Ben Abdallah Mourad (
leaders_chtu@yahoo.fr)
12 mars 2006
Transition démocratique dans le monde
arabo-musulman : le cas de la Tunisie
1. Problématique
2
2. Cadre théorique
5
2.1. Hypothèse culturelle
7
2.2. Hypothèse économique
7
2.3. Hypothèse politique
7
2.4. Hypothèse diplomatique
8
3. Méthode
8
4. Dimension culturelle
9
4.1. Culture politique
9
4.2. Religion
13
5. Dimension économique
17
5.1. Clientélisme
17
5.2. Mondialisation
20
6. Dimension politique
25
6.1. Contrôle de la
société
25
6.2. Rôle du président
29
7. Dimension diplomatique
31
8. Conclusion
33
9. Bibliographie
37
1.
Problématique
La question du développement de la démocratie
à travers le monde fait régulièrement la une de
l'actualité, en particulier depuis les attentats du 11 septembre 2001
aux États-Unis. Ainsi, depuis le renversement du régime irakien
de Saddam Hussein en avril 2003, les pays occidentaux, et en particulier les
États-Unis, semblent se soucier d'avantage de l'absence de
démocratie, en premier lieu dans le monde arabo-musulman1(*). Ils tentent depuis lors de
l'implanter, notamment avec la conception d'un plan « Grand
Moyen-Orient » destiné à développer la
démocratie dans cette région ou, au mieux, à la favoriser
en soutenant les forces opposées aux régimes autoritaires en
place ou en poussant ces gouvernements à plus d'ouverture. En
réponse, la démocratie est parfois décrite comme un
phénomène purement occidental2(*), symptôme de velléités
impérialistes, et qui ne pourrait donc pas être exporté et
introduit dans ces sociétés3(*). Dans ce contexte, on peut légitimement
s'interroger sur les raisons pour lesquelles le monde arabo-musulman est l'une
des rares régions du monde où la démocratie ne parvient
pas à s'implanter de façon durable4(*), bien que la situation n'y est de loin pas
homogène, allant des élections pluralistes du Liban à
l'absence totale d'élections comme aux Émirats arabes unis ou
à Oman.
Si l'on se penche sur la littérature qui traite
aujourd'hui de la démocratie dans le contexte des pays du Maghreb et du
Proche et Moyen-Orient, on peut constater que quelques études ont d'or
et déjà été menées, notamment celle
effectuée sous la direction de Ghassan Salamé, et dont ont peut
tirer un certain nombre de conclusions pertinentes dans le cadre de cette
recherche. Ainsi, l'étude avance que la stratégie des
États affecte de façon importante l'existence et le rythme d'un
éventuel processus de démocratisation de leur régime
politique. Ceux-ci, en fonction des contraintes qui peuvent s'exercer sur eux,
de l'intérieur ou de l'extérieur, peuvent mettre en place ce
processus mais dans le but d'assurer leur propre survie dans un environnement
international devenu défavorable d'un point de vue économique
(avec l'accélération de la mondialisation) ou stratégique
(avec la lutte contre le terrorisme islamiste et les pressions
étrangères en faveur de la démocratisation)5(*). Cette instrumentalisation de la
transition démocratique par l'État peut également
être une tactique adoptée par les autres acteurs politiques,
opposés à celui-ci, dans une optique de contestation du pouvoir
en place et dans l'espoir de le remplacer. Toutefois, cette théorie
s'inscrit dans une approche comparative destinée à dessiner les
contours d'une explication globale et ainsi à analyser les conditions
générales qui peuvent ralentir ou accélérer
l'émergence de la démocratie dans le monde arabo-musulman. Il est
donc plus rare que ce type d'analyse se concentre sur un pays
déterminé qui dispose par définition de
caractéristiques qui lui sont propres, qui peuvent ne pas se retrouver
dans d'autres contextes nationaux et qui peuvent en conséquence ne pas
être prises en compte dans une étude plus générale.
Or, lorsque c'est le cas, la problématique de la transition
démocratique n'est souvent pas développée à part
entière mais est incluse dans une analyse plus large de la trajectoire
historique d'un pays donné et incorpore aussi les dimensions
économiques, sociales et politiques. Assurément, le
problème de la démocratie ne peut être
considéré comme une problématique cloisonnée des
autres sphères de la société. Pourtant, une étude
sur le processus de démocratisation centrée sur un pays
donné pourrait permettre d'affiner la théorie
générale telle qu'énoncée plus haut en prenant en
compte les éléments particuliers qu'une analyse
générale délaisse par définition.
C'est pourquoi le but de cette recherche est de participer
à l'enrichissement de l'analyse des transitions démocratiques
dans le monde arabo-musulman par une étude sur les raisons affectant
l'avènement ou non d'un tel type de régime dans un cas
précis. Le choix du cas se porte ici sur la Tunisie pour deux raisons
principales : d'une part, parce que ce pays m'est familier, qu'il m'a
été possible de suivre de façon régulière sa
vie politique depuis de nombreuses années et ainsi d'en
appréhender les divers enjeux. D'autre part, parce que ce cas
présente un certain nombre de critères qui rendent son analyse
particulièrement appropriée dans l'optique de ce travail. En
effet, faisant partie du monde arabo-musulman, la Tunisie se distingue sur
trois plans :
D'une part, elle est un pays modèle en matière
de développement. Disposant du PIB par habitant le plus
élevé du Maghreb (3572 dinars tunisiens en 2004 soit près
de 2650 dollars US6(*)), il
est aussi l'un des pays les plus avancés du monde arabo-musulman tant du
point de vue social (notamment dans les domaines de l'alphabétisation et
de la place des femmes dans la société) qu'économique
(taux de croissance soutenu et inflation maîtrisée). Dans ce
contexte, la classe moyenne, dont le développement s'est
accéléré au cours des dernières décennies,
continue de se renforcer dans un environnement marquée par la
libéralisation de l'économie.
D'autre part, la Tunisie est caractérisée par
une cohérence aussi bien sur le plan ethnique que religieux et
linguistique (98% d'Arabes et 98% de musulmans7(*) de confession sunnite). Or, beaucoup de pays du monde
arabo-musulman connaissent une grande diversité sur une voire plusieurs
de ces dimensions (populations kabyles en Algérie et berbères au
Maroc, Kurdes et Arabes de confession sunnite ou chiite en Irak et en Syrie,
majorité d'étrangers au sein de la population aux Émirats
arabes unis, etc.). Ces facteurs peuvent affecter une éventuelle
transition démocratique car les acteurs politiques auront tendance
à représenter leur communauté respective au
détriment d'une recherche de l'intérêt
général8(*) et
à faire valoir leurs revendications dans des contextes nationaux
marqués par le nationalisme et une importante centralisation du pouvoir
autour de l'exécutif.
Enfin, le régime tunisien produit un discours sur la
démocratie et l'état de droit et ce depuis près de vingt
ans, contrairement à d'autres régimes de la région (comme
la Libye, l'Arabie saoudite ou la Syrie) qui ont adopté cette
rhétorique plus récemment et sous des pressions internes et
externes. À l'appui de ces discours, le gouvernement tunisien a pris
plusieurs mesures institutionnelles, dès l'arrivée au pouvoir de
l'actuel président Zine El Abidine Ben Ali le 7 novembre 1987, afin
d'aller dans le sens d'un régime plus démocratique (fin de la
présidence à vie instaurée pour son
prédécesseur Habib Bourguiba en 1974, légalisation de
plusieurs partis politiques ou encore ouverture de la scène
médiatique au secteur privé). Toutefois, les critiques
régulières des opposants tunisiens de diverses tendances,
relayées par des ONG occidentales comme Reporters sans
frontières, Amnesty International ou Human Rights Watch9(*), laissent penser que le
processus, malgré la rhétorique officielle, n'est pas
arrivé à son terme, c'est-à-dire l'instauration d'un
régime permettant la compétition équitable des
différentes conceptions de la société tunisienne.
2. Cadre théorique
Afin de mener à bien cette recherche, il faut dans un
premier temps définir le cadre théorique dans lequel celle-ci va
s'inscrire. Dans ce cadre, l'approche présentée en 1994, sous la
direction du politologue et ancien ministre libanais Ghassan Salamé, est
essentielle car elle permet de prendre en compte, dans le cadre de la
transition démocratique, les expériences propres au monde
arabo-musulman. L'étude donne tout d'abord une définition
intéressante du concept central de cette recherche qu'est la
démocratie. Elle la considère ainsi comme un
« "arrangement institutionnel" qui permet de garantir la
participation des citoyens au choix de leurs dirigeants par la voie
électorale, ou qui modère le pouvoir par des actes de troc et de
marchandage entre forces rivales, elles-mêmes peu
démocratiques »10(*). Cette définition met ainsi l'accent non pas
sur l'aspect formel des règles constitutionnelles, de l'architecture des
pouvoirs ou de la limite de l'autonomie du chef de l'État mais sur la
pratique démocratique au sein de la société où le
gouvernement en place ne dispose pas de l'ensemble des instruments de pouvoir
mais est contrebalancé par d'autres forces qui peuvent faire valoir
publiquement leur point de vue et espérer le voir mis en oeuvre,
notamment lors d'élections libres. Cette démocratie ne pourrait
toutefois devenir possible « que dans l'hypothèse où
aucun individu ou groupe ne serait en mesure d'éliminer ses adversaires
[...] »11(*). En
effet, un groupe disposant à lui seul d'une large majorité aura
tendance à négliger les autres groupes et à ne pas tenir
compte de leurs opinions. Ainsi, cette approche permet d'aller au-delà
d'une démocratie qui ne serait qu'une façade, tel l'exemple de
l'Union soviétique qui possédait une constitution
démocratique dans le texte mais dont la pratique était bien
différente dans la réalité. Au contraire, elle permet de
se pencher sur la réalité des rapports de force qui
empêchent la domination d'un groupe sur le reste de la
société.
Pour l'équipe de Salamé, il semble clair que le
monde arabo-musulman ne constitue pas en matière de démocratie
une exception mondiale. En effet, de leur point de vue, la concentration de
régimes autoritaires dans cette région n'est pas due à des
conditions endogènes mais à une accumulation d'handicaps que l'on
peut trouver ailleurs, notamment en Asie centrale ou en
Extrême-Orient12(*) : Premièrement, le contexte culturel mais
surtout religieux (lié à l'islam) est souvent mis en avant pour
expliquer le retard pris dans les processus de démocratisation.
Toutefois, on peut constater que certains États arabes, tel le Liban, ou
musulmans non-arabes, tel la Turquie ou l'Indonésie, ont réussi
à dépasser cette « tradition » qui
concentrerait inéluctablement le pouvoir aux mains d'un seul homme.
Deuxièmement, dans un contexte de mondialisation, ces États aux
économies rentières (liées au pétrole et au gaz
naturel) ou socialistes (avec une omniprésence du secteur public)
peinent à s'adapter à cette nouvelle donne sans remettre en cause
les conditions qui ont permis le maintien des systèmes politiques
autoritaires les ayant mises en place, notamment au travers du
clientélisme. Pourtant, certains pays possèdent de réelles
capacités humaines (jeunesse de la population) et techniques (niveau de
formation en développement) afin de bien se placer dans le
système de concurrence international. Troisièmement, les
régimes arabes sont souvent caractérisés par des appareils
sécuritaires (police, armée, services secrets, etc.)
développés permettant une surveillance et un contrôle
important de l'État sur les individus, assurant ainsi la
répression de tout groupe hostile au régime en place. Pourtant,
ce que l'on appelle « société civile », et
qui nécessiterait une recherche à elle seule, n'est de loin pas
inexistant et de nombreux mouvements tentent de faire entendre leur voix pour
dénoncer certaines politiques menées au détriment du plus
grand nombre. Quatrièmement, le contexte de lutte contre le terrorisme
islamiste peut permettre aux gouvernements arabes de justifier le maintien de
leur système répressif dans le cadre d'une collaboration avec les
pays occidentaux qui en retour accordent une certaine tolérance
vis-à-vis d'éventuelles violations des droits de l'homme.
Néanmoins, le projet déclaré de l'administration
républicaine de George W. Bush quant à une démocratisation
et une libéralisation du monde arabo-musulman pousse ces gouvernements
à rééquilibrer leur message sécuritaire en tentant
de répondre, généralement de façon partielle, aux
demandes d'ouverture politique. Dans ce cadre théorique, le cas de la
Tunisie ne fait pas l'objet d'une analyse spécifique prenant en compte
l'ensemble de ces facteurs mais plutôt d'une série d'analyses et
de points de vue axés sur l'une ou l'autre de ces types d'explications.
