« Les problèmes politiques sont les
problèmes de tout le monde ; les problèmes de tout le monde
sont des problèmes politiques "
(Hannah Arendt).
DEDICACE
A vous tous qui luttez, directement ou indirectement, en
public ou en privé, pour l'avènement d'un vivre ensemble heureux
en Afrique ;
A toutes les personnes qui ont tracé la route heureuse
du service toujours plus grand et à celles qui nous suivront sur cette
même route,
Nous dédions ce travail.
0. INTRODUCTION GENERALE
Nous allons introduire succinctement ce travail. Pour ce
faire, nous commencerons par présenter la biographie de Hannah Arendt
mais il nous faudra nous étendre un peu plus largement à cause de
l'influence décisive de la vie de l'auteur sur sa pensée ;
après quoi nous tâcherons d'expliquer le pourquoi de la
réflexion que nous nous proposons de faire dans ce travail. Nous
terminerons cette introduction en énonçant brièvement ce
que nous avons appelé « principe directeur du
travail ».
0.1. Une esquisse biographique de Hannah Arendt
La pensée arendtienne est tributaire de son histoire
singulière d'une part, et de l'histoire générale du peuple
juif d'autre part. Arendt ne dira-t-elle pas elle-même que « la
pensée naît d'événements de l'expérience
vécue et doit leur demeurer liée comme aux seuls guides propres
à l'orienter »_. Hannah Arendt est née des parents modestes.
Arendt est née à Hanovre née le 14 octobre 1906, enfant
unique de Paul et Martha Arendt, elle est allemande d'origine juive et ne
devint citoyenne américaine qu'en 1950. Elle mourra subitement d'une
crise cardiaque, le 4 décembre 1975 à New York. Bien qu'une
grande page s'ouvrait ainsi dans l'histoire de la théorie politique, on
peut dire que la date de sa mort marquait la fin d'une histoire
singulière, parce qu'Arendt mourra veuve et sans enfant.
Sa vie est pleine d'aventures effarantes liées surtout
à son appartenance au peuple juif, qu'elle qualifia de
« damné de la terre ». Dès l'âge de 7
ans, en 1913, son père, atteint de syphilis, meurt fou. Hannah ,
orpheline de père, ne trouvera pas de si tôt l'atmosphère
requise pour surmonter ce premier choc, sa première épreuve. Au
lendemain de la disparition de Paul Arendt, c'est-à-dire l'année
suivante, Martha, sa mère et elle-même furent obligées de
s'enfuir devant l'invasion « cosaque » de la ville de
Königsberg. Tel fut le commencement d'une vie pénible
marquée par de multiples déplacements forcés, des fuites
en quête d'un refuge sûr là où on pourrait le
trouver. Mais les péripéties de l'existence ne seront pas un
obstacle pour l'émergence intellectuelle de cette âme bien
née. En 1928, à l'âge de 22 ans, Hannah Arendt publia sa
thèse de doctorat en philosophie sur «Le concept d'amour chez saint
Augustin » qu'elle rédigea sous la direction de Karl Jaspers
-pour qui elle gardera toujours un très grand respect, une grande estime
scientifique et un souvenir inoubliable- à l'université de
Heidelberg.
Malheureusement, peu après, la chasse aux Juifs que le
mouvement Nazi avait commencée et développait sans relâche
ne laissa pas sauve Hannah Arendt. Elle dut connaître encore la triste
réalité de l'exil : en France d'abord de 1933 à1940,
aux Etats-Unis ensuite, en 1941. Ce n'est qu'en 1951 que les Etats-Unis lui
octroyèrent la nationalité américaine ; entre temps,
c'est-à-dire de 1940 à 1951, Arendt vécut la condition
inconfortable avec la situation d'apatride sans aucune protection juridique.
Cette vie troublée par ces mésaventures
frappèrent aussi sa vie affective : en 1936, elle se
séparera de son époux Günther Stern pour se lier à un
communiste non juif de Berlin, Blücher Heinrich, qui deviendra son second
mari en 1940. Martha, sa mère mourut en 1948.
Force est de constater que ce souvenir douloureux de
l'antisémitisme, de l'exclusion de tout un peuple du droit à la
vie et à la liberté, marqueront fortement toute sa vie, et par le
fait même soutiendront toute la pensée politique de Hannah. Cette
pensée politique sera ainsi une analyse presque systématique de
ces situations difficiles qu'elle avait traversées en vue de redonner
sens, dans la mesure du possible, au politique.
Par ailleurs, ses recherches personnelles dans le domaine de
la théorie politique lui ont assuré une très grande
célébrité particulièrement dans les milieux
universitaires et dans le monde de la pensée en général.
En 1953, par exemple, Hannah Arendt est invitée pour des
conférences à l'université de Princeton, où elle
sera la première femme à occuper une chaire de professeur en
1959. Elle enseignera également à Berkeley en 1955, à
Chicago en 1956 et dans plusieurs autres universités américaines,
notamment dans celle de Californie, d'Aberdeen, de Brooklyn, de Columbia, et de
Wesleyan. Entre autres distinctions, elle a reçu le prix Lessing en
1959, le prix Sigmund Freud en 1967.
Ses divers enseignements et ses conférences sont les
sources majeures de l'abondante oeuvre qu'elle nous a laissée. Nous nous
contentons ici de citer ses principaux écrits. Son livre le plus
célèbre est "The origin of Totalitarianism" publié en
1951. Ce livre comprend trois parties qui ont paru en trois volumes :
1. "Antisemitism", en traduction française "Sur
l'antisémitisme";
2. "Imperialism" traduit en français
"L'impérialisme" ;
3 . "Totalitarianism" en français "Le
système totalitaire".
D'autres ouvrages suivront cette première étude
:
«Condition de l'homme moderne», en 1958 - tel est le
livre qui nous concerne plus
directement dans le présent travail- ; «La crise
de la culture: huit exercices de pensée
politique.», en 1961; «Essai sur la
révolution», en 1963; «Eichmann à
Jérusalem» en
1966, «La vie de l'esprit» qui a aussi paru en trois
volumes :
«Pensée», «Vouloir» et
«Juger»_.
0.2. Le pourquoi de notre réflexion
Tout le monde s'accorde aujourd'hui à dire que Hannah
Arendt a interrogé à
frais nouveaux les concepts politiques fondamentaux et
d'autres qui leur sont liés : la liberté, la démocratie,
le pouvoir, la violence, l'autorité, la domination, le mensonge, etc.
Mais vouloir réduire son oeuvre à cette analyse des concepts
c'est vraiment amputer une pensée qui frappe par son caractère
riche, vaste et -disons-le- complet.
Par ailleurs, si Arendt s'est adonnée à la
réflexion et à la re-définition des mots clés de la
langue politique, c'est non seulement parce qu'elle avait a faire avec des
«monstruosités» politiques (la guerre, la massification des
peuples, le totalitarisme, le génocide juif() dues à une
déformation du sens du politique lui-même et à
l'écart redoutable entre le dire et le faire quant à
l'application des « règles du jeu politique »
dans la société moderne, mais aussi parce qu'elle avait
constaté un déplacement d'un certain nombre d'affaires qui ne
relèvent pas stricto sensu de la politique vers la sphère du
politique, elle était témoins d'un transfert des affaires
extrapolitiques vers le politique,
autrement dit parce qu'elle constatait la disparition du
domaine public qui normalement rassemble, - sans le débordement des uns
sur les autres -, les habitants d'une polis. Puisque cette disparition de
l'espace commun se révélait être la cause efficiente de
l'aliénation de l'individu, réduit dès lors au statut de
membre d'un tout indifférencié, l'entreprise de Hannah Arendt se
proposa de revaloriser l'individu dans son agir et dans son dire au sein de
l'espace de l'inter-esse.
0.3. Le principe directeur du travail
Faut-il vraiment indiquer ici la problématique de ce
travail ? Nous ne pensons pas nécessaire de définir ici
notre problématique, étant donné celle-ci va se
dévoiler tout au long de l'étude qui veut offrir une
réévaluation de l'espace politique sous la conduite de Hannah
Arendt. Nous voulons par contre exprimer la motivation qui a suscité en
nous le désir de nous prononcer sur le politique.
Le problème majeur qui est au principe de ce travail
est la constatation malheureuse que nous faisons de l'horrible
désintéressement de nos contemporains de la vie politique de leur
cité et de leur pays. Un désintéressement causé par
l'exclusion du peuple par le régime en place, ou par une
indifférence que justifieraient des convictions d'ordre religieux,
culturel, personnel, etc. Pourtant, la cité est justement cet espace du
« vivre ensemble », ou de la coexistence des citoyens dont
l'organisation et la gestion nécessitent la participation et le concours
de tous.
« Hannah Arendt, disait Mc Carthy, ne croyait
guère à des notions asservissantes telles que le `devoir', mais
elle était sensible à l'idée d'une vocation, y compris
celle du citoyen à servir la vie commune "_.
Ce travail vise, en dernier ressort, à montrer que la
participation de tous et de chaque personne singulière aux affaires
communes de la polis est le devoir civique le plus important. La politique
n'étant nullement un domaine particulier des personnes qu'on appelle:
les politiciens, mais une exigence imposée aux hommes par la coexistence
liée à leur condition humaine. S'y dérober, c'est se
poster en figurant sur la
scène politique (dès lors s'en exclure), et, par
le fait même, subir la politique. Ce fait de se soustraie du politique
n'est pas le propre d'un acte humain. existence liée à leur
condition humaine. S'y dérober, c'est se poster en figurant sur la
Nous aborderons dans ce travail l'examen ou l'analyse, de la
coexistence humaine,
ainsi que le devoir qui incombe à chaque personne
humaine en tant que détentrice du
bios politikos de participer activement aux affaires de la
res-publica (la chose
publique ou commune).
Pénétrerons alors dans le corps de cette
étude, qui aura, outre de cette intro
duction et de la conclusion, trois chapitres. Le premier
chapitre sera une reprise
synthétique de la ligne générale de la
pensée de Hannah Arendt, en évoquant les
circonstances de la rédaction de ses ouvrages majeurs.
Le deuxième chapitre se
penchera alors sur la coexistence humaine comme fait et
comme une donnée tout à
fait ontologique de la réalité humaine enfin le
dernier chapitre examinera l'obligation
civique ou la nécessité pour les citoyens d'une
participation politique.
Chapitre premier : LA COMPREHENSION GENERALE DE LA
PENSEE DE HANNAH ARENDT
L'oeuvre de Hannah Arendt est, pour la plus grande partie,
dispersée dans des articles publiés ça et là, des
conférences tenues en maints endroits, des cours dispensés
à travers les grandes universités de l'Occident et des
écrits inédits, posthumes ou parus de son vivant et des livres
dont nous avons fait mention dans l'introduction. Mais cette
multiplicité d'écrits n'empêche pas de cerner la ligne
constante de sa pensée, autrement dit le mouvement général
de sa réflexion, de son philosopher. Le présent chapitre se
propose de montrer comment les expériences vécues
amenèrent Hannah Arendt à s'interroger sur le politique; il
essayera, pour cela, de faire ressortir l'essentiel de la pensée
d'Arendt.
1.1. La phénoménologie de l'histoire
vécue
La philosophie, dit-on, est toujours écrite post
factum, et Hegel dira, dans cette perspective, qu'elle est comme l'oiseau de
Minerve qui prend son envol à la tombée de la nuit. Cette
proposition peut se comprendre comme suit : la réflexion
philosophique naît nécessairement des faits empiriques,
constatables ou non, des expériences dont le philosophe a
été témoin directement ou indirectement et desquelles il
veut rendre compte à travers une réflexion critique.
La pensée de Hannah Arendt ne jaillit pas du
néant. Elle est liée à une situation socio-politique
angoissante dont elle restera d'ailleurs toujours tributaire. Dès lors,
pour mieux comprendre la pensée de Hannah Arendt, il nous faut remonter
en amont de celle-ci, c'est-à-dire qu'il nous faut connaître et
comprendre le contexte dans lequel elle a été
élaborée. Pourquoi donc cette passion de Arendt pour la vie
politique ? Telle est donc la question directrice de ce premier chapitre.
