Introduction
Lorsque les Grecs demandèrent à Solon de leur
donner une constitution, celui-ci répondit à la forme
interrogative : « pour quel peuple et quelle
époque ? En effet, une constitution se présenterait
comme réponse à une attente. Mais elle répondrait à
quelle dynamique sociale dans quelle dynamique historique, à quelle
ordonnance du temps pour reprendre les termes d'Anaximandre ?
Cette demande légitime d'une constitution faite par
les Grecs pour régir leur société peut être
également formulée aujourd'hui en Afrique sous une autre forme
par la couche minoritaire laquelle, se considérant longtemps
marginalisée, revendiquerait un organe pouvant faire entendre ses
préoccupations et ses aspirations. Et pour réponse, on pourrait
se demander : quel peut être cet organe ou cette structure, capable
de prendre la défense de la cause de la couche muette incapable de faire
prévaloir ses droits et d'obtenir le minimum social commun dont elle a
besoin ? Dans les pays du Nord comme dans ceux du Sud, l'organe
habilité à accomplir une telle mission est celui que nous
appelons sous le vocable de société civile. Cette
structure qui, bien que tard, a connu son émergence en Afrique et en
particulier en Afrique subsaharienne dans des conditions qu'on ne peut dire,
mérite d'être examinée avec beaucoup d'attention.
Réfléchir sur l'agir de la société civile en
Afrique n'est pas seulement l'apanage des politiciens et des organismes qu'ils
soient locaux ou régionaux, nationaux ou internationaux , mais aussi
implique tous les esprits épris de réflexion, de connaissance,
mieux de sagesse au sens philosophique du terme.
Le présent exposé intitulé regard
sur l'agir ou les actions de la société civile en Afrique
traitera tour à tour du concept de société civile, de son
émergence en Afrique et de ses diverses actions accomplies.
I - Qu'est-ce que la société
civile ?
La société civile est un concept qui a beaucoup
préoccupé les chercheurs depuis les temps anciens. On peut lui
donner des explications philosophiques, sociologiques ou pratiques.
Référence faite au dictionnaire des synonymes et des antonymes
d'Hector Dupius et de Romain Legare, (édition Fides-l'Ecole, 1975), il
est aisé de constater qu'au mot civil se rapportent trois
synonymes :
· civique opposé à militaire
· langue opposée à religieux
· affable, courtois, civilisé, sociable, en
opposition à brutal, discourtois, incivil, malhonnête etc.
En outre, la quête étymologique du mot civil
fait découvrir qu'il provient du terme latin civilis,
tiré de cives signifiant citoyen, terme juridique en usage
dès le 13è siècle. De même, un autre
dérivé de cives «civicus » traduit
« civique » et en vogue au 18è siècle,
éclaire davantage le sens moderne de patriotique,
dévoué, loyal.
Quant au terme société, du latin
societas, on peut en lire les synonymes ci-après :
· civilisation, culture, Etat, Humanité
· académie, association, confrérie,
église
· affaire, compagnie, entreprise, établissement
· relation, fréquentation, entourage, aristocratie
etc.
Cette intrusion dans l'univers sémantique des termes
permet de préciser le sens de l'expression société
civile.
La société civile est loin d'être une
corporation militaire, une bande armée ou une horde de mercenaires. Elle
ne désigne pas non plus une coterie associative, une confrérie
religieuse ou un clan politique de partisans chauvins et bornés.
Il convient de dire que ce n'est qu'après la
révolution française et la conception unitaire de l'Etat-nation,
imposée par elle, que la notion de société civile a
été opposée à l'Etat pour signifier ce qui
relève du domaine privé, de la société sans l'Etat.
Pourtant, les droits civiques concernent celui qui s'associe au pouvoir de
l'Etat et participe à la communauté politique alors que les
droits civils définissent les obligations qui régissent les
rapports entre individus dans leur vie privée. Le concept de
société civile trouve sa formulation systématique en 1821
dans Les principes de la philosophie du droit de
Hegel. En introduisant ce concept, Hegel prenait acte du changement le plus
significatif de la modernité politique. Ce changement significatif de la
modernité politique a trait à la séparation de la vie
civile et de la vie politique, de la société et de l'Etat.
