Université de Rouen
Faculté de Droit, de sciences économiques
et de gestion
Année scolaire : 2005-2006
THEME :
Les frontières entre l'entente et
l'abus
De position dominante
Mémoire de MASTER II. Droit international et
Européen
Rédigé sous la direction
de :
M. FREDERIC LEPLAT
Par
Zakaria Sbaï
Septembre 2006
Après la lecture des articles 81et 82 du
Traité CE relatifs à l'interdiction des pratiques
anticoncurrentielles et la jurisprudence communautaire concernant l'abus de
position dominante : cette position dominante est-elle subsidiaire
à l'entente ? Où elle est autonome et complémentaire
de l'entente ?
Le problème que l'on rencontre quand on
s'intéresse à la notion de position dominante,c'est de distinguer
clairement une entente d'une position dominante,cette difficulté
participe à l'incompréhension de la position dominante.En effet,
l'entente implique en elle-même une collusion et une possibilité
de responsabilité «collective ». De plus,
un aspect important de la position dominante est relatif à la
collusion :
Les entreprises doivent adopter une même ligne d'action
sur le marché, il est donc légitime d'imaginer que l'une des deux
institutions ne serait qu'un cas particulier de l'autre.
Ainsi, l'article 81et 82 du TCE, énonce dans son
premier alinéa « Sont incompatibles avec le marché
commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions
d'association d'entreprises, et toutes pratiques concertées, qui sont
susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet
ou pour effet d'empêcher, de restreindre, ou de fausser le jeu de la
concurrence à l'intérieur du marché commun »
D'abord, il est difficile de s'imaginer une position
dominante qui soit collective sans l'analyser au travers l'article 81 du
TCE.
Dans l'esprit de beaucoup, il est impossible d'aboutir
à un comportement unitaire sue un marché sans passer par une
concertation prohibée.
Toutefois, la CJCE est venue clarifier un peu cette
situation dans son arrêt du 16 mars2000 « compagnie maritime
belge de Transports » elle y affirme qu'il n'est pas indispensable
que la position dominante soit la conséquence d'un accord ou de lien
juridique entre les entreprises concernées. Par conséquent, on
peut affirmer que s'il existe un lien entre la position dominante et l'entente,
ce n'est pas un lien de subsidiarité.
En revanche, les articles 81 et 82 du TCE, peuvent
qualifier de complémentaire dans la mesure où ils poursuivent
l'un et l'autre un objectif général commun un termes duquel
l'action de la commission « l'établissement d'un
régime assurant que la concurrence n'est pas faussé dans le
marché commun » article 3 sous-section g du TCE.
Cette identité de fin fut soulignée par la CJCE
dans son arrêt « Continentale Can » du 21
février1973, la proximité des deux articles n'est pas
contestable.
Ainsi, une entente peut aboutir à conférer
une position dominante à ses membres,qui se présentent alors,
grâce à leur concertation comme une entité unique.Rien
n'interdit l'article 82 du TCE à une telle entente , les deux
incrimination peuvent donc s'emboîter .
En somme, quelles sont les frontières qui
existent entre l'entente et l'abus de position dominante collective ou
individuelle ? Est-ce que ces frontières sont logiques ? Et
est-ce que la relation entre l'entente et l'abus de domination est
contradictoire ou complémentaire ?
Première Partie : Champ d'application
d'entente et d'abus de
Position
dominante :
L'article 81CE § 1 déclare
« incompatibles avec le marché commun et interdit »
un certain nombre de pratiques d'entreprises dés lors qu'elles
« sont susceptible d'affecter le commerce entre les Etats membres et
(qu'elles) ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de
fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché
commun ».De ces deux conditions,seule le première concerne le
compétence du droit communautaire ; sans incidence à cet
égard, la seconde ne porte que sur la légalité de la
restriction de concurrence. Des lors que le commerce intracommunautaire est
affecté par le comportement des opérateurs économiques, la
compétence du droit communautaire est établie ; mais en
l'exerçant, les autorités et les juridictions chargées de
son application devront vérifier que les pratiques en cause portent
effectivement atteinte à la concurrence sur le territoire de
l'Union : bien que relevant de l'ordre juridique communautaire, elles n'y
seront déclarées illicites qu'à cette condition
(1).
Fondée sur le principe de concurrence non
faussée, mais sans préjudice des autres exigences de l'Union, la
compétence des règles communautaires de concurrence
s'apprécie d'un point de vue matériel, géographique,
spatial et temporel.
· Champ d'application
matériel : Le point le plus important concerne le
champ d'application matériel. En effet, il n'y a plus un régime
de droit commun- celui du régime 17/62- et des régimes
spéciaux. Le règlement 1/2003 a une portée tout à
fait générale et s'applique à tous les secteurs.
L'intégration du secteur « charbon/acier »
est indépendante de la réforme, puisqu'elle découle de
l'expiration du traité CECA et est effective depuis le 23 juillet 2002.
Mais le nouveau texte abroge le règlement 141 du 26 novembre 1962, qui
déclarait le règlement 17/62 inapplicable au secteur des
transports.
(1)-Richard BLASSELLE,
Traité de Droit Européen de la concurrence, Tome I,
page :
En conséquence, les divers
« règlements transports », ont été
modifiés ou, même pour les transports aériens,
abrogé. En dehors d'une actualisation de certaines dispositions de droit
substantiel, les règlement qui subsistent- transports terrestres et
maritimes- ont surtout été vidés de leurs dispositions
procédurales. Le système de notification facultative, que
certains avaient voulu généraliser comme solution
intermédiaire, disparaît, de même que les comités
consultatifs particuliers. En revanche, puisqu'elles relèvent du fond,
sont propres. Cet alignement est bienvenu et permettra d'éviter les
discussions quelque peu stériles quant au champ d'application respectif
des divers règlements apparus dans certains contentieux
récents.
· Champ d'application
géographique : Sur le plan
géographique, les critères d'application des articles 81 et 82
CE, à savoir la localisation de l'effet anticoncurrentiel dans le
marché commun et l'affectation du commerce entre Etats membres, ne sont
pas modifiés puisqu'ils résultent du traité. L'extension
territoriale est uniquement liée au processus d'élargissement et
au passage de 15 à 25 Etats membres. Au demeurant, les accords
d'association antérieurement conclus avec les Etats candidats contenant
déjà des dispositions en matière de concurrence, qui
reprennent les articles 81 et 82 CE, cette extension est surtout formelle et
institutionnelle.
Un seul point posait problème :
l'application des articles 82 et 82 CE aux transports
Aériens entre la communauté et les
Etats tiers pour laquelle la commission ne pouvait
Pour des raisons historiques liées au domaine du
règlement 3975/87/CEE agir sur la base de ce texte, ce qui l'obligeait
à fonder son action sur l'article 85 CE. Ce vide vient d'être
complété par l'adoption du règlement n° 411/2004 du
conseil du 26 février 2004 qui modifie le règlement 1/2003.
La compétence de la commission n'a don plus
d'autres limites géographiques que celles résultant du droit
international.
· Champ d'application
temporel : sur ce plan, le report de l'application du
nouveau dispositif au 1er mai 2004 n'a pas uniquement une
signification politique. Il était nécessaire, non seulement pour
l'adoption des textes d'application, mais également pour la mise en
place du nouveau réseau d'autorités nationales. A cela, s'ajoute
le travail pédagogique indispensable, comme la formation des juges et
des opérateurs...Les difficultés de droit transitoire sont en
fait limitées, du moins pour les procédures menées par la
commission. Les procédures de poursuites n'étant pas
modifiées, il est naturellement prévu que les actes de
procédure accomplis en application des textes actuels continuent
à produire leurs effets .En revanche, conséquence de l'abandon du
système d'autorisation préalable, les demandes d'attestation
négative. Restait le sort des décisions d'exemption en cours. Il
était prévu dans la proposition de règlement que les
décisions cesseraient « d'être valide »
à l'entrée en vigueur du nouveau texte. Cette disposition a
été critiquée, au nom essentiellement de la
sécurité juridique. Finalement, il a été
décidé que les décisions d'exemption continueraient
à produire leurs effets jusqu'à leur expiration (2).
(2)-Laurence IDOT, Droit
communautaire de la concurrence, feduci, 2004, page : 8
La notion d'entreprise est au coeur du problème que
pose la compétence personnelle du droit communautaire de la concurrence.
Elle regroupe en effet l'ensemble des sujets de droit directement
concernés par les textes pertinents des traités, notamment les
articles 81 et 82 CE. Or les Etats membres n'en donnent pas tous la même
définition, de sorte qu'il est nécessaire de le faire
(I), Dans le cadre de la notion commune, ainsi
dégagée,il conviendra,en second lieu, de définir les
ententes ainsi la position dominante (II) .
I- le sujet d'entente et l'abus de position
dominante :
Les règles relatives aux
ententes, aux position dominante, visent en premier chef les entreprises, il
convient donc de définir cette position (A). En
revanche le droit communautaire peut trouver vacation à s'appliquer sur
des personnes physiques lorsqu'elles exercent une activité
économique (B). Toutefois, d'une part,
on peut pas condamner une personne physique d'abus de position dominante sur le
fondement de l'article 82 TCE, d'une part une condamnation possible d'entente
en vertu de l'article 81 TCE.
A- Notion d'entreprise :
La notion d'entreprise permet de délimiter le champ
d'application personnel des règles communautaires de la concurrence,
qu'il s'agisse d'entente, de position dominante ou de concentration. Il
convient donc de chercher une définition de la notion d'entreprise
(a), puis d'analyser ses critères (b)
à travers les indications fournies par la pratique décisionnelle
et la jurisprudence communautaire.
1-Absence d'une définition
légale :
Le traité de Rome ne définit pas la notion
d'entreprise, à laquelle pourtant il fait référence
à diverses reprises.
Selon une jurisprudence aujourd'hui bien
établie, « la notion d'entreprise comprend toute
entité exerçant une activité économique,
indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode
de financement » (3), entité qui
apparaît comme un opérateur indépendant sur le
marché. Peu importe qu'il s'agisse d'une personne physique ou morale,
d'une personne de droit public ou de droit privé, d'une personne
poursuivant ou non un but lucratif ou d'un groupement ne disposant pas de la
personnalité juridique. En effet, le critère retenu de
l'entreprise n'est pas organique mais matériel. Aucune forme juridique
n'exclut a priori la qualification d'entreprise l'essentiel étant le
caractère économique de l'activité concernée.
2- Critères de
l'entreprise :
L'activité économique est le premier
critère de la notion d'entreprise (a).
Néanmoins, il ne suffit pas toujours, il s'en ajoute un autre, celui de
l'autonomie d'action d'entité sur le marché
(b).
a- Une activité
économique :
En principe (á) toute entreprise
exerce une activité économique est soumise aux règles de
la concurrence, toutefois ce principe connaît des limites
(â).