L'époque moderne, nous le savons, était
marquée par la montée des grandes crises :
l'antisémitisme, les guerres mondiales, la ségrégation
raciale, prononcée notamment en Europe et aux Etats-Unis,
l'émergence de l'impérialisme et du sentiment extrémiste
de nationalisme -chaque peuple se regroupant et se reconnaissant par
l'appartenance à une nation et possédant un territoire
précis- , les révolutions, la crise d'autorité et de la
tradition, etc. Le peuple Juif fut victime de cette situation qui consistait
précisément pour lui à se retrouver sans «territoire
précis» et donc sans nation ; les Juifs vont se voir
être reparties, éparpillés dans différentes
états dont ils ne sont que des réfugiés et ils subiront le
mépris de la part leurs hôtes (les populations auxquelles ils
étaient mêlés)_. Comme le dit Olivier Mongin,
«Assistant ainsi à l'effondrement de l'Europe,
Arendt n'oubliera jamais qu'elle a dû fuir l'Allemagne en tant que juive,
en tant que singularité exposée au mal de l'antisémitisme,
vouée à l'assassinat; et jamais elle ne parjurera cette part
décisive d'elle-même"_.
Les Juifs étaient comme mis au dehors du monde commun
puisqu'ils ne répondaient pas aux « critères
d'humanité de l'époque », étant sans nation et
dépourvus de territoire et de frontières.
Pour décrire ce XX ème siècle, certains
préfèrent suivre exactement Hannah Arendt en utilisant, comme
elle, des expressions fortes et parlantes comme «époque du mal
radical», «de la banalisation du mal», c'est-à-dire que
le mal est devenu routine et, partant, n'est plus ressenti comme mal.
Hannah Arendt, en tant que juive, va se surprendre
« damnée de la terre », victime de cette
atrocité de l'homme contre l'homme. Aussi, commente
Enegrén :
"cette appartenance assumée à un peuple paria
a joué un rôle décisif dans sa pensée (() et le
destin moderne du judaïsme a été celui d'un peuple
dispersé, sans gouvernement, sans pays et sans langue, que
l'expérience de l'exil a privé d'espace public
d'action »_.
Nous avons déjà dit qu'avec la montée
impitoyable du nazisme, Hannah Arendt fut obligée de fuir l'Allemagne
à cause de ses origines juives. Elle eut alors un long itinéraire
comme « citoyenne sans nation » avant de devenir citoyenne
américaine. Comme tous les Juifs, Arendt a subi l'exclusion de la
société politique humaine ; cette expulsion de l'espace
socio-politique aboutira à la privation radicale des droits
fondamentaux, situation dont Hannah Arendt sera victime. Et elle en restera,
toute sa vie durant, consciente : sa mémoire demeurera hantée par
cette catastrophe.
La minorité juive butte donc contre cette
hostilité généralisée dont elle est victime,
notamment en Allemagne avec la prise du pouvoir par le parti Nazi d'Adolphe
Hitler, le 30 juin 1933. Ce Parti n'avait pour solution à la "question
juive" que celle de l'extermination. L'extermination, l'impérialisme, le
rassemblement des peuples en masse sont là des signes infaillibles de la
désagrégation de l'appareil politique durant la période
moderne. Le politique n'était plus ce qu'il devrait être,
c'est-à-dire « l'espace public de
délibération et d'initiative". Il y avait une confusion quant
à la compréhension et à l'exercice du politique :
«ce qu'on présente comme la
caractéristique principale du politique -la violence- n'est que la trace
de sa disparition et, à l'inverse, ce dont on fait volontiers son
résidu -le débat des hommes sur le monde- s'avère
être son noyau»_.
Le politique, dirons-nous simplement, n'est plus. Le
politique, en effet, est ce qui fait la spécificité humaine en
tant qu'animal politique. Or tout un groupe d'hommes n'est plus reconnu ou
considéré comme tel, car privés d'actions et de paroles
à l'égard des autres humains. Il sont désormais
isolés. On comprend dès lors le grand engagement de Hannah Arendt
pour la réhabilitation radicale du politique comme espace d'inter-esse.
Elle va ainsi lutter pour recouvrer son identité
à partir d'une liberté aussi éloignée de la pure
symbiose universaliste (totalitarisme) que du simple particularisme (sionisme).
André Enegrén conclut avec raison que «c'est principalement
la confrontation avec le mal radical du nazisme et du stalinisme qui a
provoqué la réflexion d'Arendt»_.
1.2. La genèse d'une pensée
L'esquisse biographique de Hannah Arendt et la petite
approche historique du contexte dans lequel a été
rédigé l'essentiel de sa pensée suffisent à
expliquer et à faire accepter la pluralité humaine comme fait
incontestable. Force nous est donc d'affirmer qu'il s'agissait là de la
genèse de la pensée politique de Hannah Arendt.
L'élaboration de cette pensée méritait,
selon Hannah Arendt elle-même, une clarification conceptuelle qu'elle
entreprit d'opérer notamment en s'attaquant aux concepts politiques
fondamentaux : la liberté, la violence, la démocratie,
l'autorité, la domination, l'espace public, l'espace privé, etc.
Nous comprenons dès à présent que la réflexion
d'Arendt va se tourner progressivement vers l'actualité malheureuse de
son temps. «La vie d'Arendt, répète Olivier Mongin, est une
vie privée d'un monde commun dont elle ne doit jamais cesser d'esquisser
la possibilité depuis cette expérience de privatisation qui en
est la génesis»_. Il est dès lors aisé de
s'apercevoir qu'elle a décidé de décrire, d'analyser de sa
manière et de dire tout haut son histoire personnelle et celle de tous
les Juifs; elle le fera d'une part dans le but de sortir le paria de la
léthargie dans laquelle sa condition l'a plongé, et d'autre part
pour éclairer l'humanité en dénonçant le mal
dira-t-elle toléré. C'est ainsi qu'en vrai penseur, elle va
interroger, à travers ses analyses, la réalité politique
de sa société.
Nous voulons à présent quitter cette
considération générale sur l'évolution de la
pensée de Hannah Arendt pour nous tourner plus particulièrement
vers cette pensée telle qu'elle est exposée dans Condition de
l'homme moderne. Sans pour autant prétendre épuiser la
compréhension d'une pensée aussi vaste que celle de Hannah
Arendt, nous voudrions découvrir l'idée maîtresse de son
oeuvre, en nous limitant cette fois à l'exposé de l'ouvrage sur
lequel se concentrera notre présente étude : Condition de l'homme
moderne.
1.3. «Condition de l'homme moderne»
Pour remonter en amont de la rédaction de Condition de
l'homme moderne, nous interrogerons tout simplement l'auteur sur l'intention
qui était sienne avant même de se mettre à écrire ce
livre. Hannah Arendt avait en effet exprimé à son maître et
ami Karl Jaspers l'essentiel de ce qu'elle voulait entreprendre : «son
intention était d'écrire un livre de théorie politique qui
scellerait sa réconciliation avec le monde". «Ce livre,
disait-elle, je l'appellerai Vita Activa et je m'intéresserai
essentiellement au travail, à l'oeuvre et à l'action, et à
leurs implications politiques"_.
Cette évocation de l'intention d'Arendt pourrait bien
suffire à donner un résumé condensé de Condition de
l'homme moderne, puisque l'auteur elle-même dit d'avance ce qu'elle veut
et ce qu'elle va faire, c'est-à-dire ce qu'elle va écrire. Mais
nous n'allons pas nous arrêter là, car il nous faut expliciter
davantage le contenu de cet ouvrage pour faciliter la compréhension de
notre démarche dans un travail qui exploitera surtout ce livre. Hannah
Arendt ajoutera, par ailleurs, qu'elle avait l'intention «de penser ce que
nous faisons».
Certains penseurs professionnels, tel Paul Ricoeur, nous
mettent en garde contre une lecture chargée de préjugés de
Condition de l'homme moderne, et ils nous proposent une façon juste de
lire cet ouvrage : c'est un livre qui aide à dissiper les tendances
qu'a l'homme de vouloir ramener tout vers lui et à lui, niant ainsi la
différence et la cohabitation avec ses égaux_.
La condition de l'homme moderne ou la Vita Activa s'interroge
sur les trois grandes activités de la vie humaine qui composent la vie
active : le travail, l'oeuvre et l'action. «Que faisons-nous quand nous
sommes actifs ?» , telle est, selon Courtine-Denamy, la clé de
lecture de Condition de l'homme moderne. Le livre tout entier est une sorte de
réponse à cette question directrice. Quand nous sommes actifs,
nous faisons plusieurs choses mais qui peuvent êtres rassemblées
sous ces grandes activités de la vie active. Ainsi, dans les moments
d'activité, nous faisons du travail, nous fabriquons (l'oeuvre) et nous
agissons (l'action).
Avec un recours constant et ponctuel à la
pensée de l'Antiquité grecque et romaine, Hannah Arendt s'efforce
d'explorer ces activités. Elle commence par définir les domaines
de l'existence de l'homme : le domaine privé et le domaine public.
Elle se consacre ensuite à la description de chacune des
activités de la vita activa.
Le travail est l'activité qui lie l'homme à la
nécessité. Mieux, pour Hannah Arendt,
«le travail est l'activité qui correspond au
processus biologique du corps humain, dont la croissance spontanée, le
métabolisme et éventuellement la corruption, sont liés aux
productions élémentaires dont le travail nourrit ce processus
vital»_.
L'homme au travail, selon Hannah, obéit à la
nécessité de satisfaire à ses besoins fondamentaux. En
plus, le travail se fait en l'absence des autres -or ce qui est politique est
de l'ordre de l'apparence : voir et être vu -. Ainsi, avec le travail,
l'homme n'est encore qu'un animal laborans qui se bat tout seul avec la brutale
nécessité pour sa propre survie.
Une autre caractéristique de cette activité
qu'est le travail consiste en ce qu'il est dépourvu de
"durabilité", car, en fait, les fruits qui émanent de ce labeur
sont surtout voués à la consommation, et donc à la
disparition rapide. Le travailleur, donc, ne pourvoit qu'aux besoins
élémentaires de la vie.
Pour Arendt, l'activité du travail ne suffit donc pas
pour distinguer clairement l'animal humain des autres animaux, tous
étant cependant voués à ce labeur pour vivre. Or l'homme,
après avoir fait l'expérience du caractère
éphémère de sa vie, s'est ensuite préoccupé
de marquer le monde des traces de son passage ; en d'autres termes, il veut
désormais se rendre plus durable, du moins par ce qu'il aura
laissé, par ses oeuvres.
«L'oeuvre, nous dit Hannah Arendt, est
l'activité qui correspond à la non-naturalité de
l'existence humaine, qui n'est pas incrustée dans l'espace et dont la
mortalité n'est pas compensée par l'éternel retour
cyclique de l'espèce. L'oeuvre fournit un monde artificiel
d'objets»_.
Elle diffère du travail en ce qu'«elle marque sa
distance par rapport à la nature en ce qu'elle crée un monde
artificiel»_. Lorsque l'homme est à l'oeuvre (il s'agit notamment
du cas des artisans et des artistes), on s'attend, au terme de son
activité, à la production d'objets (oeuvres d'art(). L'artiste ou
l'artisan qui produit est déjà inscrit dans un monde qui
l'entoure : le monde composé surtout d'artefacts qu'il produit et qu'il
ajoute ainsi au monde naturel déjà existant. On peut remarquer
qu'à l'opposé du travail , l'oeuvre possède le
caractère de "durabilité". C'est-à-dire que les objets,
produits de l'oeuvre humaine, ne sont pas directement consommés ou
consommables comme les sont les fruits du travail.
De plus, ces artefacts demeurent même lorsque l'artiste
ou l'artisan n'est plus. Outre la durabilité, l'oeuvre a un commencement
et une fin : on peut dater le commencement d'une oeuvre et on peut en
prévoir la fin éventuelle. Et Sylvie Courtine-Denamy comprend
par-là que «le privilège de l'oeuvre par rapport au travail
consiste en ce qu'elle humanise le monde»_. Le monde est de fait
humanisé parce qu'il n'est plus à l'état brut tel que nous
le donne la nature ; il porte la marque de l'artiste et de l'artisan humain,
qui le peuplent des oeuvres de leurs mains, ou encore mieux qui le marquent de
leur passage. L'homme qui est à l'oeuvre est vu par les autres à
travers les objets qu'il produit ; il y a donc une sorte de durée de la
présence de l'artiste à travers l'ouvrage de ses mains et aussi
longtemps que son oeuvre d'art est là présente.
