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La coexistence humaine et participation politique du citoyen. Une réévaluation de l'espace politique avec Hannah Arendt

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par Gauthier Malulu Lock j
Faculté de Philosophie saint Pierre Canisius. Kimwenza-Kinshasa - Graduat en Philosophie 1999
  

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« Les problèmes politiques sont les problèmes de tout le monde ; les problèmes de tout le monde sont des problèmes politiques "

(Hannah Arendt).

DEDICACE

A vous tous qui luttez, directement ou indirectement, en public ou en privé, pour l'avènement d'un vivre ensemble heureux en Afrique ;

A toutes les personnes qui ont tracé la route heureuse du service toujours plus grand et à celles qui nous suivront sur cette même route,

Nous dédions ce travail.

0. INTRODUCTION GENERALE

Nous allons introduire succinctement ce travail. Pour ce faire, nous commencerons par présenter la biographie de Hannah Arendt mais il nous faudra nous étendre un peu plus largement à cause de l'influence décisive de la vie de l'auteur sur sa pensée ; après quoi nous tâcherons d'expliquer le pourquoi de la réflexion que nous nous proposons de faire dans ce travail. Nous terminerons cette introduction en énonçant brièvement ce que nous avons appelé « principe directeur du travail ».

0.1. Une esquisse biographique de Hannah Arendt

La pensée arendtienne est tributaire de son histoire singulière d'une part, et de l'histoire générale du peuple juif d'autre part. Arendt ne dira-t-elle pas elle-même que « la pensée naît d'événements de l'expérience vécue et doit leur demeurer liée comme aux seuls guides propres à l'orienter »_. Hannah Arendt est née des parents modestes. Arendt est née à Hanovre née le 14 octobre 1906, enfant unique de Paul et Martha Arendt, elle est allemande d'origine juive et ne devint citoyenne américaine qu'en 1950. Elle mourra subitement d'une crise cardiaque, le 4 décembre 1975 à New York. Bien qu'une grande page s'ouvrait ainsi dans l'histoire de la théorie politique, on peut dire que la date de sa mort marquait la fin d'une histoire singulière, parce qu'Arendt mourra veuve et sans enfant.

Sa vie est pleine d'aventures effarantes liées surtout à son appartenance au peuple juif, qu'elle qualifia de « damné de la terre ». Dès l'âge de 7 ans, en 1913, son père, atteint de syphilis, meurt fou. Hannah , orpheline de père, ne trouvera pas de si tôt l'atmosphère requise pour surmonter ce premier choc, sa première épreuve. Au lendemain de la disparition de Paul Arendt, c'est-à-dire l'année suivante, Martha, sa mère et elle-même furent obligées de s'enfuir devant l'invasion « cosaque » de la ville de Königsberg. Tel fut le commencement d'une vie pénible marquée par de multiples déplacements forcés, des fuites en quête d'un refuge sûr là où on pourrait le trouver. Mais les péripéties de l'existence ne seront pas un obstacle pour l'émergence intellectuelle de cette âme bien née. En 1928, à l'âge de 22 ans, Hannah Arendt publia sa thèse de doctorat en philosophie sur «Le concept d'amour chez saint Augustin » qu'elle rédigea sous la direction de Karl Jaspers -pour qui elle gardera toujours un très grand respect, une grande estime scientifique et un souvenir inoubliable- à l'université de Heidelberg.

Malheureusement, peu après, la chasse aux Juifs que le mouvement Nazi avait commencée et développait sans relâche ne laissa pas sauve Hannah Arendt. Elle dut connaître encore la triste réalité de l'exil  : en France d'abord de 1933 à1940, aux Etats-Unis ensuite, en 1941. Ce n'est qu'en 1951 que les Etats-Unis lui octroyèrent la nationalité américaine ; entre temps, c'est-à-dire de 1940 à 1951, Arendt vécut la condition inconfortable avec la situation d'apatride sans aucune protection juridique.

Cette vie troublée par ces mésaventures frappèrent aussi sa vie affective : en 1936, elle se séparera de son époux Günther Stern pour se lier à un communiste non juif de Berlin, Blücher Heinrich, qui deviendra son second mari en 1940. Martha, sa mère mourut en 1948.

Force est de constater que ce souvenir douloureux de l'antisémitisme, de l'exclusion de tout un peuple du droit à la vie et à la liberté, marqueront fortement toute sa vie, et par le fait même soutiendront toute la pensée politique de Hannah. Cette pensée politique sera ainsi une analyse presque systématique de ces situations difficiles qu'elle avait traversées en vue de redonner sens, dans la mesure du possible, au politique.

Par ailleurs, ses recherches personnelles dans le domaine de la théorie politique lui ont assuré une très grande célébrité particulièrement dans les milieux universitaires et dans le monde de la pensée en général. En 1953, par exemple, Hannah Arendt est invitée pour des conférences à l'université de Princeton, où elle sera la première femme à occuper une chaire de professeur en 1959. Elle enseignera également à Berkeley en 1955, à Chicago en 1956 et dans plusieurs autres universités américaines, notamment dans celle de Californie, d'Aberdeen, de Brooklyn, de Columbia, et de Wesleyan. Entre autres distinctions, elle a reçu le prix Lessing en 1959, le prix Sigmund Freud en 1967.

Ses divers enseignements et ses conférences sont les sources majeures de l'abondante oeuvre qu'elle nous a laissée. Nous nous contentons ici de citer ses principaux écrits. Son livre le plus célèbre est "The origin of Totalitarianism" publié en 1951. Ce livre comprend trois parties qui ont paru en trois volumes :

1. "Antisemitism", en traduction française "Sur l'antisémitisme";

2. "Imperialism" traduit en français "L'impérialisme" ;

3 . "Totalitarianism" en français "Le système totalitaire".

D'autres ouvrages suivront cette première étude :

«Condition de l'homme moderne», en 1958 - tel est le livre qui nous concerne plus

directement dans le présent travail- ; «La crise de la culture: huit exercices de pensée

politique.», en 1961; «Essai sur la révolution», en 1963; «Eichmann à Jérusalem» en

1966, «La vie de l'esprit» qui a aussi paru en trois volumes :

«Pensée», «Vouloir» et «Juger»_.

0.2. Le pourquoi de notre réflexion

Tout le monde s'accorde aujourd'hui à dire que Hannah Arendt a interrogé à

frais nouveaux les concepts politiques fondamentaux et d'autres qui leur sont liés : la liberté, la démocratie, le pouvoir, la violence, l'autorité, la domination, le mensonge, etc. Mais vouloir réduire son oeuvre à cette analyse des concepts c'est vraiment amputer une pensée qui frappe par son caractère riche, vaste et -disons-le- complet.

Par ailleurs, si Arendt s'est adonnée à la réflexion et à la re-définition des mots clés de la langue politique, c'est non seulement parce qu'elle avait a faire avec des «monstruosités» politiques (la guerre, la massification des peuples, le totalitarisme, le génocide juif() dues à une déformation du sens du politique lui-même et à l'écart redoutable entre le dire et le faire quant à l'application des « règles du jeu politique » dans la société moderne, mais aussi parce qu'elle avait constaté un déplacement d'un certain nombre d'affaires qui ne relèvent pas stricto sensu de la politique vers la sphère du politique, elle était témoins d'un transfert des affaires extrapolitiques vers le politique, autrement dit parce qu'elle constatait la disparition du domaine public qui normalement rassemble, - sans le débordement des uns sur les autres -, les habitants d'une polis. Puisque cette disparition de l'espace commun se révélait être la cause efficiente de l'aliénation de l'individu, réduit dès lors au statut de membre d'un tout indifférencié, l'entreprise de Hannah Arendt se proposa de revaloriser l'individu dans son agir et dans son dire au sein de l'espace de l'inter-esse.

0.3. Le principe directeur du travail

Faut-il vraiment indiquer ici la problématique de ce travail ? Nous ne pensons pas nécessaire de définir ici notre problématique, étant donné celle-ci va se dévoiler tout au long de l'étude qui veut offrir une réévaluation de l'espace politique sous la conduite de Hannah Arendt. Nous voulons par contre exprimer la motivation qui a suscité en nous le désir de nous prononcer sur le politique.

Le problème majeur qui est au principe de ce travail est la constatation malheureuse que nous faisons de l'horrible désintéressement de nos contemporains de la vie politique de leur cité et de leur pays. Un désintéressement causé par l'exclusion du peuple par le régime en place, ou par une indifférence que justifieraient des convictions d'ordre religieux, culturel, personnel, etc. Pourtant, la cité est justement cet espace du « vivre ensemble », ou de la coexistence des citoyens dont l'organisation et la gestion nécessitent la participation et le concours de tous.

« Hannah Arendt, disait Mc Carthy, ne croyait guère à des notions asservissantes telles que le `devoir', mais elle était sensible à l'idée d'une vocation, y compris celle du citoyen à servir la vie commune "_.

Ce travail vise, en dernier ressort, à montrer que la participation de tous et de chaque personne singulière aux affaires communes de la polis est le devoir civique le plus important. La politique n'étant nullement un domaine particulier des personnes qu'on appelle: les politiciens, mais une exigence imposée aux hommes par la coexistence liée à leur condition humaine. S'y dérober, c'est se poster en figurant sur la

scène politique (dès lors s'en exclure), et, par le fait même, subir la politique. Ce fait de se soustraie du politique n'est pas le propre d'un acte humain. existence liée à leur condition humaine. S'y dérober, c'est se poster en figurant sur la

Nous aborderons dans ce travail l'examen ou l'analyse, de la coexistence humaine,

ainsi que le devoir qui incombe à chaque personne humaine en tant que détentrice du

bios politikos de participer activement aux affaires de la res-publica (la chose

publique ou commune).

Pénétrerons alors dans le corps de cette étude, qui aura, outre de cette intro

duction et de la conclusion, trois chapitres. Le premier chapitre sera une reprise

synthétique de la ligne générale de la pensée de Hannah Arendt, en évoquant les

circonstances de la rédaction de ses ouvrages majeurs. Le deuxième chapitre se

penchera alors sur la coexistence humaine comme fait et comme une donnée tout à

fait ontologique de la réalité humaine enfin le dernier chapitre examinera l'obligation

civique ou la nécessité pour les citoyens d'une participation politique.

Chapitre premier : LA COMPREHENSION GENERALE DE LA PENSEE DE HANNAH ARENDT

L'oeuvre de Hannah Arendt est, pour la plus grande partie, dispersée dans des articles publiés ça et là, des conférences tenues en maints endroits, des cours dispensés à travers les grandes universités de l'Occident et des écrits inédits, posthumes ou parus de son vivant et des livres dont nous avons fait mention dans l'introduction. Mais cette multiplicité d'écrits n'empêche pas de cerner la ligne constante de sa pensée, autrement dit le mouvement général de sa réflexion, de son philosopher. Le présent chapitre se propose de montrer comment les expériences vécues amenèrent Hannah Arendt à s'interroger sur le politique; il essayera, pour cela, de faire ressortir l'essentiel de la pensée d'Arendt.

1.1. La phénoménologie de l'histoire vécue

La philosophie, dit-on, est toujours écrite post factum, et Hegel dira, dans cette perspective, qu'elle est comme l'oiseau de Minerve qui prend son envol à la tombée de la nuit. Cette proposition peut se comprendre comme suit : la réflexion philosophique naît nécessairement des faits empiriques, constatables ou non, des expériences dont le philosophe a été témoin directement ou indirectement et desquelles il veut rendre compte à travers une réflexion critique.

La pensée de Hannah Arendt ne jaillit pas du néant. Elle est liée à une situation socio-politique angoissante dont elle restera d'ailleurs toujours tributaire. Dès lors, pour mieux comprendre la pensée de Hannah Arendt, il nous faut remonter en amont de celle-ci, c'est-à-dire qu'il nous faut connaître et comprendre le contexte dans lequel elle a été élaborée. Pourquoi donc cette passion de Arendt pour la vie politique ? Telle est donc la question directrice de ce premier chapitre.