á - le
principe : Que faut-il entendre par
« activité économique », il s'agit de toute
activité durable qui consiste à produire, distribuer ou
commercialiser à ses risques un bien ou un service sans qu'il y ait lieu
de considérer la nature de l'activité, la nature du bien ou du
service, ni la qualité ou le statut de l'entité qui exerce cette
activité, la commission des CE, a posé en principe
qu' « une activité de nature économique est une
activité, à but lucratif ou non, qui implique des échanges
économique » (4).
(3)- CJCE. 23 avr. 1991, Höfner et
Elser : Rec.CJCE 1991, I, p.1979
(4)- Comm. CE, déc.
Coupe du monde de football 1998, JOCE n°L15, 8janv.2000, p, 55
S'agissant les entreprises
privées, le principe a été
appliqué aux hypothèses les plus diverses, par exemple aux
expéditeurs en douane (5), aux organisations sanitaires
(6), aux architectes (7), et aux avocats,qui,
exerçant une activité économique, sont regardés
comme des entreprises au sens du droit de la concurrence « sans
que la nature complexe et technique des services qu'ils fournissent et la
circonstance que l'exercice de leur profession est réglementé
soient de nature à modifier une telle conclusion »
(8).
S'agissant des entreprises publiques,
l'article 86 § 1 du Traité CE, confirme leur
soumission aux règles de la concurrence. Ainsi les articles 82 et 86 du
Traité CE s'imposent d'abord aux Etats membres. Comme l'admis la CJCE,
« le Traité impose aux Etats membres de ne pas prendre ou
maintenir en vigueur des mesures susceptible d'éliminer les effets
utiles des articles 85 et 86 (actuels art.81 et 82) du
Traité » (9).
L'article 86 (actuel art.82) du Traité CE, notamment,
leur interdit « de mettre, par des mesures législatives,
réglementaires ou administratives, les entreprises publiques dans une
situation dans laquelle ces entreprises na pourraient pas se placer
elles-mêmes par des comportements autonomes sans violer les dispositions
de l'article 86(actuels art.82) du Traité CE (10).
(5)- TPI, 30 mars 2000, CNSD, Rec.
CJCE 2000, II, p ,1807.
(6)- CJCE, 25 oct. 2001,
C-475/99.
(7)- CJCE, 29 Nov. 2001, aff.
C-221/99, Giuseppe conte.
(8)- CJCE, 19 févr. 2002,
aff. C-309/99, Wouters et a.
(9)- CJCE, 18 juin 1991, Rec. CJCE,
I, p.2925.
(10)- CJCE, 13 déc. 1991,
Rec. CJCE, I, p.5941.
â- Les limites : elles
sont au nombre de deux : même si l'entité exerce une
activité économique, elle échappe à l'application
de l'articles 81 et 82 du Traité CE, si cette activité comporte
l'exercice de prérogatives de puissance publique, ou encore si
l'entreprise exerce une fonction de nature exclusivement sociale.
· Les autorités communautaires peuvent examiner
les différentes activités de l'entité concernée
pour déterminer, si elles sont ou non de nature économique.
Ainsi un Etat, un organisme public ou une
collectivité locale ne sont pas des entreprises au sens du droit de la
concurrence lorsqu'ils mettent en oeuvre des prérogatives de puissance
publiques. Dans l'affaire ADP, Aéroports de paris faisait valoir, en
défense, que ses activités relevaient de la qualification
d'activité de police. En espèce, de tribunal de première
instance a fait la distinction, au sein de ses activités, entre celles
qui étaient purement administratives et celles qui étaient
liées à la gestion et à l'exploitation des
aéroports parisiens (11), cela pour conclure qu'ADP
n'exerçait aucune activité de police et livrait à une
activité économique.
· La seconde limite concerne l'exercice d'activité
de nature exclusivement sociale. Dans l'affaire Poucet, la cour de justice a pu
considérer que la « notion d'entreprise au sens des
articles 85 et 86 du Traité (actuels art.81 et 82) ne vise pas les
organismes chargés de la gestion de régime de
sécurité sociale » (12). Pour parvenir
à cette conclusion, le juge communautaire a souligné que l'objet
de tels organismes n'est pas économique dans la mesure où ils
assurent une fonction de caractère exclusivement sociale ; que
leurs activité, fondée sur le principe de la solidarité
sociale, est dépourvue de tout but lucratif et que les prestations
versées sont des prestations légales, indépendantes du
montant du cotisation.
(11)- TPI, 12 déc. 2000,
Aéroports de paris : Rec. CJCE 2000, II, p. 3929.
(12)- CJCE, 17 févr. 1993,
Rec. CJCE 1973, I, p.637.
En revanche, un organisme a but non lucratif, gérant un
régime d'assurance vieillesse destiné à compléter
le régime de base obligatoire, est une entreprise au sens du droit
communautaire, l'absence de but lucratif ne changeant rein à l'analyse
(13). Pour justifier la différence de solutions, le
juge a relevé que telles caisses fonctionnent selon le principe de la
capitalisation et que les prestations qu'elles versent dépendent du
montant des cotisations et des résultats financiers des investissements
qu'elles effectuent. Sans nier l'existence d'une certaine solidarité, se
traduisant notamment par l'indépendance des cotisations par rapport au
risque, la cour de justice a précisé que celle-ci est
limitée, dans la mesure où l'affiliation à de tels
régimes est facultative.
b- Autonomie de comportement sur le
marché :
Pour que une entreprise soit condamnée en vertu de
l'article 81 TCE, il faut qu'elle adopte un comportement autonome sur le
marché pertinent. Par conséquent, la définition de cette
autonomie produit des conséquences par rapport la frontière entre
les disposition de l'article 81 et 82 du TCE, puisque on matière des
ententes, on peut pas condamner une filiales ou un successoral quand ils
appliques les directives de leurs société mère, tandis
que, en matière d'abus de position dominante, on peut les
condamnés dés lors qu'ils abusent de leur position sur le
marché de référence.
La question s'est posée, à l'origine, à
l'endroit des accords intra-groupe, et tant la pratique décisionnelle de
la commission que la jurisprudence de la cour de justice ou le tribunal de
première instance ont posé la condition supplémentaire,
pour la qualification d'entreprise, l'autonomie de décision dont doit
être investie l'entité concernée. C'est ainsi que la
filiale entièrement contrôlée par la société
mère ne saurait conclure, avec la société qui la domine,
une entente anticoncurrentielle : on l'occurrence, il peut s'agir que
d'une illustration de sa subordination. La même conclusion s'impose si
l'on pose l'éclairage, non sur l'autonomie des volontés en
présence, mais sur l'unité économique du groupe ou de
pluralité des personnes juridiques impliquées dans le groupe ou
dans l'ensemble des sociétés.
(13)- CJCE, 16 nov. 1995,
Fédération Française des sociétés
d'assurance
Et autres c/ commission : Rec.
CJCE1995, I, p.4013.
Selon la CJCE, « l'article 85(actuel art.81)
du Traité Ce ne vise pas des accords ou pratiques concertées
entre des entreprises appartenant au même groupe en tant que
société mère et filiale, si les entreprises forment une
entité économique à l'intérieur de laquelle la
filiale ne jouit pas d'une autonomie réelle dans la détermination
de sa ligne d'action sur le marché et si ces accords ou pratiques ont
pour but d'établir une répartition interne des tâches entre
les entreprises » (14). Cependant, cette
dernière condition (la répartition interne des tâches du
groupe), a été abandonnée tant par le TPI que par la CJCE
dans l'affaire VIHO (15), dans la mesure où le texte
invoqué (art.81) prohibant des comportements collectifs, est
inapplicable à une unité économique.
B- Les Agents commerciaux :
L'agent commercial est une personne physique, par
conséquence, on ne peut pas imaginer une condamnation des agents
commerciaux sur le fondement de l'abus de position dominante. Toutefois, une
personne physique peut se voir sa responsabilité engagée en vertu
de l'article 81 du TCE .En revanche, la question de la forme juridique ne se
pose pas, l'opérateur est une personne physique ; cette
qualité ne le met pas pour autant en dehors d'une poursuite
fondée sur le droit communautaire de la concurrence. Si son
activité est d'ordre économique, elle relève de la
réglementation communautaire de la concurrence (16).
Ainsi, parmi les personnes physiques les
représentants non salariés, par exemple les agents commerciaux
(17) et les mandataires, sont des entreprises au regard du
droit communautaire dés lors qu'ils se comportent de façon
indépendante et assument un risque commercial.
(14)- CJCE, 31 oct. 1974,
Centrafarm c/ sterling Drug: Rec. CJCE 1974, p.1147.
(15)- TPICE, 12 janv. 1995, Viho
Europe BV c/ comm. Rec. CJCE 1995, II, p. 17.
(16)- Richard BLASSELLE,
Traité de Droit Européen de la concurrence, Tome I,
page : 29
(17)- Article
L134-1 du code du commerce : « L'agent
commercial est un mandataire qui, à titre de profession
indépendante, sans être lié par un contrat de louage de
services, est chargé, de façon permanente, de négocier et,
éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location
ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs,
d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut
être une personne physique ou une personne morale. Ne relèvent pas
des dispositions du présent chapitre les agents dont la mission de
représentation s'exerce dans le cadre d'activités
économiques qui font l'objet, en ce qui concerne cette mission, de
dispositions législatives particulières ».
De même le sont aussi les travailleurs
indépendants et les membres des professions libérales, les
détaillants, les artisans et les agriculteurs, l'artiste qui se produit
en public ou le sportif indépendant, professionnel ou amateur ;
l'essentiel est qu'ils exercent une activité économique
indépendante. En revanche, les personnes qui exercent une
activité salariée n'auront pas la qualité d'entreprise, l
lien de subordination juridique excluant a priori leur indépendance.
II- La difficulté d'élaborer une
définition d'entente et d'abus de domination :
Soucieuses d'atténuer, sinon de supprimer, les
charges qui découlent pour elles de la concurrence, les entreprises
tendent à établir entre elles ; en fait ou en droit, des
relation qui peuvent entraver le commerce entre les Etats membres et fausser
l'équilibre concurrentiel nécessaire à la
réalisation d'un marché unique compatible avec les exigences de
l'ordre public économique communautaire, il est, donc, nécessaire
de définir l'entente (A), puis de chercher une
délimitation de la notion de position dominante
(B) .
A- Définition de l'entente
anticoncurrentielle :
L'article 81 du CE, §1
dispose : « Sont incompatible avec le marché commun
et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions
d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont
susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou
pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la
concurrence à l'intérieur du marché
commun... »
Etant donné que l'entente est définie comme un
concours de volonté entre entreprises suffisamment indépendantes,
les unes par rapport aux autres pour pouvoir décider de manière
autonome de leur comportements sur le marché, il convient donc de
commencer par examiner les significations respectives des notions d'accord
entre entreprise (1), de décision d'association
d'entreprises (2), et de pratiques concertées
(3).
1- Accords :
Le tribunal de première instance a repris la
jurisprudence antérieure de la cour qui définit ainsi la notion
d'accord au sens de l'article 81, paragraphe 1 : « il
suffit que les entreprises en cause aient exprimé leur volonté
commune de se comporter sur le marché d'une manière
déterminée » (18).
