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Une expérience d'art-thérapie à  dominante expression corporelle auprès d'adolescents souffrant de troubles du comportement


par Valérie CROS
Faculte de medecine de Tours - Diplôme universitaire d'Art-Thérapie 2004
  

Disponible en mode multipage

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Copyright (c) Valerie CROS

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UNIVERSITE FRANCOIS RABELAIS
FACULTE DE MEDECINE DE TOURS
A.F.R.A.T.A.P.E.M
(Association Française de Recherche
et
Application des Techniques Artistiques
en Pédagogie Et Médecine)

UNE EXPERIENCE D'ART-THERAPIE A
DOMINANTE
EXPRESSION CORPORELLE
AUPRES D'ADOLESCENTS SOUFFRANT
DE TROUBLES DU COMPORTEMENT
HOSPITALISES
AU SEIN D'UNE UNITE POST-AIGÜE

Mémoire pour l'obtention
du diplôme universitaire d'Art-Thérapie
Année 2004
Présenté par Valérie CROS

Directeur de mémoire :

Fabrice CHARDON Art-Thérapeute

Lieu de l'expérience :

Clinique Médico-Universitaire Georges Dumas Service U.P.A

10, av. des maquis du Grésivaudan

38700 La Tronche

REMERCIEMENTS

Nous tenons à remercier les personnes suivantes pour leur contribution à l'élaboration de ce travail.

Monsieur le Docteur T. VINCENT Psychiatre en chef du service de l'U.P.A pour la confiance qu'il nous a témoignée

Madame F. MOREAU Cadre infirmier

pour sa collaboration

Madame M.O PILLEAU Psychologue

pour sa collaboration

L'équipe d'infirmiers de l'U.P.A pour leur collaboration

Monsieur R. FORESTIER

pour la qualité et la richesse de son enseignement

Monsieur F. CHARDON

pour son soutien, ses conseils et sa disponibilité

Nicolas MENAGE

pour son aide précieuse dans la mise en forme de ce travail

Ma famille et mes amis

pour leur soutien et leur confiance

REMERCIEMENTS 2

INTRODUCTION 7

PREMIERE PARTIE : L'ART -THERAPIE A DOMINANTE EXPRESSION CORPORELLE PEUT PERMETTRE A L'ADOLESCENT SOUFFRANT, D'AMELIORER L'IMAGE QU'IL A DE SON CORPS. 9

A/ Certains troubles du comportement à l'adolescence sont liés à une insatisfaction à l'égard de l'image corporelle 9

I/ L' adolescence, période du développement de l'enfant à l'adulte se caractérise par des faits particuliers qui sont : 9

a) Une modification physique et physiologique, d'où un corps en pleine transformation 9

b) La recherche d'une identité propre et l'affirmation d'une image de soi 10

II/ L'adolescence demeure une période de crise pouvant entrainer des pathologies spécifiques liées au corps. Nous en présenterons brièvement les principales formes 12

a) Les dépressions à l'adolescence 12

b) Les passages à l'acte à l'adolescence 13

c) Les troubles du comportement alimentaire à l'adolescence 14

B/ La pratique de l'expression corporelle permet la connaissance kinesthésique 17

a) Définitions 17

b) L'expression corporelle fait appel aux émotions, aux sens, au mouvement
17

c) Le corps en tant qu'entité "psychocorporelle"et son mouvement en sont les instruments 18

d) L'expression corporelle met en jeu les facteurs inhérents au mouvement : l'espace, le temps,

le rythme, l'énergie, l'intention. 19

e) Le corps à valeur de relation avec soi et avec l'autre 20

C/ Il existe des ateliers où des adolescents en souffrance pratique l'expression corporelle

21

a) Présentation d'ateliers existants 21

b) Les méthodes et moyens mise en oeuvre 21

c) L'art-thérapie est utilisé comme discipline spécifique 22

d) L'art-thérapeute exploite la dynamique du phénomène artistique 23
e) L'expression corporelle à travers son processus artistique est susceptible d'être thérapeutique

23

DEUXIEME PARTIE : INSTALLATION D'UN ATELIER D'ART-THERAPIE A DOMINANTE EXPRESSION CORPORELLE AUPRES D'ADOLESCENTS EN SITUATION DE CRISE, HOSPITALISES. 25

A/ Présentation du lieu de stage l'U.P.A, Unité d'accueil Post-Aigu, de la clinique médico-universitaire Georges Dumas à La Tronche (Isère) 25

a) La présentation de la clinique Georges Dumas, de l'U.P.A et de son personnel 25

b) La présentation du public accueilli au sein de cette unité 26

c) Les objectifs thérapeutiques 26

d) Les différentes médiations

27

B/ Mise en place de l'atelier d'art-thérapie à dominante expression corporelle 28

1) L'organisation et la mise en place de l'atelier d'art-thérapie 28

2)L'intégration de l'atelier d'art-thérapie dans l 'U.P.A 29

3) D'une prise en charge en groupe à une prise en charge individuelle 29

C/ Le projet thérapeutique fait l'objet d'une méthodologie adaptée 30

1) Ce projet, présenté sous la forme d'un protocole de prise en charge est soumis au médecin psychiatre en chef du service 30

2)Ce projet inclue également l'élaboration du cadre dans l'atelier d'art-thérapie 30

3) La structure de l'atelier 31

4)Des outils d'observation sont mis en place pour permettre une évaluation adaptée 31

D/ Présentation de deux études de cas 33

1/ Aurore 33

a) Anamnèse 33

b) Objectifs de l'institution 33

c) Objectifs de la prise en charge 33

d) Déroulement des séances 34

e) Evaluations 36

f) Bilan 37

2/ Sabine 39

a) Anamnèse 39

b) Objectifs de l'institution 39

c) Objectifs de la prise en charge 39

d) Déroulement des séances 40

e) Evaluations 45

f) Bilan 46

TROISIEME PARTIE : DISCUSSION 47

A/ Réfléxions et commentaires sur les études de cas 47

1) La prise en charge d'un groupe 47

a) Expression corporelle et expression corporelle en art-thérapie 47

b) L'objectif thérapeutique général 47

c) L'intégration dans le groupe 48

d) La prise en charge individuelle au sein du groupe 48

2) La prise en charge individuelle (Sabine) 49

a) Méthode 49

b) La question du transfert 49

B/ Le projet thérapeutique initial à fait l'objet de transformations 50

1) Le cadre s'est modifié 50

a) L'encadrement humain a évolué 50

b) La fréquence et la durée ont fait l'objet de modifications 51

c) Le type de prise en charge 51

2) Les moyens ont évolué 51

a) La dominante artistique et les phénomènes associés 51

b) La capacité d'adaptation 52

3) Des limites se sont imposées 52

a) La briéveté des séances pour les patients en groupe 52

b) La briéveté des séances d'une prise en charge individuelle 53

C/ La mise en relation de l'expression graphique et de l'expression corporelle 54

1) Le mouvement et le geste 54

a) Le mouvement pour le danseur 54

b) Le mouvement pour le peintre 54

c) Le geste pour le danseur 55

d) Le geste pour le peintre 55

2) L'utilisation des couleurs 56

a) Un moyen pour l'expression corporelle 56

b) Un outil pour le peintre 57

3) L'utilisation du corps 57

a) Le corps dans l'espace est l'outil du danseur 57

b) Le corps dans l'espace est un moyen pour le peintre 58

4) Du graphisme dans la danse et du mouvement dans la peinture 59

a) Le corps dessine dans l'espace temps 59

b) Les arts plastiques en général et la peinture en particuliers sont une succession de mouvements figés dans le temps 59

CONCLUSION 61

BIBLIOGRAPHIE 63

ANNEXES : 64

Projet thérapeutique Grille d'observation

INTRODUCTION

Intervenante en expression corporelle auprès des écoles et des M.J.C sur Grenoble et sa région, j'ai créé en 1996 une association ayant pour objet la création, la promotion et la diffusion par tous les moyens de spectacles vivants et la mise en place d'ateliers d'expression corporelle. Cette association me permettait d'exercer au sein d'une école de danse, où les ateliers d'expression corporelle avaient lieu chaque semaine pour différents groupes d'enfants à adultes répartis selon les âges.

Lors des présentations de travaux de fin d'année, certains parents me faisaient part de leurs impressions relatives au comportement de leurs enfants, un « changement », une « ouverture »... Pour eux, un lien existait avec la pratique de l'activité.

Ces différentes remarques et constatations donnaient lieu à des discussions, à des réflexions qui m'incitaient à penser que les ateliers d'expression corporelles pouvaient avoir des vertus thérapeutiques et qu'il serait intéressant de les exploiter. Cependant, je ne disposais pas des outils nécessaires.

C'est pourquoi, je décidai de m'engager à suivre la formation d'art-thérapie de l'Ecole de Tours proposée par l'A.F.R.A.T.A.P.E.M (Association Française de Recherche et d'Applications des Techniques Artistiques en Pédagogie et Médecine).

N'ayant pas exercé jusque là dans les milieux de soins, ces études m'ont permise de me familiariser avec un nouveau milieu. Dans les deux premières années, j 'ai effectué des stages d'observation au sein d'institutions spécialisées.

Le premier s'est déroulé au sein d'un Institut Médicalisé Educatif (I.M.E), auprès d'enfants déficients intellectuels.Le deuxième s'est fait au sein d'un Jardin d'Enfant Thérapeutique (J.E.T) auprès d'enfants présentant des symptômes autistiques.

Le troisième stage qui fait l'objet de ce mémoire fut l'occasion de pouvoir mettre en pratique un atelier d'art-thérapie à dominante expression corporelle.

Cette expérience a eu lieu au sein de l'unité post-aigüe de la clinique Georges Dumas à la Tronche en Isère, auprès d'adolescents hospitalisés souffrant de troubles du comportement.

Ces troubles étant souvent liés à une certaine insatisfaction à l'égard de l'image corporelle,

l'hypothèse suivante est énoncée : l'art-thérapie à dominante expression corporelle peut permettre à l'adolescent souffrant, d'améliorer l'image qu'il a de son corps.

Nous avons élaboré notre étude de la manière suivante.

Dans la première partie de ce mémoire, nous décrirons les faits caractéristiques que présente la période de l'adolescence tant du point de vue physiologique que psychologique et les différentes formes de pathologie que cette période de crise peut entraîner.

Nous parlerons également de la pratique de l'expression corporelle qui permet la connaissance kinesthésique et mettrons en évidence que le pouvoir des arts corporels peut être exploité dans une visée thérapeutique.

La deuxième partie décrit les conditions de l'expérience d'un atelier d'art-thérapie à dominante expression corporelle au sein de l'unité post-aigüe de la clinique Georges Dumas ainsi que le projet thérapeutique s'y rapportant faisant l'objet d'une méthodologie adaptée. Il est rendu compte du déroulement des séances dans la présentation de deux études de cas s'inscrivant dans un cadre précis contenant des outils d'observation. Une analyse et une évaluation des résultats de ces études de cas sont présentées.

Enfin dans la troisième partie, une discussion s'articule autour des diff érents types de prise en charge rencontrés, des transformations liées au projet initial ainsi que d'une mise en relation de deux types d'expression impliquant le corps : la peinture et la danse.

PREMIERE PARTIE :

L'ART-THERAPIE A DOMINANTE EXPRESSION CORPORELLE PEUT PERMETTRE A L'ADOLESCENT SOUFFRANT D'AMELIORER L'IMAGE QU'IL A DE SON CORPS.

A/ Certains troubles du comportement à l'adolescence sont liés à une insatisfaction à l'égard de l'image corporelle

1/ L'adolescence, période de développement de l'enfant à l'adulte se caractérise par des faits particuliers :

a) Une modification physique et physiologique : un corps en pleine transformation

Le terme adolescent vient de adolescere qui signifie grandir. 1

L'adolescence est une étape du développement de la vie située aujourd'hui entre les âges de 12 et de 20 ans, et dont la durée varie selon les époques, les cultures et l'histoire de chacun. L'adolescence se reconnaît aisément. Elle se manifeste ouvertement par une série de changements qui affectent en premier le corps, mais également les attitudes de l'adolescent et celles de son entourage et du groupe social à son égard. Ce sont les modifications du corps, liées à la puberté (étape physiologique de la maturation somatique - exemple pilosité chez l'homme, développement des seins et menstruation chez la femme) qui introduisent l'adolescence comme phénomène et reflètent son développement jusqu'à l'acquisition complète des caractères sexuels et l'achèvement de la croissance.

La fin de l'adolescence est par contre beaucoup plus difficile à déterminer et appelle le recours à d'autres critères, d'ordres psychologique et psychosocial, celui de l'âge traduisant surtout cet embarras. Vingt ans est alors le plus souvent retenu, bien que la notion, relativement nouvelle de postadolescence permette de repousser cette limite, et de prendre en compte les nuances et progressivité de l'entrée dans l'état adulte.

Le corps est l'élément pivot de l'adolescence. « C'est sa transformation sous l'effet des modifications hormonales de la puberté qui introduit les changements de l'adolescence.

