables.
Ainsi, un ensemble de phénomènes, de
circonstances sont susceptibles de favoriser la réalisation d'une
action. Voici quelques exemples pour éclaircir notre propos :
(88) A propos, dit le premier, j'ai pu ce
matin, télégraphier à ma cousine le texte
même de l'arrêté dès dix heures dix-sept minutes.
(p.79)
(89) Il reçut encore quelques télégrammes
de Petersbourg et de Moscou, il put même y répondre.
(p.311)
En (88) tout comme en (89), les différents
énonciateurs ont bénéficié de faveurs naturelles et
ont la possibilité de réaliser leur projet.
L'étude de la contingence, la
capacité, la permission et la possibilité matérielle nous
a permis de constater que la possibilité dans Michel Strogoff
est multiforme et a plusieurs valeurs. Toutefois, quand cette
possibilité est niée, il est plutôt question
d'impossibilité.
I.3- L'impossibilité
Elle traduit une extrême détermination
en ce sens que ce qui est dit impossible l'est décrété
purement et simplement, sans réserve. LISAN (2005) ajoute que
l'impossibilité est donc une notion qui paraît définir
un espace à l'extérieur du champ des possibles.
L'impossibilité, par ailleurs, se singularise par le fait que
lexicalement, aucun verbe ne l'exprime vraiment. C'est pourquoi, la plupart du
temps, l'impossibilité se traduit au moyen du verbe pouvoir
à la modalité négative, ce qui dénote une absence
de possibilité.
(90) La ville ne pouvait plus être
enlevée par un coup de main. (p.312)
(91) Il est absolument impossible qu'il ait suivi
d'autre route que celle de la Baraba. (p.169)
(92) Il ne put donc donner aucune nouvelle de sa
fille à Wassili Fédor. (p.326)
Dans ces énoncés, l'emploi du verbe
pouvoir à la modalité négative ainsi que
l'adjectif impossible présentent les procès
évoqués comme absolument irréalisables. Dans certains cas,
l'impossibilité désigne le fait qu'une chose ne peut être
autre que ce qu'elle est.
I.4- La nécessité
Cette notion renvoie à ce qui est
nécessaire, ce qui doit être. Bally (1965 :37)
considère que la nécessité est au fond une
volonté imposée par les circonstances, les forces naturelles,
etc., qui sont pour ainsi dire personnifiées par la
langue ;
Autrement dit, c'est un ensemble de
phénomènes qui entraînent par exemple la
nécessité d'une action, c'est le cas dans les occurrences
suivantes :
(93) Il fallait profiter de l'obscurité que
l'aube allait chasser bientôt, pour quitter le petit bois et se jeter sur
la route. (p.71)
(94) Puisque Nicolas Pigassof devait s'arrêter dans
cette ville, il serait nécessaire de le remplacer par un guide,
et de changer la kibitka pour un autre véhicule plus rapide. (p.255)
(95) Il faut donc vous hâter si vous voulez les
devancer à Omsk. (p.116)
Dans ces exemples, l'accomplissement
inévitable des actions décrites se justifie soit par des
circonstances naturelles (l'obscurité que l'aube allait chasser) en
(93), soit par un impératif (Nicolas Pigassof devait s'arrêter
dans cette ville) en (94), soit par un désir (la volonté de
devancer les Tartares à Omsk) en (95).
En ce qui concerne la modalité
aléthique, nous avons relevé un emploi récurrent des
termes relatifs à la probabilité dans Michel Strogoff
(155 occurrences). L'utilisation de ces marqueurs témoigne de la
prudence des supports modaux et de leur volonté de présenter leur
discours comme relevant de la supposition. Toutefois, cela pourrait être
une tactique argumentative dans la mesure où comme le pensent
Fromilhague et Sancier (1991 :89), les marqueurs aléthiques sont
souvent la marque d'une prudence langagière qui cache mal le
besoin d'affirmer sa subjectivité et de faire de sa vérité
la vérité. Cela revient à dire que les
éléments linguistiques dont se servent les supports modaux pour
nuancer leurs propos ont souvent des buts inavoués. En effet, ces
éléments sont souvent un moyen pour les supports modaux de faire
adhérer les allocutaires à leur point de vue. Il arrive par
ailleurs que les jugements des énonciateurs et du locuteur ne portent
pas sur la réalisation du contenu propositionnel, mais sur sa
fiabilité.
II- L'ËPISTËMIQUE
Du grec épistémè
(connaissance), la modalité épistémique renvoie au savoir
du support modal. Pour Laurendeau (2004 :4), elle exprime le marquage
de la fluctuation de la connaissance que le sujet a du monde.
L'épistémique concerne donc les différentes connaissances
que nous avons du monde. Dans notre corpus, ces connaissances se manifestent
à l'intérieur d'un énoncé à travers des
éléments grammaticaux et lexicaux qu'on appelle modalisateurs
épistémiques. Ces derniers se caractérisent par le
fait qu'ils modifient explicitement la valeur de vérité d'un
contenu propositionnel et qu'ils se situent à une échelle allant
de l'incertitude la plus absolue à la certitude totale.
Tableau des statistiques
Valeurs de l'épistémique
|
Occurrences
|
Pourcentages
|
Ignorance
|
66
|
17,69%
|
Croyance
|
59
|
15,81%
|
Savoir
|
139
|
37,26%
|
Connaissance
|
61
|
16,35%
|
Certitude
|
48
|
12,86%
|
Total des occurrences de la modalité
épistémique: 373
|
Ce tableau révèle que la
modalisation épistémique est présente dans notre corpus
sous cinq formes. Il y a ainsi la certitude qui a une fréquence
limitée, la croyance, la connaissance et l'ignorance connaissent un
usage moyen. C'est le savoir qui a le plus grand nombre d'occurrences. Nous
allons nous attarder à présent sur l'emploi de ces valeurs dans
notre corpus.
II.1- L'ignorance
Parfois, dans Michel Strogoff, les
locuteurs expriment leur manque total de savoir par rapport à un fait ou
à une situation donnée.
(96) Vous ne savez vraiment pas prendre les
choses par leur bon côté ! (p.113)
(97) Cela, je l'ignore, mais je puis vous assurer,
par exemple qu'il fonctionne de Kazan à Paris ! (pp.87)
Comme on le voit, dans ces énoncés,
l'ignorance peut être exprimée à travers le verbe
ignorer ou alors par le verbe savoir à la
modalité négative. Cependant, il arrive parfois que le fait
décrit par le locuteur soit présenté comme relevant de la
certitude, du moins en ce qui concerne son univers de croyance.
II.2- La croyance
La croyance est le fait de tenir pour vraie une
assertion qui peut être cependant sujette à erreur. C'est dans le
même ordre d'idées que Sadat Belloula (2000 :71)
souligne : croire quelque chose, c'est admettre comme véritable
une proposition, un fait, une histoire sans que l'on sache effectivement son
degré de vérité. Ainsi, lorsqu'un locuteur expose ses
croyances, il se réfère à son univers de croyance. A en
croire Martin (1992 :38), cet univers représente,
l'ensemble indéfini des propositions que le locuteur
(énonciateur), au moment où il s'exprime, tient pour vraies ou
qu'il veut accréditer comme telles.
Cela laisse penser que les croyances d'un locuteur
ressortissent à plusieurs raisons.
II.2.1- Les raisons de croire
Les locuteurs ont des raisons plus ou moins
convaincantes de croire dans notre corpus. Nous avons, à cet effet,
répertorié le croire d'autorité et le croire dogmatique.
Le premier se fonde sur un témoignage, témoignage
inégalement digne de foi et auquel le locuteur accorde subjectivement
une inégale confiance. Le second, c'est-à-dire le croire
dogmatique, s'appuie sur une intuition, une connaissance directe de la
vérité sans l'aide du raisonnement. Les phrases suivantes sont
assez illustratives en ce qui concerne les raisons de croire
sus-citées.
(98) Des avis anonymes, qui n'ont pas passé par les
bureaux de la police, m'ont été adressés et, en
présence des faits qui s'accomplissent maintenant au-delà de la
frontière, j'ai tout lieu de croire qu'ils sont exacts !
(p.27)
(99) Je crois aux exilés plus de
patriotisme ! reprit le czar. (p.29)
(100) Mais, crois-moi, elle ne pourra jamais
atteindre Irkoutsk ! (p.250)
En (98), le support modal s'en tient aux propos qui
lui ont été rapportés pour fonder sa croyance. Dans les
deux autres énoncés, il se base sur des raisons qu'il pourrait
difficilement expliquer. Il apparaît alors que la croyance
présente un fait dont la véracité n'est pas toujours
avérée. C'est pourquoi Martin (1987 :57) déclare
qu'on ne peut affirmer croire ce dont il est impossible de douter. A
cet égard, employer le verbe croire signifie que ce que l'on
affirme peut ne pas être authentique.
II.2.2- Les emplois obliques du verbe croire et les univers
sous-jacents
L'expression emploi oblique est
empruntée à Martin (1987) et désigne l'usage du verbe
croire par un locuteur pour évoquer l'univers de croyance d'un
autre. Dans l'usage oblique, deux univers de croyance se superposent, et le
savoir contenu dans l'un ne coïncide pas nécessairement avec le
savoir de l'autre. La tendance au vrai, caractéristique de l'univers
évoqué, se trouve retournée en une tendance inverse.
Martin (1987 :59) précise à cet effet : mon
croire à moi qui évoque le croire d'autrui est orienté en
direction du faux. Dire il croit que P, c'est généralement
laisser entendre que moi-même je ne le crois pas.
Le sémantisme du verbe croire varie
donc souvent d'un univers à l'autre comme l'illustrent les
énoncés suivants :
(101) Elle ne redoutait plus aucun obstacle, elle se
croyait maintenant certaine d'atteindre son but. (p.124)
(102) Le gouvernement, en effet, croyait savoir que
ce traître n'avait pas encore pu quitter la Russie européenne.
(p.49)
(103) La conversation continua entre les deux officiers, et
Michel Strogoff crut comprendre qu'aux environs de Kolyvan un
engagement était imminent entre les troupes moscovites venant du nord et
les troupes tartares. (p.170)
A travers les emplois ci-dessus du verbe
croire, on constate que le narrateur n'accorde pas beaucoup de
crédibilité aux propos des énonciateurs qu'il met en
scène. Bien plus, ces emplois traduisent la volonté du narrateur
de prendre des distances par rapport aux paroles rapportées. La
fausseté s'attache également quelques fois aux emplois de
croire lorsqu'un locuteur décrit son propre univers de croyance
en un temps antérieur qui n'est plus son univers actuel. Analysons les
énoncés ci-dessous :
(104) J'ai cru que le Caucase allait partir
sans vous, dit celui-ci d'un air moitié figue, moitié raisin.
(p.87)
(105) J'ai donc cru devoir lui marquer que,
pendant cette fête une sorte de nuage avait semblé obscurcir le
front du souverain. (p.20)
L'emploi du verbe croire au passé
composé (ai cru, ai cru devoir) laisse penser que les locuteurs
sus-cités ne croient plus ce qu'ils avaient affirmé dans le
passé, que leurs croyances leur apparaissent actuellement comme fausses.
De ce fait, évoquer son propre univers dans le passé, c'est
inévitablement suggérer une rupture avec les croyances soutenues
dans ce passé. Au regard de ce qui vient d'être dit, le meilleur
moyen de présenter un fait dont on ne saurait douter de la
véracité serait d'employer les verbes savoir ou
connaître et non le verbe croire.
II.3- Analyse des verbes savoir et
connaître
Savoir et connaître
expriment tous les deux les connaissances qu'un locuteur a d'un fait, d'une
personne. Cependant, malgré une synonymie apparente, des
spécialités d'emplois et des différences
sémantiques peuvent être relevées entre ces deux verbes.
II.3.1- Étude syntaxique
Savoir et connaître n'ont
pas toujours le même environnement syntaxique. Picoche (1982) a
mené une étude à ce sujet. Il en ressort que seul
connaître peut avoir pour complément un substantif
concret et que seul savoir peut être suivi d'une proposition
qu'elle soit affirmative ou interrogative. Picoche (1982 :136) soutient,
à cet effet, qu'
un substantif concret a pour référent un
être dont l'existence nous est perceptible par nos sens et contestable
par notre esprit de façon globale [en revanche], une
proposition a pour référent un fait, c'est-à-dire une
relation entre deux éléments au moins.
La substitution de savoir par
connaître et réciproquement n'est pas toujours
évidente puisque ces verbes n'ont pas les mêmes emplois. Soit les
énoncés suivants :
(106) On sait qu'Ivan Ogareff occupait une chambre du
palais. (p.333)
(107) Cependant, Michel Strogoff allait toujours au hasard,
mais comme il connaissait parfaitement la ville, retrouver son chemin
ne pouvait être embarrassant pour lui. (p.27)
(108) Alors, reprit Alcide Jolivet, vous savez qu'au
milieu d'une fête donnée en son honneur, on
annonça à l'empereur Alexandre que Napoléon venait de
passer le Niémen avec l'avant-garde française. (p.21)
Tous les énoncés où sont
employés les verbes savoir et connaître dans
notre corpus sont construits sur le même modèle que les exemples
ci-dessus (savoir + proposition, connaître + substantif). Et c'est
l'opposition entre les deux types de compléments qu'admettent ces verbes
qui affecte leur sens même.
II.3.2- Étude sémantique
Les verbes savoir et
connaître désigneraient deux formes de connaissance
distinctes. A cet effet, connaître est capable de faire
correspondre à un objet une image familière. Remi-Giraud
(1986 :249) précise dans cette perspective que
le verbe connaître établit une relation
entre l'esprit du sujet et le monde extérieur : le sujet
détient, possède mentalement un objet (ce qui peut d'ailleurs
être de nature linguistique) ayant une réalité
propre.
Le verbe connaître permettrait donc
de mettre un support modal en contact avec quelque chose dont l'existence est
perceptible même si elle est de nature linguistique. Savoir,
quant à lui, d'après Culioli (1990 :131), marque la
possession d'une connaissance, concernant un certain état de
choses. Autrement dit, le verbe savoir ne met pas en contact un
support modal avec un objet familier, il lui permet plutôt de parler des
choses qu'il maîtrise. Remi-Giraud (1986 :249) est plus explicite
lorsqu'elle affirme qu'
avec le verbe savoir, le sujet n'entre pas en relation
avec le monde extérieur, mais avec l'activité langagière
elle-même, puisqu'il a dans l'esprit, non pas un énoncé
chose ayant une réalité distincte, mais la représentation
d'un acte d'énonciation.
C'est dire qu'à l'aide de savoir, le support
modal parle de sa connaissance des choses et reste dans la
réalité d'un processus mental. Nous allons tenter de mieux
expliquer la différence sémantique qui existe entre
savoir et connaître à l'aide des exemples
suivants :
(109) On sait que le glaçon qui les portait ne
se trouvait plus qu'à une trentaine de brasses du premier quai, en amont
d'Irkoutsk. (p.335)
(110) Elle connaît la steppe, elle n'a pas
peur, et je souhaite qu'elle ait pris son bâton, et redescendu les rives
de l'Irtyche. (p.138)
(111) Inutile, messieurs, nous nous connaissons.
(p.112)
A travers ces énoncés, l'on constate
que connaître indique que les locuteurs ont dans l'esprit,
l'image de la réalité distincte d'un objet (la steppe) en (110),
des personnes en (111). Savoir traduit plutôt le fait que le
locuteur en (109) a dans l'esprit la virtualité d'un
énoncé. En revanche, au-delà de toutes les
différences mentionnées, savoir et
connaître permettent à un locuteur d'affirmer avec
certitude qu'il possède un savoir, qu'il est sûr que telle chose
existe, ou qu'elle est vraie ou fausse.