Quant à la pratiques administrative de la
commission, elle est fondée sur un motif plus complet : un
« accord » au sens de l'article 81 peut exister dés
lors que les parties s'entendent sur un plan qui limite, ou est de nature
à limiter, leur liberté commerciale en déterminant les
lignes de leur action ou de leur abstention réciproque sur le
marché. Aucune procédure d'exécution telle que pourrait
en prévoir un contrat civil n'est requise. Il n'est pas
nécessaire non plus qu'un tel accord soit établi par écrit
(19).
2- Décision d'association
d'entreprises :
L'article 81, paragraphe 1, ne restreint pas la
liberté d'association. Il n'interdit pas les associations d'entreprises
ni les décisions qu'elles sont susceptibles de prendre.
(18)- TPICE, 24 oct. 1991,
Petrofina, att. N° 211, préc. n° 31.
(19)- comm. CE Déc. 21
déc. 1988, PEBD, att. N° 37 : JOCE 17 mars 1989, n°
L74/21.
Selon la jurisprudence de la cour, ce texte s'applique
exclusivement « aux associations d'entreprises dans la mesure
où leur activité propre ou celle des entreprises qui y
adhérent tend à produire les effets que vise à
réprimer » (20).
Relèvent de cette catégorie juridique aussi bien
les statuts que les règlements généraux, ainsi que les
décisions prises par les assemblées générales.
Il ne suffit pas, en outre, d'utiliser le terme de
recommandation pour dénommer un document qui émane d'une
association pour échapper à l'interdiction de l'article 81 du
CE.
La frontière entre la décision d'association
d'entreprises et les accords demeure imprécise. Dans certains cas, la
cour de justice ainsi que la commission se contente d'une analyse sommaire et
constatent une combinaison d'accords et de décisions qu'elles ne
s'attachent pas à distinguer (21).
3- Pratiques
concertées :
La commission ne s'attache pas de façon
systématique à tracer la frontière entre les trois formes
de coopération énumérées par l'article 81 du CE.
C'est pourquoi, en l'absence d'objections précises formulées par
les entreprises en cause, elle pourra se contenter d'admettre l'existence d'un
contrat ou de pratiques concertées.
Les pratiques concertées ne peuvent être
assimilées à un contrat dont les autorités communautaires
n'auraient pu obtenir la preuve directe. S'inspirant d'une jurisprudence bien
établie de la cour de justice, la commission considère qu'en
« développant une notion de pratique concertée
distincte, le Traité vise à empêcher que les entreprises ne
contournent l'application de l'article 81, paragraphe1, en s'entendant sur des
modalités contraires à la concurrence et non assimilables
à un accord... » (22).
(20)- CJCE, 8 nov. 1983, Navewa
Anseau, préc.n° 21.
(21)- CJCE, 30 janv. 1985, BNIA,
Rec. CJCE, p. 391.
(22)- Comm. CE, 7 déc. 1988,
Verre plat : JOCE 4 févr. 1989, n° L34/44.
Cette jurisprudence de la cour de justice trouve son origine
dans un arrêt prononcé dans l'affaire des matières
colorantes, CJCE, 14 juillet 1972 « Attendu que si l'article 81
distingue la notion de pratique concertée de celle de l'accord entre
entreprises ou de décision d'association d'entreprises c'est dans le
dessein d'appréhender sous les interdictions de cet article une forme de
coopération entre entreprise qui, sans avoir été
poussée jusqu'à la réalisation d'une convention proprement
dite, substitue sciemment une coopération pratique entre elles aux
risques de concurrence ;que, par sa nature même, la pratique
concertée ne réunit donc pas tous les éléments d'un
accord, mais peut notamment résulter d'une coordination qui
s'extériorise par le comportement des participants ».
La cour de justice et la commission ont eu l'occasion de
distinguer une pratique concertée et un simple accord verbal, ou un
accord conclu sans avoir été appliqué. La pratique
concertée peut, Néanmoins, correspondre au prolongement d'un
contrat. Tel est le cas lorsque le comportement commun des parties en cause
excède les limites de l'accord initialement conclu.
Tel est le cas, également, de l'entente
prolongée, les participants à l'entente ne nient pas l'existence
de celle-ci, mais ils affirment avoir résilié le contrat initial
et avoir retrouvé leur entière autonomie. La cour de justice a
posé, sur ce point précis, le principe selon lequel s'agissant
« d'entente qui ont cessé d'être en vigueur, il suffit
pour que l'article 81 soit applicable, qu'elles fournissent leurs effets
au-delà de la cessation formelle de leur application, qu'une entente
n'est réputée poursuivre ses effets que si le comportement laisse
implicitement ressortir l'existence des éléments de concentration
et ce coordination propres à l'entente et aboutir au même
résultat que celui visé par l'entente »
(23).
(23)-CJCE, 18 juin 1981, Salonia,
Rec. CJCE, p. 1563.
Le contenu exact de la notion de pratique concertée est
présenté de façon extrêmement minutieuse dans une
décision de tribunal de première instance du CE, datée du
24 oct. 1991, Petrofina « En vue de définir la notion de
pratique concertée, il y a lieu de se référer à la
jurisprudence de la cour dont il ressort que les critères de
coordination et de coopération qu'elle a posés
précédemment doivent être compris à la
lumière de la conception inhérente aux dispositions du
Traité relatives à la concurrence et selon laquelle tout
opérateur économique doit déterminer de manière
autonome la politique qu'il entend suivre sur le marché commun. Si cette
exigence d'autonomie n'exclut pas le droit des opérateurs
économiques de s'adapter intelligemment au comportement constaté
ou à escompter de leurs concurrents, elle s'oppose à toute prise
de contact, directe ou indirecte, entre de tels opérateurs, ayant pour
objet ou pour effet, soit d'influence le comportement sur le marché d'un
concurrent actuel ou potentiel, soit de dévoiler à un tel
concurrent le comportement que l'on est décidé à, ou que
l'on envisage de tenir soi-même, sur le marché »
(24).
B- la notion de position dominante:
La première condition d'application de l'article 82 du
Traité CE est la détention d'une position dominante. Or le texte
n'en donne aucune définition, pas plus qu'il ne définit
l'entreprise ou l'abus dont elle pourrait se rendre coupable.
(24)- TPICE, 24 oct. 1991,
Petrofina, att. n° 223, préc. n° 31.
Il appartenait donc aux autorités communautaires de
pallier à cette déficience en explicitant la notion de position
dominante à partir de l'objet de l'article 82. Qu'il s'agisse de la
commission ou de la cour de justice des CE, toutes deux s'accordent sur le
contenu à donner à cette notion. La détention d'une
position dominante est considérée comme établie lorsque
l'entreprise concernée dispose du pouvoir de faire obstacle à une
concurrence effective dans la marché commun, ce pouvoir se traduisant
par un comportement indépendant de l'entreprise en cause.
1- Comportement indépendant sur le
marché :
· Définition de la
CJCE : Dés l'arrêt Continental Can du 21
février 1973, le cour de justice a pris position en ce sens, et elle a
réitéré sa position dans l'arrêt United Brands en
rappelant que « la position dominante visée par cet
article concerne une position de puissance économique détenue par
une entreprise, qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une
concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la
possibilité de comportements indépendants dans une mesure
appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et
finalement des consommateur » (25).
(25)- CJCE, 14 févr. 1978,
United Brands, Rec. CJCE 1978, p.207.
Plus nettement encore, la cour ajoutera ultérieurement
à cette définition la précision
que « pareille position, à la différence d'une
situation de monopole ou de quasi-monopole, n'exclut pas l'existence d'une
certaine concurrence, mais met la firme qui bénéficie en mesure,
sinon de décider, tout au moins d'influencer notablement les conditions
dans lesquelles cette concurrence se développera et, en tout cas, de se
comporter dans une large mesure sans avoir en tenir compte et sans pour autant
que cette attitude lui porte préjudice, qu'une position dominante doit
également être distinguée des parallélisme de
comportements propres aux situations d'oligopoles, en ce sens que, dans un
oligopole, les comportements s'influencent réciproquement tandis qu'en
cas de position dominante le comportement de l'entreprise qui
bénéficie de cette position est, dans une large mesure,
déterminé unilatéralement »
(26).
· Définition de la
commission : quant à la commission des CE, elle
précédait la cour de justice dans l'affaire Continental Can, en
apportant cette précision qu'il y a position dominante lorsque les
entreprises ont une possibilité de comportement indépendant qui
les met en mesure d'agir sans tenir notablement compte des
concurrents ».
(26)-CJCE, 13 févr. 1979, Hoffmann-La
Roche, Rec. CJCE1979, p.461.
· De même, dans l'affaire Hoffmann La Roche de
1976, elle a réitéré sa position en posant que Roche
dispose d'un degré d'indépendance globale de comportement qui les
met en mesure de faire obstacle à une concurrence effective à
l'intérieur du marché commun, lui conférant une position
dominante. La même conception sera ultérieurement reprise dans la
plupart de ses décisions.
2- Soustraction à la
concurrence :
C'est parce qu'elle détient le pouvoir de faire
à une concurrence effective que l'entreprise en situation de domination
échappe à la pression concurrentielle qui pèse normalement
sur les entreprises. Tel est le cas, notamment, des marchés
oligopolistiques où ne se côtoient, par définition, que peu
d'entreprises, chacune se trouvant dans un rapport d'interdépendance par
référence aux autres. De ce fait, aucune d'entre elles, en
principe, n'est en mesure de déterminer son comportement sur le
marché sans tenir compte des réactions probables des autres
entreprises. A l'inverse, et précisément parce qu'elle
possède ce pouvoir de faire obstacle à une concurrence effective,
l'entreprise en position dominante peut agir pour grande part de
manière indépendante sans avoir besoin de tenir compte des autres
intervenants sur le même marché.
En somme, le pouvoir caractéristique de la situation
visée à l'article 82 du Traité CE se ramène, dans
son aspect actif, à une possibilité de comportements
indépendants de l'entreprise sur un certain marché, jointe
à une certaine neutralisation des concurrents. Quant à son aspect
passif, il se traduit par sa soustraction l'influence des autres
opérateurs économiques présents sur le marché
concerné.
Enfin, pour conclure, on constate une similitude des
critères de l'entente el d'abus de position dominante, surtout au niveau
de comportement autonome sur la marché, ainsi une soustraction à
la concurrence.
Deuxième partie :
Les frontières entre l'entente et l'abus de
position dominante
Par rapport Leurs effets anticoncurrentiels :
L'article 81 du Traité CE, dispose
qu' « Sont incompatibles avec le marché commun et
interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions
d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont
susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour
objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la
concurrence à l'intérieur du marché commun... »,
Tandis que l'article 81 du Traité CE stipule à l'alinéa 1
qu' « Est incompatible avec le marché commun et interdit,
dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible
d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises
d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché
commun ou dans une partie substantielle de celui-ci... ».
L'interdiction des ententes et celle des pratiques abusives
dans l'exploitation d'une position dominante ont toutes deux pour objectif de
maintenir l'existence d'une concurrence effective dans le marché commun.