1Dictionnaire étymologique Larousse

Le corps de l'adolescent révèle les particularités de son statut psychique. Il participe intimement de la vie psychique. Il en est un révélateur et un des moyens d'expression privilégié. » 2

Le corps de l'adolescent le trahit à plus d'un égard :

« - il échappe au pouvoir de maîtrise du Moi, en étant le lieu essentiel d'expression des transformations de la puberté, effets de la physiologie et non du pouvoir du Moi ; celui-ci peut se croire maître de ses pensées et de ses idéologies, il subit son corps ;

- il n'est plus l'écran protecteur derrière lequel l'enfant peut cacher pensées et désirs, mais devient la scène sur laquelle ses rougeurs, sa gaucherie et son trouble révèlent ses émois et ses désirs les plus intimes ;

- il est le terrain priviliégié de concrétisation et d'étalage de l'héritage des parents que les resemblances physiques avec ceux-ci dévoilent au grand jour au point que l'adolescent peut ne plus savoir ce qui lui appartient en propre » .3

Ce corps en mutation est souvent vécu comme étranger car il s'éloigne du corps connu et aimé de l'enfant, tout en étant non conforme au corps idéal et imaginé.

b) La recherche d'une identité propre et l'affirmation d'une image de soi

Ce corps il va falloir que l'adolescent, réapprenne à l'aimer et à l'assimiler à l'image de soi. Durant cette période de passage, malgré la métamorphose importante que vit l'adolescent, il doit finalement retrouver son individualité en tant que telle, animée par ses désirs propres. Pour Ph. Jeammet, l'adolescence est décrite dans une perspective essentiellement génétique comme l'achèvement de l'enfance et dont l'aboutissement serait l'état adulte.

« Les acquis essentiels sont établis dès l'enfance et l'adolescence ne fera tout au plus que les mettre à l'épreuve et en réveler les faiblesses. Elle ne créera rien de fondamentalement

2 Prof. Philippe Jeammet - Dynamique de l'adolescence

3 Prof. Philippe Jeammet op cit.

nouveau par elle même. Tous les ingrédients essentiels de la personnalité sont déterminés par la petite enfance. »

Ce passage s'effectue de façon non linéaire et avec de nombreux paradoxes et ambivalences, tel un va et vient permanent entre des expériences d'indépendance et un retour rassurant vers une certaine dépendance.

« Ce travail de transformation et de maturation propre à l'adolescence est décrit en termes de tâches développementales telles que : intégration du nouveau corps pubère avec achèvement des identifications sexuées, et autonomisation et séparation d'avec les objets parentaux »4. « En cas de conflit identificatoire majeur, le corps peut servir à assurer le maintien d'une identité défaillante. Le thème de la revendication du droit à la différence est un des moyens privilégiés dont dispose l'adolescent pour affermir une identité que ses conflits et sa dépendance profonde aux imagos parentales menacent constamment. » (Imago signifiant l'image chargée de valeur affective, que se fait l'adolescent de lui-même).

« Ce droit à la différence s'est essentiellement exprimé dans les années 1950 et 1960 par le biais de la revendication d'une sexualité différente. Actuellement, il s'est déplacé sur le droit à disposer de son corps à sa guise, jusque et y compris dans ces formes extrêmes que sont le droit à le maîtriser ou à le détruire telles que : le droit au suicide, l'anorexie mentale, la mode punk avec ses attaques contre le corps... »5. Nous pouvons rajouter le piercing.

Nous constatons que la façon dont l'adolescent traite son corps révèle l'image qu'il a de luimême, de l'amour ou de la haine qu'il se porte.

4 Prof. P. Jeammet op.cit. p.2

5 Prof. P. Jeammet op.cit. p.2

II / L'adolescence demeure une période de crise pouvant entrainer des pathologies spécifiques liées au corps. Nous en présenterons brièvement les principales formes :

a) Les dépressions à l'adolescence

Selon le Docteur A. Braconnier, « après avoir considéré la dépression comme un état normal à l'adolescence, la majorité des cliniciens distingue les sentiments dépressifs modérés et transitoires, appartenant en effet au développement normal de l'adolescence, des différentes formes que peut prendre une dépression proprement dite à cet âge ».

Nous définirons la dépression appelée plus communément l'état dépressif comme une perturbation de l'humeur dans le sens négatif, celui de la tristesse et de la souffrance intérieure.

« Pour parler d'état dépressif et non simplement de sentiment d'émotion ou d'affect dépressifs, il faut que cette dépression de l'humeur atteigne une durée et une intensité telles qu'elles entraînent des conséquences constatables sur la vie psychique du sujet, sur la vie somatique et sur la vie relationnelle. »6

Nous retiendrons ici une liste de symptômes présents dans le caractère dépressif d'un adolescent 7 :

- Humeur dépressive présente presque tous les jours

- Diminution marquée de l'intérêt ou du plaisir pour toutes ou presque toutes les activités

- Perte ou gain de poids significatif en l'absence de régime, ou diminution ou augmentation de l'appétit presque tous les jours

- Insomnie ou hypersomnie presque tous les jours

- Agitation ou ralentissement psychomoteur presque tous les jours

- Fatigue ou perte d'énergie presque tous les jours

- Sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive ou inappropriée

- Diminution de l'aptitude à penser ou à se concentrer, ou indécision presque tous les jours

6 Michel Hanus « Psychiatrie de l'Etudiant » p.14

7 Alain Braconnier « Dépression et adolescence » p.8

- Pensées de mort récurrentes

Comme nous le précise, le Dr A. Braconnier, « la reconnaissance et le traitement d'une dépression à l'adolescence permettent en outre de réaliser un travail préventif vis-à vis des éventuels troubles ultérieurs de l'âge adulte ».

b) Les passages à l'acte à l'adolescence

« La courbe de prévalence des tentatives de suicide culmine entre et 15 et 24 ans et son issue fatale, le suicide, représente la première ou la deuxième cause de mortalité des jeunes. Aussi la tentative de suicide (TS) à l'adolescence représente-t-elle un problème majeur de santé publique. Sa reconnaissance, son traitement et sa prévention constituent d'importants enjeux. »

Nous nous heurtons, cependant, à un problème de définition.

« Comment déterminer dans quelle catégorie ranger un abus de médicaments ? Ou une entaille sur les avants-bras ? En milieu hospitalier, il est fréquent de lire dans un même dossier, plusieurs versions descriptives et explicatives d'une même réalité. L'interprétation des entailles sur les avant-bras, par exemple, peut aller des veines chatouillées, à la TS, en passant par scarification des bras ou les gestes autoagressifs.

Sur quels éléments se baser pour décider s'il s'agit ou non d'une TS ? Sur la profondeur des entailles ? Sur l'intention exprimée par le patient ? Sur l'intime conviction du soignant ? La réponse ne serait peut-être pas essentielle si des orientations cliniques décisives ne découlaient pas de ces descriptions comme des interprétations qu'elles engendrent. »8

Mises à part les complications liées à la définition même de la TS, ce geste mérite des considérations particulières dès lors qu'il est envisagé dans le contexte de l'adolescence. « L'appréciation de l'intentionnalité suppose que l'auteur de l'acte sache ce qu'est la mort. Or, rien n'est moins sûr à cet âge. »9

« Le passage à l'acte suicidaire est multidéterminé : aucun facteur de risque ne peut être à lui seul considéré comme explicatif d'une TS. Certains facteurs psychologiques personnels (dont les relations intrafamiliales) et certains facteurs sociaux défavorables ont une importance

8 Ladame F et Perret-Catipovic M.- «Tentative de suicide à l'adolesence »

9 M. Radigois Pernelet Thèse sur L'Hospitalisation des adolescents suicidants

particulière. Le risque suicidaire augmente d'autant plus qu'il y a cumul des différents facteurs. »9

« Les éléments, circonstances extérieures ne suffisent pas à expliquer à eux seuls la réalisation du passage à l 'acte suicidaire, mais ces facteurs se trouvent intriqués à des facteurs psychopathologiques. »10

c) Les troubles du comportement alimentaire à l'adolescence

Ces troubles se nomment anorexie mentale et boulimie.

L'anorexie mentale se définit par des conduites de restriction alimentaire entraînant un amaigrissement souvent important chez les jeunes filles.

La boulimie est une faim excessive.

En terme de pathologie les deux sont souvent liés.

En ce qui concerne l'anorexie mentale, l'âge de début se situe à la post-puberté avec deux pics de fréquence à 14 ans 1/2 et 18 ans. Les formes tardives (après 25 ans) ne sont pas exceptionnelles (15% des cas). Fait notable, la grande majorité des anorexies mentales se voient dans les classes sociales élevées et moyennes supérieures.

Les cas d'anorexie masculine restent rares (3% des cas), mais sont en progression actuellement.

Une progression régulière des anorexies mentales est notée dans tous les pays occidentaux dans la dernière décennie. Par contre, il n'existe aucun cas dans certaines ethnies en particulier dans la race noire. 11

Ces données épidémiologiques font évoquer l'hypothèse que des facteurs socio-culturels interviennent dans la pathogénie de ces troubles.

On considère comme possibles, un certain nombre de facteurs déclenchants 12 :

· traumatisme psycho-affectif

· souvent le traumatisme invoqué est la révélation d'un conflit latent : conflit affectif et sexuel

· refus de la féminité (ambivalence de la mère) - déception sentimentale - rivalité dans la famille (surtout avec le père)

10 Marie Radigois Pernelet -op. cité p.5

11 Pathologie psychiatrique p.79 Fac de Médecine Tours 12 Michel Hanus p.321 op. cité p.4


· conflit professionnel : échec aux examens - problème d'insertion sociale - difficulté d'adaptation.

L'anorexie mentale se caractérise par un amaigrissement spectaculaire, il dépasse 25 % du poids initial pour atteindre parfois plus de 50 % du poids normal à cet âge.

« L'aspect de la jeune fille est évocateur : corps efflanqué, tout en os, anguleux. La fonte des réserves graisseuses superficielles et profondes est massive : les formes féminines se sont effacées ; seins, hanches et fesses ont disparu. »13

En regard de cet amaigrissement, la méconnaissance de leur maigreur par les malades, reflète l'importance du trouble de la perception de l'image de leur corps.

Un comportement de maîtrise et de ritualisation est généralement associé.

L'anorexique se livre à d'incessantes mesures de vérifications, pesées, recherche sur la valeur calorique des aliments....

L'aménorrhée survient constamment au cours de l'évolution de l'anorexie.

« On parle d'aménorrhée après une interruption de trois mois des règles précedemment régulières ou de six mois si elles étaient irrégulières. »13

La sexualité fait l'objet d'un refoulement massif, tant dans ses composantes physiologiques que dans sa dimension de désir.

Le fonctionnemnent intellectuel est considéré comme excellent avec un surinvestissement de ce domaine. « Le refuge dans l 'intellectualisme pur prend une valeur défensive à l'égard des émotions ». 13

Le syndrome boulimique qui consiste en l'ingurgitation massive, « quasi-frénétique », d'une grande quantité de nourriture, s'accomplit généralement en cachette d'une façon totalement indépendante des repas.

« La quantité prime touj ours sur la qualité, le besoin d'engloutir sur la recherche du goût. L'accès est le plus souvent suivi de vomissements provoqués, mais qui avec le temps, deviennent quasi-automatiques ». 13

Dans 30 à 50 % des cas, la boulime survient pendant ou après une période d'anorexie.

Les différentes pathologies que nous venons de définir se classent dans les conduites addictives dites de dépendance. La dépression étant considérée comme sous-jacente d'une conduite addictive, les conduites suicidaires et les troubles des conduites alimentaires (anorexie, boulimie) faisant partie des conduites de dépendance à l'adolescence.

L'adolescence avec les modifications physiques et psychologiques de la puberté agit comme un révelateur de cette dépendance.

La conduite addictive peut se comprendre comme une lutte antidépressive, l'incorporation répétée de l'objet addictif visant à combler un sentiment de vide insupportable. Si l'on observe le côté clinique de la dépendance, nous constatons :

« C'est une clinique où le sujet essaie de substituer à ses liens affectifs relationnels, vécus comme d'autant plus menaçants qu'ils sont plus nécessaires, des liens de maîtrise et d'emprise.

Il s'agit d'introduire entre le sujet et ses possibles attachements, des objets institutifs qu'il pense maîtriser, la nourriture dans la boulimie, la drogue etc... On voit ainsi apparaître clairement la fonction de contrôle de la distance relationnelle par ce comportement. »14 Tout ce qui rappelle un lien affectif est rejeté, le comportement devient mécanique, au profit du besoin de sensations violentes pour se sentir exister et non plus pour éprouver du désir et du plaisir.

Selon J. Lacan, le désir suppose la reconnaissance du manque, ainsi que celle du désir de l'autre comme conditionnant celui de sujet.

Dans les conduites addictives on fait « l'économie du désir », ces conduites sont un moyen d'éliminer tout désir et de ne pas se considérer comme sujet désirant.

L'adolescence est également considérée comme le deuxième processus de séparationindividuation, elle fait suite au premier processus qui occupe les premières années de la vie.

« Il est frappant de constater que les conduites de dépendance proprement dites se mettent en place pour l'essentiel après la puberté et le plus souvent pendant l'adolescence

La dépendance a été mise en relation avec la problématique de l'attachement, qui a
opposé les deux termes, la dépendance étant alors considérée comme un échec des processus

d'attachement qui supposent une forme d'autonomie ».

13 Troubles des conduites alimentaires à l'adolescence. Encycl. Méd. Chir.

14 Corcos M. et Jeammet P. « Conduites de dépendance à l'adolescence »

Nous rajouterons que ... « de ce point de vue, la dépendance pourrait être le produit nécessaire de l'incapacité à élaborer l'angoisse de séparation ». 14

Ces conduites addictives se révèlent comme des attaques contre le corps propre et peuvent être conçues comme une façon de satisfaire un besoin de maîtrise sur ce corps en pleine transformation.