Mais Hannah Arendt ne fait pas de l'oeuvre une
activité suffisante de /dans la polis. Puisqu'on y est vu par
l'intermédiaire des choses. Il faut maintenant voir directement et
être vu de la même façon ; il faut entendre directement et
être directement entendu par ses pairs. D'où l'examen de l'autre
activité : l'action.
L'action est la plus importante activité de la vita
activa. Dans l'analyse de Hannah Arendt,
«l'action est la seule activité qui mette
directement en rapport les hommes, sans intermédiaire des objets ni de
la matière, elle correspond à la condition humaine de
pluralité»_.
Et certains commentateurs comme par exemple Paul Ricoeur,
introduisant explicitement une hiérarchie au sein de ces
activités de la vita activa, placent l'action (l'agir de l'homme
politique, de l'homme de la polis) au sommet de l'échelle,
c'est-à-dire dans la position la plus élevée,
plaçant le faire de l'artisan et de l'artiste en la position
intermédiaire et enfin le labeur du travailleur à la position la
plus basse_.
L'action est l'activité qui fait vraiment de l'homme
un animal politique; autrement dit, c'est par l'action que l'homme manifeste ce
qui lui est spécifique : son être politique. Il y a action
dans l'acte de prendre la parole sur la place publique, et il y a action dans
le fait d'agir ou de poser des actes en présence des autres, ses
égaux. Hannah Arendt parlera de l'action comme d'une seconde naissance,
où l'homme qui était déjà né le jour de sa
naissance biologique naît une seconde fois mais dans la sphère
politique, dans la polis. Cette naissance est donc liée, mieux, se fait
par l'action, puisqu'à travers l'action, l'homme répond sans
cesse à la question métaphysique : qui es-tu ?
que les autres lui posent. En répondant à cette question, l'homme
est entendu et il est vu par les autres dans la polis; il devient donc
vraiment un homme politique.
Les derniers chapitres de Condition de l'homme moderne sont
finalement une autopsie que l'auteur fait de la vita activa à
l'âge moderne. Elle montre la façon dont le monde moderne s'est
installé dans une confusion notoire au sujet du politique et a
inversé radicalement l'ordre et la coexistence des activités de
la vita activa. Ce chapitre constate et fustige la pratique selon laquelle le
travail se trouverait élevé au premier rang comme seule
activité essentiellement créatrice de l'homme. Cette rupture
bouleversante fut introduite par Karl Marx qui a certainement perdu de vue que
«le travail représente la dimension animale, et non humaine, de
l'homme»_; en d'autres termes, on dirait que la société
fondée sur et par le marxisme par exemple consacre le seul travail comme
l'activité essentielle de la vita activa, l'oeuvre et l'action
étant négligées et inaccessibles à la majeure
partie des citoyens.
Pour conclure justement cette synthèse personnelle de
Condition de l'homme moderne, nous préférons reprendre cette
longue affirmation de Sylvie Courtine-Denamy, une autre lectrice
d'Arendt :
« La condition de l'homme moderne devrait donc
être lue moins comme une critique de la modernité que comme une
anthropologie philosophique recherchant parmi les différentes
activités humaines celles susceptibles de s'inscrire dans la
durabilité_ »;
elle précise qu'
« il s'agit en définitive de s'interroger
sur ce domaine hautement déprécié par les philosophes de
profession, la philosophie politique, que Platon interprétait à
la lumière de l'activité de l'artisan (technitès), ce
désir de fuite de la politique prend naissance dans le procès et
la condamnation de Socrate, événement politique marquant le
conflit entre philosophie et politique»_.
Ce chapitre consacré à une brève
présentation de Condition de l'homme moderne qui constitue l'objet de
notre travail ne nous paraît pas superflu. Il nous est utile pour mieux
engager notre travail qui consistera à analyser l'espace politique comme
lieu de la coexistence humaine. Il s'agira, en d'autres mots, de
réhabiliter, à la manière de Hannah Arendt, le politique,
(l'exister politique de l'homme) qui fut malheureusement déserté.
1.4. Une méthode arendtienne : «la pêche
à la perle»
Il nous paraît utile de préciser à
présent une méthode adoptée et utilisée par notre
auteur lorsqu'elle a voulu se plonger dans l'héritage de
l'humanité. Pour relever les grands défis qu'elle s'était
posés, Hannah Arendt déploiera sa pensée en puisant
davantage dans l'expérience de l'antiquité gréco-romaine,
puisque pour elle « la polis grecque continuera d'être
présente au fondement de l'existence politique, au fond de la mer, donc
aussi longtemps que nous aurons à la bouche le mot
`politique »_. Sans pour autant prétendre que les
sociétés antiques étaient idéales, elle
développa en relation à elles une méthode aussi peu
conventionnelle que le nom qu'elle lui donna : «la pêche
à la perle». La pêche à la perle consiste en effet
à rechercher le «riche et le rare» qui se trouvent enfouis
dans la tradition philosophique parvenue jusqu'à nous sous ses formes
brutes, c'est-à-dire d'une manière parfois attirante et parfois
pleine d'apories déroutantes_.
Ce serait une compréhension erronée de la
démarche d'Arendt que de penser, comme certains critiques, qu'elle a
voulu exalter jusqu'au rang de modèles la polis grecque et la
cité romaine, alors que celles-ci abritaient de graves exclusions
politiques, notamment l'exclusion de l'agora des femmes et des enfants, des
esclaves et des étrangers .
Pour Arendt, le choix paradigmatique de l'antiquité
gréco-latine s'explique par la simple préoccupation
méthodique et surtout en référence à l'organisation
politique (ou structurelle) dont ces sociétés ont fait montre
déjà dans ces temps anciens. Plus encore, dira-t-elle,
«il est vraiment difficile et même trompeur de
parler de politique et de ses principes les plus profonds sans faire appel dans
une certaine mesure aux expériences de l'antiquité grecque et
romaine, et cela pour la seule raison que les hommes n'ont jamais, ni avant, ni
après, pensé si hautement l'activité politique et
attribué tant de dignité à son domaine»_.
Notre approche de la pensée politique de Hannah Arendt
va également être une approche phénoménologique,
analytique et critique de l'appareil politique actuel, en ce qu'il devrait
être et en ce qu'il est concrètement, plus particulièrement
en Afrique. Nous chercherons la perle cachée, le riche et le rare
contenu de cette pensée, en espérant comprendre ainsi les
malaises politiques contemporains qui affectent la plupart de nos
sociétés.
Nous savons que parler de la politique c'est
nécessairement parler des hommes, et non pas d'un homme, vivant ensemble
dans un espace organisé que l'on a appelé la polis ou
l'état-nation. Toute réflexion sur le politique suppose ainsi une
prise de conscience claire de la coexistence humaine. Cette réflexion
devra même tenir compte de cette coexistence en tant que première
donnée factuelle de la réalité humaine.
Chapitre deuxième : La COEXISTENCE HUMAINE
L'effort dont il vient d'être question dans le
précédent chapitre consistait à présenter la ligne
directrice de la pensée de Hannah Arendt et à exposer
brièvement le contenu de Condition de l'homme moderne. Cette
dernière tâche nous a fait comprendre que Condition de l'homme
moderne est une analyse détaillée des trois activités
principales de la vita activa : travail, oeuvre et action. Ces activités
caractérisent la condition de l'homme. Nous avons certainement
réalisé que le travail de saisir la «nature» humaine ou
la condition humaine n'est en rien une tâche triviale ou aisée .
L'homme en effet est resté aussi bien pour l'anthropologie que pour
d'autres sciences humaines un "mystère" quasiment insaisissable et par
lui-même et par les autres, il est une question qui interpelle
aujourd'hui encore les savoirs.
Hannah Arendt était pleinement consciente de cette
vérité lorsqu'elle affirmait avec grande conviction que
"le problème de la nature humaine paraît
insoluble aussi bien au sens psychologique individuel qu'au sens philosophique
général. Il est fort peu probable que, pouvant connaître,
déterminer la nature de tous les objets qui nous entourent et qui ne
sont pas nous, nous soyons jamais capables d'en faire autant pour
nous-mêmes"_.
Toutefois, dans sa capacité de transcendance,
l'être humain est à même de s'interroger sur son existence
en tant que sujet parmi d'autres sujets. Mieux, il s'interroge comme une
existence en relation avec d'autres existences; on peut dire, en ce sens, que
l'homme peut se penser dans sa situation de coexistence: "être avec".
L'objectif du présent chapitre est d'examiner,
à l'instar de et à travers Hannah Arendt, la
réalité tangible qu'est la coexistence humaine dans une
société naturelle d'abord et dans une communauté politique
ensuite. Dès le début de ce chapitre, nous ferons remarquer que
«l'être homme véritable» ne peut être
éprouver que dans une condition de pluralité respectueuse de
l'individualité de chacun.
2. 1. L'exister humain pluriel
2.1.1. L'homme: "un être avec les autres"
Parler de l'exister humain pluriel, c'est vraiment se situer
au coeur de la pensée politique de Hannah Arendt car, pour elle, l'homme
est essentiellement un "être-avec". En effet, on peut dire a posteriori,
sans aucun risque de se tromper, qu'il est impossible de rencontrer un
être humain soustrait complètement de l'exigence de vivre en
compagnie des autres. La réalité humaine d' «être
avec» est une donnée tout à fait ontologique dans le sens
qu'elle intervient comme élément définitionnel de
«l'être homme de l'homme» (de son essence). Aristote
était bien conscient de cela lorsqu'il définissait l'homme comme
zôon politikon. Hannah Arendt est aussi éloquente lors qu'elle
dit qu'
«aucune vie humaine, fût-ce la vie de l'ermite au
désert, n'est possible sans un monde qui, directement ou indirectement,
témoigne de la présence d'autres êtres humains.»_
Nous pouvons encore affirmer que l'homme seul,
c'est-à-dire privé de la compagnie des autres, n'existe nulle
part. En des termes simples, on dirait que la pluralité est
inhérente à l'homme.
Dès sa naissance qui marque son entrée dans le
monde des hommes, l'homme se trouve dans un univers déjà
peuplé par les humains et par les objets. On admet
généralement que la famille est la société
primitive - dans le sens de la première collectivité humaine- ou
encore qu'elle est la société naturelle. De toutes les
façons, l'enfant qui vient à l'existence est toujours accueilli
par sa mère et ensuite par sa famille qui représente justement
cette société au sein de laquelle il aura à vivre sa vie
d'homme. C'est donc dans un environnement préétabli,
préalablement peuplé d'humains et d'artefacts (les objets que
l'homo faber fabrique) que l'homme s'insère lorsqu'il vient à
l'existence. C'est pourquoi, depuis l'Antiquité grecque, les penseurs se
sont accordés , reprenant Aristote, à définir l'homme
comme un "animal social".
Ce qui revient à dire que l'existence humaine est en
réalité une coexistence ou, encore mieux, un exister en compagnie
des autres personnes ; l'homme sera toujours perçu comme un
"être-avec" qui est appelé à un "vivre-avec". Ainsi, cet
« être-avec » qui est inscrit dans la structure
ontologique de l'homme, autrement dit qui est donné par la nature
humaine de l'homme, doit évoluer vers la conscience du « vivre
avec ». Tel est le sens de tout l'effort des hommes à
organiser leur espace de vie commune pour qu'il soit moins hostile et plus
harmonieux ; mieux qu'il devienne véritablement espace politique.
André Enegrén insiste en allant jusqu'à
dire que "jamais cette pluralité ne doit être perdue de vue que
nous partageons le monde avec d'autres, qui forment avec nous une
humanité une, mais pourtant infiniment diverse, telle est la
donnée ontologique fondamentale"_. Considérons à
présent cette définition de l'homme en tant qu'animal social
d'abord et ensuite en tant qu'animal politique.
2.1.2. " L'animal social "
Avec l'analyse de l'homme comme "animal social", Hannah
Arendt, nous introduit pleinement dans une sorte d'anthropologie philosophique
nécessaire pour mieux comprendre la coexistence humaine et "la condition
humaine de pluralité".
L'homme comme "animal social" : cette expression veut
signifier que l'homme vit parmi les autres hommes, que l'animal humain est un
animal vivant dans une société d'animaux humains. Et Hannah
Arendt dit, sans ambages, que "vivre" et "être parmi les hommes " comme
aussi "mourir" et "cesser d'être parmi les hommes" sont des termes
synonymes_. Le simple fait d'être dans une société
définit déjà un mode d'existence de l'animal humain.