En science politique, la société civile se
définit comme l'ensemble des rapports interindividuels, des structures
familiales, sociales, économiques, culturelles, religieuses qui se
déploient dans une société donnée, en dehors du
cadre et de l'intervention de l'Etat. La société civile, c'est ce
qui reste d'une société quand l'Etat se désengage
complètement ou n'est pas du tout engagé. Autrement dit, la
société civile est l'ensemble des citoyens d'un Etat qui,
pétris de patriotisme, conscients de leur identité propre,
s'unissent, s'organisent sur la base de lois définies, et s'emploient
à édifier une nation développée, libre et
prospère où chacun s'épanouit et se réalise sans
barbarie militaire, sans chauvinisme partisan ni dogmatisme religieux. En ce
sens, la société civile inclut généralement les
individus, les familles, les associations, les organisations
bénévoles, bref tout ce qu'on appelle les corps
intermédiaires - intermédiaires entre l'Etat et l'individu -
dans la mesure où ils n'émanent pas de l'Etat, comme de
l'Eglise.
Ainsi définie la société civile, il
importe de savoir comment cette société civile a
émergé sur le continent surtout en Afrique au Sud du Sahara.
II - Emergence de la société civile en
Afrique
II.1 - Le contexte d'émergence
Plusieurs raisons expliquent l'émergence dans plusieurs
pays africains d'organisations de la société civile. Dans la
plupart des pays d'Afrique subsaharienne, les acteurs de la
société civile sont apparus pour répondre aux
incohérences des appareils étatiques sur le plan national et pour
pallier aux politiques économiques internationales qui ont des impacts
négatifs sur les couches minoritaires. Au nombre de ces impacts, nous
pouvons citer entre autre une mauvaise gouvernance et une classe politique en
déphasage avec les aspirations sociales.
Des syndicats longtemps dominés par une élite
vouée corps et âme au pouvoir furent secoués par des
contradictions internes ouvrant la voie à une nouvelle approche du
syndicalisme au service des travailleurs. Cette situation nouvelle permit un
essor prodigieux de toutes les luttes politiques et syndicales. Incapable de
satisfaire les revendications corporatistes des étudiants et voulant
toujours exercer un pouvoir sans partage et réfutant la demande du
multipartisme, la plupart des régimes d'alors eurent recours à
leur arme classique : la répression sauvage et barbare. La
réaction du peuple fut violente et inattendue. Les forces
démocratiques n'ont pas reculé devant la répression et
leurs revendications se sont faites percutantes dessinant les contours de ce
qu'on peut appeler la révolution de 1989-1990. Cette situation
insurrectionnelle ne permettait plus aux régimes dictatoriaux de
maintenir leur pouvoir. Ces régimes étaient pour la plupart des
alliés objectifs de certaines puissances étrangères et en
particulier de la France. C'est ainsi que François Mitterrand, mesurant
les dangers d'une gronde révolutionnaire capable de remettre en cause
les intérêts de la France, tint un discours à la Baule. Ce
discours sema une véritable panique dans le camp des dictateurs
africains. En effet partout en Afrique, les dictatures néocoloniales
faisaient face à des résistances plus ou moins ouvertes des
masses. En Afrique occidentale, le régime de Mathieu
Kérékou grâce à une conférence nationale
souveraine fut contraint à l'ouverture démocratique. Cet exemple
fut contagieux au Congo-Brazzaville, en République Démocratie du
Congo, au Gabon, en Côte d'Ivoire, en Centrafrique, en Mauritanie, au
Togo, et au Niger pour ne citer que ceux-là. Eu égard à
ces événements et pour sortir de l'impasse, le concept de
société civile a commencé à émerger dans les
discours politiques africains au lendemain de la fin de la guerre froide en
1989, année qui correspond à la chute du mur de Berlin et
à l'éclatement du bloc communiste. Il devient assez courant
à partir de 1990-1991 avec l'ouverture au processus de
démocratisation. Et durant les périodes de transition politique
marquées par la tenue des conférences nationales souveraines, la
société civile devint une organisation remarquable, consciente et
bien organisée. Ainsi, compte tenu de sa neutralité politique, a
-t-on fait recours à certains hommes dignes de confiance pour
présider les travaux de cette transition. C'est le cas des Mgrs Isidore
de Souza au Bénin, Ernest Kombo au Congo-Brazzaville, Laurent Monsengwo
au Zaire.
En conséquence, on pourrait dire que la
société civile est la résultante d'un dynamisme
sociopolitique national. Si nous admettons que la société civile
est la résultante d'un dynamisme national, la question que nous pouvons
poser est de savoir quelle est sa composition.