D'où l'importance d'une possible connaissance de l'existence de leurs corps autrement qu'à travers la souffance.

B/ La pratique de l'expression corporelle permet la connaissance kinesthésique

a) Définitions

Kinesthésie : nom féminin venant du grec kinein : se mouvoir et aisthésis : sensation. Ensemble des sensations de mouvement que nous procure notre corps.15

Expression corporelle : exercices inspirés de la danse et de la gymnastique qui cherchent à développer harmonieusement la maîtrise et la souplesse du corps. 15

Expression corporelle : c'est un art, il est à la fois un ensemble de techniques et une expression personnelle. Les techniques, données sous forme d'exercices, sont des outils qui permettent de vivre le geste harmonieux ; un geste qui ne soit pas normalisé, qui ne se réfère pas à un code particulier, sinon son propre code intérieur.16

b) L'expression corporelle fait appel aux émotions, aux sens, au mouvement

L'émotion qui vient de emovere : mettre en mouvement, donne tout son sens à l'expression corporelle. En effet l'expression corporelle permet l'expression d'une émotion et lui donne un sens à travers le mouvement exprimé.

Les sens dans leur aspect sensoriel sont exploités :

Le regard : l'intention dans le regard influe sur le déplacement. Jeux d'expression par le regard

L'audition : la façon dont le son (hauteur, intensité, timbre) est perçu, a des conséquences sur le déplacement

15 Dictionnaire Larousse

16 Jacques Choque « L'expression Corporelle » p. 11

Le toucher : exploration de l'espace et des autres, sensibilité à la pesanteur, jeux avec la matière (tissus...)

c) Le corps en tant qu'entité « psychocorporelle » et son mouvement en sont les instruments

La structuration psychocorporelle se définit comme suit : la psyché et le corps forment une totalité. Les carences de l'organisation ou du développement de l'un ont inévitablement des répercussions sur l'autre. Ainsi les dysfonctionnements du corps traduisent des dysfonctionnements psychiques.17

Comme le dit Antonio Damasio :

« L'idée de Descartes selon laquelle le corps et l'esprit seraient deux substances essentiellement distinctes me semble erronée. Le corps et l'esprit seraient plutôt deux aspects différents d'une certaine classe de mécanismes biologiques. Quelques années à peine après Descartes, le philosophe Spinoza l'avait entrevu. Dans son Ethique, il a écrit : L 'idée de

l 'esprit humain se construit à partir d 'un objet : le corps.

Cette phrase anticipe les connaissances de la neurobiologie moderne. »18

Le corps et le mouvement sont les instruments de l'expression corporelle, c'est à travers eux qu'une communication est établie entre le monde intérieur des sentiments, des émotions et le monde extérieur. « Le mouvement est comme une langue plus secrète avec laquelle nous pouvons dire certaines choses sans risquer le blâme ou l'incompréhension des autres ».19

Le corps étant l'instrument principal de l'expression corporelle, c'est lui qui donne vie au mouvement, de par sa flexibilité :

· la conscience du corps propre avec sa forme, sa structure, son volume, son poids, ses appuis, son équilibre,

· la conscience des articulations et de ses possibilités motrices : flexion, extension, rotation,

· la conscience des muscles, de leur tonicité, de leur rôle (force et souplesse) et de leur sens (contraction, relâchement).

17 Valérie Colombo p.25 Mémoire D.U Tours Mai 1998

18 Antonio Damasio - article dans « Cerveau et psycho » p.36 19 Jacqueline Robinson « L'enfant et la danse » p. 23

d) L'expression corporelle met en jeu les facteurs inhérents au mouvement : l'espace, le temps, le rythme, l'énergie, l'intention

· L' espace devient visible, il permet d'occuper une place, sa place.

L'espace est rempli, traversé, sculpté, écrasé, pris, il devient plein.

Il permet le déplacement, l'orientation, les niveaux (haut,bas), le graphisme, la sensibilisation à l'espace imaginaire.

· Le temps se ponctue à la manière de phrases dansées, avec un début, une fin, des virgules, des accents, des points, il est structuré.

· Le rythme est accentué par les temps qui donnent sa mesure, à deux temps ou à trois temps par exemple. Ce rythme peut être donné par la musique, par la respiration, en frappant du pied ou en tapant dans ses mains. Il permet la synchronisation des mouvements, « d'être en mesure ».

· L'énergie est la manière d'aborder l'espace, elle peut être tendue, relachée, emprunte d'élan ou freinée. Elle est liée à la qualité du mouvement : lourd, léger, caressant, tranchant.

L'expression corporelle permet de canaliser cette énergie, de la contrôler dans une situation dansée.

· L'intention dans le regard, dans le geste est un effort particulier qui conditionne une traversée (déplacement dans l'espace).

Elle implique la volonté d'un état particulier, par exemple, je traverse en diagonale avec l'intention de me rendre au coin de la pièce. L'expression du corps durant la traversée sera différente et visible pour celui qui regarde, que la même traversée ayant pour consigne uniquement une traversée en diagonale.

e) Le corps à valeur de relation avec soi et avec les autres

Le corps étant l'instrument principal de l'expression corporelle, il lui permet comme nous l'avons détaillé plus haut d'acquérir une conscience propre, tant au niveau kinesthésique, qu'intentionnelle et énergétique, il ne peut que favoriser la relation à soi, ainsi qu'une ouverture vers le monde extérieur pour une meilleure communication.

L'expression corporelle est un espace, un lieu, un moment privilégié où l'on prend sa place à côté de et avec l'autre, où des manières d'être et de faire diverses cohabitent. Les exercices et les jeux collectifs favorisent l'écoute, l'échange, l'attention et le respect de l'autre.

« Mon corps est le lieu de ma présence au monde.... ....« il est point de rencontre et de convergence.... » ....« par lui j'existe à l'autre.... »

Paul Valéry

C/ Il existe des ateliers où des adolescents en souffrance pratiquent l'expression corporelle

a) Présentation d'ateliers existants

Dans le cadre de mon métier d'intervenante en expression corporelle, j 'ai animé dans des écoles et des maisons des jeunes, des ateliers auprès d'adolescents.

Je ne peux pas dire que ces adolescents étaient véritablement en souffrance.

En tous cas même si la période de l'adolescence représente une communauté d'enjeux qui fait de cet âge une période critique à risques, la plupart d'entre eux ne développaient pas de pathologies. J'avais donc à faire à des adolescents plutôt expressifs, imaginatifs, novateurs, joueurs, assidus et très demandeurs.

L'expression corporelle étant d'un abord différent de la danse et de ses critères parfois séléctifs au niveau du corps (notamment en danse classique, ou en jazz), ou de la représentation que l'on peut s'en faire ; le mal-être lié à l'image corporelle en est atténué. Les inhibitions de certains étaient de ce fait rapidement levées, car le corps a la possibilité de s'exprimer différement, il n'est pas dans la représentation et ne doit pas se soumettre à des codes particuliers, mais plutôt tenter d'être vivant dans son unicité.

b) Les méthodes et moyens mis en oeuvre

Dans le cadre de ces ateliers, des fiches de travail sont préparées pour chaque trimestre, comprenant la structure de l'atelier et les objectifs qui sont d'ordre technique et qui relèvent des différentes acquisitions, la fiche correspondant au trimestre suivant étant établie en fonction des résultats constatés.

L'objectif général est l'acquisition des apprentissages, présentée sous la forme d'une création chorégraphique de fin d'année.

Mon programme de travail s'inspire de celui proposé par Jacqueline Robinson : Toi et ton corps (construction - sensations - moteurs - actions)

Toi et la nature (le cycle de vie - l'alternance - le rythme - le mouvement - l'observation)

Toi et tes sentiments (ton royaume secret - l'expression - la communication - le propre de l'art)

Toi et les autres (la dépendance - l'amour - la responsabilité - l'écoute - l'attention - le partage)

Toi et les formes (dessin - modelage - agir dans l'espace - les directions - les déplacements ) Toi et la musique (le rythme - la mélodie - la ponctuation - la construction - les instruments) Ce programme est mis en application par des exercices en fonction.

Ces ateliers entrant dans le cadre des loisirs, les adolescents participants s'inscrivent de leur propre chef, nous sommes dans une situation d'autonomie face à leur choix, ainsi que dans leur assiduité dans le courant de l'année.

Même si des parents voyaient dans ces ateliers des vertus thérapeuthiques, où si certains ados me confiaient leur bien-être à participer, ils ne relevaient alors d'aucune méthode, moyen ou objectif dans ce sens.

Nous étions bien dans un atelier d'animation par l'expression corporelle, dans le cadre des loisirs, ce qui n'enlevait rien d'ailleurs, au sérieux dans l'engagement et l'accompagnement des acquisitions des apprentissages.

c) L'art-thérapie est utilisé comme discipline spécifique

L'art-thérapie est l'exploitation du potentiel artistique à visée thérapeutique et humanitaire, le potentiel artistique étant le pouvoir expressif et l'effet relationnel de l'art.

En effet, l'art a un pouvoir expressif, dans la mesure où il met en oeuvre des mécanismes permettant l'expression.

Ces mécanismes étant l'impression, l'intention, l'action, la technique (tekhnê) et la production.

L'effet relationnel se situe dans la relation que l'art implique entre le monde intérieur et le monde extérieur.

Mais si l'art est une activité privilégiée d'expression, toute expression n'est pas art. L'art est le vecteur privilégié de l'orientation esthétique dans les arts dits de la beauté.

L'art est donc une activité volontaire dirigée vers l'esthétisme, son pouvoir expressif résidant dans sa capacité d'exprimer son idéal esthétique. L'art prend un sens, celui d'être une fonction.

Le plaisir esthétique réside dans la gratification sensorielle, par elle-même, pour elle-même et sans aucun autre but.

Ainsi, pour l'art-thérapie, à la différence d'une thérapie médiatisée, l'art n'est pas un outil, mais un moyen.

L'art-thérapie exploite la substance du pouvoir artistique dans un sens thérapeutique et humanitaire, dans la mesure où elle tend vers un épanouissement de l'être humain.

d) L'art-thérapeute exploite la dynamique du phénomène artistique

L'art-thérapeute utilise de manière pratique et théorique le phénomène artistique ; il peut donc exploiter le pouvoir et les effets de l'art.

Le phénomène artistique est l'ensemble des éléments qui composent l'activité artistique et l'ensemble des liens qui existe entre ces différents éléments.

A savoir, pour réaliser une production artistique, l'homme met en oeuvre différents mécanismes qui sont, je le rappelle, l'impression (par les capteurs sensoriels), l'intention (traitement sophistiqué de l'information), l'action (moyens physiques et intellectuels), la technique (les savoirs-faire, fonctions psychomotrices), la production (implique l'effet relationnel : relation particulière entre l'artiste et son public).

L'art-thérapeute utilise tous ces éléments comme sites d'actions en essayant de rendre cohérent l'ensemble du phénomène artistique pour atteindre ses objectifs thérapeutiques.

e) L'expression corporelle à travers son processus artistique est susceptible d'être thérapeutique

Resituons tout d'abord l'art-thérapeute : il fait partie de l'équipe paramédicale et son action porte sur l'amélioration de la qualité de vie du patient. Son objectif est d'aider le patient à s'épanouir.

Rappelons également que les bases de l'épanouissement de l'être humain, dont les acquisitions se font à la petite enfance, résident dans le schéma corporel, l'image corporelle et l'estime de soi.

« Le concept de schéma corporel, hérité du modèle neuro-psycho-physiologique se définit comme la synthèse vivante d'expériences corporelles organisées, sorte de dispositif actif (stades du corps vécu, perçu, représenté) par lequel le sujet prend conscience de son corps. »....

...« L'image du corps, élaborée dans le cadre de la théorie psychanalytique, particulièrement par F. Dolto. Concept pour lequel, nous retiendrons « l'idée d'une représentation de soi dans l'inconscient » G. Guillerault (1 989).Une représentation de soi sur la base de toutes les expériences affectives et marquée des désirs satisfaits, frustrés, réprimés ou interdits.

« L'image du corps est à chaque moment mémoire inconsciente de tout le vécu relationnel, et, en même temps, elle est actuelle, vivante, en situation dynamique, à la fois narcissique et interrelationnelle.... »(Dolto, 1984). »20

Sachant que tout adolescent connaît des difficultés par rapport à l'image de son corps, nous constatons que sur la base d'un schéma corporel en apparence normalement constitué, des perturbations de l'image corporelles se développent.

Nous savons aussi que l 'adolescent est mis à l'épreuve par le corps et va devoir re-connaître un corps, son corps sexué. L'acte de prise de conscience du corps va aider l'adolescent dans une prise de conscience de soi.

La pratique de l'expression corporelle à travers son processus artistique va permettre à l'adolescent l'appropriation consciente de ce corps nouveau. En lui donnant la possibilité d'aller jusqu'à la production, sa production dans sa singularité, il améliore par là-même, son estime de soi.

L'art en tant que révelation d'un potentiel permet à l'adolescent un regard nouveau qu'il porte sur lui. Le moment privilégié de la pratique de l'expression corporelle, permet au corps de vivre par lui-même et pour lui-même. Le patient investit sa sensorialité, sa kinesthésie et a la possibilité d'exprimer son idéal esthétique. L'expression corporelle à travers son processus artistique est donc susceptible d'être thérapeutique, en permettant à l'adolescent souffrant, d'améliorer l'image qu'il a de son corps.