II.4- La certitude
Elle correspond au caractère de ce qui est
évident, indubitable, incontestable. La certitude indique que la valeur
de vérité d'un énoncé est irréfutable. De ce
fait, Vold (2006 :3) affirme que les modalisateurs
épistémiques marquant la certitude peuvent être
appelés des amplificateurs. Soit les énoncés
suivants :
(112) Il était certain que les Tartares
investissaient actuellement Irkoutsk, et que les trois colonnes avaient
opéré leur jonction. (p.297)
(113) En vérité, le grand maître
de police, habitué aux décisions autocratiques des Ukases qui
jadis ne pardonnaient pas, ne pouvait admettre cette façon de
gouverner ! (p.26)
(114) Il est vrai que ces steam-boats n'ont
qu'à descendre le Volga, lequel ajoute environ deux milles de courant
à leur vitesse propre. (p.74)
(115) Evidemment, le déplorable hasard qui
l'avait mis en présence de sa mère avait trahi son incognito.
(p.154)
Au regard des exemples sus-cités, on se rend
compte que la nature des marqueurs épistémiques dans Michel
Strogoff est diversifiée. On note la présence aussi bien
d'adverbes (évidemment, en vérité) que
d'adjectifs (vrai, certain). Par ailleurs, ces modalisateurs,
surtout les adverbes, n'augmentent pas nécessairement, comme on pourrait
le croire, le degré de certitude des faits exprimés. Tout au
contraire, ces modalisateurs inscrivent ces faits dans un ordre de
probabilité plus faible. Vion (2001 :223) explique alors que
de la certitude on passe à une forte
probabilité. [L'utilisation d'un adverbe de certitude
rendant moins fiable le fait exprimé et,] faisant comme si
l'existence d'un commentaire à propos d'un fait avait comme
conséquence que ce fait n'allait pas de soi.
C'est dire que l'emploi d'un modalisateur exprimant la
certitude ne produit pas toujours l'effet souhaité, il introduit parfois
le doute dans l'esprit de celui à qui est destiné le discours.
Car, utiliser les modalisateurs épistémiques de certitude
signifie souvent que l'on n'est pas sûr de ce que l'on avance.
En somme, on remarque que la connaissance est
surtout marquée dans notre corpus par l'emploi du verbe savoir
puisqu'il recense à lui seul 139 occurrences. Cela pourrait s'expliquer
car la plupart des locuteurs expriment l'appréhension qu'ils ont de tel
ou tel fait. Bien plus, on perçoit à travers le verbe
savoir le désir des locuteurs de transmettre des connaissances
ou des points de vue subjectifs. Savoir indique aussi le savoir-faire
des différents locuteurs lorsqu'il est suivi d'un infinitif. Par
ailleurs, outre les modalités aléthique et
épistémique que nous venons d'étudier, on note
également l'emploi de la modalité déontique dans notre
corpus.
III- LE DËONTIQUE
Le mot déontique dérive du grec
ta deonta qui veut dire ce qu'il faut. La modalité
déontique concerne le devoir et le droit en termes d'obligation et de
permission. Pour Laurendeau (2004 :5), le déontique correspond
à ce que je crois être nécessaire en sachant que ce n'est
pas, et que ce n'est même peut-être pas
désirable. Cette définition de Laurendeau (2004) met
surtout l'accent sur l'obligation morale, alors que le déontique ne
saurait se réduire à cet unique aspect. C'est pourquoi, nous
préférons la définition de Cresti (2002 :2) pour qui,
à travers la modalité déontique,
une situation est évaluée comme
permise ou interdite, suivant une logique d'obligation ; cette
modalité informe si la réalisation d'un état de choses est
requise, permise ou interdite, ou dans un sens plus large désirée
ou poursuivie.
C'est dire que la modalité déontique fait
essentiellement appel aux notions d'obligation, de permis, d'interdit, voici du
reste les occurrences de ces différentes valeurs du déontique
dans notre corpus :
Valeurs du déontique
|
Occurrences
|
Pourcentages
|
Obligation
|
80
|
84,21%
|
Permis
|
8
|
8,42%
|
Interdit
|
7
|
7,36%
|
Total des occurrences de la modalité
déontique : 95
|
Ce tableau permet une visualisation de l'usage des
différentes valeurs du déontique présentes dans
Michel Strogoff. Ainsi, c'est l'obligation qui a le plus
d'occurrences. Le permis et l'interdit, quant à eux, sont très
peu usités. Examinons à présent comment ces valeurs sont
employées dans notre corpus.
III.1- L'obligation
Elle peut être entendue comme un engagement
imposé par une institution, une religion, la morale ou un individu. De
ce point de vue, on distingue l'obligation interne et l'obligation externe.
III.1.1- L'obligation interne
C'est un ensemble de contraintes que le locuteur
impose à sa propre personne, cette obligation ne dépend que du
locuteur et est de plusieurs ordres. On a ainsi l'obligation morale. Dans ce
cas, explique Charaudeau (1992 :602), le locuteur justifie son
projet de faire, au nom d'une valeur éthique. C'est le bon sens
qui commande l'action du locuteur. Il arrive que l'obligation soit aussi
d'ordre utilitaire. A cet effet, le locuteur justifie son action au nom d'une
valeur pragmatique. Les énoncés suivants nous permettront de
mieux expliciter notre propos:
(116) Le secret de mon fils, Nadia, puisqu'il ne l'a pas dit,
il faut que je le garde ! (p.212)
(117) Il pensa que, quelles que fussent les fatigues d'un
voyage à travers la steppe, sans chemin frayé, il ne devait
pas risquer de tomber une seconde fois entre les mains des Tartares.
(p.273)
(118) En tout cas, et plus que jamais, Michel Strogoff
devait fuir Ivan Ogareff et faire en sorte de ne point en être
vu. (p.149)
L'obligation interne est présente dans ces
énoncés à travers les semi-auxiliaires modaux
falloir et devoir. En (116), c'est le désir de tenir
sa parole qui guide la conduite du locuteur : c'est donc une obligation
morale. Dans les énoncés (117) et (118), les faits et gestes des
locuteurs sont plutôt gouvernés par la volonté d'atteindre
le but fixé, il s'agit d'une obligation utilitaire. Toutes les
obligations que nous venons de décrire ne sont imposées au
locuteur que par lui-même. Néanmoins, ce dernier peut aussi subir
des contraintes auxquelles il ne peut se dérober.
III.1.2- L'obligation externe
Elle émane d'une instance qui a une
autorité sur le locuteur. Charaudeau (1992 :607) soutient que
l'obligation externe ne dépend pas du locuteur mais d'un autre
qui a pouvoir pour donner un ordre au locuteur.
Nous ajoutons à la suite de Charaudeau
(1992) que l'obligation externe concerne aussi une personne à qui le
locuteur adresse un ordre. L'obligation s'assimile dans ce cas à
l'injonction et le locuteur se soumet alors à cet ordre qui devient le
motif de son faire. Considérons les exemples ci-dessous :
(119) Messieurs, dit Michel Strogoff à voix basse, vous
ne devez pas savoir qui je suis, ni ce que je suis venu faire en
Sibérie. (p.296)
(120) Ivan, il faudra faire parler sa
mère ! (p.220)
(121) Tu ne dois penser qu'à ton
père ! (p.246)
La contrainte exprimée dans les
énoncés ci-dessus se présente comme une influence venant
d'une source en direction d'une cible précise.
III.2- Le permis et l'interdit
Le permis et l'interdit sont deux notions
contradictoires puisqu'elles s'excluent mutuellement. Ce qui est permis n'est
pas interdit et ce qui est interdit n'est pas permis. Une action est permise
lorsqu'elle peut être exécutée, alors que l'interdiction
renvoie à la défense d'exécution d'un fait, d'une action.
Vanderverken (1998 :186) ajoute qu'interdire, c'est défendre
quelque chose à quelqu'un en général pour une
période de temps assez longue.
Cette définition de Vanderverken (1998) ne
nous semble pas assez juste dans la mesure où le temps d'une
interdiction peut être brève ou longue. Les occurrences
ci-après donnent un aperçu du fonctionnement du permis et de
l'interdit dans notre corpus:
(122) A l'avant du Caucase étaient groupés des
passagers plus nombreux, non seulement des étrangers, mais aussi des
Russes, auxquels l'arrêté ne défendait pas de
regagner les villes de la Province. (p.75)
(123) Après avoir réquisitionné les
chevaux, on réquisitionnera les bateaux, les voitures, tous les moyens
de transport, jusqu'au moment où il ne sera plus
permis de faire un pas sur toute l'étendue de l'empire.
(p.46)
(124) Oh ! ne parlons pas politique ! s'écria
Alcide Jolivet. C'est défendu par la Faculté !
(p.195)
A la lecture de ces énoncés, l'on
s'aperçoit que le permis peut être exprimé comme en (122)
par le verbe défendre à la modalité
négative. C'est également le cas de l'interdit qui est
exprimé en (123) par l'adjectif permis à la forme
négative.
Eu égard à ce qui a été
dit sur la modalité déontique, on se rend compte que
l'obligation, le devoir est la valeur la plus présente dans notre
corpus. Cela pourrait se comprendre dans la mesure où cette valeur
semble chère au sujet parlant et anime de ce fait presque tous les
personnages.
Nous avons voulu dans ce chapitre montrer l'impact
que pouvait avoir l'emploi des modalités d'énoncé dans
notre corpus en tant que faits d'expression. Nous avons de ce fait
étudié les différentes valeurs des modalités
d'énoncé présentes dans Michel Strogoff. Il en
ressort que l'aléthique permet surtout aux locuteurs et
énonciateurs de s'exprimer avec une prudence langagière pour ne
pas donner un caractère péremptoire à leur discours. La
modalité épistémique, quant à elle, met surtout en
exergue l'appréhension que les locuteurs ont de tel ou tel fait.
L'étude du déontique nous a permis de nous rendre compte de la
place importante qu'occupe le devoir, l'obligation dans notre corpus. On l'aura
compris, les modalités d'énoncé sont des
procédés à travers lesquels les supports modaux, dans
notre corpus, véhiculent leur point de vue, leur univers de croyance.
C'est aussi le cas lorsque ces supports modaux désignent des
référents humains ou s'expriment sur des faits à l'aide
des parties prédicatives du discours stylistiquement marquées.
CHAPITRE QUATRIÈME :
MODALISATION AXIOLOGIQUE DES RÉFÉRENTS
HUMAINS
La langue n'est pas un miroir de la
réalité ou une série d'étiquettes qui collerait
à la réalité. C'est sans doute, ce qui fait dire à
Kerbrat-Orecchioni (1980 :79) que toute unité lexicale
est, en un sens subjective, puisque les « mots » de la
langue ne sont jamais que des symboles substitutifs et interprétatifs
des choses.
Autrement dit, le simple fait de nommer passe par
les filtres de la perception, de l'interprétation, la
catégorisation. Les unités lexicales étant donc
chargées d'une dose de subjectivité plus ou moins forte, nous
tenterons de montrer que les locuteurs et énonciateurs de Michel
Strogoff se servent de différents procédés
stylistiques pour désigner les référents humains ou
exprimer leur émotion, leur point de vue. On l'aura compris, il est
question du problème de l'axiologie qui consiste pour le support modal
à émettre des jugements de valeur sur un référent
précis. Nous procèderons de ce fait à une analyse
stylistique des parties prédicatives du discours que sont les
substantifs, les adjectifs qualificatifs, les verbes et les adverbes.
Tableau des statistiques
Parties prédicatives du discours
|
Occurrences
|
Pourcentages
|
Substantifs
|
51
|
11,33%
|
Adjectifs qualificatifs
|
194
|
43,11%
|
Verbes
|
159
|
35,33%
|
Adverbes
|
46
|
10,22%
|
Total des occurrences de la modalisation
axiologique : 450
|
Ce tableau présente un aperçu des
parties prédicatives du discours qui permettent aux supports modaux de
Michel Strogoff de modaliser leurs discours. On constate ainsi que les
adjectifs qualificatifs sont les plus employés. Les verbes ont une
fréquence non négligeable, alors que les substantifs et les
adverbes sont très peu usités. Nous allons à
présent nous appesantir sur l'usage concret de ces parties
prédicatives du discours dans notre corpus.
I- LES SUBSTANTIFS
On s'intéressera dans cette partie au
fonctionnement des substantifs axiologiques dans Michel Strogoff,
c'est-à-dire des termes péjoratifs et valorisants. Il s'agit
notamment des noms de qualité, des noms métaphoriques et
hyperboliques.
I.1- Les noms de qualité
La description des personnages est le plus souvent
orientée, et a pour but selon Perelman (1989 :163-164),
de mettre en avant les caractéristiques sur
lesquelles on va s'appuyer pour argumenter, ou pour faire éloge ou
blâme. [...] L'orateur n'est évidemment pas un témoin
ordinaire des caractéristiques de celui qu'il présente. Il va
donc sélectionner et agencer des traits de façon à en
faire des arguments et à jouer sur la sensibilité de
l'auditoire.
C'est ainsi qu'il existe des substantifs essentiellement
dévalorisants qui sont employés pour déprécier le
personnage qualifié : Durrer (1996 :154) les appelle noms
de qualité. Syntaxiquement, ils peuvent être
identifiés grâce à la propriété qu'ils ont de
pouvoir figurer dans deux positions particulières :
-Déterminant démonstratif + orientation
négative (insulte) + nom;
- En incise à différents endroits de la
phrase.
A ces singularités syntaxiques, sont
associées des particularités sémantiques au fonctionnement
des noms de qualité. Ces derniers, à en croire Maingueneau
(1993 :39), n'ont de référent que par les actes
d'énonciation des sujets. En d'autres termes, les noms de
qualité n'ont pas de signifié stable. Ainsi, le
traître renvoie à une personne que je désigne comme
telle et qui n'est traître que par mon énonciation. Il en est de
même pour les noms de qualité qui sont employés dans les
énoncés suivants respectivement par Ivan Ogareff à
l'égard de Marfa (125), Michel Strogoff à l'endroit d'Ivan
Ogareff (126), Ivan Ogareff à l'égard de Michel Strogoff (127) et
Harry Blount qualifiant Féofar-khan (128).
(125) Quand le moment sera venu, je saurai bien la faire
parler, cette vieille sorcière ! (p.153)
(126) Oui je vois ! dit-il. Je vois le coup de knout dont
je t'ai marqué, traître et lâche !
(p.338)
(127) Te battras-tu, maintenant, lâche ?
répéta le voyageur en ajoutant la grossièreté
à la brutalité. (p.133)
(128) Près de cette brute de
Féofar-khan ? (p.136)
Les substantifs sorcière, traître,
lâche, brute n'ont qu'une visée disqualifiante. Ils
fonctionnent comme des injures destinées à dénigrer
l'individu désigné. Chaque locuteur voulant marquer
l'animosité qu'il a pour une personne précise. De plus, on
remarque que ces termes sont à la limite du vulgaire. Cela n'est pas
fortuit car plus un terme est péjoratif, plus il tend à
dégrader l'objet qu'il dénote. C'est dire que la connotation
stylistique peut dans certains cas venir renforcer les effets pragmatiques de
la connotation axiologique. Par ailleurs, ces substantifs sont essentiellement
subjectifs dans la mesure où ce n'est que dans l'acte
d'énonciation utilisé qu'ils ont véritablement un sens.
Ainsi, le mot lâche est aussi bien employé par Ivan
Ogareff que par Michel Strogoff pour se désigner mutuellement. C'est
dans ce sens que Flahault (1978 :41) précise que
dans le cas où j'insulte quelqu'un, je lui
applique un terme qui doit le qualifier ou le désigner, lui, mais me
permettre de me croire hors de cause, en ayant pour effet de persuader mon
interlocuteur, autant que possible, que c'est sa propre nature qui est
stigmatisée par l'insulte.
Dans les énoncés que nous venons de
citer, on peut observer le phénomène décrit par Flahault
(1978). Ivan Ogareff, Michel Strogoff et Harry Blount veulent persuader aussi
bien leur interlocuteur qu'eux-mêmes qu'ils ont raison d'utiliser des
substantifs injurieux pour le désigner. Ces termes injurieux n'auraient
donc pas un sens uniquement par rapport à leurs différents
auteurs ; sans quoi la vivacité de l'insulte serait
émoussée d'avoir été posée comme
relative.
Il ne faudrait cependant pas croire que les
substantifs dans notre corpus servent seulement à
déprécier. On y note également la présence des
termes essentiellement valorisants.