Dans le monde grec, le terme social était bien
distinct du terme politique. Pour définir l'homme, les Grecs parlaient
uniquement du bios politikos. Hannah Arendt dira même que l'adjectif
social n'existait pas dans la langue grecque. Il a son origine dans le monde
romain (latin). Le mot qui exprimait le social chez la langue grecque est
politique ? C'est pourquoi d'ailleurs Aristote définissait l'homme
comme zôon politikon.
Au Moyen-Age, Saint Thomas d'Aquin traduit le zôon
politikon d'Aristote en homo est naturaliter politicus,id est, socialis. C'est
alors que le terme social fait pleinement son apparition dans la pensée
politique. Cette apparition est, d'après Hannah Arendt, le début
même de la confusion entre le social et le politique. Ainsi, dit elle,
« on a mal compris le politique, on l'a
assimilé au social dès que les
termes grecs ont été traduis en latin,
dès qu'in les a adaptés à la pensée
romano-chrétienne .»_
A l'époque moderne, la confusion entamée au
Moyen-Âge devient totale, on ne perçoit plus
« aucune frontière bien nette entre les
deux domaines ; puisque dépuis
l'accession de la société, autrement dit du
`ménage' (oikia) ou des
activités économiques, au domaine public,
l'économie et tous les
problèmes relevant jadis de la sphère
familiale sont devenus
préoccupations `collectives' .»_
Le monde moderne a par le fait même initié la
dégénéréscence (dégradtion) du politique_.
Disons donc que, bien que l'homme ne puisse pas vivre hors de
la société, la condition "social" de l'homme n'est pas une
caractéristique spécifiquement humaine. Ce serait une erreur que
de se limiter à définir l'homme comme un simple "animal social".
On ne désignerait pas ainsi la nature ou la condition
spécifiquement humaine, "animal social" "étant un trait que la
vie humaine avait de commun avec la vie animale et qui, pour cette raison, ne
pouvait pas être foncièrement humaine"_.
Aussi, pensons-nous que parler de l'animal social est certes
un pas dans la bonne direction, si on veut définir la
réalité humaine, mais qu'elle ne suffit pas pour exprimer
pleinement la nature humaine, puisque la sociabilité est une
capacité de l'animal en général. Car tous les animaux
peuvent faire "société", "vivre ensemble" avec leurs semblables.
"En définissant l'homme comme un animal social, on le
considère du seul point de vue de son appartenance à
l'espèce, et on tue l'humain en lui : l'humanité n'est pas le
genre humain."_ Pour comprendre l'homme, il faut superposer à cette
sociabilité l'autre mode d'existence propre à l' "animal
politique".
2.1.3. "L'animal politique"
Si l'homme partage avec les autres animaux le
caractère « social », il n'est pas, par contre,
donné à ces derniers de vivre dans une cité qu'ils
forment, qu'ils organisent et entretiennent par devoir politique et par
prédisposition de la nature. "Dans la pensée grecque, la
capacité d'organisation politique n'est pas seulement différente,
elle est l'opposée de cette association naturelle"_. En parlant de la
nature politique de l'être humain, on marque clairement la distinction
qui existe entre ce qui est commun à toute espèce animale,
à savoir le caractère de sociabilité, et ce qui est propre
au genre humain, la capacité de s'organiser et de former une polis, une
cité.
Dès lors, la vie dans la société
naturelle, notamment dans la famille, est rangée dans la sphère
du "pré-politique" ou de la "maisonnée" (économie); pour
que sa vie devienne vraiment une vie humaine, l'homme doit faire un pas de plus
pour accéder à la vie politique. En d'autres mots, l'animal
social doit entrer dans la cité, il doit quitter l'existence
donnée pour vivre pleinement l'existence voulue du bios politikos, ce
qui le définit tel qu'il est.
Il s'ensuit donc que pour définir l'homme, pour le
distinguer des autres animaux, il faut souligner, avec Hannah Arendt
s'inspirant elle-même d'Aristote, qu'il est nécessaire
d'évoquer le caractère politique de l'homme, c'est à dire
sa capacité à vivre avec ses semblables dans une cité,
celle-ci étant justement cet espace organisé de vie où
chaque citoyen a le droit et le devoir de participer aux affaires publiques par
la délibération.
Cette distinction des modes d'exister humain -homme comme
"animal social" et/ou comme "animal politique"- nous amène à
parler aussi bien du domaine public de l'existence humaine, qui recouvre la
sphère proprement politique, que du domaine privé (le domaine de
la maisonnée)en tant qu'opposé au premier. Hannah Arendt
distingue le privé et le public, pour désigner le lieu et
l'espace où la vie humaine se vit, selon les deux modes que nous venons
de rappeler.
2.2. Le domaine privé.
Le privé et le public introduisent une distinction
à la base du politique. Arendt dit que "le privé était
comme l'autre face sombre et cachée du domaine public et si en
étant politique on atteignait à la plus haute possibilité
d'existence humaine, en ne possédant point de place à soi on
cessait d'être humain"_. Cette citation nous permet de comprendre que la
sphère du privé a deux sens dans la pensée arendtienne. Il
est, selon le sens originaire du terme, doué du caractère
privatif ; mais le privé est aussi, selon, son sens moderne, synonyme de
propriété.
2.2.1. Le privé comme privatif
Le privé est le lieu où l'homme se trouve
privé du politique. Il est par ce fait même soumis uniquement
à un dialogue avec les nécessités de la vie auxquelles les
activités comme le travail veut répondre. Dans une perspective
péjorative, le privé prive l'homme de l'humanité
véritable puisque qu'il le retient en captivité, dans sa
confrontation solitaire avec la nature, dans l'unique but de survivre et de
perpétuer l'espèce. Privé du caractère politique,
l'homme demeure un simple animal indifférencié; vivant en dehors
de la polis, en dehors de tout dialogue et de la rencontre des autres, ses
égaux.
Ainsi perçu dans sa privativité, "vivre une vie
entièrement privée signifie être privé de choses
essentielles à une vie véritablement humaine"_. On est
écarté du domaine de la politique qui comprend le dire et l'agir
avec les autres et en présence des autres. Le privé prive l'homme
de la parole et de la liberté. Ces privations sont donc la mort de
l'être homme dans l'espace commun, espace public.
Pour établir le lien avec les activités de la
vita activa_, disons que le domaine privé compris dans son sens privatif
est le lieu de la solitude humaine où l'homme privé de la vue et
de l'écoute de ses pairs, ses semblables, demeure un animal laborans et/
ou un homo faber ; telle est la condition de l'esclave, des femmes, des
étrangers , des enfants dans la polis grecque et des artistes et
artisans qui peuvent oeuvrer les uns à côté des autres sans
pour autant vivre une vie publique.
Cette catégories de personnes peuvent vivre dans un
regroupement (le social) mais elles sont privées du politique. Donc,
l'homme frappé de la privation, est privé de ce qui peut le
sortir de son caractère d'animal pour devenir l'humain ou l'animal
humain, c'est-à-dire politique.
2.2.2. Le privé comme propriété
privée
Le terme privé se trouve ici comme revalorisé.
Lorsqu'on parle du privé en tant que propriété
privée, il perd son caractère privatif, même par rapport
à l'espace public. Arendt explique que "la propriété
possède apparemment certaines qualifications qui, tout en appartenant au
domaine privé, ont toujours passé pour extrêmement
importantes pour la cité politique_".
Cette compréhension du privé permet de mieux
articuler son lien avec le public .Nous remarquons, en fait, que le domaine
privé complète le domaine public. Puisque, pour accéder
plus facilement à la vie publique, il faut avoir plus ou moins
maîtrisé les nécessités vitales ou biologiques de la
vie. La propriété privée renvoie à la notion
d'espace ou de lieu que chaque homme doit posséder (dont il est
propriétaire), car c'est à partir de ce lieu qu'il aura à
satisfaire ses besoins vitaux et de là aussi qu'il pourra
s'insérer dans le politique, dans l'agora, pour agir et pour se dire en
présence des autres. Etre propriétaire "signifie [...] ni plus ni
moins avoir sa place en un certain lieu du monde et donc appartenir à la
cité politique, c'est-à-dire, être chef d'une des familles
qui, ensemble, constituaient le domaine public_".
En plus, le privé n'est plus privatif lorsqu'il offre
à l'homme le lieu de se posséder lui-même; c'est la seconde
grande caractéristique non privative du privé. A ce sujet, on
peut écouter les sages interventions de Hannah Arendt :
"les quatre murs de la propriété privée
offrent à l'homme la seule retraite sûre contre le monde public
commun, la seule où il puisse échapper à la
publicité, vivre sans être vu, sans être entendu. [Car] une
vie passée entièrement en public, en présence d'autrui,
devient, comme on dit, superficielle"_.
Enfin, le privé comme propriété justifie
toutes les formes de la vie privée : vie intime, vie secrète, vie
de la pensée ou de l'esprit( puisqu'il y a des choses qui sont
appelées à s'étaler en public et il y en a d'autres qui
demandent à demeurer cachées. Il nous faut cependant noter qu'une
vie humaine ne peut jamais être complètement cachée ou
privée vis-à-vis des affaires de la res-publica.
2.3. Le domaine public.
Le public est la quintessence de la condition humaine de
pluralité, et "cette pluralité est spécifiquement la
condition -non seulement la condition sine qua non, mais encore la condition
per quam - de toute vie politique"_. Le domaine public est ainsi
l'équivalent du domaine politique. En plus, selon Hannah Arendt,
"l'avènement de la cité conférait à l'homme, outre
sa vie privée, une sorte de seconde vie, sa bios politikos"_.
Désormais l'homme ne vit plus seulement en famille ni dans une vie
privée, mais il est convié à la vie dans la cité,
la vie politique.
Pour Hannah Arendt, "le mot public signifie d'abord que tout
ce qui paraît en public peut être vu et entendu de tous, jouit de
la plus grande publicité possible(() et ce qui est vu et entendu par
autrui comme par nous-mêmes constitue la réalité"_. Puisque
nul ne peut vivre pour toujours dans une vie réduite à la
maisonnée, chacun est invité à oeuvrer pour devenir plus
humain en s'insérant dans la réalité de la vie publique
qui est la vie politique, la vie dans la cité.
Le domaine public est dès lors le domaine de
l'apparence ou de l'apparaître où l'homme se manifeste pour voir
et pour être vu, pour dire qui il est et pour écouter les autres,
à propos des affaires de leur être-commun. Il s'ensuit donc qu'il
existe deux activités propres du domaine public: le dire et l'agir. Ces
deux activités ne sont en réalité que deux composantes de
l'unique activité qu'est l'action. L'action, dit-on, est l'essence du
bios politikos de l'homme.
Proust note avec raison que
"le monde n'est pas humain parce que la voix humaine y
résonne, mais seulement lorsqu'il est devenu objet de dialogue ((), les
choses du monde ne deviennent humaines pour nous qu'au moment où nous
pouvons en débattre avec nos semblables"_.
Le domaine public est le monde qui donne à la
pluralité humaine sa plus grande expression. Les hommes y habitent et se
le partagent en commun, c'est-à-dire les uns en présence des
autres sans se confondre les uns aux autres, à la manière d'une
table qui rassemble ceux qui sont assis autour d'elle tout en les distinguant.
Jacques Taminiaux l'exprime de façon particulièrement
compréhensible lorsqu'il dit que "la pluralité est cette
condition qui consiste pour chaque individu à être à la
fois semblable aux autres et unique ou différent de chacun d'eux"_.
Ainsi, s'il est vrai que le politique est le domaine
où cohabitent les hommes libres et égaux, il est aussi vrai que
cette égalité ne supprime pas leur différence,
c'est-à-dire les individus, tout en étant identique quant aux
droits et devoirs, sont tout à fait différents les uns des
autres. Chaque homme, dit-on existe en exemplaire unique dans ce monde, il
porte la capacité d'initier quelque chose de nouveau sous le soleil. Et
c'est dans la politique que la distinction (caractère distinctif) trouve
son expression la meilleure, car « la politique, souligne encore
Arendt, en tant que domaine public ou monde commun nous rassemble mais aussi
nous empêche de tomber les uns sur les autres »_. On comprend
donc que tout en rassemblant les hommes semblables, le politique les rend
distincts les uns des autres, chaque personne étant d'abord un
être unique et libre, et conscient. Arendt emploie la métaphore de
la table pour expliquer ce paradoxe de la réalité politique_.