Mais elle semble pouvoir, dans une certaine mesure, être analysée
à travers le prisme de l'ensemble des dimensions
présentées ci-dessus dans le cadre de son contexte historique
propre.
En ce qui concerne les perspectives d'analyse possibles, la
théorie exposée précédemment fait ressortir, aux
travers des différentes contributions, quatre principales dimensions qui
peuvent être adéquates pour expliquer le non-aboutissement du
processus démocratique tunisien : le rôle de la culture
(notamment en lien avec l'islam), le rôle de l'économie dans un
contexte de mondialisation, le rôle du contrôle étatique sur
la société et le contexte international. J'ajouterai
également une variable locale liée à la place importante
du président dans le système politique tunisien et de son
influence éventuelle sur le processus. Le modèle ainsi
articulé permet de construire les hypothèses suivantes sur la
situation du processus de démocratisation tunisien :
2.1. Hypothèse culturelle
· La culture politique de la Tunisie, qui est
caractérisée par la concentration du pouvoir aux mains d'un seul
homme aussi bien sous le régime beylical, le protectorat français
qu'après l'indépendance, représente un frein à
l'ouverture démocratique. En effet, le partage du pouvoir et les
contrepoids qui devraient exister ne font pas partie de la tradition politique
nationale.
· Le rôle de la religion islamique, très
largement majoritaire en Tunisie, est important, notamment au travers du
mouvement islamiste. Ainsi, l'apparition de ce type de formations dans l'espace
public justifie l'arrêt du processus d'ouverture au nom de la garantie de
la sécurité nationale.
2.2. Hypothèse économique
· Le poids important joué par l'État
tunisien dans la vie économique n'a cessé de croître
à partir de l'indépendance en 1956. Cette omniprésence de
l'État pousse les autres acteurs de la société au
clientélisme afin de ne pas être marginalisés du
système politique et économique. Ces relations de
dépendance freinent les éventuelles velléités
d'ouverture du système.
· Le contexte global de la mondialisation provoque une
déstructuration du tissu économique tunisien en le divisant entre
les secteurs concurrentiels ouverts vers l'extérieur et les secteurs
marginalisés car soumis au processus de privatisation et à la
concurrence d'autres pays en voie de développement. Les groupes
profitant de cette ouverture ont tendance à freiner les changements
politiques qui pourraient menacer leurs positions.
2.3. Hypothèse politique
· La pouvoir détenu par les différents
services de sécurité leur permet de maintenir leur contrôle
dans de nombreux domaines de la sphère publique dont les médias,
les partis politiques et les associations de la
« société civile ». Ce maillage freine la
démocratisation par la difficulté d'exprimer des avis contraires
à la ligne officielle défendue par le gouvernement.
· Au vu des pouvoirs qu'il détient, le parcours du
président Ben Ali joue un rôle important dans les orientations
politiques qui sont prises depuis sa prise de pouvoir en 1987. Son
itinéraire au sein de l'appareil sécuritaire oriente ses choix
politiques à la présidence.
2.4. Hypothèse diplomatique
· Le soutien apporté au régime tunisien par
les États-Unis et les gouvernements européens dans le cadre de la
lutte contre le terrorisme islamiste a un impact négatif sur le
processus de démocratisation. Les partenaires étrangers cherchent
à assurer la stabilité de la région, notamment au travers
du contrôle des mouvements islamistes, et délaissent donc la
question du processus de démocratisation.
3. Méthode
En suivant le modèle théorique articulé
antérieurement, l'optique méthodologique choisie est basée
sur la confrontation entre ce modèle sur la transition des
régimes autoritaires arabes vers des régimes démocratiques
et le contexte culturel, économique, politique et diplomatique de la
société tunisienne d'aujourd'hui. La recherche s'effectuera de la
manière suivante :
Dans un premier temps, il s'agit de rechercher les indicateurs
permettant d'évaluer le niveau de démocratie en Tunisie. Les
indicateurs des libertés politiques et civiles13(*), d'une part, et ceux et de la
presse14(*), d'autre part,
qui sont construits chaque année par l'ONG américaine Freedom
House pour l'ensemble des pays du monde, peuvent constituer une base de
départ pour se donner une idée des conditions prévalant en
Tunisie sans pour autant s'attacher strictement au classement numérique
dont la pertinence peut être sujette à critique15(*). En effet, il peut être
difficile de saisir ce qu'un point de différence entre deux États
peut signifier dans ce cas de figure. Toutefois, les données indiquent
que la Tunisie fait partie de la catégorie
« non-libre » (not free), ce qui irait dans le
sens des critiques formulées envers le régime tunisien. Dans un
second temps, il s'agit d'analyser, au regard de l'approche théorique
proposée, la situation tunisienne en rapport avec les quatre dimensions
définies par les hypothèses de travail. Dans un troisième
et dernier temps, il s'agit de tirer les conclusions de cette analyse afin de
déterminer pourquoi la Tunisie n'a pas atteint le statut de pays
démocratique et quels enseignements le cas tunisien peut apporter dans
le cadre de la théorie générale sur la
démocratisation du monde arabo-musulman.
4. Dimension culturelle
4.1. Culture politique
La culture politique du monde arabo-musulman est souvent
définie par la concentration du pouvoir aux mains d'un seul homme.
Certes, l'institution du califat des premiers temps de l'ère islamique
disposait, en tant qu'héritière du prophète Mahomet, d'une
autorité religieuse mais également politique. Elle a ainsi
laissé derrière elle la conception d'un dirigeant choisi, non pas
pour ses qualités propres, mais par sa position au sein de la
société. Son pouvoir était alors très étendu
car reposant en dernier ressort sur lui seul et non sur d'éventuelles
règles qu'il pouvait interpréter à sa guise16(*). Toutefois, l'essentialisation
de la culture islamique, qui posséderait par sa nature même une
culture de l'autoritarisme, cache en réalité les
évolutions et les débats qui traversent l'islam au cours des
siècles17(*). Il
convient ainsi de rappeler que l'institution religieuse du califat a rapidement
été différenciée du pouvoir politique temporel sans
pour autant couper les liens d'interaction entre ces deux acteurs18(*). Pourtant, le pouvoir
politique de cette région du monde est longtemps resté
caractérisé par des systèmes de type monarchiques, ce qui
fut par ailleurs le cas ailleurs dans le monde. Or, aujourd'hui, malgré
le passage de certains régimes, dont la Tunisie, au système
républicain, une « culture » de l'autoritarisme
semble demeurée. Certains la désignent aujourd'hui sous le terme
de « néo-patriarcat », version moderne du
« sultanat patriarcal »19(*), qui consiste en une primauté des
réseaux personnels, structurés autour du leader, sur le
rôle des institutions formelles20(*) qui demeurent plus faibles. Pourtant, il n'est pas
l'exclusivité du monde arabo-musulman et peut se retrouver dans d'autres
régimes autoritaires de par le monde.
Il ne faut donc pas considérer que le
« néo-patriarcat » est une institution fondée
dans la culture arabo-musulmane ou tunisienne en particulier. Car cette
persistance du « néo-patriarcat » a
été influencée par l'histoire coloniale de la Tunisie. En
effet, le protectorat français (1881-1956) a renforcé la
dépendance de la société à l'égard de
l'État en raison du fait que la modernisation économique a
été la prérogative exclusive du pouvoir colonial et n'a
pas impliqué les notables locaux21(*). Dans le même temps, la nature du mouvement de
libération nationale qui se met en place au début du
XXe siècle participe de la légitimation de cette
même concentration du pouvoir. Car il s'agissait alors de
fédérer la « diversité sociale
tunisienne », marquée par les différences croissantes
entre régions et entre groupes sociaux dont aucun ne parvenait à
s'imposer sur la scène politique. Ce phénomène
était renforcé par la politique économique du protectorat
qui différenciait la Tunisie « utile » du reste du
territoire. Or, cette fracture connut son paroxysme dans les années 1950
avec la rivalité entre les élites formées en Europe et
rassemblées autour d'Habib Bourguiba, le leader du parti nationaliste du
Néo-Destour, et celles plus conservatrices autour de son rival Salah Ben
Youssef. Cet antagonisme prit une tournure violente qui eut pour
conséquence de définir de façon restrictive les conditions
de l'accès au jeu politique22(*) en confrontant des interprétations de la
trajectoire historique du pays diamétralement opposées23(*). En fin de compte, Bourguiba
parvint à s'imposer rapidement grâce aux réseaux qu'il
avait réussi à bâtir au cours des décennies
précédentes, son prestige étant accentué par la
désagrégation de l'ordre ancien (marqué par l'abolition de
la monarchie) et le faible degré d'institutionnalisation du nouveau
système politique24(*). Dès lors, dans l'optique des élites
politiques bourguibiennes, l'option d'un parti au service du leader et
rassemblant toutes les couches sociales s'inscrivait dans le projet de
construction de l'unité nationale et de marche vers le
développement25(*).
Car, elles considéraient le peuple tunisien comme l'incarnation de la
nation et le parti nationaliste comme l'incarnation du peuple, la fusion entre
parti et nation n'en devenant que plus logique26(*). En conséquence de quoi, le dirigeant et le
système, forgés par la culture universaliste française,
devenaient les « détenteurs de la
vérité » sur la société, qui se trouvait
infantilisée, et sur les moyens à mettre en oeuvre pour la
développer27(*).
Car, selon eux, le peuple tunisien est faible et divisé sauf lorsqu'il
passe sous leur « direction
éclairée »28(*).
De ce fait, une fois l'indépendance proclamée le
20 mars 1956, l'élite politique proclama le régime
républicain le 25 juillet 1957 et adopta en 1959 la nouvelle
constitution, un modèle politique centralisateur inspiré de la
jeune Ve République de l'ex-colonisateur mais aussi du
système présidentiel américain29(*). Cette alchimie entre un
modèle formé par l'histoire politique, plus que par la culture,
tunisienne et un modèle occidental enseigné aux nouvelles
élites politiques produisit un système qui « ne laisse
qu'une place minoritaire à la circulation des élites et à
la prise en compte des revendications sociales »30(*). De ce fait, et au vu de
l'expérience malheureuse de Ben Youssef, la stratégie des
opposants au régime devint binaire : soit accepter de faire partie
de celui-ci et intégrer l'entourage du président pour
espérer obtenir une partie, généralement symbolique, du
pouvoir31(*), soit se
retirer du jeu politique officiel et considérer le régime comme
immuable. Seule la défense des intérêts personnels dans le
système apparaissait alors comme possible puisque le système ne
semblait pas pouvoir être changé de l'extérieur.
C'est cette configuration, qui demeure partiellement
aujourd'hui, que tente de définir Hamadi Redissi, au travers d'une
approche constitutionnaliste, comme une « tyrannie
élective »32(*). Ce système d'allégeance au dirigeant
perçoit ainsi la contestation de sa personne ou de sa politique non
comme une critique acceptable mais comme une remise en cause de l'État
qu'il incarne33(*). Car,
de par la confusion entre État et société, tout reproche
est assimilé à « de la diffamation et à des
attaques contre la stabilité et la prospérité de la
nation »34(*).
Ainsi, ce n'est pas la culture arabo-musulmane voire tunisienne qui concentre
le pouvoir aux mains d'un groupe ou d'un homme. Selon Seymour Martin Lipset,
c'est l'autonomie du « sous-système politique » qui
expliquerait la durabilité du régime malgré les
transformations de la société tunisienne35(*), car les groupes sociaux
tunisiens n'ont jamais eu la capacité de pouvoir s'organiser de
façon autonome36(*). Donc, leurs intérêts ne pouvaient que
passer par les canaux du parti qui irriguaient l'ensemble de la
société37(*). Les conditions de participation aux
élections, en particulier présidentielles, ne permettaient alors
qu'au seul président en place de se présenter, limitant
l'accès aux plus hautes sphères de l'État à
d'autres groupes que celui formant l'élite politique issue de la lutte
pour l'indépendance38(*). Dans cette perspective, la concentration du pouvoir
n'est pas un frein à l'instauration de la démocratie en Tunisie.