I.2- Les noms métaphoriques et
hyperboliques
Il s'agit dans ce point de voir comment
l'utilisation des termes métaphoriques peut aboutir à
l'idéalisation d'où l'hyperbole. Les termes métaphoriques
jalonnent les discours du narrateur ainsi que des différents personnages
de Michel Strogoff. Avant de nous intéresser au fonctionnement
de ces termes, il convient de définir au préalable le mot
métaphore, substantif duquel dérive l'adjectif
métaphorique. Ainsi, Tamba-Mecz (1981:42) définit la
métaphore comme l'attribution (épiphora) à une
réalité d'une dénomination qui n'est pas la sienne.
Elle fonde sa définition sur la similitude entre deux
réalités. En mots plus simples, la métaphore est
une figure qui opère un transfert de qualité reposant sur une
ressemblance entre deux référents. Les termes
métaphoriques apparaissent alors comme une comparaison implicite que le
locuteur suggère entre un élément A et un
élément B.
Gardes-Tamine (2001) pense, néanmoins, qu'il
faut prendre garde à cette façon de voir les choses.
D'après elle (2001 :61), la métaphore
suppose non une relation entre deux termes A et B,
mais une relation entre relations : A/B = C/D. Ainsi, si A est à B
ce que C est à D, on pourra employer métaphoriquement B pour D ou
D pour B, et A pour C ou C pour A.
C'est dire que la prise en compte de la syntaxe s'avère
nécessaire pour mieux comprendre le fonctionnement des termes
métaphoriques. Justement, ces termes constituent des métaphores
in praesentia du fait qu'ils impliquent des substantifs reliés
soit par le verbe être, soit par la configuration d'apposition,
soit par la préposition de. Analysons la valeur des termes
métaphoriques dans les énoncés ci-après, dans
lesquels Nadia, le Général Kissof, et le narrateur parlent de la
personne ainsi que des faits de Michel Strogoff :
(129) Un lion, en vérité !
répondit Nadia. (p.211)
(130) Ses membres, bien attachés, étaient autant
de leviers disposés mécaniquement pour le meilleur des
accomplissements des ouvrages de force. (p.34)
(131) C'était, comme le Yakoute des contrées
septentrionales, un homme de fer. (...) De plus,
trempé dans les neiges, comme un damas dans les eaux de Syrie, il avait
une santé de fer, ainsi que l'avait dit le général Kissof,
et, ce qui n'était non moins vrai, un coeur d'or. (p.37)
Les substantifs lion, leviers, et les
groupes nominaux homme de fer, coeur d'or, constituent des
images à forte coloration affective. En effet, à travers ces
termes métaphoriques laudatifs, Michel Strogoff est
présenté comme un être extraordinaire qui sait faire face
à toute épreuve. On constate dès lors que ces termes
excessifs cachent une autre figure de style : l'hyperbole. Mazaleyrat et
Molinié (1989:170) définissent cette dernière comme
une figure macrostructurale, selon laquelle on exagère l'indication
du sens véhiculé par le message à l'aide de lexies ou de
caractéristiques de portée sémantique supérieure au
contenu réel de l'énoncé.
On voit ainsi que l'hyperbole a une valeur
argumentative. Le narrateur veut absolument persuader le lecteur que Michel
Strogoff est un personnage surhumain en employant des substantifs à
forte coloration méliorative. Ce personnage possèderait la force
d'un lion puisqu'il a des membres qui s'apparentent à des
leviers; ce qui fait naturellement de lui un homme de fer, un
homme inflexible. En outre, Michel Strogoff est doté d'une bonté
exceptionnelle, c'est pourquoi il possède un coeur d'or.
Tadié (1996 :79) mentionne le fait que, s'agissant justement de
Michel Strogoff,
Jules Verne consacre quarante-quatre lignes à son
portrait, et soixante-dix à sa biographie. La description du physique
signifie « le courage sans colère des
héros », et Verne recourt à une
« physiologie » balzacienne pour présenter un
héros idéal, entièrement fonctionnel, sans aucune faille,
sans aucune ambiguïté, venu droit de l'épopée
antique.
A cet égard, il y a une idéalisation du
personnage de Michel Strogoff ; le lecteur devrait donc le
considérer comme un personnage sans défaut, comme un
héros. Selon Nola (2003:53), l'hyperbole s'emploie en effet
à fixer, à travers ce qu'elle dit d'incroyable, ce qu'il faut
réellement croire.
En fait, Verne nous présente un homme
prêt à tout pour accomplir sa mission. C'est pourquoi il
n'hésite pas à recourir à des termes métaphoriques
et hyperboliques pour peindre ce personnage.
On s'aperçoit que le discours axiologique
employé par les locuteurs de Michel Strogoff au moyen des
substantifs est selon les circonstances et selon les personnages aussi bien
péjoratif que valorisant, c'est également le cas des adjectifs
qualificatifs.
II- LES ADJECTIFS QUALIFICATIFS
Ce point porte sur l'analyse des adjectifs
qualificatifs qui renvoient à un jugement de valeur du sujet
énonciateur. Kerbrat-Orecchioni (1980 :94) parle d'adjectifs
subjectifs par opposition aux objectifs. Maingueneau (1993), tout en validant
la classification de Kerbrat-Orecchioni (1980), adopte aussi en termes
génériques la proposition de Milner (1978) : la classifiance
et la non-classifiance. Les adjectifs classifiants qui servent à
décrire le monde sont équivalents aux adjectifs objectifs. Alors
que les non-classifiants, soutient Maingueneau (1993 :153),
réfléchissent avant tout un jugement de valeur de
l'énonciateur.
On se rend compte que les termes subjectif et
non-classifiant recouvrent en fait la même signification. C'est pourquoi
nous opterons pour la typologie proposée par Kerbrat-Orecchioni (1980)
et reprise par Maingueneau (1993). Cette typologie comprend les adjectifs
affectifs, évaluatifs (axiologiques et non-axiologiques). Le
schéma ci-après permet une visualisation des différents
types d'adjectifs tels que présentés par Kerbrat-Orecchioni
(1980 :94) :
Affectifs. Ex. :
Poignant
Drôle
Pathétique
Subjectifs
Évaluatifs
Axiologiques
Bon
Beau
Bien
Non
Axiologiques
Grand
Loin
Chaud
Nombreux
Adjectifs
Objectifs. Ex. :
Célibataire/marié
Adjectifs de couleur
Mâle/femelle
II.1- Les affectifs
Ils impliquent un engagement affectif de
l'énonciateur vis-à-vis de l'objet qualifié. C'est
pourquoi Ece Korkut (2003) pense que les affectifs sont étroitement
liés aux impressions personnelles du sujet parlant. En
d'autres termes, ils indiquent une réaction émotionnelle de
l'énonciateur. Par ailleurs, il convient de noter que la valeur
affective peut être inhérente à l'adjectif ou alors
être solidaire d'un signifiant prosodique, typographique (le point
d'exclamation) ou syntaxique particulier : c'est le cas de
l'antéposition d'un adjectif qui le charge souvent
d'affectivité.
II.1.1- L'épithète d'ornement
Comme son nom l'indique, ce type
d'épithète a essentiellement une fonction d'ornement et non de
détermination. Il décrit plus qu'il ne définit le
substantif auquel il est lié. De là, la valeur subjective,
appréciative de l'adjectif antéposé car la qualité
vraie cède le pas à l'intensité de l'impression. Bacry
(1992 :157) soutient à cet effet qu'
Elle [l'épithète
d'ornement] se distingue justement d'une épithète
normale en ceci qu'elle ne fait que souligner certains aspects du nom qu'elle
qualifie, sans pour autant être nécessaire à la bonne
interprétation de la phrase.
La suppression de l'épithète d'ornement
n'affecterait donc en aucune manière le sens réel de
l'énoncé. Fontanier (1968 :324), pour sa part, parle
d'épithète rhétorique et déclare qu'il s'agit d'un
adjectif
que l'on ajoute à un substantif, non pas
précisément pour en déterminer ou en compléter
l'idée principale, mais pour la caractériser plus
particulièrement et la rendre plus saillante, plus sensible, ou plus
énergique.
Il apparaît ainsi que
l'épithète d'ornement ne contribue pas spécialement
à l'identification du référent qualifié, mais
à sa caractérisation. Voici quelques exemples
d'épithètes d'ornement employées respectivement par un
personnage secondaire (le deh-baschi), Nadia et Michel Strogoff.
(132) Une rude femme, cette vieille
Sibérienne, qui est évidemment sa mère !dit le
deh-baschi. (p.170)
(133) Mon pauvre frère est aveugle !
(p.296)
(134) Ces damnées tsiganes ont des yeux de
chat ! (p.85)
Les adjectifs qualificatifs rude,
pauvre, damnées sont tous antéposés au
substantif qu'ils qualifient et prennent dans ce cas une signification
singulière. Pour ce qui est de l'adjectif rude par exemple, il
perd son sens premier qui signifie brutal pour marquer ici le
caractère redoutable que le deh-baschi attribue à Marfa. En fait,
l'emploi de cet adjectif dénote un étonnement de la part de ce
personnage mêlé d'un certain respect, car Marfa est une femme qui
fait preuve de ténacité et de courage tout au long du roman.
Quant aux adjectifs pauvre et damnées, ils traduisent
respectivement l'apitoiement de Nadia face à l'état physique de
Michel Strogoff et l'agacement de Michel Strogoff eu égard à la
perspicacité des tsiganes.
En outre, en employant les adjectifs de la
même famille que pauvre, Maingueneau (1993 :125) estime
que le locuteur n'apporte pas une information classifiante sur le nom,
il donne une information « détrimentaire » à
son sujet. En clair, l'antéposition d'un adjectif tel que
pauvre témoigne surtout de la pitié, de la compassion
que le locuteur a à l'égard du référent
qualifié.
Les affectifs, nous l'avons vu, indiquent une
réaction émotionnelle du sujet énonciateur et
n'apprécient pas très souvent la valeur ou l'importance d'un
référent comme les évaluatifs.
II.2- Les évaluatifs
Avec les évaluatifs encore appelés
appréciatifs, les locuteurs tendent volontiers à imprégner
leur discours d'une subjectivité singulière. Les
évaluatifs se divisent en deux groupes : les non-axiologiques et
les axiologiques.
II.2.1- Les non-axiologiques
Ils renvoient aux adjectifs qui n'énoncent
pas de jugement de valeur, ni d'engagement affectif du locuteur.
Néanmoins, étant donné que leur signification, leur valeur
varient d'une personne à l'autre, les non-axiologiques peuvent
être chargés d'une dose de subjectivité plus ou moins
forte. Car, de même que la capacité de l'observation et de la
perception n'est pas identique chez tous les hommes, de même sont
différents les manières et les moyens d'exprimer une même
réalité. D'après Kerbrat-Orecchioni (1980 :96-97),
les non-axiologiques
impliquent une évaluation qualitative ou
quantitative de l'objet dénoté par le substantif qu'ils
déterminent, et dont l'utilisation se fonde à ce titre sur une
double norme interne à l'objet support de la qualité et
spécifique du locuteur.
Ainsi, l'emploi d'adjectifs évaluatifs dépend de
l'idée que le locuteur se fait de la norme convenable pour une
catégorie d'objets donnée. Kerbrat-Orecchioni (1980) s'oppose de
ce fait à Bally (1951) qui insiste sur l'idée que la norme est
relative au sujet d'énonciation. Bally (1951 :196) déclare
en effet que tout adjectif au positif est quantifié par rapport
à une unité de mesure que chaque sujet porte lui- même.
On constate bien que Bally (1951) dans ses propos ne signale que l'un des
deux aspects devant être pris en compte pour l'interprétation d'un
évaluatif car il existe bien une norme sur laquelle chaque locuteur
prend appuie pour évaluer un référent donné. Nous
allons, à l'aide de trois exemples, analyser le fonctionnement des
non-axiologiques dans notre corpus. Dans les énoncés qui suivent,
le narrateur brosse le portrait de Michel Strogoff (en 135 et 136) et d'Ivan
Ogareff (en 137).
(135) Michel Strogoff était haut de taille,
vigoureux, épaules larges, poitrine vaste.
(p.34)
(136) Sur sa tête, carrée du haut, large
de front se crêpelait une chevelure abondante. (p.34-35)
(137) C'était le voyageur de la berline, un individu
à tournure militaire, âgé d'une quarantaine
d'années, grand, robuste, tête forte,
épaules larges, épaisses moustaches se
raccordant avec ses favoris roux. (p.131)
A priori, des adjectifs tels que grand,
large, vaste ne supposent pas de jugements de valeur de la
part du sujet énonciateur, car ils semblent dénués de
toute subjectivité. Cependant, lorsqu'on essaye de prendre en compte
l'effet produit par tous ces adjectifs, l'on s'aperçoit que leur emploi
vise un but précis. En effet, Michel Strogoff et Ivan Ogareff
apparaissent comme deux êtres dotés d'une stature impressionnante,
deux hommes solides, destinés au combat. Cela n'est guère
étonnant quand on sait que ces deux hommes sont les chefs de fil de deux
camps qui s'affrontent dans le roman. On s'aperçoit donc qu'un adjectif
apparemment sans jugement de valeur peut devenir subjectif selon les
circonstances. Les non-axiologiques s'opposent, de ce fait, aux axiologiques
qui sont essentiellement subjectifs.
II.2.2- Les axiologiques
L'utilisation des axiologiques comme celle des
non-axiologiques implique une double norme liée à l'objet support
de la propriété et à l'énonciateur. Les qualifiants
axiologiques que l'on emploie dans un contexte donné peuvent
témoigner d'une certaine valeur éthique ou esthétique tels
dans le cas des adjectifs bien/mal, beau/laid. Les évaluatifs
axiologiques portent donc, sur l'objet dénoté par le substantif
qu'ils qualifient, un jugement de valeur positif ou négatif. Par
ailleurs, pour identifier la valeur axiologique d'un terme, il faut prendre en
compte le contexte verbal et ce que l'on sait de l'idéologie du
locuteur. C'est ce que pense également Charaudeau (1983 :9)
puisqu'il affirme que
l'acte de langage n'épuise pas sa
signification dans sa forme explicite [...]. Ce qui nous amène à
le considérer comme un objet double, constitué d'un Explicite (ce
qui est manifeste) et d'un Implicite (lieu de sens multiples) qui
dépendent des circonstances de communication.
Autrement dit, nous ne pouvons comprendre un discours si nous
ne prenons pas en considération son contexte de production. Les propos
suivants de Ece Korkut (2003) vont dans le même sens : nous
avons besoin d'un certain nombre d'éléments informationnels sur
le locuteur pour interpréter son discours, tels que son statut, sa prise
de position, le contexte et le cotexte (le contenu verbal).
En clair, l'identification de la valeur axiologique
d'un terme ressortit aux idées défendues par le locuteur qui ne
sont pas souvent explicites. Ainsi des exemples ci-après dans lesquels
le narrateur peint le caractère d'Ivan Ogareff (138), de Michel Strogoff
(139), d'Harry Blount et d'Alcide Jolivet (141) ainsi que le physique de Nadia
(140).
(138) Fourbe par nature, il avait volontiers recours
aux plus vils déguisements, se faisant mendiant à
l'occasion. (p.144)
(139) Le jeune Sibérien hardi,
intelligent, zélé de bonne conduite, eut
d'abord l'occasion de se distinguer spécialement dans un voyage au
Caucase, au milieu d'un pays difficile. (p.37-38)
(140) D'une sorte de fanchon qui la coiffait
s'échappaient à profusion des cheveux d'un blond
doré. Ses yeux étaient bruns avec un regard
velouté d'une douceur infinie. (p.51)
(141) L'Anglo-normand, compassé,
froid, flegmatique, économe de mouvements et
de paroles. Au contraire, le Gallo-Romain, vif, pétulant, s'exprimait
tout à la fois des lèvres, des yeux, des mains ayant vingt
manières de rendre sa pensée. (p.17-18)
En considérant le fait que Jules Verne
accorde une importance aux valeurs morales, l'on comprend mieux l'emploi des
adjectifs ci-dessus surtout en (138), (139) et (140). En effet, dans ces deux
premiers énoncés, les axiologiques dévalorisants
(fourbe, vils) caractérisent Ivan Ogareff qui incarne le
traître, l'homme prêt à accomplir toutes les basses
manoeuvres pour atteindre ses objectifs. Le narrateur, qui représente
dans l'oeuvre l'auteur nous présente un personnage qui n'hésite
pas à mentir en se servant d'artifices odieux. Par contre, ce ne sont
que des adjectifs à valeur laudative qui sont utilisés pour
qualifier Michel Strogoff et Nadia. Cela pourrait s'expliquer lorsqu'on sait
qu'ils représentent pour Jules Verne des êtres animés par
le sens de la justice et de l'honnêteté. C'est pourquoi Michel
Strogoff est présenté comme un exemple de bonne conduite
grâce à la gradation ascendante le jeune Sibérien
hardi, intelligent, zélé de bonne conduite et Nadia comme
une jeune fille dont la douceur transparaît à travers le regard.