Et avec ce domaine où les hommes se rassemblent pour
dialoguer et pour agir, nous arrivons au bout de notre démarche tendant
à comprendre l'exister humain pluriel et la coexistence humaine. Force
nous est de conclure en réaffirmant que quelle que soit sa situation,
l'homme est foncièrement un être avec, d'abord parce qu'il est un
être social, mais ensuite et surtout parce qu'il est un être
politique. Cette dernière caractéristique est vraiment ce qui
fonde l'être homme de l'homme. Nous allons à présent nous
pencher plus directement sur ce qu'elle implique.
2. 4. La redéfinition du politique avec Hannah
Arendt_
Parler de ré-définition suppose, à la
base, un oubli ou une remise en question ou en cause d'une définition
préalable. En effet, le politique, aux temps Modernes, avec
l'avènement de la société des masses (le totalitarisme
dont Arendt à parlé) et de la société
économique (ou société de consommation avec Karl Marx,
dont Arendt a aussi critiqué l'irruption de l'économie dans la
réalité politique...) se trouve biaisé quant à son
sens et à son exercice: il inclut le règne du despotisme ou de la
tyrannie excluant une majorité de citoyens de la gestion de la
cité ou du monde -tel fut le cas des Juifs d'alors et tel aussi le sort
de plusieurs peuples en Afrique qui ne sont pas toujours concernés par
les choses qui engagent leur déstinée, pendant q'un petit groupe
privatise la gestion du politique.
Le politique est normalement le lieu public ou commun
où se discutent et se règlent entre tous les affaires de la
res-publica. Malheureusement, ce politique véritable, qui consiste dans
un rapport de libertés égales qui se respectent strictement et
s'expriment librement dans et par la parole et l'action, n'est plus qu'un
antique idéal difficile à atteindre.
Pour Jacques Taminiaux, la politique est avant tout une
"monstration intrinsèquement interindividuelle_". Cela signifie qu'elle
engage les citoyens, qui doivent, pour ce faire, dire leur mot au sujet des
affaires publiques de la communauté et débattre de ces affaires
avec leurs égaux. Toujours dans le même effort de
compréhension exacte du politique, nous pouvons parler du politique
comme de l'interpénétration des termes que nous avons
rencontrés jusqu'ici, à savoir le domaine public, l'espace
d'apparence, le réseau de relations humaines, la
révélation du "qui" -sujet, ( comme constituant la condition
d'une vie politique.
Dans la pensée de Hannah Arendt, le politique est
avant tout le lieu d'existence de l'homme en tant qu'homme. L'homme,
essentiellement "animal politique", ne se retrouve dans son espace réel
ou proprement humain que lorsqu'il est dans l'espace politique. Celui-ci est
alors l'espace public où les paroles et les actes s'échangent
dans un débat ouvert et public entre des personnes libres et
égales. Le politique, dès lors, se constate et se crée ;
on n'en fait pas trop l'étalage, "il se définit par la
phénoménalité comme révélation de soi dans
un espace d'apparence_". Hannah Arendt emploie souvent la métaphore de
la scène pour caractériser l'espace public (politique) au sein
duquel l'homme agit en "animal politique".
Puisque l'espace politique est surtout marqué et
fondé par l'agir de l'homme parmi les hommes, comprendre le politique
devient, dès lors, réfléchir sur l'action en tant
qu'activité fondatrice et caractéristique du politique; car
l'action constitue vraiment l'auto-expression de l'identité de l'agent.
Par l'action, en effet, ce dernier exprime son originalité en face de
ses pairs qui, eux aussi, expriment la leur. Par le fait même, l'ensemble
qu'ils forment est un espace politique.
L'action, chez Hannah Arendt, comprend à la fois cette
parole dite en public, la lexis, et l'action en face des autres, la praxis, et
elle est le noeud de la coexistence humaine sur la scène politique. Le
politique, tel que Hannah Arendt le comprend, n'est pas un lieu matériel
ou une entité quelconque, mais il advient lorsque les hommes parviennent
à la "co-action interlocutoire", parce qu'ils sont capables, par droit
de naissance, d'agir et de dire une parole en concert.
Aussi, pensons-nous avec Arendt, qu'on ne pourrait localiser
et fixer d'une manière stable le lieu où vivent les "animaux
politiques", la cité ;
"la polis proprement dite n'est pas la cité en sa
localisation physique, c'est l'organisation du peuple qui vient de ce que l'on
agit et parle ensemble. Le domaine politique naît directement de la
communauté d'action, de la mise en commun des paroles et des actes_".
Il en ressort que, pour faire advenir le politique en son
vrai sens tel qu'Arendt nous le propose, chaque citoyen doit reconnaître
et réclamer son droit et son devoir de prendre l'initiative, d'agir et
de dire ce qu'il pense sur la marche ou la direction des affaires communes ou
publiques. L'homme, voulant devenir plus humain, est dans l'obligation (en
toute liberté) de prendre la parole et de poser des actes en
présence de ses égaux. C'est le fait de poser l'acte politique du
dire et de l'agir avec les autres et en présence d'eux qui correspond
à ce que nous appelons la participation politique des citoyens_.
Chapitre troisième : LA PARTICIPATION POLITIQUE
DU CITOYEN.
Le chapitre précédent nous a amené
à admettre avec Thonnard que
«l'homme est naturellement un animal politique,
c'est-à-dire destiné à vivre en société, et
que celui qui, par sa nature et non par l'effet de quelques circonstances,
n'est pas tel, est une créature dégradée, ou
supérieure à l'homme»_.
Nous avons aussi compris que l'espace politique est un espace
public, assise normale de l'interaction et de l'apparence. A partir de ces deux
prémisses, nous pouvons affirmer que l'action est l'activité
politique par excellence, elle est une prérogative exclusivement
humaine. C'est pourquoi, chaque homme, en tant que Tel, est dans la stricte
obligation de prendre activement part, d'une manière ou d'une autre, aux
affaires politiques de son pays.
Et la participation politique signifie
«l'acte par lequel le citoyen assure et tente
d'influencer, directement ou indirectement, le cours des affaires publiques
dans sa société. La participation politique suppose une
décision consciente et libre, de la part du citoyen, de s'occuper de ce
qui est censé orienter la vie de tous dans la
communauté»_.
Mais comment peut-on être effectivement participant aux
affaires politiques ? Telle est la question légitime que nous nous
posons à cette étape de notre étude. En un sens donc, ce
dernier chapitre de notre travail sera une recherche de réponse à
cette question essentielle. Mais auparavant, nous essayerons d'examiner les
raisons de l'indifférence politique des citoyens dans certains
états.
3.1. L'indifférence politique des citoyens
C'est un fait patent que dans beaucoup de pays, un nombre
assez notable de citoyens n'est pas associé à la vie politique de
leur nation. Et parfois aussi, bien des citoyens manifestent, par
eux-mêmes, une espèce «d'apathie politique», une
réelle indifférence.
Plusieurs facteurs peuvent être à la base de
cette indifférence politique du citoyen. Cette dernière est
parfois justifiée par des raisons de foi, chez des croyants dont les
convictions religieuses peuvent conduire à une relativisation des
affaires politiques, qu'ils considèrent comme «les affaires
mondaines» par opposition aux «affaires divines».
Déjà Hannah Arendt parlait du «renoncement chrétien
aux choses de ce monde», pour exprimer ce mépris par les
chrétiens des affaires politiques.
En effet, comme l'affirme Xavier La Bonnardière,
«le chrétien considère sa mission de Salut comme distincte
de la fonction politique»_, ce qui n'est pas tout à fait faux. Paul
Valadier explique encore à ce sujet que «le sentiment que le
royaume politique est celui de brigands alimente l'apolitisme d'une masse de
chrétiens»_. Telles sont entre autres les raisons qui peuvent
expliquer l'indifférence des croyants, notamment des chrétiens,
à la vie politique.
Une autre raison qui peut expliquer l'indifférence
politique des citoyens est l'insuffisance économique. En fait, comme
nous l'avons déjà expliqué, l'homme, étant un
être de besoins, doit tout d'abord assouvir ses besoins
élémentaires, qu'Arendt appelle les nécessités de
la vie, avant de pouvoir se tourner pleinement vers les affaires de la
cité. Il doit assurer sa survie et il doit avoir maîtrisé
les affaires de la maisonnée pour s'intéresser ensuite à
la polis. Il est vrai, en effet, que
«dès qu'un homme s'est élevé
au-dessus d'un certain seuil de misère physiologique et d'ignorance
culturelle, il ne peut plus s'identifier purement et simplement à ses
besoins de subsistance ou de confort»_.
Ainsi, les problèmes du pain quotidien, en tant que
condition première de la vie (ou du moins de la subsistance physique)
peuvent éclipser les problèmes généraux de la
cité et réduire l'homme à sa seule vie dans la maison,
puisque empêché de sortir en public. Pour Arendt, en fait, ceux
qui s'occupent uniquement de la production (d'oeuvres ou de nourriture) pour
satisfaire aux besoins de la survie, s'ils restent tournés vers cette
seule préoccupation, ne seront jamais des citoyens, des hommes publics
et politiques.
L'indifférence dont nous parlons est parfois une
conséquence de la propagation de conceptions erronées du
politique. Du point de vue simplement phénoménologique, on peut
admettre, avec le professeur Ngoma Binda, que
«la politique est perçue comme une pratique et
un lieu de fourberie, de ruse, de violence et de cynisme impitoyable. Comprise
de cette manière négative, machiavélique, il va de soi que
la politique devient une pratique répugnante aux yeux de toute personne
désireuse de demeurer pure, digne et intègre»_.
Par ailleurs, au-delà de ces raisons de se
désintéresser de la politique, qu'on peut considérer comme
pertinentes, le citoyen porte en lui le désir humain de participer d'une
manière effective à la vie politique ; «il veut, explique
Ellul, dire son opinion sur les grandes questions, il exige qu'on ne le
considère pas comme quantité négligeable»_.
Dans cette perspective, l'indifférence est
assimilée à l'apolitisme, et devient, quelle que soit sa
justification, un soulagement vil de ne plus se sentir responsable de rien, de
se replier sur soi dans la vie privée. La vie privée, nous le
savons, est privée de la participation politique, car privée de
la lexis et de la praxis en public.
3.2. La participation politique par la praxis.
L'homme peut vivre sans travailler, s'il fait travailler
d'autres personnes pour sa survie. L'homme peut aussi vivre dans le monde
créé sans y ajouter quelque chose, ouvrage de ses mains ;
mais une vie humaine dépourvue d'actions serait comme une vie morte au
monde, donc inutile. L'action s'avère comme étant la condition
sine qua non de la politique ; c'est-à-dire que l'animal politique est
dorénavant l'animal agissant et parlant en public. L'agir politique
devient ainsi la matérialisation de la participation politique par
l'action concrète.
Agir est aussi et surtout le fait de commencer du nouveau,
c'est-à-dire de mettre en activité la capacité
d'initiative que l'homme porte en soi. Nous pouvons
reprendre les mots de Hannah Arendt pour être ici plus
explicite :
«l'agir, au sens le plus général,
signifie prendre une initiative,
entreprendre (le grec archein = commencer, guider et
éventuellement
gouverner) mettre en mouvement (latin, agere)»_.
Participer à la vie politique par l'action, telle
qu'Arendt comprend celle-ci, revient donc à transcender l'automatisme et
l'habitude pour commencer quelque chose de neuf, pour introduire l'inattendu.
Puisque chaque individu est unique au monde, son agir est une nouveauté
qui enrichit le monde de l'action, et le rend ainsi pluriel : monde des
co-actions marqué par la diversité et la multiplicité des
individus. La praxis se comprend précisément comme le fait de
prendre part aux devoirs civiques (que sont les élections, les
manifestations politiques, l'expression d'opinions individuelles etc.), mais
aussi d'initier d'autres actes civiques imprévus, puisque l'homme a la
capacité de créer du neuf. C'est pourquoi l'action est encore
définie comme une capacité de commencement, d'un commencement qui
révèle l'agent aux autres. Par l'agir, l'homme répond
à la question `qui es-tu' que les autres lui posent dès son
entrée dans le monde c'est-à-dire sa naissance.