Cette théorie est mise en pratique dans la deuxième partie de cette étude que nous allons voir maintenant.

DEUXIEME PARTIE : INSTALLATION D'UN ATELIER D'ART-
THERAPIE A DOMINANTE EXPRESSION CORPORELLE AUPRES
D'ADOLESCENTS EN SITUATION DE CRISE, HOSPITALISES.

A/ Présentation du lieu de stage l'UPA, unité d'accueil Post-Aigu, de la clinique médicouniversitaire Georges-Dumas, 10 av. des Maquis du Grésivaudan à LA TRONCHE 38702

a) Présentation de la clinique Georges Dumas de l'UPA et de son personnel

La clinique Georges-Dumas est un établissement de la Fondation Santé des Etudiants de France (F.S.E.F) ; fondation créée à l'initiative de l'Union Nationale des Etudiants de France, reconnue d'utilité publique par décret en date du 23 mai 1925. Depuis plus de 70 ans, la F. S.E.F reçoit dans ses douze établissements répartis sur le territoire national, lycéens, étudiants et jeunes en formation présentant des maladies psychiatriques ou somatiques.

La clinique G. Dumas est un établissment privé à but non lucratif, participant au service public hospitalier, sa spécificité : concilier les soins et les études.

Elle accueille des jeunes de 15 à 25 ans ayant de graves difficultés psychologiques et leur offre, lorsque leur état de santé le permet, de suivre une scolarité dans l'établissement de la clinique ou dans les universités et les établissements scolaires grenoblois.

La clinique dispose de 120 lits et places qui se décomposent comme suit :

Hospitalisation à temps plein (52 lits)

Hospitalisation de semaine (22 lits)

Hospitalisation à temps partiel : hôpital de nuit (4 lits), hôpital de jour (20 places) L' Unité Post-Aigue (12 lits)

La maison de sortie (10 lits)

20 Maryse Ravel Sarrola « A la recherche du corps perdu » extrait du livre « La jeune fille et la mort » p. 190

L'Unité Post-Aigüe, lieu où j 'ai effectué mon stage pratique, est une structure d'accueil temps plein, destinée à recevoir, pour des durées de séjour brèves, des adolescents de Grenoble et son agglomération qui, au décours d'une tentative de suicide ou en période de crise, veulent "passer un cap" et prendre le temps de réfléchir aux solutions à trouver pour dénouer cette crise.

Le personnel est composé d'infirmiers qui se relaient jour et nuit, d 'un médecin psychiatre chef du service, et d'un médecin psychiatre assistant, d'un cadre infirmier, d'une psychologue, d'une secrétaire et du personnel de service.

Les ergothérapeutes et l'assistant social qui rencontrent tous les patients de la clinique dans son ensemble, sont présents aux réunions de transmissions d'informations à l'UPA.

b) Présentation du public accueilli au sein de cette unité

Comme nous le disions précédemment, il s'agit essentiellement de jeunes patients de 15 à 25 ans, en situation de crise aiguë nécessitant une hospitalisation ou une mise à distance d'avec leur environnement habituel. La période de crise peut se traduire par une attitude suicidaire, un passage à l'acte (tentative de suicide), des troubles de l'humeur ou des troubles du comportement alimentaire.

c) Les objectifs thérapeutiques

Tout d'abord, nous devons préciser qu'en rentrant à l'UPA, le patient mineur a besoin de l'accord des parents, pour le patient majeur c'est une hospitalisation libre.

Le patient s'engage dans un processus de soins en respectant le cadre mis en place, dont le protocole des premières 48 heures, qui consiste en une "rupture" avec le monde extérieur. C'est à dire que le patient s'engage durant les premières 48 heures de son hospitalisation, à ne pas sortir du service (il prendra ses repas sur place), à ne pas recevoir de visites, ni de coups de téléphone (la famille pouvant bien-entendu prendre des nouvelles auprès du personnel infirmier).

Les intérêts et objectifs d'une hospitalisation à l'UPA comprennent :

- l'évaluation psychologique individuelle du patient (sous forme d'entretiens avec le psychiatre et le psychologue), familiale (rencontres avec la famille) et sociale (intervention de l'assistant social)

- la reconnaissance de la souffrance du sujet et de l'acte de rupture éventuel

- l'évitement de la banalisation des difficultés et que l'adolescent puisse lui-même trouver du sens à sa souffrance et à son passage à l'acte.

Il s'agit d'aider le patient à "se poser", de l'acceuillir, le sécuriser, en lui permettant une prise de distance d'avec son quotidien habituel et ses difficultés extérieures.

A la fin de leur séjour à l'UPA, la plupart des patients ne feront plus l'objet d'une hospitalisation. Un suivi à l'extérieur par un psychiatre leur est généralement proposé et pour une minorité d'entre eux, une hospitalisation adaptée dans un autre service de la clinique ou dans un autre établissement hospitalier sera envisagée.

d) Les différentes médiations

Elles seront regroupées sous le terme employé par la clinique de "sociothérapie" qui est la convergence de différentes activités, telles que l'animation et la médiathèque, permettant l'inscription dans une réalité sociale.

Pour les patients de l'UPA, la participation aux activités se fait sur accord médical, en fonction de leur état clinique.

Un planning hebdomadaire est affiché dans le couloir du service leur proposant :

- Développement personnel par des méthodes de travail (eutonie et relaxations dynamiques)

- Activités spécifiques : équithérapie, atelier esthétique (nous entendons par là soins esthétiques du visage, maquillage ....)

- Activités sportives : danse, tennis, piscine, équitation, ski, sorties en montagne, sports collectifs....

(nous pouvons remarquer que la danse figure comme une activité sportive et non comme une spécificité artistique, donc l'intention et la visée diffèrent )

- Activités culturelles : ateliers théâtre, écriture, journalisme

- Sorties culturelles : musique, cinéma, théâtre, conférences.

Nous précisons également qu'au sein du service UPA, certains membres du personnel infirmier, proposent de façon hebdomadaire une activité chant ainsi qu'un atelier d'éveil corporel - relaxation.

B/ Mise en place de l'atelier d'art-thérapie à dominante expression corporelle

1) L'organisation et la mise en place de l'atelier d'art-thérapie

En accord avec le médecin psychiatre, chef du service, je suis passée par une phase d'observation d'un mois, durant laquelle je me suis rendue chaque jour à la clinique, assistant chaque matin à la réunion de transmission des informations des patients, d'une équipe d'infirmiers à l'autre. Cette réunion à laquelle assistent le médecin psychiatre, la psychologue, l'assistant social, le cadre infirmier, l'ergo-thérapeute et les infirmiers a pour but de transmettre les informations de l'équipe de nuit à l'équipe de jour, ainsi que la présentation des nouveaux patients.

C'est au cours de ces réunions que je pouvais m'informer sur l'anamnèse des patients et prendre connaissance de leur situation psychique et de leur évolution.

J'assistais également à la réunion "soignant-soigné" hebdomadaire du vendredi, moment thérapeutique obligatoire pour tous les patients hospitalisés à l'UPA.

Son but est de discuter en groupe des difficultés éventuelles auxquelles les patients sont confrontés aussi bien à l'exterieur que dans l'unité. C'est un moment d'expression ainsi qu'un temps de réflexion

.

J'assistais aussi à l'atelier éveil corporel-relaxation, ainsi qu'à l'atelier d'eutonie au sein de l'unité, ce qui m'a permis d'avoir une première approche sur les capacités corporelles des patients participant.

Ces ateliers ont lieu au sein même de l'unité dans la salle T.V, réaménagée avec des tapis de sol et des couvertures pour lesdites activités.

Il ne me paraissait pas opportun d'installer l'atelier d'art-thérapie dans cette salle que je trouvais trop étroite pour des déplacements.

Je me suis donc mise en quête d'un lieu plus approprié en dehors de l'unité, et j'ai obtenu d'avoir à disposition la salle d'eutonie, au-dessus du gymnase de la clinique, bâtiment situé en face de l'unité.

En fonction du planning de la salle, j'ai pu fixer deux ateliers par semaine, un le lundi de

10 h 00 à 11 h 00 et un deuxième le vendredi de 14 h 00 à 15 h 00. Ceci me permettait de proposer l'atelier à tous les patients sous forme de deux groupes de 5 personnes, l'UPA ayant en moyenne 10 patients (capacité de 12 lits).

L'atelier était donc proposé sous la forme d'une prise en charge collective.

Je devais également tenir compte de la briéveté du séjour des patients : le groupe allait se modifier et se renouveller regulièrement.

2) L'intégration de l'atelier d'art-thérapie à l'UPA

Une fois la période d'observation finie, je me suis servie du tableau d'affichage dans le couloir du service pour intégrer l'atelier d'art-thérapie dans le planning de la semaine proposé aux patients.

En accord avec le cadre infirmier, maître de mon stage, l'atelier fut présenté aux patients lors d'une réunion "soignants-soignés", tout en précisant bien-sûr ma qualité de stagiaire. Activité thérapeutique à part entière, l'atelier revêtit la forme d'une participation obligatoire (sauf contre-indication médicale), se distinguant ainsi d'une animation.

3) D'une prise en charge en groupe à une prise en charge individuelle

Les ateliers en groupe se sont donc déroulés sur trois mois, à cadence de deux par semaine. La majeure partie des patients ont participé, soit une quinzaine.

A un mois de la fin du stage, lors d'une synthèse avec le médecin psychiatre, chef du service de l'UPA, je lui fis part de mon travail et lui signalai le fait qu'une patiente souffrant d'anorexie mentale sévère, n'avait jamais pu participer à l'atelier.

En effet, son état physique ne lui permettait pas de se rendre à la salle qui se trouvait, je le rappelle, à l'exterieur de l'unité.

Ayant suivi son évolution lors des différentes réunions et ayant pris connaissance de l'anamnèse dans le dossier médical, je proposai donc au médecin, une prise en charge

individuelle, dans la chambre de la patiente en lui indiquant des sites d'actions sur lesquels je souhaitais travailler.

Cette prise en charge individuelle fut acceptée.

C/ Méthodologie du projet thérapeutique

1) Le projet, présenté sous la forme d'un protocole de prise en charge est soumis au médecin psychiatre en chef du service de l'UPA

Le projet ci-joint en annexe 1 fut tout d'abord élaboré plus précisément pour un public souffrant d'anorexie mentale. Il se trouve qu'en pratique la majorité des patients rencontrés ne relevaient pas de cette pathologie, mais plutôt d'une dépression sevère liée à la crise de l'adolescence. Le médecin psychiatre tenant à ce que les pathologies se côtoient dans le groupe, le projet fut cependant retenu.

2) Ce projet inclut également l'élaboration du cadre dans l'atelier d'art-thérapie

Le cadre comprend l'accompagnement des patients aux jours et heures fixes de l'atelier : ensemble nous nous rendons sur le lieu, en l'occurence, la salle d'eutonie.

Le cadre comprend également les consignes à respecter en qualité de participants, qui sont présentées aux patients lors de notre entrée dans la salle autour d'une table ou nous nous réunissons en début et fin de séance. Là, leur est exposé le fait que leur présence tient lieu d'engagement jusqu'à la fin de l'heure et qu'un patient retardataire ne peut interrompre l'atelier.

Une présentation de l'atelier est faite à chaque nouvel arrivant, il est informé sur la structure de la séance et sur le fait qu'en fin de séance, il peut s'il le souhaite s'exprimer verbalement sous une forme d'auto-évaluation, portée sur le plaisir/déplaisir à être et à faire dans l'atelier. Le cadre présenté lors du projet d'atelier mentionne la présence d'un co-thérapeute infirmier.

3) La structure de l'atelier

L'atelier d'expression corporelle est structuré en trois temps :

· La première phase est un travail surplace :

- les appuis, la notion d'équilibre

- la notion de verticalité, de positionnement dans l'espace - un échauffement technique par un éveil corporel

· La deuxième phase est un travail de déplacement :

- la coordination

- la notion de rythme (avec ou sans accessoires) - la mémorisation

- l'improvisation ( l'accès à l'imaginaire)

· La troisième phase est un travail au sol :

- notion de poids et de volume du corps dans le sol

- notion de respiration abdominale

- notion du sens musculaire (sentir la contraction ou le relâchement)

4) Des outils d'observation sont mis en place pour permettre une évaluation adaptée

Tout d'abord, l'art-thérapeute doit suivre l'objectif général thérapeutique médical et pour ce faire, établir un protocole de prise en charge collective ou individuelle, où il sera à même de définir un état de base de la situation, un objectif général thérapeutique et les moyens à mettre en oeuvre pour y parvenir.

Ce protocole comporte l'ensemble des éléments qui constituent l'intérêt, la faisabilité et la réalisation de l'activité thérapeutique.

Pour organiser ce suivi thérapeutique, notre outil est la fiche d'observation incluant l'évaluation par le biais de l'item, plus petit fait observable et appréciable.

La fiche d'observation est composée de différentes rubriques, comprenant les généralités (l'identification du patient, le repérage des séances... ), le phénomène artistique, les capacités relationnelles, le bilan de la séance.

Les items sont appréciés en mesure, nombre, temps, lorqu'ils sont quantitatifs

( par exemple nombre de regards ..) et en termes progressifs (du moins au plus) lorsqu'ils sont qualitatifs ( par exemple le plaisir..).