Car elle n'est pas le résultat d'une culture politique endogène
mais bien la conséquence des contingences historiques propres à
la situation tunisienne et qui peuvent donc changer dans le futur. Car, la
démocratie est aujourd'hui l'idéologie qui domine les discours
politiques arabes39(*) en
général et tunisiens en particulier, et une
« réelle crise de l'autoritarisme » existerait en
Tunisie et plus généralement au Maghreb40(*). Elle ne concernerait pas
exclusivement le contrôle des institutions mais bien plutôt la
définition de la conception même de la structure sociopolitique
nationale41(*). Or, le
régime bourguibien s'étant appuyé sur une vision
moderniste de la société, c'est un système autoritaire
« occidental » qui était alors remis en
cause42(*), car, dans ce
cas précis, la modernisation bourguibienne avait conduit à un
régime autoritaire et non à l'instauration de la
démocratie43(*). La
contestation se fit donc non pas dans une perspective libérale mais au
travers du prisme islamiste44(*) comme le confirme son principal leader Rachid
al-Ghannouchi dans un article datant de 198045(*). Mais pour Robert Malley46(*), la démocratisation ne
deviendra possible qu'après avoir, au préalable, résolu ce
qu'il appelle des « questions fondamentales »,
c'est-à-dire les règles du jeu acceptables par toutes les parties
et garantissant le respect de chacun des acteurs. La signature des
« pactes nationaux » en est une illustration47(*). Dans le cas contraire, une
éventuelle démocratisation ne pourrait être vue que comme
un moyen de stabiliser le système48(*) en tentant de lui redonner une
légitimité perdue auprès de sa population suite aux
difficultés économiques et sociales rencontrées dans le
cadre du processus de mondialisation.
4.2. Religion
Mais la question culturelle, dans le cas présent, ne se
limite pas à la « culture politique » mais se
concentre surtout sur le rôle de l'islam. En effet, la religion islamique
est souvent avancée comme l'explication principale de l'absence de
démocratie dans le monde arabo-musulman. Très largement
majoritaire en Tunisie sous la forme du sunnisme de rite malékite, elle
pourrait posséder une influence politique à partir de
l'apparition d'un mouvement contestataire islamiste qui l'utiliserait au sein
de l'espace public. Ce mouvement, qui prend forme avec le Mouvement de la
tendance islamique, renommé plus tard Ennadha (la Renaissance),
émerge durant les années 1970. Il est alors alimenté par
la crise économique croissante49(*) et un contexte de déception
généralisée vis-à-vis des idéologies
socialisantes (dont l'Égypte nassérienne était le
porte-drapeau et qu'incarnait Bourguiba) ayant conduites aux défaites
militaires face à Israël, notamment lors de la Guerre des Six Jours
de 196750(*). Se
présentant alors comme le « catalyseur de toutes les
déceptions », il était considéré par
beaucoup comme la seule alternative possible au régime en place51(*). Cependant, les premiers
appels à une « réislamisation » de la
société étaient en réalité venus de certains
milieux au sein même du Néo-Destour52(*), ce qui affaiblit
l'hypothèse d'une rupture radicale avec le système53(*). Or, en raison de la faiblesse
du reste de l'opposition soumise à la répression54(*), le champ de la contestation a
été laissé aux seuls islamistes, l'engagement de certains
de leurs dirigeants au sein de la Ligue tunisienne des droits de l'homme (LTDH)
ayant sans doute contribué à une certaine modération de
leurs discours55(*).
Ainsi, ils parvinrent à rassembler trois catégories de population
aux intérêts pourtant divergents56(*) : les déshérités,
déçus de la politique économique bourguibienne qui
commençait à s'essouffler, les intellectuels, dont la parole
était opprimée, et les femmes, pour qui le Code du statut
personnel, législation moderniste sur les droits de la femme
entré en vigueur en 1956 et qui leur accordait des droits très
importants, comportait certaines faiblesses face à leur
réalité quotidienne57(*). Le succès de ce mouvement trouva plus tard un
écho chez les étudiants de gauche et d'extrême-gauche
touchés par la « fin des idéologies »
liée à la chute du système de référence
communiste. Pour expliquer ce phénomène, Ilhem Marzouki fait
l'hypothèse d'une « crispation identitaire » qui
serait la réaction d'une société assoiffée de
modernisation mais frustrée par la mainmise politique d'un régime
autoritaire58(*). Car,
soumise jusque-là aux décisions venant des hautes sphères
de l'État, elle soutenait dès lors les islamistes car ces
derniers offraient aux individus un rôle jusque-là
inédit : celui d'acteur politique59(*). En revanche, selon Mark Tessler, le soutien au
mouvement islamiste traduisait plutôt des motivations instrumentales,
destinées à faire pression sur le régime, plus qu'une
adhésion au programme du mouvement60(*). Seule une étude au niveau micro-politique
pourrait permettre d'éclaircir cette question.
Malgré tout, face à ce nouveau défi, le
régime adopta rapidement une stratégie vis-à-vis de cette
force politique montante : il existe l'hypothèse d'une
instrumentalisation du mouvement par le président Bourguiba qui l'aurait
encouragé dans un premier temps afin de contrer les partis de gauche et
d'extrême-gauche qui critiquaient de plus en plus ouvertement sa
politique, notamment en matière économique61(*), mais aussi afin de calmer la
pression interne exercée par certains courants du Néo-Destour.
Pourtant, pour Dale F. Eickelman, cette inclusion du discours religieux dans la
rhétorique officielle révélait plutôt
l'évolution de la jeune génération tunisienne qui
disposait d'une meilleure instruction et qui commençait donc à
concevoir de façon plus critique le pouvoir politique par rapport
à ses aînés62(*). Mais rapidement, c'est-à-dire dès les
années 1980, la répression s'abat sur les islamistes au fur et
à mesure qu'ils s'expriment ouvertement, notamment par des
manifestations dans les rues des villes tunisiennes, les procès
politiques se multipliant et étant accompagnés de plusieurs
condamnations à mort pour certains de leurs dirigeants. L'arrivée
au pouvoir du président Ben Ali apporta d'abord une accalmie du climat
politique et les leaders furent amnistiés63(*). Mais dès le
début des années 1990, le mouvement islamiste est à
nouveau la cible de la répression qui justifie l'accroissement du
contrôle étatique sur la sphère politique et l'interruption
de l'ouverture démocratique au nom de la garantie de la
sécurité nationale et de la continuité de la conception
étatique de la modernité. Dans cette perspective, Delphine
Cavallo insiste sur la conception du monde politique selon laquelle
« les droits de la communauté politique nationale deviennent
supérieurs aux droits individuels si ceux-ci menacent l'unité
nationale »64(*). Mais, malgré certaines violences qui ont
été imputées aux islamistes, le mouvement Ennadha
n'a jamais souscrit dans aucune de ses prises de position à une
stratégie violente de prise du pouvoir, ce qui s'inscrit dans la
tradition réformiste de l'islam tunisien qui remontait
déjà à l'époque précoloniale65(*). Au contraire, il a, à
l'instar d'autres mouvements islamistes, décidé d'utiliser les
instruments légaux à sa disposition afin d'atteindre ses
objectifs66(*).
De son côté, le régime, en criminalisant
le mouvement, réussit à unifier autour de lui la classe moyenne,
effrayée par les éventuelles conséquences d'une prise du
pouvoir des islamistes, et même plusieurs personnalités de
l'opposition légale67(*) au nom de la lutte contre
l'extrémisme68(*),
mais également contre le terrorisme, en particulier à partir des
attentats du 11 septembre 2001, affaiblissant ainsi les critiques à son
égard. Le cas voisin de l'Algérie sert, au même moment, de
repoussoir69(*),
permettant au gouvernement de légitimer son approche
répressive70(*),
d'apposer sa marque sur la vie religieuse du pays et d'accroître de ce
fait l'étatisation de la sphère religieuse. Cela se traduisit par
la création d'un ministère des affaires religieuses, par la
limitation de l'accès aux mosquées en dehors des heures de
prière, par la nomination des imams ou le contrôle de leurs
discours71(*). Dans le
même sens, le président Ben Ali effectue à quelques
reprises le pèlerinage à la Mecque, les appels à la
prière sont diffusés à la radio et à la
télévision publique et le secteur académique est mis
à contribution, notamment au travers de prix, afin de promouvoir la
conception officielle de l'islam. Cette politique réduit d'autant la
marge de manoeuvre des islamistes qui utilisaient les mosquées comme
lieu de diffusion de leur projet politique en raison de la répression
auxquels le reste de l'espace public était soumis72(*). Dans le même temps, le
gouvernement tunisien se fait le porte-parole d'un islam
« tolérant », contestant aux islamistes le monopole
sur ce type de thématique73(*) et récupérant leur discours sur
l'identité arabo-islamique de la Tunisie74(*) mais le modifiant pour l'insérer dans la
tradition étatique de construction d'une identité tunisienne
moderne, l'opposant toutefois à la conception plus séculariste
des deux premières décennies de la présidence
Bourguiba75(*).
Pour autant, certaines franges de l'opposition légale,
dont le Parti démocratique progressiste (PDP) et le Forum
démocratique pour le travail et les libertés (FDTL),
légalisé le 25 octobre 2002, ou de l'opposition non-reconnue,
comme le Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT), cherche aujourd'hui
à coopérer avec les islamistes. Cela viserait un double
objectif : d'une part, rechercher un consensus afin de faire pression sur
le régime et demander des réformes minimales et, d'autre part,
renforcer leur propre position sur l'arène politique afin de se
démarquer des partis de l'opposition considérés comme plus
proches du gouvernement. Alors que d'autres, notamment à
l'extrême-gauche (tel le Mouvement du Renouveau ou Ettajdid),
continuent de refuser de donner une reconnaissance aux islamistes qu'ils
considèrent comme allant à l'encontre d'un principe de
sécularité (illustré notamment par le statut progressiste
de la femme tunisienne)76(*). Ils se retrouvent ainsi sur la ligne défendue
par le gouvernement et participe alors de l'amalgame fait par la population
entre les positions de l'opposition et celles du gouvernement.
Il semble donc que la religion islamique joue bien un
rôle sur la scène politique tunisienne et qu'elle serve de
justification à l'exclusion des islamistes de l'espace public. Pourtant,
ce rôle n'est pas dû à l'islam en tant que tel mais aux
différents acteurs politiques tunisiens qui en font chacun leur propre
lecture, en fonction de leurs croyances personnelles mais aussi parfois de
stratégies et de positionnements politiques. Or, l'exclusion des
islamistes du jeu politique ne peut résoudre les problèmes,
notamment socioéconomiques, soulevés par le mouvement et va
à l'encontre du principe même de pluralisme. Au contraire, selon
Burhan Ghalioun, la répression a paradoxalement conduit à la
« réislamisation des mentalités » et à
la « traditionalisation des moeurs »77(*), ce qui irait partiellement
dans le sens de l'hypothèse identitaire de Marzouki. Pour John P.
Entelis, cette exclusion conduit également à un vide politique
qui ne peut que déstabiliser encore plus le régime78(*) si ce vide n'est pas
comblé par d'autres formations ayant une réelle assise populaire.
Toutefois, leur inclusion sans acceptation des règles du jeu
démocratique, où chaque acteur est prêt à
reconnaître l'autre, et ce dans un système dominé par un
régime autoritaire où l'opposition légale est
structurellement faible, peut mener, selon Robert Malley79(*), au simple remplacement d'une
hégémonie par une autre. En revanche, d'autres auteurs, dont
Hamadi Redissi, continue de voir dans l'islam même le principal obstacle
dans le processus de démocratisation du monde arabo-musulman. Selon ce
dernier, « il existe bien une inadéquation entre la religion
musulmane et les valeurs de la démocratie, qu'il s'agisse du principe
d'égalité ou de la liberté de conscience
[...] »80(*).
Dans ce cas de figure, seul un régime laïc permettrait
l'émergence d'un système réellement pluraliste. Pourtant,
il faut reconnaître que l'islam n'est pas si monolithique que certains
peuvent le penser et qu'une articulation entre islam politique et
démocratie est possible, les cas du Bangladesh ou de l'Indonésie,
malgré leurs défauts, indiquant qu'islam modéré et
démocratie peuvent être compatibles.
5. Dimension économique
5.1. Clientélisme
En plus de la dimension culturelle, celle de l'économie
jouerait également un rôle important dans les blocages de la
démocratisation tunisienne. En effet, le poids important que
possède l'État tunisien dans la vie économique,
remplaçant celui joué par le protectorat français avant
l'indépendance, s'est accru tout au long des années 1960,
singulièrement dans le contexte de la politique socialisante
menée par le ministre de l'économie Ahmed Ben Salah.