Sur un tout autre plan, le narrateur dresse le
portrait moral de deux personnages secondaires en (141) : Harry Blount et
Alcide Jolivet, deux journalistes anglais et français. S'ils partagent
la même passion pour le journalisme, ils ont néanmoins des
caractères opposés. Le narrateur, à l'aide d'une gradation
ascendante, met en exergue le caractère réservé du
Britannique Harry Blount (L'Anglo-normand, compassé, froid,
flegmatique, économe de mouvements et de paroles.) Au regard des
adjectifs péjoratifs employés, on comprend que cette gradation
est un procédé d'amplification permettant au narrateur de porter
un regard dépréciatif et même un peu ironique sur
l'indifférence affichée par L'Anglo-normand. Cette figure de
style par sa valeur argumentative vise à présenter le
comportement du journaliste anglais comme malsain. Cependant, Alcide Jolivet,
le Gallo-Romain, est présenté comme un homme ouvert et
jovial ; on pourrait expliquer ce jugement quand on sait que Jules Verne
est lui-même français.
Il ressort de l'étude de l'adjectif
qualificatif que c'est à travers lui que se traduit le plus
naturellement l'émotion subjective. L'analyse des adjectifs
qualificatifs nous a permis ainsi de mieux comprendre les interactions sociales
qui existent entre les principaux personnages et de déceler les
idéaux qu'ils incarnent. Car, comme le disent Tandia et Tsofack
(2002:89), la valeur du personnage ne peut se déterminer qu'à
travers le réseau de relations (rapports d'analogie ou d'opposition)
qu'il entretient avec les autres personnages de l'oeuvre et du système.
Au regard des relations que les personnages
entretiennent, on s'aperçoit que le roman est divisé en deux
camps. D'un côté, il y a ceux à qui, on a semble-t-il, rien
à reprocher. D'un autre côté, il y a ceux qui
représentent l'injustice à l'instar d'Ivan Ogareff. Outre les
adjectifs qualificatifs, peuvent également être
considérés comme subjectifs des verbes ayant un certain contenu
sémantique.
III- LES VERBES
Les verbes étudiés dans cette partie
sont ceux qui permettent au locuteur de modaliser son discours en exprimant un
sentiment, une opinion ; il est également question de l'analyse des
verbes performatifs.
III.1- Les verbes de sentiment
Ils indiquent une affection ou une répulsion
vis-à-vis d'un référent. Kerbrat-Orecchioni
(1980 :115) apporte de plus amples explications sur le fonctionnement des
verbes de sentiment lorsqu'elle écrit : à la fois
affectifs et axiologiques, ils expriment une disposition, favorable ou
défavorable, de l'agent du procès vis-à-vis de son objet,
et corrélativement, une évaluation positive ou négative de
cet objet.
Les verbes de sentiment, on l'aura compris, ont la
particularité d'être marqués d'un trait évaluatif
axiologique du type bon/mauvais. L'on rencontre de ce fait dans Michel
Strogoff des locuteurs qui expriment leur disposition favorable ou
défavorable à l'égard d'un référent
déterminé. C'est le cas par exemple du narrateur en (142) et
(143) qui présente les sentiments de Michel Strogoff ainsi que Michel
Strogoff lui-même qui exprime un désir en (144).
(142) Il admirait l'énergie silencieuse
qu'elle montrait au milieu des fatigues d'un voyage fait dans de si dures
conditions. (p.215)
(143) Il craignait tant que son espoir ne fût
encore une fois déçu ! (p.256)
(144) Non, monsieur, et je désire même
avoir quitté la maison de poste avant l'arrivée de cette berline
que nous avons devancée. (p.130)
Les verbes de sentiment ci-dessus (admirait,
craignait, désire) mettent en évidence une fois de plus le
côté humain de Michel Strogoff. En (142), l'on perçoit
à travers le verbe admirait qu'il sait reconnaître les
efforts que fournit Nadia devant des épreuves difficiles. Les verbes
craignait et désire, quant à eux, nous
présentent surtout un soldat dévoué, pressé
d'accomplir sa mission.
III.2- Les verbes d'opinion
Les verbes d'opinion expriment un point de vue, un
jugement du locuteur. Pour Kerbrat-Orecchioni (1980 :126), ces verbes
énoncent une attitude intellectuelle de x vis-à-vis de
p. Autrement dit, les verbes d'opinion donnent la possibilité au
locuteur de prendre position par rapport à un fait, ainsi des verbes
penser, estimer, trouver...etc. Considérons
les énoncés suivants :
(145) Je pense, mon cher confrère,
répondit en souriant Alcide Jolivet, que cet houschi-bégui a eu
un bien beau geste, quand il a donné l'ordre de nous couper la
tête ! (p.205)
(146) On estime qu'une condamnation à cent
vingt coups de fouet équivaut à une condamnation à mort.
(p.223)
Les verbes pense et estime sont
utilisés respectivement par Alcide Jolivet et le narrateur pour indiquer
qu'ils donnent libre cours à leur point de vue et leur façon de
voir les choses notamment en ce qui concerne un sujet les interpellant.
III.3- Les verbes performatifs
Les verbes performatifs ne le sont pas par nature,
mais occasionnellement et dans certaines conditions d'emploi. Ces verbes
doivent être employés à la première personne et au
présent de l'indicatif. De plus, comme le soutient Tomassone
(1996 :45), ces verbes indiquent explicitement l'acte accompli en
même temps qu'il est énoncé. Nous pouvons citer des
verbes tels que ordonner, prier, remercier,
interdire... Il existe également d'autres verbes ne
possédant pas les caractéristiques des verbes que nous venons de
décrire, mais qui peuvent toutefois s'en rapprocher. C'est le cas du
verbe promettre qui exprime un engagement de la part du locuteur et
équivaut à l'accomplissement d'un acte. Soit les
énoncés ci-dessous :
(147) je vous promets, d'ailleurs de garder pour moi
tout ce que je pourrai voir. (p.78)
(148) J'irai dire à Irkoutsk tout ce que j'ai vu, tout
ce que j'ai entendu, et j'en jure par le Dieu vivant ! (p.246)
Promettre est le verbe d'engagement par
excellence. Il permet à Alcide Jolivet de s'engager vis-à-vis de
Harry Blount à faire quelque chose en supposant que cela est bon pour ce
dernier. Jurer, comme promettre, permet à Michel
Strogoff en (148) de s'engager à accomplir une action. A cet
égard, Vanderverken (1998 :176) précise que dans
certains contextes, on peut s'engager d'une manière très
solennelle en invoquant un objet sacré, une institution
révérée ou une personne chère. C'est ce
que fait Michel Strogoff en invoquant Dieu pour donner plus de force à
son engagement.
On constate que l'étude des verbes subjectifs
nous révèle des aspects de la personnalité de certains
personnages, car la valeur sémantique des différents verbes
étudiés nous situe plus ou moins par rapport à leur
univers de croyance. Ce n'est pas le cas des adverbes subjectifs qui laissent
plutôt percevoir ce que le narrateur pense des différents
personnages ou alors les opinions que ces derniers ont les uns des autres.
IV- LES ADVERBES
Ce sont des mots invariables susceptibles de
modifier le sens d'un adjectif, d'un verbe, d'un autre adverbe ou de tout un
énoncé. Nous ne nous intéresserons ici qu'aux adverbes
qui, pour Tomassone (1996 :317), expriment une réaction
émotive du locuteur. En effet, certains adverbes dans leur emploi
traduisent les différentes émotions du locuteur. C'est
également le cas dans notre corpus, nous allons d'ailleurs
étudier le fonctionnement de ces adverbes à l'aide des exemples
suivants où le narrateur dépeint tour à tour Marfa, Michel
Strogoff, et un personnage secondaire (le grand maître de police) Ivan
Ogareff.
(149) La vieille Sibérienne, toujours
énergique quand il ne s'agissait que d'elle, avait le visage
horriblement pâle. (p.232)
(150) Doué d'une force peu commune, il parvint
non sans peine, à maîtriser les chevaux. (p.109)
(151) Ivan Ogareff, imperturbable comme toujours, dit
froidement aux déférences des hauts fonctionnaires
envoyés à sa rencontre. (p.200-201)
(152) C'est un homme extrêmement dangereux
sire, répondit le grand maître de police. (p.25)
Les adverbes subjectifs ci-dessus sont tous des
adverbes d'élément selon Gardes-Tamine et Pelliza (1998). Ces
linguistes (1998 :96) expliquent, de ce fait, que ces
adverbes portent sur un élément de l'unité
textuelle ou de la proposition auquel ils sont liés par des contraintes
de sélection, puisque le sens de cet élément impose des
restrictions sur leur choix.
En clair, ces adverbes modifient un
élément précis dans la phrase et affectent son sens. En
(149), le narrateur emploie deux adverbes pour décrire Marfa :
toujours et horriblement. Toujours est un adverbe de
temps qui exprime une durée infinie, il détermine l'adjectif
énergique. Cet adverbe témoigne à suffisance de
la forte personnalité de Marfa qui est, selon le narrateur, une femme
solide. L'adverbe de manière horriblement détermine
l'adjectif pâle pour montrer le degré d'inquiétude
de Marfa. En fait, au moyen de ces adverbes, le narrateur tient, sans doute,
à montrer l'amour que Marfa a pour son fils Michel Strogoff. Car c'est
à cause du danger que court son fils que cette femme ayant une forte
personnalité est soucieuse. En (150), l'adverbe de quantité
peu modifie le sens de l'adjectif commune. On retrouve encore
dans cet énoncé l'hyperbole qui caractérise d'une
façon générale le discours du narrateur lorsqu'il parle de
Michel Strogoff. Ce personnage est considéré comme un homme
extraordinaire, possédant une force peu commune. Autant le discours
axiologique portant sur Michel Strogoff est très mélioratif,
autant le discours sur Ivan Ogareff est très dévalorisant. A cet
effet, l'énoncé (151) ne constitue pas une dérogation dans
la mesure où le narrateur à travers l'adverbe froidement
indique qu'Ivan Ogareff est un homme brutal. Les termes
dépréciatifs vont se poursuivre pour Ivan Ogareff en (152): le
grand maître de police recourt à un adverbe qui reflète
l'exagération pour qualifier ce personnage. L'adverbe
extrêmement déterminant l'adjectif dangereux
indique le caractère incroyablement pernicieux qu'aurait Ivan Ogareff
selon le maître de police.
L'étude des adverbes, tout comme celle des
substantifs, des adjectifs qualificatifs et des verbes, montre que les discours
axiologiques mélioratif et péjoratif sont très
employés dans notre corpus. Toutefois, tout dépend de celui qui
les utilise et à qui ils sont adressés.
En définitive, il s'agissait pour nous de
montrer que les supports modaux dans Michel Strogoff se servent de
différents procédés stylistiques pour désigner les
référents humains ou exprimer leur émotion. Nous avons,
à cet effet, étudié les parties prédicatives du
discours susceptibles de modaliser axiologiquement un énoncé. Il
ressort de cette étude que le discours axiologique dans notre corpus
nous permet de mieux appréhender les idéologies qui y sont
véhiculées. Il y a chez Jules Verne comme un idéal d'un
monde empreint de valeurs morales et pour nous en persuader, il a eu recours
à des jugements de valeur. Il nous présente dans son roman deux
catégories de personnages. D'une part, des personnages malhonnêtes
qu'il n'hésite pas à dévaloriser ; d'autre part, des
personnages incarnant la justice et l'éthique qu'il peint de
façon méliorative.
L'analyse des jugements de fait et de valeur dans
Michel Strogoff nous a permis de mettre en évidence les
modalités d'énoncé et la modalisation axiologique. A cet
effet, nous avons remarqué que les modalités
d'énoncé constituent des procédés à travers
lesquels les supports modaux véhiculent leur point de vue et leur
système de croyance. L'analyse des jugements de valeur, quant à
elle, s'est effectuée à l'aide des parties prédicatives du
discours stylistiquement marquées. Il ressort de cette étude que
l'éthique tient une grande place dans l'oeuvre de Jules Verne, au regard
de la façon dont les différents personnages sont peints. Au terme
de cette partie consacrée aux jugements de fait et de valeur, l'on
perçoit que la modalisation, loin d'être un simple
procédé stylistique, est pour Jules Verne une véritable
stratégie discursive.
TROISIÈME PARTIE :
LA MODALISATION : UNE STRATÉGIE DE MISE EN
VALEUR ET D'ARGUMENTATION
Employer une stratégie discursive pour un
locuteur, consiste à mettre en oeuvre un ensemble de
procédés pour atteindre un but précis. C'est ce que fait
Jules Verne dans Michel Strogoff lorsqu'il se sert de la modalisation
pour insister sur certains passages de son oeuvre et attirer l'attention du
lecteur. Il sera donc question dans cette partie de l'étude de la
modalisation autonymique comme procédé de mise en valeur et des
stratégies argumentatives que favorise l'emploi de la modalisation.
CHAPITRE CINQUIÈME :
LA MODALISATION AUTONYMIQUE
On parle de modalisation autonymique pour
décrire une activité d'auto-représentation de son dire par
un locuteur. Authier-Revuz (1998 :63), écrit à cet
effet :
la configuration énonciative étudiée,
relevant de la réflexivité langagière, constitue un mode
de dire complexe, dédoublé, dans lequel l'énonciation d'un
élément x quelconque d'une chaîne s'accomplit,
associée à une auto-représentation d'elle-même, sur
le mode d'une boucle.
C'est dire de ce fait qu'avec la modalisation autonymique, le
locuteur se construit deux positions énonciatives : un premier
énonciateur produit une énonciation alors qu'un autre
énonciateur effectue un commentaire sur un élément
relevant de la première énonciation. Maingueneau (2002 :136)
donne une définition moins complexe et plus compréhensible de la
modalisation autonymique lorsqu'il affirme qu'elle recouvre l'ensemble des
procédés par lesquels l'énonciateur dédouble en
quelque sorte son discours pour commenter sa parole en train de se faire.
Le dédoublement énonciatif dont parle Maingueneau (2002) comporte
un regard évaluatif du locuteur à l'aide duquel il met en valeur
certains aspects de son discours. Ce faisant, ce chapitre a pour but
d'étudier les différentes manifestations de la modalisation
autonymique dans Michel Strogoff et de dégager leurs valeurs
stylistiques. Notre étude comportera deux axes : l'analyse des
marquages typographiques et des formes méta-énonciatives du
dire.
Tableau des
statistiques
Les Différentes formes de la modalisation
autonymique
|
Occurrences
|
Pourcentages
|
Marquages typographiques
|
100
|
57,14%
|
Formes méta-énonciatives du dire
|
75
|
42,85%
|
Total des occurrences de la modalisation
autonymique : 175
|
Ce tableau révèle que les marquages
typographiques et les formes méta-énonciatives du dire sont les
différentes formes de la modalisation autonymique employées dans
notre corpus. Voyons à présent l'usage concret de ces formes dans
Michel Strogoff.
I- LES MARQUAGES TYPOGRAPHIQUES
La modalisation autonymique est très souvent
perceptible à travers la ponctuation dans notre corpus. La ponctuation
devient alors un élément important dans le décodage du
sens d'un énoncé d'autant plus qu'elle est parfois subjective.
Dans cette optique, Varloot (1980 :42) déclare
qu'elle n'est ni l'effet du hasard, ni des règles a
priori, ni de la fantaisie. La ponctuation relève d'une
volonté délibérée du locuteur et lui permet
d'émettre un commentaire réflexif sur son propre discours. Nous
nous intéresserons ainsi aux guillemets, aux tirets et virgules doubles,
aux italiques.