Dans la présentation des études de cas, nous utiliserons un exemple concret pour illustrer ce que nous venons de définir.

D/ Présentation de deux études de cas

1) Aurore

Nous présenterons d'abord l'observation dans le cadre d'une prise en charge en groupe, d'une patiente que nous prénommerons Aurore.

Motif d'admission : Aurore présente un état dépressif sévère avec troubles anxieux, aboulie (absence de volonté), idée suicidaires.

a) Anamnèse d'Aurore :

Aurore est une jeune fille de 23 ans qui, suite à un très grave accident de la circulation avec des complications infectieuses, a passé trois ans d'hospitalisation au CMUDD (centre médico universitaire Daniel Douady à St Hilaire du Touvet).

Le médecin psychiatre emploie le terme d'une "adolescence hospitalière".

Lors des premiers entretiens avec le médecin psychiatre et la psychologue, nous apprenons que ses parents sont divorcés et que dans son enfance elle a subi des maltraitances (violences physique), de la part de son père.

Au début de son hospitalisation à l'UPA, Aurore est en régression, elle a recours à une sucette et une peluche.

b) Objectifs de l'institution :

Permettre à Aurore une rupture avec l'extérieur afin de pouvoir se poser.

Qu'elle puisse retrouver un élan vital et qu'elle se remette en lien avec les autres.

c) Objectifs de la prise en charge :

Au cours d'une discussion avec la psychologue, nous fixons l'objectif thérapeutique général dans l'atelier qui sera de retrouver une notion de plaisir, une douceur par le corps et la peau.

d) Déroulement des séances lors de la prise en charge d'Aurore :

Précisons qu'Aurore est arrivé à l'UPA début Mai 2004 et que sa première séance d'artthérapie a lieu le lundi 24 Mai 2004.

Première séance :

La premère séance à lieu le lundi de 10 h 00 à 11 h 00 pour ce groupe composé de cinq adolescents dont Aurore.

L'atelier commence par la découverte et l'investissement du lieu en leur proposant de marcher déchaussé, en déroulant les pieds (notions d'appuis et de verticalité).

Aurore se déchausse et commence sa marche le regard porté vers le sol.

Les bras ne sont pas relâchés et des gestes parasites se font remarquer tels que les doigts portés vers la bouche ou les bras qui se croisent.

Lors de l'échauffement corporel avec un fond sonore, les bras s'ouvrent, le regard suit, Aurore respecte les consignes et semble s'impliquer dans ce qu'elle fait.

Nous passons à la deuxième phase de l'atelier où la notion de groupe prend tout son sens.

Des traversées communes sont proposées sur un rythme binaire où nous sollicitons les appuis, les pieds frappent le sol et les genoux sont en flexion.

Ces passages successifs en groupe ont comme conséquence de provoquer des sourires complices, des bribes de synchronisation, du plaisir à faire ensemble.

Aurore donne l'impression de s'amuser à faire.

Lors de la troisième phase de l'atelier, c'est le passage au sol, où le corps se relâche.

Aurore s'étant allongée trop près d'un autre patient, je lui demande si je peux, en lui soutenant les mollets, la faire glisser de 50 centimètres.

Elle refuse en me disant que l'on ne peut pas lui toucher les jambes.

Je lui conseille alors de se faire rouler sur le côté pour éviter au corps des tensions inutiles (ne pas se relever pour aller se rallonger ailleurs).

Elle ferme les yeux, accède à une respiration abdominale de courte durée mais je constate à la position du corps dans le sol que celui-ci n'est pas complétement détendu.

En effet les pieds restent flexes et les épaules et le thorax sont contractés.

Deuxième séance :

Au début de la séance, Aurore vient me demander si elle peut garder ses chaussures, car cela lui est difficile de dérouler sa marche, l'accident lui ayant provoqué un déséquilibre, elle porte des semelles adaptées.

Après le passage de la marche, Aurore enlève spontanément ses chaussures.

Nous reprenons alors nos traversées, accompagnées cette fois de percussions, Aurore choisit le tambourin.

Sa coordination est bonne, elle est en rythme.

Je propose des traversées à deux, Aurore choisit une autre patiente et leur passage s'accompagne de sourires et de rires.

Aurore s'implique de plus en plus corporellement, elle accepte le regard de l'autre.

Lors du passage au sol, elle trouve sa place et son corps est plus relâché, les pieds s'ouvrent, les épaules tombent.

A la fin de la séance, lors du temps de parole, Aurore verbalise le fait de "travailler corporellement, sans que cela fasse mal".

Troisième séance :

Aurore garde ses chaussures pour la marche et les enlève d'elle même dès que nous passons au travail en groupe.

Nous abordons alors le toucher de l'autre sous la forme du jeu de la sculpture.

Cet exercice se fait à deux, en imaginant que le partenaire est un paquet d'argile, il se laissera modeler, sculpter.

Aurore parait prendre plaisir à modeler le corps de l'autre, en faisant preuve d'imagination dans les détails, jusqu'à l'attitude du visage de l'autre, lui faire faire un sourire en étirant délicatement la bouche du modèle.

Lors d'un exercice en solo d'improvisation avec un foulard de soie, sur fond sonore, Aurore se laisse aller à la douceur, ses mouvements sont amples et gracieux.

Durant le passage au sol de fin de séance, elle profite pleinement du relâchement et met plus de temps que les autres à retrouver une position debout.

Lors du temps de parole, elle s'exprimera ainsi : "Je m'étonne à faire des choses que je trouve belles".

Quatrième et dernière séance :

Aurore se déchausse dès le début de la séance.

Lors de la marche, elle déroule bien chaque pied, elle prête attention à ce qu'elle fait et son regard est ouvert sur l'extérieur, son corps est placé dans la verticalité.

Dans la deuxième phase de l'atelier, je propose au groupe le jeu de la machine, qui consiste a ce qu'une première personne prenne place dans l'espace et s'installe dans un mouvement répétitif accompagné d'un son, une deuxième personne se rajoutant avec les mêmes consignes et ainsi de suite.

La difficulté est de donner un mouvement régulier à la machine, chacun des participants devant s'accorder avec les autres.

Aurore est la deuxième personne à s'installer, ses mouvements s'accordent à la première personne et elle produit un son, qu'elle répéte avec son mouvement ( son, qu'elle n'émettait pas à d'autres occasions comme à l'expiration en relaxation, lors du passage au sol). Dans la dernière phase de l'atelier, au moment de la relaxation, Aurore me demande si je peux lui soulager les jambes par un exercice de relâchement qu'elle m'a vu faire sur un autre patient. Cela consiste à porter la jambe du patient en lui demandant de poser tout son poids dans mes mains.

Lors du temps de parole, elle dit "ne ressentir aucune douleur dans ses jambes, les avoir complétement posées".

2

1

0

séance T1 T 2 T 3 T 4

Relâchement corporel Volonté

e) Evaluations d'Aurore au cours de sa prise en charge :

2

1

0

séance T1 T 2 T 3 T 4

Implication du patient Acceptation du toucher

Légende :

0 : Pas du tout

1 : Un peu

2 : Beaucoup

Remarques et bilan des évaluations :

Les items du relâchement corporel et celui de la volonté ayant été représentés sur le même graphique, il est intéressant de constater que les deux évoluent de manière synchrone.

Plus Aurore a fait preuve de volonté dans les séances, plus son corps a trouvé une détente et a pu se relâcher.

Pour le deuxième graphique, nous constatons après un net refus du contact corporel dans les deux premières séances, une évolution progressive sur les deux dernières.

Quant à l'implication d'Aurore, on peut dire qu'elle a progressé rapidement et qu'elle s'est maintenue.

L'acceptation du toucher a pu se faire grâce à un cadre contenant, rassurant et dans la confiance qui s'est instaurée dans la relation. La volonté progressive d'Aurore ainsi que son implication quasi constante en témoignent.

f) Bilan de la prise en charge d'Aurore :

La sortie de l'UPA s'annoncant pour Aurore, je demande à la voir et dresse un bilan avec elle pour savoir ce qu'elle a retenu de sa participation à l'atelier d'art-thérapie, je cite : "se faire plaisir avec son corps"

"pouvoir sortir un son"

"on peut se lâcher sans avoir peur du ridicule"

"se sentir en communion avec les autres"

"il n'y a pas de jugement"

Au cours des séances, Aurore a démontré ses capacités expressives et relationelles.

Une notion de plaisir s'est averée, elle a su le démontrer dans l'atelier et elle l'a verbalisée. Elle a pu retrouver progressivement une douceur par le corps et la peau, démontrée dans les exercices portant sur le contact corporel et confirmée par ses demandes.

Aurore a eu accès à une dimension esthétique : « je m'étonne à faire des choses que je trouve belles ». Ce sentiment exprimé sous la forme d'une auto-critique va dans le sens de l'autonomie.

Observations de l'équipe soignante :

La psychologue remarque qu'Aurore qui ne montrait jamais ses cicatrices aux jambes, s'est rendue à un des derniers entretiens, en short.

Pour la psychologue, les ateliers d'art-thérapie ont été bénéfiques pour Aurore, elle qui avait tant à réinvestir corporellement.

Des infirmiers me rapportent que suite à l'atelier, Aurore en meneuse (d'autres patients la suivant), aurait repris certains exercices de traversées, portés en dérision, dans le couloir de l'unité.

Ce fait peut-être interprété comme un renforcement de la cohésion du groupe et une réappropriation par les patients de leur qualité d'adolescents face à l'adulte.

Comme le remarque le médecin psychiatre, Aurore fait partie du patient "idéal", c'est à dire le patient demandeur de soin, déjà sur la voie de la guérison.

Le séjour à l'UPA fut cependant très bénéfique pour Aurore et semble avoir particulièrement atteint ses objectifs.

Sabine

L'observation de cette patiente s'est faite dans le cadre d'une prise en charge individuelle (comme indiqué dans la partie B n°3). L'accés à l'atelier ainsi que sa structure n'étant pas adaptés à l'état de fatigue de Sabine.

a) Anamnèse de Sabine :

Sabine est une jeune fille de 17 ans déjà longuement hospitalisée en 2002/2003 pour une anorexie mentale sévère.

Elle fait un séjour à l'UPA du 09/07/03 au 22/12/03.

Ce qui caractérise cette longue hospitalisation, c'est la platitude de la courbe pondérale. Sabine ne prend pratiquement pas de poids durant son hospitalisation, il s'agit d'une jeune fille assez timide, assez introvertie, mais dont les possibilités d'élaboration psychique ne semblent pas mauvaises.

Elle est dirigée vers l'hôpital de jour en 01/04 avec une reprise scolaire.

Le 04/06/04, elle est à nouveau hospitalisée à l'UPA, son poids est de 30.5 Kgs avec hypotension, insomnie. A 8 jours de passer son bac, elle s'épuise, la décision est prise d'ajourner ses examens et de remettre en place avec son accord un nouveau protocole de soins.

b) Objectifs de l'institution :

Le but de son hospitalisation est double, il s'agit à la fois de lui faire reprendre du poids et de débloquer psychologiquement une situation qui s'éternise depuis de nombreux mois. Une évaluation de ce dispositif thérapeutique sera faite à la fin du mois de juillet et si les choses n'ont pas évolué, une demande dans une autre structure sera décidée.

c) Objectifs de la prise en charge :

L'objectif général thérapeutique étant la reprise de poids, je me fixe comme objectif intérmédiaire, le désir, en prenant comme sites d'actions, l'intention, le choix, le goût et le

lâcher-prise en opposition avec la mentalisation et la ritualisation qui dominent dans cette pathologie.

Le premier contact avec Sabine se fait dans le salon fumeur et nous convenons d'un rendezvous pour fixer le planning des séances. Afin de définir un état de base, je me renseigne sur ses pratiques artistiques éventuelles et elle m'apprend qu'elle a pratiqué la guitare classique durant six ans dans un conservatoire.

Elle me fait part de ses angoisses durant les auditions, où elle tremblait tellemment qu'elle ne pouvait plus jouer. Puis elle me fait part de son plaisir à dessiner, mais ici elle n'a pas de matériel, je lui propose de lui en fournir et de démarrer par le dessin, elle sourit et nous prenons rendez-vous pour la semaine suivante. Nous fixerons alors ensemble le planning des séances qui s'étaleront sur trois semaines, c'est à dire jusqu'à fin juillet, date de son ultimatum au sein de l'UPA et date de la fin de mon stage. Il y aura donc au total cinq séances.

Vu l'état de fatigue de Sabine, la durée des séances est fixée à 30 minutes.

d) Déroulement des séances lors de la prise en charge de Sabine :

Première séance :

Matériel : Des pastels - Un livre sur l'enfant et la danse de Jacqueline Robinson

Je lui montre le matériel que j'ai amené, une trousse remplie de pastels avec un choix très nuancé en couleurs. Nous décidons d'une technique de dessin qui consiste à investir de traits au crayon de papier la feuille puis à observer et à distinguer une ou plusieurs formes à mettre ensuite en évidence, à l'aide des pastels.

Elle voit rapidement un papillon et un coeur, entremélés.

Sabine est rapide en execution, très agile de ses mains, elle fait rapidement son choix de couleurs. Elle teste d'elle même différentes techniques :

- repasser des couleurs avec d'autres, afin de créer de nouvelles nuances

- étaler avec les doigts

- mettre de l'eau sur du papier et repasser sur les couleurs

Afin d'aborder en douceur l'aspect corporel, je lui propose de lui laisser le livre de J. Robinson, en lui présentant brièvement cette danseuse et ce qu'elle a amené au monde de la Danse. Ce livre s'adressant aux enfants et adolescents est facile d'accès et part du postulat que la danse démythifiée et intégrée dans le vécu de l'enfant devrait permettre à celui-ci de mieux s'assumer dans son corps et dans son imaginaire.