L'époque moderne, nous le savons, était marquée par la montée des grandes crises : l'antisémitisme, les guerres mondiales, la ségrégation raciale, prononcée notamment en Europe et aux Etats-Unis, l'émergence de l'impérialisme et du sentiment extrémiste de nationalisme -chaque peuple se regroupant et se reconnaissant par l'appartenance à une nation et possédant un territoire précis- , les révolutions, la crise d'autorité et de la tradition, etc. Le peuple Juif fut victime de cette situation qui consistait précisément pour lui à se retrouver sans «territoire précis» et donc sans nation ; les Juifs vont se voir être reparties, éparpillés dans différentes états dont ils ne sont que des réfugiés et ils subiront le mépris de la part leurs hôtes (les populations auxquelles ils étaient mêlés)_. Comme le dit Olivier Mongin,

«Assistant ainsi à l'effondrement de l'Europe, Arendt n'oubliera jamais qu'elle a dû fuir l'Allemagne en tant que juive, en tant que singularité exposée au mal de l'antisémitisme, vouée à l'assassinat; et jamais elle ne parjurera cette part décisive d'elle-même"_.

Les Juifs étaient comme mis au dehors du monde commun puisqu'ils ne répondaient pas aux « critères d'humanité de l'époque », étant sans nation et dépourvus de territoire et de frontières.

Pour décrire ce XX ème siècle, certains préfèrent suivre exactement Hannah Arendt en utilisant, comme elle, des expressions fortes et parlantes comme «époque du mal radical», «de la banalisation du mal», c'est-à-dire que le mal est devenu routine et, partant, n'est plus ressenti comme mal.

Hannah Arendt, en tant que juive, va se surprendre « damnée de la terre », victime de cette atrocité de l'homme contre l'homme. Aussi, commente Enegrén :

"cette appartenance assumée à un peuple paria a joué un rôle décisif dans sa pensée (() et le destin moderne du judaïsme a été celui d'un peuple dispersé, sans gouvernement, sans pays et sans langue, que l'expérience de l'exil a privé d'espace public d'action »_.

Nous avons déjà dit qu'avec la montée impitoyable du nazisme, Hannah Arendt fut obligée de fuir l'Allemagne à cause de ses origines juives. Elle eut alors un long itinéraire comme « citoyenne sans nation » avant de devenir citoyenne américaine. Comme tous les Juifs, Arendt a subi l'exclusion de la société politique humaine ; cette expulsion de l'espace socio-politique aboutira à la privation radicale des droits fondamentaux, situation dont Hannah Arendt sera victime. Et elle en restera, toute sa vie durant, consciente : sa mémoire demeurera hantée par cette catastrophe.

La minorité juive butte donc contre cette hostilité généralisée dont elle est victime, notamment en Allemagne avec la prise du pouvoir par le parti Nazi d'Adolphe Hitler, le 30 juin 1933. Ce Parti n'avait pour solution à la "question juive" que celle de l'extermination. L'extermination, l'impérialisme, le rassemblement des peuples en masse sont là des signes infaillibles de la désagrégation de l'appareil politique durant la période moderne. Le politique n'était plus ce qu'il devrait être, c'est-à-dire « l'espace public de délibération et d'initiative". Il y avait une confusion quant à la compréhension et à l'exercice du politique :

«ce qu'on présente comme la caractéristique principale du politique -la violence- n'est que la trace de sa disparition et, à l'inverse, ce dont on fait volontiers son résidu -le débat des hommes sur le monde- s'avère être son noyau»_.

Le politique, dirons-nous simplement, n'est plus. Le politique, en effet, est ce qui fait la spécificité humaine en tant qu'animal politique. Or tout un groupe d'hommes n'est plus reconnu ou considéré comme tel, car privés d'actions et de paroles à l'égard des autres humains. Il sont désormais isolés. On comprend dès lors le grand engagement de Hannah Arendt pour la réhabilitation radicale du politique comme espace d'inter-esse.

Elle va ainsi lutter pour recouvrer son identité à partir d'une liberté aussi éloignée de la pure symbiose universaliste (totalitarisme) que du simple particularisme (sionisme). André Enegrén conclut avec raison que «c'est principalement la confrontation avec le mal radical du nazisme et du stalinisme qui a provoqué la réflexion d'Arendt»_.

1.2. La genèse d'une pensée

L'esquisse biographique de Hannah Arendt et la petite approche historique du contexte dans lequel a été rédigé l'essentiel de sa pensée suffisent à expliquer et à faire accepter la pluralité humaine comme fait incontestable. Force nous est donc d'affirmer qu'il s'agissait là de la genèse de la pensée politique de Hannah Arendt.

L'élaboration de cette pensée méritait, selon Hannah Arendt elle-même, une clarification conceptuelle qu'elle entreprit d'opérer notamment en s'attaquant aux concepts politiques fondamentaux : la liberté, la violence, la démocratie, l'autorité, la domination, l'espace public, l'espace privé, etc. Nous comprenons dès à présent que la réflexion d'Arendt va se tourner progressivement vers l'actualité malheureuse de son temps. «La vie d'Arendt, répète Olivier Mongin, est une vie privée d'un monde commun dont elle ne doit jamais cesser d'esquisser la possibilité depuis cette expérience de privatisation qui en est la génesis»_. Il est dès lors aisé de s'apercevoir qu'elle a décidé de décrire, d'analyser de sa manière et de dire tout haut son histoire personnelle et celle de tous les Juifs; elle le fera d'une part dans le but de sortir le paria de la léthargie dans laquelle sa condition l'a plongé, et d'autre part pour éclairer l'humanité en dénonçant le mal dira-t-elle toléré. C'est ainsi qu'en vrai penseur, elle va interroger, à travers ses analyses, la réalité politique de sa société.

Nous voulons à présent quitter cette considération générale sur l'évolution de la pensée de Hannah Arendt pour nous tourner plus particulièrement vers cette pensée telle qu'elle est exposée dans Condition de l'homme moderne. Sans pour autant prétendre épuiser la compréhension d'une pensée aussi vaste que celle de Hannah Arendt, nous voudrions découvrir l'idée maîtresse de son oeuvre, en nous limitant cette fois à l'exposé de l'ouvrage sur lequel se concentrera notre présente étude : Condition de l'homme moderne.

1.3. «Condition de l'homme moderne»

Pour remonter en amont de la rédaction de Condition de l'homme moderne, nous interrogerons tout simplement l'auteur sur l'intention qui était sienne avant même de se mettre à écrire ce livre. Hannah Arendt avait en effet exprimé à son maître et ami Karl Jaspers l'essentiel de ce qu'elle voulait entreprendre : «son intention était d'écrire un livre de théorie politique qui scellerait sa réconciliation avec le monde". «Ce livre, disait-elle, je l'appellerai Vita Activa et je m'intéresserai essentiellement au travail, à l'oeuvre et à l'action, et à leurs implications politiques"_.

Cette évocation de l'intention d'Arendt pourrait bien suffire à donner un résumé condensé de Condition de l'homme moderne, puisque l'auteur elle-même dit d'avance ce qu'elle veut et ce qu'elle va faire, c'est-à-dire ce qu'elle va écrire. Mais nous n'allons pas nous arrêter là, car il nous faut expliciter davantage le contenu de cet ouvrage pour faciliter la compréhension de notre démarche dans un travail qui exploitera surtout ce livre. Hannah Arendt ajoutera, par ailleurs, qu'elle avait l'intention «de penser ce que nous faisons».

Certains penseurs professionnels, tel Paul Ricoeur, nous mettent en garde contre une lecture chargée de préjugés de Condition de l'homme moderne, et ils nous proposent une façon juste de lire cet ouvrage : c'est un livre qui aide à dissiper les tendances qu'a l'homme de vouloir ramener tout vers lui et à lui, niant ainsi la différence et la cohabitation avec ses égaux_.

La condition de l'homme moderne ou la Vita Activa s'interroge sur les trois grandes activités de la vie humaine qui composent la vie active : le travail, l'oeuvre et l'action. «Que faisons-nous quand nous sommes actifs ?» , telle est, selon Courtine-Denamy, la clé de lecture de Condition de l'homme moderne. Le livre tout entier est une sorte de réponse à cette question directrice. Quand nous sommes actifs, nous faisons plusieurs choses mais qui peuvent êtres rassemblées sous ces grandes activités de la vie active. Ainsi, dans les moments d'activité, nous faisons du travail, nous fabriquons (l'oeuvre) et nous agissons (l'action).

Avec un recours constant et ponctuel à la pensée de l'Antiquité grecque et romaine, Hannah Arendt s'efforce d'explorer ces activités. Elle commence par définir les domaines de l'existence de l'homme : le domaine privé et le domaine public. Elle se consacre ensuite à la description de chacune des activités de la vita activa.

Le travail est l'activité qui lie l'homme à la nécessité. Mieux, pour Hannah Arendt,

«le travail est l'activité qui correspond au processus biologique du corps humain, dont la croissance spontanée, le métabolisme et éventuellement la corruption, sont liés aux productions élémentaires dont le travail nourrit ce processus vital»_.

L'homme au travail, selon Hannah, obéit à la nécessité de satisfaire à ses besoins fondamentaux. En plus, le travail se fait en l'absence des autres -or ce qui est politique est de l'ordre de l'apparence : voir et être vu -. Ainsi, avec le travail, l'homme n'est encore qu'un animal laborans qui se bat tout seul avec la brutale nécessité pour sa propre survie.

Une autre caractéristique de cette activité qu'est le travail consiste en ce qu'il est dépourvu de "durabilité", car, en fait, les fruits qui émanent de ce labeur sont surtout voués à la consommation, et donc à la disparition rapide. Le travailleur, donc, ne pourvoit qu'aux besoins élémentaires de la vie.

Pour Arendt, l'activité du travail ne suffit donc pas pour distinguer clairement l'animal humain des autres animaux, tous étant cependant voués à ce labeur pour vivre. Or l'homme, après avoir fait l'expérience du caractère éphémère de sa vie, s'est ensuite préoccupé de marquer le monde des traces de son passage ; en d'autres termes, il veut désormais se rendre plus durable, du moins par ce qu'il aura laissé, par ses oeuvres.

«L'oeuvre, nous dit Hannah Arendt, est l'activité qui correspond à la non-naturalité de l'existence humaine, qui n'est pas incrustée dans l'espace et dont la mortalité n'est pas compensée par l'éternel retour cyclique de l'espèce. L'oeuvre fournit un monde artificiel d'objets»_.

Elle diffère du travail en ce qu'«elle marque sa distance par rapport à la nature en ce qu'elle crée un monde artificiel»_. Lorsque l'homme est à l'oeuvre (il s'agit notamment du cas des artisans et des artistes), on s'attend, au terme de son activité, à la production d'objets (oeuvres d'art(). L'artiste ou l'artisan qui produit est déjà inscrit dans un monde qui l'entoure : le monde composé surtout d'artefacts qu'il produit et qu'il ajoute ainsi au monde naturel déjà existant. On peut remarquer qu'à l'opposé du travail , l'oeuvre possède le caractère de "durabilité". C'est-à-dire que les objets, produits de l'oeuvre humaine, ne sont pas directement consommés ou consommables comme les sont les fruits du travail.

De plus, ces artefacts demeurent même lorsque l'artiste ou l'artisan n'est plus. Outre la durabilité, l'oeuvre a un commencement et une fin : on peut dater le commencement d'une oeuvre et on peut en prévoir la fin éventuelle. Et Sylvie Courtine-Denamy comprend par-là que «le privilège de l'oeuvre par rapport au travail consiste en ce qu'elle humanise le monde»_. Le monde est de fait humanisé parce qu'il n'est plus à l'état brut tel que nous le donne la nature ; il porte la marque de l'artiste et de l'artisan humain, qui le peuplent des oeuvres de leurs mains, ou encore mieux qui le marquent de leur passage. L'homme qui est à l'oeuvre est vu par les autres à travers les objets qu'il produit ; il y a donc une sorte de durée de la présence de l'artiste à travers l'ouvrage de ses mains et aussi longtemps que son oeuvre d'art est là présente.