I.1- La mise entre guillemets
Ce terme s'emploie lorsqu'un mot ou un syntagme est
encadré par les guillemets. Très discrète, la mise entre
guillemets est l'une des formes privilégiées de la modalisation
autonymique dans notre support d'étude. Plusieurs raisons justifient son
emploi : la non prise en charge du terme cité par le sujet
énonciateur, le soulignement d'un mot ou d'un syntagme, l'emploi des
termes étrangers, les figures de l'emprunt.
I.1.1- La non prise en charge des termes
cités
L'emploi des guillemets par le narrateur dans
Michel Strogoff est, dans certaines situations, un moyen pour lui de
prendre ses distances par rapport aux propos des énonciateurs qu'il met
en scène. Dans ces conditions, Catach (1996 :78-79) pose que les
guillemets permettent au scripteur de prendre ses distances à
l'intérieur de la phrase avec n'importe quelle portion de texte non
assumée par le locuteur.
La prise de distance dont parle Catach (1996) peut
s'expliquer par la volonté du locuteur de montrer clairement que les
termes encadrés ne sont pas de lui. La non prise en charge a aussi pour
cause le désir d'indiquer qu'il ne partage pas le point de vue du
locuteur premier. De toutes les façons, les segments guillemetés,
comme le constate Herschberg (1993 :101), s'apparentent à un objet
montré au récepteur, tenu à distance au sens où
l'on tient à bout de bras un objet que l'on regarde et que l'on
montre. Le locuteur se sert donc des guillemets pour isoler un terme du
reste de la phrase et indiquer de cette façon au lecteur qu'il n'en est
pas l'auteur, mais le rapporteur. Soit les énoncés
suivants :
(153) Alcide Jolivet parlait comme s'il eût
été à l'opéra, et tirant sa lorgnette de son
étui, il se prépara à observer en connaisseur
« les premiers sujets de la troupe de
Féofar. » (p.231-232)
(154) De quel journal, ou de quels journaux, il ne le disait
pas, et lorsqu'on le lui demandait, il répondait plaisamment qu'il
correspondait avec « sa cousine Madeleine ».
(p.18-19)
(155) Puis, par une pente naturelle, elle revenait à
celui auquel elle devrait d'avoir revu son père, à ce
généreux compagnon, à ce
« frère » qui, les Tartares
repoussés, reprendrait le chemin de Moscou, qu'elle ne reverrait plus
peut-être ! (p.300)
Tous ces énoncés constituent des
pensées, des discours repris par le locuteur (narrateur) au style
indirect libre. En effet, le narrateur relate au lecteur les propos et les
sentiments de certains énonciateurs (personnages) tout en encadrant des
termes et groupes de mots dont il tient à se démarquer; soit
parce qu'il ne partage pas le point de vue du personnage, soit parce qu'il veut
tout simplement signifier qu'il n'est pas l'auteur des propos rapportés.
C'est pourquoi Fromilhague et Sancier (1991 :103) soutiennent que
le narrateur ne prend pas à son compte l'énonciation de
ces lexies qu'il délègue à une instance
autre. La mise entre guillemets est donc un procédé au
moyen duquel le locuteur exclut de son propre point de vue certains termes de
l'énonciateur. Il emploie un terme tout en montrant qu'il n'est pas de
lui.
Par ailleurs, les guillemets sont souvent un moyen
dans notre corpus pour le locuteur de bien faire savoir au lecteur que le mot
encadré n'a pas son sens usuel et qu'il n'aurait peut-être pas
dû être utilisé à la place où il se trouve.
D'une façon significative, les guillemets apparaissent comme un signal
que l'auteur adresse au lecteur. Wagner (1980 :175) traduit de la
manière suivante la consigne de l'auteur à l'égard du
lecteur : prenez garde à ce mot, semble dire
l'écrivain, il va peut-être vous surprendre. Les
guillemets permettraient donc non seulement au locuteur d'émettre des
réserves vis-à-vis du terme encadré, mais également
d'avertir le lecteur que son sens est connoté. Analysons à cet
effet cet échange entre Harry Blount et Alcide Jolivet.
(156) -Pour moi, il m'a paru rayonnant,
répondit Harry Blount qui voulait peut-être dissimuler sa
pensée à ce sujet.
-Et, naturellement vous l'avez fait
« rayonner » dans les colonnes du Daily
Telegraph.(p.21)
Les guillemets dans cet exemple indiquent que le
terme "rayonner" n'est pas d'Alcide Jolivet, mais du personnage Harry
Blount. Il semble que le narrateur a encadré ce mot pour montrer au
lecteur qu'il n'a pas dans cet énoncé son sens usuel. En effet,
Alcide Jolivet se sert du terme employé par son interlocuteur pour mieux
le ridiculiser. Il s'agit ici d'une distanciation ironique, car en fait Alcide
Jolivet dit le contraire de ce qu'il pense vraiment.
Il convient de noter cependant que dans notre
support d'étude, les guillemets apparaissent aussi comme une mise en
valeur des propos cités.
I.1.2- Le soulignement des termes
cités
Les guillemets donnent la possibilité au
locuteur de souligner les fragments guillemetés pour laisser le soin au
lecteur de comprendre pourquoi il attire son attention sur tel point de son
discours. Authier-Revuz (1995 :136) précise que ce qu'indiquent les
guillemets, c'est une sorte de manque, de creux à combler
interprétativement. C'est dire que le lecteur grâce à
certains paramètres tels que le contexte d'énonciation,
l'idéologie du locuteur, doit essayer de décrypter le sens
figuré du terme encadré. Les exemples suivants nous permettront
de mieux expliciter cette valeur des guillemets:
(157) Il se rassasia donc, et mieux même que son voisin
de table, en qualité de « vieux
croyant » de la secte des Raskolniks, ayant fait voeu
d'abstinence, rejetait les pommes de terre de son assiette et se gardait bien
de sucrer son thé. (p.56)
(158) Sans faire une seule observation,
« prête à tout », Nadia prit la main
de Michel Strogoff. (p.307)
(159) Il avait donc envisagé les choses à un
tout autre point de vue, et méditait un article foudroyant contre une
ville dans laquelle les hôteliers refusaient de recevoir des voyageurs
qui ne demandaient qu'à se laisser écorcher « au
moral et au physique » ! (p.63)
Les groupes de mots "vieux croyant",
"prête à tout", "au moral et au physique" ne doivent pas
être interprétés de façon littérale dans les
énoncés ci-dessus. Ils ont un sens figuré, ils
véhiculent un message de la part du locuteur. L'interprétation de
ces expressions donne lieu à une dénomination ponctuelle relative
à la situation d'énonciation effective. On s'aperçoit que
pour que ces groupes de mots puissent faire l'objet d'un déchiffrement
approprié, une connivence minimale entre locuteur et lecteur doit
être établie. Dans le même ordre d'idées, Maingueneau
(2002 :140) déclare que
l'énonciateur qui use des guillemets,
consciemment ou non, doit se construire une certaine représentation de
ses lecteurs pour anticiper leurs capacités de
déchiffrement : il placera des guillemets là où il
présume qu'on en attend de lui (ou qu'on n'en attend pas s'il veut
créer un choc, surprendre). Réciproquement, le lecteur doit
construire une certaine représentation de l'univers idéologique
de l'énonciateur pour réussir le
déchiffrement.
Ainsi, le locuteur et le lecteur doivent partager
des lieux communs pour que la communication ne soit pas unilatérale ou
alors pour que l'interprétation du discours du locuteur ne soit pas
erronée.
I.1.3- L'emploi des mots étrangers
Les récits et dialogues dans Michel
Strogoff sont émaillés de termes étrangers, plus
précisément de termes russes et tartares. Cela n'est pas
étonnant puisque les personnages qui évoluent dans ce roman sont
originaires de la Russie et de la Sibérie. Ce faisant, le locuteur est
obligé d'employer les guillemets pour indiquer un emprunt aux langues
russe et tartare. C'est le cas dans les énoncés
ci-après :
(160) Il se contenta de se munir d'un
« padaroshna ». (p.41)
(161) Encore un espion ! dit-elle. Laisse le faire et
viens souper, le « papluka » attend. (p.58)
(162) On lui offrira le pain et le sel, on mettra le
« samovar » sur le feu, et il sera comme chez lui.
(p.98)
Les termes padaroshna, papluka, samovar
sont des emprunts qui reflètent la culture russe et tartare et donnent
la possibilité au lecteur de s'imprégner de cette culture. Dans
certains cas, les emprunts renvoient à des clichés et sont suivis
de commentaires métalinguistiques.
I.1.4- Les figures de l'emprunt
Les figures de l'emprunt indiquent la
présence dans l'énoncé d'un locuteur, d'un terme ou d'un
groupe de mots ne lui appartenant pas. A travers ces figures, comme le
précise Maingueneau (2002 :137), l'énonciateur
représente un discours autre dans son propre discours. La
présence de l'autre est alors matérialisée par un fragment
guillemeté précédé ou suivi de mots indiquant que
le terme encadré est un emprunt. Les figures de l'emprunt sont
très fréquentes dans Michel Strogoff pour deux raisons.
Premièrement, le narrateur recourt presque chaque fois à des
clichés pour étayer son discours. Selon Fromilhague et Sancier
(1991 :104), le cliché emprunte, non pas au discours d'un
individu, mais au « on-dit », au « choeur
social », au « déjà-dit ».
Le cliché se définit donc comme une
association de lexies prévisible, et conventionnelle, liée
à l'usage. Perrin (2000) parle plutôt d'expression idiomatique. Il
en donne d'ailleurs la définition suivante :
la notion d'expression idiomatique renvoie à
l'ensemble des idiotismes d'une langue , à l'ensemble des
locutions perçues comme figées par les usages de cette
langue , et dont la signification tient à
une mémorisation préalable, analogue à celle de
n'importe quelle unité lexicale.
Les expressions idiomatiques relèvent, avant tout,
d'une dénomination usuelle c'est-à-dire codée,
mémorisée, partagée par toute la communauté
linguistique. Cette stratégie discursive employée par Jules Verne
a sans doute pour but de créer une certaine complicité entre le
narrateur et le lecteur. Car, grâce à ces lieux communs, le
lecteur ne se sent pas dépaysé au cours de sa lecture.
L'emploi des figures de l'emprunt peut s'expliquer
deuxièmement par le fait que Michel Strogoff est un roman qui
met en scène des personnages russes, c'est pourquoi l'auteur se sent
obligé de puiser justement dans la culture russe pour étayer ses
propos.
(163) Le Français possédait donc au plus haut
degré ce que l'on appelle « la mémoire de
l'oeil ». (p.18)
(164) C'était là, au milieu des steppes sauvages
des provinces d'Omsk et de Tobolsk, que le redoutable chasseur sibérien
avait élevé son fils Michel « à la
dure » suivant l'expression populaire. (p.36)
(165) Puis, à l'infini s'élevaient dans la
plaine quelques milliers de ces tentes turcomanes que l'on appelle
« karaoy » et qui avaient été
transportées à dos des chameaux. (p.188-189)
(166) Voici comment le postillon, l'iemschik, les avait
attelés : l'un, le plus grand, était maintenu entre deux
longs brancards qui portaient à leur extrémité
antérieure un cerveau, appelé
« douga », chargé de houppes et sonnettes.
(p.94)
Dans les deux premiers exemples, les figures de
l'emprunt mettent en évidence des clichés, des expressions
idiomatiques. Ces clichés se présentent sous la forme d'un
ensemble de mots analogue à un mot composé puisqu'ils
génèrent une unité de sens. Ainsi, les expressions
à la dure, la mémoire de l'oeil sont la marque d'une
manière commune de s'exprimer. Les lecteurs sont ainsi supposés
mieux comprendre le discours du narrateur dans la mesure où il se sert
des images connues de tous. En (165) et (166), le locuteur emprunte
plutôt à la culture russe. Comme nous l'avons expliqué plus
haut, l'histoire relatée dans notre support d'étude se situe en
Russie, il est donc normal que des termes russes ponctuent le discours du
narrateur. Cependant, Gardes-Tamine et Pelliza (1998) expliquent d'une autre
façon la présence des figures de l'emprunt dans notre corpus.
Pour ces linguistes (1998 :112), l'emploi de ces figures résultent
du fait que
les mots et expressions que chacun utilise
renvoient, entre autres, au milieu dans lequel il est inséré, et
même si nous voulons prendre nos distances et utiliser les mots d'une
manière nouvelle, à notre insu même, notre parole est
traversée par celle des autres.
Aussi les mots n'appartiennent-ils à aucun de nous en
particulier. Ils nous sont d'abord imposés, à nous de leur
imprimer ensuite notre propre marque.
Au total, la mise entre guillemets a plusieurs
valeurs dans notre corpus. Elle signifie souvent une réserve de la part
du locuteur qui indique par là une non prise en charge des termes
cités. Elle a aussi pour but la mise en exergue d'un terme qui
revêt une connotation particulière pour le locuteur. La mise entre
guillemets se justifie également dans notre corpus par la volonté
d'indiquer un emprunt au russe et au tartare, ou un cliché. On
s'aperçoit ainsi que les guillemets n'ont pas seulement pour but de
rapporter un énoncé au style direct, ils s'écartent de ce
fait de leur fonction première. C'est également le cas des
virgules qui, en plus d'indiquer des pauses entre les éléments
d'une phrase, peuvent mettre en exergue les segments les plus significatifs de
l'énoncé.
I.2- Les virgules doubles
Le terme virgules doubles a
été emprunté à Catach (1996); ces virgules servent
à intercaler, à n'importe quel endroit de la phrase (mais on les
évite en général à l'initiale ou à la
finale), un segment qui ne doit pas être pris dans le déroulement
normal du discours. Ce segment n'est pas, du reste, indispensable à la
construction et au sens de la phrase. Les virgules doubles introduisent
très souvent à l'intérieur d'un énoncé une
incidente puisqu'elles forment en quelque sorte une autre phrase ou
plutôt une sous-phrase. L'incidente est, selon Le Goffic
(1993 :198),
une phrase insérée comme une incise
(avec les mêmes marques de ponctuation et la même intonation), mais
une phrase complète (généralement courte), comportant
souvent un élément anaphorique du reste de
l'énoncé : ce, le, ainsi,...
La phrase incidente apparaît donc comme une rupture
à l'intérieur de l'énoncé qui permet au locuteur
d'émettre un commentaire, une remarque, une réflexion à
l'usage du lecteur. C'est le cas dans les énoncés
ci-après :
(167) On n'en parlait pas officiellement, il est
vrai, ni même officieusement, puisque les langues n'étaient
pas déliées « par ordre », mais quelques
hauts personnages avaient été informés plus ou moins
exactement des événements qui s'accomplissaient au-delà de
la frontière. (p.17)
(168) En tout cas, l'intention de l'officier des chasseurs de
la garde, était, à n'en pas douter, que ses
secrètes préoccupations ne troublassent cette fête en
aucune façon. (p.15)
(169) Michel Strogoff, on peut le dire,
voyait le pays parcouru par les yeux de Nicolas et de la jeune fille.
(p.253)
Les incidentes il est vrai, à n'en pas
douter, on peut le dire, dénotent une intimité plus directe
entre le narrateur et le lecteur. De plus, ces incidentes participent de la
volonté du narrateur de donner plus de crédibilité
à ses propos. C'est dans ce sens que Frontier (1997 :694) explique
que les incidentes
ajoutent à la phrase qui est en cours, voire
à un seulement de ses éléments, un commentaire qui la
plupart du temps a une valeur métalinguistique, c'est-à-dire qui
est destiné à préciser le degré de certitude de ce
qu'on est en train d'avancer.
En clair, même si les segments encadrés par les
virgules doubles n'influencent pas la construction grammaticale de
l'énoncé, ils apportent très souvent au plan
sémantique l'élément le plus expressif du message. A cet
égard, les virgules doubles s'apparentent un peu aux tirets doubles qui
jouent presque le même rôle.