Néanmoins, face aux échecs de celle-ci, elle fut
abandonnée au profit d'une approche plus libérale dans les
années 1970. Pourtant, le secteur public demeura dominant mais avec une
dissociation progressive entre les secteurs ouverts à une dose de
concurrence extérieure et ceux destinés au marché
intérieur et qui bénéficiaient de rentes de situation.
Cette situation permit le développement de la mobilité sociale de
la jeunesse nouvellement instruite et la croissance des classes
moyennes81(*). Lors de
l'arrivée au pouvoir du président Ben Ali à la fin des
années 1980, cette tutelle restait encore importante. Toutefois, le
contexte de mondialisation s'accélérant et la dette publique, qui
s'était régulièrement alourdie, grevant les finances
publiques qui assuraient jusque-là les rentes, les privatisations se
sont progressivement accélérées afin d'assurer la
stabilité de l'État menacé d'asphyxie
financière82(*).
Pourtant, le régime réussit à conserver dans le même
temps divers instruments lui permettant d'agir directement sur la situation
micro-économique des classes moyennes, soit au travers des structures du
Néo-Destour, rebaptisé Rassemblement constitutionnel
démocratique (RCD)83(*), soit au travers du Fonds de solidarité
nationale. Fondé en 1992 et exclusivement financé par des dons,
ce dernier dépend directement de la présidence de la
république et bénéficie de ressources fiscales propres
depuis 199684(*). Les
diverses actions menées se font par le biais d'aides individuelles
favorisant la consommation, tel que l'exonération fiscale pour l'achat
de véhicules réservée à certaines catégories
de revenus, ou d'investissements collectifs, principalement dans les
régions défavorisées, tels que l'introduction de
l'électricité ou de l'eau dans les villages. Ainsi,
« le message [transmis à la population] est clair : c'est
le président qui apporte aux villageois l'eau,
l'électricité, la piste ou l'école qui leur faisaient
défaut... »85(*). Pourtant, dans le cas du RCD, cette implication
sociale fragilise la structure interne du parti en divisant celui-ci entre les
militants de base confrontés aux inévitables critiques de
certaines parties de la population quant à la politique de
libéralisation économique et les cadres relayant les souhaits de
continuité de la présidence86(*). Pourtant, plusieurs groupes, dont la classe
moyenne87(*) qui est
considérée comme la base sociale du régime, trouvent ainsi
leur compte dans le maintien du système, soit par intérêts
économiques, les autorités ayant « fait du
crédit à la consommation l'un des outils de la paix
sociale »88(*),
soit par adhésion au projet politique porté par le
président Ben Ali89(*), fondé notamment sur la lutte contre
l'extrémisme islamiste.
Ainsi, le lien entre la population et le régime,
structuré par l'histoire politique nationale et consolidé par la
répression de l'islamisme, voit une certaine dose de clientélisme
le soutenir et former des réseaux de dépendance. Car, selon
Célia Delhomme, « les profits à entrer dans l'appareil
[étatique] sont très importants autant du point de vue du
prestige que des ressources économiques ou des
relations »90(*). Pourtant, la marge de manoeuvre du régime
pourrait être plus limitée qu'en apparence. Ainsi, à
plusieurs reprises, celui-ci a tenté de remettre en cause les
privilèges de certaines catégories de population mais a dû
reculer, faisant face à une opposition franche et à des menaces
de la part de ces dernières91(*). Ce dernier ne contrôle donc pas toute la
société comme certains semblent le penser. L'allégeance
est soumise à un équilibre fragile qui pourrait être rompu
si l'État était contraint de faire évoluer sa politique
dans un sens qui irait à l'encontre des intérêts de ses
propres soutiens.
De plus, cette relation de dépendance découle
également d'une faible imposition directe des personnes physiques qui
est compensée par une imposition des personnes morales92(*). Cette structure fiscale
réduit la volonté des individus de demander des comptes à
l'État, celui-ci ne dépendant pas considérablement de ces
derniers pour vivre. Car, les impôts indirects restent importants,
notamment au travers de la TVA et, pour 1/5 des revenus étatiques, au
travers des taxes douanières93(*). Or, la TVA tend à taxer l'ensemble des
consommateurs, nonobstant leur niveau de revenu, ce qui tend à la rendre
inégalitaire94(*)
et pourrait peser sur les classes les plus fragiles. De plus, suite à un
accord libre-échangiste d'association signé avec l'Union
européenne (UE) le 17 juillet 1995 et entré en vigueur le
1er mars 1998, les barrières douanières tomberont
progressivement d'ici à 2008. Il est donc inévitable que cette
source de revenus disparaîtra, ce d'autant que l'UE représente le
principal partenaire commercial du pays (80,7% des exportations). Cela
représentera, selon la Banque centrale de Tunisie, une perte de l'ordre
de 6% du PIB95(*). Cela
contraint donc l'État à chercher de nouvelles
rétributions, à restreindre les services offerts à la
population96(*) ou
à en privatiser certains. La première politique, par une
extension de l'impôt sur le revenu des personnes physiques, pourrait
accroître les demandes populaires vis-à-vis de l'État et le
contraindre à ouvrir le champ politique de façon plus
importante97(*). La
seconde pourrait accroître le mécontentement des couches les plus
fragiles de la population qui verrait des prestations disparaître,
entraînant de facto une baisse de leur niveau de vie98(*). La troisième briserait
l'égalité des citoyens face à ces services, notamment en
ce qui concerne l'augmentation éventuelle du coût d'accès
à ceux-ci. Il semble difficile de déterminer quel chemin le
gouvernement décidera de prendre. Toutefois, il pourrait s'adapter par
une politique pragmatique qui emprunterait chacune de ces options en fonction
du climat politique du moment.
5.2. Mondialisation
Le processus de mondialisation qui affecte la Tunisie, comme
tant d'autres pays en voie de développement, est conçu par le
gouvernement tunisien comme un « ordre naturel »99(*), c'est-à-dire qu'il est
obligatoire pour le pays de s'y adapter sous peine de forte dégradation
de sa situation économique. Cette conception radicale pourrait
entraîner une réaction hostile percevant cette ouverture comme une
« pénétration étrangère » de
l'Occident100(*),
faisant même « le jeu de l'autoritarisme » en
provoquant une atomisation des individus101(*). Pourtant, ce discours s'inscrit directement dans la
continuité de la rhétorique bourguibienne du développement
et de la stature du leader comme garant de l'unité nationale102(*). En droite ligne, le
président Ben Ali souhaite être le « gardien »
de la Tunisie et de sa spécificité historique face aux risques,
notamment de division du peuple103(*), induits par les transformations de la
mondialisation104(*). La
politique d'ouverture a ainsi permis une reprise durable de la croissance
économique, contrairement à ce que vivent d'autres pays de la
région. Mais, elle contribue dans le même temps à
déstructurer le tissu économique, en le divisant entre les
secteurs concurrentiels et ouverts vers l'extérieur (et
bénéficiant, selon la Banque mondiale105(*), de
« généreux privilèges » sous la forme
de cadeaux fiscaux) et les secteurs aujourd'hui en difficulté parce que
soumis au processus de privatisation et à la concurrence accrue d'autres
pays en voie de développement. En effet, l'économie tunisienne
resta longtemps sous la mainmise protectrice de l'État et s'est
trouvée confronté à partir des années 1990 à
la concurrence renforcée des pays asiatiques, dont la Chine, notamment
dans le secteur stratégique du textile qui représente près
de 50% des exportations nationales106(*). Cette situation a nécessité la double
mise en place d'un programme de privatisation et de « mise à
niveau » de secteurs économiques clés, comme le
tourisme ou l'industrie (représentant 15% du total des emplois107(*)), et ce sous la pression des
instances financières internationales (Fonds monétaire
international [FMI] et Banque mondiale en tête) bien que le discours
officiel insiste sur le choix autonome de la Tunisie dans ce domaine. La nature
même de ce processus de libéralisation, dirigé par
l'État tunisien, permet à ce dernier de conserver une
capacité d'intervention importante108(*), de positionner le pays au mieux dans la
compétition caractérisant l'économie mondiale, en
particulier vis-à-vis du partenaire européen, et de
développer de nouveaux secteurs dont celui de l'industrie
mécanique et des nouvelles technologies où les ingénieurs
tunisiens bénéficient, à compétences égales,
d'un salaire moindre que leurs collègues européens. Dès
lors, l'un des atouts du pays, selon le ministre de l'industrie et des PME Afif
Chelbi, est de « miser sur la qualité et exploiter au mieux
l'atout de la proximité géographique et
culturelle »109(*). Pourtant, un rapport de la Banque mondiale de juin
2004 épingle les « interventions discrétionnaires du
gouvernement »110(*) et le « pouvoir des
initiés » qui affaiblissent, selon elle, le climat des
affaires et les éventuelles prises de risque des investisseurs
étrangers. Cette atmosphère serait renforcée par les
créances douteuses des banques publiques tunisiennes, majoritaires sur
le marché111(*),
qui atteint un taux de 22% (contre 6% en France)112(*). Cela pourrait expliquer en
partie le niveau modéré bien que croissant du niveau
d'investissements étrangers.
Or, ce phénomène d'ouverture n'a pas que des
conséquences sur le taux de croissance de l'économie nationale
mais profite aussi à une nouvelle élite économique qui,
bénéficiant des privatisations, tendrait à freiner les
éventuels changements politiques pouvant menacer sa position en
continuant à soutenir une politique affaiblissant l'État et
accroissant ainsi sa marge de manoeuvre par rapport à ce
dernier113(*). Dans ce
sens, Béatrice Hibou esquisse le rôle croissant des acteurs
privés poussant l'État à mettre en place un
« gouvernement indirect passant de plus en plus par des
intermédiaires privés »114(*), la limite entre
sphère politique et sphère économique tendant à
devenir floue et à conduire à une « privatisation de
l'État »115(*). Pourtant, cette situation n'est pas récente,
l'époque bourguibienne étant déjà marquée
par ce type d'appropriation néo-patriarcale de l'État par
certains groupes en vue de servir leurs intérêts
personnels116(*). De
plus, cette élite, en particulier ceux qu'on désignera comme les
« grands patrons », restent dépendants de leur
position vis-à-vis du « palais »117(*), les relations entre ces
deux sphères fluctuant souvent en fonction des relations, parfois
personnelles, entre ces patrons et les services de la
présidence118(*).
Néanmoins, le secteur privé « reste de taille
modeste » et est encore majoritairement composé de PME
familiales119(*) dont la
dépendance à l'État est moins personnelle que
financière, eu égard au système bancaire majoritairement
public et ce malgré les appels du FMI à
l'accélération de la réforme et de la privatisation du
secteur120(*).
Dans le même temps, la croissance économique des
dix dernières années a permis l'élévation du PIB
par habitant et conduit à « un élargissement de la
classe moyenne et sa différenciation avec les couches les plus
pauvres »121(*). Car cette ouverture a fragilisé plusieurs
secteurs de l'économie (dont le secteur textile) et conduit au maintien
d'un niveau de chômage élevé et variant selon les sources
de 13% à 20%. Or, celui-ci devrait
« officiellement » augmenter à 16% en 2008, selon
des estimations de la Banque mondiale, en raison de la différence entre
le nombre des nouveaux emplois créés chaque année et
l'augmentation régulière de la population active (85 000 nouveaux
travailleurs pour 60 à 65 000 emplois crées)122(*). Pourtant, le chômage
ne touche pas que les secteurs les plus fragiles : ainsi celui des jeunes
diplômés augmente depuis quelques années123(*) et les difficultés de
l'enseignement supérieur (marquées par l'écart entre la
hausse du financement et la croissance exponentielle du nombre
d'étudiants) ne font qu'accroître ces problèmes124(*). Une réforme du Code
du travail de 1994 a également « favorisé la
flexibilité du travail et le développement des emplois
précaires »125(*) et les différences entre régions et
entre catégories socioprofessionnelles auraient tendance à
s'accroître avec le temps126(*). La Banque mondiale met ainsi en avant, selon un
calcul du plafond de revenu différent de celui retenu par les
autorités tunisiennes, une hausse absolue de l'effectif des personnes
considérées comme « pauvres » malgré
une baisse relative de leur proportion au sein de la population127(*).