Je lui demande de le feuilleter et lui propose que nous échangions sur ce sujet lors de la prochaine séance.

Je lui demande de me laisser emporter avec moi le dessin en cours que je ramenerai à la prochaine séance. Par contre si elle le souhaite, je peux lui laisser les pastels et des feuilles afin qu'elle puisse les utiliser si elle en éprouve le désir, elle accepte. Je lui précise toutefois, que cela ne doit pas être un prétexte pour s'isoler dans sa chambre, qu'elle peut dessiner avec d'autres.

Elle me répond qu'elle souhaite moins s'isoler ces derniers temps.

Deuxième séance :

Je retrouve Sabine au plus bas, regard dirigé vers le sol, prostrée, les larmes aux yeux.

Elle me dit alors vivre très mal le fait qu'il lui semble faire des efforts, mais que la balance n'indique pas de mieux, que les sorties ne lui sont pas autorisées, qu'elle aimerait tellement prendre des vacances et sortir de l'institution.

(Nous rappellons que ce cadre formel fait partie du protocole médical en lien avec la reprise de poids).

Elle me parle du livre qu'elle a feuilleté et dont elle dit apprécier le ton,(dans "toi et la danse", l'auteur s'adresse directement à l'enfant / ado, en employant le tutoiement).

Nous en profitons pour enchaîner sur le corporel et nous faisons quelques pas, pieds nus dans sa chambre, je lui explique alors, l'importance des appuis et lui montre comment dérouler le pied.

Son regard fixe constamment le sol, je lui dis alors qu'en regardant devant soi, la tête se relève et l'on corrige la posture de la colonne vertébrale et des cervicales.

Je lui parle aussi d'intention dans le regard, qui peut influer sur sa marche. Nous le mettons en pratique par une marche dans une direction précise, en fixant du regard le point où l'on veut se rendre. Puis nous faisons de même en incluant les changements de direction.

Sabine se fatigue vite, la station debout et les déplacements deviennent pénibles, de plus, nous sommes au mois de Juillet, et la chaleur devient un paramètre parasite.

Nous reprenons, alors le dessin, permettant une position assise.

Sabine se fait plus hésitante dans le choix des couleurs, elle prend un peu plus de temps. Puis à nouveau, elle cherche des techniques, pour "lisser", invente de nouvelles nuances, en mélangeant les couleurs.

Le dessin arrivant à son terme, je lui demande ce qu'elle en pense, elle se dit satisfaite dans l'ensemble, sauf de la couleur du corps du papillon, qu'elle n'aime pas, une couleur marron, à reprendre à la prochaine séance.

Troisième séance :

En passant par l'infirmerie avant de rencontrer Sabine, je m'informe sur son état et j'apprend qu'elle a pris 1 kilo.

En arrivant devant la porte de sa chambre, je vois au-dessus de l'étiquette de la clinique indiquant le nom du patient, que Sabine a écrit le sien avec les pastels laissés à la dernière séance, de manière multicolore sur une feuille découpée à l'effigie de son prénom et scotchée sur sa porte. Sabine serait-elle en train de s'afficher en tant que sujet ?

Nous reprenons le dessin arrêté à la séance précedente, elle retouche la couleur du corps du papillon, pour lisser les traits afin qu'il s'harmonise avec les ailes et le coeur.

Je constate là une recherche esthétique, puis enfin satisfaite, elle le signe et conserve le dessin.

Nous nous positionnons face à face assises sur un tapis de sol et je dispose devant elle différentes percussions en lui proposant de faire du bruit ensemble, les yeux fermés, afin de jouer en étant à l'écoute de l'autre. Sabine choisit les claves, je prends le bâton de pluie, nous parvenons à une communication sonore, restant bien à l'écoute, notre jeu se termine en même temps.

Ensuite, nous reprenons la marche, en travaillant le regard porté sur l'exterieur et l'intention d'aller dans telle ou telle direction, Sabine s'implique et corrige d'elle même dès que le regard retombe sur le sol.

Pour conserver ce regard porté sur l'exterieur, je lui propose un travail d'ouverture du corps, avec l'aide d'un foulard, en se servant des bras et de la notion d'espace et en travaillant

l'amplitude du geste, mais le regard reste porté vers le sol. Sabine se fatigue très rapidement, elle s'allonge sur le tapis de sol pour une relaxation de quelques minutes, ou elle accède à une bonne respiration abdominale et à un relâchement successif des parties du corps dans le sol. Elle commence à prendre connaissance de la sensation contraction / relâchement musculaire.

Quatrième séance :

Sabine me dit avoir été fatiguée lors de la dernière séance, elle sent son corps et cela n'est pas une sensation agréable pour elle, c'est même physiquement douloureux.

En effet, le fait même de marcher et de faire des gestes amples avec les bras, réveille les muscles et peut provoquer des petites courbatures, je lui fais part de cela et lui dis que nous travaillerons moins le corps dans cette séance.

Elle me dit par contre, s'être réveillée tôt ce matin et ne trouvant plus le sommeil, elle s'est levée et a fait quelques pas dans sa chambre, en déroulant sa marche et en portant une attention particulière à son regard.

Je lui propose de me montrer et en effet, je constate un meilleur appui dans les pieds sur le sol et un regard dirigé, ce qui redresse son axe vertical.

Nous nous asseyons face à face et reprenons les percussions, c'est elle qui mène, en imposant son rythme, puis elle se met en position d'écoute, nous parvenons à une communication sonore et à nouveau le jeu s'arrête d'une manière synchrone.

Pour cette séance, je pris plus de temps pour le passage au sol, la relaxation étant importante pour Sabine qui cherche souvent l'occupation pour fuir l'ennui.

Elle s'allonge et après une respiration abdominale profonde, je lui propose un exercice de relâchement total du corps. En soupesant sa jambe, puis son bras dans mes mains, je lui demande de lâcher son poids, de ne pas contrôler cette partie.

Etant dans une relation de confiance, elle parvient à relâcher certaines parties de son corps et à comprendre qu'elle en a seule la capacité. Elle apprécie cet état de relaxation. Je lui précise que maintenant qu'elle a perçu la différence, elle peut quand elle le souhaite relâcher cette tension corporelle.

Cinquième et dernière séance :

En me rendant à l'infirmerie, j'apprends que Sabine a repris 500 grs.

Nous sommes le 30/07/04, Sabine devait impérativement reprendre du poids avant la fin du mois de Juillet ou elle quittait le service, ayant pris 1 kg 500, elle pouvait rester.

Sabine me dit que pour la dernière séance, elle a envie de dessiner, je lui dis oui mais auparavant nous allons reprendre une partie d'expression corporelle.

Après un léger réveil corporel, qu'elle fait seule, je constate alors une bonne mémorisation corporelle, elle se souvient précisément de la décomposition des mouvements. Puis je lui propose d'effectuer seule une traversée pour chacun des mots suivants : ouverture - fermeture - vole - lourd - léger, à exprimer corporellement.

Elle accède à l'imaginaire et son regard accompagne chaque traversée.

Nous passons ensuite au dessin, elle veut dessiner mais ne sait pas quoi, je lui propose alors de faire le dessin de nos séances.

Elle acquiese et prend les pastels avec plus de douceur, de calme. Elle prend son temps et commence à tracer d'une manière abstraite ce qu'elle a ressenti lors des séances. Elle se met a verbaliser ses gestes et à dire : " là je trace les courbes des traversées, avec les changements de direction". "Là je trace les traversées avec les appuis dans le sol". "Là je prend du rouge et du bleu pour montrer les contractions - relâchement des muscles". "Là je dessine des silhouettes de différentes attitudes pour montrer les sculptures vivantes que nous avons faites ". "Là je mets des notes de musiques différentes pour le son que nous avons produits avec les percussions ". Puis elle rajoute du pastel rouge par petites touches en me disant que c'est la confiance quand elle donne le poids de son bras ou de sa jambe dans mes mains.

Nous nous quittons dans un climat de confiance dans l'avenir, Sabine me dit qu'elle espère cette fois ne pas "retomber", comme cela s'est déja produit à deux reprises.

e) Evaluations de Sabine au cours de sa prise en charge :

3

2

1

Séance T1 T 2 T 3 T 4 T 5

Regard

Légende :

1. Regard dirigé vers le bas

2.

3

2

1

Regard conjoint (vers moi puis vers l'objet) 3. Regard ouvert sur l'extérieur

Implication personnelle

Temps de réflexion avant la mise en pratique d'une consigne

Séance T 2 T 3 T 4 T 5
T1

Légende :

1. Pas du tout

2. Un peu

3. Beaucoup

Remarques et bilan des évaluations :

Dans le premier graphique, nous constatons un regard conjoint à la première séance où je le rappelle il n'y avait pas d'activité corporelle mais du dessin.

Suite à une stagnation d'un regard dirigé vers le bas, Sabine passe à nouveau à un regard conjoint pour terminer avec un regard ouvert sur l'exterieur, qu'elle corrige et soutient d'elle même comme précisé dans le détail des séances.

Dans le deuxième graphique, nous constatons une nette évolution dans le temps de réflexion que s'accorde Sabine avant d'éxecuter une consigne, cette rapidité du geste pouvant être en lien avec la maîtrise et le contrôle qu'implique cette pathologie.

Par exemple dans le choix des couleurs (comme détaillé en séance), Sabine au fur et à mesure des séances, s'accorde plus de réflexion et par la-même plus de douceur dans le geste, nous nous éloignons du réflexe pour nous rapprocher d'un acte volontaire dirigé.

A ce sujet, il est intéressant de constater que ce temps de réflexion accordé est lié à la progression de l'implication personnelle de Sabine dans les séances, comme nous le démontre le graphique.

f) Bilan de la prise en charge de Sabine :

Je constate que les sites d'actions retenus ont été explorés par Sabine :

-qui a fait preuve d'intention personnelle dans l'expression verbale de ses désirs (je veux faire du dessin),

-qui a su montrer sa capacité de choix, (dans le choix des couleurs ou des instruments proposés),

-qui a fait preuve de goût, dans une recherche esthétique dans la production de son dessin, -qui a accepté le toucher et le lâcher-prise dans les exercices corporels.

Mon objectif intermédiaire étant l'apparition du désir, je peux dire qu'il est atteint. Sabine de par son implication croissante, s'est située en tant que sujet désirant.

Cinq séances ont constitué une amorce pour que Sabine puisse commencer à porter un regard nouveau sur elle-même et sur ce qui l'entoure. Cependant cinq séances ne suffisent pas pour de nouvelles acquisitions.

Je peux donc parler d'un objectif intermédiaire atteint dans un bref délai, mais sans doute pour une courte durée.

Observations de l'équipe soignante :

Une infirmière remarque que Sabine regarde devant elle lors de ses déplacements. Un infirmier constate que Sabine accepte dorénavant, le contact corporel.

La psychologue me fait part du bien être ressenti par Sabine lors de ces séances.

Sabine a perçu les notions d'appuis et de directions, malgrè la courte durée de ce travail à peine ébauché.

Le fait que Sabine lors de sa dernière séance a exprimé sur un support papier les mouvements qu'elle avait effectués corporellement dans l'espace, a donné lieu à une reflexion. Cette réflexion fait l'objet d'une partie de la discussion qui va suivre.

TROISIEME PARTIE : DISCUSSION

A/ Réflexions et commentaires sur les études de cas :

1) La prise en charge d'un groupe :

a) Expression corporelle et expression corporelle en art thérapie

Une des difficultés que j'ai rencontrées dans la prise en charge d'un groupe a été de bien faire la distinction entre l'atelier d'art-thérapie à dominante expression corporelle et l'atelier d'expression corporelle. Cette prise en charge en groupe concerne des adolescents en souffrance hospitalisés, et pourtant à leur troisième ou quatrième participation à l'atelier, lorsqu'apparaissait un plaisir observable, j'avais face à moi des ados complices, rieurs.

(Nous constatons là le rôle bienfaiteur de l'atelier d'art-thérapie qui permet de mettre en exergue un potentiel artistique non exploité et surtout non touché par la pathologie).

Ayant par le passé animé des ateliers d'expression corporelle pour adolescents, j'ai du à plusieurs reprises me (re)situer et me (re)positionner en qualité d'art-thérapeute.

Pour ce faire, j'ai réajusté mon observation, toute la vigilance de l'art-thérapeute reposant sur ses qualités d'observation objective et sa capacité subjective à ressentir : il fait appel à sa sensibilité d'artiste en ayant toujours à l'esprit l'objectif thérapeutique qu'il s'est fixé.

b)L 'objectif thérapeutique général

Au regard de la briéveté des séances pour chacun, la notion de plaisir à faire pour soi et avec l'autre s`avérait essentielle et constituait en soi un objectif général thérapeutique.

c) L 'intégration dans le groupe

Un phénomène notable s'est produit entre les « anciens » d'un groupe et deux « nouveaux » : face à l'enthousiasme des anciens, ces derniers ont tout d'abord ressenti un malaise qui s'est traduit par un état de repli. Cependant, les choses ont évolué rapidement au cours de la séance, et finalement, l'enthousiasme des anciens a fonctionné comme une mise en confiance pour les nouveaux arrivants.

d)Prise en charge individuelle au sein du groupe

Il est difficile d'établir une prise en charge individuelle au sein d'un groupe, chaque membre du groupe, ne présentant pas les mêmes caractéristiques de départ et évoluant de manière différente.