I.3- Les tirets doubles
L'emploi des tirets doubles dans Michel
Strogoff est surtout lié au désir du narrateur d'apporter
des précisions, des explications ou des rectificatifs sur les propos
énoncés. Les tirets doubles constituent, à cet effet, une
rupture syntaxique dans la construction de l'énoncé. Cette
rupture syntaxique est, d'après Authier-Revuz (2004 :88),
assortie d'un lien référentiel -celui
de la boucle réflexive- attachant la construction
méta-énonciative hétérogène à un
élément de la chaîne de base, l'ensemble offrant une
configuration syntactico-sémantique caractérisable comme
« rupture liée » ;
Autrement dit, la proposition intercalée par les tirets
doubles comporte souvent un terme métalinguistique permettant
d'effectuer un commentaire sur l'énoncé en cours. Analysons les
exemples suivants :
(170) La bataille de Tomsk était du 22 août
-ce que Michel Strogoff ignorait- mais ce qui expliquait
pourquoi l'avant-garde de l'émir n'avait pas encore paru à la
date du 25. (p.255)
(171) Ivan Ogareff, -le Balafré, comme on le
nommait déjà- portant, cette fois, l'uniforme d'officier
tartare, arriva à cheval devant la tente de l'émir. (p.230)
(172) Peut-être -du moins il espérait-
la surveillance des assiégés se relâcherait-elle ?
(p.328)
On note dans ces exemples la présence de la
focalisation zéro mise surtout en exergue par les segments
encadrés. Ces segments permettent au narrateur de nous
révéler des informations sur des événements ou des
personnages. Ainsi, en (171) l'information que le locuteur (narrateur) donne au
lecteur sur Ivan Ogareff semble empreinte d'humour et surtout de raillerie.
Pour ce qui est de l'énoncé (172), les tirets doubles y indiquent
un réajustement du locuteur qui nuance ce qu'il venait d'affirmer. Dans
cette perspective, Frontier (1997 :696) soutient que les segments
intercalés interviennent comme si une seconde voix s'ajoutait
à la première et formait avec elle une sorte de contrepoint
polyphonique. Les tirets doubles introduisent des interventions
personnelles qui se mêlent au discours premier du locuteur. Les segments
encadrés dans les exemples sus-cités s'apparentent, dans ces
conditions, à des appels, des prises de contact du locuteur avec le
lecteur. Il s'établit alors une intimité plus directe entre ces
deux instances, le narrateur faisant des confidences au lecteur pour qu'il
suive mieux le déroulement de l'histoire.
Outre les appels et les prises de contact avec le
lecteur, les tirets doubles mettent parfois en exergue dans notre corpus les
explications du narrateur par rapport à des noms ou des situations.
C'est le cas dans les occurrences ci-après :
(173) Sous son aspiration, l'émir -c'est le titre
que prennent les khans de Boukhara- avait lancé ses hordes
au-delà de la frontière russe. (p.32)
(174) Là, à son grand déplaisir, il
apprit que le Caucase -c'était le nom du
steam-boat- ne partait pour Perm que le lendemain à midi. (p.56)
Dans ces exemples, les segments encadrés:
c'est le titre que prennent les khans de Boukhara et
c'était le nom du steam-boat rendent respectivement plus
explicite aux yeux du lecteur le sens des noms le Caucase et
l'émir. En fait, ces segments ne sont là que pour donner
la signification des noms qu'ils suivent.
I.4- Les italiques
Les italiques renvoient à des
caractères d'imprimerie qui sont généralement
inclinés par rapport à la normale. Ils sont la plupart du temps
employés dans un texte lorsque le locuteur désire mettre en
exergue un mot, un énoncé, ou un extrait de texte. C'est dans ce
sens que Catach (1996 :94) déclare : les
caractères italiques correspondent à des marquages typographiques
plus socialisés, mieux codés : mots étrangers,
titres, oeuvres, exemples de dictionnaire. Cette déclaration ne
s'applique pas vraiment à notre corpus d'étude dans lequel les
italiques sont employés pour désigner des référents
spécifiques tels le nom d'un quotidien d'information, d'une ville, d'un
bateau, ou pour souligner la présence d'une correspondance, d'une
chanson.
(175) Il convient de faire observer que cette perfection de la
vue et de l'ouïe chez ces deux hommes les servait merveilleusement dans
leur métier, car l'Anglais était un correspondant du Daily
Telegraph. (p.18)
(176) Or il trouva les deux à l'enseigne de la
ville de Constantinople. (p.56)
(177) Là, à son grand déplaisir, il
apprit que le Caucase -c'était le nom du steam-boat - ne
partait pour Perm que le lendemain, à midi. (p.56)
Daily Telegraph, ville de Constantinople,
Caucase renvoient respectivement au nom d'un quotidien d'informations,
d'un lieu, et d'un bateau. Eu égard à tout cela, on constate que
l'emploi des caractères italiques dans Michel Strogoff n'a pas
une valeur stylistique. Ces caractères ne soulignent que ce que Wagner
(1980 :175) appelle des mots techniques, qu'il s'agisse de
désignation d'objets ou des termes propres. En clair, les italiques
dans notre corpus ne renferment pas de connotation particulière comme
c'est souvent le cas dans certains textes littéraires.
Il ressort de l'étude des marquages
typographiques que la ponctuation dans Michel Strogoff est un
véritable procédé de modalisation. Les marquages
typographiques tels que les guillemets, les virgules et tirets doubles, les
italiques, sont bien plus que de simples signes. Leur emploi induit souvent une
mise en valeur d'un élément de l'énoncé.
Les manifestations de la modalisation autonymique dans
Michel Strogoff ne s'arrêtent pas au niveau de la forme, elles
s'étendent également au niveau du fond.
II- LES FORMES MËTA-ËNONCIATIVES DU
DIRE
Elles correspondent aux commentaires
métalinguistiques portant sur le choix des mots et les manières
de s'exprimer, Authier-Revuz (1990) les appelle les non-coïncidences du
dire. Cette linguiste (1990 :174) les définit du reste comme
des formes strictement réflexives, correspondant au
dédoublement « simultané » -dans les limites
de la linéarité- de ce dire.
En fait, Authier-Revuz (1990) insiste sur le
caractère simultané qui permet de distinguer le
dédoublement énonciatif de la succession de deux
énonciations simples dont l'une constituerait un commentaire. Cette
linguiste à travers son étude des formes
méta-énonciatives du dire tente de montrer que le locuteur au
cours de son discours laisse échapper consciemment ou non des termes
révélateurs de sa pensée. Les formes
méta-énonciatives se divisent en plusieurs catégories,
cependant nous ne nous intéresserons qu'à celles
répertoriées dans notre corpus à savoir : la
modalisation en discours second, les figures de l'(in)adéquation de la
nomination.
II.1- La modalisation en discours second
Ce terme est utilisé pour la première
fois par Authier-Revuz et désigne une modalisation que le locuteur
opère sur le discours d'un autre dans son propre énoncé.
Pour Foullioux (2003 :115), avec la modalisation en discours second,
le locuteur (L1) convoque une autre instance d'énonciation, un
autre locuteur (L2) qui, lui est responsable de l'assertion
sous-jacente.
La modalisation en discours second suppose donc
l'emprunt par un locuteur d'un discours appartenant à une autre
instance énonciative. Dans ce cas, l'emprunt est visible à
l'aide des marques explicites telles que selon x, d'après
x, pour x,...etc. Par ailleurs, les différents discours
empruntés sont présentés comme incertains par le locuteur,
c'est pourquoi il ne les assume généralement pas. Dendale
(1993 :174) suggère à cet effet :
une information empruntée est par
définition une information qui n'est pas créée par le
locuteur lui-même, qui ne provient pas de lui, ce qui a pour
conséquence que cette information peut parfaitement être
incertaine pour lui.
En clair, avec la modalisation en discours second, le
procès est donné à voir comme non intégré
à la réalité du locuteur. Cependant, cette modalisation
peut juste indiquer une volonté claire du locuteur de montrer qu'il
n'est pas l'auteur des propos présentés.
(178) Selon lui, tout homme qui avait passé
les monts Ourals entre les gendarmes ne devait plus jamais les franchir.
(p.26)
(179) A s'en rapporter à sa description, ce
n'est qu'une ville insignifiante avec de vieilles maisons de pierre et de
brique, des rues fort étroites et bien différentes de celles qui
percent ordinairement les grandes cités sibériennes de sales
quartiers où s'entassent plus particulièrement les Tartares, et
dans laquelle pullulent de tranquilles ivrognes. (p.226)
(180) A l'entendre, les secours attendus seraient
insuffisants, si même ils arrivaient, et il était à
craindre qu'une bataille livrée sous les murs d'Irkoutsk ne fût
aussi funeste que les batailles de Kolyvan, de Tomsk et de Krasnoïarsk.
(p.325)
Le locuteur (narrateur) dans les
énoncés sus-cités se démarque des discours qu'il
rapporte à l'aide des marqueurs explicites de source que sont selon
lui, à s'en rapporter à sa description, à
l'entendre. Par ce procédé, le locuteur se désengage
de la valeur des assertions rapportées en termes de degré de
vérité.
II.2- Les figures de l' (in)adéquation
de la nomination
Elles interviennent quand il faut indiquer que les
mots employés correspondent ou s'éloignent de la
réalité à laquelle ils sont censés
référer. On parle aussi de non-coïncidences entre les mots
et les choses puisque ces figures permettent au locuteur de confirmer ou de
rejeter le mot proféré pour exprimer un référent
précis. Les occurrences ci-après nous permettront de mieux
expliciter nos propos.
(181) Pillant, ravageant, enrôlant ceux qui
résistaient, il transportait d'une ville à l'autre, suivi de ces
impedimenta de souverain oriental, qu'on pourrait appeler sa
maison civile, ses femmes et ses esclaves, -le tout avec l'audace impudente
d'un Gengis-Khan moderne. (p.32)
(182) Et presque aussitôt ce qu'on
pourrait appeler le déménagement de cette vaste
plaine commença. (p.67)
(183) Il visita, on pourrait dire rue par rue, la
ville haute et la ville basse. (p.69)
On note, dans les énoncés, la
présence du conditionnel pourrait qui marque
l'incertitude du locuteur quant à la réalité
désignée. Les groupes de mots on pourrait appeler et
on pourrait dire indiquent alors une inadéquation entre les
mots qu'emploie le locuteur et les référents auxquels ils sont
censés référer.
En somme, ce chapitre avait pour objectif de voir
comment la modalisation autonymique permet aux supports modaux de mettre en
valeur certains segments de leur discours. Une étude de
la modalisation autonymique sur les plans de la forme et du fond nous a
permis de constater plusieurs faits. La ponctuation a un rôle très
important dans notre corpus. Elle est un moyen pour le locuteur de
véhiculer un message, d'indiquer une distanciation ou d'insister sur un
passage. Les commentaires métalinguistiques, quant à eux, jouent
presque le même rôle. Car, en plus de mettre en exergue la
culture russe, ils permettent au narrateur de créer une
complicité avec le lecteur. A travers cette intimité, le
narrateur (qui est Jules Verne) gagne mieux le lecteur à sa cause. La
modalisation se présente dans ces conditions comme une stratégie
argumentative.
CHAPITRE SIXIÈME :
LA MODALISATION : UNE STRATÉGIE
ARGUMENTATIVE
L'étude des procédés de
modalisation à l'aide de la stylistique de l'expression indique que ces
procédés participent d'une stratégie argumentative. En
effet, ils fonctionnent, à en croire Perelman (1989 :437), comme
des techniques discursives permettant de provoquer ou d'accroître
l'adhésion des esprits aux thèses que l'on présente
à leur assentiment. Cela n'est pas étonnant puisque la
stylistique de l'expression accorde une place importante à l'action des
faits de langage sur la sensibilité. On se pose donc la question dans ce
chapitre de savoir comment s'emploie Verne pour faire passer son message ainsi
que la nature de ce message. Autrement dit, quelles sont les stratégies
argumentatives que favorise l'emploi des procédés de modalisation
dans Michel Strogoff ? Et à quel but sont destinées
ces stratégies ? Cela étant, nous allons voir dans un
premier temps comment l'éthos, l'ironie et l'atténuation
permettent à Jules Verne de crédibiliser son univers de croyance.
Dans un second temps, il sera question pour nous de montrer que ces
stratégies se conjuguent pour présenter Michel Strogoff
comme un discours sur le devoir.
I- LE SOUCI DE CRËDIBILISER SON UNIVERS DE
CROYANCE
Produire un texte littéraire c'est, selon
les besoins, chercher à faire partager ou à imposer une certaine
vision du monde, un certain système de croyance, voire à faire
agir l'autre, et cela en fonction d'une intention se trouvant à
l'origine de tout acte d'énonciation. Ce d'autant plus que, comme le dit
Hamon (1981 :119), l'art d'écrire [est] une
praxis, une technique d'action sur le lecteur. Le texte
littéraire n'est donc pas destiné à être
contemplé, il est une énonciation tendue vers un
co-énonciateur qu'il faut mobiliser, faire adhérer à un
certain univers de sens. C'est pourquoi Verne dans Michel Strogoff se
sert des procédés de modalisation pour véhiculer son
idéologie au lecteur. On le voit notamment à travers les
stratégies discursives telles l'éthos, l'ironie,
l'atténuation.
I.1- L'éthos
L'éthos renvoie à l'image que le
locuteur donne à voir de lui-même à travers des
représentations collectives au lecteur. Il recouvre l'ensemble des
traits de caractère que l'auteur doit montrer au lecteur pour faire
bonne impression. Il ne s'agit pas, précise Ducrot (1984 :201),
des affirmations flatteuses que l'orateur peut faire
sur sa propre personne dans le contenu de son discours, affirmations qui
risquent au contraire de heurter l'auditeur, mais de l'apparence que lui
confèrent le débit, l'intonation, chaleureuse ou
sévère, le choix des mots, des arguments.
Dans cette perspective, le locuteur se construit une
personnalité grâce aux choix de ses idées, de ses
arguments, ce qui rend plus crédible son discours aux yeux du lecteur.
Dans Michel Strogoff, à travers sa parole, Verne se donne une
identité à la mesure du monde qu'il est censé faire surgir
dans son oeuvre. Il joue sur la sensibilité du lecteur, il
présente des faits, des personnages d'une manière qui suscite
l'émotion de ce dernier. On s'aperçoit ainsi que l'auteur de
Michel Strogoff a prévu les effets que son discours est
susceptible d'avoir sur le lecteur. C'est dans ce sens que Meyer
(1991 :32) souligne dans son introduction à La
Rhétorique d'Aristote : [...] convaincre,
suppose que l'on connaisse ce qui met en branle le sujet auquel on s'adresse,
c'est-à-dire ce qui le meut, ou plus exactement,
l'émeut.
Ainsi, les idées de Verne se
présentent à travers une manière de dire qui renvoie
à une manière d'être. Il construit un discours
adéquat, adapté, empreint de représentations sociales
valorisées ou dévalorisées. Dans Michel Strogoff,
nous l'avons déjà dit, il est question d'une guerre qui oppose
les Russes aux Tartares. Ces derniers, sous la conduite d'Ivan Ogareff, veulent
assiéger la ville d'Irkoutsk. Le czar fait alors appel au capitaine
Strogoff afin d'empêcher les basses manoeuvres d'Ivan Ogareff. Jules
Verne va s'atteler ainsi à présenter tout au long de l'oeuvre
d'une part Michel Strogoff totalement respectueux et soucieux du bien
être des autres et d'autre part Ivan Ogareff sans pitié et cruel.