On observe donc « une dissociation des
intérêts au sein des couches moyennes »128(*) entre ceux qui profitent de
l'ouverture économique et ceux que le système délaisse
dans un contexte où l'État voit disparaître une partie de
ces revenus dans le cadre du processus de libre-échange. Il peut alors
difficilement assumer à lui seul les effets de sa politique, par
ailleurs appuyée par les institutions de Bretton Woods. De là
peuvent naître chez ceux qui sont délaissés des
frustrations alimentées par les divers privilèges liés
à l'appartenance à l'élite129(*). Quant au principal
syndicat, l'Union générale tunisienne du travail (UGTT), il ne
peut venir en aide aux personnes délaissées car, même s'il
bénéficie d'une certaine autonomie, il faut pour autant qu'il
« ne franchisse pas la ligne rouge de la politique protestataire et
accompagne efficacement la mise en oeuvre des réformes
économiques »130(*), c'est-à-dire qu'il se cantonne à un
rôle de relai gouvernemental et ne cherche pas à s'impliquer dans
la prise de décision131(*). Accompagné par un sous-emploi chronique,
mais difficile à chiffrer, ces difficultés poussent la population
à donner implicitement sa priorité au bien-être
économique, reléguant ainsi la question de la
démocratisation du système politique à un statut de
problème secondaire. S'appuyant sur cet ordre de priorité, les
élites au pouvoir peuvent ainsi légitimer la primauté de
leur stratégie d'ouverture économique à long terme sur
celle de la poursuite de la démocratisation. Selon le président
du patronat tunisien Hédi Djilani, au stade actuel du
développement du pays, la démocratie « à
l'européenne » ne serait pas possible car il faudrait
« d'abord préparer les gens à dialoguer sans
violence »132(*). Cette combinaison entre ouverture économique
et fermeture politique est par ailleurs développée par Clifford
Geertz dans le concept de « libéralisme
autoritaire »133(*) dont le cas chinois est un autre exemple, le
régime pouvant également appuyer sa politique sur les droits de
l'homme dits de la « troisième
génération », c'est-à-dire les droits
économiques et sociaux, énoncés par l'Organisation des
Nations unies. Les droits politiques, dits de la « première
génération », ne sont alors conçus que comme une
résultante à long terme de la stratégie
gouvernementale134(*).
Toutefois, le régime continue d'être soumis, notamment à
travers son réseau clientéliste, aux demandes des plus
défavorisés qui voient en l'État leur seul
recours135(*). Ce
dernier tente alors de se décharger de ces sollicitations sur les
acteurs non-étatiques qui ont, selon le discours officiel, de bien
meilleures qualités (flexibilité et efficacité) que
l'administration afin de répondre aux divers besoins136(*).
On peut ainsi constater que le processus de mondialisation
remet en cause les bases sur lesquelles le régime tunisien
s'était bâti jusque-là, contraignant celui-ci à
adapter ces stratégies pour développer l'économie et
assurer l'équilibre social. Pourtant, le chômage persistant et les
difficultés liées à la lente restructuration de
l'État laissent une partie non-négligeable de la population en
marge du développement économique qui est pourtant le principal
fondement de la politique gouvernementale. Certes, des réseaux de
clientélisme permettent encore de tempérer d'éventuels
mécontentements. Toutefois, l'absence actuelle de structuration
politique de ces mécontentements rend difficile, de ce point de vue,
toute évolution dans le court terme. Quant à l'élite
économique bénéficiant de cette nouvelle donne, sa
position n'est pas si hostile à la démocratie que certains
peuvent le penser. Mais il est peu probable qu'elle devienne le moteur de la
démocratisation, à moins que le régime se trouve contraint
de modifier sa politique et de s'attaquer de front aux intérêts
d'un secteur privé en développement.
6. Dimension politique
6.1. Contrôle de la société
En plus des dimensions culturelle et économique, celle
du contrôle politique pourrait également influencer les blocages
de la démocratisation tunisienne. Avec les transformations sociales des
années 1970 et 1980 et la lutte pour la succession d'un Bourguiba
vieillissant, la domination de l'élite politique néo-destourienne
qui l'entourait s'affaiblit peu à peu aux profits de la montée de
nouvelles élites sectorielles, notamment économiques, qui
prennent l'ascendant sur un système usé137(*) et structurent ensemble un
nouveau type de leadership basé sur une interdépendance
respective où chacune, en échange de son allégeance au
pouvoir politique, dispose en retour d'une certaine marge de
manoeuvre138(*). Parmi
ces nouvelles élites, les différents services de
sécurité (dont la police et la garde nationale), renforcés
par la répression des troubles du tournant des années
1980139(*) (dont la
grève générale de 1978 et les émeutes de 1984) puis
du mouvement islamiste140(*), acquièrent une position clé dans
l'articulation du nouveau système. Dans ce contexte, la police aurait vu
ses effectifs être multipliés par quatre depuis 1987, passant de
20 000 à 85 000 hommes, soit 1 pour 100 habitants, alors qu'en France ce
ratio n'est que de 1 pour 300141(*). De plus, sa professionnalisation et son
autonomisation par rapport aux autres sphères étatiques142(*) renforceraient l'emprise de
celle-ci sur les individus soumis à la peur diffuse d'être soumis
non aux procès politiques de l'ère bourguibienne mais à
des tracasseries administratives en cas d'engagement trop critique envers le
régime. Ce processus entretiendrait alors « une
citoyenneté passive marquée par le repli sur la sphère
domestique [...] »143(*). Cependant, les forces de l'ordre seraient elles
aussi victimes, comme d'autres sphères étatiques, des
différentes luttes et rivalités qui traversent l'ensemble du
système144(*).
Autre acteur du nouveau système, l'armée tunisienne ne joue
pourtant pas le rôle qu'elle peut encore avoir en Algérie. Ainsi,
le pouvoir bourguibien a toujours considéré les forces
armées comme une menace potentielle et leur a toujours
conféré des moyens limités145(*) tout en s'abstenant de toute
utilisation politique146(*). Mais, suite à son intervention accrue lors
des troubles des années 1980 (notamment lors de l'assaut contre la ville
de Gafsa) et à la prise de fonction du président Ben Ali, qui
porte par ailleurs le grade de général, celle-ci s'est vue
valorisée, notamment par la hausse de son financement147(*), sans toutefois remettre en
cause sa position de soumission au pouvoir civil. Quant au système
judiciaire, l'arbitraire et la corruption que certains dénoncent
seraient « liés à la pratique frauduleuse en
vigueur »148(*) et remonterait à la création de la
Haute Cour qui ouvrit la voie à « une justice politique [...]
se dissimulant souvent sous des affaires de droit commun »149(*). Malgré ces divers
éléments, le gouvernement tunisien a toujours nié
l'existence de violations des droits de l'homme alors même qu'une
commission en vue d'enquêter sur ce type d'exactions fut mise en place en
1991150(*) et qu'une
section dédiée aux droits de l'homme a été
créée plus récemment dans ce même but au sein du
ministère de la justice151(*).
Dans le domaine médiatique, la liberté
d'expression est garantie par la constitution mais est soumise aux
« conditions inscrites dans la loi ». Or, celle-ci comporte
des restrictions telles que le délit de diffusion de « fausses
informations » qui a permis la condamnation de plusieurs
journalistes152(*).
Toutefois, il est nécessaire de rappeler que, durant les
premières années de la présidence Ben Ali, « des
espaces de libertés s'étaient créées, y compris
dans les associations officielles »153(*). Mais, pour Larbi Chouikha, cette
« éclaircie » n'aurait servi qu'à faire
patienter la société en vue de fonder une nouvelle
légitimité permettant de renouveler l'assise du
régime154(*).
Toutefois, d'autres mesures ont été prises par la suite dont le
dernier exemple, daté du 9 janvier 2006, est la fin de la
procédure du « dépôt légal »
pour les périodiques tunisiens. Celle-ci consistait à
déposer les publications auprès du ministère de
l'intérieur afin de recevoir un récépissé
autorisant leur impression et leur distribution. Ceci va dans le sens d'une
libéralisation, certes mesurée, de la presse. Pourtant, la
répression contre les islamistes au cours des années 1990 a
conduit à la réduction de l'espace médiatique qui est
aujourd'hui majoritairement aux mains de l'État (qui contrôle 6
des 8 principaux quotidiens155(*)) ou de privés considérés comme
proches du régime156(*). Faire paraître une publication serait aussi
soumise, en plus de la législation, à un « code de
bonne conduite » qui serait toutefois implicite et évoluant
selon le contexte157(*).
De plus, le gouvernement, qui encadre l'impression et la distribution de la
presse, peut retirer les nombreux encarts publicitaires publics aux journaux
trop critiques sans pour autant devoir les censurer ouvertement. En
conséquence de quoi, les Tunisiens supporteraient « de moins
en moins le décalage entre ce qu'ils vivent et le discours
officiel »158(*), phénomène qui caractériserait
une « étatisation rampante de la
société » allant en parallèle à la
privatisation de l'État159(*). Mais, avec l'apparition des nouvelles technologies
de l'information, l'accès des Tunisiens à d'autres sources
d'informations est possible bien que demeurant pour l'instant limité
à la sphère privée, l'espace public restant dominé
par une relative uniformité du discours politique relayé par les
médias publics, si l'on ne tient pas compte des publications des partis
de l'opposition légale qui disposent toutefois d'un tirage relativement
limité.
Dans le domaine politique, les différentes
élections tenues depuis 1989, lorsque le président Ben Ali s'est
présenté aux suffrages des électeurs pour la
première fois, ont provoqué des critiques dénonçant
la fermeture du champ politique. Ainsi, le fait que le président nomme
personnellement 7 des 9 membres du Conseil constitutionnel, qui a notamment la
charge de valider les candidatures à la présidence, participe
à ce climat politique conflictuel, de même que le maillage du
tissu associatif, que ce soit au niveau national ou local, qui reste
ouvertement ou non sous le contrôle de partisans du RCD160(*). Pourtant, de nombreuses
mesures ont été prises dès 1987 comme la suppression de la
Cour de sûreté, l'amnistie de nombreux prisonniers politiques et
la légalisation de plusieurs partis. La signature en 1988 du Pacte
national permet au gouvernement de prescrire les conditions du nouveau jeu
politique et la création d'un quota de sièges parlementaires
réservés aux partis de l'opposition légale permet ensuite
son entrée au parlement161(*). Toutefois, selon Olfa Lamloum, cela se serait fait
au prix d'une acceptation par l'opposition de la mainmise du RCD sur la vie
politique nationale162(*). Il faut en effet attendre les élections du
24 octobre 1999 pour que des candidats autres que le président Ben Ali
soit autorisé à se présenter aux présidentielles
suite à une modification de la loi électorale. Néanmoins,
les candidats, qui sont à la tête des partis de l'opposition
légale, apportèrent ouvertement leur soutien, durant la campagne,
à la politique présidentielle, ce que Daniel Brumberg
décrit comme une « autocratie pluraliste »163(*). Le système politique
conserve ainsi certains aspects du parti-État car « même
en cas d'apparition d'autres partis, [il est clair que] son éviction
totale n'est pas imaginable sans rupture, sans changement complet du
système »164(*). Cela s'expliquerait également, selon Michel
Camau et Vincent Geisser, par le fait que les partis d'opposition tendent
à « reproduire les modes de fonctionnement
autoritaires »165(*) du RCD, processus consolidé par leur nature
de « clubs politiques épisodiques »166(*) structurés autour
d'une personnalité167(*) et non autour d'un programme défendu
auprès de la population. La coupure entre élite, en position
autoproclamée d'éclaireur, et population est donc
conforté, car les partis de l'opposition ne « remplissent
aucune fonction de médiation entre la société civile et la
société politique » bien au contraire168(*). Malgré cela, dans ce
contexte difficile, la candidature plus critique de Mohamed Ali Halouani
(soutenu par Ettajdid et diverses personnalités du secteur
associatif) aux élections du 24 octobre 2004 a illustré le besoin
d'un débat politique plus marqué au sein de l'opinion publique.
Mais cette alternative reste fragilisée par l'appel au boycott d'autres
partis de l'opposition légale (tels le PDP ou le FDTL), pour qui
participer au système électoral entraîne l'acceptation de
la légitimité du régime169(*). Cela illustre à nouveau les luttes entre et
à l'intérieur de ces groupes quant à la ligne à
adopter vis-à-vis du gouvernement170(*). Cependant, comme l'indique Dale F. Eickelman, une
analyse qui serait strictement limitée aux résultats
électoraux plébiscitaires ne permettrait pas de saisir toutes les
évolutions de la société tunisienne171(*).