II.2 - La composition de la société
civile
Dans plusieurs pays africains, il y a eu une forte croissance
d'organisation de la société civile ces dernières
années. Il n'existe pas de liste fixée d'organisations,
sociétés, mouvements, groupes d'intérêts ou
associations qui constituent la société civile dans un pays
donné. Cependant, la configuration des associations et différents
groupes se réclamant de la société civile se
présente presque dans tous les pays africains où elle existe de
la manière suivante : Associations sociales éducatives de
jeunesse, associations de femmes et familles, Associations sociales,
culturelles et sportives, Associations confessionnelles et religieuses,
Associations humanitaires et philanthropiques, Associations à
caractère économique, de développement et d'actions
communautaires, les Corporations (ordres des médecins, des avocats, des
infirmiers...), Associations scientifiques et savantes, Associations des
syndicats, Associations communautaires et paysannes, Associations de la presse,
les ONGs de développement et de paix, d'éducation civique, des
droits de l'homme, des fronts des organisations nationales de lutte contre la
corruption, des cellules de moralisation de la vie publique. Ce schéma
de configuration ainsi présenté, on est en droit de dire que la
société civile est, en effet, la somme totale des
activités organisées par les citoyens, indépendantes des
structures du gouvernement, conçues pour réaliser une
variété d'objectifs professionnels, culturels,
économiques, sociaux et politiques.
III - L'agir de la société civile
africaine
En Afrique subsaharienne, les différentes organisations
de la société civile mènent des activités de
plaidoyer selon leur domaine d'intervention. Certaines sont très
avancées et d'autres viennent de commencer. Leurs domaines
d'intervention concernent l'éducation, la santé, la bonne
gouvernance, les droits humains, l'environnement, la lutte contre la
pauvreté, la lutte contre la corruption et le détournement des
deniers publics.
Dans le domaine de la décentralisation, la
société civile a mené des plaidoyers pour la relecture des
textes relatifs aux chefs de quartiers, de villages, et à leurs
conseillers, pour l'implication des femmes dans la gestion des ressources de la
commune, pour l'effectivité de la libre administration des
collectivités décentralisées et le transfert des
ressources et des compétences, la prévention de conflits entre
autorités communales et autorités villageoises en matière
de gestion des ressources naturelles. Cette décentralisation traduit
bien le rejet de plus en plus grandissant d'une situation « de plus
d'Etat » au profit d'une situation de « moins
d'Etat », car l'omnipotence de l'Etat avait créé
d'énormes problèmes, entre autres : l'expansion de la
pauvreté, la concentration du pouvoir entre les mains d'une
minorité, la mauvaise gestion du développement, l'absence d'une
distribution équitable du revenu national, la
détérioration des conditions de vie, l'hypothèque sur un
développement durable de la société. Des pays comme le
Bénin, le Mali, le Sénégal, le Burkina-Faso, la
Côte d'Ivoire, le Ghana, la Tanzanie, le Kenya, la Zambie, le Botswana,
l'Île Maurice etc ont adopté cette politique avec le concours et
le dynamisme des organisations de la société civile comme moyen
adéquat pour la promotion d'une démocratie participative.
Dans le domaine de la santé et de l'éducation,
les organisations de la société civile fournissent des services
alternatifs là où l'action de l'Etat est inexistante ou
insuffisante. Elles sont souvent plus flexibles que les pouvoirs publics et
elles sont plus proches de la base et des cultures locales. Dans de nombreux
pays en développement et en particulier ceux de l'Afrique, elles
prennent en charge des programmes d'éducation non formelle. Grâce
à des démarches à l'écoute des besoins et des
conditions de vie des populations défavorisées, ces organisations
ont un meilleur accès aux personnes exclues et marginalisée. Leur
efficacité dans les domaines tels que la participation communautaire,
l'autonomisation, l'alphabétisation, les écoles communautaires,
la santé génésique et l'éducation de la petite
enfance est particulièrement appréciée. Leurs
démarches novatrices font d'elles des sources de réflexion et de
pratiques nouvelles, indispensables à l'évolution du concept de
l'Education Pour Tous et à sa capacité d'adaptation au
changement.