Voici trois exemples qui résument assez bien l'image que l'auteur
présente au lecteur de ces deux personnages:
(184) De plus, il était cruel, et il se
fût fait bourreau au besoin. (p.144)
(185) Ce beau et solide garçon,
bien campé, bien planté, n'eût pas
été facile à déplacer malgré lui, car
lorsqu'il avait posé ses deux pieds, il semblait qu'ils s'y fussent
enracinés. (p.34)
(186) En vérité, si un homme pouvait
mener à bien ce voyage de Moscou à Irkoutsk, à travers une
contrée envahie, surmonter les obstacles et braver les périls de
toutes sortes, c'était entre tous, Michel Strogoff. (p.36)
En (184), l'adjectif cruel et le
substantif bourreau ont une coloration péjorative. Ils montrent
au lecteur qu'Ivan Ogareff est un homme totalement dénué de bon
sens, de compassion, il est prêt à tout pour trahir ses
compatriotes et assiéger la ville d'Irkoutsk. En (185), on note la
présence de deux adjectifs mélioratifs antéposés au
substantif garçon : beau et solide. Le narrateur
a également fait recours à l'adverbe bien qui
détermine les adjectifs verbaux campé et
planté. Michel Strogoff se présente alors comme un jeune
homme qui allie beauté et force. De plus, il n'hésite pas
à mettre cette force au service d'une noble cause comme le montre
l'exemple (186). En effet, le modalisateur épistémique en
vérité vient authentifier le fait que Michel Strogoff soit
le seul homme capable de surmonter les épreuves difficiles pour
déjouer le complot d'Ivan Ogareff. Il est fidèle à sa
patrie et sait allier avec audace sang-froid et prudence. A la lecture de ces
énoncés, le lecteur est normalement tenté de prendre le
parti de Michel Strogoff car il représente les valeurs justes qui sont
défendues par toute société. De ce fait, on comprend mieux
les propos suivants de Maingueneau (2002 :81) : le pouvoir
de persuasion d'un discours tient pour une part au fait qu'il amène le
lecteur à s'identifier à la mise en mouvement d'un corps investi
de valeurs socialement spécifiées. C'est dire que pour
exercer un pouvoir de captation, l'éthos doit être en phase avec
la conjoncture idéologique. Justement, les potentiels lecteurs de notre
corpus face au discours de Jules Verne souhaiteront, sans doute, s'identifier
à Michel Strogoff qui incarne les valeurs morales.
On le voit, l'éthos est bien une
stratégie argumentative au moyen de laquelle Verne essaye de
crédibiliser son univers de croyance. Cependant, cet auteur recourt
souvent à l'ironie, mieux à la satire pour se distancier de
certaines attitudes et montrer au lecteur les valeurs auxquelles il
adhère.
I.2- L'ironie
Elle consiste à dire, par une raillerie
plaisante ou sérieuse, le contraire de ce qu'on pense ou de ce qu'on
veut faire penser. Avant d'analyser le fonctionnement de cette stratégie
argumentative dans Michel Strogoff, il convient de souligner qu'il
existe diverses théories qui s'écartent de la conception de
l'ironie sus-énoncée. A cet effet, l'énoncé
ironique est souvent conçu comme une énonciation paradoxale,
autodestructrice, dans laquelle le sujet invalide sa propre énonciation.
C'est sans doute ce qui fait dire à Berrendonner (1981 :215) que
faire de l'ironie, ce n'est pas s'inscrire en faux de
manière mimétique contre l'acte de parole antérieur ou
virtuel, en tout cas extérieur d'un autre. C'est s'inscrire en faux
contre sa propre énonciation, tout en l'accomplissant.
Pour Berrendonner (1981), à travers l'ironie, le
locuteur produit un énoncé qu'il invalide en même temps
qu'il parle. Ducrot (1984), quant à lui, pense que
l'énoncé ironique est polyphonique. Cette stratégie
argumentative mettrait ainsi en scène un personnage qui énonce
quelque chose de déplacé et dont le locuteur se distancie par son
ton et sa mimique. Ducrot (1984 :211) précise de ce fait :
parler de façon ironique, cela revient pour
un locuteur L à présenter l'énonciation comme exprimant la
position d'un énonciateur E, position dont on sait par ailleurs que le
locuteur L n'en prend pas la responsabilité et, bien plus, qu'il la
tient pour absurde.
A cet égard, on peut analyser un énoncé
ironique comme une sorte de mise en scène par laquelle le locuteur fait
entendre par sa voix un personnage ridicule qui parlerait sérieusement
et dont il se distancie.
Au regard des définitions mentionnées
ci-dessus, il apparaît que l'ironie fait appel à une
adhésion et à un rejet du locuteur par rapport à
l'énoncé qu'il profère. Dans Michel Strogoff,
l'ironie s'apparente surtout à une moquerie froide et analytique,
à une satire. Elle correspond, comme le fait remarquer Suhamy
(2000 :110) aux sarcasmes énoncés sur un
ton impassible et faussement détaché. En fait,
l'énoncé ironique est un moyen pour Verne de tourner en
dérision les personnages dont il ne partage pas les points de vue et
auxquels il ne souhaite sans doute pas que les lecteurs s'identifient. C'est le
cas par exemple du journaliste anglais Harry Blount dont Verne fustige sur un
ton moqueur, l'indifférence. En effet, ce personnage ne se laisse
émouvoir par aucune parole, aucune situation. Certes il n'est pas
antipathique, mais il affiche une froideur envers tout le monde que Verne
condamne. Le passage suivant illustre la posture qu'adopte Verne envers
l'attitude d'Harry Blount:
(187) Il va sans dire qu'Harry Blount ne faisait aucun frais
vis-à-vis de la jeune fille. C'était un des rares sujets de
conversation sur lesquels il ne cherchait pas à discuter avec son
compagnon. Cet honorable gentleman, n'avait pas pour habitude de faire
deux choses à la fois. (p.125)
Ce passage met en évidence le manque de
galanterie d'Harry Blount envers Nadia. En effet, tandis que le journaliste
français Alcide Jolivet n'hésite pas à apporter son aide
à la jeune fille quand elle en a besoin, Harry Blount ne manifeste pas
le moindre enthousiasme pour secourir Nadia. On note ainsi un paradoxe dans le
passage quand Verne utilise l'axiologique valorisant honorable pour
qualifier Harry Blount. Car, comment quelqu'un peut-il être digne
d'estime et de considération quand il manque justement de
politesse ? On comprend dès lors qu'il s'agit d'une ironie de la
part de Jules Verne. Le lecteur qui sait exactement à quoi renvoie
« honorable gentleman » se rend compte qu'il y a
un écart, un décalage entre cette expression et ce qui est dit
plus haut sur Harry Blount. Ce passage présente la particularité
de se disqualifier lui-même, de se subvertir dans le mouvement
même où il est proféré. L'ironie est une arme
satirique pour Jules Verne, car en présentant l'attitude d'Harry Blount
comme louable, il la dénude, la fait apparaître comme
dérisoire.
Toutefois, Harry Blount n'est pas le seul
personnage tourné en ridicule, il y a également
Féofar-Khan, l'émir tartare instigateur de l'invasion de la ville
d'Irkoutsk. Nous allons le constater dans l'énoncé
suivant :
(188) Ivan Ogareff présenta à l'émir ses
principaux officiers, et Féofar-Khan, sans se départir de la
froideur qui faisait le fond de sa dignité, les accueillit de
façon qu'ils fussent satisfaits de son accueil. (p 230-231).
A la lecture de cet énoncé, on a
l'impression que le narrateur recourt à l'ironie pour présenter
le personnage cynique qu'est Féofar-Khan. A cet effet, deux substantifs
attirent notre attention : froideur et dignité.
Selon le narrateur, c'est le manque d'amabilité, ou encore
l'indifférence qui ferait la dignité de Féofar-Khan. Il
s'agit là d'une raillerie car le cynisme ne saurait faire la
dignité d'une personne. C'est un moyen pour le narrateur de montrer
à quel point Féofar-Khan est cruel et de rallier le lecteur
à ce point de vue.
Cependant, il convient de préciser que pour
que le lecteur perçoive cet énoncé comme ironique, il
faudrait que le lecteur repère un décalage entre les substantifs
froid et dignité. C'est dans cette optique que
Maingueneau (1993 :85) déclare : dans la mesure où
l'ironie constitue une stratégie de déchiffrement indirect
imposée au destinataire, elle ne saurait s'accommoder de signaux trop
évidents qui la ferait basculer dans l'explicite.
Cela explique pourquoi les marques de l'ironie ne
sont pas toujours nettes et dépendent de l'univers de croyance du
lecteur. L'ironie n'est pas toujours perceptible puisqu'elle est une
stratégie argumentative qui n'opère pas de manière
explicite, c'est également le cas de l'atténuation.
I.3- L'atténuation
De façon générale, on
atténue la portée d'un terme pour amoindrir la violence ou la
force de ce qui est dit. Il est question de faire paraître
« moins forte » une expression linguistique, mais non
de la rendre « moins forte ». Dans la même lancée,
Foullioux (2003 :116) affirme : l'atténuation
consiste à produire un énoncé, mais un
énoncé qui est en apparence inoffensif.
En clair, l'atténuation est un artifice, une
feinte, une stratégie du détour. Cette stratégie
argumentative est perceptible dans Michel Strogoff surtout
à travers l'emploi des modalisateurs aléthiques. En effet,
ceux-ci ne rendent moins péremptoire le discours du locuteur que pour
mieux le crédibiliser. Haillet (2003 :102) pense ainsi qu'avec
l'atténuation, il s'agit de restreindre la portée d'un point
de vue, d'en donner une représentation « en
demi-teinte » en « mettant un bémol » en
le faisant apparaître comme « non actuel ».
De ce fait, à tout énoncé
porteur de marques d'atténuation, correspond une assertion sous-jacente
qui constitue un argument orienté vers une conclusion. Montrer ses
hésitations s'avère ainsi une ruse narrative de Jules Verne pour
mieux gagner le lecteur à sa cause. On peut le voir, à cet effet,
dans les énoncés suivants :
(189) Un duel, c'était plus qu'un retard,
c'était peut-être sa mission manquée !
(p.139)
(190) Puis, le czar, satisfait de cet examen, sans
doute retourna près de son bureau, et, faisant signe au grand
maître de s'y asseoir, il lui dicta à voix basse une lettre qui ne
contenait que quelques lignes (p.38).
La portée des assertions ci-dessus est
atténuée par l'emploi des adverbes modaux
peut-être et sans doute. Ainsi, par exemple en (189),
le narrateur sait très bien qu'un duel serait fatal pour la mission de
Michel Strogoff, cependant il utilise l'adverbe peut-être pour
ne pas donner l'impression au lecteur qu'il connaît d'avance le
déroulement des événements, il veut vivre avec le lecteur
le suspens au fil de l'histoire. Le narrateur (qui est Jules Verne) veut nous
laisser croire qu'il n'est pas tout puissant et ne maîtrise pas
entièrement les pensées des personnages et le déroulement
des événements. L'atténuation participe ainsi d'une
volonté du locuteur de ne pas agresser le lecteur car il énonce
un fait en faisant semblant de ne pas vouloir le dire. Dans cette perspective,
Foullioux (2003 :117) pense que pour expliquer le
procédé de l'atténuation, il faut se situer dans une
perspective polyphonique puisqu'il y aura toujours plus d'une voix.
En effet, d'une part, le locuteur se met quelque
peu à distance vis-à-vis de la réalisation de l'assertion
qu'il profère ; d'autre part, ces marques d'atténuation
indiquent une prudence langagière qui cache mal le besoin de l'auteur
d'affirmer sa subjectivité et de faire de sa vérité la
vérité.
On le voit, les différents
procédés de modalisation étudiés sont au service
des stratégies argumentatives telles l'éthos, l'ironie,
l'atténuation qui permettent à Jules Verne de crédibiliser
son univers de croyance en dénonçant et en interpellant. En
outre, au regard de ce qui précède, on est en droit de se
demander quel message jules Verne a voulu passer en faisant recours aux
procédés de modalisation. Autrement dit, il est important de
s'interroger sur les intentions qui ont présidé à la
construction de Michel Strogoff. C'est dans ce sens que
Kerbrat-Orecchioni (1980 :181) souligne : interpréter
un texte, c'est tenter de reconstituer par conjectures l'intention
sémantico-pragmatique ayant présidé à
l'encodage.
En d'autres termes, interpréter un texte,
c'est essayer de décrypter ce que l'auteur a voulu dire dans et par ce
texte. Il convient donc pour nous de tenter de saisir le message que Verne a
voulu véhiculer dans Michel Strogoff à l'aide des
procédés de modalisation.
II- MICHEL STROGOFF : UN DISCOURS SUR LE
DEVOIR
A travers l'analyse stylistique des
procédés de modalisation effectuée jusqu'ici, l'on se rend
compte que notre support d'étude se présente comme un roman dans
lequel les personnages usent de tous les moyens pour ne pas faillir à
leur devoir, leur objectif. C'est ainsi que l'on observe une certaine
maîtrise de soi et le triomphe de la morale.
II.1- La maîtrise de soi
Michel Strogoff met en exergue des
personnages courageux, dotés d'une grande volonté. Verne met en
scène des personnages qui ont une grande maîtrise de soi, qui
dominent les tentations. A cet égard, Michel Strogoff feint de ne pas
connaître sa mère pour mener à bien sa mission, Nadia est
prête à tout pour retrouver son père, Marfa
préfère se laisser tuer afin de ne pas trahir son fils. Cette
maîtrise de soi est bien rendue par les procédés de
modalisation. C'est d'ailleurs le cas dans les énoncés
suivants :
(191) Sa vie même, il devait la risquer pour
donner à tous la preuve de sa cécité, et on sait comment
il la risqua. (p.340)
(192) Cette lettre, il me la faut donc à tout
prix ! (p.219)
Ces exemples montrent un énonciateur (en
191) et un locuteur (en 192) déterminés à arriver au bout
de leur objectif. En (191), le semi-auxiliaire modal devait traduit la
nécessité pour Michel Strogoff d'accomplir son devoir. C'est donc
à juste titre que Dekiss (1999 :366) souligne que
Strogoff pousse le devoir envers les autres jusqu'à l'ultime
abandon de soi. Michel Strogoff est donc un héros du devoir
qui domine ses propres intérêts pour se mettre au service des
autres. En (192), Ivan Ogareff emploie la forme verbale faut pour
montrer la nécessité impérieuse qu'il y a pour lui
d'obtenir la lettre qui lui permettrait de réussir son complot. Michel
Strogoff et Ivan Ogareff sont donc deux hommes qui désirent atteindre
leur but. Toutefois, seul héros militaire, Michel est aussi le seul qui
accepte d'accomplir un devoir imposé. D'après Tadié
(1996 :79), il est fait pour obéir aux ordres du czar
(« un exécuteur d'ordre »), pour le voyage, et le
voyage est fait pour lui.
Michel Strogoff se sacrifie pour servir sa patrie.
Ivan Ogareff, par contre, n'accomplit pas un devoir imposé. Au
contraire, c'est un traître qui s'est lui-même fixé un
objectif : envahir la ville d'Irkoutsk et il compte y arriver par tous les
moyens. Ainsi, les deux hommes ont tous deux une mission, mais les intentions
et le sens qu'ils attribuent à cette mission sont différents.
II.2- Le triomphe de la morale
Jules Verne accorde une place
prépondérante à l'éthique, aux valeurs morales.
Ainsi, malgré que Michel Strogoff soit un roman où il
est question de guerre, on n'y rencontre pas de scènes violentes, de
propos choquants. Selon Dekiss (1999 :353), Jules Verne est convaincu
de la nécessité de devoir renforcer les valeurs morales, en les
refondant pour les rendre opérantes dans une société dont
il pressent les profonds changements.
C'est sans doute pourquoi les personnages dont il
fait l'éloge sont profondément attachés aux valeurs
morales. En aucun moment dans le roman ils ne font preuve de
malhonnêteté ou de méchanceté. Le narrateur nous
présente des êtres galvanisés par le sens du devoir, bons
et altruistes, prêts à tout pour aider leur prochain. C'est ainsi
qu'à la page 51, il déclare que Nadia possède une
« douceur infinie ». L'exemple suivant qui
dépeint Michel Strogoff va dans le même sens :
(193) Son nez puissant, large de narines, dominait une bouche
symétrique avec les lèvres un peu saillantes de l'être
généreux et bon. (p.35)
Les adjectifs qualificatifs
généreux et bon montrent bien que la
bonté et la justice tiennent une grande place chez le héros de
Jules Verne.
On constate, par ailleurs, que même Ivan Ogareff qui
représente le mal dans le roman n'est pas totalement inhumain. C'est
sans doute ce qui fait dire à Dekiss (1999 :206) que la
non-barbarie d'Ivan Ogareff marque une limite morale. Dans le cadre enchanteur
qui est celui de Jules Verne, le mal n'engendre pas la
perversité.