Mais Hannah Arendt ne fait pas de l'oeuvre une activité suffisante de /dans la polis. Puisqu'on y est vu par l'intermédiaire des choses. Il faut maintenant voir directement et être vu de la même façon ; il faut entendre directement et être directement entendu par ses pairs. D'où l'examen de l'autre activité : l'action.

L'action est la plus importante activité de la vita activa. Dans l'analyse de Hannah Arendt,

«l'action est la seule activité qui mette directement en rapport les hommes, sans intermédiaire des objets ni de la matière, elle correspond à la condition humaine de pluralité»_.

Et certains commentateurs comme par exemple Paul Ricoeur, introduisant explicitement une hiérarchie au sein de ces activités de la vita activa, placent l'action (l'agir de l'homme politique, de l'homme de la polis) au sommet de l'échelle, c'est-à-dire dans la position la plus élevée, plaçant le faire de l'artisan et de l'artiste en la position intermédiaire et enfin le labeur du travailleur à la position la plus basse_.

L'action est l'activité qui fait vraiment de l'homme un animal politique; autrement dit, c'est par l'action que l'homme manifeste ce qui lui est spécifique : son être politique. Il y a action dans l'acte de prendre la parole sur la place publique, et il y a action dans le fait d'agir ou de poser des actes en présence des autres, ses égaux. Hannah Arendt parlera de l'action comme d'une seconde naissance, où l'homme qui était déjà né le jour de sa naissance biologique naît une seconde fois mais dans la sphère politique, dans la polis. Cette naissance est donc liée, mieux, se fait par l'action, puisqu'à travers l'action, l'homme répond sans cesse à la question métaphysique :  qui es-tu ?  que les autres lui posent. En répondant à cette question, l'homme est entendu et il est vu par les autres dans la polis; il devient donc vraiment un homme politique.

Les derniers chapitres de Condition de l'homme moderne sont finalement une autopsie que l'auteur fait de la vita activa à l'âge moderne. Elle montre la façon dont le monde moderne s'est installé dans une confusion notoire au sujet du politique et a inversé radicalement l'ordre et la coexistence des activités de la vita activa. Ce chapitre constate et fustige la pratique selon laquelle le travail se trouverait élevé au premier rang comme seule activité essentiellement créatrice de l'homme. Cette rupture bouleversante fut introduite par Karl Marx qui a certainement perdu de vue que «le travail représente la dimension animale, et non humaine, de l'homme»_; en d'autres termes, on dirait que la société fondée sur et par le marxisme par exemple consacre le seul travail comme l'activité essentielle de la vita activa, l'oeuvre et l'action étant négligées et inaccessibles à la majeure partie des citoyens.

Pour conclure justement cette synthèse personnelle de Condition de l'homme moderne, nous préférons reprendre cette longue affirmation de Sylvie Courtine-Denamy, une autre lectrice d'Arendt :

« La condition de l'homme moderne devrait donc être lue moins comme une critique de la modernité que comme une anthropologie philosophique recherchant parmi les différentes activités humaines celles susceptibles de s'inscrire dans la durabilité_ »;

elle précise qu'

« il s'agit en définitive de s'interroger sur ce domaine hautement déprécié par les philosophes de profession, la philosophie politique, que Platon interprétait à la lumière de l'activité de l'artisan (technitès), ce désir de fuite de la politique prend naissance dans le procès et la condamnation de Socrate, événement politique marquant le conflit entre philosophie et politique»_.

Ce chapitre consacré à une brève présentation de Condition de l'homme moderne qui constitue l'objet de notre travail ne nous paraît pas superflu. Il nous est utile pour mieux engager notre travail qui consistera à analyser l'espace politique comme lieu de la coexistence humaine. Il s'agira, en d'autres mots, de réhabiliter, à la manière de Hannah Arendt, le politique, (l'exister politique de l'homme) qui fut malheureusement déserté.

1.4. Une méthode arendtienne : «la pêche à la perle»

Il nous paraît utile de préciser à présent une méthode adoptée et utilisée par notre auteur lorsqu'elle a voulu se plonger dans l'héritage de l'humanité. Pour relever les grands défis qu'elle s'était posés, Hannah Arendt déploiera sa pensée en puisant davantage dans l'expérience de l'antiquité gréco-romaine, puisque pour elle « la polis grecque continuera d'être présente au fondement de l'existence politique, au fond de la mer, donc aussi longtemps que nous aurons à la bouche le mot `politique »_. Sans pour autant prétendre que les sociétés antiques étaient idéales, elle développa en relation à elles une méthode aussi peu conventionnelle que le nom qu'elle lui donna : «la pêche à la perle». La pêche à la perle consiste en effet à rechercher le «riche et le rare» qui se trouvent enfouis dans la tradition philosophique parvenue jusqu'à nous sous ses formes brutes, c'est-à-dire d'une manière parfois attirante et parfois pleine d'apories déroutantes_.

Ce serait une compréhension erronée de la démarche d'Arendt que de penser, comme certains critiques, qu'elle a voulu exalter jusqu'au rang de modèles la polis grecque et la cité romaine, alors que celles-ci abritaient de graves exclusions politiques, notamment l'exclusion de l'agora des femmes et des enfants, des esclaves et des étrangers .

Pour Arendt, le choix paradigmatique de l'antiquité gréco-latine s'explique par la simple préoccupation méthodique et surtout en référence à l'organisation politique (ou structurelle) dont ces sociétés ont fait montre déjà dans ces temps anciens. Plus encore, dira-t-elle,

«il est vraiment difficile et même trompeur de parler de politique et de ses principes les plus profonds sans faire appel dans une certaine mesure aux expériences de l'antiquité grecque et romaine, et cela pour la seule raison que les hommes n'ont jamais, ni avant, ni après, pensé si hautement l'activité politique et attribué tant de dignité à son domaine»_.

Notre approche de la pensée politique de Hannah Arendt va également être une approche phénoménologique, analytique et critique de l'appareil politique actuel, en ce qu'il devrait être et en ce qu'il est concrètement, plus particulièrement en Afrique. Nous chercherons la perle cachée, le riche et le rare contenu de cette pensée, en espérant comprendre ainsi les malaises politiques contemporains qui affectent la plupart de nos sociétés.

Nous savons que parler de la politique c'est nécessairement parler des hommes, et non pas d'un homme, vivant ensemble dans un espace organisé que l'on a appelé la polis ou l'état-nation. Toute réflexion sur le politique suppose ainsi une prise de conscience claire de la coexistence humaine. Cette réflexion devra même tenir compte de cette coexistence en tant que première donnée factuelle de la réalité humaine.

Chapitre deuxième : La COEXISTENCE HUMAINE

L'effort dont il vient d'être question dans le précédent chapitre consistait à présenter la ligne directrice de la pensée de Hannah Arendt et à exposer brièvement le contenu de Condition de l'homme moderne. Cette dernière tâche nous a fait comprendre que Condition de l'homme moderne est une analyse détaillée des trois activités principales de la vita activa : travail, oeuvre et action. Ces activités caractérisent la condition de l'homme. Nous avons certainement réalisé que le travail de saisir la «nature» humaine ou la condition humaine n'est en rien une tâche triviale ou aisée . L'homme en effet est resté aussi bien pour l'anthropologie que pour d'autres sciences humaines un "mystère" quasiment insaisissable et par lui-même et par les autres, il est une question qui interpelle aujourd'hui encore les savoirs.

Hannah Arendt était pleinement consciente de cette vérité lorsqu'elle affirmait avec grande conviction que

"le problème de la nature humaine paraît insoluble aussi bien au sens psychologique individuel qu'au sens philosophique général. Il est fort peu probable que, pouvant connaître, déterminer la nature de tous les objets qui nous entourent et qui ne sont pas nous, nous soyons jamais capables d'en faire autant pour nous-mêmes"_.

Toutefois, dans sa capacité de transcendance, l'être humain est à même de s'interroger sur son existence en tant que sujet parmi d'autres sujets. Mieux, il s'interroge comme une existence en relation avec d'autres existences; on peut dire, en ce sens, que l'homme peut se penser dans sa situation de coexistence: "être avec".

L'objectif du présent chapitre est d'examiner, à l'instar de et à travers Hannah Arendt, la réalité tangible qu'est la coexistence humaine dans une société naturelle d'abord et dans une communauté politique ensuite. Dès le début de ce chapitre, nous ferons remarquer que «l'être homme véritable» ne peut être éprouver que dans une condition de pluralité respectueuse de l'individualité de chacun.

2. 1. L'exister humain pluriel

2.1.1. L'homme: "un être avec les autres"

Parler de l'exister humain pluriel, c'est vraiment se situer au coeur de la pensée politique de Hannah Arendt car, pour elle, l'homme est essentiellement un "être-avec". En effet, on peut dire a posteriori, sans aucun risque de se tromper, qu'il est impossible de rencontrer un être humain soustrait complètement de l'exigence de vivre en compagnie des autres. La réalité humaine d' «être avec» est une donnée tout à fait ontologique dans le sens qu'elle intervient comme élément définitionnel de «l'être homme de l'homme» (de son essence). Aristote était bien conscient de cela lorsqu'il définissait l'homme comme zôon politikon. Hannah Arendt est aussi éloquente lors qu'elle dit qu'

«aucune vie humaine, fût-ce la vie de l'ermite au désert, n'est possible sans un monde qui, directement ou indirectement, témoigne de la présence d'autres êtres humains.»_

Nous pouvons encore affirmer que l'homme seul, c'est-à-dire privé de la compagnie des autres, n'existe nulle part. En des termes simples, on dirait que la pluralité est inhérente à l'homme.

Dès sa naissance qui marque son entrée dans le monde des hommes, l'homme se trouve dans un univers déjà peuplé par les humains et par les objets. On admet généralement que la famille est la société primitive - dans le sens de la première collectivité humaine- ou encore qu'elle est la société naturelle. De toutes les façons, l'enfant qui vient à l'existence est toujours accueilli par sa mère et ensuite par sa famille qui représente justement cette société au sein de laquelle il aura à vivre sa vie d'homme. C'est donc dans un environnement préétabli, préalablement peuplé d'humains et d'artefacts (les objets que l'homo faber fabrique) que l'homme s'insère lorsqu'il vient à l'existence. C'est pourquoi, depuis l'Antiquité grecque, les penseurs se sont accordés , reprenant Aristote, à définir l'homme comme un "animal social".

Ce qui revient à dire que l'existence humaine est en réalité une coexistence ou, encore mieux, un exister en compagnie des autres personnes ; l'homme sera toujours perçu comme un "être-avec" qui est appelé à un "vivre-avec". Ainsi, cet « être-avec » qui est inscrit dans la structure ontologique de l'homme, autrement dit qui est donné par la nature humaine de l'homme, doit évoluer vers la conscience du « vivre avec ». Tel est le sens de tout l'effort des hommes à organiser leur espace de vie commune pour qu'il soit moins hostile et plus harmonieux ; mieux qu'il devienne véritablement espace politique.

André Enegrén insiste en allant jusqu'à dire que "jamais cette pluralité ne doit être perdue de vue que nous partageons le monde avec d'autres, qui forment avec nous une humanité une, mais pourtant infiniment diverse, telle est la donnée ontologique fondamentale"_. Considérons à présent cette définition de l'homme en tant qu'animal social d'abord et ensuite en tant qu'animal politique.

2.1.2. " L'animal social "

Avec l'analyse de l'homme comme "animal social", Hannah Arendt, nous introduit pleinement dans une sorte d'anthropologie philosophique nécessaire pour mieux comprendre la coexistence humaine et "la condition humaine de pluralité".