Sur le plan politique, les organisations de la
société civile se sont beaucoup investies avec les autres forces
vives de la nation, vers la fin des années 1990, dans la lutte contre le
pillage et l'exploitation néocoloniale, la corruption des élites
au pouvoir, les partis uniques, pour l'instauration du multipartisme, de la
démocratie et pour un contrôle démocratique des affaires du
/ des pays. D'une part, elles ont joué un rôle capital et ont
représenté près de 40% des participants lors des
conférences nationales souveraines tenues au Bénin, au
Zaïre, au Congo-Brazzaville, au Togo, au Niger etc qui ont ouvert la
voie au processus de la démocratisation; leur participation active aux
divers accords pour la résolution des conflits armés a
été significative. Tel est le cas de la société
civile de la RDC aux accords du Dialogue Inter-Congolais de Sun City même
si cette dernière a pris un tournant particulier à l'horizon des
négociations politiques auxquelles elle a été
associée. Par ailleurs, elle n'avait cessé, pendant la guerre de
septembre 1996 et celle d'Août 1998, de prêcher contre vents et
marées et en dépit des incompréhensions de l'époque
la nécessité de sortir du cercle vicieux de la prise de pouvoir
par les armes et d'y croire. Nous pouvons aussi citer en exemple la
société civile du Burundi qui a fortement dénoncé
ce qu'elle qualifie de génocide d'octobre 1993, et en particulier,
l'holocauste de Kibimda, de Butezi, de Butaganzwa. D'autre part, la
société civile ne cesse d'apporter sa contribution à la
bonne gouvernance, en menant des activités de plaidoyer, lesquelles
aboutissent à la mise en place, dans bon nombre de pays africains, d'une
convention collective. Celle-ci porte entre autres sur le processus
électoral, le code électoral, la décentralisation, les
projets d'appui à l'instauration d'un cadre de concertation formelle
entre les acteurs socio-économiques. Par ailleurs, leur lutte ne
s'arrête pas simplement sur le plan national. Elles vont plus loin en
tirant la sonnette d'alarme pour faire entendre la voix des muets qu'elles
représentent sur l'échiquier international.
Depuis son intégration forcée dans la
mondialisation néolibérale, l'Afrique traverse une crise
structurelle grave. Cette intégration forcée, à mon humble
avis, ne lui permet pas encore de prendre en main son destin. Le
néocolonialisme veut imposer une vision selon laquelle la
libéralisation des énergies individuelles, grâce à
l'économie de marché, pourrait favoriser l'essor
économique du continent africain. Il convient cependant de souligner
que la gestion de la dette a été le levier essentiel pour obliger
les dirigeants africains à accepter les politiques de mondialisation
économiques néolibérales, imposées par le G8, sous
les formules de Consensus de Washington
ou de Programme
d'Ajustement Structurel. Entre 1980 et 1996, le montant de la
dette extérieure a triplé passant de 84,3 milliards de dollars
à 235 milliards de dollars. Et chaque année, pour le service de
la dette, l'Afrique subsaharienne transfère l'équivalent de
quatre fois ses budgets sociaux. Malgré ses transferts colossaux, les
arriérés de paiement ne cessent d'accroître cette dette.
L'Afrique semble prise dans un cycle infernal d'endettement. Il y a un faisceau
de contraintes et des mécanismes mis en place pour perpétuer
cette situation devenue insupportable pour les peuples africains.
L'effondrement de nos Etats sous le poids de la mondialisation libérale
a non seulement permis une intrusion massive des capitaux mais il a surtout
renforcé la logique du pillage caractéristique des relations
entre l'économie mondiale et l'Afrique depuis le 16è
siècle. L'irruption des conflits armés a permis aux seigneurs de
guerre de contrôler les ressources minières et
diamantifères des zones sous leur contrôle et de se livrer
à une exploitation effrénée en complicité avec les
marchands d'armes et de drogue, les banques offshore et les transnationales
pour promouvoir les intérêts stratégiques étrangers.