L'objectif thérapeutique ne peut donc être -au moins dans un premier temps- qu'un objectif général de groupe, auquel le phénomène de groupe s'associe, soit :

- un climat contenant

- un dynamisme certain

- une notion de plaisir à faire ensemble

Pour certains, la prise en charge en groupe est suffisante, car les capacités expressives et relationnelles exploitées dans et avec le groupe vont leur permettre de restaurer leur faculté d'auto-critique (je ne parle pas là de dépréciation), pouvant les conduire sur le chemin de l'autonomie, ceci, bien-entendu, dans la situation d'un atelier au sein d'une institution médicalisée, en interaction avec le travail de l'équipe médicale et paramédicale.

Pour d'autres, des sites d'actions repérables au sein du groupe sont à pointer et peuvent constituer une partie de l'état de base pour un protocole de prise en charge individuelle.

Pour conclure sur ma courte experience de la prise en charge en groupe, il aurait été intéressant de pouvoir mettre en place des prises en charges individuelles pour certains patients du groupe et de les reintégrer au groupe par la suite.

En effet, une évaluation aurait pu se faire sur les effets produits par et pour le patient et par et pour le groupe.

2) La prise en charge individuelle (Sabine)

a) Méthode

Par rapport au travail effectué en groupe, la prise en charge individuelle m'a permis d'affiner ma méthodologie et d'améliorer ma compréhension et ma capacité à mettre en pratique le métier d'art-thérapeute.

En effet, malgré le nombre limité de cinq séances, un protocole de prise en charge a été mis en place avec un objectif général ainsi que des objectifs intermédiaires, des sites d'actions ont été repérés avec des items correspondants.

L'aspect relationnel et la capacité d'adaptation se sont avérés fondamentaux et n'ont fait que renforcer le sens thérapeutique des séances, sens confirmé par l'évolution rapide des progrés de la patiente (en lien avec les items retenus).

Ce travail a été rendu possible par :

- une observation et une disponibilité d'attention et d'adaptation de chaque instant,

- la mise en place et le suivi d'un processus de création artistique adaptés à l'état et au rythme de la patiente à travers chaque séance.

b) La question du transfert

Je n'ai pas l'impression d'avoir été confrontée à la notion de transfert avec la patiente, (définie en psychanalyse comme étant l 'ensemble des réactions du patient en face de l 'analyste, dans lesquelles il transpose ses fantasmes et ses conflits en les projetant sur l 'analyste)21 et le produit de ses réalisations n'a pas fait l'objet d'une relation transférentielle comme c'est le cas dans le cadre d'une thérapie à médiation artistique. En art-thérapie, il en est autrement et je partage l'idée d'Anne Pouchelle lorsqu'elle dit, je cite22 :

« Art-thérapeute et patient sont impliqués conjointement dans un processus de création artistique. La production artistique, dans son élaboration et non dans sa présentation, n'est pas un support, elle est en elle-même le vecteur de transformation, le « processeur ». Ce mot résume de façon satisfaisante l'idée que l'art (le processus de création artistique) est efficient, et donc ici thérapeutique, par ce que c'est « par lui, en lui, avec lui » que le transfert opère ».

21 Dictionnaire Larousse

22 Anne Pourchelle p.10 « L'atelier d'art-thérapie »

Dans cette expérience avec Sabine, les processeurs appartiennent au domaine de l'expression corporelle, au domaine des arts-plastiques (dessin) et au domaine de la musique (rythmes sonores, utilisations de percussions).

B / Le projet thérapeutique intial à fait l'objet de transformations :

1) Le cadre s'est modifié :

a) L 'encadrement humain a évolué

Dans mon projet initial, le cadre mentionne la présence d'un co-thérapeute participant représenté par un membre de l'équipe d'infirmiers, sans plus de précisions.

Plusieurs infirmiers se sont succédés en qualité de participants à l'atelier, se contentant de me faire part de leurs impressions sur l'atelier, à savoir :

- il se dégage une certaine douceur

- un cadre contenant permettant une mise en confiance

- les patients « se lâchent » plus facilement

- les patients osent bouger devant les autres

- les patients osent accepter le regard de l'autre

Puis un membre du personnel de l'équipe d'infirmiers m'a proposé sa présence d'une manière plus régulière. Ceci entraîna un problème de méthodologie, car la présence du cothérapeute, mentionnée certes dans le projet initial, n'avait pas fait l'objet d'un cadre précis par rapport à son rôle dans l'atelier.

Je compris à postériori, que j'avais voulu la présence d'un infirmier participant, plus pour sa fonction rassurante de soignant sans m'être questionnée sur ses possibles interventions.

L'équipe de soins ayant pris connaissance de mon travail lors de leurs participations et les patients me connaissant, j 'ai terminé mon stage pratique sans la présence de co-thérapeute.

A l'avenir, si je stipule la présence d'un co-thérapeute, il lui sera établi une fonction précise afin que chacun puisse s'y retrouver : art-thérapeute , co-thérapeute et patients.

b) La fréquence et la durée ont fait l'objet de modifications

D'une fois par semaine, la fréquence de l'atelier est devenue bi-hebdomadaire, ce qui permettait à chaque patient d'y participer, sauf contre-indication médicale et en repectant le « protocole des 48 h. » de la clinique (cf.p. 18. 2ème partie).

D 'une heure trente prévue intialement la durée des séances a été réduite à une heure, durée suffisante pour une participation active des adolescents hospitalisés.

En effet lors de la première séance, je me suis rendue compte que l'attention diminuait au bout d'une heure et vu la briéveté du temps d'hospitalisation des patients, j 'ai choisi de privilégier une participation optimum.

c) Le type de prise en charge

Le projet initial ne prévoyait que des prises en charges collectives, acceptées par le médecin psychiatre en chef du service.

A un mois de la fin du stage, je fis part de mes travaux à ce même médecin. A l'issue de l'entretien, il accepta (je le remercie pour sa confiance) de me confier la prise en charge individuelle d'un patient.

2) Les moyens ont évolué :

a) La dominante artistique et les phénomènes associés

Dans les moyens présentés dans le projet initial, le processus de création artistique est basé sur mes capacités artistiques, à savoir, l'expression corporelle.

Or en pratique, je peux remarquer que l'expression corporelle est restée une dominante lors des prises en charges en groupe mais avec un phénomène associé se situant dans le domaine de la musique (musiques sur C.D et utilisation de percussions).

Lors de la prise en charge individuelle, la dominante se situe dans le domaine des arts plastiques (dessin, découpage, utilisation des couleurs), l'expression corporelle est devenue un phénomène associé ainsi que l'utilisation de percussions entrant dans le domaine de la musique.

b) La capacité d'adaptation

Ceci nécessite auprès des patients une réelle capacité d'adaptation à leurs choix et à leurs possibilités en matière d'activité artistique.

Malgré que le dessin ou la musique ne sont pas mes techniques dominantes, j'ai fait appel à mon imagination et je ne me suis pas sentie limitée par l'exploitation de ces matériaux. Mon observation est restée centrée sur les façons dont les patients utilisent ces techniques, en lien constant avec les items et les objectifs thérapeutiques fixés.

3) Des limites se sont imposées :

a) La briéveté des séances pour les patients en groupe

Le cadre à été posé en connaissance de cause, à savoir la briéveté des séances pour les patients, due à la courte durée de leur hospitalisation.

La briéveté des séances a été vécue comme une limite dans le travail thérapeutique et a conditionné l'objectif général thérapeutique de la prise en charge en groupe.

Un suivi sur un plus long terme de ces mêmes patients aurait pu, je pense, donner lieu à un travail de suivi plus personnalisé au sein du groupe en permettant la mise en place d'objectifs thérapeutiques distincts pour certains d'entre eux, en plus de l `objectif général lié au phénomène de groupe.

La briéveté des séances pour chaque patient a également limité le processus artistique dans sa visée esthétique.

En effet, peu de patients, deux ou trois tout au plus, sont parvenus à une réelle intention esthétique, d'autres étaient sur le point d'y parvenir dans leur recherche à pousser plus loin le geste ou le son, cherchant une certaine harmonie. Des séances supplémentaires auraient pu confirmer cette intention.

b) La briéveté des séances d 'une prise en charge individuelle

Pour la prise en charge individuelle, la briéveté des séances a été une limite frustrante pour la patiente, dans l'acquisition des résultats du travail thérapeutique mis en place.

Le cadre fixé au départ précisait bien le nombre de cinq séances, l'arrêt n'a donc pas été vécu comme un abandon pour la patiente, ce qui en soit est essentiel.

Mais pour ce qui est du travail, il en est ressorti une certaine frustration, car les premiers changements visibles (regard ouvert sur l'extérieur, nouvelle posture dans la verticalité), ont mis en évidence l'amorce d'un changement, mais pour combien de temps ? Nous pouvons difficilement parler d'acquisitions : cette amorce aura-t-elle suffi à pouvoir être réutilisée dans un autre temps ?

Ces questions restent en suspens.

S'il m'aurait paru bénéfique pour certains patients du groupe d'être suivis également en prise en charge individuelle, à l'inverse, il ne me paraissait pas souhaitable que Sabine intègre le groupe.

En effet, Sabine ne pouvait pas suivre une prise en charge en groupe, d'une part d'un point de vue physiologique, son état physique ne lui permettait pas, et d'autre part pour son inhibition qui aurait pu la mettre en situation d'échec.

Pour ce qui est du processus de création artistique, malgré la briéveté des séances,

Sabine est parvenue à élaborer ses réalisations avec une orientation esthétique certaine, dans le domaine des arts plastiques.

Elle est parvenue notamment à exprimer sur le support papier sa représentation de ses mouvements dans l'espace, effectués lors des séquences à dominante expression corporelle.

C'est pourquoi une réflexion sur un lien pouvant exister entre ces deux techniques nous semble nécessaire.

C/ La mise en relation de l'expression graphique et de l'expression corporelle

1) Le mouvement et le geste

a) Le mouvement pour le danseur

Le mouvement est l'instrument du danseur, c'est la raison d'être du danseur, tout en sachant que le mouvement naît de l'immobilité.

« S'abstenir de vouloir faire, afin d'accéder à un certain silence et de se laisser traverser par le mouvement. Se risquer, laisser s'élargir l'horizon, permettre à une forme d'advenir, de se développer dans l'espace, accueillir ce qui est, danser les mots... »23

Le mouvement a ses qualités : lisse, saccadé, léger, lourd, tout comme en peinture les couleurs ont des propriétés, c'est à dire, comme nous l'explique Kandinsky, qu'elles ont « la faculté de produire une impression de lisse, de rugueux, de piquant, de glissant, etc, - moyen optique. »24

En expression corporelle, en danse, il est possible de pouvoir ressentir le corps en mouvement quand la peur de rater disparait, quand l'esprit ne contrôle pas tout, alors le mouvement juste apparaît.

Et si l'intention est bonne, ce sera le bon geste.

b) Le mouvement pour le peintre

Pour le peintre, le mouvement corporel est un moyen pour réaliser sa toile influant sur la production.

Le mouvement pictural lié à la forme qui compose l'oeuvre, comme l'explique Kandinsky, c'est « la direction dans laquelle est orienté par exemple un triangle, c'est à dire son mouvement, (qui) joue également un rôle important »25 dans la peinture.

23C. Loisel-Buet « La danse à l'écoute d'une langue naufragée » p.66

24 Kandinsky « Du spirituel dans l'art, et dans la peinture en particulier » p.110

c) Le geste pour le danseur :

Quand le mouvement contient une intention claire, il se transforme en geste.

En expression corporelle, le mouvement utilisé dans le cadre du mime, se fera geste.

En danse primitive, l'utilisation dansée de certains rituels liés à la terre se traduit par des gestes répétitifs.

d) Le geste pour le peintre :

Le geste implique une précision, nous pourrions dire que le peintre utilise le mouvement de manière à le transformer en un geste précis dont l'objectif est de réaliser une production graphique.

Le geste est aussi utilisé comme technique à part entière comme « la gestuelle de J. Pollock » nommé « le dripping » qui consiste à disposer un support de couleur blanche sur le sol et à projeter de la peinture, par éclaboussures, en goutte à goutte ou en un mince filet qui prend alors toutes les sinuosités des mouvements que lui donne le balancement du bras. Cette peinture faite du déplacement du corps tout entier comme prolongement de l'intention du peintre donne toute sa signification au geste.

Le plasticien acquiert à la fois une maîtrise et une liberté dans ses gestes,

« en fait, c'est la maîtrise qui permet de dépasser la technique et de libérer le geste »26, contrairement à la pratique de la danse contemporaine, « car la danse ne peut que traverser un corps qui s'y est préparé. Elle n'appartient pas au champ de la maîtrise, elle circule au-delà de l'espace limité de la corporéité, de l'individu. Elle est liée au souffle, aux énergies multiples qui circulent de l'un à l'autre (...) ce qu'elle dévoile c'est l'âme du mouvement, anima, ce qui

l'anime. »27

La personnalité et l'état intérieur du plasticien comme du danseur traduisent des diversités de gestes et d'émotions produits à travers des traces spécifiques, des traces sur le support pour le plasticien et des traces dans l'espace pour le danseur.