L'homme comme "animal social" : cette expression veut signifier que l'homme vit parmi les autres hommes, que l'animal humain est un animal vivant dans une société d'animaux humains. Et Hannah Arendt dit, sans ambages, que "vivre" et "être parmi les hommes " comme aussi "mourir" et "cesser d'être parmi les hommes" sont des termes synonymes_. Le simple fait d'être dans une société définit déjà un mode d'existence de l'animal humain.

Dans le monde grec, le terme social était bien distinct du terme politique. Pour définir l'homme, les Grecs parlaient uniquement du bios politikos. Hannah Arendt dira même que l'adjectif social n'existait pas dans la langue grecque. Il a son origine dans le monde romain (latin). Le mot qui exprimait le social chez la langue grecque est politique ? C'est pourquoi d'ailleurs Aristote définissait l'homme comme zôon politikon.

Au Moyen-Age, Saint Thomas d'Aquin traduit le zôon politikon d'Aristote en homo est naturaliter politicus,id est, socialis. C'est alors que le terme social fait pleinement son apparition dans la pensée politique. Cette apparition est, d'après Hannah Arendt, le début même de la confusion entre le social et le politique. Ainsi, dit elle,

« on a mal compris le politique, on l'a assimilé au social dès que les

termes grecs ont été traduis en latin, dès qu'in les a adaptés à la pensée

romano-chrétienne .»_

A l'époque moderne, la confusion entamée au Moyen-Âge devient totale, on ne perçoit plus

« aucune frontière bien nette entre les deux domaines ; puisque dépuis

l'accession de la société, autrement dit du `ménage' (oikia) ou des

activités économiques, au domaine public, l'économie et tous les

problèmes relevant jadis de la sphère familiale sont devenus

préoccupations `collectives' .»_

Le monde moderne a par le fait même initié la dégénéréscence (dégradtion) du politique_.

Disons donc que, bien que l'homme ne puisse pas vivre hors de la société, la condition "social" de l'homme n'est pas une caractéristique spécifiquement humaine. Ce serait une erreur que de se limiter à définir l'homme comme un simple "animal social". On ne désignerait pas ainsi la nature ou la condition spécifiquement humaine, "animal social" "étant un trait que la vie humaine avait de commun avec la vie animale et qui, pour cette raison, ne pouvait pas être foncièrement humaine"_.

Aussi, pensons-nous que parler de l'animal social est certes un pas dans la bonne direction, si on veut définir la réalité humaine, mais qu'elle ne suffit pas pour exprimer pleinement la nature humaine, puisque la sociabilité est une capacité de l'animal en général. Car tous les animaux peuvent faire "société", "vivre ensemble" avec leurs semblables.

"En définissant l'homme comme un animal social, on le considère du seul point de vue de son appartenance à l'espèce, et on tue l'humain en lui : l'humanité n'est pas le genre humain."_ Pour comprendre l'homme, il faut superposer à cette sociabilité l'autre mode d'existence propre à l' "animal politique".

2.1.3. "L'animal politique"

Si l'homme partage avec les autres animaux le caractère « social », il n'est pas, par contre, donné à ces derniers de vivre dans une cité qu'ils forment, qu'ils organisent et entretiennent par devoir politique et par prédisposition de la nature. "Dans la pensée grecque, la capacité d'organisation politique n'est pas seulement différente, elle est l'opposée de cette association naturelle"_. En parlant de la nature politique de l'être humain, on marque clairement la distinction qui existe entre ce qui est commun à toute espèce animale, à savoir le caractère de sociabilité, et ce qui est propre au genre humain, la capacité de s'organiser et de former une polis, une cité.

Dès lors, la vie dans la société naturelle, notamment dans la famille, est rangée dans la sphère du "pré-politique" ou de la "maisonnée" (économie); pour que sa vie devienne vraiment une vie humaine, l'homme doit faire un pas de plus pour accéder à la vie politique. En d'autres mots, l'animal social doit entrer dans la cité, il doit quitter l'existence donnée pour vivre pleinement l'existence voulue du bios politikos, ce qui le définit tel qu'il est.

Il s'ensuit donc que pour définir l'homme, pour le distinguer des autres animaux, il faut souligner, avec Hannah Arendt s'inspirant elle-même d'Aristote, qu'il est nécessaire d'évoquer le caractère politique de l'homme, c'est à dire sa capacité à vivre avec ses semblables dans une cité, celle-ci étant justement cet espace organisé de vie où chaque citoyen a le droit et le devoir de participer aux affaires publiques par la délibération.

Cette distinction des modes d'exister humain -homme comme "animal social" et/ou comme "animal politique"- nous amène à parler aussi bien du domaine public de l'existence humaine, qui recouvre la sphère proprement politique, que du domaine privé (le domaine de la maisonnée)en tant qu'opposé au premier. Hannah Arendt distingue le privé et le public, pour désigner le lieu et l'espace où la vie humaine se vit, selon les deux modes que nous venons de rappeler.

2.2. Le domaine privé.

Le privé et le public introduisent une distinction à la base du politique. Arendt dit que "le privé était comme l'autre face sombre et cachée du domaine public et si en étant politique on atteignait à la plus haute possibilité d'existence humaine, en ne possédant point de place à soi on cessait d'être humain"_. Cette citation nous permet de comprendre que la sphère du privé a deux sens dans la pensée arendtienne. Il est, selon le sens originaire du terme, doué du caractère privatif ; mais le privé est aussi, selon, son sens moderne, synonyme de propriété.

2.2.1. Le privé comme privatif

Le privé est le lieu où l'homme se trouve privé du politique. Il est par ce fait même soumis uniquement à un dialogue avec les nécessités de la vie auxquelles les activités comme le travail veut répondre. Dans une perspective péjorative, le privé prive l'homme de l'humanité véritable puisque qu'il le retient en captivité, dans sa confrontation solitaire avec la nature, dans l'unique but de survivre et de perpétuer l'espèce. Privé du caractère politique, l'homme demeure un simple animal indifférencié; vivant en dehors de la polis, en dehors de tout dialogue et de la rencontre des autres, ses égaux.

Ainsi perçu dans sa privativité, "vivre une vie entièrement privée signifie être privé de choses essentielles à une vie véritablement humaine"_. On est écarté du domaine de la politique qui comprend le dire et l'agir avec les autres et en présence des autres. Le privé prive l'homme de la parole et de la liberté. Ces privations sont donc la mort de l'être homme dans l'espace commun, espace public.

Pour établir le lien avec les activités de la vita activa_, disons que le domaine privé compris dans son sens privatif est le lieu de la solitude humaine où l'homme privé de la vue et de l'écoute de ses pairs, ses semblables, demeure un animal laborans et/ ou un homo faber ; telle est la condition de l'esclave, des femmes, des étrangers , des enfants dans la polis grecque et des artistes et artisans qui peuvent oeuvrer les uns à côté des autres sans pour autant vivre une vie publique.

Cette catégories de personnes peuvent vivre dans un regroupement (le social) mais elles sont privées du politique. Donc, l'homme frappé de la privation, est privé de ce qui peut le sortir de son caractère d'animal pour devenir l'humain ou l'animal humain, c'est-à-dire politique.

2.2.2. Le privé comme propriété privée

Le terme privé se trouve ici comme revalorisé. Lorsqu'on parle du privé en tant que propriété privée, il perd son caractère privatif, même par rapport à l'espace public. Arendt explique que "la propriété possède apparemment certaines qualifications qui, tout en appartenant au domaine privé, ont toujours passé pour extrêmement importantes pour la cité politique_".

Cette compréhension du privé permet de mieux articuler son lien avec le public .Nous remarquons, en fait, que le domaine privé complète le domaine public. Puisque, pour accéder plus facilement à la vie publique, il faut avoir plus ou moins maîtrisé les nécessités vitales ou biologiques de la vie. La propriété privée renvoie à la notion d'espace ou de lieu que chaque homme doit posséder (dont il est propriétaire), car c'est à partir de ce lieu qu'il aura à satisfaire ses besoins vitaux et de là aussi qu'il pourra s'insérer dans le politique, dans l'agora, pour agir et pour se dire en présence des autres. Etre propriétaire "signifie [...] ni plus ni moins avoir sa place en un certain lieu du monde et donc appartenir à la cité politique, c'est-à-dire, être chef d'une des familles qui, ensemble, constituaient le domaine public_".

En plus, le privé n'est plus privatif lorsqu'il offre à l'homme le lieu de se posséder lui-même; c'est la seconde grande caractéristique non privative du privé. A ce sujet, on peut écouter les sages interventions de Hannah Arendt :

"les quatre murs de la propriété privée offrent à l'homme la seule retraite sûre contre le monde public commun, la seule où il puisse échapper à la publicité, vivre sans être vu, sans être entendu. [Car] une vie passée entièrement en public, en présence d'autrui, devient, comme on dit, superficielle"_.

Enfin, le privé comme propriété justifie toutes les formes de la vie privée : vie intime, vie secrète, vie de la pensée ou de l'esprit( puisqu'il y a des choses qui sont appelées à s'étaler en public et il y en a d'autres qui demandent à demeurer cachées. Il nous faut cependant noter qu'une vie humaine ne peut jamais être complètement cachée ou privée vis-à-vis des affaires de la res-publica.

2.3. Le domaine public.

Le public est la quintessence de la condition humaine de pluralité, et "cette pluralité est spécifiquement la condition -non seulement la condition sine qua non, mais encore la condition per quam - de toute vie politique"_. Le domaine public est ainsi l'équivalent du domaine politique. En plus, selon Hannah Arendt, "l'avènement de la cité conférait à l'homme, outre sa vie privée, une sorte de seconde vie, sa bios politikos"_. Désormais l'homme ne vit plus seulement en famille ni dans une vie privée, mais il est convié à la vie dans la cité, la vie politique.

Pour Hannah Arendt, "le mot public signifie d'abord que tout ce qui paraît en public peut être vu et entendu de tous, jouit de la plus grande publicité possible(() et ce qui est vu et entendu par autrui comme par nous-mêmes constitue la réalité"_. Puisque nul ne peut vivre pour toujours dans une vie réduite à la maisonnée, chacun est invité à oeuvrer pour devenir plus humain en s'insérant dans la réalité de la vie publique qui est la vie politique, la vie dans la cité.

Le domaine public est dès lors le domaine de l'apparence ou de l'apparaître où l'homme se manifeste pour voir et pour être vu, pour dire qui il est et pour écouter les autres, à propos des affaires de leur être-commun. Il s'ensuit donc qu'il existe deux activités propres du domaine public: le dire et l'agir. Ces deux activités ne sont en réalité que deux composantes de l'unique activité qu'est l'action. L'action, dit-on, est l'essence du bios politikos de l'homme.

Proust note avec raison que

"le monde n'est pas humain parce que la voix humaine y résonne, mais seulement lorsqu'il est devenu objet de dialogue ((), les choses du monde ne deviennent humaines pour nous qu'au moment où nous pouvons en débattre avec nos semblables"_.

Le domaine public est le monde qui donne à la pluralité humaine sa plus grande expression. Les hommes y habitent et se le partagent en commun, c'est-à-dire les uns en présence des autres sans se confondre les uns aux autres, à la manière d'une table qui rassemble ceux qui sont assis autour d'elle tout en les distinguant. Jacques Taminiaux l'exprime de façon particulièrement compréhensible lorsqu'il dit que "la pluralité est cette condition qui consiste pour chaque individu à être à la fois semblable aux autres et unique ou différent de chacun d'eux"_.

Ainsi, s'il est vrai que le politique est le domaine où cohabitent les hommes libres et égaux, il est aussi vrai que cette égalité ne supprime pas leur différence, c'est-à-dire les individus, tout en étant identique quant aux droits et devoirs, sont tout à fait différents les uns des autres. Chaque homme, dit-on existe en exemplaire unique dans ce monde, il porte la capacité d'initier quelque chose de nouveau sous le soleil. Et c'est dans la politique que la distinction (caractère distinctif) trouve son expression la meilleure, car « la politique, souligne encore Arendt, en tant que domaine public ou monde commun nous rassemble mais aussi nous empêche de tomber les uns sur les autres »_. On comprend donc que tout en rassemblant les hommes semblables, le politique les rend distincts les uns des autres, chaque personne étant d'abord un être unique et libre, et conscient. Arendt emploie la métaphore de la table pour expliquer ce paradoxe de la réalité politique_.