Devant cette situation, les organisations de la société civile
africaine ne peuvent que crier au scandale et sonner la sonnette d'alarme pour
manifester leur indignation. A ce sujet, l'une des organisations de la
société civile qui a réussi ce travail sur le terrain est
la Coalition Nationale du Mali jubilé 2000. En 1996, les
Organisations de lutte citoyenne pour la justice économique et sociale
lance la campagne mondiale jubilé 2000 pour l'annulation de la
dette injuste des pays pauvres. Mise en place en 2001 et regroupant ONG,
Syndicats, Associations féminines, Associations de jeunes,
d'opérateurs économiques, de confessions religieuses,
organisations paysannes, Jubilé 2000 / Coalition des Alternatives
Africaines Dette et Développement, s'est engagé à
poursuivre non seulement la campagne pour l'annulation inconditionnelle de la
dette africaine, mais aussi de travailler sur d'autres questions et
règles telles que le commerce inéquitable, la mondialisation
néolibérale, le NEPAD, les accords ACP / UE ... Les objectifs
qu'elle s'est fixée sont les suivants :
· poursuivre la campagne pour l'annulation
inconditionnelle de la dette publique extérieure des pays du
Tiers-Monde
· Contribuer par l'information, la communication et la
formation au renforcement des capacités d'analyse et d'action des
mouvements sociaux et des autres acteurs du développement sur les
mécanismes de construction de la pauvreté, de l'injustice et
leurs conséquences socioéconomiques, politiques, et
environnementales
· Lutter pour une participation active et efficace des
mouvements sociaux dans le processus de la planification, de l'utilisation, du
suivi et de l'évaluation des fonds publics pour la satisfaction des
droits les plus fondamentaux des populations (santé, éducation,
emploi...)
· Contribuer au changement des systèmes, des
politiques et des structures de développement qui maintiennent les pays
du Tiers-Monde, dans la spirale de la dette et la misère
· Collaborer avec les mouvements sociaux, les
réseaux et les alliances qui militent pour la justice sociale et
économique au niveau local, régional et international en vue de
développer des consensus sur des positions et des activités en
faveur d'une nouvelle société ayant comme centre l'homme et non
le capital
· Contribuer au niveau local, régional et
international aux réflexions et définitions de nouvelles
stratégies et alternatives panafricaines de développement
principalement fondées sur nos valeurs sociales, culturelles et
économiques, lutter pour le rapatriement des objets volés en
Afrique et pour la réparation des dommages causés (dette
historique, coloniale et odieuse).
Toujours au plan international, nombreuses sont les
organisations de la société civile africaine qui ont
étroitement travaillé et qui travaillent encore en réseau
avec le comité pour l'annulation de la dette du Tiers-Monde. Cette
action a contribué d'une part à la réalisation du
1er Tribunal populaire des peuples sur la dette au forum social
mondial de Porto Alegre au Brésil et d'autre part elle a effectivement
contribué à l'annulation totale de la dette extérieure de
vingt-quatre pays du Tiers-Monde dont dix-huit en Afrique subsaharienne1(*).
A la lumière de toutes ces actions abattues, que dire
alors du rôle de nos sociétés civiles africaines dans
la promotion de la démocratie? Dans son livre Ethique et
société civile, le professeur Yves Naudet assigne
deux missions à la société civile. Premièrement,
elle doit être le catalyseur des aspirations démocratiques des
individus en contrôlant l'Etat, et deuxièmement, elle doit
être un producteur de services (assurances, soins, éducation,
culture, etc). Selon lui, la société civile répond
à une volonté démocratique de faire connaître la
voix de la « grande muette », cette partie de la population
qui ne peut pas s'exprimer comme le fait la partie bien protégée,
celle des fonctionnaires et des agents politiques. La société
civile doit faire marcher la démocratie en dehors de la sphère
technocratique, exercer une forte influence sur le monde politique en
l'obligeant à tenir compte des volontés des individus. Contenir
l'Etat et le corps politique, encourager la création des richesses et
contrôler les dépenses publiques, tels sont les buts de la
société civile. Cette analyse revient à dire que la
croissance d'une culture démocratique dépend de la croissance
d'une société civile vivante ayant la capacité d'agir
comme un lien de communication entre la population (avec les
intérêts complexes qui s'enchevêtrent) et l'Etat. Autrement
dit, les acteurs de la société civile, en l'occurrence les
leaders doivent se réorganiser en vue de pallier aux insuffisances de la
classe politique non dans un élan concurrentiel, mais dans une approche
de complémentarité, les uns éclairant la lanterne des
autres. Pour ce faire, la société civile africaine, dans son
rôle de catalyseur des aspirations démocratiques doit être
à l'avant-garde de la promotion de la démocratie participative,
gage d'une réelle démocratie. En d'autres mots, s'organiser en se
dotant de structures rationnelles avec des fondements juridiques, clairs et
transparents de manière à susciter la libre adhésion de
tous les citoyens patriotes convaincus de la cause commune : sortir le
continent africain de son marasme chronique et permettre à chacun de
disposer du minimum vital pour son bien être individuel et pour une
meilleure intégration sociale, tels sont les défis que la
société civile doit s'efforcer de relever.