Mais l'action resterait mal comprise, si nous l'analysions
séparément de la parole. Pour Hannah Arendt, en effet,
«l'acte ne prend un sens que par la parole dans laquelle l'agent
s'identifie comme acteur, annonçant ce qu'il fait, ce qu'il a fait, ce
qu'il veut faire»_. Pour Arendt donc, l'action est inséparable de
la parole, la praxis et la lexis sont en liaison nécessaire l'une avec
l'autre.
3. 3. La participation par la lexis.
Le commencement qui caractérise l'action (praxis)
caractérise donc également la parole. Cela se comprend dans cette
perspective où l'agir est à la fois l'agir en acte et en parole,
ou comme acte langagier. Hannah Arendt affirme que la plupart des actes sont
accomplis en manière de parole.
Nous sommes amené de la sorte au constat
qu'étudier la praxis et la lexis d'une manière
séparée n'est pas dans la ligne de penser de Hannah Arendt, qui
n'admet cette division que par un seul souci méthodologique. Pour
Arendt, «l'action muette ne serait plus action parce qu'il n'y aurait plus
d'acteur et, l'acteur, le faiseur d'actes, n'est possible que s'il est en
même temps diseur de paroles»_.
La parole dont il est question ici n'est pas bien sûr
le monologue, ni la parole
dictée, elle est parole échangée qui
n'est pas violence ni bavardage. C'est une parole
donatrice de sens à l'agent - diseur puisque celui-ci
révèle son identité par ce qu'il dit
en se prononçant.
Dès lors, la parole se comprend comme la
capacité qu'a l'individu humain de
dire ce qu'il est et ce qu'il fait aux autres qui l'entendent
et le voient. Le rôle spécifique
de la parole publique est celui de matérialiser et de
rappeler (nommer) les choses
neuves que l'action (praxis) a introduites, les choses qui
apparaissent ainsi et qui jettent leur éclat dans le monde des hommes.
En d'autres termes, la parole aide la mémoire collective à se
souvenir des résultats des actes de l'action (praxis).
Nous savons que la nouveauté et
l'imprévisibilité introduites désormais par l'action
suscite nécessairement des réactions de la part des autres, qui
ont normalement chacun la même capacité d'initier quelque chose de
différent. C'est que le neuf rencontre et suscite d'autres neufs. Il y a
ainsi un débat public à plusieurs qui s'ouvre à la suite
de l'acte langagier ou de l'action simplement (praxis). C'est à cet
échange de paroles et d'actes que Hannah Arendt veut en arriver pour
qu'on puisse parler effectivement de l'espace politique et de la participation
politique.
L'acte muet devient violence, et celle-ci fait taire.
La participation par la lexis est donc le fait de prendre part
aux débats publics en toute liberté d'expression.
3.4. Critiques de la théorie politique de
Hannah Arendt.
3.4.1. Hannah Arendt et nous : essai d'appropriation
de la pensée
politique d'Arendt pour réévaluer le
politique en Afrique.
Il est question à présent d'utiliser le
modèle politique arendtien pour comprendre et pour critiquer le
politique en Afrique. Mais, avant cela, il nous semble utile de
récapituler, en utilisant nos propres expressions, l'essentiel de la
pensée de Hannah Arendt qui a fait l'objet de notre travail.
Pour Hannah Arendt, nous l'avons dit, la coexistence humaine
est un fait irrécusable qui est lié et est conséquent
à l'être social de l'homme. Cette coexistence est politique en
tant qu'elle appelle les hommes vivant ensemble à s'organiser de telle
façon que chaque individu puisse avoir la possibilité et
l'occasion de dire et d'entendre, d'agir et de voir les autres agir. Une telle
organisation rendra heureux ce vivre ensemble. Conséquemment, la
participation politique suppose la coexistence , elle est force qui maintient
et qui rend harmonieuse la coexistence ; il y a participation lorsque cette
possibilité d'apparaître et de voir est actualisée,
c'est-à-dire lorsque, comme autour de la table, chaque individu est vu
et entendu par ses égaux. La participation politique, si elle existe
effectivement dans un pays, rend le politique aisé, facile et transforme
le pays en un espace vraiment vivable.
Qu'en est-il de la participation politique en Afrique ?
Nous n'allons pas raconter ici l'histoire épique de ce continent.
Contentons-nous de rappeler que depuis la fin de la colonisation et à
partir du temps des indépendances, l'Afrique cherche son chemin du mieux
- vivre ; mieux encore, elle se recherche sur tous les plans, et surtout sur le
plan politique.
Il y a un tâtonnement. C'est pourquoi d'aucuns
pensent, à tort peut-être, que l'Afrique n'a pas «d'hommes
politiques», ou «qu'elle n'est pas prédisposée à
la démocratie», ou encore que «le peuple n'est pas encore
mûr pour prendre part aux affaires politiques», etc.
La vérité essentielle qui régente ces
affirmations est, à notre sens, que la
plupart des pays d'Afrique n'ont pas encore atteint la pleine
réalisation de la
participation politique où chaque citoyen aurait un mot
à dire sur les affaires politiques
qui engagent normalement la destinée collective de la
nation. En d'autres termes, plus proche de ceux de Hannah Arendt, on dirait que
le dialogue ( partage de la parole) entre tous (peuple et «ceux qui les
gouvernent») et l'initiative individuelle d'action publique sont loin
d'être effectifs (réalités).
En effet, il y eut une longue période marquée
surtout par l'exclusion du peuple entier à la prise des décisions
politiques ; cette période n'est pas encore révolue, elle
est présente dans certains Etats d'Afrique. L'exclusion politique dont
les populations africaines sont victimes est soit conditionnée par
l'indifférence même du peuple, soit simplement imposée par
les dirigeants.
3.4.1.1. L'exclusion voulue ou conditionnée par
l'attitude du
peuple.
C'est la forme la plus fréquente d'exclusion qu'on
rencontre actuellement en Afrique. Nous avons déjà parlé
brièvement des causes de l'indifférence politique des populations
africaines. Il s'agit surtout du spiritualisme (conviction d'ordre religieux_)
et de l'exclusion du peule par les gouvernants.
Revenons à la cause religieuse ou aux convictions
spirituelles. En effet, sous l'inspiration d'un spiritualisme à
outrance, de nombreuses personnes se dégagent, se
désintéressent de la vie de la polis, soi-disant pour s'occuper
totalement des affaires de Dieu. Une telle attitude nous paraît mal venue
et donc facilement critiquable, puisque la gloire de Dieu est l'homme vivant,
et qu'il nous faut dire, par ricochet, que les affaires de Dieu sont celles qui
aident l'homme à goûter le Royaume inauguré par
Jésus-Christ dans la synagogue de Nazareth.
Ce détour par la spiritualité nous permet de
réfuter l'auto - exclusion des croyants, notamment des chrétiens,
de la vie de leur cité terrestre.
«la foi, estimait Monseigneur Matagrin, pour le plus
grand bien de l'homme et de la société, a et doit avoir
effectivement quelque chose à dire à la politique et la politique
a bien le droit d'interroger à son tour la foi»_.
Ces propos courageux aideront certainement à bannir le
fidéisme qui sévit en Afrique. La foi vécue dans une
indifférence à l'égard de notre condition humaine devient
une aliénation de l'homme ; car l'homme y détruit lui-même
son essence politique, tout en voulant vivre dans un espace organisé
où il puisse bien vivre son engagement de croyant.
3.4.1.2. L'exclusion imposée au peuple par le
régime en place.
Cette forme d'exclusion n'est pas très rare ni
recherchée, car c'est la forme qui prévaut dans presque tous les
pays africains depuis des temps immémoriaux. La colonisation fut la
forme la plus humiliante d'exclusion. Les régimes oligarchiques qui ont
succédé aux indépendances en sont encore des exemples
patents.
Cette exclusion consiste en une monopolisation et en une
privatisation des affaires politiques par et entre les mains d'un groupe
réduit autour du pouvoir en place. La plupart des pays d'Afrique ont
connu des gouvernements dictatoriaux avec parti unique, durant au moins vingt
ans. Chaque fois qu'on y parlait des élections, c'était
obligatoirement en vue de reconduire le même président.
Il faut reconnaître pourtant que laisser ainsi un
peuple entier en marge des affaires engageant sa vie, le priver de la vie
publique (donc de son humanité), c'est banalement
l«animaliser», et Hannah Arendt pourra même dire que c'est
gérer le pays à la manière d'une famille où il y a
la dictature du chef de famille qui donne des ordres que d'autres
exécutent sans riposte.
Ces deux formes d'exclusion privent l'homme de son droit et
de son devoir
civique de disposer de lui-même et, dans la perspective
arendtienne, de dire, d'agir
publiquement à propos des affaires politiques. D'une
manière simple, nous dirions
que la participation politique, acte d'échange de la
parole et de l'action, n'est pas encore une chose totalement acquise dans
certains pays d'Afrique. Cela surtout à cause de la gestion de type
familial que l'on applique à la nation. Le devoir de participation
politique incombe à chaque citoyen en tant qu'il vit dans la polis, et
comme bios politikos dans le sens arendtien. Jacques Ellul rappelle que
«le grand mal, ce qui donne à l'Etat son indépendance, ce
serait en réalité l'apolitisme du citoyen »_. Il est
vrai par ailleurs que «l'autorité, comme le souligne
Enègren, doit assurer, de façon parfaitement immanente, la
solidarité du lien politique_», tel est normalement le rôle
de l'Etat.
3.4.2. Critique de la pensée politique de Hannah
Arendt.
L'analyse pénétrante que Hannah Arendt nous
présente du politique nous a permis, selon ses propres mots, de
comprendre «l'origine de l'aliénation du monde moderne [de
l'Afrique, dirions-nous] de sa double retraite fuyant la terre pour l'univers
et le monde pour le moi»_ ; elle nous a permis d'évaluer, mieux de
réévaluer notre propre espace politique. En recourant à la
« pêche à la perle », en effet, nous avons
utilisé la pensée d'Arendt pour lire, pour comprendre et pour
interpréter notre propre histoire contemporaine en Afrique.
La pensée d'Arendt nous paraît en effet riche et
importante ; de plus, elle est
très actuelle, notamment par les questions qu'elle
pose, questions qui sont vraiment
au coeur de notre expérience et de notre
actualité politiques : les questions d'autorité,
de liberté, de participation, de démocratie,
etc.
Puisque nous avons presque entièrement
épousé, , cette pensée (dont nous
avons fait usage jusqu'ici), il nous faut ,cependant, pour
éviter l'apologie c'est-à-dire
une simple défense trop subjective de Hannah Arendt,
essayer d'opérer un
dépassement et une critique de la démarche
arendtienne avant de finir ce travail. Il
s'agit en fait de faire ressortir, avec d'autres penseurs, les
limites que peut contenir la
pensée d'Arendt.
Jacques Taminiaux rapporte qu'on «reproche quelquefois
à Arendt de réserver l'activité d'action proprement dite
à un petit nombre d'élus»_. Cette critique semble être
fondée sur l'affirmation de Hannah Arendt selon laquelle «des
activités nécessaires existant dans les sociétés
humaines, deux seulement passaient pour politiques et pour constituer ce qu'
Aristote nommait bios politikos : à savoir l'action (praxis) et la
parole (lexis)»_. C'est-à-dire que seuls ceux qui parlent et qui
agissent sont ou incarnent le bios politikos, ceux qui n'ont pas encore su
s'ouvrir à la parole et l'action publiques sont exclus (pas
considérés) dans la perspective d'Arendt du politique.
Contrairement à la cité grecque d'Aristote, la
cité que prône Arendt ne connaît pas la distinction entre
esclaves et hommes libres. Cela signifie que, pour Arendt, que l'homme, quel
qu'il soit, ouvrier ou artisan, a la vocation, l'appel a faire son apparition
publique sur la scène politique par l'action. Mais, avant cela, l'homme
doit avoir maîtrisé les nécessités de l'existence
par le travail.
Outre cette critique, de nombreux érudits taxent
l'ouvrage d'Arendt de chronique des événements et elle-même
de n'être qu'une simple journaliste. Cette critique est
occasionnée par le style arendtien qui prête en effet au genre
journalistique et narratif.