25 Kandinsky op. cité. p. 117

26 Delphine Garnier D.U Tours Mai 2001 p.32

C'est le geste qui détermine la facture du peintre, « marques si reconnaissables dans les tableaux de Van Gogh ou de Cézanne, traces du pinceau singulières pour chaque peintre. »28

Le corps est donc très impliqué dans la création en art plastique, nous dirons qu'il agit comme un médiateur, alors qu'en art corporel il est le processus même de la création.

2) L'utilisation des couleurs

a) Un moyen pour l 'expression corporelle

Dans le cadre d'un atelier à dominante expression corporelle, les couleurs peuvent être utilisées comme support aux émotions.

Par exemple, dans une séquence de relaxation au sol, certaines couleurs peuvent être évoquées pour aider le patient à mentaliser un certain état. Penser au vert de la nature par exemple, ou au bleu du ciel : la mentalisation de la couleur peut favoriser un état pour la sensation qu'elle procure. Ce processus fait partie des propriétés des couleurs, à savoir la faculté de produire une impression, une « résonnance intérieure » comme la nomme Kandinsky, lorqu'il dit, je cite: « Le rouge qu'on ne voit pas matériellement, mais qu'on se représente dans l'abstrait, éveille par ailleurs une certaine image intérieure précise et imprécise d'une résonnance physique purement intérieure. »29

Je n'ai pas utilisé cette technique avec Sabine, préférant privilégier l'aspect de la perception kinésthésique du sens musculaire dans la contraction - relâchement.

Mais Sabine s'est servie des couleurs pour exprimer des sensations perçues corporellement, notamment sur son dessin clôturant les séances :

- elle me dit utiliser la couleur rouge pour montrer la confiance qu'elle a losqu'elle me confie son poids dans les exercices de relâchement,

- elle utilise la couleur bleue pour les déplacements dans l'espace . . .etc.

27 Christine Loisel-Buet p.48 op.cité p.46

28 Delphine Garnier p.33 op. cité.p. 46 29 Kandinsky p.115 op. cité p.46

Au regard de ce qui a été dit précedemment, la question se pose de savoir pourquoi Sabine a traduit ses sensations physiques par des couleurs. Les sensations physiques à leur tour auraient-elles des résonnances colorées ?

b) Un outil pour le peintre

Contrairement à l'expression corporelle où les couleurs peuvent servir de supports à la sensation d'un état, elles deviennent là, le principal outil, l'instrument. Le peintre choisit ses couleurs en fonction du sentiment qu'il veut exprimer.

Nous ne sommes plus uniquement dans le monde de l'imaginaire, de la mentalisation, nous sommes face aux couleurs qui prennent forme sur le support, cela est concret.

En qualité de spectateur, la vision même de ces couleurs pourra nous renvoyer à nouveau à nos impressions, dans le domaine de nos émotions.

Est-ce que Sabine en regardant son dessin et les couleurs qu'elles a employées en leur donnant un sens, peut se remémorer une sensation perçue, par exemple lors d'un relâchement musculaire ?

3) L'utiisation du corps

a) Le corps dans l'espace est l'outil du danseur

La danse c'est le corps qui parle, c'est par le corps que l'expression se fait et qu'elle se donne à voir et qu'elle peut susciter des émotions pour le spectateur.

L'exploitation du corps en tant qu'outil et sa performance par ce qu'il donne à voir lors d'une représentation ne sont pas uniquement dues à la qualité technique, et l'émotion que procure le corps en mouvement au spectateur est d'un autre registre.

« Le danseur qui ne brille que par la splendeur de la technique et qui tournoie sur scène dans un vide mécanique, n'appartient pas aux élus. Et ceux qui ne se réfèrent qu'à eux-mêmes en un miroir narcissique et ne savent plus qu'ils se meuvent sur la surface glacée de la solitude où plus rien ne respire, ceux-là n'ont pas reçu l'étincelle divine. Ils sont leur propre obstacle. »

(Mary Wigman danseuse)30

b) Le corps dans l'espace est un moyen pour le peintre

Le peintre a besoin du corps et de ses mouvements pour peindre, ses outils sont adaptés à la peinture qui demeure son domaine d'expression donnée à voir dans la réalisation graphique et qui peut susciter des émotions pour celui qui regarde le tableau.

Plus généralement le plasticien utilise des outils adaptés aux matières qu'il travaille et aux lieux qu'il investit. Il adapte son outil en fonction de la dureté ou de la plasticité de la matière. Par exemple le bois est travaillé avec des ciseaux à bois, un burin. Et pour peindre sur une toile, sur un mur ou au sol, il adapte la qualité et la taille de ses pinceaux.

Le plasticien compose avec la lumière, il doit capter selon ses besoins la lumière qui occupe l'espace, « son regard et tout le corps entrent en jeu, dans cet ajustement. Le peintre se place d'une certaine façon afin de ne pas faire d'ombres sur sa toile. »31

La place que l'artiste prend lui-même dans l'espace (travail au sol, sur une table, sur un mur, au plafond) « entraîne une adaptation corporelle et toute une gestuelle particulière ».

Ce travail peut nécessiter une grande souplesse ainsi qu'une adaptation corporelle qui peuvent être vécues comme contraignantes pour le plasticien.

« La position du corps est primordiale en peinture , la gestuelle et donc le rendu en dépendront ».32 En effet, la réalisation révelera un corps tendu ou à l'inverse détendu, à l'aise.

Pour le plasticien, l'espace peut devenir source de rêverie et constituer une partie intégrante de son oeuvre.

« L'espace représente donc une autre réalité avec laquelle l'artiste peut jouer, une réalité qui engage le corps et détermine fortement certains aspects de son oeuvre. »31

30 C. Loisel-Buet p.66 op. cité p.46

31 Delphine Garnier op. cité. p.31

Le corps lui-même peut devenir outil, comme par exemple à travers la gestualité et la relation à l'espace qu'utilise J. Pollock, ou chez. Yves Klein qui utilise la « technique des pinceaux vivants » ou « anthropométrie »32, ce qui revient à laisser au corps humain le soin de faire le tableau, mettant ainsi l'artiste en retrait (des modèles dont les corps sont enduits de peinture viennent s'appliquer sur le support pictural).

4) Du graphisme dans la danse et du mouvement dans la peinture

a) Le corps dessine dans l'espace temps

Nous pouvons utiliser le terme de graphisme dans la danse, en effet le rapport du corps en mouvement à l'espace est composé essentiellement de différentes manières de tracer des lignes, des courbes, des sauts, avec des notions de haut, de bas, de directions, de formes infinies.

C'est une succession de moments, de mouvements, dans l'espace temps qui donne à l'instant son aspect fugitif.

C'est une production directement liée à l'expression, où le produit artistique se confond avec l'activité, en l'occurence le mouvement.

b) Les arts plastiques en général et la peinture en particulier sont une succession de mouvements figés dans l'espace temps

La danse est présentée comme une succession de moments, par opposition à la peinture ou la sculpture, qui sont des réalisations permanentes. Il nous est possible de nous rendre dans les musées ou les expositions pour contempler ces oeuvres dans l'état même où elles ont été achevées. La peinture à l'inverse de la danse immortalise l'instant.

Les arts plastiques sont des productions distinctes de l'expression, à savoir qu'une distance tant spatiale que temporelle existe entre l'activité et la production.

32 Du grec anthropos : homme et métrie : mesure (Pierre Restany)

Avec le dessin, l 'image du corps en mouvement se trace, elle se fige

La mise en relation de l'expression graphique et de l'expression corporelle nous permet donc de constater des similitudes, des différences mais surtout une complémentarité, « c'est avec l'expression plastique que la danse va pouvoir s'associer pour montrer et permettre la compréhension et la pérennité aux mouvements gracieux des bons danseurs, puisque la peinture immortalise l'instant, (elle fixe l'image) alors que la danse (...) à l'inverse donne à l'instant son aspect fugitif. »33

Sabine a utilisé ce processus en fixant sur le papier les déplacements et les postures exprimés dans un autre repère spacio-temporel. Elle est passée de l'action à la production.

Cela lui a permis d'immortaliser une image, son image corporelle en lien avec son schéma corporel.

Serait-ce l'amorce d'une nouvelle image corporelle, qu'elle a pu dans un premier temps percevoir, puis concevoir en la dessinant ?

Dans tous les cas ce procédé mérite reflexion, et il serait intéressant de le réutiliser avec des personnes souffrant d'une image corporelle défaillante, comme c'est le cas pour les pathologies liées aux troubles du comportement alimentaire.

On pourrait sur une longue période envisager d'alterner les séquences d'expression corporelle et d'expression graphiques, pour pouvoir comparer et évaluer les résultats du corps en mouvement et de la représentation de celui-ci, et évaluer l'espace utilisé par le corps en atelier et sur le support papier.

Pouvoir apprécier les bienfaits, s'il y en a , d'une séquence sur l'autre et inversement, qu'estce qu'un mode d'expression peut apporter à l'autre et inversement, en quoi peuvent-ils améliorer ou modifier l'image corporelle ?

Est-ce que le fait de percevoir un changement d'état corporel influe sur l'image coporelle ? Est-ce que le fait de mettre en forme sur le papier les séquences corporelles aura une influence sur les mouvements lors de la prochaine séquence d'expression corporelle ?

Tous ces questionnements restent pour moi encore sans réponse et nécessiteraient un développement de la réflexion.

CONCLUSION

La période de l'adolescence présente des faits caractéristiques pouvant se traduire par des troubles du comportement souvent liés à une insatisfaction à l'égard de l'image corporelle. Ces troubles peuvent engendrer une souffrance nécessitant une hospitalisation.

Pour ces adolescents hospitalisés, il a été utilisé l'art-thérapie à dominante expression corporelle.

Cette étude nous permet de confirmer notre hypothése de départ, à savoir que la pratique de l'expression corporelle à travers son processus artistique est susceptible d'être thérapeutique dans l'amélioration de l'image corporelle de l'adolescent souffrant de troubles du comportement.

En effet, nous avons pu constater que la pratique de l'expression corporelle implique pour le patient une approche de la connaissance kinesthésique, lui permettant la (re)découverte de son corps tout en favorisant l'aspect relationnel (relation avec soi et avec l'autre).

Elle s'est avérée bénéfique pour certains patients suivis dans le cadre de prises en charge en groupe durant ce stage.

En ce qui concerne les troubles du comportement alimentaire et plus spécifiquement l'anorexie mentale, nous savons que pour certains patients, sur la base d'un schéma corporel en apparence normalement constitué, des perturbations de l'image du corps se développent : l'anorexique nie l'existence de son corps réel.

Face à cette pathologie, nous ne pouvons pas, suite à notre étude de cas, confirmer notre hypothèse, mais nous parlerons plutôt d'une amorce de résultat, qui aurait nécessité pour se vérifier un suivi sur une plus longue période.

Nous retiendrons le lien effectué par la patiente anorexique suivie en prise en charge individuelle, entre l'expression corporelle et l'expression graphique.

Ce lien nous rappelle la notion de « perçu-conçu », comme si la patiente en percevant une nouvelle sensation corporelle ressentait le besoin de passer par l'expression graphique pour

33 R. Forestier « L'art occidental » p.95

concevoir par l'image cette nouvelle sensation et par là même une image corporelle plus proche de la réalité.

Il nous paraît intéressant de tenter, à l'avenir, de mettre en pratique sur le terrain cette notion de « perçu-conçu » en alternant les séquences d'expression corporelle et d'expression graphique à travers une méthode adaptée à un protocole de prise en charge spécifique.

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ROBINSON Jacqueline. L 'enfant et la danse. Auteur-éditeur AAA. Paris. 1988

ANNEXES

UNE EXPERIENCE D'ART-THERAPIE A DOMINANTE EXPRESSION
CORPORELLE AUPRES D'ADOLESCENTS SOUFFRANT DE
TROUBLES DU COMPORTEMENT, HOSPITALISES AU SEIN D'UNE
UNITE POST-AIGÜE

Résumé

La période de l'adolescence présente des faits caractéristiques qui parfois se traduisent sous la forme de troubles du comportement. Ces troubles sont souvent liés à une insatisfaction à l'égard de l'image corporelle et peuvent entraîner des pathologies dont les principales formes sont présentées dans ce travail.

Ce mémoire relate, en effet, une expérience d'art-thérapie en expression corporelle menée à La Tronche, à côté de Grenoble dans l'Isère, dans une clinique médico-universitaire auprès d'adolescents en situation de crise, hospitalisés.

Notre hypothèse est la suivante : est-il possible d'améliorer l'image corporelle de l'adolescent souffrant par le biais de la pratique de l'expression corporelle ?

Afin de tenter de répondre à cette question, nous décrivons dans ce mémoire les spécificités de l'expression corporelle au sein d'un atelier d'art-thérapie avec des adolescents en crise. Le projet thérapeutique de la mise en place de l'atelier qui fait l'objet d'une méthodologie adaptée est présenté.

Les objectifs thérapeutiques de l'institution et de l'atelier sont précisés et il est rendu compte du déroulement des séances dans la présentation de deux études de cas.

Ces études de cas ont pu s'inscrire dans un cadre précis contenant des outils d'observation, rendant possibles une analyse et une évaluation des résultats.

Il sera ainsi discuté des différents types de prise en charge rencontrés, du projet thérapeutique initial qui a fait l'objet de transformations et de la mise en relation de l'expression graphique et de l'expression corporelle.

CROS Valérie

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