Et avec ce domaine où les hommes se rassemblent pour dialoguer et pour agir, nous arrivons au bout de notre démarche tendant à comprendre l'exister humain pluriel et la coexistence humaine. Force nous est de conclure en réaffirmant que quelle que soit sa situation, l'homme est foncièrement un être avec, d'abord parce qu'il est un être social, mais ensuite et surtout parce qu'il est un être politique. Cette dernière caractéristique est vraiment ce qui fonde l'être homme de l'homme. Nous allons à présent nous pencher plus directement sur ce qu'elle implique.

2. 4. La redéfinition du politique avec Hannah Arendt_

Parler de ré-définition suppose, à la base, un oubli ou une remise en question ou en cause d'une définition préalable. En effet, le politique, aux temps Modernes, avec l'avènement de la société des masses (le totalitarisme dont Arendt à parlé) et de la société économique (ou société de consommation avec Karl Marx, dont Arendt a aussi critiqué l'irruption de l'économie dans la réalité politique...) se trouve biaisé quant à son sens et à son exercice: il inclut le règne du despotisme ou de la tyrannie excluant une majorité de citoyens de la gestion de la cité ou du monde -tel fut le cas des Juifs d'alors et tel aussi le sort de plusieurs peuples en Afrique qui ne sont pas toujours concernés par les choses qui engagent leur déstinée, pendant q'un petit groupe privatise la gestion du politique.

Le politique est normalement le lieu public ou commun où se discutent et se règlent entre tous les affaires de la res-publica. Malheureusement, ce politique véritable, qui consiste dans un rapport de libertés égales qui se respectent strictement et s'expriment librement dans et par la parole et l'action, n'est plus qu'un antique idéal difficile à atteindre.

Pour Jacques Taminiaux, la politique est avant tout une "monstration intrinsèquement interindividuelle_". Cela signifie qu'elle engage les citoyens, qui doivent, pour ce faire, dire leur mot au sujet des affaires publiques de la communauté et débattre de ces affaires avec leurs égaux. Toujours dans le même effort de compréhension exacte du politique, nous pouvons parler du politique comme de l'interpénétration des termes que nous avons rencontrés jusqu'ici, à savoir le domaine public, l'espace d'apparence, le réseau de relations humaines, la révélation du "qui" -sujet, ( comme constituant la condition d'une vie politique.

Dans la pensée de Hannah Arendt, le politique est avant tout le lieu d'existence de l'homme en tant qu'homme. L'homme, essentiellement "animal politique", ne se retrouve dans son espace réel ou proprement humain que lorsqu'il est dans l'espace politique. Celui-ci est alors l'espace public où les paroles et les actes s'échangent dans un débat ouvert et public entre des personnes libres et égales. Le politique, dès lors, se constate et se crée ; on n'en fait pas trop l'étalage, "il se définit par la phénoménalité comme révélation de soi dans un espace d'apparence_". Hannah Arendt emploie souvent la métaphore de la scène pour caractériser l'espace public (politique) au sein duquel l'homme agit en "animal politique".

Puisque l'espace politique est surtout marqué et fondé par l'agir de l'homme parmi les hommes, comprendre le politique devient, dès lors, réfléchir sur l'action en tant qu'activité fondatrice et caractéristique du politique; car l'action constitue vraiment l'auto-expression de l'identité de l'agent. Par l'action, en effet, ce dernier exprime son originalité en face de ses pairs qui, eux aussi, expriment la leur. Par le fait même, l'ensemble qu'ils forment est un espace politique.

L'action, chez Hannah Arendt, comprend à la fois cette parole dite en public, la lexis, et l'action en face des autres, la praxis, et elle est le noeud de la coexistence humaine sur la scène politique. Le politique, tel que Hannah Arendt le comprend, n'est pas un lieu matériel ou une entité quelconque, mais il advient lorsque les hommes parviennent à la "co-action interlocutoire", parce qu'ils sont capables, par droit de naissance, d'agir et de dire une parole en concert.

Aussi, pensons-nous avec Arendt, qu'on ne pourrait localiser et fixer d'une manière stable le lieu où vivent les "animaux politiques", la cité ;

"la polis proprement dite n'est pas la cité en sa localisation physique, c'est l'organisation du peuple qui vient de ce que l'on agit et parle ensemble. Le domaine politique naît directement de la communauté d'action, de la mise en commun des paroles et des actes_".

Il en ressort que, pour faire advenir le politique en son vrai sens tel qu'Arendt nous le propose, chaque citoyen doit reconnaître et réclamer son droit et son devoir de prendre l'initiative, d'agir et de dire ce qu'il pense sur la marche ou la direction des affaires communes ou publiques. L'homme, voulant devenir plus humain, est dans l'obligation (en toute liberté) de prendre la parole et de poser des actes en présence de ses égaux. C'est le fait de poser l'acte politique du dire et de l'agir avec les autres et en présence d'eux qui correspond à ce que nous appelons la participation politique des citoyens_.

Chapitre troisième : LA PARTICIPATION POLITIQUE DU CITOYEN.

Le chapitre précédent nous a amené à admettre avec Thonnard que

«l'homme est naturellement un animal politique, c'est-à-dire destiné à vivre en société, et que celui qui, par sa nature et non par l'effet de quelques circonstances, n'est pas tel, est une créature dégradée, ou supérieure à l'homme»_.

Nous avons aussi compris que l'espace politique est un espace public, assise normale de l'interaction et de l'apparence. A partir de ces deux prémisses, nous pouvons affirmer que l'action est l'activité politique par excellence, elle est une prérogative exclusivement humaine. C'est pourquoi, chaque homme, en tant que Tel, est dans la stricte obligation de prendre activement part, d'une manière ou d'une autre, aux affaires politiques de son pays.

Et la participation politique signifie

«l'acte par lequel le citoyen assure et tente d'influencer, directement ou indirectement, le cours des affaires publiques dans sa société. La participation politique suppose une décision consciente et libre, de la part du citoyen, de s'occuper de ce qui est censé orienter la vie de tous dans la communauté»_.

Mais comment peut-on être effectivement participant aux affaires politiques ? Telle est la question légitime que nous nous posons à cette étape de notre étude. En un sens donc, ce dernier chapitre de notre travail sera une recherche de réponse à cette question essentielle. Mais auparavant, nous essayerons d'examiner les raisons de l'indifférence politique des citoyens dans certains états.

3.1. L'indifférence politique des citoyens

C'est un fait patent que dans beaucoup de pays, un nombre assez notable de citoyens n'est pas associé à la vie politique de leur nation. Et parfois aussi, bien des citoyens manifestent, par eux-mêmes, une espèce «d'apathie politique», une réelle indifférence.

Plusieurs facteurs peuvent être à la base de cette indifférence politique du citoyen. Cette dernière est parfois justifiée par des raisons de foi, chez des croyants dont les convictions religieuses peuvent conduire à une relativisation des affaires politiques, qu'ils considèrent comme «les affaires mondaines» par opposition aux «affaires divines». Déjà Hannah Arendt parlait du «renoncement chrétien aux choses de ce monde», pour exprimer ce mépris par les chrétiens des affaires politiques.

En effet, comme l'affirme Xavier La Bonnardière, «le chrétien considère sa mission de Salut comme distincte de la fonction politique»_, ce qui n'est pas tout à fait faux. Paul Valadier explique encore à ce sujet que «le sentiment que le royaume politique est celui de brigands alimente l'apolitisme d'une masse de chrétiens»_. Telles sont entre autres les raisons qui peuvent expliquer l'indifférence des croyants, notamment des chrétiens, à la vie politique.

Une autre raison qui peut expliquer l'indifférence politique des citoyens est l'insuffisance économique. En fait, comme nous l'avons déjà expliqué, l'homme, étant un être de besoins, doit tout d'abord assouvir ses besoins élémentaires, qu'Arendt appelle les nécessités de la vie, avant de pouvoir se tourner pleinement vers les affaires de la cité. Il doit assurer sa survie et il doit avoir maîtrisé les affaires de la maisonnée pour s'intéresser ensuite à la polis. Il est vrai, en effet, que

«dès qu'un homme s'est élevé au-dessus d'un certain seuil de misère physiologique et d'ignorance culturelle, il ne peut plus s'identifier purement et simplement à ses besoins de subsistance ou de confort»_.

Ainsi, les problèmes du pain quotidien, en tant que condition première de la vie (ou du moins de la subsistance physique) peuvent éclipser les problèmes généraux de la cité et réduire l'homme à sa seule vie dans la maison, puisque empêché de sortir en public. Pour Arendt, en fait, ceux qui s'occupent uniquement de la production (d'oeuvres ou de nourriture) pour satisfaire aux besoins de la survie, s'ils restent tournés vers cette seule préoccupation, ne seront jamais des citoyens, des hommes publics et politiques.

L'indifférence dont nous parlons est parfois une conséquence de la propagation de conceptions erronées du politique. Du point de vue simplement phénoménologique, on peut admettre, avec le professeur Ngoma Binda, que

«la politique est perçue comme une pratique et un lieu de fourberie, de ruse, de violence et de cynisme impitoyable. Comprise de cette manière négative, machiavélique, il va de soi que la politique devient une pratique répugnante aux yeux de toute personne désireuse de demeurer pure, digne et intègre»_.

Par ailleurs, au-delà de ces raisons de se désintéresser de la politique, qu'on peut considérer comme pertinentes, le citoyen porte en lui le désir humain de participer d'une manière effective à la vie politique ; «il veut, explique Ellul, dire son opinion sur les grandes questions, il exige qu'on ne le considère pas comme quantité négligeable»_.

Dans cette perspective, l'indifférence est assimilée à l'apolitisme, et devient, quelle que soit sa justification, un soulagement vil de ne plus se sentir responsable de rien, de se replier sur soi dans la vie privée. La vie privée, nous le savons, est privée de la participation politique, car privée de la lexis et de la praxis en public.

3.2. La participation politique par la praxis.

L'homme peut vivre sans travailler, s'il fait travailler d'autres personnes pour sa survie. L'homme peut aussi vivre dans le monde créé sans y ajouter quelque chose, ouvrage de ses mains ; mais une vie humaine dépourvue d'actions serait comme une vie morte au monde, donc inutile. L'action s'avère comme étant la condition sine qua non de la politique ; c'est-à-dire que l'animal politique est dorénavant l'animal agissant et parlant en public. L'agir politique devient ainsi la matérialisation de la participation politique par l'action concrète.

Agir est aussi et surtout le fait de commencer du nouveau, c'est-à-dire de mettre en activité la capacité d'initiative que l'homme porte en soi. Nous pouvons

reprendre les mots de Hannah Arendt pour être ici plus explicite :

«l'agir, au sens le plus général, signifie prendre une initiative,

entreprendre (le grec archein = commencer, guider et éventuellement

gouverner) mettre en mouvement (latin, agere)»_.

Participer à la vie politique par l'action, telle qu'Arendt comprend celle-ci, revient donc à transcender l'automatisme et l'habitude pour commencer quelque chose de neuf, pour introduire l'inattendu. Puisque chaque individu est unique au monde, son agir est une nouveauté qui enrichit le monde de l'action, et le rend ainsi pluriel : monde des co-actions marqué par la diversité et la multiplicité des individus. La praxis se comprend précisément comme le fait de prendre part aux devoirs civiques (que sont les élections, les manifestations politiques, l'expression d'opinions individuelles etc.), mais aussi d'initier d'autres actes civiques imprévus, puisque l'homme a la capacité de créer du neuf. C'est pourquoi l'action est encore définie comme une capacité de commencement, d'un commencement qui révèle l'agent aux autres. Par l'agir, l'homme répond à la question `qui es-tu' que les autres lui posent dès son entrée dans le monde c'est-à-dire sa naissance.