Mais c'est à dessein qu'Arendt agit de la sorte (
narrer ou faire une chronique des événements qui arrivaient) pour
libérer le politique de ses «sombres temps». Nous savons
toutefois que Hannah Arendt a exercé le métier de journaliste.
André Enegren, qui reconnaît clairement la
valeur du projet arendtien, comme «théorie communautaire du
pouvoir», lui objecte pourtant, en accord avec les réalistes,
l'impossibilité de pratiquer la théorie politique qu'elle a
propagée parce que cette dernière soutient la perfection de la
délibération plurielle en oubliant les possibilités de
corruption de la parole_.
Arendt ne voulait pas bâtir des systèmes
politiques prêts à être appliqués ; elle disait
qu'elle voulait dire et décrire ce que les hommes font, ce qu'ils vivent
ensemble. Et cela la conduisit à se dire théoricienne de la
politique. Après avoir dit et analysé ce que les hommes vivaient,
Hannah Arendt re-pensera le politique pour en proposer les règles. Nous
pensons aussi que, dans l'histoire de la pensée, depuis les temps
anciens, personne n'a donné un modèle politique qu'il suffirait
d'appliquer en quelque pays pour transformer, de manière miraculeuse, sa
réalité politique.
Une autre question qu'on pose à Arendt aujourd'hui et
celle que rapporte encore André Enegren : «A quoi bon poser des
règles d'un jeu auquel personne ne joue plus ? »_. Cette question
signifie en fait que la théorie politique d'Arendt est hors de
proportion avec le jeu politique actuel, où il y a un manque
évident «et de la transparence de la parole et de la
limpidité du regard». Le politique s'est aujourd'hui
déguisé pathologiquement en un «art d'obtenir une soumission
consentie»_.
Mais, sans accepter de se complaire en cet état
erroné du politique, Hannah
Arendt a voulu justement remonter au fondement du jeu
politique pour y retrouver
«l'esprit originel» : le domaine de la coexistence,
où les égaux discutent ensemble de
la gestion des affaires collectives. Il valait donc la peine
de redéfinir les règles du jeu
politique.
Nous pensons toutefois, après l'évocation de
ces quelques critiques, que Hannah Arendt garde le grand mérite d'avoir
osé dire ce que les hommes font, d'avoir soulevé les grandes
questions concernant le vécu politique, et la vie des hommes d'un point
de vue éthique, philosophique et anthropologique. Les questions qu'elle
pose ont suscité jusqu'à nos jours un débat interminable
et sérieux qui engage les penseurs et les acteurs politiques, les
philosophes et les moralistes, dans le souci de replacer l'homme à
l'intérieur de sa vocation à bien vivre, avec les autres, en se
réalisant avec eux hic et nunc. Mais comme tout initiateur d'actes, ou
d'une pensée, la pensée d'Arendt mérite d'être bien
comprise, complétée, contextualisée, prolongée et
adaptée, pour être plus efficace, c'est-à-dire plus
inspiratrice pour évaluer le politique actuel, en Afrique, en Asie, etc.
Ce travail incombe aux acteurs politiques, aux éditeurs de
théories politiques et aux lecteurs de Hannah Arendt.
CONCLUSION GENERALE
«L'homme, disait Xavier La Bonnardière, est, en
même temps et par nature, animal social et même, à un
degré d'évolution plus avancé, animal politique»_.
Cette conception aristotélicienne de l'homme a
été le leitmotiv de notre étude de Condition de l'homme
moderne de Hannah Arendt. Notre travail s'achève. Il nous faut
maintenant faire succinctement la récapitulation du chemin parcouru.
Dans le premier chapitre, nous nous sommes efforcé de
tracer la ligne centrale de la pensée de Hannah Arendt. Nous avons
ensuite ordonné cette pensée dans une synthèse telle
qu'elle s'énonce dans Condition de l'homme moderne. Condition de l'homme
moderne, nous l'avons vu, est d'abord et surtout une analyse des
activités, de la vita activa dans leur signification politique : le
travail, l'oeuvre et l'action.
Le deuxième chapitre a essayé de montrer que la
coexistence humaine est une réalité tangible, voire
«donnée par la nature», puisque la socialité de l'homme
fait partie de son essence : l'homme est toujours et déjà dans
une société, il est un animal social en tant
qu'«être-avec». Cependant, selon Hannah Arendt, la
communauté politique advient lorsque les hommes, déjà en
société naturelle, s'engagent, dans un espace public, à
dire et à agir sur les affaires politiques ou publiques.
Dialectiquement, on dirait que la communauté politique émerge de
l'action qui s'y situe, et cette communauté politique disparaît
dès que les hommes n'agissent plus de concert.
Toujours dans cette logique de la pensée de Hannah
Arendt nous avons compris qu «il y avait (a) en l'homme quelque
chose de politique qui appartient à son essence»_.
On peut déduire de cette découverte de l'espace
public en tant que lieu naturel
du politique que le domaine politique est l'unique et le
véritable «domaine où nous
(humains) devons être, c'est-à-dire où
nous ne nous sentons ni livrés à nos
impulsions ni dépendants de quoi que ce soit de
matériel»_. De façon simple et claire,
nous dirons que l'inter-esse s'est
révélé nécessaire et exigé de l'homme et des
hommes.
Nous avons vu encore que le vivre ensemble, l'inter-esse,
nécessite toujours une conjugaison harmonieuse d'actions (paroles et
actes) des hommes libres et égaux. C'est à ce niveau qu'intervint
la notion de participation politique, notion que nous avons largement
expliquée dans le troisième chapitre en tant que condition sine
qua non de l'avènement de l'espace politique véritable,
c'est-à-dire l'espace de l'agir humain pluriel où il fait bon
vivre pour tous et pour chacun.
La participation politique de l'homme, en l'occurrence le
citoyen, s'est révélée comme l'acte humain et civique le
plus excellent parce que, c'est lorsque l'homme s'engage actuellement
(effectivement) à prendre part (selon le sens même de participer),
par l'action et par la parole en face de ses égaux, c'est-à-dire
aux affaires publiques qu'il exhibe réellement ce qui est
d'essentiellement humain en lui, son être politique, en tant
qu'être avec. La réciprocité caractérise l'agir et
le dire en public, car l'homme est toujours un être avec les autres et
c'est avec ceux-ci qu'il échange les paroles et les actions pour
créer cet espace de vivre ensemble organisé. Comme on s'en sera
rendu compte, la visée de ce travail, dans le contexte où nous
sommes, c'est d'être un plaidoyer pour une communauté humaine
caractérisée par la participation politique de tous et de chaque
citoyen.
Partant d'une phénoménologie du vivre-ensemble
actuel, notamment en Afrique, et nous tournant vers l'analyse de Hannah Arendt
sur la condition de l'homme moderne, notre travail a consisté justement
à montrer l'importance du politique comme une structure fondamentale de
la réalité de l'homme, et que cette structure ne provient
effectivement que «d'une action et d'une parole partagées au sein
d'un espace politique»_.
L'accomplissement du politique au sens qu'en donne Hannah
Arendt est important, d'autant plus qu'il est destiné à garantir
le droit qu'a chaque homme en tant qu'être humain : d'agir et de dire ce
qu'il pense sur les problèmes qui engagent le destin collectif de la
cité, c'est-à-dire de tous.
Enfin, nous allons conclure ce travail. Après le
chemin que nous avons
parcouru, le titre de notre travail devient plus
compréhensible :
«La coexistence humaine et la participation politique.
Une réévaluation de l'espace politique chez Hannah Arendt».
Ce titre, qui a guidé notre étude, stipule, en ces deux parties,
que la coexistence humaine lorsqu'elle est bien assumée et pour
être excellemment réussie, convoque et exige nécessairement
la participation politique des individus qui vivent ensemble et qui partagent
un même espace. La re-évaluation de l'espace politique dont nous
avons parlée tient du seul fait qu'avant nous, Hannah Arendt ainsi que
d'autres penseurs ont fait des évaluations de leur espace politique.
Nous avons, à notre tour, fait une nouvelle évaluation de notre
politique avec l'aide et selon l'inspiration de la pensée de Hannah
Arendt.
Disons donc que nos politiques qui sont encore
marquées d'exclusion et de soustraction politiques de toutes sortes vont
sans doute trouver chez Hannah Arendt des outils d'inspiration importants pour
rendre vivable et harmonieux l'espace commun. Et partant, l'Afrique pourra se
soustraire de l'odeur de la mort qu'elle connaît actuellement _. Telle
est, en conclusion, la réhabilitation radicale du politique que Hannah
Arendt proposait dans le sens d'un véritable espace public de
délibération et d'initiative.
BIBLIOGRAPHIE
Elisabeth Young-Bruehl et Sylvie Courtine-Denamy donnent,
chacune, une bibliographie assez détaillée de Hannah Arendt, dans
leurs ouvrages sur Hannah Arendt», respectivement aux pages 689-709 et
405-428 (Cfr. infra).
Ecrits de Hannah Arendt
1. ARENDT Hannah, Condition de l'homme moderne, traduction de
Georges Fradier,
Paris, calmann-Lévy, 1961.
2. -----------------------, La crise de la culture. Huit
exercices de pensée politique,
traduction de Patrick Lévy, Paris, Gallimard,
1972.
3. ----------------------,Le système totalitaire,
traduction de Jean-Loup Bourget, Robert
Davreu et Patrick Lévy, Paris, Seuil, 1972.
4. ---------------------, Vies politiques, Paris, Gallimard,
1974.
5. ----------------------, Juger sur la philosophie politique
de Kant, traduction de
Myriam Revault d'Allonnes, Paris, Seuil, 1991.
6. ---------------------, Qu'est-ce que la politique ? ,
Texte établi et commenté par
Ursula Ludz, traduction et préface de Sylvie
Courtine-Denamy,
Paris, Seuil, 1993.
Livres et articles sur Hannah Arendt
A) Livres
1. ENEGREN André, La pensée politique de Hannah
Arendt, Paris, PUF, 1984.
2. YOUNG-BRUEHL Elisabeth, Hannah Arendt, traduction de
Joél Roman et Etienne
Tassin, Paris, Anthropos, 1986.
3. COURTINE-DENAMY Sylvie, Hannah Arendt, Paris, Belfond,
1994.
4. ABENSOUR, Miguel et aa, Ontologie et Politique. Actes du
colloque Hannah
Arendt, Paris, Tierce, 1989.
5. TAMINIAUX Jacques, La fille de Thrace et le penseur
professionnel. Arendt et
Heidegger, Paris, Payot, 1992.
6. HUBENY Alexandre, L'action dans l'oeuvre de Hannah Arendt.
Du politique à
l'éthique, Paris, Découvrir, 1993.
B) Articles
1. RICOEUR Paul, « Hannah Arendt » in
Lectures 1. Autour de la politique, Paris,
Seuil, 1991, pp. 15-65.
2. ENEGREN André, « Pouvoir et
liberté. Une approche de la théorie politique de
Hannah Arendt », in Etudes, avril 1983, tome 358,
pp. 487-494.
3. VALADIER Paul, « Le politique contre le
totalitarisme. Ouverture à la pensée de
Hannah Arendt », in Projet n(143, mars 1980,
pp.329-343.
4. ESLIN Jean-Claude, « L'événement de
penser », in Esprit, juin 1980, pp. 7 ss.
5. VETÖ Miklos, « Cohérence et
terreur : introduction à la philosophie politique de
Hannah Arendt », in Archives de philosophie, Tome
45, 1982,
pp.549-584.
6. « Le cahier du grif »», n°33,
1986, Paris, Tierce.
Autres écrits
A) Livres
1. ARISTOTE, La politique, présentation et annotation
par Marcel Prélot, Paris,
Gonthier, 1964.
2. ELLUL Jacques, L'illusion politique, Paris, Robert Laffont,
1965.
3. CALVEZ Jean-Yves, Introduction à la vie politique,
Paris, Aubier-Montaigne, 1967.
4. HUISMAN Denis, Dictionnaire des philosophes, Paris, PUF,
1984.
5. LA BONNARDIERE Xavier, Initiation politique, Paris, Fayard,
1967.
6. LALANDE André, Vocabulaire technique et critique de
la philosophie, Paris, PUF,
1926.
7. MILL John Stuart, De la liberté, traduction et
commentaire par Gilbert Boss, Zurich,
éditions du grand Midi, 1987.