A travers ces propos, on voit bien que Michel
Strogoff permet à Verne de créer un cadre où le bien
domine et triomphe.
Au total, il était question dans ce chapitre
de voir à l'aide de quelles stratégies argumentatives Verne
entreprend de gagner le lecteur à sa cause, mais également de
découvrir le message qu'il tente de véhiculer au moyen de ces
stratégies. Nous avons ainsi vu qu'à travers les
procédés de modalisation, Verne utilise l'éthos,
l'atténuation, l'ironie pour argumenter son discours et le rendre plus
crédible aux yeux du lecteur. L'auteur de Michel Strogoff
milite pour un monde empreint de valeurs morales, il nous présente un
cadre enchanteur où la haine et le mal n'ont pas de place. Il construit
un héros du devoir, Michel Strogoff, qui abandonne son propre
intérêt pour se mettre au service de sa nation.
La dernière partie de notre travail avait
pour but de montrer que la modalisation est une véritable
stratégie discursive dans Michel Strogoff. A cet égard,
nous avons vu que la modalisation autonymique permet aux supports modaux dans
notre corpus de mettre en valeur certains segments de leur discours. Cette mise
en valeur permet ainsi aux supports modaux de véhiculer un message,
d'indiquer une distanciation ou d'insister sur un passage. Pour mieux gagner le
lecteur à sa cause, l'auteur de Michel Strogoff fait appel
à des stratégies argumentatives pour véhiculer sa vision
du monde aux potentiels lecteurs.
CONCLUSION GÉNÉRALE
Conçue comme un bilan des recherches
présentées dans ce travail, cette conclusion en reprendra les
points essentiels. Elle se propose également d'envisager les
perspectives et les développements de notre recherche après le
DEA. A cet effet, il était question de l'étude des
procédés de modalisation dans Michel Strogoff. Nous
sommes partie du constat selon lequel la définition de la modalisation
pose problème au regard de la plupart des études menées
sur celle-ci. La modalisation est souvent confondue à la
modalité, et elle est même généralement
considérée comme présente dans tout énoncé.
Nous avons ainsi posé comme hypothèse de départ que la
modalisation est un phénomène occasionnel
caractérisé par un dédoublement énonciatif dans
lequel l'une des énonciations se présente comme un commentaire
porté sur l'autre, les deux énonciations étant à la
charge d'un même locuteur. De ce fait, nous nous sommes posé
plusieurs questions: que recouvre exactement la notion de modalisation? Comment
se manifeste t-elle dans notre corpus? N'est-elle pas une stratégie de
mise en valeur et d'argumentation employée par Jules Verne? Pour essayer
de répondre à toutes ces interrogations, nous avons fait appel
à la stylistique de l'expression de Bally (1951). En effet, cette
dernière analyse les procédés, les caractères
affectifs des faits d'expression, les moyens mis en oeuvre par la langue pour
les produire. En clair, la stylistique de l'expression prend en compte non
seulement l'expression linguistique des sentiments, mais aussi la
réception du message. Ce concept opératoire nous a permis
d'établir un plan en trois parties comportant chacune deux chapitres.
Pour mener à bien notre étude, il nous a fallu
nous situer parmi les différentes approches possibles de la
modalisation. L'inventaire, non exhaustif, de diverses conceptions et leur
commentaire, a permis de déterminer l'approche qui a été
la nôtre tout au long de ce travail. Nous avons ainsi constaté que
Le Querler (1996) par exemple, pose l'existence d'une modalité
objective; ce qui paraît inacceptable lorsqu'on sait que le simple fait
de nommer passe par les filtres de l'interprétation, de la
catégorisation. Nous avons reproché également à
Galatanu (2002) de considérer la modalité déontique comme
une valeur ontologique dans la mesure où cette notion renvoie surtout
aux notions d'obligation et de permis et non de l'être. Culioli (1984),
pour sa part, estime que tout énoncé comporte un
procédé de modalisation, alors que la modalisation est un
phénomène occasionnel. Cela étant, nous avons opté
pour la classification des procédés de modalisation de
Gardes-Tamine et Pelliza (1998) puisqu'elle nous a semblé mieux
structurée et plus cohérente.
Cette mise au point a été nécessaire non
seulement pour l'élaboration d'un échantillon d'occurrences
à étudier, mais aussi pour l'analyse qui a été
menée par la suite. Un accent a été mis sur les points
suivants: l'explication des concepts employés dans les travaux de
modalisation, la détermination de la fonction exacte des
modalités d'énonciation, l'analyse des jugements de fait et de
valeur dans notre corpus, l'intentionnalité à l'origine de
l'emploi des procédés de modalisation dans Michel
Strogoff. A cet égard, nous souhaitons insister sur certains
points. Les procédés de modalisation dans Michel
Strogoff, notamment certains marqueurs aléthiques, donnent la
possibilité aux supports modaux de nuancer leurs propos pour ne pas
donner un caractère péremptoire à leurs discours. Nous
avons vu de ce fait avec Fromilhague et Sancier (1991) que ces marqueurs
dénotent implicitement une volonté des supports modaux d'imposer
leur point de vue. Ainsi, il n'est pas rare de voir dans Michel Strogoff des
supports modaux employer des marqueurs tels sans doute,
peut-être dans leurs affirmations. Par contre, il existe des
modalisateurs épistémiques tels que évidemment,
en vérité qui n'augmentent pas nécessairement le
degré de certitude des faits exprimés. Tout au contraire, ces
modalisateurs inscrivent ces faits dans un ordre de probabilité plus
faible. On voit ainsi que les modalisateurs dans notre corpus ont une grande
valeur pragmatique.
Pour ce qui est de notre hypothèse de départ,
au regard des recherches effectuées, nous remarquons qu'elle se
vérifie presque dans tous les cas. Ainsi, on observe un
dédoublement énonciatif aussi bien dans les modalités
d'énoncé, la modalisation axiologique que dans la modalisation
autonymique. Toutefois, il est important de mentionner que c'est surtout avec
la modalisation autonymique que le dédoublement énonciatif est
nettement perçu.
Notre travail nous a, par ailleurs, permis de constater que
le commentaire modalisateur contribue à donner du locuteur l'image d'un
sujet qui n'est pas dominé par l'exercice du langage, dans la mesure
où il l'accompagne de commentaire. Il ressort également de cette
étude que les procédés de modalisation illustrent les
problèmes que rencontrent les locuteurs aux prises avec la langue
essayant de maîtriser un outil dont ils sentent confusément
l'inadéquation par rapport à ce qu'ils pensent devoir
communiquer. On l'a vu notamment avec les figures de l'inadéquation de
la nomination dans le cadre de la modalisation autonymique où le
locuteur recourt à des expressions telles que on pourrait dire
quand il n'est pas sûr de ce qu'il avance. Par ailleurs, nous voulons
également insister sur le fait que les procédés de
modalisation permettent à Jules Verne de véhiculer son
idéologie. Il y a chez cet auteur comme un idéal d'un monde
empreint de valeurs morales. Il met en scène dans son oeuvre un
héros du devoir, Michel Strogoff qui est altruiste et respectueux des
valeurs morales. Verne crée un cadre enchanteur à travers son
oeuvre où le mal et la méchanceté semblent ne pas avoir de
place. Michel Strogoff apparaît ainsi comme un message de paix
et d'amour de Jules Verne à l'égard de ses lecteurs.
Il apparaît indéniable au terme de notre
étude que les procédés de modalisation
étudiés se conjuguent dans notre support d'étude pour
mieux véhiculer les systèmes de croyance de Jules Verne. En
outre, ce travail sur les procédés de modalisation permet de
mieux appréhender les relations entre un locuteur et son discours ainsi
que les intentions liées à la profération d'un
énoncé.
Sur un tout autre plan, une étude
ultérieure pourrait s'appesantir davantage sur les effets pragmatiques
de la modalisation dans quelques oeuvres de Jules Verne. Etant donné que
dans le travail actuel, nous avons surtout mis un accent sur les
problèmes définitionnels que connaît la modalisation.
BIBLIOGRAPHIE
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http : //www.marges-linguistiques.com
TABLE DES MATIÈRES
DÉDICACE............................................................................
|
i
|
REMERCIEMENTS..................................................................
|
ii
|
INTRODUCTION GÉNÉRALE
................................................
|
1
|
PREMIÈRE PARTIE : APPROCHE
THÉORIQUE DE LA
MODALISATION...................................................................
|
12
|
CHAPITRE PREMIER : PRÉCISIONS
TERMINOLOGIQUES .......
|
13
|
I- LA CLASSIFICATION DES PROCÉDÉS DE
MODALISATION ........
|
14
|
I.1- La distinction
modus/dictum..................................................
|
14
|
I.2- La typologie de
Culioli....................................................
|
16
|
I.3- La typologie de Le Querler
.............................................
|
18
|
I.4- La typologie de Galatanu
...............................................
|
19
|
I.5- La typologie de Gardes-Tamine et
Pelliza........................
|
20
|
II- LA SOURCE DE LA
MODALISATION......................................
|
22
|
II.1- Le sujet parlant, le locuteur et
l'énonciateur...............................
|
23
|
II.1.1- Le sujet
parlant............................................................
|
23
|
II.1.2- Le
locuteur................................................................
|
24
|
II.1.3-
L'énonciateur.............................................................
|
26
|
II.2- Le sujet modal et le support
modal..........................................
|
28
|
II.2.1- Le sujet
modal............................................................
|
28
|
II.2.2- Le support
modal.........................................................
|
29
|
CHAPITRE DEUXIÈME : LES MODALITÉS
ÉNONCIATIVES : PROCÉDÉS DE MODALISATION OU MARQUES DE
LA COMMUNICATION
INTERSUBJECTIVE ?...........................................
|
32
|
I- LA STRUCTURE ET LE FONCTIONNEMENT DES MODALITÉS
ÉNONCIATIVES.....................................................................
|
34
|
I.1-
L'assertion.......................................................................
|
35
|
I.1.1- Le mode
verbal.............................................................
|
35
|
I.1.2- L'ordre des constituants de la
phrase....................................
|
37
|
I.2-
L'interrogation..................................................................
|
38
|
I.2.1- Sa
portée.....................................................................
|
39
|
I.2.1.1- L'interrogation
totale..................................................
|
39
|
I.2.1.2- L'interrogation
partielle...............................................
|
40
|
I.2.2- Sa
nature.....................................................................
|
41
|
I.2.2.1- L'interrogation
directe................................................
|
41
|
I.2.2.2- L'interrogation
indirecte..............................................
|
42
|
I.2.2.3- L'interrogation indirecte
libre........................................
|
43
|
I.3-
L'injonction.....................................................................
|
44
|
I.3.1- La phrase
impérative......................................................
|
44
|
I.3.2- La conjonction que et le
subjonctif.....................................
|
45
|
I.3.3- Les
mots-phrases...........................................................
|
46
|
II- L'OPPOSITION MODALITÉS
D'ÉNONCIATION/MODALITÉS
D'ÉNONCÉ............................................................................
|
47
|
II.1-
Définition......................................................................
|
47
|
II.2- Deux types d'attitudes
distincts.............................................
|
48
|
DEUXIÈME PARTIE : LES JUGEMENTS DE FAIT ET
DE
VALEUR.............................................................................
|
52
|
CHAPITRE TROISIÈME : LES MODALITÉS
D'ÉNONCÉ............
|
53
|
I-L'ALÉTHIQUE.....................................................................
|
54
|
I.1- La
probabilité...................................................................
|
55
|
I.1.1-
L'éventualité................................................................
|
55
|
I.1.1.1- Les semi-auxiliaires
modaux..........................................
|
55
|
I.1.1.2- Le
conditionnel.........................................................
|
57
|
I.1.1.3- Les adverbes
modalisateurs...........................................
|
58
|
I.1.1.4- Les adjectifs qualificatifs et les tours
impersonnels...............
|
60
|
I.1.2- La
sporadicité...............................................................
|
60
|
I.2- La
possibilité....................................................................
|
61
|
I.2.1- La
contingence...............................................................
|
62
|
I.2.2- La
capacité...................................................................
|
63
|
I.2.3- La
permission...............................................................
|
64
|
I.2.4- La possibilité
matérielle....................................................
|
64
|
I.3-
L'impossibilité...................................................................
|
65
|
I.4- La
nécessité.......................................................................
|
65
|
II-
L'ÉPISTÉMIQUE.................................................................
|
67
|
II.1-
L'ignorance....................................................................
|
68
|
II.2- La
croyance...................................................................
|
68
|
II.2.1- Les raisons de
croire....................................................
|
68
|
II.2.2- Les emplois obliques du verbe croire
et les univers sous-jacents
|
69
|
II.3- Analyse des verbes savoir et
connaître....................................
|
71
|
II.3.1- Étude
syntaxique........................................................
|
71
|
II.3.2- Étude
sémantique........................................................
|
72
|
II.4- La
certitude....................................................................
|
73
|
III- LE
DÉONTIQUE................................................................
|
74
|
III.1-
L'obligation..................................................................
|
75
|
III.1.1- L'obligation
interne...................................................
|
76
|
III.1.2- L'obligation
externe...................................................
|
76
|
III.2- Le permis et
l'interdit......................................................
|
77
|
CHAPITRE QUATRIÈME : MODALISATION
AXIOLOGIQUE DES RÉFÉRENTS
HUMAINS...................................................
|
79
|
I- LES
SUBSTANTIFS...............................................................
|
81
|
I.1- Les noms de
qualité............................................................
|
81
|
I.2- Les noms métaphoriques et
hyperboliques.................................
|
83
|
II- LES ADJECTIFS
QUALIFICATIFS...........................................
|
85
|
II.1- Les
affectifs....................................................................
|
86
|
II.1.1- L'épithète d'ornement
..................................................
|
87
|
II.2- Les
évaluatifs..................................................................
|
88
|
II.2.1- Les
non-axiologiques.....................................................
|
88
|
II.2.2- Les
axiologiques.........................................................
|
90
|
III- LES
VERBES.....................................................................
|
93
|
III.1- Les verbes de
sentiment......................................................
|
93
|
III.2- Les verbes d'opinion
........................................................
|
94
|
III.3- Les verbes
performatifs......................................................
|
94
|
IV- LES
ADVERBES.................................................................
|
95
|
TROISIÈME PARTIE : LA MODALISATION :
UNE STRATÉGIE DE MISE EN VALEUR ET
D'ARGUMENTATION........................
|
99
|
CHAPITRE CINQUIÈME : LA MODALISATION
AUTONYMIQUE.
|
100
|
I- LES MARQUAGES
TYPOGRAPHIQUES....................................
|
102
|
I.1- La mise entre
guillemets......................................................
|
102
|
I.1.1- La non prise en charge des termes
cités.................................
|
102
|
I.1.2- Le soulignement des termes
cités...........................................
|
104
|
I.1.3- L'emploi des mots
étrangers.............................................
|
106
|
I.1.4- Les figures de
l'emprunt..................................................
|
106
|
I.2- Les virgules
doubles............................................................
|
109
|
I.3- Les tirets
doubles...............................................................
|
110
|
I.4- Les
italiques.....................................................................
|
112
|
II- LES FORMES MÉTA-ÉNONCIATIVES DU
DIRE......................
|
113
|
II.1- La modalisation en discours
second........................................
|
113
|
II.2- Les figures de l'(in)adéquation de la
nomination.........................
|
115
|
CHAPITRE SIXIÈME : LA MODALISATION :
UNE STRATÉGIE
ARGUMENTATIVE................................................................
|
117
|
I- LE SOUCI DE CRÉDIBILISER SON UNIVERS DE
CROYANCE......
|
118
|
I.1-
L'éthos............................................................................
|
119
|
I.2-
L'ironie...........................................................................
|
121
|
I.3-
L'atténuation.....................................................................
|
124
|
II.- MICHEL STROGOFF : UN DISCOURS SUR LE
DEVOIR...............
|
126
|
II.1- La maîtrise de
soi..............................................................
|
126
|
II.2- Le triomphe de la
morale....................................................
|
127
|
CONCLUSION
GÉNÉRALE..............................................
|
130
|
BIBLIOGRAPHIE.....................................................................
|
135
|
TABLE DES
MATIÈRES.......................................................
|
144
|
|