L'ensemble de ces maillages semblent freiner la
démocratisation car ils entraînent des difficultés à
exprimer des avis contraires à la ligne défendue par le
gouvernement. Pourtant, l'extension de l'accès des jeunes
générations à l'instruction supérieure et aux modes
alternatifs d'information laissent entrevoir la nécessité pour le
régime de considérer une plus grande implication populaire dans
la fixation des objectifs politiques172(*). Dans ce sens, des expressions de
mécontentements, notamment des manifestations de chômeurs ou de
lycéens, ont pu avoir lieu à diverses reprises, ce
qu'Éric-Alain Mayoraz désigne comme des
« résistances spontanées »173(*). Même si elles sont
pour l'instant limitées à des questions techniques et non pas
ouvertement politiques, elles n'ont jamais pu être structurées par
un relais politique crédible. On peut les considérer comme les
repères d'une démocratisation future ou comme un risque
lié à un « ras-le-bol que personne n'est en mesure de
canaliser »174(*). Pourtant, un renversement des comportements qui
s'élargirait simultanément à différents secteurs de
la société pourrait créer une fenêtre
d'opportunité pour une évolution possible du
régime175(*),
sans toutefois pouvoir juger du calendrier ni de la nature de cette
hypothétique évolution.
6.2. Rôle du président
Nonobstant, au vu des pouvoirs importants détenus par
la présidence, malgré cette nouvelle configuration politique
caractérisée par le réseau des élites sectorielles,
le rôle du président Ben Ali pourrait-il être important,
dans les orientations politiques qui sont choisies depuis sa prise de pouvoir
en 1987, de par son expérience personnelle ? Son itinéraire
au sein de l'appareil policier, notamment à la Sûreté
nationale, a encouragé son arrivée à la tête de
l'État à la faveur des interventions croissantes des forces de
l'ordre au secours du pouvoir civil. Pourtant, dès 1989, il consent
à une amnistie générale176(*) et, dans le domaine des droits de l'homme, la
Tunisie est le premier pays du Maghreb à introduire des réformes
afin
d'effacer le passif du président Bourguiba mais aussi
de capitaliser sur la sympathie populaire envers la LTDH qui est
considérée à l'époque comme la « seule
voix crédible en politique ». De plus, le contexte
international influença dans ce sens les choix de la
présidence177(*).
Mais pour Gudrun Krämer, c'est surtout parce qu'il « manquait de
légitimité révolutionnaire et de charisme
personnel » qu'il a eu particulièrement « besoin de
la coopération des acteurs politiques tunisiens »178(*) afin d'asseoir la nouvelle
légitimité démocratique du régime. D'ailleurs, ces
mesures de grâce se répètent régulièrement
depuis (en 1999, 2004 et 2005179(*)), touchant à chaque fois de quelques dizaines
à quelques centaines de prisonniers dont des membres d'Ennadha
emprisonnés lors de la répression du début des
années 1990. La dernière grâce en date, annoncée le
25 février 2006, toucha 1657 prisonniers dont des membres du
« groupe de Zarzis », des internautes condamnés
en 2004 à 13 ans de prison pour préparation d'attentats. Quelque
73 islamistes figurent par ailleurs parmi les bénéficiaires de
cette même mesure, ces ouvertures améliorant sans doute l'image du
régime à l'extérieur180(*) et contribuant à l'apaisement du climat
politique.
Il faut toutefois remarquer qu'une certaine personnification
du pouvoir, très présente sous Bourguiba, a progressivement
refait son apparition en raison du pouvoir très important détenu
par la présidence de la république et du traitement
médiatique de l'actualité nationale qui donne une image
omniprésente du président dans l'action politique, les ministres
et les députés étant marginalisés. En
conséquence, selon Moncef Marzouki, figure du Congrès pour la
République, parti de l'opposition non-reconnue, « non
seulement Ben Ali s'est aliéné toute la classe politique, qu'il
s'agisse des islamistes, de la gauche, des démocrates ou des vieux
bourguibiens, mais, avec la corruption, il s'est aliéné la
société toute entière, de la grande bourgeoisie au petit
peuple »181(*). Ce jugement, tiré de son conception selon
laquelle la « dictature ne représente
qu'elle-même »182(*), est sans doute exagéré car, comme il
a été explicité antérieurement, plusieurs secteurs
de la société tunisienne voient toujours leurs
intérêts dans la politique menée par le président
Ben Ali183(*) qui ne
souhaite pas « faire subir au pays de changements fondamentaux mais
plutôt le faire évoluer peu à peu vers une plus grande
ouverture »184(*). Pour ce faire, il s'est réapproprié
l'héritage bourguibien dans bien des domaines, ce qui tend
paradoxalement à faire apparaître le régime moins comme un
changement que comme une simple évolution du régime
précédent185(*). Pourtant, les difficultés sociales
persistantes, consécutives à la politique de
libéralisation, mécontent d'autres secteurs qui ne sont pas pour
l'instant structurés politiquement et la question de la succession se
posera bientôt dans un contexte où le président Ben Ali,
qui occupe à la fois la présidence de la république et
celle du RCD, pourra se représenter une dernière fois en 2009, la
constitution modifiée par référendum le 26 mai 2002 ne
permettant pas à ce dernier de se représenter pour un
sixième mandat en 2014 en raison de la limite d'âge fixée
à 75 ans.
7. Dimension diplomatique
Il ne faut toutefois pas considérer la
démocratisation tunisienne dans un contexte strictement national mais
dans ces relations avec ses voisins et ses alliés. Ainsi, le soutien
apporté au régime tunisien par les États-Unis et les
gouvernements européens, dont la France qui dispose d'une influence
importante dans la définition de la politique européenne
vis-à-vis du Maghreb186(*), est lié au désir de ces gouvernements
d'assurer la stabilité de la région, notamment au travers du
contrôle du mouvement islamiste qui suscite des craintes de la part de
nombreux dirigeants. L'épisode de la guerre du Golfe en 1990-1991 permit
déjà au régime tunisien, qui condamna l'invasion irakienne
mais aussi la coalition menée par les États-Unis187(*), de faire accepter la
répression de l'islamisme au nom de la sauvegarde des
intérêts occidentaux dans la région et de la lutte contre
une hypothétique menace terroriste représentée par le
mouvement Ennadha188(*). La guerre civile qui commençait alors en
Algérie ne fit que conforter cette analyse pour les gouvernements
occidentaux189(*).
Néanmoins, l'appui occidental, et français en particulier, reste
symbolique190(*) bien
que le pays perçoive des aides financières françaises, en
faisant le pays le plus aidé du Maghreb par habitant191(*). Toutefois, cette aide n'a
pas été utilisée pour faire pression sur le régime
afin d'accélérer le processus d'ouverture politique192(*).
Car la Tunisie possède une « place
stratégique » qui est importante pour Washington193(*) mais également pour
Paris car, en plus de son ouverture économique et de sa
« modération » politique, elle joue un rôle de
stabilisateur du flanc sud de la zone OTAN et encourage par ailleurs la
conclusion d'une paix juste avec Israël194(*). Pour Donatella Rovera, au contraire, c'est parce
que la Tunisie « ne présente aucun intérêt
stratégique majeur dans la région »195(*) qu'aucune pression n'est
exercée sur le régime pour infléchir sa ligne politique.
Toutefois, cette analyse ne tient pas compte de la place de la Tunisie dans la
lutte anti-terroriste qui justifie la recherche d'une certaine
stabilité. Mais dans les deux cas, « les perspectives de
libéralisation [sont] mornes »196(*) puisque l'un des principaux
acteurs politiques tunisiens, en l'occurrence Ennadha, est exclu d'une
participation au système politique. Pour John O. Voll, c'est le soutien
occidental à cette « démocratie sans
risques » qui est au coeur de la crise de l'autoritarisme
nord-africain197(*) et
donc tunisien. Certes, l'UE a inclus des clauses concernant le respect des
droits de l'homme dans l'accord qu'elle a signé avec la Tunisie en
1995198(*). Cependant,
ses réactions se sont limitées jusqu'ici à de simples
réprimandes, à travers deux résolutions votées par
le Parlement européen en 2000199(*), sans que des sanctions de quelque nature que se
soit ne soient prises. Cela pourrait s'expliquer par l'absence de
répercussions, notamment économiques, de la situation politique
pour les investisseurs européens et français en
particulier200(*). De
leur côté, les États-Unis ont depuis quelques années
mis en avant la nécessité de réformes démocratiques
au travers du plan « Grand Moyen-Orient », annoncé
après les attentats du 11 septembre 2001, et dans le cadre de la lutte
anti-terroriste qui a renforcé les liens, notamment en matière de
défense (l'assistance militaire américaine atteignant 10,5
millions de dollars), avec la Tunisie201(*). Cependant, cette stratégie suscite du
scepticisme aussi bien auprès du gouvernement tunisien, qui y voit des
critiques infondées sur sa politique, que de la société
(en particulier de la gauche) qui y voit un cheval de Troie de
l'impérialisme américain dans la région202(*).
8. Conclusion
Cette recherche centrée sur les ratés du
processus de démocratisation de la Tunisie a permis d'esquisser
certaines réponses aux différentes hypothèses de
travail :
La culture politique de la Tunisie est bien
caractérisée par la concentration du pouvoir aux mains d'un seul
homme sous les divers régimes que le pays a connu. Toutefois, elle ne
représente pas un frein direct à l'ouverture démocratique
car elle est plutôt le résultat des circonstances historiques qui
ont mené aux changements de 1956 et de 1987. En effet, même si le
partage du pouvoir n'est pas encore ce que certains pourraient espérer,
l'évolution d'une domination exclusive d'une élite politique sous
Bourguiba à une articulation de plusieurs groupes sous Ben Ali va dans
le sens de la mise en place de contrepoids à une domination totale d'un
homme et de son entourage. De plus, la coupure entre élite et
population, même si elle demeure importante, n'est pourtant pas si claire
que cela, en particulier quant au rôle joué par les contacts
nécessaires entre la population et les représentants du
système, que ce soit ceux du parti ou de toute autre partie de
l'administration. Quant au rôle de la religion islamique, il est
relativement important, dans le sens où elle est utilisée par les
acteurs politiques pour structurer ou légitimer leur discours, ce qui a
justifié la répression du mouvement islamiste. En
conséquence, l'islam ne peut représenter un obstacle en
lui-même dans la mesure où il peut être
interprété de multiples manières y compris de façon
à pouvoir se fondre dans un régime laïc tel que la
Turquie.
En ce qui concerne le volet économique, le poids
important de l'État tunisien, qui était important il y a encore
deux décennies, a vu son influence remise en cause sous la pression du
contexte international, personnifié par les instances financières
internationales, et des échecs internes de sa politique. Certes, le
clientélisme lie encore l'État aux citoyens mais il ne peut plus
constituer à lui seul un obstacle à une éventuelle
démocratisation au regard du nouveau lien que pourrait engendrer la
diminution des revenus de l'État liée au libre-échange
avec l'UE. En revanche, les difficultés sociales engendrées par
la libéralisation de l'économie pourraient être un obstacle
plus ardu à franchir. En effet, si le gouvernement met en oeuvre un
programme de développement des nouvelles technologies qui est
destiné aux jeunes diplômés, les personnes disposant d'une
formation moins développée restent cantonnées à des
emplois précaires voire au secteur informel de l'économie qui
occupe une place importante en Tunisie (77,6% des consommateurs lui faisant
confiance203(*)). Leur
absence des structures politiques actuelles peut tout aussi bien favoriser
l'émergence, le moment venu, d'une alternative au système
qu'empêcher la structuration de celle-ci au niveau collectif. Quant, aux
patrons tunisiens, leur élan pour une démocratisation n'existera
réellement que si leurs positions sont menacées par le
régime lui-même.
Dans le domaine du contrôle politique, le pouvoir
détenu par les différents services de sécurité leur
permet encore de maintenir une certaine dose de contrôle dans de nombreux
domaines de la sphère publique, notamment dans la surveillance de la
« société civile », qui provoquent quelques
difficultés à exprimer un avis contraire à la ligne
officielle, phénomène renforcé par la relative
uniformité du discours politique dans les médias et par la
faiblesse structurelle des partis de l'opposition légale. De plus,
« la parenthèse autoritaire ne s'est jamais refermée,
sans cesse reconduite par l'alternance de phases d'ouverture et de repli, de
contestation et de répression »204(*). Pourtant, le régime
dispose d'une force apparente qui pourrait s'évanouir face aux tensions
internes et externes205(*). Ainsi, le maillage sécuritaire freinerait
réellement la démocratisation s'il n'était pas affaibli de
l'intérieur par les rivalités de clans ou de familles qui
affaiblissent l'efficacité de la surveillance et tendent à
relâcher l'étau de façon progressive, l'accès
relativement libre à d'autres sources d'information en étant une
illustration. De ce point de vue, le rôle joué par le
président Ben Ali est plus restreint que certains critiques pourraient
le faire penser. Certes, de par son pouvoir constitutionnel, il domine
très largement la définition des orientations politiques de la
Tunisie actuelle et son itinéraire au sein du système
sécuritaire peut influencer sa perception des problèmes.
Toutefois, le gouvernement qu'il préside s'inscrit bien plus dans des
rapports d'interdépendance avec l'élite économique et
sécuritaire qui ont maintenu l'équilibre du régime
jusqu'à présent. Cependant, cet équilibre pourrait
être rompu si d'autres acteurs commençaient à revendiquer
collectivement un infléchissement de la ligne politique du régime
voire une démocratisation plus rapide. Cette « fluidité
politique » pourrait alors être une nouvelle occasion de voir
un changement politique se produire. Toutefois, il serait aléatoire de
vouloir déterminer son issue sans étudier de façon plus
approfondie les phénomènes de rivalités qui parcourent la
structure de pouvoir actuelle206(*). De ce point de vue, les prochaines
échéances électorales qui conduiront théoriquement
à la fin de la présidence Ben Ali pourraient être
l'occasion d'une ré-articulation de ce pouvoir.
Enfin, il semble que le soutien apporté au
régime par les gouvernements occidentaux ait eu un impact important qui
a permis d'appuyer la justification intérieure de la répression.
Néanmoins, le nouveau contexte international consécutif au 11
septembre 2001 et à la guerre d'Irak de 2003 conduit à une
redéfinition paradoxale des rapports. D'un côté, le
terrorisme islamiste renouvelle l'appui qui émergea avec la guerre du
Golfe et la guerre civile algérienne. Mais d'un autre côté,
le discours sur la démocratie s'est vu renouvelé et des appels en
ce sens se sont multipliés et ont conduit à une participation des
islamistes à divers processus électoraux, comme en Égypte,
en Palestine ou en Irak, où leurs succès sont importants. Ainsi,
comme l'analysent Camau et Geisser, la Tunisie « apparaît bien
comme un exemple significatif des ambiguïtés de la
démocratisation du monde »207(*). Toutefois, la scène politique tunisienne n'a
pas encore vécu, de ce point de vue, de transformation radicale.
Pourtant, la modération, stratégiquement pensée ou non,
des islamistes tunisiens et les options de certains partis de l'opposition
légale, pourrait voir une lente transformation des positions du
régime et pourquoi pas la légalisation d'un parti islamiste
à la ligne modérée, sur le modèle turc, et
acceptant les règles du jeu politique. Car, en 2007, la plupart des
islamistes emprisonnés au début des années 1990 auront
quitté les prisons tunisiennes208(*). La question de la place de l'islamisme sur la
scène politique, qui a vue sa place grandir ces dernières
années, deviendra incontournable pour le régime et la
société tunisienne. Selon l'islamiste Hamadi Jebali,
récemment libéré, les Tunisiens « doivent se
rassembler pour faire face aux défis de la mondialisation, qu'il
s'agisse des grands regroupements régionaux, des intérêts
contradictoires des uns et des autres ou de la levée des
barrières douanières, en 2008, dans le cadre de l'accord
d'association avec l'Union européenne »209(*). Dans le cas contraire, et
comme le disait déjà Éric-Alain Mayoraz en 1989,
« c'est une course contre la montre entre les résultats
probants [du régime] et la montée des désillusions qui
s'est engagée en Tunisie le 7 novembre 1987 »210(*).
En conclusion, il semble bien que l'approche
développée il y a plus de 10 ans par l'équipe de Ghassan
Salamé reste valable dans sa globalité. Certes, le monde a
évolué depuis cette date et certaines dimensions, notamment celle
du rapport à l'islamisme ou de la mondialisation, ont connu des
mutations, notamment dans leur perception ou leur impact, qui modifient
l'analyse qui pouvait en être faite à l'époque. De plus, le
cas tunisien possède certaines spécificités, notamment en
ce qui concerne les conséquences de la colonisation, qui nuancent et
enrichissent l'analyse globale. Dans cette perspective, de nouvelles
perspectives de recherche se dessinent : dans le cas tunisien, l'approche
macro-politique de ce travail mériterait d'être
étayée par une analyse micro-politique au moyen de données
de sondage, et, dans le cas du monde arabo-musulman en général,
des analyses plus détaillées d'autres pays contribueraient
également à l'affinement de la théorie de la
démocratisation de cette région en pleine transformation.
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* 1 CAMAU, Michel et GEISSER,
Vincent, Le syndrome autoritaire. Politique en Tunisie de Bourguiba
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* 2 EL-AZMEH, Aziz,
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dir. de], Démocraties sans démocrates. Politiques d'ouverture
dans le monde arabo-musulman et islamique, éd. Fayard, Paris, 1994,
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* 3 SALAMÉ, Ghassan,
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* 4 LUCIANI, Giacomo,
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* 5 EL-AZMEH, Aziz, op. cit., p.
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* 6 MAGHREB ARABE PRESSE,
« La Tunisie a réalisé un taux de croissance de 6% en
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http://www.jeuneafrique.com/pays/tunisie/gabarit_art_afp.asp?art_cle=MAP70806latunneedec0,
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* 8 EL-AZMEH, Aziz, op. cit., p.
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* 9 FREEDOM HOUSE,
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* 10 SALAMÉ, Ghassan,
op. cit., p. 9
* 11 CAMAU, Michel et GEISSER,
Vincent, op. cit., p. 42
* 12 WATERBURY, John,
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SALAMÉ, Ghassan [sous la dir. de], Démocraties sans
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* 13 FREEDOM HOUSE,
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* 14 FREEDOM HOUSE,
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* 15 CAMAU, Michel et GEISSER,
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* 17 EICKELMAN, Dale F.,
« Muslim Politics. The Prospects for Democracy in North Africa and
the Middle East », in ENTELIS, John P. [édité par],
Islam, Democracy, and the State in North Africa, éd. Indiana
University Press, Bloomington, 1997, p. 18
* 18 CAMAU, Michel et GEISSER,
Vincent, op. cit., p. 73-74
* 19 Ibid., p. 83
* 20 CHOUIKHA, Larbi,
« Autoritarisme étatique et débrouillardise
individuelle. Arts de faire, paraboles, Internet, comme formes de
résistances, voire de contestation », in LAMLOUM, Olfa et
RAVENEL, Bernard, La Tunisie de Ben Ali. La société contre le
régime, éd. L'Harmattan, Paris, 2002, p. 198
* 21 CAMAU, Michel et GEISSER,
Vincent, op. cit., p. 46-50
* 22 Ibid., p. 140
* 23 Ibid., p. 143
* 24 Ibid., p. 79
* 25 MAYORAZ,
Éric-Alain, Parti-État. Approche au travers des cas de la
Tunisie et de la Côte d'Ivoire, éd. Institut universitaire
des hautes études internationales, Genève, 1989, p. 52
* 26 DELHOMME, Célia,
op. cit., p. 47-49
* 27 CAMAU, Michel et GEISSER,
Vincent, op. cit., p. 110
* 28 Ibid., p. 120
* 29 MAYORAZ,
Éric-Alain, op. cit., p. 18
* 30 DELHOMME, Célia,
op. cit., p. 105
* 31 LUCIANI, Giacomo, op.
cit., p. 202
* 32 REDISSI, Hamadi,
« Qu'est-ce qu'une tyrannie élective ? », Jura
Gentium, Centre for Philosophy of International Law and Global Politics,
http://dex1.tsd.unifi.it/juragentium/common/redissi.htm,
consulté le 10 décembre 2005
* 33 CAMAU, Michel et GEISSER,
Vincent, op. cit., p. 144-145
* 34 DELHOMME, Célia,
op. cit., p. 44-45
* 35 CAMAU, Michel et GEISSER,
Vincent, op. cit., p. 51
* 36 Ibid., p. 54
* 37 Ibid., p.
130-131
* 38 MAYORAZ,
Éric-Alain, op. cit., p. 63
* 39 EL-AZMEH, Aziz, op. cit.,
p. 233-234
* 40 VOLL, John O.,
« Sultans, Saints and Presidents. The Islamic Community and the State
in North Africa », in ENTELIS, John P. [édité par],
Islam, Democracy, and the State in North Africa, éd. Indiana
University Press, Bloomington, 1997, p. 1
* 41 Ibid., p. 3
* 42 Ibid., p. 4
* 43 Ibid., p. 5
* 44 Ibid., p. 8
* 45 Ibid., p. 14
* 46 MALLEY, Robert,
« Les élections doivent être l'aboutissement d'un
processus », L'Express, 22 septembre 2005,
http://www.lexpress.fr/info/monde/dossier/mondearabe/dossier.asp?ida=435010,
consulté le 21 décembre 2005
* 47 LECA, Jean, « La
démocratisation dans le monde arabo-musulman. Incertitude,
vulnérabilité et légitimité », in
SALAMÉ, Ghassan [sous la dir. de], Démocraties sans
démocrates. Politiques d'ouverture dans le monde arabo-musulman et
islamique, éd. Fayard, Paris, 1994, p. 36
* 48 FERRIÉ,
Jean-Noël, « Ces régimes ne mèneront pas le
processus à son terme », L'Express, 22 septembre
2005,
http://www.lexpress.fr/info/monde/dossier/mondearabe/dossier.asp?ida=435013,
consulté le 21 décembre 2005
* 49 TESSLER, Mark,
« The Origins of Popular Support for Islamist Movements. A Political
Economy Analysis », in ENTELIS, John P. [édité par],
Islam, Democracy, and the State in North Africa, éd. Indiana
University Press, Bloomington, 1997, p. 109
* 50 Ibid., p.
107-108
* 51 MAYORAZ,
Éric-Alain, op. cit., p. 98
* 52 CAMAU, Michel et GEISSER,
Vincent, op. cit., p. 274
* 53 Ibid., p. 276
* 54 TESSLER, Mark, op. cit.,
p. 113
* 55 CAMAU, Michel et GEISSER,
Vincent, op. cit., p. 303
* 56 MARZOUKI, Ilhem,
« Le jeu de bascule de l'identité », in LAMLOUM,
Olfa et RAVENEL, Bernard, La Tunisie de Ben Ali. La société
contre le régime, éd. L'Harmattan, Paris, 2002, p. 92-93
* 57 Ibid., p.
95-96
* 58 Ibid., p. 99
* 59 Ibid., p. 97
* 60 TESSLER, Mark, op. cit.,
p. 115
* 61 MARZOUKI, Ilhem, op. cit.,
p. 97
* 62 EICKELMAN, Dale F., op.
cit., p. 30
* 63 DEURE, Michel,
« Vote de la loi d'amnistie générale »,
Le Monde, 29 juin 1989,
http://www.lemonde.fr/web/recherche_breve/1,13-0,37-651444,0.html,
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* 64 CAVALLO, Delphine,
« Développement et libéralisation économique en
Tunisie. Éléments d'analyse des discours de
légitimation », in LAMLOUM, Olfa et RAVENEL, Bernard, La
Tunisie de Ben Ali. La société contre le régime,
éd. L'Harmattan, Paris, 2002, p. 62
* 65 ENTELIS, John P.,
« Political Islam in the Maghreb. The Non-violent
Dimension », in ENTELIS, John P. [édité par],
Islam, Democracy, and the State in North Africa, éd. Indiana
University Press, Bloomington, 1997, p. 44-45
* 66 EICKELMAN, Dale F., op.
cit., p. 20
* 67 HERMASSI, Abdelbaki,
« Changement socio-économique et implications politiques. Le
Maghreb », in op. cit., p. 329
* 68 KRÄMER, Gudrun,
« L'intégration des intégristes. Une étude
comparative de l'Égypte, la Jordanie et la Tunisie », in
SALAMÉ, Ghassan [sous la dir. de], Démocraties sans
démocrates. Politiques d'ouverture dans le monde arabo-musulman et
islamique, éd. Fayard, Paris, 1994, p. 286
* 69 LAMLOUM, Olfa,
« L'indéfectible soutien français à l'exclusion
de l'islamisme tunisien », in LAMLOUM, Olfa et RAVENEL, Bernard,
La Tunisie de Ben Ali. La société contre le
régime, éd. L'Harmattan, Paris, 2002, p. 107
* 70 ENTELIS, John P.,
« Political Islam in the Maghreb. The Non-violent
Dimension », in ENTELIS, John P. [édité par],
Islam, Democracy, and the State in North Africa, éd. Indiana
University Press, Bloomington, 1997, p. 47
* 71 FREEDOM HOUSE,
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consulté le 11 janvier 2006
* 72 HERMASSI, Abdelbaki, op.
cit., p. 324
* 73 LECA, Jean, op. cit., p.
80
* 74 DELHOMME, Célia,
op. cit., p. 60
* 75 MARZOUKI, Ilhem, op. cit.,
p. 91
* 76 KÉFI, Ridha,
« Que faire des islamistes ? », Jeune Afrique
l'intelligent, 22 janvier 2006,
http://www.jeuneafrique.com/jeune_afrique/article_jeune_afrique.asp?art_cle=LIN22016quefasetsim0,
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* 77 GHALIOUN, Burhan,
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et RAVENEL, Bernard, La Tunisie de Ben Ali. La société contre
le régime, éd. L'Harmattan, Paris, 2002, p. 146
* 78 ENTELIS, John P.
[édité par], Islam, Democracy, and the State in North
Africa, éd. Indiana University Press, Bloomington, 1997, p. XV
* 79 MALLEY, Robert, op.
cit.
* 80 REDISSI, Hamadi,
« Une inadéquation entre l'islam et les valeurs de la
démocratie », L'Express, 22 septembre 2005,
http://www.lexpress.fr/info/monde/dossier/mondearabe/dossier.asp?ida=435009,
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* 81 CAMAU, Michel et GEISSER,
Vincent, op. cit., p. 58
* 82 ANDERSON, Lisa,
« Prospects for Liberalism in North Africa. Identities and Interests
in Predinustrial Welfare States », in ENTELIS, John P.
[édité par], Islam, Democracy, and the State in North
Africa, éd. Indiana University Press, Bloomington, 1997, p.
132-33
* 83 CAMAU, Michel et GEISSER,
Vincent, op. cit., p. 218
* 84 Ibid., p.
219-220
* 85 LAGARDE, Dominique,
« Consomme et tais-toi », L'Express, 16 octobre
1997,
http://www.lexpressemploi.net/info/monde/dossier/tunisie/dossier.asp?ida=408876,
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* 86 CAMAU, Michel et GEISSER,
Vincent, op. cit., p. 360-361
* 87 WATERBURY, John, op. cit.,
p. 100-101
* 88 LAGARDE, Dominique,
« La fronde des jeunes », L'Express, 18 mai 2000,
http://www.lexpressemploi.net/info/monde/dossier/tunisie/dossier.asp?ida=408871,
consulté le 18 décembre 2005
* 89 HERMASSI, Abdelbaki, op.
cit., p. 325
* 90 DELHOMME, Célia,
op. cit., p. 41
* 91 MAYORAZ,
Éric-Alain, op. cit., p. 85-86
* 92 LUCIANI, Giacomo, op.
cit., p. 213
* 93 Ibid., p. 211
* 94 WATERBURY, John,
« From Social Contracts to Extraction Contracts. The Political
Economy of Authoritarianism and Democracy », in ENTELIS, John P.
[édité par], Islam, Democracy, and the State in North
Africa, éd. Indiana University Press, Bloomington, 1997, p. 150
* 95 CAVALLO, Delphine, op.
cit., p. 72-73
* 96 LUCIANI, Giacomo, op.
cit., p. 203-204
* 97 WATERBURY, John, op. cit.,
p. 166
* 98 Ibid., p. 167
* 99 DELHOMME, Célia,
op. cit., p. 42
* 100 CAMAU, Michel et
GEISSER, Vincent, op. cit., p. 80
* 101 Ibid., p. 38
* 102 CAVALLO, Delphine, op.
cit., p. 51-52
* 103 Ibid., p. 71
* 104 Ibid., p. 59
* 105 HOORMAN, Chloé,
« Le grand bain de la mondialisation », L'Express,
10 janvier 2005,
http://www.lexpressemploi.net/info/monde/dossier/tunisie/dossier.asp?ida=431183,
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* 106 Ibid.
* 107 Ibid.
* 108 HIBOU, Béatrice,
« Il n'y a pas de miracle tunisien », in LAMLOUM, Olfa et
RAVENEL, Bernard, La Tunisie de Ben Ali. La société contre le
régime, éd. L'Harmattan, Paris, 2002, p. 38
* 109 HOORMAN, Chloé,
op. cit.
* 110 CAMAU, Michel et
GEISSER, Vincent, op. cit., p. 63
* 111 HENRY, Clement M.,
« Crises of Money and Power. Transitions to Democracy? », in
ENTELIS, John P. [édité par], Islam, Democracy, and the State
in North Africa, éd. Indiana University Press, Bloomington, 1997,
p. 189
* 112 HOORMAN, Chloé,
op. cit.
* 113 LECA, Jean, op. cit., p.
74
* 114 HIBOU, Béatrice,
op. cit., p. 37
* 115 CAVALLO, Delphine, op.
cit., p. 41-42
* 116 CAMAU, Michel et
GEISSER, Vincent, op. cit., p. 156
* 117 ANDERSON, Lisa, op.
cit., p. 131
* 118 CAVALLO, Delphine, op.
cit., p. 69-70
* 119 CAMAU, Michel et
GEISSER, Vincent, op. cit., p. 60-61
* 120 Ibid., p.
212
* 121 DELHOMME, Célia,
op. cit., p. 39
* 122 HOORMAN, Chloé,
op. cit.
* 123 Ibid.
* 124 TESSLER, Mark, op. cit.,
p. 94-95
* 125 CAMAU, Michel et
GEISSER, Vincent, op. cit., p. 221-222
* 126 SAÏDI, Raouf,
« La pauvreté en Tunisie. Présentation
critique », in LAMLOUM, Olfa et RAVENEL, Bernard, La Tunisie de
Ben Ali. La société contre le régime, éd.
L'Harmattan, Paris, 2002, p. 15
* 127 Ibid., p.
20-21
* 128 CAMAU, Michel
et GEISSER, Vincent, op. cit., p. 221
* 129 TESSLER, Mark, op. cit.,
p. 99
* 130 DELHOMME, Célia,
op. cit., p. 66
* 131 CAMAU, Michel et
GEISSER, Vincent, op. cit., p. 192
* 132 LAGARDE, Dominique,
« Consomme et tais-toi », L'Express, 16 octobre
1997,
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* 133 HERMASSI, Abdelbaki, op.
cit., p. 332-333
* 134 CAVALLO, Delphine, op.
cit., p. 63
* 135 LECA, Jean, op. cit., p.
72
* 136 HIBOU, Béatrice,
op. cit., p. 38
* 137 CAMAU, Michel et
GEISSER, Vincent, op. cit., p. 180-181
* 138 Ibid., p.
191
* 139 MAYORAZ,
Éric-Alain, op. cit., p. 26
* 140 CAMAU, Michel et
GEISSER, Vincent, op. cit., p. 206
* 141 LAGARDE, Dominique,
« Consomme et tais-toi », L'Express, 16 octobre
1997,
http://www.lexpressemploi.net/info/monde/dossier/tunisie/dossier.asp?ida=408876,
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* 142 CAMAU, Michel et
GEISSER, Vincent, op. cit., p. 203-205
* 143 Ibid., p. 39
* 144 Ibid., p.
356-357
* 145 MAYORAZ,
Éric-Alain, op. cit., p. 62
* 146 CAMAU, Michel et
GEISSER, Vincent, op. cit., p. 164-165
* 147 WATERBURY, John, op.
cit., p. 146
* 148 DELHOMME, Célia,
op. cit., p. 19
* 149 CAMAU, Michel et
GEISSER, Vincent, op. cit., p. 151
* 150 WALTZ, Susan,
« The Politics of Human Rights in the Maghreb », in
ENTELIS, John P. [édité par], Islam, Democracy, and the State
in North Africa, éd. Indiana University Press, Bloomington, 1997,
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* 151 HENRY, Clement M., op.
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* 152 FREEDOM HOUSE,
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* 154 CHOUIKHA, Larbi, op.
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* 157 CHOUIKHA, Larbi, op.
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* 158 LAGARDE, Dominique,
« La fronde des jeunes », L'Express, 18 mai 2000,
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* 159 CHOUIKHA, Larbi, op.
cit., p. 199
* 160 DELHOMME, Célia,
op. cit., p. 38
* 161 WATERBURY, John,
« Une démocratie sans démocrates ? », in
SALAMÉ, Ghassan [sous la dir. de], Démocraties sans
démocrates. Politiques d'ouverture dans le monde arabo-musulman et
islamique, éd. Fayard, Paris, 1994, p. 111
* 162 LAMLOUM, Olfa, op. cit.,
p. 110
* 163 LAGARDE, Dominique,
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novembre 2003,
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* 164 MAYORAZ,
Éric-Alain, op. cit., p. 63
* 165 CAMAU, Michel et
GEISSER, Vincent, op. cit., p. 253
* 166 Ibid., p.
237
* 167 Ibid., p.
251
* 168 Ibid., p.
249
* 169 LAGARDE, Dominique,
« Fallait-il boycotter Ben Ali ? »,
L'Express, 18 octobre 2004,
http://www.lexpressemploi.net/info/monde/dossier/tunisie/dossier.asp?ida=429878,
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* 170 CAMAU, Michel et
GEISSER, Vincent, op. cit., p. 250
* 171 EICKELMAN, Dale F., op.
cit., p. 32
* 172 Ibid., p. 35
* 173 MAYORAZ,
Éric-Alain, op. cit., p. 90
* 174 LAGARDE, Dominique,
« La fronde des jeunes », L'Express, 18 mai 2000,
http://www.lexpressemploi.net/info/monde/dossier/tunisie/dossier.asp?ida=408871,
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* 175 CAMAU, Michel et
GEISSER, Vincent, op. cit., p. 226
* 176 DEURE, Michel, op.
cit.
* 177 WALTZ, Susan, op. cit.,
p. 86
* 178 KRÄMER, Gudrun, op.
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* 179 BARROUHI, Abdelaziz,
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5 mars 2006,
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* 180 Ibid.
* 181 LAGARDE, Dominique,
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* 182 KHIARI, Sadri,
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* 183 LAGARDE, Dominique,
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* 184 MAYORAZ,
Éric-Alain, op. cit., p. 26
* 185 CAMAU, Michel et
GEISSER, Vincent, op. cit., p. 355
* 186 ROVERA, Donatella,
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LAMLOUM, Olfa et RAVENEL, Bernard, La Tunisie de Ben Ali. La
société contre le régime, éd. L'Harmattan,
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* 187 TESSLER, Mark, op. cit.,
p. 104
* 188 LAMLOUM, Olfa, op. cit.,
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* 189 ZARTMAN, I. William,
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[édité par], Islam, Democracy, and the State in North
Africa, éd. Indiana University Press, Bloomington, 1997, p.
214-216
* 190 LAMLOUM, Olfa, op. cit.,
p. 111-112
* 191 Ibid., p.
114
* 192 ENTELIS, John P.
[édité par], Islam, Democracy, and the State in North
Africa, éd. Indiana University Press, Bloomington, 1997, p. X
* 193 MAYORAZ,
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* 194 ENTELIS, John P.,
« Political Islam in the Maghreb. The Non-violent
Dimension », in ENTELIS, John P. [édité par],
Islam, Democracy, and the State in North Africa, éd. Indiana
University Press, Bloomington, 1997, p. 50
* 195 ROVERA, Donatella, op.
cit., p. 164
* 196 KRÄMER, Gudrun, op.
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* 197 VOLL, John O., op. cit.,
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* 198 FREEDOM HOUSE,
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* 199 ROVERA, Donatella, op.
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* 200 HIBOU, Béatrice,
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* 201 AGENCE FRANCE-PRESSE,
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* 204 CAMAU, Michel et
GEISSER, Vincent, op. cit., p. 17
* 205 Ibid., p.
356
* 206 Ibid., p.
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* 207 Ibid., p. 16
* 208 BARROUHI, Abdelaziz,
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* 209 BARROUHI, Abdelaziz,
« Hamadi Jebali : "Les Tunisiens doivent se
rassembler" », Jeune Afrique, 5 mars 2006,
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