Mais l'action resterait mal comprise, si nous l'analysions séparément de la parole. Pour Hannah Arendt, en effet, «l'acte ne prend un sens que par la parole dans laquelle l'agent s'identifie comme acteur, annonçant ce qu'il fait, ce qu'il a fait, ce qu'il veut faire»_. Pour Arendt donc, l'action est inséparable de la parole, la praxis et la lexis sont en liaison nécessaire l'une avec l'autre.

3. 3. La participation par la lexis.

Le commencement qui caractérise l'action (praxis) caractérise donc également la parole. Cela se comprend dans cette perspective où l'agir est à la fois l'agir en acte et en parole, ou comme acte langagier. Hannah Arendt affirme que la plupart des actes sont accomplis en manière de parole.

Nous sommes amené de la sorte au constat qu'étudier la praxis et la lexis d'une manière séparée n'est pas dans la ligne de penser de Hannah Arendt, qui n'admet cette division que par un seul souci méthodologique. Pour Arendt, «l'action muette ne serait plus action parce qu'il n'y aurait plus d'acteur et, l'acteur, le faiseur d'actes, n'est possible que s'il est en même temps diseur de paroles»_.

La parole dont il est question ici n'est pas bien sûr le monologue, ni la parole

dictée, elle est parole échangée qui n'est pas violence ni bavardage. C'est une parole

donatrice de sens à l'agent - diseur puisque celui-ci révèle son identité par ce qu'il dit

en se prononçant.

Dès lors, la parole se comprend comme la capacité qu'a l'individu humain de

dire ce qu'il est et ce qu'il fait aux autres qui l'entendent et le voient. Le rôle spécifique

de la parole publique est celui de matérialiser et de rappeler (nommer) les choses

neuves que l'action (praxis) a introduites, les choses qui apparaissent ainsi et qui jettent leur éclat dans le monde des hommes. En d'autres termes, la parole aide la mémoire collective à se souvenir des résultats des actes de l'action (praxis).

Nous savons que la nouveauté et l'imprévisibilité introduites désormais par l'action suscite nécessairement des réactions de la part des autres, qui ont normalement chacun la même capacité d'initier quelque chose de différent. C'est que le neuf rencontre et suscite d'autres neufs. Il y a ainsi un débat public à plusieurs qui s'ouvre à la suite de l'acte langagier ou de l'action simplement (praxis). C'est à cet échange de paroles et d'actes que Hannah Arendt veut en arriver pour qu'on puisse parler effectivement de l'espace politique et de la participation politique.

L'acte muet devient violence, et celle-ci fait taire.

La participation par la lexis est donc le fait de prendre part aux débats publics en toute liberté d'expression.

3.4. Critiques de la théorie politique de Hannah Arendt.

3.4.1. Hannah Arendt et nous : essai d'appropriation de la pensée

politique d'Arendt pour réévaluer le politique en Afrique.

Il est question à présent d'utiliser le modèle politique arendtien pour comprendre et pour critiquer le politique en Afrique. Mais, avant cela, il nous semble utile de récapituler, en utilisant nos propres expressions, l'essentiel de la pensée de Hannah Arendt qui a fait l'objet de notre travail.

Pour Hannah Arendt, nous l'avons dit, la coexistence humaine est un fait irrécusable qui est lié et est conséquent à l'être social de l'homme. Cette coexistence est politique en tant qu'elle appelle les hommes vivant ensemble à s'organiser de telle façon que chaque individu puisse avoir la possibilité et l'occasion de dire et d'entendre, d'agir et de voir les autres agir. Une telle organisation rendra heureux ce vivre ensemble. Conséquemment, la participation politique suppose la coexistence , elle est force qui maintient et qui rend harmonieuse la coexistence ; il y a participation lorsque cette possibilité d'apparaître et de voir est actualisée, c'est-à-dire lorsque, comme autour de la table, chaque individu est vu et entendu par ses égaux. La participation politique, si elle existe effectivement dans un pays, rend le politique aisé, facile et transforme le pays en un espace vraiment vivable.

Qu'en est-il de la participation politique en Afrique ? Nous n'allons pas raconter ici l'histoire épique de ce continent. Contentons-nous de rappeler que depuis la fin de la colonisation et à partir du temps des indépendances, l'Afrique cherche son chemin du mieux - vivre ; mieux encore, elle se recherche sur tous les plans, et surtout sur le plan politique.

Il y a un tâtonnement. C'est pourquoi d'aucuns pensent, à tort peut-être, que l'Afrique n'a pas «d'hommes politiques», ou «qu'elle n'est pas prédisposée à la démocratie», ou encore que «le peuple n'est pas encore mûr pour prendre part aux affaires politiques», etc.

La vérité essentielle qui régente ces affirmations est, à notre sens, que la

plupart des pays d'Afrique n'ont pas encore atteint la pleine réalisation de la

participation politique où chaque citoyen aurait un mot à dire sur les affaires politiques

qui engagent normalement la destinée collective de la nation. En d'autres termes, plus proche de ceux de Hannah Arendt, on dirait que le dialogue ( partage de la parole) entre tous (peuple et «ceux qui les gouvernent») et l'initiative individuelle d'action publique sont loin d'être effectifs (réalités).

En effet, il y eut une longue période marquée surtout par l'exclusion du peuple entier à la prise des décisions politiques ; cette période n'est pas encore révolue, elle est présente dans certains Etats d'Afrique. L'exclusion politique dont les populations africaines sont victimes est soit conditionnée par l'indifférence même du peuple, soit simplement imposée par les dirigeants.

3.4.1.1. L'exclusion voulue ou conditionnée par l'attitude du

peuple.

C'est la forme la plus fréquente d'exclusion qu'on rencontre actuellement en Afrique. Nous avons déjà parlé brièvement des causes de l'indifférence politique des populations africaines. Il s'agit surtout du spiritualisme (conviction d'ordre religieux_) et de l'exclusion du peule par les gouvernants.

Revenons à la cause religieuse ou aux convictions spirituelles. En effet, sous l'inspiration d'un spiritualisme à outrance, de nombreuses personnes se dégagent, se désintéressent de la vie de la polis, soi-disant pour s'occuper totalement des affaires de Dieu. Une telle attitude nous paraît mal venue et donc facilement critiquable, puisque la gloire de Dieu est l'homme vivant, et qu'il nous faut dire, par ricochet, que les affaires de Dieu sont celles qui aident l'homme à goûter le Royaume inauguré par Jésus-Christ dans la synagogue de Nazareth.

Ce détour par la spiritualité nous permet de réfuter l'auto - exclusion des croyants, notamment des chrétiens, de la vie de leur cité terrestre.

«la foi, estimait Monseigneur Matagrin, pour le plus grand bien de l'homme et de la société, a et doit avoir effectivement quelque chose à dire à la politique et la politique a bien le droit d'interroger à son tour la foi»_.

Ces propos courageux aideront certainement à bannir le fidéisme qui sévit en Afrique. La foi vécue dans une indifférence à l'égard de notre condition humaine devient une aliénation de l'homme ; car l'homme y détruit lui-même son essence politique, tout en voulant vivre dans un espace organisé où il puisse bien vivre son engagement de croyant.

3.4.1.2. L'exclusion imposée au peuple par le régime en place.

Cette forme d'exclusion n'est pas très rare ni recherchée, car c'est la forme qui prévaut dans presque tous les pays africains depuis des temps immémoriaux. La colonisation fut la forme la plus humiliante d'exclusion. Les régimes oligarchiques qui ont succédé aux indépendances en sont encore des exemples patents.

Cette exclusion consiste en une monopolisation et en une privatisation des affaires politiques par et entre les mains d'un groupe réduit autour du pouvoir en place. La plupart des pays d'Afrique ont connu des gouvernements dictatoriaux avec parti unique, durant au moins vingt ans. Chaque fois qu'on y parlait des élections, c'était obligatoirement en vue de reconduire le même président.

Il faut reconnaître pourtant que laisser ainsi un peuple entier en marge des affaires engageant sa vie, le priver de la vie publique (donc de son humanité), c'est banalement l«animaliser», et Hannah Arendt pourra même dire que c'est gérer le pays à la manière d'une famille où il y a la dictature du chef de famille qui donne des ordres que d'autres exécutent sans riposte.

Ces deux formes d'exclusion privent l'homme de son droit et de son devoir

civique de disposer de lui-même et, dans la perspective arendtienne, de dire, d'agir

publiquement à propos des affaires politiques. D'une manière simple, nous dirions

que la participation politique, acte d'échange de la parole et de l'action, n'est pas encore une chose totalement acquise dans certains pays d'Afrique. Cela surtout à cause de la gestion de type familial que l'on applique à la nation. Le devoir de participation politique incombe à chaque citoyen en tant qu'il vit dans la polis, et comme bios politikos dans le sens arendtien. Jacques Ellul rappelle que «le grand mal, ce qui donne à l'Etat son indépendance, ce serait en réalité l'apolitisme du citoyen »_. Il est vrai par ailleurs que «l'autorité, comme le souligne Enègren, doit assurer, de façon parfaitement immanente, la solidarité du lien politique_», tel est normalement le rôle de l'Etat.

3.4.2. Critique de la pensée politique de Hannah Arendt.

L'analyse pénétrante que Hannah Arendt nous présente du politique nous a permis, selon ses propres mots, de comprendre «l'origine de l'aliénation du monde moderne [de l'Afrique, dirions-nous] de sa double retraite fuyant la terre pour l'univers et le monde pour le moi»_ ; elle nous a permis d'évaluer, mieux de réévaluer notre propre espace politique. En recourant à la « pêche à la perle », en effet, nous avons utilisé la pensée d'Arendt pour lire, pour comprendre et pour interpréter notre propre histoire contemporaine en Afrique.

La pensée d'Arendt nous paraît en effet riche et importante ; de plus, elle est

très actuelle, notamment par les questions qu'elle pose, questions qui sont vraiment

au coeur de notre expérience et de notre actualité politiques : les questions d'autorité,

de liberté, de participation, de démocratie, etc.

Puisque nous avons presque entièrement épousé, , cette pensée (dont nous

avons fait usage jusqu'ici), il nous faut ,cependant, pour éviter l'apologie c'est-à-dire

une simple défense trop subjective de Hannah Arendt, essayer d'opérer un

dépassement et une critique de la démarche arendtienne avant de finir ce travail. Il

s'agit en fait de faire ressortir, avec d'autres penseurs, les limites que peut contenir la

pensée d'Arendt.

Jacques Taminiaux rapporte qu'on «reproche quelquefois à Arendt de réserver l'activité d'action proprement dite à un petit nombre d'élus»_. Cette critique semble être fondée sur l'affirmation de Hannah Arendt selon laquelle «des activités nécessaires existant dans les sociétés humaines, deux seulement passaient pour politiques et pour constituer ce qu' Aristote nommait bios politikos : à savoir l'action (praxis) et la parole (lexis)»_. C'est-à-dire que seuls ceux qui parlent et qui agissent sont ou incarnent le bios politikos, ceux qui n'ont pas encore su s'ouvrir à la parole et l'action publiques sont exclus (pas considérés) dans la perspective d'Arendt du politique.

Contrairement à la cité grecque d'Aristote, la cité que prône Arendt ne connaît pas la distinction entre esclaves et hommes libres. Cela signifie que, pour Arendt, que l'homme, quel qu'il soit, ouvrier ou artisan, a la vocation, l'appel a faire son apparition publique sur la scène politique par l'action. Mais, avant cela, l'homme doit avoir maîtrisé les nécessités de l'existence par le travail.

Outre cette critique, de nombreux érudits taxent l'ouvrage d'Arendt de chronique des événements et elle-même de n'être qu'une simple journaliste. Cette critique est occasionnée par le style arendtien qui prête en effet au genre journalistique et narratif.

Mais c'est à dessein qu'Arendt agit de la sorte ( narrer ou faire une chronique des événements qui arrivaient) pour libérer le politique de ses «sombres temps». Nous savons toutefois que Hannah Arendt a exercé le métier de journaliste.