Mais il convient aussi de relever quelques handicaps qui
démontrent ses faiblesses ou limites.
IV - Quelques limites de la société
civile.
Dans la plupart de nos pays, la
société civile doit faire face elle-même à trois
types de problèmes à savoir le manque de financement, la
convoitise du pouvoir et l'éloignement de la base. L'autonomie reste un
grand défi pour la société civile en Afrique. Les
problèmes financiers constituent un des grands défis auxquels se
trouvent confrontées les organisations de la société
civile. Ces organisations n'ont pas de ressources financières stables.
Elles comptent sur des donateurs qui ne peuvent malheureusement pas leur venir
tout le temps en aide. Pour continuer leurs activités, elles sont
prêtes à accepter les offres du gouvernement et de certains
politiciens en particulier, avec pour conséquence l'aliénation de
leur liberté et la perte de leur efficacité.
Le pouvoir, voilà ce que visent certains membres de la
société civile. Cet état de choses remet en cause sa
neutralité et divise ses membres à cause des
intérêts divergents. Par exemple en RDC, la course au pouvoir a
motivé la lutte parmi les différents groupes pendant le processus
de sélection des représentants au dialogue
inter-congolais de Sun City en Afrique du Sud. Par ailleurs, n'a-t-on pas vu
des membres de la société civile entrer au gouvernement pour y
occuper des postes ministériels ? La société civile
devient alors un véritable tremplin pour avoir accès au pouvoir
politique. Cela étant, la conception de la société civile
comme un moyen pour conquérir le pouvoir est un autre
élément qui la fragilise et limite sa marge de manoeuvre pour
susciter des changements politiques. Une autre critique contre la
société civile est son éloignement vis-à-vis de la
base. Cette séparation a pour origine la convoitise du pouvoir. A cause
de leur duplicité, ce que certains membres non moins influents de la
société civile défendent n'est rien d'autre que leur
propre compréhension de la situation qui, bien souvent, ne
reflète en rien les véritables besoins du peuple dont ils
prétendent défendre les intérêts.
Séparés de la base, les représentants de la
société civile finissent par constituer une classe
d'élites qui manquent de vision pour le bien-être du peuple. C'est
donc à raison que Paul Dêhoumon dans son livre La
décentralisation entre risques et espoirs, affirme :
« tant qu'elle n'est pas ancrée à la base, la
démocratie reste centralisée et fortement
élitiste ». C'est justement cet élitisme que
doivent éviter les leaders de la société civile en
Afrique, car ils y tendent dangereusement. Le résultat de cet
état de choses est que la recherche du bien commun devient un concept
abstrait, vidé de tout impact sur la vie des gens.
Conclusion
Comme nous le voyons bien, la société civile
est apparue à la suite de la crise de l'Etat-Providence, et elle est
investie de multiples connotations positives. Elle s'apparente alors, selon
François Rangeon, à un mythe politique. Avant d'être un
concept ou une idée, la société civile évoque
d'abord un ensemble de valeurs positives : l'autonomie, la
responsabilité, la prise en charge par les individus eux-mêmes de
leurs problèmes. Par sa dimension collective, elle semble
échapper aux dangers de l'individualisme et inciter à la
solidarité. Par sa dimension civile, elle évoque
l'émancipation de la tutelle étatique, mais aussi des valeurs
plus affectives telle que l'intimité, la familiarité. Cependant,
elle n'est pas encore au sommet de sa mission car beaucoup sont les
défis qui lui restent à relever : les défis de la
paix et de la démocratie, le défi des droits de l'homme. Ce sont
des défis qui demandent la conjugaison des efforts. L'Etat ne doit pas
démissionner. Il doit prendre ses responsabilités. A ceux-ci,
s'ajoutent le défi du pillage, de la pauvreté et les défis
de la cohérence politique. Ce n'est pas une raison suffisante pour que
nous soyons sceptiques sur l'aboutissement de la totalité de ses
actions, car le chemin emprunté par notre société civile
africaine pour atteindre son objectif, c'est-à-dire faire entendre la
voix des marginalisés, est un chemin long mais prometteur.
* 1 Les dix-huit pays ayant
bénéficié de l'annulation totale de la dette
extérieure sont le Bénin, le Burkina-Faso, le Cameroun, la
Gambie, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Madagascar, le Malawi, le
Mali, la Mauritanie, le Mozambique, le Niger, le Rwanda, Sao Tome Principe, le
Sénégal, la Tanzanie, l'Ouganda, la Zambie
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