Elles sont en outre complémentaires, puisqu'à la prohibition de
l'article 81 CE relative à la coopération restrictive de
concurrence entre entreprises, l'article 82 CE ajoute celle des pratiques
unilatérales d'une ou plusieurs entreprises. Cette
complémentarité est d'ailleurs renforcée d'une part par le
fait que les deux dispositions peuvent être invoquées de concert,
parallèlement, dés lors que la situation litigieuse remplit les
conditions d'application propres à chacune d'elles. Elle l'est aussi
d'autre part dans la mesure où la quasi concordance des exemples
prohibés par les deux textes rend inconcevable l'exemption d'une entente
lorsqu'elle est susceptible de donner à ses membres la
possibilité d'abuser d'une position dominante, voir même seulement
de la conquérir ou de la renforcer (27).
(27)-Rapport de la commission
sur « l'application des article 81CE et 83CE par les
juridictions nationales des Etats membres », p.92
L'ensemble de la problématique est traité dans
cette partie en trois temps ; le premier expose le principe relatif
d'interdiction des ententes, le second celle d'appréciation de la
position dominante, et le troisième examine les rapports entre les
articles 81CE et 82CE
I- Le principe relatif d'interdiction des
ententes :
Sont incompatibles avec le marché commun et interdits
tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations
d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles
d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour
effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence
à l'intérieur du marché commun, et notamment ceux qui
consistent à:
a)
|
|
fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou
de vente ou d'autres conditions de transaction;
|
b)
|
|
limiter ou contrôler la production, les
débouchés, le développement technique ou les
investissements;
|
c)
|
|
répartir les marchés ou les sources
d'approvisionnement;
|
d)
|
|
appliquer, à l'égard de partenaires commerciaux,
des conditions inégales à des prestations équivalentes en
leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence;
|
e)
|
|
subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par
les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou
selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces
contrats.
|
2. Les accords ou décisions interdits en vertu
du présent article sont nuls de plein droit.
3. Toutefois, les dispositions du paragraphe 1
peuvent être déclarées inapplicables:
-
|
|
à tout accord ou catégorie d'accords entre
entreprises,
|
-
|
|
à toute décision ou catégorie de
décisions d'associations d'entreprises,
et
|
-
|
|
à toute pratique concertée ou catégorie de
pratiques concertées
|
Qui contribuent à améliorer la production ou la
distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou
économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie
équitable du profit qui en résulte, et sans:
a)
|
|
imposer aux entreprises intéressées des
restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs;
|
b)
|
|
donner à des entreprises la possibilité, pour une
partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la
concurrence.
|
Ce texte constitue à l'évidence, un ensemble
fort complexe dont la mise en oeuvre s'est révélée
délicate. Ainsi que la cour de la justice l'a
constaté, « la rédaction de l'article 81 du
Traité est caractérisé par la formulation d'une
règle d'interdiction, et ses effets (A),
tempérée par l'exercice d'un pouvoir de
dérogation à cette règle
(B) » (28).
A- Entraves concertées à la
concurrence :
La concurrence, à laquelle se référent
aussi bien l'article 3, point g, que l'article 81 du Traité CE implique
que toute entreprises détermine et exécute sa propre
stratégie de manière autonome. Il en résulte que toute
concertation entre entreprises risque d'apparaître comme une anomalie,
alors même que les concurrents ne peuvent jamais totalement s'ignorer.
Ces exigences ont été clairement formulées par la cour de
justice par un motif qui dépasse les limites de l'espèce,
« S'il est loisible à tout producteur de modifier librement
ses prix et de le tenir compte à cet effet du comportement actuel ou
prévisible de ses concurrents, il est, en revanche, contraire aux
règles de concurrence du Traité qu'un producteur coopère
avec ses concurrent, de quelque manière que ce soit, pour
déterminer une ligne d'action coordonnée relative à une
hausse de prix, et pour en assurer la réussite par l'élimination
préalable de toute incertitude quant au comportement réciproque
relatif aux éléments essentiels de cette action, tels que taux,
objet, date et lieu des hausses » (29). Il
convient donc de déterminer, d'abord, quelles entraves à
la concurrence sont interdites par l'article 81, paragraphe1 (1),
puis les évaluées (2).
(28)-CJCE, 9 juill.1969,
Portelange, Rec. CJCE, p.309
(29)-CJCE, 14 juill.1972,
Matières colorantes, Rec. CJCE, p.851
1- Détermination de
l'entrave :
Dans la mesure où les agissements
anticoncurrentiels font encourir des sanctions à leurs auteurs, ceux-ci
ne cherchent pas délibérément à les mettre en
valeur. Aussi convient-il d'abord d'identifier les éventuelles
restrictions contractuelles de concurrence (a), puis de
déterminer leur localisation exacte (b).
a- Identification de
l'entrave :
L'article 81, paragraphe1, du
Traité vise uniquement les accords, décisions d'association
d'entreprises ou pratiques concertées qui « ont pour objet ou
pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser la
concurrence ». En vue de unifier les interprétations dues
à la diversité des versions linguistiques du Traité, la
cour de justice adopte une interprétation unique depuis son arrêt
du 17 juillet 1997, Ferrière Nord (30). Cette
condition, énoncée par l'article précité, est de
caractère alternatif. Il importe donc de considérer
successivement les notions d'objet puis d'effet restrictif
(á), puis de présenter les différents types
d'entraves visées par ce texte (â).
á - objet
et effet anticoncurrentiel :
L'objet d'un accord, au sens de l'article 81 du
Traité, se détermine à partir des termes adoptés
par les cocontractants et leur éventuelle interprétation ainsi
que les conséquences vraisemblables de leur application. L'objet
résulte souvent de la combinaison de plusieurs clauses d'un même
contrat. Ainsi, « par sa nature même, une clause
d'interdiction d'exportation constitue une restriction de concurrence qu'elle
soit adoptée à l'initiative du fournisseur ou du client,
l'objectif sur lequel sont tombés d'accord les contractants est d'isoler
une partie du marché » (31).
(30)-CJCE, 17 juill.1995,
Ferrière Nord, Rec. CJCE, p.4411
(31)-TPICE, 14 juill1994, Parker,
II, p. 549
Concernant la fixation directe des prix ou des condition de
vente, il s'agit de toutes les restrictions apportées à
l'autonomie dont dispose l'entreprise pour fixer elle-même ses prix et
ses conditions de vente. Tel est le cas d'un système de réunions
périodiques et la collusion permanente des producteurs qui tend à
réguler les tonnages vendus et à faire monter les prix
(32). S'agissant de l'effet restrictif du comportement
délictueux devra, cependant être évalué lorsqu'il
s'agira d'apprécier la gravité de l'infraction en vue de fixer
éventuellement le montant de la sanction encourue (33).
En revanche, le fait que la clause ou l'accord restrictif par son
objet n'ait pas été appliqué, ou ne l'ait pas
été que partiellement, ne fait pas disparaître l'infraction
de l'article 81 TCE (34), l'effet restrictif de concurrence
d'une clause ou d'un accord se produit dans un contexte économique et
juridique donné. La restriction peut résulter d'une simple clause
ou de la conjonction de diverses clauses. L'échange des informations
entre entreprises sur un marché dont l'offre présent un
caractère atomisé ne constitue pas en principe une entrave
interdite par l'article 81, alors que la même pratique commise dans un
marché oligopolistique est vraisemblablement délictueuse
(35).
â -
Différents types d'ententes :
La distinction classique est
établie entre les accords verticaux et les accords horizontaux. Son
utilité est certaine car leurs effets sont bien différents, si
les premiers sont souvent tenus pour plus dangereux que les seconds, tous sont
susceptible de tomber dans le champ d'application de l'article 81, paragraphe1.
De plus, les accords verticaux peuvent provoquer à la fois des entraves
verticales et des entraves horizontales. Tel est le cas du système de
distribution, établi par un producteur de balles de tennis qui instaure
une protection territoriale absolue (36).
(32)-Comm. 27 juill.1994, JOCE,
n° L239/4
(33)-CJCE, 39 janv. 1985, BNIC,
Rec. CJCE, p.391
(34)-Comm. 30 Oct.1996, Compagnies
de Ferries, JOCE, n° L26/24
(35)-TPICE, 27 Oct. 1994, Fiatagri,
att. n° 132
(36)-Comm. 21 Déc. 1994,
Tretorn, JOCE, n° 378/45
L'examen d'une coalition au titre de l'article 81,
paragraphe1, exige que les diverses entraves à la concurrence soient
rigoureusement distinguées les unes des autres, l'entente produit une
restriction horizontale lorsqu'elle limite l'initiative économique entre
ses membres qui sont situés au même stade du processus
économique (37), tandis que l'entente verticale
réduit des coalisé qui exercent leur activités à
différents échelons du marché (38).
S'agissant les entraves internes et les entraves externes, la
coopération produit une entrave interne qui se manifeste par une
réduction de la compétition entre les ententes qui y participent
, l'entente peut laisser subsister une concurrence potentielle entre ses
membres qui ne peut être impunément restreinte
(39).
b- Localisation de
l'entrave :
Par une communication du 9
décembre 1997, la commission vient de présenter la
synthèse de la jurisprudence et la pratique administrative relative
à la définition du marché en cause
Il s'agit « d'identifier et de définir le
périmètre à l'intérieur duquel s'exerce la
concurrence entre entreprises » (40).le
marché de référence résulte d'une segmentation de
caractère économique, géographique et parfois
juridique.
á -
Délimitation économique du marché en
cause :
Selon la communication, précitée, du 9
décembre 1997 le marché « comprend tous les produits et
services que le consommateur considère comme interchangeable ou
substituable en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de
l'usage auquel ils sont destinés », la délimitation
économique du marché s'effectue essentiellement en fonction de la
substituabilité de la demande. Il s'agit de déterminer
l'éventail des produits ou services considérés comme
substituable par le consommateur.
(37)-Comm. 27 juill. 1994 :
JOCE, n° L 239/23
(38)-Comm. 24juill. 1992, Givenchy,
JOCE, n° L 236/11
(39)-Comm. 13 juill. 1983,
Rochwell-Iveco, n° 13, JOCE, n° L 224
(40)-JOCE, 9 Déc. 1997,
n° C- 372/5
Le degré de l'interchangeabilité ne
présente qu'un caractère relatif : il peut en effet
s'accroître ou diminuer au point de disparaître lorsque le prix des
produits ou des services se modifie (41), La
substituabilité de l'offre peut aussi constituer un critère de
délimitation du marché de
référence, « lorsque les fournisseurs
réorienter leur production vers les produits en cause et les
commercialiser à court terme sans encourir aucun coût ni risque
supplémentaire » (42).
Pour les produits et services qui rentrent dans le champ
d'application du Traité CE, les éventuelles exceptions au
principe de la concurrence non faussée doivent être
formulées explicitement. La cour de justice a ainsi
précisé que « lorsque le Traité a entendu
soustraire certaines activités à l'application des règles,
de concurrence, il a prévu une dérogation expresse à cet
effet » (43).
â -
Délimitation géographique du marché en
cause :
Cet marché, d'après la communication du 9
décembre 1997, « comprend le territoire sur lequel les
entreprises concernées sont engagées dans l'offre de biens ou de
services en cause, sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment
homogènes et qui peut être distingué des zones
géographiques voisines parce que, en particulier, les conditions de
concurrence y diffèrent de manière appréciable »
L'intérêt de la segmentation géographique
porte essentiellement sur la répartition des parts de marché
détenues par les membres de l'entente et par leurs concurrents ainsi que
le niveau des prix.Le marché géographique de
référence peut se limiter à un ou plusieurs marchés
nationaux lorsque leur originalité respective exige de les
considérer de façon distincte (44), le
marché de référence peut également correspondre
à l'ensemble du territoire communautaire. Exceptionnellement, la
commission élude la délimitation précise du marché
géographique (45).
(41)-CJCE, 21 juill. 1981,
Hasselblad, Rec.CJCE, p. 883
(42)-Communi. 9 Déc. 1997.
précitée
(43)-CJCE, 27 Janv. 1987,
Assuranco.Incendio, Rec. CJCE, p. 405
(44)-Comm. 5 juin 1996,
Fenex : JOCE, 20 juill. 1996, n° L 181/28
(45)-Comm. 18 déc. 1996,
Iridium : JOCE, 18 janv. 1997, n° L 16/87
è - Délimitation
juridique :
La législation nationale de chaque
Etat membre peut constituer une contrainte plus ou moins importante sur
certains marchés (46), sachant que la
réglementation communautaire et son évolution actuelle et
prévisible contribue à délimiter certains marchés.
En revanche l'utilisation de certains contrats peut également modifier
les conditions de concurrence sur un marché donné.
2- Evaluation de l'entrave :
L'évaluation de l'entrave
apportée à la concurrence par la coopération litigieuse
s'effectue en fonction de certain nombre de critères
(a), qui doivent être examinés par
référence au marché en cause (b).
a- Critères
d'évaluation de l'entrave à la
concurrence :
La cour de justice a ainsi
présenté les critères à partir desquels
s'apprécie la nocivité d'une coopération entre
ententes « Pour apprécier (...) si un accord doit
être considéré comme interdit en raison des
altération du jeu de la concurrence qui en sont l'objet ou l'effet, il y
a lieu d'examiner le jeu de la concurrence dans le cadre réel où
il se produirait à défaut de l'accord litigieux. A cet effet, il
y a lieu de prendre en considération notamment la nature et la
quantité limitée ou non de produits faisant l'objet de l'accord,
la position et l'importance des parties sur le marché des produits
concernés, la caractère isolé de l'accord litigieux ou, au
contraire, la place de celui-ci dans un ensemble d'accord »
(47).
L'évaluation de la coopération s'effectue donc
par référence au marché en cause, dont les
caractéristiques serviront de critères objectifs
d'appréciation.
(46)-CJCE, 29 Oct. 1980, Fedetab,
JOCE, n° L209/78
(47)- CJCE, 11 Déc. 1981,
L'Oréal, Rec. CJCE, n° 19
b- Caractéristiques essentielles
sur marché de référence :
La forme du marché constitue le premier
élément auquel se réfère la commission. Il n'est
pas inutile, en effet, de déterminer si le marché se
présente sous la forme d'un oligopole plus ou moins étroit
(48), l'importance des investissements, le degré de
l'intégration verticale, la diversification des implantations
géographiques constituent d'autres indices.
Les parts du marché détenues par les membres de
l'entente et par leurs concurrents sur le marché de
référence seront également pris en considération.
En revanche, le stade de l'évolution du marché constitue une
autre caractéristique essentielle. Il est en effet important de
déterminer s'il s'agit d'un marché nouveau dont l'entrée
exige des investissements importants qui peuvent se justifier par des
perspectives substantielles de développement ou sur un marché
déjà constitué en cours d'expansion
(49).
II- L'exception au principe d'interdiction de
l'entente :
Après avoir déclaré nulle de plein
droit, par le paragraphe2, la concertation entre ententes visées par le
paragraphe1, l'article 81 ajoute dans son paragraphe 3 que :
Toutefois, les dispositions du paragraphe 1
peuvent être déclarées inapplicables:
-
|
|
à tout accord ou catégorie d'accords entre
entreprises,
|
-
|
|
à toute décision ou catégorie de
décisions d'associations d'entreprises,
et
|
-
|
|
à toute pratique concertée ou catégorie de
pratiques concertées
|
Qui contribuent à améliorer la production ou la
distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou
économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie
équitable du profit qui en résulte, et sans:
(48)-Comm. 18 Mai 1994, Exon c/
Shell : JOCE, n°51
(49)-Comm. 13 juill.1994,
Carton : JOCE, n°31
a)
|
|
imposer aux entreprises intéressées des
restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs;
|
b)
|
|
donner à des entreprises la possibilité, pour une
partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la
concurrence.
|
Pour que l'exemption individuelle d'une entente puisse
être prononcée par la commission, deux conditions relatives
à son efficacité doivent être réunies. La commission
rappelle, en effet, qu'on ne saurait « parler d'une contribution
au progrès économique au sens de l'article 81, paragraphe3, du
Traité que dans le cas où exceptionnellement, la concurrence ne
permet pas d'aboutir au résultat économique le plus
favorable » (50), la coopération entre
ententes doit produire un avantage suffisant (A), qui sera
équitablement réparti (B).
A- Avantage suffisant :
L'entente ne peut être exemptée au titre de
l'article81, paragraphe3, du Traité que si elle présente une
utilité nette. Les inconvénients qu'elle provoque
inévitablement doivent, au moins, être compensés par les
avantages qu'elle doit procurer. Tant qu'un écart positif entre les
inconvénients provoquer par l'entente et son éventuelle
utilité économique n'a pas été établie,
l'examen des autres conditions énoncées par l'article 81,
paragraphe3, demeure inutile. Il convient donc d'établir, d'abord, que
l'amélioration apportée par les membres de l'entente est
inaccessible par le jeu de la concurrence tel qu'il se manifeste sur le
marché de référence. L'entente examinée doit
être susceptible de réaliser un tel avantage (1),
et de compenser les inconvénients qu'elle produit
(2)
1- Avantages accessibles par
l'entente :
En vertu de l'article 81, paragraphe3, pour que l'entente
soit exemptée, elle doit permettre d'obtenir des avantages substantiels
qui contribuent à un meilleur fonctionnement du marché
(a), ou à l'assainissement de celui-ci (b).
(50)-Comm. 15 Déc. 1975,
Bayer c/ Gist-Brocades: JOCE, n° L 30/13
a- Meilleur fonctionnement du
marché :
L'article 81, paragraphe3, exige de
façon explicite que la coopération entre ententes contribue
à l'amélioration de la production ou de la distribution des
produits, à la promotion du progrès technique ou
économique. Des effets, bénéfiques doivent être
obtenus, qu'il s'agisse de produits ou de services.
S'agissant le marché des produits,
l'entente peut d'abord aboutir à une amélioration de la
production par différents moyens, tels qu'une localisation plus
opportune de l'outil de production (51), ou une meilleur
utilisation des capacités de production (52), ou un
accroissement de la productivité par un allongement des
séries (53).
Sur le marché des services, la
coopération entre ententes peut également permettre
d'accéder à des avantages non négligeables. Le meilleur
fonctionnement du marché imputable à une entente est lié
aux caractéristiques propres de celui-ci. Dans le service
régulier des transports maritimes, le prix risque d'être une
donnée particulièrement volatile. En conséquence,
l'entente peut, sous certaines conditions, apporter une stabilité
économique justifiée, si la stabilité des prix permet
l'organisation de services « réguliers, fiables,
suffisants t efficaces » (54). Tel n'est pas le cas
lorsque la stabilité des prix constitue en réalité une
simple garantie protégeant tous les membres de l'entente, y compris les
moins efficaces, l'accord peut également porter sur le gel des
capacités excédentaires. Encore convient-il que cette entrave
soit indispensable pour améliorer la qualité des services offerts
aux changeurs et que la rationalisation recherchée conduise à une
diminution globale des coûts.
b- Assainissement du
marché :
La coopération entre ententes peut
également être utilisée en vue de l'assainissement d'un
marché en favorisant les restructurations et les diminutions de
capacité.
(51)-Comm. 23 Mars 1990, Mooshead
Whiterbread: JOCE, n° L376/1
(52)-Comm. 12 Févr. 1984,
Carlsberg: JOCE, n°L207/26
(53)-Comm. 5 Déc. 1983,
Vw-Man: JOCE, n° L376/11
(54)-Comm. 19 Oct. 1994, TAA: JOCE,
n°L376/2
Selon la commission, « Dans une
économie de marché, il revient en premier lieu aux entreprises
d'apprécier individuellement à quel moment leurs
surcapacités deviennent économiquement insupportables et de
prendre les mesures nécessaires à leur réduction.
Cependant à l'intérieur d'un secteur déterminé en
situation de crise, les circonstances économiques ne garantissent pas
nécessairement la réduction des capacités
excédentaires les moins rentables » (55).
2- Avantages imputés à
l'entente :
L'utilité effective de chaque
entente doit être fondée sur des données
prouvées (a), dont la portée exacte est
évaluée par la commission (b).
a- Preuve de l'avantage imputé à
l'entente :
Il incombe aux parties à
l'ententes de prouver l'existence d'avantages substantiels qui
sont « directement et strictement imputables à
l'entente » (56). Les avantages invoqués par
les coalisés pour justifier l'entente sont nécessairement
contrebalancés par des inconvénients qui ont été
déjà examinés au titre de l'article 81, paragraphe1, du
Traité CE. La preuve de ceux-ci est à la charge de la commission.
Ainsi dans la décision Van den Bergh, la commission a
admis que « s'il est incontestable que la méthode de
distribution actuellement utilisée par HB peut lui offrir certains
avantages en termes d'efficacité, à elle ainsi qu'à ses
détaillants, il faut souligner que les accords d'exclusivité
portent aussi atteinte à l'efficience des autres fournisseurs de
glace... » (57), la commission, quant à elle,
n'est pas tenue de proposer
D'autres solutions ou d'indiquer ce qu'elle
considérerait comme susceptible de justifier l'octroi d'une exemption
(58).
(56)-TPICE, 27 Févr. 1992,
Vichy, Rec. CJCE, II, p.415
(57)-Comm. 11 Mars 1998, Van Den
Bergh Foods: JOCE, n° 15
(58)-TPICE, 21 Févr. 1995,
SPO, aff. T-29/96
b- Evaluation de l'avantage
imputé à l'entente :
La commission exerce son pouvoir d'appréciation
sous le contrôle du tribunal de première instance et de la cour de
justice. Selon une jurisprudence constante de la cour, l'octroi ou le refus
d'une exemption individuelle au titre de l'article 81,
paragraphe3, « comporte nécessairement des
appréciations complexes en matière économique qui
incombent, à titre exclusif, à la commission
(59). Il s'agit, dans chaque espèce, de vérifier
si les inconvénients produits par l'entente sont contrebalancés
par les avantages qui lui sont imputables. L'ampleur de ces derniers sera
d'autant plus considérable qu'ils contribueront à réaliser
les objectifs déterminés par la commission, parmi lesquels figure
la mise en oeuvre de la politique de concurrence. Ainsi, à propos d'une
entente dans le secteur bancaire, la commission a admis que « la
coopération répondra (...) à l'objectif de la commission
de faire en sorte que les services offerts par le systèmes de paiement
transfrontaliers soient améliorés »
(60).
B- Avantage réparti :
L'article 81, paragraphe1, précise
que l'exemption individuelle ne peut être accordée par la
commission que si l'entente est effectivement utile, « tout en
réservant aux utilisateurs une part équitable du profit qui en
résulte ». La cour de justice a immédiatement
précisée, au sujet de l'efficacité de
l'entente, « que cette amélioration ne saurait être
identifiée a tous les avantages que les partenaires retirent de l'accord
quant à leur activité de production ou de
distribution » (61).
Il importe, en effet, de ne pas confondre «le souci
des intérêts spécifiques des partenaires avec les
améliorations objectives visées par le Traité ».
La commission a pour mission « d'apprécier aussi objectivement
que possible le projet qui lui est soumis, en faisant abstraction de toute
appréciation de l'opportunité de ce projet, par
référence à d'autres choix techniques possibles ou
économiquement variables » (62).
(59)-CJCE, 28 Févr. 1991,
Delimitis: Rec. CJCE, I, p.977
(60)-Comm. 24 juin 1996, BNP c/
Dresdner Bank, n°18: JOCE, n° L188/37
(61)-CJCE, 13 juill. 1966,
Grunding: Rec. CJCE, n°10
(62)-TPICE, 15 juill. 1994, Matra
Hachette SA : JOCE, n°15
III- L'appréciation de situation de
domination :
L'infraction contenue à l'article 82 du
Traité CE est révélatrice de la volonté de ses
rédacteurs de tenir compte des rigidités qui tiennent à
structure des marchés. Ce n'est en effet pas la seule la situation de
domination qui est interdit. La constatation de l'existence d'une position
dominante n'implique en soi aucun reproche à l'égard de
l'entreprise concernée. La domination est en elle-même licite, au
regard de l'article 82, même si elle ne laisse subsister qu'une
concurrence affaiblie ou résiduelle (63).
L'article 82 sanctionne uniquement l'exploitation
« abusive » de la position dominante, par rapport à
l'interdiction des ententes, celle qui vise les positions dominantes suppose
des appréciations plus « factuelle » et
plus « économique ». La notion de
« domination » sur un
« marché », se prêtent à
l'évidence à des discutions des lesquelles le raisonnement
purement juridique passe quelquefois au second plan.
S'agissant, les rapports entre les articles 81 et 82 du
Traité CE, on constate qu'il résulte de cette dualité, une
dualité d'infraction. Une pratique d'entreprises qui a
bénéficié d'une exemption individuelle ou
catégorielle peut fort bien être poursuivie et condamnée
sur le fondement de l'article 82 TCE. A l'inverse, et même si cet article
vise des comportements unilatéraux, il peut arriver qu'une entreprise
dominante induise aussi une entente restrictive, ou y participe.
En revanche, et contrairement à l'article 81 CE,
l'article 82CE ne prévoit aucune exemption individuelle ou
catégorielle. L'architecteur du texte est ici plus simple. Il est vrai
que la notion même d' « abus » est antinomique
à toute idée de contribution au progrès économique.
Cela étant, le principe d'appréciation in concreto, que l'on
trouve ici aussi, permet de considérer dans certains cas que ne sont pas
abusifs des comportements qui répondraient à certains objectifs
légitimes, alors qu'ils le sauraient dans un autre contexte
(64). Il convient donc dans un premier temps de
déterminer les critères de la position dominante
(A), puis on procédera à une analyse de
marché de référence (B).
(63)-Christian Gavalda,
Gilbert Parleani, Droit des affaires de U.E, Litec, p.317
(64)- Christian Gavalda,
Gilbert Parleani, Droit des affaires de U.E, Litec, p.318
A- Critères de la position
dominante :
L'indépendance de comportement,
caractéristique fondamentale de la position dominante ;
procède d'une situation de force de l'entreprise, cette situation
dérivant elle-même de la conjonction ou de la réunion de
différents facteurs qui chacun pris isolément, ne sauraient pas
nécessairement déterminants. C'est de leur combinaison que l'on
peut inférer la position dominante de l'entreprise sur un certain
marché. La position dominante suppose que l'entreprise concernée
se trouve dans une situation de puissance économique, ce qui revient
à dire qu'elle bénéficie d'un pouvoir de marché tel
qu'il lui permet de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur
le marché en cause et de rester indifférent aux réactions
des autres agents économiques.
En revanche, dans des situations dépourvues
d'ambiguïté, la part de marché détenu par
l'entreprise peut constituer un facteur prépondérant, très
souvent retenu, seul, par les autorités de contrôle. Selon la cour
de justice, « l'existence de parts de marché d'une grande
ampleur est hautement significative » (aff. Hoffmann-La Roche
préc.). Ainsi des parts très importantes, aboutissant à
une situation de monopole sur un marché, constituent par
elles-mêmes, en principe, la preuve de l'existence d'une position
dominante.
Les autorités communautaires se satisferont alors de
cette seule constatation pour conclure à l'existence d'une position
dominante.
B- Délimitation du marché de
référence :
La notion de marché n'est pas différente selon
qu'on applique l'article 81 ou l'article 82 du TCE. La communication de la
commission du 9 décembre 1997 sur la définition du marché
e cause aux fins du droit communautaire de la concurrence expose de
manière « transparente » la méthode
suivie par la commission.
La délimitation du marché est bien entendu une
question de fait. La charge de la preuve de l'existence et des limites du
marché incombe à la commission lorsqu'elle effectue l'instruction
d'un dossier.
Le critère principal est celui de la
substituabilité de la demande. Il s'agit de chercher s'il y a des
solutions de rechange raisonnable et perceptible par les utilisateurs, en
général, une variation légère et durable des prix,
afin de rechercher l'éventuel glissement de la demande. La
substituabilité n'est donc pas la possibilité théorique
pour les consommateurs ou utilisateurs finals de choisir un autre produit qui
assurerait en définitive leur satisfaction objective. La
substituabilité n'est pas non plus la possibilité non
perçue de contourner l'entreprise dominante, et son produit. La
substituabilité doit s'apprécier d'abord en considérant
les caractéristiques objectives d'un produit ou d'un service, et en
considérant ensuite les « besoins constants »
exprimés par les utilisateurs : le produit, ou le service, peut-il
se distinguer des autres et permettre la satisfaction de ces besoins constants
pour lesquels il serait particulièrement apte, ou perçu comme
tel ? Cela le rendrait alors peu substituable aux autres, ou peu
interchangeable, et il constituerait un marché.
La substituabilité de l'offre n'est retenue pour
délimiter le marché pertinent que dans la mesure où les
offres concurrentes pourront satisfaire rapidement la demande observée,
ou les besoins constants des consommateurs ou des utilisateurs. La
substituabilité de l'offre suppose donc ici une situation de concurrence
suffisamment directe et effective entre les produits du dominant, et ceux qui
sont substituable. La substituabilité de l'offre demeure
envisagée par rapport au comportement prévisible de la
clientèle considérée.
IV- Les relations entre les articles 81CE et
82CE :
Après l'exposé de leurs
différences et similitude (A), les rapports entre les
article 81CE et 82CE pose deux question : l'une concerne le choix entre
leur application alternative ou simultanée (B), et
l'autre porte sur l'applicabilité de l'article 81CE §3 aux
ententes qui tombent sous la coup de l'article 82 CE (C).
A- Différence et
similitudes :
Avec ces deux dispositions, le traité
édicte des interdictions distinctes. Certes, l'une et l'autre ont, sur
un plan très général, une même
finalité : le maintien d'une concurrence praticable ou effective
dans le marché commun. Mais il reste que pour assumer leur mission
commune, ils poursuivent des objectifs différents, adaptés aux
diverses formes du comportement des entreprises en matière de
concurrence.
1- Similitudes :
Les points communs aux deux dispositions sont
évidents. L'une et l'autre sont également soumises à la
condition d'affectation du commerce entre les Etats membres, et elles ont pour
vocation d'assurer le principe de concurrence non faussée soit
respecté à l'intérieur de l'Union Européenne. A ce
titre, qu'il s'agisse d'une entente ou d'une position dominante, l'objectif
commun est protéger la concurrence et les intérêts des
utilisateurs et des consommateurs, en empêchant des distorsions sur le
marché, aucune des deux articles n'a pour mission de protection des
concurrents indépendamment de leurs atteintes à la concurrence,
qu'elles soient actuelles ou potentielles, et tous deux peuvent être
utilisés pour sanctionner une restriction de concurrence en l'absence de
préjudice personnel.
En outre, leur similitude découle
inévitablement de celle qui existe dans les pratiques qu'elles ont pour
but de sanctionner. Entre une entente et une position dominante, la
ressemblance est notamment soulignée par l'analogie entre les exemples
de l'article 81CE et ceux de l'article82CE.
La comparaison de ces exemples révèle
certes que la répartition des marchés ou des sources
d'approvisionnement, mentionnée à l'article 81CE §1 sous c),
est absente de la liste de l'article 82CE. Mais d'une part aucun des deux
énoncés n'est exhaustif, et d'autre part, si dans le cadre d'une
position dominante simple il n'y pas, par définition, d'accord de ce
type, les objectifs qu'ils poursuivent seraient vraisemblablement constitutifs
d'un bus et sanctionnés à ce titre, dés lors qu'ils
seraient atteints à travers le comportement d'une
Entreprise en position dominante collective, ou dans la cadre
d'un groupe d'entreprises.
Néanmoins, bien qu'elle soit peu probable, il reste
difficile d'exclure totalement sur ce point la possibilité d'une lacune
du contrôle prévu par le traité, on a constaté en
effet le risque qui pourrait découler du fait que les juridictions
communautaires soustraient les relations à l'intérieur d'un
groupe constitué en unité économique à la
portée de l'article 81CE §1.
2-
Différences :
Cela étant, les différences sont bien
réelles.
En premier lieu, l'article 81CE vise des accords entre
entreprises, tandis que l'article82CE permet de poursuive des restrictions de
concurrence imputables à des comportements unilatéraux, avec
quelques nuances, toutefois, pour les abus de position dominante collective,
puisqu'ils supposent, en quelque sorte, un comportement collectivement
unilatéral.
En second lieu, l'article 81CE dénonce et sanctionne
un abus, qui en tant que tel ne bénéficié pas de la
possibilité d'exemption que le premier accorde aux ententes a priori
anticoncurrentielles.
En troisième lieu, la mise en oeuvre de l'article
81CE §1 implique que l'effet anticoncurrentiel d'une entente sur le
marché de référence
soit « sensible », tandis que l'article 82CE suppose
que l'entreprise suspecte y exerce une domination. La condition de
sensibilité visée à l'article 81CE n'est donc pas
transposable, du moins sous la même interprétation, dans le
contexte de l'article 82CE. La cour et la commission ont estimé que la
possession d'une position dominante est en elle-même susceptible
d'affaiblir la concurrence sur le marché concerné, et que le
comportement suspect est abusif dés lors qu'il entrave d'avantage,
fut-ce dans une faible mesure, le fonctionnement normal du marché.
En outre, l'examen de la notion d'abus de position
dominante a montré que la pratique décisionnelle et la
jurisprudence communautaires font preuve d'une rigueur plus grande dans
l'appréciation du caractère illicite des comportements litigieux,
selon qu'ils sont ou non imputables à des opérateurs
économiques en situation de position dominante.
Enfin, dernière différence entre les deux
dispositions, si la nullité de la pratique anticoncurrentielle est
prévue à l'article 81CE §1 dés lors qu'elle est
incompatible avec l'exigences de ce texte, l'article82CE laisse les Etats
membres libres d'en décider. Cependant le nullité des contrats au
moyen desquels l'abus a été commis au demeurant absolue et
invocable par tout intéressé, doit pouvoir être
prononcée par les juridictions nationales à partir de la simple
constatation de la violation de l'article 82CE, sans qu'il soit
nécessaire de prouver la faute, sans quoi la définition objective
de l'abus serait privée d'effet (65).
B- Application alternative ou
cumulative :
Compte tenu des similitude et des différence qui
existent entre l'article 81CE §1 et l'article82CE, la question s'est
posée des modalités de leur application lorsque dans un
même contexte sont réunies leurs conditions respectives :
s'agit-il alors d'une application nécessairement alternative
(1), ou peut-elle être également
cumulative ? (2).
1- Application alternative :
La complémentarité des articles 81CE
§1 et 82CE est apparue clairement lors de l'étude sur l'application
de la réalité de l'entente dans les relations entre
société mère et une filiale ordinaire. Dans le contexte
d'un groupe d'entreprises, en effet, la cour est parfois amenée à
constater que la mise en oeuvre, par la société mère,
d'une pratique de répartition de différents marchés
nationaux entre ses filiales est inattaquable au regard de l'article 81CE
§1 « lu en combinaison avec les articles 2CE et 3CE sous c)
et g) » ; quand bien même cette répartition
influencerait la position concurrentielle des tiers à l'extérieur
du groupe, mais dés lors que les fait de l'espèce s'y
prêtent, elle juge qu'en revanche ce comportement peut relever de la
réglementation des positions dominantes (66).
En dehors de cette hypothèse, la cour a
exposé avec autant de clarté, dans son arrêt continental
Can, la nécessité d'interpréter l'article 82CE à la
lumière du « système traité » et de le
subordonner aux finalités de celui-ci.
(65)-Richard
Blasselle, Traité de Droit Européen de concurrence, I,
p.285
(66)-CJCE, 24 Oct. 1996, Viho c/
Commi. C-73/93, p.5457
Toutefois pareille méthode n'implique nullement que la
portée d'une disposition donnée du Traité soit
étroitement interprétée en fonction de celle d'une autre
disposition. L'interprétation de deux textes ne peut être
complémentaire qu'au regard d'une référence commune,
notamment, l'article 3CE sous g), comme l'a d'ailleurs précisé la
cour dans l'arrêt Continental Can. Il est évident que la
complémentarité des articles 81CE et 82CE, pour ce qui concerne
leur interprétation ; n'exclut pas l'autonomie de leurs
modalités respectives.
Et comme, il n'existe entre eux aucune hiérarchie,
les autorités de concurrence ont de ce fait la possibilité de
choisir l'une ou l'autre technique dés lors que sont réunies
leurs conditions spécifiques. Aussi, après avoir rappelé
que l'article 81CE et l'article 82CE tendent au même but- le maintien
d'une concurrence effective dans le marché commun-, la cour a-t-elle
déduit que l'interdiction posée par le second devait pouvoir
être utilisée pour sanctionner des pratiques qui auraient
été interdites si le premier avait été applicable.
De même, dans l'arrêt Hoffmann- La Roche,
précité ; elle devait affirmer que lorsqu'un accord conclu
par une entreprise dominante est susceptible de relever de l'article 81CE,
fut-ce de son paragraphe 3, l'application de l'article 82CE n'en est pas pour
autant exclue, « de sorte qu'il est dans ce cas loisible
à la commission (...) de poursuivre la procédure sur la base de
l'article 81CE ou sur celle de l'article 82CE » (point16).
Mais il reste que les deux textes doivent être
considérés comme « des dispositions autonomes et
complémentaires destinées en principe à régir des
situations distinctes sous des régimes différents ».
C'est ce qu'a affirmé le tribunal de première instance dans son
jugement Tetra Pack I (67). Il a notamment
précisé que, conformément à la jurisprudence de la
cour, l'appréciation de l'article 82CE n'est pas subordonnée au
retrait de l'exemption.
Or c'est justement ce qu'avait prétendu, en
l'espèce, le groupe Tetra Pack. A la suite de sa reprise d'une
entreprise qui était titulaire d'une licence exclusive de brevet, et qui
bénéficiait d'une exemption de catégorie au titre du
règlement n° 2349/84- relatif aux accords de licence de transferts
de technologie-, la commission lui avait imputé un abus de position
dominante.
(67)-TPICE, 10 juill. 1990, Tetra
Pack I, T-51/89, II, 309, points 64, 65
Il avait alors argué, invoquant l'identité
d'objectifs soulignée par la cour dans l'arrêt Continental Can, de
ce qu'un comportement autorisé sur le fondement de l'article 81CE ne
pouvait être considéré comme illicite au regard de
l'article82CE. Le Tribunal repoussa l'argument, faisant valoir que l'article
81CE ne prévoit pas de « rachat » de
l'interdiction de l'article 81CE§1 par un bilan économique positif,
et exclut par la définition même de son objet toute
possibilité d'exonération. Selon ses propres
termes, « l'octroi d'une exemption, soit individuelle, soit par
catégorie, au titre de l'article 81CE §3, ne saurait en aucun cas
valoir également exonération de l'interdiction
énoncée à l'article 82CE.
La mise en oeuvre de ce mécanisme n'empêche
d'ailleurs pas pour autant la commission de refuser d'exempter une pratique
restrictive distincte de celle qui a bénéficié de
l'exemption, ce qui serait le cas lorsque d'une part elle résulte de
l'acquisition par un opérateur économique en situation de
domination d'une entreprise qui était partie à un accord
exempté. C'est en toute logique que le tribunal a précisé
dans son jugement Tetra Pack I le rôle que joue ainsi, au regard de
l'application de l'article 81CE §3,
tout « élément complémentaire constitutif
d'abus » (point24).
Autonomes et complémentaires, les articles 81CE et
82CE sont ainsi placés sur un pied d'égalité et nulle
prééminence n'est instaurée entre eux. Chacun d'eux peut
être appliqué lorsque les conditions en sont réunies, sans
que puisse s'imposer le recours à l'un ou à l'autre. Or la cour a
parfois semblé méconnaître cette logique, notamment dans
les arrêts Continental Can et Hoffmann- La Roche. Elle avait en effet
considéré que lorsque l'existence d'une position dominante est
établie, les pratiques restrictives de l'opérateur qui la
détient- distinctes de celles qui caractérisent l'abus- tombent
toutes sous le coup de l'article 82CE, alors même qu'elles pourraient
être le fait d'entreprises dépourvues de capacité de
domination. Cette solution est contestable à un double titre :
d'abord elle réintroduit une hiérarchie qu'elle exclut pourtant
entre les deux dispositions, ensuite, elle méconnaît la
nécessité d'un lien de causalité entre la position
dominante et son abus (68).
(68)- Richard
Blasselle, Traité de Droit Européen de concurrence, I,
p.287
2- Application cumulative :
L'application alternative des deux
dispositions est donc irréfutable. Mais il faut aller plus loin et en
admettre la mise en oeuvre cumulative.
En effet, la cour a notamment affirmé que puisque
l'article 81CE empêche d'accorder l'exemption à une entente
susceptible d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des
produits concernés, cette élimination serait, dans le contexte de
l'article 82CE, très vraisemblablement constitutive d'un abus de
position dominante. Il est a priori évident qu'une ou plusieurs
entreprises commettent un abus, au sens de l'article 82CE lorsqu'elles
utilisent leur position dominante pour supprimer sur le marché commun
une concurrence effective ou efficace.
Ainsi, lorsqu'une entreprise en position dominante
participe à un accord restrictif de concurrence en même temps
qu'elle abuse de sa position, son comportement peut être
apprécié simultanément par référence aux
deux articles. Leur application est autonome, amis elle peut être
concomitante. Comme l'a récemment rappelé la cour,
« l'applicabilité à un accord de l'article 81CE ne
préjuge pas l'applicabilité de l'article 82CE aux comportements
des parties à ce même accord dés lors que les conditions
d'application de chaque disposition sont remplies »
(69).
Encore faut-il établir, pour admettre
l'utilisation cumulative des deux dispositions, l'existence d'un abus de
position dominante. La cour notamment déclarée que cette
application cumulative ne saurait être
écartée « dans l'hypothèse où un
accord entre deux ou plusieurs entreprises ne représente que l'acte
formel qui consacre une réalité économique
caractérisée par le fait qu'une entreprise en position dominante
réussit à faire appliquer les tarifs en cause par d'autres
entreprises » (70).
Certes, dans l'affaire Verre plat en
Italie, le tribunal a étendu cette solution à des situation de
domination collective dans lesquelles deux ou plusieurs entités
économiques indépendantes « détiennent
ensemble une position dominante par rapport aux autres opérateurs sur le
même marché » (71).
(69)-CJCE, 6 Avril 1995, BPB
Industries ET British Gypsum, C-310/93, p. I 865
(70)-CJCE, 11 avril 1989, Ahmed
Saeed Flugreisen, aff. 66186, Rec.803, point 37
(71)-TPICE, 10 Mars1992, Verre
plat-Siv c/ Comm. T-68,77 et 78/89, II, p.1403
Mais il a pris soin de préciser dans le même
jugement qu'il ne suffisait pas de « recycler » les fait
constitutifs d'une infraction à l'article 81CE en déduisant de la
seule détention par les entreprises en cause d'une part de marché
importante, l'existence d'une position dominante collective, et encore moins
celle d'un abus. Bien que son exposé manque de clarté, le
Tribunal semble vouloir souligner que l'application de l'article 82CE
nécessite davantage que la preuve d'un comportement visé à
l'article 81CE §1, le comportement susceptible de déclencher
l'utilisation conjointe des deux dispositions doit pouvoir être
distingué d'avec la restriction de concurrence telle que définie
par ce dernier. Autrement dit, ce qui est exigé, c'est bien la mise en
oeuvre de moyens différents de ceux dont un opérateur
économique peut disposer dans le contexte d'une simple entente ; de
moyens que seule une position dominante lui permet d'employer.
Cela étant, lorsque le double recours est
utilisé, la commission a posé les principes de non-cumul des
amendes et de la sanction de l'infraction la plus grave
(72).
C- Applicabilité de l'article 81CE §3 et
de l'article
82CE :
1-Applicabilité de l'article 82CE à
une entente exemptée sur le fondement
De l'article 81CE §3 :
Cette hypothèse recouvre deux types de situations,
selon que le comportement de l'entreprise en cause se situe dans le cadre de
restrictions de concurrence généralement exemptées, ou il
ait lui-même fait l'objet d'une exemption individuelle. Mais la solution
est la même dans les deux hypothèse.
Il est en effet de jurisprudence constante que l'octroi
d'une exemption au titre de l'article 81CE §3 ne préjuge pas
l'application de l'article 82CE. Le fait que des opérateurs soumis
à une concurrence effective aient adopté une pratique
autorisée n'implique nullement que la manière de l'utiliser ne
puisse constituer l'abus d'une position dominante, que l'autorisation concerne
une catégorie d'accords ou qu'elle ait été consentie
à titre individuel.
(72)-Décis° du 7
Déc. 1988, Verre Plat en Italie : JOCE, n° L33, CJCE, 16
Mars2000
La cour a notamment jugé que lorsqu'une
conférence maritime détient une part de marché
extrêmement importante, elle se trouve dans une situation de force qui
fait d'elle un partenaire obligatoire pour ses partenaires commerciaux. Elle
peut donc en abuser en procédant à une baisse sélective
des prix afin de les aligner, d'une façon ciblée, sur ceux d'un
concurrent, et, de ce fait, elle tombe sous le coup de l'article 82CE
(73).
2-Applicabilité de l'article 81CE §3
à une entente relevant de l'article
82CE :
Puisque la constatation de l'existence
d'une entente n'exclut pas le recours à l'article 82CE, pour autant
qu'elle entraîne ou permet l'acquisition d'une position dominante, la
question se pose quant à la possibilité d'exempter la restriction
de concurrence qui résulte de l'utilisation de cette domination. Et la
proposition inverse précédemment signalée- selon laquelle
l'article 82CE peut s'appliquer à une entente alors même qu'elle
est exemptée sur le fondement de l'article 81CE §3- ne permet pas
d'y répondre.
Considérant qu'une position dominante ne supprime
pas nécessairement toute concurrence sur le marché dominé,
la cour a jugé dans son arrêt Continental Can, qu'il fallait, pour
apprécier un abus de position dominante, envisager à la
fois l'esprit, l'économie et les termes de l'article 82CE, compte tenu
du système du Traité et des finalités qui lui sont
propres. Il y a abus dés lors que la position dominante est
renforcée au point que le degré de domination ainsi atteint
entraverait substantiellement la concurrence. Dans ces conditions, l'exemption
de l'article81CE §3 na saurait jouer.
On pourrait alors se demander si l'on doit en
déduire qu'en l'absence de telles conditions un accord conclu par une
entreprise en position dominante peut être exempté. La question
impliquerait l'existence de degré dans l'abus, dont dépendrait la
possibilité de son exemption. Or, entre la sensibilité de la
restriction de concurrence et l'abus, une relation indéniable, c'est en
ce sens que le comportement d'une entreprise en position dominante n'est
constitutif d'abus que s'il entraîne une restriction de concurrence
sensible, la condition de sensibilité et la gradation qu'elle implique
n'interviennent qu'au niveau de l'existence de l'abus, et non pas de son
exemption.
(73)-CJCE, 16 Mars 2000, Compagnie
maritime belge, préc.
Il est pourtant arrivé que la cour aille encore plus
loin, en considérant que pour refuser l'exemption la commission doit
établir qu'il résulte de l'exploitation d'une position dominante
l'élimination de la concurrence pour une partie substantielle des
produits concernés, ce qui laisse aussi entendre que tant que cette
élimination n'est pas constatée, l'exemption est possible. Or une
restriction de concurrence peut être sensible sans pour autant
entraîner cette élimination.
La solution est donc pour le moins bizarre. Car le recours
à l'article 82CE suppose en toute circonstance non seulement l'existence
d'une position dominante, mais aussi celle d'un abus de celle-ci. Or il est
difficile d'admettre que puisse être exempté un comportement
constitutif d'abus (74). Par conséquent, si l'on peut,
dans le contexte de l'exploitation d'une position dominante, exempter une
pratique restrictive de concurrence tant qu'elle n'a pas exclu tout concurrence
utile dans une partie substantielle du marché commun, c'est que la
définition de l'abus suppose nécessairement cette exclusion, ce
qui résulte ni de l'article 82CE, ni de la pratique décisionnelle
ou de la jurisprudence communautaire. La jurisprudence Continental Can doit
donc être interprétée en ce sens, que de deux chose
l'une : ou bien il n'en est rien, et la question de l'exemption ne se pose
pas. La jurisprudence actuelle est d'ailleurs entièrement conforme
à cette évidence.
(74)- Richard
Blasselle, Traité de Droit Européen de concurrence, I,
p.289
CONCLUSION
En vertu des articles 81 et 82 du TCE, le
traité édicte des interdictions distinctes. Certes, l'une et
l'autre ont une même finalité. Mais il reste que pour assurer leur
mission commune, ils poursuivent des objectifs différents,
adaptés aux diverses formes du comportement des entreprises en
matière de concurrence.
D'une part, les points communs aux deux dispositions sont
évidents. L'une et l'autre sont soumises à la condition
d'affectation du commerce entre Etats membres, et elles ont pour vocation
d'assurer que le principe de concurrence non faussée soit
respecté à l'intérieur de l'union européenne,
l'objectif commun est de protéger la concurrence et les
intérêts des utilisateurs et des consommateurs, en empêchant
des distorsion sur les marchés.
D'autre part, les différences sont bien réelles,
l'article 81CE vise des accords entre entreprises, tandis que l'article 82CE
permet de poursuivre des restrictions de concurrence imputables à des
comportements unilatéraux, aussi l'article 82CE dénonce et
sanctionne un abus, qui en tant que tel ne bénéficié pas
de la possibilité d'exemption que le premier accorde aux ententes a
priori anticoncurrentielles.
S'agissant le degré de sensibilité, la mise en
oeuvre de l'article 81CE §1 implique que l'effet anticoncurrentiel d'une
entente sur le marché de référence soit sensible, tandis
que l'article 82CE suppose que l'entreprise suspecte y exerce une
domination.
En somme, la finalité d'interdire les pratiques
anticoncurrentielles réside dans la création et le maintien des
conditions optimales de liberté d'accès aux marchés en
cause et notamment dans la veille des autorités de concurrence visant
à prévenir la constitution de barrières artificielles
privées à l'entrée sur ces marchés.
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages généraux :
· BOULOUIS et CHEVALIER, les grands
arrêts de la cour justice des communautés européenne,
Dalloz, t.1, 5éd, 1991 et t.2, 4e éd.1997.
· RICHARD BLASSELLE, Traité de
droit européen de la concurrence, Tome I, Publisud, 2002.
· CHRISTIAN GAVALDA, GILBERT
PARLEANI, droit des affaires de l'union européenne,
2e éd, Litec, 1998.
· FRANCOIS SOUTY, le droit de la
concurrence de l'union européenne, 2e éd,
Montchrestien, 1999.
· Droit commercial européen,
5e éd, Dalloz, 1994.
· SYLVAINE POILLOT-PERUZZETTO, MONIQUE
LUBY, le droit communautaire appliqué à
l'entreprise, Dalloz, 1998.
· LAURENCE IDIO, droit communautaire de
la concurrence, Bruylant, 2004.
Publications régulières des
communautés européennes :
· Le journal officiel des communautés
européennes.
· Rapport général sur la politique de
concurrence.
· Recueil des arrêts de cour de justice et
Tribunal de première instance.
Textes et Traités :
· Texte 81 du Traité des communautés
européenne.
· Texte 82 du Traité des communautés
européenne.
· Traité sur l'Union Européenne,
Economica, 1995.
· http// :europa.eu/index_fr.htm
Revue :
· Revue trimestrielle de droit européen.
SOMMAIRE
Titre :
Pages :
Introduction .........................................................................2
Première Partie : Champ
d'application d'entente et d'abus de position
Dominante :.............................................3
I- Le sujet d'entente et d'abus
de position dominante :............................6
A- Notion
d'entreprise :.............................................................6
1- Absence d'une
définition
légale :..........................................6
2- Critères
de
l'entreprise :....................................................7
a- Une
activité de
l'entreprise :............................................7
b- Autonomie de
comportement sur le
marché :.......................10
B- Les agents
commerciaux :....................................................11
II- La difficulté
d'élaborer une définition d'entente et d'abus
De
domination :................................................................12
A- Définition de l'entente
anticoncurrentielle :.............................12
1-
Accords.........................................................................13
2- Décision
d'association
d'entreprise.......................................13
3- Pratiques
concertées :.......................................................14
B- La notion de position
dominante :...........................................16
1- Comportement
indépendant sur le
marché :.............................17
2- Soustraction
à la
concurrence :...........................................19
Deuxième Partie : Les
frontières entre l'entente et l'abus de position
Dominante par rapport
leurs effets anticoncurrentiels.......20
I- Le principe relatif
d'interdiction des
ententes :..................................21
A- Entraves
concertées à la
concurrence :.......................................22
1-
Détermination de
l'entrave :................................................23
a- Identification
de
l'entrave :..............................................23
b- Localisation de
l'entrave :................................................25
2- Evaluation de
l'entrave :....................................................27
a- Critères
d'évaluation de l'entrave à la
concurrence :...............27
b-
Caractéristiques essentielles sur le marché
référence :..............28
II- L'exception au principe
d'interdiction de l'entente :........................28
A- Avantage
suffisant :.............................................................29
1- Avantages accessibles
par l'entente :.......................................29
a- Meilleur
fonctionnement du
marché :...................................30
b- Assainissement du
marché :...............................................30
2- Avantages
imputés à
l'entente :..............................................31
a- Preuve de
l'avantage imputé à
l'entente :...............................31
b- Evaluation de
l'avantage :.................................................32
B- Avantage
réparti :................................................................32
III- L'appréciation de
situation de
domination :....................................33
A- Critère de la
position
dominante :.............................................34
B- Délimitation du
marché de
référence :.......................................34
IV- Les relations entre les articles 81CE et
82CE :...............................................35
A- Différences et
similitudes :.............................................................36
1-
Similitudes :...........................................................................36
2-
Différences :...........................................................................37
B- Application alternative ou
cumulative :...............................................38
1- Application
alternative :.............................................................38
2- Application
cumulative :............................................................41
C- Applicabilité de l'article 81CE §3 et
L'article 82CE :..............................42
1- Applicabilité de l'article 82CE à
l'entente exemptée sur le fondement
De l'article 81CE §
3 :..............................................................42
2- Applicabilité de l'article 81CE §3
à L'entente relevant de l'article
82CE :..................................................................................43
Conclusion :................................................................................................45
Bibliographie :.....................................................................................46
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