André Enegren, qui reconnaît clairement la valeur du projet arendtien, comme «théorie communautaire du pouvoir», lui objecte pourtant, en accord avec les réalistes, l'impossibilité de pratiquer la théorie politique qu'elle a propagée parce que cette dernière soutient la perfection de la délibération plurielle en oubliant les possibilités de corruption de la parole_.

Arendt ne voulait pas bâtir des systèmes politiques prêts à être appliqués ; elle disait qu'elle voulait dire et décrire ce que les hommes font, ce qu'ils vivent ensemble. Et cela la conduisit à se dire théoricienne de la politique. Après avoir dit et analysé ce que les hommes vivaient, Hannah Arendt re-pensera le politique pour en proposer les règles. Nous pensons aussi que, dans l'histoire de la pensée, depuis les temps anciens, personne n'a donné un modèle politique qu'il suffirait d'appliquer en quelque pays pour transformer, de manière miraculeuse, sa réalité politique.

Une autre question qu'on pose à Arendt aujourd'hui et celle que rapporte encore André Enegren : «A quoi bon poser des règles d'un jeu auquel personne ne joue plus ? »_. Cette question signifie en fait que la théorie politique d'Arendt est hors de proportion avec le jeu politique actuel, où il y a un manque évident «et de la transparence de la parole et de la limpidité du regard». Le politique s'est aujourd'hui déguisé pathologiquement en un «art d'obtenir une soumission consentie»_.

Mais, sans accepter de se complaire en cet état erroné du politique, Hannah

Arendt a voulu justement remonter au fondement du jeu politique pour y retrouver

«l'esprit originel» : le domaine de la coexistence, où les égaux discutent ensemble de

la gestion des affaires collectives. Il valait donc la peine de redéfinir les règles du jeu

politique.

Nous pensons toutefois, après l'évocation de ces quelques critiques, que Hannah Arendt garde le grand mérite d'avoir osé dire ce que les hommes font, d'avoir soulevé les grandes questions concernant le vécu politique, et la vie des hommes d'un point de vue éthique, philosophique et anthropologique. Les questions qu'elle pose ont suscité jusqu'à nos jours un débat interminable et sérieux qui engage les penseurs et les acteurs politiques, les philosophes et les moralistes, dans le souci de replacer l'homme à l'intérieur de sa vocation à bien vivre, avec les autres, en se réalisant avec eux hic et nunc. Mais comme tout initiateur d'actes, ou d'une pensée, la pensée d'Arendt mérite d'être bien comprise, complétée, contextualisée, prolongée et adaptée, pour être plus efficace, c'est-à-dire plus inspiratrice pour évaluer le politique actuel, en Afrique, en Asie, etc. Ce travail incombe aux acteurs politiques, aux éditeurs de théories politiques et aux lecteurs de Hannah Arendt.

CONCLUSION GENERALE

«L'homme, disait Xavier La Bonnardière, est, en même temps et par nature, animal social et même, à un degré d'évolution plus avancé, animal politique»_.

Cette conception aristotélicienne de l'homme a été le leitmotiv de notre étude de Condition de l'homme moderne de Hannah Arendt. Notre travail s'achève. Il nous faut maintenant faire succinctement la récapitulation du chemin parcouru.

Dans le premier chapitre, nous nous sommes efforcé de tracer la ligne centrale de la pensée de Hannah Arendt. Nous avons ensuite ordonné cette pensée dans une synthèse telle qu'elle s'énonce dans Condition de l'homme moderne. Condition de l'homme moderne, nous l'avons vu, est d'abord et surtout une analyse des activités, de la vita activa dans leur signification politique : le travail, l'oeuvre et l'action.

Le deuxième chapitre a essayé de montrer que la coexistence humaine est une réalité tangible, voire «donnée par la nature», puisque la socialité de l'homme fait partie de son essence : l'homme est toujours et déjà dans une société, il est un animal social en tant qu'«être-avec». Cependant, selon Hannah Arendt, la communauté politique advient lorsque les hommes, déjà en société naturelle, s'engagent, dans un espace public, à dire et à agir sur les affaires politiques ou publiques. Dialectiquement, on dirait que la communauté politique émerge de l'action qui s'y situe, et cette communauté politique disparaît dès que les hommes n'agissent plus de concert.

Toujours dans cette logique de la pensée de Hannah Arendt nous avons compris qu  «il y avait (a) en l'homme quelque chose de politique qui appartient à son essence»_.

On peut déduire de cette découverte de l'espace public en tant que lieu naturel

du politique que le domaine politique est l'unique et le véritable «domaine où nous

(humains) devons être, c'est-à-dire où nous ne nous sentons ni livrés à nos

impulsions ni dépendants de quoi que ce soit de matériel»_. De façon simple et claire,

nous dirons que l'inter-esse s'est révélé nécessaire et exigé de l'homme et des

hommes.

Nous avons vu encore que le vivre ensemble, l'inter-esse, nécessite toujours une conjugaison harmonieuse d'actions (paroles et actes) des hommes libres et égaux. C'est à ce niveau qu'intervint la notion de participation politique, notion que nous avons largement expliquée dans le troisième chapitre en tant que condition sine qua non de l'avènement de l'espace politique véritable, c'est-à-dire l'espace de l'agir humain pluriel où il fait bon vivre pour tous et pour chacun.

La participation politique de l'homme, en l'occurrence le citoyen, s'est révélée comme l'acte humain et civique le plus excellent parce que, c'est lorsque l'homme s'engage actuellement (effectivement) à prendre part (selon le sens même de participer), par l'action et par la parole en face de ses égaux, c'est-à-dire aux affaires publiques qu'il exhibe réellement ce qui est d'essentiellement humain en lui, son être politique, en tant qu'être avec. La réciprocité caractérise l'agir et le dire en public, car l'homme est toujours un être avec les autres et c'est avec ceux-ci qu'il échange les paroles et les actions pour créer cet espace de vivre ensemble organisé. Comme on s'en sera rendu compte, la visée de ce travail, dans le contexte où nous sommes, c'est d'être un plaidoyer pour une communauté humaine caractérisée par la participation politique de tous et de chaque citoyen.

Partant d'une phénoménologie du vivre-ensemble actuel, notamment en Afrique, et nous tournant vers l'analyse de Hannah Arendt sur la condition de l'homme moderne, notre travail a consisté justement à montrer l'importance du politique comme une structure fondamentale de la réalité de l'homme, et que cette structure ne provient effectivement que «d'une action et d'une parole partagées au sein d'un espace politique»_.

L'accomplissement du politique au sens qu'en donne Hannah Arendt est important, d'autant plus qu'il est destiné à garantir le droit qu'a chaque homme en tant qu'être humain : d'agir et de dire ce qu'il pense sur les problèmes qui engagent le destin collectif de la cité, c'est-à-dire de tous.

Enfin, nous allons conclure ce travail. Après le chemin que nous avons

parcouru, le titre de notre travail devient plus compréhensible :

«La coexistence humaine et la participation politique. Une réévaluation de l'espace politique chez Hannah Arendt». Ce titre, qui a guidé notre étude, stipule, en ces deux parties, que la coexistence humaine lorsqu'elle est bien assumée et pour être excellemment réussie, convoque et exige nécessairement la participation politique des individus qui vivent ensemble et qui partagent un même espace. La re-évaluation de l'espace politique dont nous avons parlée tient du seul fait qu'avant nous, Hannah Arendt ainsi que d'autres penseurs ont fait des évaluations de leur espace politique. Nous avons, à notre tour, fait une nouvelle évaluation de notre politique avec l'aide et selon l'inspiration de la pensée de Hannah Arendt.

Disons donc que nos politiques qui sont encore marquées d'exclusion et de soustraction politiques de toutes sortes vont sans doute trouver chez Hannah Arendt des outils d'inspiration importants pour rendre vivable et harmonieux l'espace commun. Et partant, l'Afrique pourra se soustraire de l'odeur de la mort qu'elle connaît actuellement _. Telle est, en conclusion, la réhabilitation radicale du politique que Hannah Arendt proposait dans le sens d'un véritable espace public de délibération et d'initiative.

BIBLIOGRAPHIE

Elisabeth Young-Bruehl et Sylvie Courtine-Denamy donnent, chacune, une bibliographie assez détaillée de Hannah Arendt, dans leurs ouvrages sur Hannah Arendt», respectivement aux pages 689-709 et 405-428 (Cfr. infra).

Ecrits de Hannah Arendt

1. ARENDT Hannah, Condition de l'homme moderne, traduction de Georges Fradier,

Paris, calmann-Lévy, 1961.

2. -----------------------, La crise de la culture. Huit exercices de pensée politique,

traduction de Patrick Lévy, Paris, Gallimard, 1972.

3. ----------------------,Le système totalitaire, traduction de Jean-Loup Bourget, Robert

Davreu et Patrick Lévy, Paris, Seuil, 1972.

4. ---------------------, Vies politiques, Paris, Gallimard, 1974.

5. ----------------------, Juger sur la philosophie politique de Kant, traduction de

Myriam Revault d'Allonnes, Paris, Seuil, 1991.

6. ---------------------, Qu'est-ce que la politique ? , Texte établi et commenté par

Ursula Ludz, traduction et préface de Sylvie Courtine-Denamy,

Paris, Seuil, 1993.

Livres et articles sur Hannah Arendt

A) Livres

1. ENEGREN André, La pensée politique de Hannah Arendt, Paris, PUF, 1984.

2. YOUNG-BRUEHL Elisabeth, Hannah Arendt, traduction de Joél Roman et Etienne

Tassin, Paris, Anthropos, 1986.

3. COURTINE-DENAMY Sylvie, Hannah Arendt, Paris, Belfond, 1994.

4. ABENSOUR, Miguel et aa, Ontologie et Politique. Actes du colloque Hannah

Arendt, Paris, Tierce, 1989.

5. TAMINIAUX Jacques, La fille de Thrace et le penseur professionnel. Arendt et

Heidegger, Paris, Payot, 1992.

6. HUBENY Alexandre, L'action dans l'oeuvre de Hannah Arendt. Du politique à

l'éthique, Paris, Découvrir, 1993.

B) Articles

1. RICOEUR Paul, « Hannah Arendt » in Lectures 1. Autour de la politique, Paris,

Seuil, 1991, pp. 15-65.

2. ENEGREN André, « Pouvoir et liberté. Une approche de la théorie politique de

Hannah Arendt », in Etudes, avril 1983, tome 358, pp. 487-494.

3. VALADIER Paul, « Le politique contre le totalitarisme. Ouverture à la pensée de

Hannah Arendt », in Projet n(143, mars 1980, pp.329-343.

4. ESLIN Jean-Claude, « L'événement de penser », in Esprit, juin 1980, pp. 7 ss.

5. VETÖ Miklos, « Cohérence et terreur : introduction à la philosophie politique de

Hannah Arendt », in Archives de philosophie, Tome 45, 1982,

pp.549-584.

6. « Le cahier du grif »», n°33, 1986, Paris, Tierce.

Autres écrits

A) Livres

1. ARISTOTE, La politique, présentation et annotation par Marcel Prélot, Paris,

Gonthier, 1964.

2. ELLUL Jacques, L'illusion politique, Paris, Robert Laffont, 1965.

3. CALVEZ Jean-Yves, Introduction à la vie politique, Paris, Aubier-Montaigne, 1967.

4. HUISMAN Denis, Dictionnaire des philosophes, Paris, PUF, 1984.

5. LA BONNARDIERE Xavier, Initiation politique, Paris, Fayard, 1967.

6. LALANDE André, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF,

1926.

7. MILL John Stuart, De la liberté, traduction et commentaire par Gilbert Boss, Zurich,

éditions du grand Midi, 1987.

8. NGOMA-BINDA  P. Elie, La participation politique. Eléments de formation civique

et politique, Kinshasa, Ifep et FKA, 1995.

9. NTIMA NkANZA, « Non. Je ne mourrai pas, je vivrai. », Méditation sur le

cheminement christologique en Afrique, Canisius, Ed. Loyola,

1996.

10. THONNARD, F.-J, Extraits des grands philosophes, Paris, DDB et aa, 1953.

11. VALADIER Paul, Agir en politique. Décision morale et pluralisme politique,

Paris, Cerf, 1980.

B) Articles

1. MAYEMBA Bienvenu, « Critique de la foi comme chemin d'évasion. Un petit éloge

de la raison éthique », in Zaïre Afrique, n( 312, février 1997, pp. 83-92.

TABLE DES MATIERES

_ TM \o "1-3" _EPIGRAPHE _ RENVOIPAGE _Toc477772056 \h __I_

DEDICACE _ RENVOIPAGE _Toc477772057 \h __II_

REMERCIEMENTS _ RENVOIPAGE _Toc477772058 \h __III_

0. INTRODUCTION GENERALE _ RENVOIPAGE _Toc477772059 \h __1_

0.1. Une esquisse biographique de Hannah Arendt _ RENVOIPAGE _Toc477772060 \h __1_

0.2. Le pourquoi de notre réflexion _ RENVOIPAGE _Toc477772062 \h __3_

0.3. Le principe directeur du travail _ RENVOIPAGE _Toc477772063 \h __4_

Chapitre premier : LA COMPREHENSION GENERALE DE LA PENSEE DE HANNAH ARENDT _ RENVOIPAGE _Toc477772064 \h __6_

1.1. La phénoménologie de l'histoire vécue _ RENVOIPAGE _Toc477772065 \h __6_

1.2. La genèse d'une pensée _ RENVOIPAGE _Toc477772066 \h __9_

1.3. «Condition de l'homme moderne» _ RENVOIPAGE _Toc477772067 \h __10_

1.4. Une méthode arendtienne : «la pêche à la perle» _ RENVOIPAGE _Toc477772068 \h __14_

Chapitre deuxième : La COEXISTENCE HUMAINE _ RENVOIPAGE _Toc477772069 \h __17_

2. 1. L'exister humain pluriel _ RENVOIPAGE _Toc477772070 \h __18_

2.1.1. L'homme: "un être avec les autres" _ RENVOIPAGE _Toc477772071 \h __18_

2.1.2. " L'animal social " _ RENVOIPAGE _Toc477772072 \h __19_

2.1.3. "L'animal politique" _ RENVOIPAGE _Toc477772073 \h __21_

2.2. Le domaine privé. _ RENVOIPAGE _Toc477772074 \h __22_

2.2.1. Le privé comme privatif _ RENVOIPAGE _Toc477772075 \h __22_

2.2.2. Le privé comme propriété privée _ RENVOIPAGE _Toc477772076 \h __23_

2.3. Le domaine public. _ RENVOIPAGE _Toc477772077 \h __24_

2. 4. La redéfinition du politique avec Hannah Arendt _ RENVOIPAGE _Toc477772078 \h __26_

Chapitre troisième : LA PARTICIPATION POLITIQUE DU CITOYEN. _ RENVOIPAGE _Toc477772079 \h __29_

3.1. L'indifférence politique des citoyens _ RENVOIPAGE _Toc477772080 \h __30_

3.2. La participation politique par la praxis. _ RENVOIPAGE _Toc477772081 \h __31_

3. 3. La participation par la lexis. 33

3.4. Critiques de la théorie politique de Hannah Arendt. 34

3.4.1. Hannah Arendt et nous : essai d'appropriation de la pensée politique d'Arendt pour réévaluer le politique en Afrique. 34

3.4.2. Critique de la pensée politique de Hannah Arendt. 37

CONCLUSION GENERALE 40

BIBLIOGRAPHIE 43

Ecrits de Hannah Arendt 43

Livres et articles sur Hannah Arendt 43

Autres écrits 44

TABLE DES MATIERES 46

_

_ Hannah Arendt, Crise de la culture. Huit exercices de pensée politique, traduction de Patrick

Lévy, Paris, Gallimard, 1972, p.26.

_ Ce dernier volume a une nature particulière. Il a paru posthume et l'auteur n'avait

Laissé qu'une page vide avec le titre `Juger', sur sa machine à écrire.

_ Mary Mc Carthy, « Pour dire au revoir à Hannah », in Cahier du Grif n°33, 1986, p.10.

_ L'origine de cette situation troublée remonte à la diaspora qu'il avait connue depuis l'invasion de Nabuchodonosor. Nous parlons de la première dispersion des habitants du royaume de Juda, après la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor en 587 avant Jésus-Christ. Depuis cette dispersion les Juifs n'ont jamais cessé d'être en butte à l'hostilité des populations auxquelles ils étaient mêlés (cela peut être à cause de l'intransigeance religieuse des Juifs et aussi leurs refus de s'assimiler.

_ Olivier Mongin, dans une belle page de la préface qu'il a écrite au livre d'Elisabeth Young-Bruehl, Hannah Arendt, traduction de Joél Roman et Etienne Tassin, Paris, Anthropos, 1986, p. XVI.

_ André Enegrén, La pensée politique d'Hannah Arendt, Paris, PUF, 1984, p. 23.

_ Ibid., p. 237.

_ Ibid., p .24

_ Olivier Mongin, préface du livre d'Elisabeth Young-Bruehl, Op. Cit., p. XII.

_ Il s'agit là du contenu de la lettre n(183 d'Arendt à Jaspers, dont reprenons la citation faite par Sylvie Courtine-Denamy, Hannah Arendt, p. 312.

_ On pourra ici lire Paul Ricoeur, cité par Sylvie Courtine-Denamy, Op. cit., p. 313.

_ Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, Traduction de Georges Fradier, Paris, Calmann-Lévy, 1961, p. 15

_ Ibidem

_ Sylvie Courtine-Denamy, op. cit., p.319

_ Ibidem

_ Ibidem.

_ Paul Ricoeur, Lectures 1. Autour de la politique, p.64.

_ Elisabeth Young-Bruehl, Hannah Arendt, p.361.

_ Sylvie Courtine, op. cit., p.313.

_ Ibid., p.314

_ Hannah Arendt, Vies politiques, Paris, Gallimard, 1974, p.304.

_ Nous garderons présente à notre esprit cette manière de faire puisque nous remarquons que l'analyse de l'espace politique qui sera faite dans la suite de ce travail aura la polis grecque et la cité romaine comme références privilégiées.

_ Hannah Arendt, Crise de la culture, p.200.

_ Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, p. 19.

_ Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, p. 31.

_ André Enegrén, "Pouvoir et liberté. Une approche de la théorie politique de Hannah Arendt", in Etudes, avril 1983, tome 358, p. 489.

_ Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, p. 16.

_ Ibid., p. 37.

_ Ibid., p.42.

_ On peut, pour s'en convaincre, lire les pages 32 et 37 de Condition de l'homme moderne.

_ Ibid. p. 33.

_ Alexandre Hubeny, L'action dans l'oeuvre de Hannah Arendt. Du politique à l'éthique, Paris, Découvrir, 1993, p. 12.

_ Hannah Arendt, La condition de l'homme moderne, p. 33.

_ Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, p. 75.

_ Ibid., p. 70.

_ les activités de la vie actives sont le travail, l'oeuvre et l'action.

_ Hannah Arendt, o. c., p. 72.

_ Ibid., p. 73.

_ Ibid., p. 83.

_ Ibid., p. 16.

_ Ibid., p. 33.

_ Ibid., p. 68.

_ François Proust, «Le récitant », in Ontologie et politique. Actes du colloques Hannah Arendt, Paris, Tierce, 1989, p.102.

_ Jacques Taminiaux, La fille de Thrace et le penseur professionnel. Arendt et Heidegger, Paris, Payot, 1992, p. 111.

_ Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, p. 63.

_ La table en effet rassemble les convives tout en les distinguant les uns des autres ; elle

devient comme ce lieu autour duquel les hommes se retrouvent et se regroupent pour parler et

pour agir les uns devant les autres, car chacun est vu et voit les autres. Le totalitarisme est

nuisible parce qu'il tente de supprimer cette différence pour rendre les hommes comme un seul

homme avec un comportement guidé par l'idéologie et la terreur, il détruit toute la spontanéité

de l'être humain en tant qu'être d'initiative.

_ Nous précisons que nous emploierons le terme politique dans toute son extension

sémantique. Nous dirons par exemple que, pour nous, le politique est le domaine, la sphère

des intérêts publics et la politique est l'action relative à ce domaine, ou la direction de la chose

publique. Nous utiliserons donc à la fois les substantifs masculin et féminin pour désigner tout ce domaine des affaires de l'Etat-nation ou de la cité.

_ Jacques Taminiaux, La fille de Thrace et le penseur professionnel. Arendt et Heidegger,

p. 111.

_ Hannah Arendt, Juger sur la philosophie politique de Kant, traduction de Myriam Revaul d'Allonnes, Paris, Seul, 1991, p. 156.

_ Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, p. 223.

_ Nous pouvons déduire de cette explication détaillée du politique qu'on peut vivre dans un pays sans qu'il y ait un espace politique ou public au sens qu'en donne Hannah Arendt. Car "cet espace, dit-elle encore, n'existe pas toujours (...), la plupart d'entre les hommes n'y vivent pas : tels sont dans l'antiquité l'esclave, l'étranger et le barbare ; le travailleur ou l'ouvrier avant les temps modernes, [et de nombreux peuples d'Afrique et d'ailleurs de nos jours]" (Ibid.). C'est nous qui ajoutons la proposition mise entre les crochets.

_ F.-J. Thonnard, Extraits des grands philosophes, Paris, Desclée et Cie, 1953, p. 110.

_ Elie P. Ngoma Binda, La participation politique. Eléments de formation civique et politique,

Kinshasa, Ifep et FKA, 1995, p. 31.

_ Xavier La Bonnardière, Initiation politique, Paris, Fayard, p. 102.

_ Paul Valadier, Agir en politique. Décision morale et pluralisme politique, Paris, Cerf, 1980,

p. 91.

_ Xavier La Bonnardière, op. cit., p. 15.

_ Elie P. Ngoma Binda, La participation politique. Eléments de formation civique et politique, Kinshasa, Ifep et FKA, 1995, p. 32.

_ Jacques Ellul, L'illusion politique, p. 161.

_ Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, p. 199.

_Ibid. , p. 201.

_ Ibidem.

_ Il faut signaler ici que nous identifions volontiers la religion au christianisme, tout simplement parce que nous choisissons, par méthode, le christianisme comme paradigme, ce qui s'applique et qui dit à propos du christianisme peuvent valoir pour les autres forme de religions.

_ Cf. Mgr G. Matagrin, Politique, Eglise et Foi, cité par Mayemba Bievenu, « Critique de la foi comme chemin d'évasion. Un petit éloge de la raison éthique », in Zaïre Afrique, n(312, février 1997, p. 89.

_ Jacques ELLUL, L'illusion politique, Paris, Robert Laffont, 1965, p. 133.

_ André Enégren, La pensée politique de Hannah Arendt, p. 97.

_ Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, p. 13.

_ Jacques Taminiaux, La fille de Thrace et le penseur professionnel. Arendt et Heidegger, p. 112.

_ Hannah Arendt, op. Cit., p. 34.

_ On peut à ce propos lire avec intérêt André Enegren, La pensée politique de Hannah Arendt, p. 234.

_ Ibid., p. 235.

_ Ibid., p. 238.

_ Xavier La Bonnardière, Initiation politique, Paris, Fayard, 1967, p. 102.

_ Hannah Arendt, Qu'est-ce que la politique ? , Paris, Seuil, 1993, p.33.

_ Ibid., p. 34.

_ André Enegren, La pensée politique de Hannah Arendt, p. 30.

_ Ntima Nkanza, « Non. Je ne mourrai pas, je vivrai ». Méditation sur le cheminement christologique en Afrique, Kinshasa, éd. Loyola, 1996, p. 174.






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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe