Copyright (c) Fabrice FLORE-THeBAULT
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Mémoire de maîtrise sous la direction de Sylvie
SCHWEITZER
L'installation
de la Chambre de métiers du
Rhône
années 1920-années 1930
Fabrice FLORE-THÉBAULT 1998
Centre Pierre Léon -- Université Lyon II
Copyright ~c Fabrice FLORE-THÉBAULT 1998 <Fabrice
. Flore-Thébault@
etu.univ-lyon2 . fr>
La copie verbatim et la distribution de
l'intégralité de cette maîtrise est autorisée par
tous les moyens, à condition que la présente notice soit
préservée.
Version mise à jour le 22 juillet 2003.
Table des matières
Introduction
1 Organiser l'apprentissage, organiser
l'artisanat?(1921-1925)
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5 11
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1.1
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L'éveil d'un intérêt pour des chambres
d'apprentissage
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11
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1.2
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«Conseils de métiers» et « Chambres des
métiers » dans le Rhône
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15
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1.2.1 La création des « Conseils de
métiers»
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15
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1.2.2 La création des « Chambres des
métiers»
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17
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1.2.3 Deux oppositions au projet de loi Courtier
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19
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1.3
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Les Chambres de métiers prévues par la loi du 27
juillet 1925
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21
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1.4
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Le sort des « Conseils de métiers» et des «
Chambres des métiers»
|
23
|
2
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La création de la Chambre de métiers du
Rhône (1925-1933)
|
25
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2.1
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Une première tentative avortée
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25
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2.2
|
La création de la Chambre de métiers du Rhône
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26
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2.2.1 La démarche à suivre
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26
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2.2.2 La pétition de janvier 1930
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27
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2.2.3 Recueillir les avis favorables nécessaires
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29
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2.2.4 La Fédération des artisans du sud-est se
défend contre le Comité dépar-
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temental de l'enseignement technique
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30
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2.2.5 Enquête auprès des syndicats
pétitionnaires
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32
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2.2.6 Le recensement des artisans
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35
|
3
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L'installation de la Chambre de métiers du
Rhône (1934-1939)
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37
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3.1
|
Vue d'ensemble de l'institution
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37
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3.1.1 L'organisation de la Chambre de métiers du
Rhône
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37
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3.1.2 Les buts et les moyens
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39
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3.2
|
Des électeurs aux membres
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42
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3.2.1 Les électeurs de la Chambre de métiers du
Rhône
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42
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3.2.1.1 Un électorat déjà construit?
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42
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3.2.1.2 Un électorat peu homogène
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44
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3.2.2 Les élections de 1933 et 1936
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51
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3.2.3 Les membres de la Chambre des métiers du Rhône
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57
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3.2.3.1 Des syndicalistes lyonnais en fin de carrière
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57
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3.2.3.2 Des maîtres incontestés 62
3.3 Qualifications et apprentissage 65
3.3.1 La rénovation de l'apprentissage 65
3.3.1.1 Le projet Walter et Paulin de réglementation de
l'apprentissage 66
3.3.1.2 La mise en place d'un règlement d'apprentissage
unifié . . . . 68
3.3.1.3 Défendre la spécificité de
l'apprentissage artisanal, ou insister
sur l'unité de chaque métier? 69
3.3.1.4 Rendre l'apprentissage attractif et élargir
l'influence de la Chambre
des métiers du Rhône 71
3.3.2 L'émergence d'une formation continue 75 3.3.3
Les expositions artisanales :vitrines de l'élite artisanale, et
construction
d'une image valorisante 77
3.3.4 Une formalisation inachevée 81
3.4 Réglementer l'accès au statut d'artisan
81
3.4.1 La restriction de la définition de l'artisanat
82
3.4.2 La contestation de l'efficacité du Registre des
métiers 83
3.4.2.1 La perte du contrôle sur les inscriptions 84
3.4.2.2 Le refus de l'adhésion à l'artisanat des
façonniers du textile 85
3.4.2.3 L'ouverture du Registre des métiers aux ouvriers
au chômage
et aux industriels 87
3.4.3 Interdire les métiers aux étrangers 89
3.4.3.1 La naissance d'une politique xénophobe 89
3.4.3.2 Autour des cartes d'artisans étrangers 91
3.4.3.3 La limitation du nombre d'artisans étrangers
94
3.4.4 Faire face au travail noir 96
3.5 La sauvegarde des intérêts professionnels et
économiques des métiers 98
3.5.1 La défense ponctuelle des métiers en crise
99
3.5.2 La mise en place de caisses artisanales de
solidarité est-elle possible? . 102 3.5.3 La résistance
à l'uniformisation des réglementations générales au
profit
des industriels 106
Conclusion 109
Abréviations utilisées 112
Bibliographie 113
Liste des tableaux 115
Liste des documents 116
Introduction
La vision que l'on peut avoir de l'artisanat du
XXème siècle arrive difficilement à se
défaire d'une représentation mythique de l'artisanat tel qu'il
existait jusqu'à la fin de l'ancien régime. L'artisanat avait
construit son identité autour de l'organisation des métiers en
corporations. La maîtrise de l'accession au statut de maître
artisan par les organisations corporatives faisait de lui un corps social
cohérent, et bien souvent un corps d'élite. Pourtant depuis le
décret de mars 1791 supprimant les maîtrises et jurandes, son
organisation en corporation, pièce maîtresse de cette
identité mythique, n'est plus qu'un souvenir. L'artisanat ne peut
être considéré comme un groupe social cohérent au
XIXème siècle, temps pendant lequel
il se construit une nouvelle identité, essentiellement par
réaction à la concurrence grandissante de la grande entreprise,
et à la constitution d'un mouvement ouvrier de plus en plus hostile au
patronat, quelle que soit sa forme. Il ne retrouve une identité bien
définie qu'avec la mise en place des Chambres de métiers
entredeux- guerres, dont l'institution est prévue par la loi du 27
juillet 1925. C'est la première étape de la formalisation d'une
nouvelle définition de l'artisanat. L'artisanat, c'est la petite
entreprise. L'artisan, c'est un patron qui participe au travail de ses
ouvriers, ou, dit autrement, un ouvrier qui travaille à son compte. La
création de telles institutions, interprofessionnelles, permet de
négliger le critère du métier pour mettre en avant le seul
critère de taille.
L'institution des Chambres de métiers est un
remarquable observatoire des attitudes des artisans face aux
réalisations de l'État. Inspirées par le modèle
corporatif de la Chambre de métiers d'Alsace, mais instituées
avec la volonté d'empêcher toute possibilité de
corporatisme, c'est pourtant la possibilité d'une réglementation
d'accès au statut d'artisan qui attire les artisans. Il faudra donc
observer la manière dont les artisans vont constamment chercher à
tirer les Chambres de métiers vers le corporatisme. La volonté de
réglementer l'accès à la position de maître artisan
n'est pas nouvelle: les quelques sociétés professionnelles du
bâtiment qui avaient réussi à obtenir un statut officiel
sous la Restauration (perdu dès la monarchie de Juillet) ont eu un
siècle avant la même attitude 1 . Le mouvement est
cette fois-ci étendu à l'ensemble de la « classe
artisanale» qui essaie de formaliser sa constitution.
La mise en place de ces institutions apporte des changements
à la représentation des forces sociales et à leurs
rapports de force. L'instauration des Chambres de métiers marque la
naissance de l'artisanat « officiel » en France: elle donne une
reconnaissance institutionnelle à l'artisanat, comparable à celle
que les agriculteurs ont acquise avec les Chambres d'agriculture, ou les
commerçants et industriels avec les Chambres de commerce. En 1925,
artisanat et industrie deviennent officiellement distincts. Cette distinction
est l'un des enjeux du vote de la loi. Elle
1. [LINCOLN 1981]
s'est faite, on peut s'en douter, contre l'avis des
industriels qui n'avaient aucun intérêt à voir les artisans
faire sécession et cesser de cotiser aux Chambres de commerce. Bien que
celles-ci n'aient jamais été un lieu d'expression des
«petits » 2 , le poids des artisans ne se révèle
peut-être pas si négligeable aux yeux des responsables des
Chambres de commerce. Quelle forme cette opposition prend-elle?
Les rapports entre industrie et artisanat ne sont pas les
seuls à être modifiés. La distinction entre artisan,
défini par son rôle de producteur, et petit commerçant,
défini par son rôle de distributeur, établie par
Heinz-Gerhard Haupt3 dans sa définition de la petite
bourgeoisie est atténuée par l'institution des Chambres de
métiers: les petits commerçants de l'alimentation sont
assimilés à des artisans, alors que l'ensemble des artisans n'est
pas cantonné au rôle de producteur, mais vit aussi de la vente.
Faut-il pourtant admettre une identité sémantique entre le mot
«petitbourgeois » et le mot « artisan », et remplacer l'un
par l'autre dans la formule de Heinz-Gerhard Haupt: «L'apport de travail
personnel et manuel distingue le petit-bourgeois de la «bourgeoisie
», la propriété des moyens de production le distingue des
prolétaires »? Des lignes de fracture entre artisans producteurs et
artisans (commerçants) distributeurs ne sont-elles pas tout de
même observables? Cette définition est-elle de toutes façon
suffisante pour cerner l'indépendance totale revendiquée par
l'artisan? Heinz-Gerhard Haupt ne retient pour sa définition que
l'indépendance en amont: la possession des moyens de production.
L'indépendance en aval n'a-t-elle pas son importance? Un artisan
produisant pour une clientèle unique appartient- il encore à
l'artisanat?
L'instauration des Chambres de métiers marque aussi une
étape dans la résolution de la « crise de l'apprentissage
» qui sévit depuis un siècle. Aucune instance de
contrôle ne venait surveiller les conditions de l'apprentissage.
L'organisation de l'apprentissage dans l'artisanat est désormais
dévolue à ces institutions composées de patrons et
d'ouvriers. L'instauration de la taxe d'apprentissage, occasionnée par
la création des Chambres de métiers, force les patrons à
participer à son organisation. Le vote d'une loi donnant aux Chambres de
métiers les moyens de réglementer l'apprentissage en 1937, comme
prévu par la loi de 1925, finit de donner les bases de la «
rénovation de l'apprentissage » en finissant notamment d'imposer le
contrat écrit, ce que la loi de 1851 n'avait pas réussi à
faire4. Il reste à savoir comment les Chambres de
métiers entreprennent cette « rénovation de l'apprentissage
».
L'installation des Chambres de métiers ne peut se
comprendre sans un point d'appui local. Jean-Pierre Briand, dans son
étude sur l'apparition du pré-apprentissage au début du
XXème siècle, insiste sur « l'importance
simultanée du cadre institutionnel et du milieu local dans
l'évolution des formes de scolarisation et de leur implantation »
5[5]. L'institution des Chambres de métiers semble
obéir à la même logique. La loi qui les institue en 1925
donne un plan d'ensemble pour leur création. Sans initiatives
concrètes prises localement, les Chambres de métiers n'auraient
jamais existé.
On ne peut donc se contenter de l'étude de la
création des Chambres de métiers qui ont été
faite
2. [LINCOLN 1981, pages 16-17]
3. [HAUPT 1979]
4. [PELPEL & TROGER 1993, LEQUIN 1989]
5. [BRIAND 1989, page 61]
par Bernard Zarca ou Bruno Magliulo 6,
qui ne sortent pas d'un point de vue strictement national, donnant toute
leur attention aux seules discussions entre ministères, parlementaires
et dirigeants de syndicats et d'organisations diverses, tant qu'elles ont pour
conséquence des modifications de la législation. Le vote d'une
loi permettant la création de Chambres de métiers signifie-t-il
pourtant la création automatique de Chambres de métiers dans
toute la France?
Les deux auteurs ne manquent pourtant pas d'évoquer des
événements dont le déroulement, plus local, est en marge
de l'action législative. Mais ils n'en prennent la mesure que de loin,
par leur influence sur les instances étatiques nationales. L'ouvrage de
Bruno Magliulo, prenant le point de vue des industriels, expose les dissensions
entre ministère du commerce et ministère de l'instruction
publique au sujet de la forme à donner à l'enseignement
technique. Il insiste sur la résistance infructueuse des Chambres de
commerce au projet de loi Courtier, mais présente cet échec d'un
seul point de vue légal. La mise en place de Chambres des métiers
par les Chambres de commerce n'a certes pas empêché le vote de la
loi. Est-ce pourtant un échec total pour les Chambres de commerce, et
pour l'apprentissage?
Chez Bernard Zarca, la création des Chambres de
métiers est un moment de l'émergence de l'artisanat dans le champ
politique. Le sort de celle-ci après leur création ne
l'intéresse pas. Le point de vue adopté est celui de
l'organisation dont les propositions sont adoptées par le gouvernement
ou les parlementaires: celui de la Confédération
générale de l'artisanat français (CGAF). Les projets
s'opposant au projet Courtier et émanant de l'artisanat ne sont pas pris
en compte, comme sont négligées les organisations qui se trouvent
en quelque sorte « dans l'opposition ». On ne sait plus en fin de
compte si le mouvement de création des Chambres de métiers et le
poids que celles-ci acquièrent par la suite ne sont pas
évoqués parce que l'influence des Chambres de métiers est
réellement dérisoire, ou parce qu'elles font contrepoids au point
de vue de la Confédération générale de l'artisanat
français
L'ancrage local est d'autant plus nécessaire que les
artisans, et plus particulièrement les lyonnais, montrent un goût
extrêmement prononcé pour l'action régionaliste.
L'idéologie de quartier qui avait caractérisé la naissance
du mouvement des petits commerçants àla fin
duXIXme siècle, et qu'ils avaient
abandonnée au tournant du siècle7 est toujours vivante
à Lyon. Le cas lyonnais offre des particularités qui
révèlent la force des enjeux de la mise en place des Chambres de
métiers. La mise en place de « Conseils de métiers» et
de « Chambres des métiers » pré-légaux
dès 1923 donne la mesure de l'opposition des industriels à une
différenciation entre artisanat et industrie, et de l'opposition d'un
certain syndicalisme artisanal à tout ce qui pourrait lui faire
concurrence.
Le Rhône reste même après la
création de la Chambre de métiers du Rhône un cas
particulier puisque la Chambre et le syndicat dont font partie la très
grande majorité de ses membres, la Fédération des artisans
du sud-est, sont en opposition constante avec les nouveautés
législatives qui sont issues de propositions du syndicat artisanal
dominant en France, la Confédération générale de
l'artisanat français. L'histoire de l'installation de la Chambre de
métiers du Rhône (CMR), de ses avatars pré-légaux
à ses premières années officielles, est donc l'histoire de
la résistance constante des représentants lyonnais de l'artisanat
aux modèles d'organisation qui leur
6. [ZARCA 1986, MAGLIULO 1985]
7. [NORD 1981]
sont proposés.
On ne peut se contenter, pour comprendre l'installation de la
Chambre des métiers du Rhône, de l'étude faite par
Christian Rendu8, qui se situe pourtantbien dans le cadre local.
Elle ne prend pas en compte la création des « Conseils de
métiers », ni ne donne un aperçu des premières
années d'existence de la Chambre des métiers du Rhône Mais
surtout, l'auteur s'intéresse de beaucoup plus près au mouvement
syndical lyonnais qu'à la Chambre de métiers: celle-ci finit
d'ailleurs par apparaître comme une des péripéties de la
construction du mouvement artisanal lyonnais, dont la Fédération
des artisans du sud-est (FASE), montrée comme le seul syndicat
honnête sou-tenant les artisans, est le centre, et la Chambre des
métiers du Rhône une des excroissances. Il faut sans doute y voir
la conséquence d'un regard nostalgique porté sur le temps de
cette création, conçu comme l'apogée de la période
heureuse où le mouvement artisanal lyonnais était uni, et
expérimentait des modèles nouveaux de solidarité.
Les moments clé de l'histoire de la Chambre des
métiers du Rhône sont, sur une période aussi courte, pour
les plus visibles, ceux des modifications législatives concernant
l'existence même de la Chambre: la loi de 1925 et le décret qui
rend sa création officielle en 1933. Ces dates sont à
l'évidence des dates charnière. Limiter une étude de
l'installation de la Chambre des métiers du Rhône à cette
seule période ne permettrait pourtant pas de saisir les enjeux de cette
création. La loi de 1925 est l'aboutissement d'un processus où
les lyonnais ont eu leur rôle àjouer, notamment en créant
leurs « Conseils de métiers» . On ne peut s'arrêter en
1933 sans savoir comment les artisans lyonnais ont fait vivre une institution
dont ils avaient longtemps rêvé, qu'ils ont contribué
à créer, mais dont ils perçoivent clairement les limites,
et qu'ils cherchent à transformer.
Quelle date choisir alors pour commencer? La fin de la guerre
est sans doute un moment important. Ce moment marque le retour aux
activités «normales » du temps de paix. Il est très
certainement aussi le moment de la prise de conscience du décalage entre
la situation des artisans avant et après guerre. Pourtant, aucune
référence à la guerre chez les artisans. La lutte contre
la grande industrie semble être beaucoup plus vieille. En même
temps toute référence au passé est référence
à un passé plus ou moins mythique. Le choc de la guerre a peut
être plus touché les parlementaires qui décident de «
sauver» l'artisanat. Évitons donc les filiations psychologiques
pour trouver un point de départ plus tangible: le début des
années 1920 est une période d'effervescence chez les artisans,
qui mettent en place des organisations nouvelles. Les syndicats artisanaux
lyonnais se fédèrent dans la Fédération des
artisans du sud-est en 1920, ils commencent à entrer en relation avec
des artisans d'autres régions, notamment des représentants de la
Chambre de métiers d'Alsace lors du Congrès de l'apprentissage en
1921, ils montrent leur capacité à s'organiser par la
création des premiers «Conseils de métiers» en 1923.
1921 est sans doute l'année décisive autant pour l'action locale
que pour l'action législative: c'est le moment où les artisans
lyonnais prennent connaissance du modèle d'organisation alsacien, c'est
aussi le moment où les Alsaciens commencent à recevoir des
échos positifs à leur opération de propagande.
Le début de la seconde guerre mondiale marque une
rupture nette dans l'histoire de la Chambre des métiers du Rhône
L'institution cesse de fonctionner de manière «normale ».
Aucune élection ne permet le renouvellement des membres entre 1939 et
1946. D'autres intérêts que ceux qui
8. [RENDU 1987]
guidaient la Chambre de métiers jusque là
entrent en jeu: la distribution des matières premières, nouveau
rôle de la Chambre des métiers du Rhône, devient essentielle
alors que l'organisation de l'apprentissage et la défense des
intérêts professionnels de l'artisanat passent au second plan. Ces
attribution sont d'ailleurs près de lui échapper, la Chambre de
métiers perdant peu à peu toute autonomie face au pouvoir
politique. La politique corporatiste tant attendue par ses membres s'est
retournée contre la Chambre. Cette rupture est confirmée par les
archives disponibles: alors que les procès verbaux des assemblées
forment un corpus homogènejusqu'en 1939, leur contenu change
radicalement après cette date. La période d'installation à
proprement parler est terminée. La guerre est sans doute la
première période de mutation de la Chambre de métiers,
génératrice de son nouveau rôle d'aide personnalisée
aux petites entreprises qu'elle assume par la suite et qui est actuellement
devenu le point central de son identité revendiquée.
étudier l'installation de la Chambre des métiers
du Rhône, centrer le propos sur cette seule organisation, fait passer un
certain nombre de problématiques connexes au second plan. Il ne sera
question que de manière très générale de
l'étude de l'organisation et de l'évolution du mouvement
artisanal lyonnais, comme d'une toile de fond, les grandes étapes de
l'organisation syndicale des artisans lyonnais ayant déjà
été étudiées par Christian Rendu. L'histoire de
l'apprentissage ne sera envisagée que d'après le rôle de la
Chambre des métiers du Rhône dans l'organisation de celui-ci.
En conséquence, la première partie sera
consacrée à la période préparatoire au vote de la
loi portant création des Chambres de métiers, et à
l'exposition des enjeux et des conséquences immédiates du vote de
cette loi. Il s'agira de montrer comment naît un intérêt
pour des chambres régionales composées de représentants du
monde du travail, de l'enseignement et de l'administration au lendemain de la
guerre, dans le but de résoudre la « crise de l'apprentissage
», comment cet intérêt est utilisé par les artisans
pour proposer la création d'institutions organisant non seulement
l'apprentissage, mais aussi l'artisanat, et comment les industriels
réagissent face à cette menace de sécession de
l'artisanat.
La période de création de la Chambre de
métiers du Rhône, entre 1925 et 1933, sera l'objet de la seconde
partie. La loi de 1925 avait laissé dans l'ombre nombre de
précisions capitales concernant notamment la définition
même de l'artisanat. Ce flou pèse sur la création de la
Chambre des métiers du Rhône Il ne s'agira pas seulement d'exposer
les mécanismes gouvernant la création d'une telle institution,
mais de comprendre aussi la complexité des interactions entre les forces
locales et nationales. Pourquoi par exemple le Comité
départemental à l'enseignement technique, allié de la
Fédération des artisans du sud-est avant 1925, s'oppose-t-il de
plus en plus fermement et aux artisans lyonnais, et aux directives
ministérielles?
Un bilan de la période d'installation de la Chambre des
métiers du Rhône donnera la matière d'une troisième
partie. Il faudra décrire l'organisation de l'institution, de ses moyens
d'actions et des buts qu'elle se donne; évaluer la composition de la
population artisanale qui par son appartenance à l'électorat de
la Chambre des métiers du Rhône, soutient et légitime
l'action de celle-ci; et évaluer la distance qu'il peut exister entre
cette population et celle des membres de la Chambre. La Chambre de
métiers a longtemps été attendue par les
représentants lyonnais de l'artisanat pour les moyens d'action nouveaux
qu'elle apportait. Ils n'en percevaient pas moins ses limites. Comment ont- ils
donc utilisé cette institution? La réglementation de
l'apprentissage était l'un des buts premiers de cette création.
Les artisans ont-ils cependant eu les moyens
d'établir une politique de l'apprentissage? La
réglementation de l'accès au statut d'artisan est l'un des
combats les plus âpres de la Chambre de métiers: non seulement
elle essaie de résister à l'évolution de la
définition de l'artisanat telle que la Confédération
générale de l'artisanat français réussit à
l'imposer, mais elle tente d'imposer une vision corporatiste de l'artisanat.
Enfin, la coexistence de deux types de représentations de l'artisanat,
les syndicats et les Chambres de métiers, semble devoir être
problématique: comment la Chambre de métiers envisage-t-elle la
défense des intérêts professionnels de ses membres?
1 Organiser l'apprentissage, organiser
l'artisanat? (1921-1925)
1.1 L'éveil d'un intérêt pour des
chambres d'apprentissage
Au lendemain de la guerre, l'intérêt pour la
création de chambres d'apprentissage naît de la fusion de deux
champs de réflexion. La crise de l'apprentissage et la
nécessité de l'organisation de l'enseignement technique sont des
thèmes d'actualité depuis le dix-neuvième siècle.
L'idée de la nécessité de l'organisation et la protection
de l'artisanat est née plus tard. Elle doit beaucoup aux
conséquences de l'industrialisation accélérée
provoquée par la « Grande Guerre ».
L'organisation de l'apprentissage est à vrai dire le
véritable point de départ. L'enseignement technique n'est
convenablement organisé que pour les qualifications moyennes ou
supérieures, d'après un modèle qui met l'école en
avant. La masse des travailleurs de dispose encore d'aucun moyen efficace de
formation. L'apprentissage échappe de fait à toute
réglementation. La loi du 4 mars 1851 qui le régit est
notoirement inefficace. Elle prévoit l'obligation d'un contrat. Mais
celui-ci n'est pas forcément écrit. Il peut être simplement
oral ce qui empêche toute possibilité de contrôle, et permet
aux familles comme aux patrons de contourner toutes les réglementations
prévues par la loi1. On ne sait pas encore quel
système développer: l'école ou l'apprentissage? Le
développement de chacun est poursuivi en même temps dans le plus
grand désordre. Le ministère du commerce, soutenu par les
industriels, est favorable à l'apprentissage en entreprise, alors que le
ministère d l'instruction publique est favorable à une
scolarisation qui ne se contente pas de l'apprentissage des gestes, mais
apporte aussi une formation abstraite et générale.
Les partisans de l'apprentissage sans école ne dominent
pas la situation, même si un premier congrès de l'apprentissage
s'est déroulé à Roubaix en 1911 2 .
L'enseignement technique est peu à peu organisé sans que
l'apprentissage soit encore l'objet d'une attention particulière. Des
institutions nouvelles voient le jour en 1911. Le premier diplôme
élémentaire de formation technique, nécessaire pour
permettre la formalisation des qualifications de la masse, le Certificat
d'aptitude professionnelle (CAP) a été institué par le
décret du 24 octobre 1911. Les Comités départementaux
à l'enseignement technique sont créés à l'occasion
pour organiser les examens. Le préfet nomme ses membres, les Inspecteurs
de l'enseignement technique qui sont des représentants des employeurs,
des salariés et de l'administration et du corps enseignant. Le
Comité supérieur de l'enseignement technique dirige ces
Comité départemental de l'enseignement technique Il
dépendait au départ du ministère du Commerce, mais
dépend depuis le 20 janvier 1920
1. [PELPEL & TROGER 1993, pages 23-24]
2. [RENDU 1987, page 8]
du Sous-secrétariat d'État à
l'enseignement technique, qui se trouve sous la tutelle du ministère de
l'instruction publique3.
Le pouvoir du Comité supérieur de l'enseignement
technique et les Comités départementaux de l'enseignement
technique s'étend rapidement. En 1919, la loi Astier rend les cours
professionnels obligatoires. Elle fait passer les établissements
scolaires techniques tant publics que privés sous le contrôle les
Comités départementaux de l'enseignement technique Elle commence
aussi à mettre en place une politique d'incitation du patronat à
assurer l'enseignement technique. Le pouvoir les Comités
départementaux de l'enseignement technique est partagé avec les
Commissions locales professionnelles. Elles sont chargées à
l'échelon de la commune de déterminer et d'organiser les cours
obligatoires pour les besoins des professions commerciales et industrielles de
la localité. D'après Guy Brucy4: «Largement
dominées par les professionnels, elles détenaient, de fait, des
pouvoirs importants: elles désignaient les professions pour lesquelles
les cours devaient être institués, elles intervenaient dans le
recrutement des enseignants, elles élaboraient les plans d'étude
ainsi que les programmes et les règlements des examens. Surtout, elles
contrôlaient les jurys de CAP composés de professeurs -- qui
étaient des professionnels -- et d'un nombre égal de patrons et
d'ouvriers, nommés par le préfet et « choisis, autant que
possible, parmi les membres de la Commission locale professionnelle » (loi
Astier Titre V art 47) ». L'enseignement technique est donc
organisé de manière très décentralisée. Le
contrôle des institutions locales de l'enseignement technique devient un
enjeu local important: il permet notamment la création de CAP
très locaux, qui vont dans le sens des besoins immédiats de ceux
qui sont écoutés par les Commission locale professionnelle et les
Comités départementaux de l'enseignement technique
Les artisans sont encore très peu organisés:
leurs syndicats sont faibles et restent isolés. Il n'existe encore
aucune fédération nationale d'artisans. Les seuls à
être véritablement organisés sont les Alsaciens. Ils sont
représentés par la Chambre de métiers d'Alsace. Les
membres de celle-ci sont des représentants élus de l'artisanat.
Ils ont tous pouvoirs pour l'organisation de l'apprentissage: ils s'occupent
aussi bien de sa réglementation que du contrôle de son bon
déroulement, de la subvention des écoles professionnels et de la
formation des jurys d'examens de compagnons. Le rôle de la Chambre de
métiers dépasse le cadre de l'organisation de l'apprentissage:
plus généralement elle doit être consultée dans
toutes les circonstances où les intérêts de l'artisanat
où d'un métier sont enjeu.
Cette institution attire d'autant plus l'attention qu'elle
fonctionne bien, que l'Allemagne est un modèle pour la France depuis la
défaite de 1870, et surtout depuis qu'une grande campagne de propagande
pour l'extension à toute la France du modèle des chambres des
métiers est menée par la chambre de métiers alsacienne
revenue à la France après la Grande Guerre5. Mais elle
provoque aussi bien des réticences car elle refuse d'abandonner son
système corporatif pour le système syndical de la loi de 1884.
Dans le Rhône, les artisans commencent tout juste
à s'organiser. Il existe certes des syndicats spécifiques
à certains métiers artisanaux, dont certains ont commencé
leur existence avant la loi de 1884. Ces syndicats ne concernent cependant pas
tous les métiers. Les métiers de l'alimenta-
3. [PELPEL & TROGER 1993, page 59]
4. [BRUCY 1989] 5. [ZARCA 1986]
tion ont les syndicats les plus anciens. Les coiffeurs, les
tailleurs, les imprimeurs, les teinturiersdégraisseurs, les
charrons-carrossiers- bourreliers-selliers et les maréchaux-forgerons
possèdent leurs syndicats, pas les cordonniers, les artisans de la
métallurgie ou ceux du bâtiment. Ces syndicats restent
isolés, et fractionnés en petites sections locales
6.
Les artisans commencent tout juste à envisager un
regroupement plus large. La Fédération des artisans du sud-est a
été fondée le 1 er mai 1920 par les syndicats
locaux des maréchaux et forgerons, des charrons et carrossiers, et des
bourreliers-selliers7. Elle regroupe rapidement la majorité,
voire l'intégralité des organisations artisanales patronales du
Rhône, c'est à dire 12 syndicats patronaux, qui ont soit
adhéré à la Fédération des artisans du
sud-est, soit été créés par elle8.
C'est dans ces conditions que se déroule le second
congrès de l'apprentissage tenu à Lyon en octobre 1921.
L'organisation de l'artisanat n'est pas à l'ordre du jour.
L'apprentissage est le seul thème abordé. Ce congrès
propose un modèle de « Conseil de l'apprentissage ». Ce
seraient des chambres paritaires qui s'occuperaient exclusivement
d'apprentissage. Le modèle alsacien n'éveille aucun
intérêt. Les artisans ont été marginalisés au
sein de ce congrès qui a regroupé essentiellement des hommes
politiques, des hauts fonctionnaires et des patrons, et qui a été
évité par les groupements ouvriers. L'intervention du
président de la Chambre de métiers alsacienne cherchant à
promouvoir une organisation de l'apprentissage et de l'artisanat sur le
modèle alsacien n'a eu d'écho positif que chez les artisans de la
Fédération des artisans du sudest présents au
congrès9.
Cette rencontre de la Fédération des artisans du
sud-est et des Alsaciens ne fait pas sortir la Fédération des
artisans du sud-est de sa région. Elle n'a pas participé au
congrès constitutif de la Confédération
générale de l'artisanat français (CGAF), qui s'est
déroulé à Paris du 26 au 28 mars 1922 dans le cadre du
congrès de la Fédération de la petite industrie de la
chaus sure. Organisé par MM. Tailledet et Grandadam, ce congrès
permet aux organisations artisanales mettre en place une
confédération nationale très centralisée. Il leur
permet surtout de prendre contact avec certains parlementaires qui ont
été invités, et commencent à s'intéresser
à l'artisanat et à son « sauvetage ». Les Alsaciens
étaient présents à ce congrès, et trouvent dans la
Confédération générale de l'artisanat
français l'allié nécessaire pour promouvoir les Chambres
de métiers auprès des parlementaires. Ils organisent un
congrès à Strasbourg en novembre 1922, auquel la
Fédération des artisans du sud-est n'assiste pas plus. Ce
congrès jette les fondations d'un groupe parlementaire
dévoué à la cause artisanale, dont le sénateur
Clémentel et le député Courtier sont les grandes figures.
De ce congrès est issu le projet de loi Courtier qui prévoit la
création de Chambres de métiers10.
Le projet de loi Courtier prévoit la constitution de
Chambres de métiers défendant les intérêts des
artisans, et au sein de celles-ci, l'organisation d'un apprentissage
spécifique à l'artisanat. Tout comme ceux de la Chambre de
métiers alsacienne, les membres des Chambres de métiers
seraient
6. [RENDU 1987]
7. [ADR 9M30] et [RENDU 1987, page 5].
8. [ADR 9M30]
9. [RENDU 1987, pages 8-9]
10. Le projet de loi est présenté à la
Chambre des députés le 29 décembre 1922 [RENDU 1987, pages
13-14].
élus directement par les artisans. La mise en place
d'un tel système suppose qu'une définition de l'artisan soit
proposée pour le distinguer de l'industriel. Elle suppose aussi la
création d'une taxe d'apprentissage qui alimente le financement de
l'organisation de l'apprentis sage. Un projet de loi parallèle est en
préparation pour définir une telle taxe, que l'on imposerait
à l'ensemble des industriels et des artisans, et non aux seuls
artisans.
Pour M. Courtier, le rédacteur du projet de loi, une
telle institution est l'outil nécessaire pour «ressusciter
l'artisanat rural », abandonné par des responsables politiques qui
ne songent qu'aux villes. La décadence de l'artisanat est la
conséquence de la crise de l'apprentissage. Donner aux artisans les
moyens de rénover cet apprentissage, c'est leur donner les moyens de
revivre11.
M. Tailledet, président de la
Confédération générale de l'artisanat
français, est finalement celui qui expose le plus clairement pourquoi
l'apprentissage pose problème: «Parce qu'actuellement aucun contrat
ne lie l'apprenti au patron, il arrive très souvent que l'apprenti
quitte l'atelier sans avoir une connaissance complète de la profession,
avant la fin de son apprentissage. Dans ces conditions, les patrons
hésitent beaucoup à former des apprentis qui sont une charge pour
eux, non compensée par les services que ces apprentis pourraient rendre
dans la dernière année de leur apprentissage »
12.
Ce projet est vu d'un bon oeil par le Conseil supérieur
de l'enseignement technique, dont l'intérêt est focalisé
sur les questions d'apprentissage. Son soutien au projet Courtier,
discuté en mars 1923 13 , comporte certaines nuances. La
création des chambres des métiers n'est qu'une réponse
partielle à ses attentes concernant l'enseignement technique. Elle
laisse de côté l'organisation des cours professionnels (ils sont
pris en charge par les budgets municipaux en Alsace, et dépendent sinon
de la loi Astier). Elle ne concerne que l'apprentissage artisanal. Mais le
projet de loi laisse la situation ouverte: rien n'empêche la
création d'autres formes d'apprentissage, soit spécifiques
à l'industrie, par l'intermédiaire des Chambres de commerce, soit
destinées à l'artisanat et l'industrie. Il envisage ainsi la
création de Chambres d'apprentissage dépendant pour moitié
des Chambres de métiers, pour moitié des Chambres de commerce,
composées de manière paritaire de patrons et d'ouvriers.
Certaines des organisations artisanales, un groupe
parlementaire et la direction de l'enseignement technique se sont donc mis
d'accord pour promouvoir la création de chambres de métiers dans
toute la France. Le projet n'est pas du goût de toutes les organisations
artisanales, particulièrement de la Fédération des
artisans du sud-est En face, les industriels, et plus particulièrement
la chambre de commerce, cherchent par tous les moyens à éviter
ces créations. Les syndicats ouvriers, convoqués au débat,
se désintéressent de la question. Le modèle alsacien de
Chambre de métiers sert de référence à tout le
monde, mais pour des raisons chaque fois différentes: certes la chambre
des métiers alsacienne organise à la fois l'apprentissage et
l'artisanat, mais les responsables de l'enseignement technique y voient d'abord
un moyen d'organiser l'apprentissage, là où les organisations
artisanales voient surtout un moyen d'organiser l'artisanat et d'imposer sa
spécificité par rapport à l'industrie. Quant aux
industriels, ils mettent en avant l'unité de la clien-
11. La Formation professionnelle, n°63, 20 mai
1923, compte-rendu des séances des 6 et 7 mars 1923 du Comité
supérieur de l'enseignement technique, page 324 [ADR 9M30].
12. La Formation professionnelle, n°63, ouvrage
cité, page 326 [ADR 9M30]. 13. La Formation professionnelle,
n°63, ouvrage cité [ADR 9M30].
tèle des apprentissages pour justifier le refus d'une
institution qui opérerait la distinction entre plusieurs types
d'apprentissages. Comment la Fédération des artisans du sud-est
et la Chambre de commerce de Lyon s'organisent-elles pour montrer leur
hostilité au projet?
1.2 « Conseils de métiers » et «
Chambres des métiers » dans le Rhône
En réponse au projet de loi Courtier, on assiste en
1923 à la création presque simultanée, par des
organisations syndicales patronales, de plusieurs organismes chargés
chacun d'organiser l'apprentissage pour une branche spécifique.
L'unité apparente de ces démarches cache des orientations
radicalement différentes. Montrer l'origine de ces organismes suffirait
presque à montrer leur opposition: elles s'opposent par leur
dénomination, l'identité de leurs créateurs, et celle de
leurs soutiens. Les « Conseils des métiers » sont
créés par des syndicats d'artisans appartenant à la
Fédération des artisans du sud-est, et leur constitution est
approuvée par le sous-secrétariat d'État à
l'enseignement technique. Le premier de ceux-ci est créé le 16
janvier 1923; en octobre 1924, six autres « Conseils des métiers
» ont été formés. Les « Chambres des
métiers » sont créées par des syndicats de patrons de
l'industrie d'après un modèle proposé par la Chambre de
commerce. Elles sont subventionnées et contrôlées par la
chambre de commerce de Lyon. Au nombre de trois, elles sont
créées au printemps 1923.
1.2.1 La création des « Conseils de
métiers »
Alors que le projet de loi Courtier vient d'être
déposé à la Chambre des députés, la
Fédération des artisans du sud-est finit par s'inspirer du
modèle proposé lors du congrès de l'apprentissage de 1921
pour créer ses premiers « Conseils de métiers ». Le
premier « Conseil de métier» est constitué par la
« Corporation des maréchaux ferrants de Lyon» le 16 janvier
1923 14 . C'est une organisation paritaire: les «patrons »
et les « ouvriers », ainsi qu'ils sont désignés,
bénéficient chacun du même nombre de représentants
(quatre). Mais ce sont les patrons, dont les représentants sont presque
tous issus de la Chambre syndicale des patrons maréchaux-ferrants de
Lyon et sa Région, elle- même adhérente à la
Fédération des artisans du sud-est, qui semblent jouer le
rôle moteur dans cette création. Seul l'un des membres des
représentants ouvriers fait explicitement partie du syndicat ouvrier.
Les autres ouvriers n'apparaissent liés à aucune organisation
ouvrière. Leur recrutement semble avoir été fait autant
que possible suivant les affinités avec les patrons, ou du moins en
fonction de la connaissance de ceux-ci: l'ouvrier habitant la même rue
que l'un des patrons était vraisemblablement employé par celui-
ci, ou une de ses connaissances.
On retrouve la présence de la Fédération
des artisans du sud-est dans tous les « Conseils des métiers »
qui sont créés par la suite: après les maréchaux
ferrants, ce sont les artisans de l'habillement (mai 1924), les artisans
photographes (juillet 1924), puis les artisans ébénistes et
tourneurs, les artisans charrons, les artisans bourreliers et selliers et les
artisans tapissiers
14. [ADR 9M30]
(entre août et octobre 1924). Un réseau de «
Conseils de métiers» professionnels, créés par les
syndicats artisanaux de chaque branche, se met progressivement en place.
La Fédération des artisans du sud-est ne met pas
ces « Conseils de métiers» en place seule. M. Wiernsberger,
inspecteur départemental de l'enseignement technique et vice-
président du Comité départemental de l'enseignement
technique assiste à leur assemblée constitutive. Sa fonction lui
permet de mettre ces Conseils directement en liaison avec le sous-
secrétaire d'État à l'enseignement technique.
Le Comité départemental de l'enseignement
technique du Rhône est un soutien sans faille pour les « Conseils de
métiers ». Il élabore avec la Fédération des
artisans du sud-est un projet de création de Chambres de métiers
alternatif à celui prévu par Courtier. Ce projet est
défendu en mars 1923 au Conseil supérieur de l'enseignement
technique par M. Besse, représentant du Comité
départemental de l'enseignement technique du Rhône 15 .
Ce projet est hostile à la création d'une chambre consulaire
élue, sans lien avec le syndicalisme. Il propose que la Chambre de
métiers soit la fédération de Conseils de métiers,
assemblées primaires, paritaires, créées par les syndicats
intéressés, telles qu'il en existe déjà dans le
Rhône. Ce projet essaie en même temps de réduire
l'opposition des Chambres de commerce. La Chambre de commerce, percevant la
taxe d'apprentissage, pourrait être la trésorière des
Chambres de métier, organismes paritaires comprenant des membres de la
Chambre de commerce, des syndicats ouvriers et des syndicats patronaux,
l'essentiel étant d'assurer l'unité du budget d'apprentissage, et
d'éviter sa partition et sa gestion séparée par la Chambre
de commerce d'une part et la Chambre de métiers de l'autre.
La réunion du Comité supérieur de
l'enseignement technique en mars 1923 marque un tournant dans l'histoire des
« Conseils de métiers ». Le soutien au projet de loi Courtier
est décidé par le Comité supérieur de
l'enseignement technique En conséquence le sous-secrétaire
d'État à l'enseignement technique ne peut plus soutenir la
création des « Conseils de métiers» lyonnais. Il avait
pourtant commencé par leur montrer un fort intérêt. Le
premier « Conseil de métiers» avait très rapidement
reçu son approbation. Cette approbation dépasse la requête
de M. Wiernsberger, qui demandait seulement au préfet que:
«à défaut de sanctions légales, [il donne] à
ce premier Conseil de métier lyonnais [ses] encouragements, et [signale]
son existence à M. le Sous-secrétaire d'État de
l'enseignement technique » 16 . Il présentait ceci comme un
encouragement à organisme qui anticipe l'application d'une loi qui n'a
pas encore été votée, mais qui est nécessaire et en
gestation: ce « Conseil de métiers » est une tentative pour
« créer par avance un organisme qui aura certainement un rôle
important à jouer dans toutes les questions qui concernent
l'apprentissage »[ 1726]. Cette création est bien
comprise ainsi par le sous- secrétaire d'État à
l'enseignement technique, qui répond: «Encore qu'aucune loi n'ait
donné une existence légale à des organismes de cette
espèce, je ne puis qu'approuver l'initiative prise par la corporation
dont il s'agit18 ». Les arguments de l'inspecteur semblent donc
avoir touché l'admi-
15. La Formation professionnelle, n°63, ouvrage
cité, page 350 [ADR 9M30].
16. Lettre du 16 janvier 1923 de M. Wiernsberger au
préfet, transmise par celui-ci au sous-secrétaire d'État
à l'enseignement technique le 27 janvier 1923 [ADR 9M30].
17. Lettre du 16 janvier 1923 de M. Wiernsberger au
préfet, transmise par celui-ci au sous-secrétaire d'État
à l'enseignement technique le 27 janvier 1923 [ADR 9M30].
18. Réponse du sous-secrétaire d'État
à l'enseignement technique à M. Wiernsberger, le 2 février
1923 [ADR 9M30].
nistration centrale: aucun obstacle ne s'oppose à la
création de « Conseils de métier» les plus nombreux
possibles, et la volonté de l'inspecteur de « [s] 'efforcer de
provoquer la création de «Conseils de métier » pour
d'autres corporations lyonnaises » ne rencontre aucun écho
négatif.
Le premier « Conseil de métiers» est le seul
à recevoir aussi rapidement l'approbation du sous-secrétaire
d'État à l'enseignement technique. Après la réunion
des 6 et 7 mars du Comité supérieur de l'enseignement technique
où l'opposition des lyonnais au projet Courtier a été
exprimée, et où le soutien au projet de loi a été
décidé par le ministère, aucune approbation n'est plus
accordée. Alors que la réponse du sous-secrétaire
d'État à l'enseignement technique était parvenue quinze
jours après pour le premier « Conseil de métier », il
faut attendre trois mois l'approbation de la constitution du second «
Conseil de métier », celui de l'habillement: demandée le 23
mai 1924, elle est accordée le 13 août 1924 19.
Encore cette approbation ne se fait-elle pas dans les mêmes
conditions: elle suit une mise en garde de M. Wiernsberger, qui rappelle au
ministère l'utilité d'une réponse20. Cette
démarche permet au sous-secrétaire d'État à
l'enseignement technique de prendre connaissance de la création des
« Conseils de métiers » et de leurs statuts. Mais
l'approbation par le ministère n'est pas indispensable à la
création de « Conseils de métiers ». L'absence de
réponse du ministère ne peut donc inciter ces derniers à
se déclarer dès leur formation. C'est dans ces conditions que
l'annonce de la création du troisième « Conseil de
métiers », celui des artisans photographes, n'est
accompagnée ni des statuts de celui-ci, ni d'une demande
d'approbation21.
A partir de ce moment, il n'est plus question d'approbation,
mais le sous- secrétariat d'État à l'enseignement
technique demande que les statuts de ce « Conseil de métiers »
des artisans photographes lui soient transmis22 : c'est de cette
manière que l'on apprend la création des quatre «Conseils de
métiers » suivants23.
1.2.2 La création des « Chambres des
métiers »
Le projet de loi Courtier ne plaît pas à la
Chambre de commerce de Lyon. Aucune distinction n'est faite jusque là
entre les artisans et les industriels. Les artisans sont donc
régulièrement inscrits au registre du commerce, et doivent verser
une taxe destinée au fonctionnement de la Chambre de commerce. Celle-ci
est donc tout à fait hostile à la création de Chambres de
métiers artisanales qui feraient perdre un nombre non négligeable
de ressortissants à la Chambre de commerce. C'est ce qui la pousse
à promouvoir la création de « Chambres des métiers
» qu'elle contrôlerait.
Ce n'est pourtant pas le risque de sécession de
l'artisanat qu'elle met en avant dans son rapport
19. [ADR 9M30]
20. Lettre du 30 juillet 1924 de M. Wiernsberger au
préfet, transmise par celui-ci au sous-secrétaire d'État
à l'enseignement technique le 4 août 1924 [ADR 9M30].
21. Lettre du 30 juillet 1924 de M. Wiernsberger au
préfet, transmise par celui-ci au sous-secrétaire d'État
à l'enseignement technique le 4 août 1924 [ADR 9M30].
22. Lettre de la préfecture à M. Wiernsberger, le
6 octobre 1924 [ADR 9M30].
23. Transmission des statuts des nouveaux « Conseils de
métiers » au sous-secrétaire d'État à
l'enseignement technique par le préfet, le 24 octobre 1924 [ADR
9M30].
de février 1923 sur les Chambres de métiers
24 . Son argumentation est d'abord légaliste: l'organisation
de l'apprentissage est une des prérogatives des Chambres de commerce
prévue par la loi du 9 avril 1898. Des « Chambres de métiers
» ayant pour but l'organisation de l'apprentissage et de l'enseignement
professionnel ne peuvent donc s'organiser indépendamment des Chambres de
commerce. Les Chambres de commerce doivent donc mettre en place de telles
«Chambres de métiers », et décider de la forme qu'elles
doivent prendre.
La Chambre de commerce propose donc un modèle de «
Chambre des métiers ». Chacune doit être strictement
professionnelle, créée par les syndicats de chaque branche. Ce
seraient des chambres paritaires, composées à part égales
de patrons et d'ouvriers, mais comportant en sus un membre de la Chambre de
commerce. La Chambre de commerce exercerait un contrôle sur chacune de
ces Chambres par l'intermédiaire d'une Commission supérieure de
l'apprentissage et de l'enseignement technique. En échange chaque
Chambre aurait droit à un siège au sein de ce comité.
A la suite de ce rapport, trois « Chambres des
métiers » sont créées dans le Rhône, sous la
tutelle de la Chambre de commerce lyonnaise. La « Chambre des
métiers de la métallurgie », la «Chambre des
métiers de la soie » et la « Chambre des métiers de la
bijouterie » sont créées par les syndicats patronaux de leur
branche respective25. Leur conformité aux dispositions prises
par la Chambre de commerce le 22 février 1923 est reconnue par la
Chambre de commerce dès qu'elle a reçu leurs statuts 26
. Le contrôle de la Chambre de commerce est exercé par un de
ses membres, nommé pour faire partie de la « Chambre des
métiers »27. En contrepartie le
président de chaque « Chambre des métiers » fait partie
de la Commission supérieure de l'apprentissage et de l'enseignement
technique de la Chambre de commerce. Ces « Chambres des métiers
» reçoivent une subvention de la Chambre de commerce égale
au tiers de leur dépense28.
La Chambre de commerce rejette toutes les demandes faites par
des groupements qui n'ont pas encore créé leur « Chambre des
métiers » 29 : ce sont aux syndicats patronaux seuls de les
créer, la Chambre de commerce ne se veut qu'une instance de
contrôle, sans responsabilités financières. Elle reste
libre d'accorder ou de refuser des subventions.
Le nombre de « Chambres des métiers »
n'augmente plus par la suite. Jusqu'en 1925, les
24. Plaquette reproduisant ce rapport, voté dans sa
séance du 22 février 1923 [ADR 9M30].
25. Compte-rendu des travaux de l'année 1923, pages
485-491. Ce sont la Chambre syndicale des industries métallurgiques, le
Syndicat des fabricants de soieries et la Chambre syndicale des fabricants et
commissaires bijou-tiers [ACCL CR 1923-1925].
26. Compte-rendu des travaux de l'année 1923, pages
485-491. Lettres de la Chambre de commerce aux « Chambre des
métiers » du 1er avril (soie), 5 et 17 mai
(métallurgie), entre le 15 juin et le 11 octobre 1923 (bijouterie) [ACCL
CR 1923-1925].
27. Compte-rendu des travaux de l'année 1923, pages
485-491. Séance du 31 mai 1923 (soie et métallurgie);
séance du 11 octobre 1923 (bijouterie) [ACCL CR 1923-1 925].
28. Compte-rendu des travaux de l'année 1923, pages
485-491. Séance du 19 juillet 1923 (soie et métallurgie),
séance du 11 octobre 1923 (bijouterie) [ACCL CR 1923-1925].
29. Compte-rendu des travaux de l'année 1923, pages
485-491. Séance du 14 juin 1923: M. Chaleyssin, président de
l'atelier-école d'ébénisterie, demandait des subventions
en vue de la création d'une « Chambre des métiers de
l'ébénisterie »; Le patronage des apprentis tailleurs de
Lyon aussi, pour créer une « Chambre des métiers de
l'aiguille» [ACCL CR 1923-1925].
trois « Chambres des métiers »
créées en 1923 continuent de fonctionner normalement, et sont
toujours subventionnées par la Chambre de commerce30. En
1924, il est décidé de leur demander de se déclarer comme
associations loi de 1901 afin qu'elles obtiennent la personnalité
civile, qu'elles puissent acquérir des immeubles nécessaires
à leur fonctionnement, et qu'elles puissent recevoir des cotisations de
leurs membres supérieures à 500 F31.
L'objectif de ces « Chambres des métiers »
est de contrôler et d'organiser l'apprentissage, en particulier en
faisant partie du jury des CAP La « Chambre des métiers de la
métallurgie » considère en outre qu'une école est
indispensable, et elle est à la recherche de fonds pour la
création de celle-ci. Elle projette en août 1924
l'établissement de liens avec l'enseignement technique « dès
octobre 1934 » 32, sans qu'on sache ci ceux- ci ont
réellement été établis, ni comment.
1.2.3 Deux oppositions au projet de loi Courtier
Les principes d'organisation proposés par la Chambre de
commerce du Rhône n'apparaissent pas fondamentalement différents
de ceux de la Fédération des artisans du sud-est: comme les
«Conseils de métiers » créés par la
Fédération des artisans du sud-est, les « Chambres des
métiers » prévues par la Chambre de commerce doivent
être strictement professionnelles, et non interprofessionnelles. Elles
sont composées uniquement de patrons et d'ouvriers. Chacune gravite
autour du syndicat patronal qui l'a créée: il ne s'agit pas de
mettre en place un système de représentation concurrent du
syndicalisme. Le projet de loi Courtier prévoit, lui, la création
de Chambres de métiers artisanales interprofessionnelles, sans liens
directs avec le syndicalisme puisque leurs membres sont directement élus
par les artisans. L'insistance avec laquelle la Chambre de commerce
présente ce mode de fonctionnement, et la rapidité à
laquelle la Fédération des artisans du sud-est met en place ses
« Conseils de métiers» sont telles qu'il faut les comprendre
comme un moyen de pression sur les préparatifs de la loi sur les
Chambres de métiers.
La Fédération des artisans du sud-est et la
Chambre de commerce ne s'opposent pas de la même manière au projet
Courtier. La Fédération des artisans du sud-est est d'accord sur
le principe de l'organisation de l'artisanat à part, bien distinct de
l'industrie et du commerce. La Chambre de commerce refuse de distinguer
artisanat et industrie. Pour elle, la distinction pertinente se fait entre
industriels et commerçants: il ne faudrait pas que le coût de
l'apprentissage soit supporté par ces derniers qui n'en ont pas l'usage.
La clientèle de l'apprentissage est unique, ce sont les enfants,
renchérit la Chambre de commerce de Paris, une institution unique doit
donc organiser l'apprentissage33. Cette absence de distinction entre
artisans et industriels permet à la Chambre de commerce d'envisager le
contrôle de l'ensemble des « Chambres des métiers »
par
30. Compte-rendu des travaux de 1924 [ACCL CR 1923-1925].
31. Compte-rendu des travaux de l'année 1924, page 427,
séance du 17 mars 1924 de la Commission supérieure de
l'apprentissage et de l'enseignement technique [ACCL CR 1923-1925].
32. Bulletin mensuel de la Chambre syndicale des industries
métallurgiques, n° 8, août 1924, 6ème
année, page 150[ADR 9M30]
33. Bulletin mensuel de la Chambre syndicale des industries
métallurgiques, n° 8, août 1924, 6ème
année, page 150, intervention de la Chambre de commerce de Paris
[ADR 9M30].
le biais d'une institution où elle serait majoritaire:
la commission supérieure de l'apprentissage et de l'enseignement
technique. C'est ici que s'opposent le plus visiblement la
Fédération des artisans du sud-est et la Chambre de commerce: les
« Conseils de métiers» de la Fédération des
artisans du sud-est n'ont aucun lien avec la Chambre de commerce, et tout
montre que les artisans cherchent à en rester éloignés
pour organiser l'artisanat de manière indépendante. Les artisans
sont cependant près à collaborer avec les Chambres de commerce
pour organiser l'apprentissage, une fois admis comme principe qu'elle ne peut
se faire par l'absorption de l'artisanat, et qu'un apprentissage
spécifique doit être réservé aux
artisans34.
L'opposition de la Chambre de commerce s'étend aussi
aux conséquences du projet de loi Courtier qui ne concernent pas
uniquement les Chambres de métiers. La création d'une taxe
d'apprentissage est nécessaire au fonctionnement des Chambres de
métiers définies par ce projet. Le projet de taxe d'apprentissage
ne concerne pas uniquement les artisans: il prévoit une taxe uniforme de
0,5 % sur les salaires du commerce et de l'industrie35.
Dès que le projet est lancé, la Chambre de
commerce demande l'abandon du projet de taxe d'apprentissage et son
remplacement par un projet organisant l'apprentissage sous la tutelle des
Chambre de commerce 36 . C'est l'uniformité de la taxe qui
déplaît à la Chambre de commerce de Lyon37. Elle
considère que la totalité des commerçants n'en a pas
besoin, et que seule une partie des industriels en aura l'usage. Elle rappelle
les principes auxquels elle est attachée: ce sont les chambres
syndicales patronales qui ont doivent organiser l'apprentissage à leurs
frais. La Chambre de commerce peut une fois que les « Chambre des
métiers » sont organisées par ces derniers, leur accorder
une subvention. Il est possible de mettre en place un système
d'après ces principes sans modifier la législation. Le seul
inconvénient du système tel qu'il est alors praticable, c'est que
les membres du syndicat restent les seuls à subvenir, par leurs
cotisations syndicales, au fonctionnement des « Chambres des
métiers ». Les conditions d'application des principes en vigueur
devraient donc être réglementés pour supprimer ce
dysfonctionnement. La loi que la Chambre de commerce attend aurait pour unique
fonction de faire payer l'intégralité des patrons d'une
même branche, et non les membres du syndicat seulement; la taxe serait
obligatoire pour les seuls industriels, et variable selon les branches. La
Chambre de commerce serait chargée de contrôler l'application de
cette loi.
34. Bulletin mensuel de la Chambre syndicale des industries
métallurgiques, n° 8, août 1924, 6ème
année, page 150, intervention de la Confédération
générale de l'artisanat français [ADR 9M30].
35. Projet de l'article 18 de la loi de finances de 1925.
36. Séance du 22 janvier 1925; lettre aux
sénateurs du 2 avril 1925 [ACCL CR 1923-1925, Compte-rendu des travaux
de l'année 1925, pages 409-422].
37. Lettre du 20janvier 1925 de la Chambre de commerce à
M. Nicolle, député du Nord [ACCL CR 1923-1925, Compterendu des
travaux de l'année 1924, pages 435-437].
1.3 Les Chambres de métiers prévues par la
loi du 27 juillet 1925
La loi instituant les Chambres de métiers est
votée le 27 juillet 1925. Elle n'est pas applicable tout de suite: un
règlement d'administration publique doit déterminer les
conditions de son application, et préciser les nombreux points qu'elle
laisse dans l'ombre.
La loi définit le rôle des Chambres de
métiers. « Les Chambres de métiers sont, auprès des
pouvoirs publics, les organes des intérêts professionnels et
économiques des artisans, maîtres et compagnons, de leur
circonscription» (article 1er) Elles ont pour
attribution de sauvegarder les intérêts professionnels et
économiques des métiers. Leur avis devra être
demandé pour toutes les questions touchant ces intérêts.
Elles ont aussi pour attribution de participer à l'organisation de
l'apprentissage dans des conditions qui seront fixées par une loi
spéciale. Le projet Courtier a été largement
modifié. Les pouvoirs des Chambres de métiers en matière
d'apprentissage ont été considérablement réduits.
Sa version primitive conférait expressément aux Chambres de
métiers le droit de surveiller l'apprentissage des métiers de
l'artisanat. Pour L'Artisan du sud-est, leur journal, les modifications qui ont
été ainsi apportées entre 1924 et 1925 sont un
véritable sabotage38. Les attributions de la Chambre de
métiers qui va pouvoir s'installer dans le Rhône vont donc
être, dans le temps qui précédera le vote d'une loi sur
l'apprentissage, sensiblement les mêmes que celles des syndicats. Seule
l'origine de leur représentativité et leur poids moral vont les
séparer dans un premier temps.
L'artisan était déjà défini par la
loi sur l'artisan fiscal de 1923 comme un travailleur qui se livre
principalement à la vente du produit de son propre travail. La loi de
1925 reprend ces caractéristiques en les précisant: l'artisan
maître exerce un métier manuel; il prend lui-même part au
travail; il ne se trouve sous la direction d'aucun patron. Elle définit
l'artisan d'une manière plus large que la loi sur l'artisan fiscal de
192339. Celle-ci ne prenait en considération que les artisans
n'employant pas plus d'un compagnon et d'un apprenti en plus des membres de
leur famille. La loi de 1925 ne donne pas de limitation du nombre
d'employés. Cette différence de définition va peser sur la
constitution de l'artisanat. L'Artisan du sud-est est constamment obligé
de reproduire le même article rappelant les différences
d'acceptions du mot « artisan ». Les Chambres de métiers vont
regrouper les petits artisans fiscaux, et les moyens ou gros artisans qui ne
bénéficient d'aucun régime fiscal particulier. La porte
des revendications fiscales est ouverte.
La loi ne donne que les principes généraux
d'organisation des Chambres de métiers. Les Chambres de métiers
sont des établissements publics. Chacune d'elle est instituée par
décret. Le nombre total des membres élus de la chambre de
métiers ne peut être inférieur à 18, ni
excéder 36, sauf à Paris où il pourra s'élever
à 72. Seule la composition relative des Chambres de métiers
prévues est précisée. Elles ne seront ni paritaires ni
tripartites: elles seront composées de deux tiers
d'artisans-maîtres et un tiers d'artisans-compagnons (art 3). Sont tout
de même présents à titre consultatif: un
représentant du Comité départemental de l'enseignement
technique, l'inspecteur départemental de l'enseignement technique et un
inspecteur départemental du travail
38. [BMLPDR F383, numéro dejuillet-août 1931]
39. Loi de finances du 30juin 1923, article 10.
(art 7).
La forme précise que prendra chaque Chambre de
métiers doit presque entièrement être
déterminée par le décret d'institution. Celui-ci est
chargé de déterminer les catégories dans lesquelles sont
répartis les métiers de la circonscription, et de fixer, pour
chaque catégorie, le nombre des représentants à
élire. L'identité des « organisations
intéressées de la circonscription de chaque chambre de
métiers » qui seront chargées de donner leur avis pour fixer
le contenu du décret, et dont il est prévisible que le poids sera
déterminant, est laissée dans l'ombre par le texte de loi.
Les membres des chambres de métiers sont élus
pour six ans; ils sont indéfiniment rééligibles; le
renouvellement a lieu par moitié tous les trois ans. Les fonctions de
membres des chambres de métiers sont gratuites. Cependant, pourront
être prévus l'attribution de jetons de présence et le
remboursement des frais de déplacement.
Les listes électorales sont tenues par les mairies. Les
conditions à remplir pour être électeur ou éligible
à la chambre de métiers sont les mêmes que celles
exigées pour être électeur ou éligible aux conseils
de prud'hommes. Toutefois pourront être électeurs maîtres
les maîtres-artisans travaillant sans compagnon, et, pour être
éligibles les artisans devront, s'ils exercent actuellement le
métier, l'avoir exercé effectivement pendant au moins cinq
années, et, s'ils ne l'exercent plus, l'avoir exercé pendant
quinze ans au moins. Les maîtres-artisans inscrits actuellement sur la
liste des électeurs à la chambre de commerce sont obligatoirement
inscrits sur la liste électorale de la chambre de métiers. Tout
maître-artisan inscrit sur cette dernière liste peut
également réclamer son inscription sur la liste des
électeurs à la chambre de commerce.
Tous les électeurs ne participent pas au financement de
la Chambre de métiers. Il est pourvu aux dépenses des chambres de
métiers au moyen d'une imposition additionnelle au principal de la
contribution des patentes, acquitté par les artisans-maîtres
ressortissant à la chambre de métiers. Les compagnons et les
«petits » artisans fiscaux, qui ne sont pas patentables, ne paient
donc aucune taxe pour frais de Chambre de métiers. Les membres artisans
maîtres seuls ont voix délibérative pour fixer la
quotité de cette taxe. L'état matriciel des assujettis à
ces taxes est établi par chaque chambre de métiers dans sa
circonscription et il est fourni par elle aux directions départementales
des contributions directes. Les chambres de métiers peuvent recevoir en
outre des subventions de l'État, des départements, des communes,
des chambres de commerce et autres établissements publics et des
associations professionnelles; elles peuvent aussi recevoir des dons et legs,
et contracter des emprunts.
La bonne tenue des élections et des séances est
ce qui est prévu avec le plus de précisions par la loi: la
conformité du fonctionnement de ces établissements publics aux
règles démocratiques de la République doit être
assurée. Les lois pour les élections des prud'hommes, les
élections consulaires et les élections municipales servent de
référence à la description du déroulement des
élections pour les Chambres de métiers. La forme que doit prendre
le bureau de chaque Chambre de métiers est précisée: il
doit être composé d'un président, d'un
vice-président, d'un trésorier et d'un ou plusieurs
secrétaires, nommés parmi les membres de la chambre. Le bureau
est renouvelé après les élections triennales; les membres
sortants sont rééligibles.
La loi a plus ou moins prévu que la répartition
géographique des membres ne sera pas homogène, et ne permettra
pas une couverture complète du département. Pour assurer un
fonctionnement optimal des Chambres de métiers, un contact permanent
avec leurs ressortissants semble nécessaire. Les chambres de
métiers peuvent désigner, dans toute l'étendue de leur
circonscrip-
tion, des « membres correspondants » pris parmi les
inscrits de leurs listes électorales, et dont le nombre ne doit pas
dépasser celui de la moitié de la chambre elle-même. Les
membres correspondants assistent aux séances de la chambre avec voix
consultative.
Les chambres de métiers correspondent directement avec
le ministre du travail, le ministre de l'instruction publique
(sous-secrétaire d'État à l'enseignement technique) et le
ministre du commerce. Elles leur transmettent chaque année le
compte-rendu de leurs travaux. Elles sont autorisées à publier le
compte-rendu de leurs séances.
Les chambres de métiers correspondent directement entre
elles et avec les administrations publiques de leurs circonscriptions pour les
questions relatives aux intérêts des métiers. Elles peuvent
se concerter entre elles en vue de poursuivre l'étude et la
réalisation, dans la limite de leurs attributions, de projets à
frais communs. Elles ont la faculté de provoquer, par l'entremise de
leurs présidents, une entente sur les objets rentrant dans leurs
attributions. A cet effet, les présidents des chambres de métiers
ou leurs délégués se réunissent au moins une fois
par an à Paris, en une assemblée générale qui
élit son bureau. Le bureau permanent de l'assemblée des
présidents de chambres de métiers (APCM) a son siège
à Paris.
1.4 Le sort des « Conseils de métiers »
et des « Chambres des métiers »
Assez paradoxalement, le dynamisme des artisans du Rhône
les dessert plutôt, puisque ces «Conseils de métiers »,
même fédérés en une Chambre de métiers,
n'auront plus lieu d'être après le vote de la loi et la mise en
place d'une Chambre de métiers départementale dans le
Rhône. Pour les organisations artisanales commence l'attente de
l'installation de cette chambre.
La loi Courtier ne concerne pas, par contre, les
«Chambres des métiers » de la Chambre de commerce et des
syndicats patronaux industriels. Leur établissement est, d'une certaine
manière, un échec puisqu'elles n'ont pas servi de modèle
pour la législation. Il est aussi une avancée pour
l'apprentissage industriel, qui commence ainsi à être
organisé. Les « Chambres des métiers»
créées par la Chambre de commerce du Rhône de
manière défensive peuvent continuer leur existence soutenue par
les syndicats patronaux et la Chambre de commerce. La loi sur les chambres des
métiers artisanales n'a imposé qu'un changement de
dénomination aux « Chambres des métiers » des syndicats
patronaux et de la Chambre de commerce: la « Chambre des métiers de
la soie » devient la « Chambre d'apprentissage des métiers de
la soie » 40, par exemple.
Le modèle proposé par la Chambre de commerce
n'est pas abandonné tout de suite. Une nouvelle chambre est même
créée à l'automne 1925: la « Chambre d'apprentissage
des industries du bâtiment, des travaux publics et des industries
connexes » 41 . Contrairement aux Chambres de métiers artisanales
prévues par la loi Courtier, c'est une organisation apparemment
paritaire. Son conseil d'administration est composé de 12 patrons d'une
part, et 6 ouvriers et 6 ingénieurs ou contremaîtres d'autre part.
Les patrons bénéficient tout de même de la majorité
absolue grâce
40. [ADR 9M30]
41. Elle est créée le 17 novembre 1925 [ADR
9M30].
à la présence du membre de la Chambre de
commerce qui s'y rajoute. Mais surtout, la commission administrative qui
régit cette chambre d'apprentissage est composée des seuls
représentants patronaux.
La loi instituant la taxe d'apprentissage42 a eu
des conséquences plus lourdes sur les rapports de la Chambre de commerce
avec ses « Chambres d'apprentissage ». La Chambre de commerce se
prépare dès le vote de cette loi à ne plus accorder de
subventions aux « Chambres des métiers ». Ce serait maintenir
une double imposition dans le même but. Elle souhaite néanmoins
maintenir le contact43. Les subventions promises à la «
Chambre des métiers de la soie » devenue « Chambre
d'apprentissage des métiers de la soie » n'ont jamais
été accordées, «par suite de l'institution de la taxe
d'apprentissage »44.
La conséquence de cette suppression des subventions,
c'est la dégradation des rapports entre la Chambre de commerce et les
Chambres d'apprentissage des industriels. La « Chambre d'apprentissage des
industries du bâtiment, des travaux publics et des industries connexes
» se détache rapidement de la Chambre de commerce: entre 1925 et
1928, des modifications sont apportées à ses statuts, qui
éliminent la présence d'un membre de la Chambre de commerce au
conseil d'administration45. Ces chambres d'apprentissage continuent
d'être financées par les syndicats qui les ont
créées. En 1928, la « Chambre d'apprentissage des
métiers de la soie » tire ses ressources de subventions des
industriels, en particulier du Syndicat des fabricants de soieries. Elles
cherchent aussi à bénéficier de la redistribution des
taxes d'apprentissage 46, mais c'est une autre
histoire.
42. Loi du 13 juillet 1925, article 25.
43. Séance du 18 août 1925 de la Commission
supérieure de l'apprentissage et de l'enseignement technique [ACCL CR
1923-1 925, Année 1925, page 426].
44. [ADR 9M30, lettre du 27 juin 1928 du directeur de
l'École de la Martinière au ministère de l'instruction
publique (direction de l'enseignement technique)]
45. [ADR 9M30] 46. [ADR 9M30]
2 La création de la Chambre de métiers
du
Rhône (1925-1933)
2.1 Une première tentative avortée
Une fois que la loi sur les chambres des métiers a
été promulguée commence pour les artisans la
période d'attente de la création d'une Chambre de métiers
dans le Rhône, conformément à la législation. La
Chambre de métiers doit être créée par l'État
selon les procédures légales que le décret d'application
doit préciser. Les « Conseils de métiers »
créés par les organisations artisanales ne peuvent
prétendre à l'appellation « Chambre de métiers »
ni aux avantages qui lui sont liés, notamment en ce qui concerne les
relations avec l'administration et l'enseignement technique.
L'intérêt de la création d'une telle Chambre est
évident pour les artisans.
Les artisans essaient de forcer l'application de la loi. Entre
1923 et 1925, les « Conseils de métiers» créés
par la Fédération des artisans du sud-est se sont
fédérés en une Chambre de métiers. Sans être
totalement conforme au modèle prévu par la loi sur les Chambres
de métiers, elle est conçue par ses membres comme une Chambre de
métiers «pré-légale ». Elle reste très
proche de la Fédération des artisans du sud-est, puisqu'elle
partage les mêmes locaux. Dès l'automne 1925, elle demande la
constitution des listes électorales nécessaires à la
création de la Chambre 1 . L'initiative ne peut être
prise par aucune organisation artisanale: la première liste
électorale doit être établie par le maire de chaque commune
assisté d'un artisan maître et d'un artisan compagnon
désignés par le conseil municipal2. Dans cette
demande, la Chambre de métiers «pré-légale»
néglige cependant de rappeler que « les organisations
intéressées » doivent être consultées. La loi
est très vague sur l'identité de ces organisations: les artisans
estiment visiblement que l'avis des seules organisations artisanales
intéressées par cette création suffit.
Cet empressement des artisans est bien inutile. Leur
initiative est repoussée. Il faut attendre le décret
d'application de la loi pour que les premières démarches puissent
être entreprises3. Ce règlement d'administration
publique est pris le 14 avril 19284.
1. Lettre au préfet de la « Chambre de
métiers de Lyon et du Rhône » du 14 novembre 1925 [ADR
9M30].
2. Articles 2 à 6 de la loi du 27juillet 1925.
3. Réponse du préfet à la Chambre de
métiers du 21 novembre 1925 [ADR 9M30].
4. [JO, 17 avril 1928]
2.2 La création de la Chambre de métiers
du Rhône
2.2.1 La démarche à suivre
Le décret d'application précise
l'identité des « organisations intéressées »
dont l'avis doit être demandé pour la fixation de la forme de
chaque Chambre de métiers créée. En plus des
catégories et du nombre de membres, elles devront définir
l'étendue de la circonscription de la Chambre de métiers
projetée. La liste de ces organisations est fort longue: «Les
Chambres de métiers sont instituées après avis des
chambres de commerce, des chambres consultatives des arts et manufactures et du
conseil général du département, du conseil municipal de la
commune désignée pour être le siège de la chambre,
ainsi que du comité départemental de l'enseignement technique, du
comité régional des arts appliqués et des organisations
professionnelles intéressées » (art. 1 er).
Il est donc à prévoir que l'installation d'une Chambre de
métiers sera un travail de longue haleine.
Le décret précise la manière dont toutes
ces organisations devront procéder pour donner leur avis. Elles devront
tenir compte « du nombre des électeurs, de l'importance
économique et sociale des métiers dans la région et de
leur caractère artistique » (art. 2). Ces critères ne
donnent pas de précisions sur ce qu'il faut entendre, sinon par artisan,
du moins par métier artisanal. L'existence d'une distinction entre
métiers artisanaux et métiers non artisanaux reste cependant
toujours sous-entendue, de manière floue. Ce que le décret
cherche visiblement à éviter, c'est que la construction de la
Chambre de métiers repose uniquement sur la vigueur des structures
syndicales et la résultante de leurs rapports de concurrence.
L'utilisation des critères qu'il propose nécessiterait un
recensement des artisans. Celui-ci est-il pourtant réalisable avant la
définition des catégories et de la circonscription de la chambre?
Les renseignements que pourront fournir les syndicats vont rester dans la
pratique les seuls utilisables.
Dès la parution du décret, l'installation de la
Chambre de métiers est prévue par la Fédération des
artisans du sud-est: en juin 1928, dans son journal L'Artisan du sud- est,
déjà sous-titré organe officiel des Chambres de
métiers5, elle donne une image de sa composition,
présentée comme un fait acquis. Elle prévoit
déjà 36 membres patrons et 12 membres compagnons, avec autant de
suppléants que de membres, tous élus, auxquels viendrait se raj
outer 6 membres experts désignés par cooptation. L'existence de
tels membres experts n'est pas prévue par la loi. Leur création
est-elle le moyen trouvé par la Fédération des artisans du
sud-est pour faire une place aux représentants des syndicats? Elle donne
aussi une liste des métiers et leur répartition en 6
catégories: ameublement et bois; bâtiment; livres et arts
graphiques; mode, vêtements, cuirs et peaux; métallurgie; textile
et tissage. Les métiers de l'alimentation sont exclus. La
Fédération des artisans du sud-est se réserve un
rôle clé dans toutes les procédures d'inscription sur les
listes électorales, et de postulation à la candidature. Elle
prévoit d'être le moteur de la future Chambre de métiers,
et prévoit surtout une installation très prochaine.
Ce projet reste un voeu pieu: la Chambre de métiers ne
peut être créée aussi rapidement. Il n'est d'ailleurs plus
question du projet pendant un an. Puis un long article de L'Artisan du sud-est
récapitule en août 1929 les caractéristiques des Chambres
de métiers prévues par la loi: buts de l'organisation,
définition de l'artisan, modalités de fonctionnement et moyens
d'action6.
5. L'Artisan du sud-est, numéro dejuin 1928
[BMLPDR F383].
L'action pour la création d'une Chambre de
métiers semble être relancée à ce moment.
Les conditions ont un peu changé: les métiers de
l'alimentation, plus puissants, mieux organisés, viennent d'être
officiellement intégrés à l'artisanat. Le ministre du
travail a reconnu les métiers de l'alimentation comme des métiers
artisanaux en juin 19297. Ils se joignent à la
Fédération des artisans du sud-est pour réclamer
l'institution d'une Chambre de métiers. Si aucun syndicat de la
Fédération des artisans du sud-est n'est apparenté aux
métiers de l'alimentation, et si l'intégration des métiers
de l'alimentation n'avait pas été prévue en juin 1928,
leur intégration est saluée comme une victoire par la
Fédération des artisans du sud-est8.
2.2.2 La pétition de janvier 1930
Fin 1929, la Fédération des artisans du sud-est
s'entend avec quatre syndicats des métiers de l'alimentation pour
demander la création d'une Chambre de métiers dans le
Rhône. Une pétition est déposée à cet effet
à la préfecture le 3 janvier 19309. En tout, 24
syndicats ont signé la pétition. Ils représentent 3 675
artisans10, dont les deux cinquièmes appartiennent aux
syndicats des métiers de l'alimentation. Le poids numérique de
ces derniers se repère dans la force même de leurs syndicats: ils
comptent en moyenne 400 membres environ, alors que les syndicats de la
Fédération des artisans du sud-est en comptent une centaine en
moyenne. Le seul syndicat de la Fédération des artisans du
sud-est dont le poids se rapproche de celui des métiers de
l'alimentation est celui des coiffeurs (600 membres). Les syndicats des
métiers de l'alimentation signataires sont les syndicats patronaux des
bouchers, des boulangers, des pâtissiers confiseurs et des tripiers. Ils
ne sont pas composés exclusivement d'artisans. Certains de leur membres
sont patrons d'entreprises trop grosses pour être
considérés ainsi.
Les syndicats de la Fédération des artisans du
sud-est se répartissent entre des professions très
diversifiées. On retrouve les syndicats créateurs des premiers
« Conseils de métiers »: les maréchaux ferrants de
Lyon, appuyés par trois autres syndicats de maréchaux
répartis dans le département; les charrons; les artisans de
l'habillement: guimpiers, tisseurs et tailleurs; les photographes; les
bourreliers selliers; les tapissiers. Les ébénistes et tourneurs,
qui avaient créé leur « Conseil de métiers »,
n'apparaissent pas parmi les pétitionnaires. Par contre des syndicats
n'ayant semble-t-il créé aucun « Conseil de métiers
» signent la pétition: trois syndicats de cordonniers; le groupe du
bâtiment; les maîtres coiffeurs; les blanchisseurs. Quelques
groupes font une apparition furtive: les artisans de Villefranche signent la
pétition et dissolvent leur syndicat fin 1929 11;
les relieurs et les horlogers rhabilleurs disparaissent très
rapidement des
6. L 'Artisan du sud-est, numéro d'août
1929; article «Les Chambres de métiers » [BMLPDR F383].
7. Circulaire du ministère du travail du 1er
juin 1929 puis circulaire du 15 janvier 1930.
8. L'Artisan du sud-est, numéros dejuin
etjuillet 1929 [BMLPDR F383].
9. Le décret du 18 mai 1933 portant création d'une
Chambre de métiers dans le Rhône rappelle la date de ce
dépôt.
10. D'après les renseignements pris par la
préfecture [ADR 9M30]. Ce compte reste approximatif car la
préfecture, en multipliant les comptes du nombre d'adhérents de
chaque syndicat, trouve toujours des résultats différents. Les
résultats présentés ici sont ceux de la liste la plus
complète; cette liste n'est pas datée, mais elle est certainement
la plus ancienne. Voir tableau 2.1 page suivante.
11. On apprend cette dissolution lors de l'enquête de
la préfecture commencée le 5 novembre 1930 [ADR 9M3 0].
TABLEAU 2.1 -: Les syndicatspétitionnaires
début 1930 et leurs adhérents
catégorie a
|
Nom
|
Adhérents
|
1
|
bouchers
|
570
|
1
|
boulangers
|
700
|
1
|
pâtissiers confiseurs
|
225
|
1
|
syndicat de la triperie lyonnaise
|
80
|
2
|
bâtiment
|
140
|
3
|
charrons de Tarare
|
15
|
3
|
charrons du lyonnais
|
150
|
3
|
tapissiers
|
40
|
4
|
artisans horlogers rhabilleurs
|
|
4
|
maréchaux de Tarare
|
52
|
4
|
maréchaux du Bois d'Oingt
|
15
|
4
|
maréchaux et charrons de Belleville
|
50
|
4
|
maréchaux ferrants de Lyon
|
45
|
5
|
blanchisseurs du lyonnais
|
206
|
5
|
guimpiers
|
80
|
5
|
tailleurs
|
27
|
5
|
tisseurs
|
200
|
6
|
artisans relieurs
|
|
6
|
bourreliers selliers
|
40
|
6
|
coiffeurs
|
600
|
6
|
cordonniers de Belleville
|
20
|
6
|
cordonniers de l'Arbresle
|
150
|
6
|
cordonniers de Lyon
|
70
|
6
|
photographes
|
70
|
x
|
artisans de Villefranche
|
40
|
a Sources: [ADR 9M30]. Les syndicats sont classés
par métiers, en fonction des catégories utilisées pour la
Chambre de métiers dès le recensement de 1932.
pétitionnaires 12.
2.2.3 Recueillir les avis favorables nécessaires
L'avis de tous les organismes à consulter n'est pas
demandé au même moment. La priorité revient au Conseil
municipal, au Conseil général et à la Chambre de commerce.
Dès réception de la pétition, il est prévu de
demander leur avis 13.
La préfecture prépare rapidement les dossiers de
documentation pour ces institutions. Elle s'informe sur les syndicats
signataires (nom des présidents et nombre d'adhérents). Assez
paradoxalement, la Fédération des artisans du sud-est tarde
à donner ces renseignements 14 , peut-être est-ce ce
qui force la préfecture à demander les mêmes renseignements
au « Commissaire spécial près la préfecture »
qui répond beaucoup plus vite15.
Le Conseil général est le premier à
répondre. Il dispose, comme appui à sa décision, de la
liste des « 22 syndicats patronaux pétitionnaires » (les
relieurs et les horlogers-rhabilleurs se sont déjà
retirés), assortie de leur nombre d'adhérents. Il disposait aussi
d'une nomenclature des professions qui s'exercent généralement
sous la forme artisanale, de renseignements concernant la création des
Chambres de métiers de Haute- Marne et de Seine-Inférieure, et
d'un recensement des artisans par catégories professionnelles dans le
Rhône 16. Il donne un avis favorable à la
création d'une Chambre de métiers dans le Rhône, mais se
décharge sur le Comité départemental de l'enseignement
technique de la tâche de formuler des avis sur la répartition des
métiers en catégories et l'étendue de la circonscription
territoriale17.
Deux ans sont nécessaires pour récolter tous les
avis favorables nécessaires. Le Conseil général du
Rhône est le premier à répondre, le 30 avril 1930; la
Chambre de commerce de Lyon suit le 5 juin 1930, puis le Conseil municipal de
la ville de Lyon le 30juin 1930 18. Les autres organismes
sont contactés plus tard. Ils répondent à leur tour
favorablement. Le Comité régional des arts appliqués de
Lyon donne son avis favorable le 13 janvier 1931 et le Comité
départemental de l'enseignement technique le 2 décembre 1931
19. Si le Comité départemental de
l'enseignement technique est l'un des derniers à répondre, c'est
semble-t-il que le Conseil général n'est pas le seul à
s'être déchargé sur lui de la mission d'émettre un
avis précis sur la forme que doit prendre la Chambre de métiers.
Il s'avère encore nécessaire par la suite de demander l'avis des
Chambres de commerce de Tarare et de Villefranche, qui répondent au
courant de l'année 193220. C'est au
12. Ils ne sont plus cités dans la liste
présentée au Conseil général en avril 1930 [ADR
9M30].
13. Note interne de la préfecture du 6janvier 1930
déjà citée [ADR 9M30].
14. Lettre du 12 mars 1930 où la Fédération
des artisans du sud-est s'excuse du retard apporté à sa
réponse [ADR 9M30].
15. La préfecture demande les renseignements le 19 mars
1930, les obtient le 22 mars 1930 [ADR 9M30].
16. Il ne reste de ces documents que la « nomenclature des
pièces jointes » lors de la délibération du Conseil
général [ADR 9M30].
17. Extrait du procès-verbal de la séance du 30
avril 1930 du Conseil général [ADR 9M30].
18. [AML BMO, Conseil municipal du 30juin 1930]
19. Le décret du 18 mai 1933 portant création
d'une Chambre de métiers dans le Rhône rappelle ces dates. 20.
Lettres des 18 novembre et 14 décembre 1932 du préfet au sous
préfet de Villefranche [ADR 9M30].
cours de cette collection d'avis que la forme de la Chambre de
métiers à créer est fixée. La longue
hésitation entre l'intégration et l'exclusion des métiers
de l'alimentation est le phénomène le plus marquant de cette
période. Les discussions sur les liens à construire entre la
Chambre de métiers et le syndicalisme disparaissent rapidement.
2.2.4 La Fédération des artisans du sud-est
se défend contre le Comité départemental de l'enseignement
technique
Le Comité départemental de l'enseignement
technique du Rhône a obtenu délégation du Conseil
général pour discuter de la forme que devra prendre la Chambre de
métiers. L'importance de son rôle concepteur a été
comprise par les organisations artisanales. Le syndicat des guimpiers de la
Fédération des artisans du sud-est s'adresse directement au
directeur de celui-ci pour justifier la création d'une Chambre de
métiers dans le Rhône et donner son avis sur la forme que celle-ci
devrait prendre21. Le maintien de liens organiques entre les
syndicats et la Chambre de métiers est l'une des préoccupations
majeures de ce syndicat: il propose (avec une grande prudence oratoire) que la
Chambre de métiers comprenne «une représentation similaire
à celle de la prud'homie, ses membres étant éligibles
d'après les mêmes conditions et désignés par les
chambres syndicales constituées d'après le régime de la
loi de 1884. Soit un délégué titulaire et un
délégué suppléant pour chaque corporation
d'artisans ». La similitude avec les élections prud'homales
prévue par la loi de 1925 ne concernait pourtant que les conditions pour
être électeur ou éligible. Le régime des
élections était clairement rattaché au modèle des
élections municipales. Le rôle des syndicats dans la
désignation des candidats n'était par contre pas
précisé.
Les relations entre le Comité départemental de
l'enseignement technique et les syndicats artisanaux semblent toujours aussi
bonnes. Il se montre favorable au maintien de liens étroits entre la
Chambre de métiers et le syndicalisme. Il donne un premier avis fin
octobre 193022, dans lequel il reprend les revendications du
syndicat des guimpiers concernant le rattachement de la Chambre de
métiers aux syndicats: «la création en projet doit reposer
sur des groupements vivants, dont chaque membre électeur au conseil
d'administration devra justifier de son affiliation au syndicat par la preuve
qu'il cotise régulièrement et qu'il est bien artisan
conformément aux dispositions générales des lois touchant
à l'artisanat ».
Mais la période où les membres du Comité
départemental de l'enseignement technique soutenaient pleinement les
« Conseils de métiers» est révolue. Il n'adhère
plus entièrement aux positions des artisans de la
Fédération des artisans du sud-est Il entre même en conflit
avec ceuxci sur deux points: l'intégration des métiers de
l'alimentation et l'extension de la définition du maître artisan.
Ce conflit est assez grave pour les artisans, car la préfecture se
montre visiblement plus proche du Comité départemental de
l'enseignement technique que des organisations artisanales. L'arbitrage de la
situation par celui-ci peut donc jouer contre la Fédération des
artisans du sud-est.
21. Deux copies de la lettre du syndicat du 25 mai 1930 sont
adressées au président du Comité départemental de
l'enseignement technique [ADR 9M30].
22. Rapport de M. Besse pour avis du Comité
départemental de l'enseignement technique sur la création d'une
Chambre de métiers, 25 octobre 1930 [ADR 9M30].
Les métiers de l'alimentation ont été
intégrés à l'artisanat par le ministre du travail
dès juin 192923. Le Comité départemental de
l'enseignement technique cherche pourtant encore à exclure les artisans
commerçants de l'alimentation, et la préfecture n'est pas loin de
suivre la même politique. Les groupements visés par les mesures
d'exclusion du Comité départemental de l'enseignement technique
sont ceux des bouchers, tripiers, boulangers et pâtissiers confiseurs,
signataires de la pétition, désireux de faire partie de la
Chambre de métiers. Il justifie sa décision par conformité
à « la liste officielle dressée par le ministère du
travail », dont il ne donne pas les références. Il refuse
visiblement de prendre en compte les directives les plus récentes du
ministre.
Le Rhône n'est pas le seul endroit ou
l'intégration des métiers de l'alimentation ait été
problématique. Ceux qui s'opposent à leur intégration
refusent de prendre en compte les nouvelles directives du ministère du
travail. A tel point que la Fédération artisanale de
l'alimentation renouvelle en juin 1930, lors du Congrès national de
l'Union des artisans français (UAF), sa demande aux municipalités
« de n'accepter, pour les listes électorales, que la liste
complète des professions admises » comprenant les métiers de
l'alimentation24.
La préfecture elle-même hésite longtemps
à intégrer les métiers de l'alimentation. Elle avait
hésité à les rayer de la liste des groupements
pétitionnaires lorsqu'elle cherchait à se renseigner sur ceux-ci
au printemps25. Elle avait envisagé non seulement d'exclure
les artisans- commerçants de l'alimentation (bouchers, tripiers,
boulangers et pâtissiers-confiseurs), mais aussi considéré
que certains groupes ne peuvent être intégrés que de
manière restreinte (bâtiment, blanchisseurs, coiffeurs,
photographes)26. Elle s'était finalement ravisée et
s'était renseignés sur tous. L'hésitation subsiste encore
dans toutes les listes qu'elle établit pour son usage
interne27.
Cette exclusion va à l'opposé des attentes des
pétitionnaires. L'entente entre les artisans de l'alimentation et les
artisans de la Fédération des artisans du sud-est ne se limite
pas, dans le Rhône, à la signature d'une pétition commune:
depuis l'été 1929 les liens se sont resserrés entre les
deux groupes, à tel point que le journal de la Fédération
des artisans du sud-est annonce la « grande réunion de propagande
en faveur des artisans de l'alimentation» à grands renforts
publicitaires dans son numéro d'avril 193028.
Le Comité départemental de l'enseignement
technique ne s'oppose pas uniquement sur ce point avec les
pétitionnaires. Au même moment, il donne de l'artisan une
définition qui ne correspond pas à celle de la loi de 1925. Il
utilise les termes de la loi sur l'artisan fiscal de 1923 pour définir
l'artisan de la Chambre de métiers. L'accès à la Chambre
de métiers serait ainsi limitée au «petit artisan »,
selon la terminologie utilisée par la Fédération des
artisans du sud-est Celle-ci fait appel directement au ministre du travail pour
clarifier la définition de l'artisan. Il lui répond,
23. Voir 2.2.1 page 27.
24. L 'Artisan du sud-est, octobre 1930;
retranscription du procès-verbal des séances de ce congrès
natio-
nal [BMLPDR F383].
25. Note interne de la préfecture, demande de dossiers
sur les syndicats signataires, le 1er mars 1930 [ADR 9M30].
26. Note manuscrite, sans en-tête et non datée; les
indications de nombre d'adhérents qu'elle comporte indiquent qu'elle a
été rédigée entre le printemps 1930 et le printemps
1931 [ADR 9M30].
27. Ces listes ne sont jamais datées; elles accompagnent
chaque enquête de la préfecture sur les syndicats
pétitionnaires [ADR 9M30].
28. L'Artisan du sud-est, avril 1930 [BMLPDR F383].
le 4 décembre 193029, en
répétant les termes de la loi, précisés à
l'aide de la circulaire du 17 juillet 1928. La limitation par le nombre n'est
pas explicite dans la loi: c'est la participation effective aux travaux de son
entreprise qui justifie son appartenance à l'artisanat. «Le nombre
des collaborateurs n'est donc qu'un des éléments
d'appréciation de la qualité d'artisans; il ne saurait d'ailleurs
être fixé de façon uniforme pour tous les corps de
métiers et toutes les exploitations.»
La Fédération des artisans du sud-est obtient
ainsi la confirmation de son point de vue sur les Chambres de métiers:
celles-ci intègrent non seulement le «petit artisan» et le
«moyen artisan », elles intègrent aussi le «grand artisan
» 30 . Le «petit artisan », c'est celui qui est défini
par la loi sur l'artisan fiscal de 1923; il bénéficie d'un
régime fiscal spécial qui l'assimile aux salariés. Le
«moyen» et le « grand artisan » ne
bénéficient pas de ces exonérations fiscales. La
Fédération des artisans du sud-est distingue ces deux
catégories en fonction du nombre d'employés: le « moyen
artisan » n'emploie pas plus de cinq compagnons ou apprentis, alors que le
«grand artisan » en emploie plus, mais assure lui même la
direction technique et commerciale de son entreprise. La définition de
l'artisan n'échappe donc pas totalement au comptage du nombre
d'employés; mais la vérification du fonctionnement artisanal de
l'entreprise n'est prévue que pour les plus gros artisans. En fin de
compte, l'attitude du Comité départemental de l'enseignement
technique semble obéir à une logique assez simple: il faut
essayer de limiter le plus possible le nombre de ressortissants de la Chambre
de métiers. Doit-on y voir une influence de la Chambre de commerce, qui
maintenant qu'elle ne peut plus empêcher la sécession de
l'artisanat, cherche à atténuer ses effets?
2.2.5 Enquête auprès des syndicats
pétitionnaires
A la demande du Comité départemental de
l'enseignement technique, la préfecture entreprend à partir du 5
novembre 1930 une enquête auprès des syndicats qui
s'étaient montrés intéressés par la création
d'une Chambre de métiers l'année
précédente31. Elle demande à chacun d'eux de
donner son avis sur cette création, et de préciser le nombre
exact de maîtres artisans et de compagnons cotisants et de donner un
relevé sommaire des recettes et dépenses de l'exercice 1929. Les
réponses tardent à venir: la préfecture relance les
syndicats à plusieurs reprises32 , et l'enquête ne se
termine ainsi qu'au printemps 193133.
La circulaire du préfet insiste sur le risque
d'augmentation des charges que cette création pourrait entraîner.
Ce risque motive le refus de certains syndicats (celui des charrons de Tarare
en particulier). Les syndicats de la Fédération des artisans du
sud-est réagissent de manière unanime à cette insistance:
ils envoient tous un exemplaire d'une lettre pré-imprimée
rappelant qu'il ne saurait être question d'augmentation des charges, si
l'on observe les spécifications du décret de
29. L 'Artisan du sud-est, novembre-décembre
1930; retranscription de la lettre du ministre du travail [BMLPDR F3 83].
30. L 'Artisan du sud-est, août 1929, article
« Les Chambres de métiers » et encart « Qu'est-ce qu'un
artisan?» [BMLPDR F383].
31. Circulaire du 5 novembre 1930 [ADR 9M30].
32. Relance des syndicats par la préfecture le 27
novembre 1930, le 9 décembre 1930, et le 18 mars 1931. Les
réponses des syndicats sont incluses dans le même dossier [ADR
9M30].
33. Réponses favorables des syndicats interrogés:
voir tableau 2.2 page suivante.
TABLEAU 2.2 -: Les syndicatsfavorables à
l'installation d'une Chambre de métiers début 1931 et leurs
adhérents
Catégoriea
|
Profession
|
Nombre d'adhérents
|
1 alimentation
|
tripiers
|
80
|
2 bâtiment
|
bâtiment
|
215
|
3 ameublement et bois
|
charrons
|
163
|
3 ameublement et bois
|
tapissiers
|
38
|
4 métallurgie
|
maréchaux de Belleville
|
48
|
4 métallurgie
|
maréchaux de Lyon
|
28
|
4 métallurgie
|
maréchaux de Tarare
|
18
|
4 métallurgie
|
maréchaux du Bois d'Oingt
|
25
|
5 vêtements et textiles
|
guimpiers
|
117
|
5 vêtements et textiles
|
tisseurs
|
203
|
6 travail d'art et soins personnels
|
coiffeurs
|
560
|
6 travail d'art et soins personnels
|
cordonniers de l'Arbresle
|
137
|
6 travail d'art et soins personnels
|
cordonniers de Lyon
|
97
|
6 travail d'art et soins personnels
|
photographes
|
125
|
a Sources: [ADR 9M30]; Les syndicats sont
classés par métiers, en fonction des catégories
utilisées pour la Chambre de métiers dès le recensement de
1932.
1928 qui permettent le transfert des charges de la Chambre de
commerce vers la Chambre de métiers lors de l'inscription de ses
membres. Cette lettre rappelle aussi le rôle de la
Fédération des artisans du sud-est dans la demande de
création de la Chambre de métiers, les termes de la loi de 1925
et la définition des maîtres artisans. Cette enquête est
utilisée par la fédération comme un moyen de faire
pression sur le Comité départemental de l'enseignement technique
et de lui rappeler les termes de la loi: l'appel de celle-ci au ministre du
travail pour empêcher celui-là de limiter l'inscription à
la Chambre de métiers aux artisans fiscaux est presque contemporain de
cette enquête. Les réticences du Comité
départemental de l'enseignement technique à voir la
création d'une Chambre de métiers trop ouverte peuvent même
expliquer la formulation de la circulaire du préfet, avant tout faite
pour décourager les syndicats intéressés par cette
création. On est loin de l'enthousiasme du Comité
départemental de l'enseignement technique pour les «Conseils de
métiers ». C'est pourtant toujours M. Besse qui s'occupe de la
question.
Cette enquête n'a pas été faite avec un
souci d'exhaustivité. Seuls les syndicats pétitionnaires de
l'année précédente sont interrogés. Sauf erreur: le
syndicat des chausseurs de Lyon est contacté, par confusion avec le
syndicat des cordonniers de Lyon. Erreur d'un autre type: le syndicat des
charrons de Tarare, déjà inclus un moment par erreur dans la
liste des pétitionnaires par la préfecture, est à nouveau
contacté; il répète son opposition à la
création d'une Chambre de métiers. Il faut supposer que ce sont
les seules erreurs, et que les variations dans les dénominations des
groupes n'indiquent pas qu'il s'agit d'un groupe
différent34.
En conséquence tous les syndicats qui pourraient
être intéressés ne sont pas consultés. Ils ne se
manifestent pas sur le moment, mais l'un d'eux, en 1935, alors que la Chambre
de métiers s'est déjà installée depuis un an, la
chambre syndicale de l'ameublement de Lyon et de la région, se plaint de
n'avoirjamais été consulté au sujet de la création
de celle-ci35. De sorte qu'une partie seulement des syndicat
patronaux a été consultée. Aucun syndicat d'ouvriers ou de
compagnons n'est contacté, alors même que certains syndicats ne
comportant que des artisans maîtres donnent au préfet le nom et
l'adresse des syndicats ouvriers correspondant à leur profession.
Seuls les syndicats pétitionnaires de l'année
précédente sont interrogés. Pourtant, tous ne se montrent
pas favorables à la création d'une Chambre de métiers.
D'abord, tous ne répondent pas: les cordonniers de Belleville et les
tailleurs de Lyon ne donnent aucune réponse, et les artisans de
Villefranche annoncent que leur groupement est dissous depuis fin 1929.
Surtout, cinq d'entre eux ne se montrent pas formellement
intéressés par la Chambre de métiers. La préfecture
les classe tous, un peu vite sans doute, dans un dossier « réponses
négatives ».
On retrouve parmi ces cinq syndicats trois des quatre
syndicats d'artisans commerçants de l'alimentation. Leur retrait est en
grande partie dû aux efforts entrepris par le Comité
départemental de l'enseignement technique pour écarter les
artisans de l'alimentation de la Chambre de métiers. Le Syndicat de la
boucherie en gros de la ville de Lyon et l'Union syndicale des patrons
confiseurs de Lyon et de la région estiment qu'aucun de leurs
adhérents n'est considéré comme artisan. La position de la
chambre syndicale patronale de la boulangerie lyonnaise est plus
nuancée, et permet d'expliquer la position des autres
commerçants: la loi ne considère pas actuellement les
commerçants d'alimentation comme membres d'une profession artisanale, et
le syndicat, qui ne comporte aucun compagnon, n'a pas fait le compte de ses
adhérents qui pourraient éventuellement bénéficier
des avantages propres aux artisans; la grosse majorité des
«petits-patrons boulangers » pourraient pourtant prétendre au
« titre d'artisan »; ceux-ci seraient enregistrés comme
artisans «avec plaisir » par le syndicat si leur admission devait
avoir pour résultat l'exonération de charges fiscales.
L'exclusion des métiers de l'alimentation par le
Comité départemental de l'enseignement technique n'a par contre
pas touché les tripiers. Le quatrième syndicat de l'alimentation,
le Syndicat de la triperie lyonnaise, reste lui très favorable à
la Chambre de métiers. Il a d'ailleurs resserré les liens avec la
Fédération des artisans du sud-est: il envoie l'imprimé
conçu par celle-ci. Ce syndicat ne représente pas l'ensemble des
artisans tripiers lyonnais. La préfecture avait aussi contacté
l'Union de la triperie lyonnaise, qui finit refuser la création de la
Chambre de métiers. Dans un premier temps, elle avait pourtant
envisagé la participation de ses membres se considérant comme des
« commerçants- artisans» à celle-ci36.
De manière plus étonnante, on trouve parmi ceux
qui refusent le plus clairement la création d'une Chambre de
métiers des anciens syndicats de la Fédération des
artisans du sud-est: les
34. On considère ainsi, par exemple, que le «
syndicat des blanchisseurs du lyonnais » est le même que le «
syndicat des patrons blanchisseurs de Lyon et région ».
35. Extrait des délibérations du conseil
d'administration de la chambre syndicale de l'ameublement de Lyon et de la
région du 2 octobre 1935 [ADR 9M30].
36. Première réponse de l'Union de la triperie
lyonnaise le 30 novembre 1930, seconde réponse le 19 décembre
1930 [ADR 9M30].
blanchisseurs et les bourreliers selliers. Ils ne font plus
mention de leur appartenance à la fédération, et ne
motivent pas leur refus. Il ne reste ainsi plus que 14 syndicats visiblement
favorables à cette création. Tous sont membres de la
Fédération des artisans du sud-est ou en sont très
proches.
Les informations manquent sur l'usage qui a été
fait de cette enquête, et sur la suite des opérations concernant
la création d'une Chambre de métiers. Les avis des autres
institutions ayant été donnés avant la clôture de
l'enquête, le Comité départemental de l'enseignement
technique est le seul à l'avoir utilisé. Son avis une fois rendu,
le 2 décembre 1931, tous les avis nécessaires ont
été recueillis. Le dossier peut être envoyé au
Conseil d'État. Rien n'est pourtant fait en février 1932. La
Fédération des artisans du sud-est, à la veille de son
assemblée plénière de février 1932, relance la
préfecture à ce sujet: le secrétaire général
annonce sa visite au bureau compétent de la préfecture afin de
récolter des renseignements sur les suites données à la
demande de constitution de la Chambre de métiers37. L'avis
des Chambres de commerce de Villefranche et de Tarare manque encore. Le 11 mai
1932, le préfet invite ces Chambres à donner leur avis sur la
création d'une Chambre de métiers. Leur avis est
favorable38.
2.2.6 Le recensement des artisans
Enfin, lors de l'été 1932 a lieu le recensement
des artisans du Rhône qui auront le droit de vote pour les
élections d'installation de la Chambre de métiers39.
Il est effectué par les maires, assistés d'un artisan
maître et d'un compagnon. La tentative des syndicats de la
Fédération des artisans du sud-est de créer une Chambre de
métiers dont les membres seraient désignés par les
syndicats a échoué.
La classification des métiers de l'artisanat en six
catégories a déjà eu lieu à ce moment là:
alimentation; bâtiment; bois et ameublement; travail des métaux;
vêtements et tissus; cuirs et divers. Le modèle proposé par
la Fédération des artisans du sud-est en 1928 a été
peu transformé, mis à part la nouveauté que
représente l'intégration des métiers de l'alimentation.
Ils ont même droit à la première catégorie. Les
trois anciennes catégories livres et arts graphiques; mode,
vêtements, cuirs et peaux; et textiles et tissages ont été
redistribuées dans deux catégories: vêtements et tissus; et
cuirs et divers. Les métiers du textile ont été
regroupés. Les métiers d'art ont été
amalgamés à cet ensemble fourre-tout qui mêle les
métiers du cuir aux métiers de services directs aux personnes.
Les catégories sont les mêmes que celle des Chambres de
métiers de Saint-Étienne et de Roanne créées
simultanément en 1932 40 . Elles se distinguent par contre de
celles de la Chambre de métiers de la Côte d'Or
créée en 193041, qui distingue une catégorie
cuirs et peaux, et inclut les métiers de l'ameublement et du bois dans
une sixième catégorie
37. Courrier reçu le 9 février 1932 par la
préfecture [ADR 9M30].
38. Courrier du 18 novembre 1932 et du 14 décembre 1932
du préfet au sous préfet de Villefranche, demandant un duplicata
des délibérations de ces Chambres de commerce pour le dossier
destiné au Conseil d'État [ADR 9M30].
39. Circulaire du 21 juillet 1932 du préfet aux maires du
département [ADR 9M31].
40. [JO, 27 octobre 1932]; les catégories ne sont pas
dans le même ordre; il existe quelques modifications dans le
détail des listes de métiers pour Saint-Étienne; les
listes de la Chambre de métiers de Roanne sont beaucoup plus courtes.
41. L 'Artisan du sud-est, octobre 1930; inclus dans le
compte-rendu du congrès national de l'Union des artisans français
[BMLPDR F383].
fourre-tout de travail d'art et soins personnels.
Ce recensement prépare la liste des électeurs de
la future Chambre de métiers. Elle est aussi la dernière
formalité avant la signature du décret portant création
d'une Chambre de métiers dans le Rhône. Celui-ci est signé
le 18 mai 1933. Le signalement de son existence fait la une de L'Artisan du
sud-est de juillet 1933. Les élections ont lieu le 26 novembre
193342, la séance d'installation de la Chambre des
métiers du Rhône le 4 février 1934.
42. [ADR 9M32]
3 L'installation de la Chambre de métiers
du Rhône (1934-1939)
3.1 Vue d'ensemble de l'institution
3.1.1 L'organisation de la Chambre de métiers du
Rhône
Les membres de la Chambre de métiers sont élus
par les artisans du département du Rhône. Les maîtres
artisans sont définis comme les travailleurs exerçant un
métier manuel, à condition d'une part qu'ils accomplissent le
travail par eux-mêmes, seuls ou avec le concours de leur conjoint, des
membres de leur famille ou de compagnons ou d'apprentis, sans limitation du
nombre d'employés, d'autre part qu'ils l'exercent sans se trouver sous
la direction d'un patron1. En 1934 une loi impose une limitation du
nombre d'employés2. La fixation de cette limite doit
être négociée régionalement, mais elle ne peut
dépasser dix unités. Entre 1934 et 1938 la Chambre des
métiers du Rhône réussit à empêcher la mise en
place d'une telle limitation en retardant la prise d'un arrêté du
ministère du travail nécessaire à l'application de cette
loi. A partir de 1938 le nombre d'employé est limité à
cinq3.
Les états matriciels recensant les ressortissants de la
Chambre de métiers sont établis par la Chambre des métiers
du Rhône elle-même jusqu'à l'institution du Registre des
métiers en 19364. Le registre des métiers est tenu par
le greffier du tribunal de commerce.
Les ressortissants de la Chambre de métiers sont
répartis en six catégories, les mêmes que celles du
recensement de 1932: la première regroupe les métiers de
l'alimentation, la seconde les métiers du bâtiment, la
troisième les métiers du bois et de l'ameublement, la
quatrième les métiers de la métallurgie, la
cinquième les métiers du textile, et la sixième tous les
autres métiers.
Les artisans maîtres et les compagnons de chaque
catégorie élisent respectivement quatre artisans maîtres et
deux compagnons. La Chambre des métiers du Rhône est ainsi
composée de 36 membres: 24 artisans maîtres et 12 compagnons. Le
renouvellement de la Chambre se fait par moitié tous les trois ans. Les
premières élections ont lieu le 26 novembre 1933. Le premier
renouvellement se fait le 17 décembre 1936.
Les membres de la Chambre de métiers sont réunis
dans leur totalité lors des quatre assemblées
plénières annuelles de la Chambre. Le reste du temps les affaires
sont menées par les membres
1. Loi du 27 juillet 1925.
2. Loi du 27 mars 1934.
3. Décret-loi du 2 mars 1938.
4. Loi du 27 mars 1934.
du Bureau et des commissions qu'elle a
désigné.
La composition des commissions est prévue de
manière précise par le règlement intérieur. Chaque
commission doit être composée de 4 artisans maîtres et 2
compagnons. La pratique est beaucoup plus souple. Le projet initial de
règlement intérieur ne permettait pas la participation à
plusieurs commissions. Le règlement définitif accorde aux membres
la possibilité de faire partie de plusieurs commissions. Cela va
permettre de multiplier les commissions et les spécialisations, sans la
limite fixée par le nombre total des membres. Cela va aussi permettre
à certains membres particulièrement actifs de cumuler les
fonctions. Le projet donnait comme explication à cette interdiction du
cumul la nécessité du bon fonctionnement des commissions, qui
serait handicapée par leur faculté à se réunir en
même temps. Le souci majeur semble bien de construire une institution
dont le fonctionnement soit optimal, comme l'indique l'importance des
dispositions visant à maintenir l'ordre.
Toutes les commissions n'ont pas la même importance.
Trois commissions jouent un rôle central. Elles s'occupent du budget, des
voeux à émettre, et de l'apprentissage. Elles sont les seules
créées dès 1934, et on les retrouve en 1937. La commission
des voeux se scinde alors en deux: l'étude des propositions de loi
occupe une nouvelle commission. Les autres commissions sont chargées de
programmes ponctuels. Leurs attributions sont beaucoup plus réduites, et
leur création comme leur durée de vie dépend des
circonstances. Une commission du travail artisanal est créée en
1935 pour servir de bureau de placement: elle est chargée de
repérer les chantiers susceptibles d'employer des artisans du
bâtiment. La même année, une commission est chargée
de s'informer sur les applications de l'électricité (comment
l'employer comme force motrice, comment installer un éclairage
électrique, quel type d'abonnement choisir). Après 1937 le
système se généralise: 4 commissions sont chargées
de programmes très précis (délivrance de la carte
d'artisan et réflexion pour l'organisation d'une caisse d'allocation
familiale entre autres).
Le Bureau est composé d'un président, de trois
vice-présidents, d'un trésorier, et d'un secrétaire
général. Deux des vice-présidents doivent être des
artisans maîtres, le troisième doit être un
compagnon5. Une telle composition n'était pas prévue
par la loi de 1925 qui prévoyait un seul vice-président. Le
projet de statut de la Chambre des métiers du Rhône ne
prévoyait que deux vice-présidents, sans préciser leur
appartenance au statut d'artisan maître ou de compagnon. Ce n'est que
lors du vote des statuts qu'un vice-président supplémentaire
apparaît, et qu'il est précisé leur répartition
entre maîtres et compagnons. On peut supposer que cette conception de la
tête de l'organisation comme un résumé exact de la
composition de la chambre était cependant déjà à
l'oeuvre dans le projet, la nomination d'un président et deux vice
présidents pouvant faire l'écho à la répartition de
la chambre entre deux tiers de maîtres et un tiers de compagnons. Le
règlement retenu met donc le président à part: il
n'apparaît plus comme le plus influent des vice-présidents, mais
comme un supérieur hiérarchique à tous points de vue.
La composition du Bureau correspond en fin de compte à
la manière dont les Chambres de métiers sont organisées au
plan national. Les Chambres de métiers sont
fédérées par l'Assemblée des présidents de
Chambres de métiers de France, qui ne réunit que les
présidents des Chambres de métiers.
La Chambre des métiers du Rhône est
hébergée par la Fédération des artisans du sud-est
lors
5. Assemblée plénière 2 du 15 avril 1934
[ADR 9M32].
de sa création en 1934. Cela n'a rien d'étonnant
puisque la Chambre des métiers du Rhône est formée dans sa
grande majorité de membres de la Fédération des artisans
du sud-est (seuls les commerçants et les compagnons n'en font pas
partie), et qu'elle n'a encore aucun financement. Cet hébergement est au
départ conçu comme provisoire. La Chambre des métiers du
Rhône cherche dès sa création à se doter d'un local
propre. La Chambre de commerce entame des pourparlers avec la Chambre de
métiers au printemps 1934 pour l'attribution d'un local. La Chambre de
métiers s'est installée dans la « maison des syndicats
» mais a été invitée par la préfecture
à avoir un local indépendant de toute organisation syndicale. La
Chambre de commerce propose de l'accueillir dans ses nouveaux locaux, mais
souhaite attendre quelques mois pour examiner la question6. Le
projet semble avorter. La Chambre des métiers du Rhône essuie par
ailleurs en juin 1934 un premier refus de la mairie de Lyon7 et
prévoit déjà de nouvelles démarches.
La Chambre des métiers du Rhône met fin assez
rapidement à l'hébergement par la Fédération des
artisans du sud-est. Elle inaugure ses nouveaux locaux, 12 rue Émile
Zola le 16 juin 1935 8 . Ces locaux sont loués. Cette
installation est comprise comme une simple situation de transition. La Chambre
des métiers du Rhône cherche à faire bâtir un
immeuble. Les démarches commencent en février 19399 :
le préfet, ainsi que les présidents des Chambre de métiers
du Nord et de Seine-Inférieure sont consultées par la
chambre10. Elle cherche à connaître avec exactitude les
démarches et formalités administratives réglementaires
à remplir pour acquérir un immeuble et y loger ses services. Elle
cherche surtout à connaître les moyens d'obtenir la
déclaration d'utilité publique qui lui permettrait de faire des
économies. La guerre ne laisse pas à celle-ci le temps
d'accomplir ce déménagement.
3.1.2 Les buts et les moyens
Les séances d'installation de la Chambre des
métiers du Rhône sont le moyen le plus efficace pour mettre
à jour simultanément l'ensemble des préoccupations qui
entourent la Chambre de métiers. La situation est très
particulière en 1934 puisque la chambre ne dispose encore d'aucun
porte-parole: c'est une personne extérieure qui donne son sens à
l'institution en ouvrant la séance. Cette intervention permet de savoir
ce qui est attendu de la Chambre de métiers par ceux qui n'en font pas
directement partie. Le discours d'installation de 1937 permettra, lui, de
savoir quels ont été les grands axes de la politique de la
Chambre des métiers du Rhône, et quelles sont ses
préoccupations. L'intérêt de ces deux documents semble
capital: ils sont les seuls à donner une vision globale des
activités de la Chambre.
En l'absence de porte-parole indiscutable des membres de la
Chambre des métiers du Rhône,
6. Séance du 8 mars 1934, etpage 147, séance du 17
mai 1934 [ACCL PV 1934, page 69].
7. Assemblée plénière 3 du 1er
juillet 1934 [ADR 9M32].
8. L'Artisan du sud-est, n°61,juin-juillet 1935
[ADR 9M33].
9. Assemblée plénière 21 du 5
février 1939: délégation de l'assemblée au bureau
pour chercher un nouveau local [ADR 9M32].
10. Lettre du 9 février 1939 au préfet; lettre
du 3 mars 1939 du président de la Chambre de métiers de
Seine-Inférieure au président de la Chambre des métiers du
Rhône; lettre non datée du président de la Chambre de
métiers du Nord au président de la Chambre des métiers du
Rhône [ADR 9M33].
réunis pour la première fois, le préfet
est tout désigné pour prononcer le discours d'installation de la
séance du 4 février 193411. La République
proclame la naissance d'une nouvelle institution. Les artisans proclament eux
l'institution d'une protection officielle de l'artisanat par l'État en
reproduisant le procès-verbal de la séance dans leur journal
12.
Ce discours est à la fois une apologie de l'artisanat
et du monde moderne. Le préfet neutralise d'abord l'opposition
traditionnelle entre développement des machines dans l'industrie et
déclin des qualifications ouvrières, en restreignant sa
validité aux seules théories des économistes,
présentées comme parfaitement contraires à l'observation
de la réalité que chacun peut faire. Ni l'homme ne sera asservi
par la machine, ni l'homme de métier n'est amené à
disparaître. Cet homme de progrès ne peut concevoir l'institution
par la République d'une organisation aux buts parfaitement
réactionnaires, qui cherche à faire survivre le passé. La
Chambre de métiers créée ne l'a été que
parce qu'elle prépare l'avenir. L'artisan indépendant n'en reste
pas moins aux yeux du préfet le représentant d'un passé
idéal, une sorte d'âge d'or. Il est le travailleur parfait,
«recherché pour ses connaissances approfondies de son métier
qu'il exerce presque toujours en artiste ». Et c'est finalement parce
qu'il est le modèle à suivre pour tout ouvrier travaillant dans
l'industrie qu'il «mérite d'être protégé
».
Les discours d'installation de 193713 offrent un
tout autre point de vue: les artisans existent pour eux-mêmes, et non
pour être un exemple pour les ouvriers de l'industrie. Ceux-ci, en
perdant leur indépendance, n'ont certes pas perdu leurs
compétences professionnelle, et cela peut suffire à tout autre
qu'à un artisan. Mais cette indépendance est tout ce qui fait la
différence entre un ouvrier et un artisan.
Laissons de côté les références
à la bonne entente et à la cordialité qui ponctuent les
discours de chacun des interlocuteurs: elles ont pour unique fonction de calmer
un auditoire en ébullition, obnubilé par les litiges concernant
les résultats électoraux de certaines catégories.
Rochette, le président sortant réussit tout de même
à faire le bilan des trois ans écoulés, dont les fils
conducteurs sont la difficulté des débuts et l'importance de la
taille des résultats (et donc du travail fourni). Et Grenier, le doyen
d'âge, tente un programme général des travaux futurs et en
cours.
Les débuts difficiles de la Chambre des métiers
du Rhône, ce sont essentiellement les déboires financiers de la
première année. Rochette se plaît à les
évoquer d'un ton léger et humoristique, en comparant la Chambre
des métiers du Rhône à un train lancé sur les rails,
auquel on demande de fonctionner alors que le charbon nécessaire
à sa mise en route ne sera distribué qu'à la
première étape: cela a été le propre du
génie inventif légendaire qu'on accorde si largement aux
artisans, ironise-t-il, que de surmonter l'épreuve et d'amener le train
à la première étape.
Les résultats obtenus sont
énumérés de façon plus sérieuse: tous les
postes officiels détenus par la Chambre des métiers du
Rhône sont énumérés; ses réalisations moins
administratives et officielles viennent après, alors que la liste des
activités indirectes de la Chambre des métiers du Rhône par
le biais d'une représentation de l'ensemble des Chambre de
métiers sert de conclusion. Cela permet de découvrir
l'identité complexe de la Chambre. Le discours de Grivet permet lui de
mieux comprendre l'orientation de sa politique.
11. Assemblée plénière 1 du 4
février 1934 [ADR 9M32].
12. L'Artisan du sud-est, mars-avril 1934 [BMLPDR
F383]. 13. Assemblée plénière 14 du 28 février 1937
[ADR 9M32].
La Chambre des métiers du Rhône est
chargée, par la loi comme par ses ressortissants, d'organiser
l'apprentissage artisanal. Ses objectifs sont le « relèvement de
l'instruction générale des futurs artisans [et le]
relèvement de la capacité professionnelle des artisans»; ce
que permet la mise en place d'un « apprentissage contrôlé et
sanctionné par le Brevet de Capacité Professionnelle, puis par le
Brevet de Maîtrise ».
Elle se conforme à cette tâche dans le
département en participant aux instances de contrôle et
d'organisation de l'apprentissage: elle est officiellement présente
à la commission départementale de l'enseignement technique et au
conseil d'administration du service d'orientation professionnelle du
Rhône.
Elle s'occupe aussi de la scolarisation obligatoire des
apprentis, et de la formation continue des artisans: des cours professionnels
et des cours de comptabilité artisanale ont été
créés à Saint-Symphorien-sur-Coise, Neuville, L'Arbresle,
Lyon (et prochainement à Givors, Thizy et Vaugneray). Elle subventionne
des cours organisés par les Syndicats professionnels d'artisans, par la
Société d'enseignement professionnel du Rhône, par
l'École d'artisanat rural de Cibeins.
L'action départementale ne suffit pas: les structures
de l'apprentissage artisanal sont pour une large part forgées au niveau
national. Les Chambres de métiers ont accès à celles-ci
par leurs délégués au Conseil supérieur de
l'enseignement technique.
A toutes ces formes d'enseignement, il faut rajouter
l'organisation des expositions artisanales: celles-ci, vitrines du savoir-faire
de l'élite artisanale, sont l'occasion de mettre à
l'épreuve l'excellence des artisans, et de prouver par le fait leurs
capacités professionnelles. La Chambre des métiers du Rhône
s'est ainsi fait remarquer par une participation très active à
l'organisation de l'Exposition régionale du Meilleur ouvrier de France,
et par l'organisation de la première Exposition Artisanale à la
Foire de Printemps de Lyon.
La Chambre des métiers du Rhône est aussi un
organe de défense des intérêts professionnels des artisans,
à l'instar des syndicats. Les préoccupations majeures des
artisans sont à ce moment la « protection de la main d'oeuvre
artisanale » et l'aménagement d'un système fiscal
simplifié pour les ressortissants des Chambres de métiers.
Pour toutes ses activités, la Chambre des
métiers du Rhône bénéficie de moyens d'actions
étendus: les voeux qu'elle émet peuvent être
destinés soit aux administrations communales, départementales et
nationales, soit à l'assemblée des présidents de chambres
de métiers de France. L'Assemblée des présidents de
chambres de métiers de France est en relation directe avec les
parlementaires du Groupe de défense nationale qui défendent les
artisans.
Comme pour l'apprentissage, la Chambre des métiers du
Rhône multiplie les points d'actions. Elle multiplie les places dans les
lieux de pouvoir locaux. Des membres de la Chambre des métiers du
Rhône siègent à la Commission départementale
consultative d'évaluation des forfaits, àla Commission
consultative des BIC de Lyon, Tarare, Villefranche, et, plus récemment,
la Chambre des métiers du Rhône à été
invitée aux séances du Comité départemental de
coordination sanitaire et sociale. Elle collabore avec les chambres de commerce
de Lyon, Tarare et Villefranche et avec la chambre d'agriculture du
Rhône. Les lieux de pouvoir nationaux ne sont pas négligés:
on peut noter la présence de délégués des Chambres
de métiers au Conseil national économique, au Conseil
supérieur du travail, à la Commission interministérielle
du crédit artisanal.
Elle n'oublie pas les activités les plus locales:
l'aide individualisée aux artisans, la participation aux manifestations
professionnelles des syndicats. Elle prend soin de ses ressortissants:
délivrance gratuite du certificat artisanal,
création d'une bibliothèque consultable par les ressortissants,
appel à des ressortissants cantonaux pour resserrer les liens avec les
ressortissants.
Ce bref aperçu des lieux où la présence
de la Chambre des métiers du Rhône est assurée est des plus
complets. La plus grande partie des activités s'y déroulant
échappent à l'étude qui suit, basée en grande
partie sur les seuls procès-verbaux des assemblées
plénières de la chambre. Mis à part quelques lettres ayant
transité par la préfecture, ce sont les seuls documents qui ont
été conservés. Les thématiques clés de
l'activité de la chambre y apparaissent pourtant, et c'est à
l'aide de ces documents qu'il s'agira de mettre à jour les grandes
lignes de l'activité de la Chambre des métiers du Rhône
jusqu'au début de la guerre.
3.2 Des électeurs aux membres
3.2.1 Les électeurs de la Chambre de métiers
du Rhône
3.2.1.1 Un électorat déjà
construit?
Les membres de la Chambre des métiers du Rhône
sont directement élus par les artisans inscrits sur les listes
électorales de la Chambre des métiers du Rhône, et
dès août 1936, inscrits au registre des métiers. Autrement
dit, l'inscription à la Chambre de métiers ne se fait pas de la
même manière que l'inscription à un syndicat: elle n'est
pas un acte volontaire et militant, elle est une obligation.
L'institution étant toute nouvelle, sa mise en place
passe par la constitution de son électorat, par sa reconnaissance
plutôt, puisqu'il est supposé être déjà
constitué. Tout le problème est bien sûr de savoir qui est
ressortissant de la Chambre de métiers, de savoir comment appliquer les
critères de la loi, de savoir qui inscrire. Le problème de la
définition de l'artisan n'étant pas entièrement
résolu, certains ressortissants ne sont que provisoirement inscrits,
tandis que certains artisans, ressortissants potentiels, sont peut-être
écartés de la Chambre...
Si l'institution ne change pas de forme, d'appellation ou
autre, ses électeurs changent rapidement de définition: entre
1925 et 1939, la définition de l'artisan ressortissant de la Chambre de
métiers évolue. Elle est précisée dans un sens de
plus en plus strict. En 1925 la taille de l'entreprise n'est pas formellement
limitée, car elle n'est qu'un des éléments
d'appréciation de l'appartenance à l'artisanat. En 1938 le nombre
maximal de compagnons et d'apprentis que peut employer un artisan est
limité à 5. En outre, la définition valable pour les
Chambres de métiers n'a aucune valeur par ailleurs: la fiscalité
ne reconnaît que le «petit artisan » fiscal.
Les artisans se considèrent-ils comme des artisans?
Cette question ne peut pas trouver de réponse tant que l'on n'a pas
précisé quelle définition de l'artisan utiliser. Les
artisans remplissant les conditions pour être ressortissants des Chambres
de métiers savent-ils qu'ils les remplissent et souhaitent-ils se faire
inscrire comme artisan? Les réponses seront variables suivant le moment
où la question sera posée.
La loi du 27 mars 1934 laisse à chaque
département la possibilité de fixer une limite de taille
particulière à chaque métier, à condition qu'elle
soit inférieure ou égale à 10 employés. La Chambre
de métiers est hostile à toute limitation, si bien qu'aucun
arrêté n'est pris dans le Rhône en application de cette loi.
Néanmoins dès la publication de la loi, alors que celle-ci ne
peut être
appliquée, des artisans s'inquiètent du nombre
maximal de compagnons qu'ils peuvent employer tout en gardant le statut
d'artisan 14. D'autres ne savent pas vraiment s'ils
peuvent bénéficier du statut d'artisan. «Ai-je le droit
à être dénommé artisan? » demande l'un d'eux
15. Ce statut en tous cas semble leur être
extérieur. C'est avant tout un statut administratif qui,
espèrent-ils, per-met d'échapper à « certaines
charges ». L'un d'eux écrit: «Si je pouvais adhérer
à l'artisanat la suppression de certaines charges me permettrait de
faire face aux difficultés actuelles en attendant une ère
meilleure » 16. Croit- il que l'inscription à
la Chambre de métiers permet de bénéficier du statut
d'artisan fiscal?
Tous les artisans ne sont pas aussi pressés de
s'inscrire à la Chambre des métiers du Rhône Pour certains
cette inscription est assimilée à une dépense plutôt
qu'à un gain, et elle est différée tant qu'il est possible
d'y échapper. En 1941 une repasseuse essaie encore d'éviter
l'inscription «maintenantj'ai 67 ans obligé encore de travaille
l'on me dit que pour continué et avoir ce dont j'ai besoin pour mon
travail, il faut me mettre de la chambre des métiers, dépense
pour moi etje suis loin de gagné comme les salariés, je n'ai
droit a aucune retraite, ne pourrais tont pas faire quelques choses pour les
petits artisans car je ne suis pas seul dans mon cas ou tout au moins nous
laissé travaillé sans nous obligé a toutes ces
formalités et ces dépenses » 17.
Même si cette lettre date de 1941, son contenu est à prendre
en compte, car elle est la seule qui mette àjour les raisons du
sous-enregistrement manifeste des artisans à la Chambre de
métiers. Elle n'est pas un cas isolé.
Le sous-enregistrement des artisans à la Chambre de
métiers préoccupe ses membres de manière
récurrente. La Chambre des métiers du Rhône organise entre
1935 et 1936 un recensement artisanal pour établir la liste des
ressortissants non inscrits 18. Ce travail de longue
haleine a commencé par l'envoi d'une circulaire aux maires. Les 80
réponses reçues avant le 15 décembre 1935 ont permis une
augmentation de 20% du nombre d'inscrits. Le recensement prévu pour 1936
emploie d'autres moyens: la Chambre des métiers du Rhône consacre
10 000 F à la rémunération des personnes chargées
d'enquêter dans tout le département (soit 8,5% de
l'excédent de recettes prévu en 1936 àla suite de
l'augmentation de la taxe pour frais de Chambre de métiers). Le sous-
enregistrement des artisans au registre des métiers est encore l'une des
préoccupations de la Chambre des métiers du Rhône en 1938.
Au printemps l'un de ses correspondants demande des conférences pour
remédier à l'hostilité de nombreux artisans à la
Chambre des métiers du Rhône, due à leur ignorance de son
utilité 19. A l'automne la Chambre de
métiers cherche à faire appliquer l'amende prévue à
tous les artisans qui ne se sont pas inscrits au registre des métiers
20.
Enfin, pourquoi s'inscrire? Quels sont les avantages que vont
retirer les artisans d'une telle inscription? Est-ce une charge ou des
avantages qu'elle procure? L'inscription à la Chambre
14. Deux lettres du 31 mai 1934 d'artisans àla
préfecture [ADR 9M33].
15. Lettre au préfet du 19 mai 1934 de M. Guillaume,
fabricant de caisses d'emballage à Villeurbanne [ADR 9M33].
16. Lettre au préfet du 5 juin 1934 de M. Rossi, tailleur
à Lyon [ADR 9M33].
17. Lettre au maréchal Pétain du 16 avril 1941 de
Mme. Peillon, repasseuse à Francheville-le-bas. La lettre est reproduite
sans correction [ADR 9M33].
18. Assemblée plénière 8 du 15
décembre 1935: additifau budget de 1936 [ADR 9M32].
19. Assemblée plénière 18 du 6 mars 1938
[ADR 9M32].
20. Assemblée plénière 20 du 30 octobre
1938: voeu n°244 [ADR 9M32].
de métiers était gratuite jusqu'à
l'institution du registre des métiers. L'immatriculation, faite par le
tribunal de commerce, est ensuite soumise au timbre de dimension. Pour que
l'institution soit attirante, les certificats sont délivrés
gratuitement par la Chambre des métiers du Rhône Cela n'est pas du
goût de l'administration des finances, qui réclame la perception
des droits non perçus depuis l'origine21. La Chambre des
métiers du Rhône essaie d'obtenir du ministre du travail
l'exonération du paiement de ces droits jusqu'à cette date, cette
réclamation mett ant en danger son assise financière
22.
3.2.1.2 Un électorat peu
homogène
La Chambre des métiers du Rhône est avant tout
une organisation dédiée aux artisans maîtres. Que l'on
considère le nombre d'inscrits et son évolution, la
répartition des membres par catégorie ou leur répartition
géographique, tout oppose le comportement de la population des
compagnons à celle des maîtres23. L'organisation de la
chambre paraît toujours mieux adaptée à ces derniers.
En répartissant les sièges pour un tiers aux
compagnons, et pour deux tiers aux maîtres, laissant ainsi de
côté l'idée d'une institution paritaire, la Chambre des
métiers du Rhône donne pourtant aux compagnons une position qui
les avantage en terme de nombre. Entre 1935 et 1938, les compagnons ne
représentent en moyenne que 12% du total des électeurs.
L'ensemble des compagnons employés par des artisans est-il pourtant
inscrit à la Chambre des métiers du Rhône? On attendrait un
nombre de compagnons largement plus élevé dans la circonscription
d'une Chambre de métiers aussi fermement opposée à la
limitation de l'artisanat par la taille. Faut-il en déduire un
désintérêt des compagnons pour cette institution avant tout
patronale? L'attention des artisans ne s'est jamais longtemps attardée
sur ce problème. La question semble avoir été
réglée très rapidement, dès juin 1928, par les
artisans-maîtres de la Fédération des artisans du sud-est:
le compagnon ressortissant des Chambres de métiers serait celui qui est
employé chez un maître artisan24. La définition
de l'artisan maître a incomparablement plus posé problème.
De fait les patrons artisans ont touj ours été
l'élément moteur des Chambres de métiers: une
participation trop active des compagnons les ennuierait plutôt; ils n'ont
aucun intérêt à ce qu'ils s'inscrivent trop nombreux.
Le nombre d'électeurs maîtres décline
légèrement entre 1935 et 1938 (-6,6%). Ce déclin global
cache pourtant une évolution beaucoup plus saccadée: toutes les
catégories croissent entre 1935 et 1936, se stabilisent ensuite, et ne
perdent d'électeurs qu'entre 1937 et 1938, sauf la
5ème catégorie, celle des métiers du
textile.
Le nombre des artisans des métiers du textile
décline dès 1935. La catégorie est aussi globalement la
plus touchée par le déclin (-32,2% entre 1935 et 1938). La crise
de l'industrie du textile se répercute sur les artisans, surtout entre
1935 et 1936 (-17,6%). Cette catégorie d'artisans est d'ailleurs
très particulière: ils sont plutôt apparentés aux
ouvriers à domicile qu'aux artisans à
21. Lettre du 2 septembre 1938 de M. Suche, inspecteur au bureau
de contrôle de Lyon-Commerce à la Chambre des métiers du
Rhône [ADR 9M33].
22. Lettre du 12 septembre 1938 du président de la
Chambre des métiers du Rhône au ministre du travail [ADR 9M33].
23. Voir les tableaux 3.1 page suivante et 3.2 page 46.
24. L'Artisan du sud-est,juin 1928 [BMLPDR
F383].
TABLEAU 3.1 -: Les électeurs maîtres à la
Chambre des métiers du Rhône, 1933-1938
Catégorie
|
Année a
|
Électeurs
|
Votants
|
Taux de participa- tion
|
Évolution du nombre d'électeurs depuis
l'année précédente
|
Évolution du nombre de votants entre 1933 et 1936
|
1
|
1933
|
|
343
|
|
|
|
1935
|
1589
|
|
|
|
|
1936
|
2107
|
482
|
22,9%
|
+32,6%
|
+40,5%
|
1937
|
2078
|
|
|
-1,4%
|
|
1938
|
1760
|
|
|
-15,3%
|
|
2
|
1933
|
|
416
|
|
|
|
1935
|
1593
|
|
|
|
|
1936
|
1669
|
664
|
39,8%
|
+4,8%
|
+59,6%
|
1937
|
1730
|
|
|
+3,7%
|
|
1938
|
1637
|
|
|
-5,4%
|
|
3
|
1933
|
|
245
|
|
|
|
1935
|
744
|
|
|
|
|
1936
|
751
|
319
|
42,5%
|
+0,9%
|
+30,2%
|
1937
|
754
|
|
|
+0,4%
|
|
1938
|
687
|
|
|
-8,9%
|
|
4
|
1933
|
|
320
|
|
|
|
1935
|
1117
|
|
|
|
|
1936
|
1226
|
465
|
37,9%
|
+9,8%
|
+45,3%
|
1937
|
1271
|
|
|
+3,7%
|
|
1938
|
1150
|
|
|
-9,5%
|
|
5
|
1933
|
|
485
|
|
|
|
1935
|
2614
|
|
|
|
|
1936
|
2155
|
687
|
31,9%
|
-17,6%
|
+41,6%
|
1937
|
2153
|
|
|
-0,1%
|
|
1938
|
1771
|
|
|
-17,7%
|
|
6
|
1933
|
|
318
|
|
|
|
1935
|
1234
|
|
|
|
|
1936
|
1371
|
615
|
44,9%
|
+11,1%
|
+93,4%
|
1937
|
1411
|
|
|
+2,9%
|
|
1938
|
1303
|
|
|
-7,7%
|
|
Total
|
1933
|
|
2127
|
|
|
|
1935
|
8891
|
|
|
|
|
1936
|
9279
|
3232
|
34,8%
|
+4,4%
|
+52,0%
|
1937
|
9397
|
|
|
+1,3%
|
|
1938
|
8308
|
|
|
-11,6%
|
|
a Élections de 1933 et 1936 [ADR 9M36],
électeurs de 1935 à 1938 [ADR 9M37].1: alimentation; 2:
bâtiment; 3: bois,
ameublement; 4: métallurgie; 5: textile, habillement; 6:
divers: cuir, soins personnels, décoration
TABLEAU 3.2 -: Les électeurs compagnons à la
Chambre des métiers du Rhône, 1933-1938
Catégorie
|
Année a
|
Électeurs
|
Votants
|
Taux de participa- tion
|
Évolution du nombre d'électeurs depuis
l'année précédente
|
Évolution du nombre de votants entre 1933 et 1936
|
1
|
1933
|
|
15
|
|
|
|
1935
|
183
|
|
|
|
|
1936
|
142
|
26
|
18,3%
|
-22,4%
|
+73,3%
|
1937
|
141
|
|
|
-0,7%
|
|
1938
|
148
|
|
|
+5,0%
|
|
2
|
1933
|
|
101
|
|
|
|
1935
|
481
|
|
|
|
|
1936
|
497
|
110
|
22,1%
|
+3,3%
|
+8,9%
|
1937
|
461
|
|
|
-7,2%
|
|
1938
|
400
|
|
|
-13,2%
|
|
3
|
1933
|
|
41
|
|
|
|
1935
|
160
|
|
|
|
|
1936
|
143
|
31
|
21,7%
|
-10,6%
|
-24,4%
|
1937
|
117
|
|
|
-18,2%
|
|
1938
|
104
|
|
|
-11,1%
|
|
4
|
1933
|
|
48
|
|
|
|
1935
|
159
|
|
|
|
|
1936
|
160
|
40
|
25,0%
|
+0,6%
|
-16,7%
|
1937
|
164
|
|
|
+2,5%
|
|
1938
|
143
|
|
|
-12,8%
|
|
5
|
1933
|
|
54
|
|
|
|
1935
|
290
|
|
|
|
|
1936
|
259
|
39
|
15,1%
|
-10,7%
|
-27,8%
|
1937
|
250
|
|
|
-3,5%
|
|
1938
|
200
|
|
|
-20,0%
|
|
6
|
1933
|
|
20
|
|
|
|
1935
|
109
|
|
|
|
|
1936
|
82
|
32
|
39,0%
|
-24,8%
|
+60,0%
|
1937
|
91
|
|
|
+11,0%
|
|
1938
|
84
|
|
|
-7,7%
|
|
Total
|
1933
|
|
279
|
|
|
|
1935
|
1382
|
|
|
|
|
1936
|
1283
|
278
|
21,7%
|
-7,2%
|
-0,4%
|
1937
|
1224
|
|
|
-4,6%
|
|
1938
|
1079
|
|
|
-11,8%
|
|
a Élections de 1933 et 1936 [ADR 9M36],
électeurs de 1935 à 1938 [ADR 9M37].1: alimentation; 2:
bâtiment; 3: bois,
ameublement; 4: métallurgie; 5: textile, habillement; 6:
divers: cuir, soins personnels, décoration
proprement parler. Leur originalité se remarque
déjà ici; leur situation sera étudiée plus en
détail lorsqu'il s'agira d'expliquer comment leur position marginale,
entre artisans et ouvriers, a pu poser un problème d'identité
à la Chambre.
Pour les autres catégories, l'effet du recensement
effectué par la Chambre des métiers du Rhône début
1936, puis de l'installation du registre des métiers en 1938 expliquent
pour une large part les variations de la population électorale. Le
recensement a porté ses fruits: il a permis l'inscription des
ressortissants non inscrits, comme le montre la forte croissance du nombre
d'électeurs entre 1935 et 1936 (globalement +13,5%). L'année
suivante montre une évolution du nombre d'artisans plus proche de la
réalité: le nombre de ressortissants reste stable; il augmente
partout légèrement, saufchez les artisans de l'alimentation.
Les différences entre les rythmes de croissances
jusqu'en 1937 correspondent aussi aux différences d'intégration
à l'artisanat. Les artisans de l'alimentation, avertis depuis moins
longtemps par leurs syndicats qu'ils font partie de l'artisanat, ont
certainement mis plus de temps à s'inscrire à la Chambre de
métiers; et ceci d'autant plus que cette intégration a
été très contestée. Ceci expliquerait la
très forte croissance des adhésions des maîtres de cette
catégorie entre 1935 et 1936 (+32,6%), qui dépasse largement le
mouvement des autres catégories. Cela expliquerait aussi que la
catégorie soit la seule à décliner
légèrement (-1,4%) dès que l'inscription n'est pas
imposée par les résultats d'un recensement de la Chambre des
métiers du Rhône L'hétéroclite 6ème
catégorie, dans une moindre mesure, se trouve dans la même
situation. Pour les catégories restantes, l'inscription des membres
semble s'être terminée plus tôt: la période de
croissance s'est déjà terminée en 1935. L'augmentation du
nombre de votants dans toutes les catégories entre 1933 et 1936 la
révèle pourtant.
L'effet de la limitation de l'artisanat aux maîtres
employant moins de 5 compagnons ou apprentis en mai 1938 se fait ressentir sur
toutes les catégories de maîtres: le nombre de ressortissants
décline partout entre 1937 et 1938. On peut ainsi reconnaître les
catégories comptant le plus de «gros artisans ». Les artisans
du textile sont les plus touchés (-17,7%), mais l'effet de la loi est
cumulé avec la crise qui traverse leur branche. Les métiers de
l'alimentation sont parmi ceux qui perdent le plus de ressortissants (-15,3%).
Ils ont encore une place à part: peut-être est-ce parce qu'ils
sont la catégorie qui compte le plus de «gros artisans » que
leur intégration a été si difficile. Rappelons qu'ils
étaient les seuls à n'être pas dotés de syndicats
spécifiquement artisanaux. Les autres catégories comptent entre 5
et 10% de ces « gros artisans ». La loi n'a donc pas touché le
plus gros des effectifs de la chambre: neuf artisans sur dix sont des
«petits» ou « moyens artisans », et continuent à
faire partie de la Chambre de métiers.
Le même schéma ne s'applique pas aux compagnons.
Ni l'effet de la limitation à cinq compagnons de l'artisanat, ni la
période d'inscription des membres n'apparaissent. Le nombre de
compagnons décline assez régulièrement dans toutes les
catégories entre 1935 et 1938. Déclin réel durable de
l'artisanat qui n'emploie plus, période de chômage due à la
crise ou non inscription de compagnons qui se désintéressent
d'une institution trop marquée par les patrons? La 3ème
catégorie (ameublement et bois) et la 5ème
catégorie (textile) sont les plus touchées (-35% et -3 1%).
Ce sont aussi les seules catégories en déclin chez les
maîtres. La 1ère et la 6ème
catégories chutent pourtant chacune d'environ 20% alors que ces
mêmes catégories croissent chez les maîtres. Cette
évolution ne correspond pas à l'évolution du nombre de
compagnons votants:
il reste stable entre 1933 et 1936. L'évolution par
catégories est beaucoup plus contrastée: le nombre de compagnons
des catégories 1 et 6 augmente fortement (+73% et +60%); les
catégories 3, 4 et 5 se répartissent les pertes (-24%, -17% et
-28%). L'ampleur et la disparité des variations doivent être
tempérées par la prise en compte de la faiblesse du nombre des
compagnons.
La répartition des métiers en catégories
n'a pas réparti de manière équitable le nombre des
artisans. Observons la situation en 1936. Chez les compagnons, c'est une
évidence: 40% de ceux-ci appartiennent aux métiers du
bâtiment (catégorie 2), et 20% aux métiers du textile
(catégorie 5), alors que les métiers de la sixième
catégorie n'emploient presque aucun compagnon (6%). C'est pourtant la
catégorie la plus diverse, qui compte le plus grand nombre de
métiers. Chez les maîtres la disproportion de la
répartition par catégorie est moins voyante. Pourtant les
métiers de l'alimentation (catégorie 1) et ceux du textile
(catégorie 5) comptent chacun 23% du nombre total de maîtres,
alors que les métiers de l'ameublement et du bois (catégorie 3)
n'en comptent que 8%.
Cette disproportion est due à la manière dont
ont été conçues les catégories. La
répartition n'a pas été faite en fonction du nombre
d'artisans, de manière à ce que la Chambre des métiers du
Rhône représente autant que possible la population artisanale
réelle du département. Le recensement effectué par les
mairies en 1932 comportait déjà la classification en
catégories utilisée par la Chambre des métiers du
Rhône Le regroupement des métiers par catégories s'est fait
d'après une classification par secteurs. Le matériau
travaillé est dans la majorité des cas le facteur discriminant:
produits alimentaires (catégorie 1), bois (catégorie 3),
métal (catégorie 4), textile (catégorie 5); la seconde
catégorie trouve par contre son unité dans le lieu de travail: le
chantier de construction des bâtiments. Toutes ces catégories
n'ont rien d'original. Seule la sixième catégorie semble
échapper à ce système: elle regroupe les métiers
les plus hétéroclites: métiers du cuir, du livre, des arts
graphiques, et de la musique, bijouterie, décoration, services aux
personnes et hygiène. S'il fallait trouver une unité à
cette catégorie, on ne pourrait que la considérer comme celle
dont le travail fait le plus explicitement partie du domaine des
représentations symboliques.
L'intérêt des maîtres pour les
élections de 1936 est nettement plus marqué que celui des
compagnons: 35% des maîtres inscrits vont voter, contre 22% des
compagnons. Les catégories 1 et 5 sont celles qui participent le moins,
chez les maîtres (22,9% et 31,9%) comme chez les compagnons (18,3% et
15,1%). Elles sont aussi celles pour lesquelles l'appartenance à
l'artisanat est la moins évidente. Il a déjà
été question de la position des métiers de l'alimentation,
qui hésitent à adhérer à l'artisanat plutôt
qu'au commerce. Les métiers du textile sont eux aussi un cas à
part dans la chambre: en déclin constant, ils sont les seuls à
hésiter entre le statut d'artisan et celui d'ouvrier à domicile.
La 6ème catégorie est celle qui participe le plus
(45%). C'est même la seule où les compagnons participent avec un
entrain égal à celui des maîtres. Ils rattrapent leur
infériorité numérique par leur plus grande mobilisation:
grâce à un taux de participation de 39%, ils représentent
12% des votants.
La répartition géographique des maîtres et
celle des compagnons n'obéit pas une même logique: alors que les
maîtres sont concentrés dans Lyon, très peu de compagnons
sont inscrits à la Chambre des métiers du Rhône dans la
ville. La répartition des compagnons est beaucoup moins homogène
que celle des maîtres. Vu le très petit nombre de compagnons dans
chaque canton, une étude plus précise de leur répartition
géographique n'aurait pas grand sens. Il faut donc se
contenter de détailler la répartition des
artisans-maîtres.
TABLEAU 3.3 -: Lepoids des lyonnais chez les électeurs
maîtres-artisans
Catégorie
|
1935
|
1936
|
1937
|
1938
|
1
|
38%
|
45%
|
45%
|
40%
|
2
|
22%
|
24%
|
23%
|
23%
|
3
|
17%
|
20%
|
19%
|
20%
|
4
|
34%
|
36%
|
35%
|
34%
|
5
|
68%
|
59%
|
59%
|
53%
|
6
|
49%
|
51%
|
50%
|
52%
|
Le lieu qui regroupe le plus d'artisans maîtres, c'est
Lyon25. Entre un sixième et deux tiers des ressortissants
maîtres de chaque catégorie y sont concentrés. On peut
ainsi reconnaître les catégories les plus urbaines: ce sont les
catégories 1, 5 et 6, où ils représentent plus du tiers du
total. On peut estimer que la force des métiers de l'alimentation
(catégorie 1) est en relation directe avec la densité
depopulation du canton: on a partout besoin des artisans de l'alimentation,
encore peu concurrencés par la grande distribution et l'industrie
agro-alimentaire. La force des métiers du textile ne fait que confirmer
la puissance de cette industrie dans la ville. Le déclin de laplace de
Lyon dans cette catégorie met les artisans lyonnais du textile à
part: ils sont beaucoup plus touchés par la crise que les artisans du
reste du département. L'éternel problème resurgit:
s'agit-il bien, à Lyon, d'artisans à proprement parler? La
6ème catégorie, la plus hétéroclite
apparemment, trouve ici son unité: c'est une catégorie à
dominante urbaine. Au contraire, les métiers du bâtiment, du bois
et de l'ameublement, beaucoup plus traditionnels, sont à dominante
rurale; ils sont beaucoup mieux répartis dans tout le
département.
Les cantons les plus proches de Lyon sont aussi ceux où
le nombre d'artisans est le plus élevé26. Vaugneray,
Villeurbanne, L'Arbresle et Neuville-sur-Saône se détachent des
autres. La proximité de la grande ville se marque aussi par l'importance
des mêmes catégories 1, 5 et 6. C'est seulement dans ces cantons
que le nombre d'artisans-maîtres de ces catégories dépasse
4%. Vaugneray compte la seconde concentration en artisans du textile
après Lyon (9,61%). Le nombre d'artisans maîtres de l'alimentation
est particulièrement élevé à Villeurbanne (8,7% du
total des artisans de l'alimentation en 1936). Villeurbanne et L'Arbresle sont
les seuls cantons où les métiers de la catégorie 6 se
soient un peu développés (4,38% et 4,08%).
Les métiers du bâtiment, du bois et de
l'alimentation et du textile sont mieux représentés dans le reste
du département. Leur répartition est aussi beaucoup plus
équilibrée.
La comparaison entre la situation en 1935 et celle de 1938
permet d'isoler les cantons les plus dynamiques, où le nombre
d'artisans-maîtres augmente dans toutes les catégorie, et ceux qui
déclinent, où le nombre d'électeurs est partout en baisse.
Ces derniers sont les plus nombreux: L'Arbresle, Neuville-sur-Saône,
Belleville, Saint-Laurent-de-Chamousset, Monsols, Mornant,
25. Voir le tableau 3.3.
26. Voir le tableau 3.4 page suivante.
TABLEAU 3.4 -: Répartition géographique par
catégorie des maîtres non lyonnais en 1936
|
Catégories
|
Canton
|
1
|
2
|
3
|
4
|
5
|
6
|
Toutes
|
Vaugneray
|
6,8%
|
8,4%
|
6,1%
|
7,0%
|
23,5%
|
6,6%
|
9,8%
|
Villeurbanne
|
15,7%
|
4,6%
|
2,5%
|
7,1%
|
4,0%
|
8,9%
|
7,5%
|
L'Arbresle
|
5,5%
|
5,9%
|
5,6%
|
6,1%
|
6,7%
|
8,3%
|
6,2%
|
Neuville-sur-Saône
|
4,4%
|
7,4%
|
2,5%
|
6,4%
|
6,8%
|
7,7%
|
6,0%
|
Belleville
|
4,4%
|
6,0%
|
7,0%
|
6,6%
|
4,2%
|
5,8%
|
5,5%
|
Beaujeu
|
4,6%
|
5,6%
|
8,4%
|
7,1%
|
3,8%
|
4,3%
|
5,5%
|
Thizy
|
5,0%
|
5,2%
|
4,3%
|
2,9%
|
4,8%
|
7,5%
|
4,9%
|
Saint-Laurent-de-Chamousset
|
5,0%
|
5,3%
|
5,1%
|
5,2%
|
3,8%
|
4,6%
|
4,9%
|
Saint-Genis-Laval
|
5,5%
|
6,2%
|
3,5%
|
5,0%
|
2,7%
|
5,4%
|
4,9%
|
Villefranche
|
5,0%
|
5,7%
|
6,3%
|
5,1%
|
2,4%
|
2,2%
|
4,5%
|
Lamure-sur-Azergues
|
3,3%
|
4,0%
|
9,8%
|
3,7%
|
4,7%
|
3,7%
|
4,5%
|
Monsols
|
2,7%
|
5,4%
|
9,8%
|
3,9%
|
3,9%
|
1,5%
|
4,3%
|
Saint-Symphorien-sur-Coise
|
4,7%
|
3,1%
|
5,5%
|
3,8%
|
5,0%
|
4,6%
|
4,3%
|
Tarare
|
3,8%
|
4,3%
|
4,0%
|
4,2%
|
4,3%
|
3,6%
|
4,1%
|
Limonest
|
4,1%
|
4,3%
|
1,8%
|
5,1%
|
4,9%
|
3,3%
|
4,1%
|
Le-Bois-d'Oingt
|
3,6%
|
3,9%
|
5,0%
|
4,6%
|
4,0%
|
3,1%
|
4,0%
|
Mornant
|
3,8%
|
3,5%
|
4,0%
|
3,8%
|
2,6%
|
5,4%
|
3,7%
|
Amplepuis
|
3,3%
|
3,7%
|
3,3%
|
2,9%
|
3,8%
|
3,7%
|
3,5%
|
Condrieu
|
1,8%
|
3,0%
|
2,6%
|
3,4%
|
1,8%
|
3,9%
|
2,9%
|
Anse
|
3,0%
|
2,4%
|
1,7%
|
3,8%
|
1,7%
|
3,0%
|
2,6%
|
Givors
|
4,0%
|
2,1%
|
1,3%
|
2,2%
|
0,8%
|
2,8%
|
2,3%
|
Ensemble
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
Condrieu, les quatre premiers faisant par ailleurs des cantons
les plus riches en artisans. Givors et Villeurbanne sont les seuls où le
nombre d'artisans augmente partout. A Villeurbanne la progression est
spectaculaire: le nombre d'artisans de l'alimentation, comme celui de la
métallurgie, a été multiplié par 3,5, alors que le
nombre d'artisans du bâtiment a été multiplié par
2,5.
La crise des industries du textile se fait ressentir presque
partout: le nombre d'artisans maîtres décroît dans 12
cantons sur 22. C'est cependant à Lyon qu'elle est la plus
spectaculaire: 836 artisans-maîtres, soit la moitié des artisans
lyonnais de cette catégorie disparaissent entre 1935 et 1938. Vaugneray,
le second centre d'artisanat du textile du Rhône avec plus de 200
artisansmaîtres, s'en sort beaucoup mieux: le nombre d'artisans progresse
même de 13% entre 1935 et 1938. Le sort des cantons comptant plus de 40
artisans-maîtres est lui très variable: L'Arbresle et
Neuville-sur- Saône déclinent (-32% et -18%), Tarare stagne (+8%)
et Thizy progresse (+31%). La progression la plus forte est celle de
Villeurbanne qui passe de 15 à 38 artisans.
3.2.2 Les élections de 1933 et 1936
La diversité des situations des artisans ne se fait
tout d'abord pas remarquer chez leurs représentants. Aux
élections de 1933, les candidats de la liste unique
présentée par la Fédération des artisans du sud-est
font l'unanimité: ils récoltent chacun plus de 80% des suffrages
exprimés27. Les quelques voix qui ne vont pas vers les
candidats de la liste unique de la Fédération des artisans du
sud-est sont touj ours très isolées; plus de la moitié (13
sur un total de 19) proviennent du seul canton du Bois d'Oingt.
Cette unanimité incite-t-elle les nouveaux élus
à considérer le prochain renouvellement de la Chambre des
métiers du Rhône comme une simple formalité qu'il convient
de simplifier au maximum? Ils donnent en tous cas une interprétation
très personnelle de la manière dont doit être
préparé ce renouvellement triennal. Lors de la séance
d'installation du 4 février 1934, l'élection du bureau est suivie
de la préparation du processus de renouvellement triennal par
moitié. Les catégories à réélire dans trois
ans sont tirées au sort, par nombre pair ou impair. Le sort
désigne le nombre pair, c'est donc les 2ème ,
4ème et 6ème catégories qui seront
chacune à réélire dans leur intégralité en
1936. Mais la préfecture note (sur le procès-verbal de la
séance) que ceci est en contradiction avec la circulaire du Ministre du
Travail du 6 juillet 1931. Elle invalide donc ce tirage au sort.
En octobre 1935 le problème n'est toujours pas
réglé. La Chambre des métiers du Rhône a entrepris
une démarche auprès de la préfecture pour conserver le
mode de renouvellement choisi en 193428. Le règlement
d'administration précise qu'il faut renouveler la moitié de
chaque catégorie. Or, précise la Chambre des métiers du
Rhône, certaines Chambres de métiers ont fait leur renouvellement
sous l'une ou l'autre forme. Elle demande donc un sursis à la
décision en attendant l'avis de l'Assemblée des présidents
de chambres de métiers de France et du Ministère. Ce dernier ne
fait que confirmer la position du préfet29: «Il
résulte [des dispositions de l'article 9 du décret du 14 avril
1928] qu'au moment de l'installation d'une Chambre de métiers, la
27. Voir les tableaux 3.5 page suivante et 3.6 page 53.
28. Assemblée plénière 7 du 6 octobre 1935
[ADR 9M32].
TABLEAU 3.5 -: Résultats des élections du 26
novembre 1933 : Artisans maîtres
Catégorie
|
Votants
|
Exprimés
|
Candidat
|
Voix
|
% des exprimés
|
1
|
343
|
339
|
Valiorgues
|
306
|
90,3%
|
Delorme
|
307
|
90,6%
|
Thévenet
|
306
|
90,3%
|
Burdy
|
306
|
90,3%
|
Voixdiverses
|
5
|
1,5%
|
2
|
416
|
410
|
Grivet
|
354
|
86,3%
|
Pigeon
|
354
|
86,3%
|
Laville
|
353
|
86,1%
|
Guaglio
|
349
|
85,1%
|
Voixdiverses
|
8
|
2,0%
|
3
|
245
|
241
|
Rochette
|
228
|
94,6%
|
Rat
|
227
|
94,2%
|
Béroujon
|
226
|
93,8%
|
Guichard
|
226
|
93,8%
|
4
|
320
|
317
|
Cottarel
|
271
|
85,5%
|
Mary
|
272
|
85,8%
|
Grenier
|
273
|
86,1%
|
Védrenne
|
260
|
82,0%
|
5
|
485
|
481
|
Giroud
|
437
|
90,9%
|
Chaumeny
|
431
|
89,6%
|
Maurier
|
436
|
90,6%
|
Petit-Galland
|
440
|
91,5%
|
Voixdiverses
|
4
|
0,8%
|
6
|
320
|
316
|
Bellicard
|
275
|
87,0%
|
Bouillot
|
261
|
82,6%
|
Chevalier
|
273
|
86,4%
|
Delorme
|
278
|
88,0%
|
Martin
|
31
|
9,8%
|
Voixdiverses
|
1
|
0,3%
|
TABLEAU 3.6 -: Résultats des élections du 26
novembre 1933: Compagnons
Catégorie
|
Votants
|
Exprimés
|
Candidat
|
Voix
|
% des exprimés
|
1
|
15
|
13
|
Bricco
|
12
|
92,3%
|
Arnaud
|
11
|
84,6%
|
Lepetit
|
1
|
7,7%
|
Burdin
|
1
|
7,7%
|
2
|
101
|
92
|
Jacquemet
|
86
|
93,5%
|
Patru
|
86
|
93,5%
|
Culty
|
1
|
1,1%
|
Lepetit
|
1
|
1,1%
|
3
|
41
|
38
|
Jourdan
|
37
|
97,4%
|
Misery
|
37
|
97,4%
|
4
|
48
|
47
|
Livon
|
42
|
89,4%
|
Kastner
|
43
|
91,5%
|
5
|
54
|
53
|
Vray
|
53
|
100%
|
Nérard
|
52
|
100%
|
6
|
20
|
20
|
Bordet
|
20
|
100%
|
Bouchut
|
20
|
100%
|
moitié des membres de chaque catégorie (la
moitié des artisans-maîtres d'une part, la moitié des
artisans-compagnons d'autre part) doivent être désignés par
le sort pour être soumis au premier renouvellement triennal. » La
confirmation du ministre force la Chambre des métiers du Rhône
à admettre la nullité du vote du 4 février30.
Deux maîtres et un compagnon sortants sont ainsi nominativement
désigné pour chaque catégorie lors d'un nouveau tirage au
sort.
Les élections de 1936 ne sont pas aussi sereines que
celles de 1933. La Fédération des artisans du sud-est n'est pas
la seule à se présenter. Elle présente une liste commune
avec l'Association des chambres syndicales patronales. Cette organisation n'est
pas exclusivement artisanale. Elle regroupe des patrons «du petit et moyen
commerce, de la petite et moyenne industrie et de l'artisanat
»31. Les artisans de l'alimentation y sont
affiliés. Les Groupes confédérés des artisans du
Rhône, affiliés à la Confédération
générale de l'artisanat français présentent leur
propre liste.
Les deux listes qui se présentent n'ont pas le
même programme 32. Celui de la
Fédération des artisans du sud-est est dans la continuité
de l'action qu'elle a entrepris depuis 1934. Celui de la liste soutenue par la
Confédération générale de l'artisanat
français est plus proche de l'esprit
29. Lettre du 9 octobre 1935 du Président de la Chambre
des métiers du Rhône, transmise le 16 octobre 1935 au
ministère du travail; réponse du ministre le 15 novembre 1935
[ADR 9M32].
30. Assemblée plénière 8 du 15
décembre 1935 [ADR 9M32].
31. [ADR 10 MBC 127]
32. Dossier V: programme de la Fédération des
artisans du sud-est et de l'Association des chambres syndicales patronales;
programme des Groupes confédérés des artisans du
Rhône/Confédération générale de l'artisanat
français [ADR 9M37].
des réalisations du Front populaire. Il rappelle le
rôle capital joué par la Confédération
générale de l'artisanat français dans le vote de toutes
les mesures législatives concernant l'artisanat depuis 1923. Dans un
autre de ses tracts, la Confédération générale de
l'artisanat français dénonce l'union dans une liste unique de la
Fédération des artisans du sud-est avec l'Alliance des chambres
syndicales patronales, qui ne comprend pas exclusivement des artisans
rattachés à des groupements artisanaux. Cette alliance est
comprise comme la preuve que les intérêts des artisans sont
abandonnés par la Fédération des artisans du sud-est au
profit de ceux des patrons.
Les problèmes commencent dès l'organisation des
élections. Au dernier moment, l'organisation du vote par correspondance
est transformée33. La préfecture voulait imposer
l'emploi des enveloppes fournies par ses soins pour le vote par correspondance.
Une semaine avant les élections, la Confédération
générale de l'artisanat français menace la
préfecture de faire annuler les élections si cette disposition
est maintenue34. Elle rappelle qu'il suffit d'après les
termes de la loi que l'enveloppe extérieure porte les mentions
exigées et que la deuxième enveloppe contenant le bulletin de
vote ne porte aucun signe de reconnaissance extérieure. La
Confédération générale de l'artisanat
français avait d'ailleurs envoyé des enveloppes à tous les
électeurs afin qu'ils puissent voter par correspondance, alors que la
préfecture les fournissait seulement, sans les distribuer directement
aux concernés. Les voix de tous les artisans qui utiliseront les
enveloppes fournies par la Confédération générale
de l'artisanat français risquent donc de ne pas être prises en
compte. Le 10 décembre, la préfecture modifie ses directives et
demande aux maires d'accepter les enveloppes non fournies par son
administration. Cette mesure n'est pas appliquée lors des
élections, le 13 décembre 1936.
Les résultats confirment la disparition de
l'unanimité des débuts sans remettre en cause
l'hégémonie de la Fédération des artisans du
sud-est35. Les candidats de la Fédération des artisans
du sud-est sont presque tous élus. La Confédération
générale de l'artisanat français a 4 élus
seulement: les artisans maîtres de la 5ème et de la
6ème catégorie. Les catégories où la
Confédération générale de l'artisanat
français a remporté des postes sont aussi les plus urbaines. Elle
n'a présenté aucun candidat dans la catégorie de
l'alimentation: cette catégorie est aussi celle qui est la plus
«patronale » et la moins « artisanale ». Elle n'a pas non
plus présenté de candidat compagnon sauf dans la 2ème
catégorie. Dans toutes les catégories où la liste de
la Fédération des artisans du sud-est était l'unique
liste, elle remporte plus de 95% des suffrages exprimés, sauf chez les
compagnons de la 1ère catégorie où elle ne
reçoit que les trois quarts des voix. Dans cette catégorie,
visiblement le clivage patrons/ouvriers l'emporte sur l'unité
d'appartenance à l'artisanat. Tous les postes sont acquis avec une
majorité qui dépasse 60% des suffrages exprimés, sauf dans
la 2ème catégorie, où la
Fédération des artisans du sud-est ne l'emporte qu'à
55,5%.
De nombreuses plaintes sont déposées au sujet du
vote par correspondance par les candidats de la Confédération
générale de l'artisanat français, mais aussi par la
Fédération des artisans
33. [ADR 9M37]
34. Dossier V: lettre du 7 décembre 1936,
envoyée de Paris, du secrétaire général de la
Confédération générale de l'artisanat
français à la préfecture du Rhône. La
préfecture envoie une circulaire pour modifier ses instructions le 10
décembre [ADR 9M37].
35. Voir les tableaux 3.5 page 52, 3.6 page
précédente et 3.7 page suivante.
TABLEAU 3.7 -: Résultats des élections du 13
décembre 1936
Cata
|
Ins- crits
|
Vo- tants
|
Expri- més
|
Bulletins li- tigieux
|
Liste
|
Candidat
|
Voix
|
% des voix exprimées
|
Maîtres
|
1
|
2107
|
482
|
469
|
liste unique
|
FASE
|
Delorme
|
466
|
99,40%
|
FASE
|
Thévenet
|
466
|
99,40%
|
2
|
1669
|
574
|
548
|
27
|
FASE
|
Curat
|
307
|
56,00%
|
FASE
|
Barraud
|
304
|
55,50%
|
CGAF
|
Darfeuille
|
244
|
44,50%
|
CGAF
|
Lannois
|
239
|
43,60%
|
3
|
751
|
319
|
272
|
47
|
FASE
|
Rat
|
188
|
69,10%
|
FASE
|
Rochette
|
187
|
68,80%
|
CGAF
|
Soubairan
|
84
|
30,90%
|
CGAF
|
Bouchardon
|
81
|
29, 80%
|
4
|
1226
|
465
|
371
|
94
|
FASE
|
Grenier
|
252
|
67,90%
|
FASE
|
Mary
|
242
|
65,20%
|
CGAF
|
Devillard
|
117
|
3 1,50%
|
CGAF
|
Chaize
|
115
|
31,00%
|
5
|
2165
|
687
|
637
|
pas
de réclamation
|
CGAF
|
Chaumeny
|
399
|
62,60%
|
CGAF
|
Ressicaud
|
405
|
63,60%
|
FASE
|
Barthélemy
|
232
|
36,40%
|
FASE
|
Bonhomme
|
232
|
36,40%
|
6
|
1371
|
615
|
474
|
154
|
CGAF
|
Bron
|
286
|
60,30%
|
CGAF
|
Maître
|
284
|
59,90%
|
FASE
|
Bouillot
|
188
|
39,70%
|
FASE
|
Chevalier
|
183
|
38,60%
|
Compagnons
|
1
|
142
|
26
|
24
|
liste unique
|
FASE
|
Goût
|
18
|
75,00%
|
FASE
|
Edom
|
17
|
70,80%
|
2
|
497
|
110
|
108
|
3
|
FASE
|
Jacquemet
|
91
|
84,30%
|
CGAF
|
Peyronne
|
17
|
15,70%
|
3
|
143
|
31
|
31
|
liste unique
|
FASE
|
Jourdan
|
31
|
100,00%
|
4
|
160
|
40
|
36
|
liste unique
|
FASE
|
Kastner
|
34
|
94,40%
|
5
|
259
|
39
|
37
|
2
|
FASE
|
Coudert
|
36
|
97,30%
|
FASE
|
Kastner
|
1
|
2,70%
|
6
|
82
|
32
|
32
|
liste unique
|
FASE
|
Bouchut
|
32
|
100,00%
|
a [ADR 9M37]
du sud-est dans les catégories ou elle est perdante
(artisans maîtres de la 5ème catégorie). La
Confédération générale de l'artisanat
français se plaint que les enveloppes qu'elle avait fourni n'aient pas
été dépouillées. Elle cherche à faire
annuler l'ensemble des élections. La Fédération des
artisans du sud-est se plaint que des enveloppes non réglementaires
(celles fournies par la Confédération générale de
l'artisanat français) aient été dépouillées.
Elle cherche de son côté à faire annuler les
élections de la 5ème catégorie.
Chaque fédération cherche à multiplier
les plaintes. La Confédération générale de
l'artisanat français a aussi constaté des
irrégularités dans le déroulement des élections de
la 2ème catégorie des artisans maîtres: certains
se sont vu retirer leur carte d'électeur pendant les opérations
de vote. La Fédération des artisans du sud-est proteste contre le
vote à Lyon des femmes et enfants des artisans maîtres de la
5ème catégorie. Elle donne au débat sur
l'appartenance des façonniers du textile à l'artisanat une
ampleur nouvelle, en protestant contre la non inscription de ces derniers au
moment même où le syndicat des façonniers du textile de
Thizy demande leur rattachement au statut d'ouvrier. Le Conseil de
préfecture est chargé du dossier.
Le 30 janvier 1937, dans un premier jugement, le Conseil de
Préfecture rejette toutes les réclamations concernant la
validité des enveloppes bleues et l'inscription des parents des artisans
maîtres sur les listes électorales car elles ne modifieraient pas
les résultats des élections. Il se déclare en outre
incompétent pour juger de l'appartenance des tisseurs à
l'artisanat. Dans un second jugement, il annule les élections des
maîtres de la 2ème catégorie car les
électeurs de Millery n'ont pas pu voter, et que leur vote aurait pu
transformer le résultat des élections 36. Les
concernés, MM. Barraud et Curat se pourvoient en conseil d'État
le 24 février 1937. Ils demandent au ministre du travail
d'accélérer la prise de décision de celui-ci le 17 juin
1939. Mais en attendant la décision du conseil d'État, ils ont le
droit de siéger à la Chambre de métiers.
Leur présence lors de la séance d'installation
de la Chambre des métiers du Rhône provoque la protestation et le
départ de neuf des membres de la chambre; c'est plus du tiers des
membres présents qui s'absentent! La crise est sans
précédent dans la chambre. Elle a suffisamment
échauffé les esprits pour justifier la succession de trois
discours presque exclusivement pacificateurs. L'ancien président, le
doyen d'âge (président de cette séance) et le préfet
insistent chacun à leur manière sur l'harmonie qui a
régné, qui règne et doit régner dans la Chambre des
métiers du Rhône Ce discours est d'autant plus remarquable de la
part du doyen d'âge, qu'il fait partie de ceux qui quittent la salle.
Cette crise n'est que passagère: une fois Barraud et
Curat légitimés dans leur position37, aucune remarque
sur leur élection ne vient plus ponctuer les assemblées
plénières. Elle n'entame pas vraiment l'unanimité de la
chambre.
Cette crise marque pourtant durablement le fonctionnement de
la Chambre des métiers du Rhône Seuls les membres présents
qui n'ont pas quitté la salle ont pu bénéficier des postes
de responsabilité et participer aux élections pour ces derniers.
Il faut à tout prix que la Chambre des métiers du Rhône
fonctionne! Ces élections sont de la même eau que celle de 1934 et
que la quasi totalité des votes de la Chambre des métiers du
Rhône: l'unanimité règne, à une à
36. [ADR 9M37, dossiers XV et XVI]
37. Ils sont présents lors des assemblées
plénières suivantes.
trois voix près. Une concession a été
faite aux absents: la possibilité de revoir les élections des
commissions est laissée ouverte, pour compenser le fait qu'aucun des
absents ne puisse être élu à aucun poste. Cette
possibilité n'ajamais été utilisée. Par contre lors
de la création de commissions supplémentaires les absents ont pu
bénéficier de quelques places.
3.2.3 Les membres de la Chambre des métiers du
Rhône
3.2.3.1 Des syndicalistes lyonnais en fin de
carrière
L'homogénéité de l'artisanat est avant
tout le fait de ses représentants. Les nouveaux représentants des
artisans s'inscrivent dans la continuité des anciens: ils restent les
membres lyonnais du syndicalisme artisanal.
Ce sont des artisans maîtres et compagnons en fin de
carrière qui s'occupent de la Chambre de métiers. La moyenne
d'âge est de 51 ans pour les compagnons et 46 ans pour les
maîtres38. Les compagnons sont plus vieux que les
maîtres: on est loin de l'image du compagnonjeune qui parfait son
apprentissage avant de s'installer à son compte. Les compagnons sont
aussi installés depuis plus longtemps dans le Rhône (1912 en
moyenne contre 1915 pour les maîtres 39). Ils se
sont aussi installés plus vieux (30 ans contre 25 ans). Ils sont par
contre plus souvent nés dans le Rhône (46% contre 40%
40). Ceux qui ne sont pas originaires du
département ne viennent pas de très loin: les deux tiers viennent
des département limitrophes.
Les membres de la Chambre de métiers sont très
majoritairement des lyonnais41. 26 des 36 membres habitent à
Lyon même, que ce soit en 1933 ou en 1936. Leur poids est écrasant
si l'on rajoute à ce compte les 7 membres habitant dans la banlieue
proche: plus de 9 membres sur 10 habitent l'agglomération lyonnaise.
Cela n'a finalement rien d'étonnant: le poids numérique des
artisans lyonnais est énorme, la majorité des organisations
syndicales sont basées à Lyon, et la proximité du lieu
d'habitation est un atout de plus pour les lyonnais. Ils ne se
répartissent pas uniformément dans l'agglomération
lyonnaise. Plus des trois quarts des lyonnais habitent dans les seuls
4ème , 5ème et 7ème
arrondissements. La catégorie 4, celle de la métallurgie,
est
répartie exclusivement dans Lyon 7ème
et Villeurbanne.
Les membres de la Chambre de métiers sont presque tous
des dirigeants syndicaux. La quasi totalité des membres du bureau de la
Fédération des artisans du sud-est sont membres de la Chambre des
métiers du Rhône Les deux tiers des artisans maîtres
élus en 1933 font partie de l'équipe dirigeante de leur syndicat
respectif. Au même moment aucun des compagnons n'exerce de fonctions
similaires: seul l'un d'entre eux est l'ancien secrétaire de son
syndicat ouvrier. En outre on compte au moins trois médaillés de
la prévoyance sociale chez les membres de la Chambre des métiers
du Rhône (dont une médaille d'honneur), et l'un d'eux a
reçu une médaille d'argent de la Mutualité en 1930.
38. Voir le tableau 3.8 page suivante.
39. Voir le tableau 3.9 page suivante.
40. Voir le tableau 3.10 page suivante.
41. Voir le tableau 3.11 page 59.
TABLEAU 3.8 -: Âge moyen en 1933 des membres de la
Chambre des métiers du Rhône élus en 1933 ou en
1936
|
Catégorie a
|
Titre
|
Toutes
|
1
|
2
|
3
|
4
|
5
|
6
|
Compagnon
|
51
|
47
|
49
|
55
|
48
|
60
|
47
|
Maître
|
46
|
51
|
45
|
54
|
52
|
39
|
42
|
a [ADR 9M37]
TABLEAU 3.9 -: Date moyenne depremier exercice dans le
Rhône des membres de la Chambre des métiers du Rhône
élus en 1933 ou 1936
|
Catégorie a
|
Titre
|
1
|
2
|
3
|
4
|
5
|
6
|
Toutes
|
Compagnon
|
1912
|
1916
|
1922
|
1895
|
1920
|
1907
|
1901
|
Maître
|
1915
|
1915
|
1919
|
1910
|
1911
|
1921
|
1915
|
a [ADR 9M37]
TABLEAU 3.10-: Lieux de naissance des membres de la Chambre
des métiers du Rhône élus en 1933 ou 1936
Lieu de naissancea
|
Compagnons
|
Maîtres
|
Ensemble
|
Rhône
|
6
|
10
|
16
|
Loire
|
2
|
4
|
6
|
Saône-et-Loire
|
|
4
|
4
|
Isère
|
1
|
3
|
4
|
Haute-Loire
|
|
2
|
2
|
Savoie
|
|
1
|
1
|
Ain
|
1
|
|
1
|
Aude
|
1
|
|
1
|
Italie
|
1
|
1
|
2
|
Tunisie
|
1
|
|
1
|
a [ADR 9M37]
TABLEAU 3.11 -: Adresses des membres de la Chambre de
métiers en 1933 et 1936 et des candidats non élus en 1936
Adresse
|
Membres (1933)
|
Membres (1936)
|
Non élus (1936)
|
Lyon 1er
|
1
|
2
|
|
Lyon 2ème
|
2
|
3
|
2
|
Lyon 3ème
|
|
1
|
|
Lyon 4ème
|
7
|
8
|
|
Lyon 5ème
|
6
|
5
|
|
Lyon 6ème
|
2
|
1
|
|
Lyon 7ème
|
8
|
6
|
2
|
Total pour Lyon
|
26
|
26
|
4
|
Tassin-la-Demi-Lune
|
5
|
5
|
|
Villeurbanne
|
2
|
2
|
1
|
Brindas
|
2
|
2
|
1
|
Thurins
|
1
|
1
|
|
Villefranche
|
1
|
1
|
|
Givors
|
|
|
4
|
Total pour le Rhône hors Lyon
|
10
|
10
|
5
|
Cette participation à d'autres organisations à
ses répercussions sur le fonctionnement de la Chambre de métiers.
Les assemblées de celle-ci comme celles des syndicats ayant lieu le
dimanche, les membres sont obligés d'arbitrer entre leur participation
à l'une ou l'autre de leurs responsabilités. Rapidement ils
demandent un aménagement de la répartition des dates de
réunions: qu'on les fasse varier entre le premier et le quatrième
dimanche du mois 42.
Le militantisme syndical n'est pas accompagné d'un
militantisme politique: trois membres seulement sont inscrits à un parti
politique. Dans l'ensemble les artisans de la Chambre des métiers du
Rhône s'intéres sent peu à la politique et penchent
à droite. Ils sont majoritairement «républicains
»43.Seuls quelques maîtres se détachent par leur
affinité avec les radicaux, les radicaux- socialistes, les socialistes
voire même les communistes. Les élections de 1936 font
légèrement évoluer la Chambre des métiers du
Rhône à gauche. La catégorie 3 est la plus à droite.
Les catégories 5 et 6 (textile, et métiers divers maniant le plus
les valeurs symboliques) sont les plus à gauche, elles sont aussi les
plus urbaines, et, pour le textile au moins, comptent les artisans les plus
proches du monde ouvrier.
Les membres de la Chambre des métiers du Rhône
ont aussi un mode de vie dont il faudrait évaluer la ressemblance avec
le mode de vie de l'ensemble des artisans: ils voient entre autres
42. Assemblée plénière 11 du 21 juin 1936
[ADR 9M32].
43. Dossiers confidentiels du Commissaire spécial
demandés par la préfecture à l'occasion de chaque
élection [ADR 9M37]. Voir le tableau 3.12 page suivante.
TABLEAU 3.12 -: Opinions politiques des membres de la Chambre
des métiers du Rhône élus en 1933 ou 1936
|
1933
|
1936
|
Opinions politiques
|
Données
|
Compa- gnons
|
Maîtres
|
Total
|
Compa- gnons
|
Maîtres
|
Total
|
Républicain modéré
|
Nombre
|
1
|
2
|
3
|
1
|
2
|
3
|
Militants
|
1
|
1
|
2
|
1
|
1
|
2
|
Républicain
|
Nombre
|
10
|
13
|
23
|
9
|
12
|
21
|
Militants
|
0
|
0
|
0
|
0
|
0
|
0
|
Radical
|
Nombre
|
0
|
2
|
2
|
0
|
2
|
2
|
Militants
|
0
|
0
|
0
|
0
|
0
|
0
|
Radical socialiste
|
Nombre
|
0
|
4
|
4
|
0
|
5
|
5
|
Militants
|
0
|
1
|
1
|
0
|
1
|
1
|
Socialiste
ou communiste
|
Nombre
|
1
|
2
|
3
|
2
|
2
|
4
|
Militants
|
0
|
0
|
0
|
0
|
0
|
0
|
Total Nombre
|
12
|
23
|
35
|
12
|
23
|
35
|
Total Militants
|
1
|
2
|
3
|
1
|
2
|
3
|
a [ADR 9M37]
choses grandir la place réservée aux loisirs. Le
repos dominical devient la norme. L'exercice de toute activité en
rapport avec le travail, particulièrement la participation aux
réunions de la Chambre de métiers, commence même à
être exclue le dimanche. Cette évolution ne se fait pas sans
heurts: elle révèle même des clivages assez nets au sein
des populations artisanales.
La 1 9ème assemblée
plénière se déroule le samedi 25 juin 1938. Les coiffeurs
Maître et Delorme ne peuvent assister jusqu'à la fin de la
réunion qui, se tenant un samedi après-midi, entre en concurrence
avec la nécessité d'assurer leur travail. Ce jour a cette fois ci
été choisi, au lieu du dimanche, pour une somme de raisons assez
révélatrices. Des raisons professionnelles sont mises en avant:
les membres sont pris le dimanche par d'autres occupations, notamment
syndicales; l'argument avait déjà provoqué un
débat, quelque temps auparavant, sur ce même sujet. Mais cet
argument est complété par la mention d'autres occupations: c'est
le jour réservé à toutes sortes de «
cérémonies ou festivités », et c'est le jour
réservé à la vie en famille; autrement dit, ce jour est
réservé au loisir, à tout ce qui sort du cadre du travail.
L'argumentation a donc bien évolué, puisque les obligations
syndicales du dimanche sont devenues finalement marginales dans
l'argumentation, voire même gênantes, citées pour
mémoire, mais incapables de fournir l'argument complet. La somme de ces
deux exigences se solde par une insistance sur le seul fait que le dimanche est
déjà occupé. On assiste donc à un gonflement des
activités extra- productives, puisque le dimanche ne suffit plus
à les contenir.
Mais pourquoi choisir le samedi? C'est qu'il est devenu,
justement, un jour chômé. Il l'est devenu depuis peu puisqu'il
n'est encore réservé par aucune manifestation syndicale,
familiale, ou toute autre festivité plus ou moins organisée. Le
temps imparti au loisir augmente donc chez les artisans, et se transforme: si
le dimanche doit être libéré, c'est « qu'ayant
travaillé toute la semaine, l'artisan devrait bien pouvoir se reposer et
aller se promener au moins pendant la belle saison », et que cette
promenade ne peut avoir lieu que le dimanche. Sans doute est-ce parce que la
journée du samedi n'est qu'à moitié chômée,
alors que toute la journée du dimanche est libérée. Une
partition du temps réservé aux loisirs est donc en train de
s'opérer, qui essaie de repousser à un jour spécifique les
activités certes non productives, mais qui peuvent être
liées au travail, et qui sont au moins des obligations sociales, de
sorte que les activités de loisir pur, qui marquent une volonté
d'échapper à la société par un enfermement dans la
famille et un retour à la nature, puissent être
développées dans une journée complète qui leur est
réservée.
Ce système global se heurte cependant à la
résistance de quelques groupes: on apprend que les artisans de
l'alimentation avaient déjà refusé que les réunions
se déroulent le dimanche matin. Cela montre certes les limites du
modèle, puisque chez ces artisans, le loisir est limité à
une demi-journée, mais cela montre aussi les tentatives
déjà plus anciennes de repousser l'activité liée
à la Chambre des métiers du Rhône hors du temps
réservé au loisir. Plus intéressant est le départ
des deux coiffeurs, pour lesquels le samedi reste une journée de
travail. Le loisir des uns est-il le travail des autres? L'hypothèse est
plausible. La liste des absents lors de cette réponse ne permet pas de
la vérifier. Deux artisans de chaque catégorie sont absents. Les
coiffeurs sont sans doute ceux qui ont le plus de chance de voir augmenter leur
clientèle les jours chômés, et qui, de plus, ne peuvent se
faire remplacer puisqu'ils vendent un savoir faire dont la réalisation
est contemporaine de sa consommation.
Le débat se clôt par la résolution de tenir
l'assemblée de juin le samedi après-midi et les autres
comme par le passé, le dimanche après-midi,
ainsi que par le départ des deux coiffeurs. Une solution
intermédiaire a donc été trouvée, qui permet de
faire sa place aux promenades dominicales à la belle saison; la
reconnaissance d'un loisir qui s'étend y trouve son compte, quelques
années seulement après l'émergence officielle des premiers
congés payés pour les salariés. La question de savoir si
cette généralisation du temps de loisir est un fait qui touche
l'ensemble des artisans, sinon l'ensemble de la société, reste
ouverte.
3.2.3.2 Des maîtres
incontestés
Les élections de 1936 ne transforment pas la Chambre
des métiers du Rhône Les membres sortants cherchent le plus
souvent à faire reconduire leur mandat. Sur les 18 sortants, seuls 3
maîtres et 2 compagnons ne se sont pas présentés à
nouveau. Tous ne se sont pas présentés sur la liste de la
Fédération des artisans du sud-est Les maîtres sortants de
la 5ème catégorie sont réélus sur la
liste de la Confédération générale de l'artisanat
français Seuls deux des membres sortants qui se présentaient
à nouveau en 1936 ne sont pas réélus: ce sont les nouveaux
élus de la 6ème catégorie. Ces nouveaux membres
étaient présentés par la Confédération
générale de l'artisanat français En tout, 7 des nouveaux
élus de la Chambre des métiers du Rhône n'appartenaient pas
à celle-ci dès 1933. 5 sont issus de la liste
présentée par la Fédération des artisans du sud-est
et l'Association des chambres syndicales patronales, 2 sont issus de la liste
de la Confédération générale de l'artisanat
français
L'attribution des postes dirigeants évolue peu entre
1934 et 1937. Le président, un viceprésident, le
secrétaire général et le secrétaire adjoint sont
reconduits. Le trésorier sortant n'est pas réélu.
L'évolution des différentes commissions est plus
contrastée. La commission de l'apprentissage de 1937 reste dans la
continuité de celle de 1934: seul l'un des cinq membres est
remplacé. La commission du budget, qui devient commission des finances
évolue plus: trois des cinq membres sont remplacés par des
artisans qui appartenaient déjà à la chambre en 1934. La
commission des voeux est par contre entièrement renouvelée, mais
uniquement avec des « anciens » de la Chambre des métiers du
Rhône Le cas de la commission du travail artisanal est le plus
intéressant: les attributions de cette grosse commission (9 membres)
sont réparties entre la commission de législation et la
commission d'études économiques, sociales et artisanales. Ce sont
les seules commissions auxquelles des nouveaux élus participent. Dans la
commission d'études on retrouve deux membres de l'ancienne commission et
un nouvel élu. Dans la commission de législation on retrouve le
tiers des membres de l'ancienne commission du travail artisanal, et deux
membres nouvellement élus; cette commission est élargie en 1938:
quatre membres viennent s'y raj outer, dont deux nouveaux élus, et deux
des membres de la Chambre qui avaient refusé de siéger lors de la
séance d'installation.
L'activité des maîtres de la Chambre des
métiers du Rhône dépasse largement celle des
compagnons44. 5 maîtres n'ont jamais eu de postes au bureau ou
dans les commissions, alors que 6 compagnons sont dans le même cas. 10
maîtres occupent 3 sièges différents ou plus, alors que
seulement 2 compagnons se trouvent dans le même cas. Et encore: les deux
tiers des postes occupés par les compagnons sont des postes de
suppléants, alors que tous les maîtres sont pleinement
44. Voir le tableau 3.13 page suivante.
titulaires de leurs postes. Si l'on ignore ces postes de
suppléants, les deux tiers des membres compagnons de la Chambre des
métiers du Rhône ne bénéficient d'aucun poste de
responsabilité à la Chambre. La répartition des postes de
délégués auprès des diverses organisations
extérieures en relation avec la Chambre parait en revanche plus
équitable. La moitié des postes de délégués
à l'enseignement technique a toujours été
réservée aux compagnons. Mais les autres postes de
délégués leur sont fermés.
TABLEAU 3.13 -: Nombre de sièges au bureau ou dans
des commissions occupés par les membres de la Chambre des métiers
du Rhône entre 1934 et 1939, sans comp-ter les reconductions au
mêmeposte en 1937.
|
3 sièges ou plus
|
2 sièges
|
1 siège
|
aucun siège
|
Maîtresa
|
10
|
6
|
8
|
5
|
Compagnons
|
2
|
1
|
6
|
6
|
(hors postes de suppléants)
|
0
|
2
|
3
|
10
|
a Ensemble des procès verbaux des
assemblées plénières disponibles [ADR 9M32].
Toutes les catégories ne sont pas également
représentés au bureau et dans les commissions45. Aucun
membre des métiers du textile n'ajamais fait partie du bureau. En
moyenne, 3 à 4 des catégories sont représentées
dans chaque commission. La situation est encore à peu près
équilibrée en 1934. Après le premier renouvellement de la
Chambre des métiers du Rhône, des différences très
nettes d'intérêts pour laparticipation aux commissions de la
Chambre apparaissent. Les 1ère, 4ème
et 6ème catégories ont les membres les plus
actifs: ils étaient déjà présents au moins dans 3
des 5 commissions de la période 1934-1936, et sont présents dans
toutes les commissions de la période suivante. Les 3ème
et 5ème catégories sont les moins
présentes: elles ne participent chacune qu'à 2 commissionsau
plus. Ces résultats doivent être tout de même
considérés avec circonspection: la force de la 6ème
catégorie est due à la présence du secrétaire
général (Bellicard) dans presque toutes les commissions. Il n'est
pas membre d'office de celles-ci, contrairement au président (Rochette),
membre de la 3ème catégorie qui apparaît
pourtant si peu active...
TABLEAU 3.14-: Nombre de commissions dans lesquelles des
membres artisans- maîtres de chaque catégorie
sontprésents
Catégories
Périodea 1 2 3 4 5 6 Nombre total de
commissions
|
1934-1936
|
3
|
2
|
2
|
3
|
3
|
4
|
5
|
1937-1939
|
7
|
4
|
1
|
7
|
2
|
7
|
7
|
a Ensemble des procès verbaux des
assemblées plénières disponibles [ADR 9M32].
45. Voir le tableau 3.14.
La catégorie des artisans du textile reste tout de
même la moins active. Cela confirme l'impression qu'ils donnent
d'être plutôt rattachés au monde des ouvriers de l'industrie
(ils étaient déjà peu nombreux à participer aux
élections). L'activité des membres de la 1 ère
catégorie est plus étonnante: les artisans de
l'alimentation paraissaientjusque là être mal
intégrés à l'artisanat, et très peu
intéressés par la Chambre de métiers (notamment lors de
élections). Cette intégration semble s'être parfaitement
achevée, du moins pour les membres de la Chambre des métiers du
Rhône, en 1937. Quant aux métallurgistes de la 4ème
catégorie, rien jusque là ne laissait prévoir qu'ils
se feraient remarquer par leur activité, chacun d'eux étant
membre de deux commissions en moyenne. Par contre, les artisans de la
6ème catégorie qui s'étaient
déplacés en masse aux élections, sont finalement peu
actifs: Bellicard, le secrétaire général est certes
très actif, mais les autres membres de la catégorie se contentent
d'une commission en moyenne.
La personnalité des membres élus semble donc
jouer un rôle au moins aussi important que l'appartenance à un
métier dans la détermination de l'activité des
maîtres. Mais ce n'est pas vraiment le cas pour les compagnons. Les seuls
d'entre eux à cumuler les postes de membres ou de suppléants dans
les commissions sont les membres du bureau. La proximité avec les
maîtres semble être le facteur déterminant de leur
activité à la Chambre des métiers du Rhône
Les démissions sont très rares, et sont presque
toujours justifiées par un changement de la situation de l'ancien
membre, et non par une opposition à la politique de la Chambre des
métiers du Rhône Quatre membres démissionnent entre 1933 et
1939. Mme Vray, l'une des deux femmes de la Chambre des métiers du
Rhône, démissionne en raison de son âge avancé et de
son état de santé déficient46. M. Petit-Galland
a quitté le département du Rhône47. M. Patru,
membre compagnon, démissionne alors qu'il exerce depuis quelques mois en
qualité de maître48. M. Coudert, compagnon élu
en 1936 est le seul à poser problème: il n'est jamais venu
à aucune assemblée plénière, et le
secrétaire adjoint s'est présenté plusieurs fois vainement
à son domicile, lorsque la Chambre des métiers du Rhône
décide de demander au préfet de le déclarer
démissionnaire49.
La mobilisation militaire de 1939 n'épargne pas les
membres de la Chambre des métiers du Rhône Sa conséquence
la plus visible est la nomination d'urgence d'un nouveau trésorier.
M. Burdy, soumis aux obligations militaires, est
remplacé par Félix Delorme, jusqu'ici viceprésident de la
Chambre des métiers du Rhône, dégagé des obligations
militaires et retenu en outre par sa fonction de président de
président de la Chambre syndicale de la boulangerie
lyonnaise50.
46. Assemblées plénières 18 du 6 mars 1938
et 19 du 25 juin 1938 [ADR 9M32].
47. Assemblées plénières 18 du 6 mars 1938
et 19 du 25 juin 1938 [ADR 9M32].
48. Assemblée plénière 22 du 23 avril 1939
[ADR 9M32].
49. Assemblée plénière 19 du 25 juin 1938
[ADR 9M32].
50. Lettre du 4 septembre 1939 du président de la Chambre
des métiers du Rhône au préfet, suivant les mesures
d'urgence prises par le Bureau le 1er septembre [ADR 9M33].
3.3 Qualifications et apprentissage
3.3.1 La rénovation de l'apprentissage
La création des Chambres de métiers en 1925
était, on l'a vu, un des moyens envisagés pour résoudre la
crise de l'apprentissage, permanente depuis le
XIXème siècle51. Le
projet de loi initial prévoyait de donner aux Chambres de métiers
tous pouvoirs pour organiser l'apprentissage. La loi a finalement
créé des institutions moins puissantes, qui doivent attendre de
la législation les bases de cette rénovation.
En 1934, lors de la création de la Chambre des
métiers du Rhône, et depuis la création des Chambres de
métiers en 1925, la situation concernant l'apprentissage a
légèrement évolué, mais la loi spéciale
prévue par la loi de 1925 n'a toujours pas été
votée. Une loi de 1928 impose le contrat d'apprentissage écrit,
et associe à la signature de celui-ci l'obligation de fréquenter
les cours professionnels prévus par la loi Astier ainsi que l'obligation
de passer un examen professionnel à la fin de la formation (ce sera le
Brevet de capacité professionnelle, BP). Cette loi donne en outre une
nouvelle définition de l'apprentissage: il est désormais
«formation professionnelle méthodique et complète » et
non plus « enseignement de la pratique de la profession ».
La rénovation de l'apprentissage, c'est aussi la «
base de rénovation de tout l'artisanat » 52 aux yeux des membres de
la Chambre des métiers du Rhône eux-mêmes, pour lesquels
l'apprentissage est le moyen de former un ouvrier complet en lui faisant
exercer toutes les spécialités de la profession53.
Comment les artisans envisagent-ils cette rénovation? L'aspect
législatif semble les accaparer: pour eux cette réorganisation se
comprend d'abord par une réglementation de l'apprentissage, par
l'accomplissement des réformes dont la nécessité est une
chose entendue. La voie suivie par la Chambre des métiers du Rhône
pour réglementer l'apprentissage peut apparaître comme exemplaire
de la manière dont la Chambre fait face à ses problèmes
d'organisation: l'appel à l'état est systématique; il est
chargé de rendre l'action des Chambres de métiers possible en
leur élaborant un cadre.
La Chambre des métiers du Rhône dispose aussi de
quatre sièges au Comité départemental de l'enseignement
technique Elle a donc aussi comme prérogative d'assurer aussi un
contrôle au quotidien du bon déroulement de l'apprentissage. Elle
a des délégués dans la Commission locale professionnelle
de Lyon, qui s'occupe depuis la loi Astier d'organiser les cours professionnels
et de créer les CAP 54.Les délégués aux
Comité départemental de l'enseignement technique et à la
Commission locale professionnelle de Lyon ne sont pas suffisant pour obtenir la
rénovation complète de l'apprentissage. Dans l'immédiat,
la Chambre des métiers du Rhône est donc obligée de
composer, d'imaginer des moyens d'action qui ne soient pas la simple
application de lois. La gestion quotidienne et le contrôle de
l'apprentissage est ainsi l'objet de pratiques plus diverses,
51. [PELPEL & TROGER 1993, PROST 1968]
52. Assemblée plénière 7 du 6 octobre 1935,
Rapport sur l'apprentissage artisanal [ADR 9M32].
53. C'est la teneur de l'intervention de Grivet qui donne un
schéma de l'apprentissage lors de la discussion qui suit la
présentation du rapport sur l'apprentissage de l'assemblée
plénière 7 du 6 octobre 1935.
54. Àpropos du rôle les Comités
départementaux de l'enseignement technique et des Commission locale
professionnelle àpartirde 1919: [BRUCY 1989].
plus difficiles à évaluer aussi.
3.3.1.1 Le projet Walter et Paulin de
réglementation de l'apprentissage
Un projet de loi Walter et Paulin envisage la
réorganisation de l'apprentissage spécifiquement artisanal. La
Chambre des métiers du Rhône après l'avoir soumis aux
réflexions de sa commission de l'apprentissage, soutient le projet
dès octobre 193555. L'apprentissage prévu par cette
loi ne se fait pas uniquement à l'atelier: il est «
complété » par la fréquentation obligatoire d'un
cours professionnel. L'éventail des tâches de la Chambre de
métiers qui en découlent est des plus large. Elle suit le cycle
de l'apprentissage du début à la fin: «organisation
générale; sélection des candidats apprentis par le Service
d'orientation Professionnel; choix des métiers, d'après l'avis
des organisations syndicales et professionnelles, dans lesquels il y a lieu de
former de futurs compagnons; surveillance et contrôle des conditions
matérielles et morales de pratique de cet apprentissage;
émulation à provoquer tant parmi les apprentis que chez le
maîtres-artisans; récompenses à décerner aux plus
méritants ou sanctions même ».
Ceci rend nécessaire une évolution de
l'organisation de la Chambre. La surveillance et le contrôle des contrats
d'apprentissage et des conditions matérielles et morales dans lesquelles
se trouveront placés les apprentis nécessite la création
d'un corps d'inspecteurs d'apprentissage nommés par les Chambres de
métiers. Le recrutement des apprentis dans tout le département
nécessite la présence de membres correspondants dans les centres
éloignés. Ils seraient chargés d'accueillir les apprentis
et de les diriger vers le service d'orientation professionnelle. Ils seraient
aussi chargés de recueillir les suggestions et réclamations des
maîtres-artisans. Le projet de loi propose de limiter leur nombre
à la moitié du nombre des membres de la Chambre de
métiers. Il propose aussi de les choisir parmi les ressortissants de la
Chambres, en fonction de « qualités et garanties extra-
professionnelles ».
L'existence de membres correspondants était
déjà prévue par la loi de 1925 (article 8). Seule la
limitation de leur nombre était prévue. Le projet de loi a repris
cette caractéristique. Il a rajouté quelques conditions que rien
n'empêche de poser en suivant la loi de 1925. La Chambre des
métiers du Rhône entend montrer la viabilité de la loi
projetée. Elle entreprend de recruter des membres correspondants tels
que prévus par le projet de loi. Dès décembre 1935, elle
dispose de 10 membres correspondants56. La moitié des chefs
lieu de canton sont ainsi dotés de correspondants57. Au
printemps 1936, seuls 3 cantons n'en sont pas dotés, et un seul fin
193658, c'est à dire alors que la loi n'a pas encore
été votée. Enfin, début 193859, chaque
canton possède son membre correspondant, et Champagne-au-Mont-d'Or et
Oullins se sont rajoutés à cette liste.
La Chambre des métiers du Rhône a fait preuve
d'un empressement tout à fait particulier, étant donné que
cette création n'avait pas avant la loi Walter et Paulin de
caractère d'urgence. Le manque de motivation des premiers correspondants
recrutés marque cette fébrilité. Les membres
55. Assemblée plénière 7 du 6 octobre 1935
[ADR 9M32].
56. Assemblée plénière 8 du 15
décembre 1935 [ADR 9M32].
57. 20 cantons sont à pourvoir: Lyon et Villeurbanne
n'ont pas besoin de membres correspondants.
58. Liste des membres correspondants présents lors de
l'assemblée plénière 13 du 22 novembre 1936 [ADR 9M32].
59. Assemblée plénière 18 du 6 mars 1938 [ADR 9M32].
présents seulement àpartir duprintemps 1936 sont
en effetbeaucoup plus assidus aux assemblées plénières de
la Chambre des métiers du Rhône que les premiers nommés. Le
recrutement de ces membres correspondants a sans doute été une
tâche ardue. L'empressement pour trouver des correspondants a donc un
temps supplanté l'exigence du choix de personnes motivées, si
l'on estime que leur présence aux assemblées
plénières est bien un signe pertinent de leur activité.
Comment s'est effectué le recrutement? Il semble que le
raisonnement en terme de catégorie n'ait pas été
appliqué pour cette sorte de collaborateurs de la Chambre de
métiers. La contrainte spatiale imposée dans le choix des
correspondants semble avoir suffit pour effectuer le choix. En décembre
1935, aucun artisan commerçant de la première catégorie
n'a été recruté, alors que les troisième et
quatrième catégories sont sur-représentées
60. Il est difficile d'estimer le rôle joué
par les réseaux d'inter-connaissance. Mais on peut mesurer la faiblesse
du rôle des relations de parenté. Sur les 22 membres finalement
recrutés, on retrouve 3 patronymes similaires à ceux de membres
de la Chambre des métiers du Rhône Il semble bien finalement que
la seule logique qui préside au choix des membres correspondants, c'est
de réus sir à trouver une personne prête à remplir
ce rôle à l'endroit prévu.
Les membres de la Chambre des métiers du Rhône
sont satisfaits du projet de loi: il permet d'organiser l'apprentissage. Le
problème de fond n'est cependant à leur avis pas
réglé. Le projet de loi ne prévoit ni la
rémunération des apprentis, ni celle de leurs employeurs. Or
à leur avis: «le gros écueil, jusqu'à présent,
provient d'une part des parents de l'apprenti, lesquels ne voient dans la mise
en apprentissage de leur enfant qu'un moyen d'apport supplémentaire
immédiat de ressources au foyer, et d'autre part des maîtres
artisans qui hésitent ou refusent de former des apprentis devant les
charges morales et financières que représente cette
éducation professionnelle » 61 . Le problème devra donc
être résolu autrement. Les artisans envisagent la création
de caisses d'apprentissage alimentées tant par des subventions
bénévoles que par les versements à cette caisse d'un
pourcentage variable des sommes à titre de la taxe d'apprentissage. Ce
système rendrait nécessaire la collaboration de la Chambre de
métiers et du Comité départemental de l'enseignement
technique, et plus généralement des divers organismes publics et
privés.
Malgré tout, une fois décidé le soutien
au projet de loi, la Chambre des métiers du Rhône rejette toutes
les propositions parallèles ou complémentaires qui pourraient
retarder sa discussion et son vote par les parlementaires 62.
Elle réclame même l'année suivante le vote rapide de
la loi63.
Le soutien de la Chambre des métiers du Rhône, et
de l'ensemble des Chambres de métiers à ce projet de loi est donc
total, et l'adhésion aux changements proposés suffisamment forte
pour que la contestation sur des points de détail, ou la
réclamation de projets plus ambitieux et plus larges ne voie pas le
jour. L'intérêt des artisans pour ce projet de loi, qui cherche
avant tout à réglementer et unifier les conditions
d'apprentissage, ne se limite pourtant pas à cette
réglementation: l'attention des artisans est particulièrement
attirée par les points qui permettraient la régulation du nombre
des apprentis formés en fonction des besoins de chaque métier,
qui seraient définis
60. La profession de 8 des correspondants recrutés est
donnée dans le compte-rendu de l'assemblée plénière
8 du 15 décembre 1935 [ADR 9M32].
61. Assemblée plénière 7 du 6 octobre 1935
[ADR 9M32].
62. Assemblée plénière 8 du 15
décembre 1935 [ADR 9M32].
63. Assemblée plénière 13 du 22 novembre
1936 [ADR 9M32].
par les organisations professionnelles. L'autre grande
interrogation concerne la rémunération des patrons
d'apprentissage. L'apprentissage est donc compris comme une institution
centrale, non seulement dans la formation des artisans, mais encore dans la
formation du groupe. Réglementer l'apprentissage permet de fermer la
groupe et de limiter le nombre des concurrents; rétribuer les formateurs
permet de donner un avantage aux membres du groupe face à leurs
concurrents. Derrière la question de la formation se profile donc celle
du sauvetage financier du groupe. L'application de la loi Walter et Paulin du
10 mars 1937 se fait donc avec cet arrière plan.
3.3.1.2 La mise en place d'un règlement
d'apprentissage unifié
La loi Walter et Paulin est promulguée le 10 mars 1937.
La Chambre des métiers du Rhône s'occupe alors de codifier un
règlement d'apprentissage, en accord avec les organisations
professionnelles dans l'année 1937, puis elle modifie celui- ci à
mesure que les circulaires de la Direction de l'enseignement technique et les
décrets le lui imposent.
Au printemps 1937, les organisations professionnelles sont
convoquées àla séance de la commission d'apprentissage
pour donner leur avis sur le projet de règlement d'apprentissage 64
. Cette attention aux volontés des syndicats est tout à
fait caractéristique du problème identitaire de la Chambre, dont
l'autorité est toujours contestée par ces derniers; elle
reflète en outre le désir de l'ensemble du groupe de
contrôler le plus étroitement possible l'apprentissage: l'enjeu
est d'une taille telle que les divergences ne sauraient exister, le
règlement est compris comme la première étape d'une prise
de contrôle beaucoup plus étendue sur l'apprentissage.
Un règlement d'apprentissage est finalement
adopté l'année suivante65. Les attributions de la
commission d'apprentissage sont élargies. Elle est désormais
chargée de prévoir le contrôle des cours et de
l'enseignement pratique, et la formation de jurys d'examens.
La loi laissait dans le flou l'organisation des services
d'orientation professionnelle chargés de faire subir un examen,
passé dans des conditions spéciales, à tous les enfants se
destinant à une profession. Ceux-ci sont organisés par le
décret du 24 mai 1938. Ils imposent la première modification du
règlement d'apprentissage 66 . Le Service
départemental d'orientation professionnelle est chargé d'un
examen psychotechnique, confié à des médecins et à
des orienteurs; il s'agit, à partir d'un examen au niveau physique et
mental, de déterminer la branche où le métier dans lequel
l'enfant a le plus de chances de réussir, et de déceler les
contre- indications qui peuvent exister pour certains autres métiers. Il
se place clairement dans la lignée de l'Institut national d'orientation
professionnelle (INOP), créé en 1928 en application d'un
décret de 1922, point de départ de la remise en cause d'une
orientation « naturelle » qui n'était que la stricte
reproduction des origines sociales, et de son remplacement par une orientation
supposée scientifique67.
Ce même décret du 24 mai 1938 crée
l'obligation à tous les enfants entre 14 et 17 ans de recevoir une
éducation professionnelle. De l'acceptation ou du refus de subir cette
épreuve d'orien-
64. Assemblée plénière 15 du 2 mai 1937
[ADR 9M32].
65. Assemblée plénière 18 du 6 mars 1938
[ADR 9M32].
66. Assemblée plénière 20 du 30 octobre
1938 [ADR 9M32].
67. [PELPEL & TROGER 1993, page 65]
tation dépendent l'attribution de bourses aux apprentis
et de primes aux maîtres ainsi que l'admission dans une école
professionnelle.
L'autonomie des Chambres de métiers en matière
d'apprentissage est limitée par les interventions de la direction de
l'enseignement technique. Celle-ci donne début 1939 le schéma
général de l'examen de fin d'apprentissage, avec les coefficients
afférents aux matières et les notes éliminatoires minima,
et institue le Brevet de Compagnon qui ne pourra être passé
qu'après deux ans minimum d'exercice du métier68. Le
règlement type d'apprentissage est à nouveau modifié par
la Chambre des métiers du Rhône pour être en
conformité avec ces directives 69.
En 1939, la formation artisanale est donc ainsi
organisée. Les membres correspondants recherchent des candidats
apprentis. Après passage du candidat apprenti à un office du
Service départemental d'orientation professionnelle chargé de
l'orienter vers le métier qui lui convienne le mieux, il trouve un
employeur. Un contrat d'apprentissage écrit lie l'apprenti à son
employeur. Cet apprenti (s'il a moins de dix-huit ans) doit compléter
son apprentissage à l'atelier par la fréquentation d'un cours
professionnel, sanctionnée par un Brevet de capacité
professionnelle (BP). La fin de son apprentissage chez un maître artisan
est sanctionnée par un examen de fin d'apprentissage. Les employeurs qui
n'emploient aucun apprenti payent la taxe d'apprentissage, les autres en sont
exemptés; ceux qui emploient un seul apprenti sont en outre
exemptés de patente. Le maître-artisan doit enseigner à son
apprenti toute la connaissance de son métier, et lui permettre
d'assister aux cours professionnels. La Chambre de métiers a son
rôle àjouer pendant tout le processus d'apprentissage: ses membres
correspondants recrutent les apprentis; elle établit un règlement
type d'apprentissage, organise les examens de fin d'apprentissage, et
vérifie le bon déroulement de toutes les opérations.
3.3.1.3 Défendre la spécificité de
l'apprentissage artisanal, ou insister sur l'unité de chaque
métier?
Tous les membres de la Chambre des métiers du
Rhône ne sont pas d'emblée prêts à défendre
l'autonomie de l'apprentissage artisanal que la loi Walter et Paulin tend
à installer. Cette loi entérine la césure entre industrie
et artisanat au détriment de l'unité du métier. Le
règlement type d'apprentissage adopté ne concerne que
l'apprentissage artisanal et non l'apprentis sage dans les entreprises
industrielles, alors qu'il s'agit bien du même métier, si bien que
certains veulent demander « l'extension ou mieux la
généralisation » du projet existant pour les entreprises
artisanales à toute l'industrie70. Si l'on entend bien cette
hésitation sur le vocabulaire employé pour demander cette
modification, on comprend que cette loi est comprise comme une réponse
particulière, exemplaire et expérimentale, à un
problème d'ordre plus général: c'est l'apprentissage dans
son ensemble qu'il faut réglementer, au nom de l'unité des
métiers.
On se heurte donc à nouveau à un problème
de définition, de cohésion et de cohérence de l'artisanat.
Dans la loi, c'est toujours le critère de taille qui est retenu pour
définir l'artisanat, qui est censé constituer un groupe
homogène et particulier, ce qui justifie une loi qui reconnaît
à
68. CirculaireN°45 du 15/03/1939
69. Assemblée plénière 22 du 23 avril 1939:
modification de l'article 14 du règlement d'apprentissage [ADR 9M32].
70. Assemblée plénière 18 du 6 mars 1938 [ADR 9M32].
l'artisanat un mode de reproduction spécifique. Mais le
critère du métier homogène est celui qui est retenu par
les artisans dans leur propre représentation, avant même celui de
l'appartenance à l'artisanat. Alors même que la reconnaissance
d'un apprentissage spécifique à l'artisanat était
demandé, c'est l'application stricte de ce principe qui choque les
membres de la Chambre des métiers du Rhône: preuve que
l'apprentissage reste avant tout rattaché au métier et à
ses caractéristiques techniques, et non à la structure sociale du
lieu de production; et que l'artisan exerce son métier avant de se
concevoir comme artisan.
Une telle prise de position s'avère dangereuse pour
l'existence du groupe; elle risque de faire perdre à la Chambre des
métiers du Rhône toute légitimité. Est-ce la prise
de conscience de ces conséquences qui justifie l'abandon très
rapide de ces revendications? En tous cas, on n'en retrouve plus aucune trace
par la suite, et la position soutenue par la Chambre va à
l'opposé. Par contre, les membres de la Commission de l'apprentissage
multiplient les interventions, où ils ressassent la
nécessité d'une distinction entre apprentissage artisanal et
industriel, entre diplômes artisanaux et diplômes industriels.
La loi Walter et Paulin instaure un cursus spécifique
pour les apprentis de l'artisanat. Ce cur-sus est sanctionné par le
Brevet de capacité professionnelle (BP), puis par un diplôme
nouveau, l'Examen de fin d'apprentissage, dont les modalités doivent
être précisées, et dont l'originalité doit
être rendue visible. Sa confrontation avec le Certificat d'aptitude
professionnelle (CAP) force les membres de la Chambre des métiers du
Rhône à réfléchir à l'originalité de
cet examen, et par conséquent à l'originalité de
l'apprentissage artisanal.
Pour réaliser l'autonomie de l'artisanat, l'existence
d'une formation spécifique est nécessaire, et tout est fait pour
que les raisonnements mettant au premier plan l'unité du métier
soient supplantés par les raisonnements insistant sur
l'hétérogénéité de la formation artisanale
et industrielle. C'est d'abord la distinction entre CAP et BP qui est mise en
avant71. L'enjeu que représente le BP «pour obtenir une
véritable rénovation des métiers » est alors
souligné. Il est le gage d'une réelle qualification, et moyen
d'assurer à long terme l'homogénéité des
qualifications des artisans. A court terme sa pertinence est pourtant
limitée. Il ne faudrait délivrer le BP qu'aux personnes reconnues
vraiment qualifiées, mais la loi du 10 mars 1937 sur l'apprentissage
reconnaît le droit d'exercer à tous ceux qui étaient
établis à cette date, qu'ils aient ou non le BP Toutefois, cela
ne concerne pas les nouveaux installés et ceux de moins de 25 ans
d'âge, qui ont un délai de 3 ans pour acquérir ce
diplôme.
La distinction entre CAP et Examen de fin d'apprentissage
remplace très vite cette distinction entre CAP et BP, car elle est plus
évidente72. CAP et BP sont des diplômes assez proches.
Ils sanctionnent l'assiduité à des cours professionnels (pendant
3 ans et sans autres conditions d'âge ou de situation pour le CAP), et
l'instruction pratique qui y est liée est faite bien souvent dans des
ateliers annexes des écoles ou des cours. Le type de formation
sanctionné par l'Examen de fin d'apprentissage est très
différent. Il est réservé aux apprentis
bénéficiant d'un contrat régulier d'apprentissage les
liant à un maître-artisan, qui ont été formés
«dans l'atelier du maître- artisan qui produit réellement
pour une clientèle ».
L'élévation du niveau professionnel des artisans
justifie et exige l'application de la loi Walter
71. Assemblée plénière 18 du 6 mars 1938
[ADR 9M32].
72. Assemblée plénière 21 du 5
février 1939 [ADR 9M32].
et Paulin et à l'existence de ce diplôme
spécifique à l'artisanat. Il ne faut pas en conclure la
supériorité revendiquée de l'Examen de fin d'apprentissage
sur le CAP Au contraire, la Chambre de métiers cherche à
empêcher que l'Examen de fin d'apprentis sage évolue vers plus de
sévérité à l'instar du CAP. Les candidats au CAP
suivent les cours de l'EPR, sans conditions spéciales d'admission; leur
intérêt est d'obtenir le CAP, afin d'obtenir l'augmentation de
salaire correspondante prévue dans les conventions collectives; souvent
ils ont plus de 18 ans et ont déjà exercé le métier
pendant plusieurs années; l'intérêt du patronat qui
recherche des économies de salaires est de rendre l'obtention du CAP
plus difficile; sous son impulsion les jurés sont donc devenus de plus
en plus sévères. L'examen de fin d'apprentissage n'est pas
destiné au même type de candidats: l'admission des apprentis est
soumise à certaines conditions; ils sont plus jeunes et n'ont pas
exercé auparavant; ils «ne peuvent que revendiquer la
qualité de perfectionnants, situation que vient confirmer l'institution
du Brevet de Compagnon»; c'est donc une des étapes d'un cursus plus
large, qui obéit à une logique différente. Or, la
similitude des programmes du CAP et de l'examen de fin d'apprentissage ne prend
pas en compte cette différence: la rigueur du CAP se répercute
à l'Examen de fin d'apprentissage, au détriment des apprentis qui
ne peuvent revendiquer une aussi grande expérience que les candidats
plus vieux et plus expérimentés du
CAP73.
La réglementation de l'accès à
l'artisanat par le biais de la réglementation de l'apprentissage reste
le but de la Chambre des métiers du Rhône: elle souhaite
réaliser l'assainissement des professions par la réglementation
du nombre d'apprentis; elle souhaite obtenir les moyens de faire
disparaître les contrats d'apprentis sage abusifs sans condition de
rémunération, qui sont cause de concurrence déloyale. La
rapide mise en service des Inspecteurs d'apprentissage est notamment
demandée à cet effet74.
3.3.1.4 Rendre l'apprentissage attractif et
élargir l'influence de la Chambre des métiers du
Rhône
La volonté de réglementer l'apprentissage semble
être soutenue plus largement par les syndicats. L'Union
fédérale de la chambre syndicale des maîtres coiffeurs
demande « la réglementation des Cours et écoles
privées de Coiffures » 75. Cette demande de
réglementation dépasse largement le cadre de l'apprentissage en
atelier stricto sensu: c'est de l'encadrement de l'ensemble de la
formation des jeunes artisans qu'il est question. La Chambre des métiers
du Rhône pour-suit une démarche similaire: la
réglementation de l'apprentis sage est une chose, mais il faudrait
réussir à contrôler aussi les cours professionnels et les
diverses écoles préparant à l'exercice d'un métier
artisanal. Mais auparavant, l'existence de l'apprentissage ayant
été assurée par sa réglementation, il s'agit de le
rendre attractif pour les employeurs comme pour les apprentis potentiels et les
différents cours professionnels. La marge de manoeuvre de la Chambre est
dans ces deux
73. Assemblée plénière 22 du 23 avril 1939:
correspondance de Rochette avec M. Luc, Directeur de l'Enseignement technique
[ADR 9M32].
74. Assemblée plénière 21 du 5
février 1939 [ADR 9M32].
75. Assemblée plénière 19 du 25 juin 1938:
voeu formulé lors de la réunion de l'Union fédérale
de la chambre syndicale des maîtres coiffeurs à Paris le 30 mai
1938 [ADR 9M32].
domaines beaucoup plus large que pour la réglementation
de l'apprentissage. Les solutions apportées sont aussi beaucoup plus
diverses: la Chambre utilise ses moyens de pression auprès du
législateur, mais cherche aussi à employer sa force
financière nouvelle et grandissante.
La Chambre des métiers du Rhône s'emploie d'abord
à intéresser les employeurs. La Chambre des métiers du
Rhône cherche dès 1936 au moins à obtenir
l'exonération de la patente pour les artisans employant un
apprenti76. C'est une succès, la mesure est votée et
appliquée à partir du 1 er janvier 193
977. La Chambre des métiers du Rhône ne
cherche pas par la suite à amplifier ce type de mesures. Elle est
tentée par l'installation d'une prime à l'apprentissage, mais
craint de la voir entrer en contradiction avec le principe de la loyauté
de la concurrence. Dans une même séance elle refuse un voeu
demandant d'aider par des dégrèvements fiscaux les artisans
formant des apprentis, l'exonération de patente lui semblant suffisante,
et elle finit par soutenir une proposition de loi instituant le statut fiscal
unique de l'artisanat pour les artisans formant des apprentis
78. Pour M. Maître, limiter l'application de ce
statut fiscal unique aux artisans formant des apprentis est une mauvaise
idée puisque: «fort souvent l'emploi d'apprentis n'est pas une
charge, mais au contraire un profit en ce sens qu'il permet à certains
employeurs d'avoir de la main d'oeuvre à un taux moins
élevé ». M. Curat tient une position plus orthodoxe: puisque
le texte institue une prime à l'apprentissage, il faut l'adopter.
Intéresser directement les employeurs n'est pas le
moyen privilégié de développer l'apprentissage que la
Chambre des métiers du Rhône ait choisi. Son action est
plutôt orientée vers les apprentis et les cours professionnels. La
Chambre des métiers du Rhône obtient en 1936 une
représentation au sein du Comité départemental de
l'enseignement technique79. Cette présence va être un
moyen de demander l'augmentation des bourses d'apprentis sage et de
contrôler leur attribution 80. Tout ceci permet de
rétribuer les apprentis, et de rendre l'apprentissage artisanal
attractif dans la logique de profit immédiat des familles comme des
jeunes.
Sans que cela soit exprimé, cette prise de
contrôle sur l'attribution des bourses est aussi un moyen d'orienter les
apprentis vers certains métiers et de limiter le nombre d'apprentis dans
d'autres. Là réside toute l'ambiguïté de l'action de
la Chambre des métiers du Rhône en faveur de l'apprentis sage:
elle demande sa rénovation et son extension, mais cherche en même
temps à la limiter, afin de maintenir une situation de rareté sur
le marché, à l'avantage des artisans en exercice.
Les bourses aux apprentis sont complétées par
des récompenses en outillage en fin d'année81.
Près de 1 000 F sont utilisés à cette fin en 1938.
Répondent-ils à la volonté de contrôler le nombre
d'apprentis dans chaque métier? Cinq métiers seulement sont
concernés: c'est peu pour conclure. Néanmoins les cordonniers et
les maréchaux ferrants sont récompensés, alors qu'ils
76. Assemblée plénière 13 du 22 novembre
1936 [ADR 9M32].
77. Assemblée plénière 22 du 23 avril 1939
[ADR 9M32].
78. Assemblée plénière 22 du 23 avril 1939
[ADR 9M32]. La proposition de loi demande la modification des trois premiers
paragraphes de l'article 23 du CGID.
79. Assemblée plénière 10 du 19 avril 1936
[ADR 9M32]. M. Rochette est ce délégué.
80. Assemblée plénière 19 du 25juin 1938
[ADR 9M32]. Le Comité départemental de l'enseignement technique
dispose alors de 9 000 F à répartir entre 33 bourses
d'apprentissage d'artisanat rural (17 renouvellements et 16 nouvelles).
81. voir tableau 3.15 page suivante.
font partie des métiers les plus concurrencés par
l'industrie82 , et les plus susceptibles d'une volonté de
limitation d'accès.
TABLEAU 3.15 -: Récompenses des apprentis en outillage
en fin d'année pour l'année 1938
Coursa
|
Valeur de l'outillage (en francs)
|
Cours des maîtres et ouvriers coiffeurs
|
384,30
|
Cours de photographie
|
45,00
|
Cours du syndicat des cordonniers de Lyon
|
136,85
|
Cours de pâtisserie
|
147,75
|
Cours de maréchalerie
|
235,30
|
Total
|
949,20
|
Moyenne par cours
|
189,84
|
a Justificatifs des recettes et dépenses de
l'exercice 1938, «subventions aux cours professionnels» [ADR
9M34].
La Chambre des métiers du Rhône cherche aussi
à intéresser les cours professionnels à la formation
d'apprentis de l'artisanat. Les débuts sont difficiles: la faiblesse
financière de la Chambre des métiers du Rhône ne lui permet
pas d'emblée de jouer sur les subventions qu'elle peut accorder.
L'entrisme au sein des cours professionnels est donc la méthode choisie,
assez timidement car la Chambre des métiers du Rhône est avant
tout invitée par les écoles, et ne peut se permettre d'être
exigeantes à leur égard. Cette première étape
commence très tôt: avant le vote de la loi Walter et Paulin, fin
1935, la Chambre des métiers du Rhône obtient le droit de visiter
les cours de l'Enseignement professionnel du Rhône où elle aura
des inscrits et de demander communication des bulletins
d'assiduité83. L'idée est toujours la même:
à terme il sera possible de réglementer le nombre d'inscrits en
fonction des nécessités des diverses corporations, mais il s'agit
pour l'instant de « pénétrer pour voir ». Le
contrôle du flux des apprentis est de plus en plus visiblement l'un des
désirs les plus profonds des membres de la Chambre des métiers du
Rhône, même si la question continue à être
écartée du discours officiel.
La Chambre des métiers du Rhône ne se contente
donc pas de son droit de visite à l'Enseignement professionnel du
Rhône, qui la laisse dans une situation de dépendance à
l'égard de la bonne volonté de l'école. Pour
pénétrer plus profondément dans les lieux de formation, et
ceci dès que ses finance le lui permettent, elle s'occupe aussi de
distribuer des subventions aux cours professionnels formant des apprentis
envoyés par la Chambre des métiers du Rhône 84.
Ces subventions proviennent directement des fonds de la Chambre des
métiers du Rhône, alors que les bourses d'apprentissage
distribuées par le Comité départemental de l'enseignement
technique sont nourries par les subventions du Conseil
général85. Les sommes distribuées ne sont
82. [ZARCA 1986, page 29]
83. Assemblée plénière 7 du 6 octobre 1935
[ADR 9M32].
84. Assemblée plénière 21 du 5
février 1939 [ADR 9M32]. Bellicard rappelle les décisions du
Bureau et de la commission d'apprentissage de n'accorder de subvention qu'aux
cours qui présenteraient des apprentis aux examens de fin
d'apprentissage.
pas négligeables: 8546 francs en 1938.
Ces subventions sont dirigées vers différents
types de cours. La Chambre des métiers du Rhône subventionne
d'abord les syndicats ayant organisé leurs propres cours. Le montant
total des subventions s'élève à 3550 F, soit 41,6% des
subventions. L'école de préapprentissage du Prado, à la
vocation généraliste, est la première
bénéficiaire de ces subventions. Elle reçoit la subvention
la plus forte de toutes: 750 F. Tous les syndicats subventionnés
reçoivent 500 F, sauf le syndicat des ouvriers et ouvrières
tailleurs, culottières et giletières qui reçoit une
subvention moindre. Ce fait est-il à mettre en relation avec le souhait
de diriger les apprentis vers les métiers les moins en crise, ou bien le
montant des subventions est-il lié à la taille du cours? Ce
syndicat et ses cours sont-ils plus petits que les autres? Seuls les syndicats
ayant signé la pétition de 1930 qui avaient à cette
époque le plus grand nombre d'adhérents sont
subventionnés. Les syndicats des patrons boulangers, pâtissiers et
coiffeurs, qui faisaient partie des plus gros syndicats pétitionnaires
en 1930, se partagent 42,3% des subventions aux syndicats. On peut d'ailleurs
estimer que l'ensemble de ces syndicats possèdent un grand nombre
d'adhérents, qu'ils sont parmi les mieux organisés, et qu'ils
sont aussi les seuls à avoir organisé des cours.
Les cours de l'Enseignement professionnel du Rhône
admettant des apprentis de l'artisanat sont subventionnés par la Chambre
des métiers du Rhône. L'Enseignement professionnel du Rhône
reçoit ainsi 2600 F, soit 30,4% des subventions accordées par la
Chambre des métiers du Rhône Aucun de ses cours ne concerne les
métiers de l'alimentation, mais toutes les autres catégories sont
concernées. Les cours ne sont pas forcément destinés aux
apprentis d'un métier unique, ni même d'une catégorie
unique. C'est la matière enseignée et non le métier auquel
l'enseignement est destiné qui fait l'unité du cours. Le cours de
dessin est suivi, par exemple, par les modeleurs et les plombiers-zingueurs
(catégorie 2), et par les électriciens, les mécaniciens et
les tôliers (catégorie 4); le cours d'ornementation est suivi par
les sculpteurs, les tapissiers et les bronziers appartenant respectivement aux
catégories 2, 3 et 4.
La Chambre des métiers du Rhône a aussi
créé ses propres cours. Elle ne les subventionne pas à
proprement parler. Les frais de ses deux cours sont presque entièrement
à la charge de la Chambre des métiers du Rhône, les droits
d'inscription ne couvrant que 9% de ceux-ci. Malgré leur petit nombre,
ils représentent 28% du budget de la Chambre réservé aux
cours professionnels, soit 2396 F. 21 élèves suivent ces cours.
Le cours de photographie est le plus suivi (18 élèves) alors que
3 élèves seulement sont concernés par le cours de
photographie. Ces cours ne sont pas réservés aux apprentis: le
tiers des élèves sont des artisans maîtres ou des
compagnons.
Peut-on voir dans l'attribution de ces subventions un moyen
d'orienter les apprentis vers certains métiers? On peut certes estimer
que la Chambre des métiers du Rhône cherche à limiter le
nombre d'apprentis dans les métiers les plus concurrencés par
l'industrie, et à attirer des apprentis vers les métiers les
moins concurrencés, et utiliser la classification (incomplète)
proposée par Zarca. La classification des métiers en
catégorie n'apparaît pas en effet comme un critère
pertinent: la catégorie du textile est en crise, mais la crise touche
certainement moins les tailleurs que les tisseurs. Aucune subvention n'est
accordée aux tisseurs, alors que les tailleurs bénéficient
de deux subventions (800 F en tout, 9,4% du total). Mais si les métiers
les moins concurrencés sont les plus subventionnés (boulangers,
coiffeurs), ils sont aussi les mieux organisés. Certains
85. Assemblée plénière 19 du 25 juin 1938
[ADR 9M32].
des métiers subventionnés font partie des
métiers les plus concurrencés par l'industrie définis par
Zarca (maréchalerie, bottiers). Le temps n'est peut-être pas
encore venu de faire le tri entre les métiers à subventionner et
les autres: la logique du « sauvetage » de l'artisanat passe d'abord
par une aide à l'ensemble des métiers artisanaux.
3.3.2 L'émergence d'une formation continue
Rénover l'apprentissage est une chose, mais la
rénovation de l'artisanat doit passer aussi par une amélioration
de la formation des artisans qui exercent déjà. Il ne s'agit
là pas tant de parfaire leur formation technique: ils l'ont
forcément acquise, par l'apprentissage d'abord, et par leur
expérience professionnelle ensuite. Mais leur formation comptable est
déficiente, et ce n'est pas l'expérience qui peut leur apporter
son perfectionnement. Telles semblent être les raisons qui poussent la
Chambre des métiers du Rhône à créer des cours de
comptabilité artisanale en 1937, destinés non seulement aux
apprentis, mais encore aux artisans en activité. Des cours de ce genre
existaient déjà auparavant, mais de manière
indépendante. Tous ces cours n'avaient pas le même succès.
Au printemps 1937, un expert comptable refuse de professer ce cours à
Givors86. La Chambre de métiers lance à ce moment le
projet d'un programme d'ensemble qui serait mis en place à l'automne
1937. Elle crée à cette occasion un organe de presse propre
àla Chambre, dont le premier numéro lance l'opération.
DOCUMENT 1: Les buts de l 'ouverture des cours de
comptabilité
«Pour survivre, l'Artisanat doit s'adapter, se plier aux
nouvelles exigences des lois, et acquérir les connaissances nouvelles
qui deviennent absolument indispensables pour celui qui veut tirer le profit
légitime de sa profession.
L'Artisan Rhodanien après vous avoir renseigné,
veut essayer de vous aider à acquérir une de ces connaissances
indispensable qui est la comptabilité, car beaucoup d'Artisans manquent
totalement de connaissances à cet égard, et de ce fait se voient
privés de moyens de défense devant les exigences du fisc, et
parfois devant les juges lorsqu'ils se trouvent en difficultés
commerciales.
Des cours de comptabilité seront ouverts en octobre
dans tous les cantons du département du Rhône. Ils seront ouverts
à tous les Artisans maîtres, compagnons et apprentis; ils seront
faits par des comptables professionnels, et basés sur une monographie
que publie plus loin l'Artisan Rhodanien, ainsi que des tableaux modèle
de livres de compte simplifiés à l'usage des Artisans.»
L 'Artisan rhodanien, bulletin officiel d 'information de la
Chambre de métiers du Rhône, n°1, octobre 1937 [ADR
9M33].
L'implantation de ces cours est un succès: les 12 cours
de documentation commerciale
86. Assemblée plénière 15 du 2 mai 1937 [ADR
9M32].
TABLEAU 3.16-: Les subventions allouées par la Chambre
de matiers du Rhône aux cours professionnels en 1938
Cours Professionnela
|
Subvention (en Francs)
|
Cours des syndicats
|
École de préapprentissage du Prado
|
750
|
Chambre syndicale des maîtres serruriers
|
500
|
École de la coiffure - Chambre syndicale des maîtres
coiffeurs de Lyon et région
|
500
|
Syndicat des ouvriers coiffeurs de Lyon
|
500
|
Chambre syndicale patronale de la boulangerie lyonnaise
|
500
|
Union syndicale des pâtissiers confiseurs
|
500
|
Syndicat des ouvriers et ouvrières tailleurs d'habits
|
300
|
Total des subventions aux syndicats
|
3550
|
en pourcentage du total des subventions
|
42,00%
|
Subvention moyenne aux cours des syndicats
|
507
|
Cours de l'Enseignement professionnel du Rhône
|
Dessin pour électricien, mécanicien, modeleur,
tôlier, plombier- zingueur
|
500
|
Tailleurs, culottières, giletières
|
500
|
Maréchalerie
|
400
|
Ornement pour tapissiers, bronziers, sculpteurs
|
300
|
Imprimeurs
|
300
|
Épure au cordeau
|
250
|
Cordonniers bottiers
|
250
|
Peintres plâtriers
|
100
|
Total des subventions à l'Enseignement professionnel du
Rhône
|
2600
|
en pourcentage du total des subventions
|
3 0,00%
|
Subvention moyenne aux cours de l'Enseignement professionnel du
Rhône
|
325
|
Cours de la Chambre de métiers du Rhône
|
Cours de dessin et mathématique appliqués à
la mécanique
|
1256
|
Cours de photographie
|
1140
|
Total des subventions aux cours professionnels de la Chambre de
mé- tiers
|
2396
|
en pourcentage du total des subventions
|
2 8,00%
|
Subvention moyenne aux cours de la Chambre de métiers
|
1198
|
Total général des subventions
|
8546
|
en pourcentage du total des subventions
|
100,00%
|
Subvention moyenne tous cours confondus
|
502
|
a [ADR 9M34]
comptent environ 250 élèves dans l'année
1937-3 8, soit une moyenne d'une vingtaine d'élèves par
cours87. Les deux tiers des élèves de ces cours sont
des artisans maîtres ou des apprentis88.
Ces cours fonctionnent d'après le même
système que les cours professionnels de la Chambre des métiers du
Rhône: les frais qui ne sont pas couverts par le montant des droits
d'inscriptions sont payés par la Chambre (les deux tiers en moyenne).
Selon les lieux la participation de la Chambre est plus ou moins
élevée. Le cours de Lamure-sur-Azergues est à tous
égards exceptionnel: il est celui qui a le plus de succès avec
ses 65 élèves; il est aussi celui qui coûte le plus cher,
mais auquel la Chambre des métiers du Rhône participe le moins.
Les lyonnais, pour une fois, restent dans la norme: le cours de Lyon est l'un
des plus proche de la moyenne. Les cours coûtent en moyenne 570 F au
total, et 370 F à la Chambre des métiers du Rhône: c'est
moins du montant moyen des subventions que la Chambre de métiers octroie
aux autres cours professionnels. Les cours les plus coûteux ne sont pas
forcément ceux qui rassemblent le plus d'élèves: aucune
corrélation n'existe entre le nombre d'élèves et le
coût total des cours. Les cours globalement les plus coûteux
restent donc ceux qui sont le plus « subventionnés » par la
Chambre des métiers du Rhône
3.3.3 Les expositions artisanales: vitrines de
l'élite artisanale, et construction d'une image valorisante
Il ne suffit pas de rendre l'artisanat plus efficace
grâce à une meilleure formation: il faut encore montrer
l'excellence du travail artisanal, et justifier de manière
adéquate cette image valorisante dont les artisans veulent être
porteurs. Pour cela, l'élite artisanale doit être rendue visible,
et l'excellence doit être encouragée. Ce sont les anciens
modèles, ceux de l'artisanat des traditions mythiques, qui vont
être mis à l'honneur. Le tour de France artisanal renaît,
avec un nouveau règlement89. Mais c'est surtout
l'organisation d'expositions artisanales qui va occuper la Chambre des
métiers du Rhône
La première exposition du « Meilleur ouvrier de
France» (MOF) a lieu en 1936. Elle donne lieu à de longs
préparatifs. Le problème qui se pose dès le départ
est celui de l'anonymat des travaux exposés. Il s'agit d'un concours
anonyme, et cette règle ne peut être brisée, même
s'il ne s'agit que d'un éliminatoire régional, et même si
le plus souvent les membres dujury connaissent le nom des maisons employant les
ouvriers qui participent au concours. Les exposants, ne pouvant indiquer leur
nom, ne peuvent donc espérer aucun bénéfice
matériel de l'exposition. Après avoir imaginé plusieurs
solutions, la Chambre des métiers du Rhône décide
d'organiser à côté une exposition commerciale90.
Cette exposition est totalement indépendante de l'exposition du Meilleur
ouvrier de France Elle a lieu dans les stands de l'alimentation de la Foire du
printemps, malgré la réticence de quelques uns qui auraient
préféré exposer dans les stands de la machine agricole. Le
problème du financement est réglé par le déblocage
de 10 000 F dans un additif au
87. Assemblée plénière 20 du 30 octobre
1938 [ADR 9M32]. Voir tableau 3.17 page suivante.
88. Cette répartition n'est qu'indicative: on n'a pu
l'établir que pour 4 cours sur 12.
89. Assemblée plénière 13 du 22 novembre
1936 [ADR 9M32].
90. Assemblées plénières 7 du 6 octobre
1935 et 8 du 15 décembre 1935 [ADR 9M32].
TABLEAU 3.17-: Les cours de comptabilité de la Chambre
des métiers du Rhône en 1938
Coursa
|
Coût
total des cours
|
Payé par
la CMR
|
Couver- ture des frais par
la CMR
|
Nombre d'élèvesb
|
Maîtres ou com- pagnons
|
Apprentis
|
Lamure sur Azergues
|
1064,75
|
266,25
|
25,00%
|
65
|
|
|
GivorsetMornant
|
931,2
|
799,2
|
85,80%
|
11à13
|
|
|
Bois d'Oingt
|
850,5
|
650,5
|
76,50%
|
17 à 20
|
|
|
Vaugneray
|
695
|
599
|
86,20%
|
8à9
|
|
|
Amplepuis
|
620
|
452,74
|
73,00%
|
15
|
9
|
6
|
Neuville-sur-Saône
|
521
|
365
|
70,10%
|
14
|
8
|
6
|
Lyon
|
514
|
336
|
65,40%
|
23à26
|
|
|
Belleville-sur-Saône
|
416
|
180
|
43,30%
|
20
|
18
|
2
|
Anse
|
369,65
|
177,65
|
48,10%
|
19à21
|
|
|
Oullins
|
305
|
178
|
58,40%
|
11 à 12
|
|
|
Thizy
|
300,75
|
270,75
|
90,00%
|
3
|
|
3
|
Villefranche-sur-Saône
|
260
|
188
|
72,30%
|
22 à 25
|
|
|
Total
|
6847,85
|
4463,09
|
65,20%
|
228 à 255
|
|
|
Moyenne
|
570,65
|
371,92
|
|
19à21
|
|
|
a Justificatifs des recettes et dépenses de
l'exercice 1938, « subventions aux cours professionnels» [ADR
9M34].
b Il s'agit la plupart du temps d'une fourchette
indicative établie d'après le montant des droits d'inscription
perçus et les tarifs pratiqués (maîtres ou compagnons: 12
F; apprentis: 10 F); Le nombre d'élèves et leur
répartition est parfois fourni [ADR 9M34, Justificatifs des recettes et
dépenses de l'exercice 1938, « subventions aux cours professionnels
»]; Le nombre d'élèves à Lamure-sur-Azergues est
précisé lors de l'assemblée plénière 20 du
30 octobre 1938 [ADR 9M32].
budget de 1936. Afin d'assurer le succès de cette
exposition, la Chambre des métiers du Rhône paie un forfait pour
l'ensemble des emplacements; ses ressortissants peuvent ainsi exposer
gratuitement, mis à part les frais pour leur étalage personnel.
L'exposition s'avère être un succès, malgré les
imperfections de l'organisation matérielle, et les membres de la Chambre
des métiers du Rhône souhaitent renouveler
l'expérience91.
Le succès des expositions artisanales est d'ailleurs
une constante, à ce qu'il semble: en 1939, les comptes-rendus
d'expositions, moins sobres que ceux de 1936, sont une accumulation de
congratulations92. L'Exposition Artisanale à la Foire de
Lyon, qui a réuni 53 exposants, y est présentée comme un
succès tous azimuts: le nombre d'exposants; la qualité des objets
exposés; les affaires ébauchées et traitées (les
stands des artisans sont ceux qui ont le mieux marché; ils ont
enregistré le meilleur résultat depuis qu'existe cette
exposition); l'amélioration du dispositif de présentation: tout a
été pour le mieux.
De même pour l'exposition du Meilleur ouvrier de France:
103 concurrents ont obtenu lamédaille d'or et participeront au concours
du Meilleur ouvrier de France à Paris en Juin prochain. Cette exposition
est la vitrine d'une conception idéaliste de l'artisanat. Elle permet de
montrer que: « la race des artisans ayant le tempérament d'artiste
et le culte de l'art n'est pas encore éteinte ». De manière
plus pragmatique, elle permet aux écoles de faire leur publicité.
Les Écoles de métiers, les Écoles professionnelles et
l'École d'artisanat rural de Cibeins présentent chacune leur
exposition. L'idéal artistique est indissociable des
intérêts statutaires: «Toutes ces présentations
étaient du meilleur goût et indiquent l'effort
général fait en vue de la rénovation
générale des métiers ». On perçoit facilement
le double intérêt de cette exposition: elle permet de montrer
l'excellence des artisans; elle permet aussi de montrer la rénovation de
l'apprentissage et de la qualification. Le Concours international de Coiffure
organisé dans le Palais même de la foire par le Syndicat des
maîtres artisans Coiffeurs de Lyon et son École de Coiffure
concourt au même effet. C'est en tant que démonstration d'un
talent professionnel que les félicitations de la Chambre des
métiers du Rhône sont adressées à Delorme,
Maître et leur Syndicat.
Les manifestations de la Chambre des métiers du
Rhône sortent parfois du cadre local. L'année 1938 est ainsi
exceptionnellement riche en pérégrinations à
l'étranger. Grâce d'abord à la participation de
représentants de la Soierie lyonnaise à l'Exposition
internationale artisanale de Berlin93, grâce ensuite au
«voyage collectif d'étude » effectué par Rochette en
Rhénanie94. Ces manifestations se déroulent dans un
tout autre état d'esprit que les expositions lyonnaises. Si une
délégation de la Soierie lyonnaise est présente à
Berlin, c'est pour défendre l'image des artisans et de leurs organes de
formation. M. Giroud, Président de la Chambre syndicale des tisseurs de
Lyon, est désigné comme représentant qualifié de la
Soierie Lyonnaise95. La Chambre des métiers du Rhône
participe aux frais: une subvention de 500 F a été adoptée
en principe par le Bureau96. Cette subvention n'a pas
été augmentée, cette possibilité ayant
été subordonnée par
91. Assemblée plénière 10 du 19 avril 1936
[ADR 9M32].
92. Assemblée plénière 22 du 23 avril 1939
[ADR 9M32].
93. Assemblée plénière 18 du 6 mars 1938
(préparatifs), assemblée plénière 19 du 25 juin
1938 (nouvelles pendant son déroulement (apparemment du 20 mai au
20juillet), assemblée plénière 20 du 30 octobre 1938
(bilan) [ADR 9M32].
94. Assemblée plénière 20 du 30 octobre
1938 [ADR 9M32]. 95. Assemblée plénière 19 du 25 juin 1938
[ADR 9M32].
la Chambre des métiers du Rhône à la
justification des frais97. L'école de tissage a fourni tout
le matériel, et assuré le montage, les essais et le
démontage de celui-ci98. Chambre des métiers du
Rhône et école de tissage peuvent donc s'enorgueillir de leur
participation à une exposition internationale, laquelle est comprise
comme l'administration de la preuve de leur excellence.
Cette participation permet aussi et surtout de consolider
l'image et l'économie nationales, comme en témoigne le souhait de
cette participation exprimé par le gouvernement99. Cette
position est globalement résumée par les deux
représentants de la Chambre des métiers du Rhône à
Berlin qui « estiment que cette exposition a été un bon
moyen de diffusion de la valeur du travail français, qui a
été très apprécié, et aussi de rapprochement
des peuples » 100 . M. Coustenoble, président de la Chambre de
métiers du Nord, qui a été délégué
à Berlin pour y représenter l'ensemble des chambres de
métiers, confirme la bonne impression qu'a donné la production
française, et plus particulièrement la production de dentelle et
de soierie, qui a obtenu la quatrième médaille d'excellence sur
21, et croit que cette manifestation aura d'heureuses répercussions sur
les relations économiques des deux pays101. L'ambiance est
donc à la multiplication des échanges avec l'Allemagne, et ce
rapprochement est même largement souhaité 102,
d'autant plus que la délégation française semble
avoir pu bénéficier d'égards tout particuliers.
Les deux artisans qui ont participé à
l'exposition ne sont pas d'accord. Le bilan euphorique de M. Giroud est
contrebalancé par celui, beaucoup plus critique, de M. Ressicaud. Il
considère que cette exposition a été un échec
à tous points de vues. Elle a été un désastre
financier: «Les frais de cette exposition représentent environ 80
000 000 Marks, et les entrées malgré l'affluence n'ont pas
dépassé 1 000 000 Marks ». Le nombre des participants
français et des démonstrateurs était très faible.
L'organisation était déficiente, les participants potentiels
sollicités trop tard et tour à tour pressés et
rebutés. Enfin la définition des participants laissait à
désirer: «Les produits exposés relevaient beaucoup plus de
la production industrielle que de l'Artisanat ».
Mais cette exposition apporte surtout aux artisans
français la faculté d'opérer une étude comparative
des situations françaises et allemandes. Giroud est surtout sensible aux
niveaux de vie, qu'il cherche à évaluer et comparer le plus
précisément possible. La cherté de la vie et le niveau
d'imposition sont ce qui l'ont le plus choqué, alors que le compte-rendu
des manoeuvres « tendant à soustraire [le commerce] à
l'emprise des juifs » est ce qui intéresse le plus son auditoire.
C'est aussi l'essentiel de ce que Rochette retient de son voyage en
Rhénanie: il vante la propreté du pays et des usines et
l'activité de la vie économique. Que ces voyages aient eu lieu
dans l'Al-
96. Assemblée plénière 18 du 6 mars 1938
[ADR 9M32].
97. Assemblée plénière 19 du 25 juin 1938
[ADR 9M32].
98. Assemblée plénière 19 du 25 juin
1938 [ADR 9M32].
99. Assemblée plénière 18 du 6 mars 1938
[ADR 9M32]. Cette participation est souhaitée par le Gouvernement,
d'après l'entrevue spéciale de M. Coustenoble, Président
de l'Assemblée des présidents de chambres de métiers de
France avec M. Lafaye, Sous-secrétaire d'État au Travail.
100. Assemblée plénière 20 du 30 octobre
1938 [ADR 9M32].
101. Assembléeplénière 19 du25juin 1938
[ADR 9M32].
102. Assemblée plénière 19 du 25 juin
1938 [ADR 9M32]. M. Rochette ajoute au rapport satisfait sur l'Exposition que
le Congrès International de l'Enseignement Technique, qui aura
prochainement lieu à Berlin, devrait aller dans le même sens.
lemagne nazie n'est pas anodin: du point de vue allemand, de
telles visites, qui supposent un encadrement conséquent des
invités, permet de ne montrer du pays qu'une vitrine susceptible de
gagner leur assentiment.
3.3.4 Une formalisation inachevée
L'intérêt des artisans pour la rénovation
de l'apprentissage et l'amélioration des formations artisanales est
indissociable de leurs intérêts économiques: non seulement
la formation doit être formalisée pour permettre la reproduction
du groupe, mais cette formalisation va aussi servir d'une part à
garantir le label de qualité que confère l'appellation «
artisan », d'autre part à donner au groupe un moyen de se
protéger contre toutes formes d'intrusions « d'étrangers
» au groupe, ne se conformant pas aux usages artisanaux idéaux, et
systématiquement présentés comme insuffisamment
qualifiés techniquement103. Qualité, qualification et
intérêts économiques sont pour les artisans eux-mêmes
les trois pans d'un même problème: ils le montrent de
manière évidente lorsqu'ils affirment chercher « les moyens
de porter remède à cet état très
préjudiciable au bon renom de la production artisanale, à la
qualification des véritables artisans et à leurs
intérêts économiques 104».
La formalisation des qualifications n'en est pourtant
qu'à ses débuts: seule la génération à venir
devra entièrement se plier aux impératifs du Brevet de
capacité professionnelle. La génération en exercice en est
dispensée par la loi de 1937. Seuls ceux qui souhaitent s'installer,
ainsi que ceux qui ont moins de 25 ans ont un délai de trois ans pour
obtenir ce diplôme. Cela est certes d'abord perçu comme un frein
à une « véritable rénovation des métiers
105» , mais cela force surtout les membres de la
Chambre des métiers du Rhône à utiliser d'autres moyens
pour fermer le groupe.
3.4 Réglementer l'accès au statut
d'artisan
Les réglementations en matière d'apprentissage,
et plus généralement tout ce qui concernait la qualification des
artisans et sa mise en valeur sont pour les artisans de la Chambre des
métiers du Rhône la condition nécessaire à la
constitution de l'artisanat comme groupe social suffisamment
individualisé pour qu'il puisse être non seulement envisagé
de le prendre en considération en tant que tel, mais encore qu'il soit
impossible de l'ignorer, d'ignorer ses particularités et ses
revendications. Encore faut-il que le groupe soit suffisamment stable et
consolidé pour que son autonomie soit une évidence incontestable.
Revenir sur la définition juridique de l'artisanat, sans cesse
jusqu'à ce qu'elle isole un groupe bien défini, est bien
sûr un moyen envisageable pour constituer cette cohérence.
L'inscription des artisans et la constitution d'un électorat
s'inscrivent dans une dynamique d'expansion de l'institution. Ces
opérations sont aussi un outil de fermeture du groupe. Les artisans
inscrits ne sont plus alors vus comme des électeurs et des contri-
103. Assemblée plénière 20 du 30 octobre
1938, v\oe{}u concernant les métiers du bâtiment [ADR 9M32].
104. Assemblée plénière 20 du 30 octobre
1938, v\oe{}u concernant les métiers du bâtiment [ADR 9M32]. 105.
Assemblée plénière 18 du 6 mars 1938 [ADR 9M32].
buables, mais comme des ressortissants
bénéficiant d'un statut spécifique donnant droit à
un certain nombre d'avantages. L'accès à ce statut doit
être réglementé pour justifier ces avantages qui lui sont
liés.
Les évolutions que fait subir le législateur
à cette définition de l'artisan et de l'artisanat, bien qu'elles
soient fortement influencées par des groupes artisanaux,
correspondent-elles aux attentes des membres de la Chambre des métiers
du Rhône? La constitution du groupe semble se faire pour les artisans de
la Chambre des métiers du Rhône, non autour de la taille des
entreprises comme l'envisage la loi, ni même autour du métier
compris de manière strictement économique comme il est
envisagé par le registre des métiers qui se met en place en
même temps que la Chambre des métiers du Rhône, mais autour
de l'impératif de qualification de l'artisan, et de ses
conséquences implicites. Car la qualification rattachée au statut
d'artisan doit donner droit à la protection, non plus des artisans, mais
du statut d'artisan; cela devient même un devoir moral pour le
législateur qui doit garantir le bon usage du statut. Désigner et
pourchasser ceux qui usent de manière déloyale de l'appellation
« artisan », voire même ceux qui prétendent exercer un
métier artisanal sans remplir les conditions pré-requises devient
dès lors une des activités les plus fébrile de la chambre:
la défense du consommateur devient l'outil de la défense de
l'artisanat; la défense des artisans est-elle encore en jeu?
3.4.1 La restriction de la définition de
l'artisanat
Une loi modifie le 27 mars 1934 l'article premier de la loi du
26 juillet 1925, et précise ainsi la définition de l'artisan dans
un sens plus restrictif. La définition par la taille de l'entreprise est
affinée: la loi introduit une limitation du nombre d'employés
à dix compagnons ou apprentis, chiffre à ne pas dépasser,
mais qui devra être fixé régionalement selon les
métiers. La définition par la qualification prend un tour
nouveau: la nécessité d'une qualification reconnue
apparaît.
La Chambre des métiers du Rhône est
consultée une première fois par la préfecture lors de
l'été 1934. Elle se rallie explicitement à la proposition
de l'Assemblée des présidents de chambres de métiers de
France: elle demande un délai de trois mois pour consulter les
professions intéressées, et déclare qu'en principe, elle
demandera le maintien de 10 compagnons ou apprentis pour toutes les professions
106. En appuyant la position de l'Assemblée des
présidents de chambres de métiers de France, ses membres appuient
la famille syndicale dont ils sont issus. Ils sont membres de la
Fédération des artisans du sud-est, elle même
adhérente au Comité d'entraide et d'action artisanale (CEAA). Ce
comité aux ramifications politiques catholiques sociales s'oppose le
plus fermement possible au rétrécissement de la définition
de l'artisan par une fixation du nombre maximal d'employés. Il s'oppose
depuis quelques années à la Confédération
générale de l'artisanat français, laquelle a oeuvré
pour le vote de cette loi, et cherche encore à rendre la limite plus
stricte.
La Confédération générale de
l'artisanat français, déjà avantagée par ses
relations politiques opportunistes, obtient rapidement la consécration
locale de son point de vue. L'arrêté du 30 janvier 1936 fixe
à 5 le nombre de compagnons maximum dans le département de la
Seine. Elle fait ensuite pression sur le gouvernement pour obtenir la
généralisation de cette mesure 107.
106. Assemblée plénière 3 du 1er
juillet 1934 [ADR 9M32].
Le ministre du travail relance rapidement la consultation des
organisations artisanales en vue d'obtenir pour tous les départements
des arrêtés similaires à celui du 30 janvier 1936.
La Chambre des métiers du Rhône est touj ours
hostile à une limitation stricte de l'artisanat. Forcée par la
loi à donner une limite de taille à l'artisanat, elle opte pour
le statu quo: il faut maintenir la limite à dix employés
pour tous les métiers. Elle considère en même temps que
cette définition de l'artisanat par le nombre d'employés est une
erreur 108 . Les difficultés d'applications à prévoir sont
mises en avant: «la limitation étroite et stricte entraînera
de grandes difficultés d'application pratique, puisque,
fréquemment, du fait d'un chiffre strict, les Maîtres Artisans
cesseront d'être et redeviendront tour à tour ressortissants des
Chambre de métiers ». Les conséquences économiques de
ces fréquents changements de statuts sont soulignés: «des
évasions fiscales, au détriment tant des Chambres de
métiers que des Chambres de commerce, sont à craindre ». Les
principes mêmes de la définition de l'artisanat sur lesquels
repose la loi sont finalement mis en doute: «C'est bien plutôt dans
les modalités d'exécution du travail que dans le nombre d'aides
employés qu'il faut chercher la discrimination de l'Artisan et de
l'Industriel ». Ce refus d'une limite stricte ne s'apparente donc pas,
dans ses principes, à une acceptation des petits industriels au sein de
l'artisanat. C'est bien au contraire une manière de résister
à l'assimilation de ces deux groupes, vers laquelle tend la loi.
Aucun arrêté n'a été pris dans le
département du Rhône avant que la limite fixée à 5
compagnons ait été généralisée à
l'ensemble du territoire par les articles 23 et 24 du décret-loi du 2
mai 1938 109 . En conséquence, tous les arrêtés pris en
application de la loi du 27 mars 1934, qui déterminaient le nombre
maximum d'employés dans l'artisanat sont
abrogés110.
Ce décret n'ignore pas l'argumentation utilisée
par la Chambre des métiers du Rhône pour justifier ses
réticences vis à vis de la loi. La limite fixée par
décret n'est pas complètement rigide: les artisans sont
autorisés à employer une main d'oeuvre occasionnelle «
à la condition, toutefois, que ce concours supplémentaire soit de
courte durée (au maximum quatre-vingt-dix journées de travail
dans l'année) et ne revête pas un caractère
périodique »111.Fait incompréhensible, la Chambre
des métiers du Rhône reprend pourtant mot pour mot les termes de
ce décret pour demander un assouplissement du texte en 1939: elle
demande que les artisans maîtres puissent employer plus de 5 artisans
compagnons, dans la limite de 90 jours par an, sans recourir aux
formalités de radiations/immatriculations successives 112.
3.4.2 La contestation de l'efficacité du Registre
des métiers
La Chambre de métiers cherche très tôt
à se doter d'un moyen d'identifier les artisans. La mise en place d'une
carte d'identité artisanale est la première réponse
à ce besoin. Demandée dès l'été
107. [ZARCA 1986, page 46]
108. Assemblée plénière 10 du 19 avril 1936
[ADR 9M32].
109. [JO, 3 mai 1938]
110. 21 départements en avaient été
dotés le 28 octobre 1936, et 19 autres le 6janvier 1937, en sus du
département de la Seine qui en avait été doté
dès le 4 janvier 1936.
111. Décret-loi du 2 mai 1938, article 23 [JO, 3 mai
1938].
112. Assemblée plénière 22 du 23 avril 1939
[ADR 9M32].
1934113, elle est mise en place dans
l'année. C'est une des fiertés de la Chambre des métiers
du Rhône qui aimerait voir son système
généralisé aux autres Chambres de métiers 114 .
L'intérêt d'une telle carte pour limiter l'accès au statut
d'artisan apparaît très rapidement. La Chambre des métiers
du Rhône lutte contre la tentation de retirer la carte d'artisan aux
étrangers. Une telle proposition est jugée en 1936
«draconien[ne] et inapplicable » 115.
L'âge des cartes d'identités artisanales
délivrées directement par la Chambre de métiers ne dure
pas. Une autre loi concernant les Chambres de métiers a
été promulguée le 27 mars 1934, le même jour que
celle modifiant la définition de l'artisanat. Elle institue le Registre
des métiers. Il est mis en place dès la publication de son
décret d'application, le 14 août 1936. L'ouverture du Registre des
métiers est très attendue par les membres de la Chambre des
métiers du Rhône, qui considèrent à l'annonce de la
promulgation de son décret d'application que celui-ci: «facilitera
l'identification et la qualification de l'artisan, qu'il soit français
ou étranger » 116 . Il rend l'existence d'une carte
d'identité délivrée par la Chambre des métiers du
Rhône sans objet. Toute nouvelle demande d'institution de carte
d'identité est alors rejetée 117.
Le registre des métiers est établi sur le
modèle du registre du commerce. L'inscription est obligatoire, mais la
Chambre de métiers ne contrôle pas celle-ci totalement. Tout
artisan est tenu de s'inscrire au registre des métiers tenu par le
greffier du tribunal de commerce dans le ressort duquel se trouve son
exploitation. La Chambre de métiers peut requérir d'office
l'immatriculation d'une entreprise artisanale ou la radiation
d'immatriculations inexactes ou correspondant à des entreprises ayant
cessé d'exister. Les artisans espèrent que le contrôle des
immatriculations permettra d'interdire l'exercice des professions artisanales
aux non inscrits, car les artisans sont tenus de mentionner dans les factures,
lettres, notes, tarifs, prospectus, le numéro de leur immatriculation
dans le registre des métiers. Le pouvoir de contrôle de la seule
Chambre des métiers du Rhône est annulé par la
multiplication des organismes susceptibles de permettre l'inscription. Le
certificat justifiant de leur qualité d'artisan nécessaire pour
requérir leur immatriculation au registre des métiers peut
être délivré soit par la Chambre de métiers, soit
par un syndicat professionnel d'artisans, soit par une association d'artisans,
soit le cas échéant par le maire de la commune.
3.4.2.1 La perte du contrôle sur les
inscriptions
L'autonomie de l'artisanat est mise à mal par ces
nouvelles dispositions: celle-ci semblait devoir être conquise par la
construction d'un statut propre. Mais l'attribution du statut échappe
aux membres de l'artisanat. C'est le greffier du tribunal de commerce qui
procède à l'inscription au registre des métiers. Les
artisans ne peuvent donc espérer appliquer librement leurs propres
critères, et sont soumis au bon vouloir d'une administration qui n'a
pas, selon eux, la capacité à reconnaître les artisans.
113. Assemblée plénière 3 du 1er
juillet 1934 [ADR 9M32].
114. Assemblée plénière 8 du 15
décembre 1935 [ADR 9M32].
115. Assemblée plénière 10 du 19 avril 1936
[ADR 9M32].
116. Assemblée plénière extraordinaire du
23 août 1936 [ADR 9M32]. 117. Assemblée plénière 22
du 23 avril 1939 [ADR 9M32].
Comme en attestent les nombreuses plaintes émanant de
la Chambre des métiers du Rhône, le droit d'accès de
celle-ci au registre des métiers reste fictif. Les dossiers individuels
ne lui sont pas remis, pour qu'elle émette un avis motivé,
malgré ses demandes 118. La Chambre des
métiers du Rhône cherche le soutien des organisations
professionnelles 119. Le problème ne trouve pas de
solution à la convenance de la Chambre des métiers du
Rhône: elle soutient encore, deux ans après, un projet de loi qui
« permettrait aux Chambres de métiers droit de consultation du
registre des métiers, d'inscription d'office, d'immatriculation ou de
radiation» 120. Le même projet de loi
prévoit dans la foulée toute une séries de modifications
visant à alléger le coût des inscriptions au registre des
métiers, tant pour la Chambre de métiers que pour les artisans
sommés de s'inscrire.
Les syndicats et la Chambre de métiers sont mis en
concurrence pour la délivrance du certificat nécessaire à
l'inscription au registre des métiers. Il en découle un conflit
larvé entre la Chambre des métiers du Rhône et les
organisations syndicales 121. La Chambre de
métiers a beau jeu d'insister sur la mauvaise organisation de certains
métiers, qui rend son concours matériel nécessaire, et sur
son indépendance, quand les syndicats sont tentés de lier la
délivrance du certificat à la recherche d'adhérents. Il
semble tout de même qu'elle cherche à freiner la participation des
syndicats, au point que M. Bron, parlant au nom de son organisation, insiste
sur le fait que « les organisations professionnelles devraient
délivrer le certificat exigé pour l'inscription au registre des
métiers », alors même que cette attribution leur est
déjà conférée de droit.
La Chambre des métiers du Rhône ne peut donc pas
contrôler l'inscription des artisans au registre des métiers. Elle
est prise entre l'administration qui applique la loi brutalement et les
syndicats qui établissent des solutions amiables avec leurs
adhérents. La Chambre des métiers du Rhône considère
que ce système ne permet pas de faire le tri entre le «vrai artisan
» de l'artisan déguisé. Elle cherche donc à modifier
les modalités d'application du registre des métiers pour que sa
définition de l'artisanat, toujours implicite, en marge de la
définition légale, soit prise en compte. Par ailleurs,
entérinant le fait qu'elle ne contrôle pas les inscription, elle
va chercher un biais pour écarter l'ensemble des étrangers: cette
question sera toutefois traitée à part, étant donné
l'importance que lui ont accordé les membres de la Chambre des
métiers du Rhône
3.4.2.2 Le refus de l'adhésion à
l'artisanat des façonniers du textile
Il est clair que pour la Chambre des métiers du
Rhône, l'indépendance est un des critères majeurs de
reconnaissance de l'artisan « véritable ». Pourtant des
indépendants lui échappent. L'ouvrier à domicile, un
indépendant aux yeux de la Chambre des métiers du Rhône, a
de fait le choix du statut, et peut préférer s'inscrire comme
ouvrier pour bénéficier des avantages sociaux de ces derniers,
bien qu'il puisse aussi être considéré comme le patron
d'une entreprise artisanale.
La crise éclate à l'occasion des
élections à la Chambre de métiers de 1936. De nombreux
façonniers du textile ne sont pas inscrits à la Chambre de
métiers. Les deux candidats maîtres des métiers du textile
battus cherchent à faire annuler les élections en jouant de ces
non-inscriptions.
118. Assemblée plénière 15 du 2 mai 1937;
signale l'existence d'une lettre au ministre du 10 avril 1937 [ADR 9M32].
119. Assemblée plénière 15 du 2 mai 1937
[ADR 9M32].
120. Assemblée plénière 22 du 23 avril 1939
[ADR 9M32].
121. Assembléeplénière 19 du25juin 1938
[ADR 9M32].
Ils considèrent que la possession de leur instrument de
travail (métier à tisser ou autre) exclut les façonniers
du textile du monde des salariés. Ils devraient donc être
considérés comme artisans, et inscrits comme tels à la
Chambre de métiers 122.
A l'opposé, la section syndicale des tisserands
à domicile de Bourg de Thizy proteste contre l'annexion des tisserands
à domicile à l'artisanat123. Elle les oblige à
payer la taxe pour frais de Chambre de métiers. Ils sont des
salariés. Ils ne vendent pas le produit de leur travail et ne font
aucune facture. Contrairement aux tisseurs de la Croix- Rousse ils ne
souhaitent pas être admis dans la Chambre de métiers 124 . Leur
position est confortée par l'accumulation d'exemples de tisseurs
à domicile s'étant fait inscrire comme salariés et non
comme artisans. Ils ne comprennent pas pourquoi certains ont eu droit à
ce dégrèvement, et pas eux. De plus, ils n'ont aucun
intérêt à faire partie de l'artisanat. L'appartenance aux
salariés leur donne droit aux assurances sociales et aux congés
payés. Qui pourrait les payer aux les maîtres artisans qui sont
leurs propres patrons?
Le bénéfice des lois sociales est la clé
du problème, comme le souligne le Lyon républicain
125. Les chambres artisanales seraient complices des manoeuvres des
patrons, qui, pour échapper aux lois sociales, déclarent «
artisans » les ouvriers à domicile. L'artisan est censé
acheter la matière première, la transformer puis la revendre.
L'ouvrier à domicile travaille des matières premières qui
ne lui appartiennent pas. Les conséquences de l'assimilation des
tisseurs aux artisans sont donc:
«a/ perte de la qualité d'ouvrier à
domicile;
b/ suppression du bénéfice des lois sociales;
c/ impôt pour constituer le budget de la Chambre des
métiers [... ];
d/ rétablissement de la patente [... ];
e/ déclassement du conseiller des prud'hommes qui ne
pourra plus siéger au titre d'ouvrier;
f/ ralliement à la classe patronale. Donc opposition des
façonniers aux ouvriers et à leurs syndicats alors que leurs
intérêts sont étroitement solidaires.»
Pour la Chambre de métiers, ces façonniers n'ont
pas le choix: ils appartiennent légalement à l'artisanat.
«Si vous travaillez avec de la matière première appartenant
à autrui, le matériel vous appartient et vous êtes libres
de travailler pour qui bon vous semble et même pour plusieurs maisons (et
non patrons terme impropre), si vous avez plusieurs métiers » 126 .
Les artisans façonniers bénéficient des assurances
sociales tant que leur gain ne dépasse pas la limite fixée par la
loi. Seul le problème des congés n'a pas encore trouvé de
solution. Les façonniers ne sont considérés comme ouvriers
que pour les prud'hommes, ceci en raison de la fréquence des litiges
122. [ADR 9M37, dossier XIV]
123. Lettre du 28 novembre 1936 du secrétaire de la
section syndicale de Bourg-de-Thizy du syndicat des façonniers textiles
de Lyon et de la région au président de la Chambre de
métiers [ADR 9M37, dossier XIV].
124. Il cite une lettre du 29 septembre 1936 du président
de la Chambre de métiers au sénateur Depierre.
125. Lyon Républicain du 8 décembre 1936,
« Tisseurs à façon et Chambre des métiers »,
article signé Léo Michel [ADR 9M37, dossier XIV].
126. Lettre du 17 décembre 1936 du secrétaire
général de la Chambre des métiers du Rhône au
secrétaire du syndicat des façonniers textiles de Thizy et de la
région [ADR 9M37, dossier XIV].
entre façonniers et négociants. La Chambre de
métiers prévoit en conséquence de faire taxer au titre de
l'artisanat toutes les personnes nominativement citées par le
secrétaire du syndicat des façonniers de Thizy.
La Conseil de préfecture à qui l'on demande de
trancher sur l'appartenance ou non des façonniers du textile à
l'artisanat refuse de se prononcer sur cette question, qui dépasse de
ses attributions 127 . Chaumeny intervient peu après à la Chambre
des métiers du Rhône au sujet de « la non déclaration
de guimpiers au registre des métiers » 128 . Le problème
reste entier. La Chambre des métiers du Rhône n'ose pas vraiment
entamer de poursuites contre ceux qui refusent de s'inscrire.
Certes la loi fait obligation de s'inscrire au registre des
métiers pour ceux qui en remplissent les conditions, ce qui permet
àla Chambre des métiers du Rhône de soutenir
àl'automne 1938 un voeu demandant l'application de l'amende
prévue 129 . Mais cette obligation peut facilement être
tournée, ce qui a fait hésiter la commission des voeux à
adopter le voeu: elle l'a seulement adopté en principe, à cause
des « difficultés d'application prévisibles ». Ces
difficultés envisagées ne sont pas tant celles de retrouver les
non- inscrits: une liste de non-inscrits a déjà remise au
greffier du tribunal de Lyon. Le problème ne viendrait pas non plus du
tribunal: le greffier attend des instructions. La Chambre des métiers du
Rhône se soucie surtout des risques financiers encourus: les poursuites
seront à ses frais si le requis prouvait qu'il n'est pas obligé
à cette inscription.
Ce n'est pas ce risque financier qui brise l'unanimité
de la Chambre, mais l'opposition de ses membres appartenant aux métiers
du textile à toute intervention allant contre les façonniers du
textile. Ils insistent sur le fait que la question de l'appartenance des
artisans façonniers et travailleurs à domicile attend
d'être tranchée, et que la Chambre de commerce a reçu ordre
du ministre de ne pas entamer de poursuite. Malgré l'assurance qui leur
est donnée de la possibilité de conserver le
bénéfice des assurances sociales tout en étant inscrit
comme artisan, ils persistent à demander un statut spécial de
l'ouvrier à domicile. Ils sont isolés dans la Chambre des
métiers du Rhône Considérant qu'une adoption « en
principe » n'a aucun sens, l'assemblée décide d'approuver le
voeu. Les trois représentants de la Soierie s'abstiennent, le reste de
l'assemblée est unanimement favorable au voeu. La particularité
de l'artisanat du textile, déjà constatée lors de
l'analyse de la composition du corps électoral de la Chambre des
métiers du Rhône, se trouve donc confirmée. Le mode de
réflexion de la Chambre des métiers du Rhône apparaît
clairement: les intérêts de l'artisanat priment sur les
intérêts des artisans pris individuellement; l'adhésion
à la Chambre des métiers du Rhône ne peut offrir de profits
immédiats, mais il serait injuste que les profits à long termes
bénéficient à d'autres que ses ressortissants.
3.4.2.3 L'ouverture du Registre des métiers aux
ouvriers au chômage et aux industriels
Le cas des ouvriers à domicile, observé seul,
est pourtant trompeur: la Chambre des métiers du Rhône ne
s'inquiète pas seulement de voir certains de ses ressortissants
possibles souhaiter un statut non artisanal; elle s'inquiète beaucoup
aussi de ce que le registre des métiers est trop
127. Jugement du Conseil de préfecture du 30janvier 1937
[ADR 9M37, dossier XV].
128. Assemblée plénière 15 du 2 mai 1937
[ADR 9M32].
129. Assemblée plénière 20 du 30 octobre
1938 [ADR 9M32].
ouvert à ceux qui ne remplissent pas les
critères qualitatifs implicites auxquels se réfèrent les
artisans. Le problème se pose d'autant plus vivement que les artisans ne
contrôlent pas directement l'inscription au registre des métiers.
Les populations visées sont accusées par les artisans de porter
préjudice «au bon renom de la production artisanale, à la
qualification des véritables artisans et à leurs
intérêts économiques » 130;
elles sont aussi coupables de ne pas se soumettre au credo absolu de
l'indépendance.
Certains membres de la Chambre des métiers du
Rhône ne peuvent être assimilés à des
indépendants: ce sont les ouvriers salariés qui se
réfugient dans le travail indépendant en période de
chômage; ce sont aussi les entrepreneurs qui se servent de statuts
juridiques artisanaux pour profiter des avantages réservés aux
artisans. Ils ne se servent du Registre des métiers que de
manière temporaire ou utilitaire. La Chambre des métiers du
Rhône cherche à les exclure. Un conflit du travail dans le
bâtiment en 1938 est l'occasion de formaliser ces revendications, en
accord avec les organisations professionnelles de la branche 131.
Ce qui est déploré avant tout, c'est le
fonctionnement du registre des métiers tel qu'il existe: la
législation ne prend pas suffisamment en compte la qualification des
artisans, si bien que dans la pratique, il est impossible « de refuser la
délivrance du certificat artisanal aux requérants même non
qualifiés techniquement ». Cela permet d'une part à des
ouvriers au chômage, en temps de conflit de travail, de s'inscrire au
registre des métiers et de concurrencer les «véritables
artisans », puis de redevenir ensuite salariés sans cesser
d'être inscrits comme travailleurs indépendants; cela permet
d'autre part à des entreprises qui n'ont rien d'artisanales, et ne sont
qu'un bureau d'étude répartissant les travaux, d'utiliser et
l'appellation et les avantages réservés aux artisans en faisant
passer des contrats écrits directement entre les propriétaires et
les artisans exécutants. Dans les deux cas, l'indépendance qui
devrait caractériser l'artisan n'est que formelle: le chômeur
attend de redevenir salarié, l'entrepreneur se contente de maquiller le
salariat.
Pour la Chambre des métiers du Rhône,
l'indépendance de l'artisan a donc un caractère absolu, dont la
conséquence est la stabilité du statut: un artisan ne peut
chercher à redevenir ouvrier, il ne peut non plus accepter de devenir le
client d'un unique entrepreneur. Alors que, par ailleurs, les artisans se
plaignent du registre des métiers parce qu'il fragilise cette
stabilité du statut, ici, ils s'en plaignent parce qu'il entérine
trop rapidement un statut passager. C'est pourquoi ils insistent sur les
caractéristiques de l'artisanat qui sont mises en danger par la
manière dont est pratiquée l'inscription au registre des
métiers. Le «bon renom de la production artisanale » est en
danger puisque l'homogénéité du groupe est brisée
par l'entrée de « faux» artisans. La « qualification des
véritables artisans » est en danger, puisque la
nécessité d'une formation n'est pas prise en compte. L'ampleur de
l'enjeu que représente la formalisation des qualifications artisanales a
déjà été montrée. Les «
intérêts économiques » des artisans, enfin, sont en
danger, puisque le «faux» artisan peut profiter du statut d'artisan
et du renom de qualification et de qualité qui lui est rattaché,
de manière usurpée puisque ses travaux sont de moindre
qualité, ce qui seul peut justifier ses tarifs dérisoires,
lesquels se répercutent sur l'ensemble des artisans soumis à
cette concurrence déloyale.
La Chambre des métiers du Rhône cherche à
interdire leur inscription au registre des métiers
130. Assemblée plénière 20 du 30 octobre
1938 [ADR 9M32].
131. Assemblée plénière 20 du 30 octobre
1938 [ADR 9M32].
en précisant le fonctionnement de celui-ci. Pour les
ouvriers au chômage, il suffit à la Chambre des métiers du
Rhône de rappeler qu'ils doivent prouver l'exercice de leur métier
depuis 5 ans, en attendant l'application pratique du Brevet de maîtrise.
Elle ne s'en contente pourtant pas, réclamant « qu'en
période de conflit du travail quelle que soit la branche
intéressée, la délivrance des certificats artisanaux soit
momentanément ajournée et la vérification des
déclarations des requérants soumises à enquêtes
». Pour les entrepreneurs, la Chambre des métiers du Rhône
demande « que les exploitants dits « Ensembliers », les
associations ou SARL qui conservent la responsabilité des travaux
qu'elles répartissent à de soi-disant artisans, soient
considérées comme «Entreprises générales
» et ainsi soumises à toutes les obligations fiscales et charges
sociales qui en découlent ».
3.4.3 Interdire les métiers aux
étrangers 3.4.3.1 La naissance d'une politique
xénophobe
La Chambre des métiers du Rhône développe
une politique directement dirigée contre les étrangers,
accusés de concurrence déloyale envers les artisans
français. L'intérêt des membres de la chambre pour la
question est évident, comme est évidente leur xénophobie.
L'attention de la Chambre des métiers du Rhône n'est
focalisée sur les étrangers qu'à partir du décret
du 8 août 1935 qui les vise directement. Avant cette date, on ne trouve
aucune remarque concernant les étrangers. La xénophobie de la
Chambre des métiers du Rhône doit donc être
relativisée: elle est avant tout une xénophobie légale,
appuyée sur un texte législatif qui institue la notion de
concurrence étrangère.
Cependant la xénophobie latente de la Chambre des
métiers du Rhône est réelle, comme en témoigne la
rapidité avec laquelle la chambre s'approprie le texte du décret:
pas moins de huit voeux concernent les étrangers en moins d'un an
132, le premier de ceux-ci datant de l'assemblée
plénière suivant immédiatement la publication du
décret. Si l'étranger est partout présenté d'abord
comme un concurrent, sa concurrence est dès le départ
considérée comme une concurrence déloyale. La proposition
s'inverse d'ailleurs assez rapidement, et toute déloyauté dans la
concurrence est assez rapidement attribuée aux étrangers. Les
réactions xénophobes dépassent donc le cadre légal.
Ce mécanisme est parfaitement illustré par la conversation qui
suit l'exposé d'un voeu sur les métiers du
bâtiment133 , et dont le but était d'interdire aux
ouvriers en chômage de s'inscrire comme artisans. Un des membres de la
Chambre des métiers du Rhône insiste sur le rôle des
artisans pendant les grèves, qui en acceptant de travailler à
l'heure ou à la journée, prennent la place des ouvriers. Pour
lui, il faut chercher à interdire cette pratique. Mais les deux
réponses successives à cette proposition évitent
soigneusement le problème en imputant cette pratique aux seuls artisans
étrangers. Leur conclusion est fort simple, mais aussi fort
éloignée du problème exposé au départ:
«la pléthore d'étrangers est responsable de la mauvaise
situation du travail dans la bâtiment: il faut évincer les
étrangers et donner le travail aux nationaux ».
132. Assemblée plénière 7 du 6 octobre
1935: 1 voeu; assemblée plénière 8 du 15 décembre
1935: 3 voeux; assemblée plénière 10 du 19 avril 1936: 2
voeux; assemblée plénière 11 du 21 juin 1936: 1 voeu;
assemblée plénière «extraordinaire » du 23
août 1936: 1 voeu [ADR 9M32].
133. Assemblée plénière 20 du 30 octobre
1938 [ADR 9M32].
Étant donné l'importance de ce décret, il
convient de s'arrêter quelques instants sur sa matière et sur ses
raisons d'être. Une législation de «protection de la main
d'oeuvre nationale » a été mise en place depuis quelques
années. L'emploi de tout étranger non muni de la carte
d'identité d'étranger portant la mention « travailleur
» est interdit par la loi du 11 août 1926. Les conditions de
délivrance de cette carte sont régies par le décret du 6
février 1935. Cette législation a été
complétée par la loi du 10 août 1932 qui permet la fixation
par décret de la proportion de travailleurs étrangers pouvant
être occupés dans les différentes entreprises. Seulement,
notent les rédacteurs du décret: «L'efficacité des
dispositions ainsi rappelées, qui visent tous les travailleurs et en
particulier les travailleurs à domicile, s'est trouvée amoindrie,
spécialement dans certaines industries, par la pratique suivante: des
étrangers qui n'auraient pu obtenir la carte de travailleur se sont
établis comme artisans, façonniers le plus souvent » 134 .
Habitués à des conditions de vie inférieures, ils
concurrencent d'autant plus durement les ouvriers et artisans français,
que les entreprises peuvent ainsi légalement les employer
préférentiellement. La situation risque d'être
aggravée par les mesures prises en application de la loi du 8 juin 1935
qui « imposent aux entreprises nationales, soit directement, soit par
incidence, de lourds sacrifices que nombre de travailleurs vont être
appelés à partager ».
Selon les rédacteurs du décret, pour rendre
toute son efficacité à la législation en vigueur, il
s'avère nécessaire de l'étendre aux artisans
étrangers. Or il se trouve que l'artisan fiscal135 est
assimilé aux salariés pour le paiement de ses impôts: le
décret du 8 août 1935 ne fait que généraliser la
validité de cette assimilation aux lois concernant les salariés
étrangers. L'ensemble des artisans n'est donc pas visé, mais
seulement les artisans fiscaux (article 1er).
L'inscription des artisans fiscaux étrangers au
registre des métiers se déroule ainsi. En plus du certificat
artisanal demandé à tout artisan cherchant à être
inscrit au registre des métiers et délivré par la Chambre
de métiers ou toute organisation artisanale, les artisans
étrangers doivent fournir deux pièces. Ils doivent fournir un
certificat délivré par les contrôleurs des contributions
directes, attestant que le requérant exerce dans les conditions requises
pour pouvoir bénéficier des exonérations fiscales propres
à l'artisan fiscal. Ce certificat n'indique pourtant pas qu'il est
effectivement taxé d'après le tarif de l'artisan fiscal. La
seconde pièce qu'ils doivent fournir est soit une carte
d'identité «artisan », soit un récépissé
de la Préfecture attestant que le requérant a fait une demande
d'échange de la carte d'identité qu'il possède contre une
carte «artisan ».
Les pouvoirs qui sont conférés aux Chambres de
métiers pour l'application du décret incitent la Chambre des
métiers du Rhône à lui porter une attention toute
particulière: les chambres de métiers doivent être
consultées à l'occasion de la délivrance de la carte
d'identité spéciale portant la mention « artisan » que
chaque étranger devra posséder pour exercer sa profession
(article 2). De même, elles doivent être consultées lors de
la rédaction de décrets limitant l'emploi d'artisans
étrangers, par analogie aux décrets de ce type destinés
à l'industrie 136 . Elles peuvent même demander que de tels
décrets soient pris, sans attendre que ceux-ci soient pris d'office.
134. [JO, 10 août 1935, comme les citations suivantes]
135. L'artisan fiscal a été redéfini depuis
1923 par l'article 23 du décret du 27 décembre 1934.
136. Ces décrets «pourront fixer, par
métier et par région, le nombre maximum des cartes
d'identités qui pourront être délivrées. Ils
pourront également fixer, par industrie et par région, la
proportion maxima d'artisans étrangers qui pourront être
occupés comme façonniers par un chef d'établissement
» (article 4).
Les différentes remarques de la Chambre des
métiers du Rhône concernant les étrangers s'appuient sur ce
cadre législatif: elle cherche à faire appliquer le décret
en ce qui concerne les cartes d'artisans étrangers, elle demande la
prise de décrets de limitation du pourcentage d'étrangers dans
l'artisanat. Elle cherche aussi à étendre la législation
à l'ensemble des artisans, la partition de l'artisanat en deux groupes
lui apparaissant comme incohérente. Mais ne fait-elle que suivre la
législation, ou cherche-t- elle, grâce à celle-ci, à
mettre en place une politique largement plus radicale?
3.4.3.2 Autour des cartes d'artisans
étrangers
Dans un premier temps la Chambre des métiers du
Rhône estime que le décret du 8 août 1935 et son application
« donne un commencement de satisfaction » 137 à ses demandes
de «protection de la main d'oeuvre nationale » et de réduction
de la « concurrence que font aux ouvriers de métiers les ouvriers
étrangers qui, congédiés des usines, s'établissent
à leur compte dans les divers corps de métiers » 138 . Elle
se met donc à la disposition de la préfecture afin « qu'en
conformité de ce décret, les services chargés de la
délivrance des cartes aux travailleurs étrangers veuillent bien
[la] consulter chaque fois qu'une demande leur sera faite »
139. La correspondance avec la préfecture semble
d'abord être fructueuse puisque deux demandes ont déjà
été reçues, et que l'une d'elle a déjà
reçu une réponse positive de la part de l'un des deux syndicats
consultés début octobre 1935. En tous cas, le système se
met en place et c'est la commission apprentissage qui est finalement
désignée pour s'occuper de la question, en accord chaque fois
avec les syndicats intéressés.
Mais dès le printemps 1936, la Chambre des
métiers du Rhône déplore que le décret ne soit pas
appliqué. Le ton est d'emblée catastrophiste: «de ce fait,
la concurrence grandit journellement » 140 . Elle soutient une motion de
la Fédération des artisans du sud-est qui demande qu'une
démarche soit faite par l'Assemblée des présidents de
chambres de métiers de France auprès des pouvoirs publics
«afin d'obtenir les mesures d'application de ce décret devant
enrayer la concurrence étrangère » 141 . La correspondance
avec la préfecture au sujet des artisans étrangers demandant la
carte d'artisan n'a pas pour autant cessé: elle est encore
mentionnée à l'été 1936 142 . Mais elle semble
dépourvue d'effet puisqu'en 1938, la Fédération des
artisans du sud-est et l'Union Fédérale de la Chambre Syndicale
des Maîtres Coiffeurs demandent encore l'application143.
137. Assemblée plénière 8 du 15
décembre 1935 [ADR 9M32].
138. Assemblée plénière 7 du 6 octobre 1935
[ADR 9M32].
139. Assemblée plénière 7 du 6 octobre 1935
[ADR 9M32].
140. Assemblée plénière 10 du 19 avril
1936, motion de la Fédération des artisans du sud-est à la
Chambre des métiers du Rhône [ADR 9M32].
141. Assemblée plénière 10 du 19 avril
1936, motion de la Fédération des artisans du sud-est à la
Chambre des métiers du Rhône [ADR 9M32].
142. Assemblée plénière 12 «
extraordinaire » du 23 août 1936. La correspondance elle-même
n'a pas été retrouvée [ADR 9M32].
143. Assemblée plénière 19 du 25 juin 1938
[ADR 9M32].
Pourtant, est-il bien sûr qu'il ne soit pas
appliqué? La Chambre des métiers du Rhône ne ménage
en tous cas pas sa peine pour rendre impraticables les procédures
d'inscription des étrangers au registre des métiers. La Chambre
des métiers du Rhône joue de la confusion entre les
différents certificats que sont chargés de délivrer les
différentes administrations pour bloquer tout le système
d'inscription des étrangers. Elle utilise à cette fin la
distinction entre le certificat de conformité aux conditions
d'appartenance à l'artisan fiscal et le certificat d'artisan fiscal. Le
premier est une pièce nécessaire à l'inscription au
registre des métiers. Le second ne peut être obtenu (selon la
Chambre des métiers du Rhône) qu'après l'inscription au
registre des métiers. Les deux certificats sont délivrés
par les contrôleurs des contributions directes. Ceux-ci ne font pas de
différence entre les deux et délivrent le certificat d'artisan
fiscal aux étrangers qui demandent leur inscription au registre des
métiers. La Chambre des métiers du Rhône proteste contre
cette pratique, mais cherche par cette protestation à interdire aux
contrôleurs des contributions directes la délivrance de tout
certificat, arguant du fait que la Chambre de métiers seule est apte
à les délivrer144.
La carte d'identité «artisan » ne peut
être délivrée à des étrangers par la
préfecture, selon le décret du 8 août 1935, qu'à
condition qu'ils soient artisans fiscaux et produisent un certificat d'artisan
fiscal attestant de cette qualité. Cette condition permet à la
Chambre des métiers du Rhône de bloquer tout le système.
Les demandes d'échanges de cartes d'identités ont
été suspendues avant 12 avril 1938 145 . Seule la possession de
la carte d'identité « artisan » peut donc encore permettre,
à cette date, l'inscription au registre des métiers. Un
étranger ne peut obtenir son inscription au registre des métiers
que s'il a sa carte d'artisan étranger; il ne peut obtenir cette carte
que s'il est inscrit au registre des métiers. Le fait que «la
délivrance de certificat d'artisan fiscal aux étrangers doit
être subordonnée à l'immatriculation au registre des
métiers et non la précéder », dont la seule
conséquence pratique, en temps normal, aurait été que la
carte d'artisan étranger n'aurait pu être délivrée
qu'après l'inscription au registre des métiers, prend alors un
sens différent: le blocage des rouages administratifs est effectif si la
Chambre des métiers du Rhône réussit à imposer son
point de vue. L'artisan étranger est dans l'impossibilité
effective (mais non légale) de s'inscrire au registre des
métiers
S'il devient impossible à l'artisan étranger
(remplissant les conditions pour être considéré comme
artisan fiscal) de s'inscrire au registre des métiers, il lui reste la
solution de s'inscrire au registre du commerce, moins malthusien. C'est sans
compter avec l'ambiguïté de sa situation: il reste
légalement obligé de s'inscrire au registre des métiers.
«Le fait d'être inscrit au registre du commerce donne bien le droit
de faire tout acte de commerce, mais non celui d'exercer un métier
artisanal », indique la Chambre des métiers du Rhône dans sa
lettre du 12 avril 1938 au greffier du tribunal de commerce. Elle demande donc
« les noms et adresses de ceux qui, ne pouvant présenter les
pièces précitées, sollicitent leur inscription au registre
du commerce, croyant échapper, de ce fait, à l'obligation de
l'inscription au registre des métiers », et demande aussi au
greffier du tribunal de rappeler à ces étrangers qu'ils se
mettent ainsi dans une situation illégale.
La Chambre des métiers du Rhône a beau jeu de
rappeler les termes de la loi au moment même
144. Lettre du 2 avril 1938 de la Chambre des métiers du
Rhône au directeur des contributions directes [ADR 9M33].
145. Lettre du 12 avril 1938 de la Chambre des métiers du
Rhône au greffier du tribunal de commerce [ADR 9M33].
où elle s'efforce de rendre son application impossible.
Son attitude est non seulement menaçante à l'égard des
étrangers, mais encore à l'égard du greffier du tribunal,
la lettre se terminant, aux usuelles formulations de salutation près,
par cette phrase: «N'ignorant pas que des inscriptions au registre du
commerce ont été faites dans les conditions
précitées, je me permets d'attirer votre attention sur la
difficulté que vous auriez à soutenir le cas
échéant, qu'un étranger artisan fiscal ait le droit et la
faculté de choisir entre son inscription au registre des métiers
ou au registre du commerce » 146 . Cette attitude de la Chambre des
métiers du Rhône conduit à émettre des doutes sur la
réalité de la non-application du décret du 8 août
1935: est-ce de cette fuite des étrangers d'un statut à un autre,
du statut d'ouvrier à celui d'artisan, puis à celui de
commerçant, que la Chambre des métiers du Rhône se plaint?
Où est-ce de la non consultation des organisations artisanales pour la
délivrance des cartes d'artisans étrangers?
L'article 25 du décret-loi du 2 mai 1938 vient modifier
cette situation. Il renforce la protection des artisans français contre
les artisans étrangers en les empêchant de pouvoir exercer
l'artisanat avec un statut non artisanal 147, ce qui va
dans le sens des souhaits de la Chambre des métiers du Rhône En
fait, cette mesure supprime la nécessité du certificat d'artisan
fiscal, puisque le décret modifie l'article 1 er du
décret-loi du 8 août 1935 en sorte que «la carte
d'identité d'artisan sera délivrée aux étrangers
exerçant leur activité dans les conditions de fait
déterminées par l'article 23 du code général des
impôts directs, sans qu'il y ait lieu de rechercher si les
intéressés bénéficient ou non des dispositions de
cet article ». De sorte que les tentatives de la Chambre des
métiers du Rhône pour bloquer le système d'attribution des
cartes d'identité d'artisan deviennent inutiles. Le Journal officiel a
beau présenter ce texte comme une mesure de protection contre les
artisans étrangers, celui-ci au contraire semble faciliter
l'accès des artisans étrangers au statut d'artisan, et diminuer
l'attrait de l'inscription « illégale » au registre du
commerce.
En tous cas, la parution de ce décret est presque
contemporaine de la disparition des voeux demandant avec insistance
l'application du décret de 1935: les derniers de cette série
suivent de deux mois le nouveau décret 148 . On peut donc estimer que la
législation concernant les artisans étrangers est
désormais appliquée, ce qui pourrait expliquer la croissance des
tensions entre la Chambre des métiers du Rhône et les syndicats au
sujet de la délivrance de la carte d'artisan
étranger149 , et l'apparition de propositions visant à
étendre l'application de la législation à tout
l'artisanat.
La simple application du décret ne suffit pas aux yeux
de la Chambre des métiers du Rhône Si son application pouvait lui
donner « un début de satisfaction », elle le considère
tout de même comme trop timide. Il ne concerne en effet que les artisans
fiscaux, et donc «ceux qui occupent de 2 à 5 compagnons y
échappent ». Elle cherche donc à l'étendre à
tous les étrangers ressortissant des Chambres de métiers
150.
146. [ADR 9M32]
147. [JO, 3 mai 1938]
148. Assemblée plénière 19 du 25 juin 1938
[ADR 9M32].
149. Assemblées plénières 19 du 25 juin
1938, 21 du 5 février 1939 et 22 du 23 avril 1939 [ADR 9M32]. 150.
Assemblées plénières 21 du 5 février 1939 et 22 du
23 avril 1939 [ADR 9M32].
3.4.3.3 La limitation du nombre d'artisans
étrangers
L'action de la Chambre des métiers du Rhône se
situe dans la continuité de la loi, certes, mais cela ne l'empêche
pas de soutenir des propositions beaucoup plus dures en 1936. La
possibilité de prise de décrets limitatifs n'est même pas
évoquée. L'interdiction pure et simple de l'exercice de
l'artisanat est envisagée. La Chambre de métiers n'ose pas
demander d'appliquer une telle mesure à tout l'artisanat: ce serait
« draconien et inapplicable » 151. Des
propositions du même type, mais présentées de
manière moins générale, et concernant un seul secteur sont
approuvées sans oppositions. Les ouvriers agricoles
étrangers152 et les compagnons étrangers effectuant
des réparations de chaussures153 sont ainsi directement
visés.
La demande d'une prise de décret fixant à 10% la
limite «de l'élément étranger »dans chaque
métier154 marque l'amorce d'un changement de ton
s'opère. Très vite les mesures d'interdictions qui étaient
directement demandées ne sont plus qu'évoquées. La Chambre
des métiers du Rhône se borne alors à déplorer
qu'aucune disposition légale ne permette l'interdiction de la vente de
fonds de coiffure à des étrangers155. N'y voyons
pourtant pas un relâchement de la lutte de la Chambre des métiers
du Rhône contre les étrangers: à cette date, la chambre a
en effet trouvé un moyen moins draconien, mais plus applicable, pour
reprendre ses termes, pour lutter contre la « concurrence
étrangère ».
1938 est l'année de la grande offensive contre les
étrangers: c'est non seulement l'année où l'application du
décret du 8 août 1935 porte ses fruits, où la Chambre des
métiers du Rhône réussit à bloquer, pour un temps,
la situations des artisans étrangers dans l'illégalité,
c'est aussi la période de maturation de mesures nouvelles contre les
étrangers. Celles-ci semblent prendre leurs sources dans les
résultats du recensement par professions et par communes des artisans
étrangers.
Ces résultats alarment les artisans de la Chambre des
métiers du Rhône, qui demandent à nouveau la limitation du
pourcentage de l'élément étranger à 10% pour toutes
les professions, tout en déplorant que « l'effet du décret
qui peut être pris ne sera pas immédiat et ne peut se traduire
sous la forme de l'extinction ». La position de la Chambre des
métiers du Rhône se durcit donc, puisqu'est désormais
d'actualité « l'interdiction de la vente de fonds artisanaux
à des étrangers, la non délivrance de cartes
«artisan» et la limitation du pourcentage des étrangers
». Toutefois, seul le voeu demandant la limitation du pourcentage des
étrangers est repris par la
suite 156.
La Chambre des métiers du Rhône ne fait là
qu'appliquer les termes du décret de 1935, qui lui donnait ce pouvoir de
limiter le nombre d'artisans étrangers. Elle développe au
même moment une nouvelle idée, dont l'inspiration n'est pas la
même: s'il n'est pas possible d'empêcher les étranger
d'exercer le métier d'artisan, il reste possible de les soumettre
à un statut spécial qui
151. Assemblée plénière 10 du 19 avril 1936
[ADR 9M32].
152. Assemblée plénière 8 du 15
décembre 1935 [ADR 9M32].
153. Assemblée plénière 10 du 19 avril 1936
[ADR 9M32].
154. Assemblée plénière 18 du 6 mars 1938:
cite l'assemblée plénière 9 du 1er
mars 1938, manquante [ADR 9M32].
155. Assemblée plénière 20 du 30 octobre
1938 [ADR 9M32].
156. Assemblée plénière 19 du 25 juin 1938
[ADR 9M32].
DOCUMENT 2: Recensement des artisans étrangers par
professions etpar communes en 1938
«Pourcentages les plus importants de
l'élément étranger dans les professions les
plus encombrées:
- Bottier 45%;
- Carreleur 50%;
- Chapelier 24,4%;
- Coiffeur 14,7%;
- Cordonnier 31%;
- Encadreur 27,2%;
- Ferronnier33,3%;
- Marqueteur Tabletier 33,3%;
- Modeleur et Mouleur Statuaire 36,8%;
- Plâtrier Peintre 26,8%;
- Perruquier 18,2%;
- Plombier-Fumiste 23%;
- Sculpteur21%;
- Soudeur46,6%;
- Staffeur Stucateur 20%;
- Tailleur 36%;
- Vernisseur 45,4%;
- Vitrier51,6%» Assemblée plénière 18
du 6 mars 1938 [ADR 9M32].
les défavorise. Les raisons sont toutes
trouvées: les étrangers «travaillent fréquemment sous
des noms d'emprunt et sans domicile fixe. Ils échappent ainsi la plupart
du temps à toutes charges fiscales et mêmes sociales, s'ils
occupent des ouvriers ». Il faudrait donc rédiger un voeu qui les
soumette « à une taxe spéciale qui les mettrait au moins
à égalité avec les artisans nationaux exerçant
légalement » 157. L'idée est reprise
par l'union départementale des syndicats des maîtres artisans
affiliée à la Confédération générale
de l'artisanat français 158.
3.4.4 Faire face au travail noir
L'action la plus virulente menée par les membres des
Chambres de métiers ne concerne pas directement les artisans, mais vise
ceux qui exercent un travail de type artisanal hors du cadre des lois
implicites de l'artisanat. Autrement dit les artisans considèrent qu'il
existe des métiers spécifiquement artisanaux, et que ceux ci
doivent être le monopole du groupe des artisans: il s'agit dès
lors d'interdire l'exercice de ces métiers en dehors de l'artisanat.
Plus généralement, les membres de la Chambre des métiers
du Rhône sont attirés par la réorganisation corporative de
l'artisanat. La bibliothèque de la Chambre des métiers du
Rhône compte 5 titres ayant trait au corporatisme sur la trentaine
d'ouvrages non strictement administratifs achetés en 1938
159.
Ce n'est pas tant la volonté d'établir un
monopole sur le marché qui motive les artisans, que la volonté de
garantir la loyauté de la concurrence. Il est reproché aux
personnes ne se réclamant pas de l'artisanat mais effectuant des travaux
d'ordre artisanal de casser le marché, mais aussi de rabaisser l'image
de qualité des travaux artisanaux: voilà donc un bon moyen pour
prouver qu'artisanat et qualité vont de pair, il suffit de
décider que ceux qui dérogent au principe de qualité sont
des faussaires, des intrus malveillants. C'est dans cet état d'esprit
que se construit peu à peu l'image du « travail noir », ainsi
qu'il est désigné, et que la lutte contre celui-ci est
juridiquement formalisée.
Le travail commence par une stigmatisation des concurrents
déloyaux, et par une lutt e très individualisée contre
chacune des catégories désignées. La Chambre des
métiers du Rhône demande successivement l'interdiction de l'emploi
par les agriculteurs d'ouvriers agricoles à des travaux
artisanaux160 , la réglementation du travail dans les prisons
et établissements pénitentiaires 161 , et l'interdiction pour les
employés des administration publiques et privées de se livrer
à des travaux artisanaux pendant leurs moments de loisirs
162.
Très tôt cette lutte au coup par coup contre les
concurrents directs des artisans, ceux qui font exactement le même
travail, mais sous une appellation et une juridiction différente
cède la place à une lutte plus large, moins limitée dans
le champ social, contre le «travail noir ». Dès fin 1935, un
début de réflexion à ce sujet
apparaît163. L'Assemblée des présidents de
chambres de métiers
157. Assemblée plénière 20 du 30 octobre
1938 [ADR 9M32].
158. Assemblée plénière 21 du 5
février 1939, le vote de ce v\oe{}u est ajourné en raison des
«dispositions récentes prises par la préfectures »,
dont la nature n'est pas précisée [ADR 9M32].
159. Justificatifs des recettes et dépenses de l'exercice
1938 [ADR 9M34].
160. Assemblée plénière 8 du 15
décembre 1935 [ADR 9M32].
161. Assemblée plénière 8 du 15
décembre 1935 [ADR 9M32].
162. Assemblée plénière 10 du 19 avril 1936
[ADR 9M32].
de France a chargé quatre Chambres de métiers
d'étudier cette « question délicate et difficile à
résoudre » afin que leur rapport serve à insister
auprès des pouvoirs publics pour arriver à prendre aussi
rapidement que possible les mesures nécessaires. Il est remarquable que,
dès le départ, cette expression ait droit aux majuscules
(l'étranger n'y a pas droit): le « Travail Noir» est un
concept qui semble fasciner les représentants de l'artisanat.
Ensuite de nombreux voeux ayant le Travail Noir pour objet
sont discutés et adoptés164. La
Fédération des artisans du sud-est et l'union
fédérale de la chambre syndicale des maîtres coiffeurs
joignent leurs voeux à ceux des Chambres de métiers en 1938 165 .
On retrouve donc le même mode de fonctionnement des chambres que lors du
vote de la loi Walter et Paulin sur l'apprentis sage: les Chambres de
métiers se donnent un sujet de réflexion, produisent des voeux
qui (apparemment) servent à orienter la réflexion des pouvoirs
publics, laquelle aboutit sur le vote d'une loi.
Une loi sur le «travail noir» est prête
à être présentée au Parlement en février
1939. Elle interdit aux salariés des professions industrielles,
commerciales ou artisanales d'effectuer tous travaux
rémunérés en dehors de leur emploi principal. Sous
réserve de quelques «modifications de détail », est-il
précisé, la loi est du goût de Rochette et des
représentants de l'Artisanat. Ils auraient juste souhaité que
l'interdiction porte aussi sur les travaux bénévoles
166.
Avant même que la loi sur le travail noir ne soit
votée, la définition toute neuve du travail noir est
déjà utilisée dans des acceptions plus larges. La
protestation contre l'instauration d'un « cours de bricolage familial
» à Paris est l'occasion de vitupérer contre le bricolage,
assimilé au Travail Noir, et « cause de préjudice pour les
métiers, puisqu'il supprime la nécessité du recours
à des professionnels » 167.
Si cette assimilation est une évidence pour les
artisans, il n'en va pas de même pour l'un des membres consultatifs de la
Chambre des métiers du Rhône, M. Trivery,
délégué à l'enseignement technique et membre du
comité de surveillance du fonds de chômage. Son point de vue sur
le Travail Noir, est nettement plus nuancé que celui des artisans. Il
admet tout d'abord une définition du bricolage très
particulière, développée par la commission paritaire des
peintres: «Les chômeurs sont invités à effectuer des
travaux chaque fois qu'ils peuvent en trouver, et c'est bien ce qu'on peut
appeler du «bricolage » et même du « bricolage
d'entretien» ». Le bricolage ainsi défini correspond à
des travaux dont la valeur ne dépasse pas un mois de travail, qui ne
provoquent pas l'exclusion des fonds de chômage, parce que « les
travaux de cette sorte ne peuvent pas intéresser la plupart du temps les
professionnels parce que de trop minime importance ». A ce «bricolage
d'entretien » répond, d'une part, le « travail noir »,
d'autre part le «bricolage familial ». Le «travail noir» se
distingue du «bricolage d'entretien » par la valeur des travaux
réalisés, mais aussi, selon lui, par le type de personnes qui en
est responsable: d'un côté les chômeurs, de l'autre
«les ouvriers ou employés des grandes administrations publiques ou
privées ».
163. Assemblée plénière 8 du 15
décembre 1935 [ADR 9M32].
164. Assemblées plénières 11 du 21 juin
1936, 13 du 28 février 1937 et 15 du 2 mai 1937 [ADR 9M32].
165. Assemblée plénière 19 du 25 juin 1938
[ADR 9M32].
166. Assemblée plénière 21 du 5
février 1939; rapport de Rochette sur son activité au Conseil
national économique [ADR 9M32].
167. Assemblée plénière 21 du 5
février 1939 [ADR 9M32].
On comprend qu'une telle distinction ne convienne pas aux
artisans, qui justement luttent contre la transformation épisodique des
chômeurs en artisans, et pour lesquels il n'est pas sûr que ces
travaux soient « de trop minime importance ».
Pourtant ce n'est pas cet aspect de la réflexion de M.
Trivery, pourtant en relation directe avec la définition du
«travail noir », qui provoque les réactions les plus vives
chez les artisans. Ses considérations sur le «bricolage familial
», exercé directement par le bénéficiaire des travaux
les touche beaucoup plus. Pour lui, un cours de «bricolage familial »
est inutile, parce que le «bricolage familial » est voué
à disparaître, «parce que de plus en plus pour l'entretien du
foyer familial on trouve dans le commerce des pièces toutes faites ou
des ensembles tout montés que l'intéressé peut poser
lui-même à l'aide de vis ou de clous ». En
conséquence, précise-t-il, le «bricolage familial » ne
peut apporter aucune concurrence aux artisans. Le raisonnement des artisans
procède bien des mêmes constatations, mais aboutit à des
conclusions exactement opposées. Le «bricolage familial »
envisagé par les artisans est celui qui, justement, utilise les
pièces détachées du commerce qui marginalisent
l'importance de l'artisan réparateur. L'un des artisans s'exprime ainsi:
«ce bricolage peut porter un véritable préjudice aux
professionnels de certains métiers. Il est très facile de trouver
dans le commerce des pièces de cuir ou de caoutchouc toutes prêtes
pour faire de la réparation de chaussures, ce qui porte un fort
préjudice aux véritables professionnels.»
Ce débat sur le « travail noir » et le
«bricolage » mettent donc à jour la situation des artisans,
qu'ils considèrent comme presque désespérée: ils
sont concurrencés par les productions industrielles, contre lesquelles
ils essayent de se défendre en mettant en place un système
privilégiant la petite entreprise artisanale; par les ouvriers au
chômage, et les étrangers exclus des emplois industriels, qui
cherchent dans l'artisanat un statut transitoire d'indépendant; et par
les consommateurs eux-mêmes qui deviennent capables d'exécuter
seuls le travail des artisans.
3.5 La sauvegarde des intérêts
professionnels et économiques des métiers
La Chambre de métiers est chargée de «
sauvegarder les intérêts professionnels et économiques des
métiers » 168 . Elle reprend donc d'une certaine manière le
travail des syndicats en matière de défense des
intérêts professionnels de leurs membres. Il ne peut être
ici question de déterminer l'ampleur du travail accompli par les
différentes organisations artisanales, et d'envisager une comparaison
précise entre les actions entreprises par la Chambre des métiers
du Rhône, et celles des syndicats. Il nous sera donc très
difficile d'évaluer, sauf dans quelques cas isolés, la
qualité des relations entre le syndicalisme lyonnais et la Chambre des
métiers du Rhône On peut cependant estimer que dès qu'il
s'agit de la défense de métiers isolés, le rôle
initiateur revient aux syndicats, alors que l'action de la Chambre des
métiers du Rhône est première dans toutes les questions
touchant l'artisanat dans sa généralité,
spécialement lorsqu'il s'agit de réagir aux nouvelles lois
sociales, de modifier la fiscalité artisanale ou de mettre en place des
institutions de solidarité telles que les caisses d'allocation
familiale, de chômage ou de retraite. Dans ces
168. Loi du 27 juillet 1925.
situations, les syndicats semblent surtout dépourvus de
moyens d'action: la force de chaque profession seule est faible, alors que le
caractère interprofessionnel de la Chambre de métiers ne peut que
l'avantager.
3.5.1 La défense ponctuelle des métiers en
crise
La défense de l'artisanat est complétée
par la défense de métiers isolés. Elle n'intervient que
lors des crises importantes touchant une branche. La soierie, le bâtiment
et le petit commerce sont les branches qui retiennent le plus son attention.
Ses revendications à l'égard des artisans de l'alimentation
tranchent sur le reste de son action.
Le fil directeur de ses prises de position, c'est le respect
de la loyauté de la concurrence. Les grandes entreprises disposent de
moyens dont ne peuvent disposer les artisans. La réglementation du droit
du travail est le moyen privilégié par la Chambre de
métiers pour essayer de rétablir cette concurrence loyale. Les
industriels sont les premiers visés. La réglementation du travail
des artisans est un corollaire de cette action: il faut donner à
l'artisanat une réglementation propre, différente de celle
valable pour les industriels.
Les artisans n'entendent pas être oubliés lors
des classifications de tout genre, et veillent toujours à ce que leur
statut spécifique soit reconnu. Les «petits artisans
électriciens » demandent ainsi une classification spéciale
dans le tableau établissant les patentes 169; les
cordonniers protestent contre la radiation des listes prud'homales en tant que
patrons des artisans cordonniers travaillant seuls 170.
L'essor des grand magasins inquiète
énormément les artisans. Ce n'est pas une nouveauté: la
naissance des mouvements de petits commerçants à Paris à
la fin du XIX`eme siècle doit
beaucoup à la nécessité de lutter contre les grands
magasins 171 . Le premier voeu de la Chambre des métiers du Rhône
est dirigé contre les «magasins à prix unique », qui
font de la concurrence déloyale aux artisans, «notamment aux
artisans de l'alimentation » par leur politique de bas prix. Il demande le
vote de la loi Massimi les concernant par le Sénat 172 . Cette
inquiétude débouche pourtant rarement sur une action. On se
rappelle que c'est le spectre de la concurrence de l'industrie et des grands
magasins qui avait poussé la Chambre de métiers à
protester contre la création d'un cours de bricolage. Une seule fois, la
Chambre des métiers du Rhône cherche à attaquer de
manière frontale un grand magasin: c'est en soutenant les
électriciens de la région de Roanne qui demandent «
l'interdiction à la Compagnie Loire et Centre de la vente et de
l'installation d'appareils électriques en dessous des tarifs normaux
» 173 . Les moyens de lutte des artisans contre les grands magasins et la
baisse des prix qu'ils provoquent sont donc très limités. Ils en
restent le plus souvent à la simple déploration de la
déloyauté de leur concurrence. La lutte contre les magasins
à prix unique reste tout de même l'un des thèmes de la
campagne électorale de la Fédération des artisans du
sud-est en 1936 174.
169. Assemblée plénière 22 du 24 avril 1939
[ADR 9M32].
170. Assemblée plénière 22 du 23 avril 1939
[ADR 9M32].
171. [NORD 1981]
172. Assemblée plénière 2 du 15 avril 1934
[ADR 9M32]. 173. Assemblée plénière 10 du 19 avril 1936
[ADR 9M32].
Les artisans de la chaussure sont les plus ouvertement
protectionnistes. Ils demandent un régime d'exception à
l'application de la loi Le Poullen du 22 mars 1935 175 . Selon ce voeu les
mesures de contrainte prévues par la loi contre les vendeurs de
chaussures confectionnées ne seraient pas appliquées aux artisans
vivant principalement du produit de la réparation et vendant
occasionnellement de la chaussure confectionnée. Elle serait par contre
applicable aux industriels spécialisés dans la réparation
de la chaussure et aux magasins servant d'intermédiaire à ces
ateliers. Le voeu est cependant rapidement retiré par leurs auteurs, qui
ne demandent ensuite que l'application des mesures prises pour la protection de
la chaussure, lesquelles semblent les satisfaire 176.
Dans l'industrie de la soierie, les limites du temps de
travail journalier valables pour un atelier artisanal sont repoussées
par le système du travail en double ou triple équipe. De plus,
les limites légales imposées par la loi de Huit heures sont
tournées par l'attribution de dérogations. La non
réglementation de la production cause une « surproduction intense
», elle même cause de la baisse des prix de façon, et de la
détresse des artisans de la soierie. Le nombre des façonniers est
en baisse: 60% des métiers sont inoccupés. La Chambre de
métiers entre en action à ce sujet dès 1934: elle se
rallie aux propositions de la Fédération nationale des industries
de la soie. Elle demande la suppression du système du travail en double
ou triple équipe et de toutes les dérogations à la loi de
Huit heures. Les industriels ne sont pas les seuls visés: la protection
des artisans passe par aussi par la limitation des horaires à 54 heures
par semaine dans tous les ateliers de famille pratiquant le tis sage de la
soie177.
Les plus nombreuses interventions de la Chambre des
métiers du Rhône touchent les artisans du bâtiment. Dans le
bâtiment, la grosse entreprise est avantagée par son
caractère généraliste. Conclure un contrat unique pour
l'ensemble des travaux à réaliser est une solution de
facilité pour celui qui souhaite faire bâtir. La Chambre de
métiers s'oppose au système de « l'entreprise
générale » en vigueur dans les adjudications. Ce
système permet l'adjudication en bloc des travaux, forçant
l'artisan à s'adresser à un entrepreneur général
pour obtenir du travail correspondant à sa spécialité. La
Chambre de métiers demande que les travaux soient divisés en lots
de petite et moyenne envergure, correspondants aux différents corps de
métiers. Elle demande aussi la substitution du système des «
offres- rabais » par celui du devis détaillé, appliquant le
principe du juste prix et non celui du prix le plus bas 178 . Les liens
informels entre certains adjudicateurs et entrepreneurs lais sent aux artisans
peu de chance. Les indiscrétions lors du dépôt des
soumissions de travaux sont chose fréquente. La Chambre de
métiers se contente d'observer le phénomène et de
conseiller à ses ressortissants de s'assurer de l'inviolabilité
de l'enveloppe contenant les propositions «par un cachet de cire par
exemple » 179.
à partir de fin 1935, le quart des travaux doit
être consenti aux coopératives artisanales dans les adjudications
de travaux publics 180 . Mais les plus petits chantiers échappent aux
adjudica-
174. Programme de la Fédération des artisans du
sud-est [ADR 9M37, sous-dossier V].
175. Assemblée plénière 10 du 19 avril 1936
[ADR 9M32].
176. Assemblées plénières 11 du 21 juin
1936 et 13 du 22 novembre 1936 [ADR 9M32].
177. Assemblée plénière 3 du 15 avril 1934
[ADR 9M32].
178. Assemblée plénière 9 du 1er
mars 1936 [ADR 9M32].
179. Assemblées plénières 11 du 21 juin
1936 et 19 du 25 juin 1938 [ADR 9M32].
tions. La Chambre de métiers envisage un moment de
demander que les travaux inscrits aux budgets des départements et
communes soient soumis à une adjudication publique dès que leur
valeur dépasse 1 500 F 181 . Des garanties spéciales sont
demandées aux artisans: ils doivent être en possession d'un
certificat de la Chambre de métiers donnant toutes garanties sur leurs
capacités techniques, et d'une attestation de leur affiliation à
une Caisse de garantie caution. Cette attestation remplace le certificat
d'architecte que les entrepreneurs doivent produire, les artisans travaillant
très rarement pour le compte d'architectes. La création d'une
telle caisse est envisagée par la Chambre des métiers du
Rhône en août 1937, sans qu'une suite soit donnée au projet
182.
La participation des artisans aux adjudications de travaux des
collectivités publiques ne se met pas en place avant 1938. Lors de la
mise en adjudication d'un hôpital à Amplepuis au printemps 1938,
des lots sont spécialement réservés aux artisans. La
nouvelle est saluée comme une première. Mais l'affiliation des
artisans à une caisse de garantie caution est une des conditions
nécessaire au dépôt de leur candidature. La Chambre de
métiers est forcée de créer rapidement une telle Caisse
183 . La participation d'artisans àla construction d'un hôpital
à Amplepuis est bientôt suivie par une participation similaire
à la construction d'un groupe scolaire à
Champagne-auMont-d'Or184. La Chambre de métiers estime alors
que le département du Rhône est sans doute le seul dans lequel la
participation des artisans aux adjudications de travaux des
collectivités publiques ait reçu une application pratique.
Le phénomène ne s'est pas
généralisé dans tout le département: en 1939 des
adjudications d'HBM ne donnent aucun lot aux artisans 185 . La mise en place
des institutions prévues pour le bon déroulement de la
participation des artisans aux adjudications se fait lentement. En 1939, la
création d'une Caisse nationale de caution de l'artisanat est
freinée par la complexité des dispositions et le coût
élevé des frais nécessaires à sa création et
à son fonctionnement 186 . Au même moment est refusée par
la Chambre des métiers du Rhône la création d'une
commission chargée de l'étude et de la répartition des
travaux réservés aux artisans. Cette commission serait inutile
puisque les artisans sont touj ours en concurrence avec les entrepreneurs, sauf
pour des marchés minimes de gré à gré qui
n'intéressent pas les entrepreneurs, et que les artisans n'ont aucun
intérêt à discuter avec les grosses entreprises
187.
Dans un tout autre état d'esprit, la Chambre de
métiers revendique la liberté du travail pour les boulangers.
Cette prise de position va à contre courant des voeux de
réglementation qu'elle multiplie à l'égard des autres
branches. Les boulangers veulent conserver la liberté de travailler la
nuit. La mise en place des conventions collectives en 1936 est l'occasion de
l'affrontement. La Chambre syndicale de la boulangerie lyonnaise demande,
soutenue par la Chambre des métiers
180. Assemblée plénière 8 du 15
décembre 1935; le décret du 30 octobre 1935 est à
l'origine de cette me-sure [ADR 9M32].
181. Assemblée plénière 8 du 15
décembre 1935 [ADR 9M32].
182. Lettre du 30 août 1937 du président de la
Chambre des métiers du Rhône au ministère du travail [ADR
9M33].
183. Assemblée plénière 19 du 25 juin 1938
[ADR 9M32].
184. Assemblée plénière 21 du 5
février 1939 [ADR 9M32].
185. [ADR 9M32, assemblée plénière 21 du 5
février 1939]
186. Assemblée plénière 22 du 23 avril 1939
[ADR 9M32].
187. Assemblée plénière 22 du 23 avril 1939
[ADR 9M32].
du Rhône et l'Assemblée des présidents de
chambres de métiers de France, que: «les patrons boulangers restent
libres eux-mêmes de travailler personnellement dans les conditions qu'ils
jugeront être les meilleures pour concilier tout à la fois les
exigences techniques de leur métier et la satisfaction de leur
clientèle » 188 . La non observation par la boulangerie de la loi
sur le travail de jour189 est la raison invoquée par la
commission consultative départementale pour décider de ne pas
examiner l'incidence sur la marge de panification des charges nouvelles
résultant du contrat collectif190. Les boulangers demandent
au préfet de revenir sur cette décision, cette loi ayant depuis
19 ans été reconnue inobservable191.
à cette action des Chambres de métiers en faveur
de la boulangerie répond toute un série de voeux provenant des
métiers de l'alimentation en 1937, ayant tous pour thème la
fermeture des commerces et la durée du travail. La Chambre des
métiers du Rhône se fait alors l'écho de ces propositions
émanant de la Chambre de métiers du Maine-et-Loire auprès
des syndicats intéressés, à savoir les bouchers, les
boulangers et les pâtissiers 192.
Deux systèmes antagonistes de défense des
intérêts professionnels de ses membres caractérisent donc
la Chambre de métiers: à l'action réglementaire de
protection de l'artisanat concurrencé par l'industrie répond une
action libérale opposée à une réglementation
stricte. Cette dernière ne concerne que des métiers peu
concurrencés par l'industrie et la grande entreprise. Elle concerne
aussi des métiers pour lesquels l'adhésion à l'artisanat a
été la plus opportuniste: les syndicats des métiers de
l'alimentation ne sont pas des syndicats strictement artisanaux, mais des
syndicats regroupant des petits et moyens entrepreneurs, appartenant à
l'association des chambres syndicales patronales de Lyon. Dans tous les cas il
est demandé un régime d'exception pour la petite entreprise.
3.5.2 La mise en place de caisses artisanales de
solidarité est-elle possible?
Les années 1930 voient la mise en place de toute une
série d'institutions de solidarité sociale. Des lois posent les
bases de la création de caisses d'allocations familiales, de
chômage, de retraite, de congés payés ou d'assurances
maladie. Elles sont construites en référence au modèle de
la grande entreprise, où la position de l'employeur et celle des
employés sont bien distinctes. L'installation de telles caisses met la
Chambre des métiers du Rhône face à ce dilemme: elle
oscille entre la tentation de bricoler une adaptation de ces modèles de
caisses pour l'artisanat afin de pouvoir bénéficier de leurs
services sans attendre, et celle d'attendre activement des mesures
réglementaires donnant à l'artisanat un régime
d'exception. Dans tous les cas les problèmes à résoudre
sont les mêmes: les artisans sont écartelés entre leur
position de cotisant et celle de
188. Assemblées plénières 10 du 19 avril
1936 et 11 du 21 juin 1936 [ADR 9M3 1].
189. Loi du 28 mars 1919.
190. Décision prise le 28 juillet 1936.
191. Extrait du registre des délibération de la
Commission des v\oe{}ux de la Chambre des métiers du Rhône, 28
août 1936 [ADR 9M32].
192. Assemblée plénière 15 du 2 mai 1937[ADR
9M32].
bénéficiaire. Ils doivent assumer en quelque
sorte à la fois le rôle du patron et celui de l'ouvrier. Ils
doivent surtout faire taire leur volonté d'indépendance la plus
totale, et leur crainte pour toute administration, dès lors que
l'institution de ces caisses est perçue comme une
nécessité pour être à niveau avec le monde de la
grande entreprise, et comme un moyen de conquérir l'autonomie de
l'artisanat.
Le malaise ne naît pas en 1936. La loi du 11 mars 1932
sur les allocations familiales occupe pendant quelques années la Chambre
de métiers et les organisations professionnelles. En 1935, la Chambre
des métiers du Rhône demande l'assujettissement immédiat et
global de toutes les professions aux obligations de cette loi sur les
allocations familiales. Elle prévoit même que l'unification des
charges de ces caisses se ferait par le fonctionnement d'une caisse nationale
de surcompensation gérée par les soins des caisses
elles-mêmes. Mais elle craint en même temps que cette
création soit une charge accrue pour les employeurs 193.
Les artisans ruraux sont, de fait, les premiers et les seuls
effectivement concernés par la mise en place des allocations familiales.
En 1938, la Chambre approuve la parution d'un décret qui
détermine les conditions d'application des allocations familiales aux
artisans ruraux 194. L'année suivante elle cherche
à faire étendre le bénéfice de cette mesure aux
vanniers « qui résident dans un centre rural » 195 , puis
à mettre à égalité le taux de l'encouragement
national aux familles nombreuses et des allocations familiales pour les
cultivateurs, les travailleurs indépendants de l'agriculture et les
artisans ruraux 196.
Si le bénéfice des allocations familiales tarde
à être appliqué à l'ensemble des artisans, la
Chambre des métiers du Rhône n'est pourtant pas fondamentalement
hostile aux allocations familiales. Elle reconduit en 1938 son voeu de voir
tous les artisans bénéficier des allocations familiales
197. Mais elle se révèle incapable de
créer une Caisse d'allocation familiale. En 1938 un projet propose la
création d'une caisse interprofessionnelle contrôlée par la
Chambre des métiers du Rhône Il est repoussé par les
membres de la Chambre appartenant à la Confédération
générale de l'artisanat français, qui estiment que le
bureau avait outrepassé ses fonctions, et que le contrôle d'une
telle caisse devait revenir aux syndicats 198. Cet
échec pousse la Chambre des métiers du Rhône à
soutenir en 1939 un projet de loi qui institue un régime d'allocation
familial spécial au bénéfice des artisans maîtres
199. La Chambre des métiers du Rhône a
conscience des limites du projet: il promet une Caisse d'allocation familiales
au taux très inférieur à celui des autres Caisses, mais
quelles allocations cela laisse-t-il prévoir? Elle attend surtout un
règlement rapide de ce problème à un niveau national. Une
définition spécifique à l'artisanat de toutes les charges
patronales est, en fin de compte, ce que la Chambre de métiers souhaite
obtenir dans un futur qu'elle espère proche.
193. Assemblée plénière 8 du 15
décembre 1935 [ADR 9M32].
194. Assemblée plénière 19 du 25 juin 1938
[ADR 9M32].
195. Assemblée plénière 21 du 5
février 1939 [ADR 9M32].
196. Assemblée plénière 22 du 23 avril 1939
[ADR 9M32].
197. Assemblée plénière 19 du 25 juin 1938
[ADR 9M32].
198. Assemblée plénière 20 du 30 octobre
1938, compte-rendu d'une réunion organisée le 23 octobre 1938 par
le Bureau de la Chambre des métiers du Rhône, réunissant un
grand nombre d'organisations artisanales [ADR 9M32].
199. Assemblée plénière 22 du 23 avril 1939
[ADR 9M32].
Les artisans sont touchés par le chômage. Ils se
montrent incapables de créer une caisse de chômage qui indemnise
les artisans sans travail. Ils ne sont pas hostile à l'idée
même d'une aide aux artisans au chômage. Ils estiment même
insuffisante l'aide de la ville de Lyon à ceuxci et demandent une
intervention de l'État. Une aide directe est impossible. Mais le
décret du 8 août 1935 permet à l'État de
subventionner les caisses de chômage créées par les
Chambres de métiers200 . Les membres de la Chambre des
métiers du Rhône, sollicités à ce sujet par la
préfecture qui applique une circulaire du ministère du travail,
après un long débat et un vote serré, refusent la
création d'une telle caisse de chômage201. Les artisans
de l'alimentation sont les plus fermement opposés à une telle
création: ils représentent 20% des ressortissants de la Chambre;
ils paieraient donc une grosse partie des taxes réservées
à la caisse de chômage, mais seraient sans espoir de pouvoir
jamais profiter des secours de cette caisse si jamais elle fonctionnait. Les
arguments finalement employés pour refuser la création trop
hâtive d'une telle caisse sont le relèvement de la taxe qu'une
telle création impliquerait, et les difficultés de
contrôler la réalité du chômage des
assistés.
Ce refus de créer une caisse de chômage ne doit
pas s'interpréter de manière trop radicale: le principe de la
création d'une caisse de chômage n'est pas lui-même mis en
cause, mais le financement de cette caisse. Un mode de financement alternatif
est élaboré, mais il nécessite visiblement l'approbation
du ministère, ou une modification législative. Le jour même
où elle refuse la création d'une caisse de chômage pour les
artisans, la Chambre des métiers du Rhône adopte un voeu demandant
que la création des caisses de chômage puisse se faire par le
prélèvement d'un fonds sur les ressources ordinaires des Chambres
de métiers, accrues par le minimum d'imposition de 10 F, sans avoir
recours à une nouvelle imposition
complémentaire202.
Les artisans se trouvent donc, lorsque le problème des
caisses d'allocations familiales ou de chômage leur est posé, dans
une situation schizophrénique: en tant que cotisants ils cherchent
à échapper à de nouvelles charges; en tant que
bénéficiaires ils cherchent à maximiser les
bénéfices qu'ils peuvent en tirer. Leur situation ne peut que
s'aggraver en 1936, après le vote de toute la série des lois
sociales, qu'ils cherchent à contourner en tant que patrons, et dont ils
cherchent en même temps à élargir à eux-mêmes
le champ d'application.
Les congés payés plongent les artisans de la
Chambre des métiers du Rhône dans la perplexité. Ils sont
semble-t-il hostile à leur instauration, puisqu'ils se
réjouissent des décisions d'un conseil de prud'homme qui limitent
les droits aux congés payés des ouvriers qui quittent de leur
plein gré une entreprise203. Mais ils sont en même
temps très attachés à leur mise en place. Le
bénéfice des congés payés rend le statut d'ouvrier
à domicile plus attractif que celui d'artisan, particulièrement
dans le secteur des textiles. La mise en place de caisses de compensation pour
les congés payés qui soient spécifiquement artisanales
permettrait de renforcer l'identité du groupe. Le contrôle de
cette caisse reviendrait logiquement à la Chambre de métiers, ce
qui lui donnerait un poids nouveau, et la dégagerait du pouvoir des
syndicats. La Chambre des métiers du Rhône
200. Lettre du 15 octobre 1935 du préfet au
président de la Chambre des métiers du Rhône [ADR 9M33].
201. Assemblée plénière 8 du 15
décembre 1935. ADR 9M33: sous-dossier « aide aux artisans sans
travail, 1935» [ADR 9M32].
202. Assemblée plénière 8 du 15
décembre 1935 [ADR 9M32].
203. L'Artisan du sud-est, n°72, avril 1937 [ADR
9M33].
commence par mettre en avant le fait que leur caractère
non strictement professionnel serait le seul moyen de garantir le
fonctionnement régulier de ces caisses par un nombre suffisant
d'adhérents artisans204. La création d'une telle
caisse ne reste qu'un projet, qui reste encore vivement controversé
à l'automne 1938: la résistance vient de la fraction des membres
de la Chambre des métiers du Rhône appartenant à la
Confédération générale de l'artisanat
français, qui cherche à limiter les pouvoirs du Bureau de la
Chambre des métiers du Rhône et à donner tout son poids au
syndicalisme205.
La Chambre des métiers du Rhône entame enfin une
réflexion sur la manière de gérer la retraite des vieux
travailleurs de l'artisanat en mars 1938 206. Une
enquête ministérielle sur l'artisanat français en est
l'instigatrice. La Chambre de métiers propose la création d'une
mutualité artisanale sous la surveillance des Chambres de métiers
et le contrôle de l'État. Elle percevrait les cotisations de la
même façon que la taxe pour frais de Chambre de métiers.
Ces cotisations seraient uniformes pour donner à tous le droit à
la retraite. Les versements seraient obligatoires, et la retraite
proportionnelle aux versements acquise sans que soient pris en
considération les revenus que peut posséder d'autre part le
cotisant. La répartition des fonds serait basée sur un
système mixte: capitalisation pour partie, répartition pour le
reste. L'âge de la retraite serait fixé à 60 ans, comme
pour la retraite des assurances sociales. La retraite serait accordée
sous réserve de cessation d'activité professionnelle du
bénéficiaire. Les organisations professionnelles donnent
rapidement un accord de principe à ce projet207. Les membres
de la Chambre des métiers du Rhône finissent par demander à
leur président d'insister auprès de l'Assemblée des
présidents de chambres de métiers de France afin que les artisans
ne soient pas oubliés dans le débat sur la retraite des vieux
travailleurs208.
à la veille de la guerre, ni la Chambre des
métiers du Rhône ni les syndicats n'ont donc réussi
à mettre en place des caisses artisanales de solidarité sociale.
Cet échec n'est pas tant la marque d'un désintérêt
des organisations artisanales pour la création de tels organismes. Un
début de réflexion a vu le jour, et un bon nombre de propositions
se sont succédées. Mais les problèmes qui freinent ces
créations sont nombreux. Le moindre des problèmes n'est pas la
concurrence que se font les syndicats et la Chambre des métiers du
Rhône pour obtenir le contrôle de ces caisses. La Chambre des
métiers du Rhône met en avant les avantages de caisses
interprofessionnelles, mais les syndicats ne sont pas prêts à la
voir les contrôler seule. La recherche d'un régime
spécifique à l'artisanat a ses avantages et ses
inconvénients. Il permettrait sans doute la consolidation du groupe, et
la conquête de son autonomie par rapport au monde de la grande
entreprise. Mais les adaptations nécessaires des modalités de
financement et de fonctionnement des différentes caisses demandent une
législation spéciale, qui à force d'essayer de rassurer
l'artisan qui met l'indépendance au dessus de tout et refuse toute
nouvelle charge financière, risque de donner naissance à des
caisses peu opérationnelles.
204. Lettre du 28 mai 1937 du président de la Chambre des
métiers du Rhône au ministre du travail [ADR 9M33].
205. Assemblée plénière 20 du 30 octobre
1938, compte-rendu d'une réunion organisée le 23 octobre 1938 par
le Bureau de la Chambre des métiers du Rhône, réunissant un
grand nombre d'organisations artisanales [ADR 9M32].
206. Assemblée plénière 18 du 6 mars 1938
[ADR 9M32].
207. Assemblée plénière 19 du 25 juin 1938
[ADR 9M32]. 208. Assemblée plénière 20 du 30 octobre 1938
[ADR 9M32].
3.5.3 La résistance à l'uniformisation des
réglementations générales au profit des industriels
La mise en place de toutes ces caisses de solidarité
aux fonctions multiple plongent certes les artisans dans la perplexité,
mais ils conservent la possibilité de ne rien entreprendre: ces caisses
sont créées par leurs soins, et ne leur sont pas vraiment
imposées. Les artisans restent face à eux-mêmes.
L'installation de ces caisses ou la prévision de leur installation est
un effet de leur volonté. Ces caisses sont un moyen de conquérir
l'autonomie de l'artisanat. Il en va tout autrement pour l'instauration des
conventions collectives de travail et de la loi de 40 heures prévues en
1936, ou pour la révision de la patente en 1938. Ces modifications
réglementaires touchant le monde du travail dans sa
généralité mettent les artisans directement en concurrence
avec le grand patronat. Les décisions se prennent sans et contre
l'artisanat: son existence n'est prise en compte ni lors de
l'élaboration des mesures à prendre, ni dans le contenu des
mesures qui vont dans le sens d'une uniformisation du monde du travail.
La logique de la recherche d'un régime d'exception qui
gouverne les réactions des artisans n'est pas satisfaite par le
progrès des lois sociales. Leurs réactions sont très
embarrassées, particulièrement en 1936. Ils ne sont pas hostile
sur le fond du problème. Les améliorations proposées leur
semblent légitime, et ils aimeraient bien pouvoir en profiter eux aussi.
Mais ils souhaiteraient échapper aux nouvelles charges patronales que
ces lois imposent. Leur statut d'artisan, de petit entrepreneur dont le statut
social est à la frontière de celui de l'ouvrier, n'est pas
reconnu en tant que tel. L'artisanat n'est pas consulté lors de
l'élaboration des conventions collectives. Il n'a pas non plus
été consulté lors de l'établissement des lois sur
la semaine de quarante heures et les congés payés.
Sur le moment, en 1936, c'est l'occupation des ateliers lors
des grèves qui a le plus choqué les artisans. Ils
considèrent que le droit de propriété du patron y
disparaît, remplacé par « le droit de propriété
du gréviste sur l'emploi occupé par lui immédiatement
avant la grève au détriment du chômeur qui, depuis
longtemps, aspire à un salaire lui permettant de subvenir aux besoins de
sa famille » 209 . Les artisans sont victimes aussi de violences plus
crues: certains ont été frappés, certains ont vu leur
domicile violé210. Les membres de la Chambre des
métiers du Rhône ne sont pas épargnés par le climat
de panique généralisée qui touche les artisans: le
désordre atteint son comble lors de la rédaction d'un voeu
protestant contre les « atteintes à la liberté du travail
» et demandant la protection des artisans par les pouvoirs
publics211.
Après coup, la Chambre des métiers du
Rhône renâcle contre les nouvelles lois. Les artisans doivent
appliquer des mesures établies avant tout pour les grandes entreprises.
Les conventions collectives, signées entre les représentants des
grosses entreprises et les syndicats ouvriers, s'appliquent sans distinction
à l'artisanat. Si une organisation syndicale (patronale ou
ouvrière) veut obtenir la conclusion d'une convention collective de
travail de sa branche, elle peut en saisir le ministère du travail qui
est tenu de provoquer la réunion d'une commission mixte chargée
d'éla-
209. L'Artisan du sud-est, n°68,juillet-août
1936 [ADR 9M33].
210. L'Artisan du sud-est, n°68,juillet-août
1936 [ADR 9M33].
211. Assemblée plénière 11 du 21 juin 1936.
Extrait du registre des délibérations de la réunion
générale des commissions, le 26juin 1936 [ADR 9M32].
borer la convention collective demandée. Cette
commission doit être composée des représentants des
organisations syndicales et ouvrières les plus représentatives de
la branche de l'industrie ou du commerce qui demande la convention. Les
artisans ne sont pas suffisamment organisés pour pouvoir exiger leur
place dans ces commissions. Les conventions élaborées ne font pas
de distinction entre le patronat de l'industrie ou du commerce et le patronat
de l'artisanat. Les artisans souhaiteraient la conclusion de conventions
spécifiques à l'artisanat, mais celles-ci ne peuvent être
envisagées que dans le cadre de la convention collective globale valable
pour la branche dans son ensemble212.
L'attitude à adopter n'est pas évidente. Les
membres de la Chambre des métiers du Rhône s'en remettent d'abord
aux directives de leurs dirigeants et de ceux de l'Union des artisans
français213. Les artisans s'estiment «pris entre la
grosse production dont ils sont obligés d'assumer les charges, sans
pouvoir bénéficier des avantages matériels qui viennent
d'être accordés à tous les salariés
»214. Le sentiment d'urgence est suffisamment fort
pour provoquer une réunion extraordinaire de la Chambre des
métiers du Rhône en plein mois d'août, afin de lancer les
bases d'une accélération du regroupement des artisans en
syndicats et de mettre en place un «Front artisanal unique » qui
puisse exprimer aux pouvoirs publics les revendications des
artisans215. Mieux organisés, les artisans espèrent
faire jouer en leur faveur le principe de l'organisation la plus
représentative. L'établissement de la convention collective du
bâtiment de la Haute-Savoie est ainsi donné en exemple : la
question de savoir si leur absence lors de la signature de la convention
annulait celle-ci n'a pu être instantanément résolue
216.
La Chambre des métiers du Rhône obtient plus tard
d'être consultée. Quand une convention collective est conclue, le
ministre du travail peut, par arrêté, la rendre obligatoire pour
tous les salariés des professions et des régions comprises dans
le champ d'application de cette convention. Lors de la préparation de
l'extension des conventions collectives à tout le département, la
Chambre des métiers du Rhône est consultée. Elle donne un
avis favorable au projet d'extension de la convention collective du tissage,
puis du moulinage217. Elle cherche par contre à
empêcher l'extension de la convention collective de la métallurgie
de la région lyonnaise à tout le département au nom des
différences de niveau économique existant entre Lyon et les
régions rurales218. De même elle essaie en 1938
d'imposer, d'accord avec la Fédération des artisans du sud-est,
«le non assujettissement des artisans aux conséquences de
l'extension des conventions collectives de travail conclues entre le grand
patronat et la CGT »219.
La Chambre des métiers du Rhône a du s'adapter
à l'existence des conventions collectives
212. L'Artisan du sud-est, n°72, avril 1937 [ADR
9M33].
213. Assemblée plénière 11 du 21 juin 1936
[ADR 9M32].
214. Assemblée plénière extraordinaire du
23 août 1936 [ADR 9M32].
215. Assemblée plénière extraordinaire du
23 août 1936 [ADR 9M32].
216. L'Artisan du sud-est, n°72, avril 1937
[ADR 9M33].
217. Lettre du 26 janvier 1937 du président de la
Chambre des métiers du Rhône au ministre du travail, donnant un
avis favorable au projet d'extension de la convention collective du moulinage,
et rappelant l'avis similaire donné par la Chambre des métiers du
Rhône le 1er octobre 1936 [ADR 9M33].
218. Assemblée plénière 15 du 2 mai 1937
[ADR 9M32].
219. Assemblée plénière 19 du 25 juin
1938 [ADR 9M32].
qui lui a été imposée, et qui n'avait
jamais fait partie de son programme d'action. Elle milite par contre depuis sa
création pour la simplification et l'allégement de la
fiscalité artisanale. La modification du calcul des patentes est
l'objectif principal. Depuis 1923 le «petit artisan » fiscal est
exonéré de patente, puisqu'il paye les impôts dur le
revenu. Les artisans formant un apprenti sont eux aussi exonérés
de patente depuis 1937. Selon la taille de l'entreprise de l'artisan, la
manière dont la patente est calculée n'est pas la même: les
Chambres de métiers cherchent à élargir à
l'ensemble de l'artisanat les bases de calcul les plus avantageuses.
La révision de la patente en 1938 est l'occasion pour
les artisans de tenter de faire adopter leurs propositions en matière
fiscale. Ils considèrent que la petite et la moyenne entreprise sont
trop lourdement chargés. La Chambre des métiers du Rhône
rejoint les propositions de la Fédération des artisans du sud-est
concernant la fiscalité artisanale. Elle demande l'extension et
l'unification de la fiscalité des petits artisans à tous les
ressortissants des Chambres de métiers; elle demande aussi que la
fiscalité artisanale ne soit plus basée sur la valeur locative
mais sur le nombre de personnel employé au cours de l'année
précédente220. Cette dernière proposition
semble avoir été envisagée par la commission de
révision de la patente, ce qui donne des espoirs à la Chambre des
métiers du Rhône221.
Mais début 1939, le nouveau régime de taxe
à la production supprime le régime des petits producteurs qui
payaient une taxe de 2,2%. Une taxe de 9% applicable à tous les
producteurs la remplace. Les redevables faisant moins de 400 000 F de chiffre
d'affaires annuel devront payer un forfait. La Chambre des métiers du
Rhône est piégée: ce nouveau régime est une
augmentation de charge pour les artisans, il donne aux négociants plus
de facilité à frauder, l'appréciation des bases pour
l'établissement d'un forfait va s'avérer très
compliquée, l'utilisation de matières premières
tantôt exonérées de cette taxe, tantôt assujetties
à celle-ci va compliquer la comptabilité de tous ceux qui se
retrouveront dans cette situation (en particulier les artisans de
l'alimentation), bref, le nouveau régime de taxe à la production
ne peut satisfaire les artisans. Ils ne peuvent pourtant pas demander le retour
avec l'ancienne taxe dite du « chiffre d'affaires », dont ils
demandaient auparavant le suppression. La Chambre des métiers du
Rhône ne peut donc que protester vaguement contre les difficultés
d'application pratique rencontrées 222.
La révision complète de la patente n'a donc en
rien permis à l'artisanat de bénéficier d'une
fiscalité avantageuse, au contraire. Les Chambres de métiers
continuent donc, après cette révision, à réclamer
l'institution d'un statut fiscal unique de l'artisanat223.
220. Assemblée plénière 19 du 25 juin 1938
[ADR 9M32].
221. Assemblée plénière 20 du 30 octobre
1938 [ADR 9M32].
222. Assemblée plénière 21 du 5
février 1939 [ADR 9M32].
223. Assemblée plénière 22 du 23 avril 1939
[ADR 9M32].
Conclusion
À la veille de la seconde guerre mondiale, la
séparation de l'artisanat et de l'industrie est loin d'être
achevée. La seule création de ces établissements publics
représentant officiellement l'artisanat que sont les Chambres de
métiers n'a pas été des plus facile. Les industriels des
Chambres de commerce ont, tant qu'ils ont pu, essayé d'empêcher la
création des Chambres de métiers. Ils ont échoué,
et les Chambres de commerce ont perdu nombre de ressortissants, et l'ensemble
du patronat s'est vu imposer la création d'une taxe d'apprentissage.
Cet échec des industriels à conserver
l'unité du patronat n'est que relatif: la reconnaissance
institutionnelle de l'artisanat n'est qu'incomplète. La création
des Chambres de métiers est un acte presque unique, qui tranche avec
l'ambiance générale qui est à l'uniformisation de la
réglementation du monde du travail au profit de la seule grande
entreprise. Les réglementations poussent l'artisanat du
côté d'un patronat uniforme, au moment même où il
cherche à conquérir son autonomie. Il ne s'agit pas seulement
pour les artisans de se désolidariser des industriels, il s'agit aussi
pour eux d'acquérir une identité propre qui prenne en compte leur
double appartenance au monde des patrons et à celui des ouvriers. La
proximité avec l'idéologie de ce dernier n'est pas
revendiquée, par contre la proximité sociale l'est. Les artisans
cherchent à bénéficier des mesures sociales qui
améliorent les conditions de vie des salariés. Leur position de
patron se révèle être pour eux de plus en plus un
handicap.
Cette position limite dans le champ social est sans doute ce
qui constitue l'unité de l'artisanat. C'est en tout cas bien ce qui fait
l'unité de l'artisanat défini par les Chambres de métiers
comme la petite entreprise. Est-ce suffisant pour considérer l'artisanat
comme un groupe social homogène? L'unité de l'artisanat
revendiquée par tous ses représentants n'est certes pas celle des
ressortissants de la Chambre des métiers du Rhône Une
différence de comportement évidente sépare la masse des
artisans qui prennent cette identité comme une nouvelle étiquette
administrative, et le petit nombre des membres actifs des syndicats ou de la
Chambre des métiers du Rhône qui considèrent
l'identité artisanale comme une évidence économique,
sociale et culturelle.
La composition même de l'électorat de la Chambre
montre le peu d'homogénéité de celle-ci: la population des
maîtres et celle des compagnons obéissent à des logiques
différentes, ce qui n'est pas étonnant pour une institution
donnant la primauté aux patrons. Les artisans ruraux et ceux de la
grande ville ne semblent pas avoir de points communs évidents. L'artisan
censé être protégé par la création des
Chambres de métiers était l'artisan rural, or l'essentiel des
ressortissants de la Chambre des métiers du Rhône, et
l'intégralité de ses membres sont lyonnais. La concentration de
population en ville fait-elle contrepoids aux conséquences
censées être néfastes du développement industriel
pour les artisans, ou bien au contraire ce développement industriel
est-il la cause non pas d'un déclin, mais d'une croissance de
l'artisanat?
La population de chaque « catégorie » de
métiers a ses caractéristiques propres. Les «artisans »
du textile se détachent nettement des autres par leur proximité
avec le monde ouvrier: l'indépendance en amont, par la possession des
moyens de production, seule prise en compte par la loi, ne suffit pas pour
être artisan, il faut encore ne pas être un simple sous- traitant
qui produit pour une clientèle unique. Les « artisans » de
l'alimentation ont aussi une position marginale, par leur proximité avec
la moyenne entreprise; est-ce parce qu'ils ne connaissent pas la concurrence de
la grande entreprise?
Les lignes de rupture sont encore plus évidentes au
niveau des représentants de l'artisanat. Les membres de la Chambre des
métiers du Rhône, et plus généralement les
représentants de l'artisanat vivent dans le Rhône dans un climat
très particulier où l'unanimité semble longtemps
régner: la Fédération des artisans du sud-est, puis la
Chambre des métiers du Rhône, sont en opposition constante avec la
Confédération générale de l'artisanat
français et avec les propositions des instances étatiques
nationales qui suivent les avis de cette dernière organisation. La
position de la Chambre des métiers du Rhône est-elle
représentative de celle de la majorité des Chambres de
métiers? C'est probable: les rapports entre l'Assemblée des
présidents de chambres de métiers de France et la Chambre des
métiers du Rhône ont touj ours été cordiaux.
Valables au départ au plan national uniquement, ces clivages se
développent au niveau local: les relations avec le Comité
départemental de l'enseignement technique se dégradent au moment
de la constitution de la Chambre des métiers du Rhône, et
l'unanimité des représentants de l'artisanat du Rhône est
sérieusement entamée par l'apparition d'une branche locale de la
Confédération générale de l'artisanat
français, même si la puissance de la Fédération des
artisans du sud-est n'est que peu touchée.
L'ensemble des représentants de l'artisanat cherche
à minimiser toutes ces divisions, tant d'ordre social et
idéologique que d'ordre économique, et à transformer la
situation de l'artisanat d'une position limite entre le patronat et le monde
ouvrier en une position stable, valorisée et valorisante. Pour cela tous
les efforts sont tendus vers la mise en valeur la haute qualification
censée caractériser les artisans. Cette qualification est-elle
une réalité? Une étude plus approfondie de la population
artisanale serait nécessaire pour apporter une réponse qui ne
soit pas que suppositions. Cette insistance sur les qualifications ne permet
pas de mettre au second plan l'appartenance à un métier.
Malgré la mise en place des Chambres de métiers, l'appartenance
à un métier semble toujours primer sur l'appartenance à
l'artisanat à la veille de la seconde guerre mondiale.
L'organisation de l'apprentissage par la Chambre de
métiers a commencé d'être entreprise. La Chambre de
métiers commence tout juste à pouvoir jouer son rôle de
réglementation et de contrôle. Elle l'entreprend, mais dans une
optique qui n'était sans doute pas prévue par les promoteurs de
la loi: la rénovation de l'apprentissage est avant tout le moyen de
formaliser les qualifications artisanales, et d'essayer de revoir la
définition de l'artisanat de manière corporatiste. L'artisanat
imaginé par la Chambre des métiers du Rhône n'est pas
uniquement défini par la petite taille de l'entreprise et l'exercice
d'un métier manuel enregistré comme artisanal, il est aussi
défini par un mode obligatoire d'acquisition des qualifications:
l'apprentissage, et par la continuité de l'exercice de la profession en
qualité d'artisan ou de compagnon. La Chambre des métiers du
Rhône cherche à fermer l'artisanat, à le construire comme
un groupe homogène: c'est bien qu'elle reconnaît que cette
construction n'est pas achevée.
Cette fermeture corporatiste de l'artisanat est aussi
revendiquée afin de rendre légitimes toutes les mesures
d'exception qui sont demandées par l'artisanat. La construction d'un
statut protégé pour les artisans répond à des
critères éthiques: les artisans considèrent en fin de
compte que l'artisanat mérite d'être protégé parce
qu'il n'obéit pas aux règles de rentabilité à tous
prix du capitalisme, parce qu'il perpétue le caractère artistique
du travail en petite série, parce qu'il conserve le souvenir d'un
fonctionnement plus sentimental que contractuel de la société.
Tout le travail de la Chambre des métiers du Rhône est d'essayer
de retranscrire ces idéaux dans un langage, justement, contractuel.
Pris entre la définition contractuelle imposée
par la loi, et la définition éthique proposée par la
Chambre des métiers du Rhône et la Fédération des
artisans du sud-est, quelle est l'identité réelle des artisans?
La première définition a l'avantage de donner à
l'observateur la possibilité de repérer facilement les
populations artisanales. Elle facilite les recherches, mais risque aussi de les
biaiser: la définition légale de l'artisanat est mobile; elle
n'est pas comprise comme une définition suffisante par les artisans. La
seconde définition a l'avantage d'être une auto-identification.
Elle met en avant toutes les caractéristiques traditionnellement
accordées à l'artisanat. Ces caractéristiques sont-elles
cependant réalistes? L'artisanat légal est le monde très
ouvert de la petite entreprise; l'artisanat idéal des artisans est un
corps social d'élite, très fermé et très
homogène. Ce sont deux réalités semble-t-il bien
distinctes. L'installation des Chambres de métiers ancre l'usage qui
veut que l'on parle de la petite entreprise (artisanat légal) en
continuant à lui attribuer les caractéristiques plus ou moins
mythiques de l'artisanat corporatif d'ancien régime (artisanat
idéal).
Abréviations uti lisées
ACSP Association des chambres syndicales patronales
APCMF Assemblée des présidents de Chambres de
métiers de France
BP Brevet de capacité professionnelle
CAP Certificat d'aptitude professionnelle CAP
CDET Comité départemental à l'enseignement
technique
CEAA Comité d'entraide et d'action artisanale
CGAF Confédération générale de
l'artisanat français
CGT Confédération générale du
travail
CLP Commission locale professionnelle
CMR Chambre de métiers du Rhône
CSET Conseil supérieur de l'enseignement technique
EFA Examen de fin d'apprentis sage
FASE Fédération des artisans du sud-est
GCAR Groupes confédérés des artisans du
Rhône
MOF Meilleur ouvrier de France
SEPR Enseignement professionnel du Rhône
(Société d')
UAF Union des artisans français
Bibliographie
Archives
Les abbréviations suivantes sont utilisées pour
désigner les fonds d'archives:
ACCL Archives de la Chambre de commerce de Lyon;
ACMR Archives de la Chambre de métiers de Lyon;
ADR Archives départementales du Rhône;
AML Archives municipales de Lyon;
BMLPDR Bibliothèque municipale de Lyon Part-Dieu, section
régionale.
[ACCL CR 1923-1925] ACCL CR. «Compte-rendus des travaux de
la Chambre de commerce de Lyon», 1923-1925.
[ACCL PV 1934] ACCL PV 1934. «Procès-verbaux des
séances de la Chambre de commerce de Lyon». tome 77, 1934.
[ADR 10 MBC 127] ADR 10 MBC 127,.
[ADR 9M1] ADR 9M1. «Examens du CAP», 1926-1930.
[ADR 9M30] ADR 9M30. «Correspondance de la Préfecture
concernant la création des «conseils de métiers» et de
la Chambre de métiers du Rhône», 1922-1934.
[ADR 9M3 1] ADR 9M3 1. «Chambre de métiers,
Recensement des artisans du Rhône», 1932. [ADR 9M32] ADR 9M32.
«Procès-verbaux des assemblées plénières de la
Chambre de métiers du Rhône», 1934-1939.
[ADR 9M33] ADR 9M33. «Correspondance de la Chambre de
métiers du Rhône», 1934-1939. [ADR 9M34] ADR 9M34.
«Pièces justificatives des comptes de la Chambre de métiers
du Rhône», 1938.
[ADR 9M35] ADR 9M35. «Correspondance de la Chambre de
métiers du Rhône», 1940-1945. [ADR 9M36] ADR 9M36.
«Élections àla Chambre de métiers du
Rhône», 1933. [ADR 9M37] ADR 9M37. «Élections àla
Chambre de métiers du Rhône», 1936. [ADR 9M38] ADR 9M38.
«Élections àla Chambre de métiers du
Rhône», 1934-1938. [AML BMO] AML BMO. «Bulletin municipal
officiel de la ville de Lyon»,.
[BMLPDR F383] BMLPDR F383. «L'Artisan du sud-est».
organe officiel des chambres de métiers puis de la
Fédération des artisans du sud-est à partir d'août
1935, mai 1928-mai 1939. [JO] JO. «Journal officiel de la
République française»,.
Ouvrages cités
[BRIAND 1989] Jean-Pierre BRIAND. «L'apparition du «
préapprentissage » dans les grandes villes au début du
XXème siècle». Dans: Formation emploi,
no 27-28, 1989, pages 42-64.
[BRUCY 1989] Guy BRUCY. «CAP et certificats de
spécialité: les enjeux de la formation au lendemain de la seconde
guerre mondiale». Dans: Formation emploi, no 27-28.
[CHARMAS SON et al. 1987] Thérèse
CHARMAS SON, Anne-Marie LELORRAIN & Yannick RIPA. L'Enseignement
technique de la Révolution à nos jours, tome I: 1789-1926.
INRP- Economica, Paris, 1987. 761 pages.
[FORMATION EMPLOI 1989] FORMATION EMPLOI 1989.
L'Enseignement technique etpro-
fessionnel, repères dans l 'Histoire, 1830-1960,
27-28, juillet-décembre 1989. 200 pages. [HAUPT 1979] Heinz-Gerhard
HAUPT. «La petite bourgeoisie, une classe inconnue». Dans:
Le
Mouvement social, no 108, 1979, pages
11-20.
[HAUPT et al. 1979] Heinz-Gerhard HAUPT, Philippe
VIGIER et al. (directeurs). Le Mouvement social, numéro
spécial: l 'atelier et la boutique, études sur la petite
bourgeoisie au XIXème siècle, 108. Les éditions
ouvrières, juillet-septembre 1979. 162 pages.
[HAUPT et al. 1981] Heinz-Gerhard HAUPT, Philippe
VIGIER et al. (directeurs). LeMouvement social, numéro
spécial: petite entreprise et politique, 114. Les éditions
ouvrières, janvier- mars 1981. 158 pages.
[LEQUIN 1989] Yves LEQUIN. «L'apprentissage en France au
XIXème siècle: rupture ou continuité?» Dans:
Formation emploi, no 27-28, 1989, pages 91-1 00.
[LINCOLN 1981] Andrew LINCOLN. «Le syndicalisme patronal
à Paris de 1815 à 1848: une étape de la formation d'une
classe patronale». Dans: Le Mouvement social, no 114,
1981, pages 11-34.
[MAGLIULO 1985] Bruno MAGLIULO. Les Chambres de
métiers. PUF, collection Que sais-je? n°2216, Paris, 1985. 127
pages.
[NORD 1981] Philip NORD. «Le mouvement des petits
commerçants et la politique en France de 1888 à 1914». Dans:
LeMouvement social, no 114, 1981, pages 35-56.
[PELPEL & TROGER 1993] Patrice PELPEL & Vincent
TROGER. Histoire de l'enseignement technique. Hachette
éducation, Références / Pédagogies pour demain,
Paris, 1993. 320 pages.
[PROST 1968] Antoine PROST. Histoire de l'enseignement en
France, 1800-1967. Armand Colin, collection U, Paris, 1968. 524 pages.
[RENDU 1987] Christian REND U. Le mouvement artisanal
lyonnais et la création des Chambres
de métiers, 1919-1934. Chambre de métiers
du Rhône, Lyon, 1987. 126 pages.
[ZARCA 1986] Bernard ZARCA. L'Artisanatfrançais, du
métier traditionnel au groupe social.
Economica, Paris, 1986. 290 pages.
Liste des tableaux
2.1 Les syndicats pétitionnaires début 1930 et
leurs adhérents 28 2.2 Les syndicats favorables à
l'installation d'une Chambre de métiers début 1931 et
leurs adhérents 33
3.1 Les électeurs maîtres à la Chambre des
métiers du Rhône, 1933-193 8 45
3.2 Les électeurs compagnons à la Chambre des
métiers du Rhône, 1933-1938 . . 46
3.3 Le poids des lyonnais chez les électeurs
maîtres-artisans 49
3.4 Répartition géographique par catégorie
des maîtres non lyonnais en 1936 . . . 50
3.5 Résultats des élections du 26 novembre 1933
:Artisans maîtres 52
3.6 Résultats des élections du 26 novembre
1933:Compagnons 53
3.7 Résultats des élections du 13 décembre
1936 55 3.8 Âge moyen en 1933 des membres de la Chambre des
métiers du Rhône élus en
1933ouen1936 58 3.9 Date moyenne de premier exercice dans le
Rhône des membres de la Chambre
des métiers du Rhône élus en 1933 ou 1936
58 3.10 Lieux de naissance des membres de la Chambre des métiers du
Rhône élus en
1933ou1936 58 3.11 Adresses des membres de la Chambre de
métiers en 1933 et 1936 et des candidats
non élus en 1936 59 3.12 Opinions politiques des
membres de la Chambre des métiers du Rhône élus en
1933ou1936 60 3.13 Nombre de sièges au bureau ou dans
des commissions occupés par les membres
de la Chambre des métiers du Rhône entre 1934 et
1939, sans compter les recon-
ductions au même poste en 1937 63 3.14 Nombre de
commissions dans lesquelles des membres artisans- maîtres de chaque
catégorie sont présents 63
3.15 Récompenses des apprentis en outillage en fin
d'année pour l'année 1938 . . . 73 3.16 Les subventions
allouées par la Chambre de matiers du Rhône aux cours profes-
sionnels en 1938 76
3.17 Les cours de comptabilité de la Chambre des
métiers du Rhône en 1938 78
Liste des documents
1 Les buts de l'ouverture des cours de comptabilité
75
2 Recensement des artisans étrangers par professions et
par communes en 1938 . 95
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of such a section when you modify the Document means that it
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distinct from that of the Document, and from those of previous versions (which
should, if there were any, be listed in the History section of the Document).
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entities responsible for authorship of the modifications in the Modified
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(all of its principal authors, if it has fewer than five), unless they release
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Modified Version, as the publisher.
D. Preserve all the copyright notices of the Document.
E. Add an appropriate copyright notice for your modifications
adjacent to the other copyright notices.
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Sections and required Cover Texts given in the Document's license notice.
H. Include an unaltered copy of this License.
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and add to it an item stating at least the title, year, new authors, and
publisher of the Modified Version as given on the Title Page. If there is no
section Entitled "History" in the Document, create one stating the title, year,
authors, and publisher of the Document as given on its Title Page, then add an
item describing the Modified Version as stated in the previous sentence.
J. Preserve the network location, if any, given in the Document
for public access to a Transparent copy of the Document, and likewise the
network locations given in the Document for previous versions it was based on.
These may be placed in the "History" section. You may omit a network location
for a work that was published at least four years before the Document itself,
or if the original publisher of the version it refers to gives permission.
K. For any section Entitled "Acknowledgements" or "Dedications",
Preserve the Title of the section, and preserve in the section all the
substance and tone of each of the contributor acknowledgements and/or
dedications given therein.
L. Preserve all the Invariant Sections of the Document,
unaltered in their text and in their titles. Section numbers or the equivalent
are not considered part of the section titles.
M. Delete any section Entitled "Endorsements". Such a section
may not be included in the Modified Version.
N. Do not retitle any existing section to be Entitled
"Endorsements" or to conflict in title with any Invariant Section.
O. Preserve any Warranty Disclaimers.
If the Modified Version includes new front-matter sections or
appendices that qualify as Secondary Sections and contain no
material copied from the Document, you may at your option designate some or all
of these sections as invariant. To do this, add their titles to the list of
Invariant Sections in the Modified Version's license notice. These titles must
be distinct from any other section titles.
You may add a section Entitled "Endorsements", provided it
contains nothing but endorsements of your Modified Version by various
parties--for example, statements of peer review or that the text has been
approved by an organization as the authoritative definition of a standard.
You may add a passage of up to five words as a Front-Cover Text,
and a passage of up to 25 words as a Back-Cover Text, to the end of the list of
Cover Texts in the Modified Version. Only one passage of Front-Cover Text and
one of Back-Cover Text may be added by (or through arrangements made by) any
one entity. If the Document already includes a cover text for the same cover,
previously added by you or by arrangement made by the same entity you are
acting on behalf of, you may not add another; but you may replace the old one,
on explicit permission from the previous publisher that added the old one.
The author(s) and publisher(s) of the Document do not by this
License give permission to use their names for publicity for or to assert or
imply endorsement of any Modified Version.
5. COMBINING DOCUMENTS
You may combine the Document with other documents released under
this License, under the terms defined in section 4 above for modified versions,
provided that you include in the combination all of the Invariant Sections of
all of the original documents, unmodified, and list them all as Invariant
Sections of your combined work in its license notice, and that you preserve all
their Warranty Disclaimers.
The combined work need only contain one copy of this License, and
multiple identical Invariant Sections may be replaced with a single copy. If
there are multiple Invariant Sections with the same name but different
contents, make the title of each such section unique by adding at the end of
it, in parentheses, the name of the original author or publisher of that
section if known, or else a unique number. Make the same adjustment to the
section titles in the list of
Invariant Sections in the license notice of the combined work.
In the combination, you must combine any sections Entitled
"History" in the various original documents, forming one section Entitled
"History"; likewise combine any sections Entitled "Acknowledgements", and any
sections Entitled "Dedications". You must delete all sections Entitled
"Endorsements".
6. COLLECTIONS OF DOCUMENTS
You may make a collection consisting of the Document and other
documents released under this License, and replace the individual copies of
this License in the various documents with a single copy that is included in
the collection, provided that you follow the rules of this License for verbatim
copying of each of the documents in all other respects.
You may extract a single document from such a collection, and
distribute it individually under this License, provided you insert a copy of
this License into the extracted document, and follow this License in all other
respects regarding verbatim copying of that document.
7. AGGREGATION WITH INDEPENDENT WORKS
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separate and independent documents or works, in or on a volume of a storage or
distribution medium, is called an "aggregate" if the copyright resulting from
the compilation is not used to limit the legal rights of the compilation's
users beyond what the individual works permit. When the Document is included in
an aggregate, this License does not apply to the other works in the aggregate
which are not themselves derivative works of the Document.
If the Cover Text requirement of section 3 is applicable to these
copies of the Document, then if the Document is less than one half of the
entire aggregate, the Document's Cover Texts may be placed on covers that
bracket the Document within the aggregate, or the electronic equivalent of
covers if the Document is in electronic form. Otherwise they must appear on
printed covers that bracket the whole aggregate.
8. TRANSLATION
Translation is considered a kind of modification, so you may
distribute translations of the Document under the terms of
section 4. Replacing Invariant Sections with translations requires special
permission from their copyright holders, but you may include translations of
some or all Invariant Sections in addition to the original versions of these
Invariant Sections. You may include a translation of this License, and all the
license notices in the
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include the original English version of this License and the original versions
of those notices and disclaimers. In case of a disagreement between the
translation and the original version of this License or a notice or disclaimer,
the original version will prevail.
If a section in the Document is Entitled "Acknowledgements",
"Dedications", or "History", the requirement (section 4) to Preserve its Title
(section 1) will typically require changing the actual title.
9. TERMINATION
You may not copy, modify, sublicense, or distribute the Document
except as expressly provided for under this License. Any other attempt to copy,
modify, sublicense or distribute the Document is void, and will automatically
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versions will be similar in spirit to the present version, but may differ in
detail to address new problems or concerns. See
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Each version of the License is given a distinguishing version
number. If the Document specifies that a particular numbered version of this
License "or any later version" applies to it, you have the option of following
the terms and conditions either of that specified version or of any later
version that has been published (not as a draft) by the Free Software
Foundation. If the Document does not specify a version number of this License,
you may choose any version ever published (not as a draft) by the Free Software
Foundation.
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