8. NGOMA-BINDA P. Elie, La participation politique.
Eléments de formation civique
et politique, Kinshasa, Ifep et FKA, 1995.
9. NTIMA NkANZA, « Non. Je ne mourrai pas, je
vivrai. », Méditation sur le
cheminement christologique en Afrique, Canisius, Ed.
Loyola,
1996.
10. THONNARD, F.-J, Extraits des grands philosophes, Paris,
DDB et aa, 1953.
11. VALADIER Paul, Agir en politique. Décision morale
et pluralisme politique,
Paris, Cerf, 1980.
B) Articles
1. MAYEMBA Bienvenu, « Critique de la foi comme
chemin d'évasion. Un petit éloge
de la raison éthique », in Zaïre
Afrique, n( 312, février 1997, pp. 83-92.
TABLE DES MATIERES
_ TM \o "1-3" _EPIGRAPHE _ RENVOIPAGE _Toc477772056 \h __I_
DEDICACE _ RENVOIPAGE _Toc477772057 \h __II_
REMERCIEMENTS _ RENVOIPAGE _Toc477772058 \h __III_
0. INTRODUCTION GENERALE _ RENVOIPAGE _Toc477772059 \h __1_
0.1. Une esquisse biographique de Hannah Arendt _ RENVOIPAGE
_Toc477772060 \h __1_
0.2. Le pourquoi de notre réflexion _ RENVOIPAGE
_Toc477772062 \h __3_
0.3. Le principe directeur du travail _ RENVOIPAGE
_Toc477772063 \h __4_
Chapitre premier : LA COMPREHENSION GENERALE DE LA PENSEE DE
HANNAH ARENDT _ RENVOIPAGE _Toc477772064 \h __6_
1.1. La phénoménologie de l'histoire
vécue _ RENVOIPAGE _Toc477772065 \h __6_
1.2. La genèse d'une pensée _ RENVOIPAGE
_Toc477772066 \h __9_
1.3. «Condition de l'homme moderne» _ RENVOIPAGE
_Toc477772067 \h __10_
1.4. Une méthode arendtienne : «la pêche
à la perle» _ RENVOIPAGE _Toc477772068 \h __14_
Chapitre deuxième : La COEXISTENCE HUMAINE _ RENVOIPAGE
_Toc477772069 \h __17_
2. 1. L'exister humain pluriel _ RENVOIPAGE _Toc477772070 \h
__18_
2.1.1. L'homme: "un être avec les autres" _ RENVOIPAGE
_Toc477772071 \h __18_
2.1.2. " L'animal social " _ RENVOIPAGE _Toc477772072 \h
__19_
2.1.3. "L'animal politique" _ RENVOIPAGE _Toc477772073 \h
__21_
2.2. Le domaine privé. _ RENVOIPAGE _Toc477772074 \h
__22_
2.2.1. Le privé comme privatif _ RENVOIPAGE
_Toc477772075 \h __22_
2.2.2. Le privé comme propriété
privée _ RENVOIPAGE _Toc477772076 \h __23_
2.3. Le domaine public. _ RENVOIPAGE _Toc477772077 \h __24_
2. 4. La redéfinition du politique avec Hannah Arendt _
RENVOIPAGE _Toc477772078 \h __26_
Chapitre troisième : LA PARTICIPATION POLITIQUE DU
CITOYEN. _ RENVOIPAGE _Toc477772079 \h __29_
3.1. L'indifférence politique des citoyens _ RENVOIPAGE
_Toc477772080 \h __30_
3.2. La participation politique par la praxis. _ RENVOIPAGE
_Toc477772081 \h __31_
3. 3. La participation par la lexis. 33
3.4. Critiques de la théorie politique de Hannah
Arendt. 34
3.4.1. Hannah Arendt et nous : essai d'appropriation de
la pensée politique d'Arendt pour réévaluer le politique
en Afrique. 34
3.4.2. Critique de la pensée politique de Hannah
Arendt. 37
CONCLUSION GENERALE 40
BIBLIOGRAPHIE 43
Ecrits de Hannah Arendt 43
Livres et articles sur Hannah Arendt 43
Autres écrits 44
TABLE DES MATIERES 46
_
_ Hannah Arendt, Crise de la culture. Huit exercices de
pensée politique, traduction de Patrick
Lévy, Paris, Gallimard, 1972, p.26.
_ Ce dernier volume a une nature particulière. Il a
paru posthume et l'auteur n'avait
Laissé qu'une page vide avec le titre `Juger', sur sa
machine à écrire.
_ Mary Mc Carthy, « Pour dire au revoir à
Hannah », in Cahier du Grif n°33, 1986, p.10.
_ L'origine de cette situation troublée remonte
à la diaspora qu'il avait connue depuis l'invasion de Nabuchodonosor.
Nous parlons de la première dispersion des habitants du royaume de Juda,
après la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor en 587 avant
Jésus-Christ. Depuis cette dispersion les Juifs n'ont jamais
cessé d'être en butte à l'hostilité des populations
auxquelles ils étaient mêlés (cela peut être à
cause de l'intransigeance religieuse des Juifs et aussi leurs refus de
s'assimiler.
_ Olivier Mongin, dans une belle page de la préface
qu'il a écrite au livre d'Elisabeth Young-Bruehl, Hannah Arendt,
traduction de Joél Roman et Etienne Tassin, Paris, Anthropos, 1986, p.
XVI.
_ André Enegrén, La pensée politique
d'Hannah Arendt, Paris, PUF, 1984, p. 23.
_ Ibid., p. 237.
_ Ibid., p .24
_ Olivier Mongin, préface du livre d'Elisabeth
Young-Bruehl, Op. Cit., p. XII.
_ Il s'agit là du contenu de la lettre n(183 d'Arendt
à Jaspers, dont reprenons la citation faite par Sylvie Courtine-Denamy,
Hannah Arendt, p. 312.
_ On pourra ici lire Paul Ricoeur, cité par Sylvie
Courtine-Denamy, Op. cit., p. 313.
_ Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, Traduction de
Georges Fradier, Paris, Calmann-Lévy, 1961, p. 15
_ Ibidem
_ Sylvie Courtine-Denamy, op. cit., p.319
_ Ibidem
_ Ibidem.
_ Paul Ricoeur, Lectures 1. Autour de la politique, p.64.
_ Elisabeth Young-Bruehl, Hannah Arendt, p.361.
_ Sylvie Courtine, op. cit., p.313.
_ Ibid., p.314
_ Hannah Arendt, Vies politiques, Paris, Gallimard, 1974,
p.304.
_ Nous garderons présente à notre esprit cette
manière de faire puisque nous remarquons que l'analyse de l'espace
politique qui sera faite dans la suite de ce travail aura la polis grecque et
la cité romaine comme références
privilégiées.
_ Hannah Arendt, Crise de la culture, p.200.
_ Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, p. 19.
_ Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, p. 31.
_ André Enegrén, "Pouvoir et liberté. Une
approche de la théorie politique de Hannah Arendt", in Etudes, avril
1983, tome 358, p. 489.
_ Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, p. 16.
_ Ibid., p. 37.
_ Ibid., p.42.
_ On peut, pour s'en convaincre, lire les pages 32 et 37 de
Condition de l'homme moderne.
_ Ibid. p. 33.
_ Alexandre Hubeny, L'action dans l'oeuvre de Hannah Arendt.
Du politique à l'éthique, Paris, Découvrir, 1993, p.
12.
_ Hannah Arendt, La condition de l'homme moderne, p. 33.
_ Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, p. 75.
_ Ibid., p. 70.
_ les activités de la vie actives sont le travail,
l'oeuvre et l'action.
_ Hannah Arendt, o. c., p. 72.
_ Ibid., p. 73.
_ Ibid., p. 83.
_ Ibid., p. 16.
_ Ibid., p. 33.
_ Ibid., p. 68.
_ François Proust, «Le
récitant », in Ontologie et politique. Actes du colloques
Hannah Arendt, Paris, Tierce, 1989, p.102.
_ Jacques Taminiaux, La fille de Thrace et le penseur
professionnel. Arendt et Heidegger, Paris, Payot, 1992, p. 111.
_ Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, p. 63.
_ La table en effet rassemble les convives tout en les
distinguant les uns des autres ; elle
devient comme ce lieu autour duquel les hommes se retrouvent
et se regroupent pour parler et
pour agir les uns devant les autres, car chacun est vu et voit
les autres. Le totalitarisme est
nuisible parce qu'il tente de supprimer cette
différence pour rendre les hommes comme un seul
homme avec un comportement guidé par l'idéologie
et la terreur, il détruit toute la spontanéité
de l'être humain en tant qu'être d'initiative.
_ Nous précisons que nous emploierons le terme
politique dans toute son extension
sémantique. Nous dirons par exemple que, pour nous, le
politique est le domaine, la sphère
des intérêts publics et la politique est l'action
relative à ce domaine, ou la direction de la chose
publique. Nous utiliserons donc à la fois les
substantifs masculin et féminin pour désigner tout ce domaine des
affaires de l'Etat-nation ou de la cité.
_ Jacques Taminiaux, La fille de Thrace et le penseur
professionnel. Arendt et Heidegger,
p. 111.
_ Hannah Arendt, Juger sur la philosophie politique de Kant,
traduction de Myriam Revaul d'Allonnes, Paris, Seul, 1991, p. 156.
_ Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, p. 223.
_ Nous pouvons déduire de cette explication
détaillée du politique qu'on peut vivre dans un pays sans qu'il y
ait un espace politique ou public au sens qu'en donne Hannah Arendt. Car "cet
espace, dit-elle encore, n'existe pas toujours (...), la plupart d'entre les
hommes n'y vivent pas : tels sont dans l'antiquité l'esclave,
l'étranger et le barbare ; le travailleur ou l'ouvrier avant les temps
modernes, [et de nombreux peuples d'Afrique et d'ailleurs de nos jours]"
(Ibid.). C'est nous qui ajoutons la proposition mise entre les crochets.
_ F.-J. Thonnard, Extraits des grands philosophes, Paris,
Desclée et Cie, 1953, p. 110.
_ Elie P. Ngoma Binda, La participation politique.
Eléments de formation civique et politique,
Kinshasa, Ifep et FKA, 1995, p. 31.
_ Xavier La Bonnardière, Initiation politique, Paris,
Fayard, p. 102.
_ Paul Valadier, Agir en politique. Décision morale et
pluralisme politique, Paris, Cerf, 1980,
p. 91.
_ Xavier La Bonnardière, op. cit., p. 15.
_ Elie P. Ngoma Binda, La participation politique.
Eléments de formation civique et politique, Kinshasa, Ifep et FKA, 1995,
p. 32.
_ Jacques Ellul, L'illusion politique, p. 161.
_ Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, p. 199.
_Ibid. , p. 201.
_ Ibidem.
_ Il faut signaler ici que nous identifions volontiers la
religion au christianisme, tout simplement parce que nous choisissons, par
méthode, le christianisme comme paradigme, ce qui s'applique et qui dit
à propos du christianisme peuvent valoir pour les autres forme de
religions.
_ Cf. Mgr G. Matagrin, Politique, Eglise et Foi, cité
par Mayemba Bievenu, « Critique de la foi comme chemin
d'évasion. Un petit éloge de la raison
éthique », in Zaïre Afrique, n(312, février 1997,
p. 89.
_ Jacques ELLUL, L'illusion politique, Paris, Robert Laffont,
1965, p. 133.
_ André Enégren, La pensée politique de
Hannah Arendt, p. 97.
_ Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, p. 13.
_ Jacques Taminiaux, La fille de Thrace et le penseur
professionnel. Arendt et Heidegger, p. 112.
_ Hannah Arendt, op. Cit., p. 34.
_ On peut à ce propos lire avec intérêt
André Enegren, La pensée politique de Hannah Arendt, p. 234.
_ Ibid., p. 235.
_ Ibid., p. 238.
_ Xavier La Bonnardière, Initiation politique, Paris,
Fayard, 1967, p. 102.
_ Hannah Arendt, Qu'est-ce que la politique ? , Paris, Seuil,
1993, p.33.
_ Ibid., p. 34.
_ André Enegren, La pensée politique de Hannah
Arendt, p. 30.
_ Ntima Nkanza, « Non. Je ne mourrai pas, je
vivrai ». Méditation sur le cheminement christologique en
Afrique, Kinshasa, éd. Loyola, 1996, p